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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 34 - Témoignages du 30 novembre 2017


OTTAWA, le jeudi 30 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 32, pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous allons amorcer notre séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, je pense que nous allons établir que les membres du comité peuvent se présenter eux-mêmes et mentionner leur province d’origine.

Je vais commencer par ma droite.

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul J. Massicotte, du Québec.

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

La sénatrice Cools : Anne Cools, de l’Ontario.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La présidente : Je signale que c’est la première réunion du comité avec les nouveaux membres ainsi qu’une nouvelle étude, et la sénatrice Cools a récemment été élue vice-présidente. Je lui souhaite la bienvenue au comité dans ses nouvelles fonctions, ainsi qu’au sénateur Dawson, le troisième membre du comité de direction. Nous espérons que vous bénéficierez de l’apport de notre groupe au moment d’entamer notre nouvelle étude.

Nous tenons aujourd’hui la première séance du comité pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que sur leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

Comme vous pouvez le constater, l’objet de notre étude est plutôt général et vaste, et l’objectif est de nous donner l’occasion de réfléchir à la façon d’aborder le sujet.

Nous avons deux excellents témoins qui ont accepté de venir entamer notre étude. Comme vous le savez, nous avons indiqué que nous allons commencer par examiner globalement notre sujet avant d’aborder des domaines ou des aspects précis. Nous sommes donc ravis que les témoins que des membres de notre comité ont proposés pour entamer l’étude soient disponibles aujourd’hui.

Je vous présente M. Colin Robertson, vice-président de l’Institut canadien des affaires mondiales; et Mme Sarah E. K. Smith, professeure adjointe à l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton. Nous vous remercions de votre présence. Il convient de signaler que nous connaissons bien vos biographies. On les a fait circuler. Nous ne voulions juste pas prendre le temps d’en lire la version longue compte tenu de votre vaste expérience et de votre grande expertise dans le domaine et en ce qui a trait aux questions plus vastes que nous allons étudier.

Bienvenue au comité. Je vais commencer par M. Robertson.

Colin Robertson, vice-président, Institut canadien des affaires mondiales, à titre personnel : Merci, madame la présidente. John Ruskin, le grand critique d’art, a fait remarquer que :

Les grandes nations écrivent leur autobiographie dans trois manuscrits : le livre de leurs réalisations, le livre de leurs mots et le livre de leurs arts. Aucun de ces livres ne peut être compris à moins d’avoir lu les deux autres; mais parmi les trois, le seul qui est vraiment digne de confiance est le dernier.

Les arts.

Après avoir travaillé 33 ans pour le service extérieur canadien et avoir été affecté à New York, à Hong Kong, à Los Angeles et à Washington, je suis bien placé pour connaître l’importance de la diplomatie culturelle, que ce soit en tant que fin en soi qu’en tant qu’instrument essentiel à l’atteinte des objectifs canadiens en matière de paix et de sécurité, de commerce et d’investissement ainsi que d’immigration et de développement.

Voici ce que j’ai appris. Premièrement, nous avons besoin d’une stratégie de diplomatie culturelle qui fait appel à la collaboration des autres ordres de gouvernements — les provinces, les territoires et les villes — ainsi qu’au secteur privé, ce qui créera une masse critique pour promouvoir la culture et les arts canadiens. Nous avons notamment besoin d’une collaboration plus étroite entre les principaux ministères fédéraux et des organismes comme Patrimoine canadien, Affaires mondiales Canada, le Conseil des arts du Canada, Téléfilm, l’Office national du film, CBC/Radio-Canada, les musées nationaux, les galeries d’art du pays ainsi que les secteurs privés et à but non lucratif, surtout ceux qui possèdent une expertise dans les domaines du numérique et de l’animation. Nous devons nous inspirer des initiatives existantes comme le Conseil consultatif en matière de croissance économique et la Business/Higher Education Roundtable.

Peu importe qui est responsable de la promotion — le Conseil des arts du Canada, Affaires mondiales Canada, Patrimoine canadien —, car ce qui compte surtout, c’est qu’il y ait un responsable. Il faut des fonctionnaires dévoués, des budgets afférents et un ministre déterminé à en être le champion.

Deuxièmement, il faut que le Canada devienne une plateforme mondiale des productions culturelles. Il faut notamment élaborer à l’échelle locale, provinciale et nationale une politique clés en main de crédits d’impôt et de réglementation qui tient compte de la convergence rapide entre le contenu, la production et la technologie. Il faut mettre en commun le contenu de la culture et sa diffusion, que ce soit en personne, à l’écran, dans des jeux ou au moyen d’expériences virtuelles. Il faut une image de marque du Canada qui s’inspire des expériences positives d’autres campagnes nationales récentes de promotion de l’image de marque. La Grande-Bretagne s’est servie très efficacement de la diplomatie culturelle pour positionner l’image de marque du Royaume-Uni, GREATBritain, en tant que pays innovateur ouvert au tourisme, aux étudiants et aux investissements internationaux. Les Olympiques de Calgary et de Vancouver-Whistler ont fait progresser considérablement l’idée générale que le Canada est un pays nordique où le pluralisme fonctionne.

Troisièmement, il faut promouvoir les missions clés du Canada comme les espaces et les échanges culturels pour mettre en valeur le dynamisme social progressiste et économique du Canada. À cette fin, il faut notamment remodeler notre présence culturelle dans les centres culturels et médiatiques clés, comme Paris, Berlin, Londres, Tokyo, Shanghai, Delhi, Séoul, Jakarta, New York, Los Angeles et Mexico, en créant des maisons canadiennes, comme nous le faisons actuellement à Paris, pour avoir des espaces culturels distincts à l’étranger. Il faut rendre possibles des échanges entre artistes dans des pays prioritaires, en commençant par nos partenaires du G20, afin de faire connaître l’excellence artistique du Canada. Il faut également établir un groupe d’attachés culturels dynamiques dont le long parcours professionnel comprend des institutions culturelles canadiennes et internationales. D’un point de vue pratique, cela pourrait comprendre une affectation au Conseil des arts du Canada ou à Patrimoine canadien, pour aider à gérer un orchestre symphonique, une troupe de danse, un musée ou un centre culturel, une expérience dans les médias numériques combinée à des affectations à l’étranger. Bref, il faudrait mettre au point un parcours professionnel qui attire et retient les gens qui ont une expérience culturelle pratique et qui tiennent compte du résultat final. Cela s’appliquerait non seulement à l’échelle du Canada, mais aussi aux personnes recrutées sur place, qui constituent véritablement l’épine dorsale de la promotion culturelle à l’étranger.

De plus, nous devons encourager les missions d’innovation. Par exemple, quand j’étais à Hong Kong à la fin des années 1980, nous avons mis sur pied un festival de films pour enfants, et grâce à nos films, notamment ceux de Rock Demers et les Contes pour tous, nous avons fait valoir le Canada comme endroit où vivre, étudier et travailler. La visibilité obtenue ainsi a également aidé Rock Demers à vendre ses films en Chine.

Quatrièmement, il faut créer un programme modernisé d’études canadiennes pour souligner, amplifier et favoriser l’excellence en recherche du Canada. Les études porteraient notamment sur l’intégration des migrants dans les grandes villes, le pluralisme efficace, l’agroalimentaire, l’énergie propre, le développement de l’Arctique, la gestion des océans et l’atténuation des changements climatiques, qui sont tous des domaines dans lesquels le Canada possède ou développe une expertise.

Les échanges de jeunes, comme nous le faisions au moyen de programmes comme Jeunesse Canada Monde, créent une bonne volonté à long terme. Par exemple, l’actuel ambassadeur d’Indonésie et sa femme ont tous les deux participé au programme Jeunesse Canada Monde.

Sur le plan de la culture et des arts, nous faisons bien plus que notre poids. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est étrange que les gouvernements qui se sont succédé au cours des dernières années aient réduit les investissements dans la promotion de nos industries culturelles. Les programmes ont un cycle de vie naturel, et leur effet devrait être revu. La réduction de notre soutien aux industries culturelles à l’étranger a été extrême.

À titre d’exemple, quand j’étais consul général à Los Angeles, nous avons créé un guide des talents en ligne pour les Canadiens qui travaillent dans l’industrie, ce qui nous a aidés à réaliser davantage de films au Canada. Nous devrions recréer ce guide afin d’intéresser les réalisateurs non seulement d’Hollywood, mais aussi de Bollywood, ainsi que les réalisateurs de films européens et chinois.

La promotion de nos industries culturelles a des retombées collatérales. Dans la foulée du 11 septembre, le premier ministre de l’époque, Jean Chrétien, a dirigé une mission d’Équipe Canada à Los Angeles pour soutenir la vente de biens et de services occidentaux ainsi que pour souligner la solidarité canadienne avec les États-Unis. Il était accompagné des premiers ministres de l’Ouest. J’ai enrôlé mes amis Paul Anka et David Foster, et l’activité que nous avons organisée au musée J. Paul Getty a non seulement attiré l’attention de la communauté internationale, mais aussi aidé à vendre des produits canadiens et à attirer des investissements au Canada.

Quand on pense que nos marchés avec les États-Unis totalisent chaque minute 1 million de dollars, on se questionne sur les fausses économies. Si nous continuons de considérer la diplomatie culturelle comme étant secondaire dans le cadre des relations internationales du Canada, nous ratons des occasions de nous servir de notre politique étrangère pour obtenir des avantages en matière d’économie, de politique et de sécurité.

La culture et les arts canadiens devraient être un des principaux piliers de la diplomatie et de la politique étrangère du Canada. D’autres pays — l’Australie, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Mexique et la Corée — tirent de réels avantages économiques et politiques de leur utilisation beaucoup plus stratégique de programmes d’échanges culturels, éducationnels et scientifiques à court et à long terme.

Sans le soutien des gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que des administrations municipales, les déplacements de nos orchestres et de nos troupes de danse de calibre mondial et l’exposition de nos œuvres d’art visuel et numérique sont grandement limités. Pourtant, nos arts ont été et peuvent encore être d’importants outils de promotion de nos objectifs de politique étrangère, ainsi qu’une fin en soi.

Dans son récent discours sur les objectifs de politique étrangère du Canada, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a posé la question suivante : « […] le Canada est-il un pays essentiel à ce moment dans la vie de notre planète? » Ma réponse est oui. Notre pays est essentiel, surtout compte tenu de notre pratique quotidienne du pluralisme et de la façon dont nous faisons des concessions sur le plan géographique et climatique.

Pour paraphraser John F. Kennedy, je me réjouis à la perspective d’un Canada qui récompense les réalisations artistiques ainsi que les réalisations en affaires ou dans l’art de gouverner. Je me réjouis à la perspective d’un Canada qui rehaussera progressivement les normes de l’expression artistique et qui multipliera progressivement les expériences culturelles de tous nos citoyens pour ensuite les faire valoir à l’étranger.

En faisant preuve d’engagement, nous pouvons en faire beaucoup plus pour promouvoir la culture et les arts du Canada. L’idée que nous nous faisons de l’identité canadienne est enrichie et renforcée par la façon dont nous sommes perçus au-delà de nos frontières. L’investissement dans nos industries culturelles est profitable — cela crée et préserve des emplois — et donne un regain de vie à notre identité.

Sarah E.K. Smith, professeure adjointe, École de journalisme et de communication, Université Carleton, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée à prendre la parole. Par diplomatie culturelle, on entend une gamme d’activités orchestrées par des diplomates qui se servent de produits culturels pour faire progresser les intérêts du pays, par exemple au moyen des arts, de la littérature et de la musique. Il est toutefois restreignant de ne s’en tenir qu’aux projets destinés à des publics étrangers qui sont propagés par des acteurs étatiques. Je suggère au comité d’examiner les relations culturelles dans un sens plus large, d’une façon susceptible de contribuer à son étude grâce à un meilleur cadre de référence pour comprendre comment la culture peut être déployée de manière productive dans le but de susciter une perception positive du Canada à l’étranger. Vous pourriez songer aux applications de la culture au-delà des acteurs gouvernementaux, en reconnaissant le rôle de divers réseaux d’échanges culturels dans le contexte de la mondialisation. À titre d’exemple, ces acteurs comprennent notamment les artistes, les étudiants, les institutions culturelles et les organisations non gouvernementales. Autrement dit, les relations culturelles nous permettent de penser aux rapports entre les personnes, en plus des rapports entre l’État et les gens dans le cadre de la diplomatie culturelle.

La diplomatie culturelle est essentielle pour permettre au Canada d’être engagé à l’échelle mondiale et de réagir aux problèmes actuels. Son importance réside dans le fait que c’est un moyen de réagir sans confrontation à des forces qui pourraient s’avérer déstabilisatrices, comme la radicalisation et l’hypernationalisme. De plus, la diplomatie culturelle favorise de véritables liens entre les gens, les organisations et les États, et elle jette les bases d’interactions ciblées et stratégiques ultérieures. Pour expliquer clairement les avantages de la diplomatie culturelle, j’aimerais attirer l’attention du comité sur un rapport publié en 2012 par le British Council ayant pour titre Trust Pays, c’est-à-dire « la confiance paye ». Cette étude fournit des preuves quantitatives substantielles de la façon dont les relations culturelles, qui sont définies comme les arts, l’éducation et les activités menées en anglais, alimentent la confiance dans le Royaume-Uni, ce qui stimule ensuite les affaires et le commerce. Ces résultats sont indispensables pour établir le fondement des discussions sur la diplomatie culturelle au moyen de preuves quantitatives.

Le milieu universitaire interdisciplinaire s’intéresse de plus en plus à la diplomatie et aux relations culturelles. Je compte parmi les membres fondateurs de l’Initiative pour la diplomatie culturelle dans l’Amérique du Nord, qui est un passionnant partenariat multidisciplinaire qui regroupe des universitaires, des décideurs, des organismes culturels et des professionnels de l’Amérique du Nord et d’ailleurs. J’ai remis au comité une déclaration sur ce groupe, qui est dirigé par Lynda Jessup à l’Université Queen’s. Nous nous livrons à une réflexion approfondie sur la diplomatie culturelle en tant que pratique essentielle et outil précieux en matière de relations internationales. Cette recherche cadre avec l’intérêt accru du gouvernement en ce qui a trait au déploiement de la culture pour promouvoir les objectifs du Canada. C’est la raison pour laquelle j’estime que les partenariats entre le gouvernement et les universités sont un des principaux moyens de parvenir à une nouvelle réflexion sur la façon de donner forme aux programmes de diplomatie culturelle.

Bien entendu, la diplomatie culturelle n’est pas nouvelle au Canada et elle a déjà été utilisée avec succès au XXe siècle. Pour donner un exemple, je vais me reporter au travail de Mme Jessup, qui fait valoir que la diffusion et la présentation de beaux-arts étaient un des principaux moyens employés par le Canada pour nouer un dialogue avec d’autres pays. Par exemple, le Canada compte parmi les premiers pays occidentaux à avoir noué le dialogue avec la Chine à la suite de la révolution culturelle. Les travaux de recherche de Mme Jessup révèlent que l’État canadien a facilité la tenue d’une exposition d’art inuit en Chine, en 1972, deux ans à peine après le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. En 1973, les Canadiens ont présenté une autre exposition d’art inuit en Chine, qui était faite cette fois de peintures de paysages historiques. Ces études de cas montrent que le Canada s’est empressé d’établir une relation productive avec la Chine, qui est maintenant son deuxième partenaire commercial, mais elles donnent aussi une idée du nombre d’acteurs dans les relations culturelles transnationales. Dans ce cas-ci, le Musée des beaux-arts du Canada et le ministère des Affaires extérieures, comme on l’appelait à l’époque, ont collaboré pour exposer de l’art canadien à l’étranger.

Ce que ces interactions indiquent clairement, c’est que la priorité a d’abord été accordée à cette prétendue culture d’élite. Toutefois, à la fin des années 1970, à mesure que les relations entre le Canada et la Chine continuaient de s’améliorer, la catégorie de culture canadienne retenue s’est élargie, et de nouveaux projets culturels présentés en Chine ont mis en vedette la culture populaire canadienne. Par exemple, en 1976, la chorale masculine du Cap-Breton, qui était composée de travailleurs et de retraités de mines de charbon, les Men of the Deeps, a fait une tournée en République populaire de Chine. À la fin des années 1970, le Canada a également fait des échanges de groupes d’étudiants. Ces initiatives culturelles ont toutes contribué à normaliser les relations canadiennes avec la Chine et à nouer des liens essentiels de longue date.

Pour conclure, j’aimerais porter à votre attention trois points essentiels dans la formulation de politiques visant à soutenir l’utilisation de la culture et des arts du Canada dans le contexte des affaires étrangères.

Premièrement, il y a un vaste manque de compréhension de ce qu’englobe la diplomatie culturelle et de la façon dont on s’en sert, ce qui comprend un manque de reconnaissance de nombreux facteurs qui y sont rattachés. Une meilleure définition de la diplomatie culturelle aidera les acteurs qui participent à ces initiatives à mieux comprendre leur rôle et les avantages qu’elles procurent au Canada.

Deuxièmement, il est important de créer des politiques favorables aux intérêts enchevêtrés des groupes qui participent à la diplomatie culturelle. À l’échelle fédérale, la diplomatie culturelle relève d’Affaires mondiales Canada et de Patrimoine canadien. De plus, d’autres organismes gouvernementaux indépendants, comme le Conseil des arts du Canada et le Musée des beaux-arts du Canada, mettent en valeur les arts canadiens dans leur vaste réseau de contacts internationaux. Il faut également tenir compte des producteurs de culture. Cet examen sommaire donne une idée de la complexité du milieu dans lequel la culture et les arts canadiens sont déployés.

Troisièmement, les questions concernant l’efficacité de la diplomatie culturelle ont suscité un intérêt en matière de paramètres, alors que nous essayons de procéder à une évaluation quantitative de la fonction de la culture canadienne à l’étranger. Les études sur la diplomatie culturelle menées par d’autres pays, comme l’Australie, la Corée du Sud et l’Allemagne, ont montré dans quelle mesure un climat culturel positif contribue à établir des relations commerciales productives, mais j’aimerais souligner que les paramètres quantitatifs et économiques sont limités. Ils ne permettent pas de rendre compte des avantages à long terme des investissements dans la diplomatie culturelle. La culture est un bien économique et social. Il est donc urgent de procéder à des évaluations quantitatives. À une époque qui semble de plus en plus marquée par la radicalisation, par la résurgence du nationalisme de droite, par la tentation de fermer les frontières et par le rétablissement de mesures protectionnistes, le Canada est perçu sur la scène mondiale comme le défenseur de la modération et de la tolérance. Le moment est venu pour le Canada de briller; profitons-en.

La présidente : Merci. Nos deux invités nous ont donné matière à réflexion. Je vais demander au sénateur Massicotte d’ouvrir le bal.

Le sénateur Massicotte : Vos exposés étaient très intéressants. Utiliser la culture à notre profit, c’est une idée qui, je crois, sourit à tout le monde. J’ai appris que dans la vie, pour réaliser ses aspirations, il faut se concentrer sur un objectif et trouver une façon de mesurer ses progrès. Madame Smith, vous avez abordé brièvement le sujet.

Monsieur Robertson, vous avez d’abord parlé de l’importance de promouvoir notre culture, de la faire rayonner. Vous avez également fait mention de l’intérêt du pouvoir de persuasion. Avez-vous un ou deux exemples d’objectifs que nous pourrions ainsi atteindre? Allons-nous pouvoir mesurer nos progrès pour nous assurer d’être sur la bonne voie? Autrement, il est difficile de maintenir le cap. Avez-vous une idée du budget requis pour atteindre ces objectifs?

M. Robertson : Merci, monsieur, pour la question. Pour ce qui est du budget, d’après ce qui se fait ailleurs dans le monde, et si on veut faire les choses comme il se doit, il faut probablement compter entre 50 et 100 millions de dollars. Par le passé, nous avons plutôt investi quelques millions ou quelques centaines de milliers de dollars, et de façon occasionnelle. Par contre, les Britanniques, les Australiens, les Français, les Allemands et les Japonais consacrent, eux, des sommes considérables à ce genre d’initiative.

Comment mesurer nos progrès? Je vais reprendre l’exemple de Mme Smith. Quand un orchestre symphonique débarque en ville et que le gouvernement provincial essaie d’émettre des obligations sur ce marché… Alors que j’étais à New York, c’était le Royal Winnipeg Ballet. On invite des banquiers et des joueurs de Wall Street, et on espère qu’ils seront assez impressionnés pour juger bon d’investir chez nous. C’est très difficile à mesurer.

À Los Angeles, nous avions créé un guide de talents. Cette liste était prisée par les Canadiens de l’industrie et les studios qui souhaitaient produire du contenu au Canada. C’était donc une façon d’entraîner des retombées économiques. À l’époque, la valeur du contenu produit à Vancouver et à Toronto s’élevait à quelque 700 millions de dollars. Mais en quatre ans, ce chiffre a grimpé à près de 1 milliard de dollars. L’investissement est profitable. On a parlé dans les derniers jours de la production de la série Suits à Toronto. La nouvelle fiancée du prince Harry fait partie de la distribution de cette série. Ces choses valent leur pesant d’or. Le Festival international du film de Toronto est devenu un des festivals les plus courus au monde. C’est une belle vitrine pour les films d’ailleurs, mais aussi pour les films canadiens qui ont ainsi la chance d’être vendus sur d’autres marchés. Ce sont des paramètres de mesure, mais il est difficile d’établir le lien de cause à effet entre les deux. Je reviens encore une fois à ce que Mme Smith disait : c’est un défi constant. Mais c’est efficace. Dans la foulée des événements de la place Tiananmen, nous avons participé à un festival pour enfants à Hong Kong, en vue d’attirer au Canada les plus grands talents du monde. Entre autres grâce à l’élimination des quotas, le nombre d’immigrants est passé de 1 800 à 40 000.

Je me souviens que, à la projection d’un de nos films pour enfants, quelqu’un nous avait dit : « J’ai le choix d’aller aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou au Canada. Mais un pays qui peut faire des films pour enfants comme vous le faites et qui valorise autant la nature, c’est un pays de choix pour ma famille et moi. »

Ce sont des anecdotes intangibles se traduisant tout de même, par exemple, par la hausse de l’immigration en provenance de Hong Kong, qui a changé à jamais le visage de nos grandes villes comme Vancouver, Toronto et Montréal.

Le sénateur Massicotte : Vous devez trouver une façon de mesurer tout cela, par des sondages ou autre.

J’ai une autre question pour Mme Smith. Vous avez insisté sur l’importance de donner une bonne impression du Canada au monde extérieur, et pas seulement de promouvoir notre culture en vue d’en récolter les retombées économiques, entre autres. Devrions-nous donner la priorité à la bonne réputation du Canada à l’étranger, de façon à ce que le pays soit vu d’un bon œil et qu’il puisse ainsi consolider son pouvoir de persuasion?

Mme Smith : C’est le but ultime, et dans cette optique, il est crucial de comprendre le pouvoir de la culture. La culture est essentielle aux conversations internationales. C’est un mode de vie. Mais outre se forger une bonne réputation, en adoptant un solide programme de diplomatie culturelle, le Canada pourrait faire avancer sa vision progressiste sur la scène internationale, qui se veut évidemment le reflet des valeurs et des intérêts de la population canadienne.

Je me plais à croire que la diplomatie culturelle peut se greffer aux priorités du gouvernement. Autrement dit, il y a des liens à faire entre la culture et la sécurité humaine ou les changements climatiques. Je crois effectivement qu’il est important pour le Canada de projeter une image positive, mais cela ne s’arrête pas là. J’encourage le comité à explorer les espaces sociaux qui entourent la culture expressive. Et par « culture expressive », j’entends les discussions concernant les objets culturels. Quand on exporte des expositions d’art, on crée aussi des espaces sociaux propices aux conversations sur le Canada, des conversations entre artistes, diplomates, producteurs culturels, politiciens. Des conversations qui incluent souvent des commanditaires, et qui pourraient susciter des discussions d’affaires. On peut également penser à la dimension virtuelle, aux espaces sociaux virtuels axés sur la technologie. Je parle ici des médias sociaux, notamment, et des façons d’en tirer profit.

La sénatrice Ataullahjan : Ma question rejoint celle du sénateur Massicotte. J’ai grandi au Pakistan et étudié au pensionnat d’un couvent, où on nous montrait régulièrement des vidéos fournies par l’ambassade canadienne. Ces images ont nourri notre désir de visiter le Canada. Pour la population du sous-continent, avec les images qu’on lui montre du Canada, c’est tentant pour elle de venir faire des films ici. Beaucoup de films de Bollywood sont tournés à Toronto. C’est une source de revenus pour le Canada, qui devient aussi une destination de choix pour bien des gens. Je sais que ces images ont donné le goût à ma famille de visiter le Canada.

Quelle place occupe la diplomatie culturelle dans le programme d’Affaires mondiales? Nous étions à Taïwan plus tôt cette année pour promouvoir les activités du 150anniversaire du Canada. C’était très excitant. Nos hôtes avaient fait fabriquer des éventails à main, pour quelques sous, selon eux. Une fois ouverts, on pouvait y lire « Canada 150 ». Tous les participants étaient très heureux d’avoir leur éventail. C’est bien. C’est une façon positive de promouvoir le Canada.

Vous avez déjà parlé du manque de financement. Je sais que les ambassades ont des fonds limités, mais quelle est la proportion du mandat vouée à la promotion du Canada? Mis à part les échanges entre diplomates et gouvernements, dans quelle mesure devez-vous favoriser les liens entre les peuples?

Mme Smith : Je ne sais pas si je peux le quantifier, mais votre question m’amène à soulever deux points intéressants. De un, je dirais que ce sont des efforts assez ponctuels dans le cadre de certaines missions, et certains en font beaucoup pour la diplomatie culturelle et arrivent à obtenir des fonds. Mais d’autres pourraient aussi saisir les occasions qui se présentent, car il y en a. Il s’agit d’établir une stratégie cohérente qui fait la liaison entre les différents intervenants et qui met l’accent sur les priorités du gouvernement.

L’autre point auquel m’a fait penser votre question, c’est que du financement supplémentaire est offert pendant certaines périodes particulières, et nous pouvons voir que les gens l’utilisent. Manifestement, les arts et la culture ont profité d’un financement important dans le contexte du 150e anniversaire du Canada. Je crois que c’est un très bon exemple de la façon de profiter de ce genre d’occasion. En effet, de multiples initiatives ont été lancées, et cela montre que les gens souhaitent mettre en œuvre un plus grand nombre de programmes culturels.

M. Robertson : Madame la sénatrice, je pense que nous devons recréer une chose dont nous profitions autrefois; je parle de la Division des affaires culturelles et des relations avec les universités d’Affaires mondiales. Tout cela a disparu. Nous étions plus avancés dans les années 1980 que nous le sommes au moment de notre 150e anniversaire. Il faut une masse critique pour soutenir tout cela, surtout dans le cas des orchestres, des galeries d’art ou des expositions qui fonctionnent sur une période de cinq ans. Si on lance tous ces projets de façon aléatoire, par exemple, on se rend soudainement compte qu’on peut faire ceci ou cela en 2017, mais seulement pour quelques jours, cela ne fonctionne pas, surtout en ce qui concerne la promotion des arts et de la culture. Il faut avoir une masse critique.

En 1994, j’ai comparu devant ce comité à titre de président de l’APASE, en compagnie de Peter Roberts, qui était notre ambassadeur à Moscou et qui a ensuite dirigé le Conseil des arts du Canada. À l’époque, nous faisions valoir qu’il fallait maintenir les affaires culturelles au sein de ce qu’on appelle maintenant Affaires mondiales, car on parlait d’envoyer cette division au Conseil des arts du Canada.

Lorsque j’y repense, 25 ans plus tard, je ne suis pas certain que c’était une bonne idée de laisser cette division au sein d’Affaires mondiales, où elle s’est atrophiée, car on ne la jugeait pas suffisamment importante. On s’en occupe de façon aléatoire et un peu partout à l’échelle du pays, sans but précis.

Comme je l’ai dit dans mon exposé, l’endroit où se trouve cette division est moins important que le fait qu’elle existe. Nous devons la confier à un ou une ministre qui s’en occupe vraiment — dans un ministère où les choses bougeront et où les fonctionnaires pourront faire avancer les choses. Patrimoine canadien a les fonds, Affaires mondiales a la capacité et le Conseil des arts du Canada a les objectifs nécessaires, mais je crois qu’il serait préférable de placer cette division au sein d’Affaires mondiales, et de prendre un engagement ferme à son égard.

Il y a presque 40 ans que l’on a entendu l’un de nos ministres ou de nos sous-ministres parler au nom de la diplomatie culturelle. Il est très important de savoir que le gouvernement a au moins prononcé les bonnes paroles et qu’il souhaite remettre sur pied certains programmes comme Routes commerciales et Promart, des programmes qui ont rendu ce genre de chose possible. Mais il faut faire des choses concrètes et poursuivre ce genre d’activité pendant une certaine période.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup pour vos présentations. Madame Smith, j’ai apprécié notamment tous les enjeux que vous avez soulevés en ce qui concerne le nombre d’acteurs possibles pour travailler en diplomatie culturelle. Compte tenu de la diversité des acteurs qui peuvent être impliqués en diplomatie culturelle et de la diversité des objectifs aussi, le secteur des arts et de la culture, et les industries culturelles ont leurs propres objectifs sur la scène internationale pour le développement de leur marché. Le Canada a comme objectif de positionner le pays à l’échelle internationale et de faire rayonner sa culture et ses arts.

Selon votre point de vue et votre expérience, monsieur Robertson, comment ces objectifs peuvent-ils bien se réconcilier à l’intérieur d’une politique de diplomatie culturelle? Quels sont les enjeux liés à la réconciliation de ces différents objectifs?

M. Robertson : Je vous remercie de votre question, sénateur. D’après moi, il faut adopter une stratégie et fixer des objectifs. Il faut cibler quelques objectifs pour mettre en place une bonne stratégie, notamment pour promouvoir nos orchestres et les arts. Il faut décider année après année quels organismes seront ciblés au cours des cinq prochaines années. Cette année, ce sont le Musée des beaux-arts et le Royal Winnipeg Ballet. Il faut établir un cadre avec des objectifs qui sont disponibles. Il faut planifier en fonction de nos missions outre-mer pour créer l’impact nécessaire. Il faut harmoniser les missions, par exemple, avec les visites entre premiers ministres ou ministres pour renforcer nos objectifs. Cela demande du temps et il faut d’abord établir une stratégie. C’est ce qui manque maintenant.

[Traduction]

Mme Smith : Je vous remercie de votre question. Vous visez juste lorsque vous parlez de regrouper ces différents intervenants et ces objectifs dans un cadre cohérent.

Un programme de diplomatie culturelle réaliste et revitalisé doit profiter du soutien d’une masse critique à grande portée. Ce type de programme doit lier des éléments de diplomatie culturelle clé aux priorités du gouvernement. Nous devrions voir les priorités du gouvernement dans leur ensemble. Nous devrions utiliser les valeurs internationales et progressives du Canada. Nous devrions envisager d’utiliser la diversité culturelle, la tolérance et la reconnaissance de la diversité pour désamorcer les enjeux mondiaux. Tout cela favorisera l’innovation et le commerce.

Je crois qu’il faut également augmenter le financement lorsque c’est nécessaire, mais selon moi, ce qui permettrait de réconcilier les différents intervenants et les objectifs, c’est une sensibilisation accrue, afin de mieux comprendre les participants, des producteurs culturels jusqu’aux gens qui gèrent les programmes de diplomatie culturelle, car il faut comprendre ce qu’ils font et le fait qu’ils travaillent tous ensemble, qu’ils proviennent du milieu municipal ou d’un ministère fédéral. À mon avis, cette connaissance ou cette compréhension de tous les participants aux initiatives de diplomatie culturelle est essentielle. Encore une fois, il s’agit de miser sur des priorités précises du gouvernement qui sont connues de tous.

Le sénateur Cormier : Merci.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie de vos exposés. Vous avez soulevé de nombreux enjeux, de la stratégie au financement, en passant par les échéanciers.

J’aimerais revenir sur quelques citations que vous connaissez tous, j’en suis sûre. John Ralston Saul a déjà écrit que le profil du Canada à l’étranger repose en grande partie sur sa culture. Cela pourrait donc sous-tendre certains éléments du profil.

Dans un rapport qui s’intitule, si je me souviens bien, Culture : Keeping Doors Open in Difficult Times, on a écrit qu’en période de difficulté politique, lorsque les diplomates ne sont mêmes pas en mesure de s’asseoir et de négocier, la culture peut permettre d’entretenir le dialogue jusqu’à ce que les relations s’améliorent. Je ne suis pas certaine s’il s’agit d’une réponse douce ou forte.

Vous avez tous les deux mentionné le commerce et l’impact réel qu’a ce secteur sur le commerce. Il faut tenir compte du fait que certaines de ces choses sont plus difficiles à mesurer que d’autres, mais on peut se servir des statistiques accumulées au fil des années.

Ma question concerne l’importance de comprendre le rôle de la culture numérique ou des éléments numériques de la culture. De nombreuses études ont révélé que ce sont les choses concrètes qui produisent un impact réel et encouragent la participation des citoyens.

Vous avez mentionné le rôle des attachés culturels, et quelqu’un a raconté une histoire qui illustre la nature aléatoire de la diplomatie culturelle. Selon vous, le fait d’avoir des attachés culturels dans les ambassades clés — ou dans toutes les ambassades — stabiliserait-il cette approche aléatoire qu’on utilise dans la présentation, la compréhension et la participation de la culture dans tous les volets des affaires étrangères du Canada?

Mme Smith : Oui, je crois que c’est un excellent point. Comme vous l’avez mentionné, il serait manifestement très utile que des gens dont le travail consiste à déployer des programmes culturels soient intégrés aux missions. Mais je crois aussi que M. Robertson a soulevé un bon point lorsqu’il a parlé de parcours professionnel.

On a peut-être l’impression que les programmes culturels sont mis en œuvre par des employés des missions qui sont à un certain niveau de leur carrière, mais qui ne poursuivent pas nécessairement leurs efforts lorsqu’ils gravissent les échelons du service à l’étranger. Il pourrait être utile que des gens à différents échelons du gouvernement accordent de l’importance et de la valeur à la diplomatie culturelle. Si l’on créait des postes d’attachés culturels, cela pourrait offrir une possibilité de parcours professionnel à ceux et celles qui se consacrent à l’avancement de la diplomatie culturelle du Canada.

M. Robertson : Je crois que Mme Smith a raison. Je crains que si l’on considérait autrefois que nos diplomates devaient posséder cette compétence essentielle, on a plutôt tendance à penser, de nos jours, que c’est une bonne et belle chose, mais que cela ne permet pas de faire avancer une carrière. Nous devons rétablir tout cela et en faire presque un cheminement de carrière. Après tout, nous avons des agents politico-économiques, des délégués commerciaux et des agents d’immigration. Il nous faut un volet culturel doté d’un parcours, comme je l’ai souligné plus tôt, qui permet d’acquérir une vaste expérience et qui s’intègre aux objectifs de la mission et à l’ensemble de la politique étrangère. Dans ses lettres de mandat, le premier ministre Trudeau a indiqué qu’il s’agissait de l’une des priorités des Affaires étrangères, mais cela n’a pas encore été mis en œuvre. Cette norme a déjà existé et nous devons maintenant la rétablir.

Je ne crois pas que c’est difficile, car cela appuie de nombreux autres objectifs. Encore une fois, comme nous avons tenté de le faire valoir, c’est une façon d’atteindre les objectifs économiques qui est aussi une partie de l’identité de notre pays, surtout dans l’état actuel de la situation mondiale, et l’image du pays est particulièrement bien véhiculée dans les arts et la culture. Les gens s’intéressent de plus en plus à ce que fait le Canada, car partout dans le monde, on peut voir que le Canada fait les choses différemment, et nos arts et notre culture représentent la meilleure façon de communiquer cela.

La sénatrice Bovey : Vous avez parlé d’organisations comme le Royal Winnipeg Ballet, des artistes et des expositions qui vont à l’étranger. Pendant que nous envisageons la possibilité d’avoir des attachés culturels, pouvons-nous envisager d’effectuer des échanges internationaux avec des employés de l’industrie des arts, afin d’élargir le rôle joué par les missions canadiennes à l’étranger et de renforcer ce rôle en recréant quelques postes d’attaché culturel? S’agit-il d’une bonne façon de commencer à envoyer des intervenants et des organisations artistiques à l’étranger pendant un certain temps? Nous semblons embaucher un grand nombre de gens d’autres pays dans ce domaine, et je me demandais si nous pouvions faire la même chose dans l’autre sens.

M. Robertson : Oui, mais dans ce cas, un attaché culturel se trouve à l’ambassade; il connaît les talents du Canada et il sait lorsque ces types de postes sont offerts et lorsqu’il est dans l’intérêt du Canada de présenter des noms canadiens. Autrefois, nous avions un système de grille dans lequel, sur une période de cinq à sept ans, nous planifiions les tournées de nos grands orchestres, de nos corps de ballet et de nos expositions itinérantes d’art visuel. Manifestement, les personnes qui ont de l’expérience dans ce domaine savent que les cycles de planification durent de cinq à sept ans et comme je l’ai dit plus tôt, nous pourrions utiliser cela pour commencer à planifier des tournées. Par exemple, nous pourrions faire en sorte que le ministre des Finances profite d’un ballet pour faire la promotion du Canada aux investisseurs. On peut faire valoir notre excellent milieu artistique en arrière-plan, et cela fonctionne réellement.

Mme Smith : Lorsqu’on parle des échanges professionnels, il est important de se rappeler, surtout dans l’industrie artistique, qu’un grand nombre de professionnels sont déjà en communication à l’échelle mondiale. En effet, les liens internationaux sont essentiels et ils ont déjà été établis. Les initiatives en matière de diplomatie culturelle menées par le gouvernement doivent reconnaître ces réseaux déjà établis, car ils sont très importants. Des échanges professionnels financés par le gouvernement pourraient être très utiles.

On peut également penser aux échanges d’étudiants. Dans l’une des notes de bas de page de mon rapport au comité, je fais référence au récent rapport Le monde à votre portée. L’idée d’exporter de jeunes Canadiens pour exprimer les valeurs canadiennes, encore une fois, revient à l’idée d’acquérir des compétences culturelles internationales, ce qui contribue à bâtir la main-d’œuvre canadienne lorsque ces étudiants reviennent au pays.

Le sénateur Housakos : J’aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins. C’est fascinant d’entendre vos points de vue, et je voulais essentiellement vous offrir un point de vue différent et vous demander votre avis à cet égard.

Il est évident que depuis plusieurs décennies, le gouvernement fédéral et les gouvernements qui se sont succédé ont réduit le financement de la culture. Il semble que plusieurs politiciens de l’autre côté croient que c’est une compression budgétaire facile à effectuer, car les demandes budgétaires continuent d’exercer des pressions croissantes dans plusieurs domaines du gouvernement. En effet, on peut constater que la situation budgétaire du Canada ne s’améliore pas. Notre déficit augmente et, manifestement, des secteurs qui ont de grands besoins, notamment un secteur important comme celui des arts et de la culture, présentent des demandes. Aujourd’hui, vous avez souvent parlé de la nécessité d’augmenter le financement.

Encore une fois, je ne veux pas être l’élément négatif autour de la table, mais je crois qu’il sera très difficile de trouver les fonds nécessaires pendant la prochaine décennie. Il faut se rendre compte que nous ne réussirons pas plus à trouver des fonds au cours de la prochaine décennie qu’au cours de la dernière. En effet, au cours des 10 dernières années, nous avons réduit le budget des ambassades. Le gouvernement clame haut et fort qu’il injectera des fonds dans différents domaines qui en ont besoin, mais évidemment, le gouvernement commence à se rendre compte qu’une fois au pouvoir, on n’a pas le choix de respecter certaines contraintes budgétaires et financières.

Que fait la communauté artistique du Canada pour générer de la richesse et de l’argent dans les coffres du secteur privé? Par exemple, on considère que la culture dominante à l’échelle mondiale est celle des États-Unis.

Pouvez-vous formuler des commentaires à cet égard? Aux États-Unis, combien d’argent le gouvernement investit-il dans les programmes culturels et artistiques comparativement aux fonds investis par le secteur privé? Que pouvons-nous faire, au Canada, pour obtenir la participation du secteur privé, qui dispose de beaucoup plus de capitaux potentiels que le gouvernement fédéral, afin de faire la promotion des arts et de la culture?

Mme Smith : Je reconnais évidemment votre question. Il est difficile de trouver du financement pour les arts. On se heurte presque à la détresse et à l’incrédulité lorsqu’on tente de promouvoir la valeur de la culture. Les preuves quantitatives présentées dans le rapport du British Council, dans lequel on établit un lien manifeste entre les initiatives culturelles et l’accroissement des échanges commerciaux, représentent une bonne façon de sensibiliser les gens à l’importance de financer davantage la culture. Toutefois, le secteur privé est manifestement une ressource très importante et on peut voir qu’il finance de nombreuses initiatives aux États-Unis — et le système artistique de ce pays diffère complètement du nôtre.

Encore une fois, je ferais valoir que la sensibilisation et une meilleure compréhension de la valeur de la diplomatie culturelle permettront de convaincre les intervenants du secteur privé que ce domaine vaut la peine d’être financé. J’en profite également pour souligner l’aspect multidirectionnel de la diplomatie culturelle. En effet, nous profitons de nos contacts avec les autres, nous apprenons des valeurs différentes, nous sommes mieux en mesure de faire valoir nos propres valeurs, et tous ces éléments favorisent le multiculturalisme.

M. Robertson : Je dirais que le milieu philanthropique appuie déjà beaucoup les arts au Canada. Certaines de nos plus grandes institutions sont les plus généreuses lorsqu’il s’agit de faciliter les arts d’un bout à l’autre du pays. Comment cela se traduit-il à l’étranger? C’est difficile, mais je ferais également valoir que la culture est une industrie qui mérite d’être appuyée; il y a quelques années, le gouvernement exécutait un programme appelé Routes commerciales. J’ai utilisé l’exemple de la création du guide des talents à Los Angeles, car nous pouvions souligner les talents canadiens que cherchaient les studios dans le cadre de leurs productions au Canada. Par conséquent, le nombre de productions au Canada a augmenté, car nous avions les talents nécessaires et nous construisions des studios commerciaux — pas pour des raisons culturelles, mais parce que c’était lucratif à Vancouver, à Toronto et à Montréal.

Une grande partie de la production se déroule au Canada, ce qui crée des emplois pour les Canadiens. C’est en grande partie ce que veut dire Richard Florida lorsqu’il parle des communautés créatives et des attraits d’un pays. Parfois, nous cherchons des talents à l’étranger. L’une des meilleures manifestations pour les migrants, les étudiants et les visiteurs au Canada passe par les arts.

Plus tôt, une sénatrice a raconté avoir vu des films sur le Canada lorsqu’elle était enfant. Je me suis certainement rendu compte que lorsque nous pouvions présenter notre produit à l’étranger, cela nous aidait à atteindre nos objectifs commerciaux et à trouver les talents nécessaires pour assurer la prospérité de notre pays.

Le sénateur Housakos : Je vous suis reconnaissant de vos commentaires, monsieur Robertson, et je suis d’accord avec vous. Dans votre exposé, vous avez dit que les arts profitent du soutien important de la philanthropie et vous avez également précisé, avec raison, que de nombreux secteurs artistiques sont florissants et prospères parce qu’ils sont rentables.

Je crois que le gouvernement, de concert avec la communauté culturelle et artistique et avec le secteur privé, doit trouver une façon de faire mieux comprendre aux intervenants du secteur privé que les arts n’appartiennent pas à la philanthropie. En effet, je considère que les arts forment une partie importante de l’économie de notre société.

J’ai participé à plusieurs missions et voyages en tant qu’ancien Président et à titre de sénateur. Je me suis rendu dans plusieurs pays d’Europe dans le cadre de délégations commerciales et d’échanges culturels, et j’étais très fier d’être Québécois et Montréalais et de me retrouver dans des régions du globe où le Cirque du Soleil et Cavalia étaient mis en scène. Et je peux vous dire qu’il n’y a rien de philanthropique là-dedans. On expose les talents de nos artistes et athlètes canadiens, et ce sont des projets très rentables. Ils enrichissent les coffres de l’État. Par conséquent, les gouvernements devraient encourager le secteur privé, par des crédits d’impôt, à investir dans ce secteur. Nous devrions considérer cela comme un investissement.

J’entends vos arguments, et je considère qu’ils sont tous valables. Le comité en est au tout début de son étude. Je crois que l’objectif ici est d’essayer de trouver une façon cohérente de réunir tous ces éléments.

M. Robertson : Je pense que les producteurs de Cavalia et du Cirque du Soleil pourraient vous dire que, à leurs débuts, ils ont eu besoin du soutien du gouvernement du Québec et du gouvernement fédéral. Ils remportent aujourd’hui un énorme succès, et tous les Canadiens devraient en être fiers. Le Cirque du Soleil présente un spectacle permanent à Las Vegas, et Cavalia est en tournée partout dans le monde. Chose certaine, nous pourrions nous servir de ces spectacles pour attirer l’attention sur le Canada. Nous avons la possibilité de faire connaître notre talent et notre créativité.

Le sénateur Dawson : Je suis suffisamment âgé pour avoir assisté aux débuts du Cirque du Soleil dans la ville de Québec. La troupe a pu prendre son essor grâce à l’appui du gouvernement fédéral à l’occasion de l’événement Québec 1984. La petite entreprise a pris de l’expansion et est devenue une grande entreprise. N’empêche que pour croître, ces entreprises ont besoin de notre soutien, et c’est pourquoi j’estime que ce type de mesure est important. Aujourd’hui, nous pouvons miser sur le Cirque du Soleil pour promouvoir la culture, mais aussi pour faire valoir le Canada sur la scène mondiale.

Vous avez parlé de la production Suits. Ils ont vendu tous les manteaux blancs qu’ils avaient en l’espace de deux jours. Une émission coréenne est actuellement produite à Québec. Il y a des milliers de Coréens qui viennent désormais à Québec. Mon fils travaille au Théâtre du Petit Champlain, où on trouve une modeste porte rouge. Des centaines de touristes coréens font la file pour se prendre en photo devant la porte. Évidemment, mon fils essaie de faire partie de la photo. C’est une façon de promouvoir le tourisme. Il faut soutenir ces initiatives. C’est ce qu’on entend également par diplomatie culturelle.

Je suis allé à Paris et à Londres à quelques reprises au cours de ma vie, dans le cadre de voyages personnels et parlementaires, et je suis très déçu de voir que notre présence est moins importante dans ces deux villes aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Vous me donnez une liste de 20 endroits où nous devrions être présents. Il faudrait revoir notre présence dans ces deux capitales, notamment en ce qui concerne la Maison du Canada. Bien entendu, j’aimerais que nous nous établissions dans ces 20 villes, mais je crois qu’il faut commencer par renforcer notre présence à Londres et à Paris, qui sont deux plaques tournantes que nous avons négligées pendant de nombreuses années.

Pour quelle raison historique avons-nous réduit notre présence dans ces deux villes? Vous étiez probablement au sein du ministère des Affaires étrangères à l’époque. Pourquoi sommes-nous moins présents dans ces deux capitales?

M. Robertson : C’était simplement une question de budget et de savoir si nous étions en mesure de démontrer la rentabilité de la diplomatie culturelle du Canada. C’est pourquoi je dis que nous pouvons le faire, comme nous pouvons ne pas le faire, en dépit des meilleurs efforts. Le Cirque du Soleil remporte un vif succès et n’a plus besoin du soutien du gouvernement. Il en va de même pour Cavalia, dans une certaine mesure. Un grand nombre de nos maisons de production connaissent du succès à l’étranger. Il y a les Contes pour tous et la série Anne… la maison aux pignons verts qui se sont vendus à l’étranger. Les Japonais se rendent en grand nombre à l’Île-du-Prince-Édouard. En fin de compte, on ne peut tout simplement pas démontrer la rentabilité de ces investissements, et j’en suis venu à la conclusion, au fil des années, qu’il y a certaines choses dans lesquelles il faut tout simplement investir.

Mme Smith a parlé de confiance. La diplomatie culturelle nous permet de démontrer qui nous sommes, tout en soutenant d’autres programmes de différentes façons.

Mme Smith : Je crois que l’une des raisons pour lesquelles les centres culturels canadiens à l’étranger ont perdu leurs subventions, c’est à cause du rapport Woods Gordon, qui avait été commandé dans les années 1980 par le ministère des Affaires étrangères. En fouillant un peu, j’ai découvert qu’il avait été communiqué à la presse. Dans le rapport, il y avait tout un débat entourant les compressions budgétaires. On disait qu’il n’y avait aucune raison de valoriser les arts et de financer des centres culturels à Londres et à Paris. Selon moi, c’est ce qui a mené à la fermeture de notre centre culturel à Bruxelles à l’époque.

Il y a eu cette expérience fascinante, novatrice et à la fine pointe intitulée 49e parallèle, qui était un projet pilote dirigé par le ministère des Affaires étrangères. Il s’agissait d’une galerie d’art supposément privée dans le quartier SoHo, à New York. La galerie est demeurée ouverte une dizaine d’années dans les années 1980. Ce qui est intéressant, c’est que la galerie 49e parallèle adoptait une toute nouvelle approche. La galerie était indépendante, même si au départ, elle était entièrement gérée par le ministère des Affaires étrangères. On voulait exposer l’art canadien contemporain avant-gardiste à SoHo, qui est évidemment l’un des quartiers les plus branchés de New York. L’idée était de mettre en valeur les plus grandes œuvres contemporaines canadiennes à cet endroit et de les intégrer dans ce milieu. C’était révolutionnaire à l’époque, et beaucoup de gens d’ailleurs dans le monde se sont inspirés du Canada et de ce projet pilote. Les gens d’un peu partout en Australie suivaient ce que le Canada faisait au chapitre de l’art contemporain et constataient à quel point cet art était nouveau et très différent de ce qu’on trouvait dans les centres culturels, qui visaient un tout autre objectif, c’est-à-dire exprimer à l’étranger une culture représentative du Canada, en accordant une attention particulière à tous les différents types de médias et aux artistes de partout au pays. La galerie 49e parallèle, quant à elle, a beaucoup misé sur des projets avant-gardistes. Je pense qu’il serait utile de revoir cette étude de cas, car ce projet fonctionnait selon plusieurs modèles différents. À un moment donné, la galerie a dû fermer ses portes en raison d’un manque de soutien à long terme pour ce type d’innovation dans la diplomatie culturelle. Ce projet n’a pas vraiment eu de chance de se développer. Encore une fois, cela revient à la notion de confiance.

Le sénateur Dawson : Madame la présidente, même si nous devons nous tourner vers l’avenir, dans le contexte de cette étude, je crois qu’il serait utile d’avoir une perspective historique et d’inviter les témoins à nous en faire part. Même si nous devons regarder en avant, je considère que nous pouvons tirer des leçons du passé, et il serait sans doute utile d’avoir ce type d’analyse historique pour les membres du comité.

La présidente : Notre analyste me fait remarquer qu’on vous a fourni certaines pistes d’information, alors il serait intéressant de connaître les domaines qui vous intéressent. On a rédigé plusieurs documents d’information, alors il faudrait savoir ce que nous voulons approfondir. Nous avons déjà reçu des commentaires à ce sujet.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci de vos interventions. Vous avez dit, monsieur Robertson, qu’il était important de revoir l’image de marque du Canada à l’étranger. Vous avez fait des suggestions qui impliquent la mise en place ou la reconduction de certains programmes ou même de certains crédits fiscaux. Je suis d’avis qu’il est important de revoir l’image de marque pour la moderniser. Comme vous, je crois que la culture est un monde très vaste, qui peut comprendre l’environnement et l’éducation, et toutes les facettes des arts. Là où je serais personnellement très déçue, c’est si nous terminions cette étude avec des recommandations qui seraient de nature à alourdir la bureaucratie canadienne à l’étranger. Je crois que, en 2017 et dans les années à venir, nous pourrons profiter énormément d’occasions auprès d’entreprises, de gens d’affaires et d’artistes qui sont déjà des grands teasers à l’étranger dans tous les domaines. Nous devons plutôt axer nos efforts sur une meilleure concertation à l’intérieur du Canada et sur les occasions qui se présentent à l’étranger, au sens très large, et que nous offrent les artistes, les universitaires, les chercheurs et les scientifiques canadiens.

Avec cette prémisse — si vous la partagez — comment veiller à ce que les ambassades, Affaires mondiales Canada, le gouvernement fédéral, en général, et les ministères puissent travailler de la manière la plus innovante possible pour saisir les occasions à l’étranger et faire en sorte que le lien avec tous les acteurs concernés au Canada soit optimal? Comment s’assurer qu’il y ait des retombées économiques autant sur le plan de la diplomatie culturelle qu’en matière de culture?

M. Robertson : Merci. C’est une bonne question. D’après moi, pour établir une ligne droite, il faut d’abord faire appel à Affaires mondiales Canada pour la mise en place de programmes. Il y a de petits groupes de diplomatie publique au sein d’Affaires mondiales, mais pour la mise en place de ce genre de programmes, il faut avoir une direction. Auparavant, il existait une orientation pour la promotion des arts, pour établir le cadre afin d’appuyer les Grands Ballets Canadiens et l’Orchestre symphonique de Montréal, par exemple.

Il nous faut un groupe pour faire avancer les relations académiques avec les universités outre-mer. Cela n’existe pas à l’heure actuelle. Il faudra trouver le personnel pour faire ce travail au sein d’Affaires mondiales Canada.

Parfois, on peut voir quelque chose qui existe, mais ce n’est pas systématique. Il faut renforcer la stratégie à l’aide des budgets. Aussi, il faut avoir un ministre qui soit prêt à consacrer du temps et à accorder de la valeur aux affaires culturelles et aux arts.

La sénatrice Saint-Germain : Donc, vous êtes d’accord pour dire que si les attachés culturels ou les ambassades à l’étranger, peu importe les titres ou les statuts des personnes, ne sont pas appuyés par une stratégie solide de réseautage à l’intérieur du Canada, ils auront beau chercher toutes les occasions et les identifier, ils n’obtiendront pas de réponse en retour. Je suis une ancienne sous-ministre des Affaires internationales du Québec et j’ai travaillé avec le gouvernement fédéral pendant 17 ans dans ces dossiers. Je me souviens que, très souvent, les occasions d’affaires étaient identifiées, mais il n’y avait pas de suivi pour faire en sorte que l’on puisse saisir ces occasions et tirer profit des potentialités à l’étranger.

Donc, le point de départ, c’est vraiment une stratégie solide au Canada. J’insiste encore pour dire qu’il serait inutile de renforcer d’abord les ambassades si on n’a pas cette première dimension. C’est un travail qui se fait en partenariat. Donc, il faudra aussi trouver des façons innovantes, en 2017, pour donner suite à une stratégie diplomatique culturelle.

M. Robertson : Je suis tout à fait d’accord. Le gouvernement du Canada doit bien en comprendre l’importance pour renforcer les objectifs dans le monde du commerce. Le gouvernement du Québec le fait. Il a investi des montants pour le Cirque du Soleil et d’autres projets. Lorsque j’étais à Los Angeles, nous avons travaillé ensemble avec le délégué du Québec pour remporter un prix pour le film Les invasions barbares avec Denys Arcand et Denise Robert. Cette initiative a été réalisée avec le gouvernement du Québec. Nous avons invité Céline Dion et le Cirque du Soleil. C’est la seule occasion où nous avons gagné ce prix. Nous avons un objectif, une campagne et une stratégie. Dans ce cas, ça fonctionne.

[Traduction]

La présidente : J’aimerais revenir là-dessus avant de passer au deuxième tour.

Il semble qu’on aborde des concepts qui étaient mis de l’avant à l’époque où vous travailliez au ministère des Affaires étrangères, monsieur Robertson, et où j’y étais aussi. Cependant, lorsque je voyage aujourd’hui, je m’intéresse davantage aux nouvelles générations, qui n’utilisent pas les mêmes leviers. Ils font les choses différemment, ils sont mobiles, et cetera.

Vous venez de parler de Céline Dion. Partout où on va en Afrique, on peut entendre du Céline Dion. Toutefois, les Africains ne savent pas qu’elle est Canadienne; ils savent qu’ils l’aiment, et elle est très populaire. Les jeunes utilisent de nouveaux appareils et de nouveaux moyens. Ils se soucient moins de l’origine. Il y a 20 ou 30 ans, si vous alliez dans une zone britannique qui avait des racines anglaises, vous entendiez beaucoup de musique de là-bas. C’était la même chose dans la partie française de l’Afrique.

Avons-nous besoin d’attachés culturels? Ce concept est plutôt dépassé, mais selon ce que vous avez dit, autant du côté des sénateurs que des témoins, nous devons être compétitifs dans notre commerce, nos activités, nos politiques, et cetera. Nous devons utiliser ce que le Canada a de meilleur pour maximiser les retombées canadiennes.

Je me demandais si le recours aux attachés culturels était la meilleure solution. Chose certaine, on ne veut pas séparer la culture du commerce ou de la politique. Il faudrait changer la mentalité des fonctionnaires des Affaires étrangères pour qu’ils comprennent que la culture fait tout simplement partie de l’identité canadienne et de ce que le Canada a à offrir.

Que penseriez-vous d’envisager d’intégrer la culture au mandat de tous les ambassadeurs à l’étranger? Après tout, ils sont les chefs d’État dans ces pays. Cela ne leur reviendrait-il pas de prendre en charge ce volet culturel, par opposition aux attachés culturels?

Quelques-uns des meilleurs attachés culturels que nous avons encore à l’heure actuelle sont recrutés sur place et ont travaillé pendant de nombreuses années au sein des ambassades canadiennes; ce sont des gens de l’endroit, alors ils connaissent bien le pays.

Je vais vous donner l'exemple du Portugal. Je songe notamment à Mme Pashoto. Elle était excellente. Elle connaissait très bien la culture au Canada et savait comment créer des liens avec le pays. Nous avons énormément tiré profit de ses compétences, plus que si cela avait été une personne qui passe d’un pays à l’autre à tous les deux ou trois ans.

Avons-nous besoin de nouvelles idées novatrices sur ce qu’est la culture au sein de la société moderne d’aujourd’hui? Pour les nouvelles générations, non pas pour le PDG d’une entreprise actuellement en poste, car il ne sera plus là dans quelques années ou il sera retraité. Je parle ici de faire preuve de créativité. Qu’est-ce qu’on pourrait dire à un gouvernement progressiste? Je sais que c’est une question difficile; je suis désolée. Autrement dit, je vous demande de rédiger notre rapport.

Mme Smith : Je pense que c’est une question très intéressante : avons-nous encore besoin des attachés culturels? Je dirais que oui, absolument, car le fait d’avoir des gens qui se consacrent à ces dossiers démontre toute l’importance que le gouvernement y attache. On voit que la culture est une chose en laquelle croit le gouvernement; elle a besoin de visibilité et on y consacre des ressources.

Je comprends votre point de vue, et je crois qu’on pourrait revoir ces rôles et les rendre plus innovateurs. On pourrait envisager la diplomatie culturelle de façon plus novatrice, notamment son fonctionnement, et on pourrait aller au-delà des projets traditionnels qui sont habituellement réalisés par les attachés culturels.

Encore une fois, je reviens à 49e parallèle. La raison pour laquelle ce projet a joui d’une aussi grande visibilité et a attiré l’attention du monde entier, c’était parce que c’était nouveau; c’était une nouvelle démarche. Les gens s’intéressent aux nouveautés. Il est donc important d’avoir des gens dévoués, avec des budgets et des priorités, mais il faut leur donner la liberté d’essayer quelque chose de nouveau susceptible d’attirer l’attention.

Je comprends ce que vous dites concernant la nécessité d’accroître l’éducation. Je pense qu’il est important que tous les fonctionnaires d’Affaires mondiales aient un sens de la diplomatie culturelle adapté à leur secteur particulier. Il faudrait offrir plus de formation, de sorte que les gens du secteur du commerce réfléchissent à différentes façons d’intégrer les arts et la culture dans leur travail et dans ces différentes sous-catégories. Il y a deux aspects.

M. Robertson : Je suis tout à fait d’accord. Alors que nous repensons la façon dont les diplomates mènent leurs activités au moyen des outils technologiques, on pourrait faire de même du côté des attachés culturels. À bien des égards, les attachés culturels pourraient avoir un volet commercial dans leur mandat, étant donné qu’une grande partie de leur travail consiste à promouvoir les industries culturelles canadiennes.

Le gouvernement avait mis sur pied un programme semblable, c’est-à-dire le programme Routes commerciales. Nous avions quelques délégués commerciaux dont le travail était de faire la promotion des industries culturelles canadiennes à l’étranger. Je pense que cette expérience s’est révélée très profitable, mais ces postes n’existent plus aujourd’hui, faute de budget. Cependant, je pense que nous avancions dans la direction que vous prônez. La culture ne faisait pas simplement partie d’un secteur isolé de l’ambassade; elle faisait partie intégrante des activités de l’ambassade et elle s’harmonisait très bien avec nos objectifs commerciaux, politiques et économiques. Je pense que nous devons revenir à cela. Mais en même temps, il ne faudrait pas faire la promotion de la culture dans un seul but commercial. La culture va au-delà du commerce; elle fait également partie de l’identité canadienne, et je pense qu’il y a un réel intérêt à l’étranger dont nous pourrions tirer avantage.

Mme Smith a parlé de 49e parallèle. J’étais présent à l’ouverture de cette galerie d’art. Au cours de cette période, des banquiers de Wall Street étaient venus nous voir; nous avions des réceptions au cours desquelles nous pouvions faire des affaires et convaincre les gens qu’ils devaient investir au Canada parce que cela leur procurait l’ambiance qu’ils aimaient. Ils ne souhaitaient pas particulièrement venir à la résidence ni à l’ambassade, mais on pouvait voir qu’ils s’intéressaient à cette autre dynamique du Canada, cette folie : « Si le Canada peut produire ce genre d’art, c’est peut-être un pays qui vaut la peine qu’on y investisse. »

La présidente : Mon autre question est la suivante : qui en profite au sein des communautés culturelles? Je me souviens de l’étude qui a été réalisée en 1994, et vous avez indiqué avoir comparu devant le comité. Nous avions en effet formé un comité mixte sur la politique étrangère composé de représentants des deux Chambres. Nous nous penchions notamment sur la diplomatie culturelle à l’époque. Il y avait presque une concurrence qui s’était installée entre les divers témoins, quant à savoir si on devait mettre l’accent sur l’orchestre symphonique, le Musée des beaux-arts, ou plutôt sur des projets innovateurs au sein des provinces. Il s’agissait donc de trouver le bon équilibre entre les projets d’envergure et les petits projets régionaux.

Comment peut-on encourager non seulement la concurrence, mais aussi une définition de la culture qui soit plus large, au-delà de ce qui se fait actuellement à l’échelle nationale? Je me souviens d’avoir eu de bonnes discussions à l’époque au sujet des formes de danse. Fallait-il accorder la priorité à la polka? À la gigue irlandaise? Au ballet? C’était devenu un véritable enjeu.

L’autre chose, c’est que les provinces déploient aussi des efforts, et le Québec, de toute évidence, est devenu un chef de file dans ce domaine. Si on veut promouvoir le Canada, comment peut-on trouver un équilibre entre les responsabilités provinciales et nationales? Ce sont deux grands domaines que vous pourriez nous aider à analyser. Je pose la question à quiconque veut répondre.

Mme Smith : Il s’agit d’une question très difficile à laquelle il conviendrait de réfléchir sérieusement. J’ose espérer qu’une recommandation visant à revigorer la politique culturelle du Canada permettrait d’avoir des programmes diversifiés qui, bien sûr, mettent en évidence le travail de grands producteurs, mais qui attirent également l’attention sur les nouveaux producteurs culturels. C’est là qu’on trouve le plus d’innovation. Ce sont eux qui peuvent profiter le plus de ces liens à l’échelle internationale.

Je pensais aussi aux liens transnationaux. Il y a tellement de points de convergence pour bon nombre de ces producteurs culturels, par exemple, qui relient des artistes autochtones du monde entier. Je songe notamment à Sakahàn, l’exposition consacrée à l’art actuel indigène qui s’est déroulée au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, il y a quelques années. On doit profiter de ces moments propices, de ces groupes d’intérêts ou de ces discussions pour réunir différents producteurs culturels. C’est une question difficile, mais importante, si on veut tenir compte de la représentation régionale.

M. Robertson : Mesdames et messieurs, vous vous souviendrez peut-être de programmes conçus pour aider les artistes émergents. Je me souviens de personnes comme Janina Fialkowska et Gilles Dubois qui, lorsque j’étais à Hong Kong et à New York, n’avaient pas encore tout à fait réussi à percer. Lorsque j’étais à Los Angeles, il y avait cet artiste inconnu qui avait une voix très semblable à celle de Frank Sinatra. Il était présenté par David Foster et Paul Anka, et il venait chanter à nos réceptions. Aujourd’hui, Michael Bublé n’a plus besoin de quoi que ce soit de ce genre.

À l’époque, c’est à cela que servait le programme, à aider ceux qui émergeaient. Le sénateur Dawson a donné l’exemple de Cavalia et du Cirque du Soleil. Je me souviens que Guy Laliberté était venu me voir à Hong Kong à la recherche de débouchés pour son cirque. Maintenant, ils n’ont plus besoin de cela. C’est exactement le type de succès que je citerais aux sénateurs et sénatrices qui me demandent de leur brosser un portrait de la situation. C’est à ce moment que ces artistes n’ont plus besoin du gouvernement pour réussir. Néanmoins, ils font extrêmement bonne figure pour le Canada et ils nous permettent de pousser d’autres objectifs dans d’autres domaines, la paix et la sécurité, les échanges et le commerce. L’excellence dans les arts sert d’appât.

Bien sûr, pour les symphonies et les orchestres, il faut avoir un système de planification. Je reviens donc à la grille, à l’importance de ne pas faire les choses au cas par cas, mais dans l’optique d’une séquence. C’est la seule façon dont nous pourrons exporter cette excellence artistique.

La sénatrice Cools : Madame la présidente, je crois que ce qui devient de plus en plus clair pour nous, c’est qu’il s’agit d’un sujet très vaste et très imposant, et que nous devrions nous assurer de lui rendre justice.

Je remercie nos témoins de leur présence. J’aimerais aussi lancer l’idée que la culture est une manifestation transformatrice qui peut changer les comportements humains, les relations humaines et amener les gens à donner le meilleur d’eux-mêmes. Ce qu’il y a de spécial au sujet de la culture, c’est que, les premières années, nous avons passé beaucoup de temps — cela a été mon cas — dans les universités à étudier la culture comme étant un phénomène anthropologique. Vous souvenez-vous de ces énormes livres de classe sur l’anthropologie, où l’on parlait des comportements d’accouplement des peuples des Samoa, des Tonga ou des îles des mers du Sud? Je ne crois pas que nous sommes intéressés par cet aspect de la culture, de la culture en tant que fait anthropologique. Je crois que notre attention doit se porter sur la culture en tant que manifestation de la créativité, en tant qu’élément créateur qui permet aux humains de s’élever et d’élever leurs semblables. La culture touche les gens, et elle les touche profondément.

J’essaie depuis un moment de me faire une idée de ce qu’est la culture. Qu’entend-on par ce concept de culture et quelles en sont les dimensions? J’en ai trouvé un certain nombre. En voici quelques-unes : la littérature, la poésie, la musique, le théâtre, le cinéma, la danse, les arts plastiques, le sport, la poésie, les langues, le discours, la gymnastique, et cetera. Je pourrais continuer pendant un bon moment. L’objet de mon intervention est le suivant : à 15 ans, je vivais à Montréal, et j’ai vécu une expérience personnelle bouleversante en regardant un spectacle de ballet. Je peux vous dire que cette prestation a transformé la façon dont les membres de l’auditoire percevaient la Russie et les Russes. Je parle de la première tournée du Ballet du Bolchoï à l’extérieur de l’Union soviétique. Certains d’entre nous ont vu ces spectacles. En ce qui me concerne, je n’avais jamais rien vu de tout à fait semblable, et je n’ai rien vu de tout à fait semblable depuis.

J’ai eu le privilège de voir Galina Ulánova.Elle était la vedette de la troupe, la prima ballerina. Cela m’a touchée si profondément, moi et tout l’auditoire. Toute la prestation n’a été qu’une ovation après l’autre. La troupe a eu de la difficulté à présenter tout le spectacle comme elle l’entendait.

Je n’oublierai jamais cela. Ce n’était pas une salle prestigieuse. À l’époque, Montréal n’avait pas de grande salle de spectacle. Le spectacle était donné au Forum, là où l’on avait l’habitude de jouer au hockey. L’expérience a transformé beaucoup de gens; le talent des danseurs, les années de pratique. Je crois que c’est à ce type de culture que nous devrions penser, puisque ces prestations demandent un degré élevé de créativité et de sens artistique. Je crois que nous devrions rester de ce côté-là de l’expérience culturelle. J’espère avoir réussi à vous faire comprendre mon point de vue.

La présidente : Nous en avons pris note.

La sénatrice Bovey : Pour revenir à certains des cercles qui ont été mentionnés, je suis ravie d’avoir tant entendu parler de 49e Parallèle, Centre d’art contemporain canadien. Parmi les directeurs qui sont restés le plus longtemps à la tête de ce centre, il y a eu le directeur du Musée des beaux-arts du Canada, M. Marc Mayer.

Pour répondre au sénateur Housakos au sujet du financement privé, mon expérience m’a appris que l’intervention fédérale a fourni les capitaux de lancement qui ont joué un rôle déterminant dans mes premiers travaux en matière d’échanges culturels internationaux. À mon sens, ce sont ces capitaux qui nous ont permis d’aller chercher les fonds qui manquaient pour mettre en œuvre ces échanges. Je crois qu’il y a toujours eu une sorte de partenariat.

Il y a cependant un autre public dont nous n’avons pas parlé aujourd’hui, et il s’agit des Canadiens qui vivent à l’étranger. Beaucoup vivent à l’étranger parce qu’ils n’ont pas d’occasions de travailler au Canada. Je sais qu’ils sont découragés de ne pas avoir accès à la culture nationale, que ce soit avec des lectures d’auteurs ou autres. Je suis consciente de cela.

Ma question porte sur le rôle que joue CBC/Radio-Canada quant à la dimension internationale de la culture canadienne, et sur le fait qu’un certain nombre de jeunes expatriés sont venus se plaindre à moi de l’étiolement de l’accès aux services à large bande et à CBC/Radio-Canada à l’étranger. Ils se sentent coupés du pays, non seulement parce qu’il n’y a pas d’emploi pour eux ici, mais aussi parce qu’ils n’arrivent pas à capter les ondes culturelles canadiennes ou qu’ils ont de plus en plus de difficulté à le faire.

Pouvez-vous nous dire quelle importance vous accordez à cela, pour peu que vous lui en accordiez?

M. Robertson : Madame la sénatrice, il fut un temps où CBC/Radio-Canada avait Radio Canada International. Le budget annuel de cette entité était d’environ 6 millions de dollars, et le financement se faisait par l’intermédiaire d’Affaires mondiales Canada. L’objectif était d’avoir un pilier distinct de CBC/Radio-Canada qui ferait exactement ce que vous avez décrit : faire entendre la voix du Canada à l’étranger, c’est-à-dire diffuser la crème de la production de la CBC et de Radio-Canada. Cette diffusion se faisait sur ondes courtes, mais maintenant, grâce à la technologie, il est possible de faire la même chose à bien meilleur coût. C’est une chose qui mériterait d’être réévaluée.

Je regarde le succès de la chaîne Al Jazeera. Un grand nombre de personnes qui travaillent au réseau anglais sont des gens qui ont travaillé à la CBC. La voix du Canada à l’étranger — qui serait probablement relayée par Radio Canada International — coûterait beaucoup moins que ce que cela coûtait les premières années, tout simplement parce que la technologie est tellement meilleur marché maintenant.

Il y a une demande pour la voix du Canada, mais il faudrait que cela s’inscrive dans une stratégie.

Dans les années 1990, lorsque nous avons mis au point la stratégie sur la sécurité humaine avec Lloyd Axworthy — programme qui abordait la question des mines terrestres, des enfants-soldats, et cetera —, l’un des efforts préconisés était d’investir dans la voix canadienne à l’étranger afin de joindre ce que nous appelions le sixième pilier. Malheureusement, le financement n’est jamais venu et l’idée est tombée dans l’oubli.

Vous tenez quelque chose, ici. Ils sont au service des expatriés canadiens, lesquels sont de plus en plus nombreux. De plus, n’oubliez pas que cette diaspora est importante pour ce qui est d’accéder aux marchés. Le premier ministre effectue des voyages en Chine et en Asie. Notre entrée sur ces marchés se fera grâce aux Canadiens qui, par l’intermédiaire de leurs liens familiaux — parce que, depuis 1980, la moitié de nos immigrants viennent de l’Asie —, vont faire pencher la balance en notre faveur. La perspective de les tenir au courant grâce à un diffuseur public s’adressant à cette diaspora est une idée qui tient bien la route. Cela a très bien fonctionné pendant près d’un demi-siècle, mais ces dernières années, ce service a été réduit à presque rien.

La présidente : Je crois que de nombreux sénateurs ont donné leur avis sur Radio Canada International — quelques faits historiques sur lesquels j’attire votre attention.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je reprendrai dans mon observation, avant de poser ma question, certains commentaires qui ont été faits. Il est clair qu’une éventuelle stratégie de développement culturel au Canada est intimement liée à la manière dont on déploie notre politique culturelle à l’intérieur même du pays, à la manière qu’on voit notre développement économique et les relations internationales de notre pays. En d’autres mots, on a une vision parfois orientée vers nos grandes institutions et nos grands réseaux, les attachés dans les ambassades et les grands réseaux économiques. Pour reprendre un peu la question des provinces, il y a également de nombreux plus petits réseaux, mais ils permettent au Canada de rayonner et de se développer sur le plan économique et culturel.

Par exemple, en matière d’immigration et de développement économique régional, dans la province d’où je viens, au Nouveau-Brunswick, la population acadienne a développé toute une stratégie à travers sa production culturelle de relations économiques avec certaines régions de la France pour favoriser la venue d’immigrants.

Souvent, ces réseaux ne sont pas mis en relief dans nos grandes institutions. Ma question est la suivante. Puisqu’il existe de nombreux réseaux qui touchent différentes formes d’art, différentes productions culturelles, différents territoires et qui, ma foi, donnent des résultats assez éloquents sur les plans régional et provincial, comment le gouvernement fédéral pourrait-il, dans le cadre d’une stratégie de diplomatie culturelle, mieux s’appuyer sur les réseaux existants?

[Traduction]

Mme Smith : Tout d’abord, le gouvernement doit reconnaître les projets en cours et le succès que ces projets ont eu. Je reviens sans cesse là-dessus, mais après avoir insisté sur la valeur de la diplomatie culturelle, nous devrions mettre l’accent sur ce qui se fait au Canada et sur les types d’initiatives qui sont mises en œuvre à différents niveaux — par exemple, ces collectivités acadiennes qui tissent des liens avec la France —, des liens internationaux tissés par de petits producteurs du milieu culturel aux vastes programmes officiels de diplomatie culturelle.

Il est important que tout le monde prenne une minute pour regarder ce qui se fait et reconnaître les succès. Ensuite, il faut mettre les réseaux existants à profit. La reconnaissance des succès doit se faire en partie par le gouvernement fédéral et c’est lui qui devrait tabler sur ces réseaux pour faire avancer ses grands objectifs stratégiques. Ce que vous soulevez est très important.

[Français]

M. Robertson : Vous avez utilisé le mot juste. C’est une stratégie. Nous avons beaucoup de cœur au Canada, mais nous manquons de cerveau pour créer le lien entre tous les réseaux. Parce qu’il existe un réseau, mais sans la stratégie... Auparavant, ça existait. C’est pourquoi il faut d’abord créer un centre pour la mise en place d’une stratégie afin de relier tous les réseaux.

Le sénateur Cormier : Merci.

[Traduction]

La présidente : À cet égard, permettez-moi d’en rajouter. Une partie de notre population est constituée d’immigrants. Certains sont ici depuis longtemps, d’autres sont arrivés plus récemment. Tous ces immigrants ont leurs liens avec leur pays d’origine respectif. Qu’il s’agisse de groupes, de personnes que l’on fait venir au pays ou de Canadiens qui appuient la croissance des arts et de la culture dans les autres pays, le Canada foisonne d’activités multiculturelles. Où qu’ils soient au Canada, ces groupes peuvent obtenir du financement. Devrions-nous essayer de recenser ces groupes afin de tabler sur les liens qu’ils ont avec l’extérieur?

Je pense aux groupes indiens, ukrainiens, vietnamiens, et cetera. On constate qu’il y a déjà une volonté de tisser des liens et de mettre à profit la compréhension que nous avons de ces régions. En outre, ce serait une occasion de permettre à ces diasporas en sol canadien de s’épanouir. Pouvez me dire ce que vous pensez de cela? Croyez-vous que je m’éloigne trop du sujet?

M. Robertson : Bien sûr, l’idée de « laisser un millier de fleurs éclore » a ses bons côtés, mais il y a aussi un avantage à connaître les pays qui sont prioritaires pour nous. Je pense par exemple aux pays du G20. Il y a cependant d’autres pays où il y a un intérêt qui échappe à ces considérations, comme, par exemple, l’Ukraine. Une grande partie de la population canadienne est de descendance ukrainienne. Les gouvernements qui se sont succédé au Parlement canadien ont toujours convenu d’apporter un soutien particulier à ce pays.

Encore une fois, cela renvoie à la politique étrangère. Chaque pays rend compte de ses intérêts et de ses objectifs par l’intermédiaire de sa politique étrangère. En matière de culture, c’est quelque chose que nous n’avons pas présentement. Je salue le comité d’avoir décidé de s’attaquer à cette question. Or, nous nous apercevons que la question n’en finit plus d’avoir des ramifications et des racines. Il faut toutefois se réjouir qu’un effort ait été tenté en ce sens. C’est une rupture d’avec le statu quo des années passées.

Mme Smith : Je suis d’accord avec M. Robertson, bien entendu. Pour profiter du potentiel de la diplomatie culturelle, je crois qu’il est important que le Canada mette de l’avant une approche stratégique cohérente. Que cette approche soit axée sur les pays du G20 ou sur d’autres pays, sur certaines communautés ou certains États, ou qu’elle porte sur d’autres enjeux, il nous faut des priorités stratégiques pour guider nos pas.

La présidente : Je crois que le comité devra dans un premier temps définir la diplomatie culturelle, mais d’une façon constructive pour notre politique étrangère. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici; nous sommes le comité de la politique étrangère. Nous n’allons pas définir tout ce qui pourrait être la diplomatie culturelle pour le Canada ou définir tous les avantages culturels pour le pays. D’une façon ou d’une autre, nous allons devoir ramener cela à une échelle de taille raisonnable. Vous semblez tous les deux avoir perçu ce manque de focalisation stratégique et de continuité comme étant problématique. Je crois que le comité va avoir beaucoup de travail à faire pour trouver la bonne approche à adopter.

Comme dernière observation, vous avez parlé du G20. Cela pourrait être une approche ou l’une des approches qu’il nous faudra prendre. Nous allons devoir réfléchir à cela. Monsieur Robertson, à plus d’une occasion, je crois vous avoir entendu dire que l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Australie étaient déjà passés par là et qu’ils étaient arrivés à mettre au point une formule qu’ils estimaient apte à favoriser leur pays respectif. Devrions-nous prendre ces trois pays comme points de comparaison ou comme exemples pour orienter notre démarche?

M. Robertson : Je crois que les trois ont fait des choses importantes ces dernières années. Comme le disait Mme Smith, la Grande-Bretagne a déployé d’importants efforts et a réalisé des études dans le cadre de sa Great Britain Campaign.

Oui, ce sont des pays qui ont des programmes bien établis — les Allemands ont l’Institut Goethe, les Français ont l’Alliance Française et les Anglais ont le British Council. L’Australie a son approche bien à elle. D’autres pays — la Corée, le Mexique et un certain nombre de puissances moyennes — ont tenté de définir et d’utiliser la diplomatie culturelle pour servir leurs intérêts. Je crois en outre qu’en cette ère où l’ordre international est remis en question, les puissances moyennes — et j’inclus le Canada dans ce groupe — doivent se tenir debout pour préserver l’ordre international fondé sur des règles. La diplomatie culturelle est l’un des outils qui peuvent être utilisés à cette fin.

La présidente : Au nom du comité, je veux remercier nos deux témoins d’être venus malgré le court délai. Nous avons reconstitué notre comité il y a peu de temps. Je crois que vous nous avez ouvert les yeux en nous montrant que la diplomatie culturelle doit être envisagée de façon plus large et en nous donnant des pistes sur la façon de la rattacher à la politique étrangère.

C’est une question dont nous allons devoir continuer de débattre. Souhaitons que nos délibérations aboutissent à certains résultats positifs. Si vous pensez à d’autres idées susceptibles de nous être utiles, n’hésitez pas à nous les signaler. Nous pourrions même vous inviter à comparaître de nouveau afin de poursuivre cette conversation d’une importance cruciale.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons mettre fin à la séance dans un instant, mais pour tout de suite, poursuivons. Certains témoins ont été proposés pour une étude générale, et nous avons l’intention de continuer à travailler là-dessus. Nous avons maintenant un comité de direction, alors nous espérons être en mesure de nous réunir et de réfléchir à la façon dont nous allons constituer le reste des témoins. Nous avions une bonne liste. J’ai rencontré les recherchistes et ils ont des grands titres pour les témoins, mais je crois que c’est quelque chose qui devrait être confié au nouveau comité de direction.

Il nous reste assez de temps, mais nous allons poursuivre notre étude générale. Étant donné la longue liste que nous avons — et même si nous l’écourtons et que nous regroupons les témoins —, je crois que notre étude débordera sur la nouvelle année. Je signale ces choses à l’intention des nouveaux membres du comité.

Encore une fois, merci à nos témoins.

(La séance est levée.)

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