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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 42 - Témoignages du 28 mars 2018


OTTAWA, le mercredi 28 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 16, pour examiner la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les obligations internationales du Canada.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Chers sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui pour poursuivre son étude de la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les obligations internationales du Canada.

Avant de céder la parole à nos témoins, j’inviterais les sénateurs à se présenter.

Le sénateur Housakos : Sénateur Leo Housakos, du Québec.

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick. Je remplace la sénatrice Bovey, du Manitoba.

Le sénateur Massicotte : Sénateur Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La présidente : Je suis Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

Compte tenu du très peu de temps dont nous disposons pour l’étude des obligations internationales entourant cette mesure législative, je suis heureuse que Mme Line Beauchesne, professeure titulaire au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, nous ait fait parvenir aujourd’hui une réponse positive, tout comme M. Armand de Mestral, professeur à la faculté de droit de l’Université McGill. Les deux professeurs sont ici pour témoigner. Merci d’avoir accepté notre invitation. Si vous avez des remarques liminaires, nous serons ravis de les entendre maintenant, après quoi les sénateurs auront des questions à vous poser.

J’aimerais rappeler aux sénateurs que nous devrons lever la séance dès que l’appel de la sonnerie retentira. J’espère que nous aurons le temps d’entendre les deux exposés et de poser des questions.

Je souhaite la bienvenue à nos deux témoins devant notre comité.

[Français]

Line Beauchesne, professeure titulaire, Département de criminologie, Université d’Ottawa, à titre personnel : Madame la présidente, je lirai mon résumé pour faciliter la tâche des interprètes et pour m’assurer d’aborder tous les points dans les sept minutes qui me sont imparties.

Dans la première partie de mon mémoire, j’ai expliqué le contenu des trois Conventions internationales relatives au contrôle des drogues de même que leurs trois mécanismes de contrôle pour que l’on comprenne bien le rôle de chacune de ces institutions. J’ai terminé cette première partie en résumant les obligations et les latitudes des pays au regard de ces conventions afin d’être claire dès le départ sur un point, soit que la légalisation du cannabis ne fait pas partie de ces latitudes.

Dans la deuxième partie, j’ai expliqué les quatre procédés pour déroger aux conventions, soit la procédure de déclassement, la procédure d’amendement, la dénonciation et l’émission d’une réserve afin de montrer les raisons pour lesquelles il faut éliminer d’office l’utilisation de ces procédés. J’ai également expliqué pourquoi l’article 41 de la Convention de Vienne de 1969 n’est pas non plus une voie à suivre.

Ces clarifications apportées, la troisième partie de mon mémoire est consacrée aux possibilités pour le Canada de justifier sa position au regard de la légalisation du cannabis en expliquant les divers éléments qu’il faut réunir pour asseoir sa position. Il s’agit d’éléments qui vont au-delà des stratégies simplement juridiques et c’est le point sur lequel j’aimerais insister.

La voie juridique à exploiter, puisqu’elle est parfaitement légitime au regard des conventions, est la même qui a été utilisée par l’Uruguay, soit la primauté de la Charte des Nations Unies sur toutes les autres conventions de même que la primauté des chartes des droits des différents pays qui leur donne le droit de restreindre l’application des Conventions internationales relatives au contrôle des drogues. Toutefois, il est clair qu’utiliser ainsi sa Charte des droits constitue une manière de dire que les conventions, par leurs visées répressives, aggravent les problèmes de santé publique et briment les droits de la personne. Il faut avoir un poids politique suffisant sur la scène internationale pour le faire et, surtout, que le contexte mondial ait changé en faveur d’une modification des conventions, ce qui est le cas.

Pour ce qui est de la voie politique au cours des dernières années, cinq temps forts de cette mouvance internationale jouent en faveur du Canada sur le plan politique. C’est d’ailleurs pourquoi il ne s’est rien passé en matière de sanctions internationales ou américaines quand l’Uruguay a légalisé le cannabis, de même que certains États américains.

Il y a tout d’abord la Commission latino-américaine sur les drogues et la démocratie qui œuvre activement en Amérique latine, mais également auprès des instances de l’ONU, pour la modification des conventions vers des politiques en santé publique, mettant de l’avant le fait que les pays de l’Amérique latine paient très cher en vies humaines et en santé publique les coûts de cette prohibition.

Il y a également la Déclaration de Vienne de 2010 qui a été rédigée par une équipe de 31 experts internationaux sur le sida, dirigée par le Canadien Evan Wood. Elle demande également de modifier les conventions vers des politiques qui soient conformes aux connaissances scientifiques plutôt qu’à une idéologie en déplaçant l’argent de la répression vers la prévention et les soins. Parmi les milliers de signataires de cette déclaration, on retrouve des leaders dans les domaines de la science et de la médecine, des chefs d’État, des lauréats du prix Nobel, des institutions universitaires et des gouvernements municipaux, des centaines d’organismes de droits de la personne, de santé publique, de la justice, ainsi que des représentants du monde religieux et de la société civile.

La Commission globale de politique en matière de drogues , créée en 2010, constitue un lobby de plus en plus puissant sur le plan économique et politique pour modifier les conventions. Elle finance également des recherches pour cumuler le maximum de données probantes sur différents aspects de la question des drogues afin de mieux identifier les éléments à prendre en compte en vue de leur légalisation. Parmi ses 25 commissaires, on retrouve plusieurs anciens présidents et ministres de pays, de même que Kofi Annan, George Shultz, Paul Volcker , l’honorable juge Louise Arbour, et cetera.

En quatrième lieu, l’Organisation des États américains a pu obtenir une résolution en 2012 en mandatant un groupe de travail d’évaluer les différents scénarios quant à une future politique sur les drogues, notamment en ce qui concerne la légalisation. Même le président Obama a qualifié cette réflexion de légitime en réaffirmant toutefois la position américaine sur la question.

Enfin, il y a eu la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le VIH/Sida (UNGASS) en avril 2016. Même si elle n’a pas réussi à modifier les conventions et que les différents lobbys mentionnés précédemment s’affairent à être mieux préparés pour le sommet de l’ONU sur les drogues de 2019, cela a permis de faire un grand constat sur les organes de gestion des conventions où la Chine, la Russie, et l’Iran, surtout, sont venus remplacer les États-Unis en tant que chiens de garde de la prohibition. En effet, dans le document final signé lors de cette UNGASS, aucune mention que l’Uruguay a légalisé le cannabis ou encore certains États américains, que d’autres États américains ainsi que le Canada s’apprêtent à le faire que de plus en plus de pays ont décriminalisé la possession simple de l’ensemble des drogues, ont des programmes de prescription d’héroïne, et cetera.

Ce que cela signifie sur le plan politique, c’est que contrairement à la narcodiplomatie agressive américaine du passé envers les pays qui dérogeaient ou semblaient déroger aux conventions, les pays qui dominent maintenant les organes de gestion des conventions sont essentiellement préoccupés à préserver la prohibition dans leur pays plutôt que de l’imposer au monde entier. Comme le soulignait à ce propos l’assistant du secrétaire d’État des États-Unis pour le Bureau for International Narcotics and Law Enforcement Affairs, William R. Brownfield :

Les choses ont changé depuis 1961. Nous devons avoir suffisamment de flexibilité [dans les Conventions] pour nous permettre d’incorporer ces changements dans nos politiques [...] reconnaître le fait que certains pays auront des approches très strictes sur les drogues, tandis que d’autres pays vont légaliser l’ensemble des drogues.

À notre avis, il ne s’agit pas ici de dire que le Canada devrait revendiquer la légalisation de toutes les drogues. Il s’agit simplement de dire que le Canada devra savoir profiter des nombreux appuis mondiaux à la modification des conventions et de prendre conscience que les organes de gestion des conventions ne parlent plus seuls ni de la même manière dans ce dossier que par le passé.

Également, il faudra faire valoir la voie scientifique. En plus de la voie juridique et du soutien politique, l’un des objectifs prioritaires du gouvernement fédéral, mentionnés explicitement dans le document de discussion Vers la légalisation, la réglementation et la restriction de l’accès à la marijuana, est celui-ci :

entreprendre la collecte de données de façon continue incluant la collecte de données de base, pour surveiller l’impact du nouveau cadre.

Le Canada pourra ainsi faire valoir qu’en prolongation de la volonté manifestée en 2010 par la Commission des stupéfiants de faire de la collecte de données sur l’usage du cannabis une priorité, la réglementation du cannabis s’inscrira également dans cet objectif et il en transmettra les données à l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) dans son rapport annuel. Enfin, le Canada pourra faire valoir que l’Organisation mondiale de la Santé en est également à revisiter le statut du cannabis dans les conventions.

En conclusion, ce serait faire erreur que de cadrer à l’ONU la position canadienne à l’égard de la légalisation du cannabis sur des bases strictement juridiques. Oui, la voie de la priorité constitutionnelle de la Charte pour faire valoir le droit à la sécurité et à la santé est importante à mettre de l’avant pour justifier la légalisation du cannabis. Toutefois, l’inscription dans les visées prioritaires d’organismes de l’ONU afin d’accumuler des données probantes sur le cannabis est tout aussi importante à mettre de l’avant. Enfin, il importe de souligner que le Canada ne fait pas cavalier seul dans ce dossier, même si la légalisation nationale du cannabis innove sur le terrain à la suite de l’Uruguay. Cette démarche s’inscrit dans un discours politique et scientifique de plus en plus organisé et vocal sur le plan international en faveur de la modification des conventions.

Pour ce qui est des craintes exprimées quant aux réactions des instances de gestion des conventions à l’ONU, comme l’a montré l’UNGASS de 2016, et ce sera à suivre lors du sommet de 2019, celles-ci privilégient clairement une position défensive plutôt qu’offensive comme par leur passé, laissant clairement de l’espace pour d’autres choix, par leur silence sur les pays qui adoptent des positions plus libérales en matière de drogues illégales. Leurs préoccupations visent clairement à maintenir la prohibition dans leur pays plutôt que de l’imposer au reste de la planète.

Je vous remercie.

Armand de Mestral, professeur, faculté de droit, Université McGill, à titre personnel : Je ferai quelques remarques en anglais, mais je répondrai aux questions en français.

[Traduction]

J’espère ne pas comparaître aujourd’hui par erreur puisque, contrairement à ma collègue, je ne suis évidemment pas un expert du droit international relatif à la lutte contre la drogue. J’ai une connaissance modeste du droit international public et du droit régissant les traités, et c’est ce dont je vous parlerai aujourd’hui.

Je dois dire que ma connaissance de ce domaine est assez limitée, et que mes expériences fort lointaines de la marijuana remontent à tellement longtemps que je ne m’en souviens même plus.

J’ai lu les trois conventions. J’ai regardé le projet de loi. Il y a clairement un problème, car l’un n’est pas compatible avec l’autre. Le principe de base du droit entourant les traités, pacta sunt servanda, signifie que les traités doivent être appliqués et respectés. C’est là que vous devez commencer. Je présume que d’autres membres du gouvernement ont réfléchi à la question puisqu’il faut inévitablement le faire.

Des changements peuvent être apportés en vertu d’un traité, d’abord conformément aux dispositions du document. Il faut donc examiner soigneusement les dispositions en place et les institutions qui existent afin de relever les problèmes et les questions que soulève le traité aux yeux de l’État visé.

Prenons l’exemple de l’article 3 du traité de 1961, qui contient une disposition visant à discuter des changements dans l’étendue du contrôle. Eh bien, je pense que c’est là où il faut commencer lorsqu’on essaie d’envisager des changements.

La règle de base dicte que tout changement est effectué par accord, et non pas de façon unilatérale. Bien sûr, c’est plus facile avec un accord bilatéral que dans le cas d’un traité multilatéral, comme ce dont il est question ici. Une procédure est prévue à la convention, dans le droit relatif aux traités, et l’article 40 porte sur la modification des traités multilatéraux. La question est complexe et nécessite un dialogue avec toutes les autres parties visées.

Les traités peuvent être dénoncés selon les procédures et les délais prévus dans chaque traité. Je suppose que ce ne serait pas souhaitable ici puisque vous avez des traités fort complexes se rapportant à un large éventail de drogues et de substances psychotropes — et le cannabis n’est qu’une de ces substances. De toute évidence, c’est la seule substance pour laquelle le gouvernement canadien voudra peut-être être libéré de ses obligations.

Les États peuvent formuler des réserves. Il y a un principe du droit international qui porte sur les traités multilatéraux, étant donné la multitude d’intérêts des nombreux États qui peuvent signer un traité — on parle de 190 dans ce cas-ci. Ces traités comptent donc de nombreux signataires. Il existe un principe selon lequel un État peut indiquer que certaines dispositions du traité ne lieront pas les parties. C’est possible à moins que le traité lui-même ou la nature des obligations assumées ne l’interdisent.

Dans le cas qui nous intéresse, il y a évidemment des questions qui peuvent faire l’objet d’un débat. Les trois traités font référence au droit de formuler des réserves, bien qu’il soit très limité. Heureusement pour le Canada, peut-être, les trois mentionnent que l’obligation de soumettre les différends internationaux sur les conventions à la Cour internationale de Justice peut faire l’objet d’une réserve. J’y reviendrai. C’est donc une possibilité.

Les trois traités parlent de formuler la réserve surtout au moment de la ratification et de l’adhésion initiale. On peut toutefois soutenir que le principe est inhérent au traité. Le Canada pourrait envisager de formuler une réserve à la Cour internationale pour les affaires se rapportant aux enjeux abordés par la nouvelle législation.

Qu’est-ce qui peut arriver aux autres États? Il y a tout d’abord la réaction sur la place publique : d’autres États peuvent protester. Ce n’est pas la première fois que le Canada s’attire les critiques pour violation des principes généraux du droit international ou de traités particuliers. C’est là que tout commence. Un État donné pourrait juger que le Canada viole un traité ou la totalité des traités avec sa nouvelle loi.

Quelles sanctions peuvent être prises? Nous pourrons en parler davantage. De façon générale, il faut éviter que le Canada permette les exportations et perturbe l’économie générale dans le cadre de ces trois traités, qui traitent à la fois de répression interne et du commerce international des drogues. Ainsi, pourvu que le Canada n’intensifie pas l’exportation illégale de cannabis à destination d’autres pays, qui est déjà considérable, apparemment. Cependant puisqu’il n’y a pas de sanction publique à ce chapitre, certains pourraient croire que d’autres États peuvent difficilement prouver les torts que nous leur causons en adoptant cette loi au pays.

Si nous adoptons cette loi, je pense qu’il faut reconnaître que d’autres États pourraient traiter le Canada comme s’il commettait une violation à l’égard de ses obligations. Nous serions alors accusés de violation substantielle, et nous nous exposerions à une sanction immédiate d’autres États, qui refuseraient d’appliquer la convention au Canada. Le Canada commet une violation substantielle, et les États estimeraient qu’il a dénoncé les conventions, ce qui ne serait assurément pas dans notre intérêt. D’une certaine façon, il n’est probablement dans l’intérêt d’aucun État de libérer le Canada de la totalité de ses obligations. Je pense qu’il est peu probable que ce genre de mesure soit prise, mais d’autres gouvernements pourraient bel et bien réagir. Nous pourrons y revenir.

Des actions privées peuvent également être prises. Je crois savoir qu’en Uruguay, toute pharmacie qui participe à la vente désormais légale de marijuana ne peut pas faire affaire avec les banques, de sorte qu’elle n’utilise que l’argent comptant. J’ignore franchement si c’est attribuable à la pression publique exercée par le gouvernement américain ou simplement par le système bancaire. Je sais cependant que les banques s’organisent pour qu’il soit très difficile pour les pharmacies d’y adhérer.

Cela ne semble pas s’être produit pour les producteurs canadiens de marijuana. Nous savons qu’ils sont nombreux. C’est bien connu. Toutefois, on peut imaginer diverses actions privées pouvant être prises. Conformément au droit canadien, on peut ordonner aux banques canadiennes ou à d’autres entreprises de refuser d’accepter les ordres d’un gouvernement étranger, mais il est beaucoup plus difficile d’ordonner aux entreprises canadiennes de ne pas céder sous les pressions commerciales de sociétés étrangères.

Avant de terminer, permettez-moi de vous présenter quelques réflexions sur ce que le Canada devrait faire. Je pense que ma consœur a fait valoir les nombreux arguments en faveur du Canada et des autres États qui partagent nos idées, qui tentent de convaincre la communauté internationale qu’il est temps d’apporter certains changements, du moins dans le cas du cannabis, voire à plus grande échelle. Il y a manifestement beaucoup d’arguments en ce sens. Sur le plan juridique, disons qu’il y a eu des changements fondamentaux de circonstances. La société a changé. Nous passons d’un modèle de répression à un modèle de tolérance, et même de traitement médical au besoin, et nous ne sommes pas les seuls.

Le Portugal est allé beaucoup plus loin que tout autre pays en légalisant simplement l’ensemble des drogues, puis en affirmant que les problèmes posés par les drogues relèvent désormais du domaine médical. Je pense qu’il serait intéressant que le comité sache mieux ce qui s’est réellement passé là-bas, car le Portugal est probablement allé plus loin sur le plan juridique que tout autre État, à ma connaissance. Il y a bien sûr l’exemple de l’Uruguay et d’un certain nombre d’États américains. La Suisse, quant à elle, joue sur les deux tableaux à ce chapitre.

De toute évidence, nous assistons à un changement des circonstances, et il faudra peut-être chercher à modifier substantiellement ces trois traités. Je dirais qu’il serait peu judicieux que le Canada encourage publiquement l’exportation du cannabis qui sera désormais produit légalement au pays. C’est une chose que nous devrions considérer très soigneusement.

Pour terminer, il y a au moins un précédent très important pour le gouvernement canadien. Une décision a été prise à la suite d’une vingtaine de contestations des États-Unis et d’autres gouvernements, qui estimaient qu’en adoptant la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, nous violions à la fois les principes généraux du droit international relatif au droit de la mer et les Conventions de Genève sur le droit de la mer.

À ce moment-là, à savoir en 1970, le gouvernement canadien avait légiféré d’une manière qui était clairement perçue comme une entrave au transport maritime international, alors que nous estimions absolument impératif de protéger l’Arctique, ses eaux et son environnement. Nous avons donc formulé une réserve à la Cour internationale de Justice en matière de prévention de la pollution. Par la suite, nous avons fait de même pour la compétence du Canada en matière de pêche, à une époque où c’était encore très controversé.

Nous avons établi un consensus, et la troisième Convention sur le droit de la mer nous a permis de faire valoir nos arguments avec succès, à savoir qu’un changement était nécessaire. Devant nos détracteurs, le Canada a simplement dit : « Nous n’allons pas nous en remettre à la Cour internationale sur cette question. Nous croyons avoir raison. Nous estimons que des changements doivent être apportés au droit international, et nous sommes prêts à le faire avec des États qui partagent nos idées. »

Je suppose que c’est peut-être ce que le Canada devra faire.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Madame Beauchesne, votre argument est un peu comme la proposition du gouvernement du Canada, c’est-à-dire ne pas faire grand-chose, accepter que cela peut être conflictuel, mais se servir des arguments de la Charte et d’autres arguments, et négocier sa position. En d’autres mots, le lendemain, oui, on contrevient au traité, mais on continue à argumenter et à valoriser nos opinions. C’est vrai que la position des Américains et celle du monde évoluent, mais il reste des pays comme la Chine, le Japon et la Russie. La Russie aimerait trouver une source de conflit avec nous. Vous n’êtes pas plus offusquée que cela de dire oui, on contrevient au traité, oui, on argumente parce qu’on est honnête et que la Charte est supérieure à toutes ces ententes contractuelles? Cela ne vous dérange pas plus que cela? On n’est pas des experts, mais M. de Mestral a fait référence à notre prise de position similaire quant au traité et on argumente notre cas même si des pays peuvent nous traîner devant les cours de justice. Il n’y a rien de dérangeant avec cela. Est-ce que je comprends bien?

Mme Beauchesne : À l’ONU, oui, il y a eu le droit international, mais en même temps, ils sont dans une situation politique où il y a des pays qui sont plus égaux que d’autres et où les ententes internationales se jouent dans des cadres plus larges. En d’autres termes, il y a 10 ans, je ne vous aurais pas dit la même chose. Je vous aurais dit qu’ils sont pris avec la voie de la charte, mais il n’y a pas de mouvance internationale en arrière qui demande des changements. Cela aurait été plus délicat sur le plan politique. De nombreux pays veulent bouger, particulièrement en matière de cannabis, et regardent avec attention le Canada. En même temps, M. Obama a beaucoup retiré ses billes des organes de gestion de l’ONU parce que cela servait beaucoup à agir de façon assez sélective sur certains pays pour les punir s’ils n’en faisaient pas assez. Ces pays-là, la Chine, la Russie et le Pakistan, tout ce qu’ils veulent, c’est que cela n’arrive pas chez eux. Ce n’est plus une philosophie de police de la planète. C’est pourquoi M. Brownfield a dit que la voie à suivre, ce ne sera pas un changement des conventions qui sera uniforme à l’échelle de la planète. Ce sera une façon de rédiger les conventions qui va faire que l’un ira peut-être vers ceci et que l’autre ira peut-être vers cela. Je ne voudrais pas dire que ce n’est pas important de déroger aux conventions. J’insiste pour dire que cela dépend des conventions. Il y a 10 ans, on n’aurait pas pu le faire, mais maintenant, avec les changements dont j’ai parlé, je crois que oui. Il faut jouer sur les trois tableaux.

Le sénateur Massicotte : Monsieur de Mestral, j’ai l’impression que cela vous concerne davantage que Mme Beauchesne. Ai-je raison?

M. de Mestral : En effet, je trouve qu’en adoptant cette loi, sans modifier les trois conventions, on dérogera de ces conventions, on les violera. C’est assez évident. Je ne sais pas si la Charte de l’ONU justifie une violation des conventions, quelles que soient les conventions internationales. Chaque convention lie les parties et tant que les parties s’engagent, elles sont liées. On sera en violation. La question à se poser est plutôt celle-ci : quelles sont les conséquences immédiates? Il est possible qu’on nous traîne devant la Cour internationale de justice. Si on ne veut pas que cela arrive, on peut essayer de poser une réserve. On peut se faire poursuivre et présenter nos arguments — tous les arguments présentés par Mme Beauchesne. Toutefois, je me demande quelles seraient les mesures de rétorsion, quelles seraient les conséquences immédiates, si le Canada commence à déroger à une partie de ces conventions tout en respectant le reste et tout en s’assurant qu’on ne déroge pas aux intérêts. Par exemple, si on se mettait à exporter de la marijuana vers la Chine, on peut bien imaginer qu’il y aurait des résultats immédiats, mais si ce qu’on fait n’intéresse ou n’affecte que le Canada, il est plus difficile de voir, sauf sur le principe, ce que d’autres États peuvent faire contre nous. Cela n’empêcherait pas M. Trump de nous critiquer s’il y voit un intérêt électoral.

Le sénateur Massicotte : Si vous étiez premier ministre et que vous y voyiez une raison sociale, comme le premier ministre Trudeau le croit, que feriez-vous? Je sais qu’on dérive d’un traité, mais la vie est compliquée. C’est pour cette raison qu’on embauche des avocats. Que feriez-vous à titre de premier ministre si vous deviez poursuivre ces objectifs? Il y a plusieurs choix. L’Uruguay est sorti et est revenu avec des réserves. Est-ce une option? Que feriez-vous?

M. de Mestral : Une réserve, mais la réserve ne vise que la juridiction de la Cour internationale de justice. On peut faire cela, mais je vois mal pourquoi on sortirait de toutes les autres obligations que je présume que nous maintenons, du moins on ne change pas de politique fondamentalement. Si j’étais premier ministre, je crois que j’essaierais de réunir un groupe d’États qui voient ce problème de la même façon pour commencer, pour essayer de débattre avec eux les problèmes que nous voyons avec les trois conventions et discuter des moyens de procéder avec un amendement de ces conventions pour limiter leur application à la marijuana ou certains aspects de la marijuana ou permettre à chaque État en question de prendre des mesures internes. Par la suite, s’il y a suffisamment d’États qui nous appuient, je crois qu’on essaierait de réunir tous les membres de ces trois conventions, toutes les parties, afin d’apporter certains changements au libellé des conventions.

Le sénateur Massicotte : Vous proposez que cette négociation ou que ce plan de communication ait lieu avant d’adopter une loi canadienne. Ai-je bien vos propos?

M. de Mestral : Je doute. Je crois que si on n’a pas le courage de nos convictions, le reste du monde ne sera pas très intéressé.

Le sénateur Massicotte : À la suite de votre clarification, vous adoptez la même démarche que le premier ministre. En d’autres mots, on adopte une loi et on s’attaque au problème par la suite. On gère la position tant qu’on peut sans perdre notre souveraineté, parce que si cela dépend d’un organe extérieur, c’est moins attirant du point de vue du Canada.

M. de Mestral : Je crois que l’on peut soutenir qu’en adoptant cette loi, on n’affecte pas les intérêts des autres. C’est l’une des questions fondamentales. Il y a un élément de réciprocité. On le fait dans un intérêt réciproque. Si on déroge à une partie d’un traité sans affecter immédiatement les intérêts des autres, il est plus difficile de voir comment ils peuvent réagir de façon concrète.

Le sénateur Massicotte : Madame Beauchesne, est-ce l’Uruguay qui s’est retiré des conventions?

Mme Beauchesne : L’Uruguay a fait valoir le droit à la sécurité et la primauté de la Charte des droits de l’homme de l’ONU sur les autres traités, et la primauté de la charte des droits des pays sur les droits intérieurs.

C’est la Bolivie qui s’est retirée. On ne peut emprunter cette voie parce que, en général, les réserves en ce qui concerne ces conventions sont pour des usages traditionnels qui seraient brimés et qu’on devrait respecter, qu’ils soient religieux ou autres. Par exemple, la Bolivie a exprimé une réserve en disant que pour certaines communautés autochtones, comme les Boliviens vivant en régions éloignées, mastiquer des feuilles de coca et s’en servir pour faire du troc est une tradition. Toutefois, la Bolivie a émis une réserve au nom du droit des Autochtones. Elle s’était retirée des conventions, puis voulait les réintégrer, mais avec cette réserve. Parce que l’on fait une réserve quand on signe. Les pays du G8 ont refusé, mais l’ONU a permis la réintégration de la Bolivie puisqu’il s’agissait du droit des Autochtones. Il n’était pas question de légaliser les feuilles de coca dans tout le pays, mais seulement pour des régions particulières où les Autochtones ont le droit de mastiquer et de cultiver les feuilles de coca.

C’est pour cette raison que le fait de s’appuyer sur ce précédent n’est pas vraiment une voie à suivre. Si on regarde les préliminaires des traités, les réserves étaient émises pour des traditions locales.

Je vais vous donner un autre exemple de réserve. Dans certaines régions de l’Inde, le cannabis pousse naturellement, comme le pissenlit ici. Ils ne peuvent donc arrêter les gens parce qu’ils font pousser du cannabis. On a donc fait une exception pour la plante de cannabis, si elle pousse à l’état sauvage.

Il y a différentes réserves comme celles-là qui font qu’un pays, pour différentes raisons, ne peut adhérer à certains éléments locaux. Ce qui n’est pas la situation ici.

Le sénateur Massicotte : Votre approche est d’argumenter sur les éléments de la Charte et de réviser les règlements...

Mme Beauchesne : Non, attention! J’ai dit « utiliser », parce qu’à l’heure actuelle, il y a des mouvements qui cherchent à rouvrir les conventions et à les retravailler. Comme je le disais, ils sont de plus en plus puissants politiquement et économiquement. Il y a des personnalités de plus en plus puissantes, des chefs de pays et des chefs d’État qui disent qu’il faut rouvrir ces conventions. Ce que je dis, tout comme M. de Mestral, c’est qu’il faut faire valoir que bon nombre de pays souhaitent rouvrir les conventions.

J’aimerais soulever un dernier élément, à part l’effet scientifique : le Canada n’est pas le seul à déroger aux conventions. Beaucoup de pays font preuve de tolérance sur le terrain. Les clubs sociaux de cannabis en Espagne, en Belgique, en France et en Italie sont tolérés par les gouvernements qui ne font rien. Les gouvernements regardent ce qui se passe au Canada, parce que ces clubs grossissent un peu partout, et comme cela ne nuit pas, ils ne font rien. Il y a beaucoup de tolérance.

En même temps, il ne faut pas s’appuyer sur l’exemple du Portugal. Je ne veux pas dire que le Portugal n’est pas un signe de changement. Le Portugal, comme une vingtaine de pays, a décriminalisé la possession simple de toutes les drogues, et c’est permis par les conventions. Certains n’ont jamais criminalisé la possession simple, la possession sans but de trafic, et d’autres l’ont criminalisée pour la décriminaliser par la suite, ce qui est permis par la convention de 1988, selon laquelle la possession simple ne doit pas obligatoirement être criminalisée.

D’après moi, il ne faut pas comparer cela à la question de la décriminalisation de la possession simple puisque cette dernière est permise par les conventions, contrairement à la situation dont on parle ici, qui ne l’est pas.

Le sénateur Massicotte : Une révision nécessite deux tiers d’approbation?

Mme Beauchesne : La Commission des stupéfiants doit d’abord accepter de se pencher sur la révision et s’assurer qu’elle ne contrevient pas à l’esprit des conventions. Malgré l’opposition de certains pays à ce que la Bolivie y adhère de nouveau — la Bolivie est sortie des conventions, a exprimé une réserve, puis a demandé de les réintégrer —, la Commission des stupéfiants a jugé que cela n’allait pas à l’encontre de l’esprit des conventions. Elle a donc voté en faveur de cette demande.

Le sénateur Massicotte : Quel niveau d’approbation faut-il pour inscrire la marijuana sur la liste des drogues?

Mme Beauchesne : D’après moi, il serait préférable d’attendre que plusieurs pays soient prêts à le faire. Le principal obstacle est que les pays membres des organismes de gestion des conventions offrent beaucoup de résistance si cela signifie que tous les pays doivent s’aligner sur les changements. Par exemple, si on disait que le cannabis est légalisé partout, cela susciterait beaucoup de résistance. Par contre, si on dit qu’on a le choix entre légaliser ou non le cannabis et de trouver une façon de rédiger la loi, je crois que les organes des conventions seraient plus ouverts.

[Traduction]

La présidente : Je vais devoir vous arrêter. J’ai encore d’autres intervenants. Je vais revenir à vous au deuxième tour.

Le sénateur Ngo : Je voulais poursuivre sur cette voie. La semaine dernière, le professeur Hoffman a recommandé, devant notre comité, que le Canada se retire brièvement de la convention internationale qu’il est sur le point d’enfreindre. Croyez-vous que ce soit la meilleure solution pour le pays?

[Français]

Mme Beauchesne : C’est peut-être une stratégie qui fonctionnerait, mais ma crainte vient de la lecture des procès-verbaux. On constate que la Bolivie a émis cette réserve en raison des droits des Autochtones. Je crains qu’on utilise la réserve d’une façon plus large.

Je me trompe peut-être, mais si je regarde la situation d’un point de vue politique, je serais un peu craintive. Je connais le Dr Hoffman, mais moi, c’est la partie politique de ces décisions qui me rend un peu craintive.

[Traduction]

M. de Mestral : Ma réponse va dans le même sens, mais pour des raisons strictement juridiques. Si je ne m’abuse, nous ne cherchons pas à nous soustraire à la plupart des interdictions. Certains pourraient souhaiter que nous le fassions, mais, à ce que je sache, nous n’essayons pas de nous soustraire à la vaste gamme d’interdictions prévues à ces trois conventions. Nous nous concentrons strictement sur le cannabis. Voilà pourquoi je trouve très risqué pour le Canada de simplement délaisser les trois conventions, étant donné qu’elles visent tellement d’autres choses en dehors du cannabis.

Je suppose que nous devrions aussi songer au fait qu’il y a trois conventions, mais je présume qu’il y a toutes sortes de voies de communication officielles et informelles au sein des instances policières du monde, comme INTERPOL et le reste, pour assurer l’application des conventions, de même que le contrôle et la répression du trafic de drogues. Nous ne voulons sûrement pas que le monde sache que le Canada se retire de toutes ces conventions ou d’autres ententes; je pense donc que ce ne serait pas judicieux. Nous devons selon moi admettre que nous avons un problème. Nous devons modifier une partie de la convention. Nous devrions au moins être autorisés à faire ce que nous souhaitons. Nous avons de bons arguments à l’appui. Nous devrions mobiliser nos alliés, et faire valoir ces arguments, aussi fort que possible, à l’échelle internationale.

Le sénateur Ngo : Le Canada est membre de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. En vertu de ce texte, le Canada a l’obligation de protéger les enfants canadiens contre les substances nocives, et d’offrir des protections et des dispositions particulières aux enfants autochtones, par exemple.

Qu’en est-il des obligations du Canada en vertu de cette convention si le projet de loi C-45 permet aux enfants ou aux mineurs d’être en possession de 4 ou 5 grammes de marijuana, peu importe comment vous appelez cela?

M. de Mestral : Est-ce le cas? Les jeunes ne peuvent pas en acheter.

Le sénateur Ngo : Il est question d’en avoir entre les mains. Ils peuvent en posséder quatre grammes en vertu du projet de loi C-45. Quelle est l’obligation du Canada en vertu de cette convention des Nations Unies?

[Français]

Mme Beauchesne : Premièrement, il y a des dizaines et des dizaines d’études qui vont le montrer. L’idée est que les jeunes consomment déjà. Il faut arrêter de dire que le gouvernement permettra aux jeunes de consommer. Ils consomment déjà. On va partir de là.

Deuxièmement, la loi ne dit pas que les jeunes doivent posséder 5 grammes de cannabis. Les dernières études indiquent que 22 p. 100 des mineurs ont essayé le cannabis avant leur majorité. On sait qu’il y aura des situations qui impliqueront des mineurs. Le gouvernement a simplement dit qu’à 5 grammes ou moins de cannabis, ils ne seront pas criminalisés. On va les aider. On verra ce qu’on peut faire.

Je vais dire quelque chose qui n’est peut-être pas adéquat ici, mais je ne sais pas qui d’entre vous a pris sa première bière à 18 ou 19 ans, tel que le prescrit la loi. Beaucoup d’entre nous en avons consommé avant l’âge légal. Si nous avions été criminalisés, cela n’aurait pas aidé. Le fait de parler, de prévenir, d’agir et de sensibiliser est bénéfique. Les mineurs consomment déjà. C’est par la prévention, la sensibilisation qu’on pourra les aider. Ce n’est pas avec des tabous et en les criminalisant qu’on les empêchera de se procurer des drogues, qu’on saura ce qu’ils consomment ou qu’on les empêchera de faire des bêtises. Protéger les jeunes, c’est sortir de la prohibition, d’abord et avant tout. De nombreuses études sont claires à ce sujet. Criminaliser n’aide en rien; au contraire, cela empire les choses. De plus, il ne faut jamais penser qu’il n’y a pas de drogue en prison ou à l’intérieur des murs.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Vous n’avez pas répondu à ma question. En fait, la légalisation et la criminalisation sont des concepts totalement différents. À l’heure actuelle, si un jeune entre 12 et 17 ans est en possession de quatre grammes de marijuana, il sera criminalisé. Nous légalisons maintenant une telle possession. Cela signifie que les jeunes sont libres d’avoir…

Mme Beauchesne : Non.

Le sénateur Ngo : C’est totalement différent. Ils ont dans leurs mains…

Mme Beauchesne : Non.

Le sénateur Ngo : J’ignore s’ils fument ou non, mais ils peuvent en avoir en main sans être criminalisés pour autant.

[Français]

Mme Beauchesne : Non, les mineurs, dans le cadre de la loi, n’ont pas — pas plus qu’avec l’alcool — le droit d’avoir cette drogue. Avec l’approche privilégiée, soit les 5 grammes, on sait que ces situations arriveront, comme c’est le cas avec l’alcool. On ne les gérera pas avec des sanctions. On saisira le produit — si c’est 5 grammes et moins — et on agira autrement grâce à des mesures de prévention, de sensibilisation, et cetera. L’idée est d’éviter autant que possible « d’endommager » les jeunes et de travailler davantage avec la prévention et la sensibilisation.

[Traduction]

M. de Mestral : Je suis d’accord sur cette interprétation. Je n’ai pas lu la loi. Peut-être l’avez-vous lue beaucoup plus attentivement que moi. J’ai lu le texte deux fois en guise de préparation. Je dois admettre que c’est la première fois que j’en prends connaissance. Je n’ai pas interprété cette phrase comme une obligation générale de protéger chaque jeune contre tous les maux pouvant exister.

Il y a bien sûr le tabac et toutes sortes d’autres fléaux. Je n’ai pas l’impression que nous encourageons les jeunes à consommer avec ces dispositions législatives. Je peux admettre que c’est peut-être plus facile à obtenir, mais je n’interprète pas le projet de loi comme une incitation à la vente de marijuana aux jeunes. Je dois dire que ce n’est pas la façon dont je l’interprète.

[Français]

Mme Beauchesne : J’aimerais apporter une précision. Cela ne sera pas plus facile. Demandez à n’importe quel mineur dans les écoles secondaires. Ils vous répondront que c’est plus facile d’acheter du cannabis que des cigarettes parce que pour acheter des cigarettes, on vous demande une preuve d’âge dans les magasins, alors que le cannabis, on peut en avoir n’importe où. C’est, je crois, une clarification importante.

Contrairement aux croyances populaires, la légalisation permet de réduire l’accessibilité des jeunes à ces produits, parce que ce sera vendu dans des lieux spécifiques, avec des contrôles, contrairement à la situation actuelle où il y a des vendeurs partout. Je ne connais à peu près pas un endroit au Canada où il est difficile d’en acheter.

[Traduction]

La présidente : Je pense que nous nous éloignons de la convention internationale.

Mme Beauchesne : Veuillez m’excuser.

La présidente : Je crois que ce débat aura lieu. Les enfants de moins de 12 ans y ont peut-être déjà accès, mais la substance demeure illégale, sauf pour un usage médical ou ce genre de chose. Le gouvernement devrait-il permettre la consommation dans les maisons, les appartements et ce genre d’endroits? La question sera la suivante : la marijuana sera-t-elle plus facile d’accès, donc plus accessible aux jeunes ou non? Sera-t-elle de qualité supérieure ou non? Il s’agit du sujet d’étude du comité des affaires sociales.

Mme Beauchesne : Mes excuses.

La présidente : Voilà la grande question. Il nous reste très peu de temps, et je veux que le sénateur Cormier puisse intervenir.

[Français]

Le sénateur Cormier : En fait, la question que je voulais poser a déjà été posée. Je ne suis pas spécialiste dans les traités internationaux, mais j’essaie de comprendre la logique. Je vais arriver à ma question, mais voici ma logique. Le gouvernement du Canada prévoit faire adopter cette légalisation du cannabis et cela aura un impact sur ses relations internationales. Cette légalisation risque de violer certaines conventions internationales. Pour maintenir ses relations, sa présence dans les conventions, il existe différentes stratégies que peut adopter le gouvernement du Canada. Vous avez parlé du dialogue, par exemple. Vous avez dit que si vous étiez premier ministre, vous mèneriez des consultations avec différents pays.

Vous avez également parlé de certains arguments. Vous avez fait allusion à la collecte de données, c’est-à-dire qu’à partir du moment où le cannabis est légal, on pourra faire des recherches, avoir des données et cela pourrait être un argument pour convaincre les autres pays du bien-fondé de l’action du Canada. Est-ce qu’il y a d’autres arguments? Quels seraient les principaux arguments? Vous en avez énuméré quelques-uns, mais quels seraient les trois arguments principaux que le Canada pourrait invoquer dans ses relations internationales?

Mme Beauchesne : Je crois que, lorsqu’on parle de combiner, il faut le présenter autrement. L’Uruguay, même s’il ne lui est rien arrivé, a dit oui au droit à la sécurité et à la santé. Il a dit que c’était à l’ONU d’examiner ses propres contradictions et qu’il ne commencerait pas à les gérer à sa place. Et cela s’est terminé là.

J’emprunterais cette voie, mais toujours en montrant qu’on est prêt à collaborer. Je leur dirais voici ce qu’on fait, et comme vous, on est soucieux de la santé et de la sécurité de nos concitoyens. Comme vous, on sera prudent parce qu’on manque de données sur le cannabis et on les partagera avec vous parce qu’on sait que c’est une priorité. On collaborera également avec les groupes et les pays qui cherchent à voir ce qu’on peut faire autrement. Donc, il faut montrer un esprit de collaboration et dire que ce choix ne vient pas d’une volonté de déroger aux conventions, mais qu’il est basé sur des études scientifiques qui montrent que la meilleure façon de protéger les jeunes et de gérer ce produit est de légaliser le cannabis par la réglementation et le contrôle de la qualité. C’est la meilleure protection, et de nombreuses études le démontrent. C’est pour cette raison qu’on a agi ainsi. Comme l’a mentionné M. de Mestral, on ne va pas l’imposer aux autres pays. Mais si on nous demande de nous expliquer, on sera prêt à collaborer.

Il ne s’agit pas de dire qu’on n’a rien à faire de leurs conventions, mais plutôt de dire qu’on a réagi aux études et à la science. On veut protéger les jeunes et on est prêt à en parler.

M. de Mestral : Il me semble qu’on est dans une situation difficile pour deux raisons. C’est une convention multilatérale où il y a forcément plus d’une centaine d’autres États. Et ces États ont probablement des vues, des approches variées, différentes. Essayer de les convaincre n’est pas chose facile.

Deuxièmement, on ne veut pas rejeter l’ensemble des conventions parce qu’il y a toutes sortes d’éléments qu’on appuie, qu’on veut garder. On était partie prenante au départ. On reste tout à fait lié.

C’est donc doublement délicat et difficile de provoquer un changement dans ce genre de situation. On peut rester les bras croisés, mais ce n’est pas vraiment de cette façon que le gouvernement réagit. Le projet de loi existe et je présume qu’il va aller de l’avant. Il s’agit maintenant de gérer un problème de relations internationales qui concerne le cannabis. C’est quand même un problème assez délicat, assez complexe. Je présume que le gouvernement doit faire face aux difficultés. Il n’y a peut-être pas eu beaucoup de dialogues, de discussions, même au Canada.

Le sénateur Cormier : Y a-t-il d’autres lois au Canada qui posent des problèmes sur le plan international? Y a-t-il d’autres types de lois qui nécessitent une négociation avec les ententes?

M. de Mestral : Le cas le plus évident est la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques où on a délibérément dit que c’est le Canada qui décidera quelles sortes de navires navigueront à travers les eaux de l’Arctique et qui adoptera ses propres règles en matière de construction, ce qui, normalement, ne se fait pas.

La première réaction a été extrêmement négative. Il y a eu, presque immédiatement, une vingtaine de protestations de tous nos alliés, les Européens, les États-Unis, et cetera. Il a fallu composer avec cette situation et développer une stratégie pour changer le droit international. On a réussi, avec une certaine difficulté. Cela nous a pris des années, mais il faut avoir le courage de ses convictions.

Il ne faut pas dire que le problème n’existe pas non plus, parce qu’on veut maintenir la primauté du droit dans nos rapports internationaux. De toute évidence, une convention multilatérale est compliquée à gérer et, surtout, compliquée à changer.

[Traduction]

La présidente : Il reste une minute avant l’appel de la sonnerie. Je ne poserai qu’une question.

Sauf erreur, les dispositions législatives autorisent l’exportation de marijuana à des fins scientifiques et médicales, un volet que le Canada va définir. Monsieur de Mestral, vous dites que si nous commençons à exporter ou à importer, la définition pourrait varier. Dans un tel cas, qui définirait la consommation « à des fins médicales »? Chaque pays en a une conception légèrement différente.

Est-ce que cette affirmation change votre point de vue? Vous dites que s’il n’y a pas d’exportation, vous maintenez vos commentaires.

M. de Mestral : Je pense encore que nous devrions être très prudents. Il nous incombe de dire au monde ce que nous faisons, car nous le faisons pour les bonnes raisons.

La présidente : Nous venons d’être interrompus.

M. de Mestral : Il serait assez dangereux de perturber inutilement l’harmonie internationale.

[Français]

Mme Beauchesne : J’aimerais ajouter un commentaire. Les conventions disent ouvertement qu’il revient aux États de définir ce qui est « médical » ou pas. Le Canada n’a pas l’intention d’exporter le cannabis à d’autres fins que médicales. Donc, le Canada a le droit d’exporter à des fins médicales, si l’autre État a la même définition de « médical ».

[Traduction]

La présidente : Je suis désolée, mais je dois vous interrompre. Je serai réprimandée si je continue une fois que la sonnerie se fait entendre, puisque cela ne fait pas partie des témoignages. Je m’excuse, mais le Sénat demande le vote, et nous sommes obligés d’y assister.

Je vous remercie de vos points de vue différents et de vos idées communes. Quoi qu’il en soit, vous avez assurément élargi notre réflexion et notre débat. Merci d’avoir comparu devant nous aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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