LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 9 février 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été déféré le projet de loi S-219, Loi visant à dissuader l’Iran de parrainer des actes constituant du terrorisme, de l’incitation à la haine et des violations des droits de la personne, se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour l’étude du projet de loi.
[traduction]
Marie-Eve Belzile, greffière du comité: Honorables sénateurs, en tant que greffière de votre comité, il est de mon devoir de vous informer de l’absence inévitable de la présidente et du vice-président. Je suis prête à recevoir une motion visant à élire un président temporaire.
Une voix: Je propose la candidature du sénateur Housakos.
Le sénateur Housakos: Je refuse. Je propose le sénateur Ngo.
Mme Belzile: Les honorables sénateurs sont-ils d’accord?
Il est proposé par l’honorable sénateur Housakos, appuyé par l’honorable sénateur Dawson, que le sénateur Ngo préside la réunion actuelle. La motion est-elle adoptée?
Des voix: D’accord.
Mme Belzile: La motion est adoptée. J’invite le sénateur Ngo à présider la réunion.
Le sénateur Thanh Hai Ngo (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le président suppléant: Merci, sénateurs, de la confiance que vous m’accordez.
[français]
Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je suis le sénateur Ngo, président suppléant pour cette réunion du comité. Bienvenue à tous.
[traduction]
Mesdames et messieurs, durant la réunion de ce matin, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi S-219, Loi visant à dissuader l’Iran de parrainer des actes constituant du terrorisme, de l’incitation à la haine et des violations des droits de la personne.
Nous accueillons aujourd’hui M. Bijan Ahmadi, président du Iranian Canadian Congress, et M. Pouyan Tabasinejad, directeur des politiques, lui aussi, pour le Iranian Canadian Congress.
Bienvenue. Merci d’être là aujourd’hui. Nous allons écouter votre déclaration, et les membres du comité vous poseront ensuite des questions.
Bijan Ahmadi, président, Iranian Canadian Congress: Honorables sénateurs, nous tenons à vous remercier de nous avoir invités aujourd’hui à discuter du projet de loi S-219. Puisque ce projet de loi aura un impact disproportionné sur les Irano-Canadiens, il est important pour notre communauté de participer au processus de consultation. C’est la raison pour laquelle nous sommes heureux d’être ici aujourd’hui.
Le Iranian Canadian Congress, ou ICC, est une organisation communautaire non partisane et sans but lucratif issue de la base qui vise à protéger et promouvoir les intérêts des Canadiens d’origine iranienne, une population estimée à 300 000 personnes à l’échelle nationale.
Mon collègue et moi sommes ici au nom du ICC pour vous faire part de nos points de vue et de nos préoccupations au sujet du projet de loi S-219, la Loi sur les sanctions non liées au nucléaire contre l’Iran, et vous expliquer pourquoi le Sénat devrait rejeter le projet de loi dans sa totalité.
L’ICC est très préoccupé par le projet de loi, qui est, selon nous, non seulement contraire à la politique énoncée du gouvernement de rétablir un lien avec l’Iran, mais aussi un obstacle au respect par le Canada de ses obligations internationales. Ne vous méprenez pas: si le projet de loi est promulgué, il tuera dans l’œuf toute possibilité de rétablissement des relations avec l’Iran.
Le gouvernement actuel a déclaré à maintes reprises son intention de rétablir des liens avec l’Iran et de rouvrir la mission canadienne à Téhéran, dans le cadre d’une approche étape par étape. À cette fin, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a déclaré plusieurs fois dans la Chambre des communes que le gouvernement renouera son engagement avec l’Iran de façon progressive avec les yeux ouverts.
Après plus d’un an de négociations délicates et difficiles avec l’Iran, nos diplomates commencent à faire des progrès en ce qui a trait au renouement des liens avec l’Iran. Ce sont des négociations extrêmement difficiles pour nos diplomates, et les deux parties ont des préoccupations qu’il faut dissiper. Le Canada veut des garanties de l’Iran au sujet de la sûreté et de la sécurité de nos diplomates, et les représentants iraniens ont déclaré vouloir des garanties du Canada au sujet de l’immunité judiciaire de leurs diplomates et des ressources diplomatiques communes.
Plutôt que d’aider à mener à bien ces négociations difficiles, le projet de loi S-219 est un pas dans la mauvaise direction. Non seulement le projet de loi laisse en place les obstacles actuels dans le cadre du processus de réengagement, mais il crée aussi plus d’obstacles en créant de nouvelles complexités juridiques et bureaucratiques dans le cadre du processus. Le moment est mal choisi pour notre assemblée législative d’imposer des restrictions qui semblent idéologiques et symboliques dans le cadre de ces négociations. Nous devons permettre à nos diplomates de négocier librement plutôt que d’imposer certains paramètres et certaines restrictions dans le cadre de discussions diplomatiques déjà délicates.
Les mérites de liens diplomatiques avec l’Iran ont déjà été largement prouvés. Une autre possible guerre catastrophique au Moyen-Orient a été évitée lorsque les puissances mondiales ont conclu l’accord sur le nucléaire, le Plan d’action global conjoint, il y a plus d’un an. Le Canada doit participer et donner aux diplomates une réelle possibilité ainsi que son plein soutien.
Cependant, les effets préjudiciables qu’a ce projet de loi sur les processus diplomatiques de notre pays ne sont qu’une des raisons pour lesquelles le projet de loi n’est pas dans l’intérêt des Canadiens. Le projet de loi S-219 approuve des sanctions et l’absence de relations diplomatiques avec l’Iran, dont les effets négatifs sur les entreprises canadiennes et les Irano-Canadiens ont été bien documentés. Nous allons maintenant aborder certains de ces problèmes.
Les Irano-Canadiens ont souffert de façon disproportionnée dans les années suivant la rupture des relations diplomatiques et l’imposition de sanctions strictes sur l’Iran par le gouvernement précédent. Lorsque les relations ont été rompues, en 2012, les Irano-Canadiens se sont soudainement retrouvés dans l’impossibilité d’avoir accès à des services consulaires et ont été confrontés à d’importantes difficultés lorsqu’ils tentaient d’avoir accès à des visas de visiteur pour leurs parents et les membres de leur famille vivant encore en Iran. Ironiquement, les Irano-Canadiens ont dû se rendre à Washington D.C., où l’Iran maintient une section des Intérêts, pour avoir accès à des services consulaires, une option qui les expose à l’interdiction de voyager du président Trump. Fait plus important encore, l’absence d’une mission diplomatique canadienne en Iran laisse les Canadiens qui visitent l’Iran vulnérables et sans accès à des services consulaires en cas de besoin.
L’autre politique approuvée par ce projet de loi, les sanctions imposées en vertu de la LMES, crée souvent des obstacles insurmontables pour les Irano-Canadiens honnêtes et travaillants. De nombreux propriétaires d’entreprise qui dépendent d’échanges entre l’Iran et le Canada ont soudainement constaté que leurs activités commerciales légitimes étaient devenues illégales. De plus, les banques ont refusé de faire des affaires avec ceux qui avaient ou semblaient avoir des liens financiers avec l’Iran, que ce soient des liens personnels ou d’affaires. Cela a même mené à la fermeture de comptes bancaires d’Irano-Canadiens, y compris des citoyens canadiens, pour aucune autre raison que le fait qu’ils détenaient aussi la citoyenneté iranienne.
Par exemple, le compte bancaire d’un étudiant iranien en génie au Québec a été fermé alors qu’il y avait seulement 700 $ dedans. Lorsqu’il a communiqué avec la banque, on lui a dit que son compte avait été fermé simplement parce qu’il était détenteur d’un passeport iranien.
Même aujourd’hui, alors que le gouvernement a atténué certaines des sanctions imposées à l’Iran en février 2016, quelques institutions financières appliquent encore les mêmes règles, et nous avons reçu plusieurs rapports d’Irano-Canadiens ordinaires qui ont fait l’objet de discrimination de la part de banques.
Essentiellement le projet de loi S-219 appuie les politiques qui ont causé tant de souffrances au sein de la communauté des Irano-Canadiens et vise à les perpétuer. Non seulement il aura pour effet de faire dérailler les négociations diplomatiques entre le Canada et l’Iran, ce qui privera les membres de la communauté des avantages des services consulaires et de la représentation diplomatique, mais cela aura aussi pour effet d’accroître l’incertitude et les risques pour les institutions financières, ce qui accentuera le problème de discrimination par les banques et entraînera une augmentation du nombre d’Irano-Canadiens à qui on refuse des services bancaires de base.
C’est en raison de la souffrance causée par ces politiques qu’une pétition électronique parlementaire officielle créée par notre organisation et demandant au gouvernement de rétablir les relations et de renouer le dialogue avec l’Iran a recueilli près de 16 000 signatures partout au Canada.
Il est bien connu que le Canada a certains désaccords avec l’Iran au sujet de ses politiques régionales et qu’il est préoccupé par les conditions liées aux droits de la personne en Iran. Ces préoccupations ont été rappelées d’innombrables fois par les représentants canadiens. Par conséquent, le projet de loi S-219 n’offre aucune valeur ajoutée en ce qui a trait au fait d’informer le gouvernement des préoccupations liées aux droits de la personne, préoccupations dont ils se sont déjà engagés eux-mêmes à discuter avec leurs homologues iraniens.
Une des préoccupations majeures du gouvernement canadien en ce qui a trait aux droits de la personne, c’est le statut des Canadiens possédant la double nationalité arrêtés en Iran. À cet égard, l’engagement permet aux diplomates canadiens de communiquer nos préoccupations à Téhéran et de défendre directement les droits de nos citoyens.
Par exemple, après la réunion de l’ancien ministre Dion en septembre dernier avec son homologue iranien, le ministre des Affaires étrangères Zarif, et grâce à la participation de l’Italie et d’Oman, des pays qui ont tous les deux des relations diplomatiques avec l’Iran, Homa Hoodfar a été libérée et a pu revenir au Canada. Ce dossier montre de quelle façon la diplomatie et un engagement constructif sont les seules façons qui permettront aux Canadiens de représenter et de protéger efficacement ses citoyens qui possèdent la double citoyenneté. En fait, dans le cadre d’un groupe de discussion qui a été tenu à Toronto la semaine dernière, Mme Hoodfar elle-même a déclaré soutenir le rétablissement des relations diplomatiques entre le Canada et l’Iran. Elle a déclaré que le fait d’avoir une ambassade en Iran est un facteur important qui permet de protéger les personnes ayant la double nationalité et d’avoir une voie de communication avec l’Iran, ajoutant qu’elle voulait joindre sa voix à ceux qui appuient le fait d’avoir une ambassade en Iran. Mme Hoodfar a souligné le fait que si l’ambassade canadienne avait été ouverte au moment de son arrestation, son dossier aurait pu être réglé plus rapidement.
Il y a encore un prisonnier qui a des liens avec le Canada en Iran, Saeed Malekpour, un résident permanent canadien qui est en prison là-bas depuis huit ans. Grâce au réengagement avec l’Iran, les diplomates canadiens auront l’occasion de demander directement la libération de M. Malekpour auprès des autorités iraniennes.
Pouyan Tabasinejad, notre directeur des politiques, vous parlera maintenant de l’effet des sanctions et de l’absence de diplomatie sur les entreprises canadiennes et leur positionnement à l’échelle internationale.
Pouyan Tabasinejad, directeur des politiques, Iranian Canadian Congress: Merci de nous accueillir. Je vais reprendre là où Bijan s’est arrêté.
Les sanctions et l’absence de relations diplomatiques ont été préjudiciables non seulement pour les Irano-Canadiens, comme mon collègue l’a déclaré, mais aussi pour les entreprises canadiennes en général, qui n’ont pas pu avoir accès au marché non exploité de l’Iran, qui compte 80 millions de personnes.
Pour vous donner une idée des occasions que l’économie canadienne perd en raison de cette politique, une étude de 2014 a révélé que le Canada avait perdu entre 850 millions et 2,7 milliards de dollars par année en exportations en raison des sanctions imposées contre l’Iran. Durant la même période, les alliés du G7 et de l’OTAN du Canada ont commencé à rétablir des relations avec l’Iran, du point de vue tant politique qu’économique, depuis l’entrée en vigueur du PAGC.
À mesure que les sanctions contre l’Iran ont été atténuées, bon nombre d’entreprises internationales, surtout des entreprises européennes, ont pénétré le marché iranien, pendant que les entreprises canadiennes sont à la traîne en raison de notre absence de relations et des incertitudes concernant le régime de sanctions, aussi appelé la LMES.
Par exemple, au cours des neuf premiers mois de 2016 seulement, les échanges commerciaux de l’Union européenne avec l’Iran ont augmenté de 63 p. 100. Plusieurs contrats majeurs ont été signés au cours des 12 derniers mois, y compris d’importants accords avec Boeing et Airbus, des accords qui valent des milliards.
Lorsque le Canada a atténué les sanctions contre l’Iran en février 2016, des chefs et des représentants d’entreprises canadiennes, y compris le président de la Chambre de commerce du Canada, ont affiché un important optimisme à l’égard des échanges commerciaux avec l’Iran. Il y a des occasions à saisir pour le Canada en Iran dans une diversité de secteurs, y compris l’aérospatiale, les chemins de fer, le pétrole et le gaz et les technologies. Ce sont tous des secteurs où les entreprises canadiennes excellent et peuvent bénéficier grandement des échanges commerciaux avec l’Iran.
Ce fait a été confirmé par les entreprises canadiennes elles-mêmes. Par exemple, dans le cadre d’une entrevue avec la Presse canadienne, en octobre 2016, le PDG de Bombardier a déclaré que le fabricant d’avions et de trains dont le siège social est situé à Montréal voyait des possibilités de vendre des services ferroviaires et des avions y compris les avions de la ligne de la C Series, à l’Iran.
Le Canada doit encourager ses entreprises à pénétrer le marché iranien plutôt que de prendre des dispositions législatives contre ces activités par l’intermédiaire du projet de loi S-219, qui ne fait qu’accroître les incertitudes et fait courir des risques juridiques aux entreprises. Le réengagement avec l’Iran non seulement sera bénéfique pour les entreprises canadiennes, mais il permettra aussi d’accroître l’influence du Canada dans le monde entier.
Alors que nous sommes peut-être confrontés à l’environnement international le plus difficile depuis la Guerre froide à la suite de l’élection de la nouvelle administration américaine, notre pays a une occasion unique de se positionner comme un chef de file mondial en participant à régler ce qui constitue peut-être les défis les plus importants du point de vue des relations internationales actuelles, soit la non-prolifération nucléaire et la stabilité dans le Moyen-Orient. En choisissant la diplomatie et l’engagement avec l’Iran, le Canada peut se positionner en tant que courtier impartial de la diplomatie dans le monde et gagner une influence supérieure à celle qui lui revient en tant que puissance moyenne sur l’échiquier mondial.
En résumé, nous répétons que le projet de loi n’est rien d’autre qu’une tentative pour faire dérailler le processus de réengagement. Il approuve les mêmes mauvaises politiques que celles qui ont été néfastes pour les Irano-Canadiens, les entreprises canadiennes et notre positionnement international en tant que promoteur impartial du dialogue.
Par conséquent, nous demandons aux honorables sénateurs de rejeter ce projet de loi dans son intégralité et de protéger les intérêts des Canadiens et des entreprises canadiennes en plus d’améliorer le positionnement du Canada à l’échelle internationale et de promouvoir la cause de la paix dans le monde.
Le président suppléant: Merci, monsieur Ahmadi et monsieur Tabasinejad, de nous avoir présenté vos exposés.
Le sénateur Housakos: Merci aux témoins d’être là aujourd’hui.
D’abord et avant tout, je tiens à souligner l’importante contribution et la réussite de la communauté irano-canadienne au Canada. Nous sommes chanceux de pouvoir compter sur les quelques centaines de milliers de Canadiens d’origine iranienne qui ont apporté une contribution importante dans les domaines scientifiques, universitaires et commerciaux. C’est une perte pour l’Iran, et un gain pour nous.
J’ai bien écouté votre déclaration. Avant de vous poser ma question, je tiens à vous faire part de mon point de vue: en ce qui me concerne, ce qui fait le plus de tort à la communauté irano-canadienne, c’est le gouvernement fondamentaliste et extrémiste islamique en Iran.
Le Canada a une longue histoire d’engagement avec des nations et des personnes qui ne partagent pas les mêmes valeurs que nous, mais dans ce cas précis, on parle d’un gouvernement qui a systématiquement violé les droits de la personne fondamentaux et en a fait fi. La liste est longue. Ce gouvernement ne respecte absolument pas les règles juridiques fondamentales. Il a continuellement été un belligérant dans une région qui est déjà explosive en soutenant le terrorisme d’État. Il réclame continuellement la destruction de la démocratie d’Israël.
Lorsqu’on réfléchit à la question dans ce contexte, où est l’aspect positif dont vous parlez découlant du possible réengagement des relations diplomatiques entre nous et un pays qui n’a fait aucun effort pour respecter les règles et le mode de vie que nous respectons, sans compter le fait qu’il ne croit pas à la liberté fondamentale de religion? Dans notre pays, nous avons les libertés fondamentales à cœur.
Vous parlez des risques économiques, des pertes économiques essuyées par le milieu des affaires irano-canadien et notre milieu des affaires de façon générale, mais où faut-il tracer la limite? Dans quelle mesure pouvons-nous compromettre les croyances et les principes fondamentaux des droits de la personne et les autres règles juridiques fondamentales que nous respectons en tant que Canadiens? Où faut-il abandonner nos principes en vue d’un gain commercial?
Nous le faisons constamment, je suis d’accord. Il y a un certain nombre de pays qui ne partagent pas nos valeurs, et nous entretenons des relations commerciales quand même. Où faut-il tracer la limite pour ce qui est de l’Iran et du Canada?
M. Ahmadi: Merci, honorable sénateur, de votre question et aussi de votre reconnaissance des contributions de la communauté irano-canadienne à la société multiculturelle canadienne.
C’est une excellente question. Honnêtement, si nous parlons seulement aux gens avec qui nous sommes d’accord, aux personnes qui acceptent nos valeurs, qui voient le monde de notre point de vue et qui respectent ces mêmes valeurs, nous finirons par parler à un nombre très restreint de pays. N’oublions pas que même durant la guerre froide, nous avons maintenu nos relations avec l’Union soviétique.
Le fait de maintenir des relations diplomatiques, comme l’ancien ministre Stéphane Dion l’a mentionné souvent dans le passé durant son mandat, ne signifie pas que le Canada et l’Iran sont d’accord avec les positions de l’autre.
Il y a des préoccupations, comme vous l’avez mentionné, au sujet des politiques régionales et des problèmes de droits de la personne, et nous ne disons aucunement qu’il faut compromettre nos valeurs. Ce que nous disons, c’est que l’engagement est une meilleure façon, une meilleure stratégie, pour dissiper ces préoccupations. Qu’il s’agisse d’enjeux liés aux droits de la personne ou des politiques régionales de l’Iran avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord, il est préférable de rétablir un lien diplomatique avec l’Iran pour créer une voie de communication avec le gouvernement afin que nous puissions nous rencontrer à la même table et parler de ces désaccords.
Le sénateur Housakos: Je comprends. Comme je l’ai dit, l’engagement est fondamental, mais il doit aussi y avoir des repères en cours de route. Par conséquent, lorsqu’on établit ces repères, d’un point de vue canadien — nous sommes un comité parlementaire canadien —, où faut-il tracer la limite? Nous allons faire preuve de bonne foi en reprenant le dialogue, mais quelles sont nos attentes et quels sont les échéanciers liés à ces attentes, lorsqu’il est question d’enjeux comme la démocratie, les droits de la personne, l’emprisonnement de personnes en Iran sans l’application régulière de la loi, sans compter la simple violence physique brutale dont sont victimes les personnes qui s’opposent au régime?
À maintes reprises, on a vu des personnalités internationales et des Iraniens qui défendent les droits de la personne fondamentaux et la liberté de parole en Iran être persécutés et torturés. C’est difficile de discuter avec un État qui est aussi brutal que ça. Par conséquent, si nous commençons un processus d’engagement et que le gouvernement a déjà adopté une telle position, vous, en tant que Canadien, et surtout vu votre origine iranienne —, où tracez-vous la limite? Quelles sont vos attentes du point de vue de l’Iran?
M. Ahmadi: Dans un premier temps, nous nous attendons à ce que notre gouvernement change la politique du passé, qui est d’isoler l’Iran et de ne pas parler du tout à ses représentants au profit d’un réengagement avec l’Iran. L’autre solution, c’est de maintenir le statu quo. Il est évident que cette approche, cette stratégie n’a pas produit des résultats positifs en ce qui a trait aux droits de la personne et aux désaccords régionaux entre nous et l’Iran.
Par conséquent, nous nous attendons à ce que notre gouvernement reprenne le dialogue avec l’Iran. Le problème lié au projet de loi, c’est qu’il interdit toute occasion de réengagement avec l’Iran. Par conséquent, plutôt que d’imposer, par l’intermédiaire de restrictions parlementaires, de telles complexités bureaucratiques et juridiques dans le cadre d’un processus de discussion avec l’Iran qui est déjà difficile, il serait préférable de laisser nos diplomates d’Affaires mondiales Canada parler directement avec les représentants iraniens et réellement mettre en place ces points repères et conditions dont vous avez parlé et demander les garanties et assurances dont nous avons besoin au sujet de la sécurité de nos diplomates et de nos citoyens ayant une double nationalité. Il faut laisser les diplomates s’occuper de tous ces enjeux.
Ces enjeux doivent être abordés dans le cadre de négociations directement par nos diplomates, plutôt que par des restrictions précises imposées par le Parlement dans le cadre de ces négociations. Le projet de loi imposera des restrictions qui n’auront pour effet que de faire dérailler les négociations déjà en cours.
[français]
La sénatrice Saint-Germain: Je fais miens les propos du sénateur Housakos qui vous félicite de votre dynamisme comme communauté et qui salue votre présence ici ce matin. Je vous ai entendus, et j’ai été touchée par cet exemple, lorsque vous dites que les maigres avoirs de 700 $ d’un jeune étudiant iranien ont été gelés à la suite d’interprétations abusives. Il me semble que cet exemple, regrettable, par ailleurs, dans sa réalité, n’est pas en lien avec les sanctions que prend le Canada, mais est plutôt en lien avec le fait que des institutions canadiennes, des organismes canadiens sont mal informés. Il y a là, à mon avis, des enjeux liés à une meilleure information sur la présence de la communauté iranienne et sur les Canadiens iraniens. Est-ce qu’on n’aurait pas pu régler ce problème autrement que par une législation? En d’autres termes, l’exemple que vous donnez, selon moi, n’est pas en lien avec la législation. C’est un commentaire que je fais.
Dans le deuxième cas, en ce qui concerne la diplomatie et la reprise des échanges, concrètement, l’enjeu en ce moment est de trouver une solution qui ferait en sorte que les Canado-Iraniens et les Iraniens au pays ne soient pas victimes de sanctions. Est-ce que vous ne croyez pas que la diplomatie dans ce sens-là présente beaucoup de limites?
[traduction]
M. Tabasinejad: Je vais répondre à la question sur les banques. Si j’ai bien compris votre question, vous demandez si les institutions canadiennes sont simplement mal informées. C’est le principal problème, ici.
Nous avons communiqué avec des banques canadiennes pour savoir exactement pourquoi elles rejettent les Iraniens. C’est quelque chose qui se produit chaque jour. On parle ici de Canadiens qui ont passé presque toute leur vie au Canada et qui ont encore des problèmes, et ce, pour de toutes petites sommes d’argent.
Il y a évidemment le problème de la désinformation et le fait que les banques ne savent pas, malheureusement, exactement quelles sont les règles. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup d’incertitude. Du point de vue des banques, c’est une question de risques, des risques juridiques et financiers, qui sont interreliés.
Selon nous, le projet de loi accentuera l’incertitude. Alors que les banques réévaluent peut-être la possibilité de refaire des affaires avec les Irano-Canadiens, renversant ainsi le processus de fermeture de comptes bancaires, le projet de loi introduira plus d’incertitude et entraînera une augmentation des risques de ce point de vue. Ce n’est pas une question de droits de la personne. C’est une question d’affaires et d’argent. En fait, c’est uniquement une question de risque juridique pour les banques. Par conséquent, selon nous, le projet de loi ne fait qu’accroître les risques juridiques pour les Irano-Canadiens, ce qui les expose à plus de discrimination de la part des banques.
M. Ahmadi: J’essaie de répondre à votre deuxième question. Je dois répéter ce que j’ai dit en réponse à la question précédente. Deux possibilités s’offrent à nous: rétablir des liens avec l’Iran et, grâce à la diplomatie et aux modes de communication, dissiper les préoccupations au sujet des personnes ayant la double citoyenneté, des conditions liées aux droits de la personne en Iran et des désaccords touchant les politiques régionales de l’Iran. La deuxième approche, c’est l’approche dont nous avons parlé au cours des dernières années sous l’ancien gouvernement, c’est-à-dire une approche mise en place pour isoler l’Iran et ne pas parler à ses représentants et ne pas permettre de dialogue diplomatique.
Nos alliés européens ont choisi la première méthode. Les États-Unis, pour ce qui est de l’accord sur le nucléaire, a aussi opté pour la première méthode et ont parlé à l’Iran, ce qui a mené à l’accord sur le nucléaire. Il y avait les sanctions, mais s’il n’y avait pas eu de négociations à long terme entre les pays du P5+1, nous n’aurions jamais eu le PAGC, l’accord international. Par conséquent, ce que nous disons, ici, c’est que la seule voie qui donnera des résultats… parce que nous avons déjà essayé l’autre voie, la voie de l’isolement et du refus de dialoguer. Il faut donc donner une chance à l’autre voie maintenant afin de voir si elle sera bénéfique. Nous croyons, à la lumière de ce que nos partenaires de l’UE font, que nous aurons des résultats meilleurs et plus positifs.
J’aimerais ajouter quelque chose au sujet du dossier de l’Iran en matière de droits de la personne. Il est important de ne pas faire fi complètement de l’amélioration de la situation, une amélioration très lente, mais prometteuse, et des mesures qui ont été prises par des factions modernes en Iran afin d’améliorer les conditions liées aux droits de la personne dans le pays. Malheureusement, on fait trop souvent fi de ces petits pas en avant.
La proposition d’un projet de loi sur les droits des citoyens du président Rouhani et les efforts continus au sein du Parlement iranien pour éliminer la peine de mort pour les crimes liés à la drogue sont des exemples de tentatives des forces modérées d’améliorer le respect des droits de la personne en Iran. Ces améliorations ont été confirmées par Ahmed Shaheed, le rapporteur spécial sur les droits de la personne des Nations Unies. Par conséquent, si nous choisissons la voie de l’engagement diplomatique, si nous donnons une chance à ce processus, nous pourrions obtenir de meilleurs résultats. Nous aurons l’occasion de rencontrer directement les autorités iraniennes et d’aborder nos différences et nos préoccupations liées à différents enjeux.
La sénatrice Saint-Germain: Je veux vous poser une question brève: est-ce que ce sera suffisant? Pouvons-nous ajouter d’autres moyens? Si ce n’est pas la législation, ce pourrait être autre chose. D’ici là, les gens continueront de subir des violations de leurs droits de la personne. N’y a-t-il pas autre chose de plus que nous pouvons faire en même temps?
M. Ahmadi: Pour commencer, n’oublions pas que nous avons déjà pris une mesure majeure en ce qui a trait aux droits de la personne, c’est quelque chose que nous faisons depuis plusieurs années maintenant, et c’est par l’intermédiaire des Nations Unies, essentiellement, que nous nous attaquons à certaines des préoccupations liées aux droits de la personne relativement à l’Iran, grâce à une résolution des Nations Unies présentée par le Canada.
Cependant, si les négociations, l’engagement et les discussions ne viennent pas s’ajouter à cet effort et ne l’accompagnent pas, nous n’obtiendrons pas un résultat positif. Ce ne sera qu’une action des Nations Unies, et, alors, il n’y aura pas de discussion entre le Canada et l’Iran pour demander des améliorations afin que les enjeux soulevés dans cette résolution des Nations Unies puissent être réglés. Selon moi, elle est là, la prochaine mesure à prendre.
Cependant, le projet de loi devant nous ne concerne absolument pas ces mesures. Il porte sur des complexités juridiques qui viendront ajouter des conditions associées aux sanctions prévues dans la LMES, ce qui — et c’est une chose très importante — pourrait faire en sorte que nous ne respecterons plus la résolution 2231 des Nations Unies, qui a été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies après la signature du PAGC.
Par conséquent, le projet de loi ne fait que demander l’ajout de conditions à celles associées aux sanctions de la LMES, et, essentiellement, il interdira tout processus de réengagement, et c’est là notre principal problème. Nous ne sommes pas en désaccord au sujet des repères ou du fait de tenir compte des préoccupations liées aux droits de la personne, mais ces enjeux peuvent être abordés par des moyens diplomatiques et par l’intermédiaire d’Affaires mondiales Canada plutôt que grâce à des restrictions imposées par le Parlement.
Un autre enjeu important que je veux soulever, c’est que nous croyons que nos parlementaires devraient être très préoccupés par le précédent et le genre de système à deux poids deux mesures créé par le projet de loi. Les conditions ou les enjeux qui sont mentionnés, et ce, même dans le nom du projet de loi ou dans des dispositions précises — sont en fait des enjeux et des préoccupations qui concernent beaucoup d’autres pays à part l’Iran.
Prenons l’exemple, dans la région, de l’Arabie saoudite. Nous avons conclu, si je ne m’abuse, un contrat de vente d’armes d’une valeur de 15 milliards de dollars avec l’Arabie saoudite.
Par conséquent, il est très dangereux et risqué de concevoir un projet de loi lorsque d’autres pays avec lesquels nous entretenons des relations amicales — pas seulement des relations, mais des relations amicales — s’adonnent à des violations et soulèvent des préoccupations comme celles figurant dans le projet de loi. Si le projet de loi va de l’avant, je crois que nous devrons en modifier le libellé pour inclure tous les autres pays, à part l’Iran, où ces mêmes enjeux sont en cause. Sinon, les deux poids deux mesures serviront à établir un précédent qui, à l’avenir, pourrait exiger que nous proposions le même genre de projet de loi et imposions les mêmes genres de restrictions à d’autres pays aussi.
Je le répète: nous avons des relations amicales avec bon nombre de ces pays et pas seulement des relations diplomatiques. Ici, nous tentons d’établir des relations — pas seulement des relations diplomatiques — avec l’Iran. Merci.
Le sénateur Woo: Merci beaucoup de nous avoir présenté vos exposés. Je viens de la Colombie-Britannique, et plus précisément de Vancouver. Je vis sur la rive Nord, là où il y a une très grande communauté irano-canadienne. Par conséquent, le projet de loi est un enjeu qu’ils surveilleront de très près.
Je veux apporter une précision et savoir si vous êtes d’accord. Bon nombre des problèmes auxquels les Irano-Canadiens sont confrontés actuellement, bien sûr, sont liés à l’application actuelle de la réglementation associée à la LMES. Le projet de loi est un ajout à cette réglementation. Il augmente le nombre d’interdictions et le nombre d’organisations visées qui seraient touchées. Nous ne pouvons pas régler tous les problèmes que vous avez cernés, et ce, même si nous rejetons entièrement le projet de loi. C’est quelque chose que je voulais préciser.
Je veux en venir au cœur de la question. Je suis un fervent partisan de l’engagement, et votre principal point est le suivant: si nous adoptons le projet de loi, nous allons compromettre — en fait, nous allons torpiller, voire totalement faire couler toute tentative d’engagement avec l’Iran. Pouvez-vous nous dire de façon plus détaillée et avec de plus amples justifications pourquoi vous croyez que c’est le cas?
Ne pouvons-nous pas mâcher de la gomme et marcher en même temps? N’est-il pas possible pour nous de froisser les Iraniens avec notre projet de loi tout en les laissant venir nous dire qu’ils sont prêts à ce que nous ouvrions tous les deux une ambassade tout en poursuivant le processus de réengagement diplomatique?
M. Ahmadi: Merci de cette bonne question, monsieur le sénateur Woo. En fait, nous avons reçu deux ou trois messages de vos électeurs de la Colombie-Britannique aussi. Il y a une importante population irano-canadienne en Colombie-Britannique, surtout à Vancouver, et elle est très préoccupée par ce projet de loi précis.
Pour ce qui est de votre question, j’aimerais mentionner deux ou trois points. Dans certains cas, je vais peut-être me répéter, mais je vais apporter certaines précisions.
Les négociations en cours sont difficiles et il y a déjà des obstacles à surmonter dans le cadre des négociations. C’est ce qu’on constate en consultant les renseignements publics fournis par les deux gouvernements. D’un côté, celui du Canada, nous sommes préoccupés. Plus précisément, si nous voulons rouvrir une mission en Iran, nous sommes préoccupés par la sécurité de nos diplomates. Pour ce qui est de l’Iran, la semaine dernière, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères a dit qu’ils étaient ouverts à un réengagement avec le Canada, mais qu’ils étaient préoccupés par l’immunité judiciaire de leurs diplomates et des ressources diplomatiques qu’ils devraient envoyer au Canada, par exemple, pour rouvrir une ambassade ou un bureau consulaire.
Le projet de loi envoie le mauvais signal, et c’est là le principal problème. Il envoie le mauvais signal dans le cadre de ces négociations. Pour dire les choses simplement, le message envoyé à l’Iran, c’est que, plutôt que d’essayer d’éliminer les obstacles qui existent déjà — ces obstacles existent déjà en raison de certaines restrictions imposées par, si je ne m’abuse, un gouvernement précédent… plutôt que de procéder ainsi, nous imposons des obstacles supplémentaires et additionnels. C’est l’un des problèmes.
L’autre problème, et j’en ai parlé rapidement, c’est qu’ajouter les sanctions additionnelles prévues dans le projet de loi S-219 fera en sorte que nos sanctions prévues dans la LMES ne seront pas conformes à la Résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations Unies, ce qui est un autre problème que soulèvera l’Iran au sujet du projet de loi. Je peux vous en dire plus à ce sujet si vous le voulez.
Le troisième point, c’est que j’aimerais bien que nous ayons plus de poids dans le cadre de nos négociations avec l’Iran, mais je crois que nous ne devrions pas surestimer notre poids. Si le Canada avait plus de poids, nous pourrions imposer plus de restrictions ou en demander plus, mais ce n’est pas le cas.
La communauté internationale a engagé le dialogue avec l’Iran, politiquement et économiquement. L’Iran fait des affaires avec nos alliés européens, et le pays n’a donc pas besoin du Canada pour faire des affaires. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous permettre de maintenir le statu quo et de ne pas avoir de relations. En fait, je vous avertis que nous devrions nous attendre à ce que l’Iran suspende les négociations si le projet de loi est adopté, parce qu’il pourra se permettre de le faire et de faire preuve d’un peu de rigidité et, essentiellement, de nous donner un exemple de son intention de ne pas discuter avec un pays qui impose de telles restrictions.
La sénatrice Cordy: Merci beaucoup d’être ici. Je crois que je vous ai cité hier, durant la réunion, au sujet d’une lettre, alors que, en fait, elle avait été rédigée par Maziar Sairafi, qui, à la fin, disait: « À titre indicatif, voici le nom du président ». J’ai dit que cette lettre était de vous. Cependant, essentiellement, vous avez dit la même chose que lui.
Merci beaucoup d’être ici. C’est utile pour nous d’entendre ce qu’a à dire la communauté canado-iranienne et de connaître les conséquences qui découleraient, selon vous, de l’adoption du projet de loi.
Notre témoin hier a soulevé un excellent point, soit qu’il y a une grande différence entre le peuple iranien et le gouvernement iranien, qui soutient le terrorisme et commet assurément des violations des droits de la personne. Il disait cependant qu’il ne fallait pas punir tous les Irano-Canadiens ou l’ensemble du peuple iranien. Merci beaucoup de nous avoir dit tout ce que vous nous avez dit.
Notre témoin, hier, qui a été personnellement victime de torture en Iran, croyait aussi que la fermeture des ambassades était très néfaste à qui veut aider les gens en Iran. Elle a donc de toute évidence soulevé le même point que vous.
Le projet de loi rendra-t-il la situation des Irano-Canadiens plus difficile? Vous avez déjà dit qu’il empêchera le processus de réengagement. Vous avez aussi déjà dit que l’Iran interagit déjà avec beaucoup d’autres pays et que, si le Canada est laissé derrière, les Iraniens ne s’en préoccuperont pas trop, mais cela sera assurément néfaste pour les Irano-Canadiens. Comment pouvons-nous donc trouver une solution — et cette question est une question complémentaire à celle du sénateur Woo — aux violations des droits de la personne par le gouvernement iranien, sans engendrer des difficultés pour le peuple iranien et les Irano-Canadiens?
Permettez-moi de poser une autre question. Le comité a abordé il y a quelques semaines la question du projet de loi Magnitsky, qui a été créé en réaction à un incident en Russie, sans pour autant que le projet de loi lui-même vise précisément ce pays. C’est en fait un projet de loi sur les violations des droits de la personne de façon générale, tandis que le projet de loi actuel porte précisément sur l’Iran.
Croyez-vous que le projet de loi Magnitsky pourrait, en fait, s’appliquer à toutes les personnes en Iran qui commettent des violations?
M. Ahmadi: Malheureusement, je ne connais pas en détail le… je crois qu’on l’appelle le projet de loi sur les agents publics étrangers corrompus. Je n’en connais pas pleinement le détail, mais, encore une fois, notre principale préoccupation relativement au présent projet de loi, le projet de loi S-219, peu importe chacune des dispositions précises — et nous avons en fait certaines préoccupations liées à chacune des dispositions, du moins certaines d’entre elles — c’est que, de façon globale, il empêchera le processus de réengagement.
Si nous ne pouvons pas reprendre le dialogue avec l’Iran, nous devons maintenir le statu quo, et la stratégie que l’ancien gouvernement a mise en place, et il est évident que cette stratégie n’a pas permis de dissiper les préoccupations que, par exemple, la témoin d’hier a soulevées, ainsi que toutes les préoccupations liées aux conditions associées aux droits de la personne en Iran ainsi que les désaccords sur la politique régionale.
L’autre chose que j’aimerais ajouter, c’est que, très souvent, les gens disent que le gouvernement iranien est différent du peuple iranien. Eh bien, ces processus de réengagement, ces relations, sont des processus entre gouvernements. Il y a des façons pour les gens de communiquer, grâce à des échanges culturels, grâce à des échanges universitaires et en matière de recherche, mais même là, lorsqu’il n’y a pas au moins des relations diplomatiques, au moins une communication diplomatique entre les deux pays, ces domaines sont aussi touchés de façon importante.
Il doit donc y avoir au moins un certain niveau d’engagement afin que les gens puissent vraiment se parler plus et interagir davantage les uns avec les autres.
Il y a beaucoup d’étudiants iraniens ici, pas des personnes ayant une double nationalité, mais des ressortissants iraniens qui étudient ici au Canada. C’est là une bonne façon d’interagir avec le peuple de l’Iran. Les échanges culturels sont de très bonnes façons de permettre un engagement avec l’Iran, avec le peuple iranien, mais il doit aussi y avoir un certain niveau d’engagement diplomatique avec l’Iran.
Pour ce qui est de l’enjeu que vous avez soulevé concernant les droits de la personne, nous croyons que le premier ministre Trudeau, lorsqu’il s’est rendu en Chine… l’approche dont il a parlé — je ne me rappelle pas exactement les mots qu’il a utilisés — en Chine pour s’attaquer aux problèmes liés aux droits de la personne est la marche à suivre, et cela ne consiste pas seulement à parler de l’Iran, mais de tous les pays, de l’Arabie saoudite, d'autres pays, des nombreux pays qui ont des problèmes liés à la violation des droits de la personne.
Dans un premier temps, je crois que nous devons régler ce problème de deux poids deux mesures, parce que cela mine notre capacité et notre pouvoir de favoriser le changement. C’est donc déjà une chose.
Le premier ministre Trudeau l’a dit très bien: nous devons reconnaître qu’il y a des problèmes liés aux droits de la personne même au Canada, pour ensuite communiquer nos préoccupations liées aux droits de la personne touchent ces pays: la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite et les nombreux autres pays où il y a de tels problèmes.
Par conséquent, nous croyons en cette approche. Nous croyons que l’engagement et la communication de ces préoccupations sont la meilleure façon de procéder.
La sénatrice Cordy: Pouvez-vous nous en dire un petit peu plus? Vous avez mentionné que, si le projet de loi est adopté, il ne serait pas conforme à une résolution des Nations Unies. Je ne me souviens pas du numéro de la résolution des Nations Unies, mais j’aimerais que vous nous en disiez un petit peu plus à ce sujet.
M. Ahmadi: Bien sûr. Les sanctions qui restent en place contre l’Iran en vertu de la LMES, selon les renseignements fournis par Affaires mondiales Canada, visent à limiter l’accès de l’Iran à des marchandises de nature délicate du Canada, surtout en ce qui concerne la technologie nucléaire et la mise au point de missiles balistiques.
À la lumière des renseignements fournis par Affaires mondiales, ces restrictions sont fondées sur une réglementation des Nations Unies concernant l’Iran. Lorsque la Résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations Unies a approuvé la mise en œuvre du PAGC, le Canada a respecté ses obligations internationales et modifié ses sanctions imposées à l’Iran en février 2016.
Cet enjeu a, en fait, aussi été soulevé par d’autres témoins avant nous. Le Canada n’a pas participé aux négociations concernant le PAGC entre les pays du P5+1. Cependant, il y a un problème, et c’est le fait que l’accord sur le nucléaire a été confirmé par la Résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations Unies en juillet 2015. Comme le prévoit la Résolution:
Les États membres sont tenus aux termes de l’Article 25 de la Charte des Nations Unies, d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies demande à tous les États membres et organisations régionales d’appliquer, essentiellement, les dispositions du PAGC et de ne pas prendre des mesures qui minent l’application des engagements au titre du Plan d’action.
Que les sanctions restantes — même celles qui existent en ce moment, même ces sanctions restantes — respectent totalement ou non la Résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations Unies est une question sur laquelle il faudra se pencher plus avant. Je sais qu’il y a un examen de la LMES — je crois qu’il a été terminé récemment ou qu’il est encore en cours — et il faudra peut-être que des experts du milieu juridique se penchent là-dessus. Cependant, il est évident que, à la lumière des renseignements fournis par le gouvernement du Canada que chacune des sanctions restantes au titre de la LMES est fondée sur les exigences de la décision du Conseil de sécurité des Nations Unies au sujet des technologies nucléaires et liées aux missiles balistiques. Par conséquent, les conditions supplémentaires que le projet de loi S-219 propose d’ajouter aux sanctions de la LMES ne sont pas conformes parce qu’elles ne figurent pas dans la Résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
La sénatrice Beyak: Merci, messieurs, d’être là. Je tiens à dire que je souscris à tous les commentaires du sénateur Housakos au sujet du peuple iranien. Les gens sont totalement différents du gouvernement, et je crois que tous les Canadiens le comprennent.
Un libéral réputé, Warren Kinsella, a écrit une merveilleuse chronique il y a deux jours au sujet du sentiment anti-réfugié et anti-immigrant qui ravage la planète et de la façon dont il faut avoir des débats objectifs. Je vous encourage tous à lire sa chronique. Elle dit qu’il faut parler, ne pas rendre les choses politiques. Soyons humains.
M. Kinsella a dit qu’il y a trois questions que nous devons nous poser, et j’aimerais demander à votre organisation — par souci de communication complète et sans créer de controverse — si vous voulez, oui ou non, la sharia au Canada. Croyez-vous à l’égalité entre les hommes et les femmes au Canada au titre de la Charte, oui ou non? Et croyez-vous à l’État d’Israël? M. Kinsella a dit qu’il est crucial que les Canadiens, les deux tiers d’entre eux, veuillent que nous soyons plus vigilants quant aux personnes avec qui nous parlons, à la façon dont nous créerons des liens avec les États qui soutiennent le terrorisme et qui ont des problèmes liés aux droits de la personne. Il nous pose la question de savoir si nous voulons de ces valeurs au Canada.
S’il vous plaît, lisez la chronique. Et je vous demande de répondre par un oui ou par un non à ces questions. Je comprends la sharia, je comprends la Charte et je soutiens l’État d’Israël. Je vous demande donc de répondre par un oui ou un non. Merci.
M. Ahmadi: Pouvez-vous s’il vous plaît répéter les trois questions? Je veux les écrire.
La sénatrice Beyak: Croyez-vous à la sharia au Canada? Croyez-vous à l’égalité des hommes et des femmes au Canada au titre de la Charte? Et soutenez-vous l’État d’Israël? Merci.
M. Ahmadi: Honorable sénatrice, c’est une question très surprenante qui n’a rien à voir avec le projet de loi proposé, mais je vais vous répondre sans problème.
Selon moi, ce n’est pas une question à laquelle même notre organisation doit répondre. C’est une question très personnelle. Notre organisation croit aux lois que nous avons au Canada, alors ce n’est pas la sharia. Nous croyons au système juridique canadien et au droit canadien.
Pour ce qui est de l’égalité entre les hommes et les femmes, nous y croyons à coup sûr, cela ne fait aucun doute. C’est enchâssé dans la constitution de notre organisation. Il est dit que nous croyons à la Charte des droits et libertés. C’est dans la constitution de notre organisation, le Iranian Canadian Congress. Et votre troisième question concerne le fait de soutenir Israël?
La sénatrice Beyak: Oui.
M. Ahmadi: Et qu’entendez-vous exactement par cette question? C’est une question très générale.
La sénatrice Beyak: En tant qu’État, l’État d’Israël.
M. Ahmadi: L’État d’Israël est reconnu par les organisations internationales, les Nations Unies. Nous n’avons pas pour programme ou pour mission de remettre cela en question. Est-ce que je soutiens personnellement toutes les politiques du gouvernement israélien actuel? Je ne peux même pas le dire au sujet du gouvernement du Canada, mon gouvernement, que je soutiens toutes ses politiques, même si je suis d’accord avec bon nombre d’entre elles. Qu’il soit bien clair que je répondrai à votre question à titre personnel, pas au nom de notre organisation.
Je ne suis pas d’accord avec certaines des politiques du gouvernement actuel d’Israël, mais votre question concerne l’État d’Israël. L’existence de cet État ne fait aucun doute. Oui, l’État d’Israël est reconnu au titre du droit international.
La sénatrice Beyak: Merci. Monsieur le président, c’étaient des questions pertinentes par rapport au projet de loi que nous étudions aujourd’hui en raison des sentiments des Canadiens mentionnés par M. Kinsella dans sa chronique, selon l’affirmation que les deux tiers des Canadiens veulent que nous soyons plus vigilants à propos des organisations avec lesquelles nous parlons; nous devrions savoir si leurs valeurs et croyances sont partagées par les Canadiens, si ce genre de projet de loi aide ou mine la croyance des gens à qui nous parlons.
Le sénateur Marwah: Encore une fois, merci d’être venu nous parler. Assurément, vous nous fournissez un point de vue différent, et plus particulièrement celui des Irano-Canadiens.
J’ai deux questions à vous poser, alors je vais vous poser la première. Quel pourcentage des Irano-Canadiens votre organisation représente-t-elle? Y a-t-il des points de vue différents parmi les autres Irano-Canadiens?
Deuxièmement, ces derniers temps, il est évident, du moins, selon moi, que l’Iran a entrepris un processus de réengagement à l’échelle internationale et, plus particulièrement, un réengagement avec l’Occident. Peut-être pas avec le monde, mais assurément avec l’Occident. Vous êtes beaucoup plus près de ce qui se passe sur le terrain en Iran. En tant qu’Irano-Canadien, constatez-vous un changement du point de vue des droits de la personne? Vous avez mentionné certains changements très modestes liés aux droits de la personne, mais constatez-vous d’autres changements dans la rhétorique des dirigeants, dans leur reconnaissance de la primauté du droit? Constatez-vous d’autres changements, quelle que soit leur orientation, ou ne voyez-vous là aucun changement?
M. Ahmadi: Pour ce qui est de votre première question, comme toutes les communautés, notre communauté n’est pas monolithique non plus. Il y a différents points de vue et différentes conceptions. Le Iranian Canadian Congress est une organisation de défense d’intérêts politiques au sein de la communauté irano-canadienne qui vise à promouvoir les intérêts de la communauté. Nous ne pouvons absolument pas vous fournir un pourcentage exact des gens que nous représentons, mais nous pouvons vous dire que nous sommes l’une des principales organisations et la seule organisation qui s’efforce de défendre les droits des Irano-Canadiens au Canada.
Nous avons préparé et soumis à la Chambre des communes une pétition parlementaire. Si je ne m’abuse, la greffière du comité en a une copie. Vous pouvez avoir accès à un exemplaire. Cette pétition concernait l’enjeu précis du réengagement auprès de l’Iran, du rétablissement des relations, et elle décrivait les enjeux dont nous avons parlé au sujet de la façon dont la politique de l’isolement a touché notre communauté.
Nous avons obtenu près de 16 000 signatures, et cela nous place dans le groupe des 10 premières pétitions électroniques de la Chambre des communes, parmi toutes les pétitions qui se trouvent actuellement sur le site web du Parlement du Canada. Nous avons obtenu ces signatures de tous les coins du Canada, et cela montre bien que cette demande, cette action, bénéficie d’un important soutien dans notre communauté. Un grand nombre d’Irano-Canadiens soutiennent cette politique, et nous avons été capables de nous adresser à eux et de leur demander de passer à l’action au sujet de cet enjeu.
Si je ne m’abuse, vous avez aussi posé une deuxième question.
M. Tabasinejad: Nous avons aussi tenu une série de consultations ouvertes avec des membres ou des chefs de la communauté, auprès d’organisations sans but lucratif, d’universitaires, et cetera. Ce que nous avons constaté — et c’est ce qui nous a poussés à présenter notre pétition —, c’est que dans chaque consultation, cet enjeu arrivait au premier rang, en ce qui concerne les participants.
Nous n’avons pas préparé notre pétition au petit bonheur. Nous voulions nous assurer que son contenu allait être soutenu par notre communauté et par nos membres. Ce que nous avons constaté de façon constante lorsque nous avons parlé à un grand nombre d’Irano-Canadiens, c’est qu’ils étaient favorables à la mesure. Je crois que le nombre de signatures que la pétition a obtenues au bout du compte est très évocateur, parce qu’il s’agit d’une pétition dont on a seulement fait la promotion dans nos propres réseaux, et les réseaux iraniens, et c’est plus ou moins explicite.
Le président suppléant: Merci. Je tiens à dire aux membres du comité que la pétition au gouvernement présentée par les organisations représentées par M. Ahmadi et M. Tabasinejad est accessible, ici, seulement en anglais. Nous sommes censés avoir des copies bilingues afin de pouvoir les distribuer à tous les membres. Honorables membres, si vous voulez une copie, dites-le nous, et le page vous donnera la pétition.
La sénatrice Ataullahjan: Je veux revenir sur ce que le sénateur Housakos a dit et sur ce que vous lui avez répondu, lorsque vous avez dit que nous devrions laisser les diplomates et les démocrates gérer les discussions en cours.
En tant que parlementaires, il y a des choses que nous pouvons dire et faire que les diplomates et les bureaucrates ne peuvent peut-être pas faire ni dire. Dois-je comprendre que nous devrions commencer à parler à l’Iran sans imposer aucune condition? Je suis d’accord avec vous au sujet du fait que nous devrions soulever ces enjeux auprès des pays amis qui éprouvent des problèmes similaires, parce que nous sommes le Canada et que nous sommes connus de par le monde pour notre position en matière de droits de la personne. Est-ce ce que je dois comprendre de vos propos?
M. Ahmadi: Essentiellement, ce projet de loi empêchera toute occasion de rétablissement des liens avec l’Iran. C’est ce que j’ai dit deux ou trois fois, et c’est la principale raison pour laquelle nous sommes contre le projet de loi et voilà pourquoi nous vous demandons de le rejeter. Il ne nous permettra pas d’aller de l’avant et de rétablir le dialogue avec l’Iran.
En ce qui a trait aux conditions, les représentants du gouvernement du Canada, d’Affaires mondiales Canada, ont les pouvoirs et l’autorité nécessaires au titre des lois et règlements actuels pour gérer ces enjeux, pour soulever ces préoccupations que nous avons relativement à l’Iran dans le cadre de conversations diplomatiques. Nous n’avons pas besoin de plus de restrictions. Le projet de loi ne fournit aucun pouvoir spécial aux représentants du gouvernement du Canada, des pouvoirs que, par exemple, ils auraient demandés ou dont ils auraient besoin afin de pouvoir rétablir le dialogue avec l’Iran.
Par conséquent, la première étape doit être de rétablir le dialogue avec l’Iran, de lui communiquer nos préoccupations. Nous avons des diplomates très compétents. Ils ont les pouvoirs nécessaires, au titre des règlements et des lois actuels, et ils pourront gérer ces enjeux durant les négociations.
La sénatrice Ataullahjan: Pour ce qui est de la question de la sénatrice Beyak au sujet de la sharia, ne croyez-vous pas que c’est un enjeu dépassé? En tant que musulmane, je ne connais personne qui veut de la sharia, surtout pas les femmes. Nous sommes très heureux avec les lois appliquées ici. Dans la communauté, je ne crois pas que ce genre de conversation n’a lieu, nulle part. C’est ce que je crois. Je ne sais pas ce que vous en pensez. Je voulais le dire aux fins du compte rendu.
M. Ahmadi: Avons-nous dit quelque chose au sujet de la sharia qui a suscité votre question?
La sénatrice Ataullahjan: Non, la sénatrice Beyak a posé une question au sujet de la sharia. Je voulais dire pour le compte rendu que, en tant que musulmane, j’estime que c’est une conversation dépassée. Je ne vois personne qui demande la sharia au Canada. Est-ce aussi ce que vous avez constaté?
M. Ahmadi: C’est ce que nous avons constaté. Notre organisation — il faut le souligner — est une organisation non confessionnelle, alors nous ne participons pas à des conversations et n’abordons pas des enjeux liés à la religion. Surtout auprès des membres de la communauté irano-canadienne avec lesquels nous interagissons, nous ne constatons aucun genre d’intérêt pour la sharia et relativement à cet enjeu.
M. Tabasinejad: Je ne dis pas qu’une mauvaise intention sous-tendait la question, mais je suis mal à l’aise lorsqu’on pose ces genres de questions à des gens qui viennent des communautés musulmanes. Cela découle d’une certaine forme d’islamophobie et ce genre de choses. Ça me rend mal à l’aise lorsqu’on pose de telles questions.
La sénatrice Beyak: J’aimerais réagir. Je veux réagir à ce que vous dites, parce que je suis d’accord avec vous. Trois de mes meilleurs amis sont musulmans... une femme et trois hommes, ils sont quatre en tout, et ils m’ont dit que ces trois questions étaient absolument pertinentes aux discussions que nous tenons au Canada, la discussion objective, parce qu’il y a encore un important engagement à l’égard de la sharia au Canada. C’est un dossier qui s’est retrouvé devant le gouvernement de l’Ontario il y a tout juste deux ou trois ans. Il y a eu un vote, et il a été dit que les musulmans réformés qui veulent venir au Canada et être des Canadiens ne veulent pas de la sharia au Canada. C’est donc une question très importante. Je suis très heureuse que la sénatrice Ataullahjan l’ait mentionné pour le compte rendu. Merci, madame la sénatrice.
La sénatrice Bovey: Je tiens à vous remercier beaucoup d’être là et de nous avoir présenté votre exposé. Je dois dire que j’étais heureuse de vous entendre parler des échanges culturels et universitaires. Je ne surprendrai personne ici présent dans la salle en affirmant que, selon moi, ces échanges sont très bénéfiques, et, en effet, Universités Canada était de passage, ici, à Ottawa, cette semaine. Bon nombre des représentants à qui j’ai parlé ont mentionné l’importance des échanges internationaux comme ceux-là.
Cela dit, je veux prendre notre question et la retourner dans l’autre sens. Vous avez parlé rapidement des enjeux liés aux droits de la personne. Si le projet de loi S-219 est approuvé, que croyez-vous que ces sanctions permettront d’obtenir? Est-ce qu’elles permettront d’améliorer la situation des citoyens iraniens? Si vous pouvez répondre à ma question, je crois qu’on pourra ainsi donner l’autre côté de la médaille de la conversation d’aujourd’hui.
M. Ahmadi: Si le projet de loi est adopté, comme nous l’avons dit, nous croyons que le processus de réengagement avec l’Iran — c’est la première réalisation — sera bloqué et que, très probablement, nous ne pourrons pas rétablir le dialogue avec l’Iran.
Pour ce qui est des sanctions. Nous savons que les sanctions sont seulement efficaces lorsqu’il y a un consensus international lié aux enjeux que les sanctions visent. Par conséquent, même si nous appliquons ces sanctions, il n’y a pour l’instant aucun consensus international à l’égard de l’imposition des sanctions contre l’Iran. Par conséquent, comme un des témoins précédents en faveur du projet de loi l’a même mentionné, ce sont des sanctions symboliques qu’on propose.
Je ne crois pas que c’est seulement symbolique. En fait, je crois qu’il y a peut-être une intention de bloquer le processus de réengagement en soulevant ces complexités bureaucratiques et juridiques, et cela, essentiellement, empêchera de poursuivre le processus de réengagement.
Les autres problèmes qui découleront de l’adoption du projet de loi, ce sont les problèmes auxquels sont confrontés les Irano-Canadiens. Pouyan, mon collègue, vous a parlé du problème lié aux banques, de l’accès aux services consulaires, ici, pour les Irano-Canadiens possédant la double nationalité, et pour les Canadiens qui se rendent en Iran et qui n’auront pas accès à des services consulaires lorsqu’ils en auront besoin. Si on bloque le processus de réengagement, nous ne pourrons pas fournir ces services, et notre communauté continuera d’avoir les mêmes problèmes.
Pour ce qui est de la question de l’engagement entre les gens, les échanges universitaires et culturels, permettez-moi de vous raconter une expérience personnelle. J’ai parlé à des représentants d’un organisme de bienfaisance canadien qui travaillent dans différents pays. Puisque les sanctions sont maintenant atténuées, j’essaie de les convaincre qu’il y a peut-être des possibilités de coopération avec des organisations de bienfaisance iraniennes. Il y a de nombreuses organisations de bienfaisance et sans but lucratif qui œuvrent en Iran. L’Iran compte une société civile très forte et très active, qui est en place depuis très longtemps, probablement depuis 100 ans et plus. La société civile a été active et engagée.
Les représentants de l’organisation de bienfaisance m’ont dit que, en raison de toutes les restrictions actuellement en vigueur, même si ces sanctions ne visent peut-être pas précisément des enjeux liés à l’aide humanitaire, les coûts, la complexité de l’engagement avec l’Iran étaient trop élevés pour l’instant et qu’il faudrait peut-être y repenser plus tard. Voilà donc pour ce qui est des enjeux et des problèmes.
M. Tabasinejad: Pour répondre directement à votre question au sujet des effets des sanctions sur les Iraniens eux-mêmes, je crois que la plupart des observateurs seraient d’accord pour dire qu’elles ont été absolument désastreuses pour les civils iraniens. Il s’agit peut-être d’une violation des droits de la personne, et je cite ici un rapport de 2013 produit par l’International Institute for Peace, Justice and Human Rights, qui indique que les sanctions ont des répercussions désastreuses sur les citoyens iraniens et violent la Déclaration universelle des droits de l’homme.
L’accès aux médicaments a été réduit, les prix ont augmenté au point où ils n’étaient plus abordables pour de grands pans de la population. Il y a eu des répercussions tout simplement désastreuses et horribles pour les Iraniens, alors nous ne devons pas nous mentir à nous-mêmes et croire que c’est une bonne chose pour le peuple iranien, parce que ce n’est pas le cas.
La sénatrice Cools: Je tiens à remercier les témoins de leur présence ici, surtout de leur lucidité et de leur remarquable objectivité et de leur dialogue serein au sujet d’un projet de loi qui pourrait être décrit comme offensant.
Je regrette de l’annoncer à mes collègues, mais je n’ai aucunement l’intention de le soutenir d’aucune façon, et je ne serai pas sensible à la persuasion à ce sujet.
Je tiens à vous dire, messieurs, que j’ai été nommée au Sénat par Pierre Elliott Trudeau, Trudeau l’Ancien. Comme William Pitt l’Ancien et William Pitt le Jeune, il y a Trudeau le Jeune. J’ai été nommé ici par l’Ancien, et j’ai eu l’occasion de connaître cet homme pour qui j’avais un profond respect.
Peu importe ses échecs et ses lacunes, ce n’est pas cela qui compte. Le monde voyait M. Trudeau comme un agent de dialogue international, et M. Trudeau croyait personnellement que, si on ne laisse pas les portes ouvertes et si on ne poursuit pas la conversation, on ne pourrait influer sur personne, sur aucun autre pays.
Je suis beaucoup plus vieille que vous, et je suis plus âgée que la plupart des gens ici, mais je me rappelle très bien lorsque M. Trudeau a fait sauter les barrières et a ouvert les portes à la Chine, et c’était un enjeu majeur à l’époque. Beaucoup de personnes avaient peur et étaient choquées. Les communistes rouges allaient peut-être venir et prendre le contrôle du Canada ou je ne sais quoi, mais son pari a réussi, et la Chine a pris une bonne place, selon moi, sur l’échiquier mondial.
Je tiens à dire très clairement que je suis en désaccord avec l’arrêt des relations diplomatiques avec l’Iran du gouvernement précédent. Je voyais là une décision à courte vue et irréfléchie, et j’aurais bien aimé que cela ne se produise jamais.
La diplomatie est un drôle de numéro. On dit que l’argent est pleutre et qu’il fuit face aux défis, mais pas la diplomatie. La diplomatie est censée être comme une main ferme prête à saisir le moment où il y a une occasion de discuter, parce que le dialogue, au bout du compte, permet d’éviter les désastres et même les guerres.
Ce projet de loi est troublant. Lorsque nous l’étudierons plus en détail, c’est quelque chose qui deviendra beaucoup plus clair, mais le principal point que je veux soulever, par rapport au projet de loi, c’est que le projet de loi n’est pas assujetti comme il se doit à une loi du Canada.
Le président suppléant: Une question, s’il vous plaît. Il y a deux autres sénateurs.
La sénatrice Cools: Monsieur le sénateur, sachez que je n’ai pas de questions à poser. Les réunions du comité et ses audiences ne sont pas des périodes de questions et de réponses. Elles sont aussi là pour formuler des commentaires, alors je vous demande de faire preuve de générosité. Merci.
Je voulais faire valoir ces faits pour vous. Le Parlement du Canada est le Parlement du Canada, pas le Parlement du monde. Et, dans notre système constitutionnel, ces décisions sont la compétence exclusive de ce que nous appelons les pouvoirs de la prérogative royale. Cela signifie que le ministre des Affaires étrangères — le ministre des Affaires étrangères du Roi ou de la Reine — peu importe le changement qui a mené à Affaires mondiales, ce sont tous des ministres des Affaires étrangères — a empiété sur cette prérogative et était, très franchement, dans l’erreur, du moins, selon moi.
J’espère que je n’ai pas été trop dure et j’espère que je n’ai pas choqué certains d’entre vous, mais nous devons nous assurer de nous en tenir à notre compétence et à nos travaux. Notre compétence en tant que Parlement du Canada, est purement nationale. Le Parlement du Canada n’a aucune compétence internationale, et ces projets de loi nous sont présentés et exigent une compétence internationale. Nous ne pouvons pas leur accorder, parce que ce n’est pas de notre ressort d’entrée de jeu.
Le sénateur Dawson:
J’étais député du temps de Trudeau l’Ancien, alors je suis
totalement d’accord avec son approche. Je suis d’accord avec le témoin en ce qui
a trait au fait que le projet de loi prévoit deux poids deux mesures. Si nous
commençons à nommer l’Iran… Si nous devions nommer tous les pays avec lesquels
nous avons des conflits, la liste serait longue. Cela dit, c’est davantage une
question, non pas pour vous, mais pour le président.
[français]
En principe, j'ai la pétition électronique, car j'ai demandé à l’obtenir. Pour moi, lorsqu'un organisme privé se présente devant un comité, ce n'est pas un manque de respect si ses documents sont distribués seulement dans une langue. Par contre, lorsqu'il s'agit d'un organisme gouvernemental, nous devons exiger le bilinguisme.
Je ne veux pas parler pour mes collègues francophones, mais, pour moi, la distribution d'un document peut se faire même s’il n'est préparé que dans une langue, lorsqu'il y a consentement de la part des membres du comité. Je pense que vous auriez eu le consentement dans ce cas, en particulier lorsqu'il s'agit d'une pétition en ligne qui est déjà accessible sur le site Internet du Parlement en français. Je voulais simplement faire le commentaire, parce que, souvent, on se prive d'information. Honnêtement, il s'agit d'une pétition de 15 000 signatures, ce qui est tout de même pertinent pour notre débat.
Je voulais aussi réitérer le fait qu'il y a deux poids, deux mesures, et que je trouve inquiétant qu'on commence à faire une litanie au sujet des pays pour lesquels on pense adopter des projets de loi. Comme le disait la sénatrice Cools, cela dépasse quelque peu le mandat du Parlement.
Le président suppléant: Merci, sénateur Dawson. Nous avons pris bonne note de vos commentaires.
[traduction]
M. Ahmadi: Je suis d’accord avec vous. Nous avons imprimé les pétitions électroniques. Elles sont accessibles sur le site web du Parlement du Canada dans les deux langues officielles. Mon assistante les imprimait. Elle croyait que l’impression serait dans les deux langues officielles. Cependant, lorsque j’ai tout amené ici, je me suis rendu compte que j’avais seulement la version anglaise, et pas la version française. Cependant, je suis tout à fait d’accord avec vous en ce qui a trait au fait que les documents doivent être accessibles et fournis dans les deux langues officielles. Merci.
Le président suppléant: Merci, monsieur.
Le sénateur Gold: Le comité a eu accès à des preuves selon lesquelles des personnes soutenues par le gouvernement ou ses institutions s’étaient adonnées à de graves violations des droits de la personne. Nous avons obtenu de telles preuves.
Nous avons aussi entendu que, en tant que gouvernement, nous devons interagir et discuter. En effet, une des victimes des violations des droits de la personne qui a comparu devant le comité voyait les choses de la même façon. Le Canada devrait-il se doter d’outils pour prendre des mesures contre des personnes pouvant avoir perpétré de graves violations des droits de la personne contre leurs citoyens, des citoyens iraniens, dans des domaines comme leur capacité de venir au Canada ou d’obtenir des visas pour venir, et la façon dont nous pourrions nous occuper de leurs biens, que ce soient des biens immobiliers ou d’autres actifs au Canada?
Vous comprendrez que je pose une question qui n’est pas liée directement au projet de loi. Je veux savoir si votre organisation, qui représente des Irano-Canadiens, croit que ces personnes en Iran qui ont peut-être commis de graves violations des droits de la personne devraient bénéficier d’une immunité ou ne courir aucun risque que le Canada limite leur accès au pays ou limite l’utilisation qu’elles font de leurs biens une fois ici?
M. Ahmadi: Merci de la question. Pour commencer, il y a déjà un autre projet de loi devant le comité qui porte sur cette question précise. Nous n’en connaissons pas le détail. Nous n’avons pas étudié en détail ce projet de loi et nous n’avons pas l’expertise juridique requise pour dire, par exemple, que le droit international prévoit déjà un certain pouvoir en ce qui a trait au fait de traduire en justice des personnes qui ont commis de graves violations des droits de la personne. Il y a déjà des lois internationales à ce sujet. Cependant, nous n’avons pas l’expertise juridique pour formuler beaucoup de commentaires sur cet enjeu.
Selon moi, tout est dans les détails. Tout projet de loi qui inclut votre suggestion doit s’intéresser aux détails. Est-ce que ce que nous demandons est fondé sur des données probantes? Ou est-ce seulement fondé sur des rapports de deux ou trois organisations sans but lucratif? Si ce sont des données probantes et des faits et si ces actions, sanctions ou interdictions, par exemple, n’auront pas d’impact sur le peuple plutôt que sur ces personnes précises, alors peut être oui. Comme je l’ai dit, il faut vraiment étudier la chose en détail avant de pouvoir vraiment formuler des commentaires ou fournir notre opinion.
Le sénateur Housakos: Dès le début, tout au long du processus, je crois que deux ou trois sénateurs ont essayé d’obtenir une réponse à cette question, et vous n’en avez pas fourni.
Je comprends votre argument au sujet de l’importance de l’engagement. Pouvez-vous nous dire quel est votre point de repère? À quel moment décidez-vous d’arrêter d’interagir avec une partie ou un État lorsque les choses ne vont de toute évidence pas dans la direction que vous voulez, ce juste milieu? Lorsque vous discutez avec quelqu’un, vous voulez vous rencontrer à un certain point. Pouvez-vous définir ce point? À quel moment mettez-vous fin aux échanges?
M. Ahmadi: J’ai très bien compris votre question, mais je crois que nous devons réfléchir aux deux poids deux mesures sous-entendus dans votre question. Si nous voulons vraiment seulement parler aux gens avec qui nous sommes d’accord et qui respectent nos points repères et nos valeurs, alors nous devrons couper les ponts et mettre fin à nos relations avec de nombreux pays qui ont de graves problèmes de violation des droits de la personne. Ce sera la première étape à prendre si nous voulons suivre la stratégie que vous suggérez ou la stratégie appliquée par l’ancien gouvernement.
Les points de repère doivent être établis par notre ministère des Affaires étrangères et nos diplomates. Dans le cadre des négociations, c’est eux qui pourront établir ces points de repère. Nos alliés européens parlent déjà à l’Iran des droits de la personne. Ils ont de telles conversations. Le Canada a l’occasion de se joindre à ses alliés dans le cadre de ces conversations sur les droits de la personne et de faire connaître nos préoccupations aux Iraniens. Nous croyons que c’est la meilleure marche à suivre, plutôt que le maintien du statu quo et le fait de ne pas interagir avec l’Iran.
Le président suppléant: Merci de vos présentations, monsieur Ahmadi et monsieur Tabasinejad. Comme vous pouvez voir, les honorables sénateurs sont très intéressés par ce dossier. Je remercie tous les sénateurs. La séance est levée.
(La séance est levée.)