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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 1er mars 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international auquel a été renvoyé le projet de loi S-219, Loi visant à dissuader l’Iran de parrainer des actes constituant du terrorisme, de l’incitation à la haine et des violations des droits de la personne se réunit aujourd’hui à 16 h 15 pour étudier le projet de loi, ainsi que pour étudier le potentiel de renforcement de la coopération avec le Mexique depuis le dépôt du rapport du comité, en juin 2015, intitulé : Voisins nord-américains : maximiser les occasions et renforcer la coopération pour accroître la prospérité (étude de l’ébauche d’un budget).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur le projet de loi S-219, Loi visant à dissuader l’Iran de parrainer des actes constituant du terrorisme, de l’incitation à la haine et des violations des droits de la personne.

Aujourd’hui, par vidéoconférence d’Indiana, nous recevons M. George A. Lopez, professeur émérite en études de la paix et titulaire de la chaire Rev. Theodore M. Hesburgh, C.S.C., de l’Institut Kroc pour les études internationales de la paix à l’Université Notre-Dame.

Merci de comparaître, monsieur Lopez. Je sais que vous avez été en communication avec la greffière et que vous savez que nous étudions ce projet de loi d’initiative parlementaire au Sénat du Canada. Nous avons entendu divers témoins nous donner leur avis sur différentes parties du projet de loi. Je présume que vous avez vu le projet de loi et que vous pourrez contribuer à nos discussions. Vous avez la parole. Nous vous poserons ensuite des questions.

George A. Lopez, professeur émérite en études de la paix et titulaire de la chaire Rev. Theodore M. Hesburgh, C.S.C., Institut Kroc pour les études internationales de la paix, à titre personnel : Merci, membres du comité. C’est un honneur d’être avec vous aujourd’hui pour vous parler de cette question très importante, à savoir comment limiter le terrorisme et améliorer et protéger les droits de la personne dans une situation difficile comme celle de l’Iran contemporain.

Comme le Canada et mon pays ont accueilli favorablement l’accord conclu avec l’Iran, c’est-à-dire l’accord certifié par le Conseil de sécurité et négocié par le 5P+1 il y a plus d’un an, nous savons que l’Iran est toujours un pays multidimensionnel dans la façon dont il interprète ses propres préoccupations en matière de sécurité et qu’il favorise souvent des actions fondées sur la haine au sein des politiques internes, qu’il réprime certains groupes religieux, qu’il fournit un énorme soutien au groupe terroriste Hezbollah — surtout dans la guerre en Syrie —, et qu’il a modifié la nature de cette lutte du peuple syrien.

L’Iran fait souvent partie des préoccupations des organismes internationaux et des organismes de défense des droits de la personne, ainsi que de celles des organismes qui surveillent les activités liées au terrorisme. Même si un grand nombre d’entre nous fondaient des espoirs sur l’élection de M. Rouhani en 2013 — il semblait être un candidat modéré —, et sur l’accord qu’il a ensuite signé avec l’Occident, il est clair qu’il n’a pas l’influence politique nécessaire ou l’envie de modifier certains comportements iraniens de longue date à l’égard du bahaïsme et du désaccord international. Souvent, comme le Canada le sait bien étant donné que l’un de ses professeurs a été détenu dans une prison iranienne pendant plusieurs mois, l’Iran n’hésite pas à emprisonner des étrangers qui sont sur son territoire pour exercer diverses fonctions qui visent à aider le peuple iranien.

Le cas de l’Iran est particulièrement troublant en raison des forces et des activités dans l’arène politique nationale et des décisions en matière de politique étrangère prises par la Garde révolutionnaire. Le projet de loi dont vous discutez aujourd’hui est encourageant, car il mentionne précisément les activités de la garde et une tentative de documenter et de préciser ces activités.

Les membres du comité savent bien comment les sanctions ciblées utilisées par votre pays, le mien et d’autres pays ont permis d’agir efficacement dans le cas d’intervenants malveillants sur la scène internationale. Nous avons maintenant une série d’outils liés au gel des actifs financiers et grâce auxquels nous pouvons cibler les comptes bancaires d’intervenants comme ceux de la Garde révolutionnaire, suspendre le crédit et contrôler les échanges financiers internationaux de ces personnes à l’extérieur de notre propre pays. Nous avons des moyens de les empêcher de mener des activités et de communiquer sur différents types de marchés financiers. Au bout du compte, nous avons la capacité d’interdire les déplacements de personnes liées à ces entités.

Ce sont tous des outils utiles et efficaces. En même temps, la plupart des chercheurs ou des praticiens dans le domaine des sanctions savent qu’il y a parfois des limites à l’efficacité de ces outils si cette efficacité est liée à la modification des comportements des personnes ciblées.

La plupart des observateurs tiennent à préciser que les sanctions réussissent à améliorer le rendement en matière de droits de la personne dans moins de 33 p. 100 des cas. Notre taux de réussite en ce qui concerne non seulement la dissuasion d’offrir des ressources aux terroristes, mais également la modification de ces ressources, est plus élevé, car il dépasse souvent 40 p. 100. Lorsqu’il s’agit des mesures concertées prises à l’échelle nationale et internationale contre Al-Qaïda, l’État islamique ou d’autres groupes, ce taux est probablement encore plus élevé.

Le débat sur l’efficacité des sanctions visant à punir les responsables de violations des droits de la personne ou à améliorer la situation des droits de la personne dans des milieux fragiles est très difficile et intense. En effet, sur le plan historique, les sanctions qui visent à améliorer les droits de la personne, même si elles sont très sévères, n’ont jamais réussi à déstabiliser un régime répressif ou un dictateur. Toutefois, elles ont réussi à protéger des droits dans certains pays lorsque des manifestations contre la répression se déroulaient à l’échelle nationale dans ces pays. Plus le régime écrase l’opposition nationale, plus il est difficile d’imposer des sanctions efficaces.

En général, lorsque les analystes parlent de la façon dont nous pouvons maximiser les effets des sanctions liées aux droits de la personne, cela dépend souvent de la mesure dans laquelle le régime ciblé ou ses intervenants dépendent de nous ou de leur interdépendance à l’égard des échanges économiques. Autrement dit, si on veut forcer, convaincre ou persuader un régime de modifier son comportement, il faut se fonder sur des éléments qui, selon le point de vue du régime, causeront de grandes difficultés économiques, car nous éliminons ou cessons le type d’interaction économique de longue date que nous avons avec le pays visé.

Lorsque les gens critiquent l’efficacité des sanctions, ils laissent souvent entendre que c’est parce qu’elles ont été mal conçues, qu’elles ne visaient pas les bons intervenants en matière de droits de la personne, ou qu’elles seront probablement mises en œuvre à moitié lorsqu’un gouvernement tourne le dos à certaines entreprises qui souhaitent poursuivre les interactions dans le pays qui fait l’objet de sanctions. Je n’observe aucune de ces faiblesses dans le projet de loi S-219. Je crois que vous avez raison lorsque vous parlez de documenter, de surveiller et de dénoncer les responsables individuels de violations au sein du gouvernement iranien lorsqu’il s’agit de questions liées aux sanctions et au terrorisme.

En même temps, les leçons tirées des deux dernières décennies nous montrent de quelle façon des sanctions visant à restreindre ou à faire cesser le terrorisme ou à améliorer les droits de la personne peuvent s’écarter du droit chemin, et nous pouvons les utiliser pour veiller à élaborer un projet de loi qui ne reproduit pas ces anciens dilemmes.

Le premier dilemme est manifestement bien connu. En effet, on considère que les sanctions sont plus efficaces lorsqu’elles servent d’outils aux responsables des politiques, comme vous, dans le cadre d’une politique plus vaste. Lorsque les sanctions deviennent des politiques de facto — le meilleur exemple est celui de l’Occident qui, dans les années 1990, a pris des sanctions collectives contre l’Irak —, on se retrouve avec un outil brisé, car il s’agit d’une politique abstraite et imprécise. Il est certainement juste de dire qu’en grande partie, ces politiques tentent d’améliorer les droits de la personne et d’éliminer le terrorisme, mais je vous encourage vivement à tenter de préciser, dans ce cadre, le type de changement de comportement que vous souhaitez voir les Iraniens adopter. Je vous recommande ensuite de prendre des mesures ciblées dans le domaine financier et dans d’autres domaines qui, à votre avis, permettront d’atteindre les cibles qui éprouveront les plus grandes difficultés économiques, afin de provoquer le changement de comportement que vous souhaitez obtenir sur le plan politique.

Deuxièmement, en ce qui concerne cette réalité des outils comparativement aux politiques, les sanctions liées aux droits de la personne ne sont pas respectées aussi rapidement que d’autres sanctions. C’est parce que les intervenants du régime ont déjà calculé les coûts et les avantages de violer les normes internationales ou ont déjà prévu que le nombre de manifestations au pays pourrait augmenter s’ils emprisonnaient les personnes qui manifestent déjà. Ils ont donc mené une analyse coûts-avantages grâce à laquelle ils ont conclu, à tort ou à raison, qu’ils étaient prêts à mettre leur survie en jeu au plus haut niveau institutionnel, et qu’ils absorberont ou détourneront certains types de difficultés économiques engendrées par les sanctions.

Dans les cas où nous avons réussi à faire respecter les sanctions liées aux droits de la personne, nous avons constaté que cette réussite était souvent partielle ou fragmentée, par exemple lorsque des prisonniers politiques ont été libérés, mais que les persécutions religieuses générales n’ont pas cessé, ou lorsqu’un soutien à des terroristes individuels est éliminé, mais que ce soutien est toujours offert à l’organisation — autrement dit, le bilan des améliorations est très inégal. Nous pouvons même soupçonner que l’intention est symbolique et qu’elle n’entraîne aucun changement concret sur le plan politique. Dans ces cas, il est difficile de poursuivre l’application des sanctions, car on tente de déterminer la façon d’obtenir le type de réaction prévu par ces sanctions.

Ainsi, les sanctions fonctionnent mieux lorsqu’elles ne punissent pas seulement les intervenants en question ou les empêchent d’avoir accès aux ressources — même s’il est très important de leur refuser des ressources — dans des régions comme la Syrie. En effet, elles sont plus efficaces lorsqu’elles enragent non seulement la cible, mais qu’elles mettent également en œuvre un mécanisme pour encourager la cible à négocier, c’est-à-dire qu’on rend sa situation assez intolérable et qu’on lui démontre qu’on est prêt à continuer dans cette voie. On peut alors reconnaître un respect partiel verbal et symbolique, mais faire valoir que la situation est maintenant devenue tellement complexe qu’il est temps de négocier. Les sanctions fonctionnent mieux lorsqu’elles amènent les responsables des sanctions et la cible à tenter de négocier pour régler la crise qui a entraîné l’imposition de ces sanctions.

Enfin, il est important de souligner que les sanctions, surtout les sanctions ciblées, représentent seulement la moitié des outils politiques qui sont souvent offerts aux décideurs. Elles représentent les bâtons. D’autres États et certains types de mesures législatives ne reconnaissent pas ou ne pensent pas au type de carotte qu’il faut mettre au bout du bâton pour récompenser la partie qui fait l’objet de sanctions si ses comportements respectent davantage les normes internationales.

Il s’agit manifestement de l’un des mécanismes qui ont fonctionné dans l’accord global sur la question nucléaire qui a été conclu avec les Iraniens, c’est-à-dire qu’on a dit aux Iraniens qu’ils pourraient recommencer à participer au commerce national et aux investissements avec l’Occident s’ils garantissaient l’accès aux inspections intrusives. Le défi pour les législateurs qui ciblent les terroristes ou qui tentent d’améliorer les droits de la personne consiste à déterminer la carotte équivalente qu’ils peuvent offrir ou que le Canada peut offrir sous la condition d’imposer d’abord les sanctions et ensuite continuer de l’utiliser pour modifier le comportement des Iraniens.

Enfin, j’aimerais formuler trois commentaires.

Je crois que ceux qui sont frustrés par la lenteur des progrès dans l’amélioration des droits de la personne par l’entremise de mesures ciblées et sévères se concentrent maintenant sur de nouvelles techniques qu’il est important d’examiner. La première et la plus importante technique pourrait être l’analyse complète des échanges commerciaux de notre pays et de nos entreprises à l’échelle mondiale en ce qui concerne les biens de communications de haute technologie, les cellulaires et les satellites qui pourraient être utilisés par un régime répressif pour cibler leurs adversaires politiques intérieurs.

C’est ce que nous avons observé dans le cas de la Syrie, où nous avons compris trop tard que les intervenants du régime Assad pouvaient cibler leurs adversaires et envoyer des tireurs d’élite avant qu’une manifestation se produise, car ils avaient intercepté des communications effectuées par téléphone cellulaire. Lorsque les manifestations ont commencé, les intervenants du régime se sont empressés d’acheter des tonnes d’équipement amélioré sur le marché international, y compris la capacité de déchiffrer des systèmes cryptés. Le brouillage et l’identification des utilisateurs et de leur position représentent donc maintenant un outil important pour les régimes oppressifs. Nous devons faire preuve de créativité et mettre au point des sanctions qui ciblent ces outils et les rendent inaccessibles aux intervenants qui utilisent la force de cette façon illégitime.

L’autre problème, c’est que nous ciblons des entités principales, par exemple des leaders puissants et des organismes d’application comme la Garde révolutionnaire, mais maintenant, les analystes en matière de droits de la personne se demandent qui sont les facilitateurs. Qui soutient ces groupes financièrement ou les aide à contrôler l’information? Il faut que les personnes qui mettent en œuvre les droits de la personne sur le terrain approfondissent leurs recherches à cet égard.

J’ai souvent pensé qu’il fallait obtenir les noms des intervenants dans les prisons qui sont, nous le savons, des prisons politiques et des salles de torture, et inscrire ces noms sur une liste. On pourrait ensuite cibler les comptes bancaires de ces personnes, même si ce ne sont pas de gros bonnets qui cachent des fonds dans des banques de Zurich. Cela indique aux gens qui permettent à ces situations de se produire qu’ils doivent modifier leur comportement.

Enfin, je crois que dans notre examen du projet de loi, nous pourrions tenir compte d’un article important, c’est-à-dire un éditorial qui a été publié dans The Guardian il y a environ 10 jours et qui a été écrit par l’analyste John Prendergast et son collègue, George Clooney, qui est très engagé à cet égard. Dans cet article, les auteurs font valoir que les techniques liées au blanchiment d’argent dont disposent les pays — ils ont surtout parlé de la Grande-Bretagne, mais également d’autres banques européennes — n’ont pas été complètement appliquées pour cibler les mouvements de fonds des kleptocraties et des responsables des violations de droits de la personne en Afrique qui ne sont pas faciles à cibler. Étant donné que les banques n’exercent pas de surveillance et que la loi ne prévoit pas de dispositions à cet égard, les gens continuent de blanchir leur argent à Londres, à New York et dans d’autres types de banques. Vous pourriez étudier la mesure dans laquelle les banques du Canada, qui sont très actives sur la scène internationale, peuvent participer à ces transactions à leur insu par l’entremise de leurs succursales à New York et à Londres et vous pourriez demander aux banquiers où ils en sont dans l’identification des fonds blanchis par des groupes comme la Garde révolutionnaire.

Je vais m’arrêter ici. J’espère qu’il n’y aura aucun problème avec la connexion vidéo, car j’ai hâte de répondre à vos questions et de discuter avec vous. Merci beaucoup.

La présidente : Merci.

Le sénateur Ngo : Merci, monsieur, de votre exposé.

Notre expérience liée aux sanctions économiques contre l’Iran se limite à empêcher la prolifération nucléaire. Ce sont donc de nouvelles techniques pour le Canada alors que nous nous demandons comment réduire les violations des droits de la personne, décourager l’incitation aux discours haineux, et réduire le terrorisme parrainé par l’État en Iran.

Quelques témoins nous ont mentionné que l’imposition de sanctions pour ces raisons éliminerait toute possibilité de rétablir des relations avec l’Iran. À votre avis, les sanctions économiques représentent-elles un moyen efficace de miner la capacité du Corps des gardiens de la révolution islamique et ses associés d’exercer leurs fonctions néfastes?

M. Lopez : C’est une très bonne question. Je vous remercie de l’avoir posée, sénateur, car elle est très importante. J’aimerais revenir sur mes derniers commentaires. Je crois que la capacité de limiter et d’influencer la Garde révolutionnaire repose sur l’analyse de la façon dont cet organisme est devenu une puissance économique dans l’investissement, les assurances et d’autres domaines au sein de l’Iran, et représente l’un des instruments principaux qui appuient le terrorisme en particulier et la répression interne à l’occasion.

Pensez aux mesures incitatives qui accompagneraient une restriction qui ciblerait la Garde révolutionnaire iranienne. Je crois que vous pourriez directement communiquer avec les représentants commerciaux iraniens pour leur dire que vous avez l’impression qu’étant donné qu’ils ont respecté l’accord sur la question nucléaire, il est maintenant possible d’envisager de créer des liens commerciaux plus serrés et d’autres initiatives avec l’Iran, mais qu’en même temps, vous êtes horrifiées par la situation des droits de la personne dans leur pays, car elle va à l’encontre des normes et des valeurs de votre État démocratique occidental. Dans l’espoir d’établir de meilleures relations et d’améliorer la situation des droits de la personne à l’échelle nationale, vous devez opposer les deux côtés au milieu. Vous devez défendre les questions liées aux droits de la personne en ciblant la Garde révolutionnaire et en veillant à ce que ses membres ne soient pas en mesure de déplacer leurs fonds à l’intérieur et à l’extérieur du pays et de les utiliser illégalement. Mais en même temps, il faut permettre à vos entreprises, à vos sociétés et à vos banques de faire des affaires avec l’Iran, afin d’améliorer la situation économique des citoyens iraniens ordinaires. Je crois qu’ils aimeront ce mélange de mesures incitatives et de restrictions, même s’ils ne manquent jamais de condamner votre intrusion dans leur politique intérieure.

Le sénateur Ngo : À votre avis, si le Canada renouvelle son engagement avec l’Iran, cela pourrait-il détourner l’attention des violations des droits de la personne et du soutien au terrorisme qui se produisent dans ce pays?

M. Lopez : Je crois que c’est le cas au lendemain de l’adoption d’une telle politique, quand vous vous retrouvez à faire l’objet des critiques cinglantes d’organisations de défense des droits de la personne qui estiment que cette action immédiate équivaut à vous défaire de vos valeurs et de vos normes. Mais encore là, vous pourriez vous donner un peu plus de latitude avec les critiques et, en plus, espérer faire avancer les choses sur le terrain en Iran si vous adoptez une politique générale et claire selon laquelle nous ne pouvons pas changer leur comportement sans une mobilisation plus complète; pour soutenir cette politique générale, vous auriez un outil devant être utilisé pendant 6 mois, 1 an ou 18 mois, qui serait surveillé, examiné et évalué de façon continue.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre présence, aujourd’hui. Si vous me le permettez, je vais poursuivre avec votre principe de la carotte et du bâton. Ma question est liée à des aspects particuliers du projet de loi. Je me demande s’il s’agit d’un instrument trop répressif pour l’accomplissement des deux grands objectifs de la politique générale dont vous avez parlé. J’aimerais en particulier me concentrer sur le paragraphe 5(1), dans lequel on précise que les mesures peuvent être modifiées, notamment pour en atténuer l’effet, si dans deux rapports consécutifs, aucune preuve crédible n’établit que des actes constituant une activité terroriste, du soutien du terrorisme ou de l’incitation à la haine ont été commis, ou si l’Iran a réalisé des progrès considérables dans le respect des droits de la personne.

S’il nous faut une combinaison d’instruments d’intervention comportant des sanctions et des mesures incitatives — des récompenses possibles —, ce projet de loi pourrait-il être trop répressif pour réaliser ces objectifs?

M. Lopez : Je suis content que vous posiez cette question. J’estimais honnêtement qu’il ne m’appartenait pas, en tant que citoyen de votre voisin du sud, de soulever dans ma déclaration liminaire certaines préoccupations sur la portée du projet de loi, mais puisque vous avez posé cette importante question, je vais me comporter en bon voisin et y répondre.

Je me préoccupe aussi de cela. En même temps, l’un des aspects de la dynamique de la carotte et du bâton, c’est qu’il est toujours facile d’inscrire en droit les détails liés au bâton. La carotte vient plutôt généralement du ministère des Affaires étrangères et du Cabinet du premier ministre, et non du Parlement. Ce que le Parlement pourrait devoir faire serait d’approuver un nouvel accord bancaire ou commercial, de transmettre au ministère et au premier ministre des messages voulant qu’il s’agisse d’une initiative importante à mettre en place et qu’elle fonctionne de concert avec les sanctions qui viennent d’être adoptées.

Je crois cependant qu’au premier degré, si vous voulez combiner la carotte et le bâton, il est important de comprendre que nous inscrivons en droit le bâton, mais qu’il faut une responsabilisation de la société civile et du gouvernement pour ce qui est de la carotte.

Je vais maintenant vous parler du paragraphe 5(1) et de la question des deux années consécutives. Si j’étais l’unique auteur, je penserais à un suivi de six mois et je préciserais clairement que nous allons essayer de tirer profit des améliorations limitées, mais évidentes, pour certains aspects des droits de la personne et de la diminution du soutien du terrorisme, et que nous avons prévu assez de diversité dans les sanctions pour que nous puissions retirer ou suspendre certaines choses — il y aura des débats — en guise de récompense pour l’amélioration du comportement.

Nos bons collègues des droits de la personne vont nous attaquer parce que nous acceptons trop peu de choses, et ce, trop facilement, et que nous les récompensons, mais nous savons que les punitions et l’isolement ne donnent pas lieu à des changements non plus. Nous voulons donc ce genre de contrepartie avec les Iraniens, et nous voulons qu’il soit très clair que l’amélioration du comportement sera remarquée et reconnue. En même temps, nous allons rechercher une accélération de l’amélioration des comportements pour en venir à des relations économiques plus normales et pour retirer les sanctions. Dans un monde idéal, nous allons négocier cela directement avec les Iraniens.

Il faut entre autres se rappeler que nous en sommes à peut-être 6 mois, certainement à 12 mois de la perspective d’un cessez-le-feu complet qui mettra fin à la brutalité en Syrie. Le Hezbollah rentrera en grande partie chez lui. Toute aide financière que l’Iran donnerait au régime restant — probablement Assad — sera vue par eux comme un élément d’un important programme d’aide multilatérale visant à rétablir la stabilité dans cet État brisé.

Où le Canada veut-il être, à ce moment-là? Quand les Iraniens auront cessé de financer le Hezbollah et la Syrie, et que le Hezbollah rentrera, voulez-vous avoir déjà établi des liens avec les Iraniens de manière à perpétuer ce qui représente une grande tradition canadienne : aider les sociétés à se reconstruire et à consolider la paix après une crise humanitaire? Vous vous seriez alors déjà engagés à cette combinaison de la carotte et du bâton.

Ma réponse est longue et je m’en excuse, mais je pense que c’est un aspect critique de la structure de votre projet de loi. Encore là, il ne s’agit pas d’avoir un outil qui devient la politique, mais d’avoir une vision stratégique plus générale qui tient compte des réalités sur le terrain, en particulier en Syrie.

Le sénateur Oh : Monsieur Lopez, vous êtes un spécialiste des sanctions économiques et de la consolidation de la paix. J’aimerais vous entendre sur la façon dont le Canada pourrait le plus stratégiquement établir des liens avec l’Iran. Puisque vous êtes à l’Université Notre-Dame, pourriez-vous aussi nous dire si le type de rapprochement tenté par les États-Unis avec l’Iran a remporté du succès?

M. Lopez : Merci de m’avoir qualifié de spécialiste. C’est parfois un fardeau, et parfois, un bonheur, bien sûr.

Permettez-moi de commencer par vous parler plus généralement de rapprochement. Où le Canada veut-il se situer concernant les relations diplomatiques avec l’Iran? Est-ce que l’Iran est une nation qui a convenu de se soumettre au régime d’inspections le plus intrusif de l’histoire et qui a été à la hauteur de la dynamique complète d’un accord que le 5P+1, le Conseil de sécurité et l’AIEA ont imposé? Selon tous les éléments de preuve que nous avons, la réponse est oui. C’est la raison pour laquelle dans mon propre pays, si vous me permettez d’utiliser cet exemple, un candidat qui a été élu et qui a dit « c’est un mauvais accord et je vais le faire sauter dès le premier jour » n’en parle toujours pas maintenant; son propre personnel chargé de la politique étrangère se dit qu’il a peut-être de plus gros problèmes qu’un accord avec les Iraniens qui fonctionne bien.

Ce qui me préoccupe concernant les actions de mon propre pays, compte tenu des possibilités qui s’ouvrent peut-être au Canada, c’est que je pense que ma propre assemblée législative, le Congrès américain, a mélangé incorrectement le bâton et la carotte en adoptant des dispositions législatives en décembre et en projetant probablement d’en adopter d’autres et d’étendre la portée des sanctions existantes afin de condamner l’Iran pour violation des droits de la personne et soutien du terrorisme et de soumettre à de nouvelles sanctions plus directes et complètes d’autres acteurs — dans notre cas, en tant que principal partenaire dans le débat avec les Iraniens concernant le nucléaire. Il ne fait pas de doute que l’Iran a ce mauvais comportement, mais si vous voulez tirer le maximum des sanctions en les levant comme nous l’avons fait dans l’ère nucléaire, il ne faut pas faire obstacle à des entreprises comme Boeing, les systèmes bancaires et divers autres acteurs parce qu’ils ont maximisé sans tarder leurs liens économiques avec l’Iran. Nous pourrions utiliser cette dynamique économique positive comme seules les entreprises américaines peuvent le faire rapidement avec les intérêts iraniens, à certains égards, de manière à ensuite aborder le problème des droits de la personne.

Certains d’entre vous se souviendront du grand débat qui s’est amorcé dans la société occidentale au cours des années 1970, mais en particulier vers la fin des années 1980 et dans les années 1990 concernant la meilleure façon de faire face au régime d’apartheid de l’Afrique du Sud. Une majorité disait qu’il fallait les isoler, les punir et ne pas traiter avec eux. Aux États-Unis, on a parlé d’un rapprochement constructif, et divers autres pays occidentaux ont discrètement ou directement admis que cela pourrait être une bonne façon de préparer l’Afrique du Sud à une transition complète. Les sanctions ont joué un rôle, mais la stratégie plus générale de commerce et de rapprochement aussi.

En réponse à votre question, pour vous, au Canada, où sont les plus importants liens économiques avec les entreprises, l’éducation, les sciences et les technologies en Iran, et quelles sont les diverses démarches diplomatiques — pour établir, même, des relations diplomatiques grâce à une ambassade? On le ferait sous toute réserve, en se bouchant un peu le nez, mais ce serait en supposant que le comportement de l’Iran risque davantage de s’améliorer que si on continue de l’isoler et de le punir.

Le sénateur Woo : Vous nous avez très bien représenté les choses avec la métaphore du coffre à outils, de la carotte et du bâton. Vous essayez de nous dire qu’il nous faut un ensemble de mesures et que nous ne devrions pas miser sur des instruments uniques pour tenter de changer les comportements de mauvais joueurs comme l’Iran.

Je veux revenir à la question précédente, que vous avez soulevée au début de votre témoignage, soit l’efficacité des sanctions, en particulier le degré des effets que le pays infligeant les sanctions peut imposer à sa cible.

N’hésitez pas à faire des observations sur le Canada en fonction de votre perspective américaine. Nous voulons vraiment votre point de vue. Nous voulons savoir comment vous voyez le poids que nous avons vraiment, notre capacité de susciter des changements dans le comportement de l’Iran, étant donné ce que vous savez ou ce que vous ne savez pas sur notre situation économique actuelle et d’autres mesures de rapprochement avec l’Iran. Dans quelle mesure sommes-nous en mesure de changer le comportement à Téhéran?

M. Lopez : Je crois que c’est très faible, parce que vous n’avez pas le volume et la diversité d’interactions économiques nécessaires. À moins que vous ayez des liens de deuxième niveau avec des filiales et d’autres entreprises de votre pays qui, par l’intermédiaire de l’Europe ou de l’Afrique du Nord, ont des liens avec l’Iran — des choses qui ne sont pas très évidentes —, je pense que votre poids est relativement faible.

Il y a donc deux aspects à la question. Pour ce qui concerne les divers outils à la recherche d’une politique générale, est-il sensé pour un pays qui n’a pas une ambassade et des relations diplomatiques complètes avec le gouvernement iranien d’imposer des sanctions? Le parallèle à faire est la situation de mon pays par rapport à la Corée du Nord. Nous devons mobiliser bien d’autres pays qui, comme la Chine, ont du poids, une interaction économique, et qui seront de notre côté quand nous nous prononcerons sur le refus d’importer d’autre charbon. Nous n’importons pas de charbon de la Corée du Nord. Votre situation est semblable.

La deuxième partie de la question, c’est que je reconnais qu’à titre de législateurs, vous devez faire valoir les normes et les valeurs des bons citoyens canadiens qui vous ont élus. Nos démocraties ont le même principe : aucune violation grave des droits de la personne et aucun soutien du terrorisme ne doivent être passés sous silence. Il faut les critiquer et les condamner au moyen d’outils stratégiques. Donc, pour ce qui est de dire comment le mieux représenter vos électeurs et mettre de l’avant les valeurs du Canada, les sanctions sont parfois un bon raccourci. Je vous poserais la question suivante : pouvez-vous faire valoir ces valeurs, renforcer ces normes, condamner, sans vous engager au moyen d’outils économiques stratégiques à l’étranger qui auront peu d’effet?

Le sénateur Woo : Je vous remercie beaucoup. C’est très utile. Vous avez peut-être répondu à ma deuxième question, mais je vais la présenter directement. L’enjeu est le rapprochement diplomatique et la question de savoir si un projet de loi comme celui-ci, qui impose des sanctions, entravera nos possibilités de rétablir des liens avec l’Iran. D’après ce que vous avez dit, je pense que vous savez que nous n’avons pas d’ambassade en Iran. Nous essayons. Nous essayons depuis le changement de gouvernement de rétablir des liens et d’y installer une ambassade. Certains des tenants de ce projet de loi sont d’avis que nous ne devrions même pas essayer. Ce projet de loi devrait constituer notre test décisif à savoir si nous devons, en fait, nous rapprocher diplomatiquement. D’autres estiment que le rapprochement diplomatique devrait faire partie du coffre à outils dont vous parlez.

Vous avez tenu des propos nuancés quant à votre position sur la question. Pouvez-vous nous parler avec moins de nuances?

M. Lopez : Bien sûr. Merci. Je pense que M. Rouhani a affirmé qu’il faut que la croissance d’une réforme modérée en Iran donne des résultats supérieurs concernant leur interaction avec le reste du monde. Par conséquent, plus les États occidentaux comme le Canada et les États-Unis travaillent activement à établir des liens diplomatiques et politiques plus serrés, plus le successeur de Rouhani risque de poursuivre le long processus de changement.

Votre collègue a dit tout à l’heure que je suis un spécialiste en matière de consolidation de la paix. Mon côté consolidation de la paix reconnaît que, si vous avez une guerre qui dure 30 ans, il va vous falloir 30 ans pour rétablir une paix viable et solide. L’impasse que connaissent la plupart des pays avec la République islamique dure depuis 35 ans, et il faudra une longue série d’interactions positives et progressives — deux pas en avant, un pas en arrière — pour améliorer les relations. Ces sanctions, ce sont pour moi deux pas en arrière, avant quelque pas que ce soit en avant. Je pense qu’il faut mieux placer les dominos.

Donc, si je travaillais pour vous en tant que conseiller, en particulier si j’avais la chance d’être un Canadien, je conseillerais à M. Trudeau et à vous d’explorer tous les moyens possibles d’établir de solides relations et de dire que le Canada va appuyer un pays qui a fait ce qu’aucun autre pays n’a fait. L’Iran s’est dénucléarisé et a abaissé le risque d’une guerre sérieuse dans la région. Nous avons d’énormes différends en raison de nos régimes, mais ces différends doivent maintenant être discutés entre deux États puissants qui veulent agir dans l’intérêt supérieur de chacun.

Le sénateur Woo : Merci.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie beaucoup. Je dois dire que je trouve votre liste de publications vraiment impressionnante. Je vous félicite.

J’aimerais que nous parlions maintenant du peuple iranien. Dans un article que vous avez rédigé il y a un certain temps, en 2010, et qui a été publié dans le Bulletin of the Atomic Scientists, vous avez parlé de l’efficacité des sanctions imposées à l’Iran, à ce moment. Vous avez écrit :

… des sanctions pourraient avoir l’effet contraire. Dans les nations où il existe une forte opposition interne, comme en Iran, les sanctions donnent aux dirigeants assiégés du pays un outil de politique classique qui vise à encourager le peuple à se rallier autour du drapeau, ce qui justifie encore plus de répression interne qu’on attribue à l’urgence politique et économique causée par les sanctions.

Avec quelques années de recul, je me demande ce que vous pensez de ce que vous avez écrit, compte tenu du climat actuel et concernant ce projet de loi en particulier.

M. Lopez : Je vais commencer par ma propre évaluation de mon propre pays, puis ce que je dis du projet de loi sera presque évident. En concluant l’accord sur le nucléaire et en le mettant en application, nous avons enlevé à une majorité des élites iraniennes et à certains citoyens la possibilité d’utiliser comme argument que nous sommes le grand et implacable Satan. Après leur avoir enlevé cela d’un côté, nous le leur avons en partie redonné en adoptant de nouvelles dispositions législatives visant à les punir en cas de violations des droits de la personne et d’infractions semblables plutôt que de faire un rapprochement en faisant des choses qui favoriseraient la liberté de presse et les études universitaires avancées en Iran et en trouvant des moyens d’aider à la croissance de l’organisation de la société civile que nous savons à la base d’une démocratie non répressive.

Donc, au sujet de votre projet de loi, la question est de savoir où se trouve la grande intervention canadienne permettant de responsabiliser les organisations de la société civile comme le font ailleurs, depuis des années, l’Association internationale de développement et des organisations privées du Canada. En l’absence de cette intervention et d’un effort pour aider la société civile en Iran, afin de faire tomber le mythe stéréotypé selon lequel nous ne sommes intéressés que par l’effondrement de l’Iran qui serait causé par des mesures stratégiques agressives et la normalisation économique, ce projet de loi devient absolument contre-productif, et je ne crois pas qu’il vous permet d’atteindre vos objectifs.

Je doute que M. Rouhani soit le genre de personne qui chercherait à rallier les gens autour du drapeau. Il serait réduit au silence, et c’est Khamenei qui jouerait ce rôle. L’autre option serait que nous ayons l’élection d’un autre Ahmadinejad, qui clamerait haut et fort : « Vous voyez, je vous l’avais dit. Les Canadiens, les Américains, les Britanniques, ils s’en fichent. »

La sénatrice Bovey : Merci.

La sénatrice Ataullahjan : Le sénateur Woo a posé ma question, mais je voulais aussi vous demander votre opinion. Est-il préférable d’amorcer un dialogue plutôt que de nous retirer complètement? Dans quelle mesure est-il possible que la Garde révolutionnaire ou le Tout-Puissant deviennent encore plus puissants si personne ne remplace les hauts dirigeants? Quelle est la possibilité de cela? Ils sont très intransigeants envers l’Ouest.

M. Lopez : Je ne suis pas assez expert des questions iraniennes pour répondre avec l’exactitude que mérite votre bonne question, mais je pense que pour ceux parmi nous qui ont surveillé le comportement de l’Iran relativement à la production de matières nucléaires et qui ont découvert l’incroyable influence politique des gardiens de la révolution dans les domaines du transport, de l’assurance, du blanchiment d’argent, de la contrebande de pétrole et d’autres activités, l’accord sur le nucléaire n’a aucunement atténué ces puissants contacts et cette disposition au pouvoir.

Par conséquent, je pense que nous devons user de prudence par rapport aux Iraniens en ayant du renseignement de haut niveau pour comprendre les moyens auxquels pourraient recourir les gardiens de la révolution pour essayer d’affaiblir la politique d’engagement que nous tenterions de mettre de l’avant et, en même temps, en comprenant que les dirigeants civils en Iran font face à un problème très grave au sein de la garde révolutionnaire s’ils cherchent à être plus libéraux que M. Rouhani l’a été.

Pour ce qui est de l’engagement, les Occidentaux doivent se demander comment trouver des moyens d’accroître l’influence des dirigeants iraniens qui savent qu’une grande élite économique puissante et souvent criminelle mène des activités dans la région. Comment peut-on trouver des moyens d’assurer un contrôle civil de ces activités et de dresser un plan décennal qui indique comment procéder? Ce n’est pas possible en s’appuyant sur deux années de législation.

La présidente : Dans le même ordre d’idées, nous venons maintenant d’entendre des témoins au sujet de l’Iran, mais nous en avons entendu d’autres au moment des négociations sur le nucléaire, et ils nous ont dit que M. Rouhani donne peut-être une meilleure impression, mais qu’il tient et participe autant aux activités des anciens dirigeants. Autrement dit, il a un visage moderne, mais les mêmes penchants, et la garde révolutionnaire, comme l’a dit la sénatrice Ataullahjan, est essentielle pour exercer un contrôle.

Vous semblez croire que Rouhani dirige une sorte de nouvelle vague de leadership. Sur quoi appuyez-vous cette affirmation? Des témoins nous ont dit que cela n’arrivera pas, que les élites sont toujours aux commandes et qu’on n’y peut rien. Cela ne changera pas à la suite d’élections ou d’une campagne de sensibilisation, d’une prise de conscience. Comment pouvez-vous croire autant à un changement attribuable à Rouhani, contrairement à d’autres personnes?

M. Lopez : Je ne vais pas me cacher derrière ce que j’ai dit tantôt, à savoir que je ne suis pas un expert des questions iraniennes, et je vous demande d’exclure les États-Unis de ce que je m’apprête à dire.

Nommez-moi un pays qui n’a plus la plupart de ses principales élites en place à la suite d’élections, même s’il s’agit d’élections libres. L’une des réalités d’un gouvernement moderne, notamment lorsqu’il s’appuie sur des idées théocratiques pour se dire révolutionnaire, c’est qu’il change extrêmement lentement.

D’après mon expérience auprès de responsables iraniens dans le domaine du nucléaire et de la défense, la marge de manœuvre à leur disposition est beaucoup plus grande sous ce dirigeant. En fait, ils ont même pu indiquer à Khomeini pourquoi un accord sur le nucléaire auquel on a évité d’accorder toute forme de soutien était maintenant viable en 2015, et qu’il serait beaucoup moins avantageux de s’abstenir. S’agit-il de la grande percée libérale attendue en Iran? Non. Est-ce possible que M. Rouhani, comme beaucoup de politiciens, ménage la chèvre et le chou, et qu’il s’en prend plus particulièrement au centre lorsqu’il doit jouer la carte de la culture ou de la religion? Oui.

Je veux toutefois que Rouhani soit confronté à une augmentation considérable de la capacité et de la croissance économiques compte tenu de nouvelles possibilités et de nouvelles investitures en Occident, où on se penche maintenant sur ce que qui s’est produit, comme nous le savons, dans les démocraties occidentales. Plus une population réalise des gains économiques, plus elle exige et souvent obtient des libertés politiques.

La présidente : Le rapporteur spécial des Nations Unies brosse un sombre tableau des droits de la personne en Iran, et je pense que la prospérité économique sera probablement quelque part entre les mains de ceux qui en jouissent déjà. C’est une part considérable de la communauté, mais cela ne va pas plus loin, même avec l’accord sur le nucléaire, et les indicateurs de la répression sont toujours là. Tous ceux qui dénoncent la situation sont emprisonnés, et nous savons que de nombreuses femmes le sont, dans ce cas-ci, et que les choses ont très peu changé au chapitre des droits de la personne.

Lorsqu’on n’impose pas de sanctions, comme vous l’avez dit, on obtient un effet favorable à un mouvement symbolique ou autre. À quel moyen de pression pouvons-nous recourir pour défendre les droits de ceux qui souffrent, qui sont emprisonnés et exécutés en Iran de nos jours? Que pouvons-nous faire, et pas seulement sur le plan moral? Ce que je veux dire, c’est que nous avons une responsabilité à l’égard de la communauté internationale, au-delà de nos propres frontières. Quel moyen de pression utiliseriez-vous?

M. Lopez : La situation que vous venez de décrire me touche personnellement beaucoup. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et regarder ce genre de choses se produire.

Sur le plan pratique, il y a deux aspects au dilemme. Un État qui a de nombreuses relations économiques avec les dirigeants concernés, et dans le pays, exerce une influence beaucoup plus importante qu’un pays qui n’a que des relations très limitées. Donc, la solution politique serait peut-être de renforcer vos liens économiques dans le but d’avoir plus tard l’influence nécessaire.

Par ailleurs, à défaut de pouvoir influencer les gens qui exercent une répression, nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour offrir une meilleure protection, pour donner du pouvoir aux personnes ciblées par la répression et trouver des moyens de les aider? Je pense que cela renvoie à la question d’accroître l’influence de la société civile, de protéger les intervenants religieux, de trouver des façons de renforcer la sécurité et de faire en sorte qu’il est plus facile pour les Iraniens qui le souhaitent de quitter le pays, en ne les excluant pas des ordonnances en matière d’immigration et ainsi de suite, et de songer à un plan décennal grâce auquel nous pourrions être en mesure, espérons-le, d’encourager les pans de la société iranienne qui veulent une réforme.

Nous devons adopter une approche semblable à celle d’Amnistie internationale ou de la Croix-Rouge internationale en nous rendant aux prisons pour que les gens sachent qu’ils ne sont pas seuls. Nous pouvons trouver des moyens, par l’entremise de nos journalistes, de nos éducateurs et ainsi de suite, de condamner le comportement sans étouffer économiquement les secteurs centraux qui essaient de jouer un jeu politique et économique prudent et qui attendent que les choses s’améliorent.

Je crains beaucoup que les répercussions des sanctions finissent par se faire ressentir par les personnes plus favorables à la démocratie et à la libre entreprise qui voulaient tirer parti des avantages d’un accord sur le nucléaire, mais qui n’en profitent pas. C’est en partie dû à l’attitude des élites iraniennes, mais aussi parce qu’il n’y a tout simplement pas assez de ressources au pays.

La présidente : Vous avez mentionné qu’Amnistie internationale et les Nations Unies ont toutes les deux très peu d’influence en Iran, pour ce qui est de se rendre aux prisons qui sont surveillées de près. Vous dites que nous pourrions nous y rendre. Proposez-vous tout simplement que nous continuions d’encourager des organisations multilatérales, ou pensez-vous que nous pouvons faire quelque chose d’autre?

M. Lopez : Je pense qu’il faut compter sur l’effet combiné des organisations multilatérales, de l’accent mis sur les cessez-le-feu et la paix en Syrie — et j’espère que c’est pour bientôt — et de la recherche d’une façon d’accepter que l’Iran joue un rôle — tant négatif que, c’est possible, positif — en vue d’une reconstruction stable et — espérons-le — du retour protégé de nombreux Syriens dans leur pays d’origine. Je crois qu’on voit même de la part des Iraniens une pointe de comportement encourageant par rapport aux droits de la personne — même si c’est minime. Il faut essayer de trouver une façon de faire passer les camions d’aide internationale et des moyens de faire assumer aux Iraniens une plus grande responsabilité relativement à certaines bonnes intentions, qu’ils semblent afficher directement ou indirectement.

Soyons réalistes, il a fallu beaucoup de temps pour renverser tous les dictateurs répressifs que nous avons connus, et on le doit surtout aux citoyens qui sont dans leur propre pays. Plus nous pouvons aider ces citoyens, mieux c’est et plus ils s’en sortiront bien à long terme.

La présidente : Monsieur Lopez, nous sommes arrivés à la fin de notre séance. Merci beaucoup de vos points de vue sur le projet de loi, et sur l’Iran. J’espère que vous continuerez de vous pencher sur la question.

Je cherche toujours un moyen d’aider les Iraniens. La situation remonte à très longtemps. Nous avons très peu de moyens de pression. Dites-nous si vous avez une autre idée qui pourrait nous mener à quelque chose de nouveau, car nous semblons hésiter entre échanges et pas d’échanges, ou sanctions ou pas de sanctions. Je vous suis reconnaissante d’avoir fait part du contexte plus large de la politique étrangère. Nous pouvons peut-être continuer de travailler au mieux-être des gens en Iran.

Merci de vous être joint à nous. Nous avons survécu à la vidéoconférence. C’est la bonne nouvelle.

M. Lopez : Félicitations. Merci beaucoup de m’avoir écouté. Je suis heureux de vous avoir parlé.

La présidente : Poursuivons. Nous avons un point sur lequel nous devons nous pencher en séance publique. Pour cette partie de la séance, le budget vous a été distribué.

Vous vous rappelez sans doute que tout a commencé il y a deux ans lorsque nous nous apprêtions à présenter notre rapport trilatéral à la demande du Parlement du Mexique. Malheureusement, nous n’avions pas pu le faire à défaut de recevoir les fonds nécessaires de la régie interne. Le Parlement du Mexique ne siégeait malheureusement pas lorsque nous les avons reçus. Il y a ensuite eu des élections, le comité a été reconstitué et ainsi de suite.

Nous avons mis le rapport de côté, et à la suite des événements récents survenus sur le continent, nous l’avons relu et avons estimé qu’il est aussi pertinent aujourd’hui qu’au moment où nous l’avons rédigé. Comme vous le savez, le comité directeur a recommandé que le déplacement ait lieu. Ce sera la semaine prochaine. Nous avons reçu un financement d’urgence de la régie interne pour permettre à un groupe plus grand de se déplacer. L’invitation m’avait d’abord été adressée. J’ai laissé entendre qu’il fallait au moins que la vice-présidente et moi soyons présents. Les membres du comité directeur ont ensuite été inclus. Le comité directeur compte maintenant un plus grand nombre de membres, ce qui veut dire que quatre sénateurs, plus le personnel, iront présenter notre rapport au Parlement du Mexique mercredi prochain.

On l’a déjà porté à votre attention. Ce que nous avons dû faire — et ce que notre greffier a fait —, c’est prendre 9 000 $ dans notre budget précédent et demander un financement d’urgence de 10 000 $. Nous sommes saisis du budget qui comprend cette somme supplémentaire. On l’a fait circuler. Quelqu’un souhaite-t-il présenter une motion pour adopter le budget supplémentaire qui sera soumis au greffier principal du comité? Il est occupé.

La sénatrice Cordy : Je m’apprêtais à proposer la motion. Je pensais qu’il était préférable qu’elle ne vienne pas d’une des personnes qui se rendront là-bas.

La présidente : Merci. Est-ce que quelqu’un a quelque chose à ajouter? Est-ce la volonté du groupe? Est-on d’accord?

Des voix : D’accord.

La présidente : Merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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