LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 13 avril 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été déféré le projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et ses États membres et comportant d’autres mesures, se réunit à 10 h 30 pour étudier le projet de loi.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Chers collègues, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui pour poursuivre l’étude du projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et ses États membres et comportant d’autres mesures.
Je demande à mes collègues et à nos témoins de bien vouloir nous pardonner notre retard. Le comité qui nous a précédés ici n’a pas vidé les lieux assez tôt pour nous, nous occasionnant un retard qui nous a empêchés d’organiser notre vidéoconférence. Toutes mes excuses. Je crois que nous serons assez efficaces pour permettre à chacun de faire son exposé ou de poser ses questions. Ainsi va la vie sur la Colline. Toutes mes excuses aussi au prochain groupe de témoin, qui risque aussi d’être retardé. Nous voulons entendre tous nos témoins aujourd’hui.
J’ai le plaisir d’accueillir M. Pierre Marc Johnson, qui est le négociateur en chef du gouvernement du Québec pour l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et avocat-conseil du cabinet juridique Lavery de Billy. Nous accueillons aussi M. Armand de Mestral, professeur honoraire et titulaire de la chaire Jean Monnet de droit de l’intégration économique internationale à l’Université McGill, par vidéoconférence depuis Washington; M. Jeremy de Beer, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa; et M. Gus Van Harten, professeur agrégé à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York. Messieurs, soyez les bienvenus au comité.
Nous vous entendrons dans l’ordre dans lequel vos noms figurent dans l’ordre du jour. Après les exposés, il y aura une période de questions. Monsieur Johnson, vous êtes notre premier témoin.
Pierre Marc Johnson, avocat-conseil, Lavery de Billy, à titre personnel: Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, particulièrement ceux que je connais qui sont du Québec.
[Français]
Le Québec a voulu cet accord, et il l'a voulu parce qu'il y a depuis plus de 30 ans un vaste consensus politique selon lequel le libre-échange est une bonne chose. Je dis bien « consensus », car l'unanimité n'existe pas en démocratie, mais disons que même ceux qui peuvent s'y opposer, dans le cas des élus en tout cas, sont prêts à vivre avec le résultat de ces négociations en général. Deuxièmement, le Québec est satisfait du contenu de cette négociation avec l'Europe.
Je résumerai brièvement l’état de la situation en ce qui concerne les tarifs, le tarif moyen en Europe était deux fois plus élevé que le tarif canadien sur les biens. Deuxièmement, il y avait des tarifs extrêmement élevés en Europe sur un certain nombre de produits et qui disparaîtront. C'était moins vrai pour le Canada, sauf en matière agricole en ce qui a trait à la gestion de l'offre, qui a pourtant été réchappée d'une application mur à mur de cette abolition de tarif. Ensuite, il y a un assouplissement des règles d'origine. Il est évidemment beaucoup plus facile pour 28 États européens qui comptent 500 millions de personnes de produire à peu près n'importe quel bien qu’il ne l’est pour 35 millions de Canadiens sur un territoire comme le nôtre, et qui n'offre pas un certain nombre de produits, de produire des biens qui seraient tous canadiens. Donc, l'assouplissement des règles d'origine, c'est-à-dire des intrants dans les produits, était important, et un certain nombre de ces assouplissements ont vu le jour grâce à cette intervention.
Troisièmement, il y a un obstacle technique important à l'exportation vers l'Europe pour nos PME qui, jusqu'à maintenant, existait et qui sera maintenant modifié. Il s’agit des épreuves de certification de produits. Pour qu'un produit puisse apparaître sur le marché européen, il faut que ce produit ne présente pas de problème à l'égard de l'environnement, de la sécurité des personnes ou de la santé des personnes. Il fallait donc que nos entreprises qui mettaient au point des produits de nature technique ou technologique, ou dans le secteur de la construction, le secteur biomédical et dans dizaine d'autres secteurs se rendent en Europe et fassent valider ces produits en fonction des normes européennes qui sont parfois différentes des normes canadiennes pour des raisons de culture, d'habitudes, de consensus ou simplement pour des raisons protectionnistes.
Maintenant, nos manufacturiers pourront se rendre à un laboratoire canadien qui appliquera à la fois le cahier de charges canadien et le cahier de charges européen dans les tests sur les produits pour s'assurer que ces produits ne constituent pas une menace pour l'environnement, la santé ou la sécurité des personnes. Donc, cette dimension qui s'ajoute au tarif et à l'assouplissement des règles d'origine était une dimension essentielle.
Il reste évidemment des questions liées à d'autres obstacles techniques au commerce qui proviennent de la réglementation, mais la mise sur pied d'une série de comités et d'une volonté de collaboration entre l'Europe et le Canada présente, je crois, une avenue qui était la seule et la meilleure possible dans les circonstances, faute d'une harmonisation de l'ensemble des règlements, que je ne verrai certainement pas de mon vivant.
Il y a, par ailleurs, dans cet accord, une ouverture en matière de services et de marchés publics qui en fait un accord beaucoup plus large qu'un accord qui ne porte que sur les biens, à la fois quant à la mobilité des personnes dans le milieu des affaires ou à l'intérieur même d'une entreprise donnée. Il y a également des comités en matière d’environnement, de développement durable et de travail qui ont été créés et qui seront des lieux de coopération, comme ce sera le cas aussi en sciences et en technologie, entre l'Europe et le Canada, et le Québec s'en réjouit.
Le Québec se réjouit aussi de la participation qu'il a pu avoir dans cette négociation. Grâce à l'ouverture du négociateur en chef et du ministère du Commerce international, non seulement cette présence et cette participation ont-elles permis de faire valoir de façon claire les endroits où les provinces devront modifier leur législation et les limites que nous imposons à ces ouvertures, mais elles ont permis aussi de faire valoir nos intérêts tout court, ce qui a été extrêmement intéressant, puisque je peux dire que nos intérêts ont été entendus.
Finalement, la participation des provinces a permis au Canada de mettre sur la table une offre beaucoup plus riche qu’elle ne l’aurait été sans la participation des provinces en ce qui concerne les éléments relevant de leurs compétences. Je vous confirme que le gouvernement du Québec mettra en vigueur cet accord dans le cadre d’un processus législatif qui nécessitera d'abord un court débat à l'Assemblée nationale d'ici le mois de juin, où les hommes et les femmes élus de l'Assemblée nationale du Québec auront l'occasion de parler brièvement et de se prononcer en faveur, j'en suis convaincu, dans l'immense majorité. Ensuite, il y aura l'adoption d'une série d'amendements législatifs qui nous permettront d'assurer la conformité de notre législation aux engagements pris par le Québec dans cet accord. Je vous remercie, madame la présidente.
[Traduction]
La présidente: Au tour maintenant de M. de Mestral, qui nous parle de Washington.
[Français]
Armand de Mestral, professeur honoraire, titulaire de la Chaire Jean Monnet en intégration économique internationale, Université McGill, à titre personnel: Je vous remercie, madame la présidente. Comme Pierre Marc Johnson, je ferai mes remarques en français et je répondrai aux questions dans les deux langues officielles.
J'aurai trois brèves remarques, premièrement sur l'importance de l'AECG, deuxièmement, sur l'importance de le ratifier dans les plus brefs délais, et troisièmement, j'aurai quelques courtes remarques sur les suites à donner à cet accord.
À mon avis, pour les raisons évoquées par M. Johnson, cet accord est très important pour le Canada. Cet accord ouvre les portes de l'Europe au commerce canadien de façon encore plus importante, il enlève un certain nombre de barrières qui existaient et il nous permet des accès qui nous étaient fermés jusqu'à maintenant. Donc, pour le Canada, c'est important.
De plus — et je le dis en tant qu’observateur des quelque 600 accords de libre-échange qui existent actuellement —, à mon avis, un peu comme l'ALENA il y a plus de 20 ans, cet accord a le potentiel de servir de modèle pour toute une série d'autres accords qui verront le jour à travers le monde. Cet accord a un nouveau style, comporte de nouveaux éléments, et couvre de nouvelles dimensions de façon créative, à mon avis. Donc, cet accord entre l'Europe et le Canada peut vraiment servir de modèle pour l'avenir pour beaucoup d'autres États. Permettez-moi de vous en donner un exemple. Il y a eu des critiques, ici au Canada et ailleurs en Europe, concernant la résolution des différends en matière d'investissement par des arbitres privés. Cet accord répond à ces objections en créant la possibilité qu'un tribunal des investissements soit nommé par les deux parties, lequel aurait une compétence complète pour traiter ce genre de différends. Donc, l’accord est important pour le Canada et un modèle pour le monde.
Deuxièmement, à mon avis, il y a urgence pour le Canada de le ratifier. Pour des raisons strictement politiques, les autorités européennes ont choisi de désigner cet accord comme un accord mixte qui requiert, en tant qu'accord mixte, l'accord non seulement des autorités de l'Union européenne votant au conseil et au Parlement, mais la ratification des 28 États membres. Il y a toujours des intérêts, en Belgique en particulier, mais ailleurs au sein de l'Union européenne, qui voudraient peut-être retarder la mise en œuvre de cet accord. À mon avis, le plus tôt le Sénat terminera son étude de ce projet, le plus tôt le Parlement canadien adoptera ce projet de loi, et le plus tôt les provinces achèveront leur étude des mesures qu'elles doivent faire, le mieux ce sera. Le Canada devrait tenter de permettre aux autorités européennes de mettre cet accord en vigueur le plus tôt possible. Il y a donc urgence, à mon avis.
Finalement, je me permets de dire que cet accord ne signifie pas la fin des efforts que le gouvernement canadien devrait déployer avec ses partenaires immédiats, c'est-à-dire l'Europe et les États-Unis. Il faudrait procéder maintenant à la négociation d'un accord de libre-échange atlantique. Le Canada et l'Union européenne ont déjà posé les bases. L'Union européenne et le Mexique ont un accord depuis plus de 20 ans qui sera bientôt renouvelé. Les États-Unis et l'Union européenne sont en train de négocier le PTP, et la Grande-Bretagne doit envisager une nouvelle façon d'établir ses rapports économiques avec tous ses partenaires. Imaginez la formation d'un grand marché des deux parties, des deux côtés de l'Atlantique. Avec ce genre d'accord, les parties du côté nord-américain et européen pourraient, à l'avenir, faire face à la concurrence montante de l'Asie. Pour cette raison, je me permets de suggérer que le Canada ne devrait pas s'arrêter à la conclusion de cet accord avec l'Europe, mais qu’il devrait envisager une nouvelle et une plus grande démarche. Je vous remercie, madame la présidente.
[Traduction]
La présidente: Merci. Entendons maintenant notre prochain témoin, M. Jeremy de Beer.
Jeremy de Beer, professeur titulaire, faculté de droit de l’Université d’Ottawa, à titre personnel: Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je me nomme Jeremy de Beer. Je suis professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, mais je comparais ici à titre personnel pour témoigner, en me fondant sur mon expérience dans la recherche et l’écriture, sur les questions de commerce international, de technologie et d’environnement en général et, en particulier, sur celles qui intéressent l’Accord économique et commercial global.
Je vous le dis tout de suite, je suis un fervent partisan des échanges internationaux et, en particulier, de l’Accord économique et commercial global. Je crois que, dans l’ensemble, cet accord est bon pour le Canada.
J’espère que mon appui à cet accord et que mon admiration pour ses instigateurs, qui ont réussi à l’obtenir pour le Canada au prix de longues négociations et à la dernière minute, dans des circonstances difficiles, replaceront dans leur contexte les observations que je formulerai et qu’ils leur donneront plus d’acuité.
Je n’ai aucune objection à formuler contre le projet de loi C-30. Il joue exactement son rôle.
Mais je m’inquiète au sujet de la stratégie canadienne, ou, plutôt, de l’absence de stratégie concernant la propriété intellectuelle, la technologie, l’innovation et le commerce international. Dans son rapport de l’année dernière, votre comité a effleuré la question de la propriété intellectuelle, mais la chance se présente maintenant de faire les déclarations hardies, nécessaires à la promotion combative des intérêts du Canada dans les futures négociations commerciales.
Pour entamer ce processus, nous devons admettre nos erreurs passées. Faute de faire de la stratégie d’innovation une priorité au début de ces négociations, vers 2010-2011, le Canada s’est figé dans une position exclusivement défensive. Nous avons tous été apaisés par les promesses selon lesquelles le chapitre sur la propriété intellectuelle était surtout ou en grande partie compatible avec le droit canadien. Or, vous devez examiner plus de 50 pages de modifications de la Loi sur les brevets et de la Loi sur les marques de commerce, plusieurs autres pages de refonte ou de coordination des amendements et les 7 pages d’une annexe renfermant 172 indications géographiques que les Canadiens ne peuvent plus utiliser à l’intérieur du libre-échange.
J’ai le devoir de vous prévenir de la quasi-certitude de conséquences non voulues à cause de la complexité, par exemple, du nouveau régime de certificats de protection supplémentaire et de la certitude absolue de nombreuses années de litiges sur l’interprétation et l’application de ce régime. Le régime canadien de propriété intellectuelle subit donc des changements majeurs.
D’après nos recherches sur l’accord, ces litiges acquièrent aussi, comme je l’ai écrit dans un numéro spécial du journal Legal Issues of Economic Integration, une dimension constitutionnelle, parce qu’il se pourrait que certaines de ses clauses empiètent sur des compétences des provinces.
Cela comprend aussi une augmentation des différends entre investisseurs et États, comme la poursuite d’Eli Lilly contre laquelle vient de se défendre le Canada, sur les principes de la common law et de la souveraineté des tribunaux canadiens pour l’invalidation de brevets inutiles. La victoire du Canada devrait lui servir d’avertissement sur les dangers de ce système. On instruira des dossiers mal ficelés, coûteux, qui refroidiront notre créativité dans le peu de souplesses que nous avons conservées sur le plan réglementaire. De plus, les procédés de règlement des différends prévus par l’accord sont bancals. Ils sont un peu moins mauvais que ceux de l’ALENA ou d’autres accords.
Sur les questions de propriété intellectuelle, l’équipe de négociateurs du Canada et les fonctionnaires qui l’appuyaient et qui provenaient de toute l’administration fédérale ont très bien réussi à ne pas céder sur l’essentiel, mais ils étaient entravés dans leur liberté de manœuvre, faute du mandat nécessaire, surtout offensif, pour agir très différemment sur ces questions et c’était faute d’une stratégie à haut niveau qui leur aurait permis de savoir ce qu’ils pouvaient demander.
Les spécialistes canadiens de la propriété intellectuelle, moi-même compris, sommes emballés par la promesse faite par le gouvernement, dans le budget de 2017, d’élaborer une stratégie de la propriété intellectuelle en l’espace d’un an. Nous sommes disposés à l’aider. Faites passer le mot. Mais cette promesse exige de changer désormais notre perception et notre évaluation de ces accords internationaux, lesquels concernent beaucoup moins les tarifs et le libre-échange que les structures globales de la puissance économique. Nos processus d’évaluation doivent le reconnaître.
Cette promesse exige aussi la ferme intention d’élaborer des politiques fondées sur les faits et non la rhétorique, et je suis heureux de constater que les ministères, y compris celui de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, s’y mettent déjà.
Je viens tout juste de publier dans le Journal of World Intellectual Property un examen des méthodes et des conclusions pour élaborer une politique de la propriété intellectuelle fondée sur les faits. Je suis heureux de vous le communiquer pour que vous puissiez voir quels sont les outils disponibles pour entamer ce processus.
J’approuve aussi la recommandation de votre comité pour une meilleure transparence dans les négociations commerciales. Elle rejoint les conclusions antérieures de mes travaux de recherche, mais je conclurai sur ceci: à elles seules, les consultations ne sont pas une solution de remplacement d’une stratégie visionnaire. Aujourd’hui, en effet, les groupes de pression ne font pas partie des industries que le Canada doit entourer de ses soins. Les entreprises qui souffrent le plus de l’impuissance de notre stratégie internationale de propriété intellectuelle ne peuvent pas participer aux négociations parce qu’elles n’existent pas encore et qu’elles n’existeront jamais, sauf si nous nous donnons une stratégie internationale de propriété intellectuelle qui adopte des idées fraîches visant à donner aux Canadiens un avantage net sur la scène économique mondiale. Je serai heureux d’en dire plus sur la façon de mettre cette stratégie en œuvre pendant la période de questions.
La présidente: Merci. Entendons maintenant M. Van Harten.
Gus Van Harten, professeur agrégé, Osgoode Hall Law School, Université York, à titre personnel: Merci.
En Europe, l’Accord économique et commercial global n’a pas reçu toutes les approbations. Je pense qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’y arriver, notamment l’approbation du mécanisme de protection des investisseurs étrangers, dit aussi règlement des différends entre investisseurs et États, le RDIE, ou Tribunal permanent des investissements, le TPI. Il est très controversé et à juste raison. J’explique rapidement le saut qu’il fait franchir.
Imaginez la création d’une sorte de cour suprême pour l’Europe et le Canada, d’un tribunal qui aurait le pouvoir d’examiner presque toutes les décisions de nos pays ou régions, quel que soit l’ordre de gouvernement, sur les plans législatif, exécutif ou judiciaire, ce qui signifie qu’il pourrait même contester les décisions de notre Parlement que la Cour suprême du Canada aurait approuvées.
Il pourrait décider d’accorder des montants potentiellement énormes de fonds publics à des acteurs privés, et ces décisions s’appliqueraient aux actifs du pays à l’étranger. Les possibilités de révision juridique seraient très limitées, voire impossibles. Le demandeur ne serait pas obligé de s’adresser d’abord aux tribunaux du pays contre lequel il formule sa demande, tribunaux justes, indépendants et assez accessibles. Ce serait, et de loin, les protections les plus solides que le droit international accorderait à un acteur privé.
Cependant, en cette cour suprême mondiale aucun juge ne siégerait, seulement des avocats privés, en qualité d’arbitres, ou, sinon, ayant un intérêt financier dans la fréquence des demandes intentées contre les pays.
Le rôle du tribunal se limiterait à la protection des droits de propriété des étrangers. Sa seule utilité serait de protéger les droits de propriété de ressortissants étrangers. En effet, en raison des coûts élevés d’accès, il protégerait principalement les droits de propriété de très grandes sociétés ou entreprises et de particuliers très riches.
Je ne vous cache pas que vous devez prendre une décision très grave et que c’est seulement la décision à prendre dans le cas de l’Accord économique et commercial global, s’il était entièrement approuvé, y compris les éléments concernant le règlement des différends entre investisseurs et États ou le Tribunal permanent des investissements.
Veuillez, et j’insiste là-dessus, ne pas prendre cette décision à la légère. Cela représente pour moi l’élément de preuve A qui montre comment les accords de libre-échange, en profitant de leur bonne réputation, ce sur quoi je suis d’accord, mais l’enjeu ici est beaucoup plus que de libre-échange, comment ces accords peuvent réécrire les règles de l’économie mondiale pour favoriser les acteurs économiques les plus riches et les plus puissants aux dépens de tous les autres, en l’occurrence les Canadiens et les Européens ordinaires.
À propos, le projet de loi entérine l’Accord économique et commercial global au nom du Canada, mais, rappelez-vous, cet accord n’est pas encore entériné en Europe.
Dans une lettre que j’ai fait parvenir à votre comité, j’ai formulé des conseils très précis sur la façon par laquelle, je pense, on pourrait modifier le projet de loi C-30 pour répondre à certaines craintes qui découlent de ce que je viens de dire.
Que peut-on faire, en fin de compte, pour autoriser la saisine d’un organe international juste et indépendant et ainsi de suite, des rares dossiers délicats auxquels les tribunaux d’un pays ne sont pas vraiment adaptés?
Je propose d’appliquer quatre critères. Le premier est que le tribunal doit être juridiquement indépendant. Le règlement des différends entre investisseurs et États, malgré les améliorations apportées au mécanisme du Tribunal permanent des investissements encore proposé pour l’accord, n’est pas entièrement indépendant sur le plan juridique.
Le deuxième critère est le respect des règles de l’équité procédurale, qui accorde à toute partie dont les droits ou les intérêts sont touchés par l’issue de la dispute le droit d’intervenir dans la procédure. L’accord semblait avoir répondu à ce problème, à l’automne de 2015, lorsque la Commission européenne a proposé un mécanisme pour autoriser l’intervention de tiers, mais ce mécanisme ne s’est pas retrouvé dans la version révisée de l’accord, quelques mois plus tard. Le mécanisme prévu par l’accord ne respecte pas les règles de l’équité procédurale.
Le troisième critère est que le mécanisme devrait être équilibré en ce qui concerne l’allocation des droits et des responsabilités. Si le schéma de pensée est que les investisseurs étrangers ne peuvent pas se fier au système juridique de tel pays, de même, la victime d’un investisseur étranger ne devrait pas être tenue de compter sur un système juridique national. Les droits et la protection des investisseurs étrangers devraient se doubler de responsabilités qu’on peut faire appliquer par le même processus. Or, l’Accord économique et commercial global ne l’autorise pas.
Le quatrième critère serait, d’après moi, le respect des institutions du pays, particulièrement de ses tribunaux. Il y a une façon simple d’y pourvoir: nécessité d’épuiser les recours locaux quand c’est raisonnablement possible. Il est à peu près sûr que, systématiquement, le Canada et l’Europe offrent des recours plus justes et plus indépendants que le règlement des différends entre investisseurs et États ou le Tribunal permanent des investissements, mais cette exigence n’a pas été intégrée dans le texte de l’accord. C’est une situation tout à fait exceptionnelle en droit international.
Je crois qu’il faut se réjouir de l’opposition des Européens à cet élément controversé de l’accord. L’accord n’est pas encore approuvé en Europe. Il semble qu’il reste encore beaucoup d’étapes à franchir, et je propose seulement au comité de bien vouloir envisager de faire la même sorte de déclaration sur la crainte que cet élément particulier ne soit pas seulement controversé, mais qu’il puisse exercer de profondes conséquences sur la démocratie, la primauté du droit et la souveraineté, et je vous le dis bien humblement.
Je vous remercie de l’occasion que vous m’avez donnée d’apporter mon témoignage.
La présidente: Merci. Nous avons une très longue liste. Il faudra donc des questions courtes et des réponses abrégées pour assurer la participation de tous.
[Français]
Le sénateur Dawson: J'ai une très courte question pour M. de Mestral. Monsieur de Mestral, vous dites qu'il est urgent de ratifier l’accord. Pouvez-vous définir cette urgence? S’agit-il de semaines? De mois? La notion d'urgence peut être interprétée de façons différentes.
[Traduction]
Monsieur de Beer, vous avez parlé de conséquences non voulues. Pourriez-vous en donner des exemples? Si vous en avez parlé, vous avez peut-être une idée de ce dont il s’agit, mais vous n’avez pas défini cette notion dans votre exposé.
[Français]
Monsieur Johnson, lors de votre comparution l'an dernier, nous vous avions posé une question sur la comparaison des accords, et vous aviez une attitude un peu pessimiste quant au Partenariat Transpacifique. Vous avez probablement eu raison. C'est un problème théorique que nous avions soulevé l'an passé.
Face à l'échec du PTP, quelles sont les conséquences pour le Canada de concentrer ses efforts, puisqu’il n’aura pas d'entente du côté du Pacifique? L'an passé, nous vous demandions comment comparer ces accords, mais maintenant qu'il n'y a plus de comparaison à faire, que fait-on pour retirer le maximum de bénéfices de l’accord avec l'Europe?
M. de Mestral: On parle d'une ratification qui aurait lieu vers le 1er juillet, et c'est particulièrement à cause de toutes les difficultés qui ont mené à la décision d'adopter cet accord seulement de façon provisoire que je suggère que, du côté canadien, puisque les Européens auront posé tous les gestes nécessaires pour que l’accord entre en vigueur de façon provisoire, on réponde le plus tôt possible également. Donc, si on était en mesure de ratifier le 1er juillet, il me semble que ce serait une bonne chose pour le Canada.
[Traduction]
M. de Beer: Les conséquences des dispositions complexes qui occupent plus de 50 pages de modifications de la Loi sur les brevets et de la Loi sur les marques de commerce sont foncièrement imprévisibles, et, notamment, ça me préoccupe. Je ne peux pas prévoir toutes les manières par lesquelles les parties soutiendront que ces dispositions devraient s’appliquer à leurs industries, et il est difficile de prévoir ce qui arrivera.
De façon plus générale, il ne faut pas croire qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, parce la façon actuelle d’appréhender, au Canada, la propriété intellectuelle, ne changera pas beaucoup. C’est tout simplement faux, et nous devons désormais nous méfier de ce genre de prétention, parce que nous ne connaissons pas vraiment les répercussions.
[Français]
M. Johnson: En ce qui concerne le PTP, je veux exprimer une opinion purement personnelle qui n'est pas nécessairement celle du gouvernement du Québec. Je crois que le président Donald Trump, en décidant de mettre fin à la négociation du PTP et de la possibilité d'une ratification, a mis fin à ce drapeau du libre-échange, comme nous le voyons au Canada et aux États-Unis, au sud de la mer de Chine. Ce à quoi nous nous exposons, c'est de voir une série de règles commerciales que nous souhaitons et que nous appelons constamment, comme les Américains, ne pas s'appliquer éventuellement à la Chine. En ce sens, je dirais que c'est une occasion perdue.
Il y a des conséquences sur le plan interne pour le Canada. J'étais très conscient du fait que des collègues, notamment de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, avaient hâte qu'on en finisse avec la négociation européenne pour qu’ils puissent concentrer leurs efforts sur la question du Pacifique, parce qu'il y a un marché énorme de ce côté, et je comprends qu’ils soient déçus. Cela veut dire, en pratique, pour les gouvernements des provinces et les industries manufacturières canadiennes, qu’ils doivent investir beaucoup dans la promotion de l'exportation vers l'Europe, qui est un marché qui, dans le cas du Québec, représente 5 p. 100 d'augmentation par année depuis plus de 10 ans. Je crois qu'il y a là des opportunités, en tout cas pour le Québec, et je ne doute pas que ce soit la même chose pour beaucoup d'autres provinces. Il faudra donc y mettre beaucoup de ressources. Je suis certain que le gouvernement du Canada en avait mis de côté pour l’Asie, éventuellement, et il serait bon qu'il y ait un transfert de ces ressources vers nos efforts dans le cadre de l’accord avec l'Europe.
[Traduction]
Le sénateur Woo: Je remercie les témoins. Deux petites questions, la première à M. Johnson. Merci de votre témoignage.
C’est sur la libéralisation très modeste du secteur laitier, particulièrement par l’augmentation des quotas, de 17 700 tonnes. Avez-vous une opinion personnelle sur la façon de la répartir dans le secteur, pour que les consommateurs profitent de prix diminués des fromages fins européens?
M. Johnson: Sur le plan stratégique, c’était le bœuf ou le fromage. Le Canada peut maintenant exporter quelque 50 000 tonnes de bœuf et 75 000 tonnes de porc en Europe, sous diverses conditions. Il n’y aura aucun OGM ni autre cause d’inquiétude en ce qui concerne le respect des règlements européens, parce que ces produits devront justement les respecter. Le Canada a accordé à l’Europe le doublement de sa part du marché. Elle est, aujourd’hui, de 3,25. Elle passera à 6,5.
Ce que le PTP prévoyait, c’était 3,5. On aurait eu un total de 10 p. 100 du marché, qui est ouvert au reste du monde dans le cas des fromages fins, ce qui aurait signifié la protection du système que nous avons, soit le système de gestion de l’offre.
La réalité, maintenant, c’est l’indemnisation. Dans le cas des concessions faites à l’Union européenne, le gouvernement fédéral a annoncé quelque 300 millions de dollars dans ce domaine. Le gouvernement du Québec estime qu’il devrait en faire plus. Deuxièmement, c’est extraordinairement axé sur l’idée voulant que la très grande majorité des fromages qu’on dit fins soient faits par des producteurs du Québec, et de là que le montant affecté au dédommagement devrait en tenir compte.
Enfin, il y a les quotas d’importation. Si vous êtes un producteur fromager en Europe, vous ne décidez pas d’exporter votre fromage. Il faut un Canadien qui dira: « Je vais importer votre fromage. » Qui prend cette décision? Les organisations qui sont, dans bien des cas, des coopératives laitières ou des coopératives de producteurs laitiers ou fromagers. Il y a donc un élément de compensation. Pourquoi? Parce que cela signifie qu’une organisation donnée importera un nombre donné de tonnes de fromages d’Europe. Elle va l’acheter à 20 $ le kilo et pourra le revendre 43 $ le kilo si elle décide d’adopter un prix correspondant à notre système. Cependant, une autre organisation le vendra 23 $ le kilo au lieu de 43 $ parce qu’elle sera en concurrence avec une autre organisation canadienne qui fabrique ce genre de fromage. Elle voudra alors offrir le fromage européen moins cher.
En pratique, je pense que le système de gestion de l’offre a démontré que les fromages de qualité peuvent se rendre jusqu’aux consommateurs et que les gouvernements n’ont pas à subventionner le secteur de la production laitière. Ce sont les consommateurs qui le font. C’est là que se situe la principale différence.
À un cocktail qui s’est tenu au tout début des négociations, un négociateur européen m’a dit: « Monsieur Johnson, je suis sûr que vous allez mettre sur la table le système de gestion de l’offre du Canada concernant les fromages. » Je lui ai dit: « En effet, oui, le jour où vous me promettrez de ne plus subventionner l’agriculture en Europe. » Cela a mis un point final à la conversation.
Le sénateur Woo: Merci, monsieur Johnson. J’ai calculé qu’une indemnisation de 350 millions de dollars correspond à environ 20 $ par kilo de fromages fins, en plus du prix des fromages fins; et si, en fait, les fromages fins sont importés par les producteurs eux-mêmes, je pense bien que nous ne devrions pas nous attendre à une réduction, au Canada, des prix des fromages fins venant d’Europe. Est-ce que c’est ce que vous pensez aussi?
M. Johnson: Ce serait le cas, dépendant de l’importateur. Si l’importateur ne fabrique pas de fromages fins à pâte dure, par exemple, il offrira sur le marché les fromages qu’il importera d’Europe à un prix inférieur à ceux des producteurs fromagers qui en fabriquent ici au Canada, et inversement. C’est la raison pour laquelle vous allez trouver des prix variés au marché Atwater, à Montréal, ou à d’autres marchés de Toronto que je connais, bien que ce ne soit que 6,5 p. 100 du marché maintenant, sur cinq ans.
Le sénateur Woo: Pour conclure rapidement sur ce sujet, l’autre circuit d’importation de fromages fins d’Europe serait les détaillants — directement —, par opposition aux producteurs fromagers, et il s’agirait d’une option pour le partage du quota de 17 700 tonnes. Est-ce bien cela?
M. Johnson: Je sais que c’est ce que les détaillants voudraient. Je ne suis pas sûr que le gouvernement du Canada serait prêt à leur accorder cela, car c’est une forme d’indemnisation pour l’ouverture du système.
Le sénateur Woo: Monsieur de Beer, je trouve très intéressantes vos idées sur la prise de décisions fondée sur des données probantes en ce qui concerne la PI. Veuillez nous parler de votre article dans le Journal of World Intellectual Property. Très rapidement, veuillez nous donner certains des principaux paramètres de la prise de décisions fondée sur des données probantes concernant la politique sur la propriété intellectuelle dans le secteur pharmaceutique.
M. de Beer: L’une des choses que nous devons cesser de faire, c’est de toujours chercher à atteindre un rang supérieur, ce qui découle de la mesure de la propriété intellectuelle que nous produisons en ce moment. Nous devons repenser radicalement la façon dont nous établissons la politique sur la propriété intellectuelle. Je vais vous donner deux exemples.
L’une des choses que nous devons faire, c’est promouvoir plus activement des mesures d’assouplissement dans le droit international en matière de PI et intégrer ces mesures dans nos propres lois; et nous avons besoin de systèmes permettant de mesurer l’efficacité de cela.
Nous pourrions explicitement soutenir les négociations d’un nouvel accord qui est en cours de négociation à Genève, en vue d’un traité visant l’autonomisation économique des peuples autochtones par la valorisation de leur savoir traditionnel. C’est une chose que nous pouvons faire en ce moment.
Je crois que nous devons nous attaquer à certaines des normes et structures de pouvoir internationales qui sont sexistes, en matière de science et de technologie. Nous devons utiliser de nouveaux outils, comme les communautés de brevet et des stratégies d’innovation ouvertes et collaboratives. La difficulté, c’est que les mesures existantes qui sont utilisées pour la politique sur la PI, et même pour les incidences des accords commerciaux internationaux, ne conviennent pas à ces nouvelles stratégies. Nous continuons donc de miser sur ces méthodes dépassées pour évaluer les incidences, alors qu’elles ne tiennent pas compte des types de stratégies qu’il nous faut dans notre propre intérêt national.
Le sénateur Woo: Veuillez nous envoyer votre article.
M. de Beer: Je vais le faire.
Le sénateur Gold: Merci beaucoup.
[Français]
Je suis heureux de vous accueillir chez nous, d’une part parce que, dans une vie antérieure, j'étais professeur à Osgoode Hall. J'ai enseigné avec Pierre Marc à des étudiants ontariens la réalité du point de vue québécois sur le droit constitutionnel.
Je salue aussi mon ami et collègue de McGill, Armand de Mestral, avec qui j'enseigne également.
[Traduction]
Ma question s’adresse à M. de Mestral. Je me demande si vous pourriez nous parler de la critique de M. Van Harten concernant les dispositions de l’AECG sur le règlement des différends.
Il y a en ce moment, partout dans le monde, un système en place qui a fait l’objet de beaucoup de discussions et de critiques, et d’importants changements ont été apportés à l’AECG au sujet de la constitution du tribunal et des droits des gouvernements de prendre des règlements dans l’intérêt public. Auriez-vous des observations à ce sujet? Bien entendu, nous allons vous donner un droit de réponse, pour être justes.
M. de Mestral: Merci beaucoup. Je peux vous dire que je suis à Washington pour lancer un livre qui traite de l’arbitrage entre investisseurs et États dans les démocraties développées. Je crois qu’il y a des réponses à cela, et je pense que je pourrais en partie répondre à mon ami, M. Van Harten, que le mieux peut être l’ennemi du bien.
Il existe environ 3 000 accords de ce genre, et bon nombre ont des dispositions visant l’arbitrage entre investisseurs et États. La plupart de ces accords sont conclus entre des États développés et des États en développement, exportateurs ou importateurs de capitaux, et les entreprises canadiennes qui font des affaires dans des pays comme la Chine ont sans aucun doute besoin de la protection que leur donnerait l’arbitrage entre les investisseurs et les États.
Dans le cas de l’AECG en particulier, on a beaucoup fait pour répondre à bon nombre des critiques. Les règles de procédure ont fait l’objet de profonds changements qui les ont rendues bien plus ouvertes. Selon le système de tribunal, ce sont les gouvernements, et non les parties, qui nomment les juges. C’est le juge en chef qui nomme les juges; pas les parties. Il y a donc une bonne dose d’indépendance judiciaire qui pourra être exercée. Si vous lisez les dispositions en petits caractères de l’AECG, vous verrez qu’on s’est vraiment efforcé de redéfinir et d’éclaircir des choses comme l’expropriation indirecte ou le traitement juste et équitable. Je crois qu’on en fait beaucoup dans l’AECG pour répondre aux préoccupations soulevées, en particulier dans les démocraties développées.
Enfin, pour ce qui est de la possibilité de laisser tout cela aux tribunaux nationaux, je crains qu’il y ait lieu d’en débattre. Même au Canada, sur les 40 affaires relatives à l’ALENA, il n’y en a que quatre pour lesquelles il y aurait eu un recours clair devant des tribunaux domestiques, pour des réclamations semblables à celles qui sont faites relativement à l’ALENA.
La plus grosse préoccupation, c’est de savoir ce qui se passe dans les tribunaux ou dans les endroits où les tribunaux n’existent pratiquement pas, dans bien des pays du monde. Au Canada et en Europe, où nous pourrions probablement nous débrouiller sans arbitrage entre investisseurs et États, si nous abandonnons cela, comment pouvons-nous dire: « Nous n’en avons pas besoin, mais nous allons quand même vous l’imposer. » Comment pouvons-nous justifier et expliquer cela pour des milliers de cas? C’est ce qui me préoccupe.
Le sénateur Marwah: Merci à vous tous de vos excellents exposés. C’est très utile.
J’ai une question pour M. Van Harten. Vous avez mentionné dans la lettre que vous nous avez adressée que vous êtes pour une modification qui garantirait la réciprocité entre le moment où nous mettons notre accord en œuvre et celui où ils mettent le leur en œuvre. Mais ne devrions-nous pas reconnaître qu’ils doivent traiter avec 28 parlements, qu’ils ont un processus et que nous avons une assez bonne assurance de la Commission européenne dont les représentants sont venus nous dire qu’ils ne s’attendent pas à avoir de la difficulté à en obtenir l’approbation par les divers parlements? Si nous disons maintenant que nous voulons la réciprocité, n’entamons-nous pas cet accord de libre-échange en nous montrant méfiants — nous ne vous croyons pas vraiment et nous voulons cela? Parce que les bienfaits commencent dès le moment où nous l’adoptons. Pourquoi donc devrions-nous attendre?
M. Van Harten: Nous devons penser aux raisons pour lesquelles il faut autant de degrés d’approbation de l’AECG en Europe. C’est parce qu’il va bien plus loin que les autres accords commerciaux concernant ce qu’il couvre. La Commission européenne, sauf le respect que je lui dois, n’est pas en position de parler pour les parlements de tous les États membres et de toutes les régions. Je ne crois pas que nous paraîtrions méfiants. Nous adopterions ainsi une position de négociation compréhensible, selon laquelle notre approbation correspondrait à la mesure dans laquelle l’Union européenne et ses membres donneraient leur approbation. Donc, si une partie approuve la mise en œuvre d’un accord, vous ne donnez votre approbation que dans la mesure où votre partenaire en négociation a donné la sienne ou est en position de le faire.
Ce qui est d’après moi un peu problématique, c’est de présumer maintenant que tout est sur le point d’être approuvé en Europe. Nous avons eu beaucoup de cérémonies de signature de l’AECG déjà, et je pense que c’est de l’excès d’optimisme.
Le sénateur Marwah: N’avons-nous pas la preuve puisqu’ils veulent le mettre en œuvre provisoirement le lendemain? Cela démontre qu’ils sont vraiment sérieux et qu’ils veulent passer au niveau suivant. N’est-ce pas sémantique, en fin de compte? Ils ne le mettraient pas en œuvre s’ils n’avaient pas l’assurance que leurs parlements l’approuveraient.
Je pense, monsieur Johnson, que vous aviez aussi une réponse à cela. Écoutons d’abord M. Van Harten, et nous serons ravis d’entendre votre point de vue ensuite.
M. Van Harten: Ce que je pense, c’est que nous pourrions donner notre approbation provisoire comme ils le font, et s’il faut deux ans pour que l’élément sur l’investissement soit approuvé, ou 10 ans, sachez que l’Union européenne a des accords commerciaux qui ont été appliqués provisoirement pendant de nombreuses années. Il semble que la Cour européenne de justice sera saisie de la question de la compatibilité du chapitre sur l’investissement avec le droit de l’Union européenne. Cela causera des retards de leur côté. La Commission européenne ne peut pas contrôler ce que fera la Cour européenne de justice.
C’est un point en litige en Europe. Si le gouvernement du Canada veut approuver tout cela dans l’espoir que tout sera approuvé en Europe, ça va. Ce n’est pas d’après moi une bonne façon de négocier; c’est tout.
M. Johnson: En ce moment, la Commission européenne a signé l’accord, le Parlement européen l’a ratifié, et le Conseil européen, qui regroupe les chefs d’État ou les ministres du Commerce, a décidé qu’une fois que l’accord est ratifié au Canada, il va le mettre en œuvre, sauf le chapitre sur l’arbitrage entre investisseurs et États et les dispositions concernant la nécessité que les pays se dotent de sanctions pénales en cas d’utilisation de caméscopes dans les cinémas. Le reste de l’accord — au complet — sera mis en œuvre.
En Corée, la mise en œuvre s’est faite provisoirement et il a fallu cinq ans pour obtenir les ratifications, ce qui en a fait un traité final qui relève d’une série de règles internationales. Dans l’intervalle, cela signifie que le Canada et l’Europe mettent l’accord en œuvre volontairement. Je ne vois aucun problème à cela, sauf pour ce qu’Armand de Mestral a mentionné. Nous sommes pressés parce que les Européens ont déjà accepté de mettre en œuvre le traité de façon provisoire une fois que nous avons convenu avec eux de la date.
Le sénateur Marwah: J’ai une autre question pour M. de Beer.
Vous avez exprimé des préoccupations concernant la PI et l’innovation, ce qui est vraiment important, car cela représente dans une grande mesure notre avenir, et par conséquent au sujet des dispositions que nous devons mettre en place pour nous protéger. Il importe peu que vous disiez que c’est pour nous protéger ou pour tirer pleinement profit de cela.
Étant donné que vous êtes préoccupé parce que nous avons commencé lentement et que nous n’avons pas mis ces choses sur la table au début, avez-vous des suggestions auxquelles nous devrions réfléchir concernant des recours que nous pourrions inclure dans la réglementation, puisque nous ne pouvons pas modifier le projet de loi? Que pouvons-nous faire avec la réglementation, outre les méthodes de comparaison statistique dépassées que vous avez soulevées?
M. de Beer: Il serait possible de prendre des règlements sur divers aspects pour les questions non résolues dans la loi actuelle qui n’ont que peu à voir avec l’AECG ou rien du tout. Par exemple, il y a la question du droit d’auteur. En ce moment, la loi comporte une disposition selon laquelle un titulaire de droits peut transmettre un avis pour faire des menaces d’allégations de violation, et cela mène à des risques d’intimidation et d’envoi de lettres vagues et sans fondement. Nous voyons cela avec les brevets, mais cela se produit aussi avec les marques de commerce, compte tenu des modifications apportées récemment pour que le Canada soit prêt à mettre en œuvre l’AECG. On peut envisager un processus réglementaire pour imposer des limites aux types d’avis qui sont adoptés. Nous pouvons prendre des règlements donnant aux Canadiens une certaine souplesse leur permettant d’innover en matière de mesures de protection technologique et de verrous numériques. C’est un autre exemple.
Le pouvoir réglementaire existe déjà pour certains aspects, mais nous n’avons pas la stratégie globale permettant de déterminer la façon dont nous allons utiliser ces pouvoirs réglementaires parce que nous sommes coincés avec l’énoncé banal selon lequel la propriété intellectuelle est très importante pour les entreprises et pour l’entrepreneuriat au Canada. C’est entendu, mais cela ne s’est pas encore rendu au niveau politique, et c’est ce que nous devons faire de toute urgence.
La sénatrice Cordy: Monsieur de Beer, vous avez dit que l’accord comporte 50 modifications à la Loi sur les brevets, et vous avez aussi dit que les dispositions de l’AECG sur la résolution des différends sont très faibles. Quel effet cela produira-t-il sur le Canada? Est-ce que le Canada se retrouvera avec de très longues et très coûteuses audiences découlant du mécanisme de règlement des différends?
M. de Beer: Oui, de très coûteux et très longs litiges domestiques concernant le nouveau système de certificats de protection supplémentaire et, peut-être, plus de litiges internationaux en vertu des dispositions visant le règlement des différends.
C’est un point que j’aimerais éclaircir. J’ai dit que c’était mauvais, plutôt que faible, et c’est un problème assez important parce que nous entendons parler d’une propriété intellectuelle solide ou d’une propriété intellectuelle faible. Franchement, c’est un vocabulaire qui n’aide pas. Nous avons besoin d’une compréhension beaucoup plus nuancée de ce que c’est. C’est la même chose qui s’applique aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, ou RDIE. Ce n’est pas faible. En fait, comme l’a dit M. Van Harten, c’est extraordinairement solide, mais c’est précisément ça qui est dangereux.
La sénatrice Cordy: C’est un éclaircissement utile. Je vous en remercie.
Le sénateur Pratte: Monsieur Van Harten, j’ai deux choses à dire très rapidement. Premièrement, je comprends que vous trouvez manifestement insatisfaisantes les dispositions de l’accord sur les différends entre investisseurs et États, mais je signale — et j’aimerais vos commentaires là-dessus — que vous trouvez, d’après ce que j’ai lu, que les modifications apportées à l’AECG concernant le RDIE sont considérables et positives. Ce que j’ai compris, c’est que vous trouvez en fait que les dispositions sont meilleures que celles des accords qui existent actuellement.
Vous avez parlé du fait que les dispositions relatives au règlement des différends entre investisseurs et États entraîneraient une perte de souveraineté. Le projet de loi C-30, dans sa version actuelle, stipule que nous allons approuver l’accord en adoptant le projet de loi C-30, et vous proposez que nous le modifiions en ajoutant que nous approuverons l’accord dans la mesure où il est approuvé par l’Union européenne et ses États membres. Je considère qu’on renonce ici à notre souveraineté en approuvant l’accord seulement si l’Union européenne l’approuve. Soit le Canada l’approuve, soit il ne l’approuve pas. Sa décision ne devrait pas dépendre de celle d’autrui.
M. Van Harten: Je conviens que le système judiciaire des investisseurs est un peu moins pire, mais le problème réside dans l’indépendance judiciaire. Il existe des échappatoires problématiques. Je vais vous donner un exemple:
On n’interdit pas aux membres du SJI ou du tribunal pour les investisseurs d’agir à titre d’arbitres. Nous savons que dans les procédures de RDIE, il y a des litiges très confidentiels en vertu d’autres traités. Cela signifie que les parties ne sont pas en mesure de vérifier si les membres du tribunal sont des arbitres ou non, et s’ils touchent des sommes considérables susceptibles de nuire à leur indépendance. Les problèmes sont toujours dans les détails et, selon moi, ce sont des échappatoires problématiques. Je sais que le professeur de Mestral approuve le RDIE ou le SJI, et j’éprouve beaucoup de respect pour lui, car nous discutons ensemble de cette question depuis plusieurs années.
Quant à la perte de souveraineté, je comprends votre préoccupation. J’essayais de limiter ce que je considérais comme étant une stratégie risquée d’approuver quelque chose. En ce qui concerne les interprétations créatives, on risque d’approuver un mécanisme en vertu duquel un investisseur étranger poursuit une partie à l’accord alors que l’autre partie a refusé d’assumer cette obligation. J’essayais de nous mettre à l’abri de tout ceci. Je ne voudrais pas que la souveraineté canadienne soit remise en question par un tribunal composé de trois avocats qui n’obéissent pas à un processus entièrement judiciaire.
Soit dit en passant, rien de tout cela ne concerne les trois autres critères, c’est-à-dire l’équité procédurale, l’équilibre et le respect pour les tribunaux nationaux. Lorsque les tribunaux nationaux rendent justice et sont raisonnablement accessibles, il n’y a rien de mal à ce qu’un investisseur étranger y ait recours. Je sais que je réponds ici au professeur de Mestral, mais si nous nous inquiétons des pays qui n’ont pas de tribunaux nationaux fiables, il ne devrait pas être trop difficile pour un investisseur étranger de prouver qu’il ne peut pas s’adresser aux tribunaux d’un pays parce qu’ils ne sont pas raisonnablement disponibles.
J’espère que cela répond à votre question. D’ailleurs, je vous remercie pour la question.
La sénatrice Cools: Je tiens à remercier nos témoins pour leurs excellents témoignages.
Monsieur Johnson, je suis ravie de vous revoir. J’ai eu le plaisir de vous entendre devant un comité sénatorial il y a longtemps, à une époque où nous étions tous les deux beaucoup plus jeunes. Je suis très heureuse que vous soyez des nôtres aujourd’hui. Merci à vous tous.
Madame la présidente, pendant que j’écoutais les témoignages, je me suis dit qu’il y avait beaucoup d’éléments qui mériteraient d’être étudiés plus en profondeur, mais je me souviens d’une étude qu’un comité sénatorial avait entrepris de poursuivre il y a de nombreuses années — et je siège au Sénat depuis 33 ans — à l’époque où on négociait l’ALENA. Je pense que cela concernait sa mise en œuvre. J’aimerais proposer au comité et à vous, madame la présidente, d’envisager d’entreprendre une telle tâche. Le comité pourrait s’intéresser pendant un certain temps à la mise en œuvre de cette initiative de taille. En revanche, je pense que bon nombre d’entre nous ont posé d’importantes questions qui demeurent encore sans réponse. Je pense que nous devrions discuter de cette proposition.
La présidente: Voilà pourquoi nous avons entrepris cette étude, sénatrice Cools. Cela concerne directement votre question, et nous avons déjà indiqué que nous allions continuer de surveiller le dossier, surtout la mise en œuvre de l’accord. Vous avez donc tout à fait raison.
Je tiens à remercier tous nos témoins. Nous regrettons d’avoir commencé la séance un peu plus tard. Vous avez dû condenser vos observations, et vous l’avez fait admirablement bien. Vous avez soulevé les points que nous avions besoin d’entendre. Il se peut que nous communiquions avec vous pour obtenir plus de renseignements. Si vous avez d’autres informations qui pourraient nous être utiles, n’hésitez pas à nous les transmettre. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir fait profiter de votre expérience et de votre expertise. Je vous remercie de votre présence aujourd’hui.
Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Nous sommes désolés du retard. Nous avons éprouvé des difficultés techniques avec le groupe précédent, ce qui a retardé les choses. Cela dit, nous devrons tous être succincts dans nos questions et réponses. Si nous n’avons pas le temps de poser toutes nos questions, vous pourrez y répondre ultérieurement. Nous voulons profiter le plus possible de votre présence aujourd’hui et de l’information que vous voulez nous transmettre.
Je suis très heureuse d’accueillir nos témoins. Il s’agit de Mme Angella MacEwen, économiste principale, Services des politiques économiques et sociales, du Conseil du travail du Canada; M. Peter Lahay, coordonnateur national, Fédération internationale des ouvriers du transport; M. Rob Ashton, président de l’International Longshore and Warehouse Union; M. Jerry Dias, président national d’Unifor, et M. Angelo DiCaro, représentant national; ainsi que M. James Given, président du Syndicat international des marins canadiens.
Je crois savoir que chaque organisation a un exposé à présenter, et je vais suivre l’ordre que j’ai ici, à moins que vous en ayez décidé autrement. Sinon, je vais céder la parole à Mme MacEwen.
Angella MacEwen, économiste principale, Service des politiques économiques et sociales, Congrès du travail du Canada: Bonjour. Je vous remercie de m’avoir invitée ici aujourd’hui. Au nom des 3,3 millions de membres du Congrès du travail du Canada que je représente, je tiens à vous remercier de nous donner la possibilité de vous faire part de nos points de vue sur le projet de loi C-30. Le CTC réunit les syndicats nationaux et internationaux du Canada, ainsi que les fédérations provinciales et territoriales du travail, dont les membres œuvrent dans toutes les professions et toutes les régions du Canada.
Tout d’abord, le mouvement syndical est parfaitement conscient de l’importance du commerce pour l’économie canadienne. Nous comprenons que tous les gouvernements ont intérêt à favoriser l’ouverture des marchés. J’aimerais vous expliquer en quoi l’AECG est injuste, selon nous, et ce que nous espérons trouver dans un accord équitable.
Premièrement, l’AECG impose des restrictions aux administrations régionales, et ce, en dépit du fait que plus de 50 collectivités, notamment Toronto, Victoria, Baie-Comeau, Sackville, Hamilton et Red Deer, aient déjà signifié clairement aux gouvernements fédéral et provinciaux que les politiques d’achat local et autres politiques de dépenses publiques, ainsi que les services municipaux, devraient être exclus de l’AECG. Les administrations régionales doivent conserver le droit de rattacher des conditions d’ordre social, économique et environnemental aux marchés publics. Si l’AECG est ratifié dans sa forme actuelle, il prévoit un accès sans condition à tous les ordres de gouvernement, plutôt qu’un accès simplement non discriminatoire. Cet accord va au-delà de ce qu’on appelle le « traitement national ».
En ce qui a trait aux brevets pharmaceutiques, d’autres vous l’ont sûrement dit: l’une des plus grandes préoccupations à l’égard de l’AECG est ses effets sur le système de soins de santé du Canada. Au Canada, le coût des médicaments par habitant est déjà parmi les plus élevés au monde — seuls les États-Unis paient plus cher — et croît plus rapidement que beaucoup d’autres pays comparables. Le projet de loi C-30 consacre 30 pages complètes à la modification de la Loi sur les brevets, et ces modifications entraîneront une plus forte croissance des coûts. Selon une analyse du professeur Marc-André Gagnon et du Dr Joel Lexchin, les dispositions de l’AECG devraient entraîner une hausse des coûts des médicaments se situant entre 6,2 et 12,9 p. 100 à compter de 2023.
Le gouvernement fédéral précédent s’était engagé à indemniser les provinces pour cette augmentation des coûts, mais cela signifie simplement que le gouvernement fédéral demandera aux contribuables canadiens de payer les sociétés pharmaceutiques en haussant les taxes ou en réduisant les services ailleurs. De plus, il ne tient pas compte du fait que cette hausse de coûts frappera directement les travailleurs à faible revenu qui n’ont pas de régime d’assurance-médicaments. Autrement dit, certaines personnes ne consulteront même pas un médecin lorsqu’elles seront malades, parce qu’elles savent qu’elles n’auront pas les moyens de se procurer les médicaments qui leur seront prescrits. Tôt ou tard, cela finit par coûter plus cher au système de santé en soins de courte durée lorsque ces personnes doivent se faire soigner à l’hôpital.
En réalité, les nouvelles mesures législatives sur les produits pharmaceutiques enchâssées dans le projet de loi C-30 sont un bon exemple de ce qui cloche dans l’approche désuète que propose l’AECG. La concurrence accrue devrait se traduire par une diminution des coûts pour les consommateurs, et non pas l’inverse. Je tiens à souligner que l’AECG influera sur les coûts des médicaments au Canada et non au sein de l’UE. Par ailleurs, plusieurs États de l’UE ont réglementé les prix pour qu’ils demeurent abordables. On nous dit que l’AECG n’empêche nullement le Canada de réglementer à son tour les prix des médicaments, mais rien ne permet de croire que le gouvernement fédéral prévoit prendre des mesures à cet égard.
Tout compte fait, que réclamons-nous exactement? Dans un premier temps, nous aimerions que les syndicats et les groupes de la société civile soient consultés avant, pendant et après les négociations. Il ne faut pas que ce soit des discussions purement symboliques où l’on nous demande de cocher une case, mais bien de véritables conversations au cours desquelles nous pouvons exprimer nos positions et où nos préoccupations sont prises au sérieux.
Ensuite, nous avons besoin de solides protections pour les services publics. L’un des éléments les plus importants du filet de sécurité sociale est les services publics universels, tels que les soins de santé, l’éducation et l’eau potable.
Par ailleurs, nous devons conclure des ententes qui accordent la même importance aux responsabilités des sociétés qu’à leurs droits. La mondialisation peut affaiblir le contrat social lorsque les sociétés n’assument pas les coûts de leurs actions sur les plans environnemental et humain. Par conséquent, les accords qui protègent leurs droits d’investissement doivent également les obliger à s’acquitter de leurs responsabilités à l’égard de leurs travailleurs et de l’environnement dans lequel elles œuvrent. C’est seulement par souci d’équité envers les sociétés qui agissent déjà de façon responsable.
Enfin, nous devons identifier et indemniser ces travailleurs, ces sociétés et ces collectivités qui y perdront au change. Des économistes comme Stiglitz, Piketty et Dani Rodrik nous ont mis en garde contre les inégalités qui pourraient se produire si nous ne prenons pas ces quatre mesures.
Merci beaucoup.
La présidente: Merci. Je cède maintenant la parole au représentant de la Fédération internationale des ouvriers du transport, mais tout d’abord, on nous avait informés que M. Ashton serait présent. Je ne faisais que tester le groupe — personne ne m’a corrigée —, mais c’est plutôt M. Terry Engler qui témoignera devant nous aujourd’hui. Il est le président de la section locale 400, Section maritime, de l’International Longshore and Warehouse Union. La correction a donc été apportée au compte rendu.
Monsieur Lahay, allez-y, je vous prie.
Peter Lahay, coordonnateur national, Fédération internationale des ouvriers du transport: Oui, malheureusement, M. Ashton avait fait le voyage jusqu’ici, à Ottawa, mais il a dû rentrer d’urgence à la maison, car sa mère est gravement malade. Nous leur souhaitons donc bon courage, à lui et à sa famille.
La présidente: Nous aussi.
M. Lahay: Merci.
Je vais tâcher d’être bref. Si je suis ici aujourd’hui, c’est parce que je représente les marins étrangers sur les pavillons de complaisance et les navires commerciaux internationaux depuis plus de 20 ans. Je connais donc très bien la situation à bord des navires, de même que les difficultés auxquelles les marins sont confrontés et les salaires qu’ils gagnent.
Je sais qu’on a beaucoup parlé au sein du comité de ce salaire de 1,26 $. C’est moi qui en suis arrivé à ce calcul. Cela venait d’un contrat d’emploi d’un marin qui travaillait à bord d’un navire battant pavillon d’un État membre de l’Union européenne, un navire battant pavillon chypriote. C’est mon collègue, Vince Giannopoulos, du Syndicat international des marins canadiens et de la FIOT à Montréal, qui a mis la main sur ce contrat.
J’ai préparé un document; s’il a été distribué, vous pourrez suivre mon exposé. Le document ne fait que deux pages. On y voit la photo d’un navire ainsi qu’un aperçu de l’échelle salariale. Il s’agit d’un véritable navire que des inspecteurs de la FIOT ont inspecté la semaine dernière, en Europe. C’est un porte-conteneurs de taille moyenne baptisé le Venetia. Son propriétaire est allemand, mais il bat pavillon portugais; il s’agit plus précisément du pavillon de Madère, un bon endroit pour s’évader pendant les vacances ou pour faire de l’évasion fiscale.
C’est ce genre de navires qui nous préoccupent et qui pourront venir au Canada aux termes de l’AECG. Cette échelle salariale est celle qui s’appliquait à l’équipage du navire. En l’examinant, vous constaterez que, au haut de l’échelle, le capitaine gagne 13,52 $ l’heure, tandis que la personne qui occupe la fonction de chef mécanicien, un poste qu’un marin canadien ne pourrait probablement décrocher qu’au terme de 8 ou 10 ans de service, touche un salaire horaire de 12,62 $ aux termes de la convention collective applicable. Quant aux gens appartenant aux corps de métier que M. Engler représente, soit un matelot breveté, un graisseur et un simple matelot, ils gagnent 3,22 $ l’heure.
La dernière colonne indique leur salaire total. Pour toucher ce salaire brut, les marins doivent travailler à bord de ce navire environ 300 heures par mois. Ils y travaillent 9 mois par année, parfois plus longtemps; ils y passent parfois 12 mois sans toucher terre.
En ce qui nous concerne, et selon mon expérience et ce que nous avons tous observé partout dans le monde, les marins sont parmi les travailleurs les plus marginalisés et les plus isolés du monde. C’est ce qu’a conclu l’Organisation internationale du travail.
Nous croyons que le gouvernement devra avant tout se montrer prudent lorsque l’AECG entrera en vigueur. Nous savons que certains ont exhorté les autorités à faire respecter les conventions. J’aimerais en parler brièvement. Au pays, je suis probablement la personne qui travaille le plus auprès des autorités de Transports Canada responsables de la sécurité maritime, que ce soit avec les hauts fonctionnaires fédéraux ou les inspecteurs maritimes des ports canadiens. Je peux vous assurer qu’ils sont débordés par le nombre de navires. Ils sont débordés, ils manquent de personnel et ils n’ont pas les compétences nécessaires pour faire appliquer le taux de rémunération auquel les travailleurs ont droit. J’ai dit plus tôt que ces travailleurs sont exploités parce que c’est le cas. En général, les marins ne se plaignent pas, même si on les exploite.
Je vais en rester là et céder la parole à mon collègue. Si vous avez d’autres questions sur la vie des marins et sur nos attentes par rapport à la mise en œuvre de cet accord, je serais ravi d’y répondre. Merci.
La présidente: Nous passons maintenant à Jerry Dias, d’Unifor.
Jerry Dias, président national, Unifor: Bonjour. Je suis le président national d’Unifor. Je suis accompagné du représentant national Angelo DiCaro, qui, au sein de notre syndicat, est le chercheur principal chargé des dossiers liés au commerce.
Nous représentons plus de 310 000 membres répartis dans 20 des principaux secteurs économiques du pays. Nous comprenons l’importance du commerce, puisque 85 à 90 p. 100 des marchandises fabriquées par nos membres sont destinées à l’exportation. Je m’inscris en faux contre l’argument selon lequel le mouvement syndical serait dépassé et ne comprendrait pas l’importance du commerce. Nous en saisissons l’importance mieux que quiconque, d’autant plus que la sécurité d’emploi de nos membres en dépend.
Depuis longtemps, le Canada semble avoir pour mot d’ordre que conclure un mauvais accord vaut mieux que de ne pas en conclure du tout. Or, quand on regarde les chiffres, on constate que le Canada a souvent été un bien piètre négociateur. Nous exportons nos matières premières et nos ressources naturelles pour ensuite acheter des produits finis, et il semble que cela ne nous pose aucun problème, soit dit en passant. Je ne comprends tout simplement pas ce raisonnement. Si l’objectif est de faire travailler les jeunes, je me demande comment on peut laisser plus de 500 000 emplois du secteur manufacturier quitter le pays.
Examinons les chiffres. En ce qui concerne les pays avec lesquels le Canada n’a pas conclu d’accord de libre-échange, les exportations canadiennes ont augmenté de 6,8 p. 100 au cours des 15 dernières années, tandis que les importations au Canada ont augmenté de 4,7 p. 100. Je rappelle qu’il s’agit des pays avec lesquels le Canada n’a pas conclu d’accord. Pour vous donner une idée de notre « expertise », soulignons que, dans les secteurs pour lesquels le Canada a conclu des accords de libre-échange avec d’autres pays, les exportations canadiennes ont connu, en 15 ans, une croissance de 1,2 p. 100, alors que les importations au Canada ont augmenté de 2,4 p. 100. Dans le cas de notre plus récent exploit, soit l’accord avec la Corée, depuis janvier 2015, les importations coréennes au Canada ont augmenté de 47 p. 100, alors que les exportations canadiennes en Corée n’ont augmenté que d’un demi-point de pourcentage. Dans le secteur des pièces d’automobile, les exportations canadiennes en Corée ont connu un recul de 13 p. 100 en une année et demie, mais les importations coréennes au Canada ont augmenté de 40 p. 100. Je pourrais citer d’autres exemples. En ce qui concerne l’Union européenne, à l’heure actuelle, le déficit du Canada est de 7,6 milliards de dollars; pour ce qui est de l’Allemagne, il est de 4,4 milliards de dollars.
Or, nous discutons aujourd’hui de l’AECG, qui pourrait être l’accord commercial le plus exhaustif et le plus litigieux jamais négocié par le Canada. Unifor a longtemps critiqué l’AECG. Nous suivons les négociations en coulisse depuis le début des pourparlers, en 2009. Puisque nous n’avons jamais été invités à participer aux discussions et que nous n’avons jamais été consultés, nous avons passé beaucoup de temps à assembler les bribes d’information au sujet de l’accord à partir de fuites d’information sur le texte de l’accord et de citations anonymes.
Ce que nous avons découvert nous a troublés: des déséquilibres commerciaux qui nous désavantageraient et qui nous coûteraient encore plus d’emplois, des risques accrus pour nos services publics, des changements aux règles sur les brevets qui feraient augmenter le prix des médicaments — alors qu’on sait que le prix des médicaments est très important pour les Canadiens et pour ceux qui, comme nous, doivent négocier au nom de leurs membres, car, de façon générale, la hausse du coût des médicaments réduit encore davantage notre marge de manœuvre lors des négociations collectives —, des restrictions visant la façon dont les gouvernements achètent des biens et services, un assouplissement des contingents d’importation qui touche l’industrie laitière canadienne ainsi que des recours spéciaux pour le règlement des différends qui ne sont offerts qu’aux investisseurs privés.
Il y aurait beaucoup à dire sur chacune de ces modalités, et j’en ai seulement énuméré quelques-unes. Cependant, ce que je trouve particulièrement troublant, c’est que nous sommes en train de discuter aujourd’hui de modifications législatives en vue de mettre en œuvre l’AECG. Je dois dire honnêtement que les dispositions de l’AECG ainsi que ses avantages pour le Canada n’ont pas été clairement définis. D’ailleurs, il n’y a eu aucune consultation publique digne de ce nom pour discuter du texte final de l’AECG.
Entre novembre 2013 et juin 2014, le Comité permanent du commerce international a tenu 19 audiences pendant lesquelles les témoins étaient invités à donner leur avis sur une entente de principe négociée par l’ancien gouvernement Harper.
Après la publication du texte complet, en septembre 2014, l’AECG a subi une transformation majeure. Le controversé système de règlement des différends entre les investisseurs et l’État a été révisé en hiver 2016. Même si des spécialistes du commerce estiment que le nouveau modèle n’est pas très différent de l’original, aucune discussion publique n’a été organisée au sujet du supposé système de tribunal d’investissement.
Avant de conclure l’accord, le Canada et la Commission européenne ont élaboré un instrument interprétatif pour répondre aux protestations que l’accord a suscitées, y compris en Europe; encore une fois, cela n’a jamais fait l’objet d’un examen parlementaire.
Soulignons finalement un fait qui pourrait être encore plus important. Le principal partenaire commercial du Canada en Union européenne, la Grande-Bretagne, a voté pour son retrait de l’Union européenne. Le Royaume-Uni, qui est le plus grand marché d’exportation pour les marchandises canadiennes, et qui compte pour près de la moitié des exportations vers l’Europe, n’est plus partie à l’AECG.
Malgré tous ces changements fondamentaux, le gouvernement fédéral n’a pas approfondi davantage l’étude de l’accord, il n’a pas réévalué s’il sera avantageux pour l’économie canadienne et de quelle façon il pourrait l’être, il n’a pas évalué les risques pour les Canadiens, ni commandé d’étude indépendante pour déterminer comment il stimulera la création d’emplois et la prospérité. D’ailleurs, selon la plus récente étude sur l’AECG, l’accord risquerait d’accroître l’inégalité des revenus et d’entraîner des dizaines de milliers de pertes d’emplois au cours des sept années suivant son entrée en vigueur. Au lieu de discuter de cela, voilà que nous tentons de trouver la meilleure façon de mettre en œuvre l’accord. Je ne trouve pas cela très logique. Alors que la question du commerce est devenue un point litigieux pour la population, l’approche que préconise le gouvernement fédéral à l’égard de l’AECG est on ne peut plus décevante.
La consultation sur l’AECG n’a pas été à la hauteur des attentes que le gouvernement s’était lui-même fixées à l’égard des consultations publiques entourant le PTP. D’ailleurs, l’AECG n’est pas à la hauteur des attentes que la Chambre a établies, plus tôt cette année, en réclamant des accords commerciaux stratégiques, inclusifs et efficaces. L’AECG présente de graves lacunes. Il est peut-être ambitieux et conforme au modèle de référence, mais, si on tient compte des attentes des investisseurs privés et de ceux qui recherchent le profit, il ne convient pas aux Canadiens.
J’exhorte le comité à rejeter la mise en œuvre de l’AECG. À tout le moins, je recommande à la Chambre des communes d’entreprendre comme il se doit un examen consultatif du texte final de l’AECG qui doit inclure une analyse des réformes du système de résolution des différends entre l’État et les investisseurs, de l’instrument interprétatif commun et des effets du Brexit.
Je vous remercie infiniment de me donner l’occasion de témoigner devant vous, et je suis prêt à répondre à vos questions.
La présidente: Merci, monsieur Dias. Nous allons maintenant passer à notre dernier témoin, M. Given, du Syndicat international des marins canadiens.
James Given, président, Syndicat international des marins canadiens: Merci de nous accueillir ici aujourd’hui. J’aimerais d’abord souligner que la navigation a probablement été la première victime de la mondialisation. Cela dit, personne n’est plus en faveur du commerce que les syndicats des marins et des débardeurs, puisque c’est leur gagne-pain, mais il nous est impossible d’appuyer des accords commerciaux qui détruisent le cabotage canadien.
Je m’appelle James Given. Je suis président du Syndicat international des marins canadiens, qui représente la vaste majorité des marins non brevetés du pays. Je suis également président du groupe de travail sur le cabotage de la Fédération internationale des ouvriers du transport.
Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur les articles 91 à 94 du projet de loi C-30, soit les dispositions qui visent à modifier la Loi sur le cabotage en vue de la mise en œuvre de l’AECG au Canada. Le Syndicat international des marins canadiens croit fermement que l’affaiblissement de la Loi sur le cabotage nuira à l’industrie maritime canadienne.
Les marins canadiens sont parmi les mieux formés et les plus qualifiés du monde. Les dispositions de la Loi sur le cabotage qui sont favorables aux navires immatriculés au Canada et aux équipages canadiens sont essentielles à la survie de notre industrie. Sans une bonne flotte canadienne exploitée par des Canadiens pour assurer le transport national et international des marchandises, notre pays dépendrait d’entreprises d’expédition étrangères qui ne pourraient garantir un service sans interruption.
Comme aucun intervenant de l’industrie maritime canadienne n’a été consulté lors des négociations sur l’AECG, les propriétaires de navire et les travailleurs maritimes du Canada n’ont d’autre choix que de réagir au résultat final des négociations, faute d’avoir été invités à y participer.
Il y a quelques semaines, j’ai participé à une réunion très instructive avec Steve Verheul, d’Affaires mondiales Canada, ainsi que d’autres fonctionnaires responsables du commerce et fonctionnaires de Transports Canada. Cette rencontre nous a permis de bien mieux comprendre ce qui a donné lieu aux propositions sur l’industrie maritime lors des négociations sur l’AECG. Le problème, c’est que cette rencontre aurait dû avoir lieu il y a quatre ans.
Pour la première fois, le projet de loi C-30 permettra à tout navire étranger d’offrir des services de cabotage et de dragage au Canada sans obtenir une exemption au préalable. Des dispositions en ce sens existaient déjà bien avant l’AECG, et on pouvait accorder l’exemption sans avoir à changer la Loi sur le cabotage, comme le propose le projet de loi C-30. À l’heure actuelle, la Loi sur le cabotage permet à un exploitant étranger de demander une exemption afin de pouvoir pratiquer le cabotage au Canada. Ainsi, les propriétaires de navire peuvent s’opposer à l’exemption s’ils sont en mesure de fournir un navire et un équipage canadiens pour effectuer le travail.
Ce système d’exemption constitue déjà une forme de libéralisation du cabotage. Le Syndicat international des marins canadiens est d’avis que le système d’exemption déjà en place au Canada s’est avéré une solution suffisamment transparente et équitable pour que l’on puisse retenir les services de cabotage d’un propriétaire de navire canadien avant de permettre à un étranger d’accéder au marché du cabotage canadien. En changeant ce processus, le projet de loi C-30 ne portera atteinte qu’aux intérêts du Canada et ne profitera qu’aux entreprises de l’Union européenne qui ont fait du lobbying auprès du gouvernement pour faciliter l’accès au marché. Les dispositions proposées dans le projet de loi C-30 n’offrent aucun avantage à l’industrie maritime canadienne.
L’écart salarial entre les équipages canadiens et les équipages étrangers est considérable. Avec la libéralisation des services d’apport et de dragage, tout navire provenant d’un pays de l’Union européenne comme la Grèce et Chypre aura libre accès aux eaux canadiennes, et il pourra employer des membres d’équipage en provenance de pays du tiers-monde qui seront payés bien en dessous du salaire en vigueur dans l’industrie, même si le navire bat pavillon du pays de première immatriculation, sans être soumis aux exigences nationales relatives à l’équipage. Nous pouvons citer comme exemples des navires dont le premier pays d’immatriculation était la Grèce, qui pratiquaient le cabotage sur les eaux canadiennes, et dont les membres d’équipage, originaires des Philippines, gagnaient aussi peu que 2,34 $ l’heure.
Les pavillons d’un pays de deuxième immatriculation comme l’Allemagne et la France sont considérés comme des pavillons de complaisance. Cette pratique était destinée à la navigation internationale et certainement pas au cabotage dans les eaux canadiennes. D’ailleurs, ces navires ne sont même pas autorisés à faire du cabotage dans leur propre pays.
Heureusement, Transports Canada et Affaires mondiales Canada nous ont assuré que les changements aux termes de l’AECG ne permettront d’aucune façon aux propriétaires de navire de l’Union européenne de contourner les règles du Programme des travailleurs étrangers temporaires afin de pouvoir offrir des services d’apport entre Montréal et Halifax. Les membres d’équipage étrangers devront obtenir un permis de travailleur étranger temporaire.
Au cours des dernières années, les services de l’immigration canadiens ont délivré, à tort, des permis de travailleur étranger temporaire grâce auxquels les membres d’équipage étrangers qui restaient à bord d’un navire pouvaient faire du cabotage dans les eaux canadiennes. Le Syndicat International des Marins Canadiens a intenté contre le gouvernement fédéral des poursuites judiciaires qui ont mené récemment à une entente qui prévoit la tenue de tables rondes entre le gouvernement et l’industrie maritime canadienne afin de voir à ce qu’une telle situation ne se reproduise plus.
Même si la Fédération maritime du Canada et l’administration portuaire de Sydney ont demandé au comité d’assouplir davantage le cadre réglementaire du cabotage, le Syndicat International des Marins Canadiens soutient que cette demande sort du cadre de l’AECG et du projet de loi C-30. Comme il a été souligné, notamment par M. Verheul, d’Affaires mondiales Canada, et dans d’autres témoignages devant le comité, aucun pays de l’Union européenne ne réclamait l’accès à ces ports. La libéralisation accrue du cabotage qui a été proposée ne devrait pas être envisagée.
Par ailleurs, comme l’ont souligné les propriétaires de navire canadiens, nous sommes également préoccupés par la surveillance des navires exploités au Canada. Pour assurer la pleine conformité, il sera essentiel de mettre en place un régime efficace de surveillance et d’application de la loi. Pour que les intervenants canadiens puissent demeurer compétitifs, il faut mettre en place un système pour s’assurer que les exploitants étrangers se conforment rigoureusement aux règles et aux normes canadiennes, notamment en ce qui a trait au travail et au salaire en vigueur. Ces navires sont actuellement assujettis au cadre législatif visant les pavillons nationaux, ce qui complique l’application des lois canadiennes à leur bord.
Je vous remercie infiniment de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui, et je suis prêt à répondre à des questions.
Le sénateur Woo: Je remercie tous les témoins de leurs exposés.
J’ai une question pour Mme MacEwen sur le problème qu’elle a souligné à propos des marchés d’approvisionnement publics locaux et de l’accès inconditionnel. Croyez-vous que l’accès inconditionnel signifie que le traitement national ne s’applique pas? Je pose la question parce que le traitement national pourrait s’appliquer malgré l’accès inconditionnel. Par exemple, une municipalité qui inclut dans un contrat des exigences liées à l’environnement, à la santé ou à la responsabilité sociale des entreprises pourrait se conformer aux dispositions à la fois sur l’accès inconditionnel et sur le traitement national si elle impose les mêmes exigences aux fournisseurs étrangers et aux fournisseurs locaux.
Mme MacEwen: L’AECG tient compte du traitement national, en effet. Cependant, le problème que j’ai souligné va au-delà du traitement national. On ne peut plus imposer des règles environnementales. On ne peut plus exiger la formation d’un certain nombre de personnes. On ne peut plus inclure ce genre de conditions dans les marchés d’approvisionnement publics locaux. L’AECG ne le permet pas.
Le sénateur Woo: J’ai une brève question pour M. Lahay. J’essaie de comprendre les chiffres dans le tableau que vous avez fourni. Les montants sont-ils en dollars américains?
M. Lahay: C’est exact.
Le sénateur Woo: On calcule ensuite le salaire brut ou le salaire mensuel?
M. Lahay: C’est exact. Le salaire de base représente une semaine de travail de 44 heures, et il y a évidemment 4,33 semaines dans un mois. C’est avec ces données qu’on calcule le salaire horaire.
Le sénateur Woo: Vous utilisez le salaire de base plutôt que le salaire brut, n’est-ce pas?
M. Lahay: Oui, c’est exact. Les heures supplémentaires fixes sont payables chaque mois, et il y a aussi, évidemment, les dispositions relatives aux congés et aux frais de subsistance, et le salaire brut total. Pour un matelot qualifié, le montant est de 1 150 $. Ce matelot devrait travailler 300 heures de plus pour obtenir une heure supplémentaire, ce qui n’est pas inhabituel. Les marins travaillent au minimum neuf heures par jour, sept jours sur sept, de neuf à douze mois par année.
Le sénateur Woo: Donc, pour que ce soit clair, calculez-vous le salaire horaire en fonction du salaire de base ou en fonction du salaire brut?
M. Lahay: Le taux horaire est calculé en fonction du salaire de base, et le taux des heures supplémentaires est 1,25 fois le taux horaire normal.
Le sénateur Pratte: En ce qui concerne ces chiffres et les autres chiffres relatifs aux salaires, je voudrais obtenir certaines précisions. Lorsqu’on parle de salaires aussi bas que 2,34 $ ou 2,41 $ l’heure, je crois — mais je peux me tromper — qu’en vertu de l’AECG, ou actuellement, l’exploitant d’un navire étranger ne peut légalement verser ces salaires aux marins étrangers qui travaillent sur son bâtiment lorsque son navire se trouve dans les eaux canadiennes. En effet, en vertu du système relatif aux travailleurs étrangers, il doit leur payer le salaire médian versé au Canada. Est-ce que je me trompe?
M. Lahay: Cela nous ramène à ce que disait M. Given. Je vais le laisser vous répondre.
M. Given: Vous avez tout à fait raison. Selon la loi actuelle sur l’immigration et le Programme des travailleurs étrangers temporaires, les travailleurs qui viennent au Canada doivent être payés au salaire courant. Lorsqu’un navire arrive au Canada, il bénéficie d’une dispense accordée par l’Office national des transports. L’équipage est toutefois assujetti au processus d’immigration pour les travailleurs étrangers temporaires. Notre action en justice était fondée sur le fait que la loi n’avait pas été appliquée. Les travailleurs ont dit eux-mêmes qu’aucune étude d’impact sur le marché du travail n’a été effectuée pour s’assurer qu’il n’y avait pas de Canadiens disponibles pour faire le travail, et pourtant, l’an dernier, il y en avait, puisque le taux de chômage atteignait 15 p. 100. Le salaire versé aux membres d’équipage correspondait au salaire prévu dans leur contrat de travail, soit 2,34 $ l’heure. Personne n’a vérifié que l’on respectait la loi. C’est une industrie fantôme dont personne ne tient compte, et c’est un problème de taille. Si la loi avait été appliquée, on aurait pu créer 2 100 emplois au Canada l’an dernier — des emplois bien rémunérés pour la classe moyenne. Le groupe consultatif que nous rencontrons a comme objectif de changer cela et de faire en sorte que la loi soit respectée.
Le sénateur Pratte: Vous en êtes arrivés à un règlement avec le gouvernement du Canada relativement à ces poursuites, et je crois comprendre qu’à la suite de ce règlement, vous allez travailler ensemble afin que le nouveau système qui découle des négociations permette d’éviter que cette situation ne se reproduise. Par conséquent, je pense qu’avec le nouveau système, avec l’AECG, cela n’arrivera plus, et les marins qui travaillent sur les navires européens dans les eaux canadiennes seront payés selon le taux salarial courant.
M. Given: C’est le résultat que nous voulons atteindre, mais ce n’est pas un résultat garanti. Lorsqu’on songe aux changements qui ont été apportés pour les permis de moins de 30 jours afin d’accélérer le processus, on constate qu’il faut régler tout cela. Dans un monde idéal, tous les marins étrangers arrivant au Canada seraient payés au salaire courant, ce qui rendrait les règles du jeu équitables et permettrait d’éliminer cet avantage concurrentiel.
Le sénateur Pratte: Si cela ne se produit pas, pourriez-vous intenter des poursuites à nouveau?
M. Given: Oui, nous le pourrions, si nous trouvions 2 ou 3 autres millions de dollars.
La sénatrice Cordy: Merci beaucoup. Encore une fois, nous avons d’excellents témoignages aujourd’hui. C’est très intéressant: la semaine dernière, un témoin nous a dit que nous ne pouvions pas renoncer à nos valeurs pour un accord commercial. Je pense que vous l’avez tous réaffirmé aujourd’hui.
J’aimerais revenir sur les observations formulées la semaine dernière, et encore aujourd’hui, selon lesquelles les navires non européens ayant un équipage non européen pourraient être immatriculés dans les pays européens et ainsi être visés par l’AECG, puis venir au Canada et battre pavillon d’un pays européen. En avez-vous entendu parler?
M. Given: Permettez-moi de faire un bref commentaire, puis je céderai la parole à M. Lahay. En fait, il n’est même pas nécessaire d’aller aussi loin. Les salaires et les conditions de travail sur les navires ayant une première immatriculation dans certains pays de l’Union européenne sont inférieurs à la norme minimale de l’Organisation internationale du travail.
Il y a ensuite un second registre qui a été créé dans des pays comme la France, l’Allemagne et la Norvège pour que ces navires puissent être concurrentiels sur le marché international. Ils ne peuvent même pas retourner faire du cabotage dans leur propre pays; ils doivent passer à un drapeau national authentique. J’ignore pourquoi nous permettrions que cela se produise au Canada. Ce système de pavillon de complaisance a toujours été utilisé; on immatricule le navire à l’étranger pour en cacher le véritable propriétaire et ainsi échapper à l’impôt, aux normes sociales et à tout le reste pour les membres de l’équipage. Je vais céder la parole à M. Lahay.
M. Lahay: Je dirai simplement que Jim a tout à fait raison. Le changement de pavillon est très courant. Un navire aura parfois deux ou trois pavillons en deux ou trois ans; tout ce qu’on a à faire, c’est de créer une entité juridique. Évidemment, tout est immatriculé à l’étranger. Un navire battant pavillon norvégien sera tout de même enregistré ailleurs.
C’est un peu comme le cas dont j’ai parlé aujourd’hui, celui du Venetia, un navire allemand battant pavillon portugais et enregistré auprès du protectorat portugais de Madère. J’ajouterais que, dans ces cas, les premiers et les seconds registres mènent généralement à des conditions et à des salaires parfois même inférieurs à ceux des pavillons de complaisance, pour lesquels la FIOT gère assez bien la situation. Nous avons une norme concurrentielle internationale assez élevée pour ce qui est des navires battant pavillon de complaisance, mais dans ce cas-ci, nous ne gérons pas aussi bien la situation, et le risque de nivellement par le bas a semé la consternation dans les syndicats maritimes et les pays du monde.
C’est ce que nous constatons toujours dans le transport maritime. C’est une industrie extrêmement concurrentielle. Tout le monde cherche à accroître ses marges de profits. La Fédération maritime du Canada vous dira que cela fera économiser beaucoup d’argent aux armateurs, et c’est vrai, mais les armateurs économiseraient également beaucoup d’argent s’ils n’avaient pas autant de surcapacité. Ils ne gèrent pas eux-mêmes leurs activités; ils s’attendent donc à ce que quelqu’un d’autre crée une fausse économie pour eux.
Il existe en effet actuellement un univers complexe de salaires et d’ententes salariales. Nous n’en voyons pas la fin. J’espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Cordy: Vous avez dit avoir gagné votre cause, de sorte que les marins, lorsque leur navire est dans les eaux canadiennes, soient traités comme des travailleurs étrangers et qu’ils touchent ainsi le salaire courant. Or, ni vous ni votre collègue ne sembliez convaincus que ce serait le cas. Y a-t-il un moyen de favoriser l’application de la loi ou une certaine surveillance pour déterminer si l’équipage des navires entrant au Canada et battant pavillon d’un pays européen aurait en fait…
M. Given: Je ne veux pas dire que nous avons « gagné »; nous avons réglé l’affaire. À l’aide du groupe de travail et de tout ce qui s’en vient, nous tenterons d’améliorer la situation dans le domaine maritime. C’est un enjeu complexe; cela n’a rien à voir avec le travail à terre ou quoi que ce soit d’autre. Le problème réside dans les inspections sur les navires, et les inspections relatives à cette question, surtout, sont trop rares et trop espacées. Il y en a peu, et il n’y a pas assez de gens pour les faire. Pour les marins étrangers, il est difficile de porter plainte. S’ils déposent une plainte auprès des autorités canadiennes, ces marins seront probablement jetés en prison à leur retour dans leur pays, et on leur reprendra l’argent qu’ils ont reçu. C’est un problème que M. Lahay et moi avons abordé à maintes reprises au fil des ans. Il n’y a pas de solution facile, mais si une loi existe, alors nous devons faire tout notre possible pour la faire appliquer.
Le sénateur Gold: Ma question s’adresse principalement à Mme MacEwen et à M. Dias. Le libre-échange et la mondialisation entraînent des perturbations et toutes sortes de conséquences, positives comme négatives. Vous avez soulevé un certain nombre de questions relativement aux répercussions sur le prix des médicaments et d’autres produits, ainsi que sur le mouvement syndical et les travailleurs en général. Pourriez-vous d’abord nous parler des avantages possibles pour les Canadiens? Selon vous, l’éventail élargi de biens et d’importations sera-t-il avantageux? Il est vrai que nous exporterons peut-être moins et que nous importerons plus selon certains arrangements, mais lorsque nous importons, les citoyens et travailleurs canadiens ont accès à plus de marchandises. Avez-vous des observations à formuler à ce propos? J’aurai ensuite une brève question complémentaire au sujet du règlement des différends.
M. Dias: Aux fins de la discussion, nous comprenons que l’importation de produits moins chers pourrait être considérée comme un réel avantage pour le consommateur, mais il doit aussi y avoir un certain équilibre. Nous ne pourrons acheter ces produits si nous ne travaillons pas. Voilà pourquoi les accords commerciaux équitables sont essentiels. Voilà pourquoi nous devons faire beaucoup mieux lorsque nous négocions des accords commerciaux.
La question que nous devons nous poser, c’est: qu’en retirons-nous? Nous comprenons l’importance des produits bon marché. C’est un argument logique. Toutefois, nous devrions à tout le moins être en mesure de déterminer, aux fins de la discussion, ce que nous avons à offrir, ce que nous pouvons fabriquer et ce que nous devons vendre pour maintenir les emplois. Tant que nous nous contentons d’expédier nos matériaux bruts et nos ressources naturelles à l’Allemagne, par exemple, et de racheter les voitures et les produits finis, tant que nous sommes satisfaits du fait que ce sera la force de notre économie à long terme, alors je suppose que c’est une réponse acceptable, mais je n’y crois pas.
L’ALENA en est un parfait exemple. Avant l’ALENA, nous avions un excédent commercial de 12 milliards de dollars dans le secteur manufacturier. Aujourd’hui, nous avons un déficit de 120 milliards de dollars. Cela me rend nerveux quand tout le monde parle de renégocier l’ALENA. Pourquoi? Est-ce seulement lorsque le déficit atteindra 200 milliards de dollars que nous comprendrons qu’il existe un problème? Je ne doute pas qu’il y ait des avantages à importer certains produits, mais je m’inquiète du fait que nous n’ayons aucune stratégie quant à ce que nous allons exporter.
Mme MacEwen: Le principe économique du commerce, c’est que l’on réduit normalement les obstacles ou les droits de douane, ce qui accroît la concurrence et fait baisser les coûts. Les gens mettent l’accent sur leurs forces. Or, ce n’est pas ce que font les accords commerciaux. C’est ce que j’ai tenté de faire valoir à propos des produits pharmaceutiques; nous mettons en place des éléments protectionnistes dans les accords commerciaux qui bénéficient aux très grands joueurs, et nous n’abaissons pas les droits de douane.
Cela m’irrite lorsque les gens disent que nous ouvrons les marchés. Je me suis plainte à ce sujet lors d’une discussion, chez moi, à l’heure du souper. Ma fille m’a dit: « Tu devrais apporter un brie à la réunion du comité, maman, et leur montrer. » On peut déjà acheter des fromages français. C’est un peu plus cher que si nous abaissions les barrières commerciales, mais nous n’ouvrons pas les marchés.
Nous devrions réduire les droits de douane, mais ce n’est pas ce que fait l’AECG. Cet accord fait beaucoup d’autres choses qui visent des intérêts particuliers, comme le cabotage, les produits pharmaceutiques et la protection intellectuelle. Il est problématique de comparer uniquement le commerce et le principe économique du commerce avec les accords commerciaux que nous voyons sur papier.
Nous abaissons les droits de douane sur les voitures allemandes, les vins et les fromages français, et nous perdons des emplois à l’extrémité inférieure du spectre. Voilà pourquoi je parle de l’inégalité croissante. Une étude réalisée par l’Université Tufts indique que la croissance économique est faible. Les gens les plus riches ont accès à des voitures allemandes moins chères et à des vins moins chers, alors que les moins nantis perdent leur emploi. Cette inégalité résulte d’un accord non équitable et non équilibré.
Le sénateur Gold: Vous avez également fait allusion aux mécanismes de règlement des différends. Reconnaissez-vous néanmoins que les dispositions de l’AECG à ce sujet clarifient, dans une plus large mesure que les accords antérieurs, le droit du Canada et de l’Union européenne d’adopter des règlements et d’atteindre des objectifs légitimes en matière de politique, par exemple dans les domaines de la santé publique, de la sécurité, de l’environnement, de la moralité publique, de la protection sociale ou des consommateurs, et de la diversité culturelle — des enjeux qui avaient suscité, à juste titre ou à tort, de nombreuses critiques dans le processus d’arbitrage entre investisseurs et États en général?
Mme MacEwen: J’ai entendu le témoignage de Gus Van Harten, tout à l’heure, et je me fie en quelque sorte à son analyse. Il y a des dispositions de l’AECG et de l’instrument interprétatif qui sont excellentes et qui communiquent bien les idées que nous souhaiterions voir incluses dans un accord commercial, mais dans les faits, ce contenu n’annule pas le droit des sociétés de poursuivre les gouvernements.
Nous ne nous sommes jamais inquiétés de la capacité des gouvernements de prendre des règlements nationaux, sauf que cela représente pour eux un coût élevé et une incertitude, car il y a toujours une ouverture. Il y a une virgule à la fin qui indique que ce n’est aucunement différent de ce que dit le reste de l’accord. Si le droit des sociétés de poursuivre les gouvernements est inscrit dans un chapitre précis, alors les autres dispositions ne peuvent pas annuler ce chapitre. Sur le plan des droits, il y a un écran de fumée qui embellit les choses dans l’AECG.
La sénatrice Cools: J’aimerais savoir d’où viennent les malheureux marins qui gagnent ces salaires de misère. Je sais, par exemple, que certains navires de croisière recrutent leur personnel en Indonésie, et d’autres, aux Philippines. Pourriez-vous nous parler un peu de ces hommes? Je présume qu’il s’agit principalement d’hommes. De quels pays viennent-ils? En avez-vous une idée?
M. Engler: Une partie de l’entente vise à ce qu’ils aillent dans un pays, puis dans un autre où l’on est prêt à accepter des salaires de moins en moins élevés. Cela fait partie du phénomène de la mondialisation. L’un des principaux problèmes, ici, c’est que ces ententes entraînent la perte d’emplois offrant un salaire vital. Dans le domaine maritime, ces emplois ont disparu.
J’ai subvenu aux besoins de ma famille en travaillant sur un remorqueur. Ces emplois disparaîtront probablement; nos travailleurs seront remplacés par des gens d’un pays du tiers monde qui sont prêts à travailler. En fait, dans beaucoup de ces pays, les gens achètent ces emplois. Leur famille amasse suffisamment d’argent pour acheter un emploi. C’est illégal, mais c’est ce qui se produit.
Le plus important, c’est de défendre leurs droits. Nous ne nous opposons pas à ces gens. Même aux salaires mentionnés, ils doivent souvent s’adresser à un inspecteur de l’ITF pour qu’on leur paie ces sommes dérisoires. Il ne s’agit pas seulement des salaires. À Vancouver, Peter Lahay a découvert, sur un navire, un marin qui aurait pu mourir d’une insuffisance rénale. Le capitaine ne voulait pas le laisser descendre à terre parce que cela aurait entraîné des coûts supplémentaires. Le marin aurait dû être transporté dans son pays par avion. Peter l’a fait descendre du bateau, et on a découvert que le marin souffrait d’insuffisance rénale. Il aurait pu mourir si Peter n’y était pas allé ce jour-là.
Ce qui se passe sur ces navires est épouvantable; l’ITF, la section locale de mon syndicat et celle du syndicat de Jim se battent tous pour ces marins, mais ce n’est pas une bataille facile à gagner, car on fera appel à des travailleurs à salaires inférieurs dans n’importe quel pays. Il y a toutes sortes de scénarios. Il y a des Birmans, des Chinois et des Indonésiens, et les Philippins sont là depuis longtemps. Il arrive souvent qu’on ne veuille pas des Philippins parce qu’ils sont là depuis assez longtemps pour être fiers de ce qu’ils font et pour prendre leur travail au sérieux. Ils ont moins peur. Ils ont peur quand même, mais pas autant que les autres.
Nous perdons des emplois, ce qui élargit le fossé entre les riches et les pauvres dans notre pays. Nous privons des personnes. Nous travaillons actuellement avec des membres des Premières Nations en Colombie-Britannique, on nous parle des emplois qu’offre la NEAS aux Inuits, et ces emplois sont très positifs pour de nombreuses communautés des Premières Nations, car ils permettent aux gens de vivre dans leur communauté et de travailler. Ils peuvent vivre où ils veulent. Nous avons des membres qui travaillent sur les remorqueurs, et l’un d’entre eux vit au Texas et vient au pays lorsqu’il travaille. On peut vivre où l’on veut et occuper ces emplois, mais ces emplois disparaîtront probablement si nous continuons dans cette voie. Merci.
Le sénateur Marwah: Je vous remercie encore de vos exposés. Chacun d’entre vous, qui représentez le Congrès du travail du Canada, Unifor et le Syndicat international des marins canadiens, avez exprimé une certaine inquiétude au sujet de l’AECG et du manque de consultation. Je trouve étonnant et déconcertant qu’on en soit arrivé à cette étape sans avoir tenu de vastes consultations, mais là n’est pas la question.
Nous en sommes là. Vous comprenez, j’en suis sûr, que nous en sommes à la fin d’un processus de huit ans. Par conséquent, il n’est tout simplement pas réaliste de suggérer ou de recommander que nous tentions de renégocier l’AECG.
La question que je veux vous poser à tous est la suivante. Quelles mesures réalistes pouvons-nous prendre maintenant pour atténuer certaines de vos préoccupations? C’est ce que je veux savoir. Des suggestions ont été faites; certaines sont irréalistes, mais d’autres méritent qu’on y réfléchisse. Que pouvons-nous faire sur le plan de la réglementation? Le gouvernement du Canada a prise sur la réglementation, mais nous n’avons pas prise sur le projet de loi. Je pense que tout est déjà fait, ou du moins, en grande partie. Je veux donc savoir ce que nous pouvons faire maintenant. Il est irréaliste de dire que nous devons renégocier.
M. Engler: Selon le point de vue des gens qui travaillent sur les remorqueurs et des marins de ma section locale, puisque les modifications proposées à l’AECG dans le projet de loi C-30 ne favoriseront pas l’accroissement des échanges commerciaux réciproques et la concurrence loyale, qui étaient les objectifs du projet de loi C-30 relativement à l’AECG, nous devons demander que le Sénat corrige la situation en amendant le projet de loi en fonction des recommandations présentées au comité sénatorial par le représentant de la NEAS le 6 avril dernier. Je suis d’accord avec Mme MacEwen, du Congrès du travail du Canada, et avec M. Dias pour dire que, dans l’ensemble, l’accord est mauvais, mais c’est l’une des choses que vous pouvez faire pour le transport maritime.
M. Given: En ce qui concerne plus précisément le chapitre sur le transport maritime et le cabotage, dans le projet de loi C-30, selon moi, pour que l’AECG soit mis en œuvre, il n’est pas nécessaire de modifier la Loi sur le cabotage. Je ne vois donc pas pourquoi on envisagerait de la modifier.
Selon le système de dispense déjà en place, si une entreprise européenne veut venir mener des activités entre Montréal et Halifax, elle doit simplement demander une dispense à l’Office des transports du Canada pour son navire. Les armateurs canadiens ont alors la possibilité de dire: « Non, nous allons faire le travail. » Il n’est pas nécessaire de changer quoi que ce soit, sur le plan du transport maritime, pour mettre en œuvre l’AECG.
M. Dias: J’en conviens, le Canada est pressé de le ratifier, contrairement à l’Europe. Il y a encore beaucoup de discussions qui ont lieu au sujet du processus de règlement des différends entre investisseurs et États. Nous suggérons de mettre en place — et nous ne devrions pas craindre de le faire — un examen consultatif exhaustif du texte final de l’AECG. Il nous faut vraiment une analyse des réformes sur les différends entre investisseurs et États. Il nous faut une véritable analyse sur l’incidence du Brexit.
Je pense que la crainte de préparer une analyse qui nous fournirait ce type d’information ne devrait pas justifier de s’entêter. Le fait de fournir l’information et d’effectuer une analyse exhaustive du texte final est un bon départ si, effectivement, le navire est déjà rendu trop loin.
La présidente: Nous avons dépassé l’heure de fin de la séance. Je vous remercie d’avoir fait preuve d’indulgence et d’être restés plus longtemps que prévu. Vous nous avez présenté de nombreux points de vue, des pistes de solutions et des suggestions que nous devrons examiner dans le cadre de nos prochaines études. Nous avons encore des témoins à entendre.
Entretemps, s’il y a quoi que ce soit que vous souhaitez ajouter à votre témoignage, nous vous saurions gré de faire parvenir un mémoire à la greffière à ce sujet. Il y aura peut-être d’autres idées qui ressortiront des témoignages d’aujourd’hui. Si les sénateurs ont des questions de suivi à poser, ils peuvent les donner à la greffière, qui les transmettra aux témoins.
Nous vous remercions encore sincèrement de votre patience et de votre témoignage devant le comité.
Honorables sénateurs, la séance est levée.
(La séance est levée.)