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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 54 - Témoignages du 21 novembre 2018


OTTAWA, le mercredi 21 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 17, pour examiner la teneur des éléments de la section 13 de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, et le projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous nous réunissons aujourd’hui pour commencer notre étude de la teneur des éléments de la section 13 de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Avant de passer à notre groupe de témoins, je demanderais aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

Le sénateur Massicotte : Paul J. Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

La présidente : Je m’appelle Raynell Andreychuk et je viens de la Saskatchewan.

Nous sommes heureux d’accueillir au comité des fonctionnaires d’Affaires mondiales : Mme Katharine Funtek, directrice exécutive, Direction de la politique sur la réglementation commerciale, et Mme Isabelle Ranger, avocate, Accès aux marchés et Loi sur les recours commerciaux. Nous accueillons également Michèle Govier, directrice principale, Règles du commerce international, Division de la politique commerciale internationale, de Finances Canada.

Merci de vous être jointes à nous. Nous examinons une petite partie très précise d’un énorme projet de loi. Nous devons savoir ce que dit actuellement l’article, comment il est mis en œuvre, ce que la modification offrira à la ministre et aux ministères ainsi que pourquoi on a demandé d’apporter cette modification et ce qu’elle fera. Si vous pouvez nous guider là-dedans, je suis certaine qu’il y aura ensuite des questions. Bienvenue au comité.

Michèle Govier, directrice principale, Règles du commerce international, Division de la politique commerciale internationale, ministère des Finances Canada : Merci beaucoup. Je vais commencer par un survol, comme on l’a demandé. J’espère qu’il répondra à certaines de ces questions et, bien entendu, nous serons heureux de répondre ensuite à des questions en tant que groupe.

Comme vous l’avez fait remarquer, la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018 apporte une modification à la Loi sur les licences d’exportation et d’importation en ce qui a trait à la détermination par la ministre des quantités de marchandises visées par le régime d’accès afin d’établir une méthode pour répartir ces quantités et pour délivrer des autorisations d’importation.

Je vais d’abord parler de la loi. La Loi sur les licences d’exportations et d’importation donne à la ministre des Affaires étrangères le pouvoir de contrôler l’importation et l’exportation des marchandises au moyen de permis. La ministre des Affaires étrangères a actuellement le pouvoir de déterminer la quantité de marchandises visée par le régime d’accès, d’établir une méthode pour répartir ces quantités et de délivrer des autorisations pour les marchandises inscrites sur la liste des marchandises d’importation contrôlée aux fins de la mise en œuvre d’un accord ou d’un engagement intergouvernemental.

La loi d’exécution du budget comprend une modification à la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, la LLEI, afin d’accorder à la ministre des Affaires étrangères un pouvoir supplémentaire grâce auquel elle pourra déterminer et répartir les quantités de marchandises. Le pouvoir supplémentaire viserait les produits ajoutés à la liste des marchandises d’importation contrôlée pour faciliter la mise en œuvre de mesures commerciales prises en vertu du Tarif des douanes. Elles pourraient nécessiter l’obtention d’une licence d’exportation. Cela comprend des mesures de sauvegarde utilisées dans des circonstances exceptionnelles pour répondre aux augmentations subites des exportations qui pourraient nuire aux producteurs et aux travailleurs canadiens, ainsi que des mesures commerciales qui donnent suite aux mesures d’autres pays qui ont des répercussions négatives sur le commerce canadien.

Cette modification permettra au gouvernement du Canada d’appliquer ces mesures commerciales de façon plus prévisible, ce qui contribuera à la stabilité du marché lorsqu’elles sont nécessaires.

C’est un survol sommaire. Je serai heureuse de répondre aux questions.

La présidente : Y a-t-il un autre exposé? Alors je peux peut-être commencer. J’essaie de comprendre le pouvoir discrétionnaire de la ministre et en quoi il sera différent. Est-il question de différentes industries, ou des seules marchandises qui entrent et circulent? De quelle façon la modification changera-t-elle les activités?

Katharine Funtek, directrice exécutive, Direction de la politique sur la réglementation commerciale, Affaires mondiales Canada : La LLEI autorise le gouverneur en conseil à inscrire certaines marchandises sur la liste des marchandises d’importation contrôlée ou sur d’autres listes. Il peut le faire à certaines fins, notamment la mise en œuvre d’un accord ou d’un engagement intergouvernemental. Il peut également le faire pour appuyer la gestion de l’offre. Il y a donc diverses raisons.

Lorsque le gouverneur en conseil inscrit des produits sur la liste des marchandises d’importation contrôlée pour une de ces raisons, la ministre a actuellement le pouvoir de déterminer la quantité de marchandises visée par le régime d’accès ayant été inscrites sur la liste pour mettre en œuvre un accord ou un engagement intergouvernemental. Une fois que c’est fait, conformément à l’article 6.2 de la LLEI, la ministre peut alors déterminer de quelle façon les quotas seront alloués à des résidents du Canada et leur délivrer une autorisation d’importation. À l’heure actuelle, c’est la seule fin pour laquelle elle a ce pouvoir discrétionnaire.

Il y a aussi une autre disposition dans la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, au paragraphe 5(6), qui permet au gouverneur en conseil d’inscrire certaines marchandises sur la liste des marchandises d’importation contrôlée pour mettre en œuvre des mesures prises en vertu du Tarif des douanes, comme l’a mentionné plus tôt ma collègue.

À l’heure actuelle, la seule façon de gérer aux fins de contrôle les marchandises inscrites sur la liste des marchandises d’importation contrôlée en vertu du paragraphe 5(6), c’est en appliquant le principe du premier arrivé, premier servi. En règle générale, les importateurs ne sont pas très emballés par cette façon de procéder. Si la demande pour un produit donné n’est pas très forte, alors cela n’a pas d’importance. En revanche, si la concurrence est considérable pour être autorisé à importer le produit au Canada à un taux tarifaire favorable — c’est ce qui est permis lorsqu’on obtient une autorisation, que le produit figure sur la liste et qu’on a un permis —, on se bouscule alors à la frontière. En général, on ignore s’il sera possible d’importer une certaine quantité du produit à un taux de droit inférieur de zéro pour cent ou un à un taux faible par rapport à un taux élevé.

Par exemple, pour ce qui est des mesures de sauvegarde visant l’acier, la surtaxe est de 25 p. 100. Si vous faites venir la marchandise et que vous demandez des permis dans un système de premier arrivé, premier servi, vous pourriez manquer de chance à la frontière parce que quelques entreprises ont réussi à obtenir ces permis avant vous et que ce sont elles qui profitent du taux de droit inférieur. Vous êtes donc maintenant à la frontière, vous ne pouvez plus obtenir de permis pour votre marchandise parce que le quota est atteint, et vous devez maintenant payer des droits qui correspondent à 25 p. 100 de la valeur de votre marchandise, ce qui peut coûter extrêmement cher.

La modification que nous apportons ici ajoute dans la LLEI une autre fin pour laquelle la ministre peut accorder une autorisation. En plus de la raison actuelle, qui est de mettre en œuvre un accord ou un engagement intergouvernemental, comme un accord de libre-échange, nous allons ajouter le paragraphe 5(6) à la LLEI. Par conséquent, pour les mesures prises aux termes paragraphe 5(6), qui permet au gouverneur en conseil d’inscrire certaines choses sur la liste des marchandises d’importation contrôlée pour mettre en œuvre des mesures prises en vertu du Tarif des douanes, la ministre aura dorénavant le pouvoir de déterminer la quantité de marchandises et la méthode de répartition des quotas, et elle pourra délivrer des autorisations aux résidents du Canada pour ces marchandises.

La présidente : Et l’industrie sidérurgique et les droits de douane sont à l’origine de cette modification, n’est-ce pas? Pouvez-vous expliquer ce qui s’est fait? A-t-on approché des fonctionnaires et le gouvernement? Sinon, comment en est-on arrivé à la modification, qui me semble ciblée? Elle peut servir à d’autres fins, mais est-ce l’industrie sidérurgique qui en est à l’origine compte tenu des droits de douane qui en découlent?

Mme Govier : À propos de l’origine de la modification, nous nous penchions sur deux choses pendant cette période. Il y avait les mesures de sauvegarde visant l’acier, que nous examinons depuis un certain temps. Il y avait aussi le contexte de l’article 232 des droits de douane américains imposés sur l’acier et l’aluminium, lorsque le gouvernement réfléchissait à sa réponse. Cela a fini par prendre la forme de droits de douane, pas d’un contingent tarifaire. S’il avait été question d’un contingent tarifaire ou d’une sorte de quota imposé au Canada, nos contre-mesures auraient également pu prendre cette forme. C’est en examinant ces options que nous nous sommes rendu compte de l’éventuel manque de pouvoir pour accorder des autorisations si jamais nous prenions ce genre de mesures.

Le sénateur Oh : Je veux donner suite à la question posée par la présidente. Comment fonctionne le système de quotas? Auparavant, en Chine, lorsqu’il y avait des quotas visant les exportations aux États-Unis, ces quotas sont devenus des biens d’échange. On pouvait en acheter beaucoup sans nécessairement être dans le secteur manufacturier; on pouvait vendre son quota à quiconque voulait faire des exportations aux États-Unis. Comment le système est-il contrôlé?

Mme Funtek : Je ne suis pas tout à fait certaine de comprendre la question. À vrai dire, nous avons actuellement des contingents tarifaires pour certaines marchandises, entre autres pour des produits agricoles. Pour obtenir une autorisation, il faut être résident du Canada et actif dans le secteur. Cela dépend de la politique ou du règlement, mais cela signifie essentiellement qu’un résident du Canada peut présenter une demande pour pouvoir importer ou exporter ces marchandises, selon le cas.

Conformément à la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, la ministre peut autoriser le transfert d’autorisations. Le titulaire d’une autorisation au titre d’un contingent tarifaire qui veut transférer une partie ou l’ensemble de son quota à un autre titulaire peut s’adresser au ministère pour obtenir la permission.

Cela fonctionne de cette façon. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Oh : Non. Vous pourriez peut-être examiner la question en détail, car la situation était similaire en Asie lorsqu’on essayait d’exporter des marchandises aux États-Unis. On avait un système de quotas, mais les entreprises exportatrices et importatrices pouvaient acheter tous les quotas et les revendre ensuite au fabricant.

Mme Funtek : On ne peut pas acheter de quotas ici.

Le sénateur Oh : Vous êtes sûre?

Mme Funtek : Nous gérons les contingents tarifaires. Il faut donc juste demander un permis, et c’est le principe du premier arrivé, premier servi qui s’applique. On paye pour le permis, et le coût dépend de la valeur de la marchandise.

Il faut tout simplement en faire la demande, et c’est ce permis qui est présenté lors de la déclaration des marchandises à l’Agence des services frontaliers du Canada. À défaut d’avoir un permis, on paye les droits hors contingent. Avec un permis, on paye plutôt le taux du contingent, de 0 ou 3 p. 100, peu importe où il se situe.

Si nous songeons à un système d’autorisations au Canada, nous allons alors, au ministère des Affaires mondiales, publier un avis aux importateurs, qui précisera la politique de la ministre relativement à la façon de répartir le contingent tarifaire.

Il y aurait un formulaire de demande, et il faudrait une déclaration sous serment, ce genre de choses. La demande serait présentée au ministère, qui examinerait ensuite toutes les demandes reçues et déterminerait si elles sont conformes à la politique ministérielle. Lorsqu’une demande n’est pas conforme et non recevable, la raison serait indiquée au demandeur. Les demandeurs qui ont respecté la politique recevraient quant à eux une autorisation établie en fonction de ce que stipule la politique du ministère.

On ne paye pas pour cela. Il faut payer un avocat pour la déclaration sous serment et ce genre de chose, et payer pour la lettre du comptable, mais tout le monde doit le faire. Pour l’autorisation proprement dite, personne ne paye au Canada. Une fois l’autorisation en main, on peut effectivement la transférer à un autre titulaire. Il faut que ce soit un titulaire.

Ce qu’on ne peut jamais transférer, c’est le permis. Lorsqu’on a une autorisation, on peut avoir autant de permis qu’il le faut pour atteindre son quota. On peut transférer l’autorisation, mais pas un permis.

Par exemple, on peut demander un permis — et c’est le principe du premier arrivé, premier servi qui s’applique —, mais on ne peut pas le transférer en vertu de la loi.

Le sénateur Oh : Je vais faire un suivi de la question plus tard.

La présidente : Je pensais que c’était votre question. Je vais vous donner la parole au deuxième tour.

La sénatrice Bovey : Vous dites que la ministre établit les autorisations. Quels facteurs utilise-t-elle pour déterminer les quantités de marchandises visées par le régime d’accès, et quels critères utilise-t-elle pour calculer les quantités? Quels sont les critères, quels sont les facteurs, et est-ce uniforme, ou la façon de procéder change-t-elle selon la personne en poste? En quoi est-ce uniforme?

Mme Funtek : D’entrée de jeu, la première chose que la ministre regarderait, c’est le Règlement sur les autorisations d’importation. Nous avons un règlement. La ministre doit tenir compte de certaines choses.

Quand la ministre étudie la question, elle tient compte d’une série de facteurs énoncés dans le règlement. Je ne vais pas tous les lire, quoique je serais heureuse de le faire si vous le souhaiter, mais, par exemple, il faut déterminer si le demandeur respecte les conditions de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et toutes les règles qui s’appliquent. Il y a les répercussions possibles de la délivrance d’une autorisation d’importation sur le secteur canadien et la participation du demandeur dans le secteur applicable au Canada, y compris la production ou la distribution de marchandises similaires pendant les 12 mois qui ont précédé la demande d’autorisation.

Il faut également vérifier si le demandeur ou une autre personne a déjà présenté une demande d’autorisation d’importation pour des marchandises similaires et si le demandeur d’une autorisation d’importation a fourni des renseignements faux ou trompeurs dans des rapports exigés par la loi.

Voilà pour le règlement, mais la ministre prendrait ensuite d’autres facteurs en considération. Par exemple, elle vérifierait s’il est question de produits assujettis à la gestion de l’offre, la raison pour laquelle un produit figure dans la liste des marchandises d’importation contrôlée, soit pour soutenir la gestion de l’offre et, de toute évidence, la ministre vérifierait également si une méthode d’autorisation nuirait à long terme au secteur.

Dans ce cas-ci, pour l’acier, il serait question des fins auxquelles la marchandise a été inscrite sur la liste des marchandises d’importation contrôlée pour donner suite aux mesures prises en vertu du Tarif des douanes. Ma collègue est mieux placée pour en parler.

Cela dépend vraiment du secteur, du produit et de la raison pour laquelle il figure sur la liste des marchandises d’importation contrôlée.

La sénatrice Bovey : Répond-on à ces questions dans la demande? Est-ce transparent au point où, si j’étais dans le domaine et je présentais une demande, je connaîtrais ces questions? Devrais-je y répondre?

Mme Funtek : Nous avons des formulaires de demande qu’on doit remplir et qu’on doit nous présenter.

La sénatrice Bovey : Ces questions sont-elles posées dans ces formulaires?

Mme Funtek : Certaines des questions, oui. Il y a des questions auxquelles il faut répondre. Par exemple, si nous mesurons l’activité d’un demandeur dans un secteur juste pour nous faire une idée de sa participation, de façon générale, il y aurait une période de référence. Pour cette période, le demandeur devrait fournir les données comptables mensuelles liées à ses activités, qu’il s’agisse d’un producteur, d’un distributeur ou d’un détaillant. Peu importe son secteur de la chaîne d’approvisionnement, il doit montrer ce qu’il en est, dans quelle mesure il est actif dans ce secteur.

La sénatrice Bovey : Alors, si les Canadiens me posent la question, je peux ou ne peux pas honnêtement leur dire que c’est complètement transparent et que les critères et les mécanismes sont connus de tous?

Mme Funtek : Nous publions l’avis aux importateurs. C’est cet avis qui énonce toutes les politiques applicables : qui peut présenter une demande, quelle est la quantité du quota, comment il sera alloué à des intervenants précis, et cetera. Si votre question est de savoir si toutes les considérations dont la ministre a tenu compte pour rendre sa décision sont rendues publiques, la réponse est non, pas en général.

La sénatrice Bovey : Merci.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être avec nous aujourd’hui. Adoptons une vue d’ensemble pour mieux comprendre.

Au Canada, je crois savoir que la ministre peut imposer des tarifs ou des droits comme elle l’entend sans surveillance parlementaire ou qu’il est possible de le faire par décret. Est-ce exact?

Mme Govier : Pour les types d’éléments du Tarif des douanes dont il est ici question, par exemple, les mesures de sauvegarde et les contre-mesures concernant les mesures commerciales prises par d’autres pays, c’est vrai. C’est la décision du gouverneur en conseil. Quant aux tarifs réguliers, ils relèvent du Parlement parce qu’ils s’inscrivent dans le Tarif des douanes en tant que tel, qui s’inscrit dans cette loi.

Le sénateur Massicotte : La ministre a-t-elle besoin d’invoquer une raison précise? Aux États-Unis, on doit invoquer des raisons de sécurité pour ne pas contrevenir au partenariat ou aux traités de l’OMC qu’on a conclu avec nombre de pays. Quel est le fondement juridique qui permet à un décret ou donne à la ministre le pouvoir de le faire sans contrevenir à tous nos autres accords?

Mme Govier : La disposition du Tarif des douanes qui porte sur la façon de réagir aux mesures prises par d’autres pays est généralement invoquée dans le cas, par exemple, d’un différend de l’OMC dans le cadre duquel le Canada a obtenu gain de cause et a été autorisé à prendre des mesures de représailles. La disposition fait en sorte que, dans des circonstances exceptionnelles, cela puisse se produire sans que ce différend de l’OMC en tienne compte.

Ce n’est pas une question de sécurité nationale. Nous n’avons pas de disposition semblable à celle sur laquelle les États-Unis ont fondé les tarifs prévus à l’article 232. Toutefois, elle n’est pas, selon moi, formulée de façon à être utilisée arbitrairement. Elle n’a jamais été utilisée de cette façon par le passé, car nous nous trouvons actuellement dans des circonstances vraiment exceptionnelles en raison des mesures prises par les États-Unis.

Le sénateur Massicotte : Manifestement, le décret ne peut rien faire. Cependant, si on présume qu’on ne veut pas contrevenir à nos accords, on est limité. Autrement dit, vous ne pouvez prendre que des mesures de représailles. Pouvez-vous engager un recours?

Mme Govier : Non. Je n’ai pas le document devant moi. La formulation fait précisément allusion à des mesures commerciales prises par d’autres pays.

Le sénateur Massicotte : Vous pouvez réagir, mais vous ne pouvez pas engager de recours?

Mme Govier : Oui.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci pour votre présence, et aussi pour la qualité de votre présentation et pour vos réponses pragmatiques.

Je m’intéresse aux pouvoirs supplémentaires qui vont être accordés à la ministre des Affaires étrangères avec les modifications proposées à la LLEI, mais aussi pour savoir comment ces pouvoirs vont faciliter la mise en œuvre des mesures commerciales prises en vertu de certaines dispositions du tarif des douanes, y compris les mesures de sauvegarde globales. Quels sont ces pouvoirs additionnels accordés à la ministre et de quelle façon les mesures de sauvegarde seront-elles facilitées par ces modifications?

[Traduction]

Mme Funtek : En application de l’article 5.6 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, les mesures seraient invoquées par la ministre des Affaires étrangères à titre de recommandation au gouverneur en conseil ou en conjonction avec la ministre des Affaires étrangères.

Je demanderais à ma collègue d’en parler plus en détail.

Une fois que ces marchandises sont inscrites sur la Liste des marchandises d’importation contrôlée, les pouvoirs supplémentaires dont la ministre des Affaires étrangères serait investie seraient donc de déterminer la quantité de marchandises autorisées à entrer au Canada au taux de droits de douane imposés dans les limites du régime d’accès, et après de déterminer comment allouer ces marchandises pour ensuite les allouer aux résidents canadiens.

Lorsque je dis que la ministre des Affaires étrangères a le pouvoir ensuite de déterminer une quantité de marchandises bénéficiant du régime d’accès, bien qu’elle ait ce pouvoir discrétionnaire, en pratique, la quantité a toujours été déterminée dans le cadre d’une négociation de libre-échange, par exemple, ou par des mesures dont ma collègue parlera mais, à ma connaissance, jamais par elle, bien qu’elle puisse le faire. Cette décision se prend au moyen d’autres instruments, surtout par le truchement de négociations ou de mesures prises ailleurs.

Mme Govier : Pour confirmer, en particulier, la question des mesures de sauvegarde, la quantité globale d’acier dans les limites du contingent, si vous voulez, a été fixée par l’intermédiaire du Tarif des douanes en fonction d’une décision du gouverneur en conseil prise sur recommandation du ministre des Finances. Cette décision était fondée sur d’anciennes importations des marchandises en question.

Pour répondre à la question de savoir comment cette modification pourrait changer la manière d’administrer ce quota, comme ma collègue l’a mentionné, en ce moment, la seule façon de l’allouer est selon le principe « premier arrivé, premier servi ». Avec les mesures de sauvegarde en vigueur, c’est ainsi que les licences sont octroyées, ce qui engendre des problèmes de prévisibilité pour les importateurs qui ignorent si leurs exportations seront assujetties ou non à une surtaxe.

Ce pouvoir donne la possibilité de délivrer les licences en fonction, peut-être, de la part des importations de ce produit qui a été celle d’une entreprise par le passé. Il peut être plus prévisible et stable de savoir qu’elle pourrait ne pas être aussi élevée qu’un importateur le souhaite, mais au moins il aura la certitude que cette quantité est sienne et qu’il sera en mesure d’importer cette quantité sans payer de surtaxe.

En ce moment, nous appliquons des mesures de sauvegarde provisoires. Elles ne sont en vigueur que pendant 200 jours. Le Tribunal canadien du commerce extérieur mène actuellement une enquête pour déterminer si des mesures de sauvegarde à plus long terme sont nécessaires. Je pense que si nous en arrivons au point d’imposer ces mesures de sauvegarde à long terme et qu’elles prennent la forme d’un contingent tarifaire, ce serait une option très bien accueillie que le gouvernement aurait la latitude de mettre en place.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie. Pouvez-vous nous fournir de plus amples explications sur la manière dont l’entrée en vigueur de l’article 415 va faciliter l’obtention des licences d’importation pour les marchandises qui seront placées sur la liste des importations contrôlées? Concrètement, quels seront les éléments qui vont faciliter le processus?

[Traduction]

Mme Funtek : Comme ma collègue l’a mentionné, si nous avons la capacité d’allouer les quantités, chaque entreprise n’aura plus à se précipiter pour obtenir une licence. À titre d’exemple, lorsque nous avons mis en œuvre les mesures de sauvegarde, le 25 octobre, c’était un jeudi, je pense, nous avons instauré sept mesures, administrées comme des contingents tarifaires, selon le principe « premier arrivé, premier servi ». Le mardi suivant, une des mesures de sauvegarde avait déjà été remplie. C’est donc dire que jusqu’au 14 décembre, personne d’autre ne peut importer de produits. Il y a donc une véritable urgence pour s’assurer de pouvoir importer son produit à un taux tarifaire dans les limites de l’engagement d’accès.

Si la ministre a le pouvoir de déterminer les méthodes d’allocation, nous lancerions des consultations auprès de l’industrie et à la grandeur du gouvernement pour décider comment ces quantités devraient être allouées.

Il existe différentes méthodes d’allocation. La ministre déterminerait ensuite une méthode en se fondant sur l’issue des consultations et en tenant compte des considérations dont j’ai parlé plus tôt. Ensuite, pour chaque entreprise ou chaque demandeur qui a reçu une allocation, celle-ci fonctionne un peu comme... Un compte en banque, par exemple. Vous avez x quantité d’un produit pour lequel vous avez reçu une allocation, et vous pouvez l’importer à peu près à n’importe quel moment de l’année. Cela se fait généralement sur la base de contingents tarifaires annuels. Vous pouvez tout importer d’un coup, avec une licence, ou vous pouvez importer cette quantité au fil du temps avec un certain nombre de licences. Vous gérez vraiment ce compte comme vous le souhaitez.

Ou vous pourriez aussi déterminer ensuite que, à une fin précise, vous souhaitez transférer cette allocation à un autre détenteur d’allocation. Il existe de très bonnes raisons de le faire. Il se pourrait qu’il soit plus facile d’importer une marchandise. Si vous la faites venir de l’étranger, il est moins coûteux de regrouper les produits; en conséquence, deux ou trois détenteurs d’allocation pourraient souhaiter le faire — et vous devez toujours être l’importateur attitré pour une licence — si bien que vous pourriez avoir des transferts qui arriveraient tous sous une seule licence. Cependant, chacun d’entre vous saurait combien vous pouvez importer; vous auriez donc la prévisibilité et la transparence.

Vous pouvez placer un bon de commande auprès d’un fournisseur et d’un pays ou vous pouvez passer un marché avec un acheteur ici. Vous êtes en position de prendre des décisions d’affaire avec prévoyance et en planifiant d’avance, ce que nos entreprises ont tendance à préférer.

J’ignore si cela répond suffisamment bien à la question.

La sénatrice Saint-Germain : Oui, très bien.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de poser la question que je pense que le sénateur Ngo essayait de poser.

Dans votre exemple, vous dites que la personne qui arrive en premier a droit à une grosse allocation. Peut-elle la transférer à un autre détenteur d’allocation? Peut-elle la transférer pour réaliser un profit? Peut-elle la vendre et gagner de l’argent grâce à elle?

Mme Funtek : C’est là où il nous faut clarifier notre terminologie un tantinet. Nous n’allouons pas les mesures de sauvegarde actuelles. La ministre n’a pas le pouvoir de le faire. Nous pouvons simplement délivrer des licences selon le principe « premier arrivé, premier servi ». Ces licences ne peuvent être ni transférées ni vendues. Si vous demandez une licence, vous devez l’utiliser, faute de quoi, elle sera annulée ou elle sera échue.

À l’heure actuelle, vous ne pouvez pas transférer de licence. Si vous en obtenez une, vous devez l’utiliser sinon vous allez la perdre.

Cependant, il est possible de transférer une allocation. La loi prévoit que si vous choisissez d’imposer des frais et que la personne à qui vous transférez l’allocation souhaite vous payer, c’est permis, mais ce n’est pas une transaction à laquelle le gouvernement participe. Nous n’avons aucune idée du coût de ces transactions.

Le sénateur Massicotte : Vous vous rendez compte que vous créez un marché fondé sur l’urgence d’arriver à la porte d’entrée. Il me semble étrange que vous permettiez aux gens de tirer profit du fait qu’ils sont arrivés avant les autres ou qu’ils connaissent quelqu’un qui a ouvert la porte en premier, comparativement à une autre personne. Cela me semble injuste.

Mme Funtek : Je ne me suis pas expliquée assez clairement.

Si vous avez une allocation, le principe « premier arrivé, premier servi » ne s’applique pas.

Si mes collègues présentent une demande au ministère — ce ne sont pas mes collègues, mais des entreprises — pour recevoir une allocation, nous examinons leur allocation et nous déterminons si leurs demandes sont conformes aux politiques et à la réglementation ministérielles en vigueur. Le cas échéant, elles reçoivent une allocation, sinon elles n’en reçoivent pas.

Vous devez présenter une demande avant une certaine date et fournir des documents à l’appui.

Le sénateur Massicotte : Je comprends tout cela. Si vous êtes tous admissibles — et vous êtes tous dans l’industrie, donc vous devriez l’être — vous pourriez recevoir une part de l’importation et vendre cette allocation à une autre partie admissible pour en tirer un profit. Est-ce exact?

Mme Funtek : Oui, c’est exact.

Le sénateur Massicotte : En conséquence, ce que je dis c’est que vous créez un mini marché dans lequel les gens tireront profit de la simple présentation d’une demande et ils pourront recevoir une allocation, qu’ils aient l’intention ou non de l’utiliser. Cela me semble louche.

Mme Funtek : Comme je l’ai déjà dit, il vous faut le consentement de la ministre pour demander la permission de faire ce transfert.

Cependant, comme vous le faites remarquer, oui, le ministère vous autorise à transférer votre allocation à quelqu’un d’autre, et vous pouvez imposer des frais pour réaliser un profit. C’est vrai. La loi permet actuellement de le faire. Comme je l’ai mentionné, il existe de bonnes raisons pour lesquelles des transferts peuvent être effectués et autorisés.

Créez-vous un marché secondaire? Possiblement. Toutefois, en 1992, lorsque le Tribunal canadien du commerce extérieur examinait la façon d’allouer les contingents tarifaires soumis à la gestion de l’offre, une des choses qu’ils appuyaient vraiment à l’époque était les transferts pour permettre un marché secondaire, car il instaure une fluidité qui permet aux produits de se rendre là où on en a besoin à différentes périodes.

Le sénateur Massicotte : Je comprends, mais il y a bien des contrats. Même côté immobilier, par exemple, le mandat de vente standard lorsque vous achetez une maison stipule clairement que vous ne pouvez pas transférer l’offre d’achat à une autre partie sans l’approbation du vendeur. Je suis surpris que vos licences ne précisent pas que vous pouvez le faire, mais que vous avez besoin d’approbation, car sinon vous créez un marché artificiel dans lequel les gens pourraient gagner des sommes considérables d’argent simplement en jouant avec la bureaucratie.

Mme Funtek : Puis-je clarifier ce point pour m’assurer de comprendre ce que vous venez de dire? Vous dites que, en plus de demander et d’obtenir la permission de transférer l’allocation, il devrait y avoir un autre élément lié à...

Le sénateur Massicotte : Si nous devons retourner en arrière pour demander la permission — je suis surpris que l’allocation initiale ne précise pas que c’est dans votre intérêt seulement et que si vous souhaitez la signer, vous avez besoin d’obtenir l’approbation, et un des critères devrait être qu’il n’est pas possible de profiter du transfert. Je suis certain que vous avez d’autres bons arguments.

Pourquoi cela ne se produirait-il pas? Pourquoi n’y aurait-il pas de clause standard dans la licence ou l’allocation qui stipulerait que vous ne pouvez pas allouer sans approbation? Et votre approbation ne devrait être accordée que si la transaction ne génère aucun profit et ne se fait que pour des raisons d’efficacité?

Mme Funtek : Je prends note de votre commentaire. Je ne suis pas certaine de la façon dont on s’y prendrait pour savoir si, en fait, on réalise un profit ou pas. Je ne sais pas comment on en ferait le suivi. Je prends bonne note de votre commentaire.

Le sénateur Massicotte : Ils le font constamment.

La présidente : Nous en faisons le suivi. Je veux enchaîner, et le sénateur Oh a d’autres suivis à faire dans la même veine.

Y a-t-il eu des cas de transferts dans le cadre du système actuel? Est-ce qu’au ministère, notamment, on est au courant de cas où une allocation a été transférée? Autrement dit, les ministres ont-ils approuvé ces transferts, si je comprends bien votre processus?

Mme Funtek : Oui. Cependant, n’oubliez pas que le ministère prend des mesures au nom de la ministre. Oui, nous approuvons nombre de transferts au titre de divers contingents tarifaires que nous administrons chaque année. C’est bien le cas.

La présidente : Y a-t-il eu des différends ou — je ne sais pas quel terme utiliser parce qu’il n’y a pas de processus d’appel — d’insatisfaction? Quelqu’un qui dit qu’une autre personne réalise des profits avec cette allocation que vous n’auriez pas dû lui donner au départ? Ou le système a-t-il fonctionné dans ce sens, à votre connaissance? Je comprends que vous ne sachiez pas tout ce qui se passe, mais vous devez savoir quand un transfert se produit.

Mme Funtek : Nos partenaires commerciaux se sont certainement opposés aux transferts et aux rentes. Cela dit, ils ne se sont pas tant opposés aux rentes qu’au fait que celles-ci aillent aux Canadiens et non à leurs exportateurs.

On ne se plaint vraiment pas beaucoup de la capacité des gens d’imposer des frais pour le transfert, sauf dans les cas où les personnes ne sont pas du tout admissibles à une allocation. Ce sont les circonstances dans lesquelles je sais qu’on est insatisfait que les gens puissent imposer des frais pour un transfert.

La présidente : Les allocations doivent être transférées à une autre entreprise ou entité canadienne?

Mme Funtek : Vous pouvez seulement transférer des allocations à un autre détenteur d’allocation dans le même contingent tarifaire. Vous ne pouvez effectuer de transfert qu’entre entreprises ou détenteurs d’allocation qui ont été jugés être admissibles au départ à une allocation au titre du contingent tarifaire.

La présidente : Il y a donc un bassin de personnes qui ont reçu des allocations et les transferts s’effectuent entre elles?

Mme Funtek : C’est exact.

Le sénateur Oh : Je veux enchaîner sur le triangle.

Votre explication est confuse au lieu d’être claire. Je suis un exportateur, un importateur ou un commerçant dans l’industrie de l’acier, et je n’ai pas besoin d’être propriétaire d’une usine au Canada ou ailleurs. Je peux acheter l’acier et l’exporter aux États-Unis. Vous parlez d’une licence ou d’un quota, c’est du pareil au même. Alors je peux toujours acheter et vendre le quota, si je l’ai. Je peux obtenir l’acier et ensuite le vendre aux États-Unis et réaliser un profit, ou vendre mon quota au nom du fabricant ici et réaliser un profit.

Mme Funtek : Je ne vous suis vraiment pas. Pardonnez-moi.

Le sénateur Massicotte : Je pense que la réponse est oui.

Mme Funtek : Je vous ai entendu parler d’un non-Canadien qui importe des produits et les vend aux États-Unis. Le système ne fonctionne pas de cette façon.

Si vous êtes un importateur, vous obtenez une allocation d’importation. Si vous êtes un exportateur de produits canadiens, vous obtenez une part de contingent d’exportation.

Le sénateur Oh : Nous parlons, toutefois, de l’exportation vers les États-Unis.

Mme Funtek : Nous parlons de l’importation d’acier au Canada. Voulez-vous expliquer comment les mesures de sauvegarde fonctionnent?

Mme Govier : Oui. Premièrement, cela s’applique uniquement aux importations au Canada. Par exemple, si vous possédiez deux entreprises dont les activités étaient liées à l’une des marchandises qui font l’objet de mesures de sauvegarde et que vous obteniez une allocation d’importation, elle serait vraisemblablement fondée sur un genre de mesure historique des quantités que ces entreprises importaient par le passé. L’allocation pourrait être calculée de différentes façons, mais je pense que les gens ont déclaré qu’il serait logique que nous procédions ainsi. L’une des entreprises pourrait ne pas avoir besoin d’importer la totalité de la quantité allouée, pour quelque raison que ce soit, alors qu’une autre entreprise pourrait avoir besoin d’importer une quantité plus importante. Voilà une situation où un transfert pourrait avoir lieu. Il est difficile d’imaginer qu’une entreprise pourrait ne rien importer après avoir reçu une allocation, sauf si elle a fermé ses portes.

Je ne sais pas, madame Funtek, si vous pourriez citer des exemples de situations qui sont survenues dans d’autres secteurs et qui ont donné lieu à des transferts plus globaux.

Selon les commentaires que nous avons recueillis auprès des importateurs de produits faisant l’objet de mesures de sauvegarde, ils souhaitent utiliser la totalité de leur contingent et n’envisagent pas d’en transférer une partie à des concurrents.

Le sénateur Massicotte : Son choix de terminologie est différent. Il a employé le terme « contingent », alors que le terme qu’il convient probablement d’employer est « allocation ». Je pense que c’est la notion utilisée dans son secteur.

En ce qui concerne l’acier, ou la marchandise la plus répandue pour laquelle vous obtenez des allocations, combien d’entreprises ont droit à ces allocations? Pour les allocations qui viennent d’être adoptées pour telle ou telle quantité de marchandises les plus répandues, combien de gens ont obtenu des allocations?

Mme Govier : Nous n’utilisons pas d’allocations en ce moment.

Le sénateur Massicotte : Prenons les allocations qui ont été accordées il y a quelque temps et qui expirent dans quelques mois.

Mme Funtek : Nous pouvons examiner, par exemple, le contingent tarifaire pour le fromage qui a été négocié dans le cadre de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Aux termes de cet accord, il y a quatre réserves contingentaires. Je ne connais pas les chiffres, mais disons — je m’efforce de calculer cela mentalement — qu’il y a 100 ou 150 titulaires d’allocations. Nous affichons sur le site web les noms de tous les titulaires d’allocations, ainsi que leurs coordonnées.

Le sénateur Massicotte : Pour l’acier, combien de titulaires d’allocations y aura-t-il, selon vous?

Mme Funtek : Je ne sais pas combien il y en aura. Je pourrais certainement m’informer et vous revenir…

Le sénateur Massicotte : Y en aura-t-il plus de 5, ou 10?

Mme Funtek : Il y en aura certainement plus de cinq; il y a peut-être 10 entreprises qui importent de l’acier en ce moment. Je peux obtenir ce chiffre et vous le communiquer.

Le sénateur Massicotte : Vous vous rendez compte que vous en avez effectivement cinq. C’est une question d’offre et de demande et, comme vous disposez d’une quantité limitée, ils obtiennent une allocation tirée de cette quantité. Et, il ne fait aucun doute qu’ils peuvent réaliser d’importants bénéfices parce qu’ils sont exemptés d’un droit de douane substantiel. Si vous le souhaitiez, vous pourriez calculer ces bénéfices, mais cela pourrait représenter beaucoup d’argent. Il est certain qu’ils ne vont pas s’en plaindre. Les acheteurs ne s’en plaindront pas. Qui en paiera le prix? Les consommateurs.

Ce qui semble étrange, c’est que vous tentiez, dès le début, de vous assurer que les consommateurs ne seraient pas désavantagés par cette guerre tarifaire et, pourtant, vous permettez à quelqu’un de réaliser des profits et de refiler la facture aux consommateurs. Cela me semble étrange, mais je sais que vous comprenez la difficulté. Ce n’est pas ainsi que la mesure législative est formulée. Merci

La présidente : La modification dont nous sommes saisis dans le cadre du projet de loi vise à conférer au ministre un pouvoir discrétionnaire de détermination des allocations qui est plus étendu. Ai-je raison? Il se peut que d’autres aspects demeurent inchangés, qu’ils fonctionnent ou non, selon nous, comme le transfert des allocations. Autrement dit, ce transfert n’est pas nouveau?

Mme Funtek : Vous avez absolument raison, le seul amendement, la seule modification qui nous occupe en ce moment, c’est celle qui permet au ministre de déterminer les méthodes d’allocation des marchandises qui sont ajoutées à la Liste des marchandises d’importation contrôlée à la suite de la mise en œuvre de mesures prises en vertu de certaines dispositions du Tarif des douanes. Tout le reste demeure inchangé. Aucun des règlements et aucun des autres aspects de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation n’a été modifié.

La présidente : Pour donner suite à votre intervention, sénateur Massicotte, je signale qu’il pourrait être intéressant que notre comité vous invite à revenir examiner à fond le processus en entier, plutôt que ce seul amendement qui, selon moi, se passe d’explication. Cependant, nous devons en savoir davantage sur le processus, et il se peut que nous souhaitions formuler des observations à propos d’autres parties du système.

Si personne ne souhaite poser d’autres questions, j’aimerais vous remercier non seulement de nous avoir renseignés sur certains aspects du projet de loi et de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, mais aussi de nous avoir donné une interprétation plus générale du projet de loi. Cela nous aidera à mener notre étude et à faire rapport de notre opinion concernant cet amendement. Je vous remercie d’avoir comparu devant nous.

Avant de procéder à notre étude du projet de loi C-47 et d’entendre les témoignages de notre prochain groupe d’experts à cet égard, nous pourrions nous réunir brièvement à huis clos, ou suspendre simplement la séance pendant 10 minutes.

L’un de nos témoins, qui se trouve à Genève, comparaîtra par vidéoconférence. Les autres témoins sont ici, mais on me dit que l’un d’entre eux n’est pas encore arrivé. En toute justice, nous devrions attendre que tous les témoins soient présents.

Si nous ne nous réunissons pas à huis clos, je demanderai au comité de direction de déterminer la façon dont nous procéderons relativement à l’amendement. Vous pouvez réfléchir à la question de savoir si, à votre avis, nous devrions approuver cet amendement et quelles observations nous souhaitons formuler. Nous pouvons discuter de cela très rapidement à huis clos, ou vous pouvez y réfléchir jusqu’à demain, à votre convenance.

Poursuivons la séance à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

La présidente : Honorables sénateurs, nous accueillons notre deuxième groupe d’experts. Nous reprenons maintenant la séance publique du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international afin d’amorcer notre étude du projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications).

Je suis heureuse de souhaiter la bienvenue à M. Alex Neve, secrétaire général d’Amnistie internationale Canada, qui comparaît par vidéoconférence. Je suppose que vous êtes à Genève pour rencontrer le Conseil des droits de l’homme et régler d’autres questions. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de participer à notre séance. Cela convient à notre horaire et à notre désir d’étudier ce projet de loi rapidement.

Vous êtes accompagné ici, à Ottawa, par M. Justin Mohammed, responsable des campagnes, Lois et politiques sur les droits de la personne, Amnistie internationale Canada. Nous recevons également M. Milos Barutciski, associé du cabinet Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L, s.r.l. Enfin, nous accueillons notre dernier témoin, mais non le moindre, M. Christian Leuprecht, professeur, Département de sciences politiques et d’économie, Collège militaire royal du Canada.

Je vous remercie tous d’avoir accepté de comparaître devant nous aujourd’hui. Je vais accorder la parole aux témoins dans l’ordre établi, mais, avant de le faire, il serait utile pour M. Neve, à Genève, et pour les autres témoins que nous nous présentions à nouveau pendant cette partie de la séance.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, sénateur du Québec.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, sénateur de l’Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, sénateur de l’Ontario.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, sénateur du Québec.

Le sénateur Dean : Tony Dean, sénateur de l’Ontario.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, sénatrice du Manitoba.

La présidente : Je suis la sénatrice Andreychuk, de la Saskatchewan.

Nous sommes maintenant prêts à entendre nos témoins, et je vais leur céder la parole dans l’ordre où je les ai présentés. Cependant, je crois comprendre que M. Mohammed amorcera l’exposé d’Amnistie internationale et qu’il sera suivi par M. Neve. Soyez le bienvenu. La parole est à vous.

Justin Mohammed, responsable des campagnes, Lois et politiques sur les droits de la personne, Amnistie internationale Canada : Madame la sénatrice, je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de témoigner devant votre comité au sujet du projet de loi C-47.

Permettez-moi de commencer par dire qu’Amnistie internationale appuie fermement l’adhésion du Canada au Traité sur le commerce des armes, que je désignerai par l’acronyme TCA. Pendant des dizaines d’années, nous avons fait des recherches sur les violations massives des droits de la personne liées au commerce des armes, et nous avons mené des campagnes pour combattre ces violations. Nous considérons le TCA comme une importante mesure de prévention des crimes internationaux les plus graves, y compris le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Depuis que le TCA a été adopté en avril 2013, nous exhortons les gouvernements à le ratifier, à y adhérer et à adopter des lois qui appliquent intégralement ses conditions. En cinq ans et demi, 130 États ont signé ce traité et 99 d’entre eux, soit un peu plus de la moitié des pays du monde, sont déjà des parties au traité, dont un grand nombre des plus proches alliés du Canada.

L’adhésion du Canada au traité revêt une grande importance pour deux principales raisons. Premièrement, notre pays compte une importante industrie du commerce des armes. Quelques affaires récentes très médiatisées montrent que le Canada vend actuellement des armes à des pays où les violations des droits de la personne sont réelles et très préoccupantes. Par exemple, General Dynamics s’est engagé à vendre des véhicules blindés légers de 15 milliards de dollars à l’Arabie saoudite; le Canada a proposé de vendre des hélicoptères militaires aux Philippines, une proposition qui a été abandonnée depuis par le gouvernement Duterte; et le STREIT Group a vendu des véhicules blindés au Soudan du Sud, à la Libye et au Soudan grâce aux activités commerciales qu’il exerce aux Émirats arabes unis.

Deuxièmement, l’adhésion du Canada au traité est cruciale parce qu’elle renforcerait le respect à l’égard du TCA. Songez aux conflits en cours au Myanmar, au Yémen ou en Syrie. Aucun embargo total sur les armes n’a été imposé contre l’un ou l’autre de ces pays. Pour ce faire, il faudrait que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution, et ce processus est souvent paralysé par des impasses politiques. En tant que participant au commerce mondial des armes, le Canada a la responsabilité morale de contribuer à des initiatives qui visent à réglementer le commerce des armes à l’échelle internationale.

Nous avons accueilli très favorablement la décision du gouvernement de renforcer le projet de loi C-47 en ajoutant à l’article 7(3) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation — de la mesure législative modifiée — des dispositions relatives aux facteurs de risque que le ministre doit prendre en compte. De plus, ce qui est remarquable et très important, c’est que le gouvernement a ajouté des dispositions ayant trait à la violence fondée sur le sexe.

Cependant, nous demeurons préoccupés par le fait que le projet de loi C-47 ne satisfait pas à certaines exigences clés du TCA. Nous avons fait équipe avec quatre autres organisations afin de faire ressortir cinq sujets de préoccupation qui sont énumérés dans notre mémoire. Je vais maintenant céder la parole à mon collègue Alex, afin qu’il décrive ces cinq sujets de préoccupation.

Alex Neve, secrétaire général, Amnistie internationale Canada : Merci beaucoup. Bonsoir. Je devrais plutôt souhaiter aux membres du comité une très bonne nuit avancée ici, à Genève. Je vous remercie d’avoir rendu possible ma participation à la séance de votre comité.

Notre première préoccupation, c’est le fait que les ventes d’armes canadiennes aux États-Unis continueront d’échapper au régime canadien de contrôle des exportations et des importationsd’armes. Cette préoccupation est liée au fait que rien dans le projet de loi C-47 n’empêche les armes vendues à un pays d’être détournées illégalement vers un pays tiers.

Prenez en considération le fait suivant : plus de la moitié des armes que le Canada vend sont destinées aux États-Unis. Bien que les États-Unis aient signé le TCA, il n’est pas réaliste d’imaginer que les États-Unis prendront d’autres mesures pour ratifier le traité. De 2015 à 2017, les États-Unis ont livré des armes d’une valeur de sept milliards de dollars à l’Arabie saoudite et d’une valeur de deux milliards de dollars aux Émirats arabes unis (EAU). Les forces de l’Arabie saoudite et des EAU ont utilisé abondamment les armes américaines pour commettre des crimes de guerre et des violations des droits de la personne au Yémen. Ces armes comprennent des avions de combat, des munitions à vecteur aérien, des véhicules blindés, de l’artillerie et des armes légères. Les véhicules blindés légers américains ont été utilisés par des milices soutenues par les EAU qui sont responsables de détention arbitraire, de torture et de mauvais traitements au Yémen.

Depuis 2015, le Canada a transféré aux États-Unis l’équivalent de 329 millions de dollars de pièces et de composantes de chars d’assaut et de véhicules de combat, ainsi que l’équivalent de 262 millions de dollars de bombes, de grenades, de torpilles, de missiles et de pièces. Le Canada est aussi un important fournisseur de pièces auprès de l’industrie américaine de l’aérospatiale, mais nous ne disposons d’aucune statistique qui nous permet de distinguer les utilisations militaires des utilisations civiles.

Nous n’avons aucun moyen de savoir ce qui advient de ces armes et de ces pièces une fois qu’elles ont été vendues aux États-Unis. Il se peut que certaines d’entre elles aient abouti en Arabie saoudite ou aux EAU. L’article 11 du TCA exige que les États prennent des mesures pour prévenir des détournements de ce genre vers des pays tiers. À l’heure actuelle, la loi canadienne exige que l’on tienne compte de la possibilité de transfert non autorisé ou de détournement vers des pays tiers, mais elle ne prévoit aucune interdiction claire, et le projet de loi C-47 ne va pas plus loin.

Un deuxième aspect préoccupant du projet de loi C-47, c’est le fait qu’il néglige de veiller à ce que tous les ministères et les organismes gouvernementaux pertinents soient assujettis au régime canadien de contrôle des exportations et des importations d’armes, notamment le ministère de la Défense nationale et la Corporation commerciale canadienne. La CCC a bien entendu été au cœur de la mise au point des contrats liés à l’accord sur la vente de véhicules blindés légers conclu avec l’Arabie saoudite, sans avoir été forcée d’évaluer d’abord les risques liés aux droits de la personne. Cette lacune n’est pas comblée par le projet de loi C-47.

Dans notre mémoire, nous signalons trois autres sujets de préoccupation : les pouvoirs discrétionnaires confiés au Cabinet qui lui permettent d’empêcher certains accords d’être assujettis au régime canadien de contrôle des exportations et des importations d’armes, la nécessité de soumettre les règlements adoptés à la surveillance du Parlement et des préoccupations liées à la confidentialité commerciale.

Permettez-moi de conclure en mentionnant qu’il y a trois ans, j’étais dans l’État soudanais du Kordofan méridional, où les civils avaient été isolés du reste du monde depuis 2011, alors que les forces armées soudanaises menaient des bombardements aériens incessants, en utilisant des aéronefs Antonov pour lancer sans distinction des barils d’explosifs non guidés, qui tuaient et mutilaient des milliers de personnes et forçaient des centaines de milliers de personnes à fuir. Une femme âgée m’a décrit une horrible attaque qui avait tué plusieurs membres de sa famille, et elle m’a posé la question évidente et déchirante suivante, pour laquelle il n’y avait aucune réponse évidente ou rassurante : qui continue de leur fournir des bombes?

Le Canada doit être une partie au TCA en adoptant une loi qui prend l’engagement le plus ferme qui soit pour faire en sorte qu’il y ait toujours une réponse à cette question obsédante. Merci beaucoup.

La présidente : Merci, monsieur Neve. Nous allons maintenant entendre l’exposé de M. Barutciski.

[Français]

Milos Barutciski, associé, Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l. : Merci, honorables sénateurs. Je pratique dans le domaine du droit international et de la réglementation du commerce international depuis plus de 30 ans au Canada, ainsi qu’à l’étranger.

Mes commentaires seront faits dans l’esprit d’un avocat qui travaille dans le secteur privé et qui représente des compagnies et des commerces généralement, mais pas toujours, dans le domaine des armes.

[Traduction]

Mon point de vue est celui d’un avocat qui conseille un large éventail d’entreprises — des entreprises dans les secteurs des technologies, de la fabrication et des services —, dont la plupart produisent des marchandises qui sont contrôlées, allant des produits de cryptage jusqu’aux armements et à tous les éléments qui contribuent à la dure réalité sur le terrain et qui se rapportent directement au domaine militaire.

Le projet de loi C-47 vise à mettre en œuvre le Traité sur le commerce des armes. Comme les membres du comité le savent sans doute très bien, le traité a été signé à l’issue d’une résolution de l’Assemblée générale, adoptée par 153 pays contre 3. Oui, un certain nombre de pays ne l’ont pas ratifié et, comme M. Neve vient de le souligner, il n’y a aucun espoir raisonnable que l’administration américaine actuelle ratifiera le Traité sur le commerce des armes.

Il n’est pas sûr non plus qu’une administration future y adhère pour la simple raison qu’il faut une majorité écrasante au Sénat américain pour ratifier des traités internationaux. Il y a donc des imprévus dans le contexte de notre principal allié qui représente d’ailleurs, comme d’autres l’ont signalé, notre principal marché d’exportation pour le matériel militaire. Voilà autant de facteurs pertinents dont votre comité et le Parlement dans son ensemble doivent tenir compte.

Cela dit, le Traité sur le commerce des armes a pour objet de favoriser l’ordre et la réglementation dans le domaine difficile qu’est le commerce des armes classiques. Il existe un certain ordre — quoique précaire — dans le domaine des armes nucléaires, ordre que respectent divers pays, dont deux qui ne cessent de semer le trouble, y compris quelques États voyous, mais nous avons des traités exécutoires et des engagements. Par contre, dans le domaine des armes classiques, c’est moins le cas.

Essentiellement, le traité instaure, pour la première fois, des règles internationales qui ont force exécutoire — par opposition aux résolutions et aux instruments qui tiennent lieu de recommandations. Ces règles exigent des gouvernements qu’ils examinent attentivement ou qu’ils s’efforcent d’appuyer le genre de discours que les diplomates, les avocats et moi tenons à l’occasion pour aplanir les différences et, au fond, pour retarder le passage à l’action. Le traité et le projet de loi C-47 permettent d’atteindre les objectifs établis dans le traité en obligeant les gouvernements exportateurs à évaluer les risques associés aux transactions d’exportation proposées afin de déterminer si les produits ou leur exportation contribueraient à la paix et à la sécurité ou y porteraient atteinte.

N’oublions pas ce dont il est question ici. Nous parlons bien d’armes. Celles-ci peuvent être utilisées pour toutes les conséquences répréhensibles dont M. Neve et d’autres témoins ont déjà parlé, mais la menace immédiate concerne fondamentalement la paix et la sécurité. Par ailleurs, le gouvernement est tenu de mener une évaluation des risques pour déterminer si les armes pourraient servir à faciliter la commission d’une violation du droit humanitaire, d’une violation des droits de la personne et d’une gamme d’autres infractions précises, notamment en ce qui concerne les sanctions, la lutte contre le terrorisme, et cetera. Le gouvernement doit refuser l’autorisation s’il estime qu’il existe un risque prépondérant de réalisation d’une de ces conséquences négatives.

[Français]

Le traité, ainsi que le projet de loi C-47, imposera une réglementation sur le courtage dans le secteur du commerce des armes, et ce, même si les transactions ont lieu à l’extérieur du Canada.

[Traduction]

Quand j’ai examiné le Traité sur le commerce des armes pour la première fois il y a un an, cela m’a rappelé une pièce de théâtre de George Bernard Shaw, La Commandante Barbara. C’est l’histoire d’une commandante de l’Armée du Salut qui affronte son père, un marchand d’armes. Ce dernier — toujours habillé de façon impeccable — n’avait pas à se soucier de traités ou de lois sur le commerce des armes, et c’est d’ailleurs le cas pour de nombreux vendeurs d’armes. Ce que le projet de loi fait, et ce que le Traité sur le commerce des armes nous oblige à faire, c’est commencer à instaurer des règles dans ce domaine qui est d’une importance cruciale.

En conclusion, le projet de loi C-47 permet au Canada de respecter ses engagements aux termes du Traité sur le commerce des armes et il donne au gouvernement les outils nécessaires pour ce faire. Il prévoit des mesures discrétionnaires, et le traité lui-même permet aux gouvernements d’user de leur discrétion.

N’oublions pas pourquoi il est important d’exercer un pouvoir discrétionnaire dans ce domaine. Pour réglementer le commerce des armes, il faut prendre en considération des intérêts fondamentaux — oui, y compris le droit humanitaire et les droits de la personne — en vue d’établir un équilibre, mais il faut aussi tenir compte des alliances régionales, des alliances mondiales et des conflits entre des pays et des parties, conflits dans lesquels il n’est pas nécessairement facile de choisir un camp.

Pourtant, comme M. Neve et d’autres l’ont souligné, il y a des conséquences sur le terrain, comme en témoigne le nombre de pertes civiles, de combattants morts et d’enfants soldats. Parfois, dans les circonstances où il n’y a pas de solutions faciles, nous devons prendre position.

L’idée que nous devrions avoir un seul et unique intérêt primordial est certes louable, mais malavisée, même lorsqu’il s’agit d’une chose aussi importante que les droits de la personne ou le droit humanitaire.

Je m’en remets donc à vous, en votre qualité de parlementaires, pour ce qui est de demander des comptes au gouvernement. Le traité et le projet de loi accordent un pouvoir discrétionnaire au gouvernement, ce qui est essentiel, à mon avis, en raison des enjeux dont j’ai parlé, mais en même temps, cela n’empêche pas le Parlement d’obliger le gouvernement à rendre des comptes.

Je serai heureux de répondre aux questions.

La présidente : Nous allons maintenant entendre notre dernier témoin, M. Leuprecht.

[Français]

Christian Leuprecht, professeur, Département de sciences politiques et d’économie, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : Bonsoir à tous et à toutes.

[Traduction]

C’est probablement un bon enchaînement pour vous faire part de mes réflexions sur cette question particulière. Il ne faut pas oublier que nous vivons dans un environnement de sécurité qui est très imprévisible. Si nous examinons, par exemple, le déploiement des Forces armées canadiennes, au cours des 100 dernières années, nous n’avons pas particulièrement bien réussi à prévoir les endroits où nous devrions les déployer, le type de mandat qu’elles devraient remplir et le genre de menaces auxquelles nous ferions face.

C’est, en partie, la raison pour laquelle le projet de loi donne à la ministre et à l’exécutif politique un pouvoir discrétionnaire en matière de politique de défense, et c’est pourquoi, au bout du compte, ces décisions relèvent des prérogatives de la Couronne ou du Cabinet. Il s’agit là de facteurs stratégiques importants qui doivent faire partie de la conversation générale.

Il est très clair que l’environnement de sécurité dans lequel nous vivons sera de plus en plus difficile, et non l’inverse, au cours des prochaines décennies. En raison d’une combinaison de facteurs, dont la croissance démographique rapide et les changements climatiques, il y a tout lieu de croire que nous continuerons d’évoluer dans un monde très intéressant.

Si nous affirmons préconiser la paix et la stabilité à l’échelle planétaire, les ventes d’armes ne servent pas, d’abord et avant tout, à tuer d’autres personnes. La raison première pour laquelle nous dépensons beaucoup d’argent pour nous défendre dans un pays démocratique — au Canada, la défense représente plus ou moins 25 p. 100 des dépenses directes des programmes fédéraux —, c’est précisément parce que nous voulons prévenir les conflits, signaler que nous sommes prêts à défendre nos intérêts et nous assurer que nos alliés et partenaires stratégiques disposent des mêmes capacités. Il s’agit là d’un investissement stratégique important.

Nous nous faisons également vivement critiquer par les États-Unis et d’autres alliés stratégiques importants au sujet de ce qu’on appelle communément le partage du fardeau. Que fait le Canada pour payer et faire sa juste part en ce qui concerne ses obligations envers son alliance stratégique la plus importante, à savoir les États-Unis, et sa deuxième alliance stratégique en importance, c’est-à-dire ses partenaires en Europe?

À cette fin, le Canada doit fournir des capacités et prendre des engagements. Ainsi, le Canada peut mettre à profit, entre autres, sa grande capacité en matière de recherche, de développement et de fabrication dans le domaine des armements. C’est dans notre propre intérêt stratégique. Nous figurons parmi les 10 principaux exportateurs d’armes pour une raison : le danger est bien réel, et nous ne devons pas tenir la démocratie pour acquise. Il faut la défendre.

Il existe suffisamment de dispositions, dans le projet de loi et la Liste des pays désignés pour les armes automatiques, ainsi que dans les règlements approuvés par le Cabinet en 1986, en ce qui concerne toutes les mises en garde dont le pouvoir exécutif en place doit tenir compte dans le cadre de ce régime.

En outre, d’importants facteurs doivent être pris en considération relativement à la prospérité canadienne. Il s’agit, qu’on le veuille ou non, d’un secteur important de l’économie canadienne, et plusieurs fabricants et entreprises de petite et de moyenne taille dans le domaine de la recherche et du développement tirent leurs revenus de ces activités. En particulier, dans le cas de petites entreprises qui n’ont pas un large éventail d’exportations, leur survie dépend de leur capacité d’exporter leurs produits.

Nous savons, par exemple, d’après un article publié dans le National Post plus tôt cette année, qu’il y a un ralentissement important de l’approbation des permis par la ministre, ralentissement qui met maintenant en péril l’existence d’entreprises canadiennes, les moyens de subsistance de leurs employés et leur capacité de recherche et développement.

Le Canada doit se demander s’il est dans son intérêt stratégique de mettre en jeu l’avenir de ces entreprises, sa réputation internationale et ses activités en recherche et développement.

Par ailleurs, le Canada a ainsi plus de poids. Lorsqu’il exporte des armes, les autres pays comprennent que si des contrats sont mis sur la glace en raison de leurs agissements, au final, cela ne servira pas leurs intérêts. Songeons aux décisions que d’autres alliés ont déjà prises par rapport à des pays qui se comportent de façon douteuse — écoutez, bon nombre de ces produits sont disponibles auprès d’autres vendeurs scrupuleux dans le monde entier. Nous devons déterminer si nous allons nous contenter de l’effet de substitution, sans aucun moyen de pression, ou si nous pouvons au moins exercer une certaine influence grâce aux relations que nous sommes en mesure d’établir.

J’aimerais déposer ce document auprès du comité. Bon nombre d’entre vous l’ont probablement déjà lu. Si vous ne l’avez pas encore fait, il est absolument impératif que vous en preniez connaissance avant de prendre une décision sur le projet de loi C-47. Le rapport d’Affaires mondiales Canada sur les exportations de marchandises militaires, disponible dans les deux langues officielles, présente des données qui viennent étayer certaines des affirmations qu’on entend parfois dans ce domaine. Le rapport révèle, par exemple, que l’Arabie saoudite est une toute petite composante de notre régime global d’exportation d’armes, et il n’est pas juste de mettre en péril tout notre régime à cause d’un enjeu relativement mineur que nous pouvons régler dans le cadre du régime en place, notamment au moyen des contestations judiciaires lancées par mon collègue, Daniel Turp, quant à la légalité ou non de cette décision du gouvernement.

Je tiens à souligner qu’il y a une grande cohésion entre la position de l’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité et les propos de M. Neve et de nos collègues éloquents d’Amnistie internationale. Nous ne pouvons pas nous occuper des préoccupations relatives aux droits de la personne en aval. Il nous faut agir en amont. En effet, les critiques et l’industrie semblent être d’accord pour dire que le régime actuel n’offre pas une capacité suffisante pour cerner et exprimer des préoccupations beaucoup plus tôt dans le processus.

Je vais soulever un dernier point, et je pense qu’il s’agit d’un inconvénient important du régime actuel, chose que le Canada peut largement contribuer à améliorer. Quand vient le temps de déterminer s’il faut suspendre ou rompre des contrats qui pourraient être en place, chaque pays est actuellement livré à lui-même pour prendre des décisions à cet égard. Ce qu’il nous faut au bout du compte, c’est probablement un effort concerté de la part des pays aux vues similaires pour établir des normes internationales quant au type de comportement jugé acceptable et pour s’y conformer.

Bien entendu, nous ne sommes pas les seuls à avoir des conversations au sujet de l’Arabie saoudite; par exemple, l’Allemagne discute des mêmes questions. Certains pays ne participeront probablement pas à une telle entente, mais si le Canada et certains de ses principaux alliés qui exportent des armes — l’Allemagne, la Suède, l’Autriche, les Pays-Bas, peut-être même la France, le Royaume-Uni et l’Espagne — se réunissent et établissent un régime international où ils décident ensemble si quelqu’un a fondamentalement enfreint les conditions de l’accord en vertu duquel les armes lui ont été vendues, cela dissuaderait beaucoup plus les pays de s’écarter de ces normes et cela les encouragerait nettement plus à respecter les obligations auxquelles ils se sont initialement soumis pour pouvoir se procurer des armes auprès du Canada.

[Français]

Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci. Nous avons entendu tous les témoins. Oui, vous avez suscité des questions, à en juger par la liste d’intervenants.

Le sénateur Housakos : J’ai deux ou trois questions à vous poser. La première s’adresse à l’avocat parmi nos témoins d’aujourd’hui. S’il y en a plus d’un, bien entendu, n’hésitez pas à intervenir pour essayer de me donner une réponse.

C’est au sujet du terme « courtage ». Le projet de loi prévoit, bien entendu, l’élimination du courtage dans le commerce des armes, mais en même temps, il en donne une définition très ambiguë.

Mes autres questions s’adressent surtout à M. Neve. Si je vous ai bien compris, ce n’est que depuis peu que le Canada est considéré comme un fournisseur direct d’armes militaires. Je pense que, dans l’ensemble, nous avons un bilan assez respectable, car nous n’avons pas contribué activement à ce problème, comme certains de nos alliés de l’Union européenne ou les États-Unis ou même d’autres pays qui ne sont pas nos alliés.

Selon ce que M. Neve nous a dit dans son témoignage d’aujourd’hui... et j’espère qu’il est toujours avec nous, car je ne le vois plus à l’écran.

La présidente : Nous avons un petit problème technique. Il était revenu à l’écran. Monsieur Neve, pouvez-vous nous entendre? Je suppose que non.

On va essayer de rétablir la connexion.

Le sénateur Housakos : Devrais-je continuer?

La présidente : Si vous pouvez poser la question aux témoins ici présents, nous y reviendrons plus tard.

Le sénateur Housakos : Cela concerne les répercussions indirectes du commerce des armes et le fait que, de nos jours, comme nous le savons tous, le commerce des armes ne se limite pas nécessairement aux munitions, aux chars d’assaut ou aux aéronefs. Il y a une foule d’éléments et de composantes qui entrent en ligne de compte dans la vente d’armes de guerre. Mentionnons, par exemple, la technologie de l’intelligence artificielle, un domaine où le Canada est un chef de file, la technologie logicielle, les télécommunications, la technologie chimique et les matières premières. Bien entendu, le Canada exporte énormément de matières premières partout dans le monde. Comment pouvons-nous être absolument certains que ces matières premières ne sont pas transformées et vendues par un intermédiaire ou un tiers à ceux qui participent activement à la fabrication d’armes de destruction massive?

Bien sûr, la ressource la plus précieuse — qui n’est d’ailleurs pas abordée dans le projet de loi ni dans aucune autre mesure législative, me semble-t-il —, c’est l’argent. Le Canada contribue énormément aux efforts d’aide étrangère visant les pays sous-développés du monde. Or, bon nombre d’entre eux se trouvent dans des zones de guerre. Quelles mesures de sécurité avons-nous, et que fait le projet de loi pour veiller à ce que l’aide étrangère que le Canada accorde de bonne foi à ces pays sous-développés ne tombe pas entre de mauvaises mains et ne serve pas à la mise au point, à l’échange ou à la vente d’équipement militaire?

En gros, cette question s’adressait à M. Neve. Je ne sais pas s’il en a entendu la majeure partie ou non, ou s’il n’en a entendu que la fin.

La présidente : Monsieur Neve?

M. Neve : J’ai entendu la dernière partie. Je vais peut-être commencer par là, et j’espère pouvoir rattraper ce que j’ai manqué.

Évidemment, nous sommes tout à fait d’accord avec vous, sénateur Housakos : le projet de loi est loin d’être complet. Il faut prendre un ensemble beaucoup plus vaste de mesures, notamment en ce qui concerne, comme vous l’avez dit, les relations en matière de développement international.

Le Canada dispose déjà de quelques lois relativement à certaines de ces questions. Songeons, par exemple, à la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle, qui a été adoptée par le Parlement il y a quelques années et qui exige un cadre clair en matière de droits de la personne pour les décisions sur l’aide au développement international. À notre avis, cette loi n’est pas suffisamment utilisée au sein du gouvernement, et on aurait certainement intérêt à y recourir davantage.

J’essaie de voir si j’ai ici un résumé des autres points soulevés dans votre question. Vous avez dit que le Canada se distingue des États-Unis et de l’Europe quant à son bilan et à son rôle mondial dans le domaine des armes. Par exemple, notre industrie des armes n’est pas au même niveau que celle de ces pays. J’en conviens tout à fait, et je pense qu’il est vraiment important de souligner que le projet de loi C-47 n’est tout simplement pas une mesure législative distincte. Il s’inscrit dans un contexte plus général pour faire en sorte que tous les pays soient, tôt ou tard, liés par le Traité sur le commerce des armes, et nous avons encore beaucoup de chemin à faire. J’ai signalé, et d’autres nous l’ont aussi rappelé, que les États-Unis ne sont pas susceptibles de participer de sitôt à ces efforts de contrôle des armes, mais nous nous approchons de cet objectif.

Plus de la moitié des pays du monde — oui, y compris certains de nos plus proches alliés, comme le Royaume-Uni et la France — ont pris cette mesure. Malgré cela, Amnistie internationale a critiqué le Royaume-Uni et la France parce qu’ils ont autorisé des ventes d’armes qui violent le traité.

Nous savons que le droit international n’est pas parfait. Un traité ne produit pas de résultats du jour au lendemain. Nous reconnaissons que le processus variera d’un pays à l’autre. Ce sera assurément un processus qui s’étendra sur de nombreuses années, et le premier pas que le Canada s’apprête à faire est d’une grande importance.

Le sénateur Housakos : Aimeriez-vous ajouter quoi que ce soit?

La présidente : Le sénateur voulait une réponse de l’un ou l’autre des avocats.

Le sénateur Housakos : Surtout en ce qui concerne la définition — ou, plutôt, l’absence de définition, à mon avis — du terme « courtage ».

M. Barutciski : Je ne crois pas que le traité proprement dit définit le courtage. Ce sera à vous de décider. C’est vous qui rédigez les lois. Permettez-moi de revenir un peu en arrière. Vous avez soulevé la question sous l’angle non pas du courtage, mais des intermédiaires. Le principe de départ du traité, c’est de dire : « Vous n’autoriserez point les exportations qui seront essentiellement utilisées à mauvais escient. » Cela comprend les infractions au droit humanitaire, les violations des droits de la personne, et cetera.

Quand votre interlocuteur — que ce soit l’acheteur, la destination ou le destinataire — est un pays comme l’Arabie saoudite, il s’agit d’un débat et d’une discussion parfaitement légitimes. Je m’abstiendrai d’exprimer une opinion. C’est le travail du gouvernement. C’est à cela que sert le pouvoir discrétionnaire. Même dans ce cas, j’ai comparu devant le Comité sénatorial des droits de la personne il y a deux ans, et j’ai signalé les mêmes questions. C’est une région embêtante. Le Moyen-Orient est un endroit bien étrange. L’Arabie saoudite n’est pas le seul pays malhabile en matière de respect des droits de la personne. Je parle par euphémisme. Je pourrais employer des termes plus durs, mais je ne le ferai pas. Vous pouvez deviner les mots manquants.

Cela dit, les intermédiaires sont à l’origine de tous les risques. Il y a, pour commencer, un risque de détournement, auquel s’ajoute un risque de commerce non réglementé par ceux qui font du courtage. On lit des romans d’espionnage qui mettent en scène des marchands d’armes véreux. Oui, cela existe bel et bien, assez curieusement. Certains gouvernements y contribuent en autorisant des détournements.

Le Traité sur le commerce des armes et le projet de loi C-47 permettent d’imposer une structure et une forme d’alliance, tout au moins aux quelque 90 pays qui l’ont déjà ratifié — en espérant que le Canada leur emboîte le pas sous peu —, ce qui crée le genre de sentiment d’intérêt commun dont parlait M. Neve.

Il est malheureux que les États-Unis ne fassent pas partie de cette alliance, mais nous ne pouvons rien y faire. On ne peut pas non plus imposer une règle interdisant les exportations vers les États-Unis, une mesure que certains commentateurs semblent vouloir retrouver dans cette loi, tout au moins à la lumière de ce que j’ai pu comprendre. Cela ne réglerait aucun problème, à moins que nous ne soyons disposés à affirmer que nous allons simplement cesser toute exportation d’armes et de composantes militaires vers les États-Unis car, comme vous pouvez vous l’imaginer, le ministère de la Défense américain ne va pas nous permettre de vérifier ses certificats d’utilisation ultime.

N’oublions pas ces alliances stratégiques dont parlait M. Leuprecht. Nous avons quelques enjeux importants à régler dans nos relations avec les États-Unis, mais il ne faut jamais perdre de vue que nous sommes voisins, peu importe que l’on apprécie ou non l’administration actuelle, celle qui l’a précédée ou celle qui la suivra. Nous avons des intérêts communs en matière de sécurité et de défense. Si nous prenons des mesures draconiennes qui mettent en péril ces intérêts, nous n’améliorerons pas le sort de notre pays, pas plus que nous allons contribuer à l’atteinte des objectifs visés par le Traité sur le commerce des armes et le projet de loi C-47.

Pour revenir à la définition de courtage, il s’agit en fait davantage d’intermédiaires. À mon avis, le libellé du projet de loi permet de cerner plutôt bien les activités que nous tentons de cibler. Sa portée pourrait-elle être plus vaste et mieux définie? C’est possible.

Mes 31 années de pratique du droit m’ont permis de comprendre ce qui se passe lorsqu’on commence à ajouter du libellé qui est répétitif ou redondant. Il y a une expression latine qui dit inclusio unius est exclusio alterius. Lorsqu’on veut être trop précis, les tribunaux en viennent à considérer que si l’on a inclus telle ou telle chose, il en ressort que telle ou telle autre chose est exclue, ou vice versa.

Lorsque j’ai à conseiller des gouvernements ou des clients en matière de rédaction législative, je préconise un libellé plus général permettant d’englober un large éventail de circonstances, dont certaines que nous n’avons même pas encore envisagées. Qui aurait rêvé d’accumuler des bitcoins il y a 10 ans à peine? Peut-être que cela peut vous sembler fantaisiste, mais nous vivons dans un monde où l’Internet peut être utilisé à des fins d’armement, avec la nanotechnologie et tout le reste — mais c’est loin d’être ma spécialité.

Si l’on veut parler de courtage ou essayer d’être trop spécifique, on obtiendra le même résultat. Un libellé trop précis ne visera pas nécessairement le genre de transactions que l’on souhaite cibler. En ce sens, c’est à la fois un enjeu lié à la pratique du droit et à la gouvernance. Si quelqu’un nous dit que la définition est trop étroite, je vais lui prêter une oreille attentive, et vous devriez faire de même.

La présidente : Merci.

Nous avons une longue liste d’intervenants, et je ne voudrais pas que nous manquions de temps.

Le sénateur Dean : J’ai une question d’ordre général. Je n’étais pas là la semaine dernière lorsque nous avons entrepris cette étude, mais il est bien évident que le Canada est le dernier à joindre la parade parmi les pays du G7 et les partenaires de l’OTAN — ou tout au moins l’un des derniers. Nous accusons un retard qui est le fait de nos deux plus récents gouvernements.

Pour quelles raisons selon vous le Canada a-t-il mis autant de temps à emboîter le pas aux autres pays? Comment le gouvernement vous a-t-il expliqué la situation? Que pensez-vous des raisons qui sont invoquées pour justifier ce retard?

Alex?

M. Neve : Les autres témoins voudront sans doute se prononcer également.

Je crois pouvoir affirmer — et mon commentaire n’est teinté d’aucune partisannerie politique — que le gouvernement précédent n’était pas très enthousiasmé par le Traité sur le commerce des armes. À titre d’exemple, il a décidé que le Canada ne serait pas l’un des pays à parrainer conjointement la résolution de l’assemblée générale lorsque ce traité a été adopté aux Nations Unies. Nous avons fini par voter en faveur du traité, mais nous n’étions pas parmi ses plus fervents partisans.

On craignait — sans aucun fondement, à notre avis — que le Traité sur le commerce des armes ait des répercussions sur les détenteurs d’une arme à feu au Canada, ce qui n’était pas du tout le cas comme nous l’avons souligné. Il y a même dans le préambule du traité des dispositions indiquant clairement ce qu’il en est. Un chasseur ou un agriculteur canadien risque seulement d’être touché par le Traité sur le commerce des armes s’il a l’intention d’envoyer ses carabines en Syrie. Le traité ne porte aucunement sur l’utilisation des armes à feu au pays.

Selon moi, cette crainte fait partie des éléments qui ont ralenti nos progrès de 2013 à 2015.

Lors de la campagne électorale, le gouvernement Trudeau a effectivement promis que le Canada allait adhérer au Traité sur le commerce des armes. Nous sommes déçus que ce dossier ne se soit pas retrouvé sur le haut de la pile, mais il faut considérer que le programme législatif était alors fort chargé. Nous sommes saisis de ce projet de loi depuis maintenant plus d’un an et demi. Il a été déposé en juin 2017, et nous nous employons à mener l’initiative à terme.

C’est en partie ce qui explique notre retard à mes yeux.

Le sénateur Dean : Cela me suffit. Merci.

La sénatrice Saint-Germain : Merci pour vos exposés. Ma question s’adresse surtout à nos témoins qui sont avocats, mais pas exclusivement à eux.

Dans le mémoire soumis par des organisations de la société civile canadienne, y compris la vôtre, vous indiquez, concernant les exportations de marchandises et de technologies militaires vers les États-Unis, que l’exemption viole le premier article du TCA, et qu’elle viole également l’article 2 (champ d’application) et l’article 5 (mise en œuvre générale), deux articles qui sont au cœur du traité.

Nous avons obtenu un avis juridique d’Affaires mondiales Canada suivant lequel l’exemption relative au commerce de marchandises militaires entre le Canada et les États-Unis est conforme au droit international étant donné que le Traité sur le commerce des armes ne stipule pas la façon dont les pays doivent structurer leur régime de contrôle des exportations.

Pouvez-vous nous dire en vertu de quelles dispositions ou de quelle jurisprudence vous pouvez affirmer que l’exemption relative au commerce de marchandises militaires entre le Canada et les États-Unis viole le TCA?

M. Neve : Nous convenons que la situation serait sans doute acceptable s’il y avait actuellement, avant l’adoption du projet de loi C-47, un processus en place pour s’assurer que les expéditions d’armes vers les États-Unis font l’objet d’un examen permettant de déterminer si elles présentent un risque à l’égard des préoccupations qui sont au cœur du TCA, à savoir les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les génocides et, maintenant, la violence fondée sur le sexe. Il n’est pas nécessaire que le Canada ait un système unique s’appliquant à toutes les exportations d’armes. Le régime pourrait être ainsi plus cohérent et plus facile à administrer, mais nous pourrions avoir aussi deux ou trois systèmes différents dans le cadre desquels les risques seraient évalués au moyen de diverses mesures. Ce n’est toutefois pas le cas.

Dans l’état actuel des choses, les ventes d’armes aux États-Unis sont tout simplement exemptées de toute forme de contrôle. Il n’y a pas de processus permettant de déterminer s’il y a un risque que ces armes puissent être utilisées pour porter atteinte aux droits de la personne ou perpétrer des crimes de guerre.

Le moment aurait été bien choisi pour remédier à une situation qui nous préoccupait déjà, même avant que le TCA et le projet de loi C-47 n’apparaissent dans le portrait, au titre de laquelle nous considérons cependant désormais qu’il y a obligation découlant du droit international. Nous devons veiller à ce que toute livraison d’armes à quelque pays que ce soit — ce qui s’applique certes à une destination accueillant plus de la moitié des exportations de notre industrie — fasse l’objet d’un examen suffisant pour s’assurer que l’on ne court pas de tels risques.

C’est pour cette raison que nous sommes inquiets à l’idée d’adhérer au Traité sur le commerce des armes en nous fondant sur des mesures législatives, qu’elles soient nouvelles ou déjà existantes, qui ne prévoient pas une évaluation semblable des risques pour nos ventes d’armes destinées aux États-Unis.

La sénatrice Saint-Germain : À la toute fin de votre mémoire, vous proposez l’amendement suivant :

Le projet de loi C-47 devrait interdire les dispositions contractuelles concernant la confidentialité au-delà des limites minimales nécessaires pour protéger les informations confidentielles et les informations connexes.

À votre avis, quelles sont les limites minimales nécessaires pour protéger, par exemple, la sécurité nationale et le secret commercial? C’est une recommandation intéressante, mais elle est plutôt vague. J’aimerais que vous nous en disiez plus long à ce sujet.

M. Neve : Avec plaisir. Toutes les organisations de la société civile se réjouiraient de pouvoir collaborer avec les sénateurs et le gouvernement pour en arriver à un libellé plus précis. Nous ne proposons pas en fait une formulation pour cet amendement; nous indiquons plutôt ce qu’il devrait permettre d’accomplir.

Cette préoccupation découle de l’expérience vécue par les Canadiens avec la vente de véhicules blindés légers à l’Arabie saoudite, surtout au cours des deux ou trois derniers mois qui ont été marqués par le meurtre de Khashoggi et la prise de conscience accrue du terrible rôle joué par les Saoudiens dans les crimes de guerre perpétrés au Yémen. Les gens sont vivement préoccupés — plus que jamais auparavant — par cette transaction, et on commence à s’interroger sur les moyens à prendre pour s’en soustraire. Comment en sommes-nous arrivés à conclure ce contrat? Quelles en sont les modalités?

On nous répond seulement de manière très générale qu’une lourde pénalité est prévue, peut-être de l’ordre d’un milliard de dollars ou même de plusieurs milliards de dollars, mais il nous est impossible d’en savoir plus long, parce que toutes les dispositions du contrat — absolument toutes, sans exception — sont confidentielles. Ce n’est pas comme si seulement certains éléments du contrat devaient être gardés secrets; nous ne pouvons même pas savoir quelles sont les sanctions prévues de telle sorte que les Canadiens et les experts juridiques notamment puissent débattre des options qui s’offrent à nous pour donner suite à ce contrat tout en nous assurant de ne pas contribuer à des violations des droits de la personne.

Nous ne préconisons pas que l’on renonce au secret commercial, car nous reconnaissons que c’est un élément important de toute activité transactionnelle à l’échelle planétaire. Nous voulons toutefois nous assurer que ce traité renferme des dispositions permettant de définir le plus étroitement possible l’application de ce secret.

La sénatrice Saint-Germain : J’aurai d’autres questions au second tour.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci à vous tous d’être des nôtres cet après-midi.

Ma question s’adresse à M. Barutciski. On parle d’apporter un amendement à l’entente proposée et qui est signée par 99 pays. Serait-il correct, dans le cadre d’une telle entente, de proposer un amendement afin d’incorporer nos propres articles, qui seront évidemment différents de ceux des 98 autres pays? Selon vous, est-il possible de proposer ce genre d’amendement sans nuire à une entente internationale regroupant 99 pays?

M. Barutciski : En principe, oui, c’est possible, parce que le traité accorde aux pays membres une latitude pour mettre en vigueur des obligations liées à leurs lois nationales ou à leurs lois particulières.

À titre d’exemple, le courtage n’est pas bien défini dans le traité, mais notre projet de loi essaie de le définir. C’est la même chose pour les autres aspects. M. Neve nous a parlé des dispositions qui auraient pour effet de restreindre la confidentialité. Pas toute la confidentialité, car il est reconnu évidemment qu’il y aura des occasions où ce sera tout à fait légitime, mais si on essaie, dans le cadre de cette loi, de couper d’une façon trop fine, on fera quelque chose qu’on ne fait pas du tout dans toutes les autres lois qui touchent la sécurité nationale.

Donc, une fois qu’une question touche la sécurité nationale, en principe, on sort complètement de la transparence. Il y a de bonnes raisons pour cela, parce que, effectivement, même si, du côté politique, du côté des ONG, du côté ou d’un autre des partisans on aimerait bien dévoiler des dispositions, ils ne sont pas dans la même situation que le gouvernement, qui a accès à tout ce qui pourrait concerner les intérêts liés à la sécurité à moyen et long terme.

C’est pour cela que toutes nos lois accordent une discrétion quasi totale sur les questions de sécurité nationale, et cela ne concerne pas seulement nos lois, mais également nos traités internationaux, comme le traité de l’OMC, et ainsi de suite. Les exclusions liées à la sécurité nationale ne se définissent pas par elles-mêmes, mais presque.

Le sénateur Massicotte : En fait, cela veut dire que l’on pourrait se retrouver avec 99 ententes techniques différentes.

M. Barutciski : Ça se peut. Malheureusement, c’est la réalité du droit international. Nous sommes tous souverains, nous concluons des ententes qui ont soit des lacunes ou différents points de vue. Cela ne veut pas dire qu’on ne va pas conclure une entente même si on n’a pas arrêté tous les détails.

Le sénateur Massicotte : Faisons une hypothèse : le moment n’est pas très opportun compte tenu de ce qui se passe avec l’Arabie saoudite ces temps-ci, mais si on n’est pas d’accord avec l’exportation des armes vers ce pays et de l’utilisation qu’il fait de ces armes, qu’on signe ou non l’entente, cela ne change rien, car nous assumons le droit d’envoyer effectivement les armements comme tels. C’est conditionnel à l’entente qu’on a signée. Même si on assume le traité comme tel, cela ne nous empêche pas d’assumer la livraison des armements.

M. Barutciski : Il y a deux questions indépendantes, même si elles sont liées en réalité.

Premièrement, la question d’un contrat commercial entre pays, c’est une question justiciable. Je n’ai pas vu le contrat, car il n’est pas public. Je ne sais pas si ce contrat est soumis à la loi canadienne, britannique ou saoudienne, mais quelqu’un a probablement indiqué la loi qui s’applique au contrat. Je n’en ai aucune idée. En ce qui a trait à l’aspect commercial, les violations du contrat sont jugées en vertu du choix de la loi.

Deuxièmement, c’est une question de droit public, et si le gouvernement du Canada a le pouvoir, aujourd’hui ou après l’entrée en vigueur du projet de loi C-47 et du traité, de geler ces transactions, même s’il y a un contrat, il peut refuser de délivrer les permis.

Il faut se rappeler que l’exportateur n’est pas le gouvernement ou la Corporation commerciale canadienne, c’est le fabricant. Il ne peut rien envoyer à l’étranger sans un permis. Donc, la loi ne change rien de ce côté, et le projet de loi ne change absolument rien.

Le sénateur Massicotte : Comment cela se passe-t-il dans l’industrie en général lorsqu’un contrat contient des conditions pour suspendre une livraison quand un pays viole les dispositions de notre traité? Quand on signe une entente sur des munitions ou des armements, est-ce la norme de faire référence à ce traité? Si le traité est violé, pouvons-nous stopper une livraison sans subir de conséquences financières?

M. Barutciski : Typiquement, les contrats militaires sont assujettis à l’obtention des permis pertinents. Donc, quand je conseille un client dans ces situations, comme dans toute transaction commerciale, il y a toujours des conditions, et avant que les obligations deviennent finales, lesdites conditions doivent être remplies.

En ce qui a trait aux négociations, c’est une question de savoir à quelle partie revient le risque de ne pas satisfaire les conclusions, et je n’ai pas vu le contrat, je n’en ai aucune idée. Est-ce le Canada qui va subir le risque si les permis ne sont pas obtenus? Cela se peut. Je ne sais pas. On ne sait pas. Les deux situations sont possibles.

Le sénateur Massicotte : Qu’est-ce qui est typique dans l’industrie quand on signe un contrat d’achat ou de vente d’équipement? Est-ce typique de faire référence au traité si le gouvernement du Canada croit qu’il y a un risque de violation des règles? Le contrat est commercial, il n’est pas basé sur le traité.

M. Barutciski : D’abord, comme le traité n’est pas encore en vigueur, on ne peut s’en servir, mais on va mentionner souvent les permis requis en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. Il y a d’autres permis. Plusieurs permis doivent être obtenus dans le cadre d’exportations, tels les permis dans le secteur nucléaire, notamment. C’est la même chose, cela peut être soumis à plusieurs régimes.

Tout ce que je veux dire, c’est que si le risque tombe sur l’acheteur ou le vendeur, cela dépend des circonstances. C’est comme toute négociation. Celui qui a le plus de pouvoir dans la négociation va effectivement repousser le risque sur l’autre partie. Il n’y a pas de règles usuelles qui s’appliquent dans ces situations. Ce n’est pas comme une vente dans le domaine immobilier où l’on retrouve des conditions générales dans les contrats. Même dans ces cas, on biffe des clauses régulièrement.

[Traduction]

La présidente : J’ai encore deux sénateurs sur ma liste et nous devrons malheureusement nous arrêter dès 18 h 15, car un autre comité nous suivra. Puis-je vous inscrire pour le second tour et donner la parole à la sénatrice Cordy? La sénatrice Saint-Germain suivra.

La sénatrice Cordy : J’avais deux questions, mais l’une d’elles a heureusement déjà été posée par la sénatrice Saint-Germain.

Monsieur Barutciski, vous avez indiqué que ces mesures visent à favoriser l’ordre, mais vous avez également parlé des risques auxquels sont confrontés les gouvernements et l’industrie notamment quant à savoir qui est le véritable destinataire des exportations. Vous avez mentionné tout particulièrement les enjeux liés à la paix, à la sécurité et à la conciliation des croyances et des intérêts fondamentaux de différents pays.

Monsieur Leuprecht, vous nous avez rappelé le caractère imprévisible du contexte de sécurité.

Je pense que bien des pays se posent les mêmes questions que le Canada lorsqu’il se demande si c’est une bonne idée de vendre des véhicules blindés légers à l’Arabie saoudite. Devrions-nous vendre des armes à certains pays? La question ne se pose pas uniquement pour l’équipement militaire. On devrait toujours la garder à l’esprit. La société semble être davantage sensibilisée et plus mobilisée à l’égard de ces enjeux, si bien que l’on n’approuve pas toujours les agissements de certains pays qui sont portés à notre connaissance.

Monsieur Leuprecht, vous avez évoqué la possibilité que certains pays conjuguent leurs efforts dans le cadre d’une forme d’alliance. Vous avez mentionné à ce titre l’Allemagne, le Canada et peut-être aussi le Royaume-Uni. Y a-t-il des pourparlers à ce niveau actuellement? Est-ce que des pays alliés dignes de confiance se coalisent ainsi pour convenir des mesures à prendre compte tenu des risques encourus, comme l’indiquait M. Barutciski?

M. Leuprecht : Merci pour la question, sénatrice Cordy. Je pense qu’il y a deux façons d’envisager la chose. Il y a d’abord l’analyse des différentes hypothèses.

Pourquoi exportons-nous des armes dans certaines régions du monde? C’est peut-être en partie parce que nous jugeons qu’il serait encore plus néfaste à certains égards de ne pas le faire. Si nous considérons le Moyen-Orient et le chaos qui y règne, il est dans notre intérêt stratégique d’assurer une certaine stabilité dans cette région du globe. Nous savons à quel point la conjoncture y est défavorable et, pour le meilleur ou pour le pire, nous avons choisi, de concert avec nos alliés, certains partenaires stratégiques dans cette région et nous allons devoir composer avec les choix que nous avons faits dans notre évaluation de la situation, car celle-ci se dégraderait sans doute encore davantage si nous décidions maintenant de changer de cap.

Je pense que nous sommes en train de confondre deux problèmes distincts. Nous parons au plus urgent pour négliger ce qui est vraiment important en laissant un cas particulier faire dévier tout le débat au sujet des principes qui sous-tendent l’ensemble du projet de loi.

Si nous avons des préoccupations au sujet d’un pays, nous avons déjà accès à des mécanismes — outre ce qui a été proposé en réponse à une question précédente relativement aux contrats — nous permettant de lui imposer des contraintes ou des sanctions. Nous pouvons par exemple retirer ce pays de la Liste de contrôle des pays pour les armes automatiques. Il y a seulement trois pays du Moyen-Orient qui figurent actuellement sur cette liste, soit le Koweït, l’Arabie saoudite et Israël. Plutôt que de nous perdre dans toutes ces discussions au sujet de la validité d’un contrat, nous pourrions simplement décider de retirer le nom d’un pays de cette liste. Nous lui enverrions ainsi un message très clair, car il deviendrait beaucoup difficile pour lui d’acquérir des technologies militaires canadiennes. C’est justement la raison pour laquelle il n’y a, pour autant que je sache, qu’un seul pays africain, le Botswana en l’occurrence, figurant actuellement sur cette Liste de contrôle des pays pour les armes automatiques.

Il y a donc d’autres mécanismes qui sont d’ores et déjà accessibles. Nous avons la réglementation du Cabinet, les mesures prévues dans ce projet de loi et différentes autres conventions auxquelles nous avons adhéré et en vertu desquelles nous avons dressé des listes relativement à des éléments comme le contrôle des exportations, les pays ciblés et les intermédiaires. Combien d’autres mécanismes avons-nous besoin de mettre en place afin d’exercer les pressions nécessaires et d’exprimer clairement notre mécontentement?

Nous sommes malheureusement trop portés sur les exportations et je ne pense pas que nous ayons réfléchi suffisamment aux mesures à prendre et aux leviers à notre disposition lorsque le contexte évolue, comme c’est le cas actuellement. Selon moi, le débat devrait porter davantage sur ces aspects.

Quelle que soit votre allégeance politique, je vous soumets que le Canada pourrait montrer la voie à suivre en mobilisant tout au moins un groupe clé de pays. Il y a en effet un constat important que nous avons à faire. Tout le monde s’intéresse en fait à la technologie militaire de l’Occident. Les Américains n’adhéreront jamais à un régime semblable, mais je crois qu’il nous est possible de faire comprendre suffisamment clairement à nos alliés à quel point il est important d’agir. Il faut toutefois que quelqu’un en prenne l’initiative. C’est peut-être ainsi que nous pourrons répondre à certaines des préoccupations exprimées relativement à des éléments encore trop vagues de ce projet de loi.

La présidente : J’ai deux noms sur la liste pour le second tour et nous avons environ deux minutes.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Ma question s’adresse d’abord à M. Leuprecht. Le mémoire qui nous a été transmis nous recommande que la procédure accélérée avec les États-Unis en ce moment soit levée et que toutes les exportations soient soumises à la Loi sur les licences d’exportation, y compris les exportations de la Corporation commerciale canadienne. Comment est-ce possible, à la limite, de gérer tout cela, même en termes de transparence? L’industrie canado-américaine à laquelle vous avez fait référence est si intégrée qu’on se réimporte ce qu’on a exporté. Des pièces d’armements sont importées, puis réimportées ou réexportées. En d’autres termes, d’un point de vue pratique, est-il même possible de mettre en œuvre une telle recommandation?

M. Leuprecht : Madame, tout est possible. La question est de savoir s’il est rentable de le faire.

La sénatrice Saint-Germain : Est-ce alors rentable si c’est possible? Pouvez-vous au moins dire que c’est complexe et que ce serait rentable?

M. Leuprecht : Si vous avez envie d’investir davantage dans les départements pour octroyer beaucoup plus de ressources, pour administrer ce type de régime et priver les petits départements encore plus de la programmation qu’ils livrent aux Canadiens, oui, en principe, c’est possible. Toutefois, il me semble que cette approche n’est pas très utile et ne constitue pas une façon stratégique d’investir nos fonds publics, étant donné le volume et la complexité de l’intégration, comme vous l’avez soulevé. Je vous rappelle aussi, madame, ce qui suit.

[Traduction]

Avec l’Exemption de Kingston en 1938 et l’Accord d’Ogdensburg en 1940, nous avons conclu une alliance stratégique avec les États-Unis afin de nous assurer que les perturbations qui touchent la planète n’atteignent pas les côtes nord-américaines, ce qui nous a donné le continent que l’on pourrait considérer comme le plus prospère, harmonieux, stable et enviable de toute l’histoire du monde.

On peut choisir de diaboliser les Américains ou bien considérer que, pour le meilleur ou pour le pire, nous partageons une même destinée géographique et un intérêt commun à travailler en collaboration pour assurer le maintien de notre mode de vie et de nos valeurs.

Je vous rappelle que nous tenons la démocratie pour acquise, mais qu’elle doit en fait être défendue. Nous constatons tous d’ailleurs que c’est de plus en plus difficile à l’époque où nous vivons. Au chapitre du maintien de la sécurité planétaire, les Américains demeurent, que nous le voulions ou non, les chefs de file, suivis par le Groupe des cinq. Si nous décidons de renoncer à cette relation stratégique, nous allons le faire à nos propres risques et périls.

La présidente : Je sais que M. Neve voulait également répondre. Pouvez-vous le faire brièvement?

M. Neve : Certainement. Merci de me donner l’occasion de répondre concernant le dernier élément soulevé plus particulièrement. Il y a tellement d’autres choses que j’aimerais vous dire également.

Je suis profondément persuadé que les Canadiens de toutes les régions du pays seraient vivement préoccupés d’apprendre qu’il est fort possible que les pièces ou les armes vendues aux États-Unis se retrouvent entre les mains de l’Arabie saoudite ou des Émirats arabes unis et servent à perpétrer des crimes de guerre au Yémen.

Nous nous attaquerions peut-être effectivement à un défi de taille en essayant de déterminer le système à mettre en place pour veiller à ce que ces transactions avec les États-Unis soient soumises à des vérifications suffisantes, et il est bien certain qu’il pourrait y avoir des coûts supplémentaires à assumer et que cela risque de créer des tensions et des difficultés dans nos relations avec les Américains en matière de sécurité. Les enjeux sont toutefois trop fondamentaux, et je dirais trop cruciaux pour la défense des valeurs chères aux yeux des Canadiens, pour que nous justifiions ainsi notre inaction. Il est primordial que cela se fasse, et je crois que le Canada doit relever le défi.

La présidente : Merci à vous et merci à tous nos témoins. Il y a deux observations que je voudrais faire. Je n’ai pas beaucoup participé aux discussions jusqu’à maintenant car, comme vous avez pu le constater, chacun souhaitait avoir l’occasion d’échanger avec vous.

Je crois que nous vous avons surtout parlé de l’Arabie saoudite, mais qu’il s’agit en fait d’un traité visant à remédier à la situation à l’échelle planétaire. Il suffit pour s’en convaincre d’essayer de retracer la provenance de toutes ces armes que l’on retrouve maintenant en Afrique. Le Canada n’a heureusement pas joué un rôle significatif à ce niveau, mais c’est certes le cas de bon nombre de nos alliés ainsi que d’autres partenaires.

Je veux rappeler aux membres du comité — et la sénatrice Cordy sera sans doute d’accord — que nous nous sommes déjà penchés sur certains de ces enjeux lorsque nous avons recommandé au gouvernement de prendre davantage en compte les préoccupations liées aux droits de la personne dans toutes les transactions qu’il négocie. Malheureusement, le gouvernement a indiqué ne pas vouloir donner suite à nos recommandations. J’estime toutefois qu’il serait intéressant que les membres du comité puissent prendre connaissance du rapport du sous-comité des droits de la personne et de la réponse du gouvernement. Je vais demander à la greffière de vous fournir les liens ou de vous transmettre des copies.

C’est sur cette note que je vous rappelle, chers collègues, que nous allons nous réunir à nouveau demain. Merci à tous d’avoir bien voulu rester un peu plus longtemps. Je prie nos techniciens et nos interprètes de nous excuser pour les cinq minutes supplémentaires.

Merci encore à nos témoins dont la contribution a suscité beaucoup d’intérêt. Votre aide nous sera très utile. Merci.

(La séance est levée.)

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