Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 54 - Témoignages du 22 novembre 2018
OTTAWA, le jeudi 22 novembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été référé le projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications), se réunit aujourd’hui, à 10 h 34, pour étudier le projet de loi, puis à huis clos, étudier la teneur des éléments de la section 13 de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures (étude d’une ébauche de rapport).
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications).
Nous accueillons aujourd’hui un excellent groupe de témoins. Avant de leur céder la parole, je demanderais aux sénateurs de se présenter.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.
La présidente : Je m’appelle Raynell Andreychuk. Je viens de la Saskatchewan. Bienvenue au comité. Nous accueillons aujourd’hui, par vidéoconférence, de Buntingford, en Angleterre, Martin Butcher, conseiller politique, armes et conflits, à Oxfam.
Nous accueillons aussi, ici même à Ottawa, Mme Erika Simpson, professeure agrégée au Département de science politique de l’Université Western, M. John Saabas, président, et Kenneth Purchase, directeur, Conformité au commerce international, de Pratt & Whitney Canada.
Merci à tous nos témoins d’avoir accepté de comparaître. Nous allons commencer par vous, monsieur Butcher. Je veux m’assurer que votre témoignage soit consigné au compte rendu. Nous allons entendre tous nos témoins, puis les sénateurs pourront poser des questions. Monsieur Butcher, la parole est à vous. Bienvenue au comité.
Martin Butcher, conseiller politique, armes et conflits, Oxfam : Merci beaucoup. Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui.
La protection des civils et la réduction des dommages humanitaires en cas de conflit exigent la prévention des transferts irresponsables d’armes. C’est la raison pour laquelle Oxfam appuie l’universalisation et la mise en œuvre sans compromis du Traité sur le commerce des armes. Pour Oxfam, il est important que tous les États qui ne l’ont pas encore fait adhèrent au traité et l’intègrent dans leur législation nationale. Les États parties doivent se conformer rigoureusement au traité, ce qui peut aider à protéger les civils, même dans les situations les plus difficiles, en plaçant le droit international humanitaire et les droits de la personne au centre des décisions en matière de transfert d’armes.
Les critères en fonction desquels le risque associé à chaque transfert d’armes sera évalué se trouvent au cœur de la mise en œuvre nationale du TCA. Pour Oxfam, il est important que les gouvernements respectent un processus d’évaluation approfondie des risques pour ensuite décider explicitement d’autoriser ou non le transfert, et ce, pour tous les transferts potentiels, conformément aux obligations prévues dans le traité.
Ce processus peut se faire au moyen d’un certain nombre d’instruments différents. Par exemple, au sein de l’Union européenne, les transferts d’armes sont assujettis à la directive sur le transfert intracommunautaire, un règlement allégé qui tient compte de l’intégration économique de l’UE et de la nature non sensible de la plupart des échanges d’armes à l’intérieur de l’UE. Pour les transferts plus importants, le Royaume-Uni, par exemple, possède un système de licences ouvertes où, dans les cas où la combinaison de l’équipement et de la destination est considérée comme « moins sensible », les livraisons multiples sont autorisées en vertu d’une seule licence. Les entreprises qui utilisent de telles licences sont tenues de dresser des dossiers précis et sont assujetties à des vérifications à la demande du gouvernement.
Même si Oxfam a des préoccupations dans certains cas au sujet de ce que le gouvernement britannique considère comme des transferts « moins sensibles », ce système montre qu’il est possible de prévoir une évaluation des risques et l’octroi de licences pour les armes envoyées vers toutes les destinations, et ce, conformément aux obligations du TCA. Cela est également essentiel en ce qui concerne la transparence et la production de rapports, des éléments essentiels à l’efficacité du TCA.
Il est également important de miser sur la large portée des critères. Oxfam exhorte le Canada à trouver de bons modèles de critères et à les appliquer de façon large. Les critères de l’UE pour l’évaluation des risques, détaillés dans la position commune de 2008 sur les exportations d’armes constituent un bon point de départ pour la mise en œuvre efficace d’une évaluation des risques avant l’octroi d’une licence d’exportation d’armes exigée par le TCA.
Les critères de l’UE visent à déterminer si les exportations contreviennent aux engagements internationaux, sont utilisés pour la répression interne ou lorsqu’il y a un risque de violation grave du droit international relatif aux droits de la personne, y compris la violence fondée sur le sexe, provoquent ou prolongent les conflits armés ou aggravent les tensions existantes dans le pays de destination, sont utilisés pour agresser un autre pays, portent atteinte à la sécurité nationale du Royaume-Uni ou de ses alliés, sont détournés ou réexportés dans des conditions indésirables, freinent sérieusement l’économie ou entravent fortement le développement durable du pays bénéficiaire.
Il convient de souligner que le Canada s’est officiellement aligné sur la position commune de l’UE, ce qui signifie qu’il devrait déjà, en théorie, appliquer ces critères. Il serait intéressant de savoir ce en quoi consiste concrètement l’alignement pour le Canada à ce stade-ci. Même l’excellent libellé de la législation et de la réglementation nationales est insuffisant si un gouvernement n’a pas la volonté politique de mettre en œuvre correctement le traité et n’est pas tenu responsable devant le Parlement et les tribunaux.
À cet égard, les rapports liés à la transparence dans les transferts d’armes sont également essentiels à une mise en œuvre efficace du traité. Oxfam se réjouit de l’amendement apporté au projet de loi C-47 concernant l’article « Rapport au Parlement » de la LLEI, qui obligera le ministre à présenter un rapport au Parlement sur l’exportation de biens militaires pour l’année précédente au plus tard le 31 mai de chaque année.
Cependant, l’amendement ne dit rien au sujet de la déclaration des importations, ce qui est également exigé par le TCA, ni des détails que le rapport parlementaire contiendra. Nous demandons instamment que les rapports canadiens sur le transfert d’armes contribuent aux normes internationales communes les plus élevées possible en vertu du TCA. De bonnes normes incluraient, par exemple, la déclaration détaillée par le Canada des autorisations d’exportation et des exportations réelles, ce qui constitue actuellement une déclaration facultative en vertu du traité. La déclaration des importations devrait également y figurer.
Des rapports adéquats et la transparence connexe sont essentiels à l’atteinte des objectifs du traité. En particulier, une ligne de démarcation claire entre le commerce légal des armes et les transferts sur le marché illicite ou gris ne peut être établie que lorsque toute la portée du marché légal est connue. La transparence rend beaucoup plus difficile le détournement des armes vers le marché illicite, en garantissant que tous les transferts légaux sont effectués ouvertement. Le Canada a une excellente occasion de devenir un chef de file à l’échelle internationale au chapitre des normes de déclaration prévues par le TCA.
En ce qui concerne la responsabilité des gouvernements à l’égard du Parlement devant les tribunaux, la surveillance de la vente d’armes est une tâche qui incombe aux parlements. C’est le cas au Royaume-Uni depuis une vingtaine d’années. Comme l’indique le rapport Scott de 1996 sur le scandale des armes destinées à l’Irak, un Parlement bien informé a un rôle essentiel à jouer pour prévenir les excès du pouvoir exécutif. Cette position a été confirmée par la décision rendue en 2017 par la Haute Cour dans le cadre du contrôle judiciaire de la campagne contre le commerce des armes visant la vente d’armes à l’Arabie saoudite, qui, même si elle fait actuellement l’objet d’un appel, a tranché en faveur du gouvernement, la cour étant extrêmement réticente à annuler une décision du gouvernement de Sa Majesté en ce qui concerne les licences, soutenant qu’il s’agissait d’une responsabilité qui devrait incomber au pouvoir législatif en général et, plus particulièrement, aux comités responsables du contrôle des exportations d’armes de la Chambre des communes. Voici ce qui a été dit :
Au moment de s’acquitter de son rôle, la Cour peut à juste titre tenir compte du fait qu’il y a une atteinte, conformément aux valeurs démocratiques, selon laquelle la personne chargée de faire de telles évaluations de ce genre devrait en être politiquement responsable... Des ministres ont comparu devant la Commission parlementaire sur les contrôles à l’exportation d’armes et le Groupe parlementaire sur le Yémen. Des ministres ont également pris la parole dans les débats parlementaires sur le Yémen, fait des déclarations orales et écrites, répondu à des questions urgentes et répondu à un large éventail de questions parlementaires et de correspondance ministérielle.
La gravité du dossier de l’approvisionnement en armes de l’Arabie saoudite pendant le conflit au Yémen montre bien que l’examen parlementaire est plus nécessaire dans les cas les plus difficiles. Quand des armes fournies par le Royaume-Uni sont utilisées par des forces armées qui n’ont pas la formation, les capacités de ciblage et les compétences d’auto-analyse nécessaires, le rôle du Parlement est vital.
Oxfam recommande que le Parlement canadien établisse une structure de comités appropriée pour l’examen de la politique et des pratiques du gouvernement en matière de transfert d’armes.
En conclusion du point de vue d’Oxfam, en tant qu’organisation qui se préoccupe des conséquences humaines du commerce irresponsable et illicite des armes, nous estimonsqu’il est essentiel que le Canada accorde des licences transparentes et strictes pour toutes les exportations d’armes et qu’il en fasse un examen parlementaire. Merci.
La présidente : Merci, monsieur Butcher.
Nous allons maintenant passer à l’exposé de Mme Erika Simpson. Bienvenue.
Erika Simpson, professeure agrégée, Département de science politique, Université Western, à titre personnel : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Mon témoignage s’adresse au grand public et est du domaine public. Vous en avez la traduction devant vous. Vous pouvez le lire beaucoup plus rapidement que je ne peux parler, et c’est vous les experts, alors je vous suggère que nous passions directement à la page 6, en bas; c’est la page que j’ai marquée avec ma carte professionnelle.
Je vais lire pour le compte rendu ce qui suit, en commençant au bas de la page 6.
Beaucoup de personnes, surtout aux États-Unis, soutiennent que les armes à feu ne tuent pas, que ce sont les personnes qui tuent et que, si les gens ne peuvent pas se procurer facilement des armes, ils se massacreront à coup d’épée, de machette ou de couteaux. Il est vrai que les épées, les machettes et les couteaux peuvent causer des ravages, mais les armes à feu et les véhicules blindés motorisés sont beaucoup plus dangereux quand ils se retrouvent entre de mauvaises mains.
Rappelez-vous que, au Pakistan, Malala Yousafzai avait 15 ans quand on lui a délibérément tiré une balle dans la tête. Par miracle, elle a survécu et est devenue une championne de l’éducation des enfants et des jeunes. Dans son discours après avoir reçu le prix Nobel de la paix, elle a dit que les armes à feu font partie du problème, affirmant que son objectif était non pas de recevoir le prix Nobel de la paix, mais de mettre fin à la violence armée et de veiller à ce que tous les enfants aient la possibilité d’apprendre.
Tout comme la traite d’esclaves, le commerce des armes est immoral. Pourtant, le Canada a grimpé en flèche dans les classements mondiaux et il arrive maintenant au deuxième rang des principaux marchands d’armes en importance au Moyen-Orient, en raison de la vente massive de véhicules de combat à l’Arabie saoudite. Le contrat, d’une valeur de 13 à 15 millions de dollars, de General Dynamics pour les VBL fabriqués à London, où je vis et travaille... Permettez-moi ici de mentionner que je vis et travaille là-bas comme professeure, mais que je viens de l’Ouest canadien, de la Saskatchewan, du Manitoba et ainsi de suite. J’ai écrit beaucoup de chroniques à ce sujet. Il s’agit de la plus importante vente d’armes de l’histoire canadienne.
J’ai vu des fonctionnaires du ministère des Affaires mondiales détourner les critiques persistantes concernant le contrat avec l’Arabie saoudite en affirmant que le Canada respectera le Traité international sur le commerce des armes, le TCA. Selon un document d’information publié par Amnistie internationale, les obligations qui découlent du traité ne s’appliqueront pas aux exportations d’armes vers les États-Unis, y compris dans les situations où ces armes pourront par la suite être transférées à d’autres gouvernements et d’autres groupes armés.
Les critiques, comme Amnistie internationale, soulignent l’exemption en matière d’exportations vers les États-Unis qui date de 1991. Comme vous le savez, tous les gouvernements qui produisent des rapports sur les exportations de biens militaires ont délibérément omis de ces rapports les données sur les exportations militaires vers les États-Unis. Les critiques comme moi estiment que la valeur des exportations d’armes du Canada vers les États-Unis dépasse la valeur de toutes les autres exportations d’armes canadiennes. Il n’y a rien dans le projet de loi C-47 qui obligerait une plus grande transparence concernant toutes les exportations canadiennes de biens et de technologies militaires vers les États-Unis.
Nous, les critiques, soutenons que l’exclusion de la vente d’armes à l’Arabie saoudite et l’exclusion aussi touchant les exportations vers les États-Unis constituent des lacunes importantes dans la mise en œuvre du traité par le Canada. Il y a aussi un problème lié au fait d’exempter le ministère de la Défense nationale — en tant qu’organisme de la Couronne — de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. On peut supposer que le MDN pourrait, techniquement, se conformer à l’application régulière de la loi, mais il pourrait ensuite transférer de l’équipement militaire à l’Arabie saoudite ou à l’Afghanistan, par exemple.
Le TCA et le projet de loi C-47 promettent d’être de solides instruments juridiques pour établir des règles mondiales rigoureuses visant à mettre fin à la circulation des armes, des munitions et des articles connexes. Il faut utiliser ces instruments pour empêcher les gens de commettre ou de faciliter des génocides, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et de graves violations des droits de la personne.
Il est toutefois difficile de savoir si le projet de loi C-47 autorise le Canada à exempter ses exportations militaires vers les États-Unis de l’autorisation gouvernementale du ministre des Affaires mondiales. Je m’interroge aussi au sujet du rôle de la société d’État, la Corporation commerciale canadienne, qui joue un rôle central dans l’exportation de biens militaires vers les États-Unis et d’autres pays. Je crois que la responsabilité du gouvernement à l’égard de la CCC et sa surveillance devraient être exprimés plus clairement dans le projet de loi afin de satisfaire aux obligations prévues dans le TCA.
L’Accord sur le partage de la production de défense, ou APPD, conclu en 1956 avec les États-Unis a-t-il préséance et permet-il de telles exemptions? Qui plus est, les renseignements sur les exportations militaires du Canada aux États-Unis sont-ils soumis à une transparence élevée et aux normes internationales communes? Par exemple, les citoyens canadiens ont-ils accès aux renseignements en ligne sur les exportations militaires du Canada aux États-Unis et aux pays que le ministre des Affaires mondiales juge acceptables? Il peut falloir des mois — plus de 90 jours — pour remplir les formulaires de demande d’accès à l’information au fédéral, ce qui veut dire que les universitaires, les journalistes, les étudiants et d’autres pourraient donc achever leurs recherches trop tôt.
En ce qui concerne le contrat de vente d’armes à l’Arabie saoudite, le gouvernement affirme que le contrat prévoit un degré de confidentialité qui dépasse largement les limites normales de la confidentialité. Ce degré de confidentialité porte gravement atteinte aux principes fondamentaux de transparence et de responsabilité qui soutiennent le Traité sur le commerce des armes.
En conclusion, le gouvernement canadien doit agir de manière transparente et significative et, comme mon collègue Martin Butcher l’a signalé, au-delà des limites nécessaires les plus étroites, pour concrétiser pleinement l’intention du traité. Les politiciens et les décideurs de tous les ordres de gouvernement doivent prendre des mesures plus énergiques pour prévenir les atteintes graves aux droits de la personne à l’aide d’armes à feu et de chars d’assaut.
Honorables sénateurs, merci de vous pencher sur ces questions et merci de trouver le courage de présenter des recommandations fermes à notre gouvernement fédéral.
La présidente : Merci, madame Simpson.
Passons maintenant aux deux représentants de Pratt & Whitney Canada.
John Saabas, président, Pratt & Whitney Canada : Merci, madame la présidente. Pratt & Whitney Canada est une fière entreprise canadienne qui existe au Canada depuis 90 ans. Nous sommes un chef de file mondial de l’aérospatiale dans le secteur de l’aviation d’affaires, des hélicoptères, du transport régional, de l’aviation générale, y compris le fret, le parachutisme, le travail missionnaire, et cetera, grâce à nos moteurs à turbine évolués. Nous avons certifié plus de 100 moteurs à turbine au cours des 25 dernières années. C’est un record dans l’industrie, ce qui témoigne de l’innovation apportée ici au Canada, ainsi qu’auprès de nos fournisseurs et de nos partenaires.
Nos activités s’étendent aux quatre coins de la planète. Nous possédons un parc de 63 000 moteurs, en plus de 13 000 clients répartis dans 200 pays. Pratt & Whitney Canada est une filiale de United Technologies, une société de haute technologie établie à Farmington, au Connecticut. Nous comptons parmi les quatre pays au monde — les États-Unis, la France, l’Angleterre et le Canada — qui peuvent compétitionner pour fabriquer des moteurs pour ces types d’aéronef.
Notre engagement et nos racines au Canada sont profonds. Nous comptons 13 000 employés dans le monde, dont 6 000 au Canada, qui occupent des postes dans le domaine professionnel, la recherche et le développement et la fabrication hautement spécialisée. Nous possédons sept installations de fabrication et de recherche canadiennes dans l’ensemble du Canada — en Alberta, en Ontario, au Québec et en Nouvelle-Écosse.
Nous sommes le cinquième investisseur commercial du Canada dans la recherche et le développement, dépensant plus de 500 millions de dollars chaque année. Nous finançons des chaires de recherche dans des universités d’un océan à l’autre et dépensons plus de 12 millions de dollars chaque année auprès de partenaires universitaires. Chaque année, 700 étudiants franchissent nos portes pour effectuer des stages de travail et des projets.
Environ 90 p. 100 de nos ventes ont lieu à l’extérieur du Canada, et 95 p. 100 de notre parc se trouve à l’étranger. Comme nous œuvrons dans le domaine de l’exportation de moteurs, de composantes et de données techniques connexes, un système d’autorisation des exportations canadiennes robuste mais efficace a fait et continuera de faire partie intégrante de notre réussite
Même si les exportations sont importantes pour les affaires de Pratt & Whitney Canada de façon générale, la frontière ouverte du Canada avec les États-Unis est fondamentale à notre réussite continue. Nous misons sur le déplacement harmonieux des biens et des données entre nos deux pays.
Pratt Canada appuie le projet de loi C-47. Nous nous opposerions fermement à tout effort visant à imposer des exigences en matière de permis sur l’exportation de biens ou de données aux États-Unis. Manifestement, la frontière ouverte facilite l’accès au marché américain, où 40 p. 100 de notre parc est envoyé. Fait encore plus important, la frontière ouverte est essentielle à notre capacité de vendre des produits partout en raison des liens étroits de la chaîne d’approvisionnement que nous entretenons avec nos partenaires américains.
À titre d’exemple, une seule aube de turbine suppose habituellement cinq ou six expéditions de part et d’autre de la frontière américaine. Une turbine coulée conçue aux États-Unis dépend des données que nous exportons. Cette turbine coulée revient au Canada, et nous effectuons des opérations d’usinage. Elle est renvoyée aux États-Unis pour qu’on effectue des codages spécialisés, puis ici pour les opérations d’usinage, et enfin, elle est renvoyée à des fins d’inspection et d’assemblage dans un moteur avant d’être expédiée ou exportée du Canada. Ce n’est qu’une pièce. Chaque moteur compte 1 000 pièces. Nous fabriquons chaque année 3 000 moteurs dans nos installations au Canada.
Cette même interaction transfrontalière s’applique aussi à nos fournisseurs et à leurs sous-traitants. Les biens et les données traversent continuellement la frontière canado-américaine avant qu’une pièce rejoigne notre usine à des fins d’assemblage dans un moteur.
Il est difficile pour nous de surestimer les répercussions négatives que l’exigence relative aux permis d’exportation vers les États-Unis aurait sur Pratt & Whitney Canada et sur notre chaîne d’approvisionnement. Comme d’autres fabricants modernes, nous ne stockons pas de pièces nécessaires à la fabrication de nos moteurs. Nous commandons les pièces pour fabriquer chaque moteur sur demande. Si nous devions examiner toutes ces transactions pour satisfaire les exigences relatives aux permis — et à plus forte raison, si nous devions chercher à accorder des autorisations relatives aux exportations — cela consommerait des ressources importantes et prolongerait de façon radicale nos délais d’exécution. Nous connaissons aussi aujourd’hui une augmentation importante des délais de traitement pour les demandes de permis auprès du gouvernement canadien. Exiger des permis pour les exportations vers les États-Unis accroîtrait de façon radicale le volume de travail que le Canada doit traiter et entraînerait probablement d’autres retards.
Notre industrie tire aussi des avantages des exportations sans licence de biens et de technologies des États-Unis vers le Canada. Nous nous préoccupons du fait que l’imposition d’exigences en matière de licence par le Canada entraînerait une réponse de type œil pour œil, dent pour dent, où les États-Unis imposeraient des exigences semblables sur les exportations américaines vers le Canada.
Au final, le fait d’exiger des permis canadiens sur les exportations vers les États-Unis minerait notre compétitivité et conférerait un avantage à nos concurrents américains et européens, tout en ne fournissant pas, à notre avis, des avantages notables pour les Canadiens ou pour le monde. Merci.
La présidente : Merci. Nous avons une longue liste d’intervenants. Je vais commencer par la sénatrice Saint-Germain.
La sénatrice Saint-Germain : Merci. Ma première question s’adresse à M. Butcher, d’Oxfam. Merci de votre exposé.
Votre organisation considère le droit international humanitaire et les droits de la personne comme étant au centre des décisions en matière de délivrance de permis de transfert d’armes, « reléguant au second plan les considérations commerciales ».
À votre avis, comment Affaires mondiales Canada peut-il équilibrer équitablement les intérêts multiples en cause au moment de délivrer un permis d’exportation — les intérêts multiples étant les intérêts militaires, stratégiques, économiques et ceux touchant la protection des droits de la personne?
M. Butcher : C’est une question essentielle au cœur du respect du Traité sur le commerce des armes. La position qu’Oxfam a énoncée est en fait celle inscrite dans le traité. Même si les considérations d’ordre économique concernant les emplois — dans ce cas-ci, au Canada; la majeure partie de mon travail porte sur l’examen des exportations au Royaume-Uni — sont importantes, elles ne peuvent jamais surpasser la nécessité d’effectuer une évaluation des risques appropriée et d’établir si les critères énoncés dans le Traité sur le commerce des armes ont été respectés, plus particulièrement, les articles 6 et 7 du traité, soit que tout transfert proposé respecte pleinement les exigences et les obligations du traité relativement au droit international humanitaire ou au droit international relatif aux droits de la personne. C’est ce que nous entendons lorsque nous disons que ces considérations doivent venir en premier, et les considérations économiques doivent être reléguées au second plan. Les États parties au TCA qui ont des industries de la défense avancées, notamment de nombreux membres de l’Union européenne, réussissent à le faire chaque jour.
La sénatrice Saint-Germain : Ma prochaine question s’adresse à M. Saabas ou à M. Purchase.
Dans son mémoire, Mme Simpson affirme ceci :
À l’avenir, le gouvernement fédéral devrait pouvoir examiner attentivement toutes les exportations d’armes envisagées avant de délivrer des permis pour vérifier que les considérations relatives aux droits de la personne sont sérieusement prises en compte.
D’après votre expérience, croyez-vous qu’une telle proposition pourrait miner la capacité du secteur militaire canadien de négocier et de conclure des contrats d’exportation? À votre avis, quel type de répercussions cette mesure aura-t-elle sur l’industrie de façon pratique?
Kenneth Purchase, directeur, Conformité au commerce international, Pratt & Whitney Canada : Selon notre expérience, même avant le projet de loi, cela a été pris en compte, et nous sommes d’avis que c’est tout à fait approprié. Nous croyons que c’est la responsabilité du gouvernement d’équilibrer ces intérêts concurrentiels et de décider, au final, quelle est la décision et quel est le résultat qui s’aligne le mieux sur les intérêts globaux du Canada. En tant que gens d’affaires réunis ici aujourd’hui, nous ne sommes pas placés pour dire quelle importance devrait être accordée à quelles considérations. C’est le rôle du gouvernement.
Nous croyons fermement, et c’est pourquoi nous appuyons le projet de loi, que le Canada doit prendre en compte tout facteur qu’il juge pertinent pour la détermination du résultat qui est, au final, dans l’intérêt du Canada.
La sénatrice Saint-Germain : Monsieur Saabas, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Saabas : Non, je crois qu’il y a une deuxième partie à cette question, lorsque vous parlez de l’incidence de l’armée canadienne pour ce qui est d’exercer des activités. C’est une entreprise mondiale. Je peux parler du secteur de l’aérospatiale. Il y a une grande collaboration entre les États-Unis et le Canada du point de vue militaire. La frontière ouverte a permis au Canada comme aux États-Unis d’exploiter les meilleures technologies existantes. Pour l’essentiel, le Canada et les États-Unis ont des intérêts harmonisés. À notre avis, le fait de rendre cela plus difficile minerait la capacité de l’armée canadienne de s’exécuter comme elle le souhaiterait.
M. Purchase : Si je peux me permettre, j’ajouterais un autre point, et cela touche non seulement Pratt Canada, mais aussi le volet des fournisseurs. Lorsque nous sommes en compétition par rapport à un programme, nous nous faisons concurrence sur une plateforme entière. Les fabricants d’aéronefs sélectionnent nos moteurs, ou un moteur des États-Unis, de l’Angleterre ou de la France — c’est généralement de ces pays qu’ils proviennent — et, au final, il n’y a pas d’entre-deux. En équilibrant les considérations, on doit tenir compte du fait que nous ne parlons pas de simples augmentations des ventes dans des pays particuliers qui pourraient présenter quelques préoccupations. Il est vraiment question de la capacité de vendre des produits n’importe où dans le monde grâce à cette plateforme. Si nos clients sélectionnent plutôt un moteur anglais, américain ou français, alors, dans la mesure où certaines transactions liant un pays particulièrement problématique pourraient être arrêtées, cela pourrait être une victoire à la Pyrrhus si le Canada perd cette capacité d’influencer, car nous ne sommes pas du tout actifs dans ce secteur de l’industrie.
La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup.
Le sénateur Oh : Merci, mesdames et messieurs, d’être ici. Ma question pour vous est la suivante : qu’est-ce qui justifie la recherche d’une nouvelle entente internationale, plutôt que d’un règlement grâce à l’engagement de ressources, comme notre force de maintien de la paix?
Mme Simpson : Pourriez-vous répéter la question, monsieur?
Le sénateur Oh : Qu’est-ce qui justifie la recherche d’une nouvelle entente internationale plutôt que d’un règlement grâce à l’engagement de ressources, comme notre force de maintien de la paix?
Mme Simpson : Oh, je comprends. Vous dites que plutôt que de rechercher cette entente, nous devrions consacrer plus d’efforts et de ressources au maintien de la paix des Nations Unies, ce que le Canada a fait au Mali, et aussi par l’entremise de l’OTAN, grâce à nos forces sur le terrain en Lettonie.
Nous essayons de travailler à l’échelle internationale conformément à notre réputation pour ce qui est des experts en armement également. Sur tous les plans, le Canada est en bonne position, mais, bien sûr, de légers changements doivent être apportés. Ai-je répondu à votre question?
Le sénateur Oh : Oui.
Mme Simpson : Merci.
M. Saabas : Je dirais, monsieur le sénateur, que nous sommes ici parce qu’un projet de loi a été proposé et que notre intérêt n’est pas de le rendre plus restrictif entre le Canada et les États-Unis. Quant à la décision d’investir de l’argent ailleurs, je pense que Pratt & Whitney Canada n’a pas d’opinion là-dessus aujourd’hui.
Le sénateur Massicotte : Merci à tous les témoins de leurs exposés ce matin.
Je vais poser ma première question à M. Butcher. Vous avez dit que le ministre devrait faire preuve de davantage de transparence en faisant rapport au Parlement, chaque année en quelque sorte, concernant toutes les exportations. Vous avez également parlé d’exportations, ce qui est intéressant, à mon avis, parce qu’il est difficile de légiférer à cet égard. Ce sont des mots durs. Si on agit en toute transparence, on doit rendre des comptes.
Permettez-moi de vous poser une question. Si une entreprise exporte un produit et que les livraisons se font sur plusieurs années, s’agit-il d’un permis ou y a-t-il un permis délivré annuellement pour chaque expédition importante? Quelle est la pratique, quelle est l’application?
M. Butcher : Habituellement, un permis est accordé au début du processus, lequel couvre l’ensemble de la commande. Une commande, disons de moteurs Pratt & Whitney Canada fabriqués cette année, aurait un permis d’exportation pour cette année, et la livraison aurait possiblement lieu sur un certain nombre d’années. Le rapport sur le permis délivré ferait partie du rapport de l’année prochaine, au plus tard le 31 mai, et c’est pourquoi nous disons qu’il serait bien de faire rapport sur les exportations réelles. Supposons qu’un permis a été obtenu pour, disons, l’exportation de 100 moteurs d’aéronef, cela ferait l’objet d’un rapport immédiat, et ensuite, il faudrait faire rapport chaque année du nombre de moteurs réellement exportés dans le cadre de ce permis.
Le sénateur Massicotte : Il s’agit d’un permis d’exportation, n’est-ce pas?
M. Butcher : Oui.
Le sénateur Massicotte : Si vous regardez le libellé du paragraphe selon lequel le gouvernement doit examiner toutes les questions, il est très large. Il confère un grand pouvoir discrétionnaire, comme vous l’avez dit, en quelque sorte, au cours de votre exposé. Tout dépend de l’engagement du pays exportateur à appliquer ces politiques parce que, autrement, il est très facile de dire qu’il n’y a pas de problème. Que se passe-t-il si on obtient un permis qui semble valide, mais qu’on constate deux ans plus tard que le pays ou le client n’est pas... Autrement dit, il va à l’encontre de l’intention du projet de loi proposé. Qui a le pouvoir d’agir? Que se passe-t-il dans ce cas-là?
M. Butcher : Eh bien, au Royaume-Uni, le gouvernement peut suspendre ou révoquer un permis. Si un problème survient et qu’il semble être temporaire, le permis peut être suspendu jusqu’à ce que le problème soit réglé. S’il s’agit d’un problème permanent, il peut carrément être révoqué.
Le sénateur Massicotte : Qu’en est-il du Canada avec le projet de loi proposé?
M. Butcher : Pardon?
Le sénateur Massicotte : Qu’en est-il du Canada avec le projet de loi proposé? Qu’arrive-t-il alors?
M. Butcher : Je crains... Il faudrait que j’examine la question et que je vous revienne plus tard. Je ne suis pas tout à fait certain de connaître la réponse.
Le sénateur Massicotte : Quelqu’un d’autre ici pourrait-il...
Mme Simpson : Je crois que vous voulez parler du cas où, en 2014 au Canada — lorsque nous avons conclu l’entente sur les VBL —, le permis d’exportation n’avait pas encore été délivré. Deux ans plus tard, Stéphane Dion l’a obtenu. Les critiques disent qu’il y avait un problème avec ces permis d’exportation, qu’ils ne faisaient pas partie des négociations de l’APE à l’époque. Si nous ne pouvions pas le faire à ce moment-là, dans le cadre de la plus grande vente d’armes de l’histoire, quelle est la probabilité que nous puissions agir dans les règles de l’art à l’heure actuelle? Je pense que votre question est la suivante : pouvons-nous annuler maintenant l’entente sur les VBL? Nous en avons exporté environ 600, pourrions-nous nous arrêter aujourd’hui? Personne ne semble le savoir. N’est-il pas intéressant que nous ne connaissions pas la réponse à votre question?
Le sénateur Massicotte : Il est très possible que le fournisseur, en vertu de son contrat n’ait pas le pouvoir discrétionnaire d’y mettre fin. Rien n’empêche un pays d’adopter une loi qui lui confère un pouvoir discrétionnaire qu’il peut appliquer automatiquement au contractant parce qu’il ne prendrait pas ce risque, si c’est possible.
J’aimerais savoir autre chose : c’est si des rapports annuels sur les exportations et les importations réelles ne résoudraient-ils pas le problème, du moins en partie? Il y aurait au moins une reddition de comptes et une transparence, et le ministre devrait alors dire : voilà ce que nous avons fait en réalité. Pour ce qui est de certains contrats douteux, le ministre devrait expliquer la raison pour laquelle il continue de les respecter. Ne serait-ce pas quelque chose d’utile? Cela offrirait à tous la souplesse de ne pas intervenir si un problème survient, comme avec les transferts aux États-Unis.
Madame Simpson, qu’en pensez-vous?
Mme Simpson : Je sais que les représentants de Pratt & Whitney Canada s’inquiètent de l’administration. Nous vivons à l’ère informatique. Nous pouvons comprendre les choses plus facilement. Mon principal argument, c’est que la Corporation commerciale canadienne est censée examiner les ententes de plus de 150 000 $. C’est ce qu’elle doit étudier. Elle éprouve clairement des problèmes. Nous avons constaté cela dans le cadre de l’accord avec l’Arabie saoudite. C’était gênant pour nous, et cela a laissé le ministre Dion dans une position précaire. Nous devons être plus stricts et plus transparents.
Je vais m’arrêter ici. Je suis curieuse d’entendre ce que Martin va dire. Je sais qu’il réfléchit à la question.
M. Butcher : Oui, je suis tout à fait d’accord; une bonne reddition de comptes repose sur la transparence, et la transparence repose sur les rapports. Le traité exige des rapports annuels sur les importations et les exportations. Une disposition prévoit qu’il y ait, chaque année en août à la Conférence des parties, un examen des rapports qui ont été présentés. Dans nombre de pays, cela fonctionne très bien, comme je l’ai dit dans mon exposé, et les parlements examinent de près les rapports annuellement par la suite. Tout cela contribue à des contrôles efficaces des transferts d’armes.
Le sénateur Massicotte : Il y a juste un petit problème concernant la pratique de l’industrie. On nous a dit hier que le processus permet aux pays signataires du traité de le modifier comme bon leur semble et que c’est normal. Autrement dit, 99 pays ont signé le traité jusqu’à maintenant, mais il peut y avoir 99 formes différentes d’engagement; il semble que ça ne dérange personne, ce qui est incohérent avec les traités normaux dans le cadre desquels tous doivent signer le même document. Est-ce le cas?
M. Butcher : Presque. Tout le monde signe le même traité. Pour ce qui est du Traité sur le commerce des armes, il prévoit un cadre sur lequel on peut fonder une législation interne. Oui, il existe de nombreuses façons d’établir une législation interne qui est compatible avec le traité. Il y a même une seconde couche dans l’Union européenne pour que la position courante sur les exportations d’armes de l’administration soit compatible avec le Traité sur le commerce des armes. Ensuite, les États membres de l’Union européenne ont adopté des lois de mise en œuvre selon la position courante et le Traité sur le commerce des armes. Ces lois internes diffèrent toutes dans une certaine mesure.
Il existe différentes façons de procéder. Tant qu’on respecte les exigences du traité, ça va.
La présidente : Je vais me permettre de poursuivre dans la même veine pour obtenir davantage de précision.
La plupart des traités internationaux sont signés, et la ratification vient par la suite. Chaque pays a une capacité, conformément à ce que prévoit sa constitution au chapitre de la ratification et de la mise en œuvre; par conséquent, il y a un pouvoir discrétionnaire important. Le traité prévoit un mécanisme de reddition de comptes. La question est la suivante : y a-t-il une stratégie de mise en œuvre internationale qui détermine si la législation de mise en œuvre dans les pays respecte les normes prévues par le Traité commercial sur les armes? Si j’ai bien compris, cela n’existe pas dans le traité. Il est laissé à la bonne volonté des signataires de se conformer entièrement au traité. C’est un sujet qui fait l’objet de débats, particulièrement chez les universitaires : la législation de mise en œuvre respecte-t-elle vraiment toutes les exigences du Traité commercial sur les armes? Je ne vois rien d’unique ou de différent dans ce traité par rapport aux autres. C’est le casse-tête auquel on se heurte : la nécessité d’une surveillance parlementaire.
M. Butcher : Je vous dirais que vous avez partiellement raison. Il y a maintenant, dans le Traité sur le commerce des armes, une disposition qui prévoit la création d’un groupe de travail auquel participent des États parties de la Conférence des États parties. Tout le monde peut y participer. Ce groupe formule chaque année des recommandations à la Conférence des États parties. Les États parties signataires du Traité ont maintenant un processus officiel pour évaluer les mécanismes nationaux de mise en œuvre, faire des recommandations afin de les renforcer et s’assurer qu’il y ait au moins un certain nombre de points communs entre ces mécanismes.
Il y a quatre ans, lorsque le traité est entré en vigueur, aucun mécanisme du genre n’existait. Au cours des deux ou trois dernières années, ce mécanisme a été mis en place.
La présidente : Cependant, il s’agit encore d’un mécanisme de persuasion, n’est-ce pas?
M. Butcher : Oui.
La présidente : À ma connaissance, à l’exception de la CPI, la Cour pénale internationale, très peu de traités internationaux ont pour les États de véritables conséquences qui sont des instruments internationaux. Tout ce que nous avons en ce moment, c’est ce mécanisme de reddition de comptes. Nous espérons pouvoir nous influencer les uns les autres, et c’est la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je pense que j’ai bien compris. Il s’agissait simplement d’un rapport et d’une recommandation, non pas d’une conséquence, seulement une mesure de persuasion, n’est-ce pas?
M. Butcher : Oui, c’est cela.
La présidente : Merci. Je croyais m’être trompée.
La sénatrice Bovey : J’aimerais vous remercier tous de vos exposés.
Madame Simpson, vous avez évidemment passé beaucoup de temps à faire nombre de recherches en la matière. J’ai une question pour vous sur vos recherches. J’aimerais en savoir un peu plus sur ce que vous pensez de la CCC. J’ai lu la lettre qu’a adressée le ministre Carr à la CCC. Il a demandé, et je cite, qu’on réalise un examen exhaustif des pratiques de la Corporation :
[...] concernant l’évaluation du risque et l’exercice de la diligence requise dans les transactions, pour vous assurer que les droits de la personne, la transparence et la conduite responsable des entreprises font partie des principes directeurs de votre organisation.
Le ministre a demandé que cet examen soit réalisé dans le contexte de la signature du TCA. Il a exigé un rapport d’ici la fin novembre. Bien sûr, ce n’est pas encore la fin novembre.
Je me demande si vous avez une idée de ce qu’il en est de cet examen? Savez-vous quelles sont les lignes directrices actuelles relativement au courtage visant la vente d’armes à l’étranger assuré par la CCC au chapitre des droits de la personne? Quelles seront les incidences du projet de loi C-47 sur les opérations de la CCC, s’il y en a?
Mme Simpson : D’accord.
Le rôle important de la Corporation commerciale canadienne reste méconnu et inchangé.
La Corporation commerciale canadienne, ou la CCC, est une société d’État qui joue un rôle central dans l’exportation des marchandises militaires canadiennes, notamment vers les États-Unis. Les conditions de l’Accord sur le partage de la production de défense obligent la CCC à agir à titre de maître d’œuvre pour les contrats du département de la Défense des États-Unis qui dépassent un certain seuil, présentement fixé à 150 000 $US. La CCC s’occupe également de l’exportation des armes vers les gouvernements étrangers, incluant les récents contrats pour la vente record de véhicules blindés ou VBL [...]
Le rôle de la CCC et les changements procéduraux, dont nous parlons, doivent être rendus explicites dans le TCA et aussi dans le projet de loi C-47 afin que l’on puisse s’assurer que les opérations de la CCC respectent les obligations prévues dans le TCA. Comme je l’ai mentionné, il y avait un problème : la CCC n’adhère même pas au règlement d’application de la LLEI concernant les VBL. Le permis n’a pas été délivré avant 2016.
Si vous me le permettez, je terminerais en faisant certains commentaires. Le Canada est membre de plus d’organisations internationales que tout autre pays au monde. Il se conforme aux normes les plus élevées du régime du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Il respecte la Convention sur les armes chimiques. Il adhère à la Convention sur les armes biologiques au plus haut degré. Lorsqu’il envisage de modérer sa participation et de la rendre possiblement moins éthique, quand il dit : « Oh, voyons voir »... Il n’examinera pas ce que le MDN exporte ni ce que lui-même exporte aux États-Unis. Pensons seulement au commerce avec les États-Unis et ainsi de suite. Le reste du monde nous regarde. Les autres pays regardent la question de l’Arabie saoudite et suivent la situation. Ils se tiennent au courant de ce qui se passe et feront ce que nous faisons parce qu’ils nous observent. Nous payons nos cotisations aux Nations Unies à temps, avant le 1er janvier.
Si vous voulez modérer notre participation et vous esquiver, c’est votre responsabilité. On s’en remet à vous pour assurer la surveillance de ces questions importantes, car ce n’est pas notre rôle; vous êtes les sénateurs. Merci.
Le sénateur Housakos : Ma question s’adresse à M. Butcher et à Mme Simpson. Elle porte sur le fait que le Canada essaie toujours de trouver un équilibre entre sa principale politique étrangère en matière de droits de la personne et l’obtention de sa juste part des avantages commerciaux potentiels dans les marchés, possiblement des milliards de dollars d’échanges commerciaux. Bien sûr, lorsqu’il s’agit de commerce dans les secteurs de la sécurité, de l’armement et de technologies du genre, ces produits sont souvent utilisés à des fins de sécurité, non pas forcément dans le cadre de conflits. Lorsqu’on accroît la sécurité, on évite souvent les conflits.
Voici ma question : quel est l’équilibre? Comment pouvons-nous faire ces deux choses diamétralement opposées, ou perçues comme étant diamétralement opposées, sans nuire à notre économie et aux milliers d’emplois qui sont touchés?
M. Butcher : C’est une série de jugements que font régulièrement tous les pays qui font partie du TCA. C’est quelque chose qui s’est avéré possible au cours des dernières années depuis l’entrée en vigueur du traité et qui a été appuyé par l’industrie dans nombre de pays.
Par exemple, ici au Royaume-Uni, une des sociétés chefs de file qui a milité en faveur du traité au cours des 10 dernières années, c’est Rolls-Royce, une concurrente directe de Pratt & Whitney Canada dans le secteur de la fabrication de moteurs. Un de ses représentants faisait partie de la délégation britannique, tant dans le cadre des négociations du traité que de la Conférence des États parties, lesquels ont fermement appuyé le traité; il en va de même pour BAE Systems, un des plus grands fabricants d’armes au monde.
On a pu atteindre un équilibre entre les intérêts commerciaux et ce qui s’avère être au bout du compte les intérêts politiques. Personne ne veut être vu comme un fournisseur d’armes qui servent à torturer ou à massacrer des civils et qui sont utilisées de manière complètement inappropriée. Au final, c’est la raison pour laquelle des pays comme les États-Unis ne sont pas encore devenus des États parties; le Royaume-Uni et la France, qui sont tous deux d’importants exportateurs d’armes, étaient très heureux de participer aux négociations du traité. C’est du moins le cas pour le Royaume-Uni et la France, qui sont devenus des États parties.
Le sénateur Housakos : Madame Simpson, voulez-vous renchérir?
Mme Simpson : Pour ce qui est de l’équilibre, oui, il est très difficile de prendre des décisions. Et, comme pour Andrew Scheer, le chef du Parti conservateur, il a été très difficile pour moi à Londres de parler des violations des droits de la personne de l’Arabie saoudite, sur lesquelles j’ai commencé à écrire vers 2014. J’ai compris que des milliers d’emplois dans le sud-ouest de l’Ontario dépendent des drones, des exportations d’armes et des VBL. Je ne suis pas certaine qu’il s’agisse d’autant d’emplois qu’on le prétend. J’affirme cela parce que des gens m’ont écrit et m’ont dit qu’ils avaient un contrat à court terme avec General Dynamics. Ce n’est pas 3 000 emplois comme on le prétend. Je ne peux pas trouver le vrai nombre. Selon mon patron et rédacteur en chef, il n’y a pas autant d’emplois ou de VBL qu’on le croit. Nous ne le savons pas. Ce n’est pas transparent. Voilà le problème. Nous ne le savons tout simplement pas.
J’ai beaucoup de sympathie pour les travailleurs qui se trouvent dans cette situation. Nous devons respecter les droits de la personne partout dans le monde. Sinon, davantage de personnes se feront tuer, et il y aura plus de situations embarrassantes comme celle de MBS qui , âgé de seulement 33 ans, continue de régner en Arabie saoudite. Nous avons les mains liées jusqu’en 2028, à moins que le premier ministre ne suspende le contrat. C’est toute la question dont parlait le sénateur Massicotte concernant le permis d’exportation. Pouvons-nous le révoquer? De quelle façon? Ce n’est pas clair pour moi. Merci beaucoup.
Le sénateur Housakos : Ma prochaine question porte sur l’aide étrangère. Le Canada, bien sûr, participe à l’aide étrangère fournie à un certain nombre de pays en développement partout dans le monde. Quels sont les mécanismes en place qui permettent de confirmer qu’aucun sou de cette aide n’est utilisé à des fins militaires sous diverses formes dans des zones de guerre? Personne n’a vraiment parlé de cette question... L’aide étrangère peut être utilisée comme une arme. Nous offrons de l’aide étrangère à nombre de pays dans le monde. Avons-nous des mécanismes et des conditions en place qui garantissent que le financement est utilisé de la façon dont il doit l’être?
Mme Simpson : Le principal bénéficiaire de notre aide au développement au cours des dernières années sous le régime Harper, c’était le gouvernement afghan. Nous venons d’apprendre qu’il y a beaucoup de corruption. Les États-Unis et le Canada sont très préoccupés par les degrés de corruption et l’endroit où l’argent est allé. A-t-on bâti des écoles ou des madrasahs? Je crois comprendre que vous êtes inquiets.
Les Nations Unies ont accepté les objectifs de développement durable, qui coûteront des centaines et des centaines de millions de dollars. Nous avons besoin de surveillance. Cela revient à que nous disions initialement. Nous avons besoin d’une réglementation et d’une surveillance strictes pour veiller à ce que vous disiez exactement : les armes ne doivent pas être vendues à des adolescents toxicomanes pour tuer des gens.
C’est notre responsabilité, ou plutôt la vôtre, pour être honnête, monsieur le sénateur. Merci.
Le sénateur Dean : Madame Simpson, vous avez des arguments convaincants en faveur de l’application de permis d’exportation pour les ventes et les transferts aux États-Unis. M. Butcher a dit la même chose. Nous avons entendu des arguments tout aussi convaincants de la part de M. Saabas sur l’accès, la compétitivité et d’autres questions liées à la prolongation de ces permis. À mon avis, il est possible de concilier ces deux positions grâce à la reddition de comptes. Vous en avez parlé, madame Simpson.
Je ne sais pas si un amendement a été présenté à la Chambre des communes, mais les rapports annuels envisagés dans le projet de loi viseraient précisément les secteurs pour lesquels un permis d’exportation a été délivré. J’en déduis que les exigences en matière de rapports ne s’appliqueraient pas aux transferts aux États-Unis. Est-ce que j’ai bien compris?
Mme Simpson : Je crois que vous avez raison, mais je ne suis pas avocate. Lorsque je regarde le projet de loi C-47, il y a la preuve relative à la liste des marchandises de courtage contrôlé et ensuite les factures commerciales et les connaissements qui sont admissibles en preuve dans toute poursuite en vertu de cette loi.
Le sénateur Dean : Je suis seulement à l’article 27.
Mme Simpson : Vous êtes à l’article 27.
Le sénateur Dean : Je ne suis pas avocat. Nous sommes en bonne compagnie. Quoi qu’il en soit, si j’ai raison et si l’exigence générale de rédiger des rapports ne vise pas les transferts aux États-Unis, j’imagine, à tout le moins, que vous voudriez que ce soit le cas.
Mme Simpson : C’est en plein ça.
Le sénateur Dean : Qu’aimeriez-vous que l’on ajoute aux exigences redditionnelles pendant que nous abordons le sujet? Nous pourrions aussi demander s’il existe des préoccupations relatives aux rapports sur le plan commercial.
Mme Simpson : Les préoccupations en matière de rapports concernent les exportations aux États-Unis, en particulier les exportations réalisées par le ministère de la Défense nationale, et la question de savoir si elles ont préséance sur les rapports ou les contournent d’une manière ou d’une autre. Il y a également le rôle de la corporation de la Couronne, la CCC. Ensuite et surtout, il y a le MDN, les exportations aux États-Unis et la surveillance du ministre parce qu’il s’agit d’une autre chose dont les gens parlent. Ils disent qu’ils se fient au jugement des responsables du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement et à celui du ministre.
Martin, comme c’est un peu différent, vous pourriez peut-être aussi parler un peu du fait que nous comptons uniquement sur le jugement des responsables d’un seul ministère. Je ne sais pas si, au Royaume-Uni, vous avez plus de surveillance.
M. Butcher : Oui, au Royaume-Uni, la décision de délivrer un permis d’exportation est prise suivant les conseils d’un certain nombre de ministères. Le Foreign Office, le ministère de la Défense et le ministère offrant des services aux entreprises donneront toujours leur avis. Dans certains cas qui concernent les transferts à des pays moins développés, le ministère du Développement international donnera également son avis. Ils sont regroupés dans une unité où les ministères travaillent ensemble afin de permettre au secrétaire d’État de prendre une décision.
Il s’agit d’une décision pangouvernementale qui tient compte de tous les types d’intérêts.
Pour ce qui est des transferts canadiens aux États-Unis, je ne disais pas que chaque transfert nécessite un permis. En fait, le système de délivrance de permis ouvert que nous avons s’applique à certains transferts aux États-Unis. Le Royaume-Uni exporte des pièces pour l’appareil F-16 américain. Dans ces cas, le Royaume-Uni pourra exporter ces pièces aux États-Unis pour un certain nombre d’années. Ensuite, les rapports sur ces exportations seront réalisés de manière annuelle et rétroactive.
Il s’agit d’un système de délivrance de permis très ouvert. Le fardeau administratif est très léger. Il est conforme au Traité sur le commerce des armes et prévoit la rédaction de rapports sur ce permis.
Le sénateur Dean : Pourriez-vous donner l’occasion à M. Saabas de faire un commentaire?
M. Saabas : Merci, monsieur le sénateur. Il y a également les rapports rédigés par les douanes. Chaque fois que des choses traversent la frontière de part et d’autre, les douanes produisent un document. Il est possible d’obtenir des rapports. Comme l’a dit M. Butcher, certains pays exigent des permis d’exportation pour nos produits. C’est la même chose. Il s’agit d’une décision gouvernementale conjointe entre la Défense, les Affaires étrangères, le pouvoir administratif, l’industrie et toutes les parties concernées. Ce processus est très similaire.
Le Canada et les États-Unis harmonisent leurs processus avec ceux des pays avec lesquels ils veulent faire des affaires. Le volume de pièces qui traversent la frontière représente un fardeau administratif. La rentabilité d’une entreprise canadienne est quelque chose qu’il ne faut pas tenir pour acquis. Beaucoup de gens qui ont géré des entreprises rentables ne sont plus là. Nous travaillons dur pour être rentables et, bien honnêtement, si les États-Unis nous disent que, s’ils ont besoin de permis d’exportation pour nous envoyer... Nous disposons de très peu de recours.
Tous nos produits sont à double usage : certifiés civilement et destinés à des avions également certifiés civilement. Certains de ces produits peuvent finir par être utilisés par l’armée dans un hélicoptère ou autre chose. La majeure partie de nos activités est de nature commerciale. Nous croyons fermement qu’il existe des mécanismes de rapports aux douanes. Il y a suffisamment de contrôle et d’harmonisation entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne nos objectifs finaux. Quant aux pays qui inquiètent le Canada, nous avons un processus de délivrance de permis en matière d’exportation que nous devons suivre, et nous examinons l’utilisation finale.
Pour revenir aux commentaires faits plus tôt, si l’utilisation finale est violée par le client, nous cessons de lui envoyer des produits. Nous arrêtons les expéditions. Il y a un mécanisme de contrôle à cet égard. Comme l’a dit plus tôt M. Purchase, dans ce secteur, si un joueur se comporte mal, on a une emprise sur les pièces et on peut décider si ces avions continueront de voler. Le Canada est un joueur important dans l’industrie aérospatiale, et cela a été bon pour nous. Tous les autres fabricants de moteurs concurrents sont en Angleterre, en France ou aux États-Unis. Ils doivent tous obéir à des règles quelque peu différentes.
La France est plus tournée vers l’avenir lorsqu’il s’agit de soutenir la Russie ou la Chine ou l’un de ces pays, alors que, au Canada, nous avons des mesures de contrôle plus rigoureuses. À notre avis, il y a des mesures de contrôle en place au Canada qui nous évitent d’aller vers les pays avec lesquels nous ne voulons pas collaborer ou sur lesquels nous nous questionnons. Le temps que nous passons aux douanes et à remplir les formalités douanières montre clairement ce qui se passe de part et d’autre de la frontière. C’est en demeurant concurrentiel dans un monde où il est en concurrence sur un marché mondial que le secteur aérospatial canadien demeure fort; 500 millions de dollars sont réinvestis chaque année dans le secteur parce que nous pouvons être rentables et faire notre place sur le marché mondial.
Le sénateur Dean : Très rapidement au sujet de l’article 27, qui exclut maintenant du rapport annuel au Parlement, si j’ai bien compris, les rapports sur les transferts aux États-Unis. Seriez-vous préoccupé par le fait que ces rapports sur les transferts aux États-Unis soient intégrés d’une certaine façon à l’obligation de faire rapport au Parlement?
M. Saabas : Encore une fois, il y a un aller-retour aux douanes. Cette information est accessible.
Le sénateur Dean : Je comprends.
M. Purchase : Je pense que cela dépendrait de la façon dont cette information a été générée. Si elle provient de documents douaniers existants, nous ne voyons aucun problème. La difficulté survient s’il faut présenter une demande de licence, même si cela se limite à une proportion relativement faible des transactions. Pour vous mettre en contexte, nous traitons actuellement — y compris les données et les biens physiques — de 3,5 à 4 millions de transactions d’exportation sujettes à un examen par mois. La simplicité avec laquelle les choses peuvent traverser la frontière américaine nous permet de le faire d’une manière raisonnablement efficace. Je comprends que ce n’est que de l’administration et que les gens se disent parfois que, grâce aux ordinateurs, on peut sûrement automatiser les choses. Ce n’est pas aussi simple que cela.
La logistique, les petits détails sur la façon dont les choses se déplacent d’un endroit à l’autre, c’est ce qui vous tue au bout du compte. Nous vivons à Montréal. Nous avons un hiver précoce cette année. L’une des traditions annuelles à Montréal est que les gens se plaignent du temps qu’il faut pour déneiger les rues. Cela découle en fait d’un manque de compréhension de la logistique derrière une telle chose. Je vis sur le plateau. Il n’y a pas d’entrées de cour. Tout le monde se gare dans la rue. Toutefois, quand on conçoit, met en œuvre, supervise et applique des systèmes, on comprend tout ce qui doit être fait correctement pour obtenir un résultat. Je pense que, parfois, nous sommes tellement habitués à la facilité avec laquelle nous pouvons faire les choses, acheter des produits sur Amazon ou ailleurs que nous présumons que c’est simple à faire, mais ce ne l’est pas.
C’est un miracle qu’on soit capable de déneiger les rues aussi vite. C’est pour nous une énorme tâche de traiter le volume de transactions que nous avons tout en préservant et en respectant toutes nos obligations envers le gouvernement canadien. D’un œil extérieur, personne ne voit l’effort qui y est consacré.
La présidente : À titre d’information pour les sénateurs, et peut-être pour nos témoins, à l’origine, lorsque le projet de loi a été déposé par le gouvernement, en ce qui concerne le rapport au Parlement, il était prévu que, dès que possible après le 31 décembre de chaque année, le ministre prépare et dépose devant le Parlement un rapport sur les opérations prévues par la loi pour cette année-là. Il s’agirait d’opérations qui excluent les États-Unis.
Dans l’autre chambre, il a été modifié comme suit : « Au plus tard le 31 mai de chaque année, le ministre fait déposer devant chaque chambre du Parlement un rapport sur l’application de la présente loi [...] », ce qui est la version originale. À l’époque, on a ajouté ce qui suit : « [...] et un rapport sur les armes, les munitions et le matériel ou les armements de guerre qui ont été exportés au cours de l’année précédente sous l’autorité d’une licence d’exportation délivrée en vertu du paragraphe 7(1). »
Par conséquent, je pense que nous avons besoin que les représentants du gouvernement et le ministre nous expliquent comment ils perçoivent cette modification et dans quelle mesure les rapports seront maintenant modifiés. Il est clair que l’autre n’est que le mécanisme de la loi. On a ajouté ces mots et on les a acceptés. À mon avis, nous avons besoin que les représentants du gouvernement expliquent la mise en œuvre et ce qu’ils pensent que cela signifie quant à nos délibérations.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à chacun d’entre vous d’être ici et de contribuer à notre étude de cet important projet de loi.
Nous avons beaucoup entendu parler de l’équilibre nécessaire. On parle des droits de la personne, des enfants soldats et des pays qui font en fait une évaluation des risques avant de signer un contrat ou de délivrer une licence.
Nous avons également entendu parler des défis que pose la conclusion d’ententes avec les pays du Moyen-Orient. C’est tout un défi. Vous essayez de participer et d’aider certains pays du Moyen-Orient, mais... Je ne veux critiquer aucun pays ici. J’essaie de trouver les mots avec soin. Cependant, vous essayez de trouver un pays avec lequel traiter, et ce pays n’est pas blanc comme neige. Vous choisissez le meilleur pays pour vous rendre dans la région afin d’améliorer les choses.
Nous avons également entendu hier que la sécurité est imprévisible. Les choses peuvent changer d’un jour à l’autre. Pour cette raison, le projet de loi accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire.
Pour revenir à ce que le sénateur Massicotte a dit tout à l’heure, il arrive que les contrats soient signés et que tout se passe relativement bien. Six mois ou un an et demi après l’entrée en vigueur du contrat, les choses commencent à changer. Le problème, c’est que ce serait difficile pour les entreprises si la loi prévoyait que ces contrats peuvent être révoqués assez facilement, à moins d’une situation exceptionnelle.
Je pense que cela aurait une incidence sur l’ensemble du processus d’appel d’offres. Si le contrat est précaire et qu’il peut être modifié, je pense que les entreprises devraient, au départ, en augmenter le coût au cas où les choses ne se passeraient pas comme prévu.
Comment gérez-vous le caractère imprévisible de la sécurité, comment obtenez-vous vos contrats et vos licences et comment assurez-vous un environnement assez stable pour exécuter ces contrats?
Par ailleurs, en ce qui concerne le Moyen-Orient, comment réagissez-vous lorsque vous obtenez un contrat et une licence pour cette région? Si la sécurité dans son ensemble est imprévisible, le Moyen-Orient serait absolument imprévisible.
M. Saabas : Je vous remercie, madame la sénatrice. Lorsqu’il s’agit de conclure des contrats pour nos moteurs, on intègre des clauses très strictes sur les contrôles à l’exportation et la conformité au commerce international. Si les règles changent, nos contrats nous donnent la possibilité, dans ces circonstances, de cesser d’expédier ou de fournir des pièces.
Si les clients violent les déclarations d’utilisation finale qu’ils nous ont fournies dans le cadre de la demande de licence, nous avons la possibilité, en vertu de nos contrats, de cesser de leur expédier la marchandise ou de ne pas leur expédier. Nous sommes très clairs là-dessus. Au cours des huit ou neuf dernières années, c’est devenu prédominant dans nos contrats. Je pense que c’est une clause qui touche tous les acteurs de l’aérospatiale, très honnêtement, comme Rolls-Royce et Safran, Williams, GE et Honeywell.
Nous avons abordé cette partie en disant que nous serons toujours en conformité avec les règles du commerce international pour le Canada et les États-Unis, dans notre cas.
En ce qui concerne le Moyen-Orient, nous agissons toujours dans le cadre de ce que la loi nous permet de faire. S’il n’y a pas de restriction, nous irons de l’avant et présenterons une demande de licence, nous travaillerons là-bas. Si les règles changent ou si le gouvernement canadien décide qu’il veut avoir des règles différentes pour un pays du Moyen-Orient, notre rôle est de les respecter. Nous ne faisons pas de politique étrangère. Nous essayons de vivre avec ce que la loi nous permet de faire et de nous vendre dans le monde entier.
La sénatrice Cordy : Monsieur Butcher, vous avez parlé des critères de l’Union européenne établis en 2008 et des positions communes. Vous avez dit qu’il s’agissait simplement d’un cadre et que cela avait été adapté par chacun des pays membres. Existe-t-il une liste des pays bannis sur le plan commercial qui s’appliquerait à tous les pays de l’Union européenne, ou est-ce que chacun de ces pays établit sa propre liste des pays avec lesquels l’industrie aérospatiale peut ou ne peut pas traiter?
M. Butcher : Il y en a une, en effet. On appelle cela un système de notification de refus. Si un pays d’adresse à un État membre de l’Union européenne et demande un transfert d’armes ou de matériel qui lui est refusé, l’État membre est alors obligé d’expliquer aux autres États membres ce qu’il a fait et pourquoi le transfert a été refusé. Alors les autres États membres ne compromettent pas ce refus en transférant l’équipement.
Pour répondre à votre première question, les changements du genre de ceux que vous décrivez et dont j’ai parlé ne sont pas apportés à la légère par les gouvernements ou selon leurs caprices. Ils ne veulent pas miner leur propre industrie. Parfois, les circonstances obligent un changement. Lorsque, en 2011, le printemps arabe a eu lieu, le Royaume-Uni a examiné toutes les licences d’exportation qui avaient été délivrées à une destination au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et a fini par révoquer 150 d’entre elles.
Peu de temps après, lorsque le gouvernement Morsi en Égypte a été renversé par le général Sisi, les États membres de l’Union européenne se sont réunis et ont décidé que, en raison des problèmes de sécurité, ils aillaient imposer un embargo aux forces de sécurité égyptiennes pour le matériel pouvant servir à la répression interne. Plusieurs entreprises, notamment en République tchèque, ont d’importants contrats pour fournir des armes légères aux forces de sécurité intérieure égyptiennes.
Il arrive que des changements se produisent. Comme l’a dit M. Saabas, les entreprises doivent s’adapter aux changements. Ceux-ci ne sont pas apportés à la légère par les gouvernements.
Mme Simpson : En ce qui concerne nos ventes d’armes au Moyen-Orient, je pense que le monde entier observe sur la scène internationale quel serait un contre-argument efficace, à savoir ce que dit le président Trump, quoi qu’il arrive. Dans des cas comme celui de Khashoggi, le journaliste, peu importe ce qui se passe, la vente se poursuivra. Il dit que tout ce qui se passera, c’est que l’argent sera donné à d’autres pays.
Comme des générations de trafiquants d’armes avant lui, il nous dit exactement comment penser et nous dit d’oublier, peu importe ce qui se passe. Il dit que nous ne cesserons de commercer et que nous nous punirions si nous le faisions. Regardez comment le monde voit les choses, parce que, croyez-moi, je ne pense pas qu’il obtienne des approbations sur cette question. Il en va de même pour le Canada. Martin Butcher a raison, ce ne serait pas une décision prise à la légère. Ce serait une décision sérieuse.
La sénatrice Cordy : Je suis d’accord.
La présidente : Nous avons dépassé le temps alloué. Le sénateur Massicotte dit qu’il a une question de 30 secondes.
Le sénateur Massicotte : Je tiens simplement à vous rappeler, monsieur Butcher, que je pense que vous nous enverrez par écrit, si vous le souhaitez, la liste des pays qui autorisent un contrat nominal dans le cadre duquel l’utilisateur final enfreint l’intention initiale. Vous allez nous l’envoyer. Vous nommerez les pays du G20 qui autorisent les éléments étrangers, peu importe quels sont les mots exacts. Pouvez-vous nous envoyer cela?
M. Butcher : Absolument. Je peux le faire bientôt.
Le sénateur Massicotte : L’autre commentaire, madame Simpson, c’est que nous avons parlé du rapport annuel au Parlement. Comme vous le savez, les gens disent que les renseignements actuellement disponibles sont encore insuffisants, ce qui signifie que le rapport au Parlement semble inadéquat. Pourriez-vous nous dire pourquoi il est inadéquat, et dans quelle mesure, compte tenu des renseignements que les gens recherchent?
Mme Simpson : Comme l’a dit Mme la présidente, ainsi que le sénateur Dean, il s’agit du libellé que vous venez de lire, pour le compte rendu, de l’article 27 sur les rapports annuels. Nous savons maintenant que la date sera le 31 mai, mais il y a de la confusion quant à savoir ce qui fera l’objet d’un rapport. Est-ce que ce sera pour des montants dépassant 150 000 $? Ou des montants visés par le DPSA? Ou encore des montants relevant du MDN? La confusion règne, évidemment.
Le sénateur Massicotte : Pouvez-vous nous envoyer vos recommandations?
Mme Simpson : Je ne sais pas, parce que je ne sais pas sur quoi porteraient les rapports. Ce serait le ministère des Affaires étrangères qui devrait faire rapport.
Le sénateur Massicotte : Pourrions-nous obtenir une copie du dernier rapport présenté au Parlement?
La présidente : Nous verrons. Je vous remercie.
Au nom des sénateurs, j’aimerais remercier tous nos témoins. Cela nous a aidés à nous concentrer sur les questions que nous devons aborder dans l’examen du projet de loi C-47. Cela a été utile à tous les égards. Au nom des sénateurs, je vous remercie d’avoir pris le temps de venir.
Monsieur Butcher, la caméra a fonctionné du début à la fin. C’est un compliment pour votre technologie, ainsi que pour la nôtre.
Je remercie les témoins.
(La séance se poursuit à huis clos.)