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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 55 - Témoignages du 27 novembre 2018


OTTAWA, le mardi 27 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications), se réunit aujourd’hui, à 16 h 1, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, avant de vous parler de l’étude du projet de loi C-47, j’ai une précision à apporter concernant ce qui a été dit lors de la dernière séance du comité, soit celle du jeudi 22 novembre dernier. On nous a alors laissé entendre que l’article du projet de loi C-47 modifiant les exigences en matière de présentation de rapports en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation avait été amendé à la Chambre des communes. Après vérification, il a été établi que l’article 21 du projet de loi C-47 n’a pas été amendé à la Chambre des communes.

Le premier article lu lors de cette séance du comité correspondait en fait au libellé des exigences actuellement prévues à l’article 27 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. Le second texte lu était celui de l’amendement proposé via l’article 21 du projet de loi C-47 suivant le libellé déjà utilisé au moment de sa présentation à la Chambre des communes.

J’espère que vous m’avez bien suivie. Si nous avons besoin de plus de précisions, nous pourrons en obtenir. Quoi qu’il en soit, nous savons maintenant mieux à quoi nous en tenir au sujet de cet article qui traite des exigences quant aux rapports à produire. La disposition incluse dans ce projet de loi est conforme à ce que le gouvernement a proposé au départ. Il s’agit essentiellement que chacun sache bien que cet article n’a pas été modifié par la Chambre.

Je suis très heureuse que nous fassions salle comble aujourd’hui. D’abord et avant tout, on m’a confirmé que je pouvais maintenant accueillir le sénateur Boehm à titre de membre régulier du comité permanent. Bienvenue au sein de notre comité. Je crois que tous les autres membres du comité ont déjà été accueillis officiellement de cette manière, y compris le sénateur Dean lors d’une réunion récente. Nous avons maintenant un effectif complet.

Nous poursuivons donc aujourd’hui notre étude du projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications).

Avant de souhaiter la bienvenue à la ministre et aux autres représentants d’Affaires mondiales Canada, je vais demander aux sénateurs de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de Toronto, Ontario.

Le sénateur Boehm : Peter Boehm de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

La présidente : Je suis Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

Je veux souhaiter la bienvenue à l’honorable Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères. Madame Freeland, voulez-vous présenter ceux qui vous accompagnent ou souhaitez-vous que je le fasse pour vous?

L'honorable Chrystia Freeland, C.P., députée, ministre des Affaires étrangères : Je me ferai un plaisir de le faire.

La présidente : Merci à tous d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant le comité. Il est important, madame la ministre, que nous vous entendions expliquer les raisons pour lesquelles nous devrions selon vous approuver le projet de loi dans sa forme actuelle, et je suis persuadée que les sénateurs auront des questions à vous poser.

Je ne sais pas si nous aurons suffisamment de temps à notre disposition, mais nous ferons de notre mieux pour permettre un maximum de questions après votre exposé. Bienvenue au comité.

Mme Freeland : Je suis ravie d’être de retour devant votre comité. Je suis vraiment heureuse du travail que nous avons pu accomplir ensemble par le passé, notamment pour la Loi Magnitski.

Je veux souhaiter la bienvenue à notre nouveau sénateur, le sénateur Boehm. J’ai l’impression qu’il devrait être assis à mes côtés, plutôt qu’au milieu de vous. S’il y a des questions vraiment difficiles, il faudra les poser à Peter, car il est un diplomate de carrière, comme vous le savez tous. Il est maintenant passé à l’échelon supérieur. À cause de lui, Ian se sent un peu mal à l’aise.

Je parle, bien sûr, de mon excellent sous-ministre, Ian Shugart, qui est à mes côtés. Je suis aussi accompagnée de Rouben Khatchadourian, directeur général, Réglementation commerciale et contrôles à l’exportation. À ses côtés, nous avons Cindy Termorshuizen, qui travaillait jusqu’à tout récemment à notre ambassade à Pékin. Je peux personnellement témoigner de son excellente maîtrise du mandarin. Elle est maintenant directrice générale responsable de la politique de sécurité nationale. Je vous présente également Kevin Thompson, directeur général, Loi sur l’accès aux marchés et les recours commerciaux.

[Français]

J’aimerais particulièrement remercier la sénatrice Saint-Germain de son travail acharné dans le cadre de cette législation. Merci beaucoup.

[Traduction]

Si le comité me le permet, j’aimerais d’abord vous présenter quelques observations, après quoi j’essaierai de répondre à vos questions.

[Français]

Madame la présidente et honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international afin de parler du projet de loi C-47.

Comme vous le savez tous, notre gouvernement s’est engagé à prendre une position plus forte et robuste envers les exportations d’armes. C’est pourquoi je suis fière du projet de loi C-47, qui vise à modifier la Loi sur les licences d’exportation et d’importation de manière à permettre au Canada d’adhérer au Traité de l’ONU sur le commerce des armes. Il s’agit du premier traité qui traite directement du commerce illégal des armes conventionnelles et qui établit des normes pour la communauté internationale. Il s’agit d’un traité historique. Nous faisons du travail très important pour le Canada.

[Traduction]

Le commerce illicite d’armes légères et de petit calibre et de munitions est l’une des plus sérieuses menaces qui pèsent actuellement sur la paix et la sécurité à l’échelle mondiale. L’accès facile à ces armes alimente la violence, mine les efforts pour la stabilité et le développement, et sert les fins du terrorisme et du crime organisé.

Le Traité sur le commerce des armes (TCA) est un outil dont nous ne saurions nous passer dans nos efforts pour rendre notre monde plus pacifique. Il permet d’établir une norme mondiale que les différents pays doivent respecter lorsqu’ils réglementent le commerce des armes. Il engage les signataires à s’assurer que les armes vendues ne se retrouvent pas aux mains des pays et des groupes ou au cœur des conflits posant les menaces les plus sérieuses.

Madame la présidente et honorables sénateurs, je suis profondément convaincue que le Canada aurait dû adhérer il y a très longtemps déjà au Traité sur le commerce des armes. Nous sommes le seul pays de l’OTAN et du G7 à ne pas avoir encore signé ou ratifié le traité. Nous sommes, en outre, parmi les derniers pays de l’OCDE à ne pas l’avoir signé.

[Français]

L’importance de définir des normes internationales élevées pour le commerce des armes ne doit pas être sous-estimée. Le Liban, par exemple, illustre l’importance de ce traité. Lorsque le Parlement libanais a ratifié le Traité sur le commerce des armes, récemment, les législateurs du Hezbollah ont quitté le Parlement en signe de protestation. Ils clament, entre autres, que cela empiétait sur l’accès de leur organisation aux armes. Nous savons que les groupes armés illégaux voient dans le TCA une menace. C’est précisément pour cette raison que nous croyons au potentiel de ce traité pour apporter une plus grande stabilité aux pays émergents en proie à la violence. Nous croyons fermement que le Canada devrait faire partie de cet effort mondial visant à réduire la violence, à prévenir les violations des droits de la personne et à protéger des vies.

Ce traité a des objectifs importants et concrets. Il vise à garantir que les pays réglementent efficacement le commerce international des armes afin que ce commerce ne soit pas utilisé pour soutenir le terrorisme, le crime organisé à l’échelon international, la violence fondée sur le sexe, les violations des droits de la personne ou les violations du droit international humanitaire. Ce traité peut établir une véritable norme mondiale et contribuer ainsi à prévenir les violations des droits de la personne et à protéger des vies.

[Traduction]

À ce propos, je voudrais remercier tout spécialement le Comité sénatorial permanent des droits de la personne pour son excellent travail et son rapport intitulé La promotion des droits de la personne — L’approche du Canada à l’égard du secteur des exportations. Je sais que certains sénateurs ici présents sont également membres de ce comité-là, et j’apprécie grandement les efforts que vous déployez pour faire comprendre à tous l’importance cruciale que revêtent les droits de la personne dans le contexte de nos activités d’exportation. Nous vous remercions de votre analyse et de vos recommandations, et je suis heureuse de pouvoir vous dire que nous avons déjà donné suite à bon nombre d’entre elles.

C’est dans le même contexte que nous avons entendu le soutien exprimé à l’endroit du Traité sur le commerce des armes aussi bien par des représentants de la société civile que par des ONG et les Canadiens eux-mêmes. Je veux d’ailleurs profiter de l’occasion pour remercier les nombreux chefs de file de la société civile qui nous ont incité à fixer des objectifs encore plus élevés pour notre pays; ils ont joué un rôle essentiel dans ce processus.

Notre gouvernement a aussi entendu la volonté clairement exprimée de nous voir fixer des critères plus rigoureux pour les exportations d’armes canadiennes, de telle sorte que nous puissions respecter pleinement nos engagements planétaires en matière de protection des droits de la personne. Notre gouvernement abonde tout à fait dans le même sens.

C’est la raison pour laquelle nous avons accepté à la Chambre des communes d’importants amendements qui améliorent considérablement le projet de loi C-47. Nous pensions au départ inclure les critères d’évaluation des exportations, y compris ceux touchant les droits de la personne, dans le règlement. Des parlementaires et des représentants de la société civile nous ont toutefois indiqué qu’ils souhaitaient voir ces critères se retrouver dans la loi elle-même. Nous avons entendu ces demandes et nous y avons donné suite. C’est ainsi que le projet de loi dont votre comité est saisi précise les critères en question, y compris l’obligation pour le gouvernement de prendre en considération les risques importants relatifs au respect des droits de la personne, à la paix, à la sécurité ainsi qu’à la violence fondée sur le sexe avant d’octroyer des licences d’exportation.

Mes collaborateurs ont reçu des directives très claires à ce sujet. Ils doivent commencer dès maintenant à adapter leurs politiques et leurs processus pour s’assurer que ces critères sont bel et bien mis en application. Je tiens d’ailleurs à les remercier, en commençant par Ian, pour les efforts importants qu’ils ont déjà déployés en ce sens.

Madame la présidente, nous avons également appuyé l’inclusion dans le projet de loi d’une disposition concernant l’existence d’un risque sérieux. Ce nouvel article 7.4 fait en sorte que notre gouvernement et ceux qui lui succéderont ne pourront pas délivrer une licence d’exportation d’armes s’il existe un risque sérieux que celles-ci soient utilisées pour porter atteinte aux droits de la personne.

En vertu de cette disposition sur l’existence d’un risque sérieux, mon ministère devra s’assurer, avant toute exportation de marchandises contrôlées, que l’on a toutes les raisons de croire que ces marchandises exportées ne seront pas utilisées pour perpétrer des violations des droits de la personne. C’est un changement important. Nous devons modifier la façon dont le Canada réglemente la vente d’armes. C’est la bonne chose à faire. Le respect des droits de la personne est une valeur fondamentale aux yeux des Canadiens; ils devraient pouvoir compter sur le fait que nos exportations ne serviront pas à porter atteinte à ces droits.

Le projet de loi C-47 nous permet donc de nous imposer des normes plus élevées relativement à l’exportation de marchandises contrôlées et d’adhérer enfin au Traité sur le commerce des armes.

Je veux remercier le comité de son étude du projet de loi C-47 qui nous permet de faire un pas de plus vers l’adhésion à ce traité, une étape historique que nous aurions dû franchir depuis longtemps, comme je l’indiquais précédemment. Le Canada devrait être signataire du Traité sur le commerce des armes.

Je remercie le comité de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui, et je serai ravie de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Merci, madame la ministre. Il y a de nombreux sénateurs qui ont des questions à vous poser. Je tiens à le préciser, car il est possible que je doive en interrompre certains. Je veux vous permettre de poser un maximum de questions, mais je tiens également à m’assurer que tous les sénateurs ont la chance d’intervenir.

La sénatrice Saint-Germain : Je vais poser une très brève question, car je ne voudrais surtout pas être interrompue.

[Français]

Madame la ministre, je profite de l’occasion pour saluer les hauts fonctionnaires qui vous accompagnent et qui ont été très professionnels dans la réponse aux nombreuses questions que mes collaborateurs et moi leur avons posées. Un des éléments essentiels de ce projet de loi est celui du contrôle du courtage. Dans les réunions précédentes, on a posé plusieurs questions sur la définition du courtage, mais j’estime que demeurent certaines incompréhensions quant à la nécessité et à l’importance du contrôle du courtage.

Pouvez-vous nous expliquer l’importance de ce cadre de contrôle pour le Canada et quelles sont présentement les conséquences de ne pas contrôler le courtage pour le Canada?

Mme Freeland : Merci de cette question. Je sais que c’est une question importante, car c’est un élément de loi important. Pour faire la liste de courtage, le gouvernement dressera une liste de biens et de technologies pour lesquels les entreprises devront obtenir un permis si elles souhaitent négocier ces biens. Cette liste sera basée sur des éléments figurant déjà sur la liste de contrôle des exportations. Elle sera développée sur la base de consultations avec l’industrie. Nous lançons des consultations publiques sur les contrôles d’exportation d’armes du Canada qui guideront la mise en place du projet de loi C-47, et c’est important, car cela inclut les contrôles du courtage. Je veux souligner aussi que le fait de prévoir ce contrôle formel du courtage est un élément essentiel à la signature du traité.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Merci, madame la ministre. Le Comité des droits de la personne a étudié la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et formulé plusieurs recommandations en faveur d’une meilleure prise en compte des considérations liées aux droits de la personne dans le contexte de notre régime d’exportation. Vous avez indiqué ne pas être d’accord avec l’une de ces recommandations qui vous ont été adressées en juin 2018. Suivant cette recommandation, nous devrions instaurer des mesures de contrôle additionnelles quant à l’utilisation finale de marchandises canadiennes par des clients étrangers afin de s’assurer qu’elles ne contribuent pas à des violations graves du droit international humanitaire. Vous avez indiqué dans votre réponse que la prise de mesures unilatérales qui ne concordent pas avec les contrôles à l’exportation de nos alliés et de nos partenaires pourrait amenuiser grandement l’influence que nous pouvons avoir dans le domaine de la protection des droits de la personne et du droit international humanitaire en plus de créer un important désavantage sur le marché pour les exportateurs canadiens légitimes.

Vous savez que la Chine, la Russie et l’Inde ne sont pas signataires du Traité sur le commerce des armes. Ces États vont plutôt déterminer eux-mêmes s’ils se conforment aux exigences du traité.

J’ai deux questions pour vous, madame la ministre. Comment le Canada prévoit-il collaborer avec ses alliés qui autoréglementent ainsi leurs exportations d’armes? Deuxièmement, compte tenu des lacunes importantes de ce traité, comment pouvez-vous estimer qu’il va nous permettre d’assurer le respect du droit international humanitaire?

Mme Freeland : Merci pour ces questions. Comme je l’indiquais au départ, ce projet de loi revêt une importance capitale à mes yeux notamment du fait qu’il va permettre une plus grande prise en considération des répercussions des exportations d’armes canadiennes en matière de respect des droits de la personne. Je pense que tout le monde au pays s’entend sur la nécessité d’en faire davantage à ce niveau.

J’ai indiqué également dans mes observations préliminaires que nous avons inclus dans la loi elle-même de nouveaux critères plus rigoureux pour la prise en compte des considérations relatives aux droits de la personne.

Pour répondre à votre question concernant la collaboration avec nos alliés, je pense que c’est primordial, et c’est en fait la principale raison pour laquelle j’estime essentiel que nous adhérions finalement à ce traité international, la pièce maîtresse des efforts déployés à l’échelle planétaire pour réglementer les exportations d’armes.

Quant à savoir comment nous pouvons garantir que les droits de la personne sont bel et bien respectés, j’ai fourni un élément de réponse dans ma déclaration préliminaire. En incluant une disposition sur l’existence d’un risque sérieux, nous haussons considérablement les exigences quant aux facteurs que les instances gouvernementales doivent prendre en compte avant d’octroyer une licence exportation.

Je n’ai aucune hésitation à affirmer que si ce projet de loi est adopté, le Canada pourra compter sur l’un des régimes de contrôle des exportations les plus rigoureux au monde. Je vois que mes collaborateurs sont du même avis. C’est irréfutable, surtout pour ce qui est de la prise en considération des droits de la personne dans le contexte de l’exportation d’armes.

Pour revenir à votre question, sénateur, l’adoption d’une loi comme celle-ci qui établit des normes à respecter aura des répercussions sur le comportement des autres pays du monde qui partagent notre philosophie. J’ai la ferme conviction que nous établirons un nouveau modèle d’excellence grâce à ce projet de loi.

Rouben Khatchadourian, directeur général, Direction générale de la réglementation commerciale et des contrôles à l’exportation, Affaires mondiales Canada : Pour compléter ce que vous disait la ministre quand à la rigueur de ce qui est proposé, on pourrait dire que c’est presque l’équivalent d’un régime à deux paliers. Il y a d’abord l’évaluation à proprement parler qui permettra de déterminer s’il y a des préoccupations relatives aux droits de la personne. Si nous ne pouvons pas atténuer ces préoccupations et qu’il persiste un risque sérieux, il y a en quelque sorte un second niveau d’intervention qui nous permettra de refuser l’octroi d’une licence. Il n’existe pas à l’échelle planétaire de régime aussi rigoureux que celui qui est proposé dans ce projet de loi.

Mme Freeland : Si je puis me permettre d’ajouter quelque chose à ce que Rouben vient d’ajouter, j’ai indiqué clairement dans mes remarques préliminaires que mes collaborateurs sont déjà à pied d’œuvre pour resserrer les critères de telle sorte que nous soyons prêts à appliquer les nouvelles normes si ce projet de loi est adopté. Celui-ci nous obligera en effet à modifier considérablement nos façons de faire. Nous nous préparons déjà à apporter les changements nécessaires. Je tenais à le préciser en répondant à votre question, sénateur, car cela montre que nous allons faire les choses différemment en établissant des exigences plus rigoureuses.

[Français]

Le sénateur Dawson : En premier lieu, madame la ministre, laissez-moi vous féliciter pour avoir été désignée par vos pairs comme étant la députée sur la Colline qui travaille le plus fort. Nous savons que tout le monde travaille fort, mais quand nos pairs disent que nous sommes plus zélés qu’eux, ça en dit beaucoup. Je crois que vos fonctionnaires le reconnaissent également, parce que cela leur impose un fardeau à eux aussi.

[Traduction]

Le projet de loi C-47 facilite l’ajout de pays à la Liste des pays désignés (armes automatiques). Pouvez-vous nous expliquer pour quelles raisons vous avez jugé cela nécessaire? Faut-il en conclure que le Canada va désormais exporter des armes automatiques dans beaucoup plus de pays du monde?

Mme Freeland : C’est une très bonne question, et la réponse est non.

Une inscription à la Liste des pays désignés — et c’est vrai non seulement pour les armes automatiques, mais pour toutes les armes — ne signifie pas qu’un pays va soudain pouvoir acheter n’importe quoi en provenance du Canada. Il faut encore que des licences d’exportation soient accordées.

Cela signifie simplement que le pays en question fait partie de ceux auxquels nous sommes prêts à vendre des armes. À titre d’exemple, et je suis persuadée que la sénatrice Andreychuk est au courant, l’Ukraine vient d’être ajoutée à cette liste.

Je vais vous parler des changements que nous apportons. À l’heure actuelle, on peut ajouter à cette liste uniquement les pays avec lesquels nous avons conclu un accord de coopération en matière de défense. Une réflexion approfondie nous a permis en quelque sorte de faire le ménage dans les dispositions en vigueur en fonction de ce qui était logigue et de ce qui ne l’était pas. Nous nous sommes ainsi rendu compte qu’il y avait peut-être d’autres pays dans le monde auxquels nous étions disposés à vendre des armes, pour autant que les autres exigences nécessaires à l’octroi d’une licence d’exportation soient satisfaites.

La Suisse est un bon exemple. Comme la Suisse est un pays neutre, elle ne peut pas conclure d’accord de coopération en matière de défense. Je crois cependant que nous conviendrons tous, a priori, que rien ne devrait nous empêcher de vendre des armes à la Suisse, pour autant que les autres critères soient remplis.

C’est la raison pour laquelle nous avons apporté ce changement. Tout bien considéré, nous avons déterminé qu’une entente de coopération en matière de défense ne devait pas être une condition obligatoire pour que l’on puisse envisager l’exportation d’armes vers un pays.

Le sénateur Greene : Bienvenue à notre comité. Je crois vous l’avoir déjà mentionné, mais vous êtes ma ministre préférée.

Mme Freeland : Vous dites ça à tous les ministres.

Le sénateur Greene : J’aimerais bien, mais je ne peux malheureusement pas.

Votre commentaire au sujet de l’Ukraine a retenu mon attention. Êtes-vous en train de nous dire qu’aucune disposition de ce projet de loi ne compromettra notre capacité de vendre des armes à l’Ukraine?

Mme Freeland : Le projet de loi C-47 n’a pas d’incidence particulière pour l’Ukraine, mais ce pays a été ajouté à la Liste des pays désignés (armes automatiques) dont le sénateur Dawson a parlé.

Je veux m’assurer que les choses sont bien claires. Un pays doit être inscrit sur cette liste pour que nous puissions effectuer certaines transactions avec lui. Cependant, le fait qu’un pays figure sur cette liste ne nous impose aucune exigence et ne suffit pas à lui seul. C’est une condition obligatoire à remplir, mais cela n’est pas suffisant. Il faut que d’autres critères soient respectés pour que l’on puisse décider par exemple d’octroyer une licence d’exportation.

Le sénateur Greene : Est-ce que l’Arabie saoudite est inscrite sur cette liste, ou pourrait-elle y figurer?

Mme Freeland : Comme les Canadiens le savent très bien, nous vendons des armes à l’Arabie saoudite. Je dois vous dire que notre gouvernement réévalue actuellement ses positions quant à l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite. Cela n’a rien à voir avec le projet de loi dont vous êtes saisi, mais c’est plutôt en lien avec le meurtre absolument horrible de Jamal Khashoggi et les préoccupations de longue date quant à la crise humanitaire qui perdure au Yémen et aux atrocités qui ont cours dans ce pays. Nous avons jugé préférable de ne pas émettre de nouvelles licences d’exportation pendant cette période de réévaluation. En théorie, il n’existe toutefois actuellement aucun obstacle juridique à la délivrance de licences d’exportation.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup.

Mme Freeland : Nous avons discuté des changements apportés par l’intermédiaire de ce projet de loi pour faire en sorte que nous soyons tous, fonctionnaires comme politiciens, davantage tenus de prendre en compte les considérations relatives aux droits de la personne lorsque vient le temps de délivrer une licence d’exportation. Je pense que c’est exactement ce qu’il convient de faire.

Il faut que nous comprenions tous que ce projet de loi aura un impact considérable sur les exportations d’armes par le Canada.

La sénatrice Ataullahjan : Merci, madame la ministre, d’avoir bien voulu comparaître devant nous.

Je veux parler des préoccupations soulevées par Amnistie internationale. L’organisme s’inquiète notamment du fait que les ventes d’armes canadiennes aux États-Unis continueront d’échapper au régime canadien de contrôle, une inquiétude liée au fait que rien dans le projet de loi n’empêche les armes vendues à un pays d’être détournées illégalement vers un pays tiers.

Mme Simpson a, pour sa part, indiqué — et je suis ravie que vous ayez abordé la question — que, si nous continuons à vendre des armes en échange d’argent comptant, nous allons soutenir le régime jusqu’en 2028. Vous dites que vous n’allez pas...

Mme Freeland : De quel régime parlez-vous?

La sénatrice Ataullahjan : Le régime saoudien.

Vous n’allez pas octroyer de nouvelles licences d’exportation, mais allons-nous continuer de respecter celles qui ont déjà été accordées?

Selon les critiques, l’exclusion des ventes d’armes à l’Arabie saoudite et des exportations d’armes vers les États-Unis va nuire grandement à la mise en œuvre efficace de ce traité. Qu’avez-vous à leur répondre?

Mme Freeland : Je vais d’abord vous parler de l’Arabie saoudite, car nous avions déjà abordé la question.

Vous avez raison de dire qu’il y a une distinction à faire entre la décision d’octroyer de nouvelles licences d’exportation et les exportations qui ont cours en vertu des licences déjà accordées. Il est arrivé par le passé que notre gouvernement et moi personnellement décidions de suspendre une licence d’exportation déjà en vigueur. Nous l’avons déjà fait et nous sommes prêts à le refaire si les circonstances le justifient. Le premier ministre a d’ailleurs indiqué la même chose.

Pour ce qui est de la situation avec les États-Unis, je suis très au fait des préoccupations que vous exprimez, et j’ai également parlé avec des représentants de la société civile au Canada qui m’ont fait part de leurs inquiétudes à ce sujet, en même temps qu’à d’autres législateurs. Je pense que cela fait partie des questions qui interpellent les Canadiens, bien que sans doute moins que l’ALENA. Les gens me parlent du libre-échange, mais jamais du Traité sur le commerce des armes. Cependant, il s’agit certes d’un aspect de la problématique qui intéressera les Canadiens déjà au fait de ces enjeux.

Les raisons pour lesquelles je crois que nous gérons la relation avec les États-Unis de manière appropriée sont les suivantes: premièrement — et je crois que c’est très important —, nous croyons fermement que notre relation avec les États-Unis ne contrevient pas au Traité sur le commerce des armes. Le Traité tient compte des diverses ententes entre les pays et nous sommes certains que cet accord historique de longue date entre le Canada et les États-Unis ne contrevient nullement au Traité sur le commerce des armes. C’est un élément important à établir pour commencer.

Deuxièmement, je crois qu’il est important de tenir compte de la réalité historique: la relation fondamentale du Canada en matière de sécurité est avec les États-Unis. Nous sommes des partenaires, non seulement au sein de l’OTAN, mais aussi au sein du NORAD, qui représente la plus étroite relation des États-Unis en matière de sécurité, avec un commandement conjoint Canada-États-Unis. Cette relation étroite est logique, non seulement en raison de nos liens sociaux, culturels et économiques au fil de l’histoire, mais aussi en raison de notre géographie commune. Nos deux pays se partagent la plus longue frontière non militarisée au monde. On le prend parfois pour acquis, mais lorsqu’on pense aux problèmes associés à d’autres frontières, on comprend que le succès de cette relation n’est pas banal.

L’un des éléments importants de cette relation est la coopération en matière de défense, qui vise particulièrement une collaboration étroite entre nos industries de la défense. Je crois donc qu’il est tout à fait raisonnable — et qu’il s’agit du reflet des réalités canadienne et américaine — d’entretenir une relation privilégiée en matière de défense avec les États-Unis.

En ce qui a trait aux relations économiques entre le Canada et les États-Unis, un élément très important de notre ferme objection à l’imposition de tarifs illégaux et injustifiés sur l’acier et l’aluminium en vertu de l’article 232 est notre relation privilégiée avec les États-Unis sur le plan militaire et de la défense. Nous établissons très clairement par l’entremise de nos appels officiels que le Canada ne peut être une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. Comment serait-ce possible puisque, en vertu des lois américaines et canadiennes, nous faisons partie du complexe industriel militaire des États-Unis?

Je crois que cette relation particulière avec les États-Unis est essentielle; c’est pourquoi nous croyons qu’il faut en tenir compte dans le projet de loi C-47.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci à vous tous d’être parmi nous cet après-midi. C’est très apprécié.

Madame la ministre, j’aimerais poursuivre la discussion au sujet de l’Arabie saoudite. Un contrat est en place pour plusieurs années. En d’autres mots, on gèle les permis futurs. J’aimerais parler des cas où l’acheteur se sert des armes d’une façon qui n’était pas prévue. Ma compréhension est que la loi qui est proposée ne vous donne pas l’autorité de mettre fin à un permis existant. Est-ce le cas? Dans l’affirmative, peut-être faudrait-il demander que la loi permette à notre gouvernement de mettre fin à un contrat si l’usage des biens n’est pas conforme aux représentations initiales qui ont été données, nonobstant le fait qu’un contrat soit en vigueur pendant plusieurs années. J’aimerais entendre vos commentaires à cet égard.

Mme Freeland : Je sais que le gouvernement a le droit de geler un permis existant ou de l’annuler. Le gouvernement a ce droit, et c’est essentiel. Comme vous le savez très bien, ces permis donnent le droit de faire des exportations pendant longtemps. Si le gouvernement découvre un problème, il est absolument nécessaire d’avoir le pouvoir d’annuler l’entente et de mettre fin aux exportations. Cette loi existe maintenant et ce droit existera avec le projet de loi C-47.

Le sénateur Massicotte : Peu importe les circonstances? En 2012, les États-Unis ont déposé une réclamation auprès de Pratt & Whitney pour une infraction à un contrat en vigueur. Une amende de 75 millions de dollars a été imposée. Or, le Canada a décidé de ne pas poursuivre l’affaire. On dirait qu’on n’a pas le droit de le faire, car on n’agit pas en conséquence.

Mme Freeland : C’est une bonne question, et c’est une question importante. La loi nous donne cette autorité, et nous devons avoir cette autorité comme pays souverain, à tout moment, de contrôler, de geler ou d’annuler complètement les exportations d’armes. En même temps, il est possible qu’un contrat existe et qu’en le gelant ou en annulant un permis on viole le contrat. C’est tout à fait logique. Le Canada signe des contrats et le gouvernement fédéral n’a pas le droit de les annuler. Ce sont des ententes légales conclues avec les autres parties.

Le sénateur Massicotte : C’est le cas même si un contrat est enfreint en ce qui a trait à la définition de l’utilisateur final ou de l’utilisation finale.

Mme Freeland : Tout dépend des contrats.

Le sénateur Massicotte : En 2012, dans l’affaire qui impliquait Pratt & Whitney, les États-Unis ont décidé d’imposer une amende de 75 millions de dollars à l’égard d’une infraction majeure. Or, nous avons estimé qu’ils étaient de « gentils garçons » et qu’on ne ferait rien. Il me semble qu’on envoie un mauvais message. Cela explique peut-être pourquoi aujourd’hui on ne fait rien face à l’Arabie saoudite.

Mme Freeland : Vous avez posé plusieurs questions. Tout dépend des contrats. Vous faites valoir un argument très important. Je crois qu’il sera important pour l’industrie militaire canadienne de comprendre les changements significatifs liés à cette loi et de penser à ces changements au moment de la signature de nouveaux contrats. C’est absolument le cas.

Je veux aussi souligner qu’il n’est pas vrai de dire qu’on ne fait rien face à la situation en Arabie saoudite. Nous prenons cette situation très au sérieux. Notre gouvernement est en train de travailler avec nos alliés. Lundi, j’ai parlé avec le ministre des Affaires étrangères de la Turquie. Nous avons pris la décision de ne délivrer aucun nouveau permis d’exportation pendant notre examen. Notre décision n’est pas définitive, parce que nous devons poursuivre notre travail avec nos alliés et tenir compte de notre examen et des circonstances.

[Traduction]

La présidente : Merci, madame la ministre. Comme vous le savez, il y aura un vote à 17 h 30. Je vais essayer de nous laisser suffisamment de temps pour nous rendre à la Chambre. Je surveille cela pour vous.

La sénatrice Bovey : Merci, madame la ministre. Nous étions heureux de vous recevoir précédemment et je suis très heureuse que vous soyez à nouveau ici pour discuter avec nous. J’ai été aussi très heureuse de voir que l’article 7.4, la disposition relative au risque sérieux, avait été ajouté, et que les normes avaient été renforcées.

Il y a une chose qui me tracasse — si je puis dire —, au sujet de la Corporation commerciale canadienne. Il y a deux mois, le ministre Carr a demandé à la CCC de procéder « à une évaluation approfondie de l’adhésion éventuelle du Canada au Traité sur le commerce des armes » et de « réaliser un examen exhaustif des pratiques de la Corporation concernant l’évaluation du risque et l’exercice de la diligence requise dans les transactions » pour vous assurer que les droits de la personne, la transparence et la conduite responsable des entreprises [...] » et ainsi de suite.

Le ministre demande à la CCC de procéder à l’évaluation du risque d’ici la fin du mois de novembre, et je sais qu’il ne reste que quelques jours. Savez-vous où nous en sommes avec cette évaluation?

L’autre jour, Amnistie internationale s’est dite préoccupée par la place qu’occupe la CCC dans tout cela. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

Mme Freeland : Je crois que je peux vous répondre, du moins en partie.

Comme vous le savez, la CCC relève du ministre Carr.

La sénatrice Bovey : Oui.

Mme Freeland : Comme vous le savez également, il travaille en étroite collaboration avec la corporation et est au courant des nouvelles obligations en vertu du projet de loi C-47.

Je crois qu’on a posé des questions sur diverses tribunes au sujet du besoin pour la CCC de se conformer aux normes et aux mesures désignées dans le projet de loi C-47. Je vous répondrai oui sans hésitation. Ce sera aussi le cas de tous les exportateurs d’armes du Canada. Un accord conclu par l’entremise de la CCC, comme tout autre accord en vue de l’exportation d’armes par l’entremise du Canada, devra être associé à un permis d’exportation, qui devra respecter les conditions du projet de loi C-47.

Les accords conclus par l’entremise de la CCC sont associés à des responsabilités supplémentaires pour divers groupes d’intervenants. Cela signifie que le ministre du Commerce et la ministre des Affaires étrangères sont très intimement liés, mais qu’au bout du compte, les normes auxquelles on doit se conformer pour obtenir un permis d’exportation — ou pour éviter qu’il ne soit suspendu ou retiré — s’appliqueront de manière égale, sans égard à l’intervention de la CCC.

Je vois Rouben hocher la tête.

La sénatrice Bovey : Ma préoccupation est très simple: il semble que la corporation ne témoignera pas devant nous et que certaines sociétés d’État semblent prendre plus de distance que d’autres. Je cherche une certaine assurance et je me demande si l’évaluation réalisée pour le ministre Carr sera rendue publique.

Mme Freeland : Je sais que Jim est à Edmonton, où il fait bon vivre aujourd’hui. Je vous promets que je vais lui faire part des préoccupations qui ont été soulevées au comité et de votre demande.

J’ai dit à quelques reprises, parce que je trouve que c’est important, que nous ne nous faisons pas d’illusions au sujet des conséquences importantes de ce projet de loi. Il donnera lieu à d’importants changements à notre régime d’exportation des armes à feu et cela signifie que toutes les composantes du gouvernement, les sociétés d’État et les entreprises privées qui participent à l’exportation des armes à feu devront changer leur façon de travailler.

Je tiens, une fois de plus, à remercier Ian et son équipe, parce qu’il faut être prêts à modifier les normes applicables. Cela vaut aussi pour la CCC.

Comme je l’ai dit dans l’une de mes réponses précédentes, le projet de loi aura aussi une incidence sur la façon dont les entreprises de défense canadiennes font des affaires.

La sénatrice Bovey : Merci.

La présidente : Je tiens à dire, aux fins du compte rendu, que nous avons invité la CCC à témoigner devant nous. Nous avons certaines contraintes de temps. La corporation nous transmettra des observations écrites. Nous pourrons également examiner ces observations et communiquer avec elle, mais il était important pour moi de consigner cette information au compte rendu. Nous verrons si ses observations sont suffisantes.

Le sénateur Dean : Je crois que bon nombre de Canadiens — si ce n’est tous les Canadiens — aimeraient vous remercier pour la façon dont vous avez représenté le Canada sur la scène internationale. Vous n’avez pas seulement retenu l’attention des gens du pays. Nous vous remercions pour cela.

J’ai une question au sujet des exportations et des permis américains. Je comprends la position du gouvernement selon laquelle les permis d’exportation ne sont pas requis pour les transferts américains. Nous avons déjà discuté du détournement, alors je n’irai pas là.

Est-ce que, dans le cadre des délibérations stratégiques — je pense à la rédaction du projet de loi — vous avez songé au rapport sur les exportations américaines en vertu de l’article 27? Je regarde l’article 27, et il semble exclure les rapports sur les exportations américaines en raison de la référence aux permis d’exportations.

Ce n’est pas une suggestion. Je vous demande si vous y avez songé et, le cas échéant, quels ont été les motifs du rejet.

Mme Freeland : C’est une excellente question à laquelle nous avons longuement songé.

Vous saurez que dans le rapport de l’année dernière, nous avons inclus pour la première fois des données sur les exportations vers les États-Unis nécessitant un permis, mais vous avez raison : cela ne couvre pas tout. En effet, cela ne vise qu’une toute petite partie. Nous croyons fermement que le projet de loi C-47 vise une plus grande transparence en matière d’exportation des armes.

Nous savons — et vous le savez aussi, j’en suis certaine — que Statistique Canada publie des statistiques sur toutes les exportations, y compris celles vers les États-Unis, en fonction des déclarations faites à l’ASFC. Ces données sont moins exactes que celles sur les permis d’exportation et n’y correspondent pas tout à fait, mais si le comité le juge utile, nous pourrions déterminer s’il y a une façon d’utiliser les données de Statistique Canada sur les exportations vers les États-Unis pour le prochain rapport annuel.

Le sénateur Dean : Merci. C’est une excellente réponse. Je vais laisser au comité le soin de déterminer si c’est ce qu’il souhaite ou non. Personnellement, cela m’intéresserait.

Le sénateur Boehm : Madame Freeland, nous sommes toujours heureux de vous voir.

Ma question a trait au climat international. Il y a un débat public sur la vente d’armes à feu dans presque tous les pays exportateurs au monde. Ces pays sont aussi dotés d’organisations ou d’entités comme la CCC, par exemple, qui facilitent les exportations pour leurs entreprises. Nous avons des partenariats avec ces pays. Nous les consultons sur bon nombre de sujets, mais ce sont aussi nos concurrents.

Si l’on suppose que le projet de loi C-47 sera adopté, quelles mesures votre ministère prendra-t-il pour faciliter un dialogue continu avec certains de nos plus grands alliés sur la façon de voir la vente des armes? S’agira-t-il encore d’un sujet dont personne ne parle vraiment, alors que tous s’adonnent à la vente d’armes?

Mme Freeland : C’est une excellente question, Peter, et je vais commencer par votre conclusion au sujet du caractère secret de ce sujet.

Ce n’est plus du tout un sujet secret. Au cours des quatre derniers mois, j’ai longuement discuté de l’exportation des armes et des approches nationales en la matière avec les ministres des Affaires étrangères de la Suède, des Pays-Bas, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la France et des États-Unis, et avec Federica Mogherini, la haute représentante de l’Union européenne... Nous avons eu des discussions très exhaustives. Nous avons beaucoup parlé de ce qu’était la bonne chose à faire et aussi de nos politiques nationales.

Je crois que la population canadienne s’intéresse grandement à ce domaine. C’est l’une des raisons pour lesquelles vous êtes réunis ici pour poser des questions détaillées. Il en va de même pour la population de bon nombre d’autres pays.

Je ne peux pas vous dire que nous avons conclu un accord avec tous nos concurrents économiques dans ce domaine et que nous allons tous respecter les mêmes normes. En effet, si la seule priorité des pays était de vendre le plus d’armes possible, nous recommanderions probablement un nivellement par le bas.

Je suis certaine que la grande majorité des Canadiens ne seraient pas à l’aise avec une telle position.

Comme l’a fait valoir le sénateur Dean et comme vous le savez très bien, sénateur Boehm, puisque vous y contribuez, les gens surveillent ce que fait le Canada. L’une des raisons pour lesquelles j’ai tenu ces conversations avec les homologues que j’ai mentionnés est qu’ils veulent savoir où nous en sommes. À leur avis — et je suis d’accord avec eux —, si le Canada imposait des normes plus rigoureuses en matière de droits de la personne, la société civile de leurs pays s’en rendrait compte, ce qui entraînerait des pressions publiques.

Je crois que, bien que le nivellement par le bas soit une option, la course au sommet est aussi une possibilité, et c’est une course à laquelle le Canada devrait participer.

La sénatrice Frum : Merci, madame la ministre.

À titre de préface à ma question, je souligne que les industries de la défense canadiennes contribuent à l’emploi de plus de 60 000 Canadiens et génèrent 10 milliards de dollars de revenus annuels, dont 60 p. 100 proviennent des exportations.

Le 21 novembre, Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal, a témoigné devant le comité au sujet de ce projet de loi et a souligné que depuis votre nomination, le nombre de permis canadiens octroyés en matière de défense et de sécurité avait diminué. Est-ce exact?

Mme Freeland : Je ne vais pas faire référence aux données parce que je ne les ai pas devant moi, mais comme je l’ai dit, nous avons à certains moments gelé les permis existants afin de donner au ministère le temps de mener une enquête. Nous l’avons fait lorsqu’il y avait de sérieuses allégations voulant que des armes canadiennes étaient utilisées pour violer les droits de la personne. Lorsqu’on gèle les permis existants et qu’aucun nouveau permis n’est octroyé, cela ralentit les choses.

La sénatrice Frum : Hier, votre ministère a déposé un rapport de 2017 sur l’exportation des marchandises militaires auprès du comité et à la page 16, on souligne que 5 569 licences ont été délivrées en 2017 et que seulement quatre licences avaient été refusées. On souligne également que 162 licences ont été retournées sans la prise de mesures et que 413 licences ont été retirées.

Ce sont là 575 demandes de permis qui n’ont pas abouti. Parmi ces 575 demandes, pouvez-vous nous confirmer que la non-délivrance n’avait rien à voir avec le ralentissement du processus?

Mme Freeland : Rouben a un point de vue à ce sujet, alors je vais le laisser répondre à cette question en premier, puis j’y répondrai également.

M. Khatchadourian : Merci, madame la sénatrice. Comme vous avez pu le constater, les cas sont nombreux : plus de 500. Ce que je peux vous dire avec certitude, c’est que la majorité des cas ne constituent pas un rejet. Ce sont parfois les entreprises qui retirent leur demande pour des motifs contractuels, en raison d’un retard de livraison ou pour d’autres raisons.

Pour répondre à la première partie de votre question, je soulignerais que 95 p. 100 des permis sont délivrés selon nos normes de service. C’est une proportion très élevée, mais il arrive parfois — exceptionnellement — que certains cas soient épineux et complexes, et qu’ils nécessitent une évaluation scientifique et technologique plus poussée. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Mme Freeland : J’aimerais ajouter deux choses. L’une est que je pense vraiment que le contexte international devient plus rude. Je crois que nous vivons à une époque où les dictateurs prennent de plus en plus de place et où les organisations terroristes non étatiques posent des défis directement aux États. Notre pays a reconnu que le crime de génocide a été perpétré contre les Rohingyas.

Comme je l’ai dit dans d’autres contextes, je crois que nous vivons à une époque où l’ordre mondial fondé sur les règles établies à la suite de la Seconde Guerre mondiale est menacé comme il ne l’a jamais été depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela signifie inévitablement que, même sans le projet de loi C-47, nous devons être particulièrement vigilants au moment de délivrer des licences d’exportation dans ce monde d’une plus grande rudesse.

Mesdames et messieurs, j’aimerais dire une autre chose, et je veux que tout le monde comprenne très bien ceci : j’ai affirmé très directement que le projet de loi C-47 ressert les critères relatifs à la délivrance de licences d’exportation d’armes. Cela signifie qu’il faudra tenir compte encore plus sérieusement que maintenant de divers facteurs, dont les droits de la personne. Il y aura assurément des conséquences à cela. Nous tenons à souligner très clairement que c’est le choix que fait notre gouvernement.

Il y a peut-être des Canadiens et des politiciens canadiens qui trouvent qu’il n’en vaut pas la peine de se préoccuper des droits de la personne dans notre régime d’exportation d’armes, et qu’il est plus important de délivrer de nombreuses licences rapidement. C’est un argument raisonnable, et il y a des emplois liés à cela.

Je tiens à souligner que si je vous presse de soutenir le projet de loi C-47, c’est très manifestement et ouvertement parce qu’il faut que notre pays soit soumis à des règles plus rigoureuses quand il s’agit de déterminer à qui nous choisissons de vendre des armes conçues, après tout, pour tuer des gens.

La sénatrice Frum : Cependant, cela signifie qu’il y a une autre façon de regarder ces chiffres, et c’est que, sur 5 569 demandes, votre ministère n’en a rejeté que quatre. Comment voyez-vous ce rapport, dans l’optique de règles plus strictes? C’était en 2017, et 4 demandes sur 5 569 ont été refusées.

Mme Freeland : Sénatrice, si j’étais tout à fait contente du régime d’exportation d’armes actuel, je ne proposerais pas d’adopter le projet de loi C-47. Je crois que nous devons adopter des normes plus strictes, et c’est ce que nous préconisons aujourd’hui.

La présidente : J’ai seulement deux questions complémentaires. Le Traité sur le commerce des armes existe depuis longtemps, et nous prenons ces mesures maintenant, alors je pense que nous devons établir un équilibre entre les bienfaits économiques et les droits de la personne, notre position politique et nos intérêts nationaux.

Autrement dit, nous essayons de faire en sorte que le gouvernement actuel détermine ce qui est dans l’intérêt du Canada. Il ne s’agit pas que des droits de la personne; c’est tous les facteurs. On essaie de déterminer, pour chaque entente, si le Canada fait bien de s’y joindre. Cela se fait au moyen du système de délivrance de licences. Je crois que la cause de nos problèmes, c’est que nous entendons des points de vue différents au sujet du projet de loi C-47.

Un aspect que nous n’avons pas abordé, mais qui a été soulevé par des témoins est la question de savoir si vous estimez avoir le pouvoir en ce moment de suspendre ou d’annuler une licence à mi-chemin si les faits changent.

Mme Freeland : Oui. Il faudrait que ce soit pour une bonne raison, mais oui.

La présidente : Donc, que vous soyez en train d’évaluer la situation relative à l’Arabie saoudite ou n’importe quelle autre situation, vous seriez en mesure de mettre fin à la vente en plein milieu? Il y aurait des conséquences, bien sûr, et il faudrait que vous pesiez cela.

Mme Freeland : Absolument, madame la sénatrice Andreychuk. Je l’ai dit à la Chambre des communes, et le premier ministre l’a dit aussi. Par le passé, notre gouvernement a gelé des licences d’exportation existantes, et nous sommes prêts à le faire encore à l’avenir. Le gouvernement a assurément le pouvoir de suspendre ou d’annuler complètement une licence d’exportation.

Comme nous l’avons dit lors de nos discussions sur les contrats, l’existence d’une licence d’exportation sert simplement à autoriser que les biens faisant l’objet de la licence soient expédiés à l’étranger. Ce n’est pas l’instrument qui détermine si un contrat existe, s’il y a violation du contrat ou s’il est résilié. La licence nous permet essentiellement, vu notre souveraineté nationale, de contrôler le mouvement de ces biens qui sortent du pays.

Comme vous le savez, un contrat va souvent durer très longtemps. Nous pouvons tous imaginer une situation hypothétique — même extrêmement hypothétique — où une licence d’exportation a été délivrée pour la vente d’armes à un pays donné sur une très longue période, et que, au cours de cette période, nous nous retrouvons en guerre contre ce pays.

Au cours de l’histoire des relations internationales, cela s’est vu, des pays qui entrent en guerre alors qu’ils étaient d’anciens alliés. Dans de telles circonstances, nous ne voudrions pas être liés par une licence d’exportation historique qui permettrait que ces armes soient expédiées à l’étranger.

La présidente : L’hypothèse extrême n’est pas celle qui est la plus évidente, car, dans un pareil cas, d’autres conventions et accords entrent en jeu. C’est vraiment quand vous en arrivez à un point où vous pensez que le Canada ne devrait plus être partie à un contrat et que vous le suspendez. C’est une situation intermédiaire.

Je crois que ce que le Parlement veut — c’est du moins ce que j’ai entendu de la part de mes collègues ici —, c’est la capacité d’évaluer la situation en fonction de notre intérêt national, à l’avenir. Nous avons un rôle de surveillance sur ce plan. C’est vraiment de cela que nous parlons. Ce n’est pas quand nous entrons en guerre.

Mme Freeland : Bien sûr. Je vous présentais une hypothèse extrême pour vous expliquer qu’il est important d’avoir ce droit.

Comme le montrent les questions des sénateurs, ce sont des décisions complexes à prendre, qui se fondent sur nos valeurs, nos intérêts économiques et nos intérêts géopolitiques. Si elles n’étaient pas si compliquées à prendre, nous n’aurions pas besoin du projet de loi C-47. Si elles n’étaient pas si compliquées, nous n’aurions pas de régime de délivrance de licences d’exportation.

Pour moi, la valeur du projet de loi C-47 se situe en fait dans la discussion de portée nationale que nous avons. Je dirais qu’il y a deux valeurs. L’une est qu’il est grand temps que nous adhérions au Traité sur le commerce des armes, le TCA. Il est plutôt choquant que nous ne l’ayons pas encore fait. Comme le sénateur Boehm l’a souligné, en arriver à un accord international à ce sujet a été incroyablement difficile, mais c’est un facteur important qui permet au monde de passer d’une situation où la vie est désagréable, brutale et brève à quelque chose d’un peu plus civilisé. C’est le premier élément.

J’ai presque terminé. Mon deuxième point, c’est qu’il est important que nous ayons cette discussion nationale — ici au Sénat ainsi qu’à la Chambre des communes — en ce qui concerne les normes que nous voulons nous imposer à nous-mêmes. Ce ne sera pas infaillible. Ce ne sera pas comme une recette qui nous dit dans chaque cas exactement ce qu’il faut faire. Nous avons cette conversation et nous décidons ensemble des normes que nous voulons nous imposer à nous-mêmes et à notre pays. C’est important.

La présidente : Il est 17 h 5. Techniquement, nous pourrions poursuivre jusqu’à 17 h 15, mais il y aura un problème de transport à cette heure-là. Devrions-nous faire un deuxième tour de questions ou nous arrêter maintenant?

Le sénateur Dawson : Le sénateur Massicotte était responsable du transport sur la Colline. Il sait que, à cette heure, il faut plus que les 15 minutes requises pour se rendre à la Chambre.

La présidente : Certains d’entre nous ne peuvent pas marcher, alors je défends nos droits.

Madame la ministre, j’essaie d’avoir l’opinion de la majorité. J’ai une liste complète pour un deuxième tour. Est-ce que le groupe souhaite arrêter maintenant?

Des sénateurs : D’accord.

La présidente : Vous êtes d’accord? Très bien. Il y avait quelques voix dissidentes. Cependant, je vais conclure que la majorité souhaite que la séance soit levée.

Madame la ministre, je vous remercie d’être venue. J’aurais aimé que nous ayons plus de temps. C’est un enjeu d’une très grande importance qui touche le Traité sur le commerce des armes. Je suis certaine que le comité tiendra compte de vos observations comme de celles de tous nos autres témoins. Nous pourrons ensuite, aussi rapidement que nous le pouvons, conclure notre étude du projet de loi.

Merci d’être venue. Merci aux fonctionnaires, qui sont, comme d’habitude, toujours prêts à venir comparaître.

(La séance est levée.)

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