Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 55 - Témoignages du 28 novembre 2018
OTTAWA, le mercredi 28 novembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications), se réunit aujourd’hui, à 16 h 17, pour examiner le projet de loi.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui pour poursuivre son étude du projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications).
Avant de donner la parole à nos témoins, je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.
Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : La sénatrice Saint-Germain, du Québec.
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.
La présidente : Je m’appelle Raynell Andreychuk et je viens de la Saskatchewan.
Nous allons entendre par vidéoconférence deux témoins qui, nous en sommes heureux, ont pu nous accommoder aujourd’hui : M. Kevin Wolf, ancien secrétaire adjoint américain du commerce pour l’administration des exportations, du département américain du Commerce, et à partir de Vancouver — M. Wolf est à Washington —, un professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada au Département de science politique de l’Université de la Colombie-Britannique.
En personne, nous accueillons M. James Fergusson, directeur adjoint au Centre pour des études de la défense et de la sécurité du Département des études politiques de l’Université du Manitoba.
Je souhaite la bienvenue au comité à tous nos témoins. Notre procédure habituelle consiste à entendre de brèves déclarations liminaires pour ensuite laisser les sénateurs poser des questions aux témoins.
Je vais reprendre l’ordre dans lequel j’ai présenté nos témoins. Je devrais signaler aux témoins que nous avons leurs biographies, de longues biographies, qui ont été distribuées. Nous ne voulons donc pas prendre le temps du comité pour vous présenter de manière détaillée. Merci de nous avoir fourni ces renseignements à l’avance.
Monsieur Wolf, j’espère que la vidéoconférence fonctionnera. Bienvenue au comité.
Monsieur Wolf, je suppose que vous m’entendez, et nous sommes impatients d’entendre votre exposé.
Kevin Wolf, ancien secrétaire adjoint américain du commerce pour l’administration des exportations, U.S. Department of Commerce, à titre personnel : Merci de m’avoir invité. Comme je l’ai mentionné, j’étais secrétaire adjoint du commerce pour l’administration des exportations au sein de l’administration Obama, ce qui signifie que j’étais surtout responsable de l’administration du contrôle des exportations d’articles à double usage, mais compte tenu de plusieurs réformes fondamentales de notre système de contrôle des exportations, je suis également devenu responsable des articles militaires.
Grâce à toutes ces années de travail à repenser le système de contrôle des exportations et à mettre en œuvre d’importants changements, j’ai une opinion sur les systèmes utilisés. Je participe aussi activement aux négociations et j’ai témoigné plusieurs fois devant le Congrès américain au sujet de la création de la nouvelle loi sur la réforme du contrôle des exportations qui est entrée en vigueur en août.
Quand je faisais partie du gouvernement, le Canada était, tant sur le plan législatif que politique, notre plus important allié en matière de politique commerciale sur le contrôle des exportations. Je rencontrais officiellement chaque année mes homologues des différents organismes du gouvernement du Canada et je les rencontrais aussi très souvent de manière officieuse chez vous et chez nous, et partout ailleurs dans le monde. Je suis ravi de pouvoir vous aider en vous faisant part du point de vue que j’ai acquis grâce à mon expérience pour vous aider comme je peux dans votre étude législative.
C’était ma brève introduction. Je vais donc m’arrêter ici et je suis impatient de répondre à vos questions. En passant, les positions et tout ce que j’exprimerai d’autre aujourd’hui ne viennent que de moi, pas de mon cabinet d’avocats ou de clients. Ce sont juste les positions, les points de vue et les observations de Kevin, ancien fonctionnaire.
La présidente : Merci, monsieur Wolf. C’était concis.
Monsieur Byers, vous avez la parole.
[Français]
Michael Byers, professeur, Département de science politique, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bonjour. Je parlerai en anglais aujourd’hui, mais je suis tout à fait capable de répondre aux questions en français.
[Traduction]
J’ai commencé à être exposé aux questions du contrôle et du commerce des armes en 1992 lorsque j’occupais un emploi d’été pour étudiant au cabinet de ce qui s’appelait à l’époque le ministère des Affaires extérieures à Ottawa. En 1992, des discussions avaient été entreprises au sujet d’un traité sur le commerce des armes.
À l’époque, les diplomates canadiens travaillaient très fort pour éviter que de grands pays exportateurs d’armes laissent des échappatoires dans l’ébauche de traité qui auraient permis le détournement d’armes vers des pays tiers. Je vous le mentionne tout simplement pour vous dire que je pense que le Canada et Affaires mondiales Canada tentent depuis longtemps et avec fierté d’assurer une transparence en matière de transferts d’armes et de réduire ainsi la souffrance attribuable au commerce illicite.
Je veux également commencer par féliciter le gouvernement du Canada d’amender ce projet de loi pendant que la Chambre des communes en est saisie. Le document adopté à la Chambre à l’étape de la première lecture contenait deux importantes échappatoires et, grâce à l’excellent travail du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, l’une de ces échappatoires a été éliminée. Je ne vais pas en parler longuement. Je vais me contenter de dire qu’elle permettait à la ministre de maintenir et d’exercer son pouvoir discrétionnaire, même lorsqu’il était prouvé qu’il était très susceptible que cela se traduise par de graves violations des droits de la personne ou du droit humanitaire international. Cette échappatoire allait à l’encontre du Traité sur le commerce des armes, qui doit être respecté à cet égard.
Le projet de loi dont vous êtes saisis, que la Chambre des communes a adopté à l’étape de la troisième lecture, règle ce problème. Je tiens donc à féliciter votre comité homologue de la Chambre des communes d’avoir fait un excellent travail en se montrant convaincant et en recommandant un amendement qui fait en sorte que le projet de loi est beaucoup plus conforme au traité international dont nous parlons.
Je veux maintenant parler de la deuxième échappatoire. Je suis particulièrement heureux que M. Wolf soit ici, car c’est une échappatoire qui concerne son pays.
Les pays qui ont ratifié le Traité sur le commerce des armes doivent traiter de la même manière les exportations vers tous les autres pays et ils doivent en appliquer systématiquement les obligations.
Dans le cas du Canada — et des fonctionnaires canadiens l’ont confirmé en témoignant —, nous n’allons pas appliquer le régime de contrôle des exportations pour ce qui est des exportations vers les États-Unis, compte tenu d’un accord sur la production de défense que les deux pays ont conclu dans les années 1950.
C’est important, car plus de la moitié des exportations d’armes du Canada sont vers les États-Unis ou passent par les États-Unis, souvent en tant que composants qui sont intégrés dans des systèmes assemblés au sud de la frontière et exportés à l’étranger. Nous parlons donc de plus de la moitié des exportations d’armes du Canada qui ne sont pas assujetties à la mesure législative dont vous êtes actuellement saisis.
Comme je l’ai dit, ce n’est pas conforme au traité. Si nous laissons les États-Unis échapper à la portée du projet de loi et que le projet de loi reçoit la sanction royale, la loi canadienne violera le Traité sur le commerce international qu’elle prétend mettre en œuvre. Ce n’est pas une chose que les parlementaires devraient souhaiter, soit adopter délibérément ou consciemment une loi pour mettre en œuvre un traité auquel nous contreviendrons lorsqu’elle aura force de loi.
J’ai une suggestion : votre comité devrait proposer un amendement au projet de loi qui établit un échéancier pour que le gouvernement du Canada mette en place un mécanisme de déclaration afin que tous les transferts aux États-Unis d’armes, de composants d’armes ou d’autres systèmes militaires soient consignés et publiés de la même façon que les exportations vers tous les autres pays. Il s’agirait là d’une première étape cruciale. Nous ne serions pas entièrement conformes, mais ce serait mieux.
Je vais terminer en disant que ce régime de déclaration recommandé pour les exportations vers les États-Unis est exactement ce que le conseiller politique en matière de droits de la personne de l’ancien ministre canadien des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a recommandé dans le Globe and Mail il n’y a pas encore tout à fait un an. En effet, dans son article, Andrew Stobo Sniderman recommandait de cerner cette échappatoire et disait qu’un mécanisme de déclaration serait une bonne façon de l’éliminer.
C’est tout pour le moment. Je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, monsieur Byers.
James Fergusson, directeur adjoint, Centre à un contrat si l’usage des biens n’est pas conforme auxreprésentations la sécurité, Département des études politiques, Université du Manitoba, à titre personnel : Merci de me donner l’occasion de parler au comité de ces questions liées au projet de loi C-47. Je me concentre sur le volet industriel et technologique de la défense, sur les entreprises qui porteront un lourd fardeau, qui sera peut-être supérieur à celui attribuable aux contrôles actuels des exportations dans le domaine de la défense.
Je vais d’abord faire remarquer que le projet de loi semble être une solution à la recherche d’un problème. À ma connaissance, les contrôles et la loi en place ont largement réussi à garantir un bon contrôle des marchandises de défense produites au Canada. Je crois que le comité devrait faire preuve de prudence en tenant compte des fardeaux administratifs supplémentaires, qu’il s’agisse de coûts ou de temps, que cette nouvelle mesure législative pourrait créer.
Au sujet de la politique canadienne, le marché international de la défense est hautement concurrentiel, et les fardeaux supplémentaires imposés aux entreprises faisant des affaires avec des pays alliés qui ont des vues similaires par rapport aux régimes de sanctions actuels pourraient très bien nuire aux possibilités d’exportation des entreprises canadiennes, ce qui les rendrait encore plus dépendantes du marché canadien qui, vous le savez sûrement, est trop limité sur le plan financier pour soutenir et élargir la capacité industrielle et technologique du Canada en matière de défense.
Deuxièmement, au moment d’examiner cette mesure législative, il est important de bien comprendre les réalités de l’assise industrielle et technologique du Canada en la matière. Le projet de loi à l’étude accorde à la ministre la capacité d’établir une liste de pays vers lesquels les exportations sont autorisées, mais je crois qu’il est important d’être plus précis, surtout en ce qui concerne une exemption pour les États-Unis.
Compte tenu du niveau de dépenses, surtout les dépenses en capital, relativement faible dans le domaine de la défense en général, cette assise dépend grandement des exportations, surtout vers le marché américain. On estime d’ailleurs que plus de 50, voire 60 p. 100 des marchandises de défense du Canada y sont vendues.
De plus, l’assise industrielle du Canada dans le domaine dépend non seulement d’un accès relativement sans entrave au marché américain, mais elle est aussi intégrée de façon importante à l’assise industrielle américaine, qu’on a reconnue par voie législative.
La nature actuelle de l’assise industrielle du Canada est le produit de plusieurs facteurs liés aux faibles investissements dans la défense au pays. Comme M. Byers l’a mentionné, selon l’Accord sur le partage de la production de défense, signé dans un premier temps dans les années 1950, les entreprises canadiennes doivent être traitées comme les entreprises américaines dans l’acquisition de matériel de défense aux États-Unis. La stratégie de contrepartie canadienne — initialement des avantages industriels et régionaux, et maintenant des avantages industriels et technologiques — repose sur les investissements directs d’entrepreneurs du secteur de la défense, grâce à l’établissement de filiales de prédilection ou de partenariats avec les entreprises canadiennes pour des raisons économiques nationales, afin de créer à l’avenir des possibilités d’exportation pour ces entreprises, qu’elles appartiennent à des Américains ou à des Canadiens.
Au fil du temps, le résultat net des faibles dépenses en capital dans le domaine de la défense, de l’Accord sur le partage de la production de défense et de la stratégie de contrepartie canadienne est que l’assise est devenue une production de second ordre, axée sur des sous-systèmes, la fabrication de pièces et de composants. Elle dépend non seulement beaucoup de l’accès au marché américain officiel de la défense, mais elle est aussi devenue intégrée aux chaînes d’approvisionnement des grandes entreprises américaines. Même dans les rares cas de capacité de premier ordre, la nature intégrée de l’assise de défense nord-américaine est manifeste. Par exemple, on estime qu’une proportion d’environ 80 p. 100 des pièces ou des composants des sous-systèmes du véhicule blindé léger produit au Canada, que possède l’entreprise américaine General Dynamics, est d’origine américaine.
L’élimination de l’exemption américaine dans ce contexte pour l’industrie aurait des répercussions graves et désastreuses sur les entreprises canadiennes de défense, qu’elles appartiennent à des Américains ou à des Canadiens, ce qui nuirait à l’avantage comparatif du Canada sur le marché américain et ferait en sorte que ces entreprises demeureraient dépendantes des investissements canadiens, qui sont insuffisants pour les soutenir.
Par conséquent, les objectifs économiques évidents dans la politique de défense actuelle du Canada, Protection, Sécurité, Engagement, et le plan d’investissement de 2018 de la Défense seraient compromis. Il ne faut également pas oublier de déterminer si cette décision aurait des répercussions imprévisibles plus générales sur la relation vitale du Canada et des États-Unis en matière de défense.
À ce sujet, j’ajouterais qu’il faudrait songer à stipuler une exemption pour les alliés de l’OTAN du Canada, ou du moins à faire en sorte que la loi canadienne est conforme à celles de nos alliés afin d’avoir des règles équitables et transparentes.
Enfin, il est important que le comité reconnaisse que les entreprises du Canada, peu importe à qui elles appartiennent, produisent peu de marchandises de défense traditionnelles à des fins d’exportation, à proprement parler. En effet, c’est surtout dans le domaine des articles à double usage qu’elles mènent leurs activités puisqu’elles produisent des composants de sous-système.
Il n’y a pas de solution facile pour définir les marchandises de défense de nos jours, mais il faut néanmoins veiller à ne pas nuire à la capacité industrielle et concurrentielle du Canada dans le domaine de la défense. Par exemple, la participation des entreprises canadiennes au consortium des F-35 qui repose sur des alliances et est dirigé par les États-Unis repose sur le coût et la compétitivité technologique. Tout coût supplémentaire engendré par la Loi sur les exportations pourrait avoir une incidence sur la participation du Canada, ce qui aurait des répercussions économiques au pays.
Pour conclure, il est important de reconnaître que ce sont les entreprises canadiennes qui assument le coût du contrôle des exportations, et il faut faire très attention de ne pas nuire à la viabilité de ces avoirs économiques et technologies canadiens essentiels.
Je suis impatient de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, monsieur Fergusson.
Nous allons passer aux questions des sénateurs.
La sénatrice Saint-Germain : Merci à vous trois de vos exposés fort intéressants. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de vous joindre à nous à la dernière minute.
J’ai deux questions, et les deux s’adressent à M. Wolf. La loi américaine sur le contrôle des exportations d’armes, l’Arms Export Control Act, est essentielle dans la législation américaine sur le contrôle des exportations de munitions. Le département d’État l’applique à l’aide des International Traffic in Arms Regulations, le règlement sur le commerce international des armes. Premièrement, quelles sont les étapes que doivent habituellement franchir les marchandises ou les technologies militaires américaines avant de pouvoir être exportées?
Deuxièmement, même si les États-Unis n’ont pas ratifié le Traité sur le commerce des armes, dans quelle mesure le système de contrôle américain est-il conforme aux principes et aux normes de l’accord en ce qui a trait à l’exportation d’armes classiques?
M. Wolf : Je serai heureux de vous l’expliquer. À vrai dire, il y a deux lois fondamentales qui gouvernent les exportations d’articles militaires et à double usage : l’Arms Export Control Act, qui est en vigueur depuis plusieurs dizaines d’années; et, depuis août, l’Export Control Reform Act, la loi sur la réforme du contrôle des exportations, qui s’applique à tous les articles à double usage ainsi qu’aux articles militaires de nature moins délicate, en grande partie des pièces et des composants.
C’est le résultat des changements que j’ai décrits et dont j’ai été grandement responsable pendant l’administration Obama, notamment le transfert de la compétence en ce qui concerne la plupart des pièces et des composants militaires du département d’État au département du Commerce. Quand on pense à l’autorisation que le gouvernement doit obtenir avant d’exporter des articles militaires ou à double usage, il est important de tenir compte des deux.
Le principe politique général de la séparation des deux — et je vais répondre à votre question — était de laisser au département d’État la responsabilité de la liste des munitions des États-Unis et du règlement sur le commerce international des armes que vous avez mentionné et qui permet d’appliquer la loi américaine sur le contrôle des exportations d’armes pour les articles qui procurent un important avantage militaire aux États-Unis, et de laisser le département du Commerce s’occuper uniquement des articles militaires, mais moins délicats — en grande partie des pièces et des composants nécessaires dans la chaîne d’approvisionnement.
La première étape pour l’exportateur consiste à déterminer quelle réglementation s’applique : celle du département d’État ou celle du département du Commerce. Les règlements du département d’État prévoient des obligations supplémentaires qui ne se trouvent pas dans ceux du département du Commerce, notamment des obligations en matière de courtage et des obligations visant le contrôle des biens à l’étranger, même si les articles fabriqués à l’étranger ne contiennent que très peu de composantes américaines, par exemple.
Le règlement du département du Commerce est un peu plus libéral, surtout en ce qui a trait au Canada, puisque les obligations en matière de licence s’appliquent dans le monde entier, mais que d’importantes exceptions s’appliquent aux pays de l’OTAN et aux proches alliés du système commercial.
Selon le processus, lorsqu’une entreprise détermine les règlements qui s’appliquent, elle présente une demande de licence au département d’État ou au département du Commerce. Lorsqu’elle présente une demande au département du Commerce, elle détermine s’il y a des exceptions relatives à un pays de l’OTAN ou à un autre proche allié. Ensuite, lorsque le département d’État reçoit la demande pour un article qui figure à la liste des munitions, il la renvoie aux divers départements des États comme le groupe de défense des droits de la personne ou le bureau à vocation économique. Cette même demande est ensuite renvoyée au département de la Défense, à la Defense Technology Security Administration, qui est le point de contact en vue d’obtenir les rétroactions de toutes les autres divisions du département de la Défense au sujet des préoccupations possibles en matière de sécurité nationale associées à cette exportation en particulier.
Si le département d’État et les diverses divisions du département de la Défense sont d’avis que la demande ne donne pas lieu à des préoccupations en matière de sécurité nationale ou de politique étrangère — ce qui comprend les considérations relatives aux droits de la personne pour l’utilisateur final et l’utilisation finale —, alors le département d’État transmet une autorisation électronique au demandeur. Les autorisations s’appliquent non seulement aux exportations physiques, mais aussi à la réexportation à partir de pays tiers. Contrairement aux autres lois, la loi américaine est extraterritoriale, puisqu’elle s’applique aux articles d’origine américaine, peu importe où ils se trouvent dans le monde et à quel moment ils ont été exportés à partir des États-Unis.
C’est la même chose en vertu du système du département du Commerce, qui a un processus similaire. Lorsqu’il reçoit une demande, le département du Commerce la renvoie aux mêmes groupes du département d’État — droits de la personne, politique économique, et cetera — et la transmet au département de la Défense, le même organisme qui procédera au même examen afin de déterminer si les renseignements, l’histoire ou la politique étrangère associés à l’entité, ou si la nature de la technologie entraînent des préoccupations qui pourraient donner lieu au rejet de la demande.
En cas de désaccord, il existe un processus pour faire appel auprès des divers dirigeants politiques. Si l’on s’entend sur l’approbation de la demande ou la délivrance d’une licence avec conditions, le département du Commerce délivrera l’autorisation.
Comme je l’ai dit plus tôt, certaines exceptions s’appliquent en vertu du règlement du département du Commerce : les entreprises peuvent certifier elles-mêmes certains articles qui, autrement, devraient faire l’objet d’une licence, si ces articles visent un utilisateur final ou une utilisation finale en particulier dans un pays allié. Ainsi, ces produits peuvent être exportés sans obtenir au préalable la permission du département du Commerce.
En ce qui a trait à votre deuxième question au sujet du Traité sur le commerce des armes, cet exercice a été réalisé par mes collègues du département d’État, mais j’y ai participé en coulisse.
Pour répondre directement à votre question, l’objectif principal était de veiller à ce que toutes les mesures prises par le système américain respectent les obligations du traité, selon ma compréhension.
La question soulevée dans le discours préliminaire au sujet du manque d’uniformité associé à une exception pour le Canada est intéressante. Pour être honnête, je n’en avais jamais parlé et je n’y avais jamais pensé. À mon avis, l’explication est que le système de contrôle des exportations du Canada et des États-Unis, tant sur le plan militaire que sur le plan du double usage, fait partie d’un même groupe de pays aux fins du contrôle des exportations américaines. L’un des principaux objectifs du déplacement des éléments, composantes et technologies moins sensibles vers le système du département du Commerce, était d’éliminer toute obligation de licence pour le commerce bilatéral entre les États-Unis et le Canada. Ce n’est pas le cas avec les autres pays. L’Angleterre, l’Australie et le Japon ont tous des exigences individuelles relatives aux licences ou aux exceptions.
C’était pour le bien de la relation commerciale de défense en Amérique du Nord et d’autres traités et politiques commerciaux qui ont été décrits plus tôt et qui visent à éliminer le fardeau réglementaire, puisqu’on ne s’inquiète pas de la façon dont les entreprises canadiennes et le gouvernement canadien traiteraient ou contrôleraient les articles de défense ou à double usage d’origine américaine.
Je pourrais vous répondre en 3 minutes, en 30 minutes, en trois heures ou en trois jours, alors je vais m’arrêter là et vous laisser poser votre prochaine question.
La présidente : Je crois que vous avez dépassé les trois minutes, mais c’était nécessaire, à mon avis.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie tous de vos témoignages. J’aime entendre vos opinions sur ce sujet.
Monsieur Byers, j’aimerais revenir à votre commentaire au sujet de la brèche. Vous constaterez que bon nombre d’entre nous se demandent comment nous contrôlons ce que nous vendons aux États-Unis. Vous pourriez peut-être nous parler plus en détail des modifications que vous recommanderiez et des conséquences connexes.
Ma deuxième question s’adresse à tous les témoins. Mes collègues savent que je m’accroche un peu à la CCC, la Corporation commerciale canadienne, et à ce qu’elle signifie. Elle travaille en collaboration avec les exportateurs canadiens afin d’obtenir des contrats internationaux. Le ministre Carr lui a demandé d’analyser l’évaluation des risques et l’exercice de la diligence requise dans les transactions d’ici la fin du mois afin de veiller à ce qu’on y tienne compte des droits de la personne, de la transparence et de la conduite responsable des affaires, qui sont les principes directeurs fondamentaux de la Corporation commerciale canadienne.
J’aimerais que vous me disiez ce que devrait contenir cette analyse des risques, selon vous. Avez-vous des recommandations à faire à ce sujet? Ce sont là mes deux questions.
La présidente : Nous allons commencer avec M. Byers pour la première question, puis vous pourrez aborder la deuxième. Les autres témoins pourront intervenir au besoin. Merci.
M. Byers : Si je peux répondre à la deuxième question d’abord, rapidement, je crois que l’analyse sur les droits de la personne réalisée par Affaires mondiales Canada devrait précéder la signature des contrats par la Corporation commerciale canadienne, la CCC. Je crois qu’à l’heure actuelle, le processus se fait à l’envers. On peut signer un contrat de 14 milliards de dollars avant que le processus d’examen complet n’ait été réalisé par Affaires mondiales Canada. Ainsi, les gouvernements se retrouvent dans un drôle de position, comme celle du gouvernement actuel au sujet des VBL 6 en Arabie saoudite. Donc oui, il faudrait modifier l’ordre du processus.
Pour répondre à votre première question, j’aimerais vous rappeler qu’il y a eu un changement d’administration aux États-Unis il y a moins de deux ans. Je crois que c’est important.
L’administration pour laquelle travaillait M. Wolf gérait très bien ces enjeux. Par exemple, au début de 2017, lorsque des soldats nigérians ont tué plusieurs centaines de civils — peut-être de façon accidentelle — lors de frappes aériennes, l’administration Obama a suspendu la vente du chasseur d’attaque au sol Super Tucano en raison de préoccupations relatives aux droits de la personne.
Lorsque l’administration Trump est arrivée au pouvoir, l’une des premières choses qu’elle a faites dans ce domaine a été d’annuler cette suspension et de permettre la vente des chasseurs. C’est important pour le Canada, parce que le moteur de ces avions est construit par Pratt & Whitney Canada.
En vertu du système actuel, nous sommes à la merci de l’administration des États-Unis et de ses préoccupations — ou son manque de préoccupation — à l’égard des droits de la personne et du droit international humanitaire. À titre de pays souverain, je crois que nous devrions nous protéger contre ces changements et aussi contre les défaillances occasionnelles de nos amis et voisins du Sud.
En ce qui a trait aux modifications que je recommande, je partage les préoccupations de M. Fergusson au sujet des mesures abruptes qui pourraient être coûteuses et difficiles pour l’industrie de la défense canadienne. Je proposerais peut-être une période de transition de cinq ans en vue de la déclaration complète de l’exportation des armes et de leurs composantes aux États-Unis. Toutefois, nous ne respecterions pas pleinement le Traité sur le commerce des armes, ce qui est malheureux. Il faudrait une pleine conformité, mais le déclaration complète serait la première étape pour nous y rendre et nous permettrait de tenir une discussion exhaustive au pays, tant avec les politiciens qu’avec les membres de l’industrie et la population générale, au sujet de la mise en œuvre ou non d’un régime complet de contrôle des exportations vers les États-Unis, ou de la possibilité de trouver un compromis acceptable entre la situation actuelle et les exigences du traité.
La situation actuelle est inacceptable. C’est une violation claire du Traité sur le commerce des armes. Je propose de ne pas ratifier le traiter si une brèche aussi importante relative à plus de la moitié de nos exportations demeure.
La sénatrice Bovey : Monsigue Fergusson ou monsieur Wolf, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Fergusson : En ce qui a trait à la Corporation commerciale canadienne, je ne sais pas exactement quelles mesures elle prend pour aider l’industrie canadienne à saisir certaines occasions d’exportation à l’étranger, dans les secteurs civil et militaire.
Toutefois, la Corporation commerciale canadienne connait bien la politique canadienne, même s’il n’y a aucune preuve d’un problème. Elle ne travaille pas en vase clos et ne pense pas seulement aux affaires. À titre d’organisme du gouvernement, la corporation sait très bien parler à ses membres de la politique canadienne et de la position de tous les autres pays du monde à l’égard des violations des droits de la personne.
Si vous voulez soudainement modifier le processus à nouveau, il faudra se demander combien de temps, dans ce monde concurrentiel, prendront les entreprises pour exploiter les possibilités.
Je ne crois pas que le risque soit important. Je crois que le grand problème, non pas nécessairement avec cette loi, mais pour le Canada et les contrôles en matière d’exportation dans le monde, c’est que nous ne sommes pas vraiment un problème. C’est là où je veux en venir lorsque je dis qu’il s’agit d’une « solution à la recherche d’un problème ». Nous ne sommes pas un problème. Oui, la politique américaine — tout comme notre politique — changera au fil des gouvernements, mais on ne peut prédire ces changements.
Globalement, toutefois, nous sommes en phase avec notre allié du Sud, comme nous le sommes avec nos alliés de l’OTAN, quant à notre vision d’un monde stable, et c’est pourquoi, je crois, nos deux gouvernements appuient le Traité sur le commerce des armes. Ce traité ne nous vise pas nous. Il vise à régler des problèmes ailleurs dans le monde, là où ils sont bien réels.
La sénatrice Bovey : Merci.
La présidente : Monsieur Wolf, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Wolf : Sans entrer dans les détails et donner des conseils sur la politique canadienne, lorsque j’ai dit que je rencontrais mes homologues canadiens chaque année, je ne parlais pas seulement de moi. Je parlais des rencontres des représentants du département de la Défense et du département d’État avec leurs homologues au Canada. L’objectif de la plupart de ces réunions — qui duraient habituellement toute une journée et auxquelles s’ajoutaient des réunions de suivi — était d’harmoniser, dans la mesure du possible, nos règles, politiques, conditions, définitions et structures relatives au contrôle des exportations, dans le but de réduire le fardeau réglementaire et de s’entendre au sujet de certaines préoccupations stratégiques. Ces réunions étaient tout à fait informelles. Elles n’étaient pas requises en vertu de la loi.
Notre objectif, à mes collègues et à moi, étant donné la nature de notre relation — et je comprends que vous vous préoccupez des changements qui ont eu lieu au sein de l’administration, mais je parle d’un point de vue historique — était de réduire le plus possible le fardeau des entreprises canadiennes. Lorsqu’il y avait un problème relatif aux politiques, au commerce, à certaines conditions, au fardeau ou aux obligations en matière de réexportation, nous tentions de le régler de façon bilatérale et informelle, et selon un accord mutuel. Ce n’est que mon expérience, j’en conviens, mais je vous en fais part aux fins de votre analyse.
Le sénateur Massicotte : Nous vous remercions tous les trois de votre présence. Je vais commencer avec M. Wolf.
Je suppose que la loi américaine permet au département de la Défense d’annuler ou de suspendre un permis lorsqu’il détermine que l’utilisateur final ou l’utilisation finale ne correspond pas à la demande de permis. Est-ce exact?
M. Wolf : Le département d’État et le département du Commerce ont certainement ce pouvoir, tant sur le plan militaire que sur le plan du double usage. Le régime d’application de la loi qui soutient le contrôle des articles à double usage et des articles militaires est robuste. Nous avons des agents spéciaux aux États-Unis et à l’étranger et un large éventail d’agents d’exécution de la loi qui peuvent bloquer une licence et intenter des poursuites civiles, criminelles ou autres pour empêcher le détournement de certains articles si l’exportation ne respecte pas les conditions de l’autorisation d’origine.
Le Congrès n’a pas ce pouvoir. L’Arms Export Control Act prévoit des exigences de notification au Congrès pour certains montants, selon qu’il s’agisse d’un allié de l’OTAN ou d’un autre allié, ou d’équipement de défense important ou non. On prévoit un montant différent pour les armes à feu, qui est beaucoup moins élevé. Le Congrès peut accepter une motion de désapprobation pour bloquer une licence, mais lorsqu’elle a été octroyée, la capacité de la retirer et d’appliquer la loi revient à l’administration, et non au Congrès.
Le sénateur Massicotte : Est-ce qu’il arrive souvent qu’on retire une licence?
M. Wolf : Au sein de l’administration, c’est peu fréquent. Lorsque cela se produit, c’est à propos d’une mesure d’application de la loi qui donnera lieu à une action civile ou criminelle. Je n’ai pas de données ou de statistiques à ce sujet, mais c’est peu fréquent, une fois par mois peut-être. Comme le gouvernement américain dispose de toute une gamme de ressources pour l’application de la loi et qu’il prenait, et prend, honnêtement, très au sérieux le respect des règles, cela se produit de temps en temps.
En passant, l’information n’est pas rendue publique. Vous ne trouverez pas d’information à ce sujet, car cela se passe habituellement dans le cadre d’une mesure que prend l’administration pour empêcher que le matériel soit expédié.
Le sénateur Massicotte : Que se passe-t-il pour le fournisseur? Il se pourrait qu’il ait signé un contrat pluriannuel pour fournir des munitions ou des pièces d’équipement et qu’aux termes du contrat, il ait l’obligation légale de poursuivre l’approvisionnement. L’État décide toutefois qu’il enfreint les règles et annule le permis. Je présume que le fournisseur s’expose alors à devoir verser une compensation importante aux clients. Est-ce le cas? Comment composez-vous avec cela?
M. Wolf : Les contrats contiennent habituellement une clause de force majeure stipulant qu’il y a exonération de responsabilité si, pour des raisons hors du contrôle des parties contractantes, il leur est impossible d’agir. L’intervention du gouvernement, l’obligation d’obtenir sa permission, est une clause standard incluse dans les contrats, alors si le gouvernement en vient à dire : « Tu n’exporteras plus dorénavant », il n’y a pas de responsabilité contractuelle.
Le sénateur Massicotte : C’est ce à quoi je m’attendais.
J’aimerais poser la question suivante à M. Byers. On nous dit au Canada qu’il est difficile d’annuler un contrat, avec l’Arabie saoudite, si je peux me permettre de la nommer, peu importe l’utilisation finale et l’utilisateur final, en raison de l’obligation contractuelle du fournisseur et des pénalités qui pourraient lui être imposées.
Je présume que le contrat devait contenir cette clause de force majeure. Comment interprétez-vous notre comportement et notre réaction puisqu’il semble que le fournisseur ne soit pas à risque?
M. Byers : Je vous remercie de la question. Je suis aussi perplexe que vous.
Je sais qu’il y a deux contrats en cause. L’un est un contrat entre General Dynamics Canada et la Corporation commerciale canadienne, et l’autre est un contrat entre la Corporation commerciale canadienne et le gouvernement de l’Arabie saoudite, et plus précisément, les services de sécurité du gouvernement. Il y a donc deux contrats. L’un est entre une entreprise privée et une société d’État, et l’autre est entre une société d’État et un gouvernement étranger, donc, essentiellement un contrat de gouvernement à gouvernement.
J’espère assurément que le contrat avec General Dynamics contient une clause de force majeure. Je n’ai pas vu le contrat, mais s’il ne contient pas cette clause, il a été mal rédigé.
Pour ce qui est du contrat d’État à État, il existe un principe similaire à celui de la force majeure en droit international public, en particulier lorsque des rapports des Nations Unies font état de violations des droits de la personne graves et de violations du droit humanitaire international par une des parties contractantes, et dans le présent cas, l’Arabie saoudite au Yémen.
Dans le Globe and Mail, j’ai suggéré au gouvernement d’utiliser un concept appelé jus cogens s’il souhaite se retirer du contrat sans devoir verser une pénalité importante. Je n’ai pas eu de réponse à ma suggestion, mais il y a certainement ici de très bons arguments en droit pour éviter d’avoir à payer une pénalité. Je pense que le problème en est plutôt un de réputation et de volonté politique, car on ne veut pas nuire à l’industrie militaire canadienne en étant perçu comme un pays sur lequel on ne peut pas compter en tout temps.
Je répète encore une fois que c’est une analyse juridique très rapide. Je pense que le gouvernement se cache un peu derrière un écran de fumée dans ce dossier.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Fergusson, avez-vous des commentaires?
M. Fergusson : Non, pas vraiment. Je ne suis pas au courant du contrat. Je suis plutôt d’accord avec M. Byers. Je trouve la position du gouvernement un peu curieuse, mais la fiabilité de l’industrie canadienne est un élément dont le gouvernement ne peut pas, et ne devrait pas, faire fi. Ce serait irresponsable et un manque de diligence raisonnable de sa part d’agir autrement.
Le sénateur Massicotte : La ministre nous a dit hier que, même si les États-Unis ne font pas partie du processus, le Canada respecte encore le traité en tant que tel. Toutefois, selon ce que vous avez dit un peu plus tôt, la façon de faire les expéditions de matériel aux États-Unis à l’heure actuelle contrevient au traité. Toutefois, la ministre nous a dit clairement que ce n’était pas le cas. Même avec cette exception, le Canada respecte le traité. Monsieur Fergusson, êtes-vous du même avis que la ministre?
M. Fergusson : Oui, je le suis. C’est aussi simple que cela. Je pense que le Canada respecte le traité. Comme M. Wolf l’a fait valoir, la coopération et l’harmonisation, si on veut, qui ont cours entre le Canada et les États-Unis sont des éléments importants qu’il faut prendre en considération pour déterminer si nous respectons le nouveau traité.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Byers, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Byers : J’ai lu la disposition du traité qui exige une application intégrale du régime de contrôle des exportations, et il n’y a pas d’application intégrale lorsqu’il y a une exception. Cela va à l’encontre des règles standards d’interprétation des traités internationaux établies dans la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Je ne suis pas d’accord avec la ministre sur ce point.
On peut vous avoir dit, et ce serait une erreur, qu’il n’y a pas de problème puisqu’une exception est prévue dans le Traité sur le commerce des armes pour les accords en matière de défense. Toutefois, cette exception ne s’applique qu’aux États parties au traité, ce qui n’est pas le cas des États-Unis, alors l’exception ne s’applique pas.
Avec tout le respect que je dois à la ministre, elle devrait retourner voir ses avocats et leur demander de réinterpréter l’obligation d’application intégrale.
Le sénateur Massicotte : Merci à tous.
Le sénateur Dean : Merci. J’ai une question pour M. Byers, mais les autres pourraient aussi vouloir intervenir. Je veux revenir à votre point de vue concernant les rapports sur les exportations aux États-Unis.
En l’absence de permis d’exportation, la publication de rapports serait en quelque sorte un moyen terme ou un compromis. Nous avons soulevé la question hier avec la ministre et elle nous a dit que Statistique Canada effectue un suivi de toutes les exportations, y compris les exportations aux États-Unis, en s’appuyant sur les déclarations faites à l’Agence des services frontaliers du Canada.
J’ai cru comprendre qu’elle était d’accord pour examiner les données de Statistique Canada sur les exportations aux États-Unis et envisager la possibilité d’inclure l’information dans le rapport général. Qu’en pensez-vous? Les autres peuvent aussi intervenir.
M. Byers : Je n’ai pas vu l’information recueillie par Statistique Canada, mais il est important de souligner que le gouvernement recueille déjà une partie de l’information, si bien que les craintes de M. Fergusson au sujet de la lourdeur du fardeau qui en résulterait sont sans doute excessives.
Je dirais que les entreprises responsables effectuent déjà un suivi de leurs exportations. Elles ont l’information. Elles travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement canadien. Il s’agit, après tout, d’armes et de matériel qui tuent des gens. On s’attend à ce qu’il y ait un certain degré de consignation et de communication de l’information.
Il est essentiel d’exiger que toute l’information sur les exportations aux États-Unis se trouve dans le rapport et que ce rapport soit rendu public, afin que nous sachions exactement tout ce qui traverse la frontière, de quoi il s’agit, et s’il y a eu transfert d’arme ou d’une composante d’un système d’armement vers d’autres pays.
Comme je l’ai mentionné, ce faisant, nous ne respecterons pas pleinement le Traité sur le commerce des armes, mais cela nous permettra d’avoir une discussion approfondie au pays sur ce que nous devons faire pour le respecter pleinement en mettant en place un régime de contrôle qui permet de trouver un équilibre entre nos obligations internationales et notre partenariat très important en matière de défense avec les États-Unis. Si c’était le cas, ce serait un très bon premier pas. Je recommande fortement au comité d’apporter un amendement en ce sens.
Le sénateur Dean : Les autres témoins aimeraient-ils intervenir?
M. Fergusson : J’ai plusieurs observations. Premièrement, il faut être conscient que, aux termes de l’Accord sur le partage de la production de défense avec les États-Unis, le Canada a reçu le mandat, ou accepté la responsabilité, d’effectuer le suivi du commerce du matériel de défense entre les deux pays. Il y a environ 25 ans, le ministère — invoquant le manque de ressources — a simplement cessé de le faire. Il y a donc déjà un mécanisme en place, et ce n’est pas Statistique Canada.
Il est vrai que Statistique Canada effectue un suivi par l’entremise de l’Agence des services frontaliers du Canada, mais il y a un problème important : comment savoir s’il s’agit ou non de matériel de défense lorsque les chaînes d’approvisionnement sont intégrées? C’est la même chose dans le secteur industriel de la défense, quoi qu’on fasse aujourd’hui — car nous avons tendance à fonctionner sur un modèle passé, et non actuel — pour tenter d’en comprendre la nature complexe.
La situation est analogue à celle de l’industrie automobile, dont les composants font des allers-retours et finissent par faire partie d’un système intégré. Ces composants peuvent avoir ou ne pas avoir une application militaire, mais comment effectuer un suivi?
On peut avoir une entreprise au Canada qui fournit un machin à un fournisseur principal aux États-Unis, ou à un sous-traitant aux États-Unis qui le fournira à un fournisseur principal. Le fournisseur ne sait pas, et ne saurait pas, qu’il s’agit de matériel de défense, alors c’est vraiment complexe.
Il faut parler des ressources, car, contrairement à ce qu’a dit M. Byers, quand il s’agit de compétitivité, que ce soit sur le marché mondial ou sur notre marché de la défense — qui est vraiment celui de nos alliés aux États-Unis —, les petits fardeaux font toute la différente dans la survie d’une entreprise. Quand on commence à ajouter des fardeaux, car pour pouvoir faire rapport les entreprises devront démêler le militaire du reste, cela aura pour elles des répercussions juridiques et leur ajoutera des fardeaux administratifs. Cela pourrait être suffisant pour causer un tort important à nos entreprises et rompre les chaînes d’approvisionnement.
Pour reprendre l’exemple du Super Tucano qu’a donné M. Byers, même si on s’efforce de comprendre le contexte particulier des frappes aériennes qui tuent des civils dans un pays où il y a une insurrection en cours, et toutes les difficultés que cela soulève, le fait est que du point de vue des entreprises, si Pratt & Whitney Canada ne fournit pas les moteurs, ils vont trouver un autre fournisseur qui le fera. Cela influera sur les possibilités dans les marchés mondiaux.
En ce qui a trait aux investissements, si on pense aux retombées industrielles et technologiques, un des objectifs du programme n’est pas seulement d’inciter les entreprises à investir au Canada, mais aussi de veiller à ce que les entreprises au Canada aient plus qu’un mandat de produits nationaux.
Ce qui va arriver, c’est que les fournisseurs principaux aux États-Unis qui commencent à tirer parti du petit marché de la défense au Canada vont se rendre compte que cela n’en vaut pas la peine, car on ne peut pas leur donner un mandat global, car il y a maintenant trop de restrictions. Ils vont pouvoir trouver à moindre coût ailleurs. La chaîne commencera alors à se désintégrer.
Permettez-moi de soulever un dernier point. Quand on parle d’intégration de la défense entre le Canada et les États-Unis en Amérique du Nord, cette intégration est à l’image de la profonde intégration économique entre les deux pays. Il ne s’agit pas d’un élément distinct et l’effet d’entraînement que cela peut avoir est difficile à comprendre et à suivre. On finit par obtenir des preuves anecdotiques, plutôt que systémiques, car il est tout simplement trop difficile à l’heure actuelle d’avoir un portrait global de la situation.
Le sénateur Dean : Une brève réponse. Les fabricants nous ont parlé du fardeau réglementaire. Si Statistique Canada recueille déjà des données — c’est déjà en cours, mais je ne sais pas à quelle fréquence —, il se pourrait donc que le fardeau soit déjà là dans une certaine mesure. Ne serait-il pas utile pour ceux qui souhaitent que plus d’information soit rendue publique sur les exportations aux États-Unis d’avoir un meilleur accès aux données que Statistique Canada recueille déjà avec une certaine régularité? C’est la question.
Je ne propose pas qu’on recueille plus de données, qu’on ajoute un quelconque fardeau aux fabricants à ce qui existe déjà, mais que les données qui sont déjà recueillies et qui sont diffusées dans une certaine mesure soient incluses dans un rapport sur les exportations d’armement. C’est la seule question.
M. Fergusson : Le problème tient au manque de précision des données de Statistique Canada, si j’ai bien compris. Il faut qu’il y ait un certain niveau de précision, à savoir s’il s’agit de matériel de défense uniquement ou de matériel à double usage, et quelle est la destination. À ma connaissance — et je ne suis pas un expert en matière de données et de ce qui est diffusé à la population ou aux organismes gouvernementaux — et si cela ne cause aucun problème, quel niveau de précision obtiendra-t-on? Qu’apprendra-t-on vraiment? J’ai des doutes à ce sujet.
Le sénateur Dean : Voyons d’abord ce qu’il en est.
La présidente : M. Byers aimerait ajouter quelque chose. Je vois qu’il a la main levée.
M. Byers : J’aimerais simplement ajouter que la protection des droits de la personne est toujours un fardeau pour les gouvernements et l’industrie. Pour protéger les droits de la personne, il faut faire un effort. Il faut du temps et cela coûte de l’argent, mais les démocraties occidentales ont fait le choix de protéger les droits de la personne, tant à titre de politique que de position éthique.
J’aimerais également mentionner que, oui, M. Fergusson a raison, les systèmes à double usage posent problème, et un machin est un machin, et ce n’est peut-être pas si important d’effectuer un suivi. Toutefois, un turbopropulseur de haute technologie pour un avion qui doit être envoyé à la Sierra Nevada Corporation pour être intégré à un avion d’attaque au sol, ce genre de chose est relativement facile à suivre, et on devrait le faire et on devrait publier l’information.
En terminant, j’aimerais ajouter que l’argument voulant que si nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre le fera, est sans doute le pire que j’aie entendu, car on pourrait ainsi justifier à peu près n’importe quoi. Nous devons faire ce qui est bien et ce qu’exige le traité international que le gouvernement s’est engagé à ratifier.
La présidente : Merci.
Le sénateur MacDonald : Je vais poser ma question à vous trois, et sentez-vous libres d’y répondre. À l’article 7 du Traité sur le commerce des armes, on trouve les critères que les États doivent suivre lorsqu’ils délivrent un permis d’exportation pour du matériel de défense. Nous savons que plusieurs grands pays, comme la Russie, la Chine et les États-Unis, ne sont pas parties au traité. Les pays qui le sont détermineront eux-mêmes s’ils respectent le traité.
Dans quelle mesure l’autosurveillance des États permettra-t-elle de mieux prévenir l’acheminement illégal d’armes dans les zones de conflit?
M. Fergusson : La réponse est que cela ne le préviendra pas.
Le sénateur MacDonald : Non.
M. Fergusson : C’est aussi simple que cela. Cela ne le préviendra pas. Les pays sont responsables ou ne sont pas responsables. À mon avis, dans le cas du Canada et des États-Unis et de nos alliés, nos principaux alliés, nous assumons nos responsabilités. Nous prenons en compte les droits de la personne dans nos décisions.
Au sujet des problèmes précis liés au commerce des armes conventionnelles que les Nations Unies tentent de cibler, comme je m’efforce de le faire valoir, cela ne concerne pas le Canada. C’est l’un des problèmes ici.
C’est de l’autoréglementation, en fin de compte, parce qu’il s’agit d’un accord entre pays souverains. Il se pourrait qu’il y ait un effet marginal, mais cela ne changera pas beaucoup les enjeux politiques et économiques derrière le commerce du matériel de défense.
Il ne s’agit pas de se dire : « Pourquoi pas nous, puisque quelqu’un d’autre le fera à notre place? », mais il faut également être conscients de ce que le marché assumera et des coûts que nous sommes prêts à assumer, au sujet des différences parfois minimes entre nous, les États-Unis et nos alliés de l’OTAN pour décider si nous devrions vendre des armes à d’autres gouvernements.
En gros, les réponses anecdotiques ne reflètent pas vraiment la réalité du consensus et de l’accord entre toutes les nations.
Les entreprises vont faire ce que font les entreprises. Le comité, et le gouvernement lorsqu’il ira de l’avant — car je présume que c’est ce qui se produira — doit toutefois tenir compte de ces réalités, plutôt que d’en faire fi sur la base de preuves anecdotiques.
M. Byers : Il y a deux décennies, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Lloyd Axworthy, a tenu une conférence de négociation à Ottawa dans le cadre d’une convention sur l’interdiction des mines antipersonnel. Les États-Unis, la Russie et la Chine n’y ont pas participé et n’ont pas ratifié la Convention d’Ottawa qui en a découlé. Cette situation n’est pas sans rappeler celle qui concerne le Traité sur le commerce des armes.
Vous pourriez vous demander en quoi cela changera la situation concernant les mines antipersonnel. Il est intéressant de constater que, deux décennies plus tard, non seulement l’utilisation de mines antipersonnel a diminué ou cessé chez les parties au traité, mais elle a aussi diminué chez les non-parties, car l’adoption du traité par nombre d’États, mais pas tous, a changé la perception de ce qui est moralement et politiquement acceptable à l’échelle internationale.
Personne n’est suffisamment naïf pour penser que les pays vraiment grands comme la Chine et la Russie prendront part au Traité sur le commerce des armes, mais un groupe de petites et moyennes démocraties le fait pour modifier le discours et ce qui est admissible à l’échelon international. Voilà pourquoi le gouvernement canadien veut ratifier ce traité. Ce n’est pas parce qu’il changera le monde instantanément, mais parce qu’il changera ce qu’on juge acceptable à long terme, ce qui permettra ainsi de sauver la vie à grand nombre de personnes innocentes.
M. Wolf : Je vais abonder dans le même sens que les deux groupes de commentaires précédents. De point de vue des Américains, la question d’assurer la conformité et de veiller à ce que le système de contrôle des exportations soit en place dans les pays étrangers était un critère très important pour déterminer s’il fallait approuver ou rejeter une demande en particulier, qu’elle soit du côté commercial ou militaire. Je suis conscient du fait que l’influence des États-Unis est différente, mais nous utiliserions l’effet de levier de l’économie américaine et du commerce de la défense pour encourager les pays à adopter des politiques avec lesquelles nous sommes d’accord.
Une des raisons pour lesquelles la loi américaine est extraterritoriale, c’est-à-dire qu’elle s’applique aux articles où qu’ils soient dans le monde, est pour affirmer les valeurs américaines, particulièrement sur le plan des droits de la personne, et aussi sur celui d’autres questions de commerce de la défense, quel que soit l’endroit où se trouvent les articles dans le monde. On peut s’en servir comme influence pour faire en sorte que d’autres pays respectent nos principes et adoptent leurs propres systèmes nationaux. L’absence d’un système a souvent été un motif important dans la décision de rejeter une demande.
Je sais bien que cela varie d’un gouvernement à l’autre. Je vous donne simplement mon point de vue pour répondre à votre question. Cela s’ajoute aux moyens diplomatiques ordinaires, aux messages, aux accords sur les traités, et cetera.
Le sénateur MacDonald : Je vais poser une autre question plus tard, si j’ai le temps.
La présidente : Nous manquons de temps.
Monsieur Wolf, vous avez parlé de l’OTAN et de nos engagements auprès de cette organisation. Cela influe-t-il de quelque façon que ce soit sur notre relation avec le NORAD? Nous n’en avons pas encore discuté officiellement.
M. Wolf : Ce n’est pas un sujet que j’ai traité, car je n’étais pas responsable des accords sur le NORAD. Je vais laisser à d’autres experts le soin de répondre aux questions sur le NORAD. J’étais spécialiste du commerce de la défense et les articles à double usage, pas des accords en général.
La présidente : J’ai une autre question. La ministre a parlé du fait que le monde a beaucoup changé récemment. Les temps sont beaucoup plus difficiles qu’il y a, disons, 20 ans, alors que certains d’entre nous ici présents parlions des dividendes de la paix après la fin de la guerre froide.
Lorsqu’on a recueilli des statistiques, on a toujours tenu compte de la question de ce qu’on doit dire et de ce qu’on doit taire, non seulement pour l’avantage concurrentiel — je pense que M. Fergusson en a parlé — mais aussi à des fins de sécurité. Vous ne voulez pas transmettre de renseignements à des personnes à l’extérieur de votre propre groupe, qu’il s’agisse de l’OTAN ou autre — c’est une des choses avec lesquelles l’OTAN a de la difficulté. J’ai été du côté parlementaire de la question. Nous voulons avoir le droit de savoir, et ils nous disent: « Si vous avez le droit de savoir, le reste du monde aussi. » Certains aspects du mouvement des armes, et cetera, devraient rester entre les experts ou les ministres responsables.
Où fixons-nous les limites de l’échange de renseignements? N’existent-elles plus dans ce monde où tout semble se trouver sur le Web avant que nous en soyons même informés?
M. Wolf : Si la question m’est adressée, il y a deux façons de voir cette situation. La première se rapporte aux renseignements classifiés qui ne se rapportent pas nécessairement aux articles de défense visés par un accord du Groupe des cinq.
Pour ce qui concerne la technologie, les renseignements qui se rapportent au développement ou à la production d’articles militaires ou à double usage, il est question d’une évaluation des risques concernant le niveau de confiance d’un pays à l’égard d’un autre. Compte tenu de la robustesse de leur système de contrôle des exportations et de l’alignement général des politiques en matière de sécurité, les États-Unis ont une grande confiance à l’endroit des pays de l’OTAN et d’autres pays qui participent aux régimes multilatéraux de contrôle des exportations. La plupart des types de technologie à double usage dans les articles militaires sont généralement approuvés — mais pas toujours — dans le contexte de l’OTAN et des membres du régime.
C’est une affaire de confiance. Sans elle, par exemple dans le cas de diversions importantes, de transferts ou de l’absence de contrôles par nos pays alliés, cela pourrait changer. J’ignore si j’ai répondu à votre question mais, de mon point de vue, c’est la perspective parmi les alliés.
La présidente : Merci, c’est très utile.
Nous avons dépassé notre horaire d’environ trois minutes, je crois. Sénateur MacDonald, voulez-vous continuer?
Le sénateur MacDonald : Nous pouvons passer à autre chose.
La présidente : Vous avez suscité beaucoup d’intérêt. Merci pour vos réponses. J’ai presque le sentiment que vous aimeriez dialoguer. J’aimerais écouter la discussion complète — comme les autres sénateurs, j’en suis sûre —, mais je pense que nous en avons suffisamment entendu pour comprendre les divers points de vue. Ce fut vraiment très utile.
Nous avons eu la partie avec nos collègues des États-Unis, qui nous a beaucoup aidés également. Au nom du comité, je tiens à vous remercier tous les trois.
Dans la seconde partie de notre réunion, nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et le Code criminel (modifications permettant l’adhésion au Traité sur le commerce des armes et autres modifications).
Nous sommes ravis d’accueillir à notre comité, de la Canadian Shooting Sports Association, M. Steve Torino, président, et M. Tony Bernardo, directeur général. Nous recevons aussi, de l’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité, Gary Stanley, président de Global Legal Services, P.C., et Christyn Cianfarani, présidente et chef de la direction. Bienvenue à vous tous.
Comme je l’ai déjà dit à notre premier groupe, notre temps est limité. Nous avons reçu les biographies des témoins, que nous avons diffusées, si bien que les membres du comité connaissent bien votre expérience. Nous vous demandons de commencer par vos remarques liminaires, et les sénateurs vous poseront ensuite des questions.
Nous allons procéder dans l’ordre que nous avons ici. Nous entendrons donc d’abord M. Torino et M. Bernardo, qui parleront au nom de la Canadian Shooting Sports Association.
Steve Torino, président, Canadian Shooting Sports Association : Merci beaucoup, mesdames et messieurs les membres du comité, de nous avoir invités à parler du projet de loi C-47 et à répondre à toutes les questions que nous pouvons à son égard. J’aimerais aussi donner des renseignements qui pourraient être utiles dans ce contexte.
Comme vous l’avez mentionné, je suis président de la Canadian Shooting Sports Association. J’ai aussi présidé le Comité consultatif canadien sur les armes à feu pour le gouvernement libéral de 1996 à 2006 et coprésidé le comité consultatif pour le gouvernement conservateur de façon continue jusqu’à 2014. J’ai aussi fait office de conseiller auprès de la délégation canadienne aux Nations Unies sur le Traité sur le commerce des armes pendant huit ans, soit jusqu’en 2014.
Le Traité sur le commerce des armes couvre non seulement les armes conventionnelles utilisées pendant les conflits, mais aussi les armes civiles légales, les munitions, les accessoires et les pièces connexes. Comme le projet de loi C-47 contient des modifications à la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, ce qui permet l’adhésion au Traité sur le commerce des armes, il convient de mentionner que le Canada est, en gros, une nation d’importateurs de ces produits et que toute modification aux politiques et aux pratiques en vigueur peut influer sur cette industrie de 5 milliards de dollars et ses clients.
Les membres de la CSSA se préoccupent des effets négatifs que pourrait avoir la mise en œuvre du Traité sur le commerce des armes et le projet de loi C-47, y compris une réduction potentielle des exportations au Canada d’armes à feu civiles, de munitions et de pièces et accessoires connexes actuellement disponibles. Les importations annuelles canadiennes d’armes à feu civiles, de munitions, de pièces et d’accessoires dépassent les 400 millions de dollars. Elles sont nettement plus élevées que l’an dernier.
En outre, les membres de la communauté des armes se préoccupent d’un éventuel retour à un registre des armes à feu et des munitions, auquel on fait allusion à l’article 12 du traité.
L’inclusion du courtage dans le projet de loi C-47 semble être une modification majeure à la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et au Code criminel. Pour autant que nous sachions, cette modification n’aurait une incidence sur aucun courtier illégal au Canada, et tous les courtiers légitimes se conforment aux normes canadiennes. On s’interroge sur les événements et les consultations subséquentes qui inspireraient cette modification.
Les règles du Canada régissant l’importation et l’exportation des armes conventionnelles et des armes légères et de petit calibre débordent le cadre des lignes directrices du Traité sur le commerce des armes. Je crois qu’elles les dépassent largement, si j’en juge par mon expérience personnelle. Les pratiques canadiennes en matière d’exportation sont bien établies. Les contrôles du Canada en matière d’importation et d’exportation sont plus stricts que les exigences du traité de l’ONU et sont parallèles à ceux de nos principaux alliés et partenaires des grands régimes de contrôle des exportations. Nous avons observé que les responsables du contrôle des exportations du Canada participent activement à l’analyse de chaque transfert proposé.
Une bonne partie du reste du projet de loi C-47 semble faire allusion à la codification des politiques et pratiques courantes ou à la création de modifications y afférentes.
Les conflits actuels dans le monde soulèvent des questions quant à l’efficacité des contrôles du Traité sur le commerce des armes alors qu’une myriade d’armes apparaissent entre les mains d’insurgés qui sont réputés compromettre la paix dans les régions touchées. De plus, l’origine des armes ayant servi à commettre la série actuelle d’attaques terroristes dans le monde soulève des questions semblables.
Merci de m’avoir permis de faire cet exposé. J’aimerais céder le temps qu’il me reste à mon collègue, M. Tony Bernardo. Merci.
Tony Bernardo, directeur général, Canadian Shooting Sports Association : Merci, madame la présidente et membres du comité, de nous avoir invités. J’espère que cet exposé vous sera utile.
Je suis directeur général de la Canadian Shooting Sports Association, principale association d’armes à feu civiles au Canada. Ma participation au Comité consultatif canadien sur les armes à feu a commencé avec l’honorable Anne McLellan pour se terminer avec l’honorable Steven Blaney. J’ai aussi été membre du comité ministériel technique des experts en armes à feu et j’ai pris part aux discussions sur le Traité sur le commerce des armes par l’intermédiaire de mon rôle de membre exécutif du World Forum on Shooting Activities, ONG qui participe au Traité sur le commerce des armes.
Je vais limiter mes remarques au traité en tant que tel, et non au projet de loi C-47, étant donné que l’objectif de cette mesure législative est de valider les dispositions du traité.
Le Traité sur le commerce des armes était censé être adopté par consensus. Comme il a été impossible de dégager un consensus en avril 2013, il a été adopté par un simple vote à la majorité aux Nations Unies. Ce n’est généralement pas la façon de faire. Dans sa version actuelle, l’article 20 du Traité sur le commerce des armes énonce clairement que les modifications futures peuvent être adoptées par une majorité de 75 p. 100 des États parties présents au moment du vote.
Permettez-moi de vous lire les parties pertinentes de l’article 20, « Amendements ».
1. Six ans après l’entrée en vigueur du présent Traité, tout État Partie pourra y proposer des amendements. À l’expiration de ce délai, les amendements proposés pourront uniquement être examinés par la Conférence des États Parties tous les trois ans. [...]
3. Les États Parties font tout leur possible pour parvenir à un consensus sur chaque amendement. Si aucun accord n’est trouvé malgré les efforts déployés, l’amendement est, en dernier ressort, adopté par un vote majoritaire des trois quarts des États Parties présents et votant à la Conférence des États Parties. Aux fins du présent article, les États Parties présents et votants sont ceux qui sont présents et qui votent pour ou contre. Le Dépositaire communique aux États Parties tout amendement ainsi adopté.
Un simple vote à la majorité par les États parties pourrait modifier les politiques de travail en vigueur du Canada et remettre les décisions entre les mains des États parties qui, dans certains cas, sont aux prises avec de sérieux conflits et qui pourraient interpréter toute modification proposée au Traité sur le commerce des armes à feu à la lumière de leurs propres problèmes. Cette interprétation pourrait avoir des conséquences imprévues et non souhaitées pour le Canada puisque nos contrôles dépassent généralement ceux de la plupart des États parties.
Lorsque le Canada signe ce traité, nous serions assujettis à toute modification qu’y apporteraient les autres nations sans avoir beaucoup d’ascendant sur le résultat final. On pourrait estimer que ce n’est pas nécessairement la meilleure façon de maintenir nos capacités décisionnelles dans un Canada souverain.
Nous recommandons d’inclure au projet de loi C-47 des termes qui élimineraient le risque que cette mesure législative crée de nouvelles lois nationales sur les armes à feu ou un registre futur des armes à feu conformément à l’engagement pris par le gouvernement au pouvoir.
Je vous remercie beaucoup du temps que vous m’avez accordé et de l’occasion que vous m’avez donnée de m’adresser au comité. Je termine ici mes remarques.
Gary Stanley, président, Global Legal Services, P.C. : Si vous me le permettez, pour sauver du temps, j’aimerais simplement résumer mes remarques liminaires.
Je m’appelle Gary Stanley et je suis président de Global Legal Services à Washington, D.C., cabinet d’avocats qui conseille principalement les entreprises américaines et étrangères sur les questions de contrôle des exportations et des réexportations des États-Unis. Je tiens à faire remarquer que je considère que mon témoignage devant le présent comité est un des points forts de ma carrière juridique de 40 ans. Je vous suis sincèrement reconnaissant de me donner l’occasion de le faire.
Ma pratique juridique, mon cabinet juridique couvre la gamme complète des questions de contrôle des exportations, y compris celle d’aider les entreprises à préparer des demandes de permis dans le cadre du système américain, de les conseiller sur la façon de renforcer leurs programmes de conformité et, oui, à l’occasion, de les aider, de les représenter dans le cadre de procédures d’application civiles lorsqu’elles ont enfreint les lois.
Je suis très fier de dire que je compte actuellement nombre de sociétés canadiennes parmi mes clients. Elles vont des petites aux assez grandes entreprises et produisent des articles aussi variés que des logiciels de contrôle des turbines à gaz, de la robotique spatiale et des cartes de circuits imprimés. Il leur arrive d’avoir des entreprises des États-Unis comme fournisseurs et clients. Je crois que cela m’a donné un gros plan sur la façon dont les contrôles des exportations américains et canadiens influent quotidiennement sur l’industrie de la défense nord-américaine.
Je mentionne en terminant un incident survenu en 2003, année où j’ai créé mon cabinet d’avocats actuel. Une entreprise canadienne très frustrée a fait appel à mes services parce qu’elle estimait que les règles du jeu n’étaient pas égales. Il s’agissait d’une entreprise canadienne qui fabriquait des cartes de circuits imprimés, pas quelque chose qui est, en soi, fatal, qui tue des gens, mais lorsqu’elle tentait de vendre ses services aux États-Unis, nombre d’entreprises américaines lui disaient qu’elle était au Canada et que, si elles faisaient affaire avec elle, elles finiraient inévitablement par être soumises à des contrôles des exportations des États-Unis et bien de la paperasse, alors, à tout prendre, elles préféraient faire affaire avec une autre entreprise américaine. Encore une fois, c’était en 2003.
L’entreprise canadienne était si frustrée de la situation qu’elle voulait retenir mes services pour lui permettre de dire à ces entreprises américaines: « M. Stanley vous aidera gratuitement. Nous paierons pour vous aider à gérer le fardeau de la conformité. »
Depuis, comme M. Wolf l’a décrit, de nombreux changements ont été apportés aux contrôles à l’exportation des États-Unis. À l’époque, en 2013, l’ITAR régissait le commerce des circuits imprimés pour les systèmes militaires. Encore là, il y avait une exemption en vertu de l’ITAR pour le commerce avec le Canada. Cependant, d’après mon expérience et celle de cette entreprise canadienne, bon nombre d’entreprises affirment qu’il est très difficile de se prévaloir de l’exemption pour le Canada prévue à l’article 126.5 de l’ITAR. Les entreprises préfèrent tout simplement demander une licence. Si elles doivent demander une licence, elles préfèrent se tourner vers une entreprise américaine.
Je mentionne tout cela parce que j’ai l’impression que les intervenants ont souvent l’impression que, si certains contrôles sont bons, c’est bien d’en avoir plus. À l’instar de M. Wolf, j’ai passé en revue notre expérience avec la réforme des contrôles à l’exportation. J’aimerais avoir l’occasion de discuter avec vous d’un rapport dont l’ancien secrétaire à la Défense, Robert Gates, a dirigé les travaux dans le milieu des années 2000, et ce rapport s’est penché sur les contrôles à l’exportation des États-Unis et à de nombreux égards sur les conséquences imprévues de ces contrôles. Par « conséquences imprévues », nous entendons les conséquences sur l’interopérabilité parmi les alliés, les conséquences sur la capacité des États-Unis d’obtenir la meilleure technologie de calibre mondial sur le marché et les conséquences sur la base de défense et l’incapacité de profiter des économies d’échelle que permet le libre marché.
En septembre dernier, je crois que le gouvernement français a annoncé son intention d’avoir une politique d’approvisionnement en matière de défense qui exclut les produits américains, parce que les autorités françaises voulaient éviter les contrôles à la réimportation des États-Unis concernant des systèmes fabriqués en France.
Je ne dis pas que les contrôles à l’exportation ne sont pas nécessaires. Ils le sont, évidemment, mais je crois qu’il faut tenir compte de l’analyse coûts-avantages de toute proposition.
Je suis prêt à répondre à vos questions. À l’instar de M. Wolf, les opinions exprimées dans mes réponses sont uniquement les miennes et elles ne représentent pas nécessairement celles de mes clients ou de toute autre personne.
La présidente : Merci, monsieur Stanley. Passons maintenant à Christyn Cianfarani, présidente et chef de la direction de l’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité.
[Français]
Christyn Cianfarani, présidente et chef de la direction, Association des industries canadiennes de défense et de sécurité : Bon après-midi. Puisque la plupart des termes techniques sont en anglais, je vais livrer mes remarques dans cette langue. Cependant, n’hésitez pas à me poser vos questions dans la langue de votre choix.
[Traduction]
Bonjour. Merci de nous avoir invités à venir discuter avec vous du projet de loi C-47 et du Traité sur le commerce des armes des Nations Unies.
L’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité est le porte-parole national de plus de 900 entreprises des secteurs de la défense et de la sécurité. Nos membres sont fiers de fournir des produits et des services de calibre mondial aux Forces armées canadiennes, à la Garde côtière canadienne et aux fournisseurs canadiens de services de sécurité.
Pour situer mon exposé dans son contexte, j’aimerais tout d’abord vous donner quelques faits au sujet de l’industrie canadienne de la défense.
Selon Statistique Canada, notre industrie offre du travail à 60 000 Canadiens et elle génère des recettes de l’ordre de 10 milliards de dollars par année. L’impression selon laquelle notre industrie se compose d’immenses sociétés anonymes qui fabriquent des armes est simplement fausse; pas moins de 90 p. 100 des entreprises du secteur de la défense sont de petites ou de moyennes entreprises. Les disciplines des sciences, de la technologie, du génie et des mathématiques abondent dans l’industrie de la défense. L’industrie offre des salaires 60 p. 100 plus élevés que la moyenne dans le secteur manufacturier, et notre industrie investit 4,5 fois plus en R-D que la moyenne dans le secteur manufacturier, ce qui représente environ 400 millions de dollars par année.
Le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique a divisé le secteur en 21 catégories. Vous constaterez qu’il s’agit d’une industrie diverse et que les armes à feu, les munitions, les missiles, les roquettes et les autres munitions — les principaux produits visés par la non-prolifération en vertu du Traité sur le commerce des armes des Nations Unies — représentent seulement 5 p. 100 des ventes de l’industrie. Toutefois, je souligne que certains pourraient interpréter la manière dont le projet de loi est rédigé et croire que cela s’applique à l’ensemble de l’industrie, soit le 95 p. 100 qui inclut un peu de tout, des trains d’atterrissage aux joints d’étanchéité.
Cependant, la statistique importante pour la réunion d’aujourd’hui est que 60 p. 100 des recettes de l’industrie proviennent des exportations. Cela nous apprend que les entreprises canadiennes réussissent à tirer leur épingle du jeu dans un marché mondial hautement concurrentiel où le protectionnisme est accepté et monnaie courante. Ce profil en matière d’exportation est l’une des raisons qui expliquent pourquoi le projet de loi C-47 revêt une aussi grande importance pour nos entreprises.
Selon notre association, le Traité sur le commerce des armes des Nations Unies renforcera encore plus ce qui est déjà un régime de contrôle à l’exportation très strict au Canada. Le voici; c’est imprimé recto verso pour éviter le gaspillage de papier. Nos membres se conforment entièrement au régime. Nous sommes d’avis que l’adhésion au traité des Nations Unies contribuera à encourager d’autres pays à adopter des normes plus rigoureuses comme ce qui prévaut au Canada.
L’association a exercé des pressions sur le gouvernement du Canada il y a deux ans pour lui demander d’adhérer au traité. J’ai également témoigné devant le Comité permanent des affaires étrangères de la Chambre des communes l’an dernier pour exprimer notre soutien à l’égard du projet de loi C-47.
Comme vous le savez peut-être, le projet de loi C-47 a récemment été amendé pour inclure les critères utilisés pour la délivrance de licences d’exportation dans la mesure législative au lieu que cela se trouve dans les mesures réglementaires, comme c’était proposé au départ. Cela signifie que le Canada va au-delà de ce qui est requis dans le Traité sur le commerce des armes des Nations Unies. Cela signifie aussi qu’il est crucial de clairement définir certains termes et concepts du projet de loi, comme « armements de guerre ».
J’aimerais aussi exprimer une mise en garde concernant l’application possible du projet de loi C-47. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, interdirait la délivrance de licences d’exportation de marchandises contrôlées s’il y a un risque substantiel que ces marchandises puissent servir à la commission de violations des droits de la personne. Nous présumons que cette modification signifie qu’Affaires mondiales Canada devra revoir les processus internes actuels pour évaluer les demandes ou en créer de nouvelles. Nous espérons que cela ne signifie pas que le délai pour l’approbation des licences sera plus long, et nous exhortons le gouvernement à s’assurer que le ministère dispose des ressources adéquates pour accomplir ces nouvelles fonctions.
Nous avons déjà constaté un changement en ce qui concerne le processus d’approbation des licences d’exportation. Le nombre de demandes de licences concernant des marchandises et des services militaires qui n’ont pas été traitées dans les 40 jours, ce qui correspond à la norme de service du gouvernement concernant le traitement des demandes, est passé de 65 en 2016 à 228 en 2017. Si le nombre de demandes de licences qui ne sont pas traitées dans les délais prévus dans les normes de service du gouvernement continue d’augmenter pendant plusieurs années, cela pourrait avoir des répercussions négatives durables sur l’industrie canadienne et l’image du Canada comme nation avec laquelle faire des affaires.
Le gouvernement doit impérativement faire connaître à l’industrie le plus tôt possible et le plus clairement possible son degré de confort par rapport aux exportations vers un pays ou un utilisateur final précis. Les licences d’exportation sont la dernière étape du processus d’approbation et non la première, et cela peut prendre des mois, voire des années, pour atteindre cette étape. Aucune entreprise n’a intérêt à consacrer en vain temps et argent à la conclusion d’accords qui sont voués à l’échec.
Nos entreprises membres, dont 90 p. 100 sont des PME, ne sont pas spécialistes en politique étrangère ou en pratiques relatives aux droits de la personne. Elles n’ont pas les ressources nécessaires pour porter des jugements dans ce domaine, d’autant plus que les pratiques et les politiques varient énormément dans le monde et qu’elles semblent évoluer plus rapidement que par le passé. Nous sommes convaincus que le gouvernement doit collaborer avec les entreprises pour améliorer la communication et la transparence à cet égard.
Avant de conclure mon exposé, j’aimerais traiter d’un autre enjeu qui a été soulevé durant les délibérations à la Chambre et au Sénat au sujet du projet de loi; je fais allusion à l’argument selon lequel le projet de loi C-47 doit être amendé pour exiger des licences pour effectuer des exportations aux États-Unis.
Premièrement, il est erroné d’affirmer que nous ne nous conformons pas au Traité sur le commerce des armes des Nations Unies en raison de notre exemption concernant les États-Unis. Je vous renvoie à un grand débat qui a eu lieu durant les délibérations à la Chambre à ce sujet.
Nous croyons que c’est une très mauvaise idée et nous nous opposons sans équivoque à l’imposition de licences pour effectuer des exportations aux États-Unis. Il s’agit d’une solution en quête d’un problème qui pourrait grandement nuire à la relation canado-américaine sur le plan de l’économie et de la sécurité nationale. Depuis l’Accord sur le partage de la production de défense de 1956, les entreprises canadiennes peuvent soumissionner les marchés principaux et les marchés de sous-traitance du ministère de la Défense des États-Unis. Pour venir s’ajouter à cet accord, la U.S. National Defence Authorization Act de 1993 a inscrit dans la loi la collaboration industrielle dans le secteur de la défense entre les deux pays.
En pratique, cela signifie que les dispositions de la loi Achetez américain ne s’appliquent pas et que le gouvernement canadien n’exige généralement pas de licence d’exportation pour les marchandises contrôlées destinées aux États-Unis. Cela permet des échanges comme ce dont a parlé John Saabas, de Pratt & Whitney Canada, c’est-à-dire de 3,5 à 4 millions de transactions d’exportation par mois.
Cette position privilégiée de notre industrie est quelque chose que le Royaume-Uni et l’Australie ont récemment cherché à obtenir et qu’ils ont obtenu dans une certaine mesure. Ces pays ne profitent pas d’une réduction des obstacles à la concurrence et d’une admission de leurs produits en franchise de droits contrairement au Canada. Toutefois, soyez certains que, si nous renonçons à notre position privilégiée, nos alliés seront très heureux de sauter sur l’occasion.
L’imposition de licences d’exportation pour les marchandises canadiennes de défense qui sont achetées par le gouvernement américain pourrait compromettre des ventes d’au moins 1 milliard de dollars par année pour l’industrie canadienne de la défense. Il ne faut pas oublier que ces marchandises ne peuvent pas quitter les États-Unis sans d’abord passer par le régime américain de contrôle à l’exportation et se conformer à l’International Traffic in Arms Regulations, qui est, à l’instar du nôtre, l’un des plus stricts au monde. En fait, en ce qui concerne la portée extraterritoriale, il est plus strict.
Qui plus est, la fin des échanges sans licence enverrait un message à notre meilleur allié et partenaire au sein du NORAD qu’après des décennies de collaboration fructueuse en matière de défense, nous ne lui faisons plus confiance.
L’imposition de licences pour effectuer des exportations aux États-Unis pourrait nuire à l’industrie canadienne de la défense et faire en sorte que le Canada soit plus — et non moins — dépendant des États-Unis pour le matériel de défense. Cela réduirait encore plus la souveraineté du Canada; cela ne la renforcerait pas, comme le prétendent certains partisans qui souhaitent la fin des échanges sans licence.
Honorables sénateurs, je ne crois pas avoir besoin de vous dire que ce serait un mauvais message à envoyer aux Américains, indépendamment du contexte, mais ce le serait en particulier compte tenu du contexte actuel des relations canado-américaines.
Je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de vous exprimer notre point de vue. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
La présidente : Merci à tous les témoins. Nous avons une liste de sénateurs qui souhaitent vous poser des questions.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : J’ai deux questions qui s’adressent à la Canadian Shooting Sports Association, soit à M. Bernardo ou à M. Torino.
Est-ce que vos membres sont des personnes qui utilisent des armes à des fins sportives et récréatives seulement, ou est-ce que vous comptez des exportateurs parmi vos membres? Est-ce que certains de vos membres font le commerce des armes à feu, et sont donc membres de votre association à ce titre?
[Traduction]
M. Bernardo : Parlez-vous des particuliers?
La sénatrice Saint-Germain : Je parle des membres de votre association, soit l’Association des sports de tir du Canada. Sont-ils des commerçants ou s’agit-il de personnes qui utilisent des armes à des fins récréatives?
M. Bernardo : Ce sont surtout des gens qui utilisent des armes à des fins récréatives, mais il y a certaines entreprises qui sont membres de notre association et qui importent et exportent des armes à feu.
La sénatrice Saint-Germain : Êtes-vous au courant que la Chambre des communes a adopté un amendement au projet de loi C-47 concernant l’utilisation à des fins récréatives qui fait en sorte qu’aucune licence n’est nécessaire pour l’importation ou l’exportation et que le Traité sur le commerce des armes n’a aucune incidence? Autrement dit, le Traité sur le commerce des armes et le projet de loi C-47 ne toucheront pas vos membres; vous n’avez donc pas à vous en inquiéter.
M. Bernardo : Oui.
La sénatrice Saint-Germain : Cet amendement au projet de loi se trouve au paragraphe 10.3(9). J’ai seulement la version française. Je suis désolée, mais je peux la lire, et vous pourrez écouter l’interprétation.
[Français]
Il est entendu que le présent article s’applique à une arme à feu seulement si, d’une part, elle figure sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée, la liste des marchandises de courtage contrôlé ou la liste des marchandises d’importation contrôlée et, d’autre part, elle fait l’objet d’une demande de licence, de certificat ou de toute autre autorisation en vertu de la présente loi.
[Traduction]
Par souci de clarté, pour l’utilisation à des fins récréatives, aucun permis pour le commerce n’est nécessaire; le Traité sur le commerce des armes ou le projet de loi C-47 n’ont aucune incidence.
M. Bernardo : Certaines armes à feu sont considérées à la fois comme des armes militaires et civiles. Les importateurs de ces armes à feu au Canada le font à de multiples fins, et ils sont visés. Ils doivent obtenir des certificats d’importation ou d’exportation en vue d’en faire le commerce.
Je répète que mes commentaires avaient davantage trait au Traité sur le commerce des armes des Nations Unies et à la possibilité que ce traité prenne une forme que nous ne voulons pas.
La sénatrice Saint-Germain : Oui. Toutefois, en vertu de ce traité, êtes-vous au courant qu’il y a des dispositions précises qui autorisent chaque pays membre à gérer les marchandises non destinées à l’exportation ou à l’importation ou l’utilisation des armes à des fins récréatives conformément aux lois et aux règlements internes? Cela ne vise pas l’utilisation à des fins récréatives.
M. Bernardo : Oui. Nous sommes au courant de la disposition du traité qui prévoit que chaque pays adopte ses propres lois en la matière. Toutefois, le Canada, comme M. Torino l’a expliqué, est principalement un pays d’importateurs en ce qui concerne les armes à feu. Nos armes à feu proviennent de partout dans le monde; je parle ici des armes à feu à des fins récréatives. Le Traité sur le commerce des armes évoluera. Des conférences ont lieu tous les trois ans, et une simple majorité des trois quarts peut décider du fonctionnement futur du régime d’importation et d’exportation. Nous craignons qu’il y ait des répercussions au Canada.
La sénatrice Saint-Germain : Merci. J’ai une brève question pour vous, madame Cianfarani.
[Français]
J’accepte avec plaisir votre offre de la poser en français. Vous n’avez pas fait référence à une modification importante qu’apporte le projet de loi C-47, celle du contrôle du courtage. Dorénavant, il sera nécessaire d’avoir un permis pour les transactions de courtage d’un tiers pays à un tiers pays. Est-ce que vous avez des commentaires à nous faire à ce propos?
[Traduction]
Mme Cianfarani : Oui. Nous considérons le courtage comme l’un des principaux nouveaux éléments du Traité sur le commerce des armes des Nations Unies, et le régime canadien de contrôle à l’exportation n’en traite pas. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous croyons que c’est en fait une bonne idée d’adhérer à ce traité.
Le courtage aura des effets sur les entreprises. Nous n’avons pas encore été pleinement consultés en ce qui concerne le courtage, ce qui sera défini au moyen de règlements, mais ces règlements ne nous ont pas encore été transmis. Ils le seront lorsque le Canada aura adhéré au Traité sur le commerce des armes des Nations Unies. Nous collaborerons avec Affaires mondiales Canada pour définir la forme que cela prendra et définir les mécanismes qui seront utilisés pour encadrer les registres, les rapports et la gestion du système de courtage.
Nous nous attendons évidemment à ce que ce soit fort probablement un fardeau pour les entreprises d’avoir une certaine liste des marchandises de courtage contrôlé.
La sénatrice Saint-Germain : Monsieur Stanley, aimeriez-vous ajouter quelque chose au sujet de la question du courtage?
M. Stanley : Je dirais que, avant le projet de réforme des contrôles à l’exportation de l’administration Obama, les États-Unis avaient probablement les règles les plus complexes et les plus exhaustives en matière de courtage dans le monde. Ces règles ont été quelque peu assouplies, parce que nous avons constaté que ce que nous essayions de faire, soit de les appliquer dans le cas de chaque courtier partout dans le monde, ne fonctionnait pas.
Les règles américaines actuelles prévoient que les courtiers qui se trouvent aux États-Unis doivent s’enregistrer et être agréés à ce titre, mais nous n’essayons plus d’imposer cela aux courtiers à l’étranger qui participent simplement à une transaction aux États-Unis.
La sénatrice Saint-Germain : Merci.
Le sénateur MacDonald : Ma première question s’adresse à Mme Cianfarani.
Je tiens à vous dire que je suis d’accord avec vous lorsque vous affirmez, en tant que présidente et chef de la direction de l’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité, que le fait d’imposer à l’industrie de la défense des permis à l’exportation pour des exportations destinées aux États-Unis est tout simplement ridicule. Je ne sais pas pourquoi nous devrions seulement envisager une telle chose.
L’autre jour, la ministre des Affaires étrangères a pris la parole devant le comité et elle a dit qu’elle allait relever la barre en ce qui concerne la délivrance de permis pour les exportations canadiennes en matière de défense et de sécurité. Voilà pour la position du ministère des Affaires étrangères.
Or, d’après les données dont nous disposons, les approbations concernant les exportations de matériel de défense du Canada ont ralenti. Les propres chiffres du ministère indiquent que, en 2017, quelque 413 demandes de permis ont été retirées, et 162 ont été retournées sans suivi.
Votre association est-elle au courant de ces statistiques? Lorsque vous les voyez, vous posez-vous des questions sur l’approche préconisée par Affaires mondiales Canada?
Mme Cianfarani : Nous sommes au fait de la situation. Nous avons des liens passablement étroits avec Affaires mondiales Canada en ce qui concerne les permis d’exportation. Lorsque les demandes sont bloquées quelque part dans le processus de traitement et que les entreprises ont de la difficulté à expliquer aux autres pays où ces demandes sont bloquées et quand lesdits permis seront délivrés, le gouvernement et l’industrie doivent coordonner leurs efforts pour dénouer l’impasse.
Nous devrions être en mesure d’isoler les permis qui, selon les entreprises, ne sont pas vraiment nécessaires. Le double usage devrait s’appliquer dans les cas où l’entreprise aurait fait une demande de permis par simple précaution.
Comme je l’ai mentionné, il y a beaucoup de petites et moyennes entreprises qui doivent faire des efforts considérables pour comprendre les contrôles à l’exportation. En fait, les très grandes entreprises auront toujours deux ou trois personnes qui se spécialisent dans les régimes de contrôle à l’exportation. Il arrive souvent que les petites entreprises présentent des demandes que le ministère leur retourne lorsqu’il constate qu’elles concernent simplement des biens commerciaux à double usage.
C’est une partie des demandes retournées.
Nous avons remarqué un ralentissement dans le processus de délivrance des permis. Il est attribuable à la difficulté que nous avons de juger à qui nous voulons vendre des biens et d’évaluer les systèmes de valeurs de ces autres pays. Il s’agit d’une zone grise. De par sa nature, et étant donné le contexte politique actuel et les événements qui se sont produits ces deux dernières années, Affaires mondiales Canada accorde une attention toute particulière à l’examen des demandes de permis et des entités à qui ces permis sont destinés. Rappelez-vous que l’autorisation concerne un certain bien pour une certaine application par un certain utilisateur final.
Nous avons vu ce qui se passe et nous collaborons avec le ministère pour veiller à ce que cela n’ait pas d’incidence grave, négative et préjudiciable sur l’industrie canadienne et sur notre réputation.
Le sénateur MacDonald : En avril 2018, le ministre Bains a annoncé la Politique des retombées industrielles et technologiques afin d’inciter les entrepreneurs du secteur de la défense à investir dans des capacités industrielles clés en matière de défense, et d’appuyer les investissements dans les capacités industrielles où le Canada est concurrentiel à l’échelle mondiale.
Croyez-vous que la ministre des Affaires étrangères vous accorde le même appui que le ministre Bains?
Mme Cianfarani : Je pense que la ministre des Affaires étrangères fait un travail très difficile en ce moment.
Le sénateur MacDonald : Ce n’est pas ce que je vous ai demandé.
Mme Cianfarani : Elle fait un travail très difficile. En tant que nation, nous devons trouver un équilibre entre les intérêts, les valeurs et l’économie. À l’heure actuelle, en ce qui concerne les pays où nous avons d’importants contrats de défense, c’est une position très difficile.
Le sénateur MacDonald : Cela ne répond pas vraiment à ma question, mais je vous remercie.
Le sénateur Massicotte : Merci à tous d’être ici. J’ai quelques brèves questions. Je veux m’assurer de bien comprendre votre position.
Monsieur Torino, monsieur Bernardo, vous acceptez le projet de loi tel qu’il est proposé, mais vous feriez une exception en raison de votre réserve sur le fait qu’un petit groupe de personnes pourrait modifier le traité. Ai-je raison de dire que c’est le seul amendement que vous recommanderiez?
M. Bernardo : Oui, je pense que ce serait la bonne façon de le présenter.
Le sénateur Massicotte : Madame Cianfarani, ai-je raison de dire que vous recommandez le projet de loi tel quel?
Mme Cianfarani : Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’apporter d’autres amendements.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Stanley, êtes-vous d’accord avec le projet de loi dans sa forme actuelle? Vous avez fait quelques mises en garde, mais vous ne recommandez aucun amendement.
M. Stanley : Je ne recommanderais certainement pas un amendement qui ajouterait au projet de loi le fardeau de l’octroi de licences d’exportation.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Stanley, j’aimerais que vous me donniez des précisions à ce sujet. Nous comprenons que, du moins aux États-Unis et probablement au Canada, lorsque la ministre octroie un permis, c’est souvent pour la livraison pluriannuelle de munitions. La demande soumise définit l’utilisation finale, l’utilisateur final et tout le reste.
Or, vous êtes maintenant peut-être à même de constater — et l’expérience américaine nous indique que cela arrive souvent — que l’utilisation réelle est contraire à ce qui était prévu ou décrit. On dirait que, très souvent, l’administration américaine annule en quelque sorte. Autrement dit, non seulement elle gèle les traitements futurs, mais elle annule le contrat sous prétexte qu’on ne respecte pas les conditions de l’accord. Il semble qu’un contrat type comporte une clause de force majeure, où il est stipulé que si quelque chose est imposé par le gouvernement, l’entrepreneur est libéré de tout dommage découlant de la fin de la relation.
C’est la théorie. C’est la vraie vie. Cependant, en ce qui concerne l’Arabie saoudite, si j’étais à la place de la ministre et que je devais faire cela, je me rapporterais au rapport produit l’an dernier. Essentiellement, il y a un contrat de 500 millions de dollars. C’est l’ampleur du commerce avec ce pays. Or, ce pays a récemment été très méprisant à l’égard des droits de la personne.
La ministre doit se dire qu’elle a effectivement le pouvoir d’agir en ce sens, mais sans perdre de vue qu’il y a un entrepreneur qui emploie un grand nombre de Canadiens, et que ces derniers seront probablement touchés financièrement. Cela risque aussi de susciter de l’inquiétude chez d’autres futurs fournisseurs, qui pourraient se dire : « Je remets en doute la fiabilité du Canada à titre de fournisseur parce qu’il utilise cette disposition de façon frivole ou trop promptement. »
Donnez-moi l’heure juste, parce que j’ai cru comprendre que les États-Unis utilisent assez souvent cette disposition et qu’ils ne se gênent pas pour mettre un terme à des contrats.
Par exemple, en 2012, il n’y a pas si longtemps, les autorités américaines ont pénalisé Pratt & Whitney et l’ont trouvée coupable d’avoir effectué une expédition contraire à l’accord sur l’utilisation finale. La société s’est vue imposer une amende de 75 millions de dollars. Cependant, malgré les recherches et la déclaration du département d’État américain, le Canada a décidé de ne pas percevoir cette somme et a tout simplement exempté Pratt & Whitney de cette responsabilité.
Qu’est-ce que la vraie vie? Il y a beaucoup d’information. Que faut-il faire en tant que ministre? Que devez-vous prendre en considération? C’est une décision qui a beaucoup d’impact, qui est lourde de conséquences. Qu’est censée être la vraie vie lorsque vous prenez ces décisions?
M. Stanley : Tout d’abord, je pense qu’il est important de faire certaines distinctions. Il y a les situations où les conditions d’une licence ont été violées, où les exportations qui étaient censées aller à l’utilisateur final A ont abouti entre les mains de l’utilisateur final B. Cela dit, je crois que c’est une situation qui est différente de celle que vous décrivez, c’est-à-dire celle où, conformément aux termes de la licence, les exportations vont à l’utilisateur final A, mais où de nouvelles informations au sujet de cet utilisateur final nous portent à nous demander s’il y avait lieu, au départ, d’approuver cette licence.
La situation de Pratt & Whitney Canada dont vous avez parlé correspond au premier scénario. Il y a eu une violation des conditions de l’approbation de licence qui avait été donnée quant à la façon dont Pratt & Whitney pouvait utiliser les marchandises et la technologie américaines.
L’impression que j’ai au sujet du débat qui a lieu en ce moment au Canada en ce qui concerne l’Arabie saoudite, c’est qu’il s’agit peut-être davantage du deuxième scénario. Des choses ont été approuvées, mais comme les conditions ont changé, devrions-nous revenir sur notre décision?
Je pense que c’est une décision que l’autorité politique doit prendre au cas par cas. D’après mon expérience, les entreprises ont des clauses de force majeure. J’avise mes clients d’inclure cela dans leurs contrats, mais aussi de prévoir une clause stipulant que toutes les parties devront respecter toutes les lois applicables en matière de contrôle des exportations. Ainsi, advenant la décision d’un gouvernement d’annuler une licence donnée, ces clauses contractuelles devraient assurer une certaine protection au titulaire de cette licence.
Le sénateur Massicotte : Merci.
Le sénateur Boehm : Ma question comporte deux volets, et je pense qu’elle s’adresse surtout à vous, madame Cianfarani.
Dans vos observations, vous avez dit que les processus internes d’Affaires mondiales Canada pourraient être améliorés. Cela va quelque peu dans le sens de la question du sénateur MacDonald. M. Byers en a parlé tout à l’heure.
Puisque j’ai déjà rédigé des rapports sur les droits de la personne lorsque j’étais en poste, en particulier en Amérique centrale, je sais que l’objectif provisoire de l’utilisation finale est presque multilatéral. C’était donc ce que nous faisions à l’ONU, que ce soit à New York ou à Genève. L’utilisation finale serait évaluée essentiellement en fonction des droits de la personne, et nous n’avons pas nécessairement franchi le mur pour faire parvenir ces considérations aux personnes qui autorisent nos exportations et nos importations.
J’aimerais savoir si vous êtes d’accord avec M. Byers pour dire qu’il serait très important d’obtenir rapidement cette analyse des droits de la personne et de la mettre à la disposition des divers membres de votre association. Cela leur donnerait des indications très claires quant aux destinataires qu’ils pourraient envisager pour leurs produits.
Mme Cianfarani : Oh, je croyais qu’il y avait deux volets.
Le sénateur Boehm : Si. Le prochain arrive.
Mme Cianfarani : Très bien. Oui, je conviens qu’il serait très utile de comprendre le plus tôt possible le degré d’acceptabilité des différents pays, et la position du gouvernement quant à sa volonté de vendre certains produits à ces pays.
Vous savez, nous avons jonglé avec l’idée d’avoir une sorte de carte des points chauds qui nous permettrait de voir ces régions du monde qui, à l’heure actuelle, sont problématiques du point de vue des droits de la personne ou, plus simplement — peut-être même en utilisant l’association pour les communiquer à notre communauté —, de publier les rapports sur les droits de la personne dans ces pays. Cela permettrait aux entreprises de mieux tenir compte de ces questions dans les évaluations des risques commerciaux auxquelles elles procèdent pour prendre des décisions d’avenir ou au sujet d’occasions possibles.
Oui, je suis d’accord pour dire que la communication, tant au sein du gouvernement qu’avec l’industrie, pourrait être améliorée, et ce, beaucoup plus tôt dans le processus qu’au stade de l’autorisation.
Le sénateur Boehm : Merci. Votre analogie avec la carte des points chauds s’applique probablement à ma prochaine question, sauf que vous ne seriez pas rouge. Vous auriez probablement une faible luminosité. Je veux parler ici des tarifs de l’article 232 sur l’acier et l’aluminium et, bien sûr, de nos représailles.
Je suppose que les membres de votre association s’adressent à leurs homologues et à leurs clients aux États-Unis. Or, une partie de cette démarche consiste à faire passer le message que nous ne sommes pas une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. Tout à l’heure, la présidente a parlé du NORAD. Il y a aussi la Commission permanente mixte de défense. Beaucoup de gens ne sont pas au courant de cela.
Y a-t-il des activités de sensibilisation? Est-ce que ces gens se parlent entre eux? Je veux dire, plus ces tarifs s’étireront dans le temps des deux côtés de la frontière, plus ils risquent d’être néfastes pour l’industrie canadienne.
Mme Cianfarani : Oui, il y a des choses qui se font. En tant qu’association, nous n’en sommes pas saisis. Certains de nos membres ont travaillé sur ce dossier. Comme vous pouvez l’imaginer, nos membres qui produisent actuellement des navires pour le Canada importent des quantités importantes d’acier, et ils sont inquiets. À ma connaissance, ils ont fait part de leurs préoccupations au ministre du Commerce international et ils participent aux discussions sur les allégements tarifaires entre les deux pays.
Je peux vous assurer que nous avons fait part au ministre de la Défense nationale de notre surprise et de notre mécontentement au sujet de l’utilisation de la sécurité nationale du Canada comme ruse pour imposer des tarifs.
Le sénateur Massicotte : J’ai une petite question rapide. Madame Cianfarani, étant donné que le gouvernement accorde beaucoup plus d’importance à son examen et qu’il semble qu’il sera dorénavant beaucoup plus enclin à réévaluer, à suspendre ou à annuler les permis accordés, je présume que vous allez vous dépêcher de conseiller à tous vos membres d’inclure des clauses de force majeure dans leurs contrats futurs, si ce n’est pas déjà le cas. C’est probablement un bon conseil à donner à vos membres de prévoir cette clause dans leurs contrats futurs. Êtes-vous d’accord avec cela?
Mme Cianfarani : Je pense que ce serait un bon conseil, oui.
Le sénateur Massicotte : Merci.
La présidente : Je me fais l’avocate du diable en ce qui concerne les points chauds. Si vous voulez être ministre des Affaires étrangères, vous devez comprendre que le monde peut changer en quelques secondes. L’analyse préalable pourrait donc être utile à vos industries, si vous connaissez la situation actuelle; et s’il y a des préoccupations à ce moment-là, il serait bon d’obtenir cette information plus tôt que tard.
Toutefois, dans la plupart des cas, nous avons eu affaire à des pays qui, disons, allaient dans la bonne direction. Les droits de la personne sont un continuum, et ils changent, tout comme l’économie. Vous prenez une décision basée sur ce que le pays est maintenant et sur son histoire. Certains semblent en bonne posture aujourd’hui, mais ils ne l’étaient pas hier. Or, allons-nous faire preuve d’optimisme ou nous demander s’il s’agit en fait d’un interlude? Ce sont des jugements de valeur que les ministres ont dû porter sur ces permis tout au long du processus.
Aujourd’hui, le fait est que les pays changent très rapidement. Nous avons vu le printemps arabe et toutes ces transformations. Nous connaissons des pays qui étaient sur la même longueur d’onde que nous, mais qui ne le sont plus autant qu’avant. Le problème, c’est que vous pouvez bien signer aujourd’hui, sauf que le ministre peut suspendre ou mettre fin à ce processus à n’importe quel moment à cause de questions de politique étrangère qui deviennent incontournables et qui appellent la mise en place de contrepoids.
Pensez-vous que nous sommes allés aussi loin que nous le pouvons dans le projet de loi C-47 pour essayer d’accorder une certaine discrétion à la ministre, tout en renforçant la certitude quant à ces enjeux qui ne cessent d’évoluer d’un pays à l’autre? L’Arabie saoudite était un sujet de conversation en raison de son bilan en matière de droits de la personne à l’intérieur même de ses frontières, puis ce fut au tour du Yémen. Ce n’est pas inhabituel. Vous avez répondu en disant qu’il serait utile d’avoir une telle information au préalable, mais serez-vous alors vraiment en meilleure posture? Voilà où je veux en venir.
Mme Cianfarani : Je pense bien que nous le serons, et la raison en est simple : lorsque nous effectuons des évaluations de risques commerciaux, il y a une prise de conscience. Même lorsqu’on travaille sur des contrats, on songe au rendement du capital investi et à toutes sortes d’autres facteurs financiers qui pourraient entrer en ligne de compte, par rapport à la quantité d’énergie et d’efforts qu’il faudrait consacrer dans une région précise, sachant que la carte des points chauds indique, disons, un potentiel de conflit dans cette zone. Tous ces facteurs pèseront dans la balance dès les premières étapes.
En passant, pour certains de ces contrats, le processus d’appel d’offres dure entre deux et trois ans, alors vous avez raison. Ce que nous savons au début du contrat pourrait ne pas correspondre à ce que nous savons à la fin, et cela pourrait certainement être différent de ce que nous savons durant le processus de délivrance des permis d’exportation.
Je pense que nous comprenons et respectons cet état de fait. Nous ne nous attendrions jamais à ce que notre entente initiale soit absolument pareille à la toute fin.
Le projet de loi est raisonnablement bien équilibré à cet égard, car il nous forcera à prendre en considération les aspects liés aux droits de la personne, lesquels sont d’ailleurs déjà pris en compte dans notre régime d’exportation actuel. Cependant, le projet de loi permet de les codifier dans la loi, et nous espérons qu’il favorisera également un dialogue plus efficace et plus prompt entre le gouvernement et l’industrie pour déterminer les régions du monde où nous pourrions faire face à des difficultés dans le cadre du régime de contrôle des exportations.
La présidente : Au risque de répéter ce que j’ai fait la dernière fois au comité, je dois revenir à la charge, et je vous prie de m’en excuser; les analystes et moi convenons qu’il y a une disposition en vertu de laquelle le gouvernement pourrait, en fait, se retirer de l’accord. On n’est pas lié par la règle des 75 p. 100. Si jamais les pays signataires voulaient aller dans une direction qui ne convenait pas au Canada, notre pays aurait le pouvoir de se retirer du traité. C’est pourquoi je pense que la présentation d’un rapport à la Chambre était si indispensable.
Selon moi, l’important pour les sénateurs, c’est que nous voulons nous assurer qu’il existe un mécanisme de désistement, si les choses n’évoluent pas comme nous le jugeons bon, et ce, non seulement en cas de force majeure, mais aussi en cas de retrait du traité. Ce n’est peut-être pas la situation idéale, monsieur Bernardo, mais je trouve quelque peu rassurant de savoir que nous pouvons nous retirer.
M. Bernardo : En effet.
La présidente : Je suis sûre que M. Stanley n’est pas en désaccord avec moi là-dessus.
Le sénateur MacDonald : J’aimerais vous poser une petite question avant que nous levions la séance. Vous avez parlé de codifier la loi. Une fois que ce sera fait — et M. Stanley voudra peut-être intervenir, lui aussi —, est-ce que cela augmentera le risque que certaines exportations de matériel de défense soient plus facilement contestées devant les tribunaux? Est-ce que cela va accroître le nombre de litiges? Ma question s’adresse à qui veut y répondre.
M. Stanley : Sénateur, puisqu’une éventuelle violation du traité fait partie du droit canadien, je ne suis pas en mesure de me prononcer sur ce qui serait possible ou non sur le plan des contestations judiciaires en vertu de la loi canadienne.
Le sénateur MacDonald : Qu’en pensez-vous?
Mme Cianfarani : Je ne sais vraiment pas. Nous n’avons pas d’opinion à ce sujet. Cela relèverait probablement du ministère de la Justice, car c’est la ministre de la Justice qui interviendra si quelqu’un décide que le Canada enfreint la loi relative au Traité sur le commerce des armes des Nations Unies, n’est-ce pas?
Le sénateur MacDonald : Merci.
La présidente : Je vous remercie. Nous avons fini juste à temps, ce qui est incroyable. Je sais que les sénateurs avaient d’autres questions à poser, mais je pense que nous avons abordé une gamme fort complète de sujets. Nous vous remercions de votre présence aujourd’hui. C’est extrêmement utile. Je crois que nous avons suivi la position de la Chambre des communes. Nous sommes au courant des modifications qui ont été apportées, mais dans le cadre de notre devoir, nous voulons examiner toutes les facettes de la question en consultant le plus grand nombre possible de personnes.
Vous nous avez certainement aidés à cet égard, madame et messieurs les témoins, alors au nom du comité, je tiens à vous remercier d’être venus nous faire part de vos opinions aujourd’hui.
(La séance est levée.)