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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 19 - Témoignages du 22 novembre 2016


OTTAWA, le mardi 22 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 18 h 55, pour poursuivre son étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités, Mme Lalancette et M. Pagé.

Ce soir, nous poursuivons notre étude sur l'acquisition de terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole. J'aimerais m'excuser auprès de nos témoins pour notre retard; le Sénat vient tout juste de s'ajourner.

[Traduction]

Avant de commencer, je vais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par le vice-président du comité.

Le sénateur Mercer : Sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bonsoir, Claudette Tardif, de l'Alberta.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Bonsoir. Je suis la sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario. Soyez les bienvenus et veuillez excuser notre retard.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonsoir, Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.

Le président : Ce soir, nous avons l'immense privilège d'accueillir des représentants de la Fédération de la relève agricole du Québec. Mme Michèle Lalancette, qui est du Lac-Saint-Jean, est présidente de la fédération, et M. Philippe Pagé, de l'Estrie, est coordonnateur interrégional - Sud.

Je vous présente la sénatrice Gagné, du Manitoba, qui se joint à nous. Le Parlement est éloigné de l'édifice Victoria. Les sénateurs arriveront sous peu et nous vous les présenterons au fur et à mesure.

Nous allons commencer par entendre Mme Lalancette. Je tiens à vous rappeler que nous disposons d'un peu plus d'une heure. Les sénateurs ont très hâte de vous entendre. Encore une fois, je vous souhaite la bienvenue. La parole est à vous, madame Lalancette.

Michèle Lalancette, présidente, Fédération de la relève agricole du Québec : Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir choisi la question de l'acquisition des terres comme sujet d'étude pour votre comité. Nous allons vous parler de l'accaparement des terres. C'est le terme que nous avons choisi au Québec.

Je vous remercie de nous avoir invités. C'est un plaisir pour nous d'être présents aujourd'hui pour partager avec vous notre façon de voir les choses et de témoigner de ce que nous avons vécu dans notre région au cours des dernières années.

J'assure la relève d'une ferme laitière au Saguenay-Lac-Saint-Jean, plus précisément d'Hébertville-Station. Je suis mère de deux beaux enfants et présidente de la Fédération de la relève agricole du Québec depuis mars dernier. M. Philippe Pagé, qui m'accompagne, est responsable des dossiers politiques à la Fédération de la relève agricole, et il a grandi sur une ferme porcine en Estrie.

La Fédération de la relève agricole du Québec est une organisation qui rassemble les jeunes âgés de 16 à 39 ans qui ont l'agriculture pour intérêt. Nous représentons près de 2 000 membres à travers le territoire du Québec. Dans cette organisation, nous comptons 13 syndicats régionaux qui ont des subdivisions locales et qui opèrent à l'échelle de nos municipalités régionales de comté au Québec. La Fédération de la relève agricole du Québec se veut l'endroit où les jeunes agriculteurs passionnés d'agriculture peuvent se rencontrer et échanger, mais elle veut aussi être la courroie de transmission entre les aspirations de la relève et les décideurs du milieu.

Nous avons pour mission de défendre les intérêts de la relève et d'améliorer leurs conditions d'établissement, que ce soit pour le transfert ou le démarrage d'une ferme. Nous avons aussi pour mission d'informer les jeunes agriculteurs au sujet des programmes qui leur sont offerts et d'attirer la nouvelle génération vers l'agriculture.

Le sujet qui nous intéresse ce soir était d'actualité pour la relève agricole du Québec au cours des dernières années. On vous a récemment transmis un document qui s'intitule Les aspirations de la relève agricole du Québec. On y avait justement traité de ce sujet. Ce document résulte d'un sondage mené auprès de 750 jeunes gens qui confirme ce qu'on pensait. Effectivement, ce sont des observations que l'on a pu tirer du sondage. On fait également référence au mémoire que nous avons présenté l'année dernière à la Commission de l'agriculture, des pêcheries, de l'énergie et des ressources naturelles à l'échelon provincial. Nous nous appuierons sur ce document durant notre exposé.

Nous n'allons pas parler en détail des chiffres, parce que nous savons que nos collègues de l'UPA l'ont fait la semaine dernière. Nous vous livrerons plutôt un témoignage de ce qui se passe dans le champ et sur le terrain, et nous vous parlerons des conséquences, pour les jeunes plus particulièrement.

L'accaparement des terres agricoles constitue un phénomène qui s'observe à l'échelle mondiale. La crise financière de 2008 et la récession subséquente ont engendré de l'insécurité alimentaire et provoqué une ruée vers les valeurs refuges que représentent les terres agricoles pour les investisseurs et les gestionnaires de caisses de retraite.

Bien sûr, on ne parle pas du même type d'accaparement au Québec que celui qui existe en Afrique. Je vais vous parler du Québec, parce que c'est ce que je connais. Par contre, le résultat est le même; au final, ce ne sont plus les producteurs qui sont propriétaires de leurs actifs agricoles, mais des intérêts étrangers. Je ne parle pas d'autres pays, mais d'autres fonctions.

Le Québec n'a pas échappé complètement à cette vague de spéculation foncière, et la relève en ressent aujourd'hui les effets pervers. Le tissu socioéconomique des communautés rurales se détériore peu à peu, à mesure que de gros joueurs financiers viennent imposer leurs lois. Il s'agit bel et bien d'une forme de compétition déloyale envers les jeunes qui ne peuvent rivaliser à armes égales pour accéder à la terre.

L'heure nous apparaît grave lorsqu'on analyse le dossier du financement de l'agriculture et de l'accaparement des terres. Chaque jour, une exploitation agricole met la clé sous la porte au Québec. Il s'agit d'une onde de choc en continu pour la relève. Selon la Financière agricole du Québec, de 1990 à 2013, la valeur moyenne des terres a sextuplé.

La Fédération de la relève agricole du Québec considère le phénomène d'accaparement des terres agricoles du Québec dans son sens large, soit l'acquisition de quantités importantes de superficies agricoles par divers acteurs avec un objectif précis qui n'est pas forcément compatible avec les besoins et intérêts de la majorité des producteurs agricoles.

L'acquisition de vastes terres agricoles par des fonds d'investissement est le type d'accaparement le plus médiatisé, mais nous tenons également compte de l'accaparement pratiqué par des promoteurs immobiliers, de grands propriétaires terriens et même des producteurs agricoles.

Ces divers types d'accaparement ont ceci en commun qu'ils rendent encore plus difficile l'accès à la terre pour la relève. Dans son ensemble, la relève agricole du Québec assiste, impuissante, à l'écart grandissant entre la valeur marchande des entreprises agricoles, basée sur la valeur des actifs, et leur valeur productive établie à partir des revenus de la ferme.

Cette réalité, jumelée à une augmentation de l'endettement, fait en sorte qu'il est de plus en plus difficile pour un jeune d'acquérir une ferme. Ce fossé représente un obstacle majeur pour les jeunes qui tentent leur chance en agriculture. Non seulement ceux-ci doivent présenter un montage financier rigoureux, mais le fardeau de la preuve repose aussi sur eux, puisqu'ils doivent démontrer qu'ils ont les reins assez solides pour bâtir ou reprendre une entreprise, et que cette entreprise sera suffisamment rentable pour se tailler une place dans un marché dominé par des joueurs de plus en plus importants.

Je prends souvent comme exemple ce qui m'est arrivé chez moi. Je vous l'ai dit tantôt, je possède une petite ferme, pas très grande, située dans une belle plaine où il y a de belles terres agricoles et un village à proximité. Comme il y a beaucoup d'agriculture dans mon coin, il n'y a donc pas beaucoup de terres disponibles. Il y avait une terre contiguë à la nôtre; ce n'était pas une terre de très grande qualité, mais lorsqu'une terre est située près de la nôtre, c'est intéressant.

Par exemple, si j'avais eu le projet d'agrandir mon étable, j'aurais eu besoin de cette terre, car elle est collée à la mienne. En ce moment, je ne peux pas agrandir de ce côté et je dois le faire de l'autre côté. Il était clair pour nous que nous allions finir par acquérir cette terre plus tard. C'était notre projet d'acheter cette terre afin de pouvoir nous établir.

La terre a fait l'objet d'une transaction alors que j'étais encore étudiante au cégep. Je suivais mes cours pour prendre la relève. À ce moment-là, nous ne savions pas trop comment nous allions développer la terre, alors nous avons demandé au producteur qui avait acheté cette terre de nous avertir lorsqu'il serait prêt à la vendre, afin que nous puissions évaluer la situation. Or, ce moment n'est jamais arrivé, parce qu'avant même qu'il pense à vendre sa terre, quelqu'un lui a offert 3,5 fois le prix qu'il l'avait payée, chose que nous n'aurions jamais pu faire. Pourquoi? Parce que moi, avant de débourser un tel montant, je dois aller à la banque avec mon dossier et faire la preuve que je pourrais produire suffisamment, sur cette terre, pour pouvoir la payer trois fois sa valeur. C'est impossible à faire en agronomie.

La personne qui est passée avant nous, c'était la Banque Nationale avec son fonds d'investissement. Cette année-là, elle a acheté plus de 5 000 hectares dans notre région. Il est déjà difficile d'avoir ces gens comme concurrents, mais surtout, ils sont maintenant des joueurs sur le marché. Quand un producteur veut vendre ses terres, il appellera d'abord ces gens, ou bien il attendra que, à un moment donné, un tel acheteur se présente pour l'acheter. La Banque Nationale s'est retirée à travers d'autres compagnies, mais il reste que si un producteur est prêt à vendre et qu'un membre de la relève appelle, le producteur pourrait prétendre que la firme Pangea lui a fait une offre. Peut-être que ce n'est pas vrai, mais comme ils sont présents sur le marché et qu'ils sont capables de payer de gros prix, les gens s'en servent.

Vous voyez jusqu'à quel point ça peut aller. Il est sûr, maintenant, que je ne pourrai pas acheter la terre qui est située près de chez moi. L'autre voisin, de l'autre côté, veut aussi vendre sa terre trois fois le prix. Il n'acceptera rien en deçà de ce prix maintenant. C'est mon histoire, mais c'est aussi celle de plusieurs autres membres de la relève que j'ai rencontrés dans ma région.

En résumé, ce phénomène d'accaparement des terres fait mal à la relève agricole sous de nombreux aspects. On parle souvent du concept Pangea, parce qu'il a été très médiatisé, mais la plupart de ces firmes achètent de grands lopins de terre puis les confient à un producteur pour qu'il y produise des cultures.

Souvent, on remarque que ces gens ne produisent qu'une seule culture. Ces temps-ci, c'est du soya que l'on retrouve partout dans ma région. Auparavant, il y avait du foin, du canola, du lin et des céréales, mais maintenant, on y retrouve des grands champs de soya. On perd alors de la diversité au niveau des cultures. On perd aussi des gens sur place. Je vous ramène au modèle Pangea, dont l'une de leurs entités a 2 500 acres de terrain. Moi, j'en possède environ 100. Donc, sur 2 500 acres, on peut mettre environ une dizaine de fermes comparables à la mienne. Cela veut dire 10 familles de moins, car ils ont racheté les terres de chaque famille. Peut-être qu'il n'y en a que 5 de moins, alors qu'on aurait pu en établir 10 sur cette même superficie. Cela veut dire moins de familles dans nos rangs et dans nos collectivités, et moins de familles pour faire vivre nos écoles, nos petites épiceries et nos commerces locaux; bref, moins de gens qui achètent des produits locaux.

En plus de couvrir un grand territoire où des gens pourraient s'installer, souvent ces firmes achètent en commun, mais ce n'est pas nécessairement dans la région, et ils n'encourageront pas nécessairement nos concessionnaires. En fin de compte, ce sont tous les producteurs de la région qui perdent des services. Certains concessionnaires n'ont maintenant qu'un point de service central. Cela entraîne la dévitalisation au niveau rural.

Le président : Madame, permettez-moi de vous présenter le sénateur Oh, de l'Ontario, qui vient de se joindre à nous.

Mme Lalancette : Finalement, l'accaparement des terres agricoles vient chambarder le modèle auquel adhèrent les Québécois, soit celui de la ferme familiale. En 2007, les mémoires déposés à la Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois, menée par M. Pronovost, faisaient ressortir un consensus selon lequel nous tenons collectivement à ce que les exploitants demeurent propriétaires de leur ferme. Or, alors que la relève entrepreneuriale glisse tranquillement vers un statut de main-d'œuvre salariée et locataire sur les terres qu'elles travaillent, nous nous engageons dans une logique inverse.

De plus, nous avons affaire à un modèle qui ne crée pas la richesse collective ni l'implantation durable d'une relève dynamique. Chose certaine, la nouvelle génération de producteurs agricoles veut continuer à être maître de ses actifs, de ses décisions et de son avenir. À notre sens, ce désir est foncièrement légitime.

Le président : Monsieur Pagé, voulez-vous ajouter quelque chose?

Philippe Pagé, coordonnateur interrégional - Sud, Fédération de la relève agricole du Québec : J'aimerais ajouter des pistes de solutions auxquelles nous avions réfléchi, mais Mme Lalancette peut poursuivre sur ce sujet aussi.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Merci à vous deux d'être ici. Nous vous remercions de votre patience. Merci de nous avoir attendus.

Vous avez décrit des problèmes qui sont particuliers au Québec. Je n'ai cependant rien entendu au sujet des possibles solutions que la province pourrait mettre en œuvre pour répondre au besoin des jeunes de se lancer dans l'agriculture.

J'ai une question bien précise à vous poser. Si je vous ai bien compris, la Banque Nationale a acheté 5 000 hectares, ou peut-être plus. Que fait-elle avec ces terres? Quel avantage en retire-t-elle, si ce n'est la possibilité de faire du développement urbain? Je présume que, dans certaines régions rurales du Québec, le développement urbain n'est pas exactement une priorité.

[Français]

Mme Lalancette : La banque a transféré ses avoirs terriens dans la société qu'on appelle maintenant Pangea. Le but de ces financiers est seulement d'avoir une valeur refuge qui ne perd pas de valeur. Dans l'histoire, la terre agricole a toujours pris 6 p. 100 de valeur annuellement. Donc, ils ont l'assurance de ne pas perdre d'argent, mais également d'obtenir un rendement de 6 p. 100 sur leurs placements. Il s'agit de posséder un portefeuille sécuritaire.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Donc, la banque achète des terres. Elle prévoit que cela lui rapportera environ 6 p. 100 de profit, et elle fait pousser des denrées qui ne correspondent pas nécessairement aux cultures traditionnelles de votre région. Bien entendu, cela vient bousculer l'équilibre de la production agricole de la région.

La banque est-elle la seule à acheter des terres? Y a-t-il d'autres intéressés? Ensuite, elles sont transférées à...

[Français]

Mme Lalancette : Non, il y a beaucoup de propriétaires d'entreprises qui investissent leur argent de cette façon. Cela s'est vu aussi dans le secteur forestier, il y a quelques années. C'est peut-être moins répandu en ce moment, mais ce sont de grands argentiers qui établissent leur fonds de pension. Ce sont autant les banques qui les utilisent comme fonds d'investissement de retraite que de grands propriétaires qui veulent placer de l'argent de manière sûre.

M. Pagé : J'aimerais mentionner qu'il est impossible de perdre de l'argent en achetant une terre aujourd'hui. C'est une façon sûre et efficace de placer de l'argent et, comme l'a mentionné Michèle, la valeur des terres a augmenté, a sextuplé en l'espace d'environ 15 ans. Il est donc extrêmement avantageux pour ces fonds d'investir dans une terre sans avoir besoin, à la limite, de s'en servir.

Mme Lalancette : En fait, ils ont la certitude de pouvoir en bénéficier même s'ils ne la cultivent pas. Ils la cultivent par principe.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Une discussion est en cours à propos de la sécurité alimentaire. Par « sécurité », on entend l'accessibilité des produits locaux, par opposition aux produits importés. Ici, nous sommes gâtés. Étant donné le climat, nous ne pouvons pas faire pousser n'importe quoi, mais aucun d'entre nous n'a de sa vie été privé de quoi que ce soit sur le plan alimentaire. Nos parents l'ont été, mais pas nous.

Discute-t-on de la sécurité alimentaire au Québec? Discute-t-on de la capacité qu'ont les Québécois de subvenir à leurs besoins alimentaires?

[Français]

Mme Lalancette : On en discute. Avec la Commission de l'agriculture, des pêcheries, de l'énergie et des ressources naturelles, on avait bon espoir que ces enjeux ressortent des discussions, mais on a été très déçu, car la seule piste qui a été retenue est celle de faire un registre des transactions foncières afin de déterminer quels sont les acteurs. Comme vous l'avez vu, l'UPA a fait une liste des grands argentiers qu'elle vous a présentée la semaine dernière. Il y a une dizaine d'entreprises ou de grands propriétaires qui achètent une quantité énorme de terres. Déjà, en réglant le cas de ces 10 entreprises, on pourrait régler une bonne partie du problème.

Premièrement, on avait proposé le registre pour pouvoir suivre les transactions. Quand on parle avec les gens de l'UPA ou avec ceux qui comptabilisent ces données, il faut être habile pour trouver l'information qui se cache partout. Deuxièmement, on voulait avoir un mécanisme de surveillance des marchés fonciers. Je ne sais pas si vous avez entendu parler du système qui existe en France. Parce qu'ils ont manqué de nourriture, les Français savent que le peu de terres agricoles qui leur reste est important.

Au Canada, on a la chance de n'avoir jamais manqué de nourriture. Par contre, il faut faire attention, parce qu'au Québec, les terres agricoles ne représentent que 2 p. 100 du territoire. Il s'agirait de mettre en place un mécanisme selon lequel un organisme pourrait offrir une terre à vendre par ordre de priorité : d'abord à la relève agricole, par la suite à des producteurs du secteur, ensuite à tous les producteurs qui pourraient être intéressés et, finalement, à tout le monde qui désire investir dans des terres. Il y aurait donc trois paliers à franchir avant d'arriver aux investisseurs proprement dits. C'est quelque chose qu'on trouve intéressant, surtout qu'au Québec, il y a la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), un organisme qui pourrait jouer ce rôle. De cette façon, on n'aurait pas à construire quelque chose de nouveau.

Il y a aussi la constitution d'une banque de terres, entre autres celle de Brome—Missisquoi. Il y a une dizaine de MRC au Québec qui ont prévu ce genre de mécanisme, dans lequel des propriétaires terriens sont en contact avec les jeunes de la relève qui veulent commencer ou consolider une production agricole.

Au Québec, on travaille présentement avec le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, le Centre d'innovation sociale en agriculture et le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec afin de créer un service de rencontre entre ces gens et la relève. Cela fait partie des choses qu'on veut mettre en place.

Le sénateur Dagenais : Merci pour votre présentation et pour votre bon courage. C'est rassurant de constater qu'il y a une relève. J'avais plusieurs questions à vous poser, mais vous avez répondu à certaines de mes questions, notamment à celle concernant les firmes géantes qui achètent les terres. Évidemment, vous n'avez pas de garantie qu'elles les utiliseront toujours à des fins agricoles. De quelle façon les gouvernements ont-ils manqué à leur devoir de protéger les familles agricoles? On sait qu'il y a notamment l'Union des producteurs agricoles. J'imagine que vous êtes en contact avec elle.

Ma question concerne les sources de financement. J'ai cru comprendre que, pour les grandes entreprises, il est facile de trouver du financement. Vous avez parlé de la Banque Nationale, mais dans le cas des jeunes producteurs agricoles, cela semble plus compliqué, et je ne sais pas pourquoi.

Mme Lalancette : La différence avec le fonds d'investissement, c'est qu'il utilise de l'argent dont il dispose et qu'il l'investit. C'est comme si vous alliez acheter des bonbons au dépanneur. Vous prenez de l'argent de votre poche et vous payez vos bonbons. Le producteur, quant à lui, n'a pas les 2 millions de dollars en poche. Il doit prouver à l'institution financière que l'achat est rentable, de sorte qu'il y aura un rendement sur le montant d'argent qu'il va investir, et ce, malgré les intérêts qu'il aura à payer sur le prêt.

Pour la personne qui veut faire des placements, c'est comme acheter une terre avec un REER. Vous avez de l'argent, et vous ne perdez pas les intérêts que vous faites. Dans le fond, c'est simplement que le fonds d'investissement prend vos REER collectifs pour acheter des terres.

Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé des banques qui louent les terres. Même si, parfois, elles ne sont pas utilisées à des fins agricoles, elles vont souvent chercher à les louer pour faire de la production. Est-ce que ces gens font de l'argent en louant les terres? Font-ils plus d'argent que vous?

Mme Lalancette : Cela dépend des situations. On a décrié le modèle Pangea, parce que les producteurs qui travaillent sur cette terre sont devenus des employés de Pangea, ce ne sont plus des entrepreneurs. Ils disent qu'ils prennent toutes les décisions, mais est-ce vraiment le modèle qu'on veut?

Par ailleurs, plusieurs se demandent pourquoi on ne rédige pas de bons baux de location. Parce que si on en arrive à parler de sécurité alimentaire un de ces jours, qui voudra-t-on voir contrôler ces terres? Aujourd'hui, ce sont toujours des Québécois. On espère que ce sera le cas pendant longtemps. Cependant, à un moment donné, quand ces gens vont vouloir revendre leur terre pour récupérer leurs actifs, ce ne seront pas des producteurs qui l'achèteront. Ce ne sera pas possible pour eux de payer ce montant.

Oui, c'est une roue qui tourne et qui ne s'arrêtera pas. Il y a tellement une grande différence de valeur marchande, en plus du fait que la valeur des terres est calculée en fonction des transactions non apparentées qui ont lieu au cours de l'année.

Quand mon père va me vendre ses terres, il ne me les vendra pas au même prix que celui que la Banque Nationale a payé à l'époque ou au prix que Pangea peut débourser en ce moment. Il va m'en léguer une bonne partie, car ce sont des valeurs nettes. Mon père va me les vendre au prix de la transaction, mais les terres ne sont jamais comptabilisées à ce prix. Aussi, il y a le fait qu'on est taxé sur cette valeur. Il y a plein de choses comme ça qui font que c'est aberrant.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame Lalancette et monsieur Pagé, pour vos réponses.

Le président : Juste avant de passer la parole à la sénatrice Tardif, il y a un vieux proverbe qui dit : « Chacun son métier, les vaches seront bien gardées. » Je ne crois pas que les banques vont un jour cultiver des carottes, des navets et des choux. Elles continueront à compter l'argent et, malheureusement, elles ne nous donnent pas le même rendement sur nos REER que le rendement de leurs prêts. Il y a un rendement sur les terres acquises et cela crée une disproportion. J'y reviendrai à la fin.

La sénatrice Tardif : Merci beaucoup pour votre présence ici ce soir, et surtout merci pour votre témoignage personnel qui nous aide à mieux comprendre les effets de l'accaparement des terres agricoles.

Vous avez parlé de quelques pistes de solution, et j'ai cru comprendre qu'un projet de loi a été déposé à l'Assemblée nationale au mois de mai dernier, projet de loi que vous avez appuyé. Il s'agit de la Loi visant à contrer l'accaparement des terres agricoles. En quoi consiste ce projet de loi? Serait-il une piste de solution pour tenter de remédier au problème?

Mme Lalancette : En fait, ce projet de loi visait à restreindre à 100 hectares par année l'achat que quelqu'un pouvait faire. On parle bien de quelqu'un. S'il est propriétaire de deux entreprises, les deux entreprises sont comptabilisées ensemble.

On avait demandé cela l'année passée pour mettre rapidement un frein au phénomène et pour trouver une façon permanente de régler le problème, mais le fait de simplement mettre un frein aux achats de terres était une solution transitoire. Je vous ai parlé de la Banque Nationale qui n'est plus dans le portrait, qui est associée avec Pangea, mais il y a des sociétés et d'autres noms d'entreprises comme celles que l'UPA vous a citées la semaine passée. Ces gens-là ont continué à acheter.

La sénatrice Tardif : Est-ce que ce projet de loi empêche les non-résidents d'acheter?

Mme Lalancette : Cette loi qui empêche les non-résidents d'acheter existe déjà au Québec. Elle empêche les non- Canadiens d'acheter. Quelqu'un de l'Alberta pourrait acheter une terre au Lac-Saint-Jean, une terre qu'il n'a jamais vue.

La sénatrice Tardif : Donc, je ne pourrais pas acheter une terre.

Mme Lalancette : En fait, vous pourriez. Les gens, au début, craignaient que les Chinois viennent acheter des terres, comme c'est le cas en France. Au Québec, on nous dit qu'il existe une loi qui empêche ce phénomène de façon absolue et qu'il est impossible de le faire. Personnellement, je ne connais pas de loi qui soit tout à fait incontournable. Je suis certaine que des gens qui ont les moyens et des avocats peuvent contourner ces obstacles. S'ils veulent vraiment acheter des terres au Québec, ils vont finir par le faire.

Pour l'instant, notre principal problème, ce n'est pas les étrangers qui viennent acheter des terres, même s'il y a sans doute eu des tentatives; ce sont les investisseurs.

M. Pagé : Le projet de loi 599 auquel vous faites référence limitait à 100 hectares, pour une période de trois ans, la superficie qui pouvait être achetée par une seule et même entité, afin de freiner le phénomène en attendant que l'on trouve une solution permanente. Ce que le projet de loi proposait, c'était de mettre entre les mains de la Commission de protection du territoire agricole du Québec ce mécanisme de contrôle pour l'achat des terres, dans le but de pousser la réflexion plus loin à savoir quelle est la limite d'hectares de terres que les gens peuvent se procurer en toute impunité. Est-il écrit dans la Constitution que quelqu'un peut posséder toutes les terres qu'il souhaite et qu'il est en mesure d'acheter? Il y a peut-être une limite à imposer quelque part. Ce projet de loi permettait au moins d'étudier le phénomène pendant une certaine période de temps. Le problème, c'est que ce projet de loi a été déposé par l'opposition et qu'il n'a à peu près aucune chance d'être adopté par le gouvernement actuel.

La sénatrice Gagné : Bravo pour votre témoignage. Je suis bien contente de voir qu'il y a une relève, que vous prenez les moyens de faire avancer vos intérêts et d'assurer la protection de vos terres. Je trouve que c'est vraiment une belle initiative. Bravo!

J'aimerais revenir à la question du financement des terres agricoles. En tant que jeune acheteur, j'imagine que vous avez tout de même accès à certains programmes de financement. Je sais que Financement agricole Canada offre certains outils, tel le prêt Jeune agriculteur. Y a-t-il d'autres outils? Est-ce que cela facilite l'entrée sur le marché? La relève tire-t-elle avantage de ces programmes?

Mme Lalancette : J'ai toujours dit qu'au Québec, on était plutôt choyé en matière de programmes de relève agricole. On a, entre autres, l'aide à l'établissement, qui se rattache à la formation. Le montant peut aller jusqu'à 50 000 $ par relève. On a aussi le Fonds d'investissement pour la relève agricole (FIRA). C'est le Fonds de solidarité de la FTQ et le gouvernement du Québec qui, ensemble, ont créé un fonds de 75 millions de dollars qui est disponible pour la relève et assorti de certains avantages. Les jeunes peuvent faire des prêts et des locations avec option d'achat sous un bail. Au bout de 15 ans, ils peuvent décider d'acheter ou de le laisser à un autre membre de la relève.

Je vous invite à examiner la façon dont cela fonctionne. C'est quelque chose de très intéressant pour le Québec et, surtout, pour les membres de la relève non apparentés. C'est le genre de chose qui peut aider un jeune à prendre les devants. J'ai parlé aux gens qui gèrent le fonds. Un jeune, par exemple, peut appeler et faire une offre sur la terre qu'il désire acheter, et la FIRA appuiera l'offre.

Bien souvent, aussi, les choses se passent dans le secret. Par exemple, je n'ai jamais su que la terre à côté de chez moi était à vendre. Je n'aurais probablement pas réussi à offrir le prix demandé, mais au moins j'aurais fait une offre. Or, je ne l'ai appris qu'une fois la terre vendue.

La sénatrice Gagné : La valeur des terres a sextuplé au cours des 10 ou 15 dernières années. On sait très bien que, pour certains agriculteurs, la terre devient leur fonds de pension. C'est un cercle vicieux. Les gens y ont investi leur vie. Ils veulent ensuite prendre leur retraite et vendre leur terre à bon prix pour être en mesure de continuer.

J'aimerais que vous me parliez du transfert de terres à l'intérieur des familles. Comment cela se déroule-t-il? Êtes- vous satisfait justement de la façon dont les choses se déroulent en ce qui concerne la succession des terres au sein des familles?

Mme Lalancette : Le processus diffère beaucoup d'une famille à l'autre. J'en vois de toutes sortes. Généralement, lorsque la bonne entente règne, tout se passe bien. On travaille pour la relève agricole. Toutefois, nous devons faire de l'éducation pour montrer aux jeunes comment prévoir leur retraite et leur sortie, car c'est important et cela facilite beaucoup les choses. Cela dit, un transfert peut prendre une dizaine d'années à s'effectuer. Il faut préparer sa sortie, de même que la relève. On a offert beaucoup d'information et de formation à ce sujet, mais il reste du travail à faire.

En général, pour les gens qui suivent les étapes que l'on enseigne ou que l'on préconise, les choses fonctionnent bien. Cependant, il reste toujours le facteur humain. J'ai vu des parents exiger la valeur marchande pour consentir à vendre à la relève. À l'autre extrême, j'ai vu des gens tout donner pour presque rien, ce qui n'est guère mieux. Souvent, dans la famille, c'est la survie de l'entreprise qui est importante. Tout le monde met alors un peu d'eau dans son vin pour assurer la survie de l'entreprise. Dans un cas ou dans l'autre, si le transfert ne se fait pas, cela entraîne souvent le démantèlement de l'entreprise.

Le président : Madame Lalancette, je vais me permettre quelques questions. Je connais bien votre région. Je viens de la Côte-Nord. Ce n'est pas nécessairement une région très agricole, mais nous avons comme voisin le Saguenay-Lac- Saint-Jean, qui est un grand fournisseur pour nous.

Une chose m'a intriguée au début de votre intervention. Je connais la réalité, car j'ai visité la région. D'ailleurs, je connais bien Iberville, étant donné que j'ai fait le tour. C'est la monoculture qui me dérange. Votre région était et est encore réputée pour ses fromages. On peut penser à la Fromagerie Perron, à Saint-Félicien, et à plusieurs autres petites fromageries qui sont merveilleuses.

Cette monoculture m'inquiète. Ce n'est pas la banque qui va faire du fromage. Je n'ai jamais vu un directeur de banque se mettre les mains dans le lait. Cet enjeu m'inquiète, car on va perdre ce qu'on appelle le patrimoine québécois. Pour avoir siégé à un autre Parlement avant d'arriver ici, je croyais que la Commission de la protection du territoire agricole protégeait aussi ce patrimoine. Or, d'après ce que vous venez de dire, il semble y avoir des failles énormes dans la loi.

Ne serait-il pas temps, au Québec, que le ministre de l'Agriculture mette la main à la pâte et qu'il révise cette loi pour protéger le patrimoine agricole? Si tout le monde cultive du soya, on va perdre le fromage, le maïs, les choux, les carottes et les navets. Ce n'est pas ainsi qu'on va atteindre la sécurité alimentaire. Il ne suffit pas d'avoir d'immenses champs de canneberge. On n'en mange pas trois fois par jour. D'autres bases sont nécessaires. Par exemple, l'abattoir de Saint-Bruno qui a fermé représente une perte énorme pour la région, surtout pour les gens qui travaillent dans les fermes laitières, parce que les vaches ont des veaux. La banque ne le sait peut-être pas, mais moi, si.

Mme Lalancette : Maintenant on n'a plus du tout d'abattoir à Saint-Jean, car tout sort de la région.

Le président : C'est incroyable.

Mme Lalancette : D'ailleurs, on a pratiquement perdu toute la production ovine dans la région, et il n'en reste presque plus. Dans le cas des petites productions, il y avait des productions de lapins, des choses comme ça, mais il n'y a plus rien qui se fait dans la région.

Le président : C'était l'une des rares productions de la Côte-Nord en termes de production bovine, mais on a fermé l'abattoir, et maintenant, il y a des bleuets.

Nous avons rencontré beaucoup de gens au Canada, de Vancouver à Saint-Jean. En fait, ils ont sensiblement les mêmes problèmes en ce qui concerne les transferts agricoles. Il y a une question qui m'intrigue, et c'est peut-être la question de l'avenir. Ce n'est pas facile pour des jeunes comme vous de s'embarquer aujourd'hui. J'ai eu l'occasion de rencontrer les fédérations des deux grandes caisses populaires au Canada, celles du Québec et de l'Ontario. À ma grande surprise, en Ontario, 47 p. 100 de leurs investissements sont dans le domaine agricole, pas uniquement dans les fermes, mais dans les équipements, les tracteurs, tout ce qui tourne autour d'une ferme agricole. Au Québec, la Financière agricole a-t-elle un contact direct avec les producteurs et avec les gens comme vous?

M. Pagé : Il serait difficile de dire que c'est blanc ou noir, dans le sens où il y a peu de contacts et beaucoup de contacts. D'ailleurs, dans chaque région, c'est différent. Je dirais qu'au cours des dernières années, malheureusement, on assiste à un éloignement.

Le président : Lorsque la Financière agricole a été créée, si je me souviens bien, c'était pour vous venir en aide et non pas pour s'éloigner de l'agriculteur. C'est vous qui allez nourrir le peuple canadien, le peuple québécois, et ce n'est pas en s'éloignant qu'on va arriver à quelque chose.

Mme Lalancette : Je peux vous assurer qu'on se pose la même question.

Le président : J'en reviens à l'acquisition des terres. C'est un problème majeur, non seulement au Québec, mais dans l'ensemble du Canada. On a eu la surprise d'apprendre de gens de la Colombie-Britannique que, pour compter l'achat des terres par des promoteurs, par exemple s'ils achetaient 10 acres de terre pour construire des résidences, des maisons unifamiliales ou un centre d'achat, les promoteurs étaient obligés de faire défricher 10 acres ailleurs. On sent, autour de la couronne de Montréal, que l'agriculture s'éloigne un peu, parce qu'il faut bien que la population se loge quelque part. Pensez-vous que ce modèle pourrait être applicable au Québec, ou un modèle semblable?

Mme Lalancette : Si je vous dis qu'on va défricher 10 acres à la Côte-Nord...

Le président : Ce n'est pas bon, mais c'est bon pour les bleuets!

Mme Lalancette : C'est un peu ce que je vous répondrais. Aux alentours de Montréal, il y a les meilleures terres à jardin du Québec. Elles valent terriblement cher, non seulement monétairement, mais en termes de valeur agricole aussi, car ce sont des terres qui rapportent bien en jardin potager. Je ne peux pas faire la même chose dans le Grand Nord ou même dans le nord de la Mauricie ou en Abitibi. On ne peut pas y aménager des jardins potagers, car on n'a pas le même type de sol ni les mêmes conditions. On peut faire pousser plein d'autres belles choses, comme des bleuets, mais à un moment donné, si on fait pousser uniquement du bleuet au Québec, ça ne sera pas mieux. Comme on le disait tantôt, la sécurité alimentaire n'y gagnera pas beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : J'étais curieux au sujet des autres joueurs. Nous avons bien sûr entendu parler des gens qui, dans les grands centres, achètent des terrains à des fins commerciales ou immobilières, mais c'est l'une des premières fois que nous entendons parler de gens qui achètent des terres agricoles en tant qu'investissement et qui comptent faire leur argent en un court laps de temps. Au nord-est de Toronto, il y a certaines des meilleures terres agricoles de l'Ontario, et ces terres sont désormais découpées en de multiples lots, mais ce n'est pas la même chose que ce que vous décrivez.

Je trouve cela curieux. N'y a-t-il pas quelque signe de développement autre que le simple profit réalisé sur la revente de ces terres? Est-ce leur seule façon d'en tirer de l'argent?

[Français]

Mme Lalancette : Pas nécessairement. Simplement la valeur comptable; pour eux, c'est un actif qui prend une valeur comptable tout simplement. Ils ne s'attendent pas à le vendre d'ici 5 ou 10 ans. Ils l'ont dans leur portefeuille pendant 50, 60 ans, au minimum. À partir du moment où ces gens n'ont pas besoin d'argent, ce n'est pas inquiétant dans l'immédiat, sinon pour le fait qu'ils font de la monoculture, souvent, et que cela amène moins de gens dans nos campagnes. Sinon, si dans 50 ou 60 ans ils veulent revendre, ou si quelque chose de majeur se passe et qu'ils ont besoin de capitaux rapidement, à qui vont-ils vendre ces terres-là?

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Vous êtes un producteur laitier, et les producteurs laitiers adhèrent au système de la gestion de l'offre. Dans ce contexte, arrivez-vous à survivre avec la gestion de l'offre dans une collectivité où le prix des terres est si élevé?

[Français]

Mme Lalancette : Survivre, sans investir, probablement. Je suis chanceuse, car, chez nous, la ferme n'est pas endettée, mais il est sûr que je ne peux pas agrandir. Je suis en train d'examiner la possibilité de transférer ma production en production biologique. Ma crainte, c'est qu'en production biologique, comme on produit moins par animal, il faut plus de foin, donc plus de terres. C'est un défi que je dois relever, et je dois faire mes calculs correctement.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Combien de bêtes avez-vous?

[Français]

Mme Lalancette : Nous avons environ 70 têtes, y compris 28 vaches en lactation. C'est une très petite production.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Normalement, pour qu'un fonds de pension achète des terres, il faut qu'il y ait un rendement chaque année, car un fonds de pension n'est pas un constructeur. Ces propriétaires ne cherchent-ils pas à louer ces terres à de jeunes agriculteurs comme vous afin que vous les cultiviez? Ils ne peuvent pas laisser ces terres dormir pendant six, sept ou dix ans en attendant de les revendre à profit. Cela n'est pas justifié.

[Français]

Mme Lalancette : C'est sûr qu'ils les mettent souvent en location. Par contre, vous n'étiez peut-être pas là quand on l'a dit, mais ce que veulent les jeunes, c'est être propriétaires de leurs terres. On vous donnait tantôt l'exemple de la France. Il y avait le système féodal dans le temps, donc les terres n'ont jamais appartenu aux producteurs à proprement parler. Maintenant, ce n'est pas la valeur des terres qui est un problème, c'est le droit de produire sur ces terres. En fait ce sont les baux de location qui valent cher. On va revenir au même problème en fin de compte. Comme je le disais tout à l'heure, c'est bien d'aider les producteurs à produire, mais si demain matin un conflit éclate et que nous devons produire pour nourrir notre propre pays, à ce moment-là, nous devrons probablement discuter avec ces gens; ils seront propriétaires de grandes superficies et ils nous demanderont un gros prix pour que nous puissions nous nourrir.

C'est peut-être alarmiste, mais c'est le genre de choses auxquelles il faut penser à long terme. D'autre part, si vous avez plusieurs producteurs, ils pourront se nourrir et nourrir leurs voisins.

Je suis allée en France en 2009, où j'ai rencontré un producteur qui n'avait jamais rencontré les propriétaires de la terre qu'il cultivait depuis 30 ans. Ce producteur nous a dit : « Eux n'ont jamais vu leur terre, et moi, je ne les ai jamais vus. » Ces gens, demain matin, même s'il y a un bail assez serré, s'il survenait un conflit ou une situation extrême, ou même s'ils décidaient de venir cultiver leur terre, pourraient décider de mettre le producteur à la porte. Oui, il y a une certaine garantie, mais rien n'est jamais assuré.

Le président : Un sage a dit : « La terre appartient à celui qui la cultive. »

Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé de la France et des mesures d'aide qui sont disponibles en France. Voudriez- vous nous expliquer un peu ce qui se fait en France pour aider les agriculteurs?

Mme Lalancette : En fait, il y a en France un mécanisme qu'on ne voudrait pas calquer, parce que la France ne fait pas face aux mêmes problématiques. Dans le fond, c'est un mécanisme qui fait en sorte que, lorsqu'une terre est à vendre et arrive sur le marché, l'organisme la prend en charge, négocie le prix avec le producteur, et l'offre en priorité à la relève.

Comme je le disais tantôt, une bonne partie du problème, c'est qu'on ne sait pas qu'elle est à vendre, cette terre. L'organisme arrive avec une offre qui fait trois fois le prix de la valeur de la terre. Mon voisin n'aurait jamais pu refuser. Cette transaction a sauvé tout le reste de son exploitation. Je ne peux pas lui en vouloir. Tu te fais offrir trois fois le prix et ensuite tu as 15 minutes pour te décider, sinon l'offre est retirée. Il n'a pas eu le temps de m'appeler pour me dire qu'il avait reçu une offre et pour me demander si je pouvais l'égaler. Il faut que tu répondes tout de suite.

Dans le fond, c'est comme un mécanisme de régulation qui fait que, lorsqu'une terre est à vendre, on vérifie si un membre de la relève est intéressé. Si oui, on fait les démarches avec la relève, selon des prix préétablis. Je ne sais pas si cela fonctionne de la même façon partout, mais il s'agirait de s'inspirer de ce principe, afin de rendre la terre disponible en priorité pour des gens.

Encore là, il peut exister des mécanismes, parce que cela peut faire peur à des producteurs qui constatent qu'ils ne peuvent plus s'entendre avec leurs voisins pour l'achat. Il y a des mécanismes qui font que, lorsque ce sont des transactions entre producteurs, de gré à gré, cela ne passe pas par le système. Mais un producteur qui n'aurait pas de relève, par exemple, pourrait passer par ce système.

Le président : Si vous me le permettez, madame Lalancette, vous dites que vous avez une petite ferme.

Mme Lalancette : C'est une belle ferme que j'ai.

Le président : Ce sont des gens comme vous, partout au pays, qui possèdent des petites fermes, et non pas les spéculateurs qui méritent de cultiver la terre. Notre comité a fait le tour du Canada, et votre témoignage, pour nous, est extrêmement important, parce que les spéculateurs n'amènent rien à l'assiette, à part des sous, et des sous, ça ne se mange pas. Ce sont des gens comme vous qui vont vivre de leur petite ferme, qui vont construire, qui vont donner une vitalité aux villages, qui vont faire vivre l'épicerie du coin, l'école, la pharmacie et le vendeur d'équipement agricole. Vous êtes le cœur même de la vitalité de votre région du Québec et du Canada.

On a rencontré des gens de tous les coins, des jeunes, parce que le Comité sénatorial de l'agriculture et des forêts voulait rencontrer ceux qui étaient directement concernés, et non pas les grands financiers, les grands syndicats. C'est du beau monde, bravo! Mais ils ne cultivent pas la terre, et ce sont les gens qui la cultivent que nous devons écouter.

C'est pour cette raison que notre comité va produire un rapport, et les gens comme vous vont se retrouver dans ce rapport. Le rapport sera transmis au gouvernement, qui devra nous donner une réponse sur ce qu'il compte faire. C'est non seulement l'avenir de votre région, mais de tout le pays qui est en jeu.

Je vous félicite et vous encourage à lutter contre la spéculation. Il y aura des gens autour de cette table toujours prêts à vous défendre contre la spéculation. C'est important que des gens comme vous puissent s'épanouir en toute liberté, s'agrandir et léguer à leurs enfants et petits-enfants des terres bien organisées desquelles ils pourront vivre.

Je vous remercie infiniment de votre visite, car nos discussions ont été très profitables. Monsieur Pagé, madame Lalancette, je vous remercie de vos témoignages et vous souhaite bon retour chez vous.

(La séance est levée.)


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