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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 25 - Témoignages du 9 mars 2017


OTTAWA, le jeudi 9 mars 2017

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 2, pour poursuivre son étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

[Note de la rédaction : Une partie des témoignages a été donnée en espagnol et a été traduite par l'intermédiaire d'un interprète.]

[Traduction]

Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Bienvenue à nos témoins.

Ce matin, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts poursuit son étude sur l'acquisition de terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

Aujourd'hui, de Perennia Food and Agriculture Inc., nous recevons M. Wayne Adams, coordonnateur de projets spéciaux.

Je suis le sénateur Ghislain Maltais, du Québec. J'aimerais que les sénateurs se présentent, en commençant avec le vice-président.

Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse. Je connais très bien le témoin.

La sénatrice Gagné : Bonjour. Je suis Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, d'East Preston, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de Toronto.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Plett : Bonjour. Je suis Don Plett. Je viens également du Manitoba.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour. Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci d'avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration.

Wayne Adams, coordonnateur de projets spéciaux, Perennia Food and Agriculture Inc. : Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité. Je tiens à vous remercier de m'avoir gentiment invité à comparaître aujourd'hui. Je veux remercier plus particulièrement mon bon ami, le sénateur Bernard, et mon autre ami de toujours de Halifax, le sénateur Mercer, de l'intérêt particulier qu'ils portent au travail que je fais pour améliorer l'industrie agricole en Nouvelle-Écosse.

Je travaille comme coordonnateur de projets spéciaux pour Perennia, une société d'État à but non lucratif dans la province. Elle compte des experts en gestion de la production alimentaire et est reconnue pour son expertise en matière de salubrité des aliments, en développement de produits alimentaires, en recherche et en formation.

Au cours des deux dernières années, j'ai eu l'occasion de recruter des membres de la collectivité néo-écossaise africaine et de les encourager à œuvrer dans l'industrie agricole et le secteur des pêches.

Je vais tout d'abord vous donner un bref aperçu de la position de la collectivité néo-écossaise africaine concernant le secteur agricole et l'utilisation agricole de terres existantes.

La collectivité néo-écossaise africaine a toujours grandement contribué au secteur agricole. Dès l'établissement des premières colonies en Nouvelle-Écosse, on installait les Néo-Écossais d'origine africaine sur les pires terres rocailleuses pour qu'ils s'y établissent avec leurs familles et cultivent la terre.

Entre le moment où la majorité des Africains sont arrivés en Nouvelle-Écosse et le début des années 1960, les Noirs se sont mis à cultiver la terre commercialement et de façon autonome. Ils subvenaient à leurs besoins malgré les terres accidentées, rocailleuses et infertiles qu'on leur avait attribuées à leur arrivée.

La majorité des familles ont toujours cultivé toute la nourriture qu'elles consommaient et troquaient des aliments en échange d'autres fournitures. Cela faisait longtemps qu'ils faisaient de la limonade avec les citrons qu'on leur donnait.

Ceux qui exploitaient une ferme à l'échelle commerciale participaient pleinement à la production porcine, avicole et bovine. Ils avaient des fermes de petite taille de deux ou trois acres, puis il y avait des exploitations agricoles de 10 à 15 acres où ils faisaient pousser des légumes et élevaient le bétail. Une grande ferme avait du bétail et des cultures, et les plus grandes avaient de 20 à 30 acres en moyenne.

Pratiquement toutes les terres agricoles des Néo-Écossais d'origine africaine dans la province étaient des entreprises familiales. Plus il y avait d'enfants dans la famille, plus la taille des sites agricoles était importante. Chaque famille avait au moins une vache laitière pour sa consommation personnelle et ses besoins en produits laitiers, ainsi qu'un attelage de chevaux ou de bœufs pour déplacer les lourdes charges et labourer les champs. Les véhicules motorisés étaient trop dispendieux à l'époque où les Néo-Écossais d'origine africaine exploitaient les terres agricoles de leurs collectivités.

Plus précisément, il y avait de grandes exploitations porcines et laitières dans la région de Preston à une certaine époque, de même qu'à Upper Hammonds Plains, dans le comté de Hants et à Tracadie, en Nouvelle-Écosse.

Avec l'ère moderne, je me rappelle que, dans les années 1980, une coopérative connue sous le nom de Willing Workers a mis sur pied une grande exploitation de culture hydroponique à Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, sous la direction de l'ancien Black United Front, une organisation de défense des droits de la personne. Cette exploitation très fructueuse pouvait cultiver d'importantes quantités de concombres et de tomates et était un important fournisseur des magasins Sobeys dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.

Les agriculteurs de North Preston, d'East Preston, de Cherry Brook, de Upper Hammonds Plains et de Beechville ont été, à une certaine époque, les principaux fournisseurs de légumes, de fleurs sauvages, de baies, de plantes saisonnières et d'arbres de Noël du marché public de Halifax à partir des années 1880 jusqu'aux années 1960. Bien entendu, ils vendaient aussi de la volaille, des poulets et des œufs et des produits du poisson tels que le gaspareau et le maquereau. Bon nombre d'entre eux avaient des clients permanents, mais à l'heure actuelle, moins d'une dizaine d'agriculteurs noirs desservent les marchés publics de Dartmouth et de Halifax.

Vous vous demandez sans doute pourquoi ils sont si peu nombreux. C'est pour diverses raisons. L'une est que le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire n'a pas communiqué avec les agriculteurs noirs pour leur offrir des possibilités de croissance et des débouchés. À l'heure actuelle, des changements s'opèrent en Nouvelle-Écosse. La province a lancé un projet de sensibilisation pour inclure la communauté noire dans l'industrie agricole. Depuis 2014, nous avons une nouvelle approche à l'égard de l'agriculture et de ses industries connexes. Les Néo-Écossais d'origine africaine peuvent maintenant s'attendre à occuper des emplois liés à la production alimentaire dans le secteur agricole.

Leurs ancêtres ont renoncé à l'agriculture pour trouver du travail mieux rémunéré. Ils ont été vivement déçus dans les années 1980, avec les fermetures d'exploitations porcines à la suite d'éclosions de maladies. Il y avait également la perception selon laquelle les règlements du gouvernement étaient excessifs et intrusifs, rendant l'agriculture une vocation qui n'était plus viable ou intéressante.

Ces raisons, même si elles étaient bien réelles, étaient des points négatifs pour les jeunes, qui se sont désintéressés de l'agriculture. Pour ces jeunes, l'agriculture était chose du passé, pour les gens plus âgés des générations précédentes qui devaient pratiquer l'agriculture pour survivre.

Aujourd'hui, je suis heureux de dire qu'il y a une légère reconnaissance mais importante de cette situation parmi les jeunes, que je rencontre régulièrement. Ils s'intéressent vivement à l'agriculture moderne et aux opérations et entreprises agricoles, ainsi qu'à l'utilisation de terres de manière efficace et à plus petite échelle.

Plusieurs études ont été réalisées et plusieurs conférences ont été organisées par la communauté néo-écossaise d'origine africaine depuis 2011, dans le cadre desquelles on a examiné les facteurs qui peuvent attirer de nouveaux agriculteurs et les facteurs qui pourraient les dissuader à se tourner vers l'agriculture. Dans le cadre des études, on s'est penché sur une foule d'éléments, dont des évaluations des besoins agricoles, l'avenir des aliments et des fibres, les tendances et les possibilités dans le secteur agricole, les récompenses et les risques de posséder une ferme, les divers soutiens offerts aux nouveaux arrivants dans le secteur agricole, et le manque de respect à l'égard de la disponibilité des terres cultivables adéquates.

J'estime que ce comité devrait être informé du problème en Nouvelle-Écosse des restrictions à l'utilisation des terres associées au droit de propriété, et non pas à la propriété légale, en vertu de la Land Titles Clarification Act, qui est une barrière à l'agriculture qui va au-delà de l'attribution traditionnelle de parcelles familiales.

Les titres fonciers font l'objet d'une lutte incessante dans toutes les régions rurales de la Nouvelle-Écosse, mais surtout dans les communautés afro-néo-écossaises, où la bataille porte surtout sur l'ancienne possession adversative selon laquelle si une personne vivait sur des terres depuis au moins 20 ans, elle pouvait en réclamer la propriété, mais ne recevait pas d'actes juridiques pour en prouver la propriété. Puis, quand un membre de la famille atteignait un certain âge ou quand venait le moment de subdiviser les terres pour les vendre ou y construire des bâtiments personnels, il ne pouvait le faire sans embaucher d'avocats à grands frais, une situation difficile pour les personnes marginalisées. Ces procédures sont habituellement longues, lentes et, comme je le disais, très coûteuses.

J'en ai vécu l'expérience personnellement, parce que j'ai dû le faire moi-même, malgré le fait que mes grands-parents et leurs enfants, c'est-à-dire ma mère et ses frères et sœurs, aient payé des taxes sur les terres familiales pendant presque 100 ans avant de me les céder. Je paie moi aussi des taxes. Mais quand j'ai décidé d'aménager une partie des terres, j'ai dû faire des démarches pour obtenir des titres et des actes officiels; 15 ans plus tard, nous les recevons enfin.

J'ai parlé un peu plus tôt de la renaissance des jeunes Noirs, le temps est donc venu de nommer et de tuer l'éléphant dans la pièce, soit de clarifier les titres fonciers.

Il serait fantastique que ce comité, par ses conclusions, puisse recommander des moyens dont les gouvernements fédéral et provincial pourraient adopter une résolution conjointe afin de régler les difficultés inhérentes à la Land Titles Clarification Act, surtout pour les demandeurs en difficulté économique qui ne pourraient pas autrement se permettre les énormes coûts juridiques que cela représente. Le comité pourrait peut-être réclamer l'établissement d'un programme quelconque visant à régler la question des titres fonciers.

Il est gratifiant de voir bon nombre d'immigrants d'origine africaine nouvellement arrivés ou établis de longue date vouloir exploiter la terre et chercher des débouchés agricoles en Nouvelle-Écosse. Aujourd'hui, les immigrants d'origine africaine cherchent à cultiver de grandes quantités de produits africains, particulièrement des herbes et des légumes, sur de grandes parcelles de terre ou dans de grandes serres. La question est toutefois : où peuvent-ils trouver ces parcelles de terres agricoles?

Les Africains arrivent forts d'une longue expérience agricole. Ils souhaitent faire profiter les entreprises locales de leurs expériences et donc trouver et utiliser des terres agricoles indépendantes.

Nous en sommes à un stade, en Nouvelle-Écosse, où les Afro-Néo-Écossais, de même que d'autres acteurs de l'industrie agricole, se rendent compte que le monde commence à manquer de nourriture, particulièrement de protéines et d'autres végétaux de grande valeur nutritive.

Nous nous rendons compte aussi que le changement climatique commence à déterminer la façon dont les agriculteurs exploiteront leurs terres aujourd'hui et demain, simplement parce que certains climats ne permettront plus la culture de certaines plantes et que les extrêmes de conditions météorologiques variables empêcheront certaines méthodes de culture traditionnelles de longue date.

J'ai remarqué récemment là où je vis aujourd'hui et aux alentours que la structure de certaines anciennes serres a subi de graves dommages après les fortes rafales de vent de l'hiver dernier. À l'avenir, la structure des serres devra être plus solide pour nous adapter au changement climatique; ce n'est qu'un petit exemple, mais il n'en demeure pas moins très concret.

Outre le changement climatique, j'aimerais vous faire part un peu de mon expérience de représentant municipal élu, quand nous voyons des villes s'étaler et gruger des terres anciennement agricoles, pour prendre un espace autrefois réservé à l'agriculture rurale. L'un des exemples que je n'oublierai jamais, c'est celui de la perte d'une grande superficie de superbes terres agricoles à Cole Harbour, en Nouvelle-Écosse, dans l'ancienne région rurale située au sud-est de Dartmouth.

Entre les années 1960 et 1980, beaucoup d'agriculteurs à l'aube de la retraite ont vendu leurs fermes à la faveur de l'assaut des promoteurs commerciaux et de municipalités avides de taxes, qui se sont dépêchées de modifier le zonage des terres pour favoriser un développement urbain rapide. Ainsi, Cole Harbour, autrefois considéré comme le berceau des meilleures terres agricoles à l'est de la vallée de l'Annapolis n'est plus qu'un enchaînement de rues, d'autoroutes et de routes reliant des milliers de maisons, d'écoles, d'institutions et d'entreprises. Nul besoin de vous dire que ces anciens agriculteurs et même quelques agriculteurs actuels, ont subi beaucoup de pressions à cause du développement municipal et des règlements administratifs municipaux pouvant nuire aux pratiques et aux espaces agricoles.

La planification de l'aménagement des terres est un processus dynamique. Elle permet à des collectivités bien organisées d'attirer de l'emploi et des investissements; elle repose sur les principes généraux de la prospérité, de la durabilité, de la qualité de vie et de l'unicité de la collectivité. Il est très clair que le plus grand atout d'un agriculteur, ce sont ses terres, et il paraît que Dieu n'en fait plus, donc nous devons protéger et préserver toutes celles que nous avons.

Quand une municipalité n'est pas en difficulté financière, les terres agricoles et les environs demeurent généralement réservés pour la production agricole. Mais quand l'argent devient un enjeu, la collectivité peut être touchée par des projets d'aménagement des terres.

En Nouvelle-Écosse, en vertu de la Municipal Government Act, la planification de l'aménagement du territoire relève des municipalités, et je crois que cette loi devrait s'accompagner d'une politique claire sur la protection des terres agricoles. Chers amis, ce pourrait être une recommandation de votre comité.

Je crois que cette loi contient un énoncé d'intérêt provincial à l'égard des terres agricoles, mais elle ne prescrit pas expressément la préservation des terres. Elle souligne plutôt l'objectif général de protection des terres agricoles pour le développement d'une industrie viable et durable. À la lumière de cette observation, je crois qu'il incombe aux gouvernements fédéral et provincial d'insister pour que les lois municipales ne fassent pas qu'établir des objectifs quant à l'utilisation des terres agricoles, mais qu'elles contiennent des énoncés d'intention.

Quelle que soit la collectivité, le débat ne peut se limiter à la préservation des terres, il doit aussi inclure leur protection et leurs utilisations temporaires. Les terres utilisables situées autour des collectivités afro-néo-écossaises sont limitées, donc il est temps, pendant ce regain d'intérêt pour la question, d'étudier en détail le concept de réserve foncière communautaire ou de propriété collective en fiducie. Ce n'est pas un concept nouveau, mais ce sera un concept à adopter, qui permettrait à plusieurs personnes ou familles de s'unir pour acheter conjointement des terres, les utiliser conjointement et en tirer profit ensemble.

Dans un véritable effort concerté pour appuyer les agriculteurs afro-néo-écossais, je crois que les gouvernements fédéral et provincial devraient faire l'achat conjoint des anciennes fermes abandonnées et de leurs avoirs dans toute la province. Il y a un certain nombre de fermes qui ne sont plus exploitées pour diverses raisons en Nouvelle-Écosse, et le gouvernement pourrait investir afin de les acquérir au nom ou dans l'intérêt de nos entrepreneurs agricoles Noirs foncièrement désavantagés. Il pourrait s'offrir de la formation structurée sur ces lieux, des programmes de stage, et ce genre d'incubateur de croissance agricole générerait de bons emplois.

J'aimerais aussi parler brièvement du modèle fructueux de la préservation des terres agricoles dans la vallée de l'Annapolis, en Nouvelle-Écosse. C'est l'Annapolis Valley Farmland Trust, un organisme sans but lucratif, qui a convaincu le gouvernement provincial de légiférer pour adopter la Community Easements Act, qui est entrée en vigueur en 2016, soit l'an dernier. Cette loi prescrit que le titre juridique de propriété des terres agricoles et leur utilisation par les agriculteurs font l'objet d'une servitude qui restreint l'utilisation des terres visées par le titre; ainsi, elles seront toujours limitées aux divers types d'utilisation agricole autorisés.

Nous avons parlé avec l'un des membres de la fiducie agricole, qui a décrit la nouvelle loi comme un outil dont l'industrie avait cruellement besoin et qui est extrêmement apprécié par tous les gens du milieu. Ce monsieur m'a demandé de mentionner une chose pendant mon témoignage d'aujourd'hui. Il m'a sommé de demander au gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de ce comité sénatorial, d'encourager davantage les agriculteurs à placer leurs terres agricoles en fiducie. La protection et la préservation qu'elle confère sont essentielles.

Maintenant que je vous ai parlé du programme de fiducie de la vallée, j'aimerais demander au gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de ce comité, de verser un investissement initial dans la fiducie agricole de la région de Preston, un fonds structuré de manière comparable au Nova Scotia Community Economic Development Investment Funds, qui servira à financer l'achat d'anciennes terres agricoles de l'ancien village afro-néo-écossais du nom d'Old Guysborough Road, qui est situé entre l'aéroport Standfield de Halifax et les communautés de Preston. Ces terres sont inexploitées depuis le début des années 1980, soit depuis que l'aménagement du parc industriel d'Aerotech a poussé la communauté à se déplacer.

Ces vieilles terres agricoles comptent des lots qui couvrent près d'un millier d'acres. Puis, à Musquodoboit Harbour, il y a une terre agricole de 1 200 acres qui est à vendre. Ce sont des exemples qui peuvent être inclus dans n'importe quelle proposition d'acquisition.

Je crois qu'il y a là un potentiel formidable pour un projet de développement conjoint qui serait chapeauté par deux ordres de gouvernement principaux et dont la gestion serait confiée à la collectivité.

Je crois que le ministère fédéral de l'Agriculture devrait considérer sérieusement de créer un fonds en fiducie dans la région de Preston et qu'il devrait se servir de ses investissements pour se constituer des réserves foncières dans les régions du pays où des exploitations agricoles, des entreprises ou des industries pourraient être développées, notamment dans les collectivités d'immigrants africains et de minorités qui ont été identifiées.

Le gouvernement fédéral pourrait acheter les terres dont j'ai parlé et démarrer un programme de réserves foncières où les terres pourraient servir d'incubateurs aux projets agricoles d'entrepreneurs afro-néo-écossais.

Permettez-moi de terminer ma présentation en citant un article de 2010 sur la planification de l'utilisation des terres agricoles. La Fédération de l'agriculture de la Nouvelle-Écosse parle en bien de l'amélioration des conditions économiques qu'une renaissance des entreprises agroalimentaires pourrait entraîner dans la communauté noire de la Nouvelle-Écosse. Voici ce que dit l'article :

L'agriculture aide à stabiliser et à maintenir les collectivités rurales, car elle contribue à la création d'une infrastructure d'affaires essentielle et d'une assiette fiscale. Les collectivités locales profitent de l'agriculture grâce à l'achat de biens et de services, de la rémunération des travailleurs et des impôts perçus sur les revenus générés par les entreprises. Un autre avantage économique qui est peut-être moins facilement décelable, la diversification, fait en sorte que notre économie n'est pas dépendante d'une seule industrie.

Au-delà des avantages économiques, l'agriculture comporte d'autres avantages intrinsèques plus discrets. Une balade en voiture dans la vallée d'Annapolis et la vue de ces paysages bucoliques et de ces infrastructures agricoles peuvent s'avérer bénéfiques sur le plan psychologique, un effet qui ne se produirait pas dans un milieu moins diversifié sur le plan visuel.

Les notions véhiculées dans les deux paragraphes que je viens de vous lire pourraient orienter et diriger de manière efficace la politique nationale du Canada sur l'utilisation des terres agricoles, ce qui ne manquerait pas d'encourager encore plus la renaissance de l'industrie agroalimentaire afro-néo-écossaise.

Les terres du chemin Guysborough, qui ont été aménagées et préservées à des fins agricoles par des Néo-Écossais d'origine africaine, pourraient un jour devenir un site d'agrotourisme; un centre d'excellence en agriculture apte à évoquer les contributions historiques des agriculteurs africains au Canada et, assurément, en Nouvelle-Écosse.

Nous sommes arrivés ici au pire moment et au meilleur moment. Nous nous sommes accommodés des pires conditions agricoles et nous avons réussi à en tirer les meilleurs fruits. Nous avons survécu bien au-delà de nos débuts misérables et nous nous sommes évertués à améliorer nos conditions de vie. Nous souhaitons être perçus en tant que pourvoyeurs et rouages des économies locale et nationale. Ensemble, grâce à l'investissement du gouvernement fédéral, nous pourrons nous affranchir de la marginalité; le développement agricole est et devrait être notre outil d'émancipation collective.

Nous apprécions l'aide que le gouvernement fédéral nous fournira en établissant des politiques et des pratiques rigoureuses sur l'utilisation, la préservation et la disponibilité des terres. Nous savons que ces politiques et ces pratiques viendront en aide aux Afro-Néo-Écossais et qu'elles leur permettront de participer à part entière à cette l'industrie de la production alimentaire, une industrie d'importance névralgique tant pour les besoins nationaux qu'internationaux.

Monsieur le président, voilà qui met fin à ma présentation. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Adams.

Pour commencer, nous allons laisser la parole au vice-président du comité, le sénateur Mercer.

Le sénateur Mercer : Monsieur Adams, merci beaucoup. Je suis très heureux de vous voir ici. L'agriculture dans les collectivités marginales ou dans les collectivités qui n'ont pas l'habitude d'en profiter ou qui n'en ont pas profité récemment est un sujet dont nous n'avons pas parlé. Cependant, comme vous l'avez si bien souligné, l'histoire de la communauté afro-néo-écossaise en est une de survie sur la terre. Nos ancêtres ont mis certaines parcelles de terrain à la disposition de la communauté afro-néo-écossaise, mais ils ne vous ont pas donné les meilleures terres.

M. Adams : Beaucoup de roches.

Le sénateur Mercer : Si vous trouvez un marché pour vendre cette roche, vous êtes en voiture.

Combien y a-t-il de jeunes agriculteurs qui participent au programme à l'heure actuelle?

M. Adams : Dans mon programme, il y a 14 clients, ce qui est considérable.

Le sénateur Mercer : C'est un nombre considérable pour la collectivité; je peux le confirmer. Un avantage que je peux voir pour vous, c'est le fait que le ministre de l'Agriculture provincial n'est nul autre que le député de Preston, où réside la plus importante communauté d'origine africaine de la Nouvelle-Écosse. Lui avez-vous parlé de ces propositions?

M. Adams : Je lui en parle toutes les semaines, oui.

Le sénateur Mercer : Et comment vous répond-il?

M. Adams : Très favorablement. Nos échanges donnent de bons résultats et génèrent des développements positifs. À la fin mars, nous tiendrons un grand forum d'information dans la collectivité, et ce sera la première démarche d'inclusion.

Le sénateur Mercer : A-t-il eu l'occasion de rencontrer le ministre MacAuley afin de discuter de la possibilité d'une entreprise conjointe comme celle que vous recommandez?

M. Adams : Non, pas jusqu'ici, du moins, pas à ma connaissance.

Le sénateur Mercer : S'il y a quoi que ce soit que nous pouvons faire en ce sens, faisons-le.

Les réserves foncières ne sont pas un sujet dont nous avons parlé ici, mais elles occupent une place importante dans l'histoire du développement foncier en Nouvelle-Écosse. Comme les Néo-Écossais le savent, les collectivités de la région de Sackville-Cole Harbour se sont développées grâce aux réserves foncières.

M. Adams : Ce sont deux bons exemples, oui.

Le sénateur Mercer : Ce sont deux très bons exemples pour montrer comment les réserves foncières sont avantageuses et comment elles permettent de soutenir le développement de collectivités stables et de bonne tenue.

Une des exploitations agricoles dont vous avez parlé est sur le chemin Old Guysborough, là où la famille de mon grand-père avait un camp de chasse il y a bien des années. Je ne sais pas s'il est encore debout, mais il appartient maintenant à l'un de mes cousins. Depuis combien d'années ces terres sont-elles au repos?

M. Adams : Depuis le début des années 1980.

Le sénateur Mercer : Sont-elles à vendre ou non?

M. Adams : Oui. Il y a beaucoup de pancartes « À vendre » sur ces lots. J'y suis allé quelques fois en voiture et j'ai téléphoné aux différents courtiers dont les numéros apparaissent sur ces pancartes. J'ai calculé la superficie, et cela fait près d'un millier d'acres.

Le sénateur Mercer : L'un des problèmes récurrents de la collectivité afro-néo-écossaise est ce que vous avez évoqué au sujet des titres de propriété, à cause des droits des squatteurs. À votre connaissance, combien de propriétés dans la collectivité afro-néo-écossaise sont encore touchées par des litiges en matière de propriété?

M. Adams : Je n'ai pas de chiffres à vous donner, mais je peux vous dire qu'il y en a beaucoup trop.

Le sénateur Mercer : En pourcentage, diriez-vous que c'est 25 p. 100, 50 p. 100?

M. Adams : De la communauté noire?

Le sénateur Mercer : Oui.

M. Adams : Bien au-delà des 50 p. 100.

Le sénateur Mercer : Je préciserai à l'intention de mes collègues qu'une partie de ces propriétés sont à l'état brut, sauf que lorsqu'ils les ont données à la communauté afro-néo-écossaise, ils n'ont pas réalisé que North Preston offrait aussi une vue imprenable sur l'ensemble de la collectivité de Halifax-Dartmouth. Lorsque vous êtes debout sur les marches de l'église, votre regard se perd à l'infini.

M. Adams : Il importe de souligner que le gouverneur Wentworth avait une résidence et une ferme au sommet de la colline, sur la rue Upper Governor, à East Preston.

Le sénateur Mercer : Supposons que les choses démarrent et que certains jeunes Afro-Néo-Écossais se mettent à pratiquer l'agriculture. Quel serait leur marché? Où pourront-ils vendre leurs produits?

M. Adams : Vous voulez savoir quel serait leur marché.

Le sénateur Mercer : Oui.

M. Adams : Le monde, à vrai dire. Je me suis aperçu que les jeunes hommes qui ont une vision — surtout les immigrants africains — produisent des aliments haut de gamme et des aliments à valeur ajoutée qui peuvent être expédiés dans les pays qui ont besoin de nourriture. Alors, je soutiens que le monde est leur marché — même Toronto. L'un des gars avec qui je travaille veut vendre des produits de la chèvre sur les marchés de Toronto et de Montréal. C'est ce type de vision qui est en train de faire son chemin.

Le sénateur Mercer : Avec ses terres accidentées, le comté de Cumberland, en Nouvelle-Écosse, est la capitale canadienne du bleuet sauvage.

M. Adams : Absolument.

Le sénateur Mercer : C'est un bleuet qui pousse à peu près n'importe où. Avez-vous envisagé la possibilité d'utiliser ces terres très accidentées que détiennent de nombreux membres de votre collectivité?

M. Adams : Les baies sont l'une des cultures qui ont soutenu les collectivités depuis le début, en particulier les bleuets.

Le sénateur Plett : J'ai quelques questions à vous poser, mais j'aimerais que vous clarifiiez quelque chose pour moi. Dans le texte de votre présentation, on peut lire qu'une exploitation particulièrement méritoire a été en mesure de faire pousser d'importantes quantités de concombres et de tomates « sans terre ». Or, dans votre exposé de tout à l'heure, vous n'avez pas utilisé les mots « sans terre ».

M. Adams : Il s'agissait d'une ferme hydroponique.

Le sénateur Plett : Est-ce que c'est quelque chose de courant?

M. Adams : Non. Ces pratiques ont cessé au début des années 1980, mais cette exploitation était un exemple de réussite.

Le sénateur Plett : Je ne suis pas assez vieux pour me rappeler du moment où mes ancêtres sont venus au Canada, mais je crois qu'ils ont eu les mêmes problèmes que vous en arrivant ici. Ils ont commencé dans les années 1500, en Pologne, puis ils sont allés en Ukraine, et de l'Ukraine, ils ont gagné l'Amérique du Nord. On leur a donné des terres très ingrates à cultiver, au Manitoba. Il a fallu passablement de temps pour rendre ces terres cultivables, mais elles sont maintenant très productives. Vous avez parlé des sols pierreux que les communautés noires détiennent en Nouvelle-Écosse. Est-ce que ces terres peuvent être épierrées et transformées en terres productives, ou croyez-vous qu'elles sont tout simplement irrécupérables, qu'il n'y a aucune façon de les rendre aussi productives que certaines autres terres de la Nouvelle-Écosse?

M. Adams : Je crois que toutes les terres peuvent être récupérées et transformées en terres productives, mais nous n'avons jamais eu d'aide des gouvernements à cet égard. À partir du moment où ils sont arrivés jusqu'à maintenant, les gens ont dû se débrouiller eux-mêmes pour développer l'agriculture. Je suis convaincu que le gouvernement a aidé les gens du Manitoba à défricher les Prairies pour en faire les vastes terres agricoles qu'elles sont maintenant.

Le sénateur Plett : En fait, ils n'ont pas été aidés. Mon grand-père et mon arrière-grand-père m'ont raconté comment cela s'est passé. On les a parachutés sur une terre et on leur a dit : « Allez, maintenant, débrouillez-vous! » Sauf qu'on leur a donné des titres de propriété, ce qui n'a pas été votre cas. C'est une partie du problème.

Ces titres n'ont pas été réclamés au moment où ces terres vous ont été accordées, et vous vous retrouvez maintenant avec ce problème.

M. Adams : Il est ici question d'une génération complète qui a été forcée de vivre dans un endroit qu'elle n'a pas choisi. On leur a donné des parcelles de terrain, et les titres n'étaient pas légaux.

Le sénateur Plett : D'accord. Alors, ils ont cru qu'ils avaient des titres, mais ils se sont aperçus que ces titres n'étaient pas légaux?

M. Adams : Exactement. Nous nous battons pour cela depuis les 30 dernières années.

Le sénateur Plett : Êtes-vous un élu municipal?

M. Adams : Je l'ai été.

Le sénateur Mercer : Vous avez aussi été député provincial.

Le sénateur Plett : Monsieur, je n'essaie aucunement de renvoyer la balle, mais ce problème est avant tout un enjeu municipal. La municipalité serait beaucoup mieux placée pour régler cette question de titres, car je ne crois pas que c'est le gouvernement fédéral qui est...

M. Adams : Le gouvernement provincial.

Le sénateur Plett : C'est le gouvernement provincial?

M. Adams : Oui, c'est le gouvernement provincial.

Le sénateur Plett : Je suis désolé. Je croyais qu'au Manitoba, tout cela aurait relevé de l'échelon municipal, mais je me trompe peut-être. Je vais chercher à savoir si c'est effectivement le cas.

Vous avez parlé des parcelles de terrain qui ne sont pas utilisées — et le sénateur Mercer vous a posé une question là-dessus —, de ces terrains qui sont au repos et qui sont à vendre. Dans votre exposé, vous avez parlé d'un concept qu'il serait bon d'adopter selon lequel des familles ou des personnes pourraient s'unir pour acheter des terres.

Il y a assurément beaucoup de colonies au Manitoba et dans l'Ouest, huttérites pour la plupart.

M. Adams : Des colonies huttérites?

Le sénateur Plett : Oui. C'est un groupe de personnes qui optent pour la mise en commun de leurs ressources. Essentiellement, ce sont des familles qui se regroupent pour acheter une terre. C'est quelque chose que vous auriez peut-être intérêt à examiner, car cela fonctionne très bien dans une bonne partie de l'Ouest. Je ne sais pas à quel point cela est répandu au Manitoba. Je présume que cela doit aussi se faire en Ontario. C'est un arrangement qui donne de très bons résultats. Je pense tout haut, mais ce serait peut-être une façon pour vous de commencer. Vous pourriez vous mettre en commun pour acheter des terres. Vous pourriez acheter les 1 200 acres en tant que groupe et démarrer l'exploitation en tant que groupe. Avez-vous déjà essayé quelque chose du genre?

M. Adams : On dirait que vous parlez d'une coopérative.

Le sénateur Plett : Cela ressemble à une coopérative, mais ce n'est pas tout à fait la même chose. L'avez-vous déjà essayé?

M. Adams : Pas à ce que je sache, mais je pense qu'il vaudrait la peine d'examiner cela de plus près.

Le sénateur Plett : Je le pense aussi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Adams, pour votre présentation. J'aimerais en entendre davantage sur votre expérience politique à l'échelle municipale. Dans votre présentation, vous avez mentionné que la protection des terres agricoles, en Nouvelle-Écosse, est la responsabilité des municipalités.

Pourriez-vous nous parler de la situation où les villes sont confrontées à des projets qui visent à urbaniser certaines terres agricoles? On l'a vu au Québec, les villes s'agrandissent et empiètent sur les terres agricoles. Qu'en est-il dans votre région? Les villes ont-elles tendance à urbaniser les terres agricoles?

[Traduction]

M. Adams : J'ai parlé de ces terres qui sont à Cole Harbour. En matière d'empiètement, il y avait moins d'activité dans la région de Sackville. Quoi qu'il en soit, en Nouvelle-Écosse et dans le comté de Halifax, le problème n'a pas l'ampleur qu'il a au Québec. D'après les divers articles que j'ai lus, ce problème ne nous touche pas autant que vous.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez évoqué l'expérience de la communauté noire, en Nouvelle-Écosse, en matière agricole. Avez-vous facilement accès aux programmes d'aide pour acquérir des terres agricoles? Existe-t-il des programmes de distribution des aliments que vous produisez? Auriez-vous des recommandations à nous formuler qui pourraient vous aider dans la distribution des aliments que vous produisez? Que pourrait faire le gouvernement pour aider votre communauté à avoir accès à tous les programmes d'aide liés aux terres agricoles, qu'il s'agisse de l'acquisition des terres ou de la distribution de vos produits?

[Traduction]

M. Adams : Nous en sommes aux premières étapes de la création de programmes d'acquisition. J'utilise le terme « renaissance » pour parler de cette démarche qui consiste à ramener l'industrie dans la communauté noire de la Nouvelle-Écosse. C'est une industrie qui a connu une assez longue période de léthargie, période qui contrastait énormément avec l'animation des premiers jours. Jusqu'aux années 1960, nous étions très actifs sur le plan de la mise en marché, mais cette activité est tombée presque à plat depuis. En tant que coordonnateur de projet, l'un de mes rôles est d'amener les gens et le gouvernement à collaborer pour favoriser une nouvelle croissance en matière d'agriculture.

[Français]

Le président : Monsieur Adams, je suis un passionné d'histoire. Il est surprenant que les Africains qui vivent en Nouvelle-Écosse se soient rendus où ils sont aujourd'hui, quand on se rappelle les conditions dans lesquelles ils ont été amenés en Nouvelle-Écosse. Vous avez été, vous aussi, des déportés, mais à l'inverse, des États-Unis au Canada. Vous avez été mal accueillis. On vous a jetés du bateau en vous disant « débrouillez-vous ». Il est impressionnant que vous soyez encore là aujourd'hui, et que votre communauté ait produit autant de personnes de grande qualité, dont la sénatrice Bernard est un exemple. Je me demande si le Canada ne vous doit pas des excuses.

Mais je reviens à la question de vos terres. La difficulté est de ne pas avoir de titre. Quand on n'a pas de titre, la municipalité perçoit-elle des taxes sur ces terres?

[Traduction]

M. Adams : Je vais répondre à votre dernière question en premier. La municipalité perçoit de l'impôt foncier pour ces terres. J'ai payé de l'impôt foncier après que la famille de ma mère est partie, et ils en ont payé avant cela. Cela fait 98 ans que nous payons de l'impôt foncier pour la propriété où je vis maintenant. Lorsque j'ai voulu la faire cadastrer, j'ai dû demander le titre. On m'a dit que ce titre n'était pas franc.

Je tiens à vous remercier pour vos compliments à l'égard des bienfaiteurs et des entrepreneurs comme moi. Comme l'histoire nous l'a montré, nous sommes un peuple résilient. Nous faisons ce qu'il y a de mieux à partir de rien. Comme je le disais plus tôt, nous avons su tirer parti de la situation. C'est un trait caractéristique de la culture de notre race.

[Français]

Le président : Je reviens à la question des taxes. Vous avez fait cadastrer les terres qui vous appartiennent et vous payez vos taxes. En revanche, pour les terres en jachère que les membres de votre communauté cultivent, est-ce qu'ils paient des taxes à la municipalité même s'ils n'ont pas de titre?

[Traduction]

M. Adams : Oui, c'est ce qu'ils font.

[Français]

Le président : Sur quoi paient-ils des taxes?

[Traduction]

M. Adams : Ils paient de l'impôt foncier sur le terrain. Vous recevez une facture d'impôt foncier tous les ans parce que votre terrain est enregistré. Vous vous faites donner un numéro municipal, on vous envoie une facture d'impôt foncier et vous devez la régler. En ce qui me concerne, je croyais que la terre nous appartenait. Or, quand j'ai voulu en faire quelque chose, nous nous sommes retrouvés avec une contestation judiciaire parce que la terre ne nous appartenait pas vraiment. Il a fallu 3 avocats et 15 ans de démarches pour que cette propriété nous soit reconnue en propre.

[Français]

Le président : Il y a un proverbe qui dit que la terre appartient à celui qui la cultive. Donc, elle devrait vous appartenir. En conclusion, je cède la parole à la sénatrice Bernard.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Monsieur Adams, je vous remercie de votre exposé et je vous remercie d'avoir accepté de comparaître comme témoin.

Je crois qu'il serait utile pour nous d'en savoir un peu plus sur les barrières systémiques qui continuent d'avoir une incidence sur le choix que font les membres de la communauté afro-néo-écossaise de ne pas considérer l'agriculture comme une activité commerciale, ou sur l'absence de choix qui découle de l'existence de ces barrières.

M. Adams : Bien sûr. Je crois que la vraie raison, c'est parce que nous avons été mis à l'écart. Je ne veux pas dire que cela s'est fait délibérément, mais nous avons été témoins de la croissance de l'agriculture, de l'industrie forestière et de l'industrie de la pêche en Nouvelle-Écosse. L'industrie de la pêche est à son sommet, et nous — les citoyens de notre race — ne participons pas à cela. On ne nous a pas incités à nous investir dans cette industrie; nous avons plutôt été aiguillés sur les industries plus traditionnelles, comme le commerce et les affaires.

Je crois qu'une porte s'est ouverte, et c'est la raison pour laquelle nous constatons une recrudescence de l'intérêt chez nos jeunes. Cela répond-il à votre question?

La sénatrice Bernard : Oui. Merci beaucoup.

J'aimerais formuler une observation. Elle n'a pas de lien direct avec l'agriculture, mais elle concerne ce que vous avez dit à propos du fait que le Canada devrait s'excuser pour la façon dont il a traité les Afro-Canadiens. Tout d'abord, je tiens à vous remercier d'en avoir parlé, et j'estime que cela fait bien le pont avec votre questionnement à savoir si nous sommes mis à l'écart de façon délibérée ou pas. Quoi qu'il en soit, c'est un peu comme si nous étions un peuple oublié. Pour les férus d'histoire qui sont dans la pièce, je vous conseille de jeter un coup d'œil au livre qu'a écrit Frances Henry, qui enseigne à l'Université de York. Il s'agit d'une étude ethnographique au sujet des Africains en Nouvelle-Écosse. Vous vous en souvenez peut-être.

M. Adams : Oui, je m'en souviens.

La sénatrice Bernard : Le livre s'intitule Forgotten Canadians, c'est-à-dire les Canadiens oubliés. Nous sommes effectivement les Canadiens oubliés et nous sommes constamment laissés en plan. Je crois que votre exposé de ce matin permet de sensibiliser un peu plus les gens à cette réalité et à la façon dont cela touche cette industrie en particulier. C'est une réalité qui se répercute dans toutes les industries.

Jusqu'au jour où nous serons reconnus comme un peuple distinct, nous continuerons d'être un peuple oublié et d'être systématiquement laissés pour compte. Aussi longtemps que nous serons les exceptions ou les premiers à accéder à tel ou tel poste, cela voudra dire que la masse critique est encore laissée derrière. C'est la raison pour laquelle nous ne nous réjouissons pas d'être les premiers où nous sommes. Il n'y a pas de quoi célébrer puisque cela signifie que la masse critique est laissée pour compte.

Le sénateur Mercer : Je crois que la sénatrice Bernard souligne quelque chose de très important. Si je devais décrire ce que je comprends de l'histoire, je dirais que lorsque la communauté africaine est arrivée en Nouvelle-Écosse, elle n'a pas été accueillie à bras ouverts. Le gouvernement de l'époque s'est dit : « Maintenant que ces gens sont ici, qu'allons-nous faire d'eux? »

Avec toute sa sagesse — et je souligne le mot « sagesse » —, le gouvernement leur a dit de marcher vers l'est pendant une journée, et c'est là que les gens ont abouti, dans la région de Preston. C'est à un jour de marche du port. Le gouvernement savait pertinemment à quel point cette terre était ingrate et qu'elle n'intéressait pas la communauté agricole de l'époque. Les bonnes terres étaient à Cole Harbour et dans d'autres régions.

Le gouvernement a fait la même chose dans d'autres directions. En périphérie de la région du Grand Halifax, il y a des endroits comme Beechville et Hammonds Plains. Ces collectivités ont deux choses en commun : une très importante communauté d'Afro-Néo-Écossais et beaucoup de roches. Voilà les endroits où nos ancêtres ont cru bon d'envoyer des colons. Nous ne leur avons jamais donné de bonnes terres, de terres aptes à soutenir une activité agricole. Dans la réalité de la Nouvelle-Écosse d'aujourd'hui, ces terres sont considérées comme étant de très belles propriétés, mais elles restent ingrates sur le plan agricole. On ne peut pas se débarrasser de roches de ce type; elles sont tout simplement trop grosses.

M. Adams : D'après ce que j'ai pu constater, les roches se multiplient d'année en année.

Le sénateur Mercer : Si vous pouviez leur trouver un marché...

M. Adams : C'est une culture qui a un grand potentiel commercial. Tout ce qu'il vous faut, c'est un concasseur de roche à côté du jardin et l'affaire est dans le sac.

Le sénateur Mercer : C'est un problème en soi. La question des titres de propriété est celle dont il faut parler.

M. Adams : C'est un problème qui dure depuis trop longtemps et qui doit être réglé.

Le sénateur Mercer : Même lorsque vous étiez au gouvernement provincial, vous n'avez pas eu la chance de le résoudre.

M. Adams : Nous avons tenté différentes choses grâce au travail juridique bénévole de certains avocats, mais rien n'a abouti.

Le président : Merci, sénateur Mercer.

M. Adams : Merci, monsieur. J'aime ce que vous avez proposé au sujet d'une excuse.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Adams. La suggestion du sénateur Plett est loin d'être mauvaise. Le fait de travailler en coopération peut souvent, au sein de petits groupes, devenir une pierre de lance pour une grande entreprise. Je vous suggère d'examiner cette proposition de façon approfondie et d'en discuter avec les membres de votre communauté.

Je souhaite aussi que vous puissiez régler vos problèmes de terres et qu'elles puissent enfin vous appartenir. Lorsque la terre nous appartient, il est plus facile d'y mettre notre cœur pour la cultiver. Je souhaite la meilleure des chances à votre communauté. Merci infiniment d'être venu témoigner devant le comité ce matin.

Nous avons maintenant le privilège d'entendre, de l'Argentine, M. Eduardo De Zavalia. Nous vous souhaitons la bienvenue au Canada et au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

Nous aimerions vous entendre.

[Traduction de l'interprétation]

Eduardo A.C. De Zavalia, avocat, Sociedad Rural Argentina : Je suis un avocat et un producteur agricole argentin. Je travaille depuis longtemps. J'ai été président de la société rurale de l'Argentine et j'ai aussi travaillé dans des associations internationales en compagnie de producteurs agricoles. À maintes reprises, j'ai collaboré avec des producteurs de votre pays, alors je crois que je suis en mesure de vous donner certaines informations.

Comme vous, l'Argentine se préoccupe de l'augmentation du prix des terres. Au cours des 25 dernières années, le prix des terres a augmenté de 700 p. 100 en dollars américains, ce qui signifie qu'il a été multiplié par 7. Depuis le début du présent siècle, c'est-à-dire depuis l'an 2000, les prix ont augmenté d'environ 350 à 400 p. 100. Tout cela pour dire que les prix actuels sont très élevés, et que cela crée des complications qui ressemblent probablement à celles que vous avez évoquées.

Je ne sais pas si vous vous intéressez aux raisons que nous avons cernées pour expliquer cette augmentation, mais si c'est le cas, je peux vous en parler.

[Français]

Le président : Oui, ce serait très intéressant pour nous.

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Nous sommes partis d'un prix qui était assez bas, puis il y a eu un boom et une augmentation du prix des produits de base. Bien entendu, cela a aussi provoqué une hausse du prix des terres, mais ce n'est pas la seule raison. Par exemple, en 1990, on pouvait acheter un hectare pour six ou sept tonnes de soya, 15 au maximum. Aujourd'hui, ce chiffre se situe plutôt entre 33 et 60 tonnes. Cela signifie que ce n'est pas seulement l'augmentation des prix qui cause ce phénomène.

Un autre aspect qui a eu une incidence, c'est l'usage accru de la technologie, ce qui s'est traduit par de meilleurs rendements et par une meilleure utilisation de terres qui, jusque-là, n'étaient pas particulièrement bonnes pour l'agriculture. Cela a aussi fait monter les prix.

Une chose qui est très commune dans notre pays et qui a eu une grande incidence, c'est l'absence de possibilités d'investissement. Comme vous le savez, l'Argentine a connu de grandes difficultés sur le plan économique. Nous avons vécu une série de changements très brusques et le climat n'était vraiment pas propice aux investissements. Beaucoup de gens se sont mis à acheter des terres. C'était un moyen sécuritaire pour eux de placer de l'argent sans risque d'en perdre. C'est un autre facteur qui a contribué à l'augmentation de la valeur des terres.

En conjonction avec l'augmentation du prix des produits de base, on a vu l'apparition de groupes financiers et de fonds d'investissement qui louent les champs pour les semailles. Cela a fait en sorte que de nombreux producteurs qui ont de petites parcelles ou qui ne veulent plus travailler sur leur terre en raison de leur âge sont en mesure de garder leur propriété; ils peuvent désormais la louer à bon prix, ce qui leur évite d'avoir à s'en défaire. Cette dynamique a entraîné une réduction de l'offre, ce qui a aussi une incidence sur les prix.

Enfin, il y a aussi eu des investissements d'acheteurs étrangers, qui ont également contribué à la hausse des prix.

Toutes ces raisons ont provoqué l'augmentation des prix que j'ai évoquée.

[Français]

Le président : Je pense que la surévaluation des terres agricoles a aussi été un problème au Canada et, depuis les années 2010, il y a eu aussi une surenchère des terres agricoles. Je vois que nous ne sommes pas les seuls.

[Traduction]

Le sénateur Plett : J'ai quelques questions à poser. Vous avez parlé des petites fermes. Quelle serait la taille moyenne des fermes en Argentine? Au Canada, il est de plus en plus courant que la majorité des terres appartienne à une poignée de gens. Ce problème de grands propriétaires terriens se pose-t-il aussi en Argentine?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Cela dépend. Il n'y a pas de grands propriétaires terriens au pays, ou alors il y en a très peu. La taille des fermes dépend de la région de l'Argentine dont il est question. S'il s'agit de la région considérée comme le cœur agricole du pays, celle qui est la plus productive, les champs font en moyenne 300 hectares environ, parfois 700 acres. La taille augmente dans les régions moins productives. On ne peut parler de taille moyenne précise en raison de la diversité des régions.

En ce qui concerne la concentration de la propriété terrienne, c'est effectivement un problème qui se pose ici. Cependant, comme je l'ai indiqué précédemment, la possibilité de louer la terre a contribué au problème. Les petits propriétaires terriens qui ne jouissaient pas de certains niveaux économiques ou qui étaient trop âgés pour travailler la terre ont pu louer cette dernière et en conserver la propriété.

[Traduction]

Le sénateur Plett : À la fin de votre exposé, vous avez traité brièvement de la propriété étrangère. Quelle quantité de terres appartient à des étrangers? Avez-vous des règlements contre la propriété étrangère? D'où viennent les propriétaires étrangers? Acquièrent-ils des terres aux fins d'investissement ou pour les exploiter eux-mêmes?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Nous ne disposons pas de statistiques claires à ce sujet, parce que jusqu'en 2011, il n'existait pas de règlement instaurant des régimes distincts pour les producteurs nationaux et étrangers. En 2011, nous avons établi des normes et nous avons ouvert des registres, mais nous n'avons pas de chiffres précis à cet égard. Je dirais que pas plus de 3 ou 5 p. 100 des terres appartiennent à des intérêts étrangers.

Pour ce qui est de dire s'ils achètent des terres aux fins d'exploitation ou d'investissement, je dirais que les investissements étrangers visent davantage les régions inexploitées de la Patagonie, par exemple, ou du Nord du pays, où les prix sont bien plus bas et où il est possible d'acquérir d'importantes parcelles de terre. Ce sont des régions où l'influence des investissements étrangers est plus manifeste, mais pas tellement sur le plan de la production, bien que certaines entreprises étrangères exploitent la terre à cette fin.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Le Canada vit aussi un problème d'urbanisation, particulièrement dans certaines grandes agglomérations, comme Toronto, Montréal, Vancouver et peut-être d'autres villes. La terre environnante est extrêmement précieuse et de vastes superficies de terres agricoles disparaissent à cause de l'urbanisation. Le même problème se pose-t-il en Argentine?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Dans une moindre mesure. Il y a de la concentration dans deux ou trois villes, comme Buenos Aires et Rosario, où l'urbanisation a provoqué la perte de terres agricoles. Mais comme le pays est vaste, cela n'a pas eu d'incidence majeure.

Il existe toutefois aujourd'hui un conflit entre les producteurs et la population urbaine à propos des produits agrochimiques et des engrais. Les habitants des centres urbains se plaignent de la nocivité potentielle de ces produits, ce qui limite parfois l'utilisation que les producteurs peuvent en faire.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Nous éprouvons certainement un grand nombre de ces problèmes ici, au Canada. Merci beaucoup, monsieur.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur De Zavalia. J'ai deux questions à vous poser.

Vous avez mentionné qu'en Argentine, il y a de petites exploitations. J'imagine que les terres doivent se transmettre de père en fils. Y a-t-il des programmes d'aide gouvernementale pour subvenir aux besoins des agriculteurs et pour leur permettre d'exploiter leurs terres et de distribuer les produits de leur terre?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Nous avons tenté de mettre de tels programmes en œuvre, mais de façon générale, ils n'ont pas donné de résultats probants. Le système de coopérative utilisé dans d'autres pays, peut-être au Canada, fonctionne très bien, mais pas en Argentine. Je ne comprends pas vraiment pourquoi, mais il ne s'y est pas autant développé. Les coopératives sont généralement mal gérées. Les gestionnaires n'étant pas bons, les producteurs ne profitent pas réellement de ce genre de programme.

Par contre, dans ce que nous appelons les régions marginales, où l'on produit peut-être du vin, des fruits et du sucre, certains programmes aident les gens.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Au Canada, pour écouler les produits de l'agriculture, on a l'ALENA, l'Accord avec l'Union européenne et le Partenariat transpacifique, même si on ne connaît pas encore l'issue de cette dernière entente. L'Argentine a-t-elle conclu des accords pour faire du commerce bilatéral avec d'autres pays? Participez-vous à ce genre d'accords?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Nous avons un accord de libre-échange du nom de Mercosur, qui unit l'Argentine, l'Uruguay, le Brésil et le Paraguay. Le Venezuela s'y est joint et s'en est retiré à plusieurs reprises, pour les raisons que vous connaissez. Cet accord a fort bien fonctionné dans le secteur agricole, mais nous nous concurrençons plus que nous ne vendons et n'achetons. Cela vaut pour l'Uruguay et le Brésil également. Le Paraguay a augmenté sa production et nous fait lui aussi concurrence. C'est vraiment pour des marchandises autres que les produits agricoles que l'accord fonctionne bien. Le Brésil achète le blé argentin, ce qui nous est très utile.

L'ancien gouvernement qui a quitté le pouvoir il y a environ un an avait adopté une politique de fermeture économique; nous n'étions donc pas ouverts aux autres pays. Nous considérons que c'était une erreur. L'administration actuelle a fait des annonces qu'elle n'a pas encore concrétisées, mais elle a l'intention de mettre en œuvre ce genre de programme, comme une entente entre Mercosur et l'Union européenne, et envisage l'entrée de l'Argentine au sein du groupe de pays du Pacifique.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Merci, monsieur De Zavalia, de témoigner. Je me demande si vous pourriez formuler des observations générales sur la santé et la compétitivité du secteur agricole argentin. Je m'intéresse à la productivité de la terre et à l'amélioration du rendement au fil des ans, à la composition des produits et aux marchés extérieurs. Pourriez-vous nous donner une idée de la santé du secteur?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : C'est une question très vaste; permettez-moi donc de vous brosser un tableau d'ensemble.

Sachez d'abord que nous avons un impact politique qui a eu une incidence sur le secteur agricole. Au cours des 12 dernières années, jusqu'au changement de gouvernement, la politique était vraiment contre le secteur agricole en raison des taxes à l'exportation. Nous imposions et imposons encore des taxes de 20, de 30 et même de 35 ou 40 p. 100 sur les exportations. Vous pouvez facilement imaginer qu'avec de tels taux, il est très difficile de faire croître le secteur agricole.

L'administration actuelle a éliminé ces niveaux de taxes, sauf pour le soya, pour lequel le taux de taxe à l'exportation est encore de 30 p. 100. Autrement dit, le secteur agricole est en train de se rétablir, mais il doit encore composer avec des contraintes comme celle-là, des contraintes que le gouvernement n'a pas encore été capable d'éliminer en raison de questions fiscales.

Il existe toutefois une politique plus globale. L'ancien gouvernement limitait et entravait aussi les exportations de viande, de produits laitiers ou de lait. Nous devions obtenir des permis spéciaux pour exporter des céréales et des grains. Tout cela faisait en sorte que les prix des produits agricoles étaient bas.

Nous sommes maintenant en train de remonter la pente. Je pense que notre production est bonne pour la plupart des produits de base. Notre production de soya est de 3 000 à 4 000 kilos par hectare. Vous pouvez diviser ces chiffres en deux pour avoir une idée du rendement par acre.

Nous en sommes à des niveaux assez équivalents à ceux des États-Unis. En ce qui concerne le blé, nous tirions de l'arrière pour les raisons que j'ai évoquées. Aujourd'hui, les productions sont bonnes et offrent un rendement de quelque 3 500 kilos par hectare. Nous produisons du tournesol, une culture auparavant délaissée. À cela s'ajoutent le soya et le maïs, bien entendu, que nous produisons en grandes quantités et qui offrent un haut rendement. Nous pensons que le rendement sera de plus de 7 000 kilos cette année. Nous verrons même des rendements de 10 000, 12 000 et même de 14 000 kilos par hectare. Je dirais que de ce point de vue, la santé est bonne.

Il n'en va pas de même pour les productions plus spécialisées, comme les fruits et le sucre. Toutes ces cultures étant éloignées des ports, les frais de transport sont très élevés, ce qui limite la production. En outre, la distribution n'est pas aussi efficace que nous le souhaiterions. Nous tirons donc légèrement de l'arrière à cet égard et nous devrons nous battre pour rattraper ce retard.

Nous accusons aussi du retard sur le plan de l'exploitation des terres agricoles. Certaines d'entre elles ne sont pas exploitées ou le sont de manière très inefficace en raison de problèmes structurels ou de l'absence de route ou de service dans la région. À cela s'ajoutent des problèmes culturels parce que la population n'est pas habituée à ce genre de travail; il est donc difficile de trouver des travailleurs compétents. Cela s'applique au Nord du pays.

Le problème est différent dans le Sud. Vous avez probablement entendu parler de la région appelée Patagonie, qui est plus froide, mais qui manque d'eau. Aucun système d'irrigation ne vient y compenser le manque de précipitations; c'est donc un problème.

Au centre, au cœur du pays, la situation est bonne et saine, mais les autres régions tirent de l'arrière. Voilà qui nuit au pays, puisque cela réduit la production nationale. De plus, ces régions sont pauvres et manquent de ressources parce qu'il y a peu d'activité.

Nous expédions nos exportations aux quatre coins du monde. Nous utilisons les prix du marché de Chicago et nous vendons évidemment à la Chine, comme tout le monde. Les Chinois sont les premiers acheteurs de tous les produits, mais nous transigeons aussi beaucoup avec l'Europe et les pays asiatiques, ainsi qu'avec l'Inde. D'autres pays commencent maintenant à acheter de nos produits, notamment des pays africains et l'Égypte, qui achètent notre blé en quantités substantielles. Nous participons donc au marché international en fonction de la demande.

[Traduction]

Le sénateur Woo : J'aimerais revenir brièvement à la politique de taxation des exportations de produits agricoles. Visait-elle à encourager l'autosuffisance alimentaire ou la production à valeur ajoutée? Quelle en était la motivation sous-jacente?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Les taxes étaient élevées et avaient pour effet de réduire la production au lieu de l'augmenter, parce que si le prix est élevé, les agriculteurs produiront moins.

Le gouvernement imposait cette taxe pour deux raisons. L'une était politique et visait à faire en sorte que les denrées alimentaires soient peu chères au pays. Autrement dit, nous sommes tributaires des prix internationaux. Je sais que vous avez des régimes différents, comme les programmes de gestion du sol et un éventail d'autres initiatives, que je connais bien. Nous n'avons pas de tels régimes. Ici, nous avons un libre marché où les prix des produits sur le marché national sont établis en fonction des prix des exportations. Donc, si les prix des exportations diminuent, il en va de même pour les prix sur le marché national.

D'un autre côté, cette taxe constitue une source de ressources extraordinaire pour le gouvernement. Vous pouvez certainement imaginer ce que représentent 30 ou 35 p. 100 de la production totale pour le Trésor. Cet argent a permis aux gouvernements de disposer des fonds nécessaires à la mise en œuvre de leurs politiques populistes.

[Français]

Le sénateur Pratte : Monsieur De Zavalia, concernant le prix des terres agricoles, vous avez fait mention des mêmes facteurs qui sont mentionnés ici, soit le prix des denrées, l'amélioration du rendement des terres, les investissements des investisseurs institutionnels et les acheteurs étrangers.

Ici, la plupart des spécialistes nous disent que le facteur dominant demeure le prix des denrées, les autres facteurs étant relativement marginaux. Diriez-vous la même chose pour ce qui est de la situation en Argentine, c'est-à-dire que les autres facteurs, mis à part le prix des denrées, comptent beaucoup moins, puisque le prix des denrées est vraiment le facteur dominant?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Nombre d'investisseurs affirment qu'il faut fixer le prix en devise étrangère plutôt qu'en devise nationale, puisque cela offre une plus grande sécurité que celle qu'ils obtiendraient d'une autre sorte d'investissement.

J'ai oublié de dire auparavant que depuis 2015, c'est-à-dire depuis le changement de gouvernement, les prix sont demeurés stables et ont même diminué de 10 ou 15 p. 100 dans certains cas, ce qui constitue un bon signe. En d'autres mots, à mesure que ces investisseurs trouvent de nouvelles manières d'investir leur argent, la demande en terres agricoles diminue, et si vous parlez à des courtiers qui vendent des terres agricoles, ils vous diront que les ventes se font rares et qu'il y a peu d'acheteurs.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Que font ces investisseurs une fois qu'ils ont acheté une terre? Se contentent-ils de la louer à des agriculteurs pour qu'ils en assurent l'exploitation? Que font-ils? S'en servent-ils aux fins de spéculation? La revendent-ils?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Eh bien, ils font bien des choses différentes. Certains, plus entreprenants, commencent peut-être à exploiter eux-mêmes la terre. Peut-être qu'avec leur expérience dans d'autres domaines ou dans l'industrie, ils peuvent commencer à utiliser davantage la technologie pour accomplir des progrès. D'autres, par contre, ne souhaitent que recevoir le loyer et n'ont aucune réticence importante à simplement louer la terre. Les deux se font et on ne peut pas dire qu'une façon de faire l'emporte sur l'autre.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Y a-t-il lieu de s'inquiéter, alors? Ici, certains craignent que le fait que des investisseurs institutionnels achètent des terres menace l'agriculture locale. Partage-t-on ces inquiétudes en Argentine?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Il y a des plaintes à ce sujet, de la part de certains producteurs, notamment. Pour ma part, je ne partage pas ces inquiétudes. Je considère que si on investit dans les terres, l'industrie s'améliorera, et non le contraire.

Mais maintenant, il sera plus difficile pour les producteurs d'acheter des terres agricoles, parce que les prix ont augmenté. De plus, certains producteurs qui ont loué des terres adjacentes ou qui ont agrandi leur propre propriété en achetant des terres sont maintenant limités dans leur marge de manœuvre, car ils font concurrence à des fonds d'investissement ou à des groupes financiers. Le débat fait rage entre eux.

Personnellement, je ne partage pas ces inquiétudes. Plus on investira dans les terres agricoles, mieux cela fonctionnera et plus nous en profiterons tous.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur De Zavalia, pensez-vous que les jeunes s'intéressent à l'agriculture ou s'en vont rester en ville sans envisager de carrière dans ce domaine?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Malheureusement, ils commencent effectivement à se tourner vers d'autres activités, car le secteur agricole a traversé bien des difficultés. La situation a parfois été très difficile au cours des 12 à 14 dernières années, et un jeune qui a 20 ou 25 ans aujourd'hui a grandi en voyant ce secteur mis à mal. Voilà pourquoi ils préfèrent trouver du travail dans les villes où il y a, selon eux, plus d'avenir et où ils pensent pouvoir se bâtir une meilleure vie. Nous considérons cette tendance comme un problème sérieux.

Nous ne ménageons pas nos efforts pour contrer cette tendance, mais je pense que la seule manière d'améliorer la situation, c'est de permettre aux producteurs d'avoir de bons prix et de jouir d'un niveau de vie décent et intéressant. Cela incitera les gens à rester dans les champs. Il y a toutefois un problème à cet égard.

[Français]

Le président : Monsieur De Zavalia, j'aurais une question à vous poser. On connaît les régions comme la Pampa, la Patagonie, le Gran Chaco. Est-ce qu'il y a encore de grandes haciendas où on retrouve des dizaines de milliers de têtes de bétail qui appartiennent à des propriétaires terriens? Est-ce que cela existe encore?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Oui. Bien entendu, le pays compte de vastes exploitations, mais plus aussi grandes qu'avant. Un grand propriétaire terrien est décédé récemment; il possédait 100 000 hectares dans la province du Chaco, et cela a fait jaser; il en a été question dans les journaux. Certaines exploitations font 12 000, 15 000 et 20 000 hectares, oui, mais elles ne sont pas aussi vastes que cela.

Il se pose dans le Nord un problème que vous éprouvez certainement vous aussi : celui des débats entre les environnementalistes et les producteurs. Pour exploiter une terre, il faut recourir à la déforestation, puisque les champs sont couverts d'arbres qui en empêchent l'exploitation à grande échelle.

La déforestation déplaît aux environnementalistes, car cette pratique modifie la nature. Je suis sûr que vous connaissez ces arguments. Un débat divise en permanence ceux qui veulent exploiter les champs pour y produire des aliments et ceux qui veulent préserver la nature dans son état initial, un débat qui se joue même dans l'arène politique. Voilà qui nuit au processus.

[Traduction]

La sénatrice Gagné : L'Argentine a instauré une fondation pour protéger les forêts qui sont surexploitées pour produire du soya. Pourriez-vous traiter de la question?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Comme je le disais, nous devons toujours concilier les principes des environnementalistes et ceux des utilisateurs. Si nous suivions les environnementalistes au maximum, nous devrions éliminer l'agriculture, car toute agriculture modifie la terre et la nature. En agissant ainsi, nous n'aurons plus de nourriture.

Nous devons trouver un juste équilibre, et je pense que nous y sommes parvenus. Il y a des plaintes, bien entendu, mais je pense que nous avons trouvé un équilibre raisonnable en utilisant des produits agrochimiques et des engrais, mais en quantités très inférieures à celles employées aux États-Unis. Notre production est raisonnablement bonne, car la qualité de nos terres agricoles nous permet d'utiliser moins d'engrais et de produits agrochimiques. Je pense que c'est une lutte qui ne prendra jamais fin. Il y en aura toujours qui voudront qu'on utilise moins de produits.

Faut-il utiliser des semences transgéniques ou non? La question divise naturellement deux parties dont les intérêts sont essentiellement opposés.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Le gouvernement de l'Argentine a adopté une loi sur les terres rurales afin d'interdire l'acquisition des terres agricoles par des étrangers. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette loi? Considérez-vous que son adoption permette d'atteindre les objectifs escomptés et pourquoi?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : Oui, c'est vrai. En 2011, nous avons approuvé une loi pour régir la propriété terrienne. Dans les faits, cette loi visait uniquement à réduire l'acquisition de terres par des groupes étrangers. C'était l'objectif des députés et l'intention générale.

Un registre de toutes les terres a été établi, ce qui n'était pas nécessaire, puisque nous avions des registres de propriété. L'achat de terres par des intérêts étrangers a été limité à 1 000 hectares dans le cœur agricole du pays. Il s'agit d'une superficie substantielle dans la région la plus productive du pays. Je pense que cela ne soulève pas de problème important.

La loi limite également l'achat de terres bénéficiant d'un accès à des réservoirs d'eau, en vertu d'un principe voulant que les étrangers exporteront l'eau de l'Argentine. Je ne suis absolument pas d'accord avec ce principe, car je me demande comment ils y parviendront. La transporteront-ils en bateau? De fait, il s'agit d'une décision politique qui ne repose sur aucun fondement solide. La loi impose toutefois ces restrictions. Si les étrangers emportent l'eau en petites bouteilles, ce sera encore plus difficile. Mais comme je l'ai fait remarquer, cette crainte n'a pas de fondement solide.

C'est un facteur contraignant, car la loi limite la superficie de terre que des groupes étrangers peuvent posséder dans une région donnée. Si nous prenons par exemple une ville précise dans la province de Québec, des étrangers ne pourraient pas posséder plus de 15 p. 100 des terres dans la région.

Dans les faits, comme je l'ai souligné, nous sommes loin de cette situation, mais c'est une restriction qui cause du souci.

Quoi qu'il en soit, aucune de ces dispositions ne s'applique aux investissements déjà effectués, qui conservent donc leur valeur et ne sont pas touchés. Les entreprises ou les particuliers qui résident en Argentine depuis plus de 10 ans ne sont pas touchés.

J'ignore si cela répond à votre question.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup, mais je vous ai demandé si la loi fonctionnait.

Vous avez indiqué qu'elle ciblait certains groupes. Qui sont ces groupes qui préoccupaient ses concepteurs?

[Traduction de l'interprétation]

M. De Zavalia : En bien, vous savez que chaque pays compte des groupes nationalistes qui ne sont pas vraiment favorables à l'investissement étranger. On peut voir la question de deux manières. On peut juger que lorsqu'un étranger achète une terre ou établit une industrie, il s'approprie la richesse du pays. D'un point de vue plus libéral, on peut considérer que l'étranger investit dans la terre et l'industrie, offre des possibilités d'emploi et crée de la production, ce qui est utile pour le pays. Ces deux points de vue coexistent.

Selon la tendance d'une administration ou d'une autre, ces groupes ont plus ou moins de pouvoir. L'administration actuelle est favorable à l'investissement étranger et invite cet investissement dans le cadre de forums internationaux, car notre pays en a besoin pour se rétablir. Il ne voit pas cet investissement comme une contrainte. L'autre groupe politique voit les choses d'un autre œil.

[Français]

Le président : Monsieur De Zavalia, merci infiniment pour votre témoignage. Vous avez mentionné la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles du Québec. À mon avis, c'est une loi très positive qui assure la pérennité des sols cultivables.

Bien sûr, votre témoignage a été très instructif pour les membres du comité et nous vous en remercions. Nous vous souhaitons bonne chance pour l'avenir de l'agriculture en Argentine, et le Canada peut être un partenaire très fidèle à l'Argentine en tout temps.

Je tiens à remercier l'équipe technique et l'équipe responsable de l'organisation de la vidéoconférence, autant chez vous que chez nous.

(La séance est levée.)

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