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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 51 - Témoignages du 10 mai 2018


OTTAWA, le jeudi 10 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui à 8 heures pour étudier la teneur des éléments de la partie 5, dans la mesure où cette partie concerne l’agriculture du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Honorables sénateurs, soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, et la présidente du comité.

J’aimerais commencer en demandant à chacun des membres de se présenter, en commençant par le vice-président.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bonjour et bienvenue. Ghislain Maltais, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur R. Black : Rob Black, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de la teneur des éléments de la partie 5 du projet de loi C-74, dans la mesure où cette partie concerne l’agriculture.

Pour notre premier groupe d’experts, nous avons le président de la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard, M. David Mol. De l’Alliance agricole du Nouveau-Brunswick, nous avons Dwayne Perry, 2e vice-président, et Josée Albert, chef de la direction.

Merci à vous tous d’avoir accepté notre invitation à comparaître ici, aujourd’hui. Nous avons hâte d’entendre vos exposés.

Nous allons commencer par M. Mol, de l’Île-du-Prince-Édouard.

David Mol, président, Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard : Je suis le président de la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard. Je suis également un agriculteur. Je pratique l’agriculture depuis 46 ans.

Merci de m’avoir invité à parler au nom de notre organisation au sujet de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. La Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard est la plus grande organisation agricole générale de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous représentons les intérêts des agriculteurs de toute la province. Je reconnais ici, autour de la table, certaines personnes qui étaient à la réunion d’Halifax, l’automne dernier.

Je vais dire les choses comme elles sont. La question de la tarification imminente du carbone inquiète la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard et ses membres. Contrairement à beaucoup d’administrations provinciales dont vous avez entendu parler, le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard n’a pas encore annoncé de plan à cet égard. Nous sommes le 10 mai, les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard sont prêts à aller au champ. Nous ne savons pas encore comment budgéter en fonction de cette taxe qui est sur le point d’entrer en vigueur. Nous ne savons pas tout à fait à quoi elle ressemblera, combien elle coûtera, ce qui sera exempté et ce qui ne le sera pas. Nous sommes conscients du fait que la taxe sera un filet de sûreté qui sera imposé si notre gouvernement persiste à ne rien faire, et c’est la raison de notre présence ici, aujourd’hui.

Lors de la réunion de notre fédération, en janvier dernier, les représentants de la province nous ont dit que l’Île-du-Prince-Édouard continuait d’examiner la taxe carbone sur les combustibles, mais qu’elle ne souscrivait pas encore à quelque plan que ce soit. Le seul réconfort pour le secteur agricole est venu lorsque le premier ministre a annoncé que les véhicules qui brûlent du carburant agricole allaient être exemptés de toute forme de taxe. Il est cependant important de souligner que dans le cas de l’Île-du-Prince-Édouard, les seuls véhicules concernés par cette exemption sont les tracteurs, les moissonneuses-batteuses et les navires de pêche. Tous les véhicules qui vont sur les routes sur une base régulière échapperont à cette exemption. Cela comprend les véhicules qui transportent des produits depuis le champ jusqu’au site d’entreposage ou du site d’entreposage au transformateur local.

La Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard fait présentement du lobbying auprès du gouvernement provincial pour que les permis de carburant agricole soient étendus à tous les véhicules arborant des plaques d’immatriculation agricoles, mais nous ne savons pas exactement si cette revendication a reçu un accueil favorable.

La Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard fait aussi du lobbying pour que l’exemption soit étendue à tous les combustibles, y compris le propane. De nombreux agriculteurs de l’île utilisent le propane à grande échelle, surtout lorsqu’il s’agit de griller et d’extruder les légumineuses ou de sécher les céréales. La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre doit tenir compte de cette demande.

Nous joignons nos voix à celle de la Fédération canadienne de l’agriculture qui, la semaine dernière, a loué le gouvernement fédéral pour sa décision d’exempter l’utilisation à la ferme d’essence et de diesel, mais nous prions instamment le gouvernement d’étendre cette exemption à tous les combustibles. J’ajouterai que le gouvernement fédéral devrait presser les provinces à s’assurer que tous les véhicules arborant des plaques d’immatriculation agricoles soient autorisés à utiliser un carburant exonéré de taxe.

Les coûts du transport à l’Île-du-Prince-Édouard sont particulièrement élevés. La tarification du carbone va aggraver la situation. Étant donné que les coûts additionnels vont être refilés aux producteurs, le prix du camionnage et des intrants va augmenter.

Comme vous l’avez probablement entendu une douzaine de fois, les agriculteurs sont des preneurs de prix. Ce que les compagnies de camionnage ou les fournisseurs devront payer sera transféré aux agriculteurs, mais les agriculteurs ne disposent d’aucune façon de mettre leurs clients à contribution. Nous craignons que cela ne crée un désavantage concurrentiel sur les marchés mondiaux pour les agriculteurs canadiens, et surtout pour ceux d’une province comme l’Île-du-Prince-Édouard où, pour rejoindre les marchés, la vaste majorité des produits doit être transportée par camion sur de longues distances.

L’exemption pour le combustible utilisé à la ferme ne changera rien à nos coûts de transport. Étant donné notre taille, l’absence de chemin de fer et les grandes distances qui nous séparent des marchés, nous n’avons aucune alternative : nous sommes complètement dépendants du camionnage. La loi ne dit rien à ce sujet. C’est un problème qui doit être examiné et dont il faudra tenir compte.

La fédération comprend aussi que cette loi aura une incidence sur l’industrie de la transformation et sur la compétitivité de cette industrie dans un marché mondial. Plus de la moitié des pommes de terre cultivées sur l’Île-du-Prince-Édouard sont transformées en frites et en matière première pour la fabrication de croustilles. Tout le lait produit sur l’île est transformé à Charlottetown et à Summerside. Les bleuets que nous produisons sont presque tous transformés dans l’est de la province, et la majorité de notre bœuf abouti dans les usines de transformation de Borden, une ville de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous ne voulons pas parler pour eux, mais je dirai que sans eux, les agriculteurs de l’île ne seront pas capables de maintenir une industrie viable.

Une menace réelle que ce comité devrait garder à l’esprit, c’est celle des problèmes de compétitivité régionale qui verront le jour à travers le Canada à mesure que les différents systèmes de carbone entreront en vigueur. Certaines provinces prévoiront des allocations, des rabais ou certaines exemptions, tandis que d’autres n’offriront rien de cela. Nous ne voulons pas qu’une partie du pays en devance une autre simplement en raison de la structure de tarification du carbone qu’elle aura mise en place.

En dernier lieu, disons qu’aux termes de la loi, la définition de ce qu’est un agriculteur est trop étroite. La fédération s’est fait dire par le ministère des Finances de l’Île-du-Prince-Édouard que cette définition était plus étroite que celles figurant dans n’importe quelle autre loi « agricole » en vigueur dans la province. Cette définition pourrait mener à l’exclusion des activités propres à l’agriculture de serre, à la culture d’arbres de Noël et à l’acériculture, pour ne nommer que ceux-là.

Nous vous exhortons à modifier la loi et à incorporer par renvoi la définition d’agriculteur donnée par l’Agence du revenu du Canada et les directives d’interprétation pertinentes qui l’accompagnent. Il est important de ne laisser aucune place à la confusion.

Par l’intermédiaire du rapport Barton, le gouvernement du Canada a demandé à ce que le secteur de l’agriculture se donne l’objectif de réaliser 75 milliards de dollars en exportations. Le projet de loi C-74 doit nous permettre d’atteindre cet objectif et faire en sorte que le monde agricole ne sera pas mis à mal de façon indue.

Pour ce faire, le projet de loi doit se conformer aux choses que nous réclamons aujourd’hui, nommément : étendre l’exemption à tous les combustibles utilisés sur la ferme; exhorter les provinces à permettre à tous les véhicules arborant une plaque d’immatriculation agricole d’utiliser un carburant exonéré de taxe; remédier à l’augmentation du coût du camionnage à laquelle les agriculteurs devront faire face si les exemptions et les rabais ne sont pas accordés; veiller à ce que les problèmes de compétitivité entre les régions ne se matérialisent pas; et incorporer par renvoi la définition d’agriculteur de l’Agence du revenu du Canada ainsi que les directives d’interprétation pertinentes connexes.

Si le comité veut une recommandation qui va au-delà de ce projet de loi, nous sommes d’avis que vous devriez exhorter les gouvernements fédéral et provinciaux à aider la communauté agricole en continuant de soutenir la recherche et l’innovation. Cela comprend la recherche sur la séquestration du carbone, les énergies renouvelables et la réduction des émissions de gaz à effet de serre provenant de l’équipement, des intrants agricoles et du bétail.

L’agriculture peut jouer un grand rôle pour la réduction des émissions de carbone. Le moment est venu de saisir l’occasion. Sur l’Île-du-Prince-Édouard, il y a 575 000 hectares en production, de même que des terres forestières de grande superficie, terres qui appartiennent en grande partie aux agriculteurs. La Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard prie le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial de ne pas oublier le potentiel formidable de l’agriculture en matière de réduction du carbone.

En terminant, permettez-moi de souligner de nouveau le fait qu’au Canada, la nourriture que nous consommons ne saurait être produite sans combustible. Nous produisons des aliments sains et de la meilleure qualité qui soit, et nos moyens de production font en sorte que nos aliments sont plus abordables que dans presque n’importe quel autre pays du monde, à l’exception des États-Unis. Pour assurer la sécurité alimentaire et la prospérité à long terme que nous avons actuellement, il faudra des exemptions à long terme en matière de tarification du carbone ainsi que des investissements dans le domaine de la recherche. Il faudra pour ce faire que nous travaillions ensemble.

Dwayne Perry, 2e vice-président, Alliance agricole du Nouveau-Brunswick : Madame la présidente, honorables sénateurs, nous sommes heureux d’être ici pour vous livrer le point de vue de l’Alliance agricole du Nouveau-Brunswick au sujet de l’incidence que le projet de loi proposé aura sur notre industrie.

J’appartiens à la septième génération d’une famille de producteurs laitiers de Perry Settlement, au Nouveau-Brunswick. Je suis accompagné aujourd’hui par Josée Albert, qui est chef de la direction générale de notre organisation.

Josée Albert, chef de la direction générale, Alliance agricole du Nouveau-Brunswick : Nous voulons vous donner quelques chiffres afin que vous ayez une bonne idée de l’importance que l’agriculture revêt pour notre province.

L’alliance représente près de 900 membres à l’échelle de la province. Il s’agit au premier chef de producteurs agricoles, notamment dans le domaine de l’acériculture et de la culture d’arbres de Noël ou de sapins, pour donner quelques exemples. Notre mission est de promouvoir l’intérêt, la durabilité et la croissance de l’industrie agricole au Nouveau-Brunswick.

L’agriculture est l’un des plus importants moteurs économiques de notre province, tout de suite après le secteur de l’énergie. En 2016, nos recettes financières agricoles ont atteint 598 millions de dollars, ce qui constitue une augmentation de 11 p. 100 par rapport à 2012. Nous sommes présentement l’une des seules industries de la province à connaître une croissance. Notre secteur de la fabrication de produits alimentaires contribue au PIB provincial à hauteur de 714,3 millions de dollars.

Les exportations combinées de produits agricoles et de produits alimentaires, excluant les produits de la mer, se sont chiffrées à 774,3 millions de dollars en 2016, soit près de 200 millions de dollars de plus qu’en 2012.

En 2016, le nombre d’emplois dans le secteur agricole a atteint 5 200, soit un sommet depuis 2010; s’ajoutent à cela les 7 800 emplois du secteur de la fabrication de produits alimentaires.

Vous n’êtes pas sans savoir que notre gouvernement provincial a présenté sa Loi sur les changements climatiques plus tôt cette année. Nous nous sommes réjouis de cela, mais nous restons tout de même sur nos gardes puisqu’il reste beaucoup de détails à régler, notamment en ce qui concerne la réglementation censée accompagner la loi.

De plus, nous ne sommes pas encore tout à fait arrivés à saisir l’effet d’entraînement que risque d’avoir la réglementation fédérale sur les grands émetteurs et l’ampleur des coûts qui pourraient être transférés subséquemment à notre industrie.

À l’heure actuelle, nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que le gouvernement fédéral doit encore se prononcer à savoir si le projet de loi que notre gouvernement provincial veut présenter sera suffisamment rigoureux pour lui.

Nous sommes très heureux que notre gouvernement provincial ait tenu compte de notre secteur en maintenant l’exemption existante actuelle accordée aux carburants agricoles comme le diesel et l’essence, ainsi que le programme de remboursement de la taxe pour les véhicules agricoles immatriculés au Nouveau-Brunswick. Toutefois, il importe de souligner que le règlement accompagnant la Loi sur les véhicules à moteur du Nouveau-Brunswick impose des restrictions aux activités commerciales que peuvent effectuer les véhicules arborant des plaques agricoles. Cela signifie que de nombreux producteurs doivent encore compter sur des plaques commerciales et qu’ils ne peuvent donc pas se prévaloir de ce remboursement de taxe. Cette situation fait en sorte qu’une partie du carburant utilisé par l’industrie agricole n’échappe pas à la taxe.

Notre province a exonéré le propane, le gaz naturel et le pétrole. Elle propose de mettre en œuvre un modèle hybride reposant sur une taxe sur le carbone perçue par l’intermédiaire de l’essence et du diesel, et de verser les recettes ainsi générées dans un nouveau fonds en matière de changement climatique.

Les installations industrielles — il y en a environ 10 au Nouveau-Brunswick — qui émettent annuellement plus de 50 000 tonnes de gaz à effet de serre seraient assujetties aux normes fédérales. La responsabilité de fournir les normes de rendement fondées sur les extrants pour ces émetteurs incombera à Environnement et Changement climatique Canada.

Nous vous prions instamment de veiller à maintenir ces exemptions pour tous les combustibles visés par la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, surtout dans l’éventualité où le gouvernement fédéral rejetterait les mesures proposées par notre gouvernement provincial.

Pour le moment, nous ne savons pas comment notre secteur bénéficiera du fonds climatique provincial et si ce fonds aidera à soutenir des initiatives comme la recherche sur le piégeage du carbone, les énergies renouvelables, l’adaptation technologique et les pratiques de gestion susceptibles de réduire encore davantage les gaz à effet de serre.

M. Perry : Maintenant, nous aimerions vous faire part des principaux facteurs qui pourraient avoir une incidence sur notre secteur si nous ne sommes pas exemptés, comme les coûts des transports et les autres coûts qui jalonnent la chaîne d’approvisionnement.

Les coûts en matière de transport sont parmi les principaux postes de dépense du secteur agricole. L’imposition de coûts additionnels à l’industrie du camionnage et le transfert subséquent de ces coûts se traduiront par de nouvelles charges financières pour les producteurs agricoles.

La même chose se produira avec les intrants agricoles, comme les engrais. Comme vous le savez, la plupart des producteurs sont des preneurs de prix, et il leur est par conséquent impossible de récupérer ces dépenses et ces coûts additionnels auprès de leurs clients.

Il y a aussi des risques de répercussions pour le secteur de l’agroalimentaire. Le secteur agricole primaire ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans nos entreprises de transformation des aliments, et vice versa. Pour que le secteur de l’agroalimentaire reste concurrentiel, pour que les entreprises de ce secteur continuent de se développer et de créer des emplois, les charges financières additionnelles qui leur seront imposées devront se répercuter sur les coûts payés aux producteurs pour leurs produits. Il est donc essentiel que cet aspect soit pris en considération au moment de l’examen.

En ce qui concerne la compétitivité et la demande sur les marchés, il ne fait aucun doute que le Canada est bien positionné — il est après tout le cinquième exportateur en importance au monde de produits agricoles et agroalimentaires — pour répondre à la demande future et à la croissance attendue de la population mondiale. Toutefois, l’augmentation des coûts de fonctionnement comme celle que pourrait provoquer la taxe sur le carbone risque de freiner de manière indue la croissance du secteur et l’amélioration de sa compétitivité.

Les producteurs fonctionnent déjà avec des marges très minces et ils doivent composer avec de multiples coûts variables tout en essayant de rester concurrentiels et d’investir dans leurs entreprises. On ne sait pas quelle approche notre province adoptera quant à la mise en œuvre d’un protocole de compensation, et quel rôle notre secteur pourrait jouer pour aider le gouvernement du Nouveau-Brunswick à atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les écarts entre les provinces en ce qui concerne la mise en œuvre des protocoles de compensation du carbone, des indemnités et des exemptions auront aussi une incidence sur notre compétitivité. Notre compétitivité sur les marchés mondiaux risque d’être minée encore plus si de tels écarts existent à l’échelle du Canada et par rapport à d’autres pays.

Mme Albert : Avant de mettre fin à notre présentation d’aujourd’hui, j’aimerais faire écho à certaines observations que M. Mol a faites dans sa présentation en ce qui concerne la définition du terme « agriculteur ».

Comme je l’ai dit, certains de nos membres sont des producteurs d’arbres de Noël, d’autres sont des acériculteurs. Le Nouveau-Brunswick compte aussi des serres. Selon notre interprétation, il serait vraiment problématique d’exclure ces activités de la définition proposée.

À l’instar de M. Mol, nous recommandons que la définition qu’utilise l’Agence du revenu du Canada à l’heure actuelle soit intégrée aux termes de la loi afin d’assurer l’uniformité dans l’ensemble des ministères fédéraux et d’éliminer tout risque d’interprétation erronée.

M. Perry : Au nom de l’Alliance agricole du Nouveau-Brunswick, nous vous remercions de nous avoir donné la chance de vous parler aujourd’hui.

La présidente : Merci à nos deux groupes pour leurs exposés.

Avant de passer aux questions des autres membres du comité, j’en aurais une petite à poser aux représentants de l’Alliance agricole du Nouveau-Brunswick : y a-t-il beaucoup de gens qui font pousser des sapins dans votre province?

Mme Albert : Je crois qu’il n’y en a que quelques-uns, comparativement à la Nouvelle-Écosse, sans aucun doute. Je dirais que notre province compte entre trois et cinq exploitations pouvant être qualifiées de commerciales.

La présidente : Il y a une longue liste de sénateurs qui souhaitent vous poser des questions.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, madame et messieurs. Merci beaucoup pour vos exposés.

Monsieur Mol, j’aimerais revenir à vous et à la définition d’un agriculteur. Je pense que vous avez soulevé là un point très important. Pour moi, dans ma tête, quelqu’un qui travaille la terre, c’est un agriculteur, que ce soit un producteur d’arbres de Noël ou un acériculteur. Même un apiculteur, à mon sens, est un agriculteur, autant que celui qui cultive les carottes ou les pommes de terre. Donc, dans mon esprit, si on vit de la terre, on est un agriculteur. Cela doit être clair au départ.

Je vais vous poser mes questions en même temps, et cela va permettre à mes collègues de poser plus de questions.

En matière de transport, l’Île-du-Prince-Édouard est nettement désavantagée, puisque tous vos produits doivent être expédiés soit par bateau, soit par camion. Si c’est par camion, vous devez payer un montant pour traverser le pont. Votre taux de compétitivité est différent de celui du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Écosse, qui peuvent se rendre directement dans les États américains sans payer de frais supplémentaires pour traverser ce pont.

Il est évident que, si on vous rajoute une taxe sur l’essence dans le cadre du transport des produits agricoles, vous devenez moins compétitif. Vous n’y pouvez rien actuellement si le gouvernement décide de ne pas exempter le camionnage qui sert à transporter les produits agricoles vers d’autres provinces ou vers les États américains. Cela représente un défi financier pour vous. J’aimerais savoir comment vous envisagez les conséquences de cela.

[Traduction]

M. Mol : Je vous remercie beaucoup de poser ces questions.

Tout d’abord, en ce qui concerne la définition d’agriculteur, il y a un domaine dont nous n’avons pas parlé : l’industrie des courses de chevaux. Quelqu’un qui élève des chevaux de course est-il un agriculteur? Cette question a toujours fait l’objet de débats. Chose certaine, les gens de cette profession se considèrent comme des agriculteurs puisqu’ils élèvent des animaux, à la différence près que le résultat final risque de ne pas aboutir dans votre assiette.

Pour ce qui est des autres exemples dont nous avons évoqués, la Colombie-Britannique s’est heurtée à peu près aux mêmes problèmes. On trouve là-bas beaucoup de serres. Je ne connais pas trop les détails du problème, mais j’étais à une réunion en Colombie-Britannique, et un des principaux points concernait le fait que le carburant utilisé pour réchauffer les serres ne serait pas exempté de la taxe.

Je suppose que la loi de l’Agence du revenu du Canada était considérée comme une loi applicable uniformément à la grandeur du pays. Pour ce qui est de savoir si cette loi est juste ou non, c’est là le deuxième argument. Le premier argument, c’est que nous voulons une définition uniforme. Une fois cette uniformité établie, vous pouvez ensuite discuter des subtilités, comme la question de savoir s’il faut ou non appliquer une taxe et, le cas échéant, comment en atténuer les effets. Voilà l’essentiel, au bout du compte.

J’obtiens un remboursement de la TVH sur certaines choses. La TVH ne m’a pas fait de tort parce que j’ai pu la transférer. Peu importe le régime en vigueur, qu’il s’agisse d’une exemption ou d’une remise, si l’industrie veut considérer la taxe comme un coût additionnel, faisant ainsi grimper le prix des denrées, et s’il s’agit d’un coût supplémentaire appliqué uniformément dans tout le pays, alors l’industrie devra instaurer une tarification en conséquence.

Si cet argumentaire est adopté, les agriculteurs feront alors valoir un argument beaucoup plus général : ils voudront obtenir un crédit pour toutes les mesures qu’ils prennent, bien au-delà des pratiques normales, afin de séquestrer le carbone et de réduire au minimum le problème.

Pour ma part, je préfère bénéficier d’une exemption de taxes, au lieu d’essayer de justifier la décision d’avoir laissé un champ en foin pour une deuxième année et d’en déterminer la valeur. Cela peut être une question plus vaste.

Je vais laisser Mme Albert parler un peu plus longuement des modes de transport. Nous avons mentionné le pont. Sachez qu’autrefois, nous avions l’habitude d’expédier beaucoup de pommes de terre par bateau à partir de l’Île-du-Prince-Édouard, mais cette industrie a disparu. Aujourd’hui, tout se fait par camion, et c’est surtout conteneurisé. Les pommes de terre sont expédiées à Halifax ou directement aux États-Unis.

La plupart de nos pommes de terre destinées aux États-Unis sont transportées à bord de camions qui remplissent les restrictions de poids américaines; ainsi, lorsque nous voyons des camions à trois essieux ou des camions à quatre roues motrices sur les routes, nous savons qu’ils ne se rendent pas aux États-Unis. Toutes les remorques à essieux tandem ayant une capacité de seulement 80 000 livres vont aux États-Unis, alors que les camions à destination de l’Ontario ont un poids de 110 000 ou 120 000 livres. Le coût est prohibitif, d’autant plus qu’il faudra payer une taxe sur le carburant dans le cas des camions qui se rendent aux États-Unis.

Nous devons nous assurer qu’il y a moyen d’éviter que la taxe n’ait un effet cumulatif sur les agriculteurs. Nous pourrions obtenir une exemption lorsque le camion est utilisé pour des trajets entre le champ et la grange, mais ce coût n’est pas exempté lorsque nous fixons le prix pour nos clients.

[Français]

Mme Albert : J’ai oublié de soulever un point dans ma présentation. Le Nouveau-Brunswick paie en moyenne 40 p. 100 de plus pour l’enregistrement de ses plaques agricoles comparativement à l’Ontario, au Québec, à Terre-Neuve-et-Labrador, à la Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard. C’est un autre coût pour les producteurs du Nouveau-Brunswick. Ils ne sont pas au même niveau compétitif côté prix. On est aussi pénalisé quant au poids maximum des véhicules de transport. Au Québec, la limite est plus élevée qu’au Nouveau-Brunswick. Il n’est pas possible de maximiser ses revenus lorsqu’on transporte des produits dans d’autres provinces. C’est donc un point important à mentionner.

Le sénateur Maltais : Pourquoi payez-vous 40 p. 100 de plus pour la machinerie agricole par rapport aux autres provinces? Il faut donner une chance aux agriculteurs. On ne doit pas les pénaliser lorsqu’ils font l’enregistrement de leurs plaques. C’est une logique qui est difficile à comprendre.

Mme Albert : Depuis 2012, nous travaillons avec le gouvernement provincial afin d’arriver à une entente afin d’être situés dans la moyenne des autres provinces. Les plaques agricoles à l’Île-du-Prince-Édouard coûtent 10 $ par année. On comprend qu’on ne serait pas en mesure de les obtenir à ce prix, mais on souhaite être au moins dans la moyenne des autres provinces.

Le sénateur Maltais : Au Nouveau-Brunswick, vous êtes en grande partie à proximité de la frontière du Québec. En matière de transport, vous êtes désavantagé par le poids des véhicules.

Mme Albert : Oui.

Le sénateur Maltais : Lorsque les transporteurs de vos produits se rendent au Québec, aux États-Unis, dans différentes régions, même jusqu’à Toronto, est-il possible pour eux de revenir avec d’autres produits?

Mme Albert : Oui, à ce que je sache.

Le sénateur Maltais : D’accord, merci.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je remercie nos témoins et je leur souhaite la bienvenue. Je crois que nous nous sommes déjà rencontrés à Halifax.

Pensez-vous que cette mise en œuvre est trop hâtive ou trop rapide? J’ai l’impression que les agriculteurs commencent à s’inquiéter un peu des coûts supplémentaires et de la compétitivité internationale et interprovinciale. Il y a beaucoup de coûts. Les agriculteurs ne se battent pas à armes égales.

Selon vous, les agriculteurs de votre province risquent-ils d’être touchés différemment? Cette taxe pourrait-elle désavantager les agriculteurs d’une province par rapport à ceux d’une autre?

M. Mol : Dans le cas de l’Île-du-Prince-Édouard, il est difficile de répondre à cette question parce que le gouvernement provincial ne nous a pas indiqué ce qu’il compte faire.

Ses représentants ont parlé de mettre en place un système de plafonnement et d’échange. Ensuite, ils ont parlé d’instaurer une taxe ou une combinaison des deux. Bien franchement, je crois que la province attend que le gouvernement fédéral impose quelque chose. De cette façon, si cela ne fonctionne pas, elle pourra pointer Ottawa du doigt.

Il est difficile de dire quelles en seront les répercussions. Cette incertitude, en particulier, fait en sorte qu’il est difficile pour les agriculteurs de se mobiliser en vue d’exercer des pressions. Nous ne savons pas ce qu’on nous imposera. Si nous le savions, il serait plus facile d’en prévoir les effets.

Vous avez laissé entendre que le tout arrive peut-être un peu trop vite, mais cette mesure est imminente depuis un certain temps déjà. Les intervenants sont forcés de s’asseoir à la table. Personne n’est là de son plein gré. Je suppose que le résultat le plus rapide serait de continuer à suivre l’échéancier dont nous disposons déjà.

Les agriculteurs s’adapteront au changement. Nous continuerons de plaider notre cause s’il y a une augmentation des coûts. Dans mon cas, d’après les prévisions les plus plausibles, selon un certain nombre d’hypothèses, cela pourrait me coûter un montant supplémentaire de 12 000 $ ou 15 000 $. J’ai une marge d’environ 10 p. 100, et ce montant représente près de 25 p. 100 de ma marge nette. De toute évidence, avec cette taxe, je ne pourrais plus prendre de vacances en Floride. Il faudra nous y adapter en conséquence.

La bonne nouvelle, c’est que toutes ces choses nous forceront à réévaluer la façon dont nous menons nos activités. Qu’il s’agisse de l’industrie agricole ou de toute autre industrie, il y a probablement un message positif à retenir : nous devons tous faire un petit travail d’introspection pour déterminer comment nous consommons les réserves d’énergie planétaires.

M. Perry : Pour répondre à la première partie de votre question, je crois que c’est probablement un peu tôt, tant à l’échelle provinciale qu’à l’échelle fédérale. Les ministères de l’Agriculture font beaucoup de recherches pour déterminer quels sont les effets des pratiques utilisées par chaque agriculteur sur les émissions de carbone.

Ce travail a mis en évidence certaines corrélations ponctuelles : par exemple, la pratique A émet moins de carbone que la pratique B. Toutefois, aucune recherche n’a été menée sur les pratiques agricoles intégrales, et il n’y a eu aucune vérification de la quantité de carbone que nous émettons ou emmagasinons. Il nous manque une quantité surprenante de données scientifiques à ce sujet, et il faut effectuer des recherches.

Quant à votre deuxième point, il faut trouver un moyen efficace de s’y prendre. Si vous comptez nous demander de payer une taxe pour le carbone que nous émettons, alors nous devrons également obtenir un crédit pour le carbone que nous stockons. L’agriculture dans son ensemble contribuera probablement à la réduction d’une grande quantité de carbone, plutôt que le contraire.

Je sais que certaines pratiques agricoles émettront du carbone, mais il y a beaucoup d’endroits sur la ferme où j’emmagasine le carbone. Nous procurons un grand avantage au reste des Canadiens grâce au stockage du carbone, et nous devons recevoir le crédit qui nous est dû à cet égard.

Pour l’instant, il s’agit simplement d’une taxe qui précède la mise en place de l’infrastructure et des sciences nécessaires pour que nous puissions réclamer en bonne et due forme notre contribution aux émissions de carbone sur le marché.

Pour en revenir au point soulevé par M. Mol, cette mesure est perçue comme des recettes fiscales, mais ce ne l’est pas pour nous. C’est plutôt une perte de revenus. Chaque fois qu’il y a une perte de revenus à la suite d’une nouvelle taxe ou d’une nouvelle politique applicable à des services, cela touche de nombreux producteurs au Canada.

Relativement à la question posée tout à l’heure par un des sénateurs sur l’inclusion des agriculteurs, il faut dire que nous ne sommes plus très nombreux. Nous représentons 1 p. 100 de 1 p.100. Chaque fois que vous ajoutez une taxe comme celle-ci, notre nombre diminue encore plus. Nous sommes très fiers de l’excellent travail que nous accomplissons pour nourrir les Canadiens à un prix modique, mais il devient de plus en plus difficile de continuer à le faire.

J’espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Mercer : Il est révélateur d’entendre ce qui se passe dans d’autres provinces.

Vous avez dit dans votre exposé que les écarts entre les provinces en ce qui concerne les protocoles de crédits compensatoires, les allocations et les exemptions nuiront à votre compétitivité. Vous avez ensuite ajouté que votre compétitivité sur les marchés mondiaux risque d’être minée encore plus si de tels écarts existent à l’échelle du Canada.

Il s’agit d’un facteur important du point de vue de l’exportation de biens canadiens à notre principal marché, soit les États-Unis, et aux marchés éventuels à mesure que nous concluons de nouveaux accords commerciaux, n’est-ce pas?

Les agriculteurs ne constituent pas le problème, mais ils finissent par faire partie de la solution. Pourquoi disons-nous constamment que vous ne pouvez pas refiler vos coûts au consommateur? Je suis un consommateur. Ne devrais-je pas dépenser plus pour mes pommes de terre ou mes bleuets?

M. Mol : J’avais anticipé cette question.

Le sénateur Mercer : C’est pourquoi je suis ici.

M. Mol : Ce n’est pas seulement à cause de vous. C’est la vérité.

Vous avez mentionné notamment les États-Unis. Voilà un bon exemple qui explique pourquoi nous ne pouvons pas imputer nos coûts. Si les Américains utilisaient le même processus que nous pour mettre en œuvre une taxe sur le carbone et si leurs agriculteurs faisaient face à des augmentations comparables de coûts, alors la réponse serait oui.

Prenons l’exemple des pommes de terre de l’Île-du-Prince-Édouard. En tant qu’intermédiaire, vous vous rendriez compte que, si vous commandez des pommes de terre de l’Idaho, où l’on s’attend à une augmentation de 5 p. 100 des coûts, vous devrez débourser davantage que si vous les aviez achetées de l’Île-du-Prince-Édouard, où les agriculteurs font face à une augmentation semblable. Les règles du jeu sont donc les mêmes à cet égard.

Nos partenaires américains produisent déjà des denrées alimentaires à moindre coût qu’ici. C’est lié à la façon dont leur industrie énergétique calcule ses coûts et tout le reste. En fin de compte, ils sont nos concurrents. Si nous avons un coût supplémentaire qu’ils n’ont pas, nous serons désavantagés sur le plan de la concurrence mondiale.

À l’échelle nationale, il ne faut pas oublier que notre industrie de vente au détail d’aliments est largement consolidée. L’industrie de vente au détail d’aliments n’hésite pas à acheter des produits auprès de la source la moins chère, peu importe l’endroit. Ce pourrait être le bœuf du Venezuela. La provenance n’a vraiment aucune importance. Lorsque je vends des brocolis dans une épicerie, je fais concurrence à la Californie et à la Pennsylvanie, mais pas au Nouveau-Brunswick.

En raison de la nature internationale de la distribution des aliments, ce serait là mon principal argument.

Le sénateur Mercer : Bien entendu, vous n’avez pas l’avantage des agriculteurs américains : d’ailleurs, la plus importante pièce d’équipement sur leur ferme est la boîte à lettres, parce que le gouvernement leur envoie des subventions. Au Canada, il n’y a pas de subventions pour l’agriculture.

La normalisation des restrictions de poids des camions est un vrai problème qui touche directement l’agriculture et d’autres secteurs. Ce sujet revient sans cesse sur le tapis à l’occasion des nombreuses réunions des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l’Est du Canada. Avez-vous fait des démarches auprès des premiers ministres qui assistent à ces réunions?

Je les ai vus là-bas. Cette question revient sans cesse. Ils cherchent à uniformiser les restrictions de poids pour les ponts. Beaucoup de camionneurs canadiens finissent par emprunter des routes mal commodes pour accéder au marché, car ils n’ont pas le droit de conduire leurs camions sur certains ponts américains.

Avez-vous parlé à vos premiers ministres respectifs pour faire en sorte que cette question soit réinscrite à l’ordre du jour de la Conférence annuelle des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l’Est du Canada?

Mme Albert : Oui, nous leur en avons parlé. Nous avons également participé au groupe de travail national sur les transports. Nous avons présenté des observations sur cette question précise. À ma connaissance, le groupe de travail a publié son troisième rapport et il s’apprête à entamer la prochaine phase pour étudier ce sujet plus en profondeur.

Nous avons également porté cette question à l’attention de notre ministre de l’Agriculture, et ce, à maintes reprises. Pour autant que je sache, c’est censé figurer à l’ordre du jour de la prochaine réunion des premiers ministres de l’Atlantique.

Un protocole d’entente a été mis en place il y a plus de 10 ans, mais il n’a jamais vraiment été appliqué, du moins pas au Québec ni dans d’autres provinces de l’Atlantique, d’après ce que je crois comprendre. Le protocole d’entente n’a jamais été reconnu et n’a pas vraiment réglé le problème.

Le sénateur Mercer : Je crois que cette entente avait été conclue lors d’une réunion tenue à Bar Harbor, dans le Maine. J’y avais participé à titre d’observateur.

Vous avez proposé que l’exemption de la taxe sur le carbone soit étendue à vos véhicules, et vous avez parlé de gaz et de pétrole, mais vous n’avez rien dit au sujet de l’exemption de la taxe sur l’électricité. Dans bien des cas, l’électricité pourrait servir à chauffer ou à refroidir vos exploitations.

Je viens de la Nouvelle-Écosse, qui compte les tarifs d’électricité les plus élevés du pays. Nous sommes très sensibles à cette question. S’agit-il d’un problème propre à l’Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick?

Mme Albert : Nous ne bénéficions d’aucune exemption. Vous faites valoir un bon point. Nous examinons en ce moment l’énergie renouvelable sur les fermes et d’autres mesures pour essayer de compenser ces coûts, mais pour l’instant, il n’y a aucune exemption pour la consommation d’électricité.

M. Mol : J’ai réfléchi un peu à cette question, moi aussi. Comme nous le savons tous, l’électricité provient de plusieurs sources différentes. L’empreinte carbone de l’électricité est plutôt insaisissable dans certains cas. Elle se mélange à d’autres facteurs dans le réseau, et il est difficile de déterminer avec exactitude dans quelle mesure elle pose problème.

Si nous devions demander une exemption pour l’électricité utilisée dans les exploitations agricoles, je ne pourrais m’empêcher de remettre en question le bien-fondé d’une taxe sur le carbone pour un produit qui n’émet pas de carbone ou qui n’a pas le potentiel d’en émettre, à moins qu’on ait affaire à des exploitations alimentées au charbon.

Selon moi, il y a une question plus importante. Dans les Maritimes, une grande partie de l’électricité est produite à partir de l’eau ou de l’énergie nucléaire, et une certaine proportion est produite à partir du charbon. Je suppose qu’il faudrait diviser cette question, car il est probablement injuste d’alléguer qu’une taxe sur le carbone devrait s’appliquer à un produit qui, en réalité, n’émet pas de carbone.

Nous n’essayons pas de réduire l’utilisation de l’électricité dans ce scénario; il s’agit plutôt d’essayer de réduire la quantité de carbone qui est libéré par la cheminée de mon tracteur ou par le tuyau d’échappement du camion.

Le sénateur Doyle : Je ne sais pas si vous avez parlé des industries agricoles que vous représentez à l’Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick.

Y a-t-il beaucoup d’exploitations agricoles qui remplissent le critère des 50 kilotonnes de carbone pour avoir à payer la taxe sur le carbone, ou vous préoccupez-vous davantage du coût supplémentaire de cette taxe et de ses effets possibles sur la chaîne d’approvisionnement?

Quel pourcentage des exploitations agricoles à l’Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick atteindraient-elles le seuil de 50 kilotonnes de carbone avant qu’elles soient assujetties à la taxe?

M. Mol : La réponse est assez simple. Il n’y a aucune exploitation agricole à l’Île-du-Prince-Édouard dont les émissions dépasseraient 50 kilotonnes. Toutefois, l’usine de transformation des Fermes Cavendish est en voie de l’atteindre, mais la société utilise maintenant du gaz naturel.

C’est un sujet dont je n’ai pas beaucoup parlé. Nous n’avons pas accès au gaz naturel à l’Île-du-Prince-Édouard, mais l’entreprise achemine 16 semi-remorques de gaz naturel par jour du Nouveau-Brunswick à l’usine de l’Île-du-Prince-Édouard. Le gaz naturel est transporté par des camions qui consomment du carburant diésel.

Le sénateur Doyle : Qu’en est-il du côté du Nouveau-Brunswick?

Mme Albert : C’est la même situation qui prévaut au Nouveau-Brunswick qu’à l’Île-du-Prince-Édouard. Il n’y a aucune exploitation agricole ou usine de transformation des aliments qui produit une telle quantité d’émissions. Par exemple, McCain n’atteint pas ce niveau.

Pour l’instant, nous sommes davantage préoccupés par la possibilité que le secteur agricole doive assumer ces coûts additionnels et leur incidence. Au fil des années, je présume que ces cibles évolueront et que McCain et d’autres industries seront visés dans l’avenir.

[Français]

La sénatrice Gagné : Vous avez mentionné que les installations industrielles émettaient plus de 500 kilotonnes d’émissions équivalentes en CO2. Vous avez des industries de transformation alimentaire. Y a-t-il des entreprises qui produisent de l’engrais dans vos provinces?

[Traduction]

M. Perry : Oui. Je crois qu’il y en a deux au Nouveau-Brunswick qui produisent de l’engrais. Dans les deux cas, les entreprises font partie d’entreprises plus grandes. Elles représentent leur société mère dans la région. Je n’ai aucune idée de ce que les entreprises produisent au total, mais les deux entreprises qui produisent de l’engrais au Nouveau-Brunswick sont relativement petites.

La sénatrice Gagné : Seraient-elles visées par cela?

M. Perry : Non.

La sénatrice Gagné : Vous avez dit qu’elles étaient relativement petites.

M. Perry : Oui.

La sénatrice Gagné : Je n’avais pas compris.

Qu’en est-il du côté de l’Île-du-Prince-Édouard?

M. Mol : À l’Île-du-Prince-Édouard, nous n’avons pas d’entreprises qui produisent de l’engrais, mais nous avons un petit nombre d’entreprises qui en distribuent. Tout l’engrais arrive ici par bateau, et l’engrais provient de l’endroit où c’est le moins cher. Cela pourrait provenir de la Russie.

Ces entreprises ne seraient pas non plus visées par cette politique.

Le sénateur Doyle : Nous avons parlé du transport hier au Sénat, et vous en avez parlé aujourd’hui. J’ai aussi beaucoup circulé sur les routes de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick.

De manière générale, avons-nous besoin d’améliorer considérablement le réseau routier dans l’Atlantique? Cela a-t-il une grande incidence sur le transport des produits agricoles? La situation pourrait-elle être considérablement mieux? Devons-nous mettre l’accent sur cet aspect dans des provinces comme le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard où il y a beaucoup d’activités agricoles?

M. Mol : Le premier endroit où je le ferais, ce serait au Québec. Pour les Maritimes, le Québec est un goulot d’étranglement pour avoir accès au reste du Canada. C’est tout simplement parce que les normes de charges y sont différentes. Qui plus est, les normes de charges au Québec varient selon la période comparativement à ce qui prévaut dans les autres provinces. Le Québec a certainement travaillé d’arrache-pied pour réparer certains de ses ponts. Nous savons qu’il était plus que temps, parce que certains ont cédé.

Devrions-nous commencer par améliorer les routes dans cette province? Je ne le sais pas; je ne suis pas spécialiste en la matière. Les routes au Québec sont-elles en aussi bon état que dans nos provinces? Les autorités québécoises sont-elles plus prudentes, parce qu’elles essaient de diminuer les charges sur les routes? Les Américains ont clairement établi une norme pour limiter le nombre de chargements lourds sur leurs autoroutes.

La question du transport est un grand enjeu. Comment pouvons-nous établir une norme universelle lorsque nous transportons de l’acier produit à Hamilton, que nous transportons des grains sur des routes de gravier et que des trains doubles de type B et C vont de la Saskatchewan jusqu’aux terminaux ferroviaires?

À mesure que le transport ferroviaire a disparu, une pression accrue s’est exercée sur le transport par camion. L’industrie du transport routier a réussi à fabriquer des camions plus gros, plus lourds et plus rapides, mais je ne suis pas certain que l’acceptation sociale a évolué au même rythme. C’est probablement une question au sujet de laquelle nous devrons arriver à un accord commun, d’autant plus que nos économies canadienne et américaine sont très étroitement liées.

Le sénateur R. Black : Vous avez tous dit de manière différente que nous opposons les producteurs primaires les uns aux autres.

Quelles recommandations pourrions-nous formuler dans notre rapport pour éviter d’opposer les agriculteurs les uns aux autres dans une même région ou dans l’ensemble du pays?

M. Perry : Je crois que cela passe par la normalisation pour uniformiser les règles du jeu. Indépendamment de ce que seront ces règles, nous devrions tous pouvoir nous faire concurrence de la même manière. Que nous décidions d’établir des exemptions ou d’offrir des compensations, nous sommes disposés à collaborer, peu importe le programme choisi. Nous avons peut-être des préférences personnelles, mais nous respecterons le cadre choisi. Nous tenons seulement à ce qu’il soit équitable pour tous.

Que les émissions de carbone proviennent de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick ou de l’Île-du-Prince-Édouard, cela accentue les changements climatiques. Nous le voyons chaque jour sur les exploitations agricoles; les agriculteurs ne peuvent plus avoir recours à des pratiques qui étaient utilisées par le passé. La situation change.

La normalisation est la manière la plus facile de nous assurer que tout le monde est au courant des règles du jeu. Actuellement, certains producteurs dans d’autres provinces peuvent profiter de compensations. Je ne crois pas que ce soit le cas au Nouveau-Brunswick. Il y aura 10 modèles différents pour lutter contre les changements climatiques au Canada, et ce n’est pas du tout acceptable.

M. Mol : Voici un petit exemple plus près de nous. À l’Île-du-Prince-Édouard, tout comme au Nouveau-Brunswick, l’industrie de la pomme de terre représente une part considérable de la consommation de carburant. À l’Île-du-Prince-Édouard, les camions qui transportent les pommes de terre du champ à la ferme utilisent du carburant diésel incolore taxable. Certains de ces camions roulent peut-être seulement de 50 à 100 miles par année sur l’autoroute. Les camions plus anciens ne roulent probablement pas sur l’autoroute. Si vous posez une plaque d’immatriculation sur le véhicule, le carburant doit être incolore.

Le Nouveau-Brunswick a un programme qui permet aux véhicules agricoles immatriculés comme les camions de pommes de terre, par exemple, d’obtenir un rabais. Vous devez tout de même utiliser du carburant incolore, mais vous tenez un registre des kilomètres parcourus par le camion et vous pouvez présenter une demande à la fin de l’année pour obtenir un rabais, selon ce que j’en comprends. C’est un petit élément, mais beaucoup d’exploitations de pommes de terre ont 8, 10 ou 12 de ces camions. Cela s’additionne.

Comme M. Perry l’a souligné, la normalisation est une bonne idée. Nous pouvons, par exemple, nous plaindre de l’éthique d’une certaine taxe, mais, si tout le monde doit composer avec une même taxe, l’incidence se fait sentir équitablement, et vous devez par conséquent vous y faire.

Le sénateur Oh : En ce qui a trait à la compétitivité, vous avez tous mentionné être inquiets, parce que les États-Unis n’envisagent pas d’imposer une taxe sur le carbone ou autre chose, alors qu’il y en aura une ici.

Est-ce que la majorité de vos produits agricoles sont exportés aux États-Unis? Est-ce votre principale exportation?

M. Mol : Je ne peux pas parler au nom de l’industrie de la pomme de terre du Nouveau-Brunswick, mais je crois que c’est la même chose. Environ 50 p. 100 des pommes de terre produites à l’Île-du-Prince-Édouard servent à la fabrication de croustilles. La moitié de la production est transformée, et la majorité de cette production est exportée aux États-Unis par camion.

Le reste des pommes de terre, soit des semences ou des produits frais, est expédié en Ontario et aux États-Unis, jusqu’en Floride. Cela représente probablement environ 50 p. 100 de nos pommes de terre. Je présume qu’environ 75 p. 100 de nos pommes de terre sont exportés aux États-Unis sous la forme de pommes de terre crues ou de frites surgelées.

Dans notre secteur du bœuf, ce ne serait pas vraiment le cas. Dans notre secteur des grains, ce ne serait pas vraiment le cas. Je crois que l’industrie de la pomme de terre est celle qui consomme vraiment du carburant. Dans l’ensemble, environ les trois quarts de la production de l’industrie de la pomme de terre seraient touchés par cette politique à petite échelle.

Je dois mentionner au passage l’industrie laitière. Comme plus de produits américains peuvent être importés au Canada, nommément le lait en poudre, les sous-produits laitiers et les protéines laitières, tous ces produits seront importés au Canada par camion sans qu’aucune taxe sur le carbone soit prélevée; cela représente une concurrence accrue.

À l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons une usine de transformation d’ADL. L’entreprise paie une taxe sur le carbone sur les fromages et tous les autres produits qu’elle transporte et elle exporte aussi des produits aux États-Unis.

L’équité de la taxe pour les agriculteurs est une chose, mais nous devons aussi réfléchir à l’incidence de la taxe sur les produits finis, et cela doit inclure le secteur de la transformation des produits agricoles.

M. Perry : Le dernier commentaire que j’aimerais faire, c’est que nous cultivons les mêmes terres agricoles bien avant la Confédération. À la même époque où notre territoire a été cédé, des terres ont été remises aux familles Elder, Grigg, Cosman et Fraisy. Ces familles ne sont plus là, et nous cultivons maintenant une partie des terres qui ont été cédées.

Chaque fois qu’une telle taxe ou un service est imposé, cela ajoute des coûts que nous avons de la difficulté à faire répercuter de manière efficace sur les prix à la consommation. Cela nuit aux résultats financiers de tous les membres du milieu agricole, et il y en a un de moins.

Même si je suis extrêmement occupé à la maison, je suis ici aujourd’hui, parce que j’ai reçu la visite l’an dernier d’un certain M. Elder de la Pennsylvanie. Il voulait voir l’endroit où ses arrière-grands-parents ont déjà cultivé la terre, et c’était précisément là où se trouve ma nouvelle maison.

J’espère que ma présence ici aujourd’hui contribuera à atténuer certaines taxes qui m’ont été imposées ou que nous imposerons à mes petits-enfants et aux générations futures pour qu’ils n’aient pas à visiter l’endroit où j’ai déjà cultivé la terre.

Lorsque vous adoptez des lois, que ce soit celle-ci ou une autre, veuillez garder à l’esprit que c’est un gagne-pain que nous ne faisons pas pour l’argent. Nous le faisons, parce que nous aimons le faire. C’est l’unique raison pour laquelle nous nous levons chaque jour et que nous faisons ce que nous faisons. Nous aimons cela. Nous aimons nourrir nos familles. Nous aimons l’autonomie que nous procure l’agriculture. Nous vous serons grandement reconnaissants de toute aide que vous nous donnerez, que cela prenne la forme de rabais ou autre.

La présidente : Le temps file. Nous avons un autre groupe de témoins à entendre, puis un autre comité aura besoin de la pièce.

Nous avons encore deux intervenants. Je vous demande donc de vous limiter à une question chacun.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse aux trois témoins. Comme bien d’autres témoins que nous avons entendus, la taxe sur le carbone vous plonge dans le néant, parce que le gouvernement fédéral a peut-être « mis la charrue avant les bœufs » en proposant la mise en œuvre d’une taxe. Cependant, il n’est pas en mesure de vous dire ce qu’il fera de cette taxe ni quel type de compensation vous recevrez. J’ose espérer que le ministre de l’Agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard vous a consultés pour vous expliquer cette taxe. Je vous vois sourire, monsieur Mol. Vous l’avez très bien expliqué. Dans le secteur de la pomme de terre, lorsque vous l’exportez, vous êtes moins compétitif. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

Et puisque nous n’avons pas beaucoup de temps, j’aimerais vous entendre, monsieur Perry, au sujet du secteur des pêches, parce qu’il y a une industrie de transformation qui y est rattachée et qui sera touchée par la taxe sur le carbone.

Monsieur Mol, est-ce que votre ministre provincial de l’Agriculture a pris le temps de vous consulter?

[Traduction]

M. Mol : La réponse courte est non.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous pouvez donner une courte réponse pour dire que non, vous n’avez pas été consulté. Ce serait très explicite.

[Traduction]

M. Mol : Non. Je n’ai jamais été consulté sur les modalités d’une taxe sur le carbone. Nous avons été consultés en juillet dernier lors d’une rencontre à St. John’s, à Terre-Neuve, à l’époque où les crédits de carbone faisaient encore partie du décor. Toutefois, au début, il y avait beaucoup de poudre aux yeux en ce qui concerne les crédits de carbone.

Je crois que les crédits de carbone ont servi de diversion pour que les discussions portent sur cet aspect plutôt qu’une taxe sur le carbone. Je n’ai rien entendu au sujet des crédits de carbone au cours de la dernière année. J’ai seulement entendu parler d’une taxe sur le carbone.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ce que vous dites, c’est qu’il est plus facile de collecter l’argent que de la retourner?

M. Mol : Certainement.

Mme Albert : Il est sûr que je ne peux pas parler pour le secteur des pêches, car nous ne représentons pas ce secteur du Nouveau-Brunswick. Par contre, ce secteur est tout de même très important pour la province, et la majorité des récoltes sont produites dans la province et exportées. Alors, plusieurs des points dont nous avons traité aujourd’hui sont semblables aux répercussions que connaîtra le secteur des pêches.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Perry, j’ai bien compris votre message. Vous êtes venu ici pour nous le transmettre, et il apparaîtra dans notre rapport dans la perspective d’aider les agriculteurs. Il ne s’agit pas simplement d’imposer des taxes, mais aussi de favoriser la production et l’exportation. Le message a été très bien compris.

Si vous aviez une recommandation à nous proposer et que nous pourrions inscrire dans notre rapport, quelle serait-elle?

[Traduction]

M. Perry : Je suis aussi d’accord. Oui. Merci de ce commentaire.

La présidente : J’ai une brève question pour chacun d’entre vous.

Où aimeriez-vous que soit investi l’argent provenant de la taxe ou de la redevance sur le carbone? Dans votre province respective, qu’est-ce que vous aimeriez que votre gouvernement provincial fasse avec cet argent? Commençons par l’Île-du-Prince-Édouard.

M. Mol : J’espérais que vous posiez la question aux gens du Nouveau-Brunswick en premier pour me donner une minute pour y penser.

Indépendamment du montant, cela pourrait servir à financer un programme amélioré de services de diversification des modes d’occupation des sols ou un programme qui permet aux agriculteurs de se procurer une nouvelle technologie qui réduit les émissions de carbone et qui nous permet d’avoir de l’équipement plus efficient.

J’aimerais avoir des panneaux solaires sur le toit de mon étable pour ainsi réduire ma consommation de combustibles fossiles. J’envie mes voisins ontariens de la vallée du Niagara où des panneaux solaires recouvrent chaque étable.

La présidente : Quel est l’élément le plus important dans lequel vous aimeriez que le gouvernement du Nouveau-Brunswick investisse l’argent?

M. Perry : J’aimerais au fond que l’argent soit réinvesti dans l’agriculture. Si le milieu agricole paie sa juste part, à l’instar des autres industries, réinvestissons cet argent dans l’agriculture.

Je présume que notre secteur émettra moins de carbone que nous en stockons. Donc, vous pouvez nous aider en ce sens. Les changements climatiques sont un problème bien réel. Donnez-nous les moyens d’être l’une des industries qui aideront le Canada à atteindre ses objectifs, mais l’imposition seule d’une taxe n’aura pas cet effet.

Nous sommes prêts à vous aider et nous sommes en mesure de le faire, mais nous n’avons pas besoin de payer une taxe. Nous avons besoin de financement pour vous aider. Prenez l’argent qui est recueilli et réinvestissez-le dans le secteur agricole pour nous aider.

La présidente : Je remercie nos témoins d’aujourd’hui. Nous avons eu des discussions très intéressantes. Je suis désolée de devoir interrompre ainsi nos discussions, mais le temps est écoulé.

Notre prochain groupe de témoins est déjà partiellement installé. Nous accueillons aujourd’hui au comité des représentants du Conseil canadien de l’horticulture : Julie Paillat, coordonnatrice nationale pour l’industrie de la culture maraîchère en serre, et Mark Wales, membre du Groupe de travail sur l’énergie, l’environnement et les changements climatiques et producteur de légumes de plein champ. La troisième personne qui est en chemin est Jan VanderHout, qui est membre du conseil et producteur de légumes de serre.

Nous entendrons en premier M. Wales. Vous avez la parole.

Mark Wales, membre du Groupe de travail sur l’énergie, l’environnement et les changements climatiques et producteur de légumes de plein champ, Conseil canadien de l’horticulture : Merci de nous donner l’occasion de témoigner devant le comité aujourd’hui pour discuter de la position du Conseil canadien de l’horticulture sur la tarification du carbone qui se trouve à la partie 5 du projet de loi C-74.

Je suis producteur de légumes dans la région de Port Bruce dans le Sud de l’Ontario. Ce sera ma 42e année où j’ensemencerai des champs, et je cultive des légumes depuis 32 ans. Mes principales cultures sont les piments forts et l’ail.

J’ai vécu de nombreux événements météorologiques extrêmes en 42 ans. Encore ce matin, je me suis retrouvé détrempé en me rendant à pied à la réunion. Dame Nature nous rappelle qu’elle a toujours le dernier mot.

En guise d’introduction, le Conseil canadien de l’horticulture est basé à Ottawa. Il s’agit d’une association nationale à adhésion volontaire et sans but lucratif qui représente plus de 14 000 producteurs de fruits et de légumes de partout au Canada qui travaillent à la production de plus de 120 différents types de cultures, et ce nombre augmente. Les recettes des exploitations agricoles s’élèvent à 5,25 milliards de dollars, et c’est le pilier d’une chaîne de valeur de fruits et de légumes frais qui est évaluée à 13,9 milliards de dollars en PIB réel et qui procure plus de 181 600 emplois au Canada.

Je vais maintenant laisser la parole à Mme Paillat qui vous parlera du secteur de la culture en serre.

Julie Paillat, coordonnatrice nationale, Industrie de la culture maraîchère en serre, Conseil canadien de l’horticulture : Dans le secteur de la culture en serre, les producteurs contribuent à l’économie canadienne et ils enregistrent chaque année des recettes de plus de 1,3 milliard de dollars, et la valeur de leurs exportations se chiffre à plus de 862 millions de dollars. Par ailleurs, les exportations ont atteint en 2017 plus de 900 millions de dollars. En ce qui concerne en particulier les producteurs maraîchers en serre, une forte augmentation des coûts et de nombreuses mesures réglementaires peuvent nuire à la croissance et à la compétitivité du secteur.

Depuis la présentation du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, le Conseil canadien de l’horticulture et ses membres ont collaboré avec le gouvernement fédéral pour s’assurer que les effets de la tarification du carbone sur l’horticulture sont bien compris. Nous nous sommes exprimés chaque fois que nous en avons eu l’occasion, et notre message a toujours été d’accorder une exemption nationale concernant la politique nationale de tarification du carbone afin de couvrir tout le carburant utilisé pour des activités agricoles, y compris les serres, pour ainsi réduire au minimum les effets sur la compétitivité interprovinciale.

Le Conseil canadien de l’horticulture a critiqué le projet de loi C-74 et il a demandé au gouvernement d’amender les définitions concernant l’agriculture pour englober toutes les activités agricoles primaires, et nous y reviendrons dans un instant.

La présidente du Comité de la culture maraîchère en serre et du Groupe de travail de la culture maraîchère du Conseil canadien de l’horticulture, Linda Delli Santi, de la Colombie-Britannique, a témoigné à ce sujet en 2017. Elle a parlé non seulement des problèmes liés à la compétitivité, mais aussi de son expérience personnelle avec la tarification du carbone à titre de productrice et de son incidence sur sa décision de tout abandonner après un peu moins de 30 ans.

Les producteurs maraîchers en serre du Canada utilisent le gaz naturel pour le chauffage et comme source de dioxyde de carbone qui est constante, rentable et durable et qui se trouve sur place. Les serres captent du CO2 de qualité alimentaire qui est un sous-produit de la combustion, et les producteurs en acheminent un volume précis à la culture, où il est essentiel de maintenir une capacité de production. Étant donné que les producteurs maraîchers en serre créent de manière délibérée du CO2 pour la fertilisation de leurs cultures, il faut reconnaître le carbone qui est capté et assimilé par les cultures en serre.

En Colombie-Britannique, il a fallu cinq ans au gouvernement pour offrir un programme permanent de subventions pour les serriculteurs commerciaux, et ce programme prévoit des critères d’admissibilité précis pour recevoir 80 p. 100 de la taxe sur le carbone que les producteurs paient lorsqu’ils achètent le gaz naturel et le propane qu’ils utilisent pour le chauffage et la production de CO2. Ce retard et cette incertitude ont ralenti la croissance du secteur et ils ont mené à des pertes d’investissements.

Malgré les nombreux défis, les serriculteurs de la Colombie-Britannique se sont sentis soulagés d’avoir le programme de rabais, et l’Alberta a depuis adopté un modèle en vue d’aider aussi ses producteurs.

C’est en Ontario que se trouve le plus important secteur de la culture en serre au Canada en fonction du nombre d’exploitations, du nombre d’acres, de la valeur à la ferme et de la valeur des exportations. Selon les prévisions pour 2017, une taxe sur le carbone entraînerait des coûts supplémentaires d’environ 10 millions de dollars pour le secteur de la production maraîchère en serre en Ontario.

Le Greenhouse Growers Ontario estime que le prix de 18 $ la tonne de carbone dans le cadre du programme provincial de plafonnement et d’échange représente actuellement en moyenne des coûts additionnels de 6 200 $ l’acre. Cela dépend évidemment de l’efficacité énergétique et des cycles de culture, mais nous prévoyons que cela atteigne 17 000 $ l’acre d’ici 2022, si le prix du carbone atteint la cible fédérale de 50 $ la tonne.

Bon nombre de serres, y compris celle de Jan VanderHout, qui se joindra à nous dès qu’il le pourra, sont des exploitations agricoles multigénérationnelles. Ce sont des entreprises familiales. Les producteurs utilisent du gaz naturel ou un mélange de biomasse et de gaz naturel pour chauffer leurs serres, et les gaz d’échappement provenant de la combustion du gaz naturel sont soufflés dans la serre pour augmenter la concentration de CO2.

Bon nombre de serriculteurs s’adaptent continuellement et adoptent de nouvelles mesures pour favoriser l’efficacité énergétique, notamment des rideaux thermiques, un meilleur isolant pour les murs et l’isolation de la toiture avec du polycarbonate triple paroi, et ce, avant même que le gouvernement offre du financement en ce sens.

Avec tous les défis avec lesquels doit composer notre industrie, dont les pénuries de main-d’œuvre, la perte d’outils de protection des cultures et une multitude de défis fiscaux pour nos entreprises, la taxe sur le carbone vient ajouter une autre couche qui nuit à la compétitivité des producteurs au sein d’une même province, à l’échelle du Canada et sur la scène internationale. Pour réduire au minimum ce désavantage, nous exhortons le gouvernement fédéral à créer un mécanisme national d’allégement pour les producteurs.

Le secteur agricole canadien progresse chaque jour et il développe des technologies modernes et durables qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’ensemble du secteur. Toutefois, en raison de la nature mondiale du marché des fruits et légumes, nous ne pouvons pas tout simplement faire répercuter la tarification du carbone sur les prix à la consommation.

Les producteurs maraîchers en serre ont trouvé une manière de cultiver des aliments de manière durable pour les Canadiens au-delà des saisons où nous en cultivons normalement en plein champ. Ils produisent des aliments sûrs et durables de grande qualité qui permettent à des millions de Canadiens de consommer des légumes frais et sains pratiquement toute l’année.

Par ailleurs, parmi tous les secteurs qui produisent des fruits, des légumes et des pommes de terre au Canada, c’est dans le secteur des légumes de serre que la valeur des exportations est la plus grande. Cela représente environ 40 p. 100 de toutes les exportations de fruits et de légumes frais qui se chiffraient à 964 millions de dollars en 2017.

La production de légumes de serre apporte une contribution essentielle au paysage agricole du Canada, et c’est un moteur économique clé. Nous demandons au gouvernement d’offrir un programme national d’aide uniformisée qui englobe tous les combustibles utilisés dans le cadre d’activités agricoles afin de garantir la compétitivité permanente du secteur, sa croissance et son investissement dans le Canada, et de maintenir notre souveraineté alimentaire au profit des Canadiens.

Nous soutenons que le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership et veiller à ce que sa mesure législative rende compte de l’éventail complet de la production agricole primaire, qui dépasse le diesel consommé par l’équipement agricole employé pour les cultures traditionnelles.

Je vais maintenant céder la parole à mon collègue.

M. Wales : Comme Mme Paillat l’a mentionné plus tôt, nous sommes préoccupés par plusieurs des principales définitions du projet de loi C-74, dont celles de l’agriculture, d’une activité agricole admissible et de déchet combustible. Ces définitions oublient les fruits et les légumes, et ne rendent pas compte de l’éventail complet des activités agricoles et de la machinerie utilisée dans le cadre de l’agriculture canadienne primaire.

Par exemple, étant donné que la mesure législative proposée indique clairement que la machinerie agricole admissible ne comprend pas les biens qui servent au chauffage ou au refroidissement d’un bâtiment, comme le prescrit le Règlement, l’agriculture primaire qui repose, entre autres, sur le chauffage des serres, des étables de bétail et des séchoirs à grains et sur le refroidissement des fruits et légumes après leur récolte est donc présumée inadmissible, en dépit du fait qu’elle est essentielle à la production canadienne d’aliments, de fourrage et de fibres de haute qualité. En outre, si la définition de l’agriculture mentionne les fruits, elle passe complètement sous silence les légumes.

Tous les producteurs de légumes et moi-même nous sentons personnellement offensés par cet oubli. Des légumes sont cultivés au Canada depuis des milliers d’années.

En soi, cet oubli engendre une incertitude et accentue, par inadvertance, les obstacles à la concurrence qu’affrontent déjà les agriculteurs des divers secteurs du Canada.

La raison d’être des définitions liées à l’agriculture devient primordiale pour garantir que la mesure législative ne vise pas à favoriser uniquement un secteur, une activité, une machinerie ou un type d’agriculture, ou à lui nuire d’une façon disproportionnée.

Le Conseil canadien de l’horticulture a recommandé que la définition de l’agriculture primaire établie par Emploi et Développement social Canada dans le cadre de leur examen actuel soit prise en considération pour le cadre législatif du projet de loi C-74. Il est indispensable que les ministères communiquent entre eux, en particulier dans le contexte d’une approche pangouvernementale.

Bien que les membres d’Agriculture et Agroalimentaire Canada soient les experts fédéraux en ce qui concerne l’étendue des activités agricoles, nous remarquons qu’Environnement Canada, Emploi et Développement social Canada et Finances Canada utilisent des définitions différentes pour élaborer des initiatives. Ceci n’a rien de nouveau.

Nous vous fournirons une copie de la définition de l’agriculture primaire que nous suggérons. L’agriculture sous toutes ses formes comprend, entre autres, la culture et le travail du sol, la production laitière, la production, la culture et la récolte de tous les produits agricoles et horticoles, l’élevage du bétail, des abeilles, des animaux à fourrure ou de la volaille, et toutes les pratiques, dont les opérations forestières effectuées par un agriculteur ou au sein d’une exploitation agricole, qui découlent des activités agricoles de ce genre ou qui surviennent dans le cadre de ces activités, dont le conditionnement pour les marchés, la livraison à l’installation d’entreposage, aux marchés ou aux transporteurs à des fins d’acheminement vers les marchés, y compris des structures commerciales comme les coopératives qui contribuent à l’emballage, à la transformation, à l’entreposage et à l’expédition des produits.

De plus, dans la mesure où des tâches agricoles identiques sont appliquées à des produits crus ou frais, même si ce ne sont pas des fruits ou des légumes canadiens, ces activités devraient être considérées comme une agriculture primaire visant à maintenir ce secteur canadien hors saison.

Nous demandons que le gouvernement fédéral utilise cette définition dans l’ensemble de ses ministères ainsi que dans le projet de loi C-74, pour faire en sorte de rendre compte clairement de l’agriculture moderne. Même si les cultivateurs de fruits et de légumes sont déterminés à adopter des pratiques de production écologiques, le maintien de leur compétitivité et de leur viabilité est tributaire de coûts énergétiques favorables et d’un régime fiscal propice et stable.

Les agriculteurs se soucient de ces questions. Ils font déjà du bon travail sans être incités à le faire par le gouvernement, parce que c’est la bonne chose à faire et parce qu’ils sont incités financièrement à améliorer l’efficacité de leur exploitation agricole.

Les cultivateurs considèrent que bon nombre des mesures d’incitation du gouvernement à réduire les intrants sont inaccessibles parce qu’ils ont déjà tiré le meilleur parti des technologies et des outils écoénergétiques actuels, ce qui punit les premiers utilisateurs. Le gouvernement pourrait, par inadvertance, causer des retards dans l’adoption de toutes les nouvelles technologies, étant donné que les producteurs attendront de voir quel soutien le gouvernement offrira, avant de faire ces investissements vraiment importants.

La plupart des agriculteurs canadiens gèrent de petites entreprises et sont soumis à un grand nombre de coûts accrus. Les coûts associés à la tarification du carbone mettent en péril des entreprises agricoles familiales qui existent depuis longtemps et rendent les investissements dans d’autres pays plus attirants pour les agriculteurs, et cela rend impossible à atteindre le but du gouvernement canadien de faire passer ses exportations à 75 milliards de dollars d’ici 2025.

Même si, en général, les agriculteurs s’intéressent aux sources d’énergie renouvelable et sont disposés à adopter des solutions fondées sur l’énergie éolienne et solaire, il y a des situations où il est impossible de passer à d’autres formes de combustible ou de réduire la consommation de combustibles.

Les gouvernements doivent investir dans des mesures d’incitation comme les déductions pour amortissement accéléré, les remises, les subventions et le financement à frais partagés qui encouragent les producteurs à adopter des technologies et des pratiques propres.

En conclusion, le gouvernement du Canada a demandé au secteur agricole canadien d’intensifier ses efforts afin de contribuer à accroître les exportations agroalimentaires. On a également demandé aux agriculteurs canadiens de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de permettre au Canada d’atteindre ses objectifs en matière de changements climatiques. Ces deux demandes ont atteint un point critique, compte tenu des dispositions de la partie 5 du projet de loi C-74 qui s’appliquent aux agriculteurs.

Les cultivateurs canadiens de fruits et de légumes pensent qu’ils peuvent participer activement à l’atteinte de ces deux objectifs. Cependant, un nombre croissant de défis, de barrières réglementaires et de coûts supplémentaires entravent l’atteinte de ces objectifs ambitieux.

En ce qui concerne en particulier la partie 5 du projet de loi C-74, le Conseil canadien de l’horticulture demande instamment au comité d’inclure dans son rapport une recommandation visant à exempter toutes les activités agricoles de la tarification du carbone sous forme de redevance sur les combustibles, et d’améliorer en les actualisant les définitions relatives à l’agriculture afin qu’elles englobent les activités agricoles modernes du Canada qui ne cessent d’évoluer.

J’ajouterais aussi que les gouvernements doivent prévoir des programmes compensatoires uniformes partout au Canada afin que les agriculteurs qui prennent les mesures qui s’imposent puissent être reconnus pour leurs efforts.

Nous nous réjouissons à l’idée de répondre à vos questions.

[Français]

(Le sénateur Maltais (vice-président) est au fauteuil.

Le vice-président : Merci infiniment pour votre témoignage, madame Paillat et monsieur Wales.

Comme je remplace la présidente, c’est à moi de poser les premières questions.

Beaucoup de témoins sont venus ici avant vous et ont exprimé la même difficulté, à savoir que nous ne sommes pas capables de définir clairement ce qu’est un agriculteur. Il me semble qu’en 2018, les dictionnaires, autant de langue anglaise que de langue française, doivent définir un agriculteur. À mes yeux, un agriculteur est celui qui cultive la terre. Cela représente un problème en matière de taxation, d’après ce que nous avons entendu de nos témoins du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard. Ils avaient la même réaction que vous. J’espère qu’un jour on sera en mesure de définir ce qu’est un agriculteur et qu’on ne devra pas attendre encore un siècle.

Madame Paillat, vous avez parlé d’un problème de main-d’œuvre, qui n’est pas unique à l’Ontario. Ce problème se retrouve partout au Canada, surtout dans le domaine de l’agriculture. Vous avez parlé aussi d’un programme d’allègement, mais comment s’applique le programme de la tarification du carbone en Ontario actuellement dans le secteur de l’agriculture?

[Traduction]

Mme Paillat : Pardon, quel programme?

[Français]

Le vice-président : L’Ontario a adopté une politique de tarification du carbone. Comment s’applique-t-elle dans le secteur de l’agriculture?

[Traduction]

Mme Paillat : Le programme de plafonnement et d’échange de l’Ontario s’applique réellement aux cultivateurs de l’Ontario dont la compétitivité varie.

Le programme de plafonnement et d’échange comporte trois différents niveaux. Il y a ceux qui sont tenus de participer, ceux qui participent volontairement et ceux dont les émissions n’atteignent pas celles des participants volontaires.

Nous parlons de répercussions de 6 200 $ par acre que subissent tous ces cultivateurs. Certains des participants propriétaires de petites exploitations agricoles, par exemple, sont touchés le plus durement. Cela représente un important pourcentage des cultivateurs de l’Ontario dont la superficie de terres cultivées est inférieure à, disons, un niveau de 30 hectares. J’espère que cela répond à votre question.

[Français]

Le vice-président : Oui, en partie, sauf que j’ai une autre question. Si la taxe fédérale sur le carbone, qui semble être uniforme, arrive en sus du programme provincial de l’Ontario, quel en sera l’impact sur les agriculteurs que vous représentez?

[Traduction]

Mme Paillat : Je crois comprendre que la taxe du programme fédéral s’applique aux provinces qui sont assujetties au filet de sécurité. Comme l’Ontario possède déjà son propre système, il n’y a pas de dédoublement de la taxe.

Le système fédéral veillera à ce que le programme ontarien respecte les normes établies. Le filet de sécurité fédéral existe pour faire en sorte que les provinces et les territoires se conforment aux normes. Dans le cas d’un système de plafonnement et d’échange, ils convertiront les émissions normales à respecter en fonction du plafonnement.

[Français]

Le vice-président : Monsieur Wales, vous avez aussi un problème avec la langue. On fait la différence entre un cultivateur de fruits et un cultivateur de légumes. Pourtant, à mes yeux, c’est un agriculteur. À ce que je sache, les fruits ne poussent pas dans les airs et les patates non plus. Il faudra trouver une définition.

En ce qui concerne les cultivateurs de cannabis, dans quelle catégorie allez-vous les mettre? Parmi les producteurs de fruits ou les producteurs de légumes?

[Traduction]

M. Wales : C’est comme si on demandait si la tomate est un fruit ou un légume.

À l’heure actuelle, les producteurs de marijuana à des fins médicales et les producteurs éventuels de marijuana à des fins récréatives cultivent tout de même des plantes. En Ontario, le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales a déterminé qu’il s’agissait d’une activité agricole. Ils font tout de même pousser une plante.

Pendant 29 années de ma vie, j’ai cultivé du tabac. Je cultivais essentiellement un produit auquel, tôt ou tard, quelqu’un allait mettre le feu et en inspirer la fumée. En fin de compte, quelle est la différence?

Je tiens à répondre à une question qui a été posée plus tôt à Mme Paillat. Vous vous interrogiez à propos du système de plafonnement et d’échange de l’Ontario. Le problème en Ontario, c’est que nous mettons en œuvre un système qui exige que des coûts soient ajoutés aux quatre principaux combustibles : l’essence, le diesel, le gaz naturel et le propane. L’argent est recueilli par nos fournisseurs de combustibles. Ensuite, ils doivent acheter des crédits de carbone trimestriellement pour compenser les émissions qu’ils engendrent en fournissant ce produit.

Le gouvernement de l’Ontario a recueilli 1,9 milliard de dollars l’année dernière, et ils ont déjà organisé au moins une enchère cette année. Après le 7 juin, nous n’aurons peut-être plus un système de plafonnement et d’échange en Ontario. Nous sommes au cœur d’élections provinciales, et nous entendons des points de vue divergents quant à la façon dont les choses se dérouleront. Il se peut que nous n’ayons plus de système.

Comme Mme Paillat l’a mentionné, je crois comprendre que la taxe fédérale sur le carbone s’applique seulement lorsqu’une province ne dispose pas d’un système. Quand le 1er janvier sonnera en Ontario, nous pourrions vivre dans une province dotée ou non d’un système. Au cours des enchères qui ont eu lieu l’année dernière, le prix moyen d’un crédit de carbone s’élevait à environ 18,30 $ par tonne. Je ne sais pas quels résultats l’enchère de mars dernier a donnés.

L’Ontario planifiait de continuer d’accroître le coût des crédits en limitant leur disponibilité, afin que leur prix augmente et cadre avec le désir du gouvernement fédéral que le prix global du carbone s’établisse à 50 $ par tonne d’ici une certaine date en 2020.

En Colombie-Britannique et en Alberta, les producteurs agricoles sont exemptés de toutes les taxes sur le diesel, tout comme le fait un programme au Manitoba. Bien entendu, le secteur de la serriculture bénéficie d’une remise spéciale. Depuis plus de 10 ans, les producteurs de l’Alberta sont assujettis à un système de crédits compensatoires de carbone. Ces producteurs ont adopté des pratiques sans travail du sol ou font pousser des pâturages qui leur permettent de recevoir une certaine remise par acre pour avoir piégé du carbone dans les sols.

Ces remises avaient été promises dans le cadre du système de plafonnement et d’échange de l’Ontario, mais nous avons assisté à deux années d’hésitation pendant lesquelles aucune mesure n’a été prise. Malheureusement, je ne m’attends pas nécessairement à ce que des mesures soient prises de mon vivant. Je ne vois aucune raison pour qu’ils le fassent, et c’est un problème.

[Français]

Le vice-président : Je vous souhaite longue vie.

Il y a beaucoup d’échanges agricoles entre l’Ontario et le Québec dans le secteur des fruits et des légumes. Le Québec a déjà sa méthode de taxe sur le carbone; l’Ontario aussi. Est-ce que cela s’égalise? En matière de transport, il y aura des taxes sur l’essence. Il y a des échanges très importants entre ces deux provinces, et il ne faudrait pas que l’une soit désavantagée par rapport à l’autre. Y a-t-il possibilité de négociation entre les deux gouvernements afin que tous soient sur le même pied?

[Traduction]

M. Wales : Compte tenu des deux gouvernements actuels, c’est probable. Toutefois, il est difficile de dire s’ils seront en mesure de négocier quoi que ce soit après le 7 juin.

Je reconnais que l’Ontario et le Québec participent à l’Initiative de l’Ouest sur le climat, de concert avec la Californie. Mais la difficulté que nous affrontons existe au Canada. Les producteurs de fruits et légumes frais de l’Ontario doivent rivaliser avec les cultivateurs de la Colombie-Britannique, du Manitoba et de l’Alberta pour vendre leurs produits. Les cultivateurs de ces trois provinces de l’Ouest jouissent d’un avantage distinct sur le plan des coûts, en raison des taxes sur le carbone qui sont appliquées à tous les combustibles que nous avons besoin d’utiliser.

La difficulté, c’est qu’à titre de producteur de grandes cultures, je dois utiliser du diesel pour irriguer mes terres si les conditions sont sèches. Je ne peux pas faire autrement, sinon ma récolte mourra. Je vais permettre à M. VanderHout de vous décrire les difficultés qu’il doit affronter en tant que producteur serricole.

Je ne peux pas réduire ma consommation de combustible, sinon ma récolte mourra. La réalité est aussi simple que ça. Je dois utiliser du combustible pour labourer la terre. Je ne peux pas changer cela. Je cherche à le faire d’une façon aussi efficace que possible, mais je dois tout de même utiliser ce combustible. Si j’entre en concurrence avec un cultivateur qui bénéficie d’un avantage distinct du point de vue de la taxe sur le carbone, j’ai un problème. Je ne peux simplement pas refiler ces coûts aux acheteurs. Les consommateurs et les clients indiquent ce qu’ils sont prêts à payer, un point c’est tout.

Jan VanderHout, membre du conseil d’administration et producteur de légumes de serre, Conseil canadien de l’horticulture : Il y a de nombreux échanges commerciaux entre l’Ontario et le Québec, et des camions vont et viennent entre ces deux provinces à longueur d’année. Pour soutenir la concurrence d’autres pays, comme les États-Unis, le Mexique, l’Amérique centrale ou le Honduras, les exploitants de serre doivent relever un grand défi.

Le fardeau supplémentaire imposé par la tarification du carbone désavantage grandement notre commerce international. C’est en partie la raison pour laquelle il faut envisager d’accorder une exemption à l’agriculture.

[Français]

Le vice-président : Merci.

[Traduction]

Le sénateur R. Black : Je vous remercie infiniment, messieurs, de nous avoir donné d’excellents exposés, de nous avoir communiqué votre définition d’un producteur agricole et d’avoir reconnu le fait que les producteurs sont disposés à intensifier leurs efforts et à faire leur juste part pour surmonter les difficultés qui nous attendent, et qu’ils sont capables de le faire. C’est un fait qu’il est important de noter.

Vos commentaires figureront dans le compte rendu, et c’est réconfortant de le savoir. Je le répète, nous avons entendu ces observations à quelques reprises.

Pouvez-vous nous parler des problèmes de compétitivité de l’industrie de la serriculture? Vous avez commencé à aborder la question de ses problèmes actuels de compétitivité et de la façon dont une nouvelle taxe accroîtra son fardeau. Pourriez-vous fournir des renseignements supplémentaires sur le dialogue que nous avons entendu?

M. VanderHout : À l’heure actuelle, l’Ontario met en œuvre un système de plafonnement et d’échange, un fardeau que nous assumons déjà.

Il ajoute des coûts de production de 6 000 $ par hectare. Je crois que notre exposé l’a précisé plus tôt. Cela nous désavantage grandement lorsque nous entrons en concurrence avec d’autres pays et même avec d’autres provinces et territoires du Canada.

Les fruits et légumes de serre provenant de la Colombie-Britannique ne sont pas aussi alourdis par ce fardeau supplémentaire que nous impose la tarification du carbone.

Le sénateur R. Black : Vos observations sont liées à l’industrie de la serriculture. Avez-vous d’autres commentaires à formuler?

M. Wales : Les producteurs de grandes cultures vivent cette même situation. Le Québec a été mentionné à cet égard. Le salaire minimum cause d’énormes problèmes à l’industrie horticole. Il y a déjà une différence de 2 à 3 $ entre le salaire minimum du Québec et celui de l’Ontario. Cela fait pencher les acheteurs pour une province ou l’autre.

Les coûts d’électricité que nous devons assumer varient dans plusieurs provinces. Tous ces facteurs réunis jouent donc un rôle. Les acheteurs s’approvisionnent là où les fruits et légumes sont les moins chers. Comme M. VanderHout l’a mentionné, nous ne voulons même pas parler de l’avantage dont bénéficient les pays d’Amérique centrale du point de vue du coût de leur main-d’œuvre.

De plus, nous sommes à la merci des conditions météorologiques. En fin de compte, la météo déterminera les coûts de l’agriculture intérieure et extérieure. Elle déterminera la quantité d’énergie que nous devrons utiliser pour réchauffer ou refroidir les serres et pour retirer l’eau d’un champ ou lui en apporter. Nous sommes touchés directement par ces coûts énergétiques.

Lorsque plusieurs provinces ne paient pas ces taxes supplémentaires, contrairement à l’une d’entre elles, cela nous met dans une mauvaise posture. Les acheteurs ne feront preuve d’aucune loyauté. Ils s’approvisionneront auprès du fournisseur qui leur offrira les prix les plus faibles. C’est la réalité à laquelle nous faisons face, et ce, depuis longtemps. Cette réalité n’est pas nouvelle; les chaînes ne font preuve d’aucune loyauté.

Mme Paillat : En ce qui concerne la compétitivité, permettez-moi d’ajouter que le raisonnement sur lequel la Colombie-Britannique et l’Alberta se sont appuyées pour prendre leur décision relative à l’exemption était aussi lié aux besoins en matière de CO2. Il est impossible de passer progressivement à autre chose pour satisfaire aux besoins des cultures.

Lorsque nous examinons le meilleur combustible à utiliser, nous constatons que le gaz naturel est l’un des meilleurs et des plus propres. S’il n’est pas mentionné dans les définitions, les options disponibles sont très limitées et ne sont pas celles que privilégient la plupart des exploitants de serre.

Lorsque les exploitants de serre sont en quête d’une source de CO2 et que le gaz naturel est leur premier choix, ils doivent tenir compte du fait qu’un délai important sépare la planification de leur infrastructure et son installation.

Nous savons déjà qu’il y a certains coûts associés aux émissions de carbone, mais lorsque l’instabilité en la matière empêche les producteurs de décider rapidement dans quelles infrastructures ils vont investir, il y a de fortes chances qu’ils se tournent vers la stabilité que leur offrent les prix du gaz naturel.

La sénatrice Diane Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Vous aurez noté que notre troisième témoin, M. Jan VanderHout, s’est joint à nous. Merci de votre présence aujourd’hui. Je suis heureuse que vous puissiez être des nôtres, car je crois que vous avez eu certaines difficultés à vous rendre jusqu’ici.

Le sénateur Oh : L’an dernier, j’ai visité quelques exploitations serricoles en Ontario. Ces exploitations consomment du combustible et produisent des émissions de carbone.

Croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait offrir aux exploitants de serres de la Colombie-Britannique une subvention pour compenser la tarification du carbone? Est-ce que tout le secteur serricole au Canada devrait être exempté et bénéficier d’une exonération complète?

M. VanderHout : Certainement. Cette exemption devrait s’appliquer toutefois à l’ensemble du secteur agricole, et pas seulement aux exploitants de serres.

Il faut prendre en considération toute la dynamique du système de production alimentaire. Il est dans l’intérêt non seulement de notre gouvernement, mais aussi de la population canadienne, que nous ayons un certain degré de souveraineté alimentaire, c’est-à-dire que nous puissions consommer ici des aliments produits au pays.

Si l’on pénalise de quelque manière que ce soit les agriculteurs canadiens par rapport à leurs concurrents étrangers, ils seront acculés à la faillite un jour ou l’autre, ou devront tout au moins renoncer à leurs projets d’expansion. Les serres ne vont pas cesser leurs activités du jour au lendemain en raison de la tarification du carbone, mais les objectifs de croissance à long terme ne pourront jamais être atteints. On ne pourra pas non plus répondre à des besoins alimentaires qui vont augmenter au fil de la croissance de la population du Canada.

Mme Paillat : Je crois que M. VanderHout vise en plein dans le mille. Cela nous ramène à la nécessité pour le gouvernement fédéral de faire montre de leadership, car nous en avons vraiment besoin. Je constate qu’Environnement Canada a choisi de laisser les gouvernements provinciaux décider. Il y a sans doute encore une certaine marge de manœuvre.

C’est à peu près ce que je peux vous dire à ce sujet. Il est bien certain que la Colombie-Britannique et l’Alberta ont exercé le leadership voulu, mais on ne peut pas en dire autant dans le reste du pays.

M. Wales : Je conviens avec mes deux collègues qu’il faudrait une exemption nationale pour tout le secteur agricole. Je peux vous dire que ce ne sont pas seulement les exploitants de serres qui en ont besoin, mais aussi tout notre secteur de la production agricole de grande culture.

Il est important que nous puissions produire des aliments. Nous sommes un pays exportateur. Nous devons assurer notre souveraineté alimentaire, mais nous sommes également l’un des six pays du monde capable d’exporter des produits alimentaires, une fois ses propres besoins comblés. C’est la place que nous occupons et le rôle que nous devons remplir dans l’intérêt général de la planète. Nous devons nous acquitter de ce rôle, et nous devons pouvoir y arriver de la façon la plus rentable possible.

Quant à la pertinence d’une exemption générale, je crois que la Colombie-Britannique et l’Alberta ont fait le bon choix. L’exemption n’est pas complète dans le cas du gaz naturel et du diesel, mais on reconnaît tout de même l’importance de ces carburants. Le secteur agricole a absolument besoin d’énergie pour produire des aliments et toute forme de taxation à cet égard ne fait qu’envenimer le problème avec lequel nous devons composer.

Si l’on veut que tout puisse s’harmoniser, il est essentiel de pouvoir s’entendre sur une définition commune. Si l’on ne peut pas définir ce qu’est une exploitation agricole, comment est-il possible d’accorder quelque exemption que ce soit?

Le sénateur Oh : Les producteurs de concombres de l’Ontario m’ont dit qu’ils risquaient d’être rayés de la carte, car il leur est impossible de soutenir la concurrence des Américains qui ont un mode de fonctionnement différent. Ils songent à déménager au sud de la frontière pour y exploiter des serres et exporter leurs produits au Canada.

M. Wales : C’est la triste réalité.

M. VanderHout : La tarification du carbone est l’un des facteurs à considérer. Le système de plafonnement et d’échange fait partie des critères pris en compte lorsque vient le temps de déterminer si l’on va construire ces serres en Ontario, dans l’État de New York, au Michigan ou en Virginie, par exemple.

Il y a aussi le fait que les coûts de chauffage seront plus élevés ici qu’au Tennessee, par exemple. Il faut aussi considérer les coûts et la disponibilité de la main-d’œuvre au Canada. Tous ces éléments entrent en jeu. Il ne suffit pas que la tarification du carbone soit adéquate pour que toutes les autres conditions soient satisfaisantes. C’est l’un des éléments clés dans le maintien de la capacité concurrentielle de l’industrie serricole canadienne.

Le sénateur Oh : C’est lorsqu’il voit le prix des aliments grimper au supermarché que le consommateur commence à se plaindre de l’inflation.

Le sénateur Doyle : Je ne sais pas si vous avez indiqué quelle proportion des besoins en produits agricoles est comblée à même la production des exploitants de serres au Canada. S’agit-il d’une quantité importante ou est-ce plutôt négligeable par rapport à ce qui est cultivé dans les champs? J’ai l’impression que la contribution de l’industrie serricole est relativement réduite.

Quelle est l’ampleur de notre production sous verre ou sous plastique au Canada? S’agit-il de quantités considérables, ou serait-ce plutôt bien peu de choses?

M. VanderHout : Il faut être prudent avec les statistiques. La serriculture compte en fait pour une importante portion de la production horticole au Canada. Si l’on compare à la culture de la pomme de terre à l’Île-du-Prince-Édouard ou au Manitoba, on tombe bien évidemment dans un ordre de grandeur très différent.

Le secteur serricole joue un rôle important au sein de l’agriculture canadienne. C’est loin d’être une quantité négligeable.

Le sénateur Doyle : Avez-vous une idée des comparaisons possibles avec les États-Unis? Est-ce que notre production serricole par habitant se compare favorablement à la leur?

Compte tenu des conditions climatiques différentes et de tout le reste, j’imagine que les Américains produisent des quantités beaucoup plus considérables. Le climat des États-Unis est plus propice à la culture en serre.

M. VanderHout : Encore là, je n’ai pas de statistiques à vous donner, mais je gagerais que notre industrie serricole est de plus grande taille que celle des Américains.

Comme notre population est environ 10 fois moindre, notre secteur serricole occupe une place très importante dans notre industrie agricole.

Le sénateur Doyle : Savez-vous si les serriculteurs envisagent de nouveaux moyens pour réduire l’empreinte carbone du chauffage de leurs serres? Je pense par exemple à des appareils comme les thermopompes. Est-ce que cela fait partie des plans?

M. VanderHout : Je vous dirais que c’est bel et bien le cas et que les thermopompes font partie des outils considérés à cette fin.

Le contrôle de l’humidité fait partie des éléments les plus coûteux dans le chauffage des serres. Vous serez peut-être étonnés d’apprendre que nous utilisons des quantités considérables de chaleur, même pendant l’été. Cette production de chaleur est souvent compensée par l’utilisation des gaz d’échappement pour l’enrichissement en CO2. Quoi qu’il en soit, nous devons produire beaucoup de chaleur pour enlever l’humidité pendant toute l’année.

Une technologie émergente permet d’utiliser des thermopompes pour enlever l’humidité produite par l’évaporation ou la condensation tout en chauffant la serre. Un peu partout dans le monde, des stations de recherche travaillent à la mise au point de cette technologie. Nous allons certes faire le nécessaire pour l’adapter à nos besoins.

Depuis plusieurs années, les exploitants de serres s’emploient à installer des dispositifs économiseurs d’énergie comme les rideaux thermiques qui offrent une protection supplémentaire entre les cultures et le toit de la serre.

Nos serres sont actuellement en polycarbonate double paroi. Nous voulons maintenant ajouter une troisième couche de polycarbonate. Nous essayons d’évaluer les économies possibles, car il y en aura certainement, mais aussi de déterminer les risques de répercussions négatives sur la production.

Si l’on économise un dollar en carburant pour perdre deux dollars en production, on est loin d’être gagnant. Je vous dirais donc que nous y travaillons effectivement.

Le sénateur Doyle : Est-ce que les nouveaux systèmes d’éclairage DEL peuvent être utilisés pour les serres, ou est-ce que la chaleur qu’ils émettent est insuffisante?

M. VanderHout : C’est une question plutôt complexe. Il y a bien des considérations scientifiques associées à l’éclairage DEL.

L’un des gros avantages avec les DEL, c’est qu’on peut ajuster l’éclairage. Les gens ont tort de penser que ces lampes n’émettent aucune chaleur. Elles produisent de bonnes quantités de chaleur, mais elles ne peuvent pas fonctionner à une température aussi élevée que les lampes à sodium à haute pression. Elles ont besoin d’un système de refroidissement plus dynamique.

Chose intéressante, les lampes à sodium à haute pression produisent davantage de lumière par unité d’électricité. C’est simplement que le spectre n’est pas tout à fait le même. Il n’y a pas de possibilité d’ajustement. Une lampe à sodium à haute pression utilise toujours le même spectre, alors qu’il est possible avec une lampe DEL d’ajouter du bleu, du rouge ou du blanc.

Le sénateur Doyle : Est-ce que l’avenir est prometteur pour la culture en serre au Canada? Croyez-vous que les perspectives sont bonnes?

M. VanderHout : Je l’espère vraiment. Je dirige actuellement mon exploitation avec mon frère. Nous avons chacun quatre enfants. J’espère vraiment que nous pourrons leur léguer une entreprise viable.

Le sénateur Doyle : Compte tenu des changements climatiques, il devient sans doute plus avantageux d’avoir recours à la production serricole, plutôt qu’à la culture dans les champs.

La présidente : Sénateur Doyle, nous allons devoir considérer qu’il s’agit d’un constat de votre part, plutôt que d’une question. Il nous reste 10 minutes à peine et trois sénateurs ont encore des questions à poser.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à Mme Paillat. Dans les documents, j’ai remarqué qu’il y a différentes définitions d’un agriculteur. Croyez-vous qu’on a sciemment ajouté des variantes à la définition d’un agriculteur ou qu’il s’agisse d’une erreur ou d’un oubli? Si c’était volontaire, est-ce que cela signifie que le gouvernement voulait exempter certains groupes d’agriculteurs sans le dire publiquement?

[Traduction]

Mme Paillat : Vous posez des questions assez embêtantes. Je ne peux pas vraiment me permettre de commentaires sur les intentions de qui que ce soit.

Le sénateur Dagenais : Oui, vous pouvez vous le permettre.

Mme Paillat : Il y a sans doute d’autres situations où l’on a pu utiliser une définition différente de l’agriculture. Si l’on ne s’en remet pas à Agriculture et Agroalimentaire Canada, et si l’on ne consulte pas véritablement les intervenants du secteur, on ne peut pas en arriver à une définition tout à fait pertinente.

Nous avons une bonne idée de ce qu’est l’agriculture. Il ne faut jamais oublier que c’est un secteur en pleine évolution. Je ne pourrais pas vous dire si c’est intentionnellement ou non que l’on a exclu les fermes d’une telle taille ou d’une telle catégorie, comme les fermes d’agrément, par exemple. Nous avons certes eu notre mot à dire, et nous estimons que les définitions utilisées doivent être inclusives.

M. Wales : Une ferme restera toujours une ferme. Nous en avons l’intime conviction.

Comme l’indiquait Mme Paillat, l’évolution constante de l’industrie fait en sorte qu’il est plus difficile de définir ce qu’est l’agriculture. On retrouve bien des définitions différentes dans de nombreuses lois, mais la plupart d’entre elles sont désuètes.

Il faut toujours se demander quelle est la définition correspondant à la situation actuelle. Celle que nous proposons englobe toutes les possibilités tout en permettant de tenir compte également de cette évolution. C’est le principal élément à garder à l’esprit.

J’aimerais revenir brièvement à une question précédente au sujet de l’industrie serricole aux États-Unis. Compte tenu de la variété des saisons de culture possibles dans ce pays, les Américains ont été plutôt lents à passer à la culture en serres. Cette forme d’agriculture est donc présente sans doute uniquement dans les États du Nord.

Comme il est possible de cultiver des fraises et des poivrons en plein hiver dans les États du Sud, les serres n’y ont pas vraiment leur utilité. C’est ainsi depuis toujours. Comme le disait M. VanderHout, notre industrie est beaucoup plus importante que celle des Américains.

[Français]

Le sénateur Dagenais : En conclusion, j’ai une question concernant la taxe sur le carbone, mais je vais attendre au mois de juin, car il est possible que ce problème se règle de lui-même. Alors, il n’y aura peut-être plus de taxe sur le carbone.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Merci pour vos témoignages. J’aimerais préciser les choses au sujet de ce que vous proposez.

Le projet de loi prévoit déjà une exemption au titre de la redevance pour les combustibles utilisés dans une exploitation agricole. Vous nous dites que l’on devrait élargir ou améliorer la définition de l’agriculture de manière à ce qu’elle s’applique à un éventail plus large d’activités agricoles. Je peux comprendre, mais vous en demandez encore plus. Vous revendiquez une exemption nationale à l’égard de toute tarification du carbone dans ce secteur. Est-ce bien cela?

M. VanderHout : Oui.

M. Wales : Oui.

Le sénateur Woo : La disposition est ainsi formulée pour permettre aux provinces de le faire. Vous avez en quelque sorte déjà répondu à cette question en indiquant que certaines provinces ont pris de l’avance sur les autres. Il y a donc une certaine cohérence à assurer en se demandant dans quelle mesure le gouvernement fédéral peut ou doit empiéter sur le droit et la responsabilité de chaque province d’adapter ses interventions en fonction de ses besoins particuliers.

Je pense par exemple à la situation en Ontario où l’on a pu recueillir comme vous l’avez indiqué 1,6 milliard de dollars lors d’une récente mise aux enchères de droits d’émission. Quelle proportion de ces fonds sera réinvestie dans des mesures technologiques profitables au secteur agricole? A-t-on vraiment l’intention de réinvestir ces sommes dans l’agriculture pour réduire les émissions et améliorer l’efficience, notamment?

M. Wales : C’est l’une des difficultés que nous éprouvons en Ontario. Le gouvernement est très lent à réagir. Il faut avouer que les investissements sont à peu près nuls.

On peut observer un véritable effet de siphon dans notre province. Il s’agit en fait de sommes versées au titre de l’utilisation d’énergie, d’essence, de diesel, de gaz naturel et de propane. Cet argent est perçu dans l’Ontario rural pour être ensuite réinvesti en grande partie dans l’Ontario urbain pour les voitures électriques, le métro et l’électrification des réseaux de transport en commun. Tous ces investissements ont leur importance, mais ils n’apportent strictement rien à l’Ontario rural.

Le problème, c’est que nous payons pour ça.

Le sénateur Woo : Je comprends, mais il s’agit bien évidemment d’un problème auquel nous ne pouvons pas nous attaquer directement. Ce sont les provinces qui doivent s’en charger. Les élections à venir permettront peut-être d’y voir plus clair.

Quant à toute la question de la répartition des fonds aux fins de l’innovation, vous avez indiqué que la taxe ne vous inciterait pas à en faire davantage pour améliorer votre efficience énergétique, car vous avez déjà pris des mesures en ce sens de votre propre initiative conformément à votre volonté d’être plus écoénergétique.

Parallèlement à cela, vous avez parlé d’une réticence à adopter les nouvelles technologies en raison des incertitudes quant aux incitatifs pouvant être offerts.

Vous nous indiquez très clairement qu’il y a des mesures que vous pourriez vouloir prendre, mais que vous attendez de savoir d’où viendra l’argent pour vous aider à le faire.

Ne croyez-vous pas qu’un régime de tarification du carbone ou de plafonnement et d’échange pourrait, en théorie, procurer au gouvernement les fonds nécessaires pour vous encourager à en faire davantage pour améliorer votre efficience énergétique?

M. Wales : Je vais laisser M. VanderHout vous répondre.

Le sénateur Woo : Ce n’est pas lui qui a parlé de cela, mais bien vous. La question se pose tout de même.

M. VanderHout : Non, aucun problème. Je sais ce qui a été dit, alors je peux très bien vous répondre.

C’est mon point de vue personnel que je vous présente. Nous sommes toujours à la recherche de moyens pour améliorer l’efficacité énergétique de notre exploitation agricole. L’énergie et la main-d’œuvre sont nos deux principaux éléments de coûts. Nous sommes sans cesse en quête de gains d’efficience possibles pour ces deux éléments.

J’ai installé des rideaux thermiques avant même qu’il y ait des incitatifs à cet égard. J’ai donc payé la facture moi-même. Avec toutes les mesures incitatives qui se pointent à l’horizon, est-ce que je souhaite investir pour améliorer ma performance environnementale et réduire mon empreinte carbone? À moins que j’obtienne le soutien nécessaire grâce au mécanisme de plafonnement et d’échange en Ontario ou aux recettes tirées de la tarification du carbone, pourquoi devrais-je le faire avant que ces incitatifs soient offerts?

Le sénateur Woo : Vous pourriez le faire en raison de l’augmentation du prix du carburant attribuable à la tarification du carbone ou à un mécanisme de plafonnement et d’échange, n’est-ce pas?

M. VanderHout : Il s’agit souvent d’un investissement considérable.

Le sénateur Woo : Pouvez-vous nous parler de mesures que vous comptez prendre si les incitatifs offerts vous conviennent? J’ai un peu eu l’impression qu’il n’y avait plus rien à faire. Pouvez-vous nous parler d’améliorations que vous envisagez?

M. VanderHout : Est-ce qu’il y a encore des choses à faire? Certaines exploitations en sont à 100 p. 100 d’efficacité énergétique. Pour ma part, je n’ai pas beaucoup d’options. J’essaie de mieux isoler les murs extérieurs et je prévois une troisième couche de polycarbonate sur le toit.

Est-ce que des économies vont être possibles, ou est-ce que cette couche supplémentaire de plastique va faire diminuer la production? Si la production baisse, on ne peut pas vraiment parler d’une plus grande efficience, bien au contraire. Si j’utilise moins de combustible pour une production moindre, on ne peut pas dire que ma situation s’améliore. C’est vraiment une question d’optimisation de la production en utilisant moins d’énergie.

M. Wales : Je conviens avec vous qu’un mécanisme de plafonnement et d’échange devrait produire, en théorie, davantage de fonds pour l’innovation et d’autres mesures semblables. Malheureusement, l’expérience ontarienne nous apprend que ce n’est pas le cas.

Voilà maintenant déjà plusieurs années qu’un système de plafonnement et d’échange est en place. Nous entendons toutes sortes de choses, mais nous voyons très peu d’action. C’est vraiment frustrant.

À titre de producteur de grande culture, je cherche des façons de réaliser des gains d’efficience. Comme je dois faire du labour, j’utilise surtout de l’énergie pour l’irrigation ou le labour tout au long de la saison.

Est-ce que je pourrais mettre à niveau mes tracteurs pour améliorer mon efficience énergétique? Je pourrais le faire, mais est-ce que cela me rapporterait quelque chose? Pas de mon vivant. Un agriculteur qui achète un tracteur le garde en général pendant 20, 30 ou 40 ans. J’utilise deux tracteurs qui ont été construits en 1959. Ce sont les meilleurs tracteurs que l’on puisse utiliser pour l’agriculture. On n’en fait plus d’aussi bons aujourd’hui. Ce sont des tracteurs à essence, mais on les prend comme ils sont.

Pour ce qui est de l’irrigation, j’essaie d’être aussi efficient que possible. Pourrais-je passer à l’irrigation goutte-à-goutte, le système le plus efficient? Je pourrais, mais c’est malheureusement très coûteux, et le prix qu’on me paie pour mes produits ne me permettra jamais de récupérer cet investissement. Je suis donc coincé.

Comme tous les autres agriculteurs, nous devons utiliser des engrais et nous sommes donc assujettis à la taxe sur le carbone incluse dans le prix des engrais que nous achetons. Nous essayons d’en utiliser le moins possible. Nous n’avons toutefois pas vraiment le choix, car il n’y a pas de culture possible sans engrais.

C’est malheureusement sans doute davantage le secteur serricole qui est le plus propice à l’utilisation de nouvelles technologies. Plusieurs avancées technologiques ont déjà été intégrées, et le reste suivra aussi rapidement que possible. La mise en place d’un système de crédits d’émission de carbone en Alberta est un autre exemple de mécanisme de plafonnement et d’échange. Les agriculteurs obtenaient des crédits au titre des mesures positives qu’ils avaient prises, et ce, rétroactivement.

En Ontario, il est question de tenir compte uniquement des mesures prises à compter de maintenant. Environ 40 p. 100 des exploitations agricoles de l’Ontario font de la culture sans labour depuis un bon moment déjà. Ces gens-là sont des précurseurs.

À l’avenir, si ces agriculteurs veulent obtenir une compensation au titre de leurs émissions de carbone, si tant est que cela ait déjà existé, il faudra qu’ils recommencent à labourer leurs champs. Ils devraient donc renoncer à ce qu’ils font depuis des décennies déjà afin d’être admissibles à d’éventuels crédits pour le carbone. C’est vraiment frustrant.

L’harmonisation est nécessaire. Nous avons besoin de systèmes cohérents qui nous permettent de planifier à long terme.

La présidente : Nous n’avons plus de temps. Je veux remercier nos témoins pour ces échanges fort intéressants. J’aurais bien aimé que nous ayons plus de temps à vous consacrer, mais on ne peut rien y faire. Nous sommes très heureux d’avoir pu vous accueillir aujourd’hui.

Nous allons prendre un moment pour discuter de notre budget en vue de notre voyage d’études au Québec et d’obtenir l’approbation requise à cette fin. Je vais d’abord permettre à nos témoins de partir, car cela ne les concerne pas.

Comme vous le savez, sénateurs, nous avons prévu un très court voyage d’études au Québec. Je vais demander au sénateur Black de nous présenter une motion visant à obtenir le budget nécessaire.

Le sénateur R. Black : Tout le monde a le budget sous les yeux, et je vais vous lire la motion. Je propose :

Que la demande d’autorisation de budget suivante (Étude sur l’amélioration de la capacité concurrentielle de notre secteur de la production alimentaire à valeur ajoutée sur les marchés mondiaux), au montant de 17 320 $ pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2019, soit adoptée et présentée au Comité permanent de la régie interne.

La présidente : Y a-t-il des questions? C’est le voyage au Québec. Est-ce que c’est approuvé?

Des voix : D’accord.

La présidente : Formidable.

(La séance est levée.)

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