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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


CALGARY, le jeudi 22 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour étudier l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je constate que nous avons le quorum. La séance est donc ouverte.

Pour ceux d’entre vous qui ne nous connaissent pas, nous sommes deux sénateurs présents, et nous assumons respectivement la présidence et la vice-présidence. Je suis Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, et je suis la présidente du comité. Le sénateur Maltais va se présenter.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bonjour à vous trois. Je m'appelle Ghislain Maltais. Je suis sénateur du Québec et membre du Comité de l'agriculture depuis sept ans.

[Traduction]

La présidente : Comme vous le savez, nous sommes en mission d’étude et nous tenons également des audiences, dont celle-ci, dans l’Ouest du Canada. Nous avons fait une tournée semblable dans l’Est du Canada il y a quelques mois, et nous nous penchons sur les effets des changements climatiques sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier. Nous avons passé deux jours à Vancouver, où nous avons entendu des exposés remarquables et fait d’excellentes visites de certains des laboratoires de foresterie de l’Université de la Colombie-Britannique.

Nous passons trois jours ici, en Alberta, et nous couvrons les trois provinces des Prairies. Nous avons entendu de bons exposés, tant au sujet du secteur forestier que du secteur agricole. Hier, nous avons eu une journée fantastique. Nous espérons la même chose aujourd’hui. Je ne cherche pas à vous faire de la pression, et je suis convaincue que vous allez être à la hauteur de nos attentes.

Je tiens à vous remercier de votre présence aujourd’hui, Cherie Copithorne-Barnes, Reynold Bergen et Graham Gilchrist. Nous vous en savons gré. Graham était là hier. Il porte un chapeau différent aujourd’hui, car c’est une personne aux multiples compétences. C’est presque comme dans les Maritimes, où nous devons porter des chapeaux très variés. La même personne doit jouer bien des rôles différents. C’est un petit milieu.

Le greffier vous a donné des directives sur la durée de votre exposé, mais il vous a aussi fait savoir que nous avons une certaine latitude, étant donné qu’il y a moins de sénateurs pour poser des questions. Prenez le temps qu’il vous faut. Il restait une heure complète à la fin de la journée, alors vous pouvez avoir plus de temps. C’est ce que je veux dire.

Nous allons commencer à ce bout-ci, par Cherie Copithorne-Barnes.

Cherie Copithorne-Barnes, présidente, Table ronde canadienne sur le bœuf durable : Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui pour discuter des effets des changements climatiques sur l’industrie canadienne du bœuf. Je m’appelle Cherie Copithorne-Barnes, et je suis une grande éleveuse de quatrième génération, de l’ouest de Calgary. Je suis aussi la présidente de la Table ronde canadienne sur le bœuf durable. Je vais parler de la TRCBD pour faire plus court. Aujourd’hui, je suis accompagnée de M. Reynold Bergen, le directeur scientifique au Conseil de recherche sur les bovins de boucherie.

La TRCBD est un organisme réunissant de multiples intervenants et visant à appuyer les efforts en matière de durabilité au sein de l’industrie canadienne du bœuf. Nous comptons en ce moment plus de 100 membres et observateurs qui représentent les producteurs, les transformateurs, les ONG — ou organisations non gouvernementales —, les agroentreprises et les milieux universitaires, pour ne nommer que ceux-là. Notre mission est de mettre en place un cadre permettant à l’industrie canadienne du bœuf d’être un chef de file mondial dans l’amélioration continue et la durabilité de la chaîne de valeur du bœuf, par la science, la mobilisation des multiples intervenants, la communication et la collaboration. La TRCBD définit le bœuf durable comme un produit socialement responsable, respectueux de l’environnement et économiquement viable qui priorise la planète, le peuple, les animaux et le progrès.

L’industrie canadienne du bœuf s’est engagée à assurer la durabilité et à s’améliorer de façon constante, comme le démontre en partie la création de la TRCBD en 2014. L’industrie a réalisé une recherche historique, mené une analyse comparative de son rendement social, économique et environnemental, et mis au point une stratégie pour continuellement améliorer son rendement. Selon l’étude évaluée par des pairs et réalisée entre autres par Legesse qui a été publiée en 2015, et dont le financement a été assuré par la Grappe scientifique de l’industrie de l’élevage bovin, les émissions de gaz à effet de serre par kilogramme de bœuf produit avaient diminué de 15 p. 100 de 1981 à 2011, grâce à la mise au point et à l’adoption de technologies qui améliorent l’efficacité de la production. Selon les constatations de l’analyse comparative rendue publique par la TRCBD en 2016, les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie canadienne du bœuf comptent parmi les plus faibles dans le monde, l’empreinte étant de 11,4 kilogrammes d’équivalents de dioxyde de carbone par kilogramme de poids vif. On a aussi évalué le stockage de carbone, dans le cadre de l’étude, et on a constaté que l’élevage de bovins contribue à la préservation d’environ 1,5 milliard de tonnes de carbone.

L’analyse comparative a servi de base à notre stratégie en matière de durabilité, laquelle a été mise au point par nos multiples intervenants grâce à un processus faisant appel dans une grande mesure à la collaboration. La stratégie comporte l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie canadienne du bœuf par unité produite, et les mesures de suivi qui accompagnent cet objectif sont les suivantes: nous devons optimiser le régime alimentaire des bovins, améliorer la gestion du fumier, accroître la séquestration du carbone, améliorer la production des aliments pour animaux et du fourrage, appuyer l’identification et la sélection de la génétique du bétail de manière à réduire les émissions de gaz à effet de serre de la production bovine et enrichir les connaissances des intervenants. Ces mesures de suivi guident nos efforts visant à réduire le bilan carbone de l’industrie.

En plus de l’analyse comparative, et grâce à la stratégie, la TRCBD vient aussi de lancer le Certified Sustainable Beef Framework, ou cadre visant le bœuf certifié durable, premier en son genre dans le monde. Il s’agit d’un programme d’assurance basé sur les résultats qui donne aux producteurs et aux transformateurs l’occasion de démontrer la durabilité de leurs activités au moyen d’un audit de certification. Les entreprises de vente au détail et de restauration peuvent ainsi trouver des sources et engagements durables, les produits sont étiquetés et les arguments de vente associés aux produits sous-tendent des communications claires, constantes et transparentes à l’intention des consommateurs concernant la durabilité du bœuf.

Les changements climatiques représentent un problème complexe qui s’accompagne de divers risques et possibilités pour divers segments de la chaîne de valeur du bœuf. Il est important de mieux comprendre les conséquences involontaires d’un mécanisme de tarification du carbone de la ferme à l’assiette, ainsi que les effets négatifs que cela pourrait produire sur la compétitivité de l’industrie canadienne du bœuf dans son ensemble, alors que nous sommes déjà un chef de file mondial dans la production de bœuf durable et que notre empreinte carbone compte parmi les plus faibles dans le monde. D’après notre expérience, il est possible d’accomplir cela, entre autres, en mobilisant tous les intervenants qui peuvent être touchés dans toute la chaîne de valeur et en obtenant leur perspective.

En 2016, l’élevage de bovins était responsable de 3 p. 100 du total des émissions de gaz à effet de serre du Canada, et le Canada était responsable de 1,6 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. La contribution de l’industrie canadienne du bœuf à l’économie canadienne est de plus de 41 milliards de dollars, et cette industrie génère 228 000 emplois. Cependant, la moyenne des marges à long terme pour un troupeau de 200 têtes donne un revenu annuel de seulement 17 559 $, et dans le secteur de l’élevage-naissage, la proportion de ceux qui comptent sur un revenu hors ferme peut atteindre 85 p. 100.

Si l’on regarde cela sous un autre angle, nous savons qu’il se gaspille environ 19 p. 100 de la viande comestible sans os, de la transformation secondaire à la consommation. On a estimé que réduire les pertes de viande de 50 p. 100 pourrait permettre une réduction correspondant à trois kilogrammes d’équivalents en dioxyde de carbone par kilogramme de bœuf désossé et emballé qui est livré et consommé.

L’industrie canadienne du bœuf a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 15 p. 100 sur une période de 30 ans, et notre empreinte carbone compte parmi les plus faibles dans le monde. Nous avons aussi une stratégie pour améliorer notre rendement.

Les gouvernements peuvent contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Plus précisément, nous recommandons que les gouvernements adoptent un processus axé sur la collaboration de multiples intervenants quand ils élaborent des options stratégiques afin que ceux qui sont touchés participent et que toutes les perspectives soient tenues en compte. Il faut financer et appuyer la participation du personnel à des plateformes et initiatives précompétitives comme la Table ronde canadienne sur le bœuf durable, qui facilitent la collaboration et rehaussent la coordination au sein de l’industrie, investir dans la recherche de manière à réaliser les six mesures de suivi mentionnées précédemment, investir dans la recherche pour mieux comprendre les pertes alimentaires au Canada, et améliorer les efforts pour réduire le gaspillage d’aliments chez le consommateur, ainsi que poursuivre la mesure et la surveillance spécifique et scientifique de l’empreinte carbone de la production canadienne de bœuf afin de produire des ensembles de données solides qui permettent le suivi de la production de gaz à effet de serre.

Je vous remercie de cette occasion qui nous a été donnée de comparaître devant vous. Reynold et moi serons ravis de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Nous allons maintenant écouter M. Gilchrist.

Graham Gilchrist, chef de la direction, Biological Carbon Canada : Merci, madame la présidente, de nous donner l’occasion de témoigner devant vous.

Je vous présente aujourd’hui un exposé au nom de Biological Carbon Canada. Il s’agit d’un organisme sans but lucratif enregistré ici, dans la province de l’Alberta. Je m’appelle Graham Gilchrist, et je suis un agronome professionnel, de même que le chef de la direction de la société.

Nous sommes une organisation dont les membres viennent de divers secteurs et qui s’efforce de servir de conduit et de facilitateur entre l’entreprise et la recherche, misant sur l’innovation et les compétences acquises en Alberta pour les exporter partout ailleurs au Canada. Nos membres travaillent dans l’industrie de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et nous sommes là depuis 2002, quand l’Alberta a mis en place le premier système nord-américain de plafonnement et de tarification du carbone, suivi en 2007 de l’instauration des crédits compensatoires.

Nous aimerions rappeler quelques chiffres au Sénat. Ils ont été tirés du rapport que le ministre fédéral de l’Environnement et des Changements climatiques a présenté aux Nations Unies en décembre 2007. Les émissions du Canada s’élèvent à 722 millions de tonnes métriques et cela inclut tout: les avions, trains et automobiles, en plus du secteur pétrolier et gazier. Les émissions fugitives représentent environ 85 p. 100 de cela, soit 587 millions de tonnes métriques, et viennent principalement du secteur pétrolier et gazier et du secteur des transports, pour les déplacements des personnes et des marchandises partout au Canada.

Le reste des émissions vient d’un ensemble plus restreint : ce sont 10 pour l’agriculture, 7 pour les procédés industriels et 3 pour le secteur des déchets. En Alberta, en raison de notre économie, nous continuons de compter parmi les plus gros émetteurs au Canada, principalement parce que nous avons une infrastructure pétrolière et gazière en croissance, ici, dans l’Ouest canadien.

Le secteur de l’agriculture est très fier, cependant, de participer aux programmes que nous avons. Ici, en Alberta, nous avons deux systèmes: nous avons un programme qui vise les émetteurs finaux, et depuis peu, nous avons une taxe à la consommation.

Depuis 2007, le système de crédits compensatoires fonctionne — 46 millions de tonnes de carbone ont fait l’objet de transactions et de vente de crédits compensatoires. C’est une réduction d’émissions de 46 millions de tonnes d’équivalents de dioxyde de carbone. De plus, 24 millions de tonnes sont venues de crédits de rendement, c’est-à-dire que l’émetteur final a surpassé son point de référence, ce qui a donné des réductions excédentaires, et les crédits ont été vendus à d’autres émetteurs finaux.

Dans ce cadre, l’agriculture a pu éliminer une quantité mesurable réelle de 14,3 millions de tonnes en équivalents de dioxyde de carbone. Compte tenu de ce revenu généré par l’agriculteur et l’émetteur final, selon notre meilleure estimation, des chèques totalisant 182 millions de dollars, avant les commissions, ont été rédigés entre l’émetteur final et l’agriculteur mettant en œuvre les protocoles.

Puis, en 2018, il n’y a pas longtemps, les vieilles règles ont été changées pour les émetteurs finaux, et nous avons maintenant un système d’allocation basé sur les résultats auquel les émetteurs finaux doivent maintenant se conformer. Il demeure quand même un mécanisme de compensation permettant aux émetteurs finaux d’acheter des crédits compensatoires afin de respecter leurs obligations en matière de conformité.

L’Alberta a aussi, depuis 2017, une taxe à la consommation. C’est une taxe sur le carburant, et les fermes et ranchs de la province en sont exemptés pour l’essence et le combustible étiqueté, mais continuent de la payer pour les autres produits énergétiques qu’ils utilisent sur la ferme, comme le propane et le gaz naturel. Il existe des programmes qui cherchent à compenser cela, mais la taxe est payée à l’achat.

Nous avons posé certaines de vos questions sur la résilience à nos membres. Nous aimerions rappeler un certain nombre de choses au Sénat. L’une est que le Canada a une très importante infrastructure verte naturelle, ce qui est différent d’une infrastructure verte artificielle. Nous parlons de nos milieux humides, de notre couverture de vivaces sur les terres hautes et de nos forêts boréales qui nous offrent un important service écosystémique et dont le Canada profite, et cela comprend l’atténuation des dommages causés par les inondations, la réduction des inondations, la qualité de l’eau que nous avons parce que nos terres humides servent de filtres, ainsi que la séquestration du carbone dans ces secteurs naturels. C’est différent des crédits compensatoires qu’on peut vendre, mais il y a séquestration du carbone dans ces secteurs. C’est essentiel à notre adaptation aux changements climatiques et à notre résilience.

L’une des choses que nous aimerions vraiment que le Sénat signale, c’est que l’inclusion d’une politique sur les milieux humides dans notre stratégie sur le climat serait avantageuse pour l’agriculture et pour le Canada.

Il ne fait aucun doute que le climat change — et des gens vont venir vous en parler plus que nous — et que l’accès à l’eau change. Nous avons relevé diverses choses, entre autres que le bassin de la rivière Saskatchewan-Sud, pour lequel nous sommes ici aujourd’hui, n’a plus d’eau. Il n’y a plus de permis, car la quantité d’eau est à son maximum. Nous devons en donner un peu à la Saskatchewan et au Manitoba, ce qui fait que la situation est critique, pour le développement industriel.

La dernière chose, c’est que nous avons des systèmes d’adaptation commerciale. Ce que cela signifie pour l’espace biologique, c’est que nous devons faire une collecte systémique des données pertinentes pour prendre des décisions. Nous avons appris avec le temps que si les fermes et les ranchs de l’Alberta ont de tels systèmes en place, deux choses se produisent: la baisse du coût de la création de crédits compensatoires et la baisse du coût des vérifications, et toutes choses étant égales, l’augmentation de ce qui va aux fermes et aux ranchs puisque nous n’avons pas à bâtir cela après coup.

En ce qui concerne la collecte de données, l’enjeu n’est pas lié à la tarification du carbone autant qu’à la viabilité financière fondée sur la raison pour laquelle vous recueillez ces données et au fait que les données doivent êtes utiles à des fins commerciales, en plus de servir à la vérification en vue de crédits compensatoires.

Le deuxième enjeu naturel est l’exactitude. J’ai dit hier dans mon exposé que l’Alberta exige une marge d’erreur ne dépassant pas 5 p. 100, ou 2,5 p. 100 de chaque côté de zéro. Peu importe le compteur que vous placez sur une vache — ce qui n’existe pas, en fait —, il est très difficile d’atteindre ce degré d’exactitude, alors que c’est possible pour une cheminée. Nous devons chercher divers moyens de veiller à répondre aux exigences d’exactitude et montrer que la compensation est réelle, mais en même temps, si nous n’avons pas ces moyens, les systèmes biologiques au Canada manqueront ou ne pourront être monétisés, car nous ne pourrons pas satisfaire ces exigences en matière d’exactitude.

Nos observations sur le système de tarification du carbone porteront très précisément sur la compensation. Je vais vous rafraîchir la mémoire. La compensation, c’est quand vous avez un changement de pratique qui se traduit par la réduction ou par l’élimination permanente d’un gaz à effet de serre. Ce n’est pas le statu quo dans un système biologique, et cela vient d’une partie de l’économie qui n’est en ce moment pas soumise à un tarif ou à une redevance ou à un certificat de conformité. Donc, dans le cas de l’agriculture, c’est une des sources naturelles qui se situent en ce moment à l’extérieur de ce régime réglementaire de conformité, du moins en Alberta.

Comment créer cela? Les compensations sont créées quand, dans le cadre de la gestion d’un projet, on s’adonne à une activité qui révèle une réduction des émissions de gaz à effet de serre ou la séquestration des gaz. Un protocole approuvé vous donne essentiellement le calcul, et les réductions des émissions peuvent alors être qualifiées et vérifiées, puis les crédits sont vendus à la bourse du carbone. Il est important de se rappeler qu’un crédit compensatoire est lié à une réduction dans un secteur qui n’est pas déjà soumis à la réglementation.

Nous voulons aussi rappeler au Sénat, ce qui est également important, que l’Alberta a en ce moment des crédits compensatoires pour 46 millions de tonnes, dans la province, et qu’une partie de cela vient de l’agriculture, et une autre certainement, du secteur de l’énergie éolienne, ainsi que de nos crédits de rendement. Ce sont de réelles réductions des émissions dans l’atmosphère.

Nous tenons à souligner que les marchés du carbone fonctionnent. Le démarrage est chaotique, comme vous l’avez vu dans l’article de CBC cette semaine, mais en ce moment, ils fonctionnent assez simplement. À Biological Carbon Canada — et cela vient du travail que nous avons réalisé dans le cadre de l’Initiative des supergrappes d’innovation —, nous croyons que l’agriculture peut donner encore 60 millions de tonnes au Canada. Nous croyons que nous pourrions obtenir en plus 12,5 millions de tonnes grâce à l’infrastructure verte et à des protocoles entourant les milieux humides et les hautes terres, 7 millions de tonnes grâce aux réductions directes d’émissions de carbone venant essentiellement des cheminées de nos fermes et ranchs, 32 millions de tonnes grâce à des protocoles avancés pour la gestion du macis et le traitement des déchets, et enfin, 10 millions de tonnes grâce aux biosystèmes et aux matériaux de construction.

Sachez que nos connaissances ici au Canada sont de calibre mondial, et certainement ici dans la province, où le nouveau système de répartition basée sur les émissions est reconnu mondialement. Nous sommes en train de montrer la voie, que ce soit avec cette politique ou l’établissement de crédits compensatoires. Nous souhaitons que l’objectif premier soit de réduire les émissions de gaz à effet de serre et non pas de regarnir les coffres de l’État.

Cependant, nous avons appris des choses très importantes depuis que nous faisons des échanges, soit depuis 2007. Premièrement, les marchés du carbone fonctionnent. Deuxièmement, les protocoles qui créent les crédits doivent d’abord être économiquement viables, et ensuite, il faut créer une compensation qui puisse être mesurée. Troisièmement, il faut savoir que les 180 millions de dollars échangés entre nos émetteurs finaux et nos agriculteurs permettent de créer des emplois, de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de construire de nouvelles technologies nécessaires à la vérification et au respect d’autres exigences.

Comment allez-vous dépenser cette redevance sur le carbone? Nous avons quelques propositions à vous faire. Tout d’abord, nous vous recommandons de continuer à travailler à l’établissement d’un cadre pour le marché national du carbone. Autrement dit, nous voulons des normes, des outils, des échanges et tous les avantages des autres marchés des produits de base ici au Canada. Nous avons besoin de protocoles. Ils doivent être établis, et quelqu’un doit les financer afin de mesurer les réductions réelles.

Ensuite, le gouvernement fédéral devrait d’abord acheter les crédits de carbone au Canada, plutôt qu’à l’étranger, afin de respecter les obligations du pays. Par exemple, vous achèteriez des crédits compensatoires au Canada plutôt qu’en Europe.

Enfin, nous avons besoin d’appui à la recherche dans l’infrastructure verte et les communautés agricoles pour répondre aux questions qui sont toujours en suspens. Le secteur biologique risque d’être exclu du marché d’échange, faute d’investissements et de financement. Sans les protocoles, nous ne pouvons pas participer. D’un point de vue fédéral, vous achetez les crédits compensatoires de quelqu’un d’autre plutôt que du Canada. Sans un marché du carbone, on peut oublier les emplois que devait créer cette politique.

L’Alberta a été la première province sur les deux continents américains à se doter d’un marché fondé sur la conformité en 2007. Elle a été la première à reconnaître le carbone dans le sol et à créer une compensation connexe, et la première au monde à regrouper de petites tonnes — comme une ferme et un ranch — pouvant ensuite être achetées ou vendues sur le marché. Grâce à nos connaissances, qu’il s’agisse de nos conseils ou de l’expertise de nos membres partout dans le monde, nous pouvons agir comme chef de file.

En terminant, je vous invite à consulter notre site web à l’adresse biologicalcarbon.ca. Je vous remercie de votre temps.

La présidente : Je vais demander au sénateur Maltais d’amorcer la période de questions.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci de vos exposés fort intéressants.

Madame Copithorne, 15 p. 100 de moins de carbone dans l'élevage du bœuf durable, c’est 15 p. 100 sur combien?

[Traduction]

Reynold Bergen, directeur de recherche, Conseil de recherche sur les bovins de boucherie, Table ronde canadienne sur le bœuf durable : Les statistiques que Cherie a mentionnées sont tirées d’un projet de recherche qui a été financé par la grappe scientifique de l’industrie de l’élevage bovin. Ces recherches étaient dirigées par Agriculture Canada et l’Université du Manitoba. On s’est penché sur les émissions de gaz à effet de serre provenant de la production de bœuf au Canada par kilogramme de bœuf en 1981, année de recensement, et on les a comparées à celles produites en 2011, autre année de recensement. On a évalué dans quelle mesure les émissions par kilogramme de bœuf avaient évolué au cours de cette période de 30 ans. On a fait le constat qu’en 2011, chaque kilogramme de bœuf produit au Canada émettait 15 p. 100 de moins d’émissions qu’en 1981. Cette réduction est en grande partie attribuable à une meilleure efficacité des processus de production, notamment au chapitre de l’efficacité de l’alimentation des animaux, de la qualité du fourrage et de la productivité des cultures agricoles, de la santé des animaux et de la reproduction animale.

Ces recherches m’ont essentiellement appris deux choses. Premièrement, des améliorations graduelles de la productivité et de l’efficacité peuvent avoir des effets bénéfiques sur l’environnement. Deuxièmement — en fait, cela revient un peu au même —, ces deux choses ne sont pas mutuellement exclusives, en ce sens que lorsqu’on peut accroître notre efficacité et notre productivité à la ferme, il y a aussi des avantages pour l’environnement.

Est-ce que cela répond à votre question?

[Français]

Le sénateur Maltais : Oui.

Quelle est la différence de prix sur le marché entre un bœuf durable et un bœuf qui ne l’est pas?

[Traduction]

M. Bergen : Je vais demander à Cherie de répondre à cette question.

Mme Copithorne-Barnes : En vérité, à ce stade-ci, nous ne pouvons pas vous répondre avec précision. Grâce à l’analyse nationale sur la durabilité du bœuf qui a été réalisée en 2016, nous reconnaissons que l’industrie canadienne du bœuf, dans son ensemble, est durable.

Au fond, on s’en sert maintenant comme point de départ, comme point de référence. Nous pouvons désormais établir des paramètres auxquels les producteurs peuvent se fier, car le problème, c’est que les producteurs ne savaient pas ce que l’on entendait exactement par durabilité, alors ce serait la première partie de votre réponse. Nous ne savions pas ce qui distinguait un bœuf durable d’un bœuf qui ne l’est pas. Nous avons maintenant créé une norme qui permet aux producteurs de prendre des mesures uniformes afin de respecter notre définition du bœuf durable. Étant donné que ce cadre n’a été publié qu’en décembre, il est trop tôt pour répondre à cette question, mais je peux vous dire que cela a été très difficile pour l’industrie, car il n’y avait pas d’uniformité et beaucoup d’incertitude concernant les données qu’il fallait recueillir.

Ainsi, nous créons un système, non seulement au Canada, mais aussi à l’échelle mondiale, pour mesurer l’incidence de la production bovine sur les émissions de gaz à effet de serre, par exemple. Maintenant, nous espérons pouvoir aussi comparer les différents pays. Nous pouvons affirmer fièrement que nous sommes l’un des plus faibles émetteurs, conformément à nos paramètres, alors nous devons nous assurer que chaque pays utilise les mêmes paramètres. Tout ce que nous pouvons confirmer jusqu’à maintenant, c’est que nous savons où se situe notre point de départ. Notre industrie s’est fixé un objectif afin d’améliorer son bilan, car la durabilité passe par l’amélioration continue. Nous avons maintenant les outils, ou plutôt, nous commençons à mettre au point les outils qui permettront à notre industrie d’y parvenir.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vais vous parler en tant que consommateur. Je suis un Québécois, et on achète beaucoup de bœuf Angus provenant surtout de l'Alberta. Dans mon assiette, à la steak house, qu'est-ce qui me dit que c'est du bœuf durable ou non? Je pense que vous devriez, dans votre stratégie marketing, indiquer au consommateur que ce bœuf est élevé d'une façon durable selon des normes bien précises, ce qui incitera le consommateur à en acheter. Parce que c'est beau d'élever des bœufs dans des conditions exceptionnelles avec tous les critères que vous avez énumérés, mais encore faut-il les vendre. Et il faut les vendre avec profits. Les profits que vous avez mentionnés, 17 000 $ pour 200 têtes, ce n'est pas assez pour faire vivre une famille. Alors, je pense que les consommateurs sont prêts à payer un peu plus cher pourvu que la marchandise soit de qualité et que l'élevage se fasse selon certaines normes.

J'aimerais également soulever un troisième petit point. Votre organisme entretient-il des liens avec Canada Beef?

[Traduction]

Mme Copithorne-Barnes : Oui, Canada Beef est membre de la Table ronde canadienne sur le bœuf durable.

[Français]

Le sénateur Maltais : Canada Beef exporte beaucoup en Chine. Vous êtes sûrement au courant. On a un petit problème actuellement avec la Chine et la Moyenne-Asie à cause de la traçabilité. Les provinces centrales adhéreront au programme de traçabilité. Avez-vous une idée de ce qui se passera?

[Traduction]

M. Bergen : Je peux essayer de répondre. Je travaille en recherche, alors je ne serai peut-être pas en mesure de répondre à toutes vos questions concernant la mise en œuvre. Ce que je peux dire, c’est que tous les producteurs de bœuf au Canada sont actuellement assujettis aux exigences de traçabilité du Canada en ce qui concerne l’identification de chaque animal. Pour qu’un animal puisse quitter la ferme, il faut qu’il soit muni d’une étiquette d’identification permanente qui l’accompagnera tout au long du processus de production jusqu’à l’abattoir. Par conséquent, pour tout le bœuf canadien, que nous l’exportions ou le consommions au pays, il est possible de remonter jusqu’à la ferme d’origine.

Maintenant, en ce qui concerne la Chine, je ne suis pas trop au courant.

Mme Copithorne-Barnes : Nous constatons que l’un des concepts les plus difficiles ou incompris concernant la traçabilité jusqu’au détaillant ou au consommateur, c’est que du point de vue du producteur, on n’a pas démontré l’utilité de maintenir l’intégrité de cette information qui est transmise d’un propriétaire à l’autre, d’une étape à l’autre. Les producteurs ne sont donc pas motivés à entrer leurs informations dans une base de données qui pourrait être utilisée dans le cadre d’une stratégie de marketing.

C’est en grande partie ce sur quoi s’est concentré le cadre de durabilité, car il faut que ce soit vérifiable. Par conséquent, il faut permettre à l’industrie bovine canadienne de tirer parti de l’effet de levier dont elle a besoin pour déterminer comment améliorer cette traçabilité, puis donner la capacité de communiquer par la suite avec nos producteurs pour s’assurer que cette information soit relayée.

M. Gilchrist : Lorsqu’on essaie de créer une compensation et que l’on veut assurer la traçabilité d’un parc d’engraissement à un éleveur-naisseur, par exemple, il faut veiller à la sécurité de la chaîne de possession du code à barres ou RDF. Lorsqu’un ranch envoie une cargaison de génisses de race mixte dans le parc d’engraissement, si le manifeste du bétail n’a pas les étiquettes d’oreille, on perd cette chaîne de possession.

Autrement dit, j’ai beau créer une compensation, si le système ne fournit pas une trace vérifiable, il n’y a aucun avantage à le faire. Cependant, on parle de deux différents systèmes ici; un système d’entreprise par opposition à une étiquette d’oreille qui fait actuellement partie d’un système de détection des maladies.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vous le mentionne parce que j'ai travaillé énormément sur l'Accord de libre-échange Canada-Europe. Je suis allé à maintes reprises au Parlement européen. J'ai visité des pays membres du Conseil de l'Europe. Les anciens pays de l'Est qui forment maintenant le Conseil de l'Europe – la Hongrie, la Tchécoslovaquie –, tous ces pays qui étaient des anciens pays couverts par l'URSS ont évidemment beaucoup de difficulté à se conformer à ces normes. Et vous l'avez vu l'année dernière ou il y a deux ans lorsque la France s'est retrouvée avec de la viande chevaline dans ses lasagnes alors qu'elle achetait du bœuf. C'est pour éviter ce genre de problèmes que la traçabilité est nécessaire.

Un autre avantage dont bénéficie l'Europe avec cet accord, c'est que la qualité de la viande est supérieure à celle du marché européen et que les plus grands réfractaires de l'accord de libre-échange sont les restaurateurs. Si vous allez au restaurant et que vous voyez la mention « bœuf canadien Angus », il y a 6 ou 7 $ de différence avec le bœuf provenant du pays d'origine. Alors, le client notera qu'il y a 6 $ de différence, que ce soit du boeuf Angus ou non. C'est pourquoi les restaurateurs hésitent beaucoup à mettre cette viande dans leurs menus. Par contre, les consommateurs n'hésitent pas à l'acheter dans les boucheries, parce que c'est nouveau. C'est un défi pour eux et ils aiment la qualité.

Donc, tout ça pour vous dire que le Canada joue un rôle important. Et les Prairies, l'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba jouent un rôle important dans la production de la viande.

Alors, monsieur Gilchrist, j'ai une petite question pour vous. Comment se fait le captage du carbone?

[Traduction]

M. Gilchrist : Cela me ramène 30 ans en arrière alors que je suivais mes cours en agronomie.

Dans le cas des systèmes biologiques, au bout du compte, il s’agit de la quantité de matière organique qui est retenue dans le sol, c’est-à-dire les composantes de base. On a du sable, du limon, de l’argile et de l’eau, mais il y a aussi toutes les matières organiques, les vers et les micromycètes qui déplacent la matière des particules du sol jusque dans la zone racinaire.

C’est la matière organique du sol. Par conséquent, lorsqu’on parle de compensation, il s’agit des pratiques qui contribuent à la production de cette matière organique. Ainsi, la production de champignons et de vers, par exemple, augmente la teneur en carbone organique dans le sol. Avec le temps, si on peut le mesurer, ce changement contribue au réservoir de carbone organique. Si on a des pratiques qui ne modifient pas la matière organique du sol, alors c’est le statu quo, mais si on a des pratiques de construction, d’agriculture ou d’élevage qui réduisent cela et nuisent à la matière organique, on se trouve à avoir une perte de carbone organique dans le sol.

Pour ce qui est de la réglementation, et j’essaie de répondre du mieux que je peux à votre question, sachez qu’en raison d’un changement de pratique, on a pu constater une augmentation de la proportion. Nous sommes passés de 3 p. 100 de matière organique à 3,25 p. 100. Il s’agit d’une tonne mesurable, et cette tonne se retrouve ensuite sur le marché.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Bergen, en Colombie-Britannique, on a entendu des intervenants du secteur agricole, des chercheurs et même des agriculteurs qui font ce genre de recherches. Étant donné que le climat change et est susceptible de changer au cours des prochaines années, ils font des calculs pour essayer de trouver un genre de bête hybride plus résistante à la chaleur, qui a besoin de consommer moins d'eau, qui peut affronter les sécheresses. On parle toujours de changements climatiques, on ne parle pas de ce qu'on voit aujourd'hui. Est-ce une préoccupation pour vous? Dans 15 ou 20 ans, quelles sortes de bêtes allez-vous devoir élever?

[Traduction]

M. Bergen : C’est une question facile; non, en fait, c’est une question difficile. Le climat change. Il en a toujours été ainsi. Nous avons des modèles climatiques qui prédisent quels seront les impacts sur la température, les précipitations, la sécheresse à certains endroits et la pluie à d’autres, et cela influera sur le type de cultures que nous pouvons faire pousser dans des régions où peut-être des cultures sont actuellement cultivées. Si le climat devient plus sec, alors il y aura peut-être plus de possibilités de pâturage et d’élevage de bœuf.

Je vais revenir sur la question du bétail, mais en ce qui concerne les changements climatiques, cela peut certainement avoir une incidence sur le type de bétail dont nous aurons besoin dans le futur. Dans l’immédiat, il faut possiblement se demander dans quelle mesure ces changements auront des répercussions sur les maladies, les parasites et la productivité des cultures. Certaines maladies ou certains parasites qui, autrefois, ne survivaient pas à un hiver rigoureux pourraient se répandre davantage, si nos hivers ne sont plus assez froids ou s’ils sont trop courts. Cela dit, pour anticiper ou mesurer ces changements et y faire face, nous devons mettre en place des mécanismes de surveillance pour savoir ce qui se passe sur le terrain et suivre de près les risques éventuels pour ne pas être pris au dépourvu.

À mon avis, les investissements, que ce soit dans la recherche ou simplement dans la santé animale et la surveillance des maladies, sont essentiels. Nous appuyons certaines initiatives. Nous pratiquons la sélection végétale et nous mettons au point diverses variétés de cultures fourragères, dont des variétés plus résistantes aux maladies. Des fluctuations de la température et de la pluviosité pourraient avoir une incidence sur les charbons, les brûlures et tout ce qui affecte la santé des végétaux, y compris les parasites. On mise donc sur la résistance aux maladies, et on essaie également d’améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’eau, de sorte que dans des conditions de faibles précipitations, les plantes puissent tout de même extraire l’eau du sol et l’utiliser le plus efficacement possible. Par conséquent, on ne doit pas seulement se préoccuper des types d’animaux; il faut se soucier de tout le milieu.

En ce qui concerne les types d’animaux, le temps nous dira si nous devons changer les types de bovins que nous élevons. C’est probablement un exemple extrême, mais je songe au bétail en Inde, qui peut déjà faire face à ces problèmes. De plus, si notre climat commence à ressembler au climat beaucoup plus tropical des États du Sud, alors c’est le type de génétique qu’on pourrait certainement amener ici.

La présidente : J’ai des questions pour chacun d’entre vous. Je vais tout d’abord m’adresser aux représentants de la Table ronde canadienne sur le bœuf durable, mais il est évident qu’il y aura des chevauchements, et c’est correct.

Dans votre mémoire, j’ai été particulièrement ravie de voir des recommandations précises à l’intention des gouvernements. Comme vous le savez, tous les gouvernements s’appuient sur deux trousses d’outils. Tout d’abord, il y a les outils de réglementation, c’est-à-dire les lois et les règlements qui exigent ou interdisent des choses, sous peine de se voir imposer une sanction, puis il y a l’autre trousse qui comprend les « instruments économiques », les mesures incitatives, les investissements dans la recherche et ainsi de suite. Il me semble que la plupart de vos recommandations concernent cette dernière trousse d’outils. Vous recommandez qu’on mène davantage de recherche pour les six initiatives dont vous avez parlé dans votre mémoire, notamment pour mieux comprendre les causes du gaspillage alimentaire au Canada et continuer de mesurer et de surveiller l’empreinte des gaz à effet de serre découlant de la production de bétail.

Récemment, le 28 février, si je ne me trompe pas, l’honorable Lawrence MacAulay, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, a annoncé que le PCA, c’est-à-dire le Partenariat canadien pour l’agriculture, allait affecter une somme d’argent importante à la recherche sur la réduction des émissions de carbone sur une période de cinq ans. Dans quelle mesure ce financement sera-t-il utile à votre organisation? Y a-t-il des applications pratiques qui pourraient vous aider à atteindre vos objectifs?

Mme Copithorne-Barnes : Dans le cadre de notre étude comparative, nous avons reconnu que lorsqu’il s’agit de la surveillance des émissions de gaz à effet de serre au niveau de l’élevage-naissage, on n’a tout simplement pas les outils à ce jour pour nous aider à comprendre notre incidence sur 42 millions d’acres de pâturages, par exemple. Notre organisation s’appuie principalement sur trois piliers: l’analyse comparative, l’établissement de normes dans l’industrie du bœuf et la réalisation de projets, soit le même concept que vous venez de décrire. Nous allons nous efforcer de trouver ces projets, ces outils, qui aideront notre industrie à atteindre ces objectifs de la même manière.

Le financement du PCA nous aidera certainement à trouver ces outils, car pour le moment, il n’y a pas de fonds prévus à cet effet, dans le domaine agricole. J’en remercie d’ailleurs le ministre. Toutefois, personnellement, je considère que pour bien comprendre tout l’impact de la séquestration du carbone, il faudra plus que des projets menés sur cinq ans, malheureusement. L’environnement ne nous permet pas des cycles de cinq ans. Même avec notre propre système de production bovine, on a besoin d’au moins deux ans pour déterminer si c’est la génétique, la gestion des pâturages ou d’autres facteurs qui sont en cause. Cela exige des perspectives à long terme. L’industrie de l’élevage et du naissage a été négligée à ce chapitre. Nous examinons les choses par tranche de 10 ans, car après deux cycles de notre génétique, nous saurons mieux si nous sommes sur la bonne voie.

Il faut aussi beaucoup de temps — je vous considère comme le spécialiste, Graham: corrigez-moi si je me trompe — pour reconnaître les conséquences des changements provoqués par le pâturage, particulièrement, dans les écosystèmes naturels. Sur les terres cultivées, des résultats sont perceptibles plus immédiatement, en une ou deux années, mais pas dans les pâturages.

La présidente : Je comprends parfaitement. L’un de mes frères élève des bovins de boucherie.

M. Gilchrist : La réponse à votre question, d’après notre point de vue, est simplement non.

La présidente : Cela ne vous aidera pas?

M. Gilchrist : Pas du tout. D’après la conférence téléphonique d’il y a trois semaines avec deux gestionnaires de ces deux programmes de recherche, pour en profiter, nous devons résoudre un problème commercial d’abord dont un avantage concomitant est d’être une compensation. À notre question très directe: « Pourrions-nous nous servir de vos fonds de recherche pour financer la prochaine compensation, par exemple, la laiterie? », la réponse a été: « Comme ce n’est pas un produit réglementaire, cela ne concerne pas ces fonds ». En bons chercheurs, nous devrons trouver une autre terminologie. Peut-être résoudrons-nous un problème commercial grâce à la recherche et utiliserons-nous les données pour construire un protocole, mais ce ne sera pas l’inverse.

La présidente : Je comprends ce que vous voulez dire. Ce sera utile dans certaines circonstances; dans d’autres, il faudra attendre ou passer au programme suivant.

M. Gilchrist : Au ministère suivant.

La présidente : Vous avez dit qu’il importait de comprendre les conséquences non voulues des mécanismes de fixation du prix du carbone, de la fourche à la fourchette, et ses éventuelles conséquences sur la compétitivité du secteur. En fin de compte, il revient surtout au producteur de trouver le moyen d’y faire face.

Votre organisation, en conséquence, peut-elle faire aider de façon précise les producteurs à atteindre les objectifs de réduction du carbone, malgré la faible appréciation du kilo de bœuf qu’ils produisent, par rapport au concurrent étranger dont les intrants sont moins chers?

Mme Copithorne-Barnes : En créant cet ensemble de paramètres, cette norme, nous leur avons permis de privilégier ce sur quoi ils doivent se focaliser, pour essayer d’augmenter leur efficacité. La conséquence non voulue pour le groupe est d’avoir eu de nombreux membres, qui étaient complètement éduqués et que, c’est à espérer, nous avons abordé sous tous les angles possibles la fixation des normes et nous nous sommes préparés à toutes les conséquences non voulues.

Je peux seulement répondre à votre question de mon point de vue personnel de productrice. Nous pouvons fixer les paramètres de nos exploitations, les objectifs que nous visons, mais voici un exemple direct de ce que subit actuellement mon élevage qui consomme du gaz naturel frappé par la taxe sur le carbone. Mon exercice court du 1er décembre au 30 novembre, et les trois premiers mois de 2018 sont derrière nous. Malgré l’hiver, j’ai réussi à réduire ma consommation de gaz de 8 p. 100, mais la taxe sur le carbone que j’ai jusqu’ici payée dans les trois premiers mois de l’exercice a augmenté de 88 p. 100. Comme productrice, je ne peux même pas commencer à budgétiser une solution à ce problème — que puis-je faire d’autre que de réduire mon activité, d’éteindre mes fours et mes appareils de chauffage. Nous en sommes redevables à la taxe sur le carbone, aux crédits d’émissions de gaz carbonique et aux systèmes de tarification de la pollution par le gaz carbonique, qui fluctuent d’une entreprise à l’autre et d’une province à l’autre et qui font de nous les victimes de ces incohérences. Nous doutons de la solution éventuelle. Nous faisons tout notre possible pour, si tout va bien, réduire notre propre empreinte sur le monde, mais, en fin de compte, nous restons davantage pénalisés. Cette conséquence non voulue est un exemple de l’effet de cette taxe. Nous avons scrupuleusement observé la norme, d’après tout ce qui est publié sur le sujet et, pourtant, nous payons encore plus. En fin de compte, c’est au détriment de mon résultat net, et cela me complique la tâche.

La présidente : Excellente réponse, et je suis heureuse qu’elle puisse figurer dans le compte rendu.

On gaspille actuellement 19 p. 100 de la viande comestible désossée. Je suppose qu’il s’en gaspille chez moi et dans d’autres ménages, mais ce n’est peut-être pas le portrait complet de la situation. Qu’est-ce qui explique ce taux?

Mme Copithorne-Barnes : Essentiellement, cela commence à l’atelier de désossage du transformateur en allant vers l’aval, c’est-à-dire dans le circuit de la valeur ajoutée. Cela s’explique beaucoup par le parage et son efficacité, la viande gaspillée dans les réfrigérateurs et sur les étals; il existe un certain nombre de causes. Un fort pourcentage concerne le consommateur qui en jette — coupes trop grosses, viande non consommée, viande qui a perdu sa fraîcheur ou qui a tout simplement dépassé sa date de péremption, mais qui est encore bonne.

La présidente : Qu’est-ce qu’une plateforme préconcurrentielle? Je n’ai jamais entendu cette expression.

Mme Copithorne-Barnes : Elle appartient essentiellement au vocabulaire de la soutenabilité, à l’échelon global. Elle vient de l’industrie, de McDonald, de Cargill et de leurs semblables. La salubrité des aliments en serait un autre exemple qui transcende la concurrence.

Ces entreprises ont des problèmes à résoudre, qui les frappent de plein fouet, quelle que soit leur place dans la chaîne de valeur. Elles sont prêtes à discuter d’enjeux qui transcendent la concurrence, à en discuter, à collaborer, en se soumettant à un code d’éthique, ce qui leur permet d’invoquer le bien général, le bien du plus grand nombre, au-delà de la rentabilité. C’est ainsi qu’elles considèrent la salubrité des aliments, la soutenabilité, ce qui a permis des discussions transparentes, qui seront profitables à toute l’industrie et non à certains maillons seulement de la chaîne de valeur.

La présidente : Vous avez parlé tout à l’heure de « valeur ajoutée ». La prochaine étude de notre comité concerne la valeur ajoutée des produits agricoles et forestiers.

L’un des premiers témoins qui comparaîtront la semaine prochaine est l’Association canadienne des éleveurs de bétail, et j’ai bien hâte de l’entendre. Sachez que nous nous préparons à cette prochaine étape importante.

Personne n’a parlé du méthane. On y a fait allusion. Dans votre exposé, l’une des mesures prévues était d’optimiser le régime alimentaire des bovins, tandis qu’une autre était d’appuyer la détermination et la sélection des gènes des bovins pour réduire l’empreinte des gaz à effet de serre. Je suppose que, dans les deux cas, c’est pour diminuer les émissions de méthane, n’est-ce pas?

M. Gilchrist : Oui.

La présidente : D’autres commentaires à ce sujet?

M. Bergen : Le méthane est l’un des nombreux gaz à effet de serre. Chez les bovins de boucherie, c’est probablement le principal. Les autres sont le dioxyde de carbone, l’oxyde de diazote et un ou deux autres gaz. Ensuite, on les classe d’après leurs effets et, globalement, on les nomme gaz à effet de serre, dont le méthane fait partie.

M. Gilchrist : Dans deux de nos protocoles qui font l’objet d’une concession de licence dans la province — j’abrège — nous ajoutons dans le fourrage un additif qui modifie les caractéristiques microbiologiques du rumen. Cette recherche permet de dire qu’on greffe littéralement à la vache un appareil de mesure. L’additif permet de modifier et de réduire la quantité de méthane produit pendant la rumination, et cette réduction est mesurable.

La compensation qu’accordent les protocoles touchant le mode de vie provient du fait que, en changeant d’additif, on modifie la quantité de méthane émise par la bouche de l’animal, qui peut être mesurée puis vendue.

La présidente : Monsieur Gilchrist, vous avez parlé d’émissions fugitives. C’est un véritable problème dans l’industrie pétrolière et gazière. Je suppose qu’il s’agit par exemple de fuites de gazoduc, les fuites au niveau des raccords, le torchage. Quels autres exemples pouvez-vous donner qui seraient peut-être reliés à votre travail à Biological Carbon Canada?

M. Gilchrist : Ces chiffres proviennent du ministère provincial de l’Environnement. Dans le secteur pétrolier et gazier, le nombre total était de 722, et ça englobe tout le gaz dégagé, des camionnettes aux torchères. Ça s’élève à environ 190 tonnes métriques.

Les autres émissions fugitives proviennent vraiment de notre secteur des transports. Comme je l’ai dit, ça englobe nos avions, nos trains et nos automobiles. En fouillant dans les données publiées, on découvre qu’il s’agit des gaz d’échappement de nos véhicules personnels, de nos camions, des émissions de nos avions et de nos véhicules de transport. Ces chiffres, si je parviens à lire le graphique, équivalent à environ 180 millions de tonnes métriques cette année encore.

La présidente : Nous avons entendu dire que l’agriculteur moyen éprouve beaucoup de difficultés à remplir la paperasse nécessaire à la demande de crédits de carbone et, par conséquent, à se les faire rembourser. Je pense que vous avez dit que les marchés du carbone fonctionnent, mais qu’ils peuvent causer beaucoup de gâchis au début. Je suppose que ce défaut s’atténuera, pour les petits exploitants.

M. Gilchrist : Nous sommes maintenant en 2018. La demande pour se prévaloir de la mesure compensatoire de conservation tient en quatre feuilles de papier. Il existe un inventaire en trois pages des méthodes agricoles employées au cours de la journée, qui prend une quinzaine de minutes à remplir avec le client. Pour les besoins de la vérification, nous avons recours à l’assurance-récolte — y a-t-il eu une culture annuelle, quelle a été la superficie touchée? Si l’agriculteur n’a pas l’assurance-récolte, nous regardons les plans de culture. Le mieux est de prendre une photo tous les ans à des fins de vérification, pour réussir l’audit. Enfin, nous vérifions les instruments agricoles. Nous les inventorions par les photos des numéros de série, nous notons la taille du soc, sa largeur et l’écartement des étançons. Le protocole l’exige, et ça prend environ une heure dans l’année.

La présidente : C’est intéressant, parce qu’on nous a donné à entendre que c’était beaucoup plus pénible.

M. Gilchrist : Mais la politique a subi des modifications. Le premier groupe de témoins d’hier a dit ne pas aimer remplir certains formulaires. Légalement, le carbone est un bien privé en Alberta, comme la tourbe, l’argile, la marne et le gravier. C’est la propriété des exploitations et des élevages. Le protocole de conservation comporte environ 80 p. 100 de réductions réelles. Il s’agit des tuyaux d’échappement des tracteurs diesel, tandis qu’environ 12 p. 100 est ce qu’on a le droit d’intégrer dans le sol. La transaction entre deux propriétaires pour une tonne de carbone concerne vraiment les deux, qui doivent la conclure.

Environnement Alberta utilise aussi la signature d’autorisation des propriétaires comme moyen de vérification, pour s’assurer de la création de la tonne en Alberta. On ne peut pas y vendre de carbone de la Saskatchewan.

Il s’ensuit que 55 p. 100 des clients de mon entreprise, quand j’achète le carbone, concluent d’une simple poignée de main leurs ententes avec l’exploitant agricole, donc aucune clause sur le carbone n’y dit qui obtient quoi. Les propriétaires doivent, annuellement, avoir cette discussion, et nous nous disputons pour 1,50 $, 1,80 $ l’acre, à cause du prix. Ça se transige à moins de 30 $. Le prix de clôture, aujourd’hui, était de 23 $. Cette discussion avec le propriétaire foncier, qui cause le malaise, porte sur qui obtient combien. Est-ce que je vais mettre en péril une vieille relation pour une dispute concernant 1,53 $ l’acre?

Voilà certaines des difficultés pratiques qui résultent de la mise sur le marché d’une mesure compensatoire. Beaucoup de ces difficultés découlent des exigences de la vérification, et, en fin de compte, si des valeurs sont fictives, elles sont assorties d’une importante amende. La société énergétique qui achète d’une exploitation agricole une compensation présentée au gouvernement de l’Alberta comme réelle et ensuite dénoncée comme fictive par un audit écope d’une amende de 200 $ la tonne pour avoir présenté un certificat incomplet à la Couronne. Le gâchis que nous avons créé est que nous devons nous conformer à des normes d’audit réelles.

Au début, en 2007, nous avons commencé par appliquer une norme d’audit « avis au lecteur », et, en 2012, à la faveur de notre expansion, nous sommes passés au niveau le plus élevé, le test de vraisemblance. Nous sommes à la norme maximale. Dans le secteur agricole, si rien n’est écrit, ça n’a aucune valeur. Nous devons donc apporter les documents à l’exploitant et à sa conjointe, s’ils sont copropriétaires, parce que les deux possèdent une partie de cette tonne. À certains égards, je suppose que ça n’a pas été bien rémunéré ni bien expliqué, que le vendeur cède une tonne qui lui appartient.

C’était une longue réponse avec beaucoup de détours.

La présidente : Elle est très instructive et très intéressante. Je vous en suis vraiment reconnaissante. Merci d’y avoir répondu.

Monsieur Maltais, avez-vous d’autres questions?

[Français]

Le sénateur Maltais : J'ai une petite question, et la réponse risque d'être un peu plus compliquée. On a beaucoup parlé de « taxe sur le carbone », de « bourse de carbone ». Vous avez affirmé, monsieur Gilchrist, que le gouvernement fédéral devait créer une bourse de carbone et que les crédits de carbone ne doivent pas être achetés ailleurs, et vous avez parfaitement raison. Au Canada, nous sommes tous responsables des émissions de carbone, vous et moi, Mme avec son ranch, moi avec mon auto et mon petit bateau à moteur pour aller à la pêche. Nous sommes tous responsables. Mais il y a du carbone qui nous tombe sur la tête dont nous ne sommes pas responsables.

Je vais vous donner un exemple. Notre greffier vient de Terre-Neuve. La très grande majorité des avions qui traversent l'Atlantique partent de Montréal ou de Toronto. Ils volent au-dessus de Gander, à Terre-Neuve. Avez-vous pensé à la quantité de carbone qui est déversée sur Terre-Neuve, alors que cette province ne produit à peu près pas de carbone? Il y a tout le golfe du Saint-Laurent et la voie maritime. Tous les bateaux qui viennent de l'Atlantique passent par le golfe du Saint-Laurent, le Québec et l'Ontario. Ils déversent énormément de carbone. Ce sont tous des bateaux au diesel. Comment le gouvernement canadien entend-il taxer ce carbone?

[Traduction]

M. Gilchrist : Tout d’abord, si ce navire ne faisait jamais le plein de mazout au Canada, il éviterait ce système. Dès qu’il entre dans le port de Baie-Comeau et décharge sa cargaison et doit refaire le plein, c’est le point où on peut appliquer la taxe. Pour l’avion qui relie l’Irlande à Washington en survolant Gander, c’est raté. Dès que l’avion atterrit et refait le plein, c’est là que s’applique la taxe.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je dois vous arrêter. Ils n'arrêtent pas les avions à Gander. Ils vont prendre leur point de départ. Vous savez comment le globe terrestre est fait, alors ils volent au-dessus de Gander, à Terre-Neuve, et prennent leur alignement. Ils passent au-dessus de l'Île-du-Prince-Édouard. Notre présidente les entend 24 heures par jour. Ils prennent leur route là-bas. Et quand ils arrivent d'Europe, ils s'en viennent prendre leur route pour aller soit aux États-Unis ou au Canada. C'est la même chose pour les trains de passagers chez vous qui n'arrêtent pas. Vous n'êtes pas responsable des émissions de carbone qu'émettent les trains. Mais ils passent quand même chez vous. En droit environnemental maritime, on fait les calculs selon telle grandeur de bateau avec tel moteur qui déverse tant de carbone. Donc, ça pourrait être une façon de mesurer les émissions de carbone. Cependant, le Canada, dans le cadre de ses ententes internationales, sera toujours obligé d'acheter dans les autres bourses de carbone que la sienne à cause des ententes internationales, bien sûr.

Le Canada est l'un des pays qui polluent le moins. Il faut le dire. On a un pays aussi grand que la Russie. On a 36 millions d'habitants, alors qu'en Russie, ils sont près de 250 millions, et leur système antipollution est moins efficace que le nôtre en ce moment. Je ne dis pas « à l'avenir », mais « en ce moment ». Il ne faut pas devenir fou non plus avec ça. Il faut garder les pieds sur terre. Vous devez continuer le bon travail que vous faites.

J'admire beaucoup ce que vous faites dans le domaine de l'élevage. Je vous avoue que c'est la première fois que j'entends parler du boeuf durable. Je comprends mieux l'intérêt que vous avez pour la bourse sur le carbone. Et je suis tout à fait d'accord avec vous, c'est imprévisible pour les producteurs.

Vous me parliez de vos états financiers, mais tous vos membres ont le même problème. C'est imprévisible. Je pense qu'à l'avenir, le gouvernement canadien, une fois qu'il aura adopté sa loi et sa réglementation, devra apporter des clarifications afin que ce soit très simple à appliquer pour les producteurs, les agriculteurs et le secteur forestier. J'ai été impressionné par vos propos ce matin. Je pense que vous nous donnez une petite leçon de l'avenir. Vous êtes « pratico-pratiquant ». Vous avez les deux pieds sur terre, et je tiens à vous remercier infiniment de vos témoignages. Merci.

[Traduction]

La présidente : Je suis d’accord avec mon collègue.

M. Bergen : Désolé d’interrompre, mais la dernière observation du sénateur m’a rappelé un détail que je crois utile. Il voulait notamment dire que le carbone fait fi des frontières, tout comme le libre-échange. Je pense que Cherie a démontré à quel point les taxes actuelles sur le carbone influent sur sa rentabilité. Je pense que nous avons tous parlé de la petite empreinte carbone du bœuf canadien. C’est l’une des empreintes les plus petites pour le bœuf dans le monde entier.

Le bœuf contribue à hauteur de 3 p. 100 à l’empreinte des gaz à effet de serre du Canada; le Canada à hauteur de 1,6 p. 100 de l’empreinte mondiale. Multipliez les deux, et le bœuf canadien compte pour 0,05 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre mondiaux. Donc, ce qui nous préoccupe tous, c’est que la politique du carbone au Canada rend notre industrie moins concurrentielle. Si nous ne sommes pas capables de continuer à produire du bœuf de façon responsable pour l’environnement, il peut être remplacé par des importations d’un pays dont l’empreinte des gaz à effet de serre est beaucoup plus grande. C’est inquiétant. Merci.

La présidente : Non seulement les produits agricoles, mais aussi le ciment et d’autres produits doivent affronter le même problème.

M. Gilchrist : Revenons aux avions. En fin de compte, ils sont autorisés à circuler ici, au Canada. J’essaie de transposer le système OBA (fondé sur l’allocation des extrants) en Alberta. Soit un avion qui, essentiellement, survole le Canada, même s’il risque de ne pas y atterrir. En fin de compte, il existe un système de production de rapports pour ce permis d’exploitation. En fonction de la distance survolée, on peut fixer un droit pour ces émissions, d’après les prix pratiqués au Canada. Cependant, vous exigez de la société aérienne qu’elle déclare toutes les émissions pour tous les endroits où l’avion va, puis vous prélevez un pourcentage selon le nombre de fois que l’avion a survolé le Canada sans y atterrir. Puis vous le liez au permis d’exploitation et aux exigences de production de rapports.

La présidente : Merci pour l’explication.

Nous accueillons maintenant deux autres témoins. Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, présidente du comité. Je suis accompagnée du vice-président, le sénateur Maltais, du Québec. Les autres membres du comité qui étaient ici, hier, ont été rappelés à Ottawa, pour des questions relevant du Sénat, mais vous avez droit à la présidente et au vice-président. Tous vos propos seront reproduits dans le compte rendu. Je tiens à vous rassurer, on vous entend.

J’invite les témoins à se présenter.

Anna De Paoli, consultante auprès de l’Association des serristes de l’Alberta, Association des serristes de l’Alberta : Je m’appelle Anna De Paoli, et je suis consultante auprès de l’Association des serristes de l’Alberta.

Douglas J. Cattani, Département de science végétale, Université du Manitoba, à titre personnel : Je m’appelle Doug Cattani. Je suis sélectionneur de cultures vivaces.

La présidente : Nous entendrons tout d’abord vos exposés, et nous passerons ensuite aux questions.

Mme De Paoli : Au nom du président, Albert Cramer, du conseil d’administration et de nos membres, je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de témoigner devant votre important comité permanent.

L’Association des serristes de l’Alberta a été créée en 1980. Elle fournit des connaissances et de l’information de recherche à ses membres, communique des idées et collabore avec le gouvernement pour favoriser la croissance de l’industrie de la façon la plus progressive et durable possible. L’association compte aujourd’hui 179 membres, dont 143 serristes. Nous représentons tous les éléments de l’industrie des cultures de serre, dont les légumes, la floriculture et les pépinières forestières.

En 2016, les ventes des serres albertaines se sont élevées à 132,9 millions de dollars, ce qui ne comprend pas les données des pépinières forestières. Statistique Canada a changé sa façon d’évaluer les données cette année-là, et les pépinières forestières ne sont maintenant plus incluses dans les statistiques sur les serres. En 2016, notre industrie comptait 3 397 employés, dont 67 p. 100 occupaient des emplois saisonniers et 33 p. 100, des emplois à temps plein.

Nous avons préparé une analyse FFPM, soit une analyse des forces, des faiblesses, des possibilités et des menaces sur notre industrie concernant le changement climatique afin de répondre aux questions qui nous ont été posées.

En ce qui concerne les forces, je pense que ce sont d’importants critères pour la capacité d’adaptation et la résilience dans l’industrie des cultures de serre. Ce sont les entreprises familiales qui constituent la première force. La majorité des serristes font partie d’une entreprise familiale multigénérationnelle. Cela favorise l’acquisition de connaissances approfondies et d’expérience et une résilience que seule la relève familiale rend possible. De plus, cela permet une prise de décisions à long terme sur les investissements et des garanties de prêts pour des gens dont la situation financière est plus assurée. Ces entreprises ont un accès au capital que ne peuvent avoir de plus petites entreprises ou celles qui ne sont pas des entreprises familiales.

En Alberta, l’industrie des cultures de serre comprend aussi un bon volet coopératif. La RedHat Co-op a été créée en 1966, a 150 acres consacrés à la production de légumes et compte 35 membres. Pik-N-Pak Produce, qui a été créée en 1987, a 15 acres de production actuellement. La création de coopératives permet de réaliser des économies d’échelle pour l’emballage, le marketing et la distribution. Il en résulte une augmentation de l’efficacité de l’industrie et de sa capacité de servir un marché en expansion qui exige la régularité de la production.

La deuxième force, c’est la productivité. Les serres sont de très productives utilisatrices des terres. Par exemple, en 2016, l’Alberta a produit 200 concombres par mètre carré, un rendement de classe mondiale. On utilise très peu d’eau. Environ 90 p. 100 de l’eau et des nutriments sont recyclés dans l’industrie des légumes de serre. On utilise moins de pesticides puisqu’on recourt au contrôle biologique en introduisant des prédateurs naturels dans les serres.

En outre, un certain nombre d’ajouts ont été faits dans l’industrie des cultures de serre ces dernières années. Les économies d’échelle sont des éléments distinctifs très importants dans tous les secteurs de notre industrie.

Parlons maintenant de l’efficacité. Les Pays-Bas sont un chef de file des technologies serricoles et de l’efficacité de la production. Bon nombre de serristes de l’Alberta ont des relations familiales et d’affaires directes avec les Pays-Bas, ce qui veut dire que l’industrie albertaine suit de près les toutes dernières technologies et s’y adapte pour accroître son efficacité. L’éclairage à DEL est un exemple d’un changement qui commence à être mis en œuvre. Cet éclairage à faible consommation d’énergie permet de produire toute l’année et de réduire de beaucoup l’empreinte carbone par rapport aux lampes au sodium à haute pression.

Notre troisième force, c’est la récupération du dioxyde de carbone. Il est très important de souligner que souvent, les serres récupèrent le dioxyde de carbone à partir de carneaux et de cogénérateurs. Faire passer les concentrations de CO2 de 400 à 1000 ppm contribue de façon importante à l’augmentation de croissance des plantes et de la productivité. Cet important puits de CO2 fait en sorte que l’industrie des cultures de serre se distingue d’autres volets agricoles.

Pour ce qui est des faiblesses de l’industrie, nous en avons relevé deux principales. La première, c’est l’enveloppe du bâtiment. L’efficacité énergétique est un moyen important de réduire la consommation d’énergie; cependant, la structure d’une serre est unique en ce sens que le besoin que la lumière pénètre à l’intérieur est contraire aux technologies d’isolation des bâtiments. S’il est vrai qu’on utilise de plus en plus, notamment, des rideaux thermiques, des chaudières à haute efficacité et des ventilateurs en Alberta, on continuera toutefois d’utiliser une grande quantité de gaz naturel pour le chauffage dans les serres.

En ce qui a trait aux risques associés au changement climatique, nous en voyons deux principaux. Le premier, ce sont les phénomènes météorologiques violents. Dans l’industrie des cultures de serre albertaine, le principal risque que pose le changement climatique, c’est la fréquence accrue de phénomènes météorologiques violents, comme les inondations, la grêle, les tornades et les tempêtes de vent. Dans un milieu dont l’ambiance est contrôlée, des changements soudains peuvent être dévastateurs pour les cultures.

Le temps violent endommage les structures et entraîne une perte de production; par conséquent, le coût de l’assurance augmente. Également, la fréquence des demandes d’indemnisation associées à la météo fait grimper les primes d’assurance, ce qui menace la viabilité de l’industrie. En Alberta, les primes d’assurance ont augmenté de façon marquée ces dernières années — de plus de 20 p. 100 par année dans certains cas. De telles hausses des coûts ne peuvent pas être refilées aux consommateurs dans un marché des produits de base hautement concurrentiel et sont absorbées par les producteurs, ce qui a pour effet de réduire leurs marges.

Notre industrie fait face à d’autres menaces qui concernent les changements de politique qui ont été faits à cause du changement climatique. La première concerne la tarification du carbone. Comme je l’ai mentionné, les serres de l’Alberta sont de grandes utilisatrices de gaz naturel pour le chauffage et l’électricité pour l’éclairage. La demande de légumes dure toute l’année et, de plus en plus, pour demeurer compétitifs, les grands joueurs mènent des activités à longueur d’année. Les coûts énergétiques représentent environ 25 p. 100 des coûts de fonctionnement; par conséquent, le plan de leadership en matière de climat de l’Alberta et le filet de sécurité pour la tarification du carbone du gouvernement du Canada posent un défi important pour la compétitivité de l’industrie.

À la suite de sa consultation auprès de notre association, le gouvernement de l’Alberta a accordé à l’industrie des cultures de serre une remise de 80 p. 100 concernant la taxe sur le carbone pour le chauffage admissible dans le cadre d’un programme qui s’appelle l’Alberta Greenhouse Rebate Program. Il s’agit d’un programme pilote de deux ans qui prend fin le 31 décembre 2018. Pour la compétitivité de l’industrie des cultures de serre, il est essentiel que ce programme soit prolongé. Selon les données de Statistique Canada sur l’industrie des légumes, 69 p. 100 de la production au pays se fait en Ontario, qui est suivi de la Colombie-Britannique, avec 20 p. 100. Par comparaison, la production de l’Alberta est petite et représente 3 p. 100.

La Colombie-Britannique a adopté une mesure d’allègement relative à la taxe sur le carbone équivalente pour les serres, et ainsi, il est très important que les règles du jeu soient équitables pour les serristes partout au Canada.

Les producteurs albertains font face à une forte concurrence des États-Unis et du Mexique. L’Alberta est une province importatrice nette de produits de serre; les coûts de la main-d’œuvre pour les producteurs de ces endroits sont moins élevés et il n’y a pas de taxation sur le carbone. Il est difficile pour les producteurs canadiens de demeurer concurrentiels dans un milieu où on impose une tarification du carbone, alors que cela ne s’applique pas aux produits importés.

La deuxième menace, c’est la définition du mot « agriculture ». L’industrie des cultures de serre de l’Alberta est menacée par des changements qui sont apportés aux définitions de l’agriculture. Plusieurs administrations provinciales et municipales changent les définitions pour le code des normes du travail et les règlements de zonage afin de retirer les entreprises de serriculture de la définition des entreprises agricoles. Il en résulte des changements aux codes du bâtiment, aux heures de fonctionnement, aux coûts de la main-d’œuvre, et j’en passe. C’est très dommageable pour notre industrie et cela fait en sorte que les gens hésitent grandement à investir dans leur entreprise.

Il est essentiel qu’il y ait uniformité quant à la reconnaissance des serres en tant qu’entreprises agricoles.

La troisième menace, ce sont les sources d’emplois. L’industrie des cultures de serre emploie un grand nombre de travailleurs peu spécialisés. Les codes de la Classification nationale des professions suivants décrivent les rôles: 8431, ouvriers/ouvrières agricoles; 8432, ouvriers/ouvrières de serres; et 8611, manœuvres à la récolte.

Il est difficile de trouver des employés ayant ces compétences en Alberta, et quand on en trouve, le taux de roulement de personnel est élevé. En 2016, la RedHat Co-op a enregistré un taux de roulement de 93 p. 100 des employés locaux. L’industrie compte donc énormément sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires et le Programme des travailleurs agricoles saisonniers pour maintenir ses activités et assurer l’expansion du secteur. Les coûts associés au Programme des travailleurs étrangers temporaires ont grimpé considérablement au fil du temps, ce qui pose un défi pour l’industrie, et le Programme des travailleurs agricoles saisonniers n’est pas accessible aux coopératives dont les installations d’emballage ne sont pas situées au même endroit que les serres de leurs membres. La viabilité des coopératives albertaines est ainsi remise en question, et c’est un dossier que l’industrie doit régler au plus vite.

Auparavant, les coopératives étaient admissibles au Programme des travailleurs agricoles saisonniers. Le gouvernement fédéral a récemment modifié les critères d’admissibilité.

Le quatrième facteur menaçant l’industrie : les normes de travail. En Alberta, les serres, les champignonnières et les gazonnières ne sont pas considérées comme des exploitations agricoles aux termes de l’Employment Standards Code. Ce changement est entré en vigueur le 1er janvier 2018. Cela signifie que les serres sont désavantagées non seulement dans le marché canadien, mais aussi au sein du secteur agricole.

Comme vous pouvez le constater, tous ces facteurs ont des effets cumulatifs considérables. La tarification du carbone, la hausse du salaire minimum, l’augmentation des coûts rattachés au Programme des travailleurs étrangers temporaires, les congés payés et les heures supplémentaires finissent au bout du compte par ébranler sérieusement la viabilité de l’industrie. Je ne saurais trop insister sur la question, car plusieurs exploitants de l’Alberta songent à cesser leurs activités et à quitter l’industrie. Ces éléments menacent sérieusement notre secteur.

Notre analyse FFPM nous porte à conclure que certaines choses pourraient être revues concernant le rôle des gouvernements fédéral et provinciaux. Il y aurait premièrement lieu d’harmoniser les définitions. Comme je l’indiquais, les gouvernements fédéral et provinciaux et les municipalités devraient reconnaître l’industrie des cultures de serre à titre de production agricole primaire; les serres exploitées par des coopératives sont aussi des productions agricoles, et à ce titre, elles devraient être admissibles au Programme des travailleurs agricoles saisonniers.

Il sera aussi important de définir la culture du cannabis comme une production agricole, car c’est un segment florissant de notre industrie. L’efficacité énergétique: l’industrie des cultures de serre aura besoin de programmes soutenant l’adoption de mesures d’efficacité énergétique. D’ici à ce qu’on connaisse les résultats de la recherche sur la séquestration du dioxyde de carbone en serre en vue de la création de crédits de carbone, il sera primordial d’offrir des programmes de remise afin d’alléger le fardeau imposé par la taxe sur le carbone.

Production sur place : soutien financier pour la production d’électricité et de chauffage sur place, qui est une production combinée au gaz naturel et à l’énergie géothermique, solaire et éolienne; et cela doit comprendre de l’aide pour le processus de demande auprès des autorités provinciales, telles que l’Alberta Utilities Commission et Alberta Environment, car il s’agit d’un processus hautement technique qui demande beaucoup de temps.

Assurances : Protection contre la hausse des tarifs d’assurance par l’entremise d’organismes de financement fédéraux, comme Financement agricole Canada, et d’institutions financières provinciales comme ATB et AFSC.

En conclusion, l’industrie des cultures de serre en Alberta résiste et continue de grandir. Les changements climatiques et la tarification du carbone ont bien sûr des répercussions; certaines représentent une menace réelle pour notre industrie, mais il est possible d’intervenir en conséquence. C’est au niveau des politiques qu’il faudra intervenir, et c’est à ce propos que nous aurons besoin de votre aide pour assurer la viabilité à long terme de notre industrie. Nous voulons rester un exemple de réussite, celui d’entreprises familiales dynamiques, de coopératives en expansion, et d’un secteur local riche de sa production alimentaire, de sa floriculture et de sa production de plants forestiers.

Nous vous demandons de nous soutenir dans notre quête. Les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent nous aider en harmonisant leurs politiques et en reconnaissant la nature unique de cette petite industrie qui ne cesse de grandir. Merci encore de votre attention. Je suis disposé à répondre à vos questions.

La présidente : Merci pour votre exposé.

Nous entendrons maintenant M. Cattani.

M. Cattani : Merci. Désolé pour tous ces documents que vous avez reçus. Je vais tâcher d’être facile à suivre.

Aujourd’hui, je vais vous parler de grains vivaces. Vous n’en avez peut-être jamais entendu parler, mais c’est une culture qui prend de l’expansion partout dans le monde. J’espère pouvoir répondre à certaines des questions que vous avez posées précédemment, et vous donner matière à réflexion.

Je vais vous donner un aperçu des avantages de la production de cultures vivaces. Cette industrie se trouve majoritairement dans l’Ouest canadien. Je vais parler brièvement de la production de semences vivaces, ainsi que de l’utilisation de grains vivaces, et comment tout cela cadre avec mon entrée en matière.

Parlons des avantages des cultures vivaces. Je vais me concentrer sur les plantes en C3, ou les plantes d’hiver. Elles conservent leur capacité photosynthétique tout au long de la saison, contrairement aux semis qui n’offrent aucun tissu vert pour capturer le carbone avant que le plant n’émerge du sol. Puis, il y a sénescence avant la récolte, ce qui veut dire qu’encore une fois, le sol est dépourvu de tissus photosynthétiques jusqu’au prochain ensemencement, généralement l’année suivante.

Ces cultures conservent leur capacité de photosynthèse même si le mercure chute jusqu’à 1 degré Celsius. Selon certaines notations, elles conservent 17 p. 100 de leur capacité maximale même à 1,5 degré. Elles peuvent donc absorber le carbone présent dans l’air tout au long de la saison de croissance. Les cultures annuelles, elles, n’ont cette capacité que lorsque les plants sont en terre.

Un autre avantage est qu’un seul plant peut produire plusieurs récoltes; autrement dit, on plante une année, et on récolte pendant trois, quatre ou cinq ans. Cela se traduit par une réduction des coûts liés à la mise en terre, au labourage, à l’ensemencement, et à tout ce que cela suppose. Les émissions de gaz à effet de serre découlant de ces activités s’en trouvent donc aussi réduites.

Les cultures vivaces couvrent le sol à l’année, ce qui est un excellent moyen de contrôler l’érosion. Il n’y a pas de sol nu, puisque des matières végétales le recouvrent. Les tissus végétaux qui sont en croissance active absorbent de l’eau à ces périodes de l’année, alors il y a moins d’eaux de ruissellement à gérer, et moins d’eau pour contribuer à l’infiltration de minéraux dans le sol.

Bon nombre des avantages qu’offrent les cultures vivaces ou les cultures semencières vivaces se trouvent dans le sol. Elles favorisent la santé du sol. Quelqu’un a parlé tout à l’heure des microorganismes, les arthropodes, les vers de terre et tout ce qui vit dans le sol. Ces plantes ont des réseaux racinaires vivaces, ce qui n’est pas toujours le cas. Les racines poussent et meurent tout au long de l’année, ajoutant au bassin de carbone présent dans le sol, qui sera converti en matière organique.

La séquestration de carbone est un avantage majeur de ces cultures qui poussent tout au long de l’année. Elles ont besoin d’un système racinaire à l’année, et leurs racines sont implantées plus profondément dans le sol que celles des cultures annuelles. Leurs racines demandent plus de nutriments, et elles doivent également alimenter leurs mécanismes de survie qui leur permettent de revenir d’année en année. Cette matière se trouve donc principalement sous terre.

Les systèmes racinaires vivaces ont aussi l’avantage d’absorber plus efficacement les minéraux nutritifs et le fumier, ou peu importe le type d’engrais appliqué. Parce qu’elles sont plus volumineuses et qu’elles sont vivaces, les racines ont moins tendance à laisser filtrer les minéraux.

En réalité, la production de semences vivaces ne date pas d’hier au Canada. L’industrie de la production de semences de gazon a pris naissance sur l’Île-du-Prince-Édouard dans les années 1940. Cette industrie fait aussi la production de semences fourragères, qui sont vivaces. Je vous ai fourni des données sur les 12 dernières années. En moyenne, quelque 64 000 hectares servent à la production de semences vivaces. Pendant l’année la plus productive, c’est environ 78 000 hectares qui étaient utilisés à cette fin. Ce sont des marchés cycliques, notamment en raison du prix des semences et de la demande. La demande augmente généralement à la suite d’une catastrophe naturelle.

En 2016, sauf 50 hectares, toute la production de semences vivaces a eu lieu dans les quatre provinces de l’Ouest. Cela comprend bien sûr la Colombie-Britannique et la région de la rivière de la Paix, qui touche aussi à cette industrie.

Si on tente d’accroître la production de semences vivaces par la culture de plantes fourragères, cela veut aussi dire qu’il faut étendre le territoire occupé par le bétail. Personnellement, je ne crois pas que l’élevage d’animaux est une industrie qui prendra suffisamment d’expansion pour couvrir peut-être plus que le double de la zone de production actuelle.

Afin de tirer profit des avantages de la production de semences vivaces, nous devons nous tourner vers les cultures marchandes. Depuis 40 ans, particulièrement dans les 10 ou 15 dernières années, on dénote une forte tendance vers la production de cultures céréalières vivaces. Avec une culture marchande, on pourrait facilement accroître le nombre d’acres ensemencés pour la production de semences vivaces, et ainsi bénéficier des avantages que cette culture procure sur une plus vaste étendue de terre.

Dans l’Ouest canadien, la principale culture de semences devrait être celle de l’agropyre intermédiaire, un cousin éloigné du blé. Il contient du gluten, mais sa teneur est très faible. Il est aussi commercialisé sous le nom de Kernza, mais seulement s’il est obtenu selon une méthode de production biologique. L’agropyre intermédiaire pourrait donc être produit selon les méthodes conventionnelles, et les transformateurs et les fabricants de produits alimentaires l’accepteraient comme tel.

Je souligne par ailleurs que le riz vivace devrait être commercialisé d’ici deux à cinq ans en Chine. Ce n’est donc pas une culture privilégiée uniquement pour le climat tempéré de l’Amérique du Nord; c’est partout dans le monde. On développe également d’autres cultures, comme le sorgho vivace et le pois perdrix vivace, en révisant leur méthode de production. De nombreuses cultures pourraient être ajoutées à cette initiative à l’échelle internationale.

On me demande souvent si les producteurs sont prêts à adopter de nouvelles cultures de semences ou de production. Je vais utiliser l’exemple du canola au Manitoba. Je vous ai remis un graphique sur la production de canola. Avant le canola, un produit de qualité alimentaire, il y avait le colza, utilisé à des fins industrielles. On consacrait très peu d’acres à cette culture. Vers le milieu des années 1970, le canola a gagné en popularité, et le nombre d’acres voués à sa production a augmenté, de même que les investissements dans l’amélioration génétique des cultures et l’agronomie. Le rendement des semences est probablement de deux fois et demie à trois fois plus élevé qu’il ne l’était du temps du colza. Les investissements dans ce secteur ont donc été fructueux.

Un autre avantage des grains vivaces est que leur culture a deux applications. Même si le grain est récolté, le reste de la plante peut être donné en pâturage. Selon une méthode de production biologique, il est probablement préférable de faire paître les animaux tout de suite après la récolte, de façon à ce que les nutriments retournent au sol par l’entremise du bétail. Selon un système conventionnel, cette étape serait nécessaire à la production de l’année suivante. Je recommanderais un système différent, soit celui de la mise en réserve du fourrage en vue du pâturage d’automne et d’hiver. En prolongeant la période de paissance, les producteurs de bovins économisent environ 25 cents par animal par jour. Ils s’évitent ainsi le nettoyage du fumier lorsque le bétail est en alimentation confinée, mais aussi les frais associés à la production des aliments donnés aux animaux en milieu confiné.

Finalement, j’aimerais parler des utilisations des grains vivaces. Je présume que la plupart d’entre vous n’avez jamais entendu parler des grains vivaces, ni de leurs utilisations. Ils peuvent être mélangés au blé, tout comme on mélange d’autres farines pour faire du pain de seigle, par exemple. Comme je le disais plus tôt, ils contiennent du gluten, mais en très faible quantité. Ils ne se prêtent pas très bien aux produits à la levure, mais conviennent parfaitement aux produits au levain. J’ai mis une image de pain sur une des pages. Encore une fois, mélangés au blé, ils donnent de très bons produits.

Certains producteurs de bière commerciale ajoutent jusqu’à 20 p. 100 de Kernza dans la salade servant à la fabrication de la bière. C’est déjà sur le marché. Les grains vivaces peuvent être utilisés dans tout ce qui ne nécessite pas de levure, c’est-à-dire les produits dans lesquels on ajoute de la poudre à pâte, comme les crêpes, les muffins, les tortillas et les pains plats. J’en ai mangé préparé à la façon de l’avoine nue, ou ce qu’on appelle « riz des Prairies » sur le marché, je crois.

Et General Mills songe à s’en servir dans ses céréales et ses barres céréalières. On me dit que l’entreprise espère avoir un produit d’essai sur le marché l’année prochaine pour vérifier les préférences des consommateurs.

Je tiens à vous remercier de m’avoir invité à vous parler de ce sujet un peu différent.

La présidente : C’est un peu pointu, mais formidable d’en entendre parler. Merci à vous deux de vos exposés. Nous allons maintenant passer aux questions, et le sénateur Maltais sera le premier intervenant.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue à nos deux témoins. Je ne sais pas si c'est un hasard, mais De Paoli, c'est de descendance italienne, je crois.

Madame De Paoli, votre regroupement de serricoles peut employer jusqu'à 3 000 personnes indépendamment de la saison. Vous avez dit que ce sont de petites entreprises familiales et c'est ce qui fait leur force. Et vous avez tout à fait raison. Est-ce que ces petites entreprises se transfèrent de famille en famille ou est-ce que les jeunes s'en vont ailleurs? Est-ce que les propriétaires doivent vendre à d'autres personnes ou est-ce que ces entreprises serricoles sont exploitées de génération en génération?

[Traduction]

Mme De Paoli : Merci de poser la question. La relève familiale est abondante. Certains serristes albertains en sont d’ailleurs à la troisième ou quatrième génération. La planification de la relève représente un énorme défi dans l’ensemble de l’industrie agricole, pas seulement dans l’industrie des serres. C’est très personnel au sein des familles, mais nous voyons une solide relève dans l’industrie des serres. La plus grande serre en Alberta est une entreprise familiale, et c’est ce que nous observons dans l’industrie des fleurs et celle des légumes où différentes générations de la même famille exploitent l’entreprise.

Il arrive également que des familles achètent d’autres entreprises familiales, mais la relève au sein d’une même famille est plus commune.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez dit également que vous faites la récupération de l'eau au niveau des serres. Cette eau, avant de revenir dans la serre – c'est un cycle –, est-elle filtrée? Est-ce qu'elle exclut tous les parasites ou les ravageurs qui pourraient se retrouver dans l'eau?

[Traduction]

Mme De Paoli : Merci, oui. Il y a habituellement une usine de traitement des eaux dans la serre, selon la technologie utilisée, mais l’eau peut-être aseptisée à l’aide de produits chimiques ou d’ozone pour prévenir la présence de bactéries et de parasites. Le traitement de l’eau est important. Dans un environnement de culture contrôlé, il est très important de faire un contrôle antiparasitaire global de l’eau et de l’air.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez parlé d'un autre problème qui est hors de votre contrôle : le coût des assurances. Votre association compte 143 membres regroupés sous une coopérative. Je pense que la coopérative est en mesure de négocier de meilleurs taux. Vous avez les « cooperated », ici en Alberta. Alors, je pense qu'il serait avantageux que votre coopérative exploite d'autres marchés pour obtenir de meilleurs prix. Le coût des assurances a une influence directe sur le coût de votre production de légumes. Quand on parle d'une augmentation de 20 p. 100, c'est beaucoup. La marge de manoeuvre du producteur entre la rentabilité et la non-rentabilité est drôlement minée. C'est un petit conseil que je vous donne.

Vous en avez parlé brièvement, mais le cannabis intéresse-t-il les serriculteurs de l'Alberta?

[Traduction]

Mme De Paoli : Je vais commencer par les assurances. Ce que nous constatons, c’est que peu importe la compagnie d’assurance, les prix augmentent considérablement, uniquement à cause du volume de réclamations présentées en Alberta de manière générale. Nous avons eu des inondations et de la grêle, ce genre d’événements. Donc, oui, il est utile de coopérer et d’unir nos efforts, mais nous ne faisons que constater que de manière générale, peu importe à quel point nous négocions bien, les primes augmentent considérablement.

À propos du cannabis, l’Alberta Greenhouse Growers Association a des membres qui en cultivent, et nous assistons au développement de ce marché à mesure que nous progressons vers la légalisation. Je dirais que c’est un nouveau produit et qu’il est donc un peu controversé parmi les membres. C’est un groupe différent de personnes qui se lancent dans la production de cannabis. Il arrive souvent que ce ne soit pas des entreprises familiales. Ce sont des sociétés ou de nouveaux venus dans l’industrie. J’estime que la légalisation offre une occasion à l’industrie des serres. Elle s’accompagne du défi de l’intégration de nouvelles entreprises dans une industrie qui existe déjà. C’est une chose à laquelle nous travaillons activement, et nous observons sans aucun doute une croissance dans ce domaine. De nombreuses annonces sont faites et l’industrie du cannabis procède à une importante consolidation. En ce qui nous concerne, nous tâchons de distinguer les personnes qui construiront des serres de celles pour qui l’annonce ne mènera nulle part. Tout cela se produit en ce moment.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous êtes comme moi. Vous êtes surpris du nombre de nouveaux agriculteurs qui arrivent sur le marché. À cause de la culture de cannabis, on ne connaissait pas ces agriculteurs en herbe qui étaient répartis un peu partout au Canada, mais qui n'avaient jamais parlé ouvertement de leur vocation d'agriculteur. Alors, c'est tout nouveau. Et c'est tant mieux.

J'ai une dernière question. Les produits qui sortent de vos serres, vos légumes, êtes-vous capable de les écouler dans votre province ou dans les provinces voisines, ou est-ce que vous devez en exporter?

[Traduction]

Mme De Paoli : L’Alberta est une importatrice nette de légumes de serre, ce qui signifie que notre production reste surtout dans la province. Des légumes sont toutefois exportés vers le Manitoba et la Saskatchewan. Des producteurs de laitue en exportent aux États-Unis, mais les données nettes montrent que notre province est surtout importatrice. Les principales importations viennent de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, des États-Unis et du Mexique, c’est-à-dire de nombreux endroits.

[Français]

Le sénateur Maltais : La culture en serre se fait-elle sur des terres arables ou sur des terres qui sont plus ou moins propices à la grande culture, comme celle des céréales, et cetera? La culture en serre se fait-elle sur des terres qui sont plus ou moins arables?

[Traduction]

Mme De Paoli : La majorité des serres albertaines se trouvent où le sol est très sec, par exemple, à Medicine Hat. Les terres n’y ont pas été irriguées et ne sont pas particulièrement utiles pour la culture sans labour. À titre d’exemple, l’érosion des sols et l’accès à l’eau sont grandement problématiques.

Les serres se trouvent habituellement à proximité de Medicine Hat où le climat est très chaud. Le nombre d’heures d’ensoleillement y est plus élevé. On voit parfois des serres près des villes, mais c’est inhabituel. On peut en trouver essentiellement sur toutes les terres. Il y en a dans des zones industrielles. C’est plus une question de luminosité, d’eau et d’accès au réseau de production d’électricité. Il y en a davantage dans les régions rurales, mais les serres n’ont pas besoin de terres agricoles de première qualité. On peut en construire partout, même sur les toits.

Il convient également de mentionner la croissance de l’agriculture verticale, pour laquelle on se sert parfois de contenants. Une pièce comme celle-ci pourrait être utilisée à cette fin. Les serres sont différentes, mais cette pratique se répand. Aucune terre agricole n’est nécessaire, et l’éclairage est artificiel. Il est maintenant possible de faire de la culture à peu près partout.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci.

Monsieur Cattani, je suis heureux de vous entendre. J'en avais déjà entendu parler, mais pas avec autant de précision. Des céréales vivaces. Est-ce que c'est un avenir? Est-ce que ça va remplacer le canola? Est-ce que ça va remplacer le maïs? Est-ce que ça va remplacer l'orge, le blé?

[Traduction]

M. Cattani : Je ne m’attends pas à ce qu’elles remplacent les cultures actuelles. Je pense que nous devons ajouter à nos systèmes actuels une culture qui réduit la dégradation des sols attribuable à nos systèmes de culture annuels. L’Iowa est probablement un bon exemple d’endroit où l’on cultive du maïs et du soya. C’est malheureusement la direction dans laquelle le Manitoba s’est engagé. En Iowa, on a réduit la qualité du sol au point de devoir replanter des bandes de vivaces des prairies pour maintenir le sol en santé et dans les champs.

Je pense que cela s’intégrerait bien dans un système qui mise sur les mêmes culturelles annuelles que celles que vous avez mentionnées. En général, on est aux prises avec des mauvaises herbes annuelles lorsqu’on plante des annuelles, tandis que les vivaces sont habituellement flanquées de mauvaises herbes vivaces. En faisant pousser une vivace pendant, disons, quatre ans, on réduit la quantité de graines de mauvaises herbes annuelles, ce qui peut se révéler avantageux pour les cultures annuelles. À l’inverse, en faisant pousser pendant trois ou quatre ans des annuelles pour ensuite planter des vivaces, on peut réduire la quantité de mauvaises herbes vivaces. Cela pourrait, très bien, être intégré à nos systèmes actuels de production.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ce que vous dites est très intéressant.

L'année dernière, le comité s'est rendu en Chine et certains experts agricoles nous ont laissés entendre que la culture du riz, qui se fait depuis que les temps existent, a créé un appauvrissement du sol. Et, malheureusement, ils n'ont pas les moyens de laisser ces terres en jachère pendant quelques années pour refaire la qualité du sol, ce qui fait que le riz, au lieu de pousser haut, est plus petit. Est-ce que ça pourrait être une solution? Vous avez parlé de riz vivace. Est-ce que ça pourrait être une solution pour ces pays?

[Traduction]

M. Cattani : C’est là-bas qu’on se penche actuellement là-dessus; ces pays ont donc déjà la solution. Je pense que c’est dans la province de Yunnan que le travail se fait, en collaboration avec l’Institut international de recherche sur le riz, qui a son siège aux Philippines. Oui, c’est là qu’on étudie actuellement la question. On a d’abord pensé s’en servir pour remplacer la production de riz non irrigué qui entraîne de l’érosion et une dégradation des sols.

[Français]

Le sénateur Maltais : Mais, ici au Canada, est-ce que le riz pousse jusqu'à maturité? Oui? On a assez de périodes d'ensoleillement pour ça?

[Traduction]

M. Cattani : Non, nous ne faisons pousser du riz nulle part, à l’exception du riz sauvage. Nous ne cultivons pas le même riz qu’eux. Le riz est surtout cultivé dans des régions tropicales et subtropicales. Le Sud des États-Unis pourrait peut-être également en faire pousser.

[Français]

Le sénateur Maltais : J'aimerais comprendre davantage la question des céréales vivaces. Je vais vous donner un exemple et vous me corrigerez si j'ai tort.

Je plante du blé au mois d'avril et je le récolterai en août ou en septembre. Avec les céréales vivaces, je n'aurai pas besoin de planter de nouveau ce blé. Il repousserait tout seul l'année suivante. Ai-je bien compris?

[Traduction]

M. Cattani : Oui, l’agropyre vivace ne serait planté qu’une seule fois et serait cultivé pendant un certain nombre d’années. L’objectif des programmes de sélection est d’obtenir des plantes qui peuvent constamment être récoltées année après année. Les récoltes varieront comme celles de toutes les plantes influencées par la chaleur, les inondations, un taux d’humidité trop élevé et ainsi de suite. L’idée est de planter une seule fois et d’avoir de nombreuses récoltes. Je crois qu’il sera possible, grâce aux travaux que nous faisons actuellement, de parvenir à quatre ou cinq années de récolte.

[Français]

Le sénateur Maltais : Est-ce le même principe pour les fleurs vivaces dans les plates-bandes? On les plante une fois et elles repoussent tous les ans pendant X années?

[Traduction]

M. Cattani : C’est la même chose. Le cycle est annuel. Il commence précisément après la première production de semences et se poursuit pendant les autres récoltes. On sème une fois et on récolte pendant un certain nombre d’années. Comme une grande partie de nos fleurs vivaces dont vous venez de parler, la croissance de l’agropyre peut ralentir, et nous devons trouver des méthodes pour lui donner un coup de pouce après un certain temps.

[Français]

Le sénateur Maltais : Pendant X années. Merci.

[Traduction]

La présidente : Je regarde la photo à la page 4, l’agropyre vivace est comparé à l’agropyre annuel. La quantité de matière organique laissée dans le sol diffère énormément. C’est un important facteur pour ce qui est de la séquestration du carbone. Cela me rappelle un peu plus à quoi auraient ressemblé les prairies indigènes. Ce que je veux dire, c’est que les racines sont très profondes, et je suppose que les prairies indigènes auraient, par conséquent, séquestré beaucoup plus de carbone.

M. Cattani : C’est vrai. Un très grand nombre d’études sur les céréales vivaces parlent de la culture dans les prairies. La principale différence serait la diversité des plantes dans une prairie indigène, où il y aurait des fixateurs d’azote, des légumineuses indigènes et ainsi de suite, de même qu’un certain nombre de plantes herbacées qui présenteraient d’autres avantages écosystémiques. Ce n’est pas exactement une prairie, mais ce n’est pas plus de l’agriculture annuelle; c’est quelque part entre les deux.

La présidente : Le sénateur Maltais a posé mes questions sur la marijuana, ce qui témoigne de sa grande curiosité.

Je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd’hui. C’était très instructif, et nous vous sommes reconnaissants de votre comparution.

Je souhaite maintenant la bienvenue à nos prochains témoins et je vais expliquer un peu de ce que nous faisons. Je m’appelle Diane Griffin. Je suis sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard et présidente du comité. Je suis accompagnée du vice-président, le sénateur Maltais, qui vient du Québec. Quelques autres sénateurs siégeaient avec nous, mais leur travail les a contraints de revenir à Ottawa aujourd’hui.

Nous sommes en visite dans l’Ouest canadien. Nous en avons fait autant dans l’Est du Canada pour la même raison, c’est-à-dire étudier l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier. Nous avons passé deux jours en Colombie-Britannique avant de venir ici mardi soir. Nous avons entendu d’excellents témoins aux deux endroits. Nous avons également visité les laboratoires de recherche forestière à l’Université de la Colombie-Britannique.

Vous avez la parole.

Christine Murray, directrice, Technologies de l’agriculture, Alberta Innovates : Bonjour. Je m’appelle Christine Murray. Je travaille à Alberta Innovates, le principal organisme de recherche et d’innovation en Alberta.

Ross Chow, mon collègue, travaille à une filiale d’Alberta Innovates. Nos efforts visent à accélérer la recherche, l’innovation et l’entrepreneuriat dans les secteurs des bioproduits, de l’énergie propre et de la santé. Nous sommes un organisme de financement stratégique qui collabore avec d’autres bailleurs de fonds en Alberta, ailleurs au Canada et au-delà de nos frontières.

Nous offrons du financement à des établissements de recherche, à des universités et à des collèges, ainsi qu’au sein de l’industrie. Mes observations porteront surtout sur la recherche appliquée et sur les débouchés en agriculture, en foresterie, en gestion de l’eau et dans les services écosystémiques, plus particulièrement en ce qui a trait à la façon dont cette recherche peut accroître la capacité d’adaptation face aux changements climatiques.

Je vais d’abord parler de l’agriculture. Dans ce secteur, l’introduction de nouvelles cultures est une forme d’adaptation. Compte tenu du réchauffement de la planète, on s’attend à un changement du cycle de croissance des cultures dans les principales régions du Canada. Alberta Innovates a envisagé un scénario pour financer l’adaptation des nouvelles cultures à l’évolution de la saison de croissance en même temps que les progrès en matière de sélection végétale et de technologie. Nous finançons des projets axés sur le raccourcissement des périodes de croissance; sur la mise au point d’hybrides de maïs, de cultivars de haricots secs à rendement élevé ainsi que de génotypes prometteurs et de pratiques agronomiques pour la culture du soya; sur le renforcement de la génétique du blé pour accroître sa résistance au stress biotique; ainsi que sur une sélection améliorée des pommes de terre grâce à la haplodiplométhode.

À propos de l’adaptation des cultures au stress abiotique et biotique, il faut comprendre que les changements climatiques ont une incidence sur l’agriculture, non seulement à cause des températures plus élevées, mais aussi à cause de la fréquence plus élevée des conditions météorologiques extrêmes, notamment le gel précoce ou tardif, la grêle, les inondations, les écarts de température nocturne plus prononcés et les sécheresses. La plupart des études indiquent que la fréquence des ravages causés par les maladies et les organismes nuisibles augmentera elle aussi à cause des changements climatiques, ce qui signifie que le risque de perte de culture sera plus élevé. Les projets de recherche dans ce domaine visent à accroître la résistance aux sécheresses, l’utilisation efficace de l’azote et de l’eau, le rendement et la viabilité de la culture de l’orge ainsi que la génétique du blé de printemps pour améliorer la tolérance à l’ensemencement et aux sols froids.

On cherche également à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole, car environ 30 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre dans le monde proviennent de l’agriculture. Les principales sources d’émissions comprennent le méthane provenant des animaux d’élevage, l’oxyde nitreux des fertilisants synthétiques et le dioxyde de carbone qui se dégage pendant le travail du sol.

Les projets de recherche qu’Alberta Innovates soutient pour lutter contre ces sources d’émissions visent: à améliorer la génétique des animaux d’élevage et la conversion alimentaire pour réduire la période d’engraissage et les émissions de méthane; à favoriser l’acquisition d’azote par les plantes, ainsi que l’efficacité des différents fertilisants et des autres additifs de croissance pour le sol; et à promouvoir des pratiques de travail réduit du sol et d’autres pratiques agronomiques servant à séquestrer le carbone dans le sol.

Il est possible qu’un certain nombre d’occasions se présentent grâce aux changements climatiques. Bien que les données et la littérature jusqu’à maintenant révèlent essentiellement qu’ils auront des conséquences négatives pour l’agriculture et la production, le défi qui en découle donne l’occasion d’innover dans ce domaine. À titre d’exemple, il est possible que de nouvelles terres arables puissent être exploitées, que la saison de croissance soit plus longue et plus chaude, et que les récoltes soient meilleures.

Alberta Innovates a également participé à la mise au point de la supergrappe de l’agroalimentaire intelligent. Ce n’était alors qu’un projet, et le travail se poursuit en mettant l’accent sur des améliorations visant à accroître la qualité des aliments cultivés; à réduire les effets sur l’environnement de l’agriculture et des pratiques de production alimentaire; à protéger nos sols, notre eau et notre air; à favoriser la santé et la salubrité des aliments; à réduire le gaspillage de la ferme à l’assiette; et à améliorer l’accès à des aliments abordables. La supergrappe de l’agroalimentaire intelligent utilisera et mettra au point les outils les plus avancés qui soient: la technologie de télédétection numérique, des capteurs, des méthodes d’élaboration et d’analyse des données ainsi que des moyens de trouver des solutions aux problèmes actuels.

Je vais également faire quelques observations sur les mesures d’adaptation aux changements climatiques dans le secteur forestier. Dans ce secteur, les changements climatiques auront probablement de nombreux effets sur le fonctionnement des écosystèmes. Comparativement aux autres biomes terrestres, les forêts boréales circumpolaires du Nord et la toundra subissent un réchauffement plus important. Peu de données laissent pourtant croire à une hausse considérable de la production de bois. Les espèces d’arbres risquent de souffrir de plus en plus des nouvelles conditions. Il y aura une lente migration des espèces. On s’attend aussi à un nombre accru de perturbations à grande échelle comme les feux, et le cycle de vie des insectes et des maladies pourrait changer afin de mieux s’adapter au réchauffement.

Pour faire face à ces problèmes, Alberta Innovates finance des projets de recherche qui visent: à prédire l’incidence sur la gestion des réservoirs de carbone forestier en matière de biodiversité; à élaborer des lignes directrices sur le transfert et la production de semences à l’intention de l’Alberta; à mettre au point des outils scientifiques pour soutenir la gestion écosystémique des forêts dans le Sud-Ouest de l’Alberta; ainsi qu’à étudier en vue de son amélioration la résistance du pin tordu latifolié à la rouille-tumeur autonome en levant le voile sur la variation physiologique naturelle de l’arbre et en étudiant son génome. La rouille-tumeur autonome est une maladie que le gouvernement de l’Alberta juge très préoccupante.

Nous finançons aussi des projets et nous travaillons dans le domaine de l’innovation en gestion de l’eau et des répercussions sur cette ressource. De toute évidence, l’incidence des changements climatiques sur l’irrigation, les eaux souterraines et les bassins hydrographiques est étroitement liée à la capacité d’adaptation des forêts, du secteur agricole et, bien entendu, de l’humanité entière.

Le programme d’innovation en gestion de l’eau d’Alberta Innovates est un programme phare du gouvernement de l’Alberta, et il met l’accent sur l’avancement des connaissances et l’innovation pour soutenir la stratégie de l’eau pour la vie ainsi que la stratégie d’innovation et de recherche en gestion de l’eau de la province. Ses objectifs sont les suivants: mettre sur pied des projets pour améliorer les connaissances scientifiques et élaborer des pratiques exemplaires de gestion de la salubrité de l’eau, des risques et de la vulnérabilité; garantir l’excellence en matière d’intendance des bassins hydrographiques et de gestion des écosystèmes; et mettre au point des technologies écoénergétiques pour améliorer la conservation de l’eau, l’efficacité et la productivité. Les projets financés dans le cadre du programme d’innovation en gestion de l’eau portent sur quatre grands thèmes: l’approvisionnement futur en eau; la gestion des bassins hydrographiques; la santé des écosystèmes aquatiques; la conservation de l’eau ainsi que l’efficacité et la productivité en la matière; et la protection de la qualité de l’eau.

Mon dernier commentaire porte sur les services écosystémiques. Bien entendu, les services écosystémiques sont les bienfaits que les gens retirent de la nature, dont la nourriture et l’eau potable, ainsi que les bienfaits pour la santé humaine, la pédogénèse, la séquestration du carbone et l’utilisation des terres à des fins récréatives. Les crédits CO2 sont l’un des services écosystémiques en vigueur et ces crédits peuvent déjà être échangés. Le recours à un marché pour la gestion des services écosystémiques et la biodiversité constitue une belle possibilité et rejoint les nombreuses priorités concurrentes des secteurs forestier, de l’agriculture et de l’énergie, y compris l’économie verte, la productivité et compétitivité environnementales, les plateformes numériques, l’informatique et la durabilité.

Merci de nous avoir invités à comparaître.

La présidente : Monsieur Chow, vous avez la parole.

Ross Chow, directeur général, InnoTech Alberta : Je tiens à remercier le comité pour cette occasion de témoigner et de vous parler un peu d’InnoTech Alberta.

J’ai eu beaucoup de plaisir à m’entretenir avec les membres de notre personnel scientifique émérite et à prendre connaissance de leurs observations concernant les changements climatiques. L’expansion des terres agricoles dans les régions du Nord de l’Alberta est l’un des sujets qu’ils ont soulevés. Il faudrait porter une attention particulière à la logistique, car il serait question de déplacer la production agricole loin de nos corridors de transport habituels, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les gaz à effet de serre. Il pourrait être également nécessaire de reconstruire l’infrastructure pertinente si les conditions climatiques dans le Sud de l’Alberta devenaient plus chaudes. Comme l’a souligné ma collègue, l’expansion des terres agricoles aura un impact positif sur la réduction des gaz à effet de serre grâce à la séquestration des cultures.

Le dernier point soulevé est que l’expansion dans les régions du Nord de l’Alberta entraînera l’arrivée de multiples utilisateurs dans cette région. Il y aura davantage de conflits entre les secteurs forestier, de l’agriculture et de l’énergie.

J’aimerais prendre le temps qu’il reste à mon intervention pour vous décrire certaines des initiatives en cours à InnoTech Alberta qui cadrent avec les thèmes généraux que sont l’adaptation des cultures, la surveillance de la biodiversité et les services écosystémiques. Mais, puisque Christine a si bien parlé de ces derniers, je ne reviendrai pas sur le sujet. Comme vous pouvez le constater, nos organisations sont très bien alignées.

Dans le domaine de l’adaptation des cultures, nous cherchons à maintenir le rendement sous un stress abiotique et biotique. L’équipe de développement et de gestion des cultures à InnoTech étudie de nouvelles variétés d’espèces d’orge, de blé et de canola sous un stress abiotique, que l’on définit comme étant « de l’argile dont les conditions physiques changent », et sous un stress biotique, qui dépend en fait de l’influence des insectes, ainsi que les stress pour les plants, comme les moisissures.

Fait intéressant, en 2017, 53 nouvelles variétés de cultures céréalières ont pénétré le marché. Il s’agit d’un marché très dynamique. Les chances de trouver une nouvelle culture qui peut s’adapter aux changements climatiques sont très élevées.

En fait, les stress biotiques et abiotiques sont reliés, car lorsqu’une plante ou une culture vit un stress sous une condition, cela la rend plus vulnérable à d’autres conditions. Bien que notre ferme d’essai à Vegreville compte 600 acres, elle ne peut être utilisée pour mener des essais, car elle est assujettie aux aléas de la météo d’une année à l’autre. Nous venons tout juste d’investir dans sept nouvelles chambres de cultures dans nos laboratoires à Vegreville, ce qui nous permettra de simuler diverses conditions influencées par les changements climatiques dans le cadre de nos efforts de développement de nouvelles variétés de cultures céréalières.

La prochaine initiative dont j’aimerais vous parler est l’Alberta Biodiversity Monitoring Institute ou l’ABMI. Créé en 2007, cet institut a depuis recueilli des données sur la biodiversité de la province. C’est InnoTech Alberta qui dirige le programme de relevés sur le terrain de l’institut. De plus, un de nos directeurs travaille au sein du bureau des sciences de l’institut.

L’institut recueille des données sur les mammifères, oiseaux, plants, mousses, lichens, acariens et invertébrés aquatiques. Plus de 1 000 sites quadrillés ont été inspectés afin d’effectuer un suivi sur les changements des espèces au fil des ans. De plus, 4 000 sites ciblés ont été inspectés afin de définir le lien entre habitat et espèces. Récemment, l’ABMI a publié un rapport sur la végétation indigène. De plus, l’empreinte de l’homme a été documentée au fil des ans. Ainsi, on peut voir où l’homme a eu un impact sur le paysage. Toutes ces données sont publiques. Elles peuvent être utilisées par des établissements universitaires ou d’autres établissements. À ce jour, les données ont été utilisées dans le cadre de la planification des récoltes forestières.

Les habitats où l’on retrouve des multiples espèces d’oiseaux ont été définis et les séquences des récoltes ont été modifiées afin de minimiser l’impact sur ces espèces d’oiseaux.

La durabilité des opérations forestières repose sur les zones de gestion forestières, les cibles et les conséquences. La province utilise également ce programme afin de définir le statut des espèces sauvages et le programme soutient également le cadre de gestion de la biodiversité de la province.

Le dernier point que j’aimerais soulever, c’est que le programme tient compte de la capacité à évaluer les effets des changements climatiques dans la province et, à cet égard, il a réussi à établir une très bonne référence. Vous vous demandez peut-être comment faire la distinction entre les effets naturels et les effets induits dans le paysage. Les sites choisis et mis à l’essai représentent des zones de perturbation industrielle ainsi que des zones naturelles. Ce programme permet d’examiner les différents changements causés par les changements climatiques dans la biodiversité.

J’allais vous parler des services écosystémiques et du marché, mais je crois que ma collègue s’en est très bien chargée. Je serai heureux de répondre à toute question sur le sujet.

Finalement, j’aimerais parler du rôle en constante évolution des organisations de recherche appliquée au pays. Qu’il s’agisse d’une organisation provinciale ou fédérale de recherche, notre rôle a évolué. Je définis la « recherche appliquée » comme étant l’utilisation de connaissances techniques et leur application à un enjeu opérationnel. Il ne s’agit pas de recherches fondamentales où nous tentons d’élargir notre base de connaissances scientifiques; nous souhaitons appliquer ces connaissances techniques pour obtenir un résultat. Le but est de créer des réseaux de collaboration à l’échelle du pays et, dans la mesure où InnoTech Alberta peut tendre la main à ses homologues fédéraux, si nous pouvions encourager un tel résultat par l’entremise de ce comité, cela serait avantageux pour l’avenir du pays.

La présidente : Le sénateur Maltais sera notre premier intervenant.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, madame Murray et monsieur Chow. Merci beaucoup de vos exposés.

Madame Murray, vous avez parlé, dans vos recherches appliquées, de nouvelles plantes. Vous avez nommé le haricot sec. Avez-vous étudié d'autres plantes dans le cadre de vos recherches?

[Traduction]

Mme Murray : Comme je l’ai déjà souligné, c’est au niveau du maïs et du soya que l’on retrouve de belles occasions et de grandes possibilités de développement. Ces cultures se répandent à l’échelle des Prairies, notamment dans le sud. Évidemment, elles remplacent d’autres cultures, mais dans la région des haricots secs, on retrouve des pois chiches, des lentilles et, bien entendu, de nombreuses variétés de haricots secs, comme la great northerns et la pinto. Ce sont tous de nouveaux projets de développement et, bien entendu, nous travaillons en collaboration avec des partenaires de l’industrie. Ce n’est pas nous qui fertilisons le maïs; ce sont des entreprises comme Pioneer. Le principal fertiliseur de la plupart des haricots secs, pois chiches et lentilles est en réalité l’Université de la Saskatchewan qui travaille en collaboration avec des chercheurs de l’Alberta afin d’adapter ces cultures au sud de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci. Vous avez parlé également de la génétique animale. En Colombie-Britannique, on a rencontré des universitaires qui nous ont expliqué qu'en raison des changements climatiques à venir la génétique animale sera touchée et qu'ils travaillaient à l'heure actuelle pour trouver une génétique animale – principalement le bœuf – qui pourrait mieux s'adapter aux changements climatiques, c'est-à-dire à des étés plus longs et plus chauds, à des périodes de sécheresse, à des périodes de pluie et à l'arrivée de nouveaux ravageurs. Où en êtes-vous à ce chapitre?

[Traduction]

Mme Murray : En Alberta, Livestock Gentec est le principal programme de recherche sur les bovins. Il est dirigé à l’Université de l’Alberta. Le programme a créé un réseau qui s’étend à l’échelle du pays, mais aussi jusqu’en Australie et en Amérique du Sud. Le but est de trouver des caractéristiques précises relatives aux animaux, dans ce cas-ci, la consommation alimentaire résiduelle, une caractéristique transmise des parents aux veaux. Cela signifie que le bovin peut digérer plus efficacement l’aliment pour animaux qu’il mange et ainsi grandir plus rapidement. J’ai parlé d’une période moins longue d’alimentation, ce qui signifie une croissance et une maturité plus rapides. Les périodes d’alimentation plus courte permettent également de réduire les émissions de méthane. Il s’agit de l’un des nombreux projets auxquels travaillent Livestock Gentec et un groupe important de chercheurs.

Beaucoup de recherches sont également menées sur la réduction du méthane chez les bovins en Alberta et dans l’ouest du pays et certaines de ces recherches sont menées à l’Université de Lethbridge et dans les établissements d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, à Lethbridge. Ces projets se concentrent sur les régimes d’alimentation qui permettraient de réduire le méthane produit par les bovins. Puisque la digestion et la panse des bovins sont plus efficaces, ils produisent moins de méthane. Ces systèmes cadrent avec les efforts pour être plus productifs et compétitifs, mais aussi pour réduire la quantité générale de méthane produite par les bovins. Ce sont là quelques-uns des domaines sur lesquels Livestock Gentec se concentre.

[Français]

Le sénateur Maltais : Lorsque vous parlez de « réduction du temps de pacage », est-ce que cela pourrait affecter le poids des bêtes?

[Traduction]

Mme Murray : Oui. Bien sûr, c’est le marché qui décide quelle devrait être la taille de l’animal et comment l’engraisser de manière productive. C’est donc une question de nombre de jours d’engraissement, ainsi que de hausse de la productivité et de l’efficacité. J’ai mentionné que Livestock Gentec se concentrait sur le bœuf, mais le centre mène aussi des recherches sur le porc et la volaille. Des recherches sont faites sur tous les animaux d’élevage dans le but d’augmenter l’efficacité globale, ce qui contribue, bien entendu, à la réduction des émissions de méthane et à l’amélioration de la compétitivité.

[Français]

Le sénateur Maltais : D'accord. Vous avez parlé de nouvelles terres qui devront être exploitées à l'avenir. Quel est l'état actuel de ces terres?

[Traduction]

Mme Murray : Ce sont des terres nordiques; Ross en a parlé. Elles seraient probablement considérées comme marginales et elles pourraient servir de pâturages. On pourrait en augmenter la productivité et les utiliser pour produire des cultures annuelles ou vivaces. Il se peut aussi qu’elles soient encore situées en forêt; il faudrait donc défricher de nouvelles terres dont les degrés-jours de croissance seraient maintenant suffisamment élevés pour servir à la production de cultures. Il s’agit d’une modification de l’utilisation des terres, et non de nouvelles terres; nous ne créons pas de nouvelles terres. Cela signifie simplement que les terres passent d’une utilisation à une autre, ce qui a des répercussions, notamment sur les plans de la durabilité et de la séquestration du carbone. C’est peut-être l’occasion qu’il nous faut, car il est possible que nous perdions des terres productives dans des endroits beaucoup plus chauds et beaucoup plus secs.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez parlé également de la foresterie, de la gestion de l'eau. Comment en arrivez-vous à une façon de gérer l'eau convenablement, pour qu'elle soit plus productrice au niveau de la foresterie?

[Traduction]

Mme Murray : De fait, les forêts fournissent un service écosystémique; elles gèrent l’eau en la retenant dans le système. Nous ne gérons pas l’eau pour accroître la productivité des forêts. Nous comptons sur les forêts pour protéger les zones riveraines et pour entretenir la propreté des réseaux hydrographiques en maintenant le sol en place et en contrôlant les substances nutritives, mais nous ne gérons pas l’eau pour accroître la productivité des forêts. Nous gérerions l’écosystème où existent l’eau et les forêts. Là où nous gérons l’eau pour accroître la productivité, c’est dans le secteur de l’agriculture. Le Sud de l’Alberta compte un très grand nombre de terres irriguées, et les activités liées à la productivité des terres et de l’eau ont pour objectif de faire contribuer chaque goutte d’eau à la production de cultures.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci.

Monsieur Chow, vous avez parlé de stress biotique. Pouvez-vous en parler davantage? Je n'ai pas votre formation universitaire en matière de stress biotique. Expliquez-moi cela.

[Traduction]

M. Chow : Le stress biotique est un stress provoqué par un organisme vivant, comme un organisme nuisible ou un insecte qui consomme une plante. Le meilleur exemple pour les plantes serait la hernie des crucifères, qui s’est attaquée largement au canola. Le stress biotique est un stress subi par une plante et provoqué par un autre organisme vivant.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez parlé également des recherches que vous avez menées en ce qui concerne les animaux, ici, en Alberta. Qu'en est-il des poissons, des rivières et des lacs? Avez-vous fait des recherches à ce sujet?

[Traduction]

M. Chow : L’Alberta Biodiversity Monitoring Institute étudie les espèces aquatiques, et il existe une base de référence de la répartition des espèces et des changements survenus au fil du temps. Dans de très rares circonstances, nous faisons des recherches sur les poissons. Vous savez peut-être que le tournis des truites a été détecté récemment en Alberta. Conjointement avec le gouvernement de l’Alberta, nous avons mis sur pied un nouveau laboratoire qui se consacre à la détection et à l’étude de la propagation du tournis des truites dans la province.

[Français]

Le sénateur Maltais : Est-ce que les changements climatiques peuvent être la cause de cette maladie des truites?

[Traduction]

M. Chow : Je ne crois pas. Je pense que le tournis des truites a été détecté au Montana et qu’il y a une migration naturelle, ou il se peut que grâce à l’amélioration des procédés scientifiques, nous puissions maintenant le détecter plus tôt.

La présidente : Le 28 février, le ministre canadien de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, l’honorable Lawrence MacAulay, a annoncé un nouveau programme de financement de la recherche: le Partenariat canadien pour l’agriculture. Ce programme a pour but d’aider à surmonter les difficultés liées aux changements climatiques. J’aimerais savoir s’il pourrait servir à vos organisations. Vous travaillez plutôt dans le domaine de la recherche appliquée. Je ne sais pas si le programme vise la recherche appliquée ou d’autres types de recherches. Connaissez-vous le programme et savez-vous s’il pourrait vous aider?

Mme Murray : Je ne connais pas tous les détails de ce programme, mais il fait partie des mesures conjointes du gouvernement fédéral et des provinces dans le domaine de l’agriculture. Nombre de ces programmes sont ouverts aux organismes de recherche, surtout s’ils font des recherches en collaboration avec des groupements de producteurs spécialisés. Souvent, c’est le groupement de producteurs spécialisé qui est à l’origine de la recherche.

Alberta Innovates fait partie de l’Agriculture Funding Consortium, un système à guichet unique qui permet aux chercheurs de proposer des projets de recherche agricole. Les groupements de producteurs spécialisés participent au processus. Différents organismes s’occupent de financer les projets approuvés. Le programme en question se sert peut-être du modèle de financement commun. C’est un modèle très utilisé en Alberta, qui permet à des intervenants divers de tirer parti des fonds de recherche disponibles.

La présidente : Monsieur Chow?

M. Chow : Je ne connais pas ce programme de financement. Dernièrement, nous nous concentrons sur les programmes annoncés par le ministère de l’innovation et des sciences. Nous avons eu beaucoup de succès avec les propositions conjointes que nous avons présentées en collaboration avec nos homologues fédéraux. Cela nous ramène à ma dernière recommandation: que nous utilisions nos savoir-faire respectifs pour mettre sur pied un programme plus pertinent dans le but d’obtenir des résultats rapidement.

La présidente : J’ai été ravie d’apprendre au sujet de l’institut de biosurveillance de l’Alberta. Je trouve cela formidable: 100 sites du réseau et 4 000 sites ciblés — ce sont des chiffres impressionnants. J’ai aussi été heureuse d’entendre que vous étudiez les oiseaux et d’autres créatures, et non seulement des cultures agricoles ou des animaux d’élevage. Vous avez dit que vous aviez choisi d’anciens sites industriels et des sites naturels. Depuis combien de temps ce projet est-il en cours?

M. Chow : Des données sont recueillies depuis le début du projet, en 2007. Si cela vous intéresse, il y a 10 ans de données concernant tous ces éléments dans trois régions écologiques de l’Alberta. Les chercheurs de l’institut prélèvent des échantillons dans le Sud, dans le Nord-Est et dans le Nord-Ouest. Ils ne le font pas chaque année. C’est suffisamment de travail pour qu’ils choisissent une région par année. En 10 ans, les régions écologiques ont été visitées 3 fois.

La présidente : C’est très impressionnant.

M. Chow : L’Alberta a de quoi être extrêmement fière de cette initiative. Je trouve vraiment l’institut de surveillance de la biodiversité très spécial; il est unique en son genre au Canada.

La présidente : Durant vos exposés, vous avez tous les deux très bien décrit la situation actuelle et ce que vous faites à l’égard des changements climatiques sur les plans de la recherche appliquée et de la mise en œuvre.

Comme vous le savez, les gouvernements disposent, grosso modo, de deux grandes trousses à outils: la première est la réglementation, au moyen de laquelle nous pouvons dire « vous devez faire ceci » ou « vous ne devez pas faire cela »; et la deuxième comporte les instruments économiques, par exemple, le financement de la recherche et d’autres politiques visant à favoriser les comportements appropriés ou désirables et à décourager les comportements indésirables.

Bien sûr, nous présenterons des recommandations au gouvernement fédéral. Je sais que l’utilisation des terres concerne plusieurs ordres de gouvernement, généralement surtout les gouvernements municipaux et provinciaux. Toutefois, pour ce qui concerne les instruments économiques, le gouvernement fédéral pourrait jouer un grand rôle.

Ma question est la suivante : selon vous, quelles sont les deux recommandations relatives aux changements climatiques et à leur incidence sur le paysage que nous devrions présenter au gouvernement fédéral au terme de notre étude?

M. Chow : Allez-y, c’est une question d’envergure.

Mme Murray : Le milieu de la recherche a certainement son point de vue. Je pense qu’il y a énormément de travail par rapport à la durabilité dans les secteurs de l’agriculture et des forêts. Il y a de petites choses ici et là, comme le réseau de surveillance de la biodiversité, ainsi que d’autres recherches sur les secteurs de développement et sur l’adaptation. Toutefois, nous ne travaillons pas au dossier global.

J’ai parlé de l’agriculture animale et végétale, ainsi que de l’eau et des forêts. Tous ces éléments font partie d’un très grand système, et il faudrait mener des recherches sur les systèmes. Le réseau de surveillance de la biodiversité fait presque partie d’une telle recherche, mais il n’est pas nécessairement axé sur les questions que les secteurs de l’agriculture et des forêts doivent examiner.

Je dirais que nous avons besoin d’un engagement continu envers la recherche sur la durabilité et la recherche à long terme. Deux des aspects négatifs de tous les programmes publics de financement de la recherche sont les délais courts et l’appel du prochain dossier excitant. Certains programmes de financement ne durent que quatre ans. Je suis presque certaine que le nouveau partenariat pour l’agriculture est un programme de cinq ans, ce qui est court pour des dossiers comme la surveillance de la biodiversité et les forêts. Il faut donc des programmes à beaucoup plus long terme qui permettent de poursuivre la recherche pendant de très nombreuses années.

Hier, j’étais à l’Université de Lethbridge, où je parlais à un chercheur qui utilise des données d’Environnement Canada qui sont des moyennes sur 30 ans. Il a pu évaluer les changements climatiques et la prolongation de la saison de croissance productive en ayant recours à des moyennes sur 30 ans, de 1950 à aujourd’hui. Normalement, la période que nous avons pour recueillir, analyser et comprendre des données est beaucoup plus courte. La recherche de solutions aux changements climatiques n’est pas un exercice à court terme. Nous avons besoin d’engagements et de programmes à long terme.

Je dirais que c’est ma recommandation principale.

M. Chow : Merci de m’avoir donné le temps de réfléchir, car c’est une très grande question.

Selon moi, nous devons bien définir le résultat que nous visons, ce que nous n’avons peut-être pas encore fait adéquatement. Quel est le résultat visé et comment pouvons-nous l’atteindre? Nous sommes toujours confrontés à ce défi avec le personnel de recherche d’InnoTech Alberta. Il y a beaucoup de bonnes idées à court terme, mais mènent-elles vers le résultat visé et sont-elles adaptées à l’ensemble du vaste territoire canadien? Il faut peut-être une solution différente pour chaque écosystème qu’il y a au Canada.

Ce sera important. Je pense que c’est ce que la surveillance permettra de faire, notamment l’ABMI. Nous devons savoir si nous avançons vers le résultat visé, mais d’abord, nous devons absolument définir ce résultat. Quel objectif nous efforçons-nous d’atteindre? Ensuite, la technologie et tout le reste pourront suivre. S’il est question, par exemple, des toutes nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine, nous devons savoir comment elles nous aident à accomplir les résultats que nous recherchons pour l’ensemble du pays.

[Français]

Le sénateur Maltais : À partir d'un objectif bien déterminé pour l'avenir, je pense que le financement destiné aux chercheurs devrait être récurrent. Il faut une reddition de comptes, après un certain nombre d'années, peut-être deux ou trois ans, et regarder si on se dirige toujours vers l'objectif qu'on veut atteindre. Bien sûr, pendant que l'on fait des recherches, on trouve d'autres choses. Doit-on se concentrer d'abord sur l'objectif, soit le financement récurrent, la reddition de comptes après une période déterminée par les chercheurs? Parce que moi, je n'y connais rien et le gouvernement non plus. Ce serait donc à vous de dire, après deux ou trois ans, où nous en sommes rendus et si on avance toujours en ligne droite vers l'objectif.

[Traduction]

M. Chow : Je suis, tout à fait, d’accord avec vous. Nous devrions non seulement financer la recherche, mais aussi examiner quelles recherches nous finançons, car pour obtenir les résultats que nous visons pour l’ensemble du pays, il faut aller plus loin que la recherche fondamentale. Je présume que les investissements devront finir par inclure les producteurs agricoles, les entreprises forestières ou peut-être un mélange d’industries diverses, car ils sont en mesure d’obtenir les résultats et d’atteindre l’objectif global que nous visons.

La présidente : Excellent, merci beaucoup. Nous sommes ravis que vous ayez été des nôtres.

(La séance est levée.)

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