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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 65 - Témoignages du 2 mai 2019


OTTAWA, le jeudi 2 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit, aujourd’hui, à 8 heures, pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions relatives à l’agriculture et à la foresterie en général (sujet : les conditions du sol au Canada, l'utilisation du sol et les mesures qui sont prises pour le protéger).

La sénatrice Diane F. Griffin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, présidente du comité. Aujourd’hui, le comité va se pencher sur la question des conditions du sol au Canada, de leur utilisation et des mesures prises pour les protéger.

Avant de passer aux témoins, j’invite les sénateurs à se présenter.

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur R. Black : Rob Black, de l’Ontario.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, également de la Nouvelle-Écosse. La province est bien représentée.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

La présidente : Oui, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard sont très bien représentées.

Nous avons un groupe de cinq experts que nous avons hâte d’entendre : M. David A. Lobb, professeur en écologie des paysages , Département de pédagogie, faculté d'agronomie et de bromatologie, Université du Manitoba; M. David Burton, professeur, Département de botanique, de bromatologie et de l'environnement, faculté d’agriculture, Université Dalhousie — vous remarquerez qu’il s’agit d’un autre Néo-Écossais; Mme Gabrielle Ferguson, agronome — merci pour votre présence, madame; M. Don Lobb, un agriculteur qui travaille la terre; et, enfin, M. Cedric J. MacLeod, directeur général à l’Association canadienne des plantes fourragères.

Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Comme vous le savez, vous pourrez chacun faire votre exposé, après quoi nous passerons aux questions. Nous avons deux heures et l'heure avance rapidement. Comme nous n’avons normalement qu’une heure pour un groupe de témoins, je me réjouis d’avance à l’idée d’avoir suffisamment de temps pour vous poser toutes les questions qui nous intéressent.

La sénatrice Moodie, de l’Ontario, vient de se joindre à nous.

Monsieur Don Lobb, vous avez la parole. Vous serez suivi de votre fils, David Lobb, et nous déterminerons ensuite ce que nous ferons. Monsieur Don Lobb, vous avez la parole.

Don Lobb, agriculteur, à titre personnel : Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, je vous remercie de me donner l’occasion de prendre part à cette réunion.

La productivité de nos sols est encore menacée. Beaucoup de choses ont changé depuis la parution du rapport Nos sols dégradés du Sénat du Canada en 1984. Ce rapport a ouvert la voie à des activités et à des programmes importants visant à favoriser l’entretien des sols et la sensibilisation envers ceux-ci. Nous avons bien progressé depuis.

Le financement et les priorités ont disparu. Les programmes ont pris fin. La recherche sur les sols a perdu en popularité. Les programmes de transfert d’information technologique comme l’Administration du rétablissement agricole des Prairies dans l’Ouest et les services provinciaux de vulgarisation sur les sols dans l’Est ont été réduits ou supprimés.

La hausse récente du prix des récoltes a entraîné une augmentation de la surutilisation des sols. La taille des fermes s’est rapidement accrue et, conséquemment, les ententes de location de terres ont fait en sorte que les sols ont été traités comme un bien à « utiliser » et à « épuiser ». Trop de gens dans la communauté agricole acceptent la dégradation des sols comme le prix à payer pour rester en affaires.

Les cultures destinées à la production d’éthanol entraînent des pertes inutiles de carbone du sol dans l’atmosphère et des pertes de ressources limitées comme le phosphore dans les cours d’eau. Il ne s’agit pas d’énergie renouvelable.

L’augmentation du rendement des cultures est liée à l’amélioration des techniques de production agricoles. Cette technologie masque temporairement l’effet de la diminution de la matière organique, ou MO. Les données des analyses de sol effectuées en Ontario révèlent une perte importante de MO là où le soja est le plus cultivé et une certaine perte de MO dans toutes les régions. La MO est essentielle à la vie et à la productivité des sols.

Qui surveille les répercussions des changements apportés aux types et aux systèmes de cultures partout au Canada?

Le Canada affirme haut et fort ses grandes réalisations en matière de protection des sols. Mon observation personnelle est que sur les terres ensemencées directement dans les Prairies, les sols sous les résidus de culture ont été perturbés dans leur quasi-totalité. Cela entraîne un déclin de la MO dans les sols, du biote du sol, des agrégats et se traduit par une érosion liée au travail du sol. Ce n’est pas de l’agriculture de conservation. La plupart des cultures sans travail du sol dans l’Est se font de façon intermittente. Cela n’assure pas un stockage optimal du carbone et ne témoigne pas d’un engagement à l’égard de l’entretien et de l’amélioration des sols.

L’utilisation abusive des termes « semis direct » et « sans travail du sol » ajoute encore plus de confusion. Nos progrès en matière de protection des sols sont surestimés.

Au cours de la dernière décennie, nous avons connu un retour à un travail du sol plus intensif. Les entreprises de machinerie agricole ont misé sur les rendements élevés des récentes récoltes en faisant la promotion tapageuse du travail rapide et superficiel du sol. Il en résulte une perte accélérée de carbone dans l’atmosphère et une instabilité du sol, ce qui met en péril la qualité de l’eau. Les avantages à long terme pour la productivité du sol n’ont pas été démontrés.

Les données de Statistique Canada montrent que, entre 1971 et 2011, soit en 40 ans, les pertes de sol attribuables à l’agriculture ont touché 3,9 millions d’hectares, soit l’équivalent d’une bande de notre meilleur sol de 7,5 km de largeur d’un océan à l’autre. Le rythme des pertes s’accélère rapidement. La production alimentaire se déplace donc vers des terres plus fragiles.

Nous devons faire mieux. La nourriture est la première nécessité de la vie. Quatre-vingt-quinze pour cent de notre nourriture provient du sol. C’est pourquoi la protection et l’entretien des sols ne sont pas facultatifs.

Est-il temps de reconnaître que l’entretien et la protection des sols sont une responsabilité sociétale plutôt qu’un fardeau agricole?

Est-il temps que tout soutien à l’agriculture soit subordonné à des pratiques d’entretien des sols qui donnent lieu à des récompenses et des sanctions?

Est-il temps que les sols soient traités comme une ressource naturelle essentielle dont la protection et l’entretien ne relèvent plus des ministères fédéraux et provinciaux de l’Agriculture, pour lesquels l’entretien et la protection des sols sont éclipsés par les priorités des produits de base?

À terme, ces mesures profiteraient à la fois aux agriculteurs et à la société.

Avons-nous la vision et la volonté d’apporter des changements? Nous avons les moyens d’aller de l’avant. Pour la première fois de l’histoire, nous comprenons tous les effets destructeurs du travail du sol et nous apprécions la contribution du biote à la santé et à la productivité des sols. Nous disposons maintenant de la technologie et des outils nécessaires pour produire des aliments et des fibres d’une manière durable et respectueuse de l’environnement. Des agriculteurs de partout au Canada protègent et améliorent avec succès et de façon rentable les sols de tous les types d’exploitations agricoles. Ils s’en soucient. Ils ont placé la barre très haut.

Nous avons le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts qui prend le temps d’examiner honnêtement l’état actuel de nos sols. Il est temps de faire le point sur notre situation et nos possibilités. Merci.

La présidente : Merci, monsieur Lobb.

Le professeur David A. Lobb sera notre deuxième intervenant. Allez-y, monsieur.

David A. Lobb, professeur, Écologie des paysages, Département de pédologie, faculté d’agronomie et de bromatologie, Université du Manitoba, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Pour répondre aux questions sur lesquels vous souhaitiez que l’on se penche, je me suis beaucoup inspiré des deux documents que j’ai fournis. Ces deux documents résument mes 30 années de recherches sur l’érosion et la conservation des sols au Canada. Ils ont été préparés en vue d’être présentés au Colloque international sur l’érosion des sols en mai à Rome, un colloque organisé par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. À titre d'information également, j’ai fourni un résumé de mes qualifications à ce chapitre.

À propos du premier point — l’état des sols agricoles au Canada — et du second — la perte de la capacité de production du sol —, il se trouve qu’au début des années 1980, on a évalué les coûts engendrés par la dégradation des sols au Canada et on a estimé que l’érosion des sols coûtait environ 0,5 milliard de dollars par année, soit environ 1 milliard en dollars actuels, l’érosion étant la forme la plus coûteuse de dégradation des sols.

Ces données étaient alarmantes à l’époque et ce signal d’alarme a donné une impulsion majeure au développement et à l’amélioration des technologies et des pratiques de conservation des sols, ainsi qu’à la sensibilisation et à l’adoption de ces technologies et pratiques dans l’industrie agricole et partout au Canada.

Le semis direct a atteint environ 60 p. 100 de la superficie cultivée au pays et la jachère d’été a chuté pour passer de 14 p. 100 à 3 p. 100 des superficies. Aucune évaluation des coûts engendrés par la dégradation des sols n’a été effectuée au Canada depuis.

Au cours des dernières années, l’intérêt pour la conservation des sols n’a cessé de diminuer. Beaucoup d’intervenants croient que nous savons tout ce qu’il y a à savoir sur l’érosion et la conservation des sols, que le travail est fini et que nous devons passer à autre chose. J’entends cela des deux côtés de la frontière.

Près de 40 ans plus tard, j’ai senti le besoin d’améliorer et de mettre à jour les estimations de coûts pour faire le point et évaluer les progrès.

Maintenant que nous comprenons mieux les processus d’érosion du sol, il existe de meilleurs modèles d’évaluation et de prévision. Nous disposons de bases de données plus complètes et plus précises qui peuvent servir d’intrants dans les modèles d’évaluation et de prévision. De plus, les progrès récents de la technologie informatique, de la programmation et de la science des données ont permis d’assembler et d’analyser des ensembles de données massifs. En réponse à ce besoin, l’étude résumée dans les documents ci-joints a été lancée. Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes :

La superficie des terres cultivées, soumises à des taux annuels d’érosion du sol allant de modérés à très élevés, est passée de 37 p. 100 à 10 p. 100 entre 1971 et 2011, ce qui peut paraître bien, si ce n’est que 10 p. 100 représentent toujours une superficie considérable. Cette réduction de l’érosion du sol est attribuable à l’adoption de pratiques culturales de conservation du sol et à une diminution de l’utilisation de la jachère d’été.

Deuxièmement, les pertes cumulatives de sol dans ces zones érodées ont fait chuter le rendement de façon drastique. À mesure que la teneur en carbone organique du sol diminue, il en résulte une perte disproportionnellement plus importante du rendement de la culture : de 17 p. 100 en 1971 la perte de rendement a augmenté pour atteindre 60 p. 100 en 2011.

Troisièmement, bien que la zone touchée par des taux annuels modérés à très élevés d’érosion du sol ait considérablement diminué — et il faut voir là l’expression d’un déficit —, la perte cumulative de terre arable productive, comme l’indique la teneur en carbone organique du sol, a entraîné une diminution des rendements agricoles qui est passée de 17 p. 100 sur 37 p. 100 du territoire en 1971, à 60 p. 100 sur 10 p. 100 du territoire. Cela signifie qu’il y a eu peu d’amélioration nette de la productivité du sol par suite de l’adoption de pratiques culturales moins intensives.

La perte de rendement des cultures a fait passer le coût de l’érosion du sol de 1 milliard de dollars par année en 1971 à 3 milliards par année en 2011, soit une hausse spectaculaire du coût absolu de l’érosion du sol et une légère augmentation du coût relatif, d’environ 10 p. 100 dans les deux cas.

Il faut prendre des mesures plus radicales pour accroître les niveaux de matière organique du sol et rétablir la capacité de production des sols érodés, comme le recours à la pratique de la restauration des sols et des paysages. Le simple fait d’adopter des pratiques de travail du sol moins intensives ne représente que la moitié de la solution.

Deuxièmement, comme le démontre l’étude mentionnée, la perte de sol par érosion a des répercussions directes et importantes sur la production et l’économie agricoles. Cependant, cette étude ne tient pas compte des répercussions indirectes à la ferme, comme l’utilisation accrue d’engrais et de pesticides, résultant de la variabilité plus marquée des sols et des paysages. Elle ne tient pas compte des coûts d’équipement et d’exploitation supplémentaires résultant de l’utilisation de sols dégradés et de sols variables. L’incidence sur la qualité des cultures n’est pas prise en compte non plus. Cette étude ne couvre pas les effets hors ferme, comme l’envasement des fossés et des cours d’eau, ni l’eutrophisation accrue des eaux de surface et son incidence sur les utilisations industrielles et récréatives de ces eaux.

Ces répercussions économiques et environnementales pourraient être considérables, mais elles sont difficiles à évaluer, raison pour laquelle aucune évaluation n’a jamais été faite. On peut raisonnablement supposer que ces coûts sont supérieurs à ceux que représente la perte de terres cultivables dont je parle dans mon étude.

Troisièmement, je traite de l’ampleur de la perte de terres agricoles de haute qualité au profit du développement non agricole. Je ne dispose pas de données quantitatives à ce sujet, mais ayant travaillé dans le domaine de l’aménagement du territoire dans le Canada atlantique et, ayant travaillé et vécu partout au pays, il m’est apparu évident que le développement urbain et rural résidentiel accapare certaines des meilleures terres agricoles de ce pays. J’ai pu le constater de mes propres yeux à Grand Falls et à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, à Guelph et à Toronto, en Ontario, et à Winnipeg, au Manitoba, autant d’endroits où j’ai vécu. La disparition de terres agricoles est un phénomène très répandu à l’échelle du Canada.

Je ne suis pas certain qu’en tant qu’industrie ou en tant que pays, nous soyons parvenus à un point critique de la perte de terres agricoles de haute qualité au profit du développement non agricole; cependant, cette question devrait préoccuper votre comité.

Quatrièmement, des mesures doivent être prises pour atténuer toute incidence négative.

Notre compréhension des processus d’érosion des sols et des processus de conservation des sols a beaucoup évolué au cours des 30 dernières années au regard de la contribution potentielle des nouvelles technologies à une utilisation durable et responsable des sols. Nous savons maintenant qu’il est essentiel de se pencher sur les mouvements du sol, d’après ce que nous avons appris sur l’érosion due au travail du sol, en plus de la couverture de résidus de culture pour réduire l’érosion du sol sous l’effet de l’action du vent et de l’eau. Ces connaissances n’ont pas encore été intégrées à l’élaboration de l’équipement et des pratiques de gestion des sols ou encore de politiques et programmes gouvernementaux.

Le rôle que le gouvernement fédéral peut jouer dans la protection des sols est sans doute l’aspect le plus important de cet exposé. Le gouvernement du Canada, et plus particulièrement Agriculture et Agroalimentaire Canada, doit reprendre son rôle de chef de file dans la collecte et la coordination des données sur les sols et des renseignements connexes sur les ressources foncières. Cela comprend le recours à une équipe nationale d’employés permanents dans les domaines de l’analyse du terrain, des levés pédologiques, de la gestion des bases de données et de l’analyse SIG. C’est un rôle que seul le gouvernement fédéral peut jouer, mais qui a été totalement négligé.

En 1983, 135 personnes travaillaient sur ces questions; il n’y en a plus que sept. La semaine prochaine, il y en aura six, et il ne faudra pas attendre longtemps pour qu’il n’y ait plus personne. Il faut absolument se pencher sur cette question.

J’ajouterai une dernière chose. En tant que membre des Nations Unies, le Canada est assujetti à plusieurs objectifs de développement durable relatifs aux sols et à leur gestion durable. J’en dresse la liste dans mes notes d’intervention.

De plus, le Canada joue un rôle important au sein du Partenariat mondial sur les sols des Nations Unies et du Groupe technique intergouvernemental sur les sols. À mon avis, il s’agit d’initiatives internationales extrêmement importantes, mais le Canada est en mesure d’y contribuer bien plus que ce qu’il peut en tirer en ce qui concerne les sols et leur gestion. Sur ce, je rends le micro.

La présidente : Merci.

David Burton, professeur, Département de botanique, de bromatologie et de l’environnement, faculté d’agriculture, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup et merci de me donner l’occasion de témoigner devant le comité.

Dans mon mémoire, j’ai décidé de surtout parler des sols du Canada atlantique. Je crois que ces sols sont très menacés et qu’ils sont particulièrement susceptibles d’avoir une incidence sur l’économie rurale et l’environnement. Une bonne partie de ce que je vais vous présenter concerne également d’autres régions de l’Est du Canada.

Les matières organiques du sol, ou carbone du sol, sont un indicateur critique de la santé des terres. La perte du carbone contenu dans le sol représente non seulement le transfert de CO2 dans l’atmosphère, ce qui contribue au changement climatique, mais aussi un déclin critique de la fonction du sol, lequel entraîne une baisse de rendement. Donc, dans notre quête de solutions technologiques pour éliminer le CO2 de l’atmosphère, nous ne devons pas oublier les plantes qui constituent le système ultime d’élimination du carbone de l’atmosphère, le sol étant l’entrepôt ultime de ce carbone.

La matière organique contenue dans le sol est essentielle à la fonction physique, chimique et biologique des sols.

La Série sur les indicateurs agroenvironnementaux d’Agriculture Canada documente la diminution du carbone dans les sols du Canada atlantique et, dans de nombreux cas, indique que plus de 1,2 tonne par hectare de carbone a été perdue au cours des 30 dernières années.

La mesure directe du carbone présent dans le sol sur une période de 18 ans — mesure réalisée dans le cadre du projet sur la qualité du sol à l’Île-du-Prince-Édouard — a confirmé ces constatations qui démontrent que 56 p. 100 de la superficie de l’Île-du-Prince-Édouard a subi une perte organique de 1 p. 100 ou plus, ce qui équivaut à une demi-tonne de carbone par hectare par année.

Ce déclin a entraîné un déplacement de l’activité forestière vers l’agriculture, des cultures vivaces vers les cultures annuelles, ainsi qu’une augmentation de l’intensité du travail du sol. Ces pratiques ont réduit la durée de la croissance active des plantes dans le sol et en surface, et elles ont perturbé les systèmes racinaires qui sont les principaux responsables de la production de matières organiques. Il n’est pas surprenant que cela se soit traduit par une diminution du rendement de nos sols et par une augmentation des impacts sur l’air et l’eau environnants.

L’industrie de la pomme de terre au Canada atlantique est un excellent exemple de ce que les systèmes de culture peuvent faire à notre sol et des solutions novatrices dont nous avons besoin pour rendre ces systèmes plus durables et plus résilients aux changements climatiques.

L’un des effets du déclin de la santé des sols au Canada atlantique est que les rendements de pommes de terre ont stagné au cours des trois dernières décennies, contrairement à d’autres régions du pays où ils ont augmenté. Cela désavantage l’industrie de la pomme de terre de l’Atlantique sur le plan économique.

Un autre symptôme de la mauvaise santé des sols au Canada atlantique est l’accumulation d’éléments nutritifs, plus particulièrement l’azote. Au Canada atlantique, la majorité des pertes d’azote se produisent pendant la période où il n’y a pas de culture, soit d’octobre à mai. Les pratiques de gestion de l’azote qui limitent la quantité de nitrate qui reste dans le sol après la saison de végétation, appelé azote résiduel du sol, permettront de réduire les émissions d’oxyde nitreux pendant l’hiver, comme les gaz à effet de serre, ainsi que le lessivage des nitrates dans les eaux souterraines, une préoccupation dans la province de l’Île-du-Prince-Édouard. L’azote résiduel du sol augmente et a atteint des niveaux élevés, voire très élevés, partout dans la région de l’Atlantique, ce qui est très préoccupant.

Au cours des dernières années, l’Université Dalhousie a étudié la santé des sols du Canada atlantique afin de déterminer son état actuel et de cerner les pratiques de gestion qui peuvent améliorer la santé des sols. Parmi les pratiques culturales qui peuvent faire augmenter les matières organiques du sol, mentionnons le fait de ne pas laisser le sol nu. En effet, il doit toujours y avoir de la végétation sur le sol pour absorber les éléments nutritifs, relâcher les exsudats racinaires, nourrir les populations microbiennes, ralentir le ruissellement et retenir les agrégats du sol ensemble. Les rotations prolongées, notamment l’utilisation plus fréquente de cultures vivaces, améliorent la santé des sols.

Nous devons aussi réduire les perturbations de nos systèmes. Le travail du sol perturbe les agrégats du sol et expose la matière organique à la décomposition. La réduction de la fréquence ou de l’intensité du travail du sol réduira la décomposition de la matière organique existante et, par conséquent, ralentira sa diminution.

Nous devons également tenir compte des ajouts de matière organique. La matière organique du sol peut être augmentée des pratiques de renvoi des résidus organiques dans le sol, comme la gestion des résidus de culture, le choix de cultures dotées de systèmes racinaires étendus et l’épandage de fumier animal, de compost et d’autres déchets organiques.

Il est également très important d’accroître l’efficacité de l’utilisation des éléments nutritifs. Cette pratique est importante tant du point de vue de l’agronomie que de l’environnement. L’industrie des engrais a fait montre de leadership à cet égard en élaborant un programme de gérance des éléments nutritifs à quatre volets. Il faut premièrement choisir le bon produit, deuxièmement l’appliquer au bon taux, troisièmement le faire au bon moment et quatrièmement le faire au bon endroit pour accroître l’efficacité de l’utilisation des éléments nutritifs.

Les émissions d’oxyde nitreux provenant de l’agriculture — encore une fois, un gaz à effet de serre — dans le Canada atlantique sont étroitement liées à l’accumulation de nitrate dans le sol. Pour satisfaire les besoins d’azote des cultures tout en limitant l’accumulation de nitrate dans le sol, il faut comprendre et quantifier l’apport en azote du sol. Au cours de la dernière décennie, nous avons mis au point des outils pour mesurer l’apport en azote dans les sols du Canada atlantique et pour prévoir les répercussions des changements climatiques sur l’apport en azote des sols.

Comme d’autres l’ont mentionné, l’une des raisons pour lesquelles nous nous trouvons dans cette situation aujourd’hui est que nous avons cessé d’évaluer l’état de nos sols et d’en faire rapport. On a mis l’accent sur les produits agricoles de sorte qu’on a omis de s’assurer que les ressources qui produisent ces produits soient viables. Les indicateurs environnementaux de l’agriculture dont il est question ici sont en grande partie le résultat de modèles de simulation, fondés principalement sur l’information tirée du recensement agricole, et non le résultat d’une évaluation directe. Nous devons accroître l’évaluation directe de l’état de nos sols afin que ces renseignements puissent servir de base à notre gestion des sols. La collecte de données sera essentielle pour cerner les préoccupations et étayer les solutions.

Par exemple, nous avons mis au point un moyen d’évaluer la capacité biologique d’approvisionnement en azote du sol dans le Canada atlantique. Notre approche comporte quatre éléments : un test d’apport en azote du sol qui sert à mesurer la capacité des sols à fournir de l’azote; une fonction de minéralisation de l’azote qui tient compte des répercussions du climat sur l’apport en azote; l’évaluation du risque de perte d’azote, qui est un moyen efficace d’évaluer la synchronisation entre les besoins en azote des plantes et l’apport en azote du sol; et, enfin, l’azote résiduel dans le sol, c’est-à-dire la quantité d’azote qui reste à l’automne pour vérifier si nous avons atteint notre objectif.

Il ne suffit pas de savoir ce qu’on doit faire; il faut s’assurer que les producteurs ont à leur disposition les moyens pour le faire. Le marché international des produits agricoles ne tient pas compte du coût lié à l’intendance des sols. Il est donc difficile de refiler la facture de la conservation des sols aux consommateurs. Diverses initiatives de l’industrie alimentaire, comme Field to Market, ont le potentiel d’offrir ce mécanisme, mais il n’est pas clair si les producteurs primaires peuvent réellement influencer son développement.

Le coût de la gestion durable des sols ne peut être assumé uniquement par le producteur. La société dans son ensemble et les consommateurs en particulier doivent assumer le coût véritable du maintien de notre système de production alimentaire. Le gouvernement doit adopter des politiques pour appuyer les producteurs dans ces efforts. Les outils stratégiques, comme le Protocole de réduction des émissions d’oxyde nitreux, permettent de créer des crédits échangeables pour l’adoption de pratiques qui réduisent les émissions d’oxyde nitreux. Ils sont également essentiels pour encourager l’adoption d’approches novatrices, et notre politique sur le carbone doit en tenir compte.

Merci beaucoup.

La présidente : Merci. Nous allons maintenant entendre l’exposé de Mme Ferguson.

Gabrielle Ferguson, agronome, à titre personnel : Honorables sénateurs du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, je vous remercie de me donner l’occasion de venir m’adresser à vous en tant qu’agronome indépendante au sujet de l’état des sols au Canada. Mes opinions sont les miennes et ne représentent pas celles de mes employeurs actuels ou passés.

De 2000 à 2011, le Canada a perdu 220 000 hectares de terres agricoles cultivables à cause de l’établissement urbain. Au Canada, 0,5 p. 100 des terres sont des terres agricoles de catégorie 1, soit les plus productives. De 70 à 85 p. 100 des terres agricoles canadiennes qui sont urbanisées entrent dans la catégorie 1.

Avec la diminution des terres agricoles, la gestion des sols est la clé d’une agriculture durable. Les propriétaires fonciers peuvent changer positivement la situation au cours de leur vie. En retour, les Canadiens bénéficient de la sécurité alimentaire et d’un environnement sain.

Pour une prise de décisions judicieuses, il est possible d’utiliser plus efficacement les données existantes sur la gestion des sols si elles sont regroupées, analysées et diffusées. De plus, le secteur agricole peut faire appel à des leaders locaux qualifiés pour du mentorat entre les pairs afin de renforcer l’adoption de pratiques bénéfiques de gestion du sol, les compétences connexes et la confiance à l’égard de celles-ci. Une stratégie de gestion des sols ciblée et par priorité pour le Canada peut contribuer à l’adoption de pratiques de gestion durable des sols dans divers systèmes de production agricole dans différentes régions géographiques.

Des facteurs complexes liés aux sols et à l’économie empêchent certains agriculteurs de protéger les sols. À titre d’exemple, la rotation diversifiée des cultures permet d’augmenter la stabilité des rendements et la résilience dans des conditions d’humidité extrême. De plus, elle permet d’augmenter l’efficacité des éléments nutritifs, ce qui crée des avantages économiques. Malgré tout, les agriculteurs continuent de procéder à une rotation simple, car ils croient qu’elle est plus avantageuse.

De plus, il est possible de remédier à la forte érosion des tertres causée par le travail du sol en utilisant des sols provenant de zones de dépôt et en ayant recours au semis direct et à la culture de protection. Cependant, il s’agit d’une situation rare, puisque certains agriculteurs continuent de cultiver des sols improductifs, ce qui a des effets économiques et environnementaux de plus en plus néfastes. Les cartes de productivité créées à l’aide de données agricoles de précision peuvent circonscrire ces zones improductives afin qu’elles puissent être assainies, retirées ou transformées pour la pollinisation de l’habitat ou pour d’autres utilisations bénéfiques. Il est difficile d’amener les agriculteurs à utiliser ces cartes.

Par le passé, avec l’ajout de la surveillance de la qualité de l’eau en hiver, on a découvert que la perte de sol et d’éléments nutritifs dans les champs agricoles était plus importante pendant la saison de croissance que pendant les autres saisons. Les cultures de protection peuvent protéger les sols pendant cette période, mais pour certains agriculteurs, ce changement de système de production est significatif et potentiellement risqué. L’encadrement par les pairs aide à prévenir les erreurs coûteuses et constitue un moyen efficace de soutenir les mesures prises dans les programmes environnementaux.

Pour comprendre comment l’agriculture peut changer le cour des choses grâce à une bonne gestion des terres, nous devons savoir ce qui se passe où et quand. Un processus coordonné de collecte et de synthèse de données de précision sur les lieux peut aider. L’entrée d’information propre au site dans des modèles prédictifs peut fournir les prévisions nécessaires pour établir l’ordre de priorité et cibler les mesures sur ceux qui ont le plus grand potentiel de réduire ou d’inverser la dégradation du sol et de protéger la qualité de l’eau.

Les agriculteurs canadiens connaissent bien les grandes quantités de données recueillies sur le terrain à l’aide d’outils agricoles de précision. Toutefois, souvent, ces données ne leur appartiennent pas. Ce sont les sociétés privées, comme les fournisseurs de matériel agricole, qui le font. Par conséquent, l’accès aux données agrégées sur les sols et la gestion propres au paysage peut être limité pour les chercheurs, les décideurs et d’autres personnes.

Le Service d’information sur les sols du Canada existe, mais il doit être mis à jour. Il est également fondé sur des cartes provinciales d’arpentage des sols, dont certaines n’ont pas été mises à jour depuis le milieu du siècle. Certains efforts sont en cours pour la mise à jour des cartes à l’aide de la modélisation cartographique prédictive, de l’apprentissage automatique et des données télédétectées, mais il reste d’importantes lacunes, en particulier dans les régions agricoles.

L’expertise des sols diminue au Canada depuis les années 1980. Maintenant, seule l’Université de la Saskatchewan a un programme consacré spécifiquement à la science des sols. Par contraste, aux États-Unis, plus de 400 spécialistes des sols travaillent au Natural Resources Conservation Service. Un inventaire national des ressources permet de surveiller l’état des terres cultivées et des pâturages grâce à des opérations régulières de travail du sol et à des évaluations ponctuelles. Il s’agit de la base biophysique sur laquelle les enquêtes sur la productivité et l’économie ont été lancées et modélisées pour l’évaluation des retombées des programmes de conservation à l’échelle nationale.

À une échelle beaucoup plus petite, Agriculture et Agroalimentaire Canada tente de caractériser les systèmes de production agricole pour déterminer leur capacité d’améliorer les sols en Ontario. Un système national exhaustif de mesures de rendement clés qui permet de surveiller l’état de santé des sols pourrait accroître le rendement des investissements dans la gestion des sols et envoyer aux propriétaires fonciers une évaluation positive qui leur permettra de voir qu’ils peuvent concrètement changer les choses.

AAC a élaboré des indicateurs environnementaux nationaux pour le sol de couverture, l’érosion du sol, la matière organique du sol et la salinisation du sol, qui sont tous d’importantes caractéristiques de la santé du sol. AAC élabore également d’autres mesures d’intervention, comme l’agrégation des sols et des méthodes pour suivre l’évolution de la santé des sols suivant les changements dans la gestion des sols.

Pour inverser la dégradation des sols au Canada, il faudra prendre des mesures sur la plupart des terres. Moins de 1 p. 100 des Canadiens sont des exploitants agricoles; cependant, ils contrôlent la majorité des terres privées, là où il est le plus possible d’apporter des changements positifs. Merci.

La présidente : Merci de votre exposé. Nous allons maintenant entendre M. MacLeod.

Cedric J. MacLeod, directeur général, Association canadienne des plantes fourragères : Merci beaucoup, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. C’est certainement un honneur.

Avant de commencer, je tiens à dire que la protection du sol me tient à cœur depuis que j’ai commencé l’université en 1995. Vous remarquerez que je ne suis pas de la même génération que la plupart des gens ici aujourd’hui, mais la plupart de ces personnes, à l’exception de Gabrielle, dont je suis heureux de faire la connaissance, ont eu une influence profonde sur mon monde par leur enseignement et leur mentorat. C’est certainement un honneur d’être assis à la même table que ces gens.

Je suis ici pour représenter l’Association canadienne des plantes fourragères. Nous sommes un organisme assez nouveau au Canada. Nous existons depuis neuf ans. Nous représentons les intérêts des producteurs de plantes fourragères d’un océan à l’autre.

En général, quand on pense aux producteurs de plantes fourragères, on pense aux graminées, légumineuses, luzerne, fléole des prés et ainsi de suite. Nous avons des producteurs de lait, de bœuf, de bison et de mouton, mais nous avons aussi une industrie d’exportation de plantes fourragères assez bien établie au Canada. Nous expédions du foin sec partout dans le monde, notamment au Moyen-Orient, beaucoup dans les Corées et certainement dans le Midwest américain. Voilà qui je représente aujourd’hui.

Vous vous demandez peut-être ce que les plantes fourragères ont à voir avec la santé et la conservation des sols. Permettez-moi de vous donner un aperçu de leur importance.

Les plantes fourragères sont les plantes qui entrent dans la rotation des cultures. Chacun des témoins a parlé de l’importance de la rotation des cultures et du maintien des résidus dans ces systèmes. Nous avons environ 34 millions d’acres de fourrages cultivés, qui seraient gérés activement, au Canada. Cette superficie représente 39 p. 100 de l’assise territoriale totale de la production agricole canadienne.

La deuxième culture en importance est le blé. Le blé occupe 20,4 millions d’acres, soit seulement 23 p. 100 de l’assise territoriale. L’importance de l’industrie des plantes fourragères est 13 p. 100 supérieure à celle de l’industrie du blé, ce qui est considérable. Ce n’est là que l’un côté de la médaille.

L’autre est que 36 millions d’acres de plantes fourragères sont situés sur ce que nous appelons des parcours naturels ou non améliorés. Ces parcours commencent en général par la Colombie-Britannique, dans les pâturages de la chaîne de montagnes, en passant par le sud de l’Alberta, le sud de la Saskatchewan en passant un peu par le Manitoba. Si vous avez entendu parler du triangle de Palliser, vous savez qu’il s’inscrit dans ces parcours naturels non améliorés. Il y a 36 millions d’acres de terres de plantes fourragères là-bas. En tout, on parle de 70 millions d’acres, soit plus de trois fois la superficie de l’industrie canadienne du blé. Nous pouvons donc avoir une très grande influence sur les sols.

Si vous regardez ce qui s’est passé depuis la dernière période glaciaire, les surfaces pastorales de l’Ouest canadien ont laissé un patrimoine de carbone du sol que nous essayons maintenant de protéger et de maintenir. À mesure que ces graminées poussaient d’année en année, les bisons et les buffles se promenaient dans les Prairies, mangeaient l’herbe puis y laissaient leur fumier. Les sols absorbaient ce fumier et ces résidus. La matière organique du sol ainsi créée risque maintenant d’être perdue. Lorsque nous sommes arrivés dans les Prairies, c’est la matière organique créée par les graminées qui nous a permis de nous établir dans ces Prairies et de mettre au point les systèmes que nous avons maintenant. Les surfaces pastorales ont laissé un patrimoine important pour les prairies, et c’est pourquoi je suis ici.

Chaque membre du groupe a parlé de la perte de terres cultivées. Pour ce qui est de l’industrie des plantes fourragères, nous avons perdu environ 3 millions d’acres de fourrage lors du dernier recensement. De 2011 à 2016, nous avons perdu 3 millions d’acres de plantes fourragères dans nos systèmes. Selon l’endroit où vous vous trouvez au Canada, cette perte représente entre 1 et 3 millions de tonnes de CO2, selon la méthode de calcul utilisée.

Nous savons que ces surfaces pastorales emmagasinent le carbone à long terme et que le fait de les transformer en systèmes de culture annuelle, dans bien des cas, libère ce carbone. Nous savons pourquoi ce phénomène se produit. Les troupeaux de bovins de boucherie et de bovins laitiers diminuent. Nos systèmes de production s’améliorent. Les prix des produits de base ont également fait un bond, ce qui a fait en sorte que l’on se concentre davantage sur les cultures annuelles — canola, soya, blé et maïs — et non sur les plantes fourragères. Or, nous assistons à une montée de l’intérêt dans l’industrie des plantes fourragères et dans les secteurs de l’élevage. C’est mon premier point.

Deuxièmement, je tiens à souligner la valeur des biens et services écologiques créés par l’industrie des plantes fourragères. Une étude de 2012 commandée par l’Association canadienne des plantes fourragères a révélé que, en Saskatchewan seulement, la valeur annuelle des biens et services écologiques créés par le secteur des plantes fourragères se situait entre un peu moins de 1 milliard de dollars et un peu moins de 2 milliards de dollars, soit une valeur de 1 à 2 milliards de dollars en biens et services écologiques créés chaque année en Saskatchewan seulement.

Que sont les biens et services écologiques? L’infiltration d’eau, dont ont parlé certains autres membres du groupe; la réduction de l’érosion du sol; la création d’un habitat pour les espèces en péril et d’autres, donc la conservation de l’habitat; et certainement, comme je l’ai déjà mentionné, la séquestration du carbone, qui est un volet essentiel des discussions ces jours-ci puisque nous nous dirigeons vers une économie à faibles émissions de carbone et que nous essayons de nous adapter et de gérer les changements climatiques.

Il y a deux ans, l’Association canadienne des plantes fourragères a entrepris un ambitieux projet visant à créer un protocole qui nous permettrait de quantifier le carbone qui existe dans les prairies canadiennes d’un océan à l’autre. Nous reconnaissons qu’il y a là un stock de carbone important qui n’a pas été évalué ou quantifié et qui ne peut donc pas être monétisé. Certains autres témoins ont parlé de l’importance d’encourager une bonne gestion. Notre projet vise à comprendre toute son importance et à voir si nous ne pouvons pas élaborer des politiques et des programmes qui peuvent inciter les producteurs à garder les surfaces pastorales dans le paysage et à garder le carbone en lieu sûr pour le bien de tous les Canadiens.

Je suis heureux de constater que les responsables de l’un des plus grands producteurs de pétrole au monde ont communiqué avec l’association. Ils s’intéressent au travail que nous faisons. Ils examinent actuellement comment ils peuvent investir dans les surfaces pastorales canadiennes et comment ils peuvent utiliser les outils que nous avons créés pour stocker ce carbone à perpétuité. Pourquoi le font-ils? Nous comprenons tous pourquoi ils souhaitent le faire. Ce sont des émetteurs finaux réglementés. Ils doivent créer des mesures de compensation des émissions de carbone pour leurs émissions. Le secteur des surfaces pastorales est considéré comme une possibilité.

Nous envisageons également un projet d’envergure avec certains fonctionnaires du gouvernement fédéral pour maintenir certains des habitats essentiels qui sont présents dans le système canadien de culture des plantes fourragères en vue de favoriser la protection des espèces en péril. C’est un projet emballant à l’horizon.

Permettez-moi d’ajouter que certaines provinces ont établi des cibles de réduction des émissions de carbone. Elles m’ont dit qu’elles souhaitaient vivement voir comment nous pouvons utiliser le carbone stocké dans le sol des surfaces pastorales. Cependant, comme l’ont dit les autres témoins, nous ne disposons pas d’une surveillance suffisamment précise pour nous permettre de comprendre comment l’utiliser sans connaître la réalité sur le terrain.

Ce que nous voulons savoir, c’est comment utiliser une technologie d’imagerie satellitaire que nous savons disponible? Comment l’utiliser et l’appliquer à nos efforts de conservation et de quantification afin que nous puissions mieux comprendre comment la pratique évolue au fil du temps dans le paysage? C’est un élément essentiel.

Le troisième point que je veux souligner est que nous assistons à un regain d’intérêt pour la réintégration des systèmes de production animale et végétale. Avec l’évolution de l’industrie, nous sommes devenus très spécialisés. Nous sommes soit producteurs de maïs, de blé, de soja ou de canola, soit producteurs de bétail. Nous avons divisé en grande partie ces deux composantes du secteur agricole ce qui, par le passé, un passé pas si lointain. Don peut en témoigner ainsi que David avec ses histoires sur les pulvérisateurs utilisés sur le maïs à l’époque, à la ferme, mais je m’écarte du sujet.

Il y avait du fumier, des plantes fourragères et des cultures annuelles dans ces systèmes; ces trois composantes étaient liées entre elles. Lorsque nous nous sommes spécialisés, nous avons dissocié ces éléments et nous avons perdu certaines des synergies.

Gabrielle a parlé des systèmes de cultures de protection dans nos systèmes de cultures annuelles. Les éleveurs de bétail ont dit qu’ils souhaitaient réellement utiliser ces cultures de protection pour le pâturage. Je sais qu’ils ne veulent pas nécessairement avoir du bétail dans leur exploitation agricole pendant toute l’année, mais si j’ai du bétail et qu’ils ont les aliments, alors peut-être que nous pouvons travailler ensemble? C’est un nouveau modèle d’agriculture mixte où il n’est pas nécessaire d’avoir toutes ces entreprises sur la ferme en même temps. Nous pouvons toujours nous spécialiser, mais nous revenons à une approche de collaboration pour gérer le paysage.

Je tiens à mentionner que M. Brian McConkey, d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, a indiqué que les zones dégradées du paysage, dont David a parlé, présentent le plus grand potentiel de stockage du carbone, de réintroduction du carbone dans le système. Je pense qu’il est possible de cibler ces secteurs. Grâce à nos systèmes de surveillance du rendement, nous avons la capacité de déterminer les zones où un approvisionnement supplémentaire en carbone est nécessaire et celles qui seraient les plus adaptées pour le stockage supplémentaire du carbone, mais nous devons travailler ensemble et nous réunir pour utiliser les technologies dont nous disposons afin de cibler les zones du paysage où nous pouvons obtenir le plus d’avantages. Je pense que lorsque nous commencerons à réintroduire le fumier du bétail dans les plantes fourragères, les céréales et ainsi de suite, nous allons retrouver cette synergie entre le sol et le fumier et vraiment faire avancer les choses.

Pour résumer certains des défis à relever pour renverser la vapeur, je dirais que nous avons subi une perte assez importante de services d’encadrement partout au Canada, tant à l’échelle provinciale que nationale. Je suis en quelque sorte à mi-carrière et j’ai vu ce déclin; je suis là depuis assez longtemps pour le constater.

La tendance que je vois dans le paysage avec les producteurs, c’est que si nous ne leur rappelons pas constamment l’importance de la qualité du sol et de la santé ainsi que l’adoption de nouvelles technologies, ils ont tendance à revenir à ce qu’ils savent et ce qu’ils savent est ce que grand-père leur a appris. C’est compréhensible. C’est de cette façon dont ils ont été élevés. Toutefois, si nous ne prenons pas les méthodes de gestion avancée des systèmes de culture et ne les mettons pas dans une assiette directement devant les producteurs pour qu’ils puissent les prendre et les utiliser, nous continuerons de reculer par rapport aux succès dont David a parlé, qui se sont produits il y a plusieurs décennies avec l’adoption de systèmes de culture de conservation.

Enfin, je tiens à répéter que, selon moi, nous avons les technologies pour la surveillance et le suivi. Nous ne les utilisons toutefois pas efficacement. Nous avons parlé de la surveillance qui doit se faire par l’intermédiaire d’Agriculture et Agroalimentaire Canada et nous avons parlé de la surveillance qui se fait dans les fermes. Il est essentiel de continuer d’insister sur l’importance de la santé des sols et de la gestion adaptée à chacun des sites pour que nous puissions aller de l’avant et commencer à faire le suivi de certains progrès. Merci beaucoup de votre temps et de votre invitation.

La présidente : D’accord. Merci. J’aimerais remercier tous les témoins de leurs exposés très réfléchis.

Avant de passer aux questions, j’aimerais attirer l’attention des sénateurs et sénatrices sur un des documents qui leur ont été remis. Il s’agit d’un mémoire de Christine Brown, du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario. Il se trouve parmi les documents que vous avez reçus. Nous avons reçu beaucoup de précieux renseignements aujourd’hui.

Le sénateur Mercer : Merci d’être des nôtres. C’est le début de notre discussion sur la santé des sols. J’ai appris il y a longtemps de ne jamais essayer de limiter la durée de nos études, parce que j’ai proposé une étude de deux mois sur la santé des abeilles et que, deux ans plus tard, nous venons de terminer l’étude sur la santé des abeilles. Nous ne savons pas exactement où cela va nous mener, mais vous nous avez donné une bonne base.

J'aimerais poser une question simple. Nous ne vous reverrons pas dans le cadre de cette étude avant un certain temps, seulement si nous faisons une étude complète à l’automne. Il y a des possibilités qui s’offrent à nous de remplacer ces terres qui ne peuvent plus être utilisées pour les cultures, car des condos y ont été construits, et cetera, une préoccupation dans tous les centres urbains du pays. Bien qu’au Canada atlantique, nous ne faisons que retirer des roches de la production, parce qu’il y a beaucoup de roches sous notre sol.

Quant à vos observations sur les installations agricoles verticales; nous en avons visité plusieurs, dont un grand nombre de serres sur les toits à Montréal. Le reste du bâtiment est utilisé à d’autres fins, mais sur le toit, il y a une serre qui produit des aliments de qualité. Dans le cas de la serre que nous avons visitée, il y avait un système unique de livraison de légumes frais aux gens de la grande région de Montréal qui leur permet de ne plus aller à l’épicerie.

Est-ce que, par ces initiatives, nous pouvons être créatifs dans la façon dont nous cultivons les cultures? Sur toutes ces grandes terres en Ontario, de Toronto jusqu’à Windsor, en passant par Niagara, il y a beaucoup de condos de nos jours. Nous n’allons pas démolir les condos pour planter des plantes. Est-ce qu’il s’agit d’une solution ou d’une partie de la solution?

M. Burton : En fait, je suis un Lufavore. Je passe une partie de mon temps à Montréal. Je suis abonné à l’un des systèmes de culture dont vous avez parlé et je pense qu’ils ont une place importante, mais rationnellement il n’y a que certains types de cultures et de produits alimentaires qu’ils peuvent fournir, comme les laitues et ce genre de choses. Je crois toujours que l’agriculture basée sur le sol a un rôle essentiel à jouer dans la production de blé, de céréales et de ce genre de choses. Je pense que ces possibilités sont complémentaires et qu’il est possible, plus particulièrement, d’exploiter ces toits et des secteurs de la ville où nous pouvons capter une partie du carbone et le transformer en nourriture.

M. Don Lobb : Je vois un réel avantage à ce genre de production alimentaire, parce qu’elle aide les gens à mieux comprendre comment leurs aliments sont produits et d’où ils proviennent.

En ce qui concerne le remplacement d’une partie importante de notre production alimentaire, j’ai certaines préoccupations, car ce type de production est certainement limité à une courte saison. Nous n’allons pas pouvoir produire de la nourriture toute l’année, et cette option limiterait certainement la variété de notre alimentation.

De plus, il faudra ajouter des éléments nutritifs. On ne pourra pas récupérer les éléments nutritifs du sol comme on le ferait dans un système normal de production de grandes cultures. C’est également une préoccupation.

Le sénateur Mercer : Il me semble que la technologie qui est mise au point... Nous avons parlé d’une ferme à Guelph dont la technologie a été mise au point en Nouvelle-Écosse et qui est maintenant mise en production en Ontario. Toutes ces possibilités sont bonnes.

Je maintiens que la production de légumes de qualité peut se faire toute l’année dans une serre convenable. Nous allons donc en produire plus.

Je suis le principal responsable de l’épicerie dans ma famille. Je le suis depuis 47 ans. La chose que je vérifie maintenant et que je ne vérifiais pas avant quand j’achète un légume, c’est son origine. Avec le système politique actuel, je ne suis pas enclin à acheter de la nourriture américaine. Il peut faire toutes sortes de choses à mes concitoyens, mais je ne l’aiderai pas en achetant ses produits agricoles. Je vais acheter des produits du Mexique, au besoin. Or, je préfère acheter des produits canadiens cultivés en serre.

Il me semble que la technologie qui est mise au point par cette entreprise à Guelph... Pouvons-nous l’exporter dans d’autres pays qui ne peuvent pas ou qui n’ont pas été en mesure de produire des légumes frais pour leur population?

M. MacLeod : Je vais essayer de répondre rapidement. Je veux insister sur ce que David a dit. Il n’y a que certaines cultures qui peuvent être cultivées dans ce type de système de culture. J’étais en route vers l’aéroport ce matin à 4 heures, et il y avait un reportage à ce sujet à CBC. Ils parlaient précisément des installations dont vous parlez. Ils ont notamment parlé des systèmes de biosécurité qui ont été mis en place à Guelph et qui permettent de vendre ces produits sans avoir à les laver.

Donc quand vous parlez d’exporter ces produits dans des endroits comme Abou Dhabi, où j’étais en février dernier, je peux dire que j’ai été vraiment frappé par cette civilisation immense au milieu du désert qui n’a pas la capacité de produire de la nourriture pour elle-même. Je pense qu’il y a vraiment des débouchés possibles pour l’exportation de certains produits.

Cependant, je voulais mentionner que ces systèmes ont une capacité limitée, car ils permettent de produire seulement des cultures particulières. Des cultures à haute valeur nutritive, oui. Des cultures locales, oui. Prenons par exemple les légumes racines que nous avons vus dans le Canada atlantique et qui ont vraiment une incidence sur la santé du sol, ce genre de cultures ne pourraient pas être cultivées dans ce genre d’installations. Ce genre de cultures contribue vraiment à beaucoup des problèmes que nous avons vus ici.

Bien que je pense qu’il s’agisse d’une partie de la solution et d’une possibilité d’exportation, il est essentiel de mettre l’accent sur la culture des légumes racines que nous avons ici au Canada.

M. David Lobb : Je vous remercie pour vos remarques et je comprends votre sentiment, car je suis également la personne qui achète les aliments dans ma famille. Je m’intéresse aux aliments et à leurs origines.

Encore une fois, je suis d’accord avec mes collègues pour dire qu’il s’agit d’un très faible pourcentage de l’ensemble des aliments produits en agriculture, un très petit pourcentage. Cette solution est censée pour diminuer notre dépendance aux autres pays pour les aliments ou pour apporter de la nourriture au Nord ou dans des régions éloignées. C’est un marché très spécialisé. Il y a peu de cultures, un très faible pourcentage.

Pour ce qui est d’être en mesure de concurrencer des endroits qui peuvent produire ce genre de cultures sans ces installations, il serait extrêmement difficile de justifier ces cultures sur cette base. Vous pouvez le faire en vous appuyant sur la dépendance à la production externe, mais il semble un peu irréaliste de pouvoir en faire de l’exportation.

M. Burton : J’ai une dernière petite observation à faire. Les débouchés pourraient venir de l’exportation de la technologie plutôt que du produit. L’un des avantages, c’est que vous obtenez des produits frais locaux. Quand j’achète ma laitue, elle pousse encore. Le véritable créneau, c’est le très faible kilométrage parcouru entre la production et la consommation en très peu de temps.

Mme Ferguson : Je me demande si c’est une situation où il faut faire un choix entre l’un ou l’autre. Si ce n’est pas le cas, alors je pense que c’est une occasion d’affaires qui permettrait d’ajouter de la variété à certains régimes alimentaires.

Le mécanisme d’entrée est l’importation. Vous importez de l’eau, du sol, des engrais et tous les mécanismes de lutte antiparasitaire dont vous avez besoin. S’il faut choisir entre l’un ou l’autre, j’investirais mon argent dans l’assainissement des sols pour qu’ils se régénèrent sur place. Tout dépend de la situation.

Le sénateur Mercer : Merci. Je tiens à rappeler à tout le monde, y compris à vous, madame la présidente, que c’est formidable d’être Néo-Écossais. Nous ne pourrions être trop autour de cette table.

La présidente : Je suis d’accord. Ma mère venait de la Nouvelle-Écosse, un petit endroit appelé Sheet Harbour.

Le sénateur R. Black : Merci, Gabe et messieurs, de vous être joints à nous. Je tiens à dire qu’il est malheureux que notre sixième témoin n’ait pas pu venir. Comme nous le savons tous, cette décision a été prise par le gouvernement provincial de la province où je vis. J’encourage toutefois les sénateurs à consulter le mémoire écrit. Je considère également Christine Brown comme une experte en la matière.

Je tiens également à signaler à mes collègues que l’un de nos témoins a pris la parole, je crois, au cours de la dernière étude importante sur les sols, qui a eu lieu à la fin des années 1970 ou au début des années 1980. Si je ne m’abuse, monsieur Lobb, vous avez parlé devant le sénateur Sparrow et d’autres. Est-ce exact?

M. Don Lobb : J’avais écrit un mémoire à ce moment-là, mais il m’a ensuite invité à siéger au conseil d’administration qui a fondé Conservation des sols Canada, qui était le résultat de ce rapport. J’ai donc participé. Ma ferme a été utilisée comme étude de cas pour les mesures que nous pourrions prendre pour faire suite à ce rapport.

Le sénateur R. Black : Je voulais souligner à mes collègues le genre de témoins que nous avons devant nous aujourd’hui.

J’ai un certain nombre de questions, mais je vais m’en tenir à quelques-unes. Certaines de mes questions portaient sur les données, alors je vais les laisser à mon collègue.

Ma première question porte sur une publication que j’ai vue sur Twitter la semaine dernière à l’occasion de la Semaine nationale de la conservation des sols, où on pouvait lire que les agriculteurs sont 10 p. 100 plus susceptibles de planter des cultures de protection sur des terres qui leur appartiennent que sur des terres louées, à moins qu’ils s’attendent à louer des terres pendant plus de cinq ans et que leur propriétaire soit également un agriculteur.

Comment pouvons-nous inverser cette tendance pour que plus de gens envisagent d’utiliser des cultures de protection, peu importe s’ils louent, possèdent ou louent les terres moins de cinq ans?

M. Don Lobb : D’une façon ou d’une autre, nous devons inciter les propriétaires fonciers à exiger que leurs terres soient gérées de façon durable.

Le sénateur R. Black : Un bâton ou une carotte, l'un ou l’autre.

M. Don Lobb : J’en ai parlé dans mon exposé. J’ai donné l’exemple de quelque chose que nous pourrions faire en Ontario qui a précipité une étude de quatre ans sur la santé des sols, et c’était d’avoir un incitatif lié au régime d’imposition foncière. Si une propriété était gérée à l’aide de pratiques qui, nous le savons, améliorent la santé du sol, le taux d’imposition foncière serait réduit. Autrement, le taux d’imposition serait plus élevé qu’il ne l’est actuellement. Les terres agricoles de l’Ontario sont taxées à 25 p. 100 du taux commercial, si elles sont utilisées pour la production végétale.

Ce serait un exemple du genre de mesures qui amènerait le propriétaire à réfléchir à la façon dont ses terres sont gérées chaque année.

M. Burton : C’est l’une des raisons pour lesquelles je pense que nous devons nous fier davantage aux évaluations. Lorsque nous évaluons la valeur d’une propriété, nous regardons généralement simplement son emplacement et sa superficie. Nous n’avons pas de paramètres précis qui nous permettent de déterminer la qualité et la raison pour laquelle quelqu’un devrait payer un loyer particulier. Je pense qu’un locataire pourrait être beaucoup plus enclin à faire ces choses s’il sait qu’il peut améliorer la qualité et consigner cette amélioration et, par conséquent, redonner une valeur au propriétaire. Il s’agit donc en partie de pouvoir quantifier les répercussions de la gestion des terres.

M. MacLeod : Pour ajouter un mot à ce que Don a dit, je sais qu’à l’Île-du-Prince-Édouard, on offre des incitatifs financiers aux producteurs pour qu’ils établissent des cultures de protection l’hiver, alors c’est un investissement direct.

Étant donné que je travaille beaucoup dans le domaine de l’atténuation des changements climatiques et de l’adaptation à ces changements, et que je l’ai fait tout au long de ma carrière, je pense que c’est une occasion pour nous de peut-être considérer la culture de protection et la conservation des sols comme une directive à long terme sur la conservation des ressources. Je pense que notre climat nous force à le faire; nous assistons à des phénomènes météorologiques plus intenses.

Ce matin, au petit déjeuner, Don a dit que nos sols ne faisaient pas partie de l’agriculture, qu’ils ne constituaient pas une composante, mais qu’ils constituaient une ressource en soi, l’élément vital de la civilisation telle que nous la connaissons. Pouvons-nous recentrer nos investissements dans ces mesures de conservation et dire : « Mesdames et messieurs, nous devons garder les sols intacts. Nous savons que les conditions météorologiques seront difficiles. Nous savons que le temps sera plus humide, plus sec, qu’il changera plus rapidement et plus radicalement. Nous devons garder ces sols en place. » Y a-t-il une occasion pour nous d’utiliser les directives d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques pour nous assurer que nous investissons dans cette ressource du sol?

Le sénateur R. Black : J’ai proposé que le comité sénatorial entreprenne une étude plus vaste et à plus long terme sur les sols, étude qui, de toute évidence, devrait avoir lieu au cours de la prochaine législature. L’une des raisons pour lesquelles le comité se réunit aujourd’hui, c’est pour établir la portée de son étude afin de déterminer ce que nous ne savons pas et ce que nous devrions savoir.

De votre point de vue, si c’était le seul moment où nous parlerions des sols au cours des quatre prochaines années et si nous ne faisions pas une autre étude, qu’en diriez-vous? J’aimerais savoir ce que vous pensez de la nécessité d’une étude des sols. Ensuite, si c’était la seule occasion, quelles recommandations souhaiteriez-vous nous soumettre et que nous devrions transmettre? J’aimerais entendre tout le monde.

M. David Lobb : Je vais répondre en premier. Je crois fermement que cette étude est nécessaire, sinon je ne serais pas ici. Tout au long de ma carrière, au fil des ans, j’ai vu les progrès accomplis dans notre ferme en matière de risques pour le sol. Il est étonnant de voir à quel point nous en savons peu sur certaines choses vraiment importantes pour la gestion des ressources en sol.

J’ai inclus deux photos dans mon document et j’espère qu’elles illustrent vraiment ce qu’est la perte de sol. C’est très variable et cela entraîne des inefficacités, des problèmes économiques et ainsi de suite. Les bases de données sur les sols que nous utilisons pour faire des prévisions et effectuer toutes les activités de surveillance et de caractérisation dont nous avons parlé ne montrent pas ce que l’on voit sur ces photos.

Si nous voulons aller de l’avant et faire progresser la compréhension des sols dans son ensemble pour mieux faire face aux changements climatiques et générer des profits, et cetera, nous devons mieux comprendre les sols à l’échelle du paysage, sur le plan de la qualité de l’eau et à l’échelle du bassin hydrographique. Nous en savons très peu à ce sujet. Nous n’avons jamais consacré tellement d’argent, de temps ou d’efforts à ces questions.

Si nous voulons faire progresser ce programme de compréhension des sols, il faut examiner ce genre d’images et comprendre qu’il faut travailler à l’échelle du paysage ou du bassin hydrographique.

Le sénateur R. Black : Merci.

M. MacLeod : Je suis tout à fait d’accord. Faisons cela. C’est l’occasion pour nous d’examiner l’état de nos sols à la fois à l'échelon macroéconomique et à l'échelon microéconomique. Je le répète, grâce au suivi du rendement, nous avons mis en place les technologies nécessaires pour commencer à repérer ces éléments à la ferme, dans le paysage particulier que nous gérons.

Comment concilier ces deux ensembles de données, tant à l'échelon microéconomique qu'à l'échelon macroéconomique? À l'échelon microéconomique, on commence à parler de pratiques de gestion que les producteurs peuvent mettre en œuvre. Nous pouvons commencer à apporter des changements à la ferme.

J’ajouterais qu’il s’agit d’une occasion de créer une nouvelle base de référence de la couverture terrestre. Quelques provinces étudient la façon dont nous utilisons nos inventaires de fourrage pour faire face à nos obligations en matière de changements climatiques. Nous avons besoin de pouvoir évaluer tout cela. Ce type d’étude nous aiderait à comprendre la meilleure façon de faire aujourd’hui et nous permettrait de savoir comment suivre la situation à l’avenir.

Le sénateur R. Black : Merci beaucoup.

M. Burton : Je suis d’accord pour dire qu’il faut poursuivre les recherches. Il ne faut pas oublier que vous êtes peut-être l’une des rares voix à l'échelon fédéral qui soit en faveur de la conservation; la conservation en agriculture. Le rapport du sénateur Sparrow est un exemple de l’influence que peuvent avoir de tels rapports sur ce qui se fait dans le monde. Votre rôle est crucial et il faut le souligner.

M. David Lobb a notamment mentionné la nécessité pour Agriculture et Agroalimentaire Canada de prendre au sérieux la question de l’évaluation de l’état des sols. Le ministère a élaboré une remarquable série intitulée Série sur les indicateurs agroenvironnementaux, qui présente une excellente méthode de production de rapports sur l’état des sols. Je vous encourage à y jeter un coup d’œil, le rapport le plus récent remonte à 2016. Le problème, c’est que cela n’est pas tellement fondé sur des mesures, alors nous avons besoin d’outils qui permettent aux gens d’aller sur le terrain et de fournir des données réelles pour appuyer ces indices et ces indicateurs.

Je pense qu’il faut dire en haut lieu que c’est une priorité, parce que trop souvent, la discussion porte sur la valeur des produits et le poids relatif de tel groupe de producteurs par rapport à tel autre. Il n’y a pas de groupe de producteurs qui représente le sol. Vous êtes peut-être la seule voix.

M. Don Lobb : Oui, le Sénat a vraiment des antécédents extraordinaires lorsqu’il s’agit de parler du sol. Si j’ai bien compris, le rapport Nos sols dégradés est le document le plus largement diffusé jamais produit par le Sénat.

Le sénateur R. Black : C’est incroyable!

M. Don Lobb : Le Sénat a eu une grande incidence et a beaucoup changé ce qui se passait à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Je pense que c’est un extraordinaire défi et une très bonne occasion pour le Sénat d’agir de nouveau dans ce domaine, parce que beaucoup de choses ont changé depuis la publication du rapport initial. L’agriculture est une entité très différente de ce qu’elle était à l’époque.

Si je pouvais changer une chose en faveur de la protection de nos ressources en sol à l’avenir — et j’aimerais que le Sénat se penche là-dessus, mais je ne sais pas quelle incidence vous pourriez avoir —, je transférerais la responsabilité du sol de nos ministères de l’agriculture à un ministère des ressources. En effet, quand le gouvernement devra faire un choix, il tranchera toujours en faveur de la production de biens — les budgets sont limités et c’est à cela qu’ils seront destinés — plutôt que pour la protection des sols. C’est ce que je changerais. Si c’était combiné à l’eau et à la forêt, cela serait une bonne chose, car lorsque nous commençons à examiner les causes et les effets, il est difficile de vraiment les séparer.

Le sénateur R. Black : Merci.

Mme Ferguson : Sénateur Black, si nous ne pouvons pas mener une étude à plus long terme sur le sol, ou si c’était la seul occasion que nous ayons pour étudier les sols, je crois que ce qui manque serait d’inscrire cette étude dans une continuité de l’étude des sols. Si je regarde les plus importantes publications gouvernementales sur l’étude de la santé des sols, dans les années 1950 et 1960, l’accent était mis sur la performance économique des sols. Dans les années 1980, l’accent était mis sur la conservation des sols. Dans les années 1990, c’était sur le profit durable et les sols. En 2018, c’était sur la résilience du sol. Maintenant, alors que nous nous dirigeons vers 2020 et 2030, je pense que l’accent est mis sur l’information locale sur le sol et le contexte social.

Pour aller plus loin, j’utilise souvent les mots « quoi, quand et où ». Que se passe-t-il dans les sols? Où cela se passe-t-il? Quand cela se produit-il? Nous avons besoin de ces données pour établir des priorités. Si l’on omet ces analyses, sans ce continuum de l’évolution de la santé du sol, nous régressons. Si nous ne mesurons pas cette évolution, nous ne pouvons pas la gérer. Mes collègues l’ont déjà dit.

J'aimerais appuyer cette idée de contexte social, en plus de ce qui a déjà été dit. La planification de la relève dans les fermes, la transmission du sol, l’acceptabilité sociale. Ce n'est pas seulement auprès des agriculteurs, mais aussi de l’industrie et du gouvernement.

Je pense que nous devons entreprendre une étude plus approfondie. Sans quoi nous risquons de manquer l’occasion de mener une approche ciblée et priorisée des données locales combinée avec l’analyse de l’acceptabilité et du contexte social.

Le sénateur R. Black : Merci.

La présidente : Merci.

Le sénateur Oh : Merci, madame la présidente. Merci aux témoins pour ces excellents exposés. Nous avons beaucoup appris ce matin.

Lorsque je voyage à l’étranger, surtout en Asie, je constate une surpopulation, une surexploitation agricole et une exploitation à outrance des terres et maintenant ces pays sont confrontés au problème dont nous parlons. Les terres ont été surexploitées, mal gérées, surfertilisées et connaissent toutes sortes de problèmes. Leur terre ne s’est jamais reposée. Ils cultivent 24 heures sur 24 au fil des ans et des siècles. Que pouvons-nous apprendre d’eux?

Maintenant, il y a une surpopulation grandissante et, chaque fois que je me rends là-bas, on me dit que les terres sont si mauvaises que tout doit être importé de l’étranger. Le Canada est la principale source d’importation d’aliments en Asie.

Selon vous, que devrait maintenant faire le gouvernement? S’agit-il encore de séquestration du carbone dans la culture du soja? Quelles sont désormais les choses les plus importantes à faire pour l’humanité, pour les générations à venir?

M. David Lobb : Je suis allé en Chine et j’y ai fait de la recherche, alors j’ai conscience de la dégradation des sols dans ce pays. Je suis d’accord pour dire qu’il s’agit de la dégradation la plus grave qu’on puisse imaginer, car elle a lieu depuis longtemps.

Ce qui m’a frappé lorsque je travaillais avec les gens sur place et que je vantais les mérites de la conservation de l’eau au niveau des États, aux échelons provincial comme national, c’est qu’ils ne parlaient pas aux agriculteurs.

C’était intéressant. Dans le cadre d’une étude que nous faisions — comme l’image que j’ai montrée ici du beau paysage dégradé — les chercheurs regardaient l’érosion liée au travail du sol et ils étaient assez déconcertés par tout cela. J’ai expliqué ce phénomène aux agriculteurs. Ils savaient exactement de quoi je parlais et avaient déjà trouvé la solution, celle dont j’ai parlé dans mon exposé, qui consistait à ramener le sol au sommet de la colline. Ils savaient exactement comment gérer la situation. Le problème, c’est que les représentants de l’État, les agents de protection de la nature, les chercheurs, n’en avaient aucune idée parce qu’ils ne parlaient jamais aux agriculteurs.

J’en tire la conclusion qu’il faut, à l’avenir, faire participer la communauté agricole à ces discussions.

Nous voyons la même chose au Canada, peut-être pas des cas aussi dramatiques en ce qui me concerne, mais cela se produit partout au pays. Il y a des agriculteurs qui innovent tout le temps, mais les scientifiques et les bureaucrates sont coincés dans les années 1970 pour ce qui est de leur compréhension des systèmes et de la technologie. Il faut vraiment mobiliser les intervenants de première ligne, c’est-à-dire les agriculteurs. Je pense que si cela se fait, on peut aller de l’avant et espérer réussir.

M. MacLeod : Je vous remercie de votre question. Deux choses me viennent à l’esprit. Lorsque j’ai fait mes débuts dans le monde des consultants, j’ai commencé à travailler en étroite collaboration avec les associations de jeunes agriculteurs de tout le Canada. Je suis issu d’un service de vulgarisation qui se concentrait sur les producteurs expérimentés qui avaient le sentiment de stagner. Lorsque j’ai commencé à travailler avec de jeunes producteurs, c’était beaucoup plus vivant et les possibilités étaient nombreuses.

J’en suis venu à comprendre que c’était logique, compte tenu des différentes étapes de la vie. Lorsque nous sommes dans la trentaine et la quarantaine, nous avons soif de changement, nous voulons apprendre, grandir et changer le monde à long terme. Quand on atteint la quarantaine, la cinquantaine et la soixantaine, on devient plus récalcitrant, n’est-ce pas? Vous êtes installé. Vous avez construit votre projet et vous voulez désormais le faire fonctionner.

Je pense qu’il est essentiel de donner aux agriculteurs ces possibilités de formation en agriculture de conservation lorsqu’ils sont jeunes, comme cette personne qui est arrivée à l’Université Dalhousie. Je sais qu’à l’université, on met beaucoup l’accent sur l’enseignement de ces concepts. Nous devons continuer d’appuyer cela et le transmettre à la prochaine génération, de sorte que lorsque ces jeunes reviennent à la ferme, ils apportent de nouvelles idées qu’ils peuvent mettre sur la table en s’appuyant sur des données. Gabrielle Ferguson a mentionné l’importance du modèle de relève. Il est très important de s’assurer que cela se concrétise.

Le deuxième élément, je dirais, est un objectif à long terme. En parallèle à mes activités, je travaille aussi avec mon beau-père et nous travaillons à la succession. Nous vendons des semences. Des producteurs de pommes de terre m’appellent pour me dire : « J’aimerais réserver des semences de soya aujourd’hui. » Je réponds : « Nick, vous suivez une rotation de deux ans. Vous cultivez des pommes de terre une année et quelque chose d’autre l’année suivante, puis vous revenez aux pommes de terre. Alors devinez quoi? Je ne vais pas vous vendre de graines de soya. Je vais vous vendre un engrais vert que vous pourrez semer pour nourrir le sol, de sorte qu’il sera prêt pour le retour des pommes de terre l’année prochaine. »

Nous avons parlé de la dégradation à long terme qui se produit lorsque nous essayons de cultiver un produit. Eh bien, si votre produit est la pomme de terre et que c’est là-dessus que s’appuie votre ferme, vous devez vous concentrer sur cette culture de pommes de terre. Si le sol est la ressource qui vous permet de le faire, vous devez vous concentrer sur le sol.

Par le passé, je pense que nous avons considéré cela comme une dépense. Ce que j’essaie de faire comprendre à mes clients, c’est qu’il s’agit d’un investissement à faire aujourd’hui pour l’an prochain, pour la prochaine décennie et pour la prochaine génération à laquelle ils espèrent transmettre cette ferme. Nous devons donc nous concentrer sur la préservation de cette ressource que constitue le sol.

M. Burton : J’ai eu la chance de participer à une conférence de l’Institut canadien des politiques agroalimentaires à Guelph l’an dernier. C’était intéressant, parce qu’on essayait d’évaluer les possibilités économiques qui se dessinent pour l’industrie agricole canadienne.

L’un des avantages économiques identifiés lors de cette conférence était « notre capital naturel ». C’est le terme qui a été utilisé. Il est en réalité question de notre capital fondamental en matière de sol, en matière de ressources qui viennent de la terre.

Nous pouvons regarder ce qui se fait dans d’autres pays pour comprendre exactement les possibilités que nous avons, mais aussi pour nous assurer que nous valorisons ce capital naturel. Car, comme plusieurs intervenants l’ont dit, actuellement, ce n’est pas un facteur important dans l’évaluation économique d’une ferme ou dans la discussion avec le directeur de la banque. Quelle est la valeur de ce capital naturel et comment le maintenir, s’assurer qu’il sera encore là demain? Nous devons trouver une meilleure façon de tenir compte de ce capital naturel et de le considérer comme une priorité économique.

M. Don Lobb : Merci. Je pense que, peu importe où nous vivons dans le monde, nous devons nous concentrer sur le maintien de la matière organique. Or nous avons 10 000 ans d’expérience d’une agriculture organisée qui la détruit.

Nous avons appris, surtout au cours des trois ou quatre dernières décennies, l’effet général de la perturbation du sol ou du travail du sol sur la destruction de la matière organique et sur la façon dont cela affecte la communauté biotique du sol et l’agrégation du sol.

Lorsque je parle de l’agrégation du sol, je parle du sol friable que l’on trouve dans des régions non perturbées comme une terre à bois ou une prairie indigène. Dans ce sol friable, l’eau peut s’infiltrer et lorsque nous labourons, nous brisons ces agrégats et nous n’avons pas d’infiltration d’eau. Cela a un impact énorme.

Nous devons nous concentrer sur les pratiques qui maintiendront cette matière organique et qui entraîneront une réduction des perturbations du sol. Cela implique l’utilisation de cultures qui remplaceront la matière organique pendant la saison où la terre n’est pas cultivée. Si nous cultivons le soja ou le blé, par exemple, nous allons planter une autre culture qui ne sera pas récoltée. Elle n’est plantée que pour capter le carbone de l’atmosphère et le déposer dans le sol. Avec le temps, nous pouvons ainsi accumuler la matière organique. À condition de ne pas perturber le sol, ce qui entraîne la libération de la matière organique.

Cette perturbation du sol est le talon d’Achille de l’agriculture biologique et de l’agriculture traditionnelle. Ni l’une ni l’autre ne sont durables. Nous devons surmonter ce problème si nous voulons produire des aliments de façon durable. Voilà ma position.

Le sénateur Oh : Madame Ferguson, qu’en pensez-vous?

Mme Ferguson : Je vous remercie de votre question, de l’attention que vous portez au repos des terres et de votre inquiétude quant à savoir si nous allons suivre le même chemin que d’autres régions du monde.

Je me suis rendue sur les terres agricoles entourant le barrage des Trois-Gorges et j’ai participé à un sommet de recherche Canada-Asie tenu à Windsor, visant à exporter la technologie canadienne en Asie.

Je dirais, toutefois, que nous avons des choses à apporter à certaines parties du monde, mais que nous avons aussi quelque chose à apprendre de leurs expériences. L’une des choses que j’ai apprises grâce à mes lectures et à mes recherches, c’est que l’idée d’accorder du repos à la terre peut être difficile, parce que la perception qu’en ont les gens varie. Il y a eu d’autres commentaires à ce sujet aujourd’hui. Souvent, les terres au repos sont en jachère et le problème des jachères vient du travail du sol effectué pour lutter contre les mauvaises herbes et ce genre de choses.

Si nous parvenons à comprendre qu’accorder du repos à la terre signifie qu’il faut la traiter correctement, cela nous ramène à certains commentaires formulés aujourd’hui sur la nécessité de s’assurer qu’elle est couverte et que la protection de la terre soit une méthode de repos. Cela pourrait signifier moins de travail du sol et plus de couverture, comme mes collègues l’ont mentionné.

Il y a des politiques en ce sens dans le monde. Prenez l’Union européenne, en France, d’après ce que j’ai compris, il est interdit de laisser le sol plus de 30 jours sans couverture végétale.

Pour terminer mes observations, j'aimerais répéter que cette culture de la protection de la terre est importante. J’ai eu un stagiaire qui avait une vingtaine d’années et l’un des meilleurs conseils qu’il m’ait donné était que selon lui la planification de la relève devrait se faire très tôt dans les fermes. Cela devrait se faire avant que les gens n’atteignent l’âge de 40 ans, ainsi, il est possible d’anticiper les actions à mener pour incorporer ces choses dans l’héritage qui sera transmis à la prochaine génération plutôt que d’attendre jusqu’à 60 ou 70 ans pour le faire. J’ai trouvé que c’était un excellent conseil et je pense que ce pourrait être une autre façon de définir ce que nous devons faire pour protéger les sols en amont.

M. David Lobb : On voit beaucoup ce genre de photos. Pour ce qui est de l’urgence de la situation, vous devriez examiner la photo de près, car cela vous indiquera ce qui se passe dans ce paysage. Bon nombre de mes collègues s’inquiètent du fait que ces régions sont gravement érodées — voyez ces sommets blancs — et que cela se propage désormais aux parties inférieures des pentes. Tout le paysage est en train de blanchir, car la couche arable est mélangée avec du sous-sol et ensevelie. Nous le constatons en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario, au Dakota du Sud, au Dakota du Nord, au Minnesota et au Wisconsin. Partout où nous regardons, nous voyons que cela commence à se produire.

Donc, dans 20 ou 30 ans, si nous ne faisons rien, ces régions qui pratiquent l’agriculture selon les méthodes conventionnelles des années 1970 et 1980 vont mettre toute la ressource en péril à un point tel qu’elle ne pourra plus être reconstituée. Si vous regardez certains sols, pour revenir à la Chine ou même à l’Europe, nous avons ici une ressource qui est encore relativement jeune et non dégradée, mais elle tend rapidement vers un point critique où elle se rapproche de l’état généralement improductif de bon nombre de ces sols que nous voyons ailleurs dans le monde.

Il est très urgent d’aller de l’avant pour protéger le sol, de mettre un terme à ce que nous faisons actuellement et qui, nous le savons, est erroné et destructeur, pour changer de voie et commencer à reconstruire et à restaurer ces sols pour les protéger.

Le sénateur Oh : Les témoins connaissent-ils le sud-ouest de l’Ontario? Il y a une culture commerciale spéciale appelée racine de ginseng. Nous en sommes le plus grand producteur au monde et cette racine est largement exportée en Asie à des fins médicales. J’ai parlé aux agriculteurs là-bas. Ils ne la cultivent qu’une fois tous les quatre ans. Ils ne la cultivent jamais sur les mêmes terres. Ils doivent laisser la terre se reposer pendant un certain temps avant la deuxième récolte.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma première question s’adresse à M. David Lobb. Vous avez parlé de l’urbanisation des sols cultivables — je pense que la population agricole a toujours été vigilante en ce qui concerne les changements de zonage dans les municipalités. Souvent, lorsque l’agriculteur veut apporter des changements sur sa terre, il fait face à la machine bureaucratique. Qu’est-ce qui provoque l’urbanisation des terres agricoles? Est-ce que ce sont les promoteurs immobiliers ou les villes qui veulent percevoir plus de taxes municipales? Est-ce que ce sont ces deux éléments qui mènent le dossier et qui entraînent la perte de nombreuses terres agricoles dans les milieux urbains?

[Traduction]

M. David Lobb : J’ai travaillé dans le domaine de l’aménagement du territoire au Nouveau-Brunswick pendant un an et demi. Pendant cette période, j’ai parlé à beaucoup de gens dans diverses provinces des questions d’urbanisation et de perte de terres agricoles. Je pense que le développement résidentiel rural est également destructeur. Les deux représentent des pertes à long terme de terres agricoles. Pourquoi cela se produit-il? Il y a des développements commerciaux. Le Nouveau-Brunswick est le meilleur exemple de développement linéaire au Canada, sinon en Amérique du Nord.

Cela se produit parce que les municipalités encouragent le développement commercial sur leur territoire, mais à l’extérieur des villes, pour augmenter leur assiette fiscale. Au Nouveau-Brunswick, il y a une lutte entre les villes et les municipalités parce qu’elles veulent toutes les deux que les entreprises s’installent et paient des impôts et ces entreprises s’implantent dans les régions agricoles parce qu’elles paient alors beaucoup moins d’impôts. C’est un problème de structure fiscale. Le fait que toutes ces administrations veulent percevoir des taxes fait qu’il est très difficile d’y toucher. C’est certainement ce qui se produit.

Les municipalités jouent un rôle et elles encouragent la destruction ou la perte de terres agricoles et cela relève de la façon dont le gouvernement a établi et géré l’assiette fiscale. À moins que vous puissiez changer cela, vous ne changerez probablement pas cette tendance à la perte de terres agricoles. La solution est très simple.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Si on veut parler de la qualité des sols en fonction des différentes régions du pays, il y a des sols qui sont plus prometteurs et d’autres qui doivent être traités pour demeurer fertiles. Avez-vous des données qui vous permettent de déterminer la qualité des sols par région et, si oui, tient-on compte de l’usage connu des pesticides ou des produits chimiques? On utilise des produits chimiques pour garder les sols fertiles, mais avez-vous des données ou des analyses à ce sujet?

[Traduction]

M. David Lobb : En ce qui concerne la productivité, dans les analyses que j’ai faites, nous avons constaté qu’elle varie d’une région à l’autre. Nous nous sommes basés uniquement sur la teneur en matière organique du sol, en cherchant les niveaux optimaux pour chaque écosystème. Nous n’avons pas tenu compte de la disponibilité et de la quantité d’engrais et de pesticides utilisés pour jouer sur cette productivité; je n’ai donc pas de données là-dessus. Pour ce qui est de la matière organique et de son influence sur la productivité, nous avons des données. Vous avez raison de dire que la productivité varie beaucoup d’une région à l’autre, de même que le potentiel de production.

Le climat et la géologie sont des facteurs tout aussi importants. On peut prendre l’exemple des terres cultivées en Nouvelle-Écosse, dont certaines sont très mauvaises pour la production de maïs, mais idéales pour la production de bleuets. Cela dépend de ce que vous cultivez et de ce que vous entendez par « qualité du sol ».

Il faut en tenir compte. Toutes ces choses entrent en ligne de compte dans la discussion sur la qualité du sol. Nous avons de l’information à ce sujet, mais pas sur le rôle des engrais et des pesticides et leur incidence.

M. Burton : Je vous renvoie à la Série sur les indicateurs agroenvironnementaux qu’Agriculture Canada a publiée, parce qu’il y a un indicateur national relatif à l’utilisation des pesticides et à ses répercussions possibles sur la qualité de l’eau. Au moins cette série porte sur l’utilisation des pesticides.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vais y aller de façon plus générale avec tous nos invités. Comme nous le savons, le Canada a une frontière très étendue avec les États-Unis. La composition des sols de chaque côté de la frontière ne doit pas être très différente. Ce sont des sols qui, j’imagine, se ressemblent un peu. Avez-vous pu déterminer si les changements sur les terres agricoles, dont nous avons parlé, se font de la même façon chez nos voisins américains ou s’il y a une différence dans la transformation des sols de l’autre côté de la frontière? Peut-être qu'ils utilisent des pesticides ou d’autres engrais chimiques. À votre avis, y a-t-il une différence dans le maintien de la fertilité des sols des deux côtés de la frontière?

[Traduction]

M. David Lobb : Oui. J’ai eu l’occasion de travailler avec des collègues des deux côtés de la frontière et j’imagine que c’est aussi le cas d’autres témoins aujourd’hui, mais nous passons pas mal de temps — parce que nous travaillons dans la vallée de la rivière Rouge et la majeure partie de cette vallée se trouve dans les États américains. Nous avons tenu une conférence de trois jours la semaine dernière pour discuter de certaines de ces questions.

Lorsque je regarde les différences entre nos collègues américains et nous-mêmes au Canada et les problèmes de dégradation des sols et de qualité de l’eau auxquels nous sommes confrontés, il y a des différences importantes qui ne sont pas selon moi attribuables à des différences culturelles. C’est parce que le climat est légèrement différent. On entre dans une région climatique qui est un peu plus chaude; ils ont donc tendance à produire davantage de maïs et de soya, à travailler plus intensément le sol et ainsi de suite.

Ces pratiques entraînent certainement une plus grande dégradation. Leur utilisation des intrants chimiques, les engrais et les pesticides dont vous avez parlé, diffère en fonction des cultures et selon ce qui convient à ces cultures dans un climat donné. Il y a des différences notables.

Si vous regardez immédiatement de l’autre côté de la frontière où le climat, le sol et les paysages sont différents, il n’y a pas de différence, à mon avis, en ce qui concerne la gestion et la dégradation des sols. Il y a parfois des différences subtiles.

Par exemple, qu’entend-on par « culture sans labour »? Dans les Prairies canadiennes, au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, nous avons souvent recours à la culture sans labour à forte perturbation, ou semis direct, alors que ce n’est pas le cas de l’autre côté de la frontière. Nous constatons des différences importantes. C’est très subtil et la plupart des gens ne le remarqueraient probablement pas. Je constate les conséquences de cette situation, dans laquelle nous avons un régime de gestion des sols plus destructeur au Canada qu’au sud de la frontière.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma dernière question s’adresse à Mme Ferguson.

Je siège au Comité de l’agriculture depuis bientôt six ans. Souvent, les témoins nous disent qu’il serait important de regrouper les renseignements qui existent dans une base de données unique que les différents intervenants pourraient consulter afin d’en bénéficier. Des témoins nous ont dit aussi qu’il fallait arrêter de travailler en vase clos, selon les régions et les intérêts de certains. Qu’est-ce qui fait que ce dont vous nous avez parlé ne se fait pas nécessairement? Le problème est-il lié aux fonctionnaires ou aux politiques? Il est parfois difficile de partager les renseignements.

[Traduction]

Mme Ferguson : La situation, telle qu’elle existe actuellement — vous avez parlé des six dernières années et je dirais qu’au cours de cette période la technologie a progressé, mais pas autant qu’il y a quelques décennies. Dans ce contexte, mes commentaires découlent de l’idée du regroupement des données en un guichet unique. Je ne suis pas en faveur de tout centraliser en un seul endroit. Le problème, c’est que lorsque tout est centralisé, il faut un responsable unique. Le gouvernement ne peut être le seul responsable, pas plus que l’industrie ou l’agriculteur. Je pourrais continuer à dérouler cette liste pendant encore plusieurs minutes.

L’agrégation, la synthèse, l’analyse et l’utilisation de ces données, selon moi, doivent se faire tout au long de la chaîne de valeur. Cela signifie que nous avons tous un rôle à jouer, quel que soit le fauteuil que nous occupons, quelle que soit la casquette que nous portons, pour saisir des données tout au long de la chaîne de valeur. Il nous incombe également d’utiliser les données d’une manière qui répond à nos objectifs, ce qui signifie que nous pouvons ajouter de la valeur tout au long de la chaîne. Cette chaîne de valeur peut correspondre à la valeur du PIB ou à la valeur sociale.

Cela permet également à n’importe qui le long de la chaîne de valeur d’en tirer parti sans nuire à la protection de la vie privée. Vous pouvez utiliser ces données sans porter atteinte à la vie privée d’une personne, sans pointer du doigt qui est bon ou mauvais. C’est dans l’intérêt général. Avec les technologies que nous avons maintenant, vous devez franchir des portes pour accéder aux données. Autrement dit, ce que vous ne voulez pas partager, vous n’avez pas à le faire; et ce que vous voulez partager, vous pouvez le faire.

L’avantage, c’est qu’à mesure que nous bâtissons la confiance et que nous ajoutons de la valeur tout au long de la chaîne, davantage de choses sont partagées et la confiance s’instaure. C’est à ce moment-là qu’on commence à voir les choses bouger et à voir de grands succès se produire. C’est comme n’importe quelle équipe. Vous connaissez ce vieux modèle « confrontation, normalisation ». C’est de cela qu’il s’agit — de créer cette ouverture. On ne peut pas faire cela avec un guichet unique, dont il est souvent question.

M. Burton : Nous avons une occasion en or de recueillir les données qui ont toujours été recueillies sur les sols dans notre pays, en particulier dans les laboratoires provinciaux d’analyse des sols. Pendant de nombreuses années, ils ont considéré l’agriculteur comme leur seul client et ils n’ont jamais eu pour mandat de résumer, de diffuser ou de partager cette information de quelque façon que ce soit.

Voici ce qui m’inquiète. Au fur et à mesure que les divers gestionnaires prennent leur retraite, nous devons nous assurer de ne pas perdre cette information. Des millions d’échantillons ont été traités au cours des dernières décennies et il est fort à craindre que dans certaines provinces de l’Atlantique, cette information ne soit perdue si nous n’insistons pas auprès de ces organismes gouvernementaux provinciaux sur l’intérêt qu’il y a de mettre en œuvre ce partage des données communes d’une façon ou d’une autre.

Je ne peux pas vous dire qui doit superviser cela ni comment cela doit se faire. Il est problématique que la Société canadienne de la science du sol, cette société professionnelle, joue le rôle d’entrepôt. Nous devons agir très rapidement, car nous ne voulons pas perdre des décennies de données.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup, sénateur Black. C’est très important.

Merci aux témoins. Cela a été très instructif. Cela me ramène à ma jeunesse. J’ai grandi dans une région où l’on pouvait grimper par-dessus la clôture à l’arrière de l’école ou de la patinoire et rentrer chez soi à travers champs. J’ai fourni des échantillons à la base de données sur les sols de l’Ontario dans les années 1970 — un très grand nombre d’échantillons, je peux vous le dire — et depuis, beaucoup de maisons ont été construites. Ces terres n’ont plus aucun usage alimentaire, c’est certain.

Je suis frappé par les possibilités d’analyse prédictive, si nous pouvons mettre en place des systèmes axés sur le marché, comme vous venez de le dire, madame Ferguson et examiner les données. J’ai participé à l’étude du Comité des banques sur les systèmes bancaires ouverts, qui vise à permettre aux entreprises de technologie financière d’avoir accès à des activités bancaires qui ne sont pas offertes sur le marché actuel et de pouvoir les offrir aux Canadiens et aux gens du monde entier.

Au cœur de tout cela, il y a ce qu’on appelle les droits des consommateurs en matière de données. La propriété des données est très mise en cause, la question de savoir qui possède les données. Cependant, savoir qui contrôle tout cela est une question tout à fait distincte. L’Australie a fait preuve d’un véritable leadership dans ce domaine.

Je veux me concentrer sur les données pour voir quelles leçons en tirer et où nous pouvons collaborer. Si nous pouvons régler la question des droits des consommateurs en matière de données et commencer à y avoir accès, il y a d’immenses possibilités pour le marché de prendre la relève et de commencer à fournir d’excellents renseignements à partir de ces données. Je constate que les possibilités de collaboration entre les agriculteurs, les universitaires et les trois ordres de gouvernement sont fantastiques.

J’aimerais que vous vous concentriez sur les exemples internationaux dans lesquels les gens ont commencé à rassembler des données et à obtenir des données prédictives. C’est une question complexe.

Monsieur Lobb, je tiens à vous dire que c’est l’une des recommandations les plus importantes que j’aie jamais entendues, c’est-à-dire de retirer la protection des sols des compétences du ministère de l’Agriculture pour la confier à Ressources naturelles Canada. C’est une idée tellement simple, mais elle change complètement la dynamique d’une façon stratégique. Je sais que ce dont je parle ici est un peu plus difficile à comprendre, mais je veux adhérer à cette idée. Je pense que c’est phénoménal.

Pourriez-vous nous parler des données qui existent dans le monde? Que se passe-t-il? Vous avez dit qu’une grande partie de ces données sont contrôlées par les fabricants d’équipement.

Nous devons agir sur les droits des consommateurs en matière de données. Je pense que c’est l’occasion d’ouvrir des portes précisément sur ce sujet. À votre avis, où cela fonctionne-t-il, ou pas, dans le monde? En Europe et en Australie, les pratiques sont différentes de ce qui se fait ici. Ils vont de l’avant en Australie. Quelle est votre expérience à cet égard?

M. David Lobb : Je ne peux pas laisser passer ce commentaire. Mon père et moi n’en avons jamais parlé, mais j’ai été frustré tout au long de ma carrière par le fait que les ressources en sols et les informations qui s’y rapportent sont confiées à Agriculture Canada et qu’Agriculture Canada n’a cessé de vider ce système de sa substance au cours des 20 ou 30 dernières années.

Il a été mis sur pied pour servir les cinq ministères responsables des ressources, soit le ministère de l’Environnement, le ministère des Pêches et des Océans, Ressources naturelles Canada et même Santé Canada, je crois, ainsi que le ministère de l’Agriculture. Tout ce système a été systématiquement neutralisé. Nous n’avons donc pas la capacité d’aller de l’avant en ce qui concerne la gestion de la base de données sur les sols ou la gestion de la base de données sur les ressources en sols.

L’une des choses les plus efficaces serait de transférer cela à un autre ministère, parce que celui-ci a montré qu’il ne peut pas le faire ou qu’il ne veut pas le faire.

Le sénateur C. Deacon : Il s’agit d’une ressource naturelle.

M. David Lobb : C’est une ressource naturelle et il faut la traiter comme telle. Encore une fois, mon père et moi n’en avons pas parlé, mais j’applaudis à cette idée. Je pense qu’elle est excellente.

Pour ce qui est de l’information, il y a plusieurs niveaux de données. Il y a des données que les agriculteurs recueillent en fonction de leur utilisation des intrants, de la technologie, et ainsi de suite — leurs pratiques et leurs données sur le rendement, tout cela. Je ne peux pas me prononcer là-dessus, mais je suis sûr que cela tombe sous le coup d’un ensemble très strict de questions juridiques insolubles.

Lorsque vous parlez de l’information sur les ressources foncières, c’est quelque chose qui est présumé être public. C’est avantageux pour l’agriculteur qui fait des prévisions à la ferme pour l’évaluation du potentiel de rendement et ainsi de suite.

Il y a aussi l’information sur les ressources en sols, qui est publique et qui est également importante pour l’industrie et les programmes gouvernementaux. Beaucoup de travail de prédiction a été fait par le passé dans ce domaine. Ces données sont extrêmement précieuses. Certaines remontent aux années 1940.

Les données qui sont recueillies actuellement et qui vous intéressent, je crois, sont extrêmement précieuses, mais sans les données sur les ressources en sols comme complément, elles ne sont pas très utiles pour de nombreuses applications. Cela n’a pas de sens d’avoir des données très précises au mètre près sur la quantité de semences et d’engrais que l’on peut épandre sans avoir une bonne idée de ce que sont les sols ou le climat dans un rayon de 10 kilomètres. Cela rend la gestion difficile, il en va de même pour les données topographiques qui entrent dans beaucoup de systèmes.

Il y a un domaine où vous pouvez utiliser les données du gouvernement, qui sont brutes et peu utiles. Vous pouvez en fait générer vos propres données pendant que vous menez vos activités. Cela n’a pas été très utilisé. Nous l’avons fait à des fins de recherche. Il y a différents niveaux de données qui relèvent de différents aspects de votre question.

Votre question porte-t-elle seulement sur les données que les agriculteurs recueillent eux-mêmes?

Le sénateur C. Deacon : Non. Je pense que cela doit venir de tout le monde. Je pense aussi à la possibilité de faire des analyses prédictives en faisant le suivi des intrants et en ayant une idée des recettes à la ferme au cas par cas. Si vous avez des données satellitaires, vous pouvez avoir une idée, au fil du temps, de ceux qui gèrent leur sol et de ceux qui ne le font pas, je suppose.

Je sais que l’Île-du-Prince-Édouard a fait quelque chose au sujet des données satellitaires et de la rotation des cultures pour s’assurer qu’un niveau minimal de rotation est maintenu pour les producteurs de pommes de terre de la province, si je me souviens bien.

La présidente : C’est exact et la rotation des cultures est prévue par la loi.

Le sénateur C. Deacon : C’est prévu par la loi.

Nous avons la possibilité de commencer à nous doter de certains outils. Je veux savoir où sont les obstacles, de votre point de vue et où sont les possibilités d’agir en premier lieu. Il est clair que nous devons prendre des mesures. Je cherche des indices sur la façon dont nous pouvons aller de l’avant avec cette grande question des données qui ne guident pas notre prise de décisions, ce qui a de graves conséquences. Par où commencer?

M. David Lobb : Je vais vous donner une réponse simple à partir de ce que j’ai déjà dit.

Certains niveaux d’information, comme l’information sur les terres et le climat, constituent des obstacles parce qu’ils sont trop grossiers pour que certaines applications puissent utiliser efficacement les détails subtils recueillis par ces autres technologies. La qualité des données n’est pas équivalente.

Le sénateur C. Deacon : En règle générale, c’est toujours le cas.

M. David Lobb : Oui, mais vous n’essayez pas nécessairement de vous concentrer sur les données à haute résolution, en temps réel, en oubliant les données sous-jacentes qui sont maintenant le maillon faible de la chaîne. Il faut tenir compte du maillon faible de la chaîne.

Le sénateur C. Deacon : J’aimerais beaucoup entendre ce que les autres ont à dire, s’il vous plaît.

M. Burton : Je n’aurais jamais pensé qu’un jour, je remercierais Facebook, mais je crois que nous pouvons remercier Facebook de nous avoir sensibilisés à la puissance des données. Nous abordons ici une question fondamentale.

À l’Université Dalhousie, nous avons récemment embauché un responsable de la cartographie numérique des sols. Nous y voyons un enjeu très important pour le Canada atlantique. Il est impératif d’améliorer notre compréhension de nos ressources en sol, qui est lamentable à l’heure actuelle.

Une des difficultés, c’est que pour qu’il y ait ralliement, il faut convaincre tous les utilisateurs potentiels de la valeur de l’ensemble des données combinées. Les gens n’adhèrent pas à une chose s’ils n’y trouvent pas leur compte, et je pense que sur ce point, nous avons manqué d’efficacité. La communauté des sciences du sol a été peu loquace en ce qui concerne le rôle important que jouent les données numériques et les renseignements localisés sur les sols dans l’orientation des décisions de gestion. Voilà un point que nous devons améliorer. Nous devons faire mieux à cet égard, et aussi en ce qui a trait au regroupement de ces données.

J’ai mentionné un peu plus tôt que la Société canadienne de la science du sol avait un sous-comité de pédologie. Un des rôles du sous-comité — en fait, c’est notre nouveau responsable de la cartographie numérique des sols qui prend les devants dans ce dossier — est d’essayer de créer une initiative nationale dans le cadre de laquelle une société universitaire indépendante du gouvernement et de l’industrie servirait de lieu de dépôt de l’information sur les sols et serait chargée de rendre l’information accessible à de nombreux utilisateurs. Je pense qu’une telle initiative serait très valable. J’y vois une occasion de bien faire les choses et j’espère que la Société canadienne de la science pourra atteindre son objectif.

Le sénateur C. Deacon : D’autres commentaires? Je cherche avant tout des moyens simples, des solutions gagnantes, faciles à mettre en branle.

Mme Ferguson : Sur le plan des données, je dirais que la solution gagnante est la collecte de données, donc des choses aussi simples que rassembler de l’information sur le terrain et la diffuser. Voilà une des solutions rapides que vous cherchez.

L’autre est la transparence dans toutes les ententes concernant la collecte de données, qu’il s’agisse de données de l’agriculture de précision ou de l’analyse des sols. Parler aux gens avec des phrases simples. Pouvons-nous ou non utiliser ceci ou cela? Voilà ce qu’il faut leur demander. Demander la permission. Je pense que c’est une solution gagnante et facile.

Il y a aussi l’analyse de la valeur ajoutée. Dans le secteur de la volaille, certains projets sont déjà fondés sur ce genre d’analyse. Nous pourrions nous en servir comme exemples, histoire de nous aider à prouver qu’il vaut la peine de se casser la tête pour appliquer ce genre d’analyse.

M. MacLeod : J’aimerais dire quelques mots sur un projet très intéressant entrepris au Nouveau-Brunswick cette année. Nous avons parlé de collecte de données, et il se trouve que je suis aussi agronome et que je collabore de près avec les producteurs. En campagne, sur le terrain, un grand nombre de surveillants du rendement recueillent des données qui n’ont été intégrées à aucun ensemble.

Nous avons des gens très novateurs au Nouveau-Brunswick, et nous exploitons tout leur potentiel. Comme ils possèdent des ensembles de données pluriannuelles, nous pouvons commencer à recueillir des données en séquence sur le rendement des différentes cultures et définir des zones de reconnaissance de la productivité élevée partout sur le territoire. Grâce aux technologies à taux variable, nous pouvons maintenant commencer à circonscrire nos systèmes de gestion afin de pouvoir gérer ces zones de façon distincte.

C’était ma réponse initiale, mais en entendant M. David Lobb, je me suis rendu compte que nous sommes peut-être en train de recenser des zones à forte productivité dans l’ensemble du territoire, non pas parce qu’elles sont naturellement très productives, mais parce qu’elles constituent les zones sombres du tableau. Nous aurions tort de partir simplement des zones dites améliorées et des zones dites dégradées pour tirer des conclusions sur leur productivité inhérente.

Nous recueillons des données chez les exploitants agricoles, et c’est très bien, mais si nous n’avons pas les données pédologiques de base dont ces messieurs viennent de parler, c’est comme si nous masquions ce qui se passe réellement sur le terrain.

Le sénateur Kutcher : Je tiens à réitérer les félicitations que le sénateur Deacon a adressées au sénateur Black. Tout cela me fascine. Je ne connais rien aux sols, mais grâce à vous tous, j’en sais un peu plus maintenant et je tiens à vous en remercier. J’ai trouvé votre document excellent.

J’ai une question sur un sujet que vous avez tous abordé. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Il s’agit de l’écart entre les connaissances et la pratique. Je pense que M. Lobb — vous devriez parler plus souvent à votre père — l’a très bien exprimé : les agriculteurs savent qu’ils ne font pas ce qu’il faut pour protéger les sols, mais ils ne savent pas comment le faire.

Le transfert des connaissances et des pratiques est-il aussi solide qu’il le faudrait? Nous avons entendu des témoignages sur l’érosion qui ne cesse de s’aggraver en dépit des pratiques de conservation. D’autres nous ont parlé des changements dans les pratiques de travail du sol. D’autres encore ont parlé de la réduction de la teneur en azote du sol en raison de l’absence de culture de protection hivernale.

Faut-il y voir un phénomène de tragédie des biens communs? Un problème de mobilisation des connaissances? Une énigme législative? Quel pourrait être le rôle du gouvernement fédéral à cet égard?

La présidente : MonsieurLobb, vous avez la parole. Nous sommes tout ouïe.

M. Don Lobb : Je suis vraiment très impressionné par le savoir exprimé dans les questions du comité. Avant de venir, j’ai fait un bref sondage auprès des membres du comité pour prendre le pouls des connaissances sur le sujet et je suis très impressionné. Je vous en remercie.

Que pourrait faire le gouvernement fédéral pour corriger la situation? Est-ce bien ce que vous...

Le sénateur Kutcher : Je me demande ce que vous pensez de la situation. Où est-ce que le bât blesse dans le processus de mobilisation des connaissances dont nous avons discuté, et que pourrait faire le gouvernement fédéral pour pallier cette lacune?

M. Don Lobb : En tant qu'agriculteur, la plus grande difficulté est d’essayer de tirer un sens entre les propos des différents chercheurs ou agronomes et conseillers en cultures.

Pour vous donner un exemple du type de confusion que nous rencontrons : il n’y a pas si longtemps, il y avait une recommandation voulant que pour contrôler l’écoulement de phosphore soluble dans nos cours d’eau, il fallait travailler le sol — ce qui n’est pas faux, à condition que ce soit le seul objectif poursuivi. Cependant, en travaillant le sol, nous brisons les agrégats et réduisons l’infiltration de l’eau. Nous aboutissons donc à un ruissellement de surface plus important, qui transporte plus de phosphore dans les cours d’eau, et le problème se perpétue.

Il nous faut trouver un moyen de rassembler les recommandations et les observations scientifiques, et d’en faire la synthèse pour leur donner du sens avant de les communiquer aux agriculteurs.

Il m’arrive de temps à autre de recevoir des articles qu’on me demande d’examiner avant qu’ils soient publiés dans des magazines. La semaine dernière, un scientifique écrivait dans son article que le travail du sol n’affecte pas la matière organique, ce qui est vrai. Cependant, le travail du sol affecte la communauté biotique, laquelle affecte la matière organique, ce qui a un impact énorme.

L’agriculteur qui lit cela au moment où il vient de s’acheter du nouveau matériel aratoire — parce que depuis 10 ans, il a réussi à mettre un peu d’argent de côté — est enchanté par cet article. Il se dit que si le temps est suffisamment sec la semaine prochaine, il va utiliser son nouvel équipement, sans savoir qu’en réalité, il s’apprête à causer une série de complications pour sa terre.

Il doit y avoir une certaine cohérence et une certaine logique dans l’information qui parvient aux agriculteurs. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont toujours beaucoup aidé à cet égard grâce à leurs services de vulgarisation de l’information sur l’agriculture, mais c’est maintenant chose du passé dans la majeure partie du pays, ou du moins, ces services ne sont plus ce qu’ils étaient à l’époque où le sol était menacé.

Il y a, bien sûr, des conseillers en cultures certifiés qui aident à combler les lacunes. Certains sont indépendants et donnent de précieux conseils. D’autres travaillent pour des intérêts commerciaux et je m’interroge parfois sur ce qu’ils racontent.

Tout cela entraîne une certaine confusion, alors qu’au contraire, nous avons besoin de sources d’information solides et fiables, qui ne soient pas seulement fondées sur les moyens à prendre pour faire le plus de profit possible dans l’année courante, mais plutôt sur la façon dont nous pouvons nous assurer que nos sols demeurent indéfiniment productifs. Le sol est vraiment le point de départ. La productivité du sol détermine la disponibilité de la nourriture, la disponibilité de la nourriture en détermine le prix. Le prix est ce qui détermine si vous pouvez ou non prendre des vacances ou acheter un bateau.

Toute l’économie dépend de la productivité de nos sols. Rien d’autre n’a d’importance tant que cela n’est pas assuré.

M. David Lobb : J’aimerais réagir à cela, parce que l’évocation de l’agriculture de conservation — le village écologique — et de la qualité de l’eau est mon leitmotiv et elle soulève un point qui est important en ce moment. On me demande très souvent d’assister à des rencontres de l’industrie. Énormément d’articles sont écrits à ce sujet. La grande tendance qui se dessine actuellement en matière de diffusion de l’information, ce sont les réunions d’agriculteurs et les magazines de l’industrie agricole.

Les histoires à sensation font la manchette. Ce qui n’est guère surprenant lorsqu’on est en terrain politique. L’information est exacte, mais si vous ne prenez qu’un petit élément d’information sans regarder le portrait d’ensemble, que vous dites que le travail du sol permettrait de réduire le ruissellement de phosphore, alors qu’en réalité, vous pourriez détériorer le sol, vous influez sur tout un système. L’information se perd dans toutes ces petites phrases-chocs que l’on peut lire dans les fils d’actualité de Twitter et dans ces magazines.

Mon père a soulevé un problème réel, à savoir que nous n’avons pas de mécanisme efficace pour transmettre l’information au secteur. Nous sommes à la merci des intérêts privés, et je dirais que les magazines représentent eux aussi des intérêts privés, parce qu’on essaie d’inciter les gens à acheter les magazines. On choisit une citation sensationnaliste ou une citation partielle qui rend la nouvelle encore plus impressionnante. C’est devenu la norme.

Un autre problème dont plus personne ne parle est le fait qu’Agriculture Canada s’est retiré de la vulgarisation. Les gouvernements provinciaux n’en font plus non plus et, dans l’ensemble leurs maigres ressources humaines sont affectées à la gestion des programmes et se consacrent à des luttes intestines.

La présidente : Merci.

M. Burton : Juste un bref commentaire pour faire écho à un point que messieurs Lobb, David et Don, ont soulevé.

Tout à l’heure, David a fait une observation qui devrait nous servir de leçon lorsqu’il a donné l’exemple de pays où les gouvernements n’écoutent rien de ce que les agriculteurs ont à dire. Nous avons parlé du manque de services de vulgarisation. Les services de vulgarisation fédéraux et provinciaux ont été considérablement réduits. Non seulement cela restreint notre capacité de diffuser de l’information aux producteurs, mais — et c’est probablement tout aussi important — cela réduit la capacité des gouvernements d’entendre ce que les producteurs ont à dire. Je pense que les gouvernements ne sont pas suffisamment à l’écoute, qu’ils sont déconnectés de la réalité. Les ministères fédéral et provinciaux de l’Agriculture sont de plus en plus déconnectés de la réalité et cela, selon moi, est un vrai problème.

La sénatrice Moodie : Merci à tous d’être venus aujourd’hui. À l’instar du sénateur Kutcher, il s’agit pour moi d’un exercice à la fois gigantesque et instructif. Je m’en réfère aux connaissances en botanique et en zoologie que j’ai acquises à l’université, et je pense aussi à la planification des réseaux et au secteur des soins de santé dans lequel je travaille et qui est un peu fragmenté, à l’image de celui que vous décrivez.

Ce que vous dites semble mettre en exergue la nécessité de créer une nouvelle culture fondée sur la conservation des sols, d’adopter une approche plus stratégique de l’utilisation des sols et de promouvoir un système de gestion des sols dans leur ensemble et à l’échelle du pays, et pas seulement dans les régions ou localement. Il s’agit de mettre en place une culture d’utilisation des sols fondée sur la science, la conservation et l’éducation du public en général, mais surtout des agriculteurs, des utilisateurs et des intervenants de première ligne, ceux que j’appelle les soignants de la ressource.

En vous écoutant, monsieur Lobb, j’ai été intriguée par votre suggestion. Je pense que nous avons besoin d’un changement de paradigme et que le transfert de la responsabilité de cette ressource à un nouveau secteur pourrait impulser la réflexion, au niveau systémique, sur la façon de vraiment combler certaines des failles qui existent dans les rapprochements dont nous avons besoin, c’est-à-dire : faire en sorte que les intervenants de première ligne « traduisent » l’information et comprendre en quoi et comment les outils de mesure peuvent nous guider.

Dans le domaine des soins de santé, nous faisons constamment face aux préoccupations que vous avez soulevées au sujet de la protection de la vie privée et de l’utilisation appropriée des données à différents niveaux, mais les données jouent un rôle dans l’ensemble d’un système. C’est de cela dont vous parlez, et de la meilleure façon d’utiliser ces données.

Réfléchissons à ce changement de paradigme et demandons-nous en quoi il nous permettrait de combler certaines des lacunes que nous avons mentionnées et de répondre à certaines préoccupations que vous avez soulevées. Est-ce seulement possible? Je dois dire que c’est la chose la plus intrigante que j’ai entendue aujourd’hui. Nous avons entendu parler des problèmes. Il existe beaucoup d’information là-dessus et beaucoup de gens qui travaillent fort dans ce domaine, mais comment allons-nous rassembler tout cela et changer la culture?

Mme Ferguson : Merci encore de votre question. Je vais reprendre l’analogie de la santé, parce que je pense qu’elle est pertinente, et je tenterai de faire le lien avec les propos du sénateur Kutcher.

Cet écart, ce fossé entre les connaissances et l’action, nous le voyons aussi dans le domaine de la santé. Nous savons que nous devons nous alimenter sainement. Nous savons que la malbouffe a un effet nocif sur notre santé. Je pense qu’il en va parfois de même avec la santé des sols. C’est pareil. Ce changement de paradigme doit être dirigé par des champions, des champions qui doivent être épaulés. Ces champions, si vous les appuyez, peuvent concrétiser toute cette science complexe et donner corps à toutes ces données. Ils peuvent devenir des exemples de la façon d’appliquer les connaissances. Ils peuvent motiver les gens à briser le mur de l’inconnu, à transformer le risque en action.

Les messages simples motivent les gens. Ainsi va le monde dans lequel nous vivons. Les gens n’ont pas de temps pour la complexité. Ces exemples et ces champions parviendraient peut-être à faire changer les choses.

M. Burton : J’aimerais aussi parler de santé et de communication. Comme vous l’avez dit, c’est un changement de paradigme. Je pense qu’en ce qui concerne la science du sol, nous avons perdu l’attention du public pendant très longtemps. Une chose qui m’a particulièrement frappé, c’est l’utilisation du terme « santé des sols ». Le terme a vraiment capté l’attention des agriculteurs, parce que c’est un sujet réel et concret pour eux. Ce terme a été pour nous un outil très puissant, un changement de paradigme; il nous a aidés à communiquer. Les scientifiques en science du sol s’interrogent toujours sur la justesse du terme, mais c’est un terme communicateur et mobilisateur.

Partout au pays — partout dans le monde, à vrai dire —, on élabore des programmes de santé du sol, parce que les gens se préoccupent de la santé. Leur préoccupation pour l’alimentation leur donne à comprendre que la ressource « sol », qui soutient l’alimentation, doit être saine elle aussi. Elle leur permet ensuite de comprendre comment cette santé est mesurée.

Un terme de communication comme celui-là, qui vise à faire comprendre aux gens l’importance des ressources dans la production d’aliments sains et le maintien de personnes en santé, est tout à fait essentiel à la création d’un mouvement dans ce sens. Un mouvement a déjà pris son élan. Depuis trois à cinq ans, nous sommes témoins d’une mobilisation accrue pour comprendre en quoi la bonne gestion des sols influe sur la qualité des aliments et de la population.

La présidente : Merci.

M. Don Lobb : Je vous remercie de votre question et de vos commentaires, sénatrice Moodie.

Un changement de paradigme, qui ferait en sorte que la gestion des sols serait transférée à un autre secteur gouvernemental, n’aura pas la cote. Cela dit, le sol est à la base de tous les attributs de notre société. L’enjeu ne se limite pas au secteur agricole, c’est un enjeu sociétal. Nous devons commencer à considérer le sol comme étant une ressource de société dont nous dépendons tous. L’agriculture n’est qu’un des rouages du processus.

La présidente : D’accord. Merci à tous.

Comme vous le savez, cette séance était une séance d’information et non une réunion décisionnelle. Il n’y aura ni vote ni décision quant à la tenue d’une autre étude. Cette discussion aura lieu ultérieurement. Comme il reste peu de temps avant la fin de la présente législature, l’analyse en profondeur de la question serait confiée à un comité du Sénat, au cours de la prochaine législature. Il est cependant prévu que le sénateur Black suivra la question de très près.

Je tiens à remercier nos témoins. C’était un plaisir de vous accueillir. Cette séance a été une occasion d’apprentissage pour tout le monde. Merci.

(La séance est levée.)

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