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ARCT - Comité spécial

Arctique (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique

Fascicule 5 - Témoignages du 26 mars 2018


OTTAWA, le lundi 26 mars 2018

Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 18 h 31, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Note de la rédaction : Certains témoignages en inuktitut ont été présentés par l’intermédiaire d’un interprète.]

[Traduction]

Le président : Bonsoir et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je m’appelle Dennis Patterson. Je représente le Nunavut au Sénat et j’ai le privilège de présider ce comité.

Je veux souhaiter la bienvenue à toutes les personnes ici présentes ainsi qu’aux téléspectateurs de partout au pays qui nous regardent à la télévision ou en ligne. Je rappelle aux gens qui nous regardent que ces audiences sont ouvertes au public et sont aussi affichées en ligne sur le site web du Sénat à l’adresse sencanada.ca.

Je demanderais maintenant aux sénateurs autour de la table de se présenter.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Bovey : Pat Bovey, Manitoba.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, Québec.

Le président : Ce soir, je suis ravi d’accueillir, de Nunavut Tunngavik Incorporated, Aluki Kotierk, présidente, et de la Société Makivik, l’honorable Charlie Watt, président, et ancien président de ce comité.

[Note de la rédaction : Le président s’exprime en inuktitut.]

J’aimerais aussi souligner la présence du député Larry Bagnell, du Yukon. Bienvenue, Larry.

Merci de vous être joints à nous. Je crois comprendre, sénateur Watt, que vous allez commencer. Cependant, avant que je vous invite à prononcer vos remarques liminaires, j’aimerais mentionner à mes collègues et aux membres du public que nous avons des services d’interprétation en inuktitut pour la réunion de ce soir. Je vous invite tous les deux à prononcer vos remarques liminaires avant que nous passions à la période des questions, si cela vous convient.

[Interprétation]

L’honorable Charlie Watt (ancien sénateur), président, Société Makivik : Je parlerai brièvement en inuktitut.

Sénateur Patterson, je vous remercie. J’ai été président à une époque. Vous avez repris le flambeau, et je sais que le comité va bien se dérouler. Je suis heureux qu’il continue de progresser dans le dossier du Grand Nord.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je suis heureux d’être ici aujourd’hui. Je suis originaire de la région du Nord du Québec appelée Nunavik, qui est un territoire inuit. Il couvre une superficie de 171 307,62 milles carrés au nord du 55e parallèle. Nous comptons 14 collectivités, qu’on appelle des villages et qui se trouvent tous sur la côte. La frontière occidentale de nos terres touche la baie d’Hudson, la frontière septentrionale, la baie d’Ungava et la partie orientale, les monts Torngat, qui séparent le Québec de Terre-Neuve-et-Labrador.

Puisque j’ai quitté le Sénat, honorables sénateurs, je suis ici en ma capacité de président de la Société Makivik. Il s’agit de l’organisme que j’ai fondé il y a 40 ans pour gérer les produits de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Lorsque j’ai entamé ma carrière de sénateur en 1984, j’étais autorisé à occuper les deux emplois simultanément, mais plus maintenant en raison des nouvelles règles du Sénat. J’ai donc pris ma retraite du Sénat il y a un peu plus d’une semaine et je suis retourné chez moi dans le village de Kuujjuaq pour assumer à nouveau la présidence de la Société Makivik.

J’ai 73 ans, et je suis retourné dans ma collectivité pour aider les jeunes leaders à composer avec les défis auxquels ils font face et à viser la réussite économique. Le nom de la société est Makivik, ce qui signifie « s’élever ». J’ai choisi ce nom parce qu’il donne de l’espoir et une vision positive à mon peuple.

La Société Makivik a les objectifs suivants : recevoir, administrer, distribuer et investir l’indemnité pécuniaire destinée aux Inuits du Nunavik, conformément aux dispositions de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois; lutter contre la pauvreté et promouvoir le bien-être, le progrès et l’éducation des Inuits; encourager, promouvoir, protéger et appuyer le mode de vie, les valeurs et les traditions des Inuits, ainsi que contribuer à leur préservation; exercer les fonctions qui lui sont dévolues par la loi et la convention; et développer les collectivités inuites et améliorer leurs moyens d’action. C’étaient les buts de la société lorsque nous l’avons créée et ils le sont toujours aujourd’hui.

Ce soir, pour rester dans le thème de la réunion, je vais commencer par aborder les questions les plus pressantes pour ma collectivité telles qu’elles sont ressorties des discussions de la table ronde régionale sur le Cadre stratégique pour l’Arctique à Kuujjuaq, en octobre dernier. Je vais ensuite vous faire part de mes opinions personnelles, qui sont fondées sur ma propre expérience avec les dirigeants gouvernementaux, les dirigeants autochtones et les anciens.

En octobre dernier, les dirigeants de ma collectivité ont rencontré des fonctionnaires du gouvernement fédéral en vue de dégager les priorités clés pour la région. Ils ont déterminé que les besoins qui suivent étaient les plus pressants et urgents.

Les participants ont souligné que le Cadre stratégique pour l’Arctique doit être axé sur des questions sociales pressantes comme le suicide, la santé mentale, l’alcoolisme et la toxicomanie, l’érosion de la langue et de la culture ainsi que l’héritage du colonialisme.

Nos dirigeants régionaux ont milité auprès du gouvernement pour qu’il tienne compte des priorités et de l’orientation stratégique formulée par les stratégies régionales, comme le rapport de consultation Parnasimautik, le livret que j’ai distribué et que vous avez probablement à votre disposition.

Les Inuits du Nord du Québec sont conscients du fait que ce processus doit être réalisé en partenariat avec le peuple du Nunavik, le Québec et le Canada.

Ils doivent se pencher sur les modèles de financement désuets. Nous savons que le financement par habitant ne fonctionne pas dans le Nord, car notre population est petite, mais notre superficie est considérable.

Nous savons aussi que les transferts intergouvernementaux ne fonctionnent pas. Au lieu d’envoyer de l’argent au gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral devrait envoyer le financement directement à la région. Grâce au rapport sur le logement du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, c’est maintenant le cas des fonds destinés au logement.

Les Autochtones vivent aussi dans les villes, si bien que nous avons besoin de tenir compte des Inuits en milieu urbain dans nos travaux sur le Cadre stratégique pour l’Arctique.

Les participants ont demandé qu’on améliore les ports et les brise-glaces pour prolonger la saison de navigation du Nunavik.

On doit améliorer sans tarder l’accès à large bande et la connectivité Internet pour l’éducation, la santé et les affaires.

Il manque de services d’urgence dans la région pour ma collectivité, et nous devons rehausser la collaboration entre les gouvernements sur les questions interjuridictionnelles comme les soins de santé.

À titre de président de la Société Makivik, je suis d’accord avec les points énumérés, mais je dois aussi porter à votre attention une partie des besoins plus complexes et urgents des gens de ma région.

Premièrement, en tant que gouvernement, nous devons changer notre perception de l’Arctique. Il ne s’agit pas d’un espace vide à préserver.

L’Arctique est vivant et habité par les personnes qui résident le long de la côte, et les Inuits sont les personnes qui occupent les terres et qui assurent au Canada la compétence permanente.

L’Arctique se réchauffe deux fois plus rapidement que le reste de la planète. Cette réalité a modifié nos voies de transport traditionnelles et la vie animale, et la fonte du pergélisol rend l’infrastructure instable. Nous avons besoin d’un plan d’action et de financement pour déplacer certaines de nos collectivités et stabiliser les autres.

Nous avons besoin de débouchés économiques.

À l’échelle nationale, les Inuits ont besoin d’être traités comme des partenaires et de disposer de ressources suffisantes pour bien faire leur travail. Les Inuits sont fiers et ils veulent réussir dans tout ce qu’ils entreprennent.

Je m’inquiète pour nos intervenants de première ligne. Qui interviendra en cas de déversement d’hydrocarbures ou de catastrophe en mer? Tous les membres de la collectivité savent que nous n’avons ni la formation ni les ressources pour gérer une crise de grande envergure. Cependant, nous essuierons les critiques des Canadiens et de tous les ordres de gouvernement si nous n’arrivons pas à respecter les normes externes. Cet état de choses nous fait nous sentir mal, mais il détruit aussi notre confiance à l’égard de notre gouvernement. Nous devons avoir foi en lui et croire qu’il prend des décisions stratégiques qui auront une incidence positive sur nous.

Lorsque le Canada, ou toute autre nation, interdit l’activité économique, sa décision a des répercussions directes sur notre économie et notre capacité de créer de la richesse. Ces interdictions comprennent les moratoires sur l’exploration pétrolière et gazière et les limites imposées aux quotas de pêche.

À l’échelle internationale, nous avons fort à faire et nous avons besoin du soutien du Canada. Il faut que le Canada défende nos intérêts dans le cadre des négociations avec d’autres pays. Pourquoi l’artisanat inuit n’est-il pas visé par l’ALENA? Les produits du phoque fabriqués par les Inuits et l’ivoire ne peuvent être exportés aux États-Unis.

Nous avons besoin du soutien du Canada et de son intervention en notre nom à l’échelon des Nations Unies. À titre d’exemple, cette organisation a promulgué la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, mais celle-ci ne s’applique qu’aux nouveaux accords. Il n’existe aucun mécanisme pour rouvrir les vieux accords afin de faire de la place aux Inuits, et le Canada doit insister sur la participation inuite à tous les niveaux des discussions internationales qui influent sur nos terres, nos glaces, notre océan et nos eaux.

Mon exemple préféré est celui de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Les discussions l’entourant partaient du principe que personne ne peut vivre sur la mer, si bien qu’on a décidé de diviser les eaux des océans pour que divers pays puissent les utiliser. Cependant, il est clair que les Inuits vivent sur la mer, les glaces, les terres et les eaux depuis des générations et qu’ils ont été exclus de la discussion. Mon ami Peter Hutchins, à Montréal, comprend très bien les questions juridiques dans ce dossier, et je suis encouragé de savoir que vous entendrez son témoignage le moment venu.

Un autre exemple international est celui de l’Extrême-Arctique. C’est notre terre natale et notre territoire traditionnel. Cependant, des gens parlent toujours de le mettre de côté pour le patrimoine commun de l’humanité. C’est pour nous inacceptable.

Le Conseil de l’Arctique est une organisation puissante qui est présidée par rotation. Quoi qu’il en soit, les Inuits n’ont encore jamais été les hôtes. Comment peuvent-ils continuer à se réunir pour discuter de nos terres et de nos ressources alors que nous restons toujours en marge?

Honorables sénateurs, les solutions à ces problèmes sont complexes, car les acteurs changent constamment. Les solutions requièrent une connaissance approfondie et spécialisée des traités et du rôle historique du Canada dans ses échanges avec notre peuple. Ils nécessitent un dialogue réfléchi et respectueux.

Il arrive trop souvent que nos dirigeants politiques occupent leur poste pour une courte période, alors ils divisent une question pour laquelle ils ne possèdent pas les connaissances nécessaires pour bien faire le travail. Nombre de sénateurs et de députés ont choisi de siéger aux comités axés sur les questions autochtones sans avoir la moindre expertise, et c’est parfois très frustrant. Je parle de gens avec qui j’ai travaillé par le passé, pas des personnes ici présentes. Voilà pourquoi je suis ravi de voir le groupe de sénateurs qui se trouve ici ce soir, car je sais que vous avez fait vos devoirs et que vous ferez un excellent travail. Je continuerai de suivre vos travaux et d’être à votre disposition quand vous aurez besoin de moi.

En terminant, j’aimerais vous faire part de ma vision. À titre de président, j’envisage que mon peuple sorte de la pauvreté et qu’il occupe une place égale à celle des autres Canadiens. À plus long terme, je vise à ce que les Inuits atteignent une réussite financière qui dépasse celle du grand public canadien. Nous vivons au Canada depuis des temps immémoriaux et nous avons entretenu les terres et les ressources du Nord. Voilà pourquoi nous devrions aussi tirer parti de ces ressources et ne pas être traités comme des citoyens de deuxième ordre. Les Inuits sont des contribuables à part entière, et nous avons toujours essayé de collaborer avec les gouvernements du Canada et du Québec.

Nous voulons avoir une économie septentrionale viable qui soit en mesure de soutenir notre population, qui est jeune et qui croît rapidement. Je vous demande de m’aider à réaliser cette vision. Alors que vous progressez dans votre étude, je vous pose les questions suivantes : comment pouvons-nous donner aux Inuits le plein pouvoir d’assurer leur réussite économique à long terme? Que devons-nous faire à l’échelon des politiques pour améliorer la santé et l’espérance de vie de mon peuple? Quels obstacles institutionnels continuent d’écarter les Inuits de la sphère des décideurs? Comment le Sénat du Canada peut-il servir de catalyseur de changement?

Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir permis de vous présenter mes arguments.

Le président : Sénateur Watt, c’est bon de vous revoir. C’est comme si vous n’étiez jamais parti.

M. Watt : Je suis toujours le même. Je ne peux toujours pas lire les documents correctement.

Le président : Nous allons entendre le témoignage de Mme Kotierk et nous passerons aux questions après les deux présentations.

Madame Kotierk, je vous souhaite la bienvenue.

[Interprétation]

Aluki Kotierk, présidente, Nunavut Tunngavik Inc. : Merci. Je suis heureuse d’être ici, et je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner et à faire une présentation. Et merci aussi pour votre accueil chaleureux.

Je ne vais pas continuer en inuktitut pour que vous puissiez tous me comprendre.

[Traduction]

J’aimerais commencer par féliciter le Sénat d’avoir créé le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Sa création en dit long, de façon à la fois constructive et respectueuse, sur la compréhension qu’a le Sénat de l’existence et de l’importance croissante des questions arctiques, tant au Canada que dans le monde circumpolaire.

Je vous arrive du Nunavut, seule administration au Canada où la population autochtone est majoritaire. Dispersés sur 25 collectivités — toutes accessibles seulement par avion — les Inuits représentent 85 p. 100 de la population. Environ la moitié d’entre eux ont moins de 25 ans. La langue maternelle de la majorité des Inuits du Nunavut est l’inuktitut, tandis que le français et l’anglais sont des langues minoritaires.

Nunavut Tunngavik Incorporated représente un peu plus de 31 000 Inuits visés par l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, accord protégé par la Constitution entre les Inuits, représentés par Nunavut Tunngavik Incorporated, et l’État, représenté par le gouvernement du Canada.

Nous sommes ici pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants. Dans le contexte du Nunavut, il est question des Inuits. C’est un thème extrêmement vaste. En conséquence, j’ai choisi de m’arrêter à trois sujets prioritaires pour Nunavut Tunngavik Incorporated : l’inuktitut, l’article 23 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et l’infrastructure.

Avant de passer à ces trois sujets, j’aimerais cependant prendre un instant pour reconnaître que 2018 est une année importante pour les Inuits du Nunavut. En effet, cette année marque le 25e anniversaire de la finalisation de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Il convient pour moi de souligner le rôle important qu’a joué mon collègue, l’ancien sénateur et président en poste de Makivik, Charlie Watt, à une époque cruciale et de façon primordiale dans la création du territoire du Nunavut et du gouvernement. Les Inuits n’ont pas oublié ses contributions.

[Interprétation]

Merci de nous avoir aidés.

[Traduction]

Je veux parler des changements importants et rapides qui se produisent au Nunavut concernant l’usage de l’inuktitut. Cette langue est le véhicule qui transmet notre culture, notre philosophie et notre sagesse. Elle est essentielle à l’identité inuite et cruciale pour nous aider à comprendre le monde et la place que nous y occupons.

Je suis certaine que, à titre de membres du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique, vous connaissez tous très bien l’héritage du colonialisme et des pensionnats. Vous êtes conscients des efforts concertés qui ont été déployés par l’intermédiaire de politiques d’assimilation pour tenter de nous dépouiller de notre langue et de notre culture. Si les Inuits ont travaillé si inlassablement pour conclure l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, c’était en partie pour pouvoir continuer d’affirmer leur autodétermination et de faire en sorte que la langue et la culture inuites se développent.

Lorsque nous avons conclu l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut avec le Canada, l’inuktitut se portait bien. Notre langue s’éteint maintenant à raison de 1 p. 100 par année.

Le 14 juillet 1998, le ministre des Finances de l’époque, Paul Martin, et ses fonctionnaires ont informé un commissaire aux langues du Nunavut nommé par le fédéral que les Inuits ne recevraient pas de financement fédéral pour l’inuktitut en tant que langue de travail de notre gouvernement territorial. On a plutôt déclaré que la question de l’inuktitut serait traitée à une date ultérieure.

En 2001, les premières données ont été recueillies après que le Canada a décidé de reporter le financement de l’inuktitut pour nos services gouvernementaux. À l’époque, 85 p. 100 des Inuits au Nunavut déclaraient encore que l’inuktitut était leur langue maternelle, mais surtout, 68 p. 100 déclaraient que c’était la langue qu’ils parlaient à la maison. Et cela, en dépit des efforts faits pour nous amener à parler anglais.

En 2016, ces chiffres ont diminué d’environ 20 p.100. Il y a maintenant 63 p. 100 des Inuits qui déclarent avoir l’inuktitut comme langue maternelle, et 49,7 p. 100 qui déclarent parler cette langue à la maison. Il y a 20 ans, le gouvernement libéral à l’époque avait dit qu’il s’emploierait à faire de l’inuktitut la langue de travail de notre gouvernement, mais maintenant, le nombre de locuteurs a diminué de 20 p. 100.

Selon la Charte des droits et libertés du Canada, tous les Canadiens ont droit à des services publics essentiels de qualité acceptable. Ce n’est pas le cas des Inuits, car ils ne leur sont pas offerts en inuktitut. Ottawa a décidé que l’anglais serait la langue officielle majoritaire du Nunavut, même si, encore aujourd’hui, l’inuktitut est la langue parlée par la majorité des habitants de notre territoire. Le gouvernement a adopté une attitude très coloniale en imposant une langue officielle sur notre territoire et en en faisant la langue majoritaire.

La vie des Inuits ne devrait pas être mise en danger parce qu’ils ne sont pas en mesure de recevoir des services de santé adéquats en inuktitut. Les Inuits ne devraient pas avoir à abandonner leur identité lorsqu’ils entrent à l’école. Les Inuits sont des contribuables, comme ma collègue l’a mentionné, et devraient avoir droit à des services essentiels de qualité acceptable.

Le gouvernement fédéral s’est engagé à préparer une loi sur les langues autochtones. C’est une belle initiative. Au Nunavut, l’inuktitut est déjà reconnu comme une langue officielle sur le territoire. Ce que le gouvernement fédéral doit faire, c’est consacrer l’inuktitut comme langue officielle fondatrice du Nunavut. Ce n’est sans doute qu’alors que les Inuits du Nunavut pourront raisonnablement s’attendre à recevoir des services essentiels de qualité sur leur territoire.

Je veux maintenant vous parler des changements rapides et importants qu’a eu à subir un peuple fier et indépendant au cours de son histoire. Vivant sur le territoire, les Inuits se nourrissaient et nourrissaient leur famille des produits de la terre. Ce n’était pas toujours facile, mais ils disposaient des compétences et des moyens nécessaires pour subvenir à leurs besoins.

Depuis des années, toutefois, depuis le passage de l’économie de subsistance à l’économie basée sur les salariés, beaucoup de membres de notre communauté sont laissés pour compte. On entend souvent parler maintenant de notre haut taux de chômage, notre faible taux de diplomation, notre forte dépendance à l’aide sociale et nos taux élevés de pauvreté. Ce n’est pas juste. Cela ne devrait pas être la réalité sociale de Canadiens qui vivent sur un cinquième du territoire canadien. Nous devons faire mieux.

Lors des négociations de l’accord sur le Nunavut, les Inuits avaient envisagé un avenir meilleur. J’aimerais attirer votre attention sur l’article 23 de cet accord. Cet article, un élément clé du projet de création du Nunavut, prévoit que le gouvernement fédéral et les gouvernements territoriaux doivent prendre les mesures nécessaires, notamment du côté de l’embauche et de la formation, pour mettre en place un effectif gouvernemental à l’image de la population du Nunavut, composée à environ 85 p. 100 d’Inuits. La mise en œuvre de l’article 23 est d’une importance cruciale pour les Inuits du Nunavut pour toute une gamme de raisons qui se renforcent mutuellement.

De nos jours, le mot autodétermination signifie avoir accès à des pouvoirs administratifs et bureaucratiques, de même qu’à des pouvoirs législatifs.

Depuis de nombreuses années, l’effectif gouvernemental inuit stagne à environ 50 p. 100 et se concentre surtout dans les postes subalternes et peu qualifiés. Les coûts économiques pour les Inuits sont énormes. Selon une étude réalisée par PriceWaterhouseCoopers l’an dernier, si 85 p. 100 des postes étaient occupés par des Inuits, nos revenus d’emploi augmenteraient de 1,283 milliard de dollars au cours des cinq prochaines années, et les gouvernements économiseraient 519 millions de dollars en frais de recrutement et de relocalisation et en autres frais semblables évitables. Ce sont là des coûts économiques et politiques.

De plus, les coûts linguistiques et culturels sont aussi très importants. J’aime à penser que ces coûts sont même plus importants. Si nous parvenions à mettre en place un effectif représentatif, composé à 85 p. 100 d’Inuits, les Inuits seraient alors non seulement en position d’influencer les politiques et de concevoir des programmes qui intègrent leurs façons d’être et de comprendre le monde, mais ils seraient aussi en mesure d’offrir les services en inuktitut, et les Inuits pourraient recevoir des services de qualité dans une langue qu’ils comprennent.

À Nunavut Tunngavik Inc., nous allons poursuivre nos efforts pour arriver à une pleine mise en œuvre de l’article 23, et nous aimerions recevoir le plus d’appuis possible pour la mise en œuvre de cet article, mais aussi de tous les articles de notre traité moderne.

J’ai parlé des changements culturels et sociaux draconiens survenus dans le mode de vie des Inuits au cours de leur longue histoire. La génération de mon père est née quand les Inuits vivaient de la terre. On les a encouragés, forcés, à aller vivre dans des communautés où on devait leur fournir des maisons, des écoles et des centres de soins de santé. Aujourd’hui, les Inuits vivent dans 25 communautés au Nunavut.

Au Nunavut, l’infrastructure est déficiente dans tous les domaines imaginables, du logement aux services Internet à large bande, des ports pour petits bateaux aux routes. Nos besoins sont à la fois grands et petits. Ils vont de l’infrastructure de base comme le logement, les routes, le traitement des eaux usées et les centres de récréation, aux gros investissements dans des secteurs économiques comme les énergies de remplacement, l’accès à Internet, les ports, et cetera.

Dans le cadre des réunions de son conseil d’administration et de ses assemblées générales annuelles, Nunavut Tunngavik Inc. a présenté des résolutions pour appuyer les projets d’infrastructure comme celui de la route et du port de la baie Grays, et du corridor hydroélectrique et de fibre optique de Kivalluq. Je serai heureux de fournir des copies des résolutions au président, si cela peut être utile.

Nunavut Tunngavik Inc. revendique depuis fort longtemps que nous soit allouée notre juste part des programmes de financement fédéraux nationaux. Nous sommes d’avis que le Canada n’a pas terminé son exercice d’édification de la nation. Au début, il a procédé à des investissements massifs pour relier la côte Est à la côte Ouest, mais on attend toujours les investissements pour relier ces côtés à la côte la plus longue, celle de l’Arctique. Sans l’adoption d’un cadre stratégique solide en matière d’infrastructure, notre potentiel de développement demeurera limité.

Si le Canada est véritablement une nation arctique, il doit procéder aux investissements voulus et nécessaires dans l’infrastructure de l’Arctique pour s’assurer que les Inuits du Nunavut reçoivent des services équitables comme les autres Canadiens. Le Canada doit poursuivre son exercice d’édification de la nation et mettre en place une infrastructure complète dans l’Arctique.

En terminant, j’aimerais vous parler de l’optimisme qu’avaient les Inuits lors des négociations sur le Nunavut et lors de sa création. Cette année, 2018, marque les 25 ans de la signature de l’accord sur le Nunavut. En dépit du fait qu’ils font eux aussi partie du Canada, les Inuits du Nunavut sont encore aux prises avec de nombreuses inégalités sociales. J’espère que grâce à la collaboration entre les organisations inuites, les différents échelons de gouvernement, nous réussirons à améliorer les choses pour que, au cours des 25 prochaines années, les Inuits puissent jouir de meilleures conditions de vie, et que, en tant qu’Inuits, nous soyons fiers de vivre sur nos terres et de pouvoir nous développer comme autrefois.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous parler ce soir. Comme ma collègue, je peux répondre à vos questions. Qujannamiik.

Le président : Merci à vous deux. Qujannamiik. Nous allons passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice Bovey : Je veux vous remercier tous les deux de vos exposés touchants et convaincants. Je les trouve très émouvants et je comprends ce que vous dites. Vous ne serez pas surpris de m’entendre dire que j’insiste sur l’importance de la langue et de la culture pour permettre à une communauté d’avancer.

J’ai deux petites questions et je vais les accompagner de mes excuses, car je vais devoir m’esquiver très bientôt. L’une concerne votre commentaire au sujet de l’ALENA, sénateur. Vous avez parlé de l’ivoire et des autres produits du phoque fabriqués par des artistes, et je pense que c’est une convention des Nations Unies qui interdit leur exportation. Je me demande si, pas aujourd’hui sans doute, mais plus tard, votre communauté pourrait réfléchir au genre de discussions qu’il faudrait avoir pour tenter une certaine ouverture de ce côté. Je comprends que ces lois ont été mises en place en ciblant les défenses d’éléphant et les cornes des rhinocéros, et je pense que l’Arctique a été inclus dans le tout. C’est probablement une question pour l’avenir. Comme on examine l’ALENA, j’aimerais beaucoup avoir votre point de vue sur ce que nous pouvons faire, car c’est un problème auquel nous nous heurtons quand on veut faire voyager des expositions dans différentes parties du globe.

Mon autre question porte sur le Conseil de l’Arctique et la question que vous avez posée, à savoir « Comment peuvent-ils continuer à se réunir pour discuter de nos terres et de nos ressources, alors que nous restons toujours en marge? ». Que faut-il faire pour que les Inuits puissent assumer la présidence du Conseil de l’Arctique?

M. Watt : Je vais répondre à votre deuxième question, car je connais mieux ce sujet que l’autre que vous avez mentionné, même si j’en sais un peu sur certains artefacts et articles qu’on ne peut pas exporter. Cela a des répercussions énormes sur la capacité de survie des Inuits. Je pourrais en parler longuement, et j’aimerais entrer dans les détails, mais permettez-moi de revenir à l’autre question.

La sénatrice Bovey : Nous pourrons rediscuter de la première question au cours des mois à venir. Je l’ai inscrite au compte rendu pour que nous puissions en discuter et avoir une réponse plus tard, et non pas aujourd’hui, car c’est trop complexe.

M. Watt : D’accord. Il faut que notre gouvernement insiste sur ce qui est réalisable et sur ce qui ne l’est pas quand on nous laisse en marge au début même des discussions sur un sujet qui concerne le bien-être dans l’Arctique et l’accès aux ressources, alors même que les Inuits n’ont pas leur mot à dire, et ça se poursuit encore.

Parlons du Conseil de l’Arctique, par exemple. La direction change périodiquement, et la présidence est sur rotation; elle est assumée parfois par les États-Unis, le Canada, la Norvège, la Finlande, l’Islande, ou un autre pays. Mais on n’a pas le même accès qu’eux, comme acteurs. C’est très important. Quand on parle du territoire au niveau international, quand on diffuse l’information auprès de la communauté internationale, on semble parler de régions qui ne sont pas habitées. En d’autres mots, il n’y a pas d’Inuits qui y vivent.

C’est un sujet sur lequel je me suis penché au cours des huit dernières années quand j’étais encore sénateur, comme vous le savez sans doute. Je vous ai fourni toutes sortes de renseignements, sur nos droits, sur les droits internationaux, et d’autres sujets de même nature. J’ai embauché un cabinet d’avocats pour montrer ce qu’il en est exactement. J’ai fait parvenir l’information au cours des ans non seulement au gouvernement canadien, mais aussi aux Nations Unies, comme vous le savez sans doute.

Tant que nous ne participons pas directement aux discussions, je ne pense pas qu’on y arrive. On n’a même pas envisagé, c’est du moins ce que j’ai entendu dire au cours des années, de permettre au peuple inuit, à tout le moins, d’occuper la présidence périodiquement. C’est un problème, et il faut y remédier.

Quand on traite avec la communauté internationale, en particulier les gens avec qui j’ai discuté, les ambassadeurs, ils sont à nos côtés et sont d’accord avec les points que nous faisons valoir. Le problème, c’est que le gouvernement canadien doit comprendre que s’il veut conserver l’Arctique, il ferait mieux d’agir rapidement. S’il ne fait rien, je pense que ce qui va arriver, si on regarde le jeu qui se joue au sein de la communauté internationale, en particulier au sein des sept pays de l’Arctique, surtout du côté de la Russie, c’est que leurs revendications vont se rendre jusqu’au Canada. Comme vous le savez sans doute, le drapeau qui a été planté sur le plancher océanique ne l’a pas été par accident; il l’a été de façon délibérée.

Nous, Inuits, sommes sur la ligne de front. Peu importe ce qui se passe au sein de la communauté internationale, les querelles au sujet des ressources, nous sommes les alliés du Canada. C’est notre terre natale, et ils seraient mieux avisés de reconnaître que la terre, la mer et la banquise ont été occupées par les Inuits depuis des temps immémoriaux. Quand ils ont commencé à parler du droit de la mer les premières années, ils ont complètement fait abstraction des Inuits qui vivaient dans l’Arctique. Que ressentons-nous face à cela?

La sénatrice Bovey : Je pense qu’il s’agit d’une question très importante et qu’il faudrait vraiment, dans nos recommandations et notre rapport, attirer l’attention sur le fait qu’il faut trouver des façons pour les Inuits d’assumer des rôles de direction, au moment où nous tentons de régler certaines questions nationales et internationales. Je vous remercie beaucoup d’avoir soulevé ce point.

M. Watt : Si vous me permettez d’aller encore plus loin, une des raisons qui me rendaient tellement optimiste lorsque le comité a été créé, c’est que je savais que ce comité spécial pourrait faire beaucoup de choses. Quand on ne soulève pas les problèmes, qui sont importants, on n’en discute pas à la Chambre des communes. Si on pouvait se servir des mécanismes qui sont en place et aussi mousser l’idée de déposer un projet de loi d’initiative parlementaire, simplement pour stimuler la discussion à la Chambre des communes, on ferait beaucoup avancer la cause. C’est ce que j’espère que le comité fera périodiquement, lorsque le besoin se fera sentir.

C’est l’occasion idéale pour mon amie et moi de venir vous parler de sujets importants. Il n’y a pas que nous deux. Beaucoup d’autres personnes aimeraient profiter d’une tribune comme celle-ci.

Mme Kotierk : J’aimerais mentionner, même si cela n’a pas de lien précis avec les questions, mais plutôt avec le commentaire qui a été fait, que les Inuits ont pris un engagement envers le Canada. Nous nous considérons comme des Canadiens, et nous espérons que le Canada s’engagera aussi envers nous, qui vivons sur notre terre natale dans l’Arctique.

Toutefois, ce que l’expérience nous a enseigné au cours de l’histoire, c’est que le Canada se précipite quand il a besoin de nous pour des questions de souveraineté et des initiatives qui servent les intérêts du Canada. Quand il s’agit d’exploitation des ressources ou de souveraineté, le Canada est présent. Mais quand le Canada n’a pas d’intérêt, on se sent oubliés.

Quand j’ai parlé de la nécessité d’avoir une stratégie globale en matière d’infrastructure, c’est ce que je veux faire valoir. Le Canada doit se regarder dans le miroir et se demander : sommes-nous vraiment un pays nordique, arctique? Si c’est le cas, nous devons procéder à des investissements et nous devons nous engager auprès des habitants de l’Arctique de notre pays.

Le président : Sénateur Watt, nous aurons certainement l’occasion de discuter à nouveau du Conseil de l’Arctique. Le comité prévoit inviter le représentant du Canada qui y siège à venir témoigner. Vous nous avez suggéré de bonnes questions à lui poser.

La sénatrice Eaton : Je pense que l’ignorance des gens du Sud provient en partie du fait qu’ils n’ont jamais été dans le Nord. Ils savent peu de choses de l’Arctique et ils ne se rendent pas compte à quel point cette région est belle et intéressante. Je sais que nous pouvons aider de bien des façons.

J’ai eu un choc la semaine dernière. David Scott, de Savoir polaire Canada, est venu témoigner. Il a parlé des sujets qui l’intéressaient, et je lui ai parlé du pétrole et du gaz, et je lui ai demandé ce qu’il pensait de l’exploitation du pétrole et du gaz dans le Nord. Je suis d’accord avec vous, sénateur Watt, que d’autres pays, aussi éloignés que Singapour au sud, s’intéressent à ce qui se passe dans le Nord. Je ne peux pas croire qu’ils s’intéressent seulement au passage des bateaux dans les Territoires du Nord-Ouest.

Que pensez-vous de l’exploitation du pétrole et du gaz dans le Nord? Êtes-vous pour ou contre?

M. Watt : Puisque vous posez la question, je dois dire que c’est une question délicate, mais en même temps, c’est un sujet dont il faut discuter.

Nous, les Inuits de l’Arctique, comme tout le monde d’ailleurs, avons besoin de notre économie. C’est important pour nous. Par ailleurs, nous devons faire preuve de beaucoup de prudence, car l’Arctique est un environnement très fragile quand vient le temps d’exploiter les ressources de la terre, de la mer et du fond océanique qui s’y trouvent. C’est une des raisons qui nous poussent à continuer de faire valoir auprès de la population canadienne et de notre gouvernement que notre présence est importante. Nous devons être au cœur des discussions. Si nous n’y sommes pas, ils n’obtiendront pas l’information ou les connaissances nécessaires que nous, Inuits, pouvons leur fournir.

Nous vivons dans l’Arctique depuis de nombreuses années; je crois que je peux même dire que nous y étions avant la période glaciaire. Nous avons appris à composer avec le climat arctique. Nous pouvons deviner tout simplement en regardant la nature ce qui se passera demain, en particulier en ce qui concerne les variations des conditions météorologiques et d’autres aspects de cette nature. De nos jours, c’est de plus en plus impossible de le faire de la même manière; c’est de plus en plus impossible de lire la texture de la glace sur laquelle vous devez vous déplacer. Ce sont nos autoroutes; ce sont nos moyens de nous nourrir, de nous vêtir et de faire rouler notre économie. Aujourd’hui, notre économie repose sur les ressources de notre territoire, et nous devons les exploiter pour en tirer profit, manger et nous vêtir. D’une certaine manière, c’est l’économie.

Si nous ne participons pas à ce genre de discussions qui ont lieu à l’échelle internationale, je ne crois pas que ces questions seront très bien comprises par les représentants internationaux qui font office de joueurs sur l’échiquier international en la matière.

La sénatrice Eaton : La semaine dernière, sénateur, nous avons accueilli au comité trois scientifiques qui parlaient tous de l’inclusion des Innus et de l’importance d’utiliser le plus possible les connaissances locales. J’ai entendu quelque chose d’assez intéressant cet été, et j’aimerais savoir si vous avez été contactés ou si vous avez de l’information au sujet d’une table ronde sur le logement qui regroupe des spécialistes de diverses disciplines pour discuter des codes du bâtiment à utiliser pour le logement dans le Nord. L’un d’entre vous en a-t-il entendu parler?

M. Watt : Je crois que nous en entendons parler depuis aussi longtemps que je puisse m’en souvenir. Ce qui est décidé dans le Sud est ce qui prévaut dans le Nord.

La sénatrice Eaton : Nous avons entendu qu’il y aura des représentants du Nord, des ingénieurs, des concepteurs et des personnes qui adapteront le tout au climat nordique et à la construction dans les fondrières et la toundra.

M. Watt : Cela fonctionnera seulement si les Inuits y participent directement et qu’ils se fondent sur leurs propres connaissances, leurs propres décisions et d’autres éléments de cette nature pour décrire le tout. Si les Inuits n’y participent pas, j’ai bien peur que les gens n’aient pas les renseignements adéquats dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées.

La sénatrice Eaton : Je suis d’accord avec vous. Je crois, sénateur, que les témoins laissaient entendre que les Innus seraient vraiment invités à y participer.

Le président : Je peux vous aider. La création de la table ronde sur le logement dans le Nord découle d’une recommandation tirée de l’étude du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le logement dans l’Inuit Nunangat, et Polar Knowledge a mentionné prévoir la tenue d’une table ronde dans les mois à venir. Nous verrons bien si l’organisme tiendra sa grande promesse concernant l’inclusion des connaissances traditionnelles. Nous verrons bien. Toutefois, cela découle d’une recommandation d’un comité.

La sénatrice Eaton : Madame Kotierk, j’ai lu un peu sur ce que fait la Nunavut Tunngavik Inc. Pouvez-vous nous expliquer votre relation avec le gouvernement territorial du Nunavut pour nous aider à mieux en comprendre le fonctionnement?

Mme Kotierk : Sénatrice Eaton, avant de répondre à votre question, j’aimerais seulement faire un commentaire concernant la table ronde sur le logement. Je ne suis pas au fait de la tenue d’une telle rencontre.

En ce qui concerne la question de la mise en valeur du pétrole et du gaz, notre perspective, à titre d’Inuits, est que nous devons participer à la prise de décisions sur ce qui se passe sur notre territoire. Lorsque des moratoires sont imposés sur nos terres sans avoir un seul mot à dire, ce n’est pas approprié. Nous avons conclu un accord sur les revendications territoriales dans la région du Nunavut en tenant pour acquis que nous aurions notre mot à dire dans la prise de décisions ayant trait à notre territoire.

En ce qui concerne la mise en œuvre de toute initiative de développement économique sur notre territoire, je crois que nous nous attendons à ce que les Inuits en profitent et que cela améliore leur vie. Comme dans le cas de l’article 23, où j’ai parlé de nous doter d’un effectif représentatif dans la fonction publique à tous les ordres de gouvernement, nous sommes en droit de nous attendre à ce que, s’il y a des initiatives de développement économique sur notre territoire, il y ait des mesures en place pour nous assurer de renforcer les capacités des gens et ainsi veiller à ce que les Inuits puissent pleinement occuper ce genre d’emplois.

Passons maintenant à votre question sur la Nunavut Tunngavik Inc. Notre organisme représente les Inuits du Nunavut. C’était l’organisme qui a précédé la Nunavut Tunngavik Inc., soit la Fédération Tunngavik du Nunavut, qui a négocié l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut avec le gouvernement. Grâce à cette négociation, nous avons l’article 4 qui prévoit la création du territoire du Nunavut, de l’assemblée législative et d’un gouvernement public. Les Inuits du Nunavut ont donc choisi d’avoir un gouvernement public. Le gouvernement actuel du territoire du Nunavut est un gouvernement public qui sert les intérêts de tous les Nunavummiuts, de tous les habitants du Nunavut, qu’ils soient ou non des Inuits. La Nunavut Tunngavik Inc. défend les intérêts des Inuits pour s’assurer que l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et les obligations énoncées dans les 42 articles sont pleinement mis en œuvre par le gouvernement du Nunavut ainsi que le gouvernement du Canada.

Le président : Je me permets de revenir sur la question de la consultation.

Sénateur Watt, madame Kotierk, je crois que vous avez tous les deux dit que c’est important que les Inuits ne soient plus laissés pour compte en ce qui a trait à l’accès aux ressources. J’aimerais vous poser une question sur la manière dont le gouvernement devrait les consulter.

Le président Obama et le premier ministre Trudeau ont annoncé un modèle de leadership partagé dans l’Arctique qui vise à protéger 17 p. 100 des zones terrestres et 10 p. 100 des zones maritimes dans l’Arctique d’ici 2020. Cette annonce a été faite à Washington. Le président de l’organisme Inuit Tapiriit Kanatami, Natan Obed, était présent, et il a dit qu’il était ravi d’avoir participé à la préparation du document et d’avoir en fait discuté avec les rédacteurs. Il a dit que le libellé final du document tient vraiment compte des intérêts des Inuits.

Pouvez-vous nous expliquer la façon dont les consultations devraient se faire avec les Inuits en ce qui concerne les terres et les eaux dans la région visée par le règlement avec les Inuits? Qui le gouvernement du Canada devrait-il consulter en ce qui a trait à de telles questions?

M. Watt : Je crois que c’est encore une fois la responsabilité de l’ensemble des Inuits d’un territoire donné; voilà les gens qu’il faut consulter. Il arrive parfois que le gouvernement ait l’impression qu’il peut se contenter de consulter les gens d’une seule manière. Ce n’est pas vraiment acceptable. C’est très bien de consulter les organisations que nous représentons, mais il ne faut pas oublier la population et les Inuits ordinaires, dont certains sont unilingues. Il nous incombe de nous assurer que ces gens ont une voix au chapitre. Cependant, comment y arriver? C’est possible de le faire au moyen d’un référendum, et c’est une option que nous utilisons de temps à autre lorsqu’il est question d’un enjeu important qui aura des effets sur les générations à venir.

Comment devrions-nous procéder? La consultation n’est pas acceptable si c’est seulement fait par écrit pour nous en informer sans nous donner le temps d’y réfléchir. Il faut nous accorder du temps.

À mon avis, en ce qui concerne la manière dont la décision a été prise en vue d’imposer un moratoire dans l’Arctique, je ne crois même pas que les autorités ont essayé de consulter les Inuits. C’est peut-être vrai que le président de l’organisme Inuit Tapiriit Kanatami a participé directement au processus. A-t-il été consulté? Je ne le sais pas; je n’y étais pas. Je me demande par contre si c’était la bonne décision.

Comme je l’ai mentionné plus tôt dans mon exposé, nous avons le droit d’avoir une économie. C’est un aspect important pour nous. Nous ne nous opposons pas carrément à quoi que ce soit dans l’Arctique. Ce que nous nous demandons vraiment, c’est si nous avons les moyens en tant que Canadiens de commencer à forer des puits dans l’océan à des endroits où il y aura encore une calotte glaciaire pour de nombreuses années à venir, peut-être indéfiniment. Qui sait? Nous ne pouvons pas vraiment prévoir les conditions météorologiques que nous réserve l’avenir. C’est le problème avec lequel nous avons composé actuellement, parce que les prétendus changements climatiques ont changé la donne à certains égards et que l’Arctique est maintenant plus fragile que jamais.

Sommes-nous outillés pour intervenir en cas de catastrophe majeure comme ce qui est survenu au Mexique? Je ne le crois pas. Même le gouvernement américain n’avait pas la technologie pour intervenir dans un tel cas. Que se passe-t-il du côté des États-Unis? Si une telle catastrophe devait survenir dans l’Arctique, la situation serait complètement incontrôlable, parce que le pétrole s’échapperait de la croûte terrestre et qu’il se répandrait à la surface de l’océan dans un climat très froid. Qu’est-ce qui se passerait? Serions-nous en mesure de nettoyer ce déversement? Je ne crois pas que nous ayons la technologie pour ce faire.

Nous avons parlé plus tôt des revendications territoriales de la Russie qui se rendent jusqu’au Canada. Eh bien, les Russes sont peut-être mieux outillés que nous. Je crois fermement qu’ils le sont, du moins d’après les renseignements que j’ai recueillis au fil des ans. En ce qui concerne les États-Unis et le Canada, je ne crois pas que ces pays disposent de l’équipement nécessaire pour intervenir rapidement et atténuer les dommages qu’ils causeront dans l’Arctique. Je ne crois pas qu’ils ont l’équipement pour ce faire. Ils ne possèdent pas la technologie.

Je crois que j’ai passablement fait le tour de la question. Je ne sais pas si cela répond à votre question, sénateur.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup de cette description très intéressante et très touchante de la situation au Nunavut et des Inuits. Je suis entièrement d’accord avec ce que vous avez dit dans votre approche et la manière dont vous voyez le développement de votre territoire et l’épanouissement de votre peuple en mettant l’accent sur la langue, l’éducation et la formation en occupant certains postes et en vous invitant à la grande table lorsque sont prises des décisions concernant votre peuple et votre territoire. Je suis tout à fait d’accord avec cette manière de faire les choses.

Comme je suis active dans le domaine scientifique, je peux valider ce que vous dites au sujet de la présence des Russes. J’ai pris des notes au sujet des points que vous avez fait valoir concernant l’infrastructure. Vos besoins concernent les routes, le logement, l’eau potable, les eaux usées, les énergies renouvelables et l’interconnectivité. Je peux voir que vous voulez moderniser votre situation. Vous voulez, à juste titre, les avantages et le confort dont nous jouissons dans le Sud.

Appuyez-vous le développement durable et ce qui est présenté comme une manière de penser à l’avenir pour réduire au minimum les effets sur votre environnement, ce qui comprend l’inclusion des connaissances traditionnelles dans ce développement? Comment pouvons-nous procéder au développement du Nord? Est-ce que des gens du Sud apportent leur technologie dans le Nord? Envoyez-vous des gens étudier dans les universités dans le Sud pour que ces personnes retournent ensuite dans le Nord? Nous discutons actuellement de cette question à l’Université Laval, parce que cela concerne la mise en œuvre de la réconciliation. Nous voulons élaborer des programmes qui permettront à des habitants du Nord de venir étudier avec nous, mais nous cherchons le moyen d’y arriver. Pouvez-vous m’aider?

M. Watt : Eh bien, je vais essayer de répondre en partie à votre question. Je ne peux pas me prononcer sur tous vos points. Je vais peut-être laisser ma collègue vous répondre.

Lorsque les gens parlent de développement durable, savent-ils de quoi ils parlent?

La sénatrice Galvez : Certains. Pas tout le monde, mais certains.

M. Watt : Eh bien, il y en a au moins certains. Mon problème est que les personnes qui me parlent de développement durable, lorsque je leur pose cette question, ne peuvent pas me répondre, parce qu’elles ne savent pas ce que cela signifie ou du moins elles ne savent pas ce que cela signifie du point de vue des Inuits.

Voulez-vous traiter des autres points? Je ferai de mon mieux pour compléter sa réponse après coup si vous êtes d’avis que nous ne répondons pas à vos questions. Je pourrai compléter sa réponse par la suite, mais je crois qu’elle a plus d’expertise que moi dans les autres sphères dont il est question.

Mme Kotierk : Vous posez une question intéressante, lorsque vous proposez de faire venir dans le Nord des gens du Sud avec leur technologie. Je trouve cela intéressant, parce que je crois que c’est souvent cette optique. Nous avons un très grand nombre de travailleurs temporaires qui arrivent dans nos communautés, qui restent quelques années, qui gonflent leur régime de retraite et qui repartent ensuite. Je crois que nous devons investir davantage dans le renforcement des capacités de notre propre peuple, parce que nous sommes là et que la plupart d’entre nous y resteront.

J’ai mentionné plus tôt l’importance d’être en mesure d’influer sur la conception des politiques et des programmes grâce à la manière dont nous comprenons notre place dans le monde et à la possibilité d’assurer leur prestation dans notre propre langue. Je crois que ce sont des aspects inestimables. C’est difficile d’en évaluer les avantages.

Il est important que les gens commencent à s’interroger sur leurs points de vue lorsqu’ils arrivent sur notre territoire. Voici un exemple. Je sais que le gouvernement fédéral offre le programme Nutrition Nord Canada. Le coût de la vie est certainement élevé dans notre région. Ce programme subventionne la majorité des produits transformés vendus dans les magasins de détail dans les communautés. J’ai déjà dit au gouvernement fédéral que c’est excellent si vous voulez subventionner ces produits. Toutefois, ce que j’aimerais vraiment que vous fassiez, ce serait de nous donner 15 millions de dollars. Nous avons investi 15 millions de dollars dans le Programme d’aide à la récolte au Nunavut; si vous nous donnez 15 millions de dollars, nous aurons encore plus les moyens de soutenir les gens qui partent à la chasse pour procurer de bons aliments nutritifs non seulement à leur famille immédiate, mais aussi à la famille au sens où l’entendent les Inuits. C’est une source de bons aliments nutritifs, mais cela permet aussi à des chasseurs expérimentés de transférer leurs connaissances traditionnelles à des chasseurs débutants. Cela permettrait de créer de solides bases pour l’identité inuite et de la renforcer à une époque où un grand nombre de nos jeunes se sentent perdus et ne sont pas certains de leur place dans le monde, mais cela leur redonnerait aussi un but et une raison d’être en ce qui concerne la manière dont ils peuvent contribuer aux réseaux sociaux et aux liens qui nous unissent dans nos communautés.

Il y a tellement de facettes pour arriver à penser comme des Inuits à quelque chose qui nous serait utile. Lorsque je pense au développement économique, je comprends que la première chose qui vient à l’esprit des gens lorsqu’ils pensent à l’Arctique est la mise en valeur des ressources. Je le comprends. Toutefois, je suis au fait des petites initiatives de développement économique qui ont lieu, par exemple, sur l’île Fogo où les gens mettent en valeur leur caractère unique tout en continuant d’exprimer qui ils sont. N’y a-t-il pas un moyen pour nous de permettre aux Inuits de mettre en valeur le peuple que nous sommes et nos aliments traditionnels dans le cadre d’une expérience culinaire offerte aux gens qui viennent à Iqaluit au lieu d’avoir de banals hamburgers et des frites comme les gens peuvent en trouver n’importe où ailleurs?

Je crois que nous devons accomplir un meilleur travail en vue de créer de telles pépinières d’entreprises. Je crois que cela nous permettrait également de stimuler la confiance et de réaliser que nous ne sommes pas... Plus tôt ce matin, j’ai témoigné à un autre comité sénatorial, et l’un des aînés qui prenaient la parole a dit que son père avait l’habitude de lui dire que les non-Inuits ne l’accepteraient jamais et ne l’aimeraient jamais, parce qu’il est Inuit. Je crois que bon nombre d’Inuits se disent encore la même chose. Ils ont honte des aliments qu’ils mangent. Ils ont honte de l’odeur des bottes en peau de phoque ou de l’odeur des vêtements en peau de caribou. À mon avis, ce serait vivifiant de dire que nous sommes fiers d’être Inuits, que c’est correct et que c’est la manière dont nous le faisons. De nombreux exemples existent. Nous devons commencer à diffuser ce message parmi les Inuits pour que nous, les Inuits, puissions commencer à prendre part aux initiatives de développement économique qui façonnent le peuple que nous sommes.

Une question a été posée au sujet de la consultation. Mon collègue a abordé bon nombre des points, mais je crois qu’il est très important de l’offrir aussi en inuktitut et de ne pas seulement le faire sur le site web ou au moyen d’un sondage en ligne. Comme nous l’avons déjà mentionné, Internet haute vitesse est un problème, et la connectivité est mauvaise. Les gens doivent pouvoir comprendre la question sur laquelle ils sont consultés, et il faut leur accorder du temps. Je crois que c’est essentiel pour être en mesure de comprendre la documentation. Ce n’est pas juste pour les gens de recevoir un document technique qui fait des centaines de pages et de nous attendre à ce qu’ils soient en mesure de formuler des commentaires éclairés sur les effets que cela aura sur la communauté. L’information doit leur être présentée de manière à ce qu’elle soit facile à comprendre, et il faut le faire dans leur langue. Il faut également mettre des fonds à la disposition des groupes communautaires en vue de leur permettre de pleinement participer aux consultations, parce que des gens peuvent savoir qu’il se passe quelque chose, mais nous serons incapables de formuler un message cohérent pour exprimer le point de vue des Inuits si ces groupes ne sont pas en mesure de mener leurs propres recherches et de tenir leurs propres rencontres pour en discuter avant la tenue des consultations.

Voilà ce que je voulais ajouter aux commentaires de Charlie Watt.

M. Watt : Je vais aller un peu plus loin.

Je crois que nous avons vu de nombreux scientifiques et spécialistes et tous les autres. Ils arrivent normalement au printemps, à l’instar des outardes qui reviennent du sud. Lorsque les températures chutent, ils retournent dans le sud. Nous en avons vu bon nombre. Nous souhaiterions parfois avoir accès au même genre de renseignements qu’ils ont recueillis. Nous n’avons aucune manière d’avoir accès à cette information. Après avoir passé quelques mois dans le Nord, lorsque les températures chutent, ils quittent la région. Ils ne voient pas tout le cycle de l’univers, ce qui se passe dans la région, ce qu’ils s’engagent à étudier. Lorsque ces scientifiques s’expriment, j’ai toujours l’impression qu’ils ne détiennent qu’une partie de l’information et non l’ensemble des renseignements. Bref, comment pouvons-nous changer cela?

En fait, il y a deux ou trois jours, il en a été question lors de la première assemblée générale annuelle à laquelle j’ai participé à titre de président de la Société Makivik. Cette question a été abordée. Comment pouvons-nous contrôler l’information qui circule entre le Nord et le Sud? L’un des aînés a proposé d’en assumer le contrôle. Autrement, des renseignements trompeurs seront diffusés dans le Sud. Quand j’entends un aîné dire que les gens reçoivent seulement une partie de l’information, je crois que c’est une question assez grave, ce qui est vrai. Si vous ne restez pas dans la région toute l’année, été comme hiver, que rapportez-vous? Nous savons que l’information que les gens rapportent a trait à ce qui se passe l’été. Toutefois, ils n’ont aucune idée de ce qui se passe l’hiver avec les conditions météorologiques et climatiques.

Votre comité peut nous aider. Je crois qu’il est très important pour nous d’arriver à mettre en place un certain mécanisme pour que ces personnes aient accès à cette information et nous laissent aussi ces renseignements. Il faut réaliser des travaux dans ce domaine. Vous voudrez peut-être amorcer une discussion à la Chambre des communes à ce sujet. Réfléchissez à l’objet des débats à la Chambre des communes. C’est le Nord qui dit en gros à la population canadienne que ces scientifiques ne diffusent pas des renseignements adéquats dans le Sud.

Il se peut que bon nombre d’entre eux vivent dans l’Arctique depuis des années. C’est très évident que ce sont des personnes très différentes lorsqu’elles diffusent de l’information. Vous pouvez au moins comprendre l’information qui est ainsi diffusée dans le Sud. Beaucoup de personnes qui viennent dans le Nord y restent quelques semaines ou deux ou trois mois tout au plus, puis elles repartent. Nous devons faire quelque chose à ce sujet, parce que les habitants du Nord nous demandent de faire quelque chose, de nous assurer de comprendre l’information qui est recueillie dans l’Arctique et de vérifier si l’information est adéquate ou incomplète. Nous devons établir un mécanisme dans le système pour nous assurer de la présence d’un dialogue continu entre le Nord et le Sud.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie tous les deux de vos exposés très importants. J’ai énormément de questions, mais je vais essayer de me limiter. Sénateur Watt...

M. Watt : Je ne suis plus sénateur. Vous ne pouvez plus vraiment m’appeler « sénateur ».

La sénatrice Coyle : Nous sommes tout simplement tellement habitués à vous appeler « sénateur Watt ».

Vous avez parlé de la nécessité et de l’importance de traiter les Inuits et la nation inuite comme de véritables partenaires respectés du Canada et de le faire aussi dans nos relations internationales. Vous avez également parlé de la vulnérabilité et de la fragilité de l’environnement naturel dans lequel vivent les Inuits et vous avez aussi mentionné que cet environnement devient de plus en plus fragile au fil des ans. Vous avez également parlé des habitants et de la fragilité qui découle du colonialisme et des très mauvais rapports mutuels au fil des siècles entre la population coloniale dominante du Canada et les Inuits. Je crois avoir très bien compris votre message à ce sujet, et je crois qu’il faut insister sur ce message.

Au sujet de la fragilité de l’environnement naturel, vous avez parlé des conséquences d’un potentiel déversement pétrolier important, par exemple. Vous avez aussi mentionné la fonte du pergélisol. J’ai deux questions pour vous.

Premièrement, je crois vous avoir entendu donner une mesure possible concernant la fonte du pergélisol et les endroits où vivent les Inuits, et les Inuits vivent partout dans le Nord. Il y a deux choses. Nous pouvons corriger la situation par rapport au logement dans ces communautés où fond le pergélisol ou nous pouvons en fait relocaliser les habitants de certaines régions. J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet.

J’aimerais également que vous nous donniez des exemples d’autres idées — vous n’avez pas besoin d’appeler cela du développement durable — qui connaissent déjà du succès ou que d’autres proposent pour créer vous-mêmes des possibilités de développement économique. Quelles sont vos idées? Qu’est-ce que les gens autour de vous disent?

Voilà mes questions pour vous. J’ai aussi des questions pour vous après, madame Kotierk.

M. Watt : Je vais essayer de formuler le tout de manière intelligible.

En ce qui concerne ce qui change dans l’Arctique en raison des changements climatiques, c’est notre réalité depuis déjà bon nombre d’années. Lorsque je suis arrivé ici pour la première fois, j’essayais de présenter mon point en disant que cela s’en venait. En fait, je suis même allé jusqu’à dire que c’était déjà le cas, même si nous ne pouvions pas encore le sentir. Comme nous vivons dans l’Arctique et que nous sommes aux premières loges pour le voir, c’est déjà notre quotidien. Pour moi, c’est important.

Pour ce qui est de ce qui se passe concernant l’infrastructure qui a été érigée dans ces diverses communautés, selon l’endroit, le pergélisol n’existe plus dans certaines régions, tandis qu’il y a encore de vastes vallées dans certains coins où le sol est encore gelé en permanence. Une partie de l’infrastructure est lentement endommagée chaque année et s’érode dans l’océan. Nous le voyons beaucoup plus en Alaska qu’au Canada, mais cela ne signifie pas que ce n’est pas ce que l’avenir nous réserve au Canada. Voilà un problème qui nous inquiète actuellement.

Nous avons déjà investi au cours de la décennie beaucoup d’argent pour 14 pistes, qui sont à refaire. Voici un exemple. Dans une communauté où je me suis rendu récemment, la moitié de la piste s’était effondrée. Par chance, l’avion n’atterrissait pas. C’est survenu de manière naturelle; la piste s’est effondrée, parce qu’il n’y avait plus de pergélisol pour la supporter.

Nous devons actuellement composer avec bon nombre de situations similaires avec les maisons, l’infrastructure, les pistes et d’autres éléments connexes. Nous devons envisager une construction massive dans chaque secteur et essayer de trouver une manière de ne pas être au même endroit et de relocaliser le tout.

En ce qui a trait aux ingénieurs et à la compréhension du point de vue des gens du Sud, ils ont l’impression de devoir ajouter gravier par-dessus gravier chaque fois qu’ils construisent une maison. Au Nunavut, je ne suis pas certain que c’est différent. À Iqaluit, les constructeurs ont utilisé des pieux d’acier qu’ils ont enfoncés dans le sol. Cela permettra à ces bâtiments de durer plus longtemps que ceux qui ont du gravier en surface. C’est un problème.

L’autre élément que vous avez en quelque sorte souligné dans votre question a trait davantage à un concept de gouvernance. Dans le Nord — du moins au Nunavik, mais je ne crois pas que ce soit encore le cas dans sa région, parce qu’elle est du Nunavut et que je suis du Nunavik —, nos revendications territoriales ont été réglées longtemps avant les autres. Nous avons donc adopté cela, étant donné que nous n’avions rien d’autre sur lequel nous appuyer; nos droits n’existaient pas lorsque nous avons entamé nos négociations.

Nous avons intenté des poursuites contre Hydro-Québec. Nous avons obtenu une victoire partielle en cour. Nous avons subi une défaite partielle en Cour d’appel. Nous avions auparavant complètement été déboutés, parce que les droits n’existaient pas à l’époque où nous avions intenté des poursuites, soit des injonctions interlocutoires, pour freiner le développement. Nous n’avions pas de droits en vertu de la Constitution à l’époque. Nous avons donc dû mener une rude bataille tout au long du processus et nous nous sommes fait dire par des autorités gouvernementales, en particulier le gouvernement du Québec, que nous n’avions aucun droit d’être là, que nous n’avions aucune terre, que nous n’étions personne et que nous ne devrions donc pas essayer de négocier avec eux, parce que cela ne nous donnerait rien. Néanmoins, nous avons saisi les tribunaux de la question, et c’était le juge Malouf qui était là à l’époque. Il nous a donné l’occasion de voir si nous pouvions réussir à faire valoir la question de nos droits et si, en fin de compte, nous pouvions déterminer la validité juridique de notre cause pour aller de l’avant.

À ce sujet, nous avons obtenu que les lois d’application générale au Québec s’appliquent aux droits que nous avions négociés. Au même titre, que ce soit un gouvernement provincial ou un gouvernement territorial, les lois d’application générale sont la responsabilité quotidienne du gouvernement. Tant que les lois d’application générale ont préséance sur la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, ce que nous avons obtenu nous a été retiré par l’autre moitié. Arrivez-vous à suivre?

J’ai une nouvelle tâche à cet égard. C’est l’une des raisons pour lesquelles les gens m’ont élu avec une forte majorité; je l’ai souligné à la population canadienne. Je me souviens d’avoir fait une déclaration durant les négociations; j’ai mentionné que j’essaierais de voir si nous pouvions composer avec les lois d’application générale qui planent au-dessus de nos têtes.

Aujourd’hui, ce n’est pas ce que nous visons. Je parle maintenant du Nunavik. Nous mettons l’accent sur les valeurs, les traditions et la culture inuites. La forme que prendra cette structure de gouvernance se fondera sur ces aspects. Nous avons au moins l’occasion de le faire. Je ne dis pas que c’est une solution parfaite, mais nous aurons au moins l’occasion de gouverner notre peuple en nous appuyant sur nos valeurs et nos traditions. Beaucoup de modifications seront nécessaires. Néanmoins, nous sommes prêts à nous engager dans cette voie. Autrement dit, une renégociation aura lieu. Où cette occasion se présentera-t-elle? Je crois que le gouvernement actuel a inscrit dans son programme qu’il est prêt à discuter des enjeux de nation à nation et de gouvernement à gouvernement. Voilà pourquoi les habitants du Nunavik sont prêts à adopter un nouveau régime. Si nous y arrivons — je crois que ce sera le cas —, c’est maintenant le mandat que m’a confié mon peuple. Je prends très au sérieux ce mandat et j’exercerai autant que faire se peut des pressions en ce sens pour y arriver. Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Puis-je vous poser de brèves questions, madame Kotierk? Merci également de votre exposé. Vous avez parlé d’investir dans les gens et l’infrastructure. Nous avons entendu M. Watt faire valoir l’idée très importante que les Inuits sont maîtres de leur propre destinée. Pour être maître de sa propre destinée, il faut être en mesure d’exercer ce droit d’être maître de sa propre destinée et d’avoir la capacité de s’acquitter des responsabilités qui viennent avec ce droit. C’est ce que j’entends de vous deux. Vous avez mentionné l’article 23 de l’accord. Vous avez également souligné l’importance cruciale de l’inuktitut et vous avez dit que c’est la courroie de transmission de la culture et des gens.

Ma question regroupe les deux points que vous avez exprimés concernant la langue et l’article 23; cela concerne l’éducation. Vous en avez également parlé. Ma fille a déjà enseigné à Baker Lake, et j’ai été directement témoin par son entremise et l’entremise de mon petit-fils qui a fréquenté l’école à cet endroit de la piètre qualité du système d’éducation. Vous avez décrit la situation. Des gens arrivent et repartent. Je ne vais pas donner de noms, mais il y avait un directeur qui venait d’une certaine province — pas la mienne — de la côte Est du Canada et qui a très clairement fait savoir qu’il était là jusqu’à ce qu’il ait accumulé suffisamment d’argent pour s’acheter une voiture de course rouge et qu’il quitterait ensuite la région. Vous avez aussi des enseignants très dévoués. Je ne suis pas en train de dire que ce n’est pas le cas. Vous avez également une excellente aînée qui enseigne à la maternelle, et mon petit-fils était dans un programme d’immersion en inuktitut; c’était une merveilleuse occasion pour ces jeunes. Cependant, il y a un énorme fossé à combler en vue d’atteindre les objectifs de l’article 23, et nous devons les atteindre, comme vous le dites. Nous devons absolument déployer tous les efforts pour y arriver.

Ma question est la suivante : au cours des 25 prochaines années, comment le Nunavut va-t-il accroître son contrôle sur ce système d’éducation — compte tenu des investissements et du type d’éducation que vous aimeriez voir se matérialiser là-bas — afin que d’ici 25 ans, tout le monde soit en mesure de contribuer à l’atteinte des objectifs de cet article? Selon moi, les choses ne peuvent pas continuer de la même façon. Le système d’éducation doit être le meilleur au Canada, et non pas l’un des pires. Comment pouvons-nous unir nos forces, avec vous aux commandes, afin de réaliser cet objectif?

Mme Kotierk : Je suis bien heureuse que vous me posiez la question, sénatrice Coyle, puisque c’est un sujet dont je parle sans arrêt et avec grande passion depuis que je suis devenue la présidente de Nunavut Tunngavik Incorporated, car je perçois le système d’éducation comme le point de focalisation de l’inuktitut et de notre capacité à constituer une main-d’œuvre représentative. Tous ces aspects s’articulent autour de cet important secteur qu’est l’éducation. Nous devons offrir des programmes de formation dynamiques et rigoureux pour veiller à multiplier le nombre d’enseignants qui parlent inuktitut dans nos collectivités. J’ai écrit des lettres au nom de Nunavut Tunngavik Incorporated au ministre de l’Éducation de l’époque du gouvernement territorial. J’ai écrit une lettre au premier ministre pour lui parler du besoin de fournir du financement pour permettre la mise en place de programmes de formation des enseignants à l’échelle des collectivités.

Je sais que, du côté fédéral, on considère généralement que l’éducation est une compétence provinciale ou territoriale. Toutefois, j’estime qu’au Nunavut, il y a eu des efforts concertés pour anéantir notre langue et notre culture. À l’heure actuelle, le territoire compte en tout et pour tout 43 écoles. Il y a une école française; toutes les autres sont des écoles anglaises. Soixante-dix pour cent des enseignants sont des non-Inuits qui ne parlent pas l’inuktitut. Dans n’importe quelle collectivité du territoire, un écolier de cinquième année qui se rend à l’école devra parler anglais, et ce, même si sa langue maternelle est l’inuktitut. Même s’il est plus facile pour lui de s’exprimer en inuktitut, il devra parler anglais. Je me dis ceci : nous sommes sur nos terres ancestrales, c’est ce pour quoi nous avons négocié, cette identité est la nôtre depuis toujours, et malgré cela, je dois changer qui je suis et m’astreindre à parler anglais. Du reste, le programme n’est pas axé sur la réalité inuite. Alors je pose la question : en quoi cela est-il différent de l’obligation d’envoyer nos enfants dans les pensionnats indiens?

Dans nos propres collectivités, les enfants inuits suivent des programmes qui n’ont rien à voir avec qui nous sommes et avec les réalités du Nunavut. Ils sont contraints de faire marche arrière et d’apprendre une autre langue. Ils ne se voient pas comme des enseignants parce que la majorité des gens qui sont devant eux — et qui n’arrêtent jamais de changer — sont des non-Inuits. J’ai grandi à Igloolik, et combien de fois ai-je dû expliquer que cela veut dire « oui » et que cela veut dire « non ». En tant qu’Inuits, combien de fois devrons-nous recommencer l’éducation des travailleurs de passage? Et après, on nous demande pourquoi notre attitude est si négative à l’égard des gens de l’extérieur. C’est que je suis tout simplement fatiguée d’avoir à redire la même chose, car on ne sait jamais combien de temps vous allez durer? Ce n’est pas une opinion personnelle que je me fais sur la personne qui arrive, mais c’est notre réalité. C’est la même chose lorsque nous allons au centre de santé. Je dois vous dire et vous redire que c’est cette partie de mon corps qui fait mal, parce que personne n’a le temps de lire mon dossier et que je dois constamment répéter. Puis, le mois suivant, il faudra que je reprenne tout depuis le début. Par conséquent, disons que le degré de frustration va en augmentant parce que nous savons que nous ne recevons pas la qualité de service que les autres s’attendent à recevoir.

Selon moi, il est essentiel de financer l’éducation des enseignants dans les collectivités. C’est ce qui sera déterminant pour nous permettre d’édifier un système scolaire qui nourrira notre identité inuite. Nous devons créer un programme axé sur les Inuits. Nous devons mettre au point du matériel didactique en inuktitut. Lorsque des enseignants qui parlent inuktitut vont dans les écoles, ils se tuent à l’ouvrage, et ce n’est pas étonnant, puisque chaque fois qu’ils doivent enseigner quelque chose, ils doivent mettre au point leur propre matériel didactique. En revanche, les enseignants anglophones disposent d’abondantes ressources pour enseigner le programme, de documents qu’il leur suffira de photocopier. Des efforts concertés sont nécessaires, et pas seulement en ce qui concerne la formation des enseignants, mais aussi pour l’élaboration de ressources et de programmes, et comme je l’ai dit, cela doit se faire à l’échelle des collectivités, attendu que nous avons une crise du logement d’une telle ampleur. À cause de cela, si je voulais suivre une formation pour devenir enseignante, il faudrait que je quitte mon village, ce qui signifie qu’il me faudrait renoncer à mon logement social.

M. Watt : Et que ce logement pourrait ne plus être là à votre retour.

Mme Kotierk : Exactement. Il ne fait aucun doute qu’il ne sera pas là à votre retour. Alors, les gens doivent faire des choix dans ce contexte, et les politiques gouvernementales présument que les Inuits ne sont pas intéressés. Sauf que la vraie question c’est que faut-il faire pour offrir ces services? Comment peut-on assurer la prestation d’une formation à l’échelle des collectivités? Parce que les Inuits sont bel et bien intéressés. Ils doivent être informés de ces possibilités et ces possibilités doivent être offertes dans les collectivités afin que les personnes intéressées n’aient pas à se demander s’ils vont perdre leur logement.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. C’est un enjeu de taille et, comme vous l’avez dit, c’est une question centrale, et je vous remercie de vos observations à cet égard. Dans l’intervalle, lorsqu’il y aura des gens de l’extérieur — qui, nous l’espérons, prendront part aux efforts en matière d’éducation —, il serait important que ces partenaires venus du Sud reçoivent eux aussi une formation. Ils doivent recevoir une formation qui les aidera à être de meilleurs partenaires pour l’éducation inuite des enfants du Nord. J’ai vu cela au Yukon, là où ma fille enseigne désormais. D’après ce que j’ai pu constater, le Yukon réussit mieux que le Nunavut à préparer les enseignants du Sud à devenir des partenaires en matière d’éducation. Alors, je crois que c’est exactement comme vous le dites. En attendant, nous devons travailler ensemble en espérant que les choses deviennent de plus en plus comme vous les envisagez. Je crois aussi qu’il serait important de faire quelque chose pour préparer les enseignants venus du Sud à être de meilleurs partenaires en matière d’éducation inuite.

Le président : J’aurais une brève question complémentaire à vous poser là-dessus, madame Kotierk. Les Inuits ont intenté une poursuite contre le Canada pour avoir échoué dans la mise en œuvre de la revendication territoriale, et l’article 23 était un élément important de cela. Un fonds d’indemnisation a donc été créé pour la formation. La formation des enseignants — en mode accéléré, comme vous l’avez dit — fera-t-elle partie des priorités en ce qui concerne l’utilisation du fonds de formation?

Mme Kotierk : Le fonds de formation auquel vous faites allusion faisait partie de l’entente de règlement de mai 2015. À cette époque, Nunavut Tunngavik Incorporated a décidé qu’il allait prendre 175 millions de dollars de cet argent et le consacrer à la formation à l’emploi à l’intention des Inuits. La Makigiaqta Inuit Training Corporation est dirigée par un conseil d’administration. À l’heure actuelle, il y a un plan stratégique qui s’articule autour de quatre secteurs prioritaires. Le développement de la petite enfance et la formation axée sur les carrières sont des secteurs où il y aura formation des enseignants. Il y a aussi des possibilités de s’associer avec le gouvernement.

Je crois qu’il faudra tenir des discussions à ce sujet. J’ai parlé au ministre de l’Éducation, et j’en ai parlé aux ministres fédéraux. Je leur ai dit que si cela suscitait de l’intérêt, je serais tout à fait disposée à examiner comment nous pourrions former un partenariat à trois afin de mettre sur pied dans de nombreuses collectivités du Nunavut un programme robuste et de grande portée pour la formation des enseignants. Une initiative de ce type requiert l’engagement des deux ordres de gouvernement ainsi que des organismes inuits.

Le président : Merci. Sénateur Watt, qu’avez-vous à dire au sujet de l’éducation? On s’attend à ce qu’il y ait d’autres questions à ce sujet.

M. Watt : Je vais essayer de me limiter aux aspects qu’il me semble pertinent de mentionner.

Nous avons des problèmes similaires à ceux que ma collègue a décrits, même si elle est au Nunavut. Je suis du côté du Nunavik. Je vous disais tout à l’heure que nous avons été les premiers à tenir cette série de négociations. C’est pour cette raison que nous avons une entente qui est différente des autres, notamment en ce qui concerne l’éducation. Les négociations ont abouti en 1975. C’est à ce moment-là que nous avons signé les ententes avec le gouvernement du Québec et avec le gouvernement du Canada. D’autres signataires étaient aussi à la table, dont Hydro-Québec et d’autres entités de cette nature.

En ce qui concerne la question de l’éducation, nous avons maintenant pleine juridiction. En d’autres termes, nous avons notre propre commission scolaire. Cela nous a beaucoup aidés parce que nous n’enseignons que l’inuktitut aux enfants en bas âge — pendant les trois premières années — afin de nous assurer qu’ils ont une base solide dans cette langue avant de leur en apprendre une autre. Je n’ai jamais vraiment été un ardent défenseur de ce genre de principe, mais avec le temps, j’ai appris à en apprécier la valeur. Je comprends maintenant que le jeune risque d’avoir des problèmes plus tard si la fondation n’est pas tout à fait là en commençant. Disons que je l’ai appris de la manière forte.

L’un de nos plus gros problèmes, c’est le manque d’argent. Ma collègue l’a aussi mentionné. On reconnaît dans une certaine mesure que l’enseignement des Inuits doit se faire en inuktitut et d’autres choses de cette nature, mais les fonds nécessaires pour mener cela à bien sont toujours insuffisants.

J’essaie d’abréger. Le ministre n’a pas non plus le pouvoir d’interdire le développement des programmes d’études et des choses de ce genre. À tout le moins, c’est la responsabilité de la Commission scolaire Kativik d’élaborer ses propres programmes et les autres éléments de cette nature. Cet aspect-là des choses est entre leurs mains.

Cela ne veut pas dire que nous n’avons aucun problème. Nous en avons. Comme je vous l’ai dit, la question des ressources financières est toujours un problème. Par exemple, nous sommes encore en train d’apprendre à administrer notre propre conseil scolaire, car c’est quelque chose que nous n’avons jamais eu la possibilité de faire auparavant.

Il n’a pas été facile d’obtenir une exemption du gouvernement du Québec. C’est presque arrivé par accident. C’était à l’époque où la Loi 101 était à l’ordre du jour. Je pensais que c’était une occasion à saisir, alors nous y sommes allés et nous avons négocié par l’intermédiaire des médias publics et de ce genre de choses, et nous avons réussi à obtenir une exemption du gouvernement du Québec. Je me pose toujours la question : comment diable ai-je réussi à faire cela? Quoi qu’il en soit, l’exemption est là.

Mme Kotierk : J’ai oublié quelque chose lorsque j’ai parlé de la convention de règlement de mai 2015. Il a également été conclu qu’une somme de 50 millions de dollars serait mise de côté par le gouvernement fédéral pour la formation. C’est le Comité de mise en œuvre du Nunavut qui doit décider de la façon d’affecter cet argent. Nunavut Tunngavik Incorporated, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut siègent à ce comité qui se réunit sur une base régulière. Je n’ai pas manqué de répéter au ministre de l’Éducation et aux gens du ministère de l’Éducation que Nunavut Tunngavik les appuierait sans réserve s’ils décidaient de présenter une proposition pour que cet argent soit utilisé pour financer un programme de formation pour enseignants dans les collectivités ou un programme axé sur la formation de spécialistes de la langue.

Le sénateur Oh : Sénateur Watt, présidente Kotierk, c’est un plaisir de vous revoir.

Tout à l’heure, vous avez parlé des connaissances traditionnelles, et je crois que c’est quelque chose de très important. Vous habitez sur ce territoire depuis des centaines d’années. Vous savez comment vivre et survivre dans l’Arctique.

Qu’est-ce qui vous donne le signal? Si vous perdez vos connaissances traditionnelles, vos collectivités perdront la faculté de survivre; vous allez perdre votre nourriture et votre culture traditionnelles. Comment voyez-vous cela? Vous êtes bien en avance sur la science moderne. Vous connaissez bien le cercle polaire. Quand saurez-vous que vous n’êtes plus en mesure de lire dans la glace?

M. Watt : Lorsque nous ne serons plus capables de lire la texture de la glace de nos propres yeux, comme nous pouvions le faire. Nous le faisons encore, mais de temps en temps, nous prenons des risques. Nous mettons nos vies en danger parce que nous devons pêcher une certaine espèce pour notre nourriture. Comme je vous l’ai dit, c’est notre économie et nos vêtements; c’est tout pour nous. Donc, parfois, nous prenons des risques, même si tout indique que nous allons probablement défoncer. Nous n’avons pas le choix.

Si vous vous éloignez d’une certaine distance de la terre ferme et que vous vous approchez du rebord de la calotte, il arrive un temps où vous devez rebrousser chemin. Vous devez revenir. Votre séjour là-bas pourrait durer un jour ou deux, mais juste une heure de plus ou de moins peut faire une grande différence. Il se pourrait que vous ne soyez pas en mesure de regagner la terre ferme après vous être aventuré par-dessus la mer en motoneige.

Autrefois, nous nous déplacions avec des chiens. Au moins, les chiens savaient de quoi il fallait se méfier. Si vous me demandez comment ces chiens étaient entraînés, je vous dirai qu’ils ne l’étaient pas. Comme vous l’avez dit, nous vivons dans l’Arctique, nous comprenons l’Arctique et nous savons quoi faire. Nos chiens étaient nos sauveurs. Ils nous amenaient là où nous voulions aller.

Ce n’est pas la même chose avec une motoneige. Une motoneige qui passe sur de la glace molle risque de s’enfoncer très rapidement. Dans bien des cas, son conducteur disparaîtra avec elle et vous ne le reverrez plus jamais. Cela s’est produit très souvent.

C’est notre façon de vivre. Pour ceux qui n’ont vécu rien de semblable, cela peut sembler étrange, mais pour nous, ce sont des choses que nous vivons au quotidien.

Je ne sais pas si j’ai répondu à vos questions.

Le sénateur Oh : Oui, mais est-ce que cela vous donne une idée de ce que l’avenir vous réserve? Est-ce le signal du début du mode « survie »?

M. Watt : Si les changements climatiques continuent de se produire comme c’est le cas maintenant, je pense que les habitants de la Floride ne verront plus la différence lorsqu’ils viendront chez nous. Éventuellement, le climat de l’Arctique ne sera plus un dépaysement pour eux. Je ne peux pas le décrire autrement pour l’instant. Merci.

Le président : Merci, sénateur Watt.

J’aimerais exercer ma prérogative et poser une ou deux questions.

Tout d’abord, madame Kotierk, vous avez parlé de deux projets d’infrastructures que votre organisme a décidé d’appuyer lors de son assemblée générale annuelle. Pouvez-vous nous en parler brièvement? S’agit-il de projets pour lesquels vous avez l’intention de demander l’aide du gouvernement du Canada?

Mme Kotierk : Le Nunavut est un vaste territoire et, même si notre organisme représente un peu plus de 31 000 Inuits, c’est un territoire qui est divisé en trois régions administratives. Il y a donc l’Association inuite Qikiqtani, l’Association inuite du Kivalliq et l’Association inuite de Kitikmeot. Le conseil d’administration de Nunavut Tunngavik Incorporated est constitué des présidents et vice-présidents de ces trois associations. Chaque association régionale souscrit à des initiatives axées sur la région qu’elle représente.

L’Association inuite de Kitikmeot a pris la direction d’une initiative pour défendre et promouvoir la route et le port de la baie Grays. La démarche permettra de doter la région de Kitikmeot d’une route qui permettra un meilleur accès aux côtes — il s’agit d’un port, après tout. D’après ce que j’ai compris, ils ont soumis une demande pour demander au gouvernement fédéral de leur prêter main-forte pour le financement. L’association s’est aussi engagée à fournir des fonds pour contribuer à la réalisation du projet. Je sais que c’est l’un des projets d’infrastructure prioritaires de l’association inuite de Kitikmeot.

Pour l’Association inuite du Kivalliq, l’un des projets d’infrastructure prioritaires est la route qui permettra d’acheminer l’électricité et la fibre optique du Manitoba à la région de Kivalliq. Outre l’amélioration de l’accès, on s’attend à ce que ce projet, comme celui dont je viens de parler, permettra de faire baisser le coût de la vie puisqu’il facilitera l’acheminement des fournitures vers ces régions.

Comme je viens de mentionner ces deux projets d’infrastructure que les membres de Nunavut Tunngavik Incorporated ont entérinés par voie de résolution, je peux remettre une copie de ces résolutions à la présidence du comité.

Cela dit, comme je n’ai cessé de le répéter, les besoins en infrastructures sont considérables dans toutes les régions, qu’il s’agisse d’écoles, de logements, d’Internet à haute capacité ou de ports. Je sais qu’il y a divers projets en route qui sont à différents stades d’avancement, mais je crois qu’il incombe au Canada de regarder tout cela de près et de définir quels sont les besoins en infrastructures pour l’ensemble du territoire, et pas seulement pour le Nunavut. Selon moi, il serait logique que le Canada fasse cet exercice pour tout l’Arctique afin de cerner les priorités auxquelles il faudra s’attaquer pour veiller à ce que nous ayons des services semblables à ceux dont jouissent les autres Canadiens.

Le président : Sénateur Watt, vous avez parlé de votre objectif pour ce qui est de remédier à la pauvreté dans votre région, et votre Rapport de la consultation Parnasimautik traite des Inuits dans votre région. On y apprend que les trois quarts gagnent moins de 32 480 $ par année. Au Nunavut, plus de la moitié de notre population vit dans des logements sociaux et 80 p. 100 des gens gagnent moins de 23 000 $ par année. Que faudrait-il faire pour diminuer la pauvreté dans nos régions?

M. Watt : Eh bien, il y a une foule de choses qui doivent être faites. Lorsque j’étais au Sénat, j’ai examiné la possibilité de remédier à cela en intervenant sur le plan de la fiscalité, en faisant jouer l’impôt comme le fait le Canada. Comme vous le savez, j’ai eu beaucoup de difficulté à faire du chemin en ce sens. Il est absolument vrai que les Inuits du Nunavik et ceux du Nunavut ont de la difficulté à arriver en raison de la cherté de la vie et du transport, et des taxes qui ne cessent de s’ajouter les unes aux autres. Chaque fois que quelque chose est acheminé dans le Nord ou livré par une compagnie aérienne ou par bateau, vous devez payer des taxes. Lorsque le produit aboutit sur les étagères, vous devrez payer une autre taxe par-dessus tout cela. C’est un aspect auquel il va falloir s’attaquer, et je n’ai pas vraiment de solution à vous proposer quant à la façon de procéder à cet égard. Cela dit, si nous ne pouvons pas remédier à cela en jouant sur la question fiscale, y aurait-il une autre façon d’aborder le problème?

Je sais que l’Université Laval publie des informations à jour sur les études qu’elle entreprend de temps à autre en ce qui concerne les personnes qui éprouvent des difficultés à joindre les deux bouts. Dans ma région, ce sont les retraités qui ont le plus de difficulté à arriver, surtout en ce moment. Ce sont les gens qui doivent aider leurs familles. Permettez-moi de dire que ces gens sont les seuls qui font acte de présence et qui aident leurs familles, leurs petits-enfants, et cetera. Les quelques dollars qu’ils reçoivent ne sont pas suffisants pour aider leurs proches.

Il faut absolument que nous nous assoyions afin de discuter du problème de la cherté de la vie qui aggrave la pauvreté. Nous devons mettre la table et débattre de la question, car il y a toute une gamme d’aspects qui doivent être pris en compte.

Le président : Sénateur Watt, je crois que vous aviez proposé que l’on augmente la déduction pour les habitants des régions éloignées. Il serait peut-être temps de réévaluer cette possibilité.

La sénatrice Eaton : Madame Kotierk, le territoire du Nunavut contrôle-t-il son propre système d’éducation ou s’agit-il de quelque chose qui vous est imposé? Autrement dit, si le Nunavut décidait demain matin qu’il allait enseigner en inuktitut et qu’il allait définir lui-même le programme d’études, pourrait-il le faire ou serait-il bloqué par des pouvoirs fédéraux ou autres?

Mme Kotierk : Le ministère de l’Éducation fait partie du gouvernement territorial. Par conséquent, le gouvernement territorial aurait l’autorité voulue pour faire les changements nécessaires.

Pour ce qui est de l’accréditation, d’après ce que je comprends, dans les années 1980, le programme de formation des enseignants du Nunavut a commencé par un programme de deux ans, mais au fil des ans, il a été allongé à un programme de cinq ans. Or, j’aimerais bien savoir ce qui a motivé cette augmentation du temps requis pour devenir enseignant. Est-ce vraiment nécessaire? D’où cela vient-il? Cette décision a-t-elle été prise par notre propre gouvernement territorial?

Pour ce qui est du programme, notre ministère de l’Éducation se sert de celui de l’Alberta. Il utilise les examens du ministère qui ont été élaborés en Alberta.

La sénatrice Eaton : Mais est-ce que c’est quelque chose que le gouvernement pourrait faire?

Mme Kotierk : Oui, c’est quelque chose qu’il pourrait faire. Il faudrait pour cela que les personnes concernées mettent au point le programme. Je ne peux pas vous expliquer précisément pourquoi cela ne se fait pas. Je présume que c’est parce que le ministère ne dispose pas des ressources nécessaires pour affecter des gens à cette tâche.

La sénatrice Eaton : Vous avez proposé des idées qui ont beaucoup de bon sens, que ce soit pour la nourriture ou pour tous ces autres aspects. Je voudrais seulement m’assurer que c’est dans le territoire que ces idées vont se concrétiser.

Mme Kotierk : Si je peux me permettre de le dire, à mon avis, étant donné que 50 p. 100 de l’administration est constituée de travailleurs non inuits transitoires qui viennent sur notre territoire, il n’y a jamais eu d’environnement propice où les gens auraient pu discuter de la façon d’axer le programme sur les Inuits. C’est la raison pour laquelle je défends avec une telle vigueur la mise en œuvre intégrale de l’article 23 et la constitution d’un personnel représentatif des Inuits qui sera en mesure de remettre en question le fait que les politiques sont comme elles sont pour la seule raison qu’elles ont toujours été comme cela. Le fait de réfléchir au programme sous l’angle inuit ne diminuera pas la qualité de l’éducation qui sera dispensée. Je crois que les Inuits doivent commencer à parler de cela et s’attendre à cela.

La sénatrice Eaton : Vous tenez tous les deux des propos très clairs et pleins de bon sens. Pourquoi n’utilisez-vous pas les médias sociaux comme Twitter pour disséminer votre message?

Mme Kotierk : C’est une question de bande passante.

La sénatrice Eaton : Pourquoi ne vous voit-on pas plus souvent dans le sud du pays à défrayer les manchettes et à passer à la télévision pour tenter de faire bouger les choses?

Mme Kotierk : J’exerce ma fonction depuis un petit peu plus d’un an, et j’ai cherché à faire bouger les choses sur notre territoire. Disons simplement que les gens ont remarqué ma présence et ce que j’ai fait jusqu’ici pour faire bouger les choses.

La sénatrice Eaton : Très bien.

Le président : Merci beaucoup à vous deux.

(La séance est levée.)

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