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ARCT - Comité spécial

Arctique (spécial)

 

LE COMITÉ SPÉCIAL SUR L’ARCTIQUE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 1er avril 2019

Le Comité spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui à 13 heures pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Unnusakkut. Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique.

Je m’appelle Dennis Patterson, je suis sénateur du Nunavut et président du comité. Je vais demander aux sénateurs présents de bien vouloir se présenter, en commençant par notre vice-présidente.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, sénatrice de Toronto, en Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, sénatrice d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur les changements importants et rapides dans l’Arctique et sur leurs effets sur les premiers habitants.

Je suis heureux d’accueillir notre premier groupe de témoins. À titre personnel, nous entendrons ici : Maribeth Murray, directrice exécutive de l’Institut arctique de l’Amérique du Nord et professeure à l’Université de Calgary; et Adam Lajeunesse, titulaire de la chaire Irving Shipbuilding sur la politique de sûreté maritime dans l’Arctique canadien, au Mulroney Institute of Government de l’Université St. Francis Xavier. Par vidéoconférence depuis Fairbanks, en Alaska, nous accueillerons Larry Hinzman, président du International Arctic Science Committee.

Merci à tous de vous être joints à nous aujourd’hui. Nous sommes toujours en train d’établir la liaison avec l’Alaska. Pourrais-je demander aux autres témoins de commencer leur déclaration préliminaire?

Adam Lajeunesse, Irving Shipbuilding Chair in Canadian Arctic Marine Security, Mulroney Institute of Government, Université St. Francis Xavier, à titre personnel : Bonjour.

Je suis ravi d’être ici et de pouvoir vous donner mon opinion sur l’Arctique canadien et le nord circumpolaire. J’entends surtout mettre l’accent sur la défense et la sûreté, car ces questions ont récemment fait les manchettes et qu’elles demeurent, selon moi, très pertinentes à l’approche adoptée par le gouvernement du Canada dans le Nord.

Au cours des dernières années, la Fédération de Russie a augmenté sa présence militaire dans ses régions nordiques. Cela signifie de nouvelles bases et des bases remises à neuf, de nouvelles forces terrestres et la création d’un système d’accès sophistiqué. Le déploiement récent de 10 000 soldats des forces spéciales Spetsnaz à des fins de « recherche et sauvetage » témoigne du succès des Russes.

Les États-Unis, le Royaume-Uni et les pays membres de l’OTAN ont répliqué en s’intéressant à cette région avec Trident Juncture, un exercice à grand déploiement conduit en Norvège, qui a donné lieu au retour d’un groupe aéronaval américain au nord du cercle arctique pour la première fois depuis la fin de la guerre froide.

D’un autre côté, les Forces armées canadiennes ne semblent pas juger nécessaire de se préparer à des opérations de combat dans le Nord en vertu de leur concept opérationnel. De même, les nouveaux navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique de la Marine royale canadienne aptes à naviguer dans les eaux arctiques ne sont que légèrement armés, dans le meilleur des cas.

J’ai personnellement constaté que divers observateurs, tant au Canada qu’à l’étranger, ont de la difficulté à comprendre cette dichotomie qu’ils expliquent, dans le meilleur des cas, par la naïveté du Canada et, dans le pire, par sa négligence. En réalité, rares sont ceux qui parviennent à comprendre que l’Arctique n’est pas une région unifiée présentant des problèmes communs en matière de sûreté. Il s’agit d’un ensemble de régions très distinctes. Par conséquent, il n’existe pas d’enjeux universels en matière de défense et de sûreté dans l’Arctique.

Même si les grandes puissances semblent de nouveau s’opposer dans l’Arctique européen, le différend ne s’étend pas à l’Arctique canadien, ce qu’ont reconnu l’Armée canadienne et le gouvernement du Canada. C’est tout à mettre à son actif. Les efforts déployés au Canada portent donc sur des questions de sûreté non conventionnelles, comme la recherche et le sauvetage, l’intervention en cas de catastrophe, les opérations d’application de la loi et le soutien aux pouvoirs civils. Ce sont les mêmes menaces non conventionnelles sur lesquelles misait le gouvernement Harper, malgré une rhétorique parfois belliqueuse, et peu de changements ont depuis été apportés dans la politique de défense « Protection, Sécurité, Engagement » adoptée par le gouvernement actuel. Le Canada a fait un travail remarquable à l’égard de ces menaces réalistes actuelles et futures dans l’Arctique canadien, tout en collaborant avec ses alliés de l’OTAN pour se préparer à des scénarios fort différents dans l’Arctique européen.

Il est important de noter que la principale cause de la militarisation de l’Arctique eurasien ne découle pas de changements dans l’Arctique lui-même, comme le croient certains, mais bien de changements géopolitiques plus vastes. Ce n’est pas l’ouverture de voies maritimes ni la découverte de pétrole et de gaz dans l’Arctique qui incite le gouvernement russe à y déployer ses troupes, comme je l’ai mentionné précédemment. Ce sont des conflits et des tensions à l’extérieur de l’Arctique qui se répercutent dans la région. Cela étant dit, je conseillerais au comité de ne pas interpréter le développement de ressources ou l’augmentation de l’activité maritime dans le nord circumpolaire comme étant les signes d’une concurrence et d’un conflit interétatiques.

Par ailleurs, la Chine a aussi augmenté sa présence dans le Nord. Il est, encore une fois, important de faire la part des choses. L’activité maritime et les investissements chinois ont été effectués dans l’Arctique russe et touchent très peu les territoires nordiques canadiens. De plus, cette activité ne se traduit pas nécessairement par une menace à la sûreté, comme certains le croient. Les intérêts chinois sont principalement économiques, et il est difficile de concevoir ce que la Chine voudrait accomplir stratégiquement en déployant des ressources militaires dans l’Arctique canadien ou en périphérie.

Cela étant, je ferais une exception à propos des radars dans le Nord, comme l’a indiqué la semaine dernière Rebecca Pincus, du Collège de guerre navale des États-Unis, en évoquant l’éventualité de déplacements de sous-marins chinois dans l’océan Arctique. Il ne faut pas oublier que le franchissement de l’Arctique par les sous-marins américains visait d’abord à faire valoir les compétences technologiques des États-Unis. Puisque la Chine désire ardemment être reconnue comme une puissance mondiale dotée de capacités navales de pointe, le franchissement de l’Arctique serait un moyen logique de montrer ses capacités grandissantes et son aptitude à couvrir de plus grandes distances. De telles opérations pourraient changer la donne pour les planificateurs de la défense continentale et il ne faut pas les perdre de vue. Il a fallu des décennies aux États-Unis pour acquérir une capacité sous-marine opérationnelle et cela ne se fera pas du jour au lendemain pour les Chinois.

Le Canada, quant à lui, a réalisé d’importants progrès pour se préparer à un Arctique plus ouvert et actif, même s’il s’agit de problèmes complexes et que tout progrès est toujours lent dans le Nord, peu importe le genre de projet entrepris. Il demeure que les nouveaux navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique et la base navale de Nanisivik sont des outils importants pour accroître la capacité du Canada à exercer un contrôle dans la région et à répondre rapidement aux menaces émergentes et non conventionnelles à la sécurité.

Pour le moment et pour un avenir prévisible, le Canada n’a pas à renforcer sa présence militaire ou ses capacités militaires conventionnelles dans le Nord. Le gouvernement devrait plutôt consacrer son énergie et ses ressources à continuer de se préparer à un Arctique plus ouvert et à mettre l’accent sur des scénarios liés aux menaces non conventionnelles à la sûreté ainsi qu’aux capacités de surveillance, aux navires et à l’infrastructure marine nécessaires pour y répondre.

Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.

Le président : Merci. Nous allons passer aux autres témoins avant d’entamer les questions.

Maribeth S. Murray, directrice exécutive, Institut arctique de l’Amérique du Nord et professeure à l’Université de Calgary, à titre personnel : Je remercie le comité de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui. Il s’agit d’un moment charnière pour le Canada et pour le monde, alors que nous agissons pour réagir et pour gérer les rapides changements climatiques qui impactent tous les aspects de l’environnement arctique et qui ont une incidence sur ses écosystèmes et ses systèmes politiques, économiques et sociaux.

En tant que nation arctique, le Canada a les moyens et le devoir d’être un chef de file dans les dossiers de l’Arctique, particulièrement en ce qui concerne le soutien des droits et des intérêts des Autochtones, la science de l’Arctique, la coopération scientifique et le développement durable. Bien que nous soyons un petit pays quant à notre population, nous comptons beaucoup de penseurs mondialement reconnus dans les questions de l’Arctique. Nos universités et nos collèges regorgent de compétences sur l’Arctique, dans toutes les disciplines. Les peuples autochtones du Canada, eux, ont ouvert la voie aux autres habitants des régions circumpolaires en établissant leur autodétermination, y compris en matière de recherches respectueuses de ces gens du Nord, des recherches qui représentent quelque chose pour eux et qui leur soient nécessaires. Le Canada a clairement fait preuve de leadership dans ces domaines, mais il reste encore beaucoup à faire. Un nouveau cadre stratégique canadien pour l’Arctique nous offre des occasions sans précédent de faire progresser la recherche scientifique et de mobiliser les connaissances et l’expertise autochtones afin que nous puissions vraiment faire avancer la question de la durabilité pour le Nord.

Je vais limiter mes observations à trois domaines connexes : la nécessité d’une coordination nationale et d’une coopération internationale dans la recherche sur l’Arctique; la nécessité de mobiliser les peuples autochtones et de recourir à l’expertise autochtone pour relever les défis d’un Arctique en évolution rapide; et le rôle de la science dans la diplomatie arctique.

Les collectivités de l’Arctique canadien font face à de nombreux défis. Bien des logements sont insalubres et mal chauffés, l’eau y est de piètre qualité et les installations sanitaires en piteux état. À cela s’ajoutent le coût extrêmement élevé des aliments achetés en magasin et le prix des combustibles pour le chauffage et le transport. Mis à part le coût de la vie, leur sécurité alimentaire, leur santé physique, leur vitalité culturelle et leur bien-être en général qui laissent à désirer, les peuples autochtones dépendent d’aliments traditionnels dont les espèces fauniques et végétales sont soumises à de fortes pressions à cause des changements climatiques et de l’activité humaine. On a ainsi constaté l’apparition de nouveaux parasites et de nouvelles maladies, une occurrence accrue des maladies répertoriées, le stress nutritionnel, les changements dans le moment des cycles de vie saisonniers, la fragmentation de l’habitat, l’accroissement du développement et la pollution. La viabilité et la santé des espèces nordiques sont essentielles aux populations locales et à la conservation des écosystèmes.

La conservation de l’Arctique est aussi une préoccupation mondiale. L’Arctique joue un rôle important dans le bilan mondial du carbone. Il a une incidence sur la climatologie saisonnière et annuelle d’une grande partie de l’hémisphère nord, et ses écosystèmes sont essentiels à la santé de la planète. Pourtant, ceux-ci sont parmi les plus durement touchés par le réchauffement d’origine anthropique. Il est urgent d’élaborer et de mettre en œuvre des solutions aux problèmes actuels et émergents, comme l’insuffisance des infrastructures, l’insécurité alimentaire et le déclin de la biodiversité. Comprendre les répercussions locales et mondiales d’un système arctique en évolution et y réagir est une priorité nationale et internationale qui exige un investissement structurant, coordonné et collaboratif.

Le Canada a une vaste infrastructure de recherche dans le Nord. En plus de la nouvelle Station canadienne de recherche dans l’Extrême-Arctique à Cambridge Bay, au Nunavut, nous avons un réseau de plus de 50 installations de recherche dans les territoires et les provinces qui sont exploitées par des universités, des collèges du Nord, des gouvernements territoriaux et des organisations autochtones. On parle ici de navires de recherche océanographique, d’instituts de recherche et d’observatoires établis de longue date, de stations saisonnières sur le terrain et d’installations de surveillance à distance sans personnel. Ces installations se retrouvent un peu partout dans toutes les grandes régions écologiques du Nord canadien où elles appuient la recherche fondamentale et appliquée dans les domaines des sciences biophysiques, sociales et de la santé. Certaines de ces stations de recherche appuient la science dans l’Arctique canadien depuis plus de 50 ans, et toutes ont permis de recueillir les données qui contribuent à notre compréhension des changements que nous voyons aujourd’hui. Ce sont des éléments essentiels des capacités scientifiques du Canada et de notre contribution aux activités d’observation à l’échelle mondiale.

Le Réseau canadien des opérateurs de recherche nordique travaille dans un but commun pour appuyer la coordination entre ces installations. Les scientifiques et les experts autochtones de partout au Canada les utilisent souvent comme bases d’opérations et, surtout, les stations servent à faciliter la coopération dans la recherche sur l’Arctique et à jeter des ponts entre les nations et les cultures. Le maintien de nos installations de recherche dans l’Arctique et de ce réseau est essentiel pour continuer de suivre les changements, de prévoir les conditions futures et d’élaborer des stratégies d’atténuation et d’intervention qui profiteront au Canada. Ces installations peuvent servir de fondement à la contribution du Canada au développement d’un système d’observation de l’Arctique coordonné et soutenu à l’échelle internationale. Il est important de souligner qu’elles peuvent offrir et qu’elles offrent des occasions de tirer parti de l’expertise scientifique et des connaissances autochtones pour accroître la capacité des résidents de l’Arctique de participer à la recherche et d’utiliser les résultats de la recherche pour élaborer des politiques et prendre des décisions au niveau des différents échelons et établissements.

La prise en compte de l’ampleur et de la portée des changements dans l’Arctique et des changements climatiques en général transcende les ressources d’un programme, d’une institution, d’un ordre de gouvernement ou d’une nation en particulier. La coopération au-delà des frontières scientifiques, culturelles, institutionnelles et nationales est essentielle. Le Canada a un important rôle de chef de file à jouer à cet égard en donnant l’exemple dans la façon d’exploiter le plein potentiel des citoyens. Il existe des possibilités inexploitées de régler certains des problèmes les plus pressants, y compris la protection à long terme de l’environnement arctique, le maintien de la biodiversité et la réduction des répercussions négatives des changements climatiques sur l’être humain et sur l’infrastructure, ainsi que la transition vers l’énergie durable.

La gestion environnementale est une responsabilité partagée, et l’expertise et le leadership sur ce plan ne manquent pas au sein de nos organisations universitaires et autochtones. Le Canada peut et doit appuyer la coordination et la mobilisation de ses partenaires universitaires et autochtones au pays pour renseigner les politiques scientifiques et celles sur l’Arctique. On peut aussi mettre davantage cette expertise à profit au sein du Conseil de l’Arctique en finançant une participation plus active des scientifiques et des Autochtones canadiens au niveau des groupes de travail du Conseil de l’Arctique, dans le cadre d’initiatives comme le SAON et des préparatifs en vue d’une troisième, d’une quatrième, voire d’une série de grandes réunions ministérielles sur la science dans l’Arctique. L’expertise universitaire et autochtone peut éclairer les positions du Canada sur des enjeux clés, en garantissant plus de pertinence pour un plus grand nombre de Canadiens, et servir à renforcer les liens avec nos partenaires internationaux dans des domaines d’intérêt commun. Un engagement général de ce genre est essentiel pour faire en sorte que nos importantes réalisations nationales en matière de recherche et d’échange de connaissances bénéficient à tout le monde.

Merci.

Larry Hinzman, président, International Arctic Science Committee (IASC) : Je tiens tout d’abord à féliciter le gouvernement canadien et la population canadienne pour les efforts avant-gardistes et visionnaires qu’ils ont déployés dans le dossier de l’Arctique, tant à ce stade-ci qu’au cours des dernières décennies. Le Canada a de quoi s’enorgueillir, et d’autres pays ont beaucoup à apprendre de votre exemple. Les scientifiques et les ingénieurs canadiens sont parmi les meilleurs au monde, et la communauté scientifique mondiale ainsi que les autres pays de l’Arctique sont redevables au Canada pour les réalisations importantes de ses chercheurs.

Je vais vous parler de la coopération internationale face aux défis et aux possibilités qui se posent sur les plans humain, économique et environnemental dans le Nord canadien. Je soulignerai également l’importance de faire participer les peuples autochtones et les résidents locaux aux enjeux d’une importance capitale que constitue l’adaptation à l’évolution rapide de l’Arctique. Ces changements ne se limitent pas à ceux qui sont induits par le climat, la mondialisation, la politique ou l’économie locale, régionale ou internationale, ni par la démographie ou par l’évolution des structures sociales et culturelles. L’Arctique, une région très dynamique, est influencé par tous ces facteurs, et les collectivités sont touchées par la confluence de ces systèmes et processus interdépendants.

Le Nord canadien subit des changements rapides dans les réactions écologiques, socioéconomiques et politiques au climat et à d’autres facteurs. Les effets du climat peuvent avoir des répercussions directes et indirectes sur les milieux physique, chimique et biologique de la région. Les changements sociaux et culturels affectent le tissu des communautés autochtones et d’autres communautés, ainsi que la préservation des cultures autochtones et des connaissances traditionnelles. Les changements économiques peuvent créer des possibilités, mais aussi des bouleversements, puisque les résidents locaux sont formés pour travailler dans des domaines qui n’existent pas ou ne se perpétuent pas dans leur région d’origine. Les changements politiques peuvent avoir une incidence sur l’utilisation des ressources et aussi sur la capacité des parties intéressées de s’organiser et de gérer les ressources de l’Arctique.

Cette région est vaste sur le plan géographique, peu peuplée et caractérisée par les liens étroits entre les peuples autochtones, la terre et la mer. La compréhension des liens culturels et nutritionnels que les peuples autochtones entretiennent avec le lieu géographique et les ressources naturelles constitue un élément important d’une planification réaliste de l’adaptation au changement climatique. L’adaptation aux changements climatiques recoupe d’autres politiques nécessaires et enjeux environnementaux auxquels sont confrontés les résidents de l’Arctique, notamment en ce qui touche à la sécurité alimentaire, la santé et le bien-être des populations, la sécurité environnementale, la qualité de vie et la résilience des écosystèmes.

On s’attend à ce que les facteurs environnementaux qui ont de plus en plus façonné la vie des habitants des collectivités côtières continuent de prendre de l’ampleur au cours du XXIe siècle. Les répercussions sur la géographie physique de la côte continueront d’orienter, par exemple, l’emplacement des habitations humaines, ainsi que l’organisation et la faisabilité des activités de subsistance. Il semble inévitable de devoir restructurer les cultures indigènes pour intégrer les changements dans la composition des espèces et dans la disponibilité des ressources alimentaires de subsistance. La perte de glace de mer pluriannuelle et les changements dans la durée et la répartition de la glace de mer annuelle continueront également de limiter la disponibilité des ressources marines et côtières de subsistance. Si la glace de mer pluriannuelle disparaît entièrement de certaines régions, la variabilité de la quantité de glace de première année devrait entraîner des changements profonds dans la disponibilité des mammifères marins et des oiseaux comme sources d’aliments de subsistance. La fonte du pergélisol a de graves répercussions sur l’intégrité des maisons, des bâtiments municipaux et des installations essentielles, comme l’infrastructure des industries pétrolière, gazière et minière. Des conditions de déplacement plus difficiles et une imprévisibilité accrue des déplacements et de la disponibilité des animaux peuvent réduire le succès de la récolte et entraîner un accroissement de l’effort de chasse nécessaire, des coûts de carburant associés, du temps passé loin des emplois et des familles, de l’usure de l’équipement et des risques d’exposition et de blessures.

Étant donné que l’Arctique subit des changements rapides et transformateurs, il est primordial de disposer des renseignements nécessaires pour suivre ces changements, les prévoir et y réagir. Plus particulièrement, il existe un besoin urgent d’effectuer des observations coordonnées et soutenues du milieu arctique. L’initiative Durabilité des réseaux d’observation en Arctique, ou SAON, du Conseil de l’Arctique et du Comité international pour les sciences arctiques a été créée pour contribuer à la coordination et à la mise en place d’un système d’observation pan-arctique. De nombreux pays, y compris des pays non arctiques, offrent un soutien important pour contribuer à la réalisation des objectifs énoncés dans la stratégie SAON. Par exemple, les États-Unis et le Japon collaborent à des efforts conjoints d’observation dans le secteur arctique du Pacifique en vue de préparer la troisième réunion des ministres des Sciences de l’Arctique qui sera organisée par le Japon et l’Islande l’an prochain.

Étant donné qu’il bénéficie grandement d’une capacité d’observation améliorée et bien coordonnée dans l’Arctique, le Canada peut insuffler de plusieurs façons un élan crucial à l’effort de SAON. La forte participation des chercheurs canadiens et des Inuits au conseil d’administration et aux comités et équipes de travail de SAON assurera la prise en compte de vos points de vue à ce moment critique. Le fait d’encourager Savoir polaire Canada à s’engager davantage auprès de la communauté scientifique internationale de l’Arctique pourrait combler cette lacune. Il sera également utile d’appuyer l’Institut arctique de l’Amérique du Nord à l’Université de Calgary dans ses efforts, de concert avec des institutions américaines, pour favoriser la transformation du Sommet sur l’observation de l’Arctique. Le Sommet sur l’observation de l’Arctique a été un forum utile de coordination et d’échange de renseignements qui regroupe des chercheurs, des gens du Nord, le secteur privé, certains ONG et divers organismes gouvernementaux. Le Sommet, en tant que réunion biennale, est maintenant prêt à se transformer en un processus efficace pour mettre en place un système d’observation pan-arctique offrant des avantages sociétaux partagés.

Le Canada a été bien représenté par Lisa Loseto au sein du SAON Committee on Networks, par Maribeth Murray et Eva Kruemmel au Sommet sur l’observation de l’Arctique et par Wayne Pollard au sein du Conseil du Comité international pour les sciences arctiques (CISA). Bien que nous soyons extrêmement reconnaissants des efforts de ces scientifiques et de leurs dévoués homologues canadiens, nous encourageons votre gouvernement à s’engager à fournir les ressources nécessaires pour aider notre pays et le reste du monde à se préparer à un avenir incertain dans l’Arctique.

Merci.

Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie tous d’avoir abordé divers sujets, parmi lesquels j’essaie de trouver un lien pour poser ma question. Vous avez tous parlé des changements qui amènent des eaux libres et entraînent la modification du pergélisol. Monsieur Lajeunesse, vous avez parlé d’un Arctique ouvert et actif et vous avez parlé des « capacités » mondiales. Je comprends et je suis très encouragée par la quantité de recherches qui se font dans l’Arctique, mais je dois dire, étant donné mes antécédents, le fait que je viens du Manitoba et que je sais que la base militaire pendant la guerre froide se situait à Churchill, et comme je ne suis sûrement pas militariste, je suis heureuse que nous ne cherchions pas à ce que l’Arctique devienne une zone militaire, mais, d’un autre côté, j’ai été surprise, monsieur Lajeunesse, que vous ne sembliez pas penser — et corrigez-moi si je me trompe — qu’il est important de procéder à un renforcement ou à une préparation militaire. Si je regarde ce qui se passe en Chine, en Russie, à l’OTAN et dans le monde en pleine évolution qui nous entoure et si j’observe dans quelle mesure l’Arctique est au cœur de la situation, ne devrions-nous pas faire quelque chose pour pouvoir agir en cas de nouveaux développements? Pourquoi a-t-on laissé la base aérienne de Churchill devenir aussi décrépite?

M. Lajeunesse : Merci. C’est une très bonne question. La clé pour comprendre les exigences de sécurité consiste à reconnaître à quel point les différentes parties de l’Arctique sont distinctes.

Lorsque je dis qu’il n’est pas nécessaire d’accroître la présence militaire dans le Nord, ce dont je parle, et je crois l’avoir dit clairement, ce sont les capacités de défense de ce que les militaires appelleraient un point de vue cinétique. L’Armée canadienne ne prévoit pas combattre les Russes, les Chinois ou qui que ce soit d’autre dans l’Arctique, ou du moins nous n’entrevoyons pas cela dans l’Arctique canadien. C’est une question très différente lorsqu’on regarde ce que les Norvégiens appellent le Grand Nord — la mer de Béring, la mer de Norvège. C’est un scénario de sécurité très différent. Nous collaborons avec les Américains et nos alliés de l’OTAN pour nous préparer au combat. C’est ce en quoi consistait l’exercice « Trident Juncture ». Le Canada fournit des forces. Nous nous préparons, si vous voulez, à un conflit de grandes puissances dans l’Arctique, mais pas dans notre partie de l’Arctique. Parce qu’il est presque inconcevable de voir quelle valeur stratégique aurait notre Arctique du point de vue du combat militaire. Nous développons des capacités, mais nous développons ces capacités en gardant à l’esprit des scénarios très réalistes. Il ne s’agit pas de faire la guerre aux Chinois ou aux Russes. Il s’agit de recherche et de sauvetage, d’intervention en cas de catastrophe environnementale et d’aide au pouvoir civil. La marine ne se prépare pas nécessairement à combattre les sous-marins russes, mais à aider Transports Canada, Pêches et Océans, la GRC, les services frontaliers et d’autres ministères dans l’Arctique.

La sénatrice Bovey : Avons-nous de l’équipement militaire viable dans l’Arctique?

M. Lajeunesse : Tout à fait. Nous avons commencé récemment à développer cela, depuis environ 2002. Les Forces armées canadiennes travaillent d’arrache-pied pour développer des capacités, de l’équipement et la capacité de projeter notre puissance dans l’Arctique. L’une des raisons pour lesquelles le Canada compte sur l’armée pour projeter sa puissance dans l’Arctique, ce n’est pas parce que nous voulons nous battre dans l’Arctique, mais c’est parce que l’armée a les ressources, la main-d’œuvre, les capacités et les plateformes nécessaires pour fournir le soutien nécessaire que le ministère des Transports et la GRC n’ont tout simplement pas. Dans un sens, les militaires cherchent à montrer la voie à suivre à partir de l’arrière. L’armée ne sera pas l’organisme responsable. Elle n’a pas le mandat associé à la plupart des scénarios de sécurité que nous prévoyons dans l’Arctique.

La sénatrice Bovey : Cependant, si des problèmes se posaient dans l’Extrême-Arctique, n’auraient-ils pas une incidence sur notre Arctique?

M. Lajeunesse : Cela dépend de ce que vous entendez par « problèmes » et par « Extrême-Arctique ». Pourriez-vous être plus précise?

La sénatrice Bovey : Je ne suis pas sûre de pouvoir l’être. Cela montre mon ignorance, et c’est pourquoi vous êtes ici pour nous éclairer. Vous avez dit que vous ne vous préoccupiez pas de l’activité militaire dans notre Arctique, mais qu’il y avait une préparation internationale dans l’Extrême-Arctique. Étant Manitobaine, ayant grandi au Manitoba pendant la guerre froide, je connais les problèmes médicaux qui ont découlé de certains des matériaux transportés dans notre province pendant la guerre froide entre la Russie et les États-Unis. Je connais le port de Churchill. J’essaie de mettre à profit mes connaissances historiques. Est-ce utile pour le présent ou l’avenir ou non?

M. Lajeunesse : L’histoire est absolument utile à cet égard. Dans bien des cas, l’histoire se répète. Si elle ne se répète pas nécessairement, les événements finissent assurément par se ressembler. Toutefois, lorsqu’on se renseigne ces jours-ci au sujet de la militarisation dans l’Arctique, la meilleure façon de comprendre le contexte consiste à remonter aux années 1980 et de regarder ce que les Russes, les Américains et l’OTAN faisaient à l’époque, parce que ce que nous faisions actuellement est très semblable.

Le problème, c’est que le secteur de l’ouest de l’Arctique russe, dans la péninsule de Kola, est l’un des plus militarisés de la région. C’est là que les Russes gardent la plupart de leurs sous-marins à missiles balistiques nucléaires. C’est leur principale base navale, et c’est à partir de l’Arctique russe que les Russes enverraient des sous-marins dans l’Atlantique Nord. En conséquence, c’est l’un des secteurs où l’OTAN et les Russes se préparaient à s’affronter dans les années 1980 — et il semble que ce soit encore le cas aujourd’hui. Je ne pense pas que ce combat va avoir lieu, je ne pense pas que ce soit un avenir réaliste, mais c’est la raison d’être des préparatifs.

Il est difficile de trouver une justification stratégique à ce débordement dans le bassin polaire et dans l’Arctique canadien. Un général canadien a dit dans les années 1940 au sujet de l’Arctique canadien qu’il n’y avait nulle part où aller et rien à faire une fois sur place. Du point de vue stratégique militaire russe, si vous voulez, c’est toujours le cas aujourd’hui. Il ne s’agit tout simplement pas d’une région ayant une importance stratégique concevable pour les grandes puissances, dans cette compétition en développement, et il est difficile de voir comment ou pourquoi un conflit cinétique, conventionnel et étatique s’étendrait jusque dans l’Arctique canadien.

La sénatrice Bovey : Intéressant. Je vous remercie, mais je pense que j’ai encore besoin d’être davantage convaincue.

Le président : Avez-vous une question complémentaire à poser à ce sujet, sénatrice Eaton?

La sénatrice Eaton : Oui. Vous avez cité ce général qui disait en 1940 que l’Arctique canadien n’avait aucune valeur, mais le passage du Nord-Ouest n’est-il pas considéré comme un territoire canadien?

M. Lajeunesse : Bien sûr que oui.

La sénatrice Eaton : Eh bien, j’ai assisté à une conférence sur la sécurité maritime à l’automne. Des pays comme Singapour, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et l’Inde renforcent leurs marines parce qu’ils veulent garder la mer de Chine méridionale ouverte, et des avions commerciaux survolent maintenant l’espace aérien de la Chine ou la mer de Chine méridionale et qui appellent pour dire : « Nous survolons cet océan ».

Vous pensez au passage du Nord-Ouest, c’est bien. Vous avez parlé de hisser le drapeau et d’afficher sa souveraineté. Comment le Canada affiche-t-il sa souveraineté au nord du 60e parallèle? Nous avons des communautés autochtones et des communautés inuites. Avons-nous des sous-marins dans l’Arctique qui peuvent patrouiller et s’assurer que personne d’autre n’y va? Avons-nous des brise-glaces capables de briser de la glace vieille de deux ou trois ans qui remontent régulièrement là-bas? Que faisons-nous? Nous avons la patrouille de l’Arctique, c’est-à-dire 200 ou 300 personnes qui patrouillent sur des traîneaux ou des motoneiges? Je suis surprise que vous sembliez dire : « Ne nous inquiétons pas de notre partie de l’Arctique », alors que tous les autres pays dans le monde veulent un siège au Conseil de l’Arctique, veulent observer le passage du Nord-Ouest et s’y intéressent.

M. Lajeunesse : Bien sûr. C’est une question à plusieurs volets, à trois ou quatre volets. Je vais répondre à la première question. En ce qui a trait à la mer de Chine méridionale...

La sénatrice Eaton : Je me demande simplement pourquoi ils se soucieraient de nous?

M. Lajeunesse : Je ne vois pas de lien avec la mer de Chine méridionale.

La sénatrice Eaton : Nous sommes les seuls, au Canada, à adopter une attitude différente du reste du monde par rapport aux Chinois.

M. Lajeunesse : Eh bien, il n’y a pas de lien clair entre l’Arctique canadien — d’un point de vue politique, militaire ou stratégique — et la mer de Chine méridionale.

La sénatrice Eaton : Non, mais la Chine est partout. L’Afrique et l’Europe investissent maintenant dans les infrastructures italiennes. Pourquoi pensez-vous qu’au nord du 60e parallèle, nous serions tout à fait en sécurité quand on pense à nos intérêts miniers, pétroliers et gaziers? Nous n’aurions donc rien à craindre?

M. Lajeunesse : Lorsque je dis que nous n’avons rien à craindre — même si je ne crois pas avoir dit cela —, je dis qu’il n’y a pas de sécurité militaire assurée par l’État. Maintenant, en ce qui concerne les Chinois, si vous voulez parler d’eux, je maintiens ce que j’ai dit. Il n’y a assurément, dans l’avenir prévisible, aucune menace d’activité militaire chinoise pesant sur l’Arctique canadien. C’est pratiquement inconcevable. Maintenant, il y a des Chinois...

La sénatrice Eaton : Pourquoi est-ce inconcevable? C’est là où je veux en venir.

M. Lajeunesse : J’aurais du mal à comprendre ce que les Chinois auraient à gagner en envahissant l’Arctique canadien par des moyens militaires.

La sénatrice Eaton : Qu’est-ce qu’ils ont à gagner en Italie en construisant leurs trains?

M. Lajeunesse : Il s’agit de développement économique.

La sénatrice Eaton : Contrôler le passage du Nord-Ouest.

M. Lajeunesse : Les Chinois ne pourraient pas contrôler le passage du Nord-Ouest, physiquement ou légalement. Les Chinois n’ont jamais laissé entendre qu’ils voudraient faire cela.

La sénatrice Eaton : Pourquoi dites-vous cela? Ils ont déjà commencé certaines démarches. La semaine dernière, une communauté autochtone nous a dit que des Chinois étaient très intéressés à acheter des infrastructures et à en bâtir au Yukon.

M. Lajeunesse : C’est parfaitement vrai. Les Chinois pourraient certainement acheter des infrastructures, et ils sont en théorie l’un des plus gros investisseurs dans le Nord. Toutefois, s’ils possédaient des biens, c’est-à-dire des sites miniers, ces sites ne leur conféreraient aucun droit ou titre légal sur le passage du Nord-Ouest. Je ne vois aucun lien évident entre...

La sénatrice Eaton : Ça va. Nous ne réussirons pas à nous mettre d’accord.

M. Lajeunesse : Manifestement.

La sénatrice Eaton : Je ne perdrai pas plus de votre temps.

Monsieur Hinzman, vous nous avez parlé de l’initiative de Durabilité des réseaux d’observation en Arctique au sein du Conseil de l’Arctique et de l’International Arctic Science Committee. Pouvez-vous nous dire à toutes fins utiles ce que nous devrions demander au gouvernement dans notre rapport?

M. Hinzman : L’une des principales limites auxquelles font face tous les pays qui s’intéressent à l’Arctique, c’est le manque de compréhension qui dépend du manque d’observations. Si vous regardez n’importe quel réseau de variables critiques, y compris la température de l’air, les précipitations, la circulation océanique, les questions sismiques, et même les enjeux des sciences sociales, si vous regardez n’importe laquelle de ces variables dans l’Arctique comparativement à n’importe quelle autre région dans le monde, vous verrez qu’elles sont incroyablement clairsemées. Donc, nos capacités de projeter, de comprendre et de prédire sont essentiellement limitées par ce manque d’observations.

La sénatrice Eaton : Avez-vous des observateurs dans chacun des pays de l’Arctique? Est-ce de cela que vous parlez? Ou parlez-vous d’un plus grand nombre d’observateurs en Alaska et dans l’ensemble du Nord canadien?

M. Hinzman : SAON vise à faciliter la collaboration entre les divers pays afin que nous puissions tous établir les observations qui sont importantes pour nos priorités nationales, mais aussi partager ces données afin que nous puissions tous mieux prévoir les répercussions et prévoir les changements de processus.

Cela dépend de la variable que vous examinez. Pour bon nombre des variables des sciences sociales, oui, effectivement, il faut des observateurs dans les communautés, qui travaillent avec les communautés pour essayer de comprendre quels sont ces changements et comment les communautés s’adaptent. Pour d’autres, comme les variables océaniques, nous avons besoin de plus d’amarrages dans l’océan Arctique. Pour certaines variables, comme les nuages, dans ces cas, nous avons besoin d’un plus grand nombre d’observations aériennes. Cela dépend vraiment de la variable dont il est question.

La sénatrice Eaton : En ce qui concerne les changements climatiques — et peut-être que Mme Murray pourra répondre aussi —, quels sont les deux plus grands changements que vous avez observés dans l’Arctique? S’agit-il du changement dans la vie communautaire ou de l’absence de sécurité alimentaire? Selon vous, quels sont les deux changements les plus importants que les changements climatiques ont entraînés?

M. Hinzman : Le plus grand changement que nous avons observé est celui de la glace de mer de l’océan Arctique. C’est un changement énorme. Et ses conséquences ne touchent pas seulement les gens qui vivent dans les zones côtières circumpolaires, mais aussi la dynamique climatique mondiale. Il affecte les téléconnexions météorologiques entre l’Extrême-Arctique et les régions plus tempérées. Il affecte notre économie. L’intérêt accru de la Chine pour l’Arctique est attribuable à la dégradation de la glace de mer. Elle touche le transport. Elle touche les collectivités. Elle a une incidence sur nos capacités de chasse. Elle a un impact tellement vaste et dramatique sur tous les aspects de la vie dans l’Arctique, mais elle a aussi des répercussions sur toute la dynamique climatique mondiale.

Pour ce qui est du deuxième changement en importance, je dirais que c’est l’impact sur la dynamique climatique mondiale, puisque les changements dans l’Arctique ne se limitent pas à l’Arctique. Ces changements se répercutent dans les régions plus tempérées, dans le sud du Canada, aux États-Unis, partout en Europe. Ils affectent les processus météorologiques dans l’hémisphère Nord. Ils auront une incidence sur la dynamique des précipitations. Ils vont se répercuter sur la production alimentaire. À très long terme, ils auront des conséquences sur l’immigration au Canada. Cela ne fait aucun doute. La diminution de la capacité de production alimentaire dans le Midwest des États-Unis, le sud-ouest des États-Unis, des régions touchées par les changements dans les précipitations, aura des répercussions sur ce que nous pourrions appeler les réfugiés climatiques dans 20 ou 30 ans, 40 ans, dans l’avenir.

La sénatrice Eaton : Merci.

Mme Murray : Je suis d’accord avec M. Hinzman, mais je crois que les changements observés au niveau de la glace de mer sont probablement les plus importants. J’élargirais ceux-ci pour inclure la cryosphère dans son ensemble, c’est-à-dire la glace de rivière, la glace de lac, le pergélisol et les glaciers. En combinaison, les changements spectaculaires de la cryosphère ont des effets en cascade dans tout l’écosystème marin. Nous assistons à un réchauffement des eaux arctiques, à une incursion de nouvelles espèces et à une acidification des océans, ce qui a des répercussions sur les niveaux trophiques inférieurs, qui montent en flèche.

La sénatrice Eaton : Les niveaux trophiques inférieurs?

Mme Murray : Des créatures dans l’océan qui forment des coquillages. Au fur et à mesure que l’océan s’acidifie, il contribue à la détérioration de ceux-ci, qui se trouvent ensuite au bas de la chaîne alimentaire.

Ce sont les mêmes répercussions que nous observons sur la terre en ce qui concerne les écosystèmes terrestres. Le dégel du pergélisol a le potentiel d’injecter d’énormes quantités de méthane dans l’atmosphère, ce qui exacerbe le réchauffement que nous observons déjà. Il a une incidence sur la végétation de la toundra, celle de la forêt boréale et, à son tour, sur toutes les espèces végétales et animales dont dépendent les gens et qui sont visées par les cadres réglementaires de l’écosystème. Je dirais donc que oui, c’est la cryosphère.

Je voulais parler de la nécessité d’une infrastructure d’observation autour de l’Arctique et du Canada en particulier. Je pense que, dans une certaine mesure, cela répond à vos questions précédentes sur la souveraineté. L’établissement d’un solide réseau d’observation dans l’Arctique canadien, en s’appuyant sur les installations et les stations de recherche que nous avons déjà, qui sont situées aussi loin au nord qu’Eureka, ainsi que dans de nombreuses collectivités côtières, fait partie d’un moyen pour nous, Canadiens, d’établir notre empreinte dans le Nord, tout en nous aidant à comprendre ce qui se passe vraiment là-bas et en reconnaissant le fait que les changements dans notre partie du Nord ont des répercussions à l’échelle mondiale ainsi qu’à l’échelle régionale.

La sénatrice Eaton : Où verriez-vous d’autres postes d’observation?

Mme Murray : C’est une question complexe. Ce que j’en pense, ou ce que je crois comprendre, c’est qu’à titre de communauté nationale, nous devons nous asseoir et examiner sérieusement notre infrastructure, le genre de données d’observation qui sont recueillies, qu’il s’agisse de l’atmosphère, des océans, des observations au niveau communautaire, puis déterminer où se trouvent nos lacunes importantes et utiliser notre infrastructure et nos ressources pour atténuer ces lacunes. Ensuite, je pense que, par extension, nous devons travailler avec nos partenaires internationaux pour voir comment, après avoir répondu à nos propres priorités, nous pouvons aider à combler les lacunes dans l’infrastructure d’observation à l’échelle internationale.

La sénatrice Eaton : J’ai une autre question. Monsieur Hinzman et madame Murray, pensez-vous qu’une grande partie de la recherche sur l’Arctique est cloisonnée, ou bien communiquez-vous tous entre vous?

M. Hinzman : Je crois que le milieu de la recherche sur l’Arctique est le milieu de nature scientifique le plus collaboratif au monde. Il est remarquable de voir à quel point les chercheurs scientifiques de l’Arctique sont prêts à partager leurs découvertes, leurs idées, leurs ressources et à travailler ensemble pour faire avancer la science. Je pense qu’il y a tellement de défis énormes que chaque pays comprend que nous ne pouvons pas les relever individuellement. Il faut qu’il y ait une collaboration ou un partage des ressources, un partage des données et des découvertes. Si nous ne travaillons pas ensemble, nous n’arriverons tout simplement pas à comprendre ce dont nous avons besoin. Il existe donc une collaboration remarquable.

L’International Arctic Science Committee existe pour faciliter cette collaboration. Nous existons pour établir des programmes, comme le récent programme MOSAiC, un brise-glace qui sera immobilisé dans la glace dans le Nord canadien et qu’on laissera dériver tout au long de l’hiver. Il sera soutenu par trois autres missions de brise-glace de la Chine, de la Suède et de l’Allemagne. Il s’agit d’une collaboration internationale, et cette contribution d’énormes ressources nous aidera à développer la capacité de prédire et de projeter ces changements dans l’avenir.

La sénatrice Eaton : Merci.

Mme Murray : Je dirais qu’au cours de la dernière décennie, et des 15 dernières années, la collaboration s’est accrue considérablement entre les nations, mais aussi entre les disciplines, ainsi qu’en collaboration et en partenariat avec les peuples autochtones de l’Arctique.

Nos priorités en matière de recherche ont changé, et nous essayons, avec un réel effort collectif, de les aborder de façon collaborative, interdisciplinaire et interculturelle. Nous le constatons dans tout le travail de base sur le terrain, dont M. Hinzman vient de parler en ce qui concerne le partage des plateformes, jusqu’à la fin, où les données et l’information provenant des projets et des programmes sont partagées à grande échelle. Le Canada est assurément un chef de file dans les efforts visant à rendre les données sur l’Arctique largement accessibles et utilisables par un vaste public, non seulement les milieux universitaires et gouvernementaux de la recherche, mais aussi les collectivités elles-mêmes, les décideurs et le grand public qui cherchent à mieux comprendre ce qui se passe dans le Nord.

Le président : Monsieur Hinzman et madame Murray, vous avez tous les deux parlé des efforts déployés par SAON et de la nécessité pour le Canada de s’engager davantage. Je me demande simplement si vous avez des recommandations précises à faire au Canada au sujet de l’appui à ces efforts. Je crois que vous avez dit qu’il devrait y avoir plus d’engagement. Vouliez-vous parler d’un manque de soutien financier de la part du Canada ou que vouliez-vous dire, monsieur Hinzman?

M. Hinzman : Ce que j’aimerais voir, c’est un engagement ferme de la part du gouvernement canadien et de nombreux autres gouvernements. Je ne parle pas seulement du Canada à cet égard.

Ce que j’aimerais aussi, c’est un investissement beaucoup plus important dans les observations qui constituent des besoins prioritaires pour le Canada, puis le partage de cette information, de ces données. J’ai demandé à de nombreux autres pays de faire de même. Le réseau international d’observation de l’Arctique est d’une importance capitale en ce moment. Le premier ministre responsable des sciences de l’Arctique et le deuxième ministre responsable des sciences de l’Arctique ont tous deux déterminé que cette question est cruciale pour la communauté internationale. Nous avons besoin de plus d’observations. Nous sommes vraiment très limités dans notre capacité de prévoir et de projeter les conséquences et les répercussions de ces changements sans disposer de plus de données fiables.

Ce que j’aimerais voir du Canada, c’est un engagement sérieux. Nous avons eu une merveilleuse participation de chercheurs canadiens au sein de SAON et au Sommet sur l’observation de l’Arctique. Ce que j’aimerais voir, c’est que le Canada intervienne et prenne envers le réseau d’observation un engagement qui, je l’espère, sera égalé par les États-Unis et tous les autres pays qui s’intéressent aux processus dans l’Arctique. Merci.

Mme Murray : En outre, je pense qu’au Canada, il serait très avantageux d’investir des ressources pour réunir la communauté, à défaut d’un meilleur terme, d’observateurs canadiens, et pas seulement la famille fédérale, mais aussi les partenaires universitaires, les partenaires des instituts de recherche indépendants et les organisations autochtones, pour aider à déterminer où nous pouvons le mieux utiliser nos ressources en ce qui concerne l’observation de l’Arctique et l’établissement de ces priorités. Nous pourrons ensuite livrer les résultats à l’échelle nationale, ainsi qu’à l’échelle internationale. Je pense que nous pourrions grandement bénéficier d’une certaine coordination au niveau national pour réaliser ces choses.

Le président : Merci.

La sénatrice Coyle : Je remercie nos trois invités de cet après-midi.

J’ai deux petites questions, dont l’une s’adresse à vous, monsieur Lajeunesse. J’aimerais que vous me confirmiez ce que vous nous avez dit. Je tiens à préciser que ce que vous nous avez dit aujourd’hui a déjà été dit par d’autres. Ce n’est pas contradictoire avec d’autres témoignages que nous avons entendus, mais je veux simplement vérifier avec vous à ce sujet.

Il y a deux choses. La première concerne le fait que les efforts du Canada, en ce qui concerne son engagement militaire dans la souveraineté de l’Arctique ou le conflit potentiel dans les régions de l’Arctique, sont en grande partie coordonnés avec nos partenaires de l’OTAN, et ils se déroulent à l’extérieur de l’Arctique canadien et davantage dans l’Arctique européen. C’est la première chose que je veux confirmer avec vous en ce qui concerne l’engagement militaire.

Pour ce qui est du rôle de l’armée canadienne dans notre propre région arctique, si j’ai bien compris ce que vous avez dit, c’est qu’il s’agit davantage de suivre l’exemple d’autres entités canadiennes qui répondent à leurs besoins et qui peuvent être comblés grâce à la coopération de l’armée canadienne, comme la recherche et le sauvetage, et ainsi de suite.

S’agit-il bien des deux principaux messages que vous nous communiquez au sujet du rôle des militaires canadiens dans la région de l’Arctique, que ce soit au Canada ou ailleurs?

M. Lajeunesse : Merci. Pour commencer par la dernière question, oui. Le Canada a intentionnellement élaboré ses stratégies militaires dans l’Arctique autour d’un rôle de soutien parce qu’il n’a pas le mandat d’assumer la responsabilité de la plupart des menaces prévisibles à la sécurité, qu’il s’agisse de pêche illégale, d’intrusion ou d’activité criminelle. Il joue un rôle de soutien, en ce sens qu’il fournit les ressources et parfois les personnes pour appuyer un autre ministère à cet égard.

Pour ce qui est de la coordination avec l’OTAN, nous ne coordonnons pas nos activités avec l’OTAN dans le Nord canadien. Nous ne l’avons jamais fait. C’est une question politiquement délicate. Pour ce qui est de l’extérieur du Nord canadien, bien sûr, nous assurons la coordination avec l’OTAN. De toute évidence, le Canada ne pourrait pas ou ne voudrait pas faire grand-chose seul dans le théâtre européen s’il s’agit de conflits de grandes puissances et de concurrence.

La sénatrice Coyle : C’est là que nos militaires pourraient être engagés dans une approche militaire avant tout, si je peux dire. Ce ne serait pas dans l’Arctique canadien. Ce serait dans d’autres régions arctiques à titre de membre de l’OTAN?

M. Lajeunesse : Oui. Dans la situation très malheureuse et très peu probable où nous engagerions le combat avec les Russes, cela se ferait entièrement en partenariat avec nos alliés de l’OTAN.

La sénatrice Coyle : C’est utile. Merci. Vous avez tous répondu à la plupart de nos questions dans vos exposés.

Monsieur Hinzman et madame Murray, vous avez brossé un assez bon tableau de la situation à l’échelle nationale et de nos efforts de recherche à l’échelle mondiale.

Monsieur Hinzman, vous avez parlé de l’avenir incertain de l’Arctique. C’est la dernière chose que vous avez dite. Cet avenir incertain est vraiment un facteur important d’une bonne partie de ce dont nous parlons ici aujourd’hui. Nous savons déjà qu’il y a eu des changements énormes et rapides dans l’Arctique, et il est très difficile de prévoir ce qui s’en vient, d’où la nécessité d’accroître la surveillance.

Madame Murray, vous avez parlé avec beaucoup d’éloquence de ce nouveau paradigme de recherche dans l’Arctique que nous observons actuellement, et vous êtes un exemple de ce travail interdisciplinaire de scientifiques avec des populations autochtones. Vous avez parlé de notre infrastructure de recherche existante, de sa cartographie et de son utilisation, sachant de quoi nous parlons, et vous avez parlé des lacunes et des ressources nécessaires pour y remédier. Je m’intéresse non seulement aux ressources nécessaires pour remédier aux lacunes, mais aussi à notre infrastructure. Vous avez parlé de la variété qui existe. Est-elle bien dotée en ressources? Si nous commençons à déterminer quelles sont les lacunes et à trouver les ressources nécessaires, l’infrastructure existante est-elle déjà en bonne position pour soutenir et croître au besoin?

Mme Murray : Parfois et à certains endroits, mais pas partout.

La sénatrice Coyle : Avez-vous des recommandations à nous faire à ce sujet?

Mme Murray : Je pense que l’une des recommandations que je ferais au gouvernement, et je pense que bon nombre de mes collègues la feraient aussi, c’est que nous avons une source stable de financement fiable pour l’infrastructure de recherche dans l’Arctique qui se situe peut-être à l’extérieur des enveloppes de financement concurrentielles typiques dans lesquelles, disons, dans mon cas comme universitaire, je chercherais normalement à obtenir de l’argent.

L’entretien de l’infrastructure de recherche n’importe où coûte cher, mais c’est encore plus cher dans le Nord. De nombreuses installations de recherche dans le Nord tentent de faire la transition vers des sources d’énergie plus renouvelables afin de fonctionner plus efficacement et de réduire leur empreinte sur le paysage, tout en continuant de soutenir les meilleurs résultats scientifiques possible.

Je recommanderais un financement stable pour soutenir l’infrastructure qui existe déjà et, à mon avis, il est important de prévoir un financement pour mettre en œuvre et mettre en place une infrastructure d’observation après avoir cerné les lacunes critiques à l’échelle nationale. En parlant de cette infrastructure, j’inclurais non seulement l’infrastructure sur terre, mais aussi l’infrastructure aérienne, océanique et sur l’eau.

La sénatrice Coyle : D’accord. Merci, c’est utile.

Le président : Merci. Avant de conclure, j’aimerais vous poser quelques questions.

Tout d’abord, en ce qui concerne la nécessité d’appuyer la collecte de données, nous apprenions dans un reportage récent de CBC North que le laboratoire PEARL de recherche sur l’atmosphère dans l’environnement polaire, sur l’île d’Ellesmere, est une fois de plus menacé de fermeture en raison d’un manque de financement dans le récent budget fédéral. Un porte-parole de l’Université Dalhousie qui faisait partie de l’équipe de recherche a dit craindre que le financement de PEARL soit épuisé en septembre s’il ne peut obtenir de financement par l’entremise d’un autre programme. Cela devrait-il nous préoccuper, étant donné que vous soulignez l’importance de recueillir des données dans l’Arctique à la lumière des rares activités de recherche?

Mme Murray : Oui. Je pense que PEARL est une installation importante. On y recueille des données et des renseignements qui sont bénéfiques pour les Canadiens, mais on y fournit aussi des données et de l’information à un réseau mondial d’observatoires atmosphériques.

Nous avons un certain nombre d’installations de ce genre au Canada. Nous avons des installations qui fournissent maintenant des données à la Veille mondiale de la cryosphère de l’OMM. Elles méritent un soutien et un entretien à long terme. Il est parfois difficile de voir immédiatement les avantages de la collecte de ce genre d’observations, mais elles sont essentielles à notre compréhension de la direction que nous prenons, tant dans l’Arctique que de façon plus générale, alors j’aimerais certainement voir un soutien stable pour ce genre d’éléments de recherche et d’infrastructure d’observation d’importance nationale.

M. Hinzman : Toutes les stations sont d’une importance capitale, car il y en a si peu, mais c’est un bon exemple du problème auquel nous sommes confrontés dans bon nombre des pays, en ce sens que nous avons des systèmes d’observation qui sont mis en place dans le cadre d’un programme de recherche financé sur une période de trois ou cinq ans ou, dans de rares cas, sur une période de dix ans, puis à la fin de cette période, la station est fermée et les données ne sont plus recueillies. L’élément clé de SAON, l’initiative de durabilité des réseaux d’observation en Arctique, ce sont les observations soutenues. Nous devons avoir ces observations pour le long terme. Le bruit environnemental qui est, parmi les nombreuses variables que nous mesurons, très grand, et le signal associé aux changements climatiques est parfois très subtil, et il est important de maintenir ces réseaux d’observation pendant des décennies pour obtenir cette information essentielle. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Je crois que cela met fin à la séance. Je tiens à vous remercier tous beaucoup de vos contributions et de vos échanges de thèmes selon différents points de vue.

Nous allons maintenant passer à notre prochain groupe de témoins. Je suis heureux d’accueillir, de Hutchins Legal Inc., Peter W. Hutchins, avocat, et Robin Campbell, avocate. Merci d’être parmi nous aujourd’hui. Veuillez faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions et réponses. Comme nous sommes un peu pressés cet après-midi, je vais vous demander d’en tenir compte. Monsieur Hutchins, la parole est à vous.

Peter W. Hutchins, avocat, Hutchins Legal Inc. : Honorables sénateurs, comme vous le savez, je m’appelle Peter W. Hutchins et je suis accompagné de Mme Robin Campbell, une collègue de Hutchins Legal Inc., qui a beaucoup réfléchi aux aspects internationaux de l’Arctique et de la politique canadienne à cet égard. Nous avions prévu un exposé de cinq minutes au total que nous allions partager entre nous. C’était un défi de taille. Si je ne m’abuse, on nous a accordé quelques minutes de plus — ce ne serait certainement pas plus de dix ou sept minutes —, c’est à vous de décider. Quoi qu’il en soit, j’ai promis à Mme Campbell qu’elle aurait son temps de parole, et ce n’est pas là une promesse d’homme blanc, comme disent les tribunaux, mais une promesse solennelle.

Permettez-moi de commencer par dire que mon intérêt pour le statut juridique des Inuits et de leurs territoires remonte à 1970, croyez-le ou non, lorsque j’étudiais à la London School of Economics et que j’ai présenté une thèse de maîtrise en droit sur le statut juridique des Esquimaux du Canada, comme on les appelait à l’époque. Le début des années 1970 a été marqué par un grand scepticisme juridique et politique à l’égard de la notion des droits des Autochtones. Soit ils n’avaient jamais existé, soit ils avaient été éteints par la Couronne. L’on estime que la charte de la Compagnie de la Baie d’Hudson de 1670 a mis fin aux droits des Inuits. J’ai examiné les lois, les doctrines, les politiques et les pratiques successives depuis le XVIIe siècle jusqu’au XXe siècle au moins jusqu’en 1970 et j’ai conclu que « dans la détermination de l’orientation future, le peuple [inuit] n’a pas à demander de faveurs; l’histoire et le droit sont de son côté ».

Après 45 ans de pratique dans ce domaine, je suis encouragé par le fait que la prédiction n’était pas entièrement acceptable. Même aujourd’hui, elle est sûrement plus acceptable, mais il y a encore des négationnistes, et il est intéressant de regarder l’histoire du XIXe siècle, par exemple, où l’on a toujours l’impression d’assister à des améliorations, que la politique du gouvernement est meilleure qu’elle ne l’était et que nous sommes plus éclairés qu’avant. Les victoriens s’offusqueraient, et je ne suis pas certain que ce soit tout à fait vrai à cet égard.

Je cite dans les notes d’allocution le comité spécial de la Chambre des communes sur les Autochtones de 1835-1837 qui écrivait ce qui suit :

On peut présumer que les Autochtones, où qu’ils soient installés, ont un droit incontestable sur leur propre terre, un droit ordinaire et sacré cependant, qui ne semble pas avoir été compris. Les Européens ont franchi leurs frontières sans y être invités et, lorsqu’ils y sont arrivés, ils ont non seulement agi comme s’ils étaient les seigneurs incontestés du territoire, mais ils ont puni les Autochtones comme des agresseurs pour avoir simplement montré qu’ils voulaient vivre dans leur propre pays.

Le comité ajoute que cela était contraire à la politique de la Couronne. C’est peut-être un plaidoyer spécial, mais je suis sûr que vous connaissez tous la Proclamation royale de 1763, qui est le fondement du droit autochtone au Canada, citée par tous les tribunaux, et qui était, à sa face même, un document progressiste et généreux.

Mais simplement pour indiquer que tout n’était pas nécessairement bien, à l’époque, du moins, où le comité spécial examinait les mesures prises sur les terres de la Compagnie de la Baie d’Hudson, il y a un bel exemple de témoignage où le comité demande ce qui suit :

Est-ce là votre opinion, dans l’ensemble, que les indigènes de cette grande région auraient été un peu plus moraux, et beaucoup plus nombreux, s’ils n’avaient jamais vu le visage d’un homme qui se prétend chrétien...

Et la réponse a été : « ... Sans aucun doute ».

Donc, il y a deux côtés.

Aujourd’hui, l’accent qui est mis sur la réconciliation, et nous l’entendons beaucoup, en commençant par le premier ministre, et cela touche certainement le domaine du droit autochtone ces jours-ci, est fondé sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et des tribunaux inférieurs au moment de rendre une décision sur les titres et les droits ancestraux. C’est de là que vient le problème. Il y a un certain nombre d’exemples que j’ai mentionnés dans mes notes d’allocution et nous pourrons y revenir, mais l’affaire Delgamuukw, en Colombie-Britannique, en est un. Les affaires Mikisew et Sparrow sont importantes, et je vais vous donner une idée de ce que ces tribunaux ont dit.

Dans l’arrêt Delgamuukw, le juge en chef a parlé de la reconnaissance de l’occupation antérieure de l’Amérique du Nord par les peuples autochtones et de l’affirmation de la souveraineté de la Couronne, qui exige que le point de vue autochtone et la common law aient le même poids. Je vais parler du point de vue autochtone parce que c’est, selon moi, la clé pour comprendre la dynamique entre les Premières Nations et les Inuits, d’une part, et la Couronne et les autres administrations publiques, d’autre part.

Dans l’arrêt Mikisew, le juge Binnie a qualifié la réconciliation d’objectif fondamental du droit moderne des droits ancestraux et issus de traités.

Fait intéressant, dans l’arrêt Sparrow, la Cour a déclaré qu’il était crucial de tenir compte du point de vue autochtone sur la signification des droits en jeu. Donc, si vous examinez les droits qui ont été revendiqués par les Premières Nations ou les Inuits, vous devez les examiner de leur point de vue. C’est ce qu’affirment les tribunaux, et croyez-moi, ils l’affirment haut et fort par les temps qui courent.

Dans la perspective inuite, il est question de l’importance de la glace par rapport à la terre, de ce qui constitue une utilisation pleine et entière des territoires de l’Arctique, de l’importance des ressources naturelles renouvelables et de leur conservation, des structures de gouvernance appropriées et de leur raison d’être ainsi que de la concurrence internationale pour le passage de l’Arctique et des ressources non renouvelables de l’Arctique.

En effet, les revendications souveraines canadiennes doivent toutes être examinées du point de vue des Inuits. Je présente dans mes notes d’allocution un excellent extrait de l’article de Franklyn Griffiths qui, à mon avis, mérite un examen attentif. Le professeur Griffiths est titulaire émérite de la Chaire George Ignatieff d’études sur la paix et les conflits à l’Université de Toronto. Dans les extraits sur les Inuits que je vous ai soumis, il fait référence à leur « nouvel imaginaire ». M. Aporta en parlera probablement. Quand il s’agit de parcourir le Nord, les sentiers que les Inuits y ont établis ne sont pas marqués, ils se trouvent dans leur tête, ils sont dans leur imaginaire et ils y restent.

Je vous renvoie à certaines parties de ce document et je passe directement à la page 4 de mes notes. Au milieu de la page, le professeur Griffiths écrit :

Ce que les Inuits ont à offrir, avant tout, c’est un nouvel imaginaire. Historiquement et culturellement, cet imaginaire est axé sur l’ouverture et le partage, et non sur la fermeture et l’exclusion.

C’est une distinction très importante.

Ayant des frères et des sœurs dans trois autres pays arctiques, les Inuits ont une vision plutôt transnationale. Elle est donc adaptée aux problèmes de l’Arctique, dont les causes transcendent la plupart du temps les frontières et dont les solutions requièrent généralement plus de coopération internationale que d’action unilatérale à l’intérieur de frontières nationales.

Je suis sûr que vous avez entendu ceci de la part d’autres témoins, de témoins inuits. Les Premières Nations et les Inuits soutiennent depuis des décennies devant les tribunaux que les traités, par exemple, ne visent pas la cession de leurs droits à la Couronne. Ils ont servi à permettre aux colons, aux représentants de la Couronne, d’avoir accès à leurs territoires, de les partager. Leur vocabulaire parle de partage, et non d’extinction. Au bas de la page, on peut lire ceci :

Bref, ils s’intéressent à l’intendance plutôt qu’à la gestion à distance.

La vérité fondamentale, telle qu’énoncée dans la Déclaration circumpolaire inuite sur la souveraineté de l’Arctique, c’est que : l’Arctique, c’est chez nous. Tout simplement.

Les cartes que j’ai mentionnées, préparées par le professeur Aporta, illustrent l’importance de l’occupation de ce territoire par les Inuits. Vous trouverez cette carte à la page 20 de notre présentation PowerPoint, qui, je l’espère, vous a été distribuée. C’est extraordinaire parce qu’elles montrent que le grand mythe de l’Arctique vide, du désert, de ce que les avocats appelleraient terra nullius, personne, rien ne s’y passe, c’est de la foutaise, pour dire les choses carrément. Voilà comment les Inuits ont utilisé ce territoire, et ce, depuis des générations, sur la glace, sur un territoire. Je ne vais pas aborder le sujet de M. Aporta, car il est beaucoup plus efficace que moi pour en parler, mais il est extraordinaire de voir comment les Inuits, par exemple, quand la glace fond ou que la neige fond, sont encore capables de localiser les sentiers et de les utiliser, parce qu’ils sont dans leur tête. Ils sont dans leur imaginaire.

À mon avis, l’une des applications les plus importantes tant de la perspective autochtone que du principe de l’honneur de la Couronne vient des dispositions commençant par « il est attendu que » des traités modernes inuits ainsi que des traités historiques. Elles sont essentielles pour les développements actuels et à venir. Les Inuits ne les comprenaient pas tout à fait à l’époque où ces traités ont été conclus et, maintenant que les conséquences réelles pour l’Arctique et les Inuits deviennent évidentes, on ne devrait pas contraindre les Inuits au respect de ces dispositions. J’ai laissé entendre ailleurs que le rebus sic stantibus en droit international pouvait s’appliquer dans ce contexte. En somme, lorsque les circonstances changent fondamentalement, une partie à un traité peut demander d’être exemptée de ses obligations. Il y a encore beaucoup à dire à ce sujet, mais voilà ce que c’est. Je fais allusion aux quelques endroits où j’ai mentionné cela auparavant.

Ce qu’il est important de retenir, c’est que dans ce cas, la nécessité la plus importante est ce que les tribunaux ont appelé « l’honneur de la Couronne ». Il s’agit d’une doctrine très importante que la Cour suprême a invoquée à maintes reprises, qui sert de frein ou de restriction à la conduite de la Couronne. En fait, cette doctrine remonte au XIe ou au XIIe siècle, mais dans ce contexte, elle remonte au moins jusqu’à la Proclamation royale de 1763, lorsque la Couronne a honorablement promis la protection des terres, de leurs terres, aux Inuits et aux Premières Nations.

Permettez-moi de terminer avec une idée très simple, qui m’est venue de David Arnot, qui est avocat. Il a écrit un article dans la Saskatchewan Law Review intitulé « The Honour of the Crown ». Je suis d’accord avec lui quand il définit l’essence de l’honneur de la Couronne comme « notre capacité, en qualité de société mature, d’agir par principe ». C’est ce qu’il faut pour aller de l’avant dans l’Arctique, main dans la main avec les Inuits, et améliorer la vie de tous.

Je cède maintenant la parole à Mme Campbell.

Le président : J’ai bien peur que cela doive être bref.

Robin Campbell, avocate, Hutchins Legal Inc. : Je le comprends.

J’aimerais aborder deux choses sur les Inuits en rapport avec l’Arctique dans le contexte mondial et le Cadre stratégique pour l’Arctique. La première consiste à examiner les obligations du Canada en vertu du droit international, puisque la politique devrait être fondée sur le respect de ces obligations. La seconde consiste à examiner comment cette politique pourrait appuyer l’autodétermination des Inuits en ce qui a trait à l’océan Arctique, de façon à résoudre les problèmes avec la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Cela s’appuie sur le travail que j’ai eu la chance de réaliser avec le sénateur Watt et je crois comprendre que vous examinez cette question au sein de ce comité.

Les obligations du Canada quant au respect de l’autodétermination des peuples et ses obligations en vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones devraient éclairer la politique sur l’Arctique. En vertu du droit international, le Canada est tenu de respecter l’autodétermination des peuples et de promouvoir la concrétisation de ce droit. C’est là l’un des principes essentiels — et l’un des plus élevés — du droit international. Cela signifie que les gens ont le droit de déterminer la façon dont ils seront gouvernés et de prendre leurs propres décisions.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constitue la référence internationale en matière de respect de l’autodétermination pour les peuples autochtones. En 2016, le Canada a officiellement adopté la Déclaration sans réserve, comme partisan à part entière. Le Canada est maintenant responsable de la mise en œuvre de ces droits au Canada. La politique devrait appuyer la mise en œuvre de la Déclaration dans l’Arctique. Cela pourrait signifier que le Canada doive adopter le projet de loi C-262. Toutefois, même en l’absence de ce projet de loi, la Déclaration s’applique au Canada et le Canada, en vertu de cette déclaration, est tenu de prendre des mesures pour atteindre les objectifs de la Déclaration. Donc, que le projet de loi entre en vigueur ou non, ces obligations demeurent.

Le respect de l’autodétermination des Inuits devrait être au cœur du nouveau Cadre stratégique pour l’Arctique. Ceci suppose que les Inuits collaborent avec le Canada à titre de partenaires pour la gestion de l’Arctique. On pourrait appliquer le principe de l’autodétermination à tous les domaines, en se posant la question, pour chaque mesure, est-ce que cela va dans le sens de l’autodétermination des Inuits? Cela devient une question clé.

Comme Mary Simon l’a souligné, l’autodétermination suppose que les collectivités et les individus sont sains et prospères. Cette politique pourrait fournir l’occasion d’affirmer que les Inuits doivent recevoir une juste part des avantages découlant des terres et des eaux arctiques, y compris des redevances, et que les initiatives visant à soutenir leur développement économique devraient être appuyées.

Deuxièmement, dans le Cadre stratégique pour l’Arctique, on s’intéressera à la place du Canada au sein de la communauté internationale et à son rôle dans la région circumpolaire. Cette politique devrait être entièrement élaborée de concert avec les Inuits et elle devrait appuyer les droits des Inuits à l’échelle internationale, tout particulièrement en ce qui concerne les questions de gouvernance internationale.

Je vais me concentrer sur les questions urgentes qui se posent en matière de gouvernance de l’océan Arctique, en particulier sur le travail que nous avons fait avec le sénateur Watt sur la façon de protéger les droits des Inuits dans l’océan Arctique, compte tenu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ou UNCLOS, que les États utilisent pour établir leurs droits dans l’océan Arctique. Les deux préoccupations immédiates concernent le plateau continental étendu et le nouvel accord sur la pêche en haute mer. Je vais procéder très rapidement pour pouvoir répondre à ces deux questions.

En ce qui concerne le plateau continental étendu, le Canada et les autres États côtiers tracent actuellement les limites de leur plateau continental étendu en suivant les règles de l’UNCLOS. Le problème, c’est que l’UNCLOS ne reconnaît pas les droits des peuples autochtones, comme leurs droits aux zones marines, leurs droits en matière de mammifères marins migrateurs et de poissons, ni leurs droits et leurs avantages quant aux ressources extraites de l’océan Arctique.

Le Cadre stratégique pour l’Arctique constitue pour le Canada une occasion d’affirmer qu’il aidera les Inuits à obtenir un rôle dans la gouvernance de l’océan Arctique, particulièrement dans le cadre de l’UNCLOS. Il s’agit également d’une occasion d’affirmer que le Canada partagera avec les Inuits les redevances tirées de tout développement du plateau continental de l’océan Arctique et que les Inuits auront un rôle clé à jouer pour déterminer si et où l’exploration ou l’extraction des ressources devraient avoir lieu dans ces régions fragiles et pratiquement intactes.

Un autre domaine qui appelle un partenariat entre le Canada et les Inuits est celui de la négociation du nouvel accord, actuellement en cours à l’ONU, pour la protection de la biodiversité marine en haute mer. Ce nouvel accord s’appliquera aux hautes mers du monde, y compris à l’océan Arctique. Il se veut complémentaire à l’UNCLOS, couvrant des domaines tels que la conservation et la durabilité, l’évaluation des impacts environnementaux et les zones de protection marine en haute mer. Ces questions sont très importantes pour les Inuits et sont liées à leurs droits.

Pour appuyer l’autodétermination des Inuits dans l’Arctique, le Canada devrait peut-être les inviter à faire partie de son équipe de négociation aux Nations Unies et voir quelles conditions pourraient être incluses dans cet accord qui permettrait aux Inuits de participer à la gouvernance de la biodiversité marine dans la haute mer de l’Arctique. L’expérience récente des négociations de l’accord de 2018 sur les activités de pêche en haute mer dans le centre de l’océan Arctique devrait constituer un modèle à suivre. L’ICC faisait partie de la délégation canadienne et a aidé à élaborer la position du Canada sur l’accord. Cette collaboration a fait en sorte que l’accord reconnaisse les intérêts des peuples autochtones de l’Arctique et leur utilisation durable des ressources marines vivantes et que les connaissances autochtones soient prises en compte lorsqu’il s’agit de décider des endroits où la pêche commerciale devrait être pratiquée en haute mer dans le centre de l’océan Arctique.

Merci beaucoup.

Le président : Merci. Vous nous avez également fourni une abondance de documents, nous vous en sommes reconnaissants. Si nous nous en tenons au calendrier, nous n’avons que 10 ou 15 minutes de plus. Puis-je demander aux sénateurs de garder cela à l’esprit et de poser des questions brèves? Je vais peut-être devoir vous limiter à une seule question chacun.

La sénatrice Bovey : Je n’en ai qu’une. Je tiens à vous remercier tous les deux. Vous avez fait le lien entre une grande partie de ce que nous avons entendu de la part d’autres témoins au cours des derniers mois et ce que nous avons vu lorsque nous étions dans le Nord, alors j’aimerais maintenant établir un lien entre ce que vous avez dit, ce que vous nous avez remis et ce qu’a dit un témoin du groupe précédent. D’après les questions que j’ai posées, il est évident que le rôle potentiel ou réel de l’armée canadienne dans le Nord me préoccupe.

À la page 61 de votre présentation PowerPoint, sous la rubrique « Concevoir des stratégies », vous énumérez les effets d’une collaboration mutuelle bénéfique, ce qui me semble très clair, mais votre dernier point est « ancrer les revendications de souveraineté du Canada dans la région ». Ma question est la suivante : ces revendications sont-elles claires ou, en tant que nation, avons-nous encore du travail à faire pour les faire valoir au fur et à mesure que le passage du Nord-Ouest s’ouvre et que, comme je l’ai lu dans la presse, la Chine tente d’affirmer une plus grande présence dans l’Arctique en essayant d’acheter des fjords et des terres dans divers pays de l’Arctique?

M. Hutchins : Merci, sénateur. Je pense qu’un membre du groupe de témoins précédent a dit qu’il n’y avait pas vraiment de quoi s’inquiéter, que la souveraineté du Canada était assurée dans l’Arctique et que tout le monde le savait. En fait, bien des gens ne l’acceptent pas, à commencer par nos voisins du Sud. On ne peut pas se leurrer quant au fait que, avec la fonte des glaces et l’ouverture du passage du Nord-Ouest, les intérêts commerciaux auront préséance. Alors voilà.

On a bien fait valoir l’argument de la souveraineté canadienne ailleurs, mais il est intéressant de noter que le Canada, depuis le début des années 1950, invoque la présence inuite pour justifier la souveraineté canadienne dans l’Arctique. Je suis sûr que vous avez déjà entendu, peut-être ad nauseam, certaines déclarations du premier ministre Clark à l’époque sur la question tragique de la délocalisation d’Inuits dans l’Extrême-Arctique, jusqu’à Grise Fiord et d’autres endroits. Il y avait peut-être d’autres raisons, mais il ne fait aucun doute, comme l’ont admis les fonctionnaires, qu’ils étaient là pour asseoir la souveraineté canadienne. Je pense qu’à ce moment-là, dans les années 1950, nous parlions encore d’Esquimaux. Si vous parlez aux Inuits, ils sont très offensés non seulement par l’insensibilité de ce programme, mais aussi par le fait qu’on les appelle des Inuits canadiens et qu’on fait d’eux des agents de la Couronne en quelque sorte. Il y a sûrement de bonnes raisons d’affirmer qu’ils sont des agents libres, et ce, à bien des égards. Je ne peux pas entrer dans les détails, mais ils sont là depuis beaucoup plus longtemps que le Canada, un point c’est tout.

Le Canada dépend des Inuits à cet égard, mais s’ils se prêtent à ce jeu, c’est qu’ils ressentent une certaine inquiétude quant à leurs revendications de souveraineté. S’ils étaient astucieux et que nous l’étions également, comme Canadiens, nous pourrions commencer à porter une plus grande attention à notre relation avec les Inuits et à notre partenariat avec eux, de sorte que la présence canadienne devienne une réalité. Je pense qu’en vertu du droit international, l’argument serait solide. Il y a toutes sortes d’arguments en défaveur des petites populations qui revendiquent de grands territoires, mais il y a des cas internationaux, comme celui du Sahara occidental, où la Cour internationale de Justice a conclu que les peuples nomades et semi-nomades pouvaient revendiquer la souveraineté et la transmettre à l’État ou aux États. Certains disent que l’origine et, dans les faits, le point d’ancrage de la souveraineté canadienne, est la présence des Inuits et le fait qu’elle s’est transmise, dans une certaine mesure, par des traités, ce qui soulève maintes questions.

Mais ces traités, comme la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Loi sur le Nunavut, ont été conçus et adoptés, dans la perspective du gouvernement, pour affirmer sa souveraineté — ne nous leurrons pas — tout comme les traités numérotés dans l’Ouest ont été conclus avec les Cris et les Pieds-Noirs pour asseoir la souveraineté canadienne dans les plaines face à l’armée américaine qui guettait à la frontière. Tout cela nous ramène aux Inuits et à leurs intérêts, nous ne pouvons pas éviter le sujet et nous ne devrions pas l’éviter.

Le président : Merci. Nous aurons besoin de réponses plus concises pour permettre aux sénateurs Eaton et Coyle de poser leurs questions.

La sénatrice Eaton : Ce sera une réponse concise, je le sais, monsieur Hutchins. Je vous remercie tous les deux de vos exposés.

J’aimerais que vous m’éclairiez. En ce qui a trait à l’entente de nation à nation avec les Inuits, est-ce qu’elle s’apparente aux relations fédérales-provinciales ou à un type de relation fédéral- fédéral? En fin de compte, le Canada peut-il avoir le dernier mot quelque part?

M. Hutchins : Je vais tenter d’être bref. Dans le cas des relations fédérales-provinciales, les provinces sont souveraines dans leurs domaines de compétence.

La sénatrice Eaton : C’est exact.

M. Hutchins : Je dirais que cette analogie vaut également dans le cas des Inuits. Ils ont un certain degré de souveraineté dans ces domaines, tant sur le plan du droit international que sur celui de leurs droits généraux, mais les traités doivent aussi être pris en considération parce que, même s’ils ne sont pas parfaits, ils leur ont conféré un véritable pouvoir.

La sénatrice Eaton : C’est comme le gouvernement fédéral. S’il devait y avoir une guerre ou un quelconque événement national, le gouvernement fédéral aurait le dernier mot, n’est-ce pas?

M. Hutchins : Je ne pense pas que les Inuits ou même les Premières Nations aient jamais prétendu que leur souveraineté s’étendait à l’action militaire. Ils s’entendent pour dire que certaines choses relèvent du gouvernement canadien dans son ensemble. Le passage frontalier en est une. Les Mohawks plaident en faveur d’un passage frontalier, mais pas dans le but de faire passer des objets de l’autre côté de la frontière. Mike Mitchell, dans son cas, a dit qu’il ne s’agissait pas du tout de cigarettes, d’alcool et d’armes à feu, mais plutôt de la façon dont les gens faisaient des échanges dans le passé, qu’ils veulent préserver. Je ferais mieux de m’arrêter ici.

Le président : Merci.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Je suis curieuse, parce que vous avez examiné la situation au Canada et que vous avez regardé ce qui se passait ailleurs qu’au Canada. Nous comprenons très bien le principe sur lequel vous avez insisté ici. Je m’intéresse aux droits autochtones dans d’autres États côtiers de l’Arctique. Y a-t-il des leçons à tirer de ces autres exemples que vous pourriez mentionner?

Mme Campbell : Je pense qu’il faut prendre l’exemple du Danemark et du Groenland, un État presque entièrement gouverné par les Inuits. Pour en revenir au point soulevé par la sénatrice Eaton, le Danemark s’occupe des affaires internationales et de la défense, mais pour le reste, ce sont les Inuits qui gouvernent. Il y a beaucoup à apprendre de cet exemple. Il est certain que les Inuits de tous les États circumpolaires travaillent ensemble. Pour ne citer qu’un exemple, les Inuits du Canada cherchent à pratiquer la pêche en partenariat avec ceux du Groenland. Il y a tout un apprentissage à tirer de la formule danoise au Groenland.

La sénatrice Coyle : Y a-t-il d’autres formules exemplaires à relever parmi les États arctiques?

Mme Campbell : Il y a toujours des choses à apprendre des États-Unis également. Ce pays s’est empressé de conclure un modèle de traité que les Inuits du Nord canadien s’efforcent d’imiter. Je pense que le Conseil circumpolaire inuit est en train d’en discuter avec le gouvernement du Canada sous l’optique géopolitique qui est la sienne.

M. Hutchins : Si vous me permettez une petite précision au sujet de l’Alaska, le règlement en question existait déjà à l’époque où nous étions en train de négocier la Convention de la Baie James et du Nord québécois, et après avoir examiné cette entente, nous avons déterminé que nous n’en voulions pas. Ce n’était pas un modèle à suivre.

La sénatrice Coyle : C’est donc ce qu’il ne faut pas faire?

M. Hutchins : Je crois que le temps nous a donné raison. Un brin de prudence n’est jamais de trop quand il s’agit d’imiter les Américains.

Le président : J’aimerais poser une dernière question à M. Hutchins. Des négociations sont en cours avec les Territoires du Nord-Ouest et les Inuvialuit au sujet d’un nouveau régime de gestion de la zone extracôtière de la mer de Beaufort. D’autres sont en cours dans l’Est de l’Arctique avec le Canada, les Inuits et le gouvernement du Nunavut au sujet d’un transfert des fonctions de gestion des ressources naturelles terrestres, dans l’idée de passer ensuite à la zone extracôtière. Pourriez-vous décrire brièvement ce qui serait selon vous un arrangement idéal pour les peuples autochtones du Canada dans la gestion des ressources extracôtières? Qu’est-ce que ces droits confèrent principalement aux Inuits de l’intérieur?

M. Hutchins : Merci, sénateur. Je pense que le droit de gérer les pêches fait partie intrinsèque des droits. Qu’il s’agisse des Premières Nations ou des Inuits, la jurisprudence veut qu’une fois que leur droit à la chasse ou à la pêche est reconnu, le droit de gérer ces ressources en fait automatiquement partie.

Or, est-ce seulement pour les Inuits, ou pour les deux? Je pense que le modèle devrait être un partenariat, mais un partenariat respectueux dans lequel les Inuits participent comme membres à part entière. Je n’ai qu’un seul exemple. Je vous ai dit avant la séance, sénateur, que la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs a interdit pendant des années la chasse aux oiseaux au printemps, à l’encontre d’un aspect absolument essentiel pour les peuples autochtones dans l’exercice de leurs droits. Lorsque l’article 35 est entré en vigueur, il y a eu conflit et, en fait, à l’époque où nous étions en train de négocier la Convention de la Baie James, en 1974, le gouvernement fédéral a voulu obtenir des attestations des Cris et des Inuits indiquant qu’ils acceptaient de renoncer à la récolte au printemps, mais les deux peuples ont affirmé qu’il n’en était absolument pas question, car il s’agissait de leur droit ancestral.

Les parties ont reconnu qu’elles ne s’entendaient pas, mais le Canada a consenti à modifier la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, ce qu’il a fait plus tard dans les années 1980, et ce processus, auquel j’ai participé, a compté sur la participation de représentants des Inuits, des Premières Nations et des Métis comme membres à part entière de la délégation canadienne. Ils ont joué un rôle de premier plan dans les négociations avec les Américains pendant quatre jours. Il a fallu expliquer aux Américains en quoi consistait l’article 35, et ils s’y sont pris admirablement bien. Ces efforts ont abouti à une Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs modifiée et à un traité international. Si cela vous intéresse, il y a un document publié par le Service de la faune, sur lequel nous avons travaillé, qui explique la nature et la raison d’être de ces modifications. La raison d’être c’était que nous en avions besoin pour garantir les droits issus de traités, les droits ancestraux de ces peuples, y compris en ce qui a trait à la gestion des ressources. Comment vous arrangez-vous? Bien des années se sont écoulées depuis et je n’ai plus jamais assisté à une démarche de la sorte. Remarquez, cela m’a peut-être échappé.

Il est amplement question de développement conjoint. Personnellement, je n’en vois pas d’exemples bien concluants. Les promoteurs du développement conjoint essaient de convaincre les fonctionnaires, qui promettent d’aller voir ce qu’ils peuvent faire. Ils partent et c’est la dernière fois qu’on en entend parler. Prenez par exemple le projet de loi sur les langues, dont j’ai parlé il y a quelques mois. Il n’a pas du tout été rédigé conjointement. On en a fait fi, tout bonnement. C’était pourtant la cause des Inuits.

Je pense que cela nous ramène à ce que disait David Arnot, à savoir que tout le monde doit agir selon des principes, en commençant par la Couronne — l’honneur de la Couronne.

Le président : Nous allons devoir conclure sur cette note percutante. Je vous remercie tous deux de votre témoignage et des nombreux documents que vous avez fournis au comité. Cela nous a été très utile.

Nous accueillons un troisième groupe de témoins à cette réunion du Comité spécial sur l’Arctique. Je suis heureux d’accueillir dans la salle Shirley Tagalik, directrice de la Société Aqqiumavvik, et, à titre personnel, Karla Jessen Williamson, professeure adjointe, Ed Foundations, Université de la Saskatchewan, et par vidéoconférence depuis Halifax, Claudio Aporta, directeur, Marine Affairs Program de l’Université Dalhousie.

Merci à tous d’être parmi nous aujourd’hui. Monsieur Aporta, je propose que vous commenciez par votre déclaration préliminaire. Ce sera ensuite au tour de Mme Tagalik et de Mme Jessen Williamson. Il y aura également du temps pour les questions et réponses.

Claudio Aporta, directeur, Marine Affairs Program, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup. C’est un honneur d’être invité. Je vais lire ma déclaration pour m’assurer de ne pas dépasser les cinq minutes.

Mes observations sont fondées sur 20 années de travail et de recherche dans l’Arctique, la documentation et l’étude de la compréhension et de l’utilisation des espaces marins et côtiers par les Inuits, la cartographie des sentiers traditionnels inuits dans les quatre régions inuites du Canada et la prestation de conseils à des organisations inuites. Dans le cadre de mon travail ethnographique dans l’Arctique, j’ai beaucoup voyagé avec des chasseurs, surtout à Igloolik. Mes travaux de cartographie comprennent une carte permanente des sentiers inuits dans l’ensemble de l’Arctique canadien occupé par les Inuits. Ce projet était en partie parrainé par l’ancien sénateur Charlie Watt, et certains d’entre vous le connaissent peut-être.

On oublie souvent que les villages actuels sont le résultat d’un processus de sédentarisation qui s’est déroulé entre les années 1950 et 1970. Avant cette époque, les Inuits vivaient de façon semi-nomade, se déplaçant selon les saisons et la disponibilité des ressources. Bien que le passage à des établissements permanents représente un changement radical pour les collectivités inuites, celles-ci continuent d’utiliser régulièrement le même territoire et les mêmes ressources. En fait, elles suivent la plupart des sentiers et des itinéraires que leurs ancêtres ont empruntés pendant de nombreuses générations.

Une étude de la mobilité des Inuits révèle l’utilisation systématique des espaces côtiers et marins et une relation avec la terre qui est fondamentalement ancrée dans une connaissance approfondie des processus et de la dynamique de l’environnement. Ce que je trouve frustrant dans les relations passées et présentes entre les gouvernements canadiens et les Inuits, c’est un manque généralisé de compréhension ou de reconnaissance de la part des gouvernements de la façon dont les Inuits sont rattachés aux milieux dans lesquels ils vivent, de la façon dont ils sont interconnectés dans tout le monde arctique et de la façon dont leur sentiment de communauté et d’identité est révélé et maintenu par ces liens.

J’ai dressé une liste de défis et de possibilités dont j’aimerais faire part au comité. Je vais commencer par les défis qui, selon moi, doivent être relevés et surmontés. Premièrement, il faut cesser de considérer les collectivités inuites comme étant isolées les unes des autres. Elles sont reliées par une vaste infrastructure de pistes de traîneau et de routes maritimes. Deuxièmement, il faut cesser de penser que les régions désignées sont des enclos délimités avec des frontières à ne pas dépasser. Essentiellement, le sentiment d’appartenance est noué à un territoire beaucoup plus vaste, bien au-delà des limites du village. De plus, il importe de reconnaître que la banquise et l’océan font partie des territoires inuits, sans oublier que les agglomérations sont souvent perçues par les Inuits comme la cause de la plupart des problèmes, alors que la terre possède des propriétés curatives. Les régions désignées de l’Arctique canadien n’ont pas été soigneusement planifiées, et les planificateurs et les décideurs n’avaient certainement pas à l’esprit les considérations culturelles et sociales inuites.

À mon avis, voici ce qui pourrait ou devrait se produire à l’avenir : tout d’abord, accroître et faciliter l’action et l’autonomisation des collectivités — essentiellement, les laisser prendre leurs propres décisions, avoir leur mot à dire dans les choses qui leur importent et suivre la voie actuelle de l’élaboration de modèles de cogestion. C’est essentiel. Il y a quelques exemples qu’il faut examiner très attentivement. L’un d’eux est un peu plus ancien, soit le Plan de gestion intégrée dans la mer de Beaufort, qui prévoyait la participation des collectivités et des organisations inuvialuit. Il y a aussi l’aire marine nationale de conservation Tallurutiup Imanga au Nunavut et l’initiative Imappivut au Labrador. Les trois sont des exemples de cogestion.

Ensuite, il faudrait habiliter les organisations inuites afin qu’elles puissent participer à des ententes de cogouvernance et de cogestion, car c’est habituellement à elles de le faire, et la plupart n’ont ni les moyens ni les ressources humaines nécessaires. Je parle des organisations inuites régionales.

De plus, les investissements dans l’infrastructure devraient bénéficier des apports et des idées des collectivités afin de pouvoir innover, non seulement du côté du logement, mais aussi des espaces publics. Il y a quelques exemples que je pourrais citer plus tard.

Nous devons adopter pleinement l’approche pangouvernementale et la rendre vraiment efficace, passer de la théorie à la pratique. Dans ce contexte, l’Arctique peut être un terrain d’essai pour une approche stratégique tournée vers l’avenir. À l’heure actuelle, l’approche du cloisonnement qui était courante dans les politiques visant l’Arctique produit une gouvernance fragmentée et constitue un fardeau immense pour les petites collectivités et organisations inuites. Il est temps d’accepter ce que les Inuits disent depuis longtemps, à savoir que tous les problèmes sont reliés et qu’une approche holistique de la gouvernance est nécessaire. Par exemple, la conservation de la biodiversité est indissociable de la santé individuelle et sociale ou du développement d’économies durables.

Le renforcement des capacités est un processus qui doit aller dans les deux sens. Il ne s’agit pas seulement de renforcer les capacités dans les collectivités, mais aussi de permettre aux non-Inuits, au gouvernement, aux chercheurs, d’apprendre réellement des Inuits. Ce n’est pas une voie à sens unique. C’est un processus bidirectionnel.

Enfin, il faut adopter des approches créatives et audacieuses. La question que je vais poser en terminant est la suivante : comment pouvons-nous commencer à penser autrement et à faire preuve d’imagination, et comment pouvons-nous briser l’inertie bureaucratique qui caractérise la plupart des ministères?

Merci.

Le président : Merci beaucoup, et aussi pour la documentation graphique que vous nous avez fournie de votre exposition, Inuit Highways, de l’automne 2016.

Shirley Tagalik, directrice, Société Aqqiumavvik : Bonjour. Je m’appelle Shirley Tagalik. Je suis directrice bénévole de la Société Aqqiumavvik, à Arviat, sur la côte ouest de la baie d’Hudson.

Je suis venue à Arviat de Montréal en qualité d’éducatrice en 1976 et j’y vis depuis. J’ai enseigné dans des écoles locales jusqu’à la création du Nunavut en avril 1999, lorsqu’on m’a demandé de créer la division des programmes d’études du nouveau ministère de l’Éducation. Notre mandat était de concevoir un nouveau système d’éducation en fonction de nos connaissances traditionnelles, les Inuit Qaujimajatuqangit, et de réécrire le programme d’études de la maternelle à la 12e année afin qu’il puisse être offert dans les deux langues, c’est-à-dire en inuktitut et en anglais.

J’ai pris ma retraite en 2010. Tout au long de ma carrière d’éducatrice, j’ai travaillé dans les domaines du développement de la petite enfance, des initiatives de programmes culturels, de la mobilisation des jeunes, de la prévention du suicide et de la santé communautaire. J’ai passé 25 ans à travailler en étroite collaboration avec des aînés pour faire des recherches sur les Inuit Qaujimajatuqangit et, en 2012, nous avons reçu un Prix Inspiration Arctique pour avoir documenté les points de vue des Inuits sur le monde, tel que consigné dans le livre que les aînés ont écrit et que j’ai mis à la disposition du comité.

J’ai aussi écrit et présenté des exposés à ce sujet pour les Centres d’excellence pour le bien-être des enfants, l’Institut canadien de la santé infantile, le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, le projet d’indice de l’UNICEF pour les enfants et le projet Indigenous Global Child.

Je travaille au Centre de mieux-être Arviat sous les auspices du hameau d’Arviat depuis 2002. En 2017, nous sommes devenus une société enregistrée au Nunavut. Le mandat de la Société Aqqiumavvik est de promouvoir le bien-être et l’autonomie au moyen d’approches déterminées par la collectivité pour trouver des solutions à nos propres problèmes et priorités. J’ai distribué une carte indiquant le site web et les coordonnées des personnes-ressources en mesure d’offrir de plus amples renseignements sur nos programmes, qui s’articulent autour de trois grandes priorités.

Tous nos programmes sont fondés sur les connaissances culturelles et les façons d’être. À cette fin, nous faisons continuellement des recherches et documentons les systèmes culturels et les points de vue sur des enjeux clés, et nous offrons des programmes pour revitaliser et appliquer ces approches. L’articulation et la revitalisation culturelles sont essentielles à la guérison et à la décolonisation. Arviat a été l’une des dernières collectivités à être formées en 1960 dans le cadre d’une politique de réinstallation forcée. C’est ce qui a permis que les connaissances et les pratiques culturelles demeurent relativement solides et soient considérées comme un facteur de protection bien ancré pour le bien-être de la collectivité. Nous savons toutefois qu’avec chaque génération, ces facteurs de protection s’affaiblissent à mesure que les systèmes coloniaux s’enracinent dans la vie quotidienne. Dans le cadre de notre travail avec les aînés, on nous a dit que les objectifs des croyances et des pratiques culturelles qui ont servi les Inuits pendant des milliers d’années ne changent pas avec le temps. Si nous pouvons les récupérer, ils peuvent devenir des forces pour les Inuits d’aujourd’hui, comme ils l’étaient par le passé.

Aqqiumavvik offre des programmes dans cinq domaines clés du système, soit inunnguiniq — rendre l’être humain capable; aajiqatigiingniq — concevoir un nouveau système de justice axé sur la guérison, le consensus et la réconciliation; avatimik kammattsiarniq — promouvoir l’exploitation durable et respectueuse et inculquer ce principe aux membres de la collectivité; qanuqtururangniq — former les jeunes à devenir de fervents observateurs de l’environnement afin qu’ils puissent trouver des solutions pour s’adapter et gérer durablement le changement climatique et les ressources communautaires; et inuuqatigiitsiarniq — promouvoir une relation respectueuse par des pratiques de guérison et de bienveillance.

En plus de ces projets de plus grande envergure, nous gérons la bibliothèque communautaire où nous travaillons sur les questions d’identité et de liens en suivant les généalogies familiales et nous créons des archives de photographies et de documents qui peuvent aider les familles à avoir accès à des ressources qui racontent leurs propres histoires. Nous estimons qu’il s’agit également d’un programme de guérison, puisque la déconnexion est le résultat de programmes coloniaux qui coupent les gens de leurs réseaux de relations à l’origine conçus pour permettre le maintien de liens étroits et un soutien mutuel.

La deuxième chose que les aînés nous ont dite c’est que, pour redonner à notre communauté la force de la culture inuite, la meilleure stratégie d’intervention est l’approche parentale. Dans le cadre de l’initiative Aajiiqatigiingniq Inunnguinirmuit, nous avons conçu une série de programmes qui offrent des visites à domicile, de l’information sur le développement de l’enfant, du soutien et de la formation parentale, ainsi que des campagnes de sensibilisation du public pour améliorer la santé des enfants et des familles. Nous travaillons en partenariat avec l’école secondaire, la société de la petite enfance, le milieu de la recherche, les entreprises locales et les groupes territoriaux, nationaux et internationaux qui œuvrent dans ce domaine. L’une des priorités de notre communauté depuis 1981 est d’établir une maison des naissances. Nous poursuivons activement cet objectif dans l’espoir de pouvoir ramener les naissances là où elles doivent avoir lieu.

Le troisième domaine que nous considérons essentiel est notre programme de mobilisation des jeunes. Notre population est très jeune — 60 p. 100 ont moins de 18 ans —, et c’est donc un domaine d’intérêt crucial pour nous. La mobilisation et la formation des jeunes sont des priorités. Nous offrons depuis 2012 un programme très réussi pour les jeunes chasseurs, comme le souligne le film récent de la Fondation Movember intitulé Boys of Nunavut, qui est disponible sur notre site web et sur YouTube. Ce programme offre aux jeunes âgés de 8 à 25 ans une formation sur la récolte durable, la surveillance du climat, la connaissance du terrain et la survie.

Nous croyons que les jeunes sont très bien placés pour transmettre des messages à notre collectivité. Nous les formons également à la lecture et aux multimédias. Sur notre site YouTube, Arviat Wellness, vous trouverez plus de 50 courtes vidéos entièrement créées par des jeunes. Elles remplissent également nos trois pages Facebook : Arviat Goes Green, Arviat Harvesters et Aqqiumavvik Society.

Nous nous efforçons d’offrir des emplois d’été comme possibilités de formation aux jeunes. Nous proposons des programmes parascolaires pour mobiliser les jeunes et créer des occasions d’apprentissage, dont nos clubs d’action environnementale, notre programme de culture culinaire et nos clubs de codage. Nous offrons de la formation sur les compétences et les connaissances culturelles dans le cadre du programme d’études secondaires et nous avons des programmes de mentorat et de guérison qui ciblent les adolescents décrocheurs et les jeunes adultes démotivés.

Aqqiumavvik est un partenaire de choix dans le milieu de la recherche. Nous agissons en partenariat avec tout un éventail de groupes, dont SmartICE, Arctic Eider Society, le Qaujigiartiit Health Research Centre et de nombreuses universités. Nous offrons également du mentorat et du soutien à des chercheurs individuels désireux de faire de la recherche dans des domaines où nous pouvons offrir de l’expertise. Pour les chercheurs qui s’associent à nous ou qui viennent dans notre communauté, nous insistons pour qu’ils participent à un atelier d’orientation sur nos connaissances traditionnelles et qu’ils contribuent à la formation de nos assistants de recherche locaux.

Aqqiumavvik est entièrement financé par des subventions de tiers. Je vous ai donné une liste de certains de nos partenaires. Pour les organismes communautaires comme le nôtre, il n’y a pas de financement de base, alors il nous faut frapper à toutes les portes pour réunir de quoi offrir ce genre de programmes.

Merci.

Karla Jessen Williamson, professeure adjointe, Ed Foundations, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : D’abord, j’aimerais saluer le Nunavut aujourd’hui. C’est la journée du Nunavut, qui a vu le jour il y a 20 ans aujourd’hui. Félicitations!

Je suis très heureuse d’être ici, un peu nerveuse, comme d’habitude, mais je suis ici parce que j’ai lu et relu votre document et le cadre de discussion, et j’ai vu que vous examiniez les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et leurs effets sur les premiers habitants.

J’ai grandi dans l’Arctique, dans des conditions très semblables à celles de nombreux peuples de l’Arctique, surtout chez les Inuits. Je suis née dans une toute petite localité juste au nord de Nuuk, au nord de Maniitsoq. C’est là que j’ai été élevée. Le village a été fermé dans les années 1960, d’où la réinstallation. Venant du Groenland, comme cela s’entend à mon anglais, j’ai grandi en apprenant à parler danois. Dès mon tout premier jour à l’école, j’ai été plongée à fond dans l’assimilation à la vie danoise, donc le danois est ma deuxième langue. Ma troisième langue est l’anglais parce que j’ai déménagé au Canada en 1978 et que je suis allée à l’Université de la Saskatchewan.

À propos de changements rapides, en effet, nous, de l’autre côté du détroit de Davis, avons subi des pressions incroyables pour devenir quelque chose que nous ne sommes pas. Qu’il s’agisse d’un Groenlandais dont on veut faire un Danois, d’un Inuit dont on veut faire un Canadien, ou un Américain en Alaska, les pressions sont énormes pour nous transformer en quelque chose que nous ne sommes pas. Pour un enfant innocent dans le système scolaire, les changements sont assez intenses. Il en va même de l’accès aux services, parce que je constate que la plupart des Inuits unilingues ont peu accès aux structures mises en place aujourd’hui. Je m’écarte complètement de mon texte pour vous le faire savoir.

Si j’ai été invitée, en fait, c’est pour parler du savoir autochtone et de l’usage que j’en ai fait. Comme on vous l’a laissé entendre, il y avait très peu de matière dans les programmes scolaires qui portait sur nos ancêtres. Dans mon souvenir, on nous disait que les terres où nous marchions n’étaient pas les nôtres, que nous étions des squatteurs, et tout ce que nous apprenions sur la nature, dans mon cas, la nature danoise, c’était par exemple les fleurs danoises sur le bord du chemin, mais rien sur notre propre écologie. Nous n’avons jamais rien appris sur les phoques, les baleines ou les oiseaux de l’Arctique. C’était ainsi.

De ma propre initiative, j’ai décidé que je voulais faire des études sur tout ce que je pourrais trouver en fait de connaissances inuites. Ma thèse de maîtrise portait sur la relation des Inuits avec la terre et je l’ai faite dans les années 1980 et 1990. Comme vous pouvez l’imaginer, il n’y avait absolument rien dans le programme scolaire à ce sujet. Plus tard, j’ai fait mon doctorat à l’Université d’Aberdeen, en Écosse, où je voulais étudier l’égalité hommes-femmes chez les Inuits, parce que nos grands-mères nous disaient que les Inuits pratiquaient l’égalité entre les sexes. Là encore, je n’ai rien trouvé en fait de sources d’information pour savoir comment les Inuits se voyaient en tant qu’êtres humains et comment se négociaient les rapports entre les sexes. À bien des égards, ma recherche consistait à trouver, comme porteuse du savoir et comme personne profondément marquée par l’assimilation, comment accéder aux connaissances de nos ancêtres, comment ils organisaient leurs propres structures sociales et comment ils en sont venus à pratiquer l’égalité entre eux.

J’ai été très chanceuse que les connaissances que j’apportais à ces universités soient accueillies dans le respect. C’est ce que j’aimerais voir à l’avenir, que le savoir autochtone soit respecté pour ce qu’il est, non pas réinterprété à la lumière des connaissances amassées depuis des années dans les réseaux universitaires du monde entier. C’était difficile dans la mesure où il n’y avait pas de soutien à espérer, sinon dans la persévérance et dans l’attachement absolu aux connaissances qui nous étaient prodiguées en dehors de l’école.

Aujourd’hui, je recommande que le savoir inuit soit reconnu comme un savoir unique, dont les gens savent se servir pour pouvoir vivre dans l’Arctique, et qu’il soit transmis par les systèmes en place aujourd’hui, tandis que nous procédons à la décolonisation au Canada et au transfert des responsabilités, en ce qui concerne les gouvernements, selon le vœu des anciens d’être indépendants et de montrer de quoi ils sont capables.

Je suis inquiète. J’aimerais beaucoup que le Comité examine comment on fait la promotion du savoir autochtone dans les différents systèmes en place au Canada, par exemple, par l’entremise des organismes des trois Conseils, comment s’exerce la concurrence pour le financement du savoir inuit dans différentes filières, et comment les fonds pourraient être versés directement aux organisations inuites établies dans le Grand Nord. Le système des trois Conseils est essentiellement l’affaire de scientifiques qui n’ont jamais vraiment vécu dans l’Arctique et qui n’ont pas l’intention d’y vivre, mais qui y vont deux ou trois semaines par année et qui cherchent à démontrer les théories inventées dans les universités et appliquées à la recherche sur le terrain.

Je trouvais cela bien excitant quand j’étais jeune, ce genre de recherche et de cueillette de savoir, mais maintenant que j’ai 65 ans, je me rends compte que c’était en grande partie du travail de devinette. Parce que c’est cela, les théories : on conjecture, on suppose que les gens font comme ceci ou comme cela et on essaie de comprendre, chacun pour soi, quel sens y donner.

J’ai des petits-enfants qui grandissent à Iqaluit et qui y vivent comme des Inuits. J’aimerais qu’ils mènent une vie où on reconnaît leurs connaissances particulières sur les coutumes inuites et qu’ils s’en portent bien. Il y en a beaucoup trop pour qui ce n’est pas le cas, qui ne comprennent jamais vraiment leur identité par rapport à la terre et qui n’ont jamais vraiment eu la chance d’être initiés à toutes les traditions. C’est ce que je constate, parce que les traditions orales sont celles qui sont bien ancrées dans la terre, bien ancrées dans les façons d’être, contrairement aux textes écrits qui relèvent davantage de la conjecture à propos du savoir inuit.

Le Canada s’est démarqué dans la collecte de connaissances écologiques traditionnelles et il excelle aux yeux des trois Conseils par l’exemple qu’il donne aux autres pays qui ont des populations autochtones, comme les Maoris de Nouvelle-Zélande, et aussi parce qu’on tente maintenant de se réunir avec les pays scandinaves pour promouvoir les méthodes de la recherche canadienne auprès des populations autochtones. Nous avons beaucoup à offrir, mais pour moi, ce que j’aimerais vraiment, c’est que notre système de connaissances soit apprécié et salué pour ce qu’il est, pour son unicité, parce qu’il n’y a pas d’autres Inuits dans le monde qu’ici au Canada, en Alaska, un peu en Russie et au Groenland, et pourtant les systèmes en place aujourd’hui ne le reconnaissent pas. Pour moi, c’est un grave problème et c’est pourquoi je suis venue.

Merci.

Le président : Merci beaucoup à tous les témoins.

La sénatrice Bovey : Je tiens à vous remercier tous les trois. Vos exposés étaient très riches et interreliés, aussi je vais commencer par vous remercier.

Monsieur Aporta, je tiens à vous remercier de l’exposé que vous avez présenté également au caucus ouvert il y a quelque temps, où vous nous avez montré les cartes des routes que les Inuits empruntaient l’hiver et l’été, peu importe que la mer soit libre de glaces ou gelée. Ces images me sont restées en tête depuis ce jour-là, et je vous en remercie.

J’aimerais vous entendre tous au sujet de la terre et de la culture. Monsieur Aporta, vous avez dit que la terre guérissait. Je vous reviendrai avec une question clé après que nous aurons eu une petite discussion à ce sujet. Madame Tagalik, merci pour votre livre. Je vais m’en procurer un exemplaire. Il semble très intéressant. Je me rends compte que le principe premier dans vos programmes est que tout est ancré dans le savoir culturel. Madame Williamson, vous aussi avez parlé de la terre, du savoir autochtone et du respect de ce savoir. Je ferai le lien entre les trois et les réponses des élèves autochtones à qui j’ai enseigné pendant de nombreuses années, quand je leur demandais de définir le mot « culture ». Pour eux, la culture signifiait la terre, et je pense qu’à bien des égards, cela s’accorde avec ce que vous avez tous dit.

Nous avons parlé d’approches holistiques. Monsieur Aporta, vous avez parlé de créativité et d’audace, et de commencer à penser autrement. Nous approchons de la fin des témoignages. Nous devons rédiger un rapport bientôt et le présenter d’ici la fin de la session. Je demanderais à chacun de vous, tandis que nous faisons le lien entre culture, terre, histoire, tradition et approches holistiques : que devrions-nous recommander au gouvernement pour englober tout le travail que vous avez fait et passer à l’étape suivante? Comment pouvons-nous amener le gouvernement à être créatif et audacieux et à penser autrement, à représenter et à comprendre la culture et à respecter le savoir autochtone? J’aimerais que chacun et chacune de vous nous disent comment mettre cela dans un rapport. Parce que j’ai trouvé vos propos très convaincants.

Mme Williamson : Merci. J’enseigne à l’Université de la Saskatchewan, à la faculté d’éducation, et nous traitons du savoir. Qu’est-ce que le savoir et quel savoir importe? Je pense que c’est une question très pertinente que nous devons nous poser ici au Canada. De toute évidence, le Canada a été profondément mêlé aux structures coloniales et il continue de l’être. C’est incroyable de voir combien d’étudiants à qui j’enseigne n’ont jamais vraiment pensé à la terre en Saskatchewan, à Saskatoon.

La sénatrice Bovey : J’ai enseigné au Manitoba, à l’Université de Winnipeg. Je pense que l’idée de la terre était la même.

Mme Williamson : Oui. Personne n’a songé que l’éducation doit en tenir compte. Dans une mentalité décolonisée, c’est l’apport que les Premières Nations, les Métis et les Inuits peuvent avoir, la relation avec la terre, parce que sans la terre, nous ne sommes rien, en réalité.

De grands érudits comme Paulo Freire ont été parmi les premiers à nous avertir qu’en tant qu’êtres humains, nous devons nous définir par rapport à la nature et au milieu, et je pense que c’est quelque chose à appréhender tel quel, parce que sans la terre, sans le milieu, nous ne sommes absolument rien. Voilà mon premier commentaire.

Mme Tagalik : Toute l’information que j’ai vient des aînés. Les aînés disent toujours que c’est une question de relation. De leur point de vue, lorsqu’ils parlent de relation, il s’agit d’un lien bien plus profond que ce que nous entendons par relation. Ils parlent de la terre qui guérit. Vous pouvez aller sur la terre et sentir qu’elle guérit. Récemment, nous avons interviewé 40 jeunes hommes incarcérés et nous leur avons demandé ce qui aurait pu les empêcher d’aboutir en prison. Ils ont dit... Je dirais que 38 sur 40 ont dit que s’ils avaient eu l’occasion d’aller sur la terre ancestrale, ils ne se seraient pas retrouvés ici. Même s’ils n’y étaient pas allés eux-mêmes, ils savaient que c’était une expérience de guérison.

Les aînés parlent aussi de la nécessité de guérir la terre. On n’est jamais censé camper au même endroit plus de deux saisons de suite; il faut se déplacer et laisser la terre guérir. Il est donc très difficile pour eux de vivre dans un établissement permanent parce que c’est malsain de ne pas laisser la terre guérir.

Il y a des choses à savoir, comme quand vous marchez sur la terre, si vous voyez des ossements, vous devez toujours les remettre en place, en signe de respect pour l’animal qui est mort là. Cette idée d’être en relation exige cette profondeur de respect, et tant de lois qui nous régissent ne prennent pas en compte la relationnalité et le profond respect qu’elle exige.

Pour nous, le plus important est de nous assurer que les valeurs et les croyances qui appartiennent en propre à la collectivité sont bien celles que nous utilisons dans nos programmes. Ce n’est pas le cas lorsque les programmes viennent d’ailleurs et sont parachutés dans la collectivité.

M. Aporta : Comment mettre cela dans un rapport? Un des principaux problèmes que je vois à l’heure actuelle, c’est ce que j’appelle la « lassitude de la consultation », causée par des chercheurs comme moi, par toutes sortes de représentants officiels qui débarquent et qui, parfois, posent les mêmes questions encore et encore. Il y a aussi ce que j’appelle la « fragmentation de la gouvernance », du moins dans ce qui touche la gouvernance. Si vous avez par exemple une aire marine nationale de conservation, il va y avoir des gens de Pêches et Océans, de Parcs Canada, de Transports Canada et de la Garde côtière qui vont débarquer à différents moments et qui vont poser les mêmes questions. On parle de petites localités de 500, 600, 1 000, 1 500 habitants, qui en viennent à se lasser de la consultation. Là encore, cela va à l’encontre de ce que les collectivités nous disent tout le temps, à savoir que tous ces problèmes et tous ces enjeux sont liés.

Quant à des recommandations concrètes, il faudrait que j’y réfléchisse un peu plus. Une façon de voir les choses serait d’envisager des discussions centrées sur des problèmes précis, peut-être une sorte de cellule de réflexion. Je sais que les cellules de réflexion sont un peu démodées à l’heure actuelle, mais songez éventuellement à inviter des gens différents — des jeunes et des aînés, des Inuits et des non-Inuits — pour essayer d’examiner certains problèmes de manière plus globale et plus créative.

La deuxième recommandation est de renforcer les partenariats entre les universités, l’industrie, le gouvernement et les collectivités. C’est vraiment incroyable ce qu’on découvre quand on va dans certains endroits qui ont connu plus de développement, comme de l’exploitation minière — pensons à Baker Lake ou à Kugluktuk. On n’y voit aucune amélioration importante en matière de logement ou d’infrastructure. Tout ce qu’on voit, ce sont des camions plus neufs, de l’argent qui va dans les poches de certaines personnes. On ne voit aucune amélioration concrète, aucun édifice ou espace public neufs. Il y a pourtant des problèmes incroyables avec lesquels les gens doivent composer tout le temps, dont celui du logement. Je pense qu’il y a beaucoup de gens très futés, et je ne sais pas si nous créons les conditions pour avoir différents types de conversations, et des conversations très interdisciplinaires à ce sujet.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup à vous tous. Cela m’amène à poursuivre les questions, monsieur Aporta, de regarder vos magnifiques cartes.

Pensez-vous que c’est une question de politique? Ni l’un ni l’autre des gouvernements... ils font de beaux discours. Ils donnent un peu d’argent, mais jamais autant que dans d’autres régions du Canada. Pensez-vous que c’est parce qu’il y a si peu de population, si peu de sièges politiques en jeu? Ce n’est pas le sud de l’Ontario, du Québec ou de la Colombie-Britannique. Est-ce la raison pour laquelle on y accorde si peu d’attention?

M. Aporta : Je pense que cela fait partie du problème. Il y a un problème de démographie dans l’Arctique. Même pour améliorer l’infrastructure de base, il faut investir beaucoup d’argent. Évidemment, il y a des localités géographiquement isolées. On parle peut-être de gros investissements pour un petit nombre de personnes, pour des collectivités très petites. Mais c’est manquer de vision, parce que l’Arctique gagne en importance; il a un énorme intérêt géopolitique qui ne fera qu’augmenter. La réponse est donc oui, il y a peu de gens, mais c’est une erreur de les négliger.

La sénatrice Eaton : Cette question pourrait s’adresser à vous trois. Comment pouvons-nous mieux favoriser l’autonomie des Inuits? C’est une question qui revient souvent au comité sénatorial des finances. Lorsque la Société canadienne d’hypothèques et de logement et le ministère des Affaires autochtones et du Nord comparaissent devant nous, ils disent : « Nous consacrons des centaines de millions de dollars au logement autochtone ou inuit. » Nous savons à propos de la moisissure. Nous savons à propos de l’encombrement des logements dans le Nord. Mais maintenant, avec le pergélisol, comment pouvons-nous donner aux gens du Nord les moyens de commencer à créer leurs propres codes du logement?

Pour vous qui œuvrez dans l’éducation, madame Tagalik : je crois qu’au Nunavut, on enseigne à nouveau les langues inuites dans les écoles. Comment pouvons-nous donner aux gens les moyens de se réapproprier leur culture et de dire : « Voici, dans ce programme d’études secondaires, nous allons consacrer un certain nombre d’heures par semaine à la vie à même les ressources du territoire, à la chasse sur le territoire; tant d’heures par semaine à la médecine traditionnelle, ou à la lecture ou à l’écriture de nos langues. » Comment pouvons-nous faire cela? C’est bien beau de nous réunir dans une salle de comité du Sénat et de dire : « Vous avez besoin d’argent pour ceci, d’argent pour cela. » Mais même si nous vous donnons l’argent, il faut quand même que ce soient des gens du Nord qui prennent les rênes et qui disent : « Voici ce que nous voulons. C’est comme cela que nous allons procéder. »

Mme Tagalik : Je pense qu’il existe de nombreux obstacles systémiques. Les gens du Nord sont disposés à prendre les rênes. Cela fait des années que nous parlons de ce que nous pourrions faire pour améliorer la situation du logement. Par exemple, beaucoup de membres de notre communauté — la deuxième en importance au Nunavut — souhaiteraient construire leur propre maison. Il est cependant très difficile pour nous de construire nos propres maisons parce que nous ne sommes pas propriétaires de la terre sur laquelle nous les construisons.

La sénatrice Eaton : Pourquoi?

Mme Tagalik : Parce que la terre appartient à la Couronne et que nous la louons. Comme nous louons le terrain, il est impossible d’obtenir un prêt bancaire avant que la maison soit construite. Ensuite, il est possible de présenter une demande de prêt hypothécaire.

La sénatrice Eaton : C’est un point que nous devrions aborder dans notre rapport.

Mme Tagalik : Certainement. Les jeunes de notre communauté qui s’inscrivent à la liste d’attente pour obtenir un logement peuvent s’estimer heureux s’ils en obtiennent un au bout de sept ans.

La sénatrice Eaton : Vos normes ou vos codes de construction sont-ils adaptés aux conditions climatiques prévalant là-haut?

Mme Tagalik : Si vous êtes capables de construire votre propre maison, vous pouvez la construire... J’en ai construit une l’an dernier. Vous pouvez la construire à votre manière. Vous pouvez augmenter le facteur d’isolation, par exemple. Dans notre communauté, la dégradation du pergélisol est l’un des problèmes que nous demandons aux jeunes de surveiller. Nous avons l’information pertinente et nous la transmettons aux membres de notre communauté. Cependant, comme il est très difficile d’obtenir des fonds pour construire, les gens vivent dans des logements subventionnés parce qu’ils sont incapables de surmonter ces obstacles et de construire leurs propres maisons.

De la même manière, nous avons dû nous battre pour avoir un centre des naissances parce qu’il y avait des obstacles sur notre chemin. Par exemple, j’ai demandé au sous-ministre s’il était possible d’avoir un nombre suffisant de sages-femmes dans notre communauté pour ouvrir un centre des naissances. Nous avions deux postes désignés, mais il nous en fallait au moins quatre. Quand je lui ai demandé s’il était possible de consacrer deux fois 124 000 $ pour avoir 4 sages-femmes chez nous, il m’a répondu qu’il n’y avait pas d’années-personnes. Mais le gouvernement dépensera 2,5 millions de dollars pour envoyer nos femmes enceintes accoucher à Winnipeg. Quand je lui ai demandé comment il pouvait accepter cela, il m’a répondu qu’il s’agissait de deux postes budgétaires distincts.

La sénatrice Eaton : Le système politique du Nunavut vous empêche-t-il de faire ces changements?

Mme Tagalik : Bien, c’était le sous-ministre. Il a dit que le gouvernement fédéral payait le transport et que nous, nous payions les années-personnes. Il ne pouvait rien y faire.

La sénatrice Bovey : Voilà une autre recommandation à faire.

La sénatrice Eaton : Et qu’en est-il de l’éducation?

Mme Tagalik : J’ai travaillé en collaboration avec la division des programmes scolaires. Nous avons élaboré un solide système inuit d’éducation, adapté au Nunavut. Nous avons commencé à le déployer dans les écoles. Puis, il y a eu un changement au bureau du sous-ministre et le ministère a pris la décision — unilatéralement, sans consulter les collectivités — d’utiliser le système d’éducation de l’Alberta, qui était...

La sénatrice Eaton : Désolée, qui a pris cette décision?

Mme Tagalik : Elle a été prise unilatéralement par le sous-ministre et le ministre, sans consultation.

La sénatrice Eaton : Est-ce qu’ils sont Inuits?

Mme Tagalik : Oui, ils le sont.

La sénatrice Eaton : Je voulais simplement que ce soit clair.

Avez-vous quelque chose à ajouter, madame Williamson?

Mme Williamson : Je reviens à la question du territoire et à ce que les Premières Nations inuites ont fait, par exemple, en participant aux négociations de nation à nation et en renonçant à une grande partie du territoire qui forme aujourd’hui le Canada, l’un des pays les plus riches du monde. Ce pays a été si peu généreux à l’endroit des Premières Nations, particulièrement des Inuits à cet égard...

La sénatrice Eaton : Non, ce sont les Inuits qui nous intéressent ici.

Mme Williamson : C’est exact. Cela n’a aucun sens d’agir d’une manière si peu chrétienne et si peu démocratique.

La sénatrice Eaton : Bravo!

Mme Williamson : Oui, je pourrais continuer. C’est le pays le plus chiche qui soit.

La sénatrice Eaton : Je pense que tout le monde autour de cette table est d’accord avec vous.

Mme Williamson : Quand les États-Unis ont fait l’acquisition de l’Alaska, ils ont versé un certain montant. À l’époque, c’était beaucoup d’argent. Vous pouvez comparer cela au montant qui doit être versé uniquement pour le logement. Dans une centaine d’années, ce montant semblera dérisoire.

Compte tenu de toutes les conditions que vous avez énumérées dans votre document de travail, on peut se demander si les Inuits se seraient engagés dans cette négociation pour faire partie du Canada, s’ils avaient su qu’ils allaient vivre dans les logements surpeuplés. « Oui, joignez-vous au Canada. Nous allons vous donner une maison de 2 chambres à coucher où vous entasserez 25 personnes, nous vous donnerons un diplôme d’études secondaires et quoi encore. »

La sénatrice Eaton : C’est déplorable.

Mme Williamson : C’est le genre de discussion ou de propos que nous devons tenir pour faire passer le message. C’est un manque flagrant de générosité. C’est décourageant.

La sénatrice Eaton : Puis-je poser une dernière question?

Le président : Oui, mais nous allons d’abord remercier Mme Tagalik qui doit partir sous peu. Merci beaucoup d’être venue nous rencontrer aujourd’hui. La sénatrice Coyle souhaite vous poser une brève question avant que vous partiez.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie beaucoup d’être venue. J’ai des questions pour les autres témoins, mais avant que vous partiez, j’aimerais vous demander ceci : vous avez établi ce programme scolaire, mais, comme vous l’avez dit, il n’est pas utilisé dans les écoles. Cela semble être un sérieux problème. Vous avez aussi mis sur pied des programmes pour les jeunes et d’autres programmes communautaires visant à favoriser le bien-être de la collectivité locale, ce qui semble vraiment louable. Je suis curieuse de savoir si vous avez constaté une corrélation entre les taux de rétention des élèves dans le système scolaire officiel et le travail que vous accomplissez dans la communauté. À Arviat, y a-t-il une corrélation entre vos efforts fructueux visant à améliorer la santé de la communauté et les taux de rétention des élèves dans le système scolaire officiel?

Mme Tagalik : Lorsque je travaillais dans le réseau scolaire à titre de directrice, si le taux de fréquentation baissait en dessous de 86 p. 100, je commençais à paniquer. Aujourd’hui, nos taux de fréquentation se situent davantage autour de 56 et 60 p. 100.

La sénatrice Coyle : Quels sont les taux de diplomation?

Mme Tagalik : Auparavant, ils étaient de 25 p. 100, mais je pense qu’ils sont passés à 35 p. 100, presqu’à 40. Les taux sont en hausse, mais ces chiffres ne prennent pas toujours en compte le nombre d’élèves qui ont quitté le système.

Dans ma communauté, nous nous sommes fixé une priorité. Pour avoir le droit de participer à nos programmes parascolaires, nous exigeons que les jeunes fréquentent l’école. Notre programme pour jeunes chasseurs est très populaire.

La sénatrice Coyle : C’est une incitation à aller à l’école.

Mme Tagalik : L’un des résultats de ce programme, c’est que les parents nous disent : « Mon enfant veut aller à l’école maintenant pour pouvoir participer au programme des jeunes chasseurs. » Nous essayons d’en faire une priorité.

Dans le cadre de notre programme d’aide à la famille, nous organisons des visites à domicile dans les familles dont les enfants ne vont pas à l’école. Nous essayons d’intervenir auprès des familles pour les aider à ramener leurs enfants à l’école. Nous avons lancé un petit projet dans notre communauté pour savoir pourquoi les parents n’envoyaient pas leurs enfants à l’école et les raisons les plus fréquentes étaient que les enfants étaient victimes d’intimidation à l’école ou que les parents n’arrivaient pas à s’organiser pour les sortir de la maison et les envoyer à l’école. Nous avons essayé de convaincre l’école d’appliquer le principe philosophique inuit appelé inunnguiniq, qui peut se traduire par « fabriquer un être humain apte », dans le but d’aider les enfants à créer des liens et de prévenir les actes d’intimidation. Les écoles nous ont dit qu’elles n’avaient pas besoin de nous; nous avons donc travaillé auprès des familles qui ont été très réceptives à nos programmes. Il y a beaucoup de possibilités là-bas, mais je parle d’une seule communauté.

La sénatrice Coyle : Bien sûr. Je vous remercie beaucoup.

Le président : Merci d’être venue.

Mme Tagalik : Je vous remercie.

La sénatrice Eaton : Monsieur, je regardais vos magnifiques cartes des sentiers. On a dit que routes traditionnelles constituent des lieux importants et que les Inuits ont l’habitude de les emprunter avec fiabilité pour atteindre leurs destinations et rencontrer d’autres voyageurs. Elles leur permettent également de s’approvisionner en nourriture, en vêtements et en carburant, tout en favorisant la socialisation.

Il y a longtemps, nous avons forcé ces gens à vivre dans des établissements, mettant ainsi fin à leur mode de vie nomade. Ces sentiers sont-ils encore utilisés? Les gens les empruntent-ils encore pour retourner sur le territoire? Si ces sentiers demeuraient praticables, pourrions-nous espérer avoir, un jour, des établissements sains?

M. Aporta : On a constaté des variantes entre les sentiers, ce qui est probablement attribuable à l’emplacement des établissements permanents ou aux différentes technologies utilisées, mais la plupart d’entre eux sont encore utilisés. Comme j’ai l’habitude de le dire, chaque sentier que vous voyez sur ces cartes commence à la porte d’une maison. Le territoire est étroitement relié aux maisons des gens.

Pouvons-nous avoir des établissements sains? Oui, mais il faudrait réfléchir à la question, parce que les établissements ont été conçus pour maintenir les gens à l’intérieur. Quand nous discutons avec des chasseurs, en fait, avec tous les habitants des collectivités inuites, ils nous disent qu’ils se sentent tellement bien quand ils sortent dans la nature. Ils se plaignent des établissements. En tant qu’observateur, vous avez envie de leur dire que leur établissement se trouve en plein cœur du territoire. Cela vous étonne de voir qu’ils n’ont pas l’impression de vivre dans le territoire. Des erreurs ont été commises dans l’aménagement des établissements et la conception des maisons. En fait, il n’y a pas vraiment de liens entre ces endroits et l’environnement.

Il existe un bel exemple de bâtiment public à Clyde River, c’est l’école culturelle appelée le Piqqusilirivvik Inuit Cultural Learning Centre. Ce bâtiment a été conçu par un cabinet d’architectes de Montréal, en consultation avec les membres de la collectivité. Il comporte plusieurs caractéristiques toutes simples, notamment des portes de garage ouvrant sur la plage, afin que les gens puissent y ranger leurs motoneiges et leurs bateaux. Il y a un espace de travail où les gens peuvent dépouiller leur gibier et travailler sur le sol. Il y a des espaces ouverts. Ce bâtiment est vraiment une exception. La plupart des bâtiments publics de l’Arctique canadien sont à peu près toujours de forme cubique, comme ceux du Sud. Il faudrait réfléchir et investir pour changer cette perception que les établissements sont séparés du territoire, parce que les sentiers sont là et les gens les empruntent tout le temps.

La sénatrice Eaton : Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. J’ai vraiment aimé vos exposés. J’ai une question à poser aux deux derniers témoins.

Madame Williamson, vous nous avez dit que vous étiez originaire du Groenland. Il y a un sujet dont nous n’avons pas beaucoup parlé ici, mais qui est sous-jacent à presque tout ce que nous avons dit aujourd’hui, c’est le concept de la réconciliation. Y a-t-il eu une quelconque expérience de réconciliation au Groenland? Si oui, pourrions-nous nous inspirer de cette expérience de réconciliation entre le gouvernement et la population inuite?

Mme Williamson : Merci. En fait, Marianne Stenbaek, de l’Université McGill, a produit un excellent rapport sur l’expérience canadienne de la réconciliation. Elle travaille encore sur ce sujet. Elle continue de présenter des commentaires à la radio groenlandaise, la radio nationale, le réseau de radiodiffusion du pays.

En fait, c’est grâce à ce rapport que le Groenland a mis sur pied une commission de réconciliation. J’ai été membre honoraire de groupe. Voici ce qui s’est passé là-bas. En tant que gouvernement autonome, le Groenland a décidé de s’engager dans un processus de réconciliation. Les Danois ont réagi en disant : « Désolés, nous n’avons rien fait de mal. Si vous voulez vous engager dans un processus de réconciliation, vous allez devoir le faire tous seuls. » Les Danois se sont exclus de cette histoire de colonisation. Ils ont dit qu’ils n’avaient rien à voir avec cela, qu’ils n’avaient rien fait de mal. Voilà le message qu’ils nous ont envoyé.

Le Groenland a donc décidé d’aborder la réconciliation par rapport à ce que nous avons fait, ou faisons, en tant que population autochtone groenlandaise, pour soutenir la colonisation. Voilà, en gros, ce qui s’est passé. Qu’avons-nous fait de notre côté pour faciliter la colonisation? C’était très intéressant d’examiner les choses sous cet angle. Nous avons terminé le rapport il y a un an et demi et l’avons transmis au gouvernement du Groenland. Malheureusement, il n’y a pas eu de suite. Nous avons présenté un certain nombre de recommandations, mais d’après ce que je constate, aucune excuse officielle n’a encore été présentée.

Nous avons recommandé que le Groenland présente des excuses aux personnes qui ont été déplacées de force de leurs petits camps éloignés, comme le mien, parce que le gouvernement groenlandais, en sa capacité de comité consultatif auprès du gouvernement danois, a consenti à la fermeture de ces petites villes, de ces petits camps éloignés. À ma connaissance, il n’y a pas eu d’excuses.

Nous avons aussi recommandé que des excuses soient présentées aux enfants groenlandais qui ont été envoyés au Danemark dans un groupe plus ou moins expérimental, puis renvoyés au Groenland, sans être autorisés à voir les membres de leur famille ni à leur parler, rien du tout. Ils vivaient dans des institutions. Là encore, rien n’a été fait.

Cela dit, je siège également au sein de la commission chargée de définir le rôle constitutionnel du Groenland. Le fait que le Groenland envisage de rompre les liens coloniaux avec le Danemark dans le futur constitue un pas au-delà de la gouvernance provinciale.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

Je sais que ce n’est pas une question facile pour vous, monsieur Aporta, mais les sujets que vous abordez dans votre rapport ne sont pas anodins non plus. Je constate que vous insistez beaucoup ici sur le fait que les Inuits doivent être aux commandes, exact? Vous parlez de renforcer le rôle de la communauté et son autonomie. Vous dites aussi qu’il faut donner plus d’autonomie aux organisations inuites. Je pense que vous avez renforcé la capacité de ces organisations afin qu’elles puissent faire leur travail plus efficacement et élargir leur rôle. Pouvez-vous nous expliquer comment les choses se passeront? Il est parfois plus facile de dire ce qui sera fait que d’expliquer comment.

M. Aporta : Votre question fait écho à la question précédente sur ce qu’il faut faire pour autonomiser les communautés. Je suis professeur à Dalhousie où je donne un cours sur la cogestion communautaire. Le premier jour, je dis toujours à mes étudiants que s’ils veulent vraiment mobiliser des communautés, ils doivent engager leur participation dès le départ. Il ne faut pas arriver avec une solution toute faite, ni même tenter de définir le problème, parce qu’un chercheur, un fonctionnaire et une communauté ne perçoivent pas toujours le problème de la même façon. Pour faire participer la communauté, il faut demander à ses membres de définir leurs problèmes et de se demander comment ceux-ci sont interreliés. Ce serait une manière de procéder.

Une deuxième manière, qui est aussi liée à mon idée d’approche pangouvernementale, consisterait à faire un lien entre les projets, les investissements et les politiques qui seront mis en œuvre dans ces petites collectivités de l’Arctique, et à les intégrer à une approche gouvernementale globale.

La sénatrice Coyle : Mieux les intégrer?

M. Aporta : Exactement, mieux les intégrer.

Le dernier point a peut-être quelque chose à voir avec la question de l’emplacement, dont nous avons parlé précédemment. Il s’agit non seulement d’améliorer les programmes scolaires, mais aussi de proposer des programmes de formation professionnelle de courte durée, notamment en partenariat avec des universités, parce que pour rendre les gens aptes à négocier avec les gouvernements et à régler des questions juridiques et d’autres problèmes, il faut d’abord leur apprendre à utiliser des outils et à acquérir des compétences qui pourraient leur être utiles. Sinon, ils deviennent dépendants de consultants et de gens de l’extérieur. Je pense en particulier à des partenariats avec des universités dans le cadre de programmes très ciblés et axés sur des besoins précis, qui pourraient même être conçus en collaboration avec des gens du Nord.

La sénatrice Coyle : Donner aux communautés des outils qui leur permettraient d’être moins dépendantes et de prendre leur avenir en main?

M. Aporta : Tout à fait.

J’ai aussi parlé des organisations inuites, tout simplement parce que certaines collectivités sont très petites. Vous ne pouvez donc pas mobiliser beaucoup de gens et leur donner beaucoup de moyens, n’est-ce pas? Dans une collectivité de 500 personnes, il n’y a pas de spécialistes dans tous les domaines.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

Le président : Merci à vous deux.

En terminant, j’ai une dernière question pour vous, madame Williamson. Vous avez lancé une excellente idée pour promouvoir et soutenir le savoir culturel Inuit Quajimajatuqangit, en modifiant le mode d’octroi des subventions à la recherche par les trois conseils subventionnaires. Dans ses deux derniers budgets, le gouvernement a prévu l’affectation de fonds expressément pour les Autochtones ou les Inuits. Monsieur Aporta, je vais vous poser ma question en premier. Vous connaissez bien ces conseils subventionnaires. Avez-vous eu de la difficulté à obtenir des fonds pour votre projet de collecte de connaissances traditionnelles, et devrions-nous restructurer notre mode de subvention de la recherche au Canada? Êtes-vous d’accord avec Mme Williamson à ce sujet?

M. Aporta : Oui, j’ai évidemment obtenu un financement des organismes subventionnaires, mais je pense que nous compliquons parfois les choses. Les formulaires de demandes de subvention sont souvent trop complexes et comportent trop de questions théoriques et ainsi de suite. Les communautés ont des besoins plus simples, je pense. Elles ont des problèmes concrets à résoudre. Par exemple, il m’a été relativement facile d’obtenir des fonds pour mon projet de cartographie, mais pas nécessairement auprès des organismes subventionnaires, parce que si vous dites que vous voulez documenter le savoir traditionnel, vous devez alors fournir un tas de justifications et tout cela complique énormément le processus. Certains projets engagent également la participation de nombreux partenaires universitaires et sectoriels. Les partenariats exigent beaucoup de travail d’administration. Vous passez le plus clair de votre temps à faire des demandes de subventions, à rédiger des rapports ou à communiquer au lieu de vous consacrer à de petits projets de démarrage précis qui permettraient aux gens de trouver des solutions ciblées et novatrices. Je pense qu’il est temps de revoir le régime de subventions au Canada.

Le président : Merci. Je crois que la sénatrice Bovey a une brève question supplémentaire.

La sénatrice Bovey : Si vous me le permettez, je reviendrai rapidement sur les organismes subventionnaires. Je comprends ce que vous dites et je suis bien d’accord. De fait, pour une bonne part de mon travail, ce n’est pas chez les organismes subventionnaires traditionnels que j’ai déniché des fonds, mais auprès d’autres sources. Cela dit, l’une de mes préoccupations lorsque nous avons voyagé dans le Nord — et je reviens à mon domaine des arts —, la difficulté très réelle pour les artistes de l’Arctique, c’est que, même s’ils veulent reprendre le jargon artistique des organismes subventionnaires, la technologie ne permet pas de transmettre l’information. Nous avons parlé à plusieurs organismes subventionnaires, et certains semblent aujourd’hui prêts à travailler avec le personnel et l’organisme subventionnaire et à faire davantage de demandes de subvention verbales et non écrites. Avez-vous eu des discussions avec des organismes subventionnaires au sujet d’autres façons pour les gens du Nord, surtout les Inuits et les autres peuples des Premières Nations, d’essayer de collaborer différemment avec les organismes subventionnaires pour leur travail?

M. Aporta : Personnellement, je n’ai jamais discuté de ces choses-là avec les organismes subventionnaires.

Mme Williamson : Je n’ai jamais eu de financement du Conseil de recherches en sciences humaines, le CRSH, jamais; je n’en ai jamais eu, même si j’en ai demandé. Mais ma réflexion bien ancrée dans le savoir autochtone n’a jamais vraiment été appréciée, sauf que 10 ans plus tard, je serai invitée à parler de l’élaboration de certaines politiques.

La sénatrice Bovey : Ou à faire partie d’un jury d’évaluation de demandes de subvention.

Mme Williamson : Exactement.

La sénatrice Bovey : Je n’ai rien à ajouter.

Mme Williamson : Je suis tout à fait ravie du nouveau programme mis au point dans le domaine de la recherche autochtone comme telle. Comme je le disais, il n’y a pas d’autres connaissances sur les Inuits de l’Arctique. Il n’y en a pas en Australie, ni en Nouvelle-Zélande ni en Europe. C’est ici seulement. Le Canada a une rare occasion de le faire et de le montrer au reste du monde. En fin de compte, nous faisons partie des Nations Unies. Ce serait une première.

Le président : À cet égard, chers collègues, je suis heureux de vous annoncer que des représentants des trois organismes subventionnaires comparaîtront devant le comité cette semaine. Nous leur réservons donc de bonnes questions.

Sur ce, je tiens à vous remercier beaucoup, tous les deux, de vos excellents exposés et de votre présence aujourd’hui.

Pour notre quatrième groupe de témoins de cet après-midi, j’ai le plaisir d’accueillir Gerald Inglangasuk, membre d’Inuvialuit du Comité mixte de gestion de la pêche; et M. Burton Ayles, membre du Canada; et Mme Valérie Courtois, directrice, Indigenous Leadership Initiative. Nous nous attendons que le Comité mixte de gestion de la pêche commence par sa déclaration préliminaire, avant Mme Courtois. Je crois comprendre, monsieur Inglangasuk et monsieur Ayles, que vous allez faire un exposé commun. Allez-y. Nous garderons nos questions pour la fin.

Gerald Inglangasuk, membre d’Inuvialuit, Comité mixte de gestion de la pêche : Monsieur le président, madame la vice-présidente et membres du comité sénatorial, et en particulier la nouvelle élue de ma ville natale, la sénatrice Anderson, je m’appelle Gerald Inglangasuk. Je suis chasseur, pêcheur et membre d’Inuvialuit du Comité mixte Canada-Inuvialuit de gestion de la pêche, le CMGP. Voici mon collègue, M. Burton Ayles, qui était le chercheur du gouvernement et aussi gestionnaire régional principal et qui est aujourd’hui membre du Canada du CMGP. Merci beaucoup de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Nous vous avons remis un mémoire écrit et nous sommes disposés à répondre à vos questions ou à vous donner plus de détails sur notre exposé à une date ultérieure, si vous le souhaitez.

Le 23 avril de l’an dernier, vous avez entendu M. Bob Simpson, de la Société régionale inuvialuit. Dans son exposé, il a donné un aperçu de la Convention définitive des Inuvialuit et de l’Entente de règlement des revendications territoriales dans l’Ouest de l’Arctique, y compris les institutions qui ont été établies par la CDI. Je ne vais pas répéter les propos de M. Simpson, si ce n’est pour signaler que mon comité, le CMGP, a été créé par la CDI, qui est ma Bible. Le CMGP a été créé par la CDI et, avec nos partenaires du Conseil Inuvialuit de gestion du gibier et le ministère des Pêches et des Océans, nous avons la responsabilité de la cogestion des pêches et des mammifères marins dans la région désignée des Inuvialuit de l’Ouest de l’Arctique.

Burton Ayles, membre du Canada, Comité mixte de gestion de la pêche : Dans notre exposé, nous allons parler brièvement de la cogestion des ressources naturelles de l’Arctique. Je pense que vous avez tous notre document. Nous allons résumer certaines choses, mais c’est ce dont nous parlons. Nous allons mentionner certaines initiatives en cours dans la RDI, la région désignée des Inuvialuit, qui portent directement sur les thèmes de votre document de travail, en particulier les thèmes des collectivités fortes de l’Arctique, des sciences de l’Arctique et des connaissances autochtones, de la protection de l’environnement, de la biodiversité de l’Arctique et de l’Arctique dans le contexte mondial. Nous allons ensuite conclure par quelques recommandations à l’intention du comité.

En premier lieu, en ce qui concerne la cogestion, dans l’Arctique canadien, les systèmes sociaux et les institutions sont définis par les ententes globales sur les revendications territoriales, ou les traités, entre les peuples de l’Arctique et le gouvernement du Canada et les provinces et les territoires. La cogestion des ressources renouvelables est l’une des institutions qui ont été établies dans chacune des régions visées par un traité; et le CMGP, comme nous l’avons dit, est pour l’Ouest de l’Arctique. Deux membres du CMGP sont nommés par le Canada et deux autres par les Inuvialuit.

Comme la plupart des organes de cogestion, nous avons des rôles opérationnels, décisionnels, de recommandation et de conseil pour les pêches. Ainsi donc, dans certaines des régions du reste du pays, c’est le ministre des Pêches qui décide; mais dans l’Ouest de l’Arctique et dans d’autres régions de l’Arctique, c’est nous qui décidons. Le ministre des Pêches et les bureaucrates des Pêches ne peuvent pas casser nos décisions. Les détails précis diffèrent selon les différentes régions pour chaque institution de cogestion dans l’Arctique, mais il s’agit du partage du pouvoir et des responsabilités entre les gouvernements et les utilisateurs des ressources locales. Quelqu’un a soulevé la question et, à l’échelle internationale, le Canada est perçu comme le leader dans ces initiatives de cogestion qui partagent le pouvoir et les responsabilités.

Pour votre cadre stratégique, il est important que les organes de cogestion soient des organismes passerelles. Nous sommes à la frontière de deux mondes — le gouvernement et les communautés autochtones — et nous facilitons la collaboration entre eux. Plus précisément, les cogestionnaires ont des responsabilités dans les deux mondes. Ils ont des membres qui sont nommés par le gouvernement et d’autres qui sont nommés par les Autochtones. Nous avons des comptes à rendre à la fois au gouvernement et aux Autochtones. Nous travaillons à la fois avec les connaissances scientifiques et les connaissances traditionnelles. Nos pratiques et procédures établies referment le clivage entre les deux mondes. Selon l’enjeu, nous réunissons des membres de la communauté, des utilisateurs des ressources, des scientifiques et des biologistes, des gestionnaires du gouvernement, l’industrie, des organismes non gouvernementaux et d’autres intervenants pour aborder des questions communes.

À notre avis, les organes de cogestion devraient être un élément clé de notre Cadre stratégique pour l’Arctique, surtout en ce qui concerne les thèmes suivants : les populations et les communautés autochtones fortes de l’Arctique, les sciences de l’Arctique et les connaissances autochtones, la protection de l’environnement et la diversité et l’Arctique en contexte mondial.

Le rôle du CMGP, et par extension d’autres organes de cogestion en tant que passerelles, peut probablement être le mieux compris avec des exemples. Voici quelques exemples précis qui pourraient intéresser le comité sénatorial sur l’Arctique.

M. Inglangasuk : Populations et citoyens forts dans l’Arctique : en 2018, l’autoroute Inuvik-Tuktoyaktuk a été achevée. Pour la première fois, l’océan Arctique canadien était accessible par la route. Le Canada est désormais véritablement un pays entre trois océans. Grâce à la nouvelle route, les pêcheurs de l’Inuvialuit et les pêcheurs sportifs d’ailleurs en Amérique du Nord ont pu avoir accès à plusieurs lacs et cours d’eau vierges.

Le CMGP et les Inuvialuit ont reconnu les conséquences possibles de la surpêche et du blocage de la route sur la migration des poissons et ont soulevé la question à maintes reprises auprès des gouvernements fédéral et territoriaux, mais sans grand succès.

Craignant que, laissés sans protection, les stocks de poissons puissent être détruits, le CMGP, en collaboration avec les comités communautaires de chasseurs et de trappeurs d’Inuvik et de Tuktoyaktuk et avec l’ONG Oceans North, a élaboré le Programme de surveillance d’Imaryuk. Ce programme se veut un plan de pêche communautaire comme étape essentielle de la gestion à long terme des ressources halieutiques, qui sont des sources essentielles de nourriture pour les communautés d’Inuvik et de Tuktoyaktuk.

Le programme de 2019 poursuivra les aspects éducatifs et mettra l’accent sur l’amélioration des activités de collecte d’information et d’échantillonnage, afin de faciliter la gestion des ressources. Il a renforcé le comité de chasseurs et de trappeurs et s’est vu confier plus de pouvoir et de responsabilités.

J’ai un hameçon pour Dennis qui illustre la surveillance d’Imaryuk. Voilà un exemple de cogestion qui s’appliquerait à l’ensemble de l’Arctique en tant que programme communautaire de gardiens de l’environnement. Il existe des programmes efficaces dans d’autres régions du pays, par exemple, Haida Gwaii, et une nouvelle politique fédérale sur l’Arctique devrait reconnaître les possibilités pour le Nord.

M. Ayles : Je dois mentionner que nous avons eu de la difficulté à convaincre les services de sécurité du Sénat de nous laisser entrer avec cet objet. Ils n’ont pas reconnu qu’un objet aussi gros était un hameçon de pêche. Ils ne pouvaient pas croire, ici à Ottawa, qu’un poisson puisse être aussi gros, mais nous avons réussi à entrer. Merci beaucoup à la greffière. Les sénateurs pourront se battre pour décider qui pourra le garder.

Science de l’Arctique et savoir autochtone : Le CMGP et d’autres organes de cogestion réunissent les connaissances écologiques traditionnelles, c’est-à-dire les CET, et la science dans un continuum ou un spectre de décisions en matière de pêche et de gestion de l’environnement, non seulement pour créer des connaissances, mais aussi pour les utiliser. La façon dont nous les utilisons est ce qui importe. Dans le domaine des pêches, la prise de décisions va de la simple délivrance de licences et de permis de pêche ou des enjeux environnementaux jusqu’aux choses comme les lignes directrices, les évaluations environnementales, des évaluations environnementales régionales, et l’évolution des visions du monde. Nous présentons au Sénat les connaissances traditionnelles de Gerald pour aider à changer la vision du monde. Les CET ne sont donc pas seulement le rassemblement de faits ou de choses; c’est notre façon de les utiliser qui est importante.

Donnons un exemple. En 2016, le MPO, le CMGP et le Conseil Inuvialuit de gestion du gibier ont organisé un sommet sur les bélugas, une conférence de trois jours à Inuvik, qui a attiré 80 participants du gouvernement, des universités et des six communautés de la RDI pour la coproduction de CET et de connaissances scientifiques à l’appui de la durabilité des bélugas de la mer de Beaufort. Les gens de l’Ouest de l’Arctique sont appelés les « gens des bélugas »; c’était tellement important pour leur culture. Les résultats de la conférence ont été présentés par des membres de la communauté, des membres du CMGP, des scientifiques du MPO et des chercheurs universitaires à de nombreuses conférences et dans de nombreuses publications. Tout récemment, en décembre, il y a eu ArcticNet, ici même à Ottawa. Gerry y a prononcé une allocution avec certains des scientifiques œuvrant au programme. Les résultats contribueront à éclairer un plan de gestion pour les bélugas de la mer de Beaufort.

Même si les organes de cogestion réunissent la science et les connaissances autochtones dans des cas particuliers comme celui-ci, il n’y a pas d’approche nationale globale pour intégrer les CET dans la prise de décisions, et nous pensons qu’il faut corriger cette lacune du cadre s’il y a la moindre possibilité. Nous vous avons proposé un modèle très bureaucratique. Nous pourrons en discuter plus tard. Je ne vais pas essayer de le faire maintenant.

M. Inglangasuk : Protection de l’environnement et préservation de la biodiversité dans l’Arctique : Il y a deux aires marines protégées dans l’Arctique de l’Ouest canadien. Le CMGP collabore avec le MPO, le Conseil Inuvialuit de gestion du gibier, la SRI et quatre collectivités inuvialuit pour établir la TNAMP, c’est-à-dire Tarium Niryutait, et Anguniaqvia niqiqyuam ou l’ANAMP. L’AMP de Tarium Niryutait est à Tuk, dans la région du delta, et l’AMP Anguniaqvia niqiqyuam est à Cape Parry. Avec deux AMP dans la mer de Beaufort avec le MPO, Océans et quatre collectivités inuvialuit, le CMGP travaille désormais à l’AMP, au plan de gestion, et aux indicateurs de la science et de l’environnement des CET pour assurer la durabilité de ces aires protégées.

Avec le MPO, Parcs Canada et l’Office des ressources renouvelables des Gwich’in, le CMGP a piloté l’élaboration d’un plan intégré de gestion pour l’omble Dolly Varden du versant nord du Yukon. La forme nordique ne se trouve que dans cinq bassins hydrographiques au Canada et est inscrite comme espèce préoccupante en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Le plan établissait comment ces stocks uniques seront gérés et préservés. Le CMGP est responsable de la mise en œuvre de ce plan et de la RDI avec le MPO, Parcs Canada et la collectivité d’Aklavik.

Voilà deux initiatives différentes, qui illustrent comment la cogestion peut aider à protéger l’environnement arctique.

M. Ayles : J’aime bien quand Gerry essaie de dire TNAMP et ANAMP parce qu’il est juste un peu plus habile que moi. Je parle toujours des AMP, sans même préciser quelle AMP je parle.

L’Arctique en contexte mondial est le dernier thème sur lequel nous voulons dire un mot. Le CMGP participe à des initiatives arctiques en contexte mondial qui pourraient avoir une incidence sur les ressources halieutiques et mammifères de la mer de Beaufort au Canada. Nous sommes des observateurs au sein d’organisations internationales et participons à certaines d’entre elles.

Le CMGP, en particulier pour la mer de Beaufort, a piloté le MPO, la Société régionale inuvialuit et le Conseil Inuvialuit de gestion du gibier dans l’élaboration d’un cadre intégré de gestion pour les pêches de la mer de Beaufort. Ce cadre établissait un ensemble convenu de lignes directrices et de processus pour la pêche commerciale dans la mer de Beaufort. Le cadre protégera les ressources de la mer de Beaufort et le mode de vie des Inuvialuit du Nunavut.

Le cadre appuie également le rôle d’intendance du Canada pour le développement des pêches dans l’Arctique, comme l’énonce l’accord d’octobre 2018 pour prévenir la pêche hauturière non réglementée dans l’Arctique central. Le Canada s’y est engagé à faire participer les Autochtones à la prise de décisions dans l’Arctique, et c’est un très bon exemple qui appuie l’initiative canadienne.

Il n’y a que 60 000 Inuits au Canada, et quelqu’un a mentionné la faible population et la raison pour laquelle on n’attire pas l’attention. Mais ces 60 000 personnes peuvent avoir une influence démesurée sur les événements mondiaux, particulièrement en ce qui concerne les changements climatiques et l’Arctique. Le cadre doit le reconnaître.

Pour parler d’influence, j’étais le directeur général régional pour la région de l’Arctique central il y a 20 ans, et pendant toute ma carrière au MPO, je n’ai rencontré le ministre des Pêches qu’une seule fois, moi qui étais le plus haut gradé pour l’Arctique. Ma rencontre n’avait rien à voir avec l’Arctique en particulier; elle n’était qu’affaire de bureaucratie. Après une rencontre avec Brian Tobin, vous pouvez imaginer l’attention qu’il m’a accordée.

Comme membre du Canada pour le CMGP avec Gerry, j’ai rencontré tous les ministres des Pêches des 15 dernières années. La dernière fois, c’était en décembre. Nous avons parlé au ministre; parfois, le sous-ministre reste à la porte et attend de savoir de quoi il s’agissait. Nous les informons des problèmes. Nous recueillons de la rétroaction — habituellement, nous n’avons pas de problèmes — puis nous allons dans la communauté. En juin, nous irons dans le hameau de Sachs Harbour où il y a 100 personnes. Nous pouvons aller leur dire : « Nous avons parlé au ministre et lui avons fait part de vos problèmes. » La cogestion, c’est cela. C’est le pont qui permet à une collectivité de 100 personnes d’avoir accès directement au ministre. Et les 60 000 Inuits sont aussi un pont entre l’Arctique et le reste du monde pour le Canada, et nous vous demandons de le reconnaître dans votre cadre.

M. Inglangasuk : Parce que c’est la CDI qui le dit.

Les quatre régions des Inuits, de Nunaktuk et de la région désignée des Inuvialuit, du Nunavut, ainsi que du Nunavik et de Nunatsiavut, représentent 35 p. 100 de la masse terrestre et 50 p. 100 du littoral du Canada.

De même, la CDI mentionne qu’il ne faut pas oublier les Premières Nations. Notre CDI dit que nous devons travailler avec les peuples des Premières Nations.

Notre culture est forte et résiliente, et nos gens récoltent des aliments traditionnels comme l’omble chevalier, le phoque, le béluga, le caribou, le bœuf musqué et d’autres aliments traditionnels pour nourrir leurs familles et leurs collectivités. Nous sommes sur la terre. Nous voyons ce qui se passe. Nous voyons ce qui se passe dans l’Arctique et nous nous inquiétons de l’avenir.

Le cadre stratégique proposé pour l’Arctique sera important, et il y a de nombreuses occasions d’accroître la résilience du Canada à ces changements à venir. Nous formulons les trois recommandations suivantes :

Premièrement, les organes de cogestion forment le lien entre les peuples de l’Arctique et le gouvernement, ainsi que le reste du Canada. Le cadre stratégique doit refléter adéquatement les points forts de ces institutions déjà établies et qui fonctionnent bien. Elles sont bien placées pour devenir les prestataires clés des nouvelles politiques et des nouveaux programmes.

Deuxièmement, la cogestion a surtout porté sur la gestion et la protection des ressources. D’après notre expérience des organes de cogestion établis dans le cadre des ententes sur le règlement des revendications territoriales, nous croyons que la gouvernance collaborative, comme la cogestion, devrait être un point de convergence important pour les six thèmes à l’étude.

Troisièmement, la politique doit être appuyée par de nouvelles ressources. Un cadre stratégique pour l’Arctique ne sert à rien s’il n’est pas appuyé par les ressources nécessaires. Les nouvelles politiques et les nouveaux programmes doivent être suffisamment financés si l’on veut qu’ils exercent une influence.

Je reviens tout juste de Bethel, en Alaska, où j’ai parlé de souveraineté alimentaire; ils font vraiment l’éloge du système de cogestion du Canada.

Vous avez une diapo, la no 10, et je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole.

Le président : Merci beaucoup à vous deux. Nous réserverons vos questions jusqu’à ce que nous ayons entendu Mme Courtois.

Valérie Courtois, directrice, Indigenous Leadership Initiative Merci beaucoup, chers collègues.

[Mme Courtois s’exprime dans une langue autochtone.]

Je me suis présentée dans ma langue. C’est l’Année internationale des langues autochtones, alors j’en profite chaque fois que je prends la parole.

J’aimerais commencer par souligner que nous sommes en territoire algonquin. C’est un véritable honneur pour moi d’être ici aujourd’hui et d’avoir été invitée à vous parler du savoir, des compétences, du leadership et des efforts de conservation des peuples autochtones.

Mes terres natales au Labrador sont souvent considérées comme faisant partie de la région arctique, mais je tiens à préciser que je suis plutôt une experte de la forêt boréale et que je suis forestière de métier.

Tout comme l’Arctique, la zone boréale constitue un écosystème d’importance mondiale. C’est la plus grande forêt intacte de la planète. Elle renferme le quart des terres humides du monde et elle est le dernier refuge d’animaux, comme le caribou, qui ont perdu la majeure partie de leur habitat ailleurs. Pourtant, tout comme en Arctique, les changements climatiques et les pressions exercées par l’urbanisation modifient la région.

Pour assurer un avenir durable à ces régions, nous devons nous tourner vers les savoirs qui remontent à des milliers d’années. Les peuples autochtones sont les gardiens de la région boréale et de l’Arctique depuis des millénaires. Nous en apprenons chaque jour davantage sur notre histoire impressionnante qui s’étend sur des siècles. C’est une histoire de nations autochtones fortes et diversifiées et de cultures florissantes d’un océan à l’autre. Une histoire de traditions, de pratiques et de sagesse pour la survie, la croissance et l’exercice de responsabilités sacrées pour protéger la Terre mère et tous les animaux, les poissons et les oiseaux avec qui nous la partageons. Notre histoire parle aussi de notre énorme contribution au monde : nos chants, nos tambours, nos systèmes de gouvernance, notre art et nos langues ont grandement enrichi les civilisations et continuent de le faire.

Notre peuple connaît les montagnes, les plaines, les mers, les grandes rivières, les vallées et les sentiers. Nous connaissons la glace, la neige, le feu et l’air que nous respirons. Nous sommes un peuple enraciné qui appartient à la terre, nous sommes reliés à tout ce qui s’y trouve. C’est notre essence. La terre s’occupe de nous et, à notre tour, nous avons le devoir sacré de la protéger.

Il suffit de jeter un regard sur le monde pour confirmer l’efficacité de la conservation par les Autochtones. Les territoires traditionnels des peuples autochtones abritent 80 p. 100 de la biodiversité restante de la planète — 80 p. 100 de la biodiversité restante du monde se trouve sur les terres autochtones. Qu’il s’agisse des plantes médicinales en Amazonie ou des cinq milliards d’oiseaux qui s’envolent de la forêt boréale chaque automne, les savoirs autochtones permettent de protéger une abondance d’animaux, de plantes, d’eau propre et d’air pur, soit les systèmes naturels dont nous dépendons tous.

Ici, au pays, les peuples autochtones affirment leurs responsabilités en matière d’intendance des terres en s’en faisant les gardiens. Il s’agit d’un mouvement directement inspiré de la terre, des aînés, des jeunes et d’une nouvelle génération de meneuses, qui tous réclament un leadership autochtone sur cette terre. Nous le constatons par le déploiement de plus de 20 programmes de gardiens autochtones qui gèrent maintenant les territoires traditionnels. J’ai été ravie d’apprendre comment le programme a évolué ici, dans la région d’Inuvialuit. Nous nous sommes rencontrés il y a quelques années pour partager nos expériences. Nous le constatons également par la réaction incroyable que nous avons obtenue sous la forme du financement par le Fonds de la nature du Canada en appui au projet d’aires de protection et de conservation autochtones, qui permettront de préserver des centaines de milliers de kilomètres carrés de terres et d’eau saines.

Nos nations endossent leur responsabilité culturelle de prendre soin de la terre et, ce faisant, nos collectivités s’en trouvent renforcées et expriment leur propre identité nationale. Nous aidons également le Canada à respecter son engagement de protéger au moins 17 p. 100 des terres et de l’eau douce d’ici 2020, un engagement international visant à endiguer la perte d’espèces animales et végétales partout dans le monde. Si ces cibles devaient être revues, comme nous nous y attendons, dans les accords internationaux futurs, les peuples autochtones seraient prêts à contribuer à les atteindre.

Le mouvement des gardiens autochtones vise à faire en sorte que l’avenir — notre avenir collectif — soit plus brillant et plus durable. Nous dépendons tous de la terre pour notre survie. Il est dans notre intérêt commun de veiller à ce qu’elle demeure saine. En travaillant ensemble, en forgeant des partenariats et en respectant leurs responsabilités en matière d’intendance, le Canada et les nations autochtones au sein du Canada actuel peuvent créer cet avenir. En fait, ce travail est déjà en cours.

Aujourd’hui, j’aimerais discuter avec vous de trois éléments de la conservation dirigée par les Autochtones, soit l’aménagement du territoire, les aires protégées et les gardiens.

De nombreux gouvernements autochtones font de l’aménagement du territoire un outil pour déterminer l’avenir de leurs terres dans l’optique d’une responsabilité culturelle. En organisant de grandes réunions communautaires, en interviewant les gens et en analysant des données, les communautés déterminent quelles terres elles veulent protéger et lesquelles seraient disponibles à des fins d’exploitation et d’exploration. Le long du fleuve Mackenzie, les Sahtu, les Dénés et les Métis ont conçu un plan d’aménagement du territoire respectueux des traditions culturelles, du savoir des aînés et des sciences autochtone et occidentale. Plus de 700 représentants des communautés sahtu, du gouvernement, de l’industrie et d’organismes non gouvernementaux ont participé au processus. Lorsque le plan a été finalisé en 2013, les communautés ont proposé de protéger une zone connue sous le nom de Remparts ainsi que plusieurs autres zones. Je ne me risquerais pas à prononcer le mot en déné. J’aimerais pouvoir le faire.

La clarté que ces plans d’aménagement du territoire autochtone rendent possible est également bienvenue. Les entreprises qui souhaitent investir dans des projets savent où le développement peut se faire et les gouvernements peuvent trouver des possibilités de collaboration.

L’aménagement du territoire autochtone inspire aussi souvent la création d’aires protégées autochtones. Ce sont des lieux désignés par les gouvernements autochtones pour la conservation en fonction de valeurs écologiques et culturelles. Elles reflètent le droit et la tradition autochtones et garantissent que les peuples autochtones sont en mesure de maintenir leur relation avec la terre. Les aires protégées autochtones sont créées en collaboration avec les gouvernements, mais les gouvernements autochtones doivent occuper le premier rôle dans l’identification et la gestion des terres. J’aime dire qu’ils ont la responsabilité des terres et qu’ils décident de ce qui se passe à l’intérieur des limites de celles-ci.

En juillet dernier, par exemple, les Premières Nations Dehcho ont adopté une loi dénée visant à créer l’aire protégée d’Edéhzhie, une vaste étendue de forêt boréale, de lacs de tête et de terrains pour les caribous à l’ouest de Yellowknife. Puis, en octobre, les mêmes dirigeants Dehcho ont tenu une cérémonie de signature avec la ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna, pour la désigner comme aire protégée mixte du Deh Cho, une réserve nationale de faune. La nouvelle aire protégée sera gérée dans le cadre d’un partenariat entre le Service canadien de la faune et le programme des gardiens autochtones Dehcho K’ehodi. Comme l’a dit Jonas Antoine, aîné du Deh Cho, Edéhzhie sera un cadeau pour l’avenir.

Les Dénés ne sont pas les seuls. J’ai visité des nations et des collectivités partout au pays, de Déline à Misipawistik, en passant par Eeyou Istchee et ma propre nation, Nitissinan. Elles ont recours à des protocoles culturels, à des lois autochtones et à des outils novateurs pour conserver ces terres.

Nous sommes nombreux aussi à compter sur les gardiens autochtones pour gérer ces terres. Les gardiens autochtones font office de mocassins et de mukluks : ils sont les yeux et les oreilles de la terre. Ils maîtrisent le savoir traditionnel et les protocoles culturels et ils ont une formation en science occidentale. En s’appuyant sur cette expertise, les gardiens gèrent les aires protégées, testent la qualité de l’eau et surveillent les projets de développement. C’est bon pour la terre et c’est bon pour les gens.

Nous nous sommes inspirés de l’expérience de l’Australie, qui a investi plus de 840 millions de dollars australiens dans des programmes similaires de Rangers autochtones, aussi appelés le programme Working on Country. Une étude commandée par le premier ministre et le Cabinet a révélé que chaque dollar investi dans les programmes intégrés d’aires protégées et de Rangers autochtones génère des avantages sociaux, économiques et culturels totalisant trois dollars. Cela se traduit par une réduction du soutien du revenu, des dépenses en santé et des coûts de la justice.

Nous constatons que les investissements canadiens dans plus de 40 programmes existants produisent le même rendement. Nous saluons l’investissement initial du gouvernement du Canada dans le budget de 2017, mais un financement important et soutenu est nécessaire pour que les gardiens puissent réaliser leur plein potentiel et pour soutenir une authentique réconciliation à tous les niveaux en ce qui a trait aux terres et aux eaux canadiennes.

Les avantages de la conservation dirigée par les Autochtones sont clairs : renouer avec la culture, guérir des traumatismes et éprouver de la fierté à l’égard de son identité. Tout cela est enraciné dans la terre. Les gardiens aident à favoriser ces liens. Imaginez à quel point nos terres et nos collectivités seraient en santé si des centaines de programmes de gardiens existaient partout au pays.

Nous sommes dans une période charnière. Nous nous engageons à doubler nos terres protégées d’ici 2020 et de nombreuses nations autochtones ont proposé de nouvelles aires protégées. En fait, la date limite pour la présentation de la demande au Fonds de la nature du Canada était vendredi et ainsi un grand nombre de nos partenaires ont travaillé d’arrache-pied jusqu’à minuit vendredi pour soumettre et proposer leurs solutions en vue d’atteindre ces 17 p. 100.

Notre pays, tout particulièrement, a la responsabilité d’agir. Le Canada fait partie des cinq pays où se trouvent les 70 p. 100 de terres intactes qu’il reste sur la planète. Nous avons encore des terres vivantes et de l’eau propre, et ce, à une échelle que l’on voit rarement aujourd’hui dans d’autres régions du globe — des endroits comme le Nord et l’Arctique.

Comme le premier ministre l’a dit, il n’y a aucune relation plus importante pour le Canada que celle qu’il a avec les peuples autochtones. Notre avenir collectif dépend de la profondeur et de l’étendue de cette relation entre nous comme peuples et, ce qui est tout aussi important, de notre relation future avec nos terres et nos eaux. En travaillant ensemble, le Canada et les nations autochtones peuvent préserver ces terres importantes pour les générations futures. Nous pouvons offrir au monde un modèle de conservation ancré dans le respect, la responsabilité et la réconciliation et nous pouvons tous emprunter une voie durable vers notre avenir commun.

Merci.

Le président : Merci beaucoup à tous. Pourriez-vous remettre l’étude commandée par le premier ministre australien à la greffière du comité, s’il vous plaît?

Mme Courtois : Volontiers. Je vais également vous présenter une étude semblable que nous avons menée dans les Territoires du Nord-Ouest dans le contexte canadien. Nous avons eu recours à la même méthodologie. Je la transmettrai volontiers à la greffière.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions de notre vice-présidente, la sénatrice Bovey.

La sénatrice Bovey : Le groupe de témoins et les témoignages entendus en après-midi ont été très inspirants. À mon avis, monsieur le président, le thème de cet après-midi semble être la culture ainsi que les idées locales et le savoir tiré de la terre et concernant la terre. Je tiens à vous remercier tous.

J’ai trouvé la conversation sur la cogestion particulièrement encourageante, si vous me le permettez. Je suis très heureuse des résultats que vous avez obtenus grâce au travail que vous avez accompli et je tiens à vous remercier des trois recommandations que vous avez formulées. Je dois convenir que les nouvelles politiques doivent être appuyées par de nouvelles ressources. On ne peut pas changer le mode de fonctionnement sans les ressources nécessaires.

Vous avez dit que vous, dans le travail de cogestion que vous aviez réalisé, vous étiez vraiment des chefs de file mondiaux. Vous avez dit que votre façon de travailler devrait être appliquée partout au pays avec toutes les communautés autochtones. Je vais vous demander si vous pouvez nous en dire un peu plus à ce sujet afin que nous puissions trouver une façon d’intégrer certains des éléments que nous avons entendus aujourd’hui au principe de cogestion. Je pense que vous avez compris le concept avec le travail que vous avez fait, madame Courtois. J’ai été intriguée d’entendre parler du travail, de votre point de vue, de ce que les gardiens ont fait et de votre travail partout au pays et, encore une fois, du financement nécessaire.

Pour planifier l’avenir, je pense qu’il est important de comprendre les choses que nous estimons non négociables. Il est beaucoup plus facile de planifier si on sait ce qui est sacro-saint et non négociable. Je vais vous demander de conclure vos observations dans cette optique. Pour ce qui est des terres vierges et des étendues d’eau que nous avons, de la richesse de la culture et de la compréhension de la terre, comment pouvons-nous intégrer cela à l’essence de ce que nous voulons être dans 5, 10, 15, 100 ou 150 ans?

M. Inglangasuk : Les terres seront encore les mêmes dans 100 ans.

La sénatrice Bovey : Bravo.

M. Inglangasuk : Le Programme de surveillance d’Imaryuk de cette année n’a aucun pouvoir, mais il s’inscrit dans notre plan de pêche. Nous avons trois Inuvialuit à Inuvik et trois à Tuk et ils patrouillent la route. Ils n’arrêtent pas et les gens leur parlent. Ils ne font que montrer notre plan de pêche, mais ils sont présents. On rit toujours quand on voit un caribou avec une carabine à côté. C’est cette présence qui fait fuir les braconniers. À mon avis, c’est vraiment efficace. Avant, on disait qu’il n’y avait que 8 ruisseaux poissonneux, mais maintenant, nous en avons trouvé 30. Nous avons constaté que certains ponceaux ne fonctionnaient pas. Il faut les réparer. En raison du pergélisol, ils tombent et s’écartent de la voie. En fait, cela tue des poissons et freine leur migration.

Au sommet sur les bélugas, on a présenté tellement de connaissances autochtones et scientifiques que l’Alaska n’arrête pas d’en parler et songe à faire la même chose. J’estime qu’en collaborant, il est beaucoup plus facile de résoudre des problèmes qu’en se disputant sans rien faire.

L’amour que je voue à la terre est ce qui m’anime. Je souhaite qu’elle reste la même pour les générations à venir.

La sénatrice Bovey : Merci.

M. Ayles : Plusieurs aspects administratifs sont importants pour le bon fonctionnement de la cogestion et de la gouvernance collaborative. D’une part, il y a les ressources et, d’autre part, le temps et la confiance. La confiance et le temps vont de pair, car ils viennent du fait que les gens travaillent ensemble depuis longtemps.

Le programme inuvialuit dont Gerry a parlé est un programme autoréglementé. Il fonctionne parce que les Inuvialuit ont suffisamment confiance dans la CDI pour accepter qu’il leur incombe de gérer la ressource. Ils ne disent pas : « Tant pis, c’est le problème du gouvernement, je vais aller pêcher. »

En fin de compte, c’était le projet de loi. C’est la convention entre le Canada et les Inuvialuit qui a fait naître ces institutions, qui a donné le temps, suscité la confiance et généré les fonds qui ont mené à cela. C’est la même chose partout dans l’Arctique. Il y a les accords sur les revendications territoriales ou la confiance qui en a découlé et voilà la base sur laquelle il nous faut construire, à mon avis.

Il n’y a rien de magique. Cela dépend aussi, dans bien des cas, de la personnalité des gens et du fait qu’ils sont vraiment engagés. L’entente avec les Inuvialuit a été signée par des dirigeants inuvialuits très engagés dans le processus, qui y croyaient fermement, et l’accord reflète leurs préoccupations à l’égard des ressources. L’un des principaux objectifs est de protéger les ressources, ce qui influe sur tout ce que nous faisons.

Mme Courtois : La seule chose non négociable pour moi, c’est le droit naturel, car c’est sur cette loi que toutes nos actions reposent. De toute évidence, ce n’est plus un gouvernement centralisé dans le Sud qui décide de ce qu’il adviendra de nos terres dans le Nord — cela n’avait pas vraiment fonctionné. Les gouvernements avaient tenté à maintes reprises de procéder de la sorte.

Dans ma région, le Labrador, qui s’étend sur 300 000 kilomètres carrés, il y a un agent basé à Goose Bay qui est chargé de faire appliquer les lois sur les pêches, sur l’environnement et sur l’eau. Comme il n’a pas de budget de déplacement, il doit rester à la base de Goose Bay. Nous avons, en moyenne, entre 20 et 32 gardiens sur nos terres. Ce sont 32 paires d’yeux supplémentaires qui peuvent voir à l’application de ces lois et non seulement être témoin de gestes, mais les corriger dans un contexte local et de façon appropriée.

C’est comme en 1992, lorsque le Programme des gardes-pêche a été créé par le ministère des Pêches et des Océans. Au départ, le ministère manifestait le désir d’embaucher des gardiens innus et les invitait à venir travailler pour lui et les Innus disaient : « Nous ne vous aimons pas vraiment. Vous avez volé notre nourriture. Or, nous voulons faire affaire avec vous. Nous voulons nous comprendre les uns les autres, mais nous devons le faire sur une base qui respecte qui nous sommes comme nation. » C’est ce genre de respect en matière de gouvernance qui a mené à la création du programme des gardiens.

Le dernier aspect non négociable est la reconnaissance que nous avons des visions du monde et des systèmes de connaissances différents. Lorsque nous parlons dans des salles comme celle-ci, cela nous prédispose à une vision occidentale du monde et à une conversation à l’occidentale, ce qui complique parfois l’intégration des savoirs. Je suis planificatrice de métier et je me suis donc demandé comment transposer quelque chose comme « voici où se trouve la maison du maître caribou », d’un point de vue spirituel, vers un plan basé sur un cadre occidental. Cela vaut la peine d’essayer de déterminer comment nous pouvons respecter nos systèmes de connaissances respectifs. C’est ce qui me vient à l’esprit.

La sénatrice Bovey : Tout cela est très encourageant et très inspirant pour moi, tant que nous nous souvenons des trois questions, soit l’argent, le temps et la confiance. Merci.

La sénatrice Eaton : L’argent, le temps et la confiance, oui, ce qui rend ma question difficile. Nous avons beaucoup entendu parler de la diminution du nombre de caribous et des difficultés avec les aires de reproduction. Étant forestière, que savez-vous du caribou? Les caribous de l’Alaska sont-ils en meilleure condition que ceux du Yukon ou du Nunavut, par exemple? Est-ce que les choses s’y font différemment, le climat qui y règne est-il différent? Est-ce parce que les caribous sont à court de nourriture? Quel est le problème?

Mme Courtois : Je suis également facilitatrice du processus de la TRACPU, la Table ronde autochtone du caribou de la péninsule d’Ungava, qui réunit six, parfois sept nations, qui dépendent du troupeau de la rivière George, qui a déjà été le plus grand troupeau de caribous, d’ongulés dans le monde, en fait. Ce troupeau comptait près d’un million de têtes en 1993.

La sénatrice Eaton : Quelle était leur aire de répartition?

Mme Courtois : Le Québec et le Labrador, de l’océan Atlantique jusqu’à la baie d’Hudson et la baie James. C’est leur aire de répartition normale. Cette harde comptait près d’un million de caribous en 1993 — 800 000 à peu près — et elle en compte 5 500 selon le dernier recensement fait il y a 2 ans. Le caribou représente tout pour mon peuple. J’ai grandi en mangeant du caribou. Je n’ai pas mangé l’un de mes caribous depuis quatre ans. C’est du jamais vu pour notre nation.

La sénatrice Eaton : Quelles en étaient les causes? Je ne parle pas de chasse excessive par les Inuits. Les touristes font-ils une chasse abusive?

Mme Courtois : Lorsque j’étudiais en foresterie, l’une des premières choses qu’on m’ait apprises, c’est que la foresterie est mi-art, mi-science. La gestion de la population de caribous est davantage un art qu’une science. En matière de caribou, les données scientifiques occidentales sont très récentes si on les compare au savoir autochtone. Nous avons constaté que le caribou vit selon un cycle, comme le lynx ou le lapin, mais que son cycle est très long. Les données scientifiques occidentales et l’information que l’on possède n’englobent pas toute la durée du cycle. Au Canada, on a installé les premiers colliers sur des caribous en 1983 au Labrador, pour étudier l’incidence des vols à basse altitude. Les données sont recueillies depuis à peine 40 ans.

La sénatrice Eaton : Combien de temps vit un caribou?

Mme Courtois : Tout dépendant du type de vie qu’il mène, un caribou peut vivre entre 17 et 18 ans. Cependant, sa durée de vie n’est tout simplement pas suffisante pour rendre compte du cycle de vie de la population.

La durée de vie dépend d’une combinaison de facteurs : le caribou épuise les réserves de nourriture comme il est un grand animal, puis il y a la gestion et l’évolution des prédateurs, et des conséquences évidentes des changements climatiques. J’ai un camp sur la rivière George, dans une région qui s’appelle maintenant le Nunavik. Au cours des 10 dernières années, en raison de la nature des changements sur le terrain, nous avons dû reporter notre arrivée de plus d’un mois pour qu’elle corresponde à l’arrivée des caribous. C’est dire à quel point les choses ont changé en 10 ans.

La sénatrice Eaton : Y a-t-il des points communs avec le caribou de l’Ouest?

Mme Courtois : Oui. Nous échangeons des stratégies. Dans l’Ouest, il y a des hardes qui sont naturellement beaucoup plus stables que la harde de la rivière George. La harde de la Porcupine se trouve parmi celles qui ont subi des changements de plus petite ampleur au fil du temps. Les changements qui se produisent dans la harde de la rivière George sont considérés comme extrêmes. Même si les changements sont moins importants dans l’Ouest, le caribou n’y est pas moins à risque.

La sénatrice Eaton : Non, je ne dis pas le contraire. Je me demandais si d’autres régions au pays vivent la même situation.

Mme Courtois : Partout dans le monde, y compris en Scandinavie, les populations de caribous sont en déclin.

La sénatrice Eaton : Merci.

M. Inglangasuk : Je chasse les hardes de la Porcupine, Bluenose et du cap Bathurst. Quand j’étais petit, il n’y avait qu’une seule harde aux alentours de Tuk : la harde Bluenose. Maintenant, on en compte trois ou quatre. La harde de la Porcupine se porte bien. Il paraît que la harde Bluenose ne se porte pas très bien.

La sénatrice Eaton : Vous venez de dire qu’il y en d’autres.

M. Inglangasuk : Il y en a d’autres dans la harde de la Porcupine. Cette harde est en bonne santé. Ce n’est pas le cas aux alentours de Tuk. Je suis allé à la chasse pas aux caribous, mais à l’outarde avec mon fils sur l’île Richards. Nous avons aperçu deux grizzlis qui chassaient des faons sur une colline. Nous avons vu beaucoup de faons en parcourant l’île. Je pense que les prédateurs y sont pour beaucoup. Comme il fait plus chaud, il y a de plus en plus de prédateurs.

La sénatrice Eaton : Les grizzlis ne vivaient pas dans votre région auparavant?

M. Inglangasuk : Oui, il y en avait dans notre région, mais pas beaucoup; ils étaient visés par des mesures de conservation comme leur population était petite. Maintenant, ils viennent fouiller dans les poubelles tout le temps. Avant, c’était les ours noirs qui fouillaient dans les poubelles d’Inuvik. Maintenant, c’est carrément des grizzlis.

La sénatrice Eaton : Et le caribou n’est pas un animal agressif?

M. Inglangasuk : Il s’enfuit tout simplement.

La sénatrice Eaton : Merci.

La sénatrice Anderson : Je vous remercie de ces renseignements. Vous recommandez notamment que de nouvelles ressources soient allouées à la mise en œuvre de la politique. Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par « de nouvelles ressources »?

M. Inglangasuk : Dans le cadre du Programme de surveillance d’Imaryuk, par exemple, nous avons dû demander du financement à une ONG. Nous éprouvons toujours des difficultés à trouver du financement. Il n’y a pas d’organe d’application de la loi. Le plus près est à Yellowknife. Les autorités viennent toutes les deux à trois semaines. Actuellement, comme vous le savez, c’est la saison de la pêche. Elles devraient y être pendant la saison de la pêche parce qu’avec la nouvelle autoroute, on peut attraper beaucoup de poissons. Il en faudrait aussi pour contrôler la chasse. Il n’y a tout simplement personne. N’importe qui peut chasser ou pêcher.

M. Ayles : Lorsque les Inuvialuit ont signé un accord avec le gouvernement fédéral en 1984, le gouvernement avait un certain nombre de priorités et de programmes. Le gouvernement leur a dit : « Voici ce que nous allons faire, et nous vous allouerons des sommes pour que vous assumiez vos responsabilités qui sont énoncées ici. » Le gouvernement a continué de procéder ainsi les années suivantes. Le financement a été renouvelé et augmenté à un taux correspondant plus ou moins à celui de l’inflation.

Mais le gouvernement a aussi mis en place de nouveaux programmes au cours des 30 dernières années. Lorsque les Inuvialuit ont signé l’accord en 1984, le Canada n’avait pas de programme sur les océans. Le MPO ne gérait pas les océans, mais uniquement les pêches. Cet accord ne concernait donc que les pêches. Les océans font partie des responsabilités du ministère depuis la fin du siècle dernier. Le MPO avait un important programme à cet égard. Beaucoup de ressources lui étaient alors allouées, et maintenant il en a beaucoup moins. Le CMGP était devenu par défaut le programme sur les océans des Inuvialuit, car il n’y avait personne d’autre. Le CMGP a reçu du financement du ministère pour les aires marines protégées dont Gerald a parlé — pour deux d’entre elles —, mais le ministère n’avait plus de financement de base pour les autres organismes à qui incombe aujourd’hui cette responsabilité.

De la même façon, le MPO a mis fin à presque tous les programmes sur l’eau douce au pays par suite de son remaniement de programmes. Ses programmes visent davantage les écosystèmes marins. À l’Institut des eaux douces de Winnipeg, il y avait un programme assez important sur l’eau douce. Il n’y en a plus. Lorsque j’y étais, l’eau douce faisait partie du programme. Le MPO ne possède pas les ressources pour la recherche sur l’eau douce. Si nous avons un problème concernant l’eau douce, nous n’avons personne vers qui nous tourner et demander conseil.

De façon similaire, en ce qui a trait aux contaminants, le MPO avait un programme substantiel de lutte contre les contaminants environnementaux chez les poissons au Canada. Il a mis fin à ce programme. Les habitants de l’Arctique sont toujours préoccupés par les contaminants présents dans leurs poissons et leurs mammifères marins. Nous n’avons personne à qui demander conseil.

Vous demandez de préciser la nature des ressources. Voilà des éléments que le gouvernement change, dont il s’écarte ou s’éloigne, mais qui continuent de préoccuper les gens. Nous devons toujours assumer ces responsabilités, et on nous en impose d’autres. On annonce en grande pompe qu’on veut plus d’aires marines protégées ou qu’on veut augmenter le nombre d’aires protégées au pays. Au bout du compte, ce sont ces gens qui en sont responsables et qui doivent procéder à ces changements.

Comme Gerry l’a dit, le programme des gardiens est entièrement administré sans que le gouvernement ne participe et ne fait pas partie de notre budget. Nous mettons tout en œuvre pour y parvenir. Notre comité se réunira en avril pour essayer de déterminer où nous allons trouver du financement cette année. Nous savons que nous devons continuer à offrir ce programme.

Le président : Mme Courtois voudra peut-être répondre à votre question.

Mme Courtois : Lorsque nous avons pour la première fois présenté l’initiative des gardiens à l’échelle nationale, nous avons proposé un programme de 500 millions de dollars qui aurait permis de créer des programmes dans plus de 220 collectivités et de générer plus de 1 600 emplois. Ce programme aurait permis de former l’équipe qui aurait servi de base pour lancer d’autres initiatives. Par exemple, un programme du genre, où les ressources sont si importantes qu’il ne faut que le mettre en branle pour qu’il soit un programme d’application de la loi sur le terrain, aurait pu être possible.

Le gouvernement s’est penché sur la question, et il nous incombe maintenant de justifier un investissement plus important, ce que nous ferons. Cependant, plus il investira dans ce genre de programmes, moins il financera d’autres projets.

Pour certains, la participation au programme des gardiens constitue une expérience très personnelle. J’ai été témoin de transformations chez des personnes que la communauté considérait comme des « cas sans espoir ». Nos collectivités du Labrador étaient bien connues pour les problèmes d’inhalation de vapeurs d’essence, et bon nombre de nos jeunes étaient perçus comme des causes perdues, comme des gens qui passeraient le reste de leur vie à inhaler de l’essence. Puis ils sont devenus des gardiens. Certains sont maintenant chefs adjoints de services d’incendie dans leur communauté. Ils sont des leaders dans leur famille et une source d’inspiration pour leurs enfants lesquelles disent : « Quand je serai grand, je veux être un gardien. »

C’est pour tout ça que nous avons besoin de financement. Nous n’avons pas besoin d’une autre stratégie de prévention du suicide. Nous devons revenir sur le terrain. Ce sont nos terres qui nous mèneront sur la voie de la guérison et de notre identité. C’est là que prend réellement forme notre relation avec le reste du Canada et les Canadiens, une relation très personnelle enracinée dans nos terres.

Le président : D’accord. Sur ce, j’aimerais remercier les témoins de leurs exposés très percutants, cohérents et coordonnés. Je pense que nous avons accueilli un excellent groupe de témoins pour ce sujet important. Je tiens à vous remercier tous d’être venus.

Je pense que nous devrions remercier notre greffière et le personnel de la Bibliothèque du Parlement qui ont réuni un groupe de témoins très enrichissant aujourd’hui pour nous aider dans notre travail.

La sénatrice Bovey : Monsieur le président, je tiens à vous remercier, vous et le personnel, de nous avoir accordé une journée complète. Je sais que d’un côté ça a été une longue journée, mais d’un autre côté elle a passé très vite, avec ces précieux témoignages. Ceux-ci ont apporté beaucoup d’éclaircissements et ont permis de faire des liens entre plusieurs des éléments que nous avons entendus ces derniers mois. Alors que la séance est sur le point d’être levée, je ne peux exprimer à quel point c’était merveilleux de vous entendre parler de votre amour pour la terre qui est votre source de motivation. Ce sont des paroles que je n’oublierai jamais.

Le président : Merci beaucoup à tous.

(La séance est levée.)

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