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CSSB - Comité spécial

Secteur de la bienfaisance (spécial)

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL SPÉCIAL SUR LE SECTEUR DE LA BIENFAISANCE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 5 novembre 2018

Le Comité sénatorial spécial du secteur de la bienfaisance se réunit aujourd’hui, à 18 h 30, pour examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires; et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.

Le sénateur Terry M. Mercer (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial spécial du secteur de la bienfaisance. Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse, président du comité. Pour commencer, je demande à mes collègues de bien vouloir se présenter, en commençant à ma gauche par la vice-présidente.

La sénatrice Omidvar : Je suis Ratna Omidvar, de l’Ontario.

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur R. Black : Rob Black, de l’Ontario.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, de la province de Québec.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, je vous remercie.

Aujourd’hui, nous poursuivons l’examen de l’impact des lois et des politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et les autres groupes similaires et nous poursuivons l’examen de l’impact du secteur volontaire au Canada. Aujourd’hui, nous nous focaliserons sur les définitions se rapportant à « organisme de bienfaisance » et à « organisme à but non lucratif ».

Accueillons notre premier groupe de témoins, c’est-à-dire, à titre personnel, M. Don McRae, chercheur sur le secteur caritatif, et le président de la Chinese Canadian Military Museum Society, M. King Wan. Je vous remercie tous les deux d’avoir accepté notre invitation. Je vous invite à faire votre exposé, pour lequel chacun de vous dispose de cinq à sept minutes. Ensuite, nous passerons aux questions. Pour en poser le plus possible, nous préférons des questions concises, et les réponses à l’avenant.

M. Don McRae, chercheur sur le secteur caritatif, à titre personnel : Je remercie votre comité de son invitation. J’ai suivi les audiences avec intérêt et j’ai été impressionné par la rapidité avec laquelle votre comité assimilait les connaissances et les points de vue.

Je voudrais concentrer mes observations sur l’accès au statut d’organisme de bienfaisance enregistré et, en particulier, sur la définition d’organisme de bienfaisance. Mon mémoire expose de façon plus détaillée les remarques que je ferai.

J’ai travaillé pendant plus de 30 ans dans l’administration fédérale, avec des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif. Mes contacts avec l’Agence du revenu du Canada, et quand il m’y autorisait, le ministère des Finances, ont été étroits.

Pour paraphraser ce que disait Susan Manwaring dans son exposé devant votre comité, les règles régissant les organismes de bienfaisance composent une mosaïque anarchique.

L’Agence du revenu du Canada est un contrôleur moderne des recettes fiscales, mais non un organisme moderne de réglementation. Comme je l’expose dans mon mémoire, elle est dotée de très peu de mécanismes de reddition de comptes au public ou au secteur caritatif. Elle est opaque au point que sa direction générale des organismes de bienfaisance a besoin d’une section à elle pour l’accès à l’information, pour répondre aux demandes de transparence dans ses opérations.

Le ministère des Finances a le pouvoir d’établir la politique. Cela étant dit, nous sommes ici parce que, depuis toujours, il a négligé les problèmes majeurs du secteur. Si on excepte la disposition sur les incitations fiscales pour les dons et les modifications visant à corriger ses erreurs antérieures, il s’est abstenu d’intervenir dans ce domaine.

Essentiellement, la définition canadienne d’« organisme de bienfaisance » découle de l’affaire Pemsel de 1891, c’est-à-dire il y a 127 ans. Notre définition est une notion passive, argentée, masculine et blanche. Maintenant que j’ai capté votre attention, permettez-moi de la décortiquer.

L’affaire Pemsel a établi un précédent, mais elle s’enracine dans l’Angleterre victorienne et est un produit de son époque. L’Angleterre était une société homogène, dominée par l’homme de race blanche. Le multiculturalisme n’existait pas encore. Les femmes, sans droit de vote, n’étaient pas considérées comme citoyennes à part entière. Les peuples autochtones de l’Empire étaient, dans le meilleur des cas, traités comme des citoyens de seconde zone. L’instruction n’était pas donnée à tout le monde. Elle était considérée comme une entreprise noble.

Des débats ont exposé les deux facettes du problème, quelque chose qui a tracassé les adversaires de problèmes comme la torture, la pornographie et d’autres sujets semblables. On avait pitié des pauvres, on leur faisait la charité, mais on leur refusait leur dignité.

L’affaire Pemsel a chambardé le droit des organismes de bienfaisance de l’Angleterre de 1891. Aujourd’hui, elle entrave les groupes qui méritent d’obtenir le statut d’organisme de charité au Canada. Comme l’a déclaré Kathryn Chan, les modifications de la common law ne permettent pas à la définition d’évoluer.

Pourquoi la définition est-elle importante? Dans son exposé, Debbie Douglas vous a parlé de la découverte des mots magiques qui permettraient à des communautés ethniques et racisées d’obtenir le statut d’organisme de bienfaisance. Stephen Huddart a parlé des limites imposées à la Fondation McConnell, dans ses tentatives de venir en aide aux Autochtones vivant dans le cœur des quartiers déshérités. Paulette Senior, de la Fondation canadienne des femmes, a dit la même chose du financement d’organismes de femmes et de filles. Ces groupes ne peuvent pas obtenir le statut d’organismes de bienfaisance. Ils ne peuvent donc pas remettre de reçu officiel à des fins fiscales pour les dons. Fait tout aussi important, ces groupes ne sont pas des donataires reconnus. Les organismes de bienfaisance ne peuvent donc pas les appuyer.

Il existe ce qu’on appelle des ententes avec des organismes qui ne sont pas de bienfaisance pour les appuyer, mais elles imposent de lourdes obligations administratives qui vont à l’encontre des restrictions de l’Agence du revenu du Canada en matière d’orientation et de contrôle.

Autrement dit, deux grands volets du monde de la collecte de fonds sont fermés à ces organisations. Leurs efforts sont bloqués à cause de l’immobilisme de la définition canadienne d’« organisme de bienfaisance », mais vos travaux peuvent changer tout cela.

Ma première recommandation est d’examiner ce qui se fait de comparable ailleurs et de créer une définition canadienne codifiée d’« organisme de bienfaisance ». Si ça se révèle impossible, je propose ensuite un certain nombre de mesures plus modestes mais qui restent efficaces.

Je recommande de se servir de la Cour canadienne de l’impôt pour interjeter appel des décisions de l’organisme de réglementation. Ces appels seraient entendus dans une audience de novo.

Je recommanderais de modifier l’article 149.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour supprimer l’importance accordée aux activités de bienfaisance. La réglementation des organismes de bienfaisance se fonderait alors sur leurs buts caritatifs.

Je recommanderais aussi que la section de l’Agence du revenu du Canada chargée de l’enregistrement des organismes de bienfaisance entreprenne un audit systématique de ses systèmes pour revoir le traitement des demandes du statut d’organisme de bienfaisance. J’ai travaillé plus de 30 ans avec ces organismes et je possède une expérience de chercheur de 10 ans. Mes travaux de recherche montrent l’existence, dans le système actuel, d’un parti pris inhérent.

Je recommande des modifications aux restrictions stratégiques concernant l’orientation et le contrôle, pour permettre aux organismes de bienfaisance de conclure des ententes moins contraignantes avec des organismes à but non lucratif tout en assurant la protection convenable des fonds.

Enfin, je recommande plus de transparence à l’Agence du revenu du Canada dans ses activités, pour le public et les organismes de bienfaisance.

Je vous remercie encore une fois de votre invitation. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

King Wan, président, Chinese Canadian Military Museum Society : Merci beaucoup, monsieur le président. La Chinese Canadian Military Museum Society est un organisme sans but lucratif, composé exclusivement de bénévoles, sans salariés. Moi-même, je ne suis qu’un bénévole. Je vous remercie de votre invitation à venir vous parler de nous.

Je ne suis pas aussi éloquent que M. McRae, en ce sens que, étant bénévole, le temps que j’accorde au musée est pris sur mon temps de loisirs. Samedi dernier, en soirée, nous avons donné un grand banquet annuel destiné au financement de nos opérations.

Je me propose d’aborder les quelques sujets suivants. D’abord, nous aimerions qu’on accorde une définition plus large aux dons culturels dans notre société, pour assurer le financement de petites organisations comme la nôtre. Nous sommes une petite organisation. Notre seule source de financement est les dons de nos membres puis de nos parrains. Comme je le disais, le gros de nos recettes annuelles provient de notre dîner annuel de financement. Nous sommes chanceux d’y attirer une foule importante.

Nous avons étudié le crédit d’impôt accordé aux organismes de bienfaisance, et j’ai constaté que celui qu’accorde l’Agence du revenu du Canada aux donateurs nous convient, parce que nous sommes une petite organisation. Nos donateurs obtiendront leur pourcentage normal de crédit d’impôt. Cependant, ça ne signifie pas que ce taux ne puisse pas augmenter pour encourager les dons à de petites organisations comme la nôtre.

Je voudrais plus de programmes de l’État pour appuyer de petites organisations comme les musées. Je tiens pour certain que divers ministères financeraient différents organismes de bienfaisance, des fondations et ainsi de suite. Le ministère des Anciens Combattants, celui du Patrimoine canadien ou d’autres peuvent, par des fonds supplémentaires, encourager les musées des petites communautés à poursuivre leurs objectifs particuliers.

L’un de nos objectifs, encore une fois, est étroit. Nous visons principalement à promouvoir et à préserver l’héritage des Sino-Canadiens qui ont servi dans l’Armée canadienne. C’est mon cas personnel. En même temps, il ne reste plus beaucoup de combattants de la Seconde Guerre mondiale. Des vétérans de la période de la guerre froide ont aussi besoin de raconter leur histoire. Plus récemment, les combattants qui reviennent de l’Afghanistan devraient pouvoir s’exprimer, et on devrait préserver leur histoire pour la prospérité de nos concitoyens.

L’Agence du revenu du Canada a des exigences quelque peu exorbitantes en matière de production de rapports. J’appartiens aussi à un certain nombre d’autres organisations assujetties, en raison de leur rayonnement national, à la production de formulaires T3010 et autres. Les bénévoles et les salariés ne réagissent pas de la même façon. Le moment de la production de ces rapports peut peser aux bénévoles.

Je suis d’accord aussi avec M. McRae sur un certain nombre de points qu’il a soulevés. Il m’a aussi appris quelque chose, sur toute la notion d’organisme de bienfaisance dans le contexte canadien. J’ai lu beaucoup de textes qui nous sont parvenus par l’entremise de votre site web. Notre pays est assez progressiste, mais il y en a, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, dont nous devrions envisager d’imiter certaines mesures ou d’en tirer des leçons. Je ne suis pas spécialiste de ces organismes de bienfaisance. En même temps, je suis assez d’accord avec certaines des politiques et des marches à suivre les plus évoluées en matière de dons de charité.

Encore une fois, je tiens à vous remercier de votre invitation à venir témoigner. Je répondrai avec plaisir à vos observations et questions.

Le président : Merci, messieurs.

Monsieur Wan, votre contribution de bénévole dans ce secteur est extrêmement importante, indispensable même. Ne la sous-estimez pas.

Question pratique, où est situé votre musée?

M. Wan : Dans le quartier chinois de Vancouver. Le centre culturel chinois de Vancouver possède un immeuble dont nous sommes locataires. Nous occupons un vestibule et une petite pièce. Heureusement, depuis que je suis devenu président, il y a quelques années, nous croyons dans le musée. Ce qu’il présente ne doit pas être immuable, mais nous devons le renouveler régulièrement, pour maintenir l’intérêt. Pendant un certain nombre d’années, nous en avons modifié le thème et privilégié des renouvellements assez réguliers. Mais, ça prend du financement. Même si nos bénévoles sont très actifs et très passionnés, il faut aussi beaucoup d’effort et de fonds pour renouveler les expositions.

Notre exposition la plus récente a porté sur la collaboration des anciens combattants autochtones et de leurs homologues chinois. Vous ignorez peut-être cette histoire. Après la construction du chemin de fer transcanadien, beaucoup de travailleurs chinois se sont trouvés abandonnés sur place au Canada, malgré les promesses du Canadien Pacifique de les rapatrier. Beaucoup de communautés ont refusé d’accueillir ces célibataires. Mais, heureusement, pas les Premières Nations, parce que victimes elles aussi de la même sorte de discrimination. Alors, le long du chemin de fer, en Colombie-Britannique et dans une partie de la Prairie, beaucoup de Chinois ont reçu un assez bon accueil et ils ont travaillé avec les Autochtones. Il s’est célébré beaucoup de mariages mixtes. C’est une partie de l’histoire. Voilà des souvenirs à préserver dans le cadre de l’histoire de notre pays.

Ça ne s’arrête pas là. En 1941, le Canada a envoyé deux bataillons à la défense de Hong Kong, 2 000 hommes du Royal Canadian Regiment et des Winnipeg Grenadiers, qui finiront par être faits prisonniers de guerre. Nous avons reconstitué l’historique de ces Canadiens qui ont servi et donné leur vie là-bas.

Chaque année, nous essayons quelque chose de nouveau pour préserver notre héritage et notre histoire. Je suis désolé d’être intarissable sur le sujet.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie tous les deux d’être ici. J’ai deux questions distinctes, d’abord pour notre premier témoin, M. McRae.

Monsieur McRae, je vous connais depuis longtemps. Je tiens à vous féliciter. Vous êtes un fonctionnaire à la retraite, mais votre amour de ce dossier vous anime encore. Vous faites de la recherche de votre propre chef et vous produisez vous-même vos rapports. C’est un véritable don que vous nous faites d’être parmi nous aujourd’hui.

Éclairez-moi sur vos deux premières recommandations. Avons-nous le choix entre les deux ou devons-nous satisfaire aux deux? Je tenais aussi à vous questionner sur la définition d’« organisme de bienfaisance » et sur la marque qu’elle porte de son époque. Dans 20 ans, faudrait-il la changer? Peut-être est-il mieux d’y laisser subsister une certaine obscurité?

M. McRae : La première recommandation est un vœu. Les autres sont plus concrètes. J’ai longtemps travaillé avec le ministère des Finances. J’ai contribué à la création de nombreux programmes en transigeant avec lui. Notre souhait le plus cher n’était jamais exaucé, mais, plus tard, nous avons obtenu une partie des autres choses que nous voulions. La codification est une étape importante, qui serait durablement utile. Si ça ne marche pas, les autres recommandations aideraient à faire bouger les choses pour faire modifier la définition.

La sénatrice Omidvar : Pouvez-vous expliquer, en vos propres termes, dans quelle mesure la définition actuelle d’« organisme de bienfaisance » paralyse le travail? Par exemple, le soulagement de la pauvreté, c’est charitable, mais pas son éradication. Pouvez-vous nous aider à distinguer les deux?

M. McRae : Ça se fonderait sur un jugement selon lequel, essentiellement, l’élimination de la pauvreté risquait d’aider des personnes non pauvres. Voilà le dilemme à propos d’un avantage personnel fourni à des personnes à qui on fait la charité.

Dans mon temps, j’ai essayé d’obtenir pour des groupes d’Autochtones, des organisations féminines, des organisations vouées à la défense des droits de la personne, des organisations multiculturelles et des organisations ethniques le statut d’organismes de bienfaisance. En 1891, en Angleterre, les auteurs de l’arrêt Pemsel ne comprenaient pas le besoin de revendication des femmes. Quand j’étais fonctionnaire, les centres de femmes, au Canada, ne pouvaient pas obtenir ce statut s’ils se servaient des termes d’« advocacy » ou d’« advocate »(revendications, revendiquer). De concert avec un centre des femmes qui possède encore son statut d’organisme de bienfaisance, j’ai rédigé ses objectifs en supprimant toute allusion à la revendication, mais il a fait tout le reste qui lui permettait de parler des droits des femmes, y compris à la propriété, de divorce, de garde partagée des enfants — tout le bataclan. Je me suis abstenu d’employer le terme « revendication » qui, à l’époque, horripilait l’Agence du revenu du Canada. Il y a beaucoup d’autres exemples des entraves hérités des définitions imputables à l’affaire Pemsel.

La sénatrice Omidvar : Je poserai une question sur la revendication pendant la deuxième série de questions, mais tout d’abord, j’aimerais poser une question à M. Wan.

Je me représente votre musée de la façon dont vous l’avez décrit. C’est merveilleux. J’aimerais que vous me parliez un peu de vos finances. Vous avez parlé de subventions gouvernementales et de dons. Bon an, mal an, quel niveau de dons de bienfaisance recevez-vous des particuliers?

M. Wan : Nous avons eu la chance, au cours de la dernière année, d’avoir un ou deux grands bienfaiteurs. Nous sommes donc reconnaissants d’avoir reçu de 20 000 à 30 000 $ au cours des dernières années.

Nous avons également reçu des subventions du gouvernement en 2011 et 2012. Nous avons reçu du financement du groupe de Patrimoine canadien. Un fonds communautaire historique a été créé, et nous avons été en mesure d’obtenir de 50 000 à 60 000 $ cette année-là pour embaucher une personne qui nous a aidés à créer des expositions, et nous avons également pu utiliser cet argent pour être au Musée canadien de la guerre pendant une courte période.

La sénatrice Omidvar : Merci. Si vous recevez en moyenne, chaque année, 20 000 $ en dons de bienfaisance de particuliers, et que vous devez faire des pirouettes pour produire des rapports à cet égard, à votre avis, devrait-on modifier la loi pour qu’elle exige des périodes de rapports variables et un degré de détail différent selon les niveaux de contributions que vous recevez? Pourquoi un petit organisme comme le vôtre devrait-il franchir les mêmes étapes que la SickKids Foundation, qui reçoit des millions de dollars chaque année?

M. Wan : Exactement. Dans l’ensemble, nous ne sommes que de petits joueurs, mais nous avons également été chanceux. Les 20 000 à 30 000 $ que nous avons reçus proviennent seulement de donateurs individuels et de nos membres, et nous avons aussi obtenu un peu plus ces deux dernières années. Mais je suis tout à fait d’accord : les petits musées de bienfaisance ne devraient pas avoir à répondre aux mêmes exigences en matière de rapports que les organismes comme les fondations d’hôpitaux qui reçoivent 60 millions de dollars ou plus.

La sénatrice Omidvar : Merci. C’était ma question.

La sénatrice Martin : Je remercie les deux témoins, et je suis désolée d’avoir manqué la première partie de votre exposé, monsieur McRae.

Monsieur Wan, je suis heureuse de vous voir ici, à Ottawa. Cela tombe bien, car vous représentez une société unique au Canada et le jour du Souvenir et la Semaine des vétérans approchent à grands pas. En ce qui concerne la société, est-elle unique au Canada? Y a-t-il d’autres sociétés du même type? Votre mandat est très précis, comme vous l’avez expliqué. Cela limite-t-il votre accès au financement? J’aimerais comprendre si vous avez accès à des possibilités de financement ou si, avec un mandat aussi précis, c’est plus difficile.

M. Wan : Oui, c’est plus difficile, car nous nous concentrons surtout sur les anciens combattants et sur un certain groupe ethnique.

La majorité du financement du gouvernement provient d’Anciens Combattants Canada ou de Patrimoine canadien. Ce sont nos deux sources de financement principales. Parfois, les procédures sont plus coûteuses, et nous sommes en concurrence avec d’autres organismes d’anciens combattants. C’est le défi auquel nous faisons face.

La sénatrice Martin : Je connais personnellement le musée. À chaque visite, j’observe les changements qui se sont produits. Les bénévoles doivent travailler très fort. J’aimerais donc vous féliciter et féliciter votre équipe.

Le processus laborieux dont vous avez parlé est effectivement très complexe. Les représentants de nombreux organismes utilisent aussi le mot « complexe ». Pourriez-vous nous expliquer à quel point c’est dispendieux? Cela nous serait utile.

M. Wan : Cela dépend de la composition du conseil d’administration du musée. Si l’un de nos membres s’y connaît en finances, c’est plus facile. Mais nous devons répondre aux exigences en matière de rapports financiers chaque année, peu importe notre revenu. Cela représente un défi.

La sénatrice Martin : Monsieur McRae, vous avez dit qu’il y avait un parti pris inhérent au système, et vous avez mentionné quelques exemples. Y a-t-il d’autres exemples que vous n’avez pas encore abordés?

M. McRae : Mes recherches révèlent qu’au cours des dernières années, le nombre d’organismes de bienfaisance au Canada est demeuré le même. Depuis janvier, nous avons perdu environ 200 organismes de bienfaisance. Lorsque je menais ma carrière, le nombre d’organismes de bienfaisance augmentait chaque année. Je voulais donc éclaircir ce point.

L’ARC est plus restrictive dans son taux d’approbation des inscriptions. J’aime les chiffres, et je vous demande donc de m’accorder une minute. De 2002 à 2006, le taux d’approbation des organismes de bienfaisance s’élevait à 74,5 p. 100. De 2014 à 2017-2018, ce taux a changé pour descendre à 44,8 p. 100. Le taux a diminué d’environ 30 demandes par 100 demandes.

Les révocations ont augmenté, car un plus grand nombre d’organismes de bienfaisance ont perdu leur enregistrement. En effet, si un organisme ne remplit pas son formulaire T3010, il perd son enregistrement. Il est possible de le récupérer en payant une pénalité de 500 $, mais le taux de réinscription est à la baisse. J’ai mené une étude sur ce taux de 2002 à 2014, et il a diminué d’environ 10 p. 100. Il diminue de cette façon.

Je recense également les nouveaux organismes de bienfaisance. Dans l’ensemble, ces nouveaux organismes de bienfaisance ne sont pas aussi diversifiés que notre société canadienne. Je pense que c’est un problème. Cela n’a pas beaucoup changé depuis l’époque où je faisais ce travail.

La sénatrice Seidman : J’aimerais remercier les témoins de leurs exposés.

J’aimerais revenir à l’enjeu de la définition mentionné par la sénatrice Omidvar dans la première question qu’elle vous a posée. L’adoption d’une définition présente des avantages et des inconvénients. Un chercheur dirait que nous devons avoir une définition, car nous devons comprendre la notion pour pouvoir la mesurer. C’est ce que pourrait affirmer un chercheur en analyse quantitative. D’un autre côté, de nombreux autres — et certains législateurs — sont d’avis que la codification d’une notion peut entraîner des conséquences négatives, car cela peut restreindre sa portée et lui faire perdre sa pertinence avec le temps.

Monsieur McRae, à titre d’ancien chercheur, je comprends certainement votre désir d’adopter une définition, mais permettez-moi d’aborder la question du critère du bienfait d’intérêt public qui a été utilisé en plus des catégories déterminées dans la décision Pemsel que vous avez mentionnée et de vous demander si, selon vous, un critère du bienfait d’intérêt public est utile.

Selon mes notes, les organismes qui souhaitent s’enregistrer à titre d’organismes de bienfaisance auprès de l’ARC doivent veiller à ce que leurs ressources soient consacrées à des activités et à des fins de bienfaisance. Tout en tenant compte du fait qu’on ne précise pas vraiment la différence entre les activités et les fins, l’ARC définit les activités de bienfaisance comme étant ce que fait un organisme de bienfaisance au quotidien et au fil du temps.

Cela aide-t-il à comprendre ce que nous entendons par un organisme de bienfaisance comparativement à sa codification dans une définition?

M. McRae : Comme je suis un bureaucrate, je sais ce qui arrive lorsqu’un système s’ossifie et qu’il devient borné.

Dans le cadre d’un audit des activités politiques, l’un des organismes a reçu une lettre de 35 pages lui annonçant que ses activités n’étaient pas conformes et que 98,5 p. 100 de ses activités n’étaient pas conformes dans le cadre de l’audit des activités politiques. L’organisme en question avait un budget annuel de 400 000 $. Il ne pouvait pas embaucher un avocat. Essentiellement, l’ARC a tellement insisté sur les détails des activités de bienfaisance qu’elle n’a pas examiné ce que l’organisme faisait et si ses objectifs étaient atteints, et si ses objectifs étaient liés à la bienfaisance. Si 1,5 p. 100 de vos activités sont des activités de bienfaisance, selon moi, on parle d’acheter du café et des biscuits pendant l’année. Pour 400 000 $? C’est 6 000 $?

Le problème avec l’organisme de réglementation, c’est qu’il continue de réinterpréter certains éléments comme le bienfait d’intérêt public. Selon moi, la façon de contourner les bienfaits publics, c’est de conclure des ententes de représentation, afin que les organismes de bienfaisance puissent financer des organismes non caritatifs. M. Miller — je ne me souviens pas de son prénom — a parlé de l’héritage philanthropique qu’avaient des organismes pour les peuples autochtones qu’ils tentaient d’aider. Ils ne peuvent pas les aider si les organismes ne sont pas des organismes de bienfaisance. Par contre, si l’ARC commence à conclure des ententes qui leur permettent de financer ces organismes, on pourra peut-être le faire même si ce ne sont pas des organismes de bienfaisance.

Je pense que si l’ARC ne les considère pas comme étant des organismes de bienfaisance, c’est notamment en raison de la perception d’un avantage personnel, mais dans un pays comme le Canada, nous ne pouvons pas considérer la philanthropie comme étant une seule chose. En effet, la philanthropie est répartie le long d’un spectre. La première chose que veulent faire les nouveaux arrivants au Canada, c’est subvenir aux besoins de leur famille. Ensuite, ils veulent subvenir aux besoins de leur clan, pour utiliser une notion écossaise. La première chose qu’un Écossais des Highlands veut faire, c’est aider les autres Écossais des Highlands, ensuite aider l’Écosse et ensuite — je suis désolé, mais l’Angleterre n’est pas sur cette liste. La philanthropie est répartie le long d’un spectre, et les gens évoluent dans ce spectre. Mes recherches, lorsque je travaillais à Patrimoine canadien, ont révélé que les organismes ethnospécifiques commencent leurs efforts philanthropiques à l’échelon local et dans leur famille et les étendent ensuite à plus grande échelle, mais cela prend du temps. Ils ont besoin de notre aide pour arriver au niveau à grande échelle où la perception d’un avantage personnel disparaît. Si nous pouvions éliminer les ententes de représentation restrictives, ce serait un début, mais nous devons tenter d’élargir la définition, afin que certaines de ces personnes ne soient pas considérées comme étant à l’extérieur.

La sénatrice Seidman : Monsieur Wan, je vous ai vu hocher la tête, et je vais donc vous demander si vous avez quelque chose à ajouter.

M. Wan : Je crois que M. McRae a parfaitement raison. Le musée est établi depuis 20 ans, et nous sommes en quelque sorte un organisme mature. Au début, nous nous concentrions sur les anciens combattants canadiens d’origine chinoise. Comme je l’ai mentionné, nous avons élargi notre portée pour inclure d’autres activités des anciens combattants, par exemple la bataille de Hong Kong. Les soldats canadiens sont allés à l’étranger pour apporter leur aide. Nous parlons des anciens combattants autochtones. À mesure qu’un organisme se développe et acquiert ce fondement, on peut l’élargir pour englober tous les Canadiens.

Le président : Je remarque que l’une de nos recherchistes est Écossaise, et je lui ai demandé si elle s’attribuait le mérite de votre discours d’aujourd’hui, monsieur McRae.

Le sénateur R. Black : J’ai une question pour M. McRae. En tenant compte de la définition actuelle et des quatre catégories de bienfaisance, si la définition était remaniée, mise à jour, adaptée au XXIe siècle et codifiée, à votre avis, combien de points ou d’occasions supplémentaires pourrait-il exister? Y aurait-il un ou deux points ou 25 ou 50 points supplémentaires ou un chiffre entre les deux? Est-ce que ce serait compliqué ou pensez-vous plutôt que l’ajout de deux ou trois autres pourrait régler le problème?

M. McRae : Tout d’abord, il faut tenir compte de ce qui s’est produit dans d’autres pays dans lesquels on s’est penché sur cette question. Catherine Chan a dit que l’Angleterre et le pays de Galles avaient fait cela pour leur commission de bienfaisance et qu’il avait fallu beaucoup de temps et que c’était comme donner naissance à des éléphants. Il y a eu beaucoup de bruit et de trépignement, mais on est finalement arrivé à quelque chose qui plaisait à tout le monde.

Je ne peux pas vous donner une réponse. Il y a certainement de nombreuses choses auxquelles l’affaire Pemsel n’a jamais pensé. Pour être direct, il y a 20 ans, les enjeux liés aux personnes LBGT et à la bispiritualité m’étaient inconnus. Les choses changent, et je crois que la définition doit évoluer pour refléter certains de ces changements. Il n’y a pas de réponse magique pour le nombre approprié.

Pour vous donner un autre exemple qui explique pourquoi, selon moi, il y a des problèmes, la majorité des organismes de bienfaisance créés l’an dernier, donc 441 organismes sur 1 400, étaient des organismes d’aide sociale. Il y a de 70 à 80 catégories d’organismes de bienfaisance. Les catégories liées à l’aide sociale sont les sociétés de bienfaisance à des fins d’aide sociale, les fiducies de bienfaisance à des fins d’aide sociale, les organismes d’aide sociale non classés ailleurs, les fonds de secours à des fins d’aide sociale et les organismes d’aide sociale qui fournissent des soins autres que des traitements. Dans le domaine à plus forte croissance, nous avons cinq catégories qui ne nous apprennent essentiellement rien sur ce que font les organismes — sauf en ce qui concerne le fonds de secours.

L’une des catégories vise les associations de tempérance. Nous avons une catégorie sur les fonds des unités militaires. Ce sont des catégories autonomes. Je ne dis pas qu’elles ne devraient pas exister, mais je dis que nous devons apporter des changements et que de nombreuses choses ont besoin de modifications.

Le sénateur R. Black : Monsieur Wan, j’ai hâte de visiter votre musée, car je le visiterai certainement. Combien de bénévoles avez-vous?

M. Wan : Nous avons un conseil d’administration composé de 11 personnes très compétentes, passionnées et professionnelles. Nous formons le groupe de travail. La société du musée compte environ 140 membres, et la plupart d’entre eux sont assez actifs.

Le sénateur R. Black : Ce nombre est-il à la hausse, à la baisse ou stable?

M. Wan : Il est stable, mais nous tentons de favoriser la croissance. Il n’a pas beaucoup augmenté. Nous n’avons pas beaucoup de ressources pour la promotion.

Le sénateur R. Black : Merci.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Wan, permettez-moi de vous féliciter d’avoir gardé vivant un pan dans notre histoire canadienne. Bravo!Je pense que c’est très important pour notre nation de se souvenir de ceux qui l’ont bâtie et qui ont participé à sa construction.

Le ministère du Revenu du Canada devrait peut-être faire la distinction entre deux types de bénévolat : le bénévolat corporatif, qui implique les grandes fondations dans les universités, les hôpitaux et les collèges, et les petites fondations qui n’ont pas de grands moyens financiers. Vous n’êtes pas le seul dans ce cas-ci. On en connaît beaucoup. Des témoins de certaines fondations ont comparu devant notre comité. Est-ce que cela vous permettrait de garder vivants vos objectifs que d’avoir des conditions différentes de celles des grandes fondations?

[Traduction]

M. Wan : Je vous remercie de vos commentaires, sénateur. Un meilleur accès à du financement plus important nous aiderait certainement dans notre projet d’agrandissement, car nous sommes un petit musée. Je crois que c’est très important. En même temps, il faudrait que le gouvernement ou d’autres organismes déploient certains efforts pour que nous puissions avoir accès à ce financement.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je crois que l’un des objectifs de notre comité, qui est présidé par le sénateur Mercer, c’est de rendre viables les petits organismes qui n’ont pas les moyens de faire appel de façon permanente à des avocats ou à des comptables agréés.

Monsieur McRae, dans le cadre de vos recherches, quelles sont les revendications que vous avez vues le plus souvent en ce qui concerne les petits organismes comme celui de M. Wan?

[Traduction]

M. McRae : Je pense que M. Wan a essentiellement décrit un grand nombre des défis auxquels font face les organismes. Il faut beaucoup de travail pour mener ce type de recherches et tenter de documenter les événements et la vie des gens qui ont aidé à défendre le Canada et ses libertés. C’est une œuvre d’amour.

Au début de mon emploi, j’ai travaillé avec un programme d’emploi d’été pour les jeunes. Nous embauchions des jeunes pour les musées. Nous avons embauché des jeunes pour mener des sondages en boule de neige sur l’histoire des Canadiens d’origine chinoise à Saskatoon, par exemple. Cela permettait à un étudiant de l’Université de la Saskatchewan de travailler pendant 14 semaines dans son domaine. Cela aidait également l’organisme et la communauté culturelle chinoise de Saskatoon. Ce genre d’initiative ne permet pas seulement à l’organisme de créer du nouveau matériel pour son musée, mais également à enrichir le Canada par la diffusion de ce matériel.

Il y a de nombreux défis. Je crois certainement que l’Agence du revenu du Canada devrait au moins prévoir une déclaration publique de renseignements à deux niveaux pour les petits organismes. Je crois qu’il devrait exister des demandes à deux niveaux.

Lorsque j’ai commencé à travailler, nous avions ce que nous appelions les subventions et les contributions. Les subventions étaient des paiements de transfert inconditionnels. Ils étaient peu élevés, mais inconditionnels. À l’époque, le gouvernement versait ces fonds à des organismes pour qu’ils puissent mener leurs projets à terme. Si l’organisme utilisait l’argent d’une façon non prévue, ces fonds étaient inconditionnels et on ne pouvait donc rien faire à cet égard. Le ministère dans lequel je travaillais connaissait les organismes visés. Ces organismes ne gaspillaient pas l’argent versé. En effet, ils tentaient, au mieux de leurs compétences, de mener à bien leurs projets. Cela représentait très peu d’argent dans l’ensemble du budget du gouvernement fédéral, mais c’était des fonds qui aidaient ces organismes à prospérer, à croître et à réaliser des projets qui touchaient d’autres Canadiens.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je ne sais pas quelle serait la réaction du ministère du Revenu si une fondation demandait au gouvernement de diminuer la paperasse et de sauver des arbres. Il y a beaucoup de paperasse à remplir lorsqu’il est question du bénévolat. Ça coûte une fortune en avocats et en comptables. En simplifiant la formule, ça nous permettrait de sauver des arbres au Canada. David Suzuki serait content.

Le président : Merci beaucoup, sénateur Maltais.

[Traduction]

Je suis toujours étonné par la façon dont le gouvernement peut compliquer les choses les plus simples. La définition de la revendication me rend perplexe même si j’ai travaillé dans ce secteur pendant toute ma vie active. Prenons l’exemple d’un organisme de bienfaisance national — qui restera anonyme — qui souhaite s’attaquer à la cause de la maladie sur laquelle il travaille et qui veut veiller à ce que cela devienne un enjeu prioritaire, car cette maladie est la principale cause d’hospitalisation des Canadiens, la principale cause d’amputation et de cécité chez les adultes et deux ou trois autres raisons. Pour obtenir ces fonds, oui, cet organisme organise des collectes de fonds et embauche des professionnels pour l’aider à y parvenir, mais pour être en mesure de réaliser des progrès importants, il doit avoir l’aide du gouvernement. Cet organisme expose donc le problème au gouvernement et lui dit qu’il fait sa part, mais qu’il a besoin d’une aide financière ou de certains programmes gouvernementaux pour l’aider à progresser.

Monsieur McRae, je ne comprends pas que les gouvernements ou organismes puissent affirmer qu’il s’agit de revendications ou de défense des droits, alors que les organismes de bienfaisance et leurs membres ne font que s’échiner pour interpeller le gouvernement et le sommer de consacrer une partie de ses ressources à de graves problèmes qui touchent les Canadiens.

M. McRae : J’étais là en 1983-1984-1985, quand la modification sur les activités politiques a été proposée. Je représentais l’un des ministères fédéraux. Il y avait des représentants de plusieurs organismes de bienfaisance qui étaient là aussi. Il y avait des gens de l’ARC et des Finances. La Société canadienne du cancer était en pleine campagne antitabac, et on lui a dit que ses revendications l’excluaient. Les gens de la Société canadienne du cancer, à l’époque, ont répondu: « Tant pis. Nous poursuivrons cette campagne. Nous considérons qu’il s’agit d’éducation. » Ce ne sont pas des revendications. C’est de l’éducation à l’intention des Canadiens. Pour obtenir la reconnaissance à titre d’organismes de bienfaisance pour les centres des femmes, j’ai utilisé des mots comme éducation, information de la population sur les droits liés aux biens matrimoniaux ou d’autres mots du genre. À entendre tous les rapports sur le nombre d’années qu’il nous reste avant d’atteindre le fameux point de rupture de la hausse des températures, nous devons agir, et pour agir, nous devons revendiquer des choses, défendre des droits. Il faut parler de ce qui se passe et essayer de proposer des solutions. Il faut être revendicateur. Je pense que la modification sur les activités politiques est appelée à changer. Je ne sais pas si elle changera assez pour permettre tout ce qui est nécessaire sur des enjeux comme le changement climatique.

Le président : Merci, monsieur Wan.

M. Wan : Je suis d’accord avec ces observations. Je pense que dans notre fonction publique, si vous me permettez d’utiliser ce terme pour désigner les bureaucrates, il y a une culture d’aversion du risque, et les gens ont peur de faire des choses qui pourraient causer du tort au gouvernement ou je ne sais trop quoi. Je pense que les bureaucrates devraient parfois savoir laisser leur aversion du risque de côté et en donner un peu plus pour voir ce qui peut se passer. Comme M. McRae, je pense que la recherche et tout le reste profiteront à l’ensemble des Canadiens à long terme.

Le sénateur Duffy : Je vous remercie tous deux d’être ici. C’est fascinant. J’encourage tous ceux qui nous regardent à aller visiter le musée de M. Wan en ligne. J’y ai jeté un coup d’œil. Les histoires que vous y racontez sont incroyables, elles parlent de Canadiens extraordinaires, comme Douglas Jung, qui a été un héros de guerre et un espion. On peut y lire des histoires phénoménales sur la construction de notre pays, et tous les Canadiens, pas seulement ceux d’origine chinoise, devraient entendre parler de ces personnes extraordinaires.

J’insiste ici sur une chose, et il arrive que mes collègues du comité rient de moi en disant que je veux plus de bureaucratie. Je crois que nous avons besoin d’un défenseur, peut-être d’un ministre ou d’un ministre d’État, qui participerait à des rencontres comme celles auxquelles vous avez participé, monsieur McRae, pour réclamer la fin de cette aversion du risque. Que pensez-vous de cette idée?

M. McRae : J’ai commencé ma carrière en Saskatchewan le 2 janvier 1979. J’ai déménagé à Ottawa en 1983. La première réunion à laquelle j’ai participé réunissait des représentants d’un groupe de ministères fédéraux sommés de répondre au rapport sur les gens d’action qui avait été publié en 1978. C’était un rapport de premier plan publié par le Conseil consultatif canadien de l’action volontaire. L’essentiel de ses recommandations concernait les relations entre le gouvernement fédéral et les organismes de bienfaisance bénévoles. Il n’y avait pas de mécanisme officiel à l’époque, seulement un groupe de représentants de divers ministères qui se réunissaient pour essayer de faire avancer les choses. Bien que ce rapport ait été publié à la fin de 1978, en 1983, il était déjà mort. La première réunion à laquelle j’ai participé a été la dernière de cette organisation.

Sous la gouverne de Brian Mulroney, Walter McLean a été nommé secrétaire d’État à l’action volontaire. Là encore, c’était la première fois qu’un gouvernement fédéral créait cette fonction. C’était un ministre très investi de sa fonction, mais il chapeautait un secrétariat d’État. Il n’était pas aux Finances. Il n’était pas à l’ARC. Il n’était pas au BCP. L’histoire s’est donc répétée. Après quelques rencontres, la source s’est tarie.

Il y a ensuite eu l’Initiative sur le secteur bénévole et son groupe de référence ministériel. La même chose s’est produite. Pendant les beaux jours de l’Initiative sur le secteur bénévole, il y a eu du mouvement sur certains enjeux, mais pas sur la définition d’organisme de bienfaisance, ni sur la définition des revendications ou des activités de défense des droits des organismes de bienfaisance donc il y a encore beaucoup de choses qui étaient laissées de côté. Des ministres importants ont participé à ces travaux, mais on est passé à autre chose.

Je ne vois pas un seul ministère fédéral actuellement qui aurait la capacité stratégique de le faire, mais je pense qu’il serait intéressant de créer un organisme de service spécial inspiré du bureau du directeur parlementaire du budget, qui relèverait directement du BCP et se consacrerait au secteur bénévole. Il se composerait d’un personnel restreint de sept ou huit personnes, qui se pencherait sur les enjeux horizontaux au gouvernement fédéral et qui examinerait notamment la définition d’organisme de bienfaisance aux Finances, à l’ARC, et cetera. Ce serait ma recommandation.

Le sénateur Duffy : Permettez-moi de dire une chose à ce propos, parce que je l’ai mentionnée à notre première ou deuxième réunion à ce sujet. Un OSS, c’est-à-dire un organisme de service spécial, serait là pour défendre des intérêts et non pour exercer une surveillance, déterminer si tel ou tel organisme de bienfaisance a dépensé 6 000 $ en tant d’années en cafés ou je ne sais quoi d’autre et écrire une lettre de 35 pages pour le dénoncer. Si les Canadiens étaient au courant, en général, je pense qu’ils seraient outrés. Ce dont nous avons besoin, et je vous remercie de votre témoignage, c’est d’un OSS dont le mandat serait de repousser les limites pour que nous puissions répondre aux besoins.

Je rappelle, et tous les membres du comité le savent, parce que nous l’avons entendu dans les témoignages, que le nombre de donateurs diminue, tandis que la demande pour les divers services augmente. Nous ne pouvons plus éviter la question. C’est mon opinion, et je pense que vous nous présentez tous deux un témoignage important qui nous aidera en ce sens. Merci.

Le président : On peut se demander combien de personnes continueraient de mourir du diabète dans le monde si les gens de Banting and Best avaient eu peur du risque. Il faut parfois prendre des risques pour réussir, et cet organisme a pris un risque. Il y a peut-être quelqu’un, quelque part, aujourd’hui, qui serait prêt à prendre la chance de trouver un traitement contre le cancer et qui pourrait réussir. C’est incroyable.

La sénatrice Omidvar : Monsieur McRae, je reviens à la deuxième partie de ma question sur les fins et les activités de bienfaisance. Je commencerai par vous raconter une anecdote. En 2003, j’ai créé un organisme à but non lucratif dont le mandat était d’aider les immigrants qualifiés, ceux qui avaient des qualifications et des diplômes, à trouver un emploi dans leur domaine de compétence, quelque part dans l’échelle des professions, plutôt que de conduire des taxis, s’ils sont ingénieurs, par exemple. Vous connaissez ce genre d’histoire. Cet organisme a connu énormément de succès. C’était un organisme à but non lucratif et en 2009, nous avons demandé le statut d’organisme de bienfaisance. Des agents de l’ARC nous ont dit qu’ils nous refusaient ce statut, parce qu’ils avaient décortiqué nos activités et remarqué que nous avions passé du temps avec des employeurs du pays, afin d’essayer de les persuader de changer leurs pratiques d’embauche. C’est la question des fins par opposition aux activités. C’est la raison pour laquelle ils nous ont refusé le statut d’organisme de bienfaisance. Lors d’une rencontre, j’ai réussi à leur faire changer d’idée, de sorte que non seulement cette organisation est aujourd’hui établie à Toronto, mais il y a un réseau d’organismes de bienfaisance similaires un peu partout au pays. Si nous avions dû traîner l’ARC devant les tribunaux, comment l’analyse de nos activités par rapport à nos fins aurait-elle influencé le jugement de la cour? Vous affirmez dans votre mémoire que cela a une influence sur le jugement des magistrats.

M. McRae : Selon mon interprétation, ils tombent dans le même piège en déterminant qu’ils doivent distinguer les différentes catégories d’activités d’une organisation, si je puis dire. Les juges suivent chaque petit tentacule pour déterminer si une activité de bienfaisance répond vraiment à un besoin caritatif ou si elle mène à une chose qui pourrait être considérée non-caritative ou procurer un avantage personnel.

La sénatrice Omidvar : Je suis déchirée, parce que quand je vous raconte cette histoire, je me rappelle à quel point j’étais fâchée. Tout est bien qui finit bien, parce que j’ai réussi à leur faire changer d’avis, mais comment l’ARC détermine-t-elle si des fonds octroyés pour des activités de bienfaisance sont véritablement dépensés à des fins de bienfaisance? Quelle est l’alternative? Pouvez-vous nous expliquer cela?

M. McRae : D’après ce que je comprends de la proposition de modification sur les activités politiques, tout dépend de ce qu’elle examinera, outre l’activité elle-même. Avec les Finances, l’ARC a déjà décidé qu’elle peut procéder ainsi pour les activités politiques.

La sénatrice Omidvar : Comme la question de la défense des droits dépendra de la décision du gouvernement fédéral...

M. McRae : La majorité des cas dépendra de cette décision, en effet, mais probablement pas tous, selon moi.

La sénatrice Omidvar : Croyez-vous tout de même que nous avons besoin de redéfinir les organismes de bienfaisance étant donné que la plupart d’entre eux...

M. McRae : Oui. Il n’y a pas que la question de la défense des droits. Comme je le disais, les divers organismes avec lesquels j’ai travaillé offrent des programmes pour les femmes, les femmes autochtones, les centres d’amitié autochtones, toutes sortes de choses. Ce sont eux qui essaient d’aider les personnes en marge de la société, et dans la grande majorité des cas, j’ai constaté qu’ils ne se limitaient pas à aider les usagers d’un centre d’amitié autochtone, ils accueillaient tout le monde.

Nous devons trouver des moyens d’inclure ces personnes. Le Canada est un pays accueillant, mais nous nous rendons toujours compte, avec les yézidis, qu’il y a des peuples dont les membres ne sont pas nombreux au Canada. On peut penser aux Népalais. Nous accueillons de plus en plus de gens de toutes sortes d’horizons, et nous devons essayer de leur dire que nous apprécions ce qu’ils font pour leur communauté, mais que ce faisant, nous apprécions ce qu’ils font pour le Canada.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Monsieur Wan, j’aimerais reparler de votre argent, parce que je suis inquiète. Vous faites un travail formidable. Vous serait-il utile que le gouvernement du Canada ait un site pangouvernemental qui présente la liste de tous les programmes de subventions et contributions, qui serait revue et mise à jour tous les trimestres?

M. Wan : Ce serait fantastique pour les petits musées comme le nôtre que d’avoir accès à un guichet unique où trouver la liste de toutes les subventions et demandes possibles, en effet.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Le président : Je vous remercie tous les deux, messieurs, de vos témoignages de ce soir. Comme vous pouvez le constater, d’après les questions, ils ont suscité beaucoup d’intérêt. Ce qui m’impressionne, avec nos collègues et nos témoins, c’est qu’il n’y a pas qu’un fil de discussion dans nos réunions. Beaucoup de nouvelles idées ont été soulevées ce soir. Nous souhaitons vous en remercier.

M. Wan : Monsieur le président, je vous entends beaucoup dire que vous appréciez les musées. Permettez-moi de vous inviter toutes et tous à venir nous visiter quand vous en aurez l’occasion. Vous serez toujours les bienvenus.

Le président : À tous ceux qui suivent nos délibérations ce soir, si vous vous trouvez à Vancouver, allez faire un tour à ce musée. On sera ravis de vous y accueillir.

Sur ce, nous souhaitons la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins, qui comprend Adam Parachin, professeur agrégé à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York, et Peter Broder, directeur général de la Pemsel Case Foundation.

Je vous remercie tous deux d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes maintenant prêts à vous entendre. Je vous rappelle que vous avez de cinq à sept minutes pour vos exposés, après quoi nous vous poserons quelques questions. Je rappelle encore une fois à mes collègues d’être brefs dans leurs questions, comme je vous rappelle d’être concis dans vos réponses pour que nous puissions aborder le plus de questions possible.

Adam Parachin, professeur agrégé, Osgoode Hall Law School, Université York, à titre personnel : Merci infiniment. Normalement, je disserte sur ce genre de sujet pendant des périodes qui se mesurent en heures et non en minutes, mais je ferai de mon mieux pour faire valoir mes arguments de façon succincte et laisser du temps pour les questions.

Comme on l’a dit, pour vous mettre en contexte, je suis un professeur de droit qui se spécialise dans le droit régissant les organismes de bienfaisance. Je travaille actuellement à Osgoode Hall, mais j’ai auparavant passé 14 ans à faire de la recherche et à enseigner dans ce domaine du droit à la faculté de droit de l’Université Western. J’ai écrit beaucoup sur la défense d’intérêts politiques aussi, donc si vous avez des questions, cela fait partie de mes domaines d’intérêt et de compétence.

Si je peux vous être d’une quelconque valeur, je vous propose une analyse rigoureuse et impartiale des régimes juridiques afin d’essayer d’en cerner les failles.

En guise d’observation générale, je vous décrirais le régime actuel comme un statu quo confortable, qui comporte quelques failles. Aucun examen d’un régime de droit n’a jamais permis de conclure à une parfaite cohérence. Il faut plutôt se demander s’il comporte des défauts majeurs ou s’il y a des problèmes qu’on peut régler en périphérie.

Permettez-moi de clarifier une chose tout de suite : je ne suis pas un grand féru de la codification. Je pense qu’un peu partout dans le monde, la codification a des résultats mitigés parce que même les pays très enclins à la codification demeurent profondément attachés à la common law.

Je tiens à porter à votre attention un incident relevé lors de recherches historiques que j’ai menées récemment. Le régime qu’on trouve actuellement dans la Loi de l’impôt sur le revenu pour régir les organismes de bienfaisance remonte à 1930. Pour vous donner une idée de ce à quoi vous vous exposez si vous décidez de privilégier la codification, l’une des questions qui a soulevé les plus vifs débats dans la foulée des réformes de l’impôt sur le revenu, en 1930, était justement celle-là. La proposition initiale consistait à établir une liste détaillée des dons déductibles d’impôt dont pourrait se prévaloir une courte liste d’églises, d’universités, de collèges, d’écoles et d’hôpitaux. Cela a suscité de la controverse parce qu’on jugeait cette liste trop détaillée, et après plusieurs journées de débat, les législateurs ont délibérément décidé de s’en tenir à la common law.

Voici ce qu’a dit R.B. Bennett, qui siégeait au sein de l’opposition à l’époque, à l’égard du fondement de cette décision : « ... toutes les sortes de bénévolat qu’un citoyen du Canada pourrait désirer effectuer... » sont incluses ici. Il poursuivait en disant qu’ils avaient délibérément décidé d’adopter une résolution assez vaste pour qu’« il n’y ait aucun domaine d’activité humaine auquel il [il, renvoyant au citoyen] souhaite s’adonner qui ne lui soit pas accessible... »

Le concept se voulait intentionnellement très vaste, ouvert et souple, soit tout le contraire d’une liste fermée. Je pense qu’il y a là une très grande force, à tout le moins en principe.

Où sont, toutefois, les lignes de faille? Permettez-moi de vous en toucher quelques mots. L’une des difficultés, dans ce domaine du droit, bien franchement, c’est qu’il n’y a pas assez de jurisprudence. Quand on décide sciemment de faire de la common law le cadre de référence, il faut de la jurisprudence pour que le droit puisse avancer, s’adapter et évoluer. La common law n’évolue pas en l’absence de jugements. Or il y a trop peu de jugements à cet égard. Les quelques poursuites intentées — peut-être parce que ce ne sont pas toujours les affaires les mieux appuyées, mais peut-être aussi pour d’autres raisons systémiques auxquelles nous voudrons être attentifs — se soldent dans la très grande majorité des cas par une décision a l’encontre des organismes de bienfaisance. Cela vaut la peine d’être souligné.

Cela signifie, d’un point de vue plus général, que l’ARC est trop laissée à elle-même pour légiférer en douce, sans une intervention législative utile et sans fondement appuyé sur la jurisprudence. Non seulement cela crée-t-il des problèmes administratifs concrets à l’ARC, mais cela soulève des questions de primauté du droit relativement à la source des réformes qui s’opèrent et à l’avancement de ce domaine du droit. Ces réformes devraient-elles vraiment émaner de l’ARC ou l’ARC bénéficierait-elle d’une plus grande aide judiciaire? Nous pourrons en discuter.

La deuxième ligne de faille que je vois, c’est que nous ne comprenons toujours pas comment, quand et pourquoi intervenir sur le plan législatif en complément de la common law. Il est ironique de préconiser une définition codifiée. Quand je prends un peu de recul et analyse le statu quo de manière impartiale, je vois nos rares interventions législatives comme l’une des principales sources de problèmes.

Je peux vous en donner quelques exemples simples. L’une des sources du problème lié aux activités politiques, c’est les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui étaient bien intentionnées et devaient permettre de s’adonner à des activités politiques, mais qui ont été mal rédigées. Les difficultés viennent donc surtout d’interventions dans la Loi de l’impôt sur le revenu.

On peut aussi formuler la chose ainsi : certains s’interrogeaient un peu plus tôt sur la synergie entre les activités de bienfaisance et les fins de bienfaisance, la question étant : « Pourquoi mettre autant l’accent sur les activités elles-mêmes? Je croyais que la common law accordait plutôt préséance aux fins. » Vous avez tout à fait raison. En common law, on s’interroge d’abord sur les fins, mais cette fixation sur les activités vient de la Loi de l’impôt sur le revenu, parce qu’il a été décidé il y a longtemps, pour le meilleur ou pour le pire, qu’il devait y avoir deux catégories d’organismes de bienfaisance : les œuvres de bienfaisance et les fondations de bienfaisance. Je pense que l’idée était qu’il y a ceux qui mènent les activités et ceux qui les financent. Toutefois, l’expression de tout cela dans la loi, c’est que ceux qui mènent ces activités, soit les œuvres de bienfaisance, sont définis dans la loi comme des organisations dont toutes les ressources sont consacrées à des activités de bienfaisance. Dès lors, la porte était ouverte pour que les tribunaux et l’ARC fassent une fixation sur les activités, souvent au détriment des fins. C’est le genre de situation, en droit, où l’on voit une petite ligne de faille avoir d’énormes conséquences néfastes, parce que l’analyse prend souvent une mauvaise tangente, qu’on se pose les mauvaises questions, de sorte que les gens et les analystes obsèdent sur les activités et perdent de vue ce dont nous devrions nous soucier le plus, c’est-à-dire les fins en soi.

Ce ne sont là que quelques éléments afin de décrire le problème tel que je le vois. Je veux surtout dire que l’un des problèmes types que j’ai décrit vient de vaines tentatives d’intervenir sur le plan législatif ou de codifier les règles régissant les organismes de bienfaisance d’une manière ou d’une autre. C’est, dans une certaine mesure, ce qui me porte à être sceptique quant à la question de savoir si c’est vraiment la meilleure option. Je nous laisserai un peu de temps pour les questions et sur ce, je cède la parole à mon homologue, qui articulera peut-être le même genre d’idée.

Peter Broder, directeur général, The Pemsel Case Foundation : Je vous remercie, sénateurs Mercer et Omidvar. Bonsoir à tous les sénateurs. Je vous remercie d’avoir invité la Pemsel Case Foundation à comparaître devant votre comité.

L’affaire Pemsel a été mentionnée un peu plus tôt par des membres du groupe précédent, et évidemment, notre fondation tire son nom de la décision rendue en 1891 par la Chambre des lords anglaise. Ce jugement a établi, au Canada et ailleurs, les quatre catégories de fins de bienfaisance dans le cadre juridique actuel. Ses conclusions demeurent, même dans les pays où la définition d’organisme de bienfaisance est inscrite dans la loi, une pierre de touche de ce domaine du droit. Cette affaire occupe une place centrale dans les arguments que nous souhaitons faire valoir ce soir.

Cette décision ne nous a pas vraiment fourni de définition, mais plutôt une méthode afin de déterminer en quoi consistent des fins de bienfaisance. À l’heure actuelle, comme mon collègue témoin l’a mentionné, cette méthode n’est pas utilisée adéquatement au Canada.

Cela nous pousse à formuler les recommandations suivantes : recourir à la common law et non à une définition statutaire; modifier la procédure d’appel afin d’autoriser des appels à la Cour de l’impôt sur les décisions d’enregistrement ou de révocation de l’ARC; envisager d’utiliser la catégorie « donateur reconnu » s’il est nécessaire d’accorder un statut d’impôt spécial à une entité quin’est pas un organisme de bienfaisance selon la common law; enfin, effectuer un examen régulier des dispositions statutaires de la Loi de l’impôt sur le revenu sur les organismes de bienfaisance.

La définition d’organisme de bienfaisance est un enjeu crucial sur lequel on s’est penché aussi bien au Canada qu’ailleurs dans le monde au fil des ans. La fondation s’est intéressée aux approches adoptées par différents gouvernements. À nos yeux, il est essentiel de bien faire les choses à l’égard de cet aspect du droit régissant les organismes de bienfaisance si l’on veut favoriser le maintien au Canada d’un environnement propice aux dons et au bénévolat.

La fondation a comparé le recours à une définition statutaire à l’utilisation de la common law. Selon nous, la common law est l’option à privilégier. Elle laisse aux tribunaux le soin de décider quels sont les organismes de bienfaisance admissibles. Nous avons donc besoin des processus judiciaires et administratifs nécessaires pour permettre au concept de bienfaisance d’évoluer parallèlement aux normes et aux valeurs sociétales. Nous pouvons nous appuyer à cette fin sur des décennies de décisions rendues par des tribunaux du Canada et d’autres pays du Commonwealth.

Il n’est pas souhaitable d’adopter un modèle législatif qui risque d’être politisé et de faire l’objet de modifications lorsque le gouvernement change. C’est une formule à éviter aussi bien parce qu’elle serait difficile à administrer que du fait que l’incertitude réglementaire ainsi créée pourrait miner l’efficacité des organisations. Parmi les autres facteurs à considérer, notons le manque de continuité, les perturbations et les frais liés aux procédures judiciaires qui vont sans doute résulter d’une refonte majeure du régime législatif s’appliquant aux organismes de bienfaisance enregistrés.

Nous avons relevé quatre autres problèmes que peut poser une définition statutaire. Premièrement, la société évolue et le concept de bienfaisance doit suivre cette évolution. Deuxièmement, les législateurs, surtout au Canada, n’accordent pas souvent d’attention au secteur de la bienfaisance si bien qu’une définition statutaire risquerait d’être négligée et de devenir désuète. Troisièmement, les organismes de bienfaisance sont extrêmement diversifiés, et les tribunaux sont mieux outillés pour déterminer quelles initiatives sont de l’ordre de la bienfaisance, alors que les gouvernements se concentrent plutôt sur les enjeux de portée plus générale. Quatrièmement, la diversité du secteur de la bienfaisance et sa nature même sont en péril si les gouvernements réagissent aux enjeux du moment en redéfinissant le concept de bienfaisance.

Lorsqu’une législature adopte une nouvelle loi en matière de bienfaisance, elle se contente généralement de reformuler la loi existante en y apportant des changements mineurs. Ce format de loi a pour but de reproduire la common law, et, à condition qu’il n’y ait pas contradiction avec les dispositions statutaires, l’ancienne common law reste pertinente. C’est la démarche qui a été retenue au Royaume-Uni, en Irlande, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En Angleterre et au pays de Galles, où la loi établit un certain nombre de catégories additionnelles, certains font valoir que les décisions rendues par la Charity Commission avant même l’adoption de cette loi avaient d’ores et déjà établi la validité de la plupart ou de la totalité de ces fins de bienfaisance. Cela montre bien à quel point il peut être difficile de dissocier une loi des éléments qui la rattachent à la common law dont elle tire son origine.

La situation est différente au Canada. En vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’autorité fiscale joue un rôle prépondérant en matière réglementaire en se fondant sur la common law pour déterminer ce qui peut avoir un caractère de bienfaisance. C’est une réalité que l’on doit garder à l’esprit dans toute analyse comparative entre une définition statutaire et le recours à la common law pour le Canada.

Tout bien considéré dans le contexte canadien, notre fondation préfère s’en remettre aux tribunaux, plutôt qu’à une loi, pour définir ce qu’on entend par organisme de bienfaisance. Comme nous l’expliquons de façon détaillée dans notre mémoire, le recours à la common law consiste essentiellement à miser sur le raisonnement par analogie pour en arriver à une définition de la bienfaisance qui pourra suivre l’évolution de la société.

Suivant certaines recommandations adressées à votre comité, les appels relatifs aux décisions d’enregistrement et de révocation devraient être traités par le Tribunal canadien de l’impôt, plutôt que, comme c’est le cas actuellement, par la Cour d’appel fédérale. Si un tel changement est apporté, il faudra aussi modifier les procédures en conséquence. La fondation appuie ces recommandations. Nous estimons ces changements nécessaires pour revitaliser le processus de recours à la common law au Canada. Un mécanisme d’appel plus rapide, moins coûteux, plus juste et davantage accessible servira mieux les intérêts de la justice.

Il est absolument primordial d’actualiser le concept de bienfaisance en veillant à ne pas se fonder sur les décisions rendues dans le but d’éviter un manque à gagner du point de vue fiscal. Ailleurs dans le monde, cette démarche a découlé de la volonté des tribunaux, et des commissions de bienfaisance dans certains cas, de suivre l’évolution de la common law. Une transition vers le Tribunal canadien de l’impôt et l’adoption d’une procédure judiciaire différente sont nécessaires pour alimenter cette transformation au Canada. En outre, l’Agence du revenu du Canada devrait être encouragée à tenir compte de l’évolution des normes et des valeurs sociétales pour formuler sa propre interprétation judiciaire qui, selon nous, devrait être prise en compte dans les décisions du Tribunal canadien de l’impôt.

Le concept de bienfaisance tel que défini dans la common law est appelé, de par sa nature même, à évoluer progressivement et sur une base factuelle. C’est ce qui fait la force de la common law. Cela dit, il est fort possible que des secteurs comme celui du sport amateur, dont les activités ne sont généralement pas considérées comme ayant un caractère de bienfaisance au Canada, soient laissés pour compte. Dans ce contexte, nous recommandons un processus de consultation en vue d’étudier les changements pouvant être apportés aux différentes catégories de donataires reconnus. Cette consultation devrait porter sur les questions de principe et examiner tout l’éventail des traitements fiscaux possibles.

En outre, comme c’est le cas pour bien d’autres lois, il convient de procéder à intervalles réguliers à un examen des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu concernant la bienfaisance et les questions connexes. On établirait ainsi de solides principes fondamentaux guidant l’interprétation de la notion d’organisme de bienfaisance et d’organisation similaire bénéficiant d’un traitement fiscal privilégié. Si l’on combine le tout à une plus grande accessibilité des procédures judiciaires ainsi qu’à des processus administratifs permettant le recours au raisonnement par analogie, on se retrouvera avec un système qui fonctionnera beaucoup mieux dans la pratique.

La common law a l’avantage d’être fondée sur l’examen incessant de nouvelles situations factuelles et sur le raisonnement par analogie pour déterminer si le statut d’organisme de bienfaisance doit être reconnu ou non. À l’heure actuelle, l’interprétation du concept de bienfaisance par les intervenants du secteur risque davantage d’être fondée sur une réaction aux décisions judiciaires ou réglementaires, plutôt que sur une analyse de principe. J’en donne pour exemple la controverse mentionnée précédemment concernant le fait que l’on considère au Canada que le soulagement de la pauvreté est un acte de bienfaisance, mais que la prévention de la pauvreté ne l’est pas. La fondation est d’avis qu’un système davantage enclin à s’attaquer aux causes profondes des problèmes, en même temps qu’à leurs conséquences, est essentiel pour raviver, chez les jeunes tout particulièrement, l’intérêt à donner et à faire du bénévolat.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole aujourd’hui, et je serai ravi de répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci, messieurs. Je pense que vous nous avez donné amplement matière à discussion avec les membres du comité.

Monsieur Parachin, vous avez dit ne pas être en faveur d’une définition statutaire tout en regrettant l’insuffisance de la jurisprudence fondée sur la common law. Si un plus grand nombre de décisions judiciaires avaient été rendues, est-ce que cela ne nous donnerait pas l’équivalent d’une définition statutaire sous une forme ou une autre?

M. Parachin : Peut-être pourrais-je vous expliquer un peu mieux les raisons pour lesquelles je ne suis pas en faveur d’une définition statutaire. Il y a le fait que je présume qu’une telle définition d’organisme de bienfaisance se retrouverait dans la Loi de l’impôt sur le revenu. C’est ce qui me préoccupe, car il s’agirait vraisemblablement d’un levier à la disposition du gouvernement fédéral. Comme vous le savez, les questions liées au droit de la propriété et aux droits civils sont toutefois de compétence provinciale. La principale incursion du gouvernement fédéral dans ce domaine se fait via le traitement fiscal privilégié accordé aux organismes de bienfaisance.

Pourquoi je ne préconise pas une définition statutaire dans la Loi de l’impôt sur le revenu? Il faut notamment tenir compte du fait — et c’est l’une des frustrations associées à toute fédération — qu’il y a au Canada partage des compétences en la matière. Il faut se montrer réaliste quant aux répercussions d’une éventuelle définition statutaire imposée par le gouvernement fédéral. On se retrouverait ainsi avec une déviation ou une différenciation de l’interprétation du concept de bienfaisance. On en ferait une interprétation aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu et une autre, qui n’irait pas nécessairement dans le même sens, pour l’application des lois provinciales. En fait, elle s’en éloignerait assurément. Le gouvernement fédéral ne peut pas dicter aux provinces la façon dont elles vont administrer le droit des biens et les droits civils. On se retrouverait dans une situation où le gouvernement fédéral adopterait une définition d’organisme de bienfaisance à des fins fiscales, alors que les provinces devraient toujours s’en remettre à la common law pour toutes les questions touchant le droit des fiducies, le droit des biens et d’autres fins comme la planification successorale et les dons planifiés. Voilà qui explique en partie mon opposition à l’inclusion d’une définition dans la loi.

Pour répondre directement à votre question, une jurisprudence mieux étoffée m’apparaît la solution à privilégier pour l’avenir. On n’aboutirait pas ainsi à l’équivalent d’une définition statutaire, mais plutôt à une formule qui produirait de meilleurs résultats. Un plus grand bassin de décisions judiciaires, peut-être via un mode différent de révision des décisions de l’ARC, nous fournirait un fondement documentaire plus riche devant les tribunaux et davantage de possibilités de faire évoluer la common law qui répondrait ainsi mieux aux attentes en rendant inutile toute définition statutaire. Si la common law pouvait de cette manière s’adapter sans cesse grâce à des interventions judiciaires, je pense que nous ne discuterions même pas de la nécessité d’inclure une définition dans la loi.

Le président : Vous ne vous êtes toutefois pas prononcé — et c’est peut-être en raison de l’ordre de vos interventions — sur la recommandation de la Pemsel Case Foundation en faveur d’un traitement des appels par le Tribunal canadien de l’impôt, plutôt que suivant la formule actuelle.

M. Parachin : Le régime canadien se distingue notamment du fait que les décisions de refus ou de révocation d’enregistrement rendues par l’ARC à l’encontre d’un organisme de bienfaisance peuvent faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale. Si je ne m’abuse, on se fonde alors sur le dossier de correspondance établi avec l’ARC. C’est en quelque sorte unique sur la scène internationale, car les autres gouvernements optent de plus en plus pour un appel devant un tribunal. Les avocats parlent d’appel de novo, en ce sens que de nouveaux éléments de preuve peuvent être présentés. On ne se limite pas uniquement aux faits établis dans le dossier avec l’instance réglementaire. Cela permet une présentation plus rigoureuse des faits, une meilleure analyse contextuelle et davantage de possibilités de faire évoluer la common law comparativement à ce que l’on peut observer par ailleurs au Canada. En fait, l’obligation d’en appeler directement à la Cour d’appel fédérale en se fondant sur le dossier de correspondance établi avec l’instance réglementaire est peut-être l’un des facteurs qui expliquent le très petit nombre de cas où les organismes de bienfaisance ont gain de cause.

La sénatrice Omidvar : Je vais m’en tenir à l’évolution de nos lois par le truchement de la common law. Ma question s’adresse à nos deux témoins.

Considérons les organisations auxquelles on refuse le statut d’organisme de bienfaisance. Je crois que nous connaissons tous le cas de la B.C. Immigrant Women’s Society qui s’est rendu jusqu’aux plus hautes instances. Si cette société pour les femmes immigrantes a pu pousser les choses aussi loin, c’est seulement parce qu’elle avait dans son entourage des avocats qui ont accepté de plaider gratuitement sa cause. Je pense à tous ces petits organismes de bienfaisance et sans but lucratif auxquels on refuse d’accorder ce statut. Je ne crois pas qu’ils aient les moyens de poursuivre le gouvernement fédéral.

Vos recommandations à tous les deux vont dans le sens d’une évolution de la common law. Devrions-nous, parallèlement à cela, considérer une autre recommandation en faveur de l’établissement d’un programme spécial de contestation judiciaire pour aider ces petits organismes de bienfaisance à intenter des poursuites contre le gouvernement? Selon moi, l’un ne va pas sans l’autre, car ce sont ces petits organismes qui seront touchés. Ils seraient plus avancés si nous adoptions une définition qui les englobe. Qu’en pensez-vous?

M. Broder : Cette idée de la complémentarité des actions est excellente. Si nous proposons le recours au Tribunal canadien de l’impôt, c’est parce que ce serait beaucoup moins coûteux et nettement plus accessible que c’est le cas actuellement avec la Cour d’appel fédérale. S’il pouvait en ressortir des décisions qui ne visent pas d’abord à éviter un manque à gagner du point de vue fiscal, on pourrait en arriver à cette jurisprudence étoffée que souhaite M. Parachin.

M. Parachin : Même si nous juxtaposions deux options de réforme, soit l’adoption d’une définition statutaire et un nouveau mode de révision judiciaire plus efficient, je pense qu’il nous faudrait honnêtement reconnaître que ni l’une ni l’autre de ces mesures ne rendra les recours particulièrement accessibles aux petits organismes de bienfaisance dans le cours normal des choses. Ce n’est pas comme s’ils allaient avoir tout à coup les moyens de faire du lobbying auprès du gouvernement fédéral.

Quant à savoir si nous serions disposés ou non à subventionner ces appels, je crois que je serais porté instinctivement à répondre que je suis généralement en faveur de toute mesure permettant d’augmenter le nombre de causes entendues. La common law n’évolue que grâce à l’abondance des décisions.

Je crains que l’on en demande trop actuellement à l’ARC sans qu’elle puisse compter sur l’intervention des tribunaux. L’ARC doit se prononcer sur différentes questions sans pouvoir miser sur une common law pleinement évoluée tout en faisant l’objet des critiques de certains qui estiment que l’on procède trop rapidement et d’autres qui croient que l’on ne va pas assez vite. Une jurisprudence plus abondante serait utile à ce niveau.

Je me dois toutefois de faire une mise en garde quant au risque que le gouvernement investisse trop dans le programme destiné aux organismes de bienfaisance. Je m’explique. Il y a un adage qui parle d’une règle d’or suivant laquelle celui qui possède l’or établit les règles. Il est notamment avantageux de laisser aux organismes de bienfaisance le soin d’œuvrer dans l’intérêt public par leurs propres moyens du fait qu’ils demeurent ainsi indépendants du gouvernement. Je ne suis pas contre votre proposition, mais je crains de voir éventuellement les investissements gouvernementaux dans un tel programme atteindre un point de bascule à partir duquel les politiciens commenceront à poser toutes ces questions auxquelles on s’attend d’eux, comme celle consistant à savoir ce qu’ils peuvent tirer de l’aventure. C’est un processus qui finit par s’alimenter lui-même et qui risque à mon avis de mener à des interventions réglementaires plus soutenues dans un sens qui va à l’encontre des objectifs que l’on s’efforce d’atteindre avec les organismes de bienfaisance. C’est mon impression au sujet de cette proposition. Je ne dis pas qu’elle doit être rejetée, mais elle me cause tout de même certaines préoccupations.

La sénatrice Omidvar : Êtes-vous en train de me dire qu’il faut faciliter les choses aux petits organismes de bienfaisance, mais pas trop?

M. Parachin : Je peux comprendre les motifs qui vous incitent à formuler le tout de cette manière. Je dirais qu’il faut accroître l’accessibilité. Cela constituerait en soi une victoire. Sinon, on peut toujours débattre entre gens raisonnables quant à savoir ce qui peut être trop accessible ou pas assez.

La sénatrice Omidvar : Je pense vous avoir entendu dire tous les deux qu’il serait plus raisonnable du point de vue de l’accès de s’en remettre au Tribunal canadien de l’impôt. Vous avez parlé tous les deux d’une approche moins coûteuse et plus facile, mais si l’on permet la présentation de nouveaux éléments de preuve, n’est-il pas possible que les procédures judiciaires deviennent tout à coup très dispendieuses? Je pense encore une fois de façon très ciblée aux petits organismes de bienfaisance.

M. Parachin : Je veux que les choses soient bien claires. Je n’ai pas les données nécessaires pour pouvoir vous dire que ce sera nécessairement moins coûteux. Je ne le sais tout simplement pas. Mais partons de l’hypothèse que les coûts vont augmenter. Je ne peux pas non plus vous confirmer cette hypothèse mais, le cas échéant, il arrive parfois que l’on en ait seulement pour son argent. Laissez aux avocats le soin de justifier leurs honoraires, n’est-ce pas? Je ne suis pas en train de préconiser un accès à coût élevé, mais le statu quo n’est pas problématique seulement en raison des coûts. Il y a aussi le fait que les appels devant la Cour d’appel fédérale ne permettent pas la production de nouveaux éléments de preuve, ce qui est une véritable garantie d’échec dans un régime judiciaire fondé sur les nuances. C’est suffisant à mes yeux pour renoncer à cette option, sans même tenir compte de la question des coûts.

La sénatrice Omidvar : C’est un point très intéressant. Merci.

Le président : Je ne suis pas surpris d’entendre un avocat défendre les avocats.

M. Parachin : Vous ne devriez pas l’être.

Le président : Ce n’est surtout pas étonnant pour ceux d’entre nous qui ne sont pas avocats.

Le sénateur Duffy : J’ai une question pour M. Parachin. Je reviens à l’idée de l’appel de novo. Est-ce qu’il faudrait modifier la Loi sur l’Agence du revenu du Canada? Comment faire en sorte que ces appels ne soient plus traités par la Cour d’appel fédérale, mais plutôt par le Tribunal canadien de l’impôt qui serait investi d’un mandat lui permettant d’enlever ces œillères qui confinent son examen à la seule correspondance afin de pouvoir examiner l’ensemble des questions en cause? Pour ce qui est des coûts, je crois que les premières affaires à traiter vont être onéreuses, mais on pavera ainsi la voie à un régime où les revendications pourraient être moins nombreuses. Comme vous le savez, c’est ce que permet la jurisprudence.

M. Parachin : Je veux revenir à la question des coûts. Ce n’est pas comme si le régime actuel ne coûte rien. En ma qualité d’ancien avocat et de professeur de droit, je peux vous dire qu’un grand nombre d’heures facturables sont consacrées à combler des vides et à effectuer des rapprochements, une tâche qui se révèle impossible en raison de l’absence de causes semblables. C’est loin d’être une économie pour les organismes de bienfaisance. Bon nombre des avis juridiques émis dans ce domaine comportent des mises en garde comme : « Un certain doute persiste » ou « La meilleure évaluation que l’on puisse faire... » Il peut être très coûteux d’en arriver à des avis de la sorte. Quant aux moyens à prendre, il suffirait sans doute d’un simple amendement à la Loi de l’impôt sur le revenu pour instaurer un mécanisme d’appel différent et le rendre obligatoire.

Le sénateur Duffy : Est-ce que la décision rendue, cette lettre de 35 pages, indiquant que l’on vous refuse le statut d’organisme de bienfaisance vient uniquement de bureaucrates? Y a-t-il un processus d’appel à l’interne à l’ARC, ou est-ce que la décision relève totalement des fonctionnaires sans que la ministre n’ait son mot à dire?

M. Broder : Il y a un processus d’appel à l’extérieur de la Direction des organismes de bienfaisance qui sert de premier palier de recours avant que l’on s’adresse à la Cour d’appel fédérale.

La sénatrice Seidman : Merci à vous deux pour vos exposés très intéressants.

Ma question s’adresse à M. Parachin. Vous avez indiqué que la situation est notamment difficile du fait qu’il n’y a pas suffisamment de décisions rendues dans la jurisprudence pour permettre à la common law d’évoluer. Vous avez aussi fait allusion au fait que l’on pouvait miser sur une intervention législative en guise de complément à la common law. Vous affirmez donc qu’il y a un rôle à jouer pour les tribunaux, mais aussi pour le Parlement. Pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet?

M. Parachin : Parmi les aspects intéressants de la common law, il y a le fait qu’elle vise expressément à permettre de réaliser certaines choses. En réalité, la common law n’est guère éloquente quant aux activités que peuvent mener les organismes de bienfaisance. Elle réglemente ces activités en exigeant que les organismes en question soient établis uniquement à des fins de bienfaisance. Le critère déterminant pour qu’une activité satisfasse à cette norme est qu’elle soit réalisée à des fins de bienfaisance. C’est une norme qui permet beaucoup de choses. C’est à la fois une force et une faiblesse. Le plus souvent, c’est très avantageux, mais il arrive de temps à autre que l’on considère le tout trop permissif. Ne me demandez pas de vous en fournir une liste exhaustive, mais il peut y avoir des cas où nous pourrions vouloir cibler par la voie législative certaines activités qui touchent à des cordes sensibles du point de vue politique.

Malheureusement, lorsque le Parlement essaie d’intervenir au niveau de la Loi sur l’impôt sur le revenu, il ne se montre pas très efficace. Je dis cela très respectueusement, car je ne veux surtout pas prétendre que les réponses sont évidentes. Malgré tout le temps que je passe à réfléchir à ces questions, je n’ai pas ces réponses. Reste quand même que lorsque l’on intervient effectivement, comme ce fut le cas avec les activités politiques et commerciales, il n’y a pas de définitions sur lesquelles on peut s’appuyer. Cela pose un problème de déterminant. En vertu de la common law, une activité est considérée comme une activité de bienfaisance si elle est réalisée à des fins de bienfaisance. Si l’on applique la même logique, une activité politique serait une activité menée à des fins politiques.

Il peut être difficile d’essayer de concilier activités politiques ou commerciales — ou ajouter le déterminant de votre choix — avec une analyse de la common law étant donné que lorsque la Loi de l’impôt sur le revenu entre en jeu, l’intervention n’est pas toujours aussi efficace qu’on le voudrait. On pourrait souhaiter intervenir par voie législative pour mettre un frein à certaines activités lorsque la common law est trop permissive, mais il faut procéder pour ce faire de façon chirurgicale, et non pas comme on le fait actuellement. Lorsque nous l’avons fait, cela a suscité davantage de questions que de réponses. Il y a donc différentes façons d’intervenir qui peuvent être plus ou moins efficaces.

La sénatrice Seidman : Quand vous dites qu’il faudrait que nous le fassions avec une précision chirurgicale, pouvez-vous nous donner un exemple?

M. Parachin : Il y aurait une catégorie particulière d’activités qui cause des préoccupations en matière de politique. Par exemple, on pourrait se préoccuper de ce que les organismes de bienfaisance renforcent leurs missions de bienfaisance au moyen d’activités commerciales, ce que nous devrions permettre jusqu’à un certain point, mais en imposant des limites claires. Définir ce qui constitue une entreprise et définir concrètement la limite serait une meilleure façon de faire.

Il y a eu une analyse semblable concernant les activités politiques. Il est difficile pour l’ARC d’administrer une disposition qui limite les activités politiques, comme on le faisait jusqu’à récemment, sans une définition législative de ce qui est considéré comme une activité politique ou sans l’expression législative claire d’une limite.

Ce sont des exemples. Ils peuvent vous sembler remarquablement insignifiants, mais je peux vous dire que des heures et des heures de temps facturable sont consacrées à décoder la façon dont l’ARC décode la loi. Dans une certaine mesure, ils travaillent avec le même vide que les avocats.

L’une des choses qui nourrissent mon scepticisme devant la codification, c’est qu’une grande partie des débats actuels sont inspirés par les interventions législatives en common law. Qu’est-ce qui nous fait croire qu’une codification entière va nous mener ailleurs que dans une aussi mauvaise passe?

La sénatrice Seidman : Merci.

Le sénateur Duffy : Je vais céder mon temps à la sénatrice Omidvar, étant donné que j’ai posé des questions antérieurement sous prétexte qu’il s’agissait de questions complémentaires.

Le président : Si c’est un prétexte, sénateur Duffy, la présidence va considérer cela comme un avis voulant que les interventions à venir soient un prétexte.

La sénatrice Omidvar : Je me demande s’il y a un juste milieu. J’aimerais beaucoup avoir la réaction de M. Broder, ainsi que celle de M. Parachin. Vous dites tous les deux de laisser les appels se rendre à la cour de l’impôt, de sorte que la jurisprudence puisse évoluer au fil du temps, grâce à ce système qu’on espère accessible. Cependant, je crois qu’on peut raisonnablement présumer que cela prendra du temps.

En attendant, on a une accumulation de demandes venant d’organismes sans but lucratif et d’organismes qui ne peuvent s’inscrire, car pour entrer dans la définition actuelle, leur seule option est la catégorie « autre ». Croyez-vous qu’il serait utile de regarder la catégorie « autre » en vue de l’étendre un peu pour faire une place aux organismes de défense des droits de la personne, aux organismes de réduction et d’élimination de la pauvreté et aux organismes voués à la protection de l’environnement, qui ont tous de la difficulté en ce moment? C’est un peu des deux.

M. Broder : Je crois qu’il y a de l’espoir. J’attire votre attention sur un des rares cas où une organisation a eu gain de cause à la Cour d’appel fédérale : le juge a estimé qu’un fournisseur Internet sans but lucratif donnant accès à l’autoroute de l’information correspondait à entretenir les routes et les ponts dans l’Angleterre élisabéthaine. Vous pouvez donc utiliser cette analogie. Il y a beaucoup de latitude en common law, si vous faites preuve de créativité, pour l’intégration d’objectifs très modernes. Il y a une très belle occasion à saisir.

La sénatrice Omidvar : Permettez-moi de reformuler ce que j’entends. Vous êtes un avocat et je suis une simple personne, alors je vais utiliser un langage simple. Vous dites qu’il n’y a pas lieu d’éclaircir ce qui entre dans la catégorie « autre », car elle est assez vaste pour englober tout un éventail d’organisations en ce moment. Est-ce bien ce que j’ai entendu?

M. Broder : Oui. En plus, c’est un avantage par rapport aux coûts, car dans toute une série de causes, on est aux prises avec la question de l’intérêt public par opposition à l’intérêt privé, et ce problème est généralement résolu grâce à la jurisprudence. Si vous entreprenez de créer une définition législative, vous allez faire table rase et vous serez aux prises avec ce problème ultérieurement. Je crois que l’utilisation créative de la common law offre beaucoup de possibilités sur ce plan. Cette quatrième catégorie est une catégorie résiduelle. Elle est donc là pour les autres fins utiles à la société.

M. Parachin : Je ne suis pas contre cette idée. Je comprends ce que vous dites — que c’est un compromis avec lequel on peut être à l’aise. Ce n’est pas une codification de A à Z qui vise à complètement supplanter la common law. C’est une codification qui l’étofferait et, ce faisant, inspirerait peut-être plus de causes.

Il y a un « mais ». Nous devons toujours tenir compte de la question qui surgit tout le temps dans un État fédéral. Vous ne feriez qu’éclaircir à des fins d’impôt sur le revenu ce qui est admissible comme organisme de bienfaisance dans la quatrième catégorie. Cela laisserait quand même tous les problèmes dont nous discutons, concernant la common law qui n’évolue pas. Cela s’appliquerait toujours de la même façon concernant la propriété et les droits civils, et je ne crois pas que nous puissions présumer que c’est ce qui prime. C’est la différence entre une fiducie du reliquat d’un testament qui est considérée comme valide ou qui est invalidée, parce que si on essaie d’établir une fiducie à des fins particulières qui ne sont pas des fins de bienfaisance, la fiducie est nulle. Je m’inquiète de ce que votre suggestion nous permet de conclure que nous avons résolu le problème alors qu’en réalité, nous empêchons la common law d’évoluer dans la pureté, comme nous — avocats en common law — le disons. La common law finit par évoluer dans la pureté et, en effet, cela prend du temps.

La sénatrice Omidvar : Je crois que je comprends très bien ce que vous dites, tous les deux. C’est la common law, et le témoin précédent avait un point de vue différent.

Monsieur Parachin, je vais vous demander de me parler des organismes de défense des droits de la personne, qui ne peuvent pas obtenir le statut d’organisme de bienfaisance parce que leur objectif est de façon inhérente, dans une certaine mesure, politique. Croyez-vous que la proposition du gouvernement fédéral de permettre aux organismes de s’engager dans la défense des politiques publiques propres à leur mission réglera ce problème?

M. Parachin : Cela va régler le problème, mais ce sera comme éviter de faire des points de suture sur un doigt en amputant le bras au complet. Je crois que cela va trop loin. Je ne dis pas cela de façon irrespectueuse. Le statu quo est vraiment problématique. Je crois que tous ceux qui se sont penchés sur cet enjeu admettent que les organismes de bienfaisance peuvent enrichir les politiques publiques. Les organismes de bienfaisance ont une expérience directe et fondamentale des groupes démographiques, et souvent, des groupes vulnérables qui risquent très peu de se prévaloir des moyens traditionnels d’influencer les politiques. Ce que la proposition dit, en fait, c’est que peu importe qu’une partie ou la totalité des activités d’un organisme de bienfaisance visent la promotion d’une réforme législative, l’organisme est quand même établi comme ayant des objectifs exclusivement caritatifs, et je crains que cela aille trop loin.

Je me demande aussi comment nous déterminons, selon la proposition actuelle, si une réforme législative donnée est liée à un objectif caritatif. Je dis cela, car historiquement et traditionnellement, la bienfaisance existe parallèlement au gouvernement comme moyen non gouvernemental de fournir un bienfait d’intérêt public. Une fois que vous vous mettez à essayer de réaliser votre mission de bienfaisance par l’intermédiaire du gouvernement en faisant des suggestions et des recommandations au gouvernement sur les façons d’intervenir — et je suis peut-être le seul à poser cette question, mais je vais vous dire franchement que mon opinion n’est pas celle de la majorité à ce sujet —, je me pose une question. « Est-ce que c’est de la bienfaisance, que vous faites, quand vous demandez au gouvernement d’intervenir? » Par définition, ce n’est pas de la bienfaisance, c’est du lobbying. Je me demande si nous n’allons pas trop loin. Je préférerais une solution plus modérée.

La sénatrice Omidvar : Pouvez-vous nous décrire une solution plus modérée? Si ce n’est pas 10 p. 100, c’est peut-être autre chose. Qu’est-ce que ce serait?

M. Parachin : La proposition initiale du ministère des Finances, diffusée en septembre, était de n’avoir aucune mesure législative et, donc, leur stratégie législative était de n’avoir aucune stratégie législative. Je ne crois pas que ce soit une stratégie. En fait, cela nous ramènerait à l’époque antérieure à la jurisprudence découlant de la Loi de l’impôt sur le revenu selon laquelle les organismes de bienfaisance ne pouvaient s’adonner à aucune activité politique. Personne n’a trouvé que c’était la bonne réponse.

Après l’avis de motion de voies et moyens du 14 septembre, l’ARC a consciencieusement préparé une ébauche de ligne directrice envisageant une norme de proportionnalité, ce que j’ai trouvé en partie fondé, en principe. Le problème, c’est que cela ne se fondait sur aucune disposition contraignante. J’aurais préféré qu’on établisse une norme de proportionnalité fondée sur des mesures législatives. Autrement dit, le problème avec la proportionnalité, c’est que vous pourriez consacrer une partie de vos ressources à des activités de défense sans que ce soit disproportionné. Ce n’est pas 10 p. 100, mais ce n’est pas 75 p. 100 non plus. C’est peut-être 49 p. 100. Encore là, c’est plutôt imprécis et général. Le problème, ce n’est pas que la norme n’est pas la bonne, mais que la norme a été créée administrativement dans le vide laissé par la jurisprudence et les lois.

Je crois que supprimer toute restriction est une erreur. Nous aurons une enquête ultérieure du Sénat, dans 15 ou 20 ans — et il ne serait pas prudent de ne pas emprunter la voie que je vais décrire —, et ils vont constater que les gens se déguisent en organismes de bienfaisance pour faire du lobbying. Pourquoi ne le feraient-ils pas? Je le ferais si je le pouvais tout en profitant d’un allégement fiscal.

La sénatrice Martin : Premièrement, je ne suis pas avocate. J’essaie simplement de suivre ce que vous dites, tous les deux, dans le sillage de ce que nos témoins précédents nous ont dit.

Nous voulons tous avancer. Ma collègue vous a demandé d’être un peu plus précis concernant ce que vous entendez quand vous dites que notre intervention législative doit avoir une précision chirurgicale. Si vous travailliez comme avocat pour l’ARC et que vous vouliez aider le ministre à concevoir des mesures législatives ayant une précision très chirurgicale pour nous aider à progresser, donnez-nous un ou deux exemples au moins de possibles interventions législatives.

M. Parachin : Je reviens constamment à l’activité politique simplement parce que c’est un sujet contemporain, mais c’est aussi quelque chose qui peut causer beaucoup d’angoisse. La façon dont la common law traite les objectifs politiques est bien franchement un échec. Toute personne rationnelle qui lirait ce que les tribunaux ont dit à propos de la distinction entre les fins de bienfaisance et les fins politiques n’en reviendrait probablement pas. Elle se dirait qu’un tribunal ne pourrait pas dire cela. Le raisonnement est superficiel. Il est mince. On coupe les cheveux en quatre. C’est un domaine du droit où les tribunaux ne nous ont pas bien servis. Je verrais cela comme un contexte pour lequel une intervention ayant une précision chirurgicale serait utile.

Ce que j’entends par cela, c’est que vous intervenez avec une précision chirurgicale en délimitant vraiment très clairement une activité particulière que vous voulez autoriser ou restreindre en fonction de paramètres explicites, mais ce n’est pas ainsi que cela fonctionne normalement. Les interventions de notre Loi de l’impôt sur le revenu cherchent à apporter des solutions à un ensemble de lois générales, donc amorphes et rédigées dans un style qui n’est pas ferme. Franchement, cela n’aide en rien. Et on peut s’attendre à ce que cela n’aide en rien.

Donc, pour être plus précis, si nous voulons autoriser les activités politiques, je ne sais pas pourquoi nos seules options sont une disposition incompréhensible et mal rédigée, une absence de dispositions, ou une disposition qui n’impose aucune limite. Pourquoi ne pouvons-nous pas prendre du recul et dire que les organismes de bienfaisance contribuent à enrichir le discours public? Ils devraient avoir la possibilité de contribuer à l’élaboration des politiques publiques, mais à l’intérieur de certaines limites. Je ne pense pas que ce soit trop demander et impossible à réaliser. C’est de ce genre de chose que je parle.

Le sénateur Duffy : Monsieur Parachin, vous nous avez demandé de regarder la loi et les conséquences involontaires, si tout cela reste aussi ouvert. À grande échelle, pourriez-vous entrevoir que quelqu’un mettrait sur pied un organisme de bienfaisance qui, au bout du compte, achèterait de la publicité, comme nous le voyons aux États-Unis dans le sillage de la décision de la Cour suprême baptisée Citizens United, qui serait partisane sans pour autant mentionner un parti en particulier? Craignez-vous que sans inclure de définition, nous voyions ce genre d’activités politiques déguisées?

M. Parachin : C’est une catégorie pour laquelle nous serons très précis dans la Loi de l’impôt sur le revenu et dirons que vous ne pouvez rien faire de tout cela. Je suis moins inquiet au sujet de l’intervention en cas de sollicitation de suffrages pour un parti donné. Ce qui me préoccupe le plus, ce sont les questions comme celles que je vais vous poser pour la forme. Dites-moi quand la revendication d’une réforme du droit concorde avec l’avancement de la religion. Comment promouvoir la religion par une réforme du droit? Est-ce que les critères sont satisfaits si un changement particulier à la loi que vous préconisez est inspiré par la religion, concernant un enjeu particulier? Je peux vous dire que les causes ne répondent pas à cette question. Comment l’ARC est-elle censée concevoir une directive administrative? Elle travaille en vase clos.

Le sénateur Duffy : Parlez-vous de revendications comme celles du mouvement pro-vie ou antiavortement?

M. Parachin : C’est toujours l’exemple auquel on pense en matière de religion, mais la religion couvre beaucoup de choses, et d’après moi, l’avancement d’une religion est une fin de bienfaisance, comme il se doit. Je pourrais choisir un autre exemple. Dites-moi quand une proposition de réforme du droit en particulier mène à l’avancement de l’éducation. Est-ce qu’il faut que ce soit lié à la politique d’éducation? Est-ce que ce serait plutôt de nature éducative parce qu’on éduque le public sur une proposition de réforme du droit qui n’a rien à voir avec l’éducation? Je ne vous dis pas qu’il y a une bonne et une mauvaise réponse; ce que je vous dis, c’est qu’il n’y a pas de réponse. Ce que nous demandons à l’ARC de faire, c’est de relier les points et de fournir des réponses sans directives.

Le sénateur Duffy : Mais de nombreux Canadiens craignent que les organismes de bienfaisance soient détournés et utilisés à des fins politiques. Ce que je veux vraiment vous demander, c’est jusqu’où cela pourrait aller s’il n’y a aucune interdiction légale et si c’est laissé tout grand ouvert.

M. Parachin : Si c’est laissé tout grand ouvert, je crois que nous connaissons la réponse.

Le sénateur Duffy : N’est-ce pas ce que le gouvernement propose?

M. Broder : La proposition du gouvernement comprend une disposition qui dit qu’il est absolument interdit de s’adonner directement ou indirectement à des activités partisanes.

Le sénateur Duffy : Qu’en est-il des armes à feu? Et si un organisme de bienfaisance est mis sur pied et affirme que les armes à feu sont une bonne chose et que les gens devraient pouvoir en posséder, comme la NRA, mais en version canadienne? Si un tel organisme pouvait recueillir des fonds en tant qu’organisme de bienfaisance, cela ne lui permettrait-il pas de se montrer à la télé tous les soirs pour faire la promotion de la possession d’armes à feu?

M. Parachin : C’est l’inconvénient qui vient avec la défense des droits de la personne et des droits constitutionnels. On pourrait prétendre que certains éléments de notre Charte des droits et libertés protègent ce droit et que c’est la cause qu’on cherche à défendre. Quelqu’un pourrait se servir de cela comme litige type. C’est probablement un peu exagéré, car en réalité, il y a un facteur contraignant qui veut que vos activités de défense doivent faire avancer et soutenir des fins de bienfaisance.

Ce que je cherche à dire, c’est que nous n’avons pas de jurisprudence concernant ce que cela signifie, et il y a une bonne raison pour cela. Les activités de bienfaisance sont généralement menées à l’extérieur du gouvernement, et non par l’intermédiaire du gouvernement. Vous demandez quelles sont les limites. Eh bien, elles ne sont pas définies. Quantitativement parlant, il n’y a pas de limites, et qualitativement parlant, je ne crois pas que nous sachions comment établir le lien entre des efforts pour obtenir une réforme particulière et une fin de bienfaisance, en particulier si ce qu’on recherche, c’est une réforme du droit. Nous ne connaissons pas la réponse à cela. Si quiconque vient vous dire que nous connaissons la raison, je crois que cette personne est optimiste.

Le président : Je dirais que la question à poser au bout du compte est celle de connaître l’intérêt public que ce présumé organisme de bienfaisance sert. Il est difficile de définir les bienfaits pour le public de...

Le sénateur Duffy : Compte tenu des divisions que nous voyons en ce moment en politique partout dans le monde, si on laisse le champ libre, vous pouvez avoir l’assurance que quelqu’un mettra les limites à l’épreuve.

Le président : Espérons que cela se produira ailleurs.

La sénatrice Omidvar : Je n’ai pas de question à poser, mais j’ai quelque chose à demander. Vous êtes tous les deux des témoins experts en la matière. Ce n’est pas l’endroit pour discuter de l’appui de causes politiques et d’activités politiques. Je vous saurais gré à tous les deux de rédiger un mémoire énonçant vos points de vue et vos recommandations sur cette question particulière à l’intention du comité sénatorial.

M. Parachin : Sur...

La sénatrice Omidvar : Les activités politiques.

Le président : Sur ce, je voulais terminer en présentant une demande à nos témoins. Si, en suivant nos audiences, vous constatez que vous aimeriez faire un commentaire ou estimez que vous avez oublié quelque chose, n’hésitez pas à communiquer avec nous par l’intermédiaire de notre greffier. Il veillera à ce que l’information se rende jusqu’à nous.

Je tiens à vous remercier tous les deux de votre présence. Cela a donné lieu à une discussion nourrie. Cela m’a aussi de nouveau confirmé que j’ai bien fait de ne pas choisir le droit, il y a bien des années. Je suis sûr que bien des avocats et juges sont très contents de ma décision. Je vous remercie. C’était stimulant, et cela va certainement ajouter aux connaissances du comité.

(La séance est levée.)

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