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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 25 - Témoignages du 11 avril 2017


OTTAWA, le mardi 11 avril 2017

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 17 h 5, pour étudier les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

Je m'appelle Richard Neufeld. J'ai l'honneur de présider ce comité. Je suis un sénateur de la Colombie-Britannique.

Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui se trouvent dans la salle et aux téléspectateurs de partout au pays qui nous regardent peut-être à la télévision ou en ligne. À titre de rappel, les audiences du comité sont ouvertes au public et sont aussi disponibles en ligne sur le nouveau site web du Sénat, à l'adresse : sencanada.ca. On peut aussi y trouver tous les autres travaux des comités, notamment les rapports publiés, les projets de loi étudiés et les listes des témoins.

Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Fraser : Joan Fraser, du Québec.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman de Montréal, au Québec.

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le président : J'aimerais aussi vous présenter notre personnel, à commencer par la greffière, Maxime Fortin, et notre analyste de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks.

Chers collègues, en mars 2016, le Sénat a donné pour mandat à notre comité de procéder à une étude approfondie des effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone ainsi que des difficultés et des coûts liés à cette transition. Le gouvernement du Canada s'est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 p. 100 par rapport aux taux de 2005, et ce, d'ici 2030. Il s'agit d'une initiative colossale.

Pour procéder à cette étude, notre comité a adopté une approche secteur par secteur. Nous allons nous pencher sur cinq secteurs de l'économie canadienne qui sont responsables de plus de 80 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre. Il s'agit de l'électricité, des transports, du pétrole et du gaz, des industries exposées au commerce à forte intensité d'émissions et du bâtiment. Nous avons publié notre premier rapport provisoire sur le secteur de l'électricité le 7 mars.

Aujourd'hui, pour la 40e séance d'étude de notre comité, je suis heureux d'accueillir Tim Wiwchar, gestionnaire d'occasions d'affaires de Shell Canada, qui se joint à nous par vidéoconférence.

Nous vous remercions de vous joindre à nous, monsieur. Nous allons écouter votre déclaration préliminaire, puis nous passerons à la période de questions. Vous avez la parole.

Tim Wiwchar, gestionnaire d'occasions d'affaires, Shell Canada : Je remercie le comité sénatorial de m'avoir invité pour parler du projet Quest de Shell, qui vise le captage et le stockage du carbone.

Je vais me présenter rapidement : je cumule 23 années d'expérience dans l'industrie, dont 15 passées chez Shell. Je travaille depuis environ six ans au projet Quest. J'ai participé aux étapes du développement, de la construction, du lancement et récemment de l'exploitation de notre projet. Au cours des dernières années, j'ai été le chef du projet Quest. Au cours de cette période, j'ai non seulement beaucoup étudié la question du CO2, mais aussi celle du captage et du stockage du carbone, et je connais son potentiel de réduction des émissions de CO2.

Bien que je parle au nom de Shell, une société pétrolière et gazière, je tiens à souligner que la technologie du captage et du stockage du carbone peut s'appliquer à divers secteurs, notamment ceux de l'engrais, du ciment et de la production d'électricité, en plus du secteur pétrolier et gazier, notamment pour l'affinage et les produits pétrochimiques.

Pour ceux qui suivent mon document, je vais maintenant passer à la page 4.

On nous demande souvent comment le projet Quest a vu le jour. En 2000, Shell Canada a mis sur pied un comité consultatif externe sur les changements climatiques et même le groupe RDS a montré un grand intérêt à l'égard du CO2. C'est vers le milieu des années 2000 que le CSC — le captage et le stockage du carbone — a gagné en importance pour Royal Dutch Shell, et nous avons commencé à songer aux façons de l'utiliser.

Fait intéressant, au Canada, le projet Quest était parmi les premiers choix de Royal Dutch Shell pour le déploiement du captage et du stockage du carbone. En 2008, le projet Quest a pris de plus en plus de place, non seulement au sein de Shell Canada, mais aussi au sein du groupe, et en 2012, nous avons pu prendre une décision finale en matière d'investissement qui nous a permis de démarrer le projet.

Je passe maintenant à la page 5 de mon document. L'appui du gouvernement était pour nous un élément essentiel. Ce projet n'aurait pas pu aller de l'avant sans un tel appui.

Pour mettre sur pied un tel projet — et franchir les étapes de l'ingénierie, du développement, de la construction, de la mise en service, du démarrage et de l'exploitation sur 10 ans —, il faut un investissement de 1,35 milliard de dollars. Le gouvernement de l'Alberta et le gouvernement du Canada ont grandement contribué à notre partenariat.

Le gouvernement de l'Alberta a investi 745 millions de dollars, répartis sur trois phases. Le premier montant de 298 millions de dollars a été versé à l'étape de la construction, qui était associée à des critères de rendement. Il fallait atteindre sept jalons qui devaient être vérifiés par une société d'ingénierie indépendante. Nous avons reçu 149 millions de dollars pour réaliser trois tests commerciaux au cours de l'étape de la mise en service. Les 298 millions de dollars restants visent le captage de 10,8 millions de tonnes de carbone en 10 ans. La totalité du financement reposait sur le rendement, c'est-à-dire qu'il fallait respecter les jalons.

Le financement fédéral de 120 millions de dollars visait l'étude technique préliminaire du projet Quest. En tout, nous avons reçu 865 millions de dollars, ce qui a grandement aidé à faire avancer le projet Quest.

Nous devons donc respecter certains critères. J'ai parlé des critères de rendement. Il y a aussi de nombreuses exigences relatives à l'échange des connaissances tant à l'échelle fédérale qu'à l'échelle provinciale. Chaque année au cours de l'étape de la construction et même au cours de l'étape de l'exploitation, nous échangeons une grande quantité de connaissances et nous préparons un rapport détaillé sur tout ce que nous faisons, qu'il s'agisse des dessins techniques, des détails de la conception de notre usine, de nos conditions d'exploitation, des leçons apprises ou des connaissances que nous avons transmises à d'autres au sujet de notre technologie.

Nous avons également un important programme en matière d'exploitation souterraine, qui vise la surveillance et la vérification des mesures. Bien sûr, pour gagner la confiance du gouvernement et du public dans le comté de Thorhild, où nous entreposons le CO2, nous devons leur garantir que le CO2 restera en place dans ce que l'on appelle le complexe d'entreposage des sables du Cambrien basal, qui se trouve à près de 2,5 kilomètres sous le sol. Nous produisons un rapport annuel sur notre rendement souterrain, des rapports de mise à jour tous les trois ans et des rapports décennaux tout au long du cycle de vie du projet.

Enfin, nous ne pouvons pas recevoir de financement supplémentaire, sans égard à la source — qu'il s'agisse des ventes de CO2 ou du financement du gouvernement —, qui dépasse nos coûts pour la durée de vie du projet. C'est ce qu'on appelle l'obligation de neutralité à l'égard des revenus.

Je crois qu'il importe aussi de souligner qu'on a engagé plus de 2 000 personnes pour le développement, la conception et la construction du projet, en grande partie à l'échelle locale. La fabrication du conduit et des matériaux a été faite au Canada. Un compresseur a été fabriqué en Allemagne et deux tours ont été fabriquées en Corée. Tout le reste a été fabriqué en Alberta ou ailleurs au Canada. Nous avons eu jusqu'à 900 employés à temps plein et à temps partiel au cours de la phase de la construction de trois ans.

Quest est un projet de captage et de stockage du carbone pleinement intégré. En tant qu'exploitants, nous captons, nous transportons et nous stockons le CO2 sous la terre. Notre capacité prévue — et qui a été confirmée au cours de notre année et demie d'exploitation — est de plus d'un million de tonnes par année, sur 25 ans. Nous croyons que nous avons la capacité nécessaire.

Pour mettre les choses en perspectives, il faut trouver l'équivalent d'un million de tonnes. Les sources sont nombreuses. Il y a notamment les points de référence qu'utilise le département de l'Énergie des États-Unis pour les émissions de CO2 d'une automobile moyenne. Un million de tonnes de CO2 correspond aux émissions de 250 000 voitures. Nous avons un partenariat avec Chevron et Marathon. Ce chiffre représente environ le tiers des émissions de l'usine de valorisation de Scotford et, comme je l'ai dit plus tôt, le CO2 est stocké à près de 2 kilomètres sous le sol dans le réservoir d'aquifère salin des sables du Cambrien basal.

Pour transporter le CO2 vers la zone de stockage, nous utilisons un pipeline de 65 kilomètres dont le point de départ est l'usine de valorisation et qui se rend vers trois puits d'injection. On peut le voir à la page 7 de mon document. Le tuyau a un diamètre de 12 pouces et les raccords latéraux ont un diamètre de six pouces. Nous croyons avoir la capacité nécessaire pour stocker un million de tonnes de CO2.

Vous pouvez voir le trajet sur la carte; nous avons fait preuve d'une grande diligence dans le choix de ce trajet. Nous avons tenté de réduire au minimum les perturbations en suivant le plus possible les passages existants au sud de la rivière que vous voyez, qui s'appelle la rivière Saskatchewan Nord. Nous avons installé le pipeline sous la rivière puis nous avons suivi le tracé des fermes existantes au nord de la rivière pour nous rendre aux trois puits.

Comme cette zone compte principalement des terres agricoles, les terrains sont très plats. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec les agriculteurs de la région. Les perturbations ont eu lieu pendant la saison hivernale. Nous avons ensuite réparé leurs terres et y avons apporté les touches finales pendant l'été pour éviter de nuire à leurs cultures.

Le rendement est bien entendu l'un des défis associés au projet Quest. Je tiens à souligner que la technologie que nous utilisons pour capter le CO2 à partir de l'usine de valorisation est celle qu'utilise l'industrie pétrolière et gazière depuis des décennies, depuis le milieu du XXe siècle. Essentiellement, nous retirons le CO2 et nous le stockons sous terre. Vous pouvez voir qu'en août 2016, nous avons capté notre premier million de tonnes; nous sommes donc en avance par rapport à notre objectif. Nos taux de captage quotidiens représentent un équivalent de 1,2 à 1,3 million de tonnes par année et nous avons stocké plus de 1,6 million de tonnes jusqu'à maintenant.

Les opérations sont stables et s'intègrent bien aux opérations existantes. Le réservoir présente un bon rendement, qui devrait se maintenir.

Voilà une présentation sommaire du projet Quest. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons commencer par le vice-président, le sénateur Massicotte.

Le sénateur Massicotte : Nous vous remercions de votre exposé. Nous vous en sommes très reconnaissants.

On voit que vous captez 35 p. 100 du CO2. Pourquoi seulement 35 p. 100? Pourriez-vous en capter plus?

M. Wiwchar : Oui. Je ne veux pas aller trop loin dans les détails techniques, mais je dirais que ce chiffre représente la partie facile. C'est ce qu'on appelle la précombustion. C'est un flux de CO2 un peu plus propre. Chez Shell, nous procédons au captage postcombustion. Nous croyons que pour le complexe Scotford, y compris la raffinerie, nous pourrions capter deux ou trois millions de tonnes de CO2 supplémentaires par année, soit avant ou après la combustion.

Nous voulions commencer à plus petite échelle et nous assurer de bien faire les choses pour montrer au gouvernement et à la population qu'il s'agit d'une technologie viable.

Le sénateur Massicotte : Vous dites « viable ». Sur le plan économique, vous avez de toute évidence besoin d'un investissement public majeur. Si vous n'aviez pas reçu ce financement, vous n'auriez pas pu aller de l'avant. Cela étant dit, je suppose que si le prix du carbone augmentait jusqu'à un certain point, vous seriez en mesure de stocker le carbone sans l'aide du gouvernement. Quel serait le chiffre qui permettrait à une société privée de construire une telle installation?

M. Wiwchar : Nos coûts, lorsqu'on tient compte des dépenses en immobilisations et des frais d'exploitation et qu'on les répartit sur la durée de vie du projet — et nous faisons rapport de tout cela au gouvernement de l'Alberta — dépassent les 100 $ par tonne. On a parlé du prochain projet Quest — de la prochaine version du projet — aux nouvelles. Nous croyons pouvoir réduire les coûts de 20 à 30 p. 100. Bon nombre de ces économies seront réalisées aux étapes de l'ingénierie et de la construction.

Nous commençons aussi à réaliser des économies aujourd'hui. Au départ, nos coûts d'exploitation étaient d'environ 40 $ par tonne. À l'heure actuelle, avec la baisse du prix de l'essence, ces coûts sont inférieurs à 30 $ par tonne.

Nous étudions les coûts du prochain projet et nous croyons qu'il pourra coûter de 20 à 30 p. 100 de moins que le premier.

Le sénateur Massicotte : Je veux être certain de bien comprendre votre réponse. Les coûts de 60 ou 70 $ par tonne seraient justifiés. Est-ce en tenant compte d'un financement public du même niveau ou est-ce en présumant qu'il n'y aura aucun financement public?

M. Wiwchar : Si les coûts de construction du projet sont de 20 à 30 p. 100 moins élevés, disons de 70 $ par tonne pour les dépenses d'exploitation et les dépenses d'investissement, et que le prix du carbone est de 70 $ par tonne, alors nous n'aurons pas besoin du financement public.

Le sénateur Black : Merci beaucoup, monsieur, pour votre témoignage. J'ai quelques questions techniques à vous poser. Y a-t-il une capacité maximale de stockage? Est-ce que vous arrivez à un point où vous ne pouvez plus capter de carbone parce que vous n'avez plus de place pour le stocker, un peu comme dans ma garde-robe?

M. Wiwchar : C'est une très bonne question. Permettez-moi de mettre les choses en perspective. Nous louons une zone de 3 600 kilomètres carrés au gouvernement de l'Alberta, qui se situe à 2,5 kilomètres sous terre.

Pour vous donner une idée de l'ampleur du complexe des sables du Cambrien basal, il s'étend des contreforts de l'Alberta jusqu'au milieu du Manitoba, de Grande Prairie jusqu'à la frontière. Nous occupons une infime partie de cette zone. Après 25 années d'exploitation et donc 25 millions de tonnes de CO2 stockés dans la zone louée, nous n'aurons utilisé que 7 à 9 p. 100 de la capacité.

Le sénateur Black : Donc, le stockage n'est pas un enjeu.

M. Wiwchar : À notre avis, le stockage n'est pas un enjeu. Le gouvernement des États-Unis a réalisé des études qui montrent qu'il existe de nombreux réservoirs du même type que celui des sables du Cambrien basal aux États-Unis, au Canada et même au Mexique pour le stockage.

Le sénateur Black : Mon collègue le sénateur Massicotte vous a posé une très bonne question. J'aimerais poursuivre dans la même veine en vous demandant ce que le gouvernement pourrait faire pour encourager le captage et le stockage du carbone. Il faudrait des fonds, on s'en doute, mais y aurait-il autre chose? Compte tenu des pressions qui sont exercées pour réduire les gaz à effet de serre, je me serais attendu à ce que ce procédé soit davantage employé. Pourquoi ne l'est-il pas et qu'est-ce qui pourrait aider à changer les choses?

M. Wiwchar : Au début du projet Quest, parmi les grandes questions que nous avons eu à régler, il y a eu celle du cadre réglementaire qui reconnaîtrait le stockage du CO2 dans les sables du Cambrien basal. En Alberta, cette reconnaissance nous a en outre permis d'obtenir un crédit compensatoire. Ainsi, lorsque nous avons présenté les arguments pour notre projet, nous l'avons fait à un prix de 15 $ la tonne. Il est vrai que l'Alberta passera à 30 $ la tonne. Le gouvernement fédéral a annoncé qu'il voudrait voir un prix allant jusqu'à 50 $ la tonne. On se rapproche du point où les gens se mettent à s'y intéresser et à étudier de façon plus précise ce qui serait nécessaire. Il y a la réglementation et le prix du carbone. Même chez Shell, nous préconisons un prix de 40 $ la tonne.

L'autre élément de l'équation est sans aucun doute, et nous le reconnaissons chez Shell, le fait que nous ne pouvons pas accepter que nous allons en venir à devoir construire et exploiter un tel système à un coût dépassant les 100 $ la tonne. Nous devons trouver des moyens de faire les choses autrement. De nouvelles technologies qui nous permettraient de réduire le coût par tonne pourraient faire leur apparition.

Si nous pouvons construire le prochain Quest, un projet que nous sommes d'ailleurs déjà en train d'étudier, si nous arrivons à un taux de 30 p. 100 avec un coût situé entre 70 $ et 80 $ la tonne et que le prix du carbone passe à 50 $ la tonne ici — en Californie, il est au-dessus de 100 $ la tonne —, si l'écart commence à rétrécir et que la différence est peu importante ou qu'on arrive à en tirer un effet positif sur les revenus, je pense que plus de gens s'y intéresseront, car la technologie aura fait ses preuves. C'est ce qui est arrivé dans les cas de SaskPower et de Petra Nova aux États-Unis, et il y a de nombreux projets de ce genre à l'échelle mondiale. C'est une question de réglementation, de prix du carbone et de notre capacité, au fil du temps, d'apprendre et de réduire nos coûts de construction et d'exploitation.

Le sénateur Black : Vous nous avez donné de l'information très utile.

J'ai une question au sujet de la récente transaction entre Shell et CNRL. Faites-vous partie de CNRL à présent?

M. Wiwchar : Je travaille toujours pour Shell et Shell exploite toujours l'installation du projet Quest. Pour autant que je le sache, nous en sommes au stade des détails. Nous allons continuer de gérer la relation avec les gouvernements. L'exploitation relève encore de Shell.

Conformément aux accords de financement conclus avec les deux entités, tous les renseignements liés à Quest figurent sur la page web du ministère de l'Énergie du gouvernement de l'Alberta, comme le cahier des charges de construction, les dessins techniques, les coûts d'exploitation, et cetera.

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup. Tout cela est fascinant. La première question que j'avais pour vous portait sur la capacité. Elle vous a déjà été posée par le sénateur Black, ce qui est très bien. Je vais donc passer aux deux autres.

Vous avez parlé de capacité en Amérique du Nord, mais il y a des émetteurs partout dans le monde. Existe-t-il aussi des formations géologiques semblables ailleurs qui pourraient permettre l'emploi de cette technologie?

M. Wiwchar : Je ne connais pas les chiffres, mais je sais qu'on utilise l'injection dans des aquifères salins pour le stockage permanent en Afrique et en Norvège. Un de ces projets a d'ailleurs été réalisé avant notre époque : il s'agit du projet Insula au Nigéria. En fait, on trouve des aquifères salins sur tous les continents. L'important est de vérifier s'il est possible d'y stocker du carbone de façon permanente. C'est le travail des spécialistes de la structure géologique souterraine. Cependant, selon les travaux menés par le Global CCS Institute, une ONG située en Australie, on trouverait ces aquifères partout dans le monde, pas seulement en Amérique du Nord.

La sénatrice Fraser : Excellent. J'imagine que cela comprend la Russie.

Cela m'amène à ma deuxième question. Avec un deuxième prénom comme Cassandra, vous comprendrez que je m'intéresse à ce qui pourrait tourner mal. Quels sont les risques d'une catastrophe, une fuite grave ou autre chose?

M. Wiwchar : Nous avons étudié les scénarios possibles. En fait, nous en avons parlé avec les habitants de la localité. Comme je l'ai souligné, il y a dans ce secteur une formation géologique très importante composée de trois couches différentes juste au-dessus de l'aquifère salin des sables du Cambrien basal, ce qui est une des raisons principales pour lesquelles nous avons choisi cet emplacement. La première est ce que l'on appelle la roche couverture, un terme générique. Il s'agit essentiellement d'une roche imperméable qui, comme son nom l'indique, agit comme une couverture. Il n'y a ni CO2 ni gaz qui peut passer à travers. On en trouve partout dans le monde. C'est le même mécanisme qui permet de conserver le gaz, même le gaz acide, sous la surface du sol. Cette roche doit demeurer intacte. Bien entendu, les technologies souterraines que nous utilisons nous permettent de détecter la moindre fissure.

Les deux autres couches qui contribuent à l'étanchéité de la formation sont deux couches de sel, qui font environ 40 et 80 mètres d'épaisseur respectivement. Si la roche couverture venait à se fissurer, ces dernières assureraient l'étanchéité.

Heureusement pour nous, en Alberta, il n'y a pas de tremblements de terre comme on en a au Japon. Nous sommes donc confiants. Dans le cadre de notre programme de mesure, de surveillance et de vérification, nous faisons rapport chaque année sur l'intégrité de ce mécanisme d'étanchéité.

Pour vous donner une idée, après 25 ans pour l'ensemble des points d'injection, on parle d'un panache qui s'étendrait sur une zone d'environ 3 600 kilomètres carrés. D'après ce que nous voyons maintenant, on pourrait s'attendre à un panache limité à un rayon de seulement trois ou quatre kilomètres de chaque injection. Le CO2 est bien piégé.

Nous avons même envisagé la possibilité que le CO2 traverse la couche de sel. Disons que la roche couverture pouvait se fissurer et qu'il y avait un risque de fuite par les couches de sel. Environ un demi-kilomètre plus haut se trouvent d'anciens puits de pétrole où le CO2 finirait par arriver et qui agiraient aussi comme mécanismes de stockage.

Nous exerçons une surveillance souterraine. Nous contrôlons les eaux souterraines parce qu'il s'agit de la source d'eau potable des habitants de la région. Il y a plus de 500 puits d'eau souterraine dans la zone. Nous procédons à un échantillonnage et en vérifions plus de 200 chaque trimestre, plus particulièrement dans le rayon qui pourrait être touché.

Si vous voulez suivre la présentation, la diapositive 15 illustre ce que j'essayais de vous décrire, c'est-à-dire les différentes couches qui assurent l'étanchéité.

Dans le cadre de notre programme de mesure, de surveillance et de vérification, nous analysons les eaux souterraines et nous vérifions également les concentrations en CO2 dans le sol et dans l'air.

Nous avons aussi abordé avec les citoyens la question d'une éventuelle fuite du pipeline. Il faut ramener les choses à leur juste mesure. Nous avons eu recours à la modélisation pour étudier cette possibilité. Donc, il y a un pipeline de 65 kilomètres. Nous avons réalisé un modèle. Nous avons conçu le pipeline et nous avons prévu nos mesures d'urgence en cas de problème. Disons, par exemple, qu'il survienne une rupture importante. Nous savons que cela entraînerait une concentration de CO2 de 4 p. 100 dans la zone visée par les mesures d'urgence et nous avons informé les gens qui habitent dans les environs de ce qui serait fait dans un tel cas. Pour vous donner une idée, une concentration de CO2 de 4 p. 100 correspond à ce que nous émettons en respirant. Nous ramenons des gens à la vie avec cette concentration de CO2. Il ne faut pas confondre le CO2 avec le très néfaste H2S. Le CO2, nous l'utilisons dans le nettoyage à sec et il y en a dans le Coke et dans l'eau pétillante. Il y en a dans la glace sèche employée dans les spectacles ou dans les pièces de théâtre. Le CO2 est partout. Nous l'utilisons dans les extincteurs d'incendie. C'est quelque chose qui figure dans notre vie de tous les jours.

La sénatrice Griffin : Dans vos diapositives, vous mentionnez que la transmission des connaissances est l'une des conditions que vous devez respecter. Vous avez également indiqué avoir eu des visiteurs sur les lieux. Quelles autres activités de transmission des connaissances avez-vous menées? Ont-elles suscité de l'intérêt, et y a-t-on participé?

M. Wiwchar : Nous avons reçu des délégations gouvernementales de la Chine, de la Norvège et du Royaume-Uni. Nous leur avons expliqué le déroulement de la mise en œuvre du projet Quest du point de vue du financement, de la réglementation et des questions techniques. Habituellement, ces groupes sont composés en gros de responsables des politiques et de la réglementation gouvernementale, ainsi que de spécialistes techniques.

Nous travaillons en outre avec le Global CCS Institute, une ONG spécialisée dans le domaine. L'été dernier, nous avons organisé un genre de cours d'été. Il s'agissait d'un atelier de deux jours auquel ont participé des représentants de l'Italie et de diverses universités. En fait, il y avait des gens de l'Italie, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne. Donc, un atelier de deux jours — une journée en classe et une sur le terrain — pendant lequel les participants ont pu se familiariser avec Quest et voir de quoi il s'agissait, comment l'installation est exploitée, le personnel, la surveillance. Nous avons même parrainé deux étudiants de Grande-Bretagne pour qu'ils puissent venir se former. Ils nous fournissent un service et nous leur offrons des connaissances et de l'expérience.

La sénatrice Griffin : Comme vous le savez, le gouvernement fédéral s'est engagé à réduire les émissions de 30 p. 100 en deçà du niveau de 2005 d'ici 2030. Que pensez-vous de cette cible? Est-elle réalisable à votre avis?

M. Wiwchar : Si nous prenons l'éventail de technologies disponibles — le solaire, l'éolien et le CSC — et que nous utilisons ces technologies de manière à ce qu'elles se complètent plutôt que de les mettre en concurrence, je pense que c'est possible. Nous pouvons retenir différentes leçons du projet Quest. Nous avons lancé l'idée en 2008 et le projet a démarré en 2015. Sept ans se sont écoulés. Nous essaierions en outre de réduire ce délai de mise en œuvre. J'ai un doute quant à la possibilité de respecter cette cible si nous nous limitons à une technologie. Si nous envisageons toutes les technologies, les énergies renouvelables et le CSC, je pense que c'est possible.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de votre exposé, monsieur Wiwchar.

La sénatrice Fraser a déjà abordé le sujet de ma question, mais j'aimerais y revenir sous un angle légèrement différent. Il s'agit des préoccupations environnementales qui pourraient être liées au stockage dans le pipeline. Vous nous avez parlé de votre programme de mesure, de surveillance et de vérification et de ce qui pourrait arriver relativement au CO2. Y a-t-il d'autres sujets de préoccupation d'ordre environnemental liés à l'installation de stockage ou au pipeline?

M. Wiwchar : L'autre question que nous avons naturellement gérée de façon proactive est la fracturation. Il s'agit d'ailleurs d'une chose à laquelle on pourrait nous associer par erreur. Nous avons un capteur d'événements microsismiques pour surveiller les secousses terrestres. Chaque puits d'injection est pourvu d'un puits de surveillance profond, dont l'un comprend un dispositif de surveillance microsismique permettant de détecter la moindre secousse, même celles de magnitude négative sur l'échelle de Richter. Nous n'avons relevé qu'une secousse mineure récemment. La sensibilité de ce dispositif est telle que nous avons mesuré des tremblements de terre aussi loin au sud que le Montana. Ici, il n'y en a pas eu. La population pose aussi ce genre de question. C'est quelque chose que nous avons surveillé avant l'injection et allons continuer de surveiller pendant l'injection. Jusqu'ici, mis à part un petit événement sans importance, nous n'avons rien relevé.

La sénatrice Seidman : Il y a donc des normes précises en ce qui concerne les activités de mesure et autres choses du genre que votre projet exige. Il s'agit de normes détaillées. La technologie est nouvelle, mais les normes qui nous permettent de bien comprendre les problèmes environnementaux possibles ont déjà été élaborées et sont accessibles, si je comprends bien?

M. Wiwchar : La technologie que nous avons développée pour nous-mêmes et qui a fait l'objet d'une vérification indépendante par Det Norske Veritas nous a pour ainsi dire permis d'établir la norme de référence en matière de surveillance. Disons, pour mettre les choses en perspective, que l'industrie pétrolière et gazière a accès à de nombreuses technologies souterraines et à des technologies de surveillance de surface.

Nous collaborons avec certains organismes, par l'intermédiaire de l'Organisation internationale de normalisation et même du gouvernement de l'Alberta. Cette collaboration est riche en enseignements. L'un des aspects qui semblent faire consensus, c'est que nous avons établi une norme « platine ». Notre surveillance touche tous les aspects, et ce, même deux ans avant le lancement d'un projet. Nous constatons tous, au fil du temps, que certaines mesures que nous avons mises en place ne seront pas nécessairement utiles. De nouvelles technologies de surveillance seront créées, en collaboration avec le département américain de l'Énergie, et nous les mettrons même à l'essai ici. Nos activités en ce sens ont fait l'objet d'une vérification indépendante et des entreprises tierces cherchent à définir les normes à cet égard.

La sénatrice Seidman : J'ai une dernière question sur le site de stockage. Lorsqu'il sera plein, sera-t-il nécessaire de prendre des mesures particulières pour son confinement ou sa fermeture?

M. Wiwchar : Selon l'entente que nous avons conclue avec le gouvernement provincial, la mise hors service du site est assortie de conditions. Lorsque nous cesserons nos activités au site d'injection, nous serons tenus d'exercer une surveillance des puits de la zone de stockage pour au moins 10 ans, de façon à nous assurer que le CO2 demeure emprisonné. Selon l'entente, nous devons mettre les puits hors service — ce qui revient essentiellement à sceller les puits avec du ciment — et retirer nos infrastructures. Ensuite, nous obtiendrons ce qu'on appelle un certificat de clôture, ce qui signifie que nous serions déchargés de toute responsabilité par le gouvernement provincial. Nous suivrons alors nos propres procédures pour l'abandon de puits.

Le président : La sonnerie se fait entendre. Au Sénat, la sonnerie retentit pendant une heure. Nous pouvons poursuivre la séance. C'est possible. Je viens de recevoir un courriel dans lequel on indique que nous pouvons poursuivre pendant la sonnerie, alors poursuivons. Sinon, nous serons ici jusqu'à minuit.

Le sénateur MacDonald : Parlons d'argent, quelques minutes. Le coût total du projet Quest s'élevait à 1,3 milliard de dollars, dont les deux tiers — 865 millions de dollars —, provenaient des gouvernements provincial et fédéral. Dans les deux cas, ce sont des sommes considérables. Ce projet aurait-il été possible sans les deniers publics? Selon vous, les fonds publics sont-ils essentiels au développement de cette technologie? À votre avis, des fonds publics sont-ils nécessaires, dans un avenir rapproché voire plus tard, pour faire avancer les technologies de CSC?

M. Wiwchar : La réponse à la première question est non. Le financement public a joué un rôle essentiel dans le lancement du projet Quest et la décision d'investir. À mon avis, un des aspects importants de notre collaboration avec les gouvernements était évidemment que le financement n'était pas nécessairement accordé sans contrepartie. En quoi était-ce à leur avantage? Ce qu'ils ont obtenu en échange est essentiellement une reconnaissance de l'importance du financement qu'ils nous ont accordé.

Nous fournissons tous les détails de nature technique, sauf ceux sur les technologies brevetées connexes, soit les technologies de pointage. Les deux gouvernements communiquent ces renseignements avec d'autres gouvernements. Je sais par exemple que le gouvernement fédéral a communiqué ces informations au département américain de l'Énergie et au Mexique. Cela est d'un apport utile au Canada, qui est reconnu comme un chef de file dans ce domaine, notamment grâce au projet Quest, à l'amélioration de l'efficacité énergétique et au projet de la centrale Boundary Dam.

En ce qui concerne votre autre question, nous n'avons certainement pas l'intention de demander des fonds publics pour notre prochain projet. Comment pourrons-nous y arriver? Il y a deux ou trois façons. Comme je l'ai indiqué, l'un des aspects consiste d'abord à chercher à réduire l'écart et à réduire nos coûts d'exploitation et de construction, mais il faut également tenir compte de l'augmentation de la tarification du carbone. Actuellement, cet aspect dépend de la réglementation et du gouvernement, mais notre but n'est pas de nous limiter à cela.

Shell commandite notamment les XPRIZE, qui sont destinés aux entreprises de technologie de pointe qui pourraient utiliser le CO2 pour la fabrication de produits à valeur ajoutée. À titre d'exemple, l'une des entreprises participantes est une entreprise canadienne appelée Carbon Cure qui incorpore du CO2 dans du béton, ce qui permettrait de solidifier le béton et de réduire les coûts, semble-t-il. Cela démontre que le CO2 peut être autre chose qu'un flux de déchets et qu'il peut avoir une certaine valeur.

L'autre aspect que nous étudions est l'utilisation des gaz à effet de serre. C'est une bonne chose; le potentiel est là, surtout dans notre climat nordique, mais il n'est pas nécessairement possible d'optimiser l'utilisation du CO2.

Nous faisons également des recherches sur l'utilisation du CO2 dans les engrais, pour la fabrication d'urée. Nous savons, comme l'ont démontré des études réalisées au Brésil et en Chine, qu'un mélange d'urée et de soufre permet d'accroître le rendement des cultures de 30 p. 100. Ce n'est peut-être pas pleinement reconnu comme un procédé de séquestration de CO2, mais c'est une occasion.

Une autre avenue que nous explorons est un procédé qui est répandu au Texas et dans le sud de la Saskatchewan : la récupération assistée du pétrole à l'aide de CO2. Ce procédé permet à la fois le stockage permanent et la production de pétrole. Comme je l'ai indiqué précédemment, nous ne considérons pas nécessairement que la RAP soit la solution ultime, mais cette solution contribue à réduire l'écart et nous permet de mettre en œuvre des technologies de captage du carbone et d'en réduire les coûts, en plus de favoriser l'autofinancement d'éventuels projets de CSC.

Le sénateur MacDonald : J'ai une autre question. Quel est le coût monétaire du CSC par tonne de CO2?

M. Wiwchar : Pour le premier projet Quest, le coût était de plus de 100 $ la tonne, ce qui comprend les dépenses en immobilisations et l'expérience en exploitation. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il était important d'obtenir du financement public pour le premier projet. Nos observations sur les nouvelles technologies de capture, tant au sein de notre société qu'ailleurs, nous portent à croire que nous parviendrons à réduire les coûts de 20 à 30 p. 100 pour les technologies de prochaine génération, ce qui nous mènerait aux environs de 70 ou 80 $ la tonne.

Le sénateur Wetston : J'ai deux ou trois petites questions, qui se rapportent aux questions du sénateur MacDonald. J'ai manqué le début de votre exposé; je suis désolé. En ce qui concerne les 865 millions de dollars, comment ont-ils été répartis pour ce projet?

M. Wiwchar : Les 120 millions fournis par le fédéral ont servi à l'étude technique préliminaire. Donc, ces fonds ont essentiellement servi aux travaux souterrains liés au choix du site, à la conception des technologies de surveillance et aux travaux de conception technique sur le mécanisme de capture. Nous appelons cela la phase des décisions préalables à l'investissement.

Le financement de 745 millions de dollars canadiens provenant du gouvernement provincial s'est fait en trois versements. La première tranche — 298 millions ou 40 p. 100 du total — nous a été versée en fonction de sept jalons de construction. Nous avons convenu d'atteindre certaines cibles tous les six mois. L'atteinte de ces cibles fondées sur le rendement devait faire l'objet d'une vérification d'une société d'ingénierie indépendante de Shell. La société retenue pour l'évaluation de notre rendement pendant la phase de construction ne devait pas avoir participé à des projets de Shell depuis un certain nombre d'années.

À titre d'exemple, nous avons procédé par modules. Nous avons confié la fabrication de 69 modules à une entreprise locale située à l'est d'Edmonton. Nous avons reçu un versement après la livraison du premier module sur le site, et un autre à la livraison du dernier module. Cela vous donne une idée de nos jalons de construction.

Un montant de 149 millions de dollars a servi au financement de trois essais d'exploitation commerciale, comme on les appelle. Nous devions prouver, pendant des essais de 24 heures, que nous pouvions capturer 1,08 million de tonnes d'équivalent CO2 par année. Lors du deuxième essai, d'une durée de 20 jours, nous devions capturer au moins 75 p. 100 des émissions de CO2. En outre, nous devions prouver que nous avions la capacité de maintenir un lien ferroviaire jusqu'à un puits pendant 30 jours. Nous avons reçu le montant de 149 millions de dollars lorsque nous en avons fait la démonstration; nos résultats ont été validés par une société d'ingénierie indépendante, encore une fois.

La dernière tranche de 298 millions de dollars sera versée après 10 ans ou après la capture de 10,8 millions de tonnes, selon la première éventualité. Lorsqu'on fait le calcul, on voit que cela représente près de 27,55 $ par tonne de CO2 stocké.

Essentiellement, chaque dollar que nous recevons du gouvernement albertain doit satisfaire à des critères de rendement, et cela fait l'objet de vérifications.

Le sénateur Wetston : J'essaie de comprendre le rapport entre la technologie et les caractéristiques géologiques. Lequel des deux a plus d'importance? Les deux sont-ils absolument essentiels à l'atteinte des cibles que vous avez décrites?

Je vais vous donner un exemple de ce que j'ai en tête. Je suis un sénateur de l'Ontario. Comme vous le savez, il y a des activités d'injection de gaz dans la rivière Don; vous connaissez sans doute l'importance de ces activités pour l'approvisionnement en gaz naturel dans la province, tant pour la production d'électricité que pour le chauffage. Évidemment, les caractéristiques géologiques permettent de telles activités.

Il y a eu de nombreuses recherches sur le stockage, mais d'un tout autre point de vue. Il s'agit essentiellement de technologies de stockage liées à la production intermittente d'énergie renouvelable et à la capacité de stockage pour ces ressources renouvelables. Vous êtes sans doute au courant aussi. Beaucoup de recherches sur la technologie des volants d'inertie ont lieu dans la région. Ce n'est aucunement lié au projet dont nous discutons, mais il y a manifestement un lien avec l'enjeu de la réduction des gaz à effet de serre, comme vous pouvez l'imaginer.

En fin de compte, je cherche à comprendre la portée des travaux de ce genre. Vous avez l'usine de valorisation, les pipelines que vous avez construits et la capacité de stockage, évidemment, mais est-il possible de développer cela en fonction d'autres applications de réduction des gaz à effet de serre?

M. Wiwchar : Oui. Nous l'avons fait à l'usine de valorisation. Cela pourrait facilement être adapté à une raffinerie, ou encore aux engrais et au ciment. Je sais que certaines données indiquent que la production de ciment représente environ 5 p. 100 des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cette technologie peut être appliquée dans le secteur de la production d'électricité, tant dans les centrales au gaz que dans les centrales au charbon, afin de réduire les émissions de CO2.

Je précise, pour mettre cela en perspective, que le projet Quest incite des chercheurs à entreprendre des recherches sur les piles à hydrogène pour les automobiles. La technologie du projet Quest a été appliquée à une génératrice à hydrogène, c'est-à-dire une unité de production d'hydrogène. Donc, essentiellement, on pourrait produire de l'hydrogène sans émissions avec une charge de gaz naturel, ce qui pourrait être un carburant d'avenir pour les automobiles et les piles à hydrogène. Dans un tel contexte, la CSC pourrait vraiment être une technologie pour le futur, même si cela a toujours existé.

Le sénateur Wetston : J'ai une petite question complémentaire concernant la production d'électricité, qui est un sujet qui m'intéresse. Si les caractéristiques géologiques étaient propices, cette technologie pourrait-elle alors être viable pour d'importantes centrales au gaz ou au charbon?

M. Wiwchar : À titre d'exemple, la centrale du barrage Boundary de SaskPower utilise notre technologie de pointage pour la capture du carbone, avec comme objectif de capturer un million de tonnes par année. La société a déployé une technologie de CSC pour sa centrale alimentée au charbon afin d'éliminer les émissions de CO2. Une partie de ce CO2 est en stockage permanent. Les sables du Cambrien basal sont plus profonds d'environ trois kilomètres. En outre, la société vend une partie de ce CO2 aux entreprises locales de récupération assistée des hydrocarbures.

Le sénateur Patterson : Le sénateur Wetston a posé une de mes questions. Je tiens, bien sûr, à remercier le témoin. Dans le cadre de notre étude, nous avons eu le privilège de visiter les installations du barrage Boundary. Nous sommes donc heureux d'entendre ces renseignements sur le projet Quest.

Vous captez tout ce carbone, ce qui est formidable. Savez-vous combien d'énergie il faut pour piéger, transporter et stocker les émissions de CO2 à l'installation de Quest?

M. Wiwchar : Oui. Je vais vous donner un ordre de grandeur : nous captons et injectons environ 1,1 million de tonnes de CO2. Nous utilisons environ 150 000 tonnes d'équivalent CO2 grâce à la production d'énergie pour alimenter le compresseur et au gaz naturel qui sert à la production de vapeur. Le flux net de CO2, ou le CO2 évité, comme on l'appelle, représente environ 950 000 tonnes par année. Pour obtenir les crédits liés au CO2 évité, nous venons de nous soumettre à une vérification du Bureau du changement climatique de l'Alberta — le ministère de l'Environnement de l'Alberta —, qui doit confirmer les données que nous avons fournies. Nous recevrons ensuite les crédits numérotés.

Le sénateur Patterson : Je suppose que nous pourrons calculer le pourcentage nous-mêmes.

M. Wiwchar : Oui.

Le sénateur Patterson : Merci.

Le président : Pour terminer, j'aurais deux ou trois questions pour ce témoin.

Shell participe-t-elle à des opérations de CSC ailleurs dans le monde? Vous indiquez dans votre document que de nombreux projets sont en cours. Je pense que vous avez parlé de 15 installations, dont six sont actuellement en construction. Shell participe-t-elle à l'un ou l'autre de ces projets?

M. Wiwchar : Oui. Nous participons au projet Mongstad, un centre technique situé en Norvège. Il s'agit d'une installation de démonstration de la technologie de captage, créée en collaboration avec Statoil, et située à Bergen, en Norvège. Notre participation permet à diverses entreprises de technologie de s'y rendre pour faire des essais. Pour ces entreprises, c'est une occasion d'apprendre et de vérifier l'applicabilité de leur technologie. L'idée est de savoir s'ils peuvent capturer la quantité de CO2 dont elles ont besoin. En outre, nous cherchons toujours à réduire la consommation d'énergie, évidemment.

J'ai mentionné le barrage Boundary, où nous jouons un rôle en fournissant notre technologie de pointage. Nous collaborons actuellement avec Chevron à un important projet en Australie, l'installation Gorgon, dont nous sommes propriétaires à 25 p. 100. Nous avons entrepris le démarrage de l'unité de capture, qui devrait, à terme, capturer et stocker quelque trois millions de tonnes de CO2 par année, je crois.

Le président : Deuxièmement, vous avez parlé des terrains que vous avez loués au gouvernement de l'Alberta pour vos activités de stockage. J'ai besoin de votre aide, car je suis de la vieille école : je calcule encore beaucoup de choses en pieds et en pouces. Deux kilomètres, cela équivaut à environ 6 500 pieds?

Le sénateur Massicotte : À peu près.

M. Wiwchar : C'est environ un mille et demi.

Le président : C'est un peu plus que cela. Quoi qu'il en soit, c'est assez près, manifestement. Aucun bail de forage ne doit être accordé pour les secteurs réservés au stockage. Dans cette région, les puits sont-ils beaucoup moins profonds?

M. Wiwchar : Non. Il y a quelques exigences. La première est que toute installation de stockage doit être située à plus d'un kilomètre de profondeur pour obtenir l'homologation du gouvernement albertain. Nous satisfaisons à cette exigence.

J'ai également parlé du choix du site. En périphérie de notre concession se trouvent de vieilles concessions pétrolières épuisées. Dans notre région, il n'y a aucune exploration pétrolière et, selon les dispositions de cet accord de concession, puisqu'il a été conclu par l'entremise du ministère de l'Énergie, quiconque souhaite faire de l'exploration pétrolière doit d'abord nous consulter ainsi que le gouvernement.

De plus, quiconque voudrait faire de l'entreposage sur le terrain limitrophe au nôtre doit suivre un processus établi. Nous n'y avons pas eu recours encore, mais un processus de consultation a été établi pour s'assurer que l'effet global ne nuit pas à la subsurface.

Le président : Il n'y aurait probablement aucune activité d'exploration dans le secteur où vous entreposez.

M. Wiwchar : Effectivement. Il ne se fait aucune exploration depuis quelques décennies maintenant.

Le président : Ma dernière question revient sur un point soulevé par la sénatrice Griffin au sujet du 30 p. 100 sous les niveaux de 2005 d'ici 2030. Selon les informations que nous avons reçues du gouvernement et malgré tous les règlements mis en vigueur et toutes les mesures adoptées jusqu'à maintenant — et celles qui le seront au cours des 13 prochaines années —, il y a encore un manque à gagner de 219 millions de tonnes de CO2. À eux seuls, les secteurs pétrolier et gazier émettent 233 millions de tonnes. Si je ne m'abuse, le secteur du transport est responsable de 157 millions de tonnes et les industries tributaires du commerce, environ 100 millions de tonnes. C'est beaucoup.

Êtes-vous en train de nous dire que nous pouvons atteindre cette cible d'ici 2030? Ce n'est que dans 13 ans et il reste encore 219 millions de tonnes à trouver et à éliminer. J'aimerais que vous m'aidiez à comprendre. Vous pouvez injecter un million de tonnes... En réduisant vos émissions de 219 millions de tonnes, nous pourrions atteindre cette cible. Je sais qu'il existe d'autres technologies, mais je crois que les plus évidentes ont déjà été réalisées. Les prochaines sont un peu plus difficiles à trouver. J'aimerais avoir votre aide pour comprendre.

M. Wiwchar : Comme je l'ai dit, ce qu'il nous faut, c'est un mélange de technologies. C'est notre opinion, chez Shell, et nous croyons qu'il y a une certaine concurrence à ce chapitre.

Nous sommes conscients également que, pour y arriver, il doit y avoir un prix sur le carbone. Au Canada et en Alberta, on parle d'environ 30 $ la tonne jusqu'à 50 $ la tonne. Pour combler l'écart, il faudrait probablement aller plus loin. Dans certaines régions, comme en Californie, on parle de 100 $ la tonne.

Il faudra plus d'un intervenant ou deux pour réussir. Shell a éliminé une étape de plus, mais les autres n'ont pas suivi. Si nous sommes tous vraiment engagés à l'atteinte de cette cible, et je crois que cette cible est atteignable, il faudra une entière collaboration entre les gouvernements, l'industrie et même les citoyens.

Le président : C'est plus difficile qu'il n'y paraît, non?

M. Wiwchar : C'est un défi. Est-ce réalisable? Ce n'est pas impossible, mais il faudra faire un effort très concerté.

Le président : Merci beaucoup pour cette présentation très intéressante. Nous avons tous appris quelque chose. Je tiens à remercier les membres du comité pour leurs questions.

Pour la deuxième partie de cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, nous accueillons Lynn Blodgett, président et chef de la direction, et Jamie MacNeil, directeur national, tous deux de Big Moon Power.

Messieurs, je vous demanderais d'amorcer votre exposé, et nous garderons un œil attentif à l'horloge. Comme vous le savez, nous serons appelés à aller voter au Sénat. Le vote devrait se faire rapidement. Nous pourrons ainsi revenir et passer aux questions des membres. Monsieur, vous avez la parole.

Lynn Blodgett, président et chef de la direction, Big Moon Power : Merci, sénateurs. C'est un honneur d'avoir été invité à témoigner devant le comité aujourd'hui.

Les changements climatiques, la transition vers une économie à faible émission de carbone et l'atteinte de cibles nationales et internationales en matière d'émissions de gaz à effet de serre ont inspiré décideurs, universitaires et entrepreneurs comme aucun autre enjeu au cours des 20 dernières années.

J'aimerais d'abord dire que, contrairement à beaucoup d'autres qui se lancent dans les énergies renouvelables ou la technologie propre, je ne suis ni ingénieur ni scientifique; je suis un homme d'affaires. Il y a de nombreuses années, mon frère et moi avons fondé une entreprise informatique dans notre garage. Nous l'avons transformé en entreprise Fortune 500 de 100 000 employés. Lorsque j'ai pris ma retraite, à titre de PDG, j'ai supervisé la vente de l'entreprise à Xerox, puis je suis devenu président des services internationaux chez Xerox.

Malheureusement, j'ai éprouvé des problèmes de maladie, un problème cardiaque sérieux. À la recommandation de mon médecin, je me suis installé à un endroit au niveau de la mer pour récupérer. Pendant mon séjour dans les Caraïbes, je suis devenu obsédé par la marée, cette ressource merveilleuse que la plupart des gens tiennent pour acquis. J'ai vu la marée soulever d'énormes navires sans le moindre effort. J'étais convaincu qu'il devait y avoir une façon de tirer profit du pouvoir de la marée.

Après avoir pris ma retraite de chez Xerox, j'ai fondé Big Moon Power dans le but de mettre à profit le pouvoir de la marée. Mais, en raison de mon expérience professionnelle, je savais que le développement d'une technologie permettant d'exploiter ce pouvoir n'était qu'une partie de la solution. Comme vous le savez, pour qu'un produit ou un service ait une valeur quelconque, il faut être concurrentiel. À quoi bon créer un mégawatt d'électricité si celui-ci coûte trois ou quatre fois plus qu'un mégawatt créé à partir d'une autre source renouvelable? C'était donc notre objectif : développer une nouvelle méthode pour canaliser l'énergie marémotrice, mais une méthode rentable.

Avec l'aide d'une petite équipe, nous avons analysé les informations de base sur l'énergie marémotrice. Même si, du point de vue des services publics, la marée ne constitue pas une source de pouvoir constante ou ferme, elle est prévisible et son pouvoir peut être acheminé. Donc, contrairement à l'énergie solaire et éolienne, nous savons quelle sera la vitesse du courant dans la baie de Fundy demain, après-demain et dans de nombreuses années. C'est pour cette raison que nous pouvons dire à la compagnie d'électricité exactement combien d'électricité nous pouvons produire demain, après- demain et à n'importe quel moment dans le futur. Cette prévisibilité a une valeur inhérente pour la compagnie d'électricité. L'énergie marémotrice devrait avoir une certaine valeur et être privilégiée à d'autres formes d'énergie renouvelable.

Ensuite, nous avons examiné la technologie en cours de développement et avons remarqué immédiatement que la conception, la fabrication, la mise en œuvre et l'entretien de ces appareils sont très dispendieux. Construire un appareil capable de fonctionner dans la mer où l'eau et les débris circulent à 12 nœuds, c'est une chose. C'est très complexe. Mais, l'installation et l'entretien de ces appareils sont également très complexes. Comme vous le savez, en affaire, la complexité se traduit par des dépenses et, dans un environnement concurrentiel, les dépenses sont l'ennemi de la réussite.

Nous avons donc adopté quelques principes de base. Premièrement, retirer de l'eau toutes les pièces complexes. Deuxièmement, concevoir un appareil qui serait aussi inerte que possible sur le plan environnemental. Troisièmement, tenter de profiter autant que possible des économies d'échelles réalisées dans le secteur de l'énergie éolienne.

Je ne suis pas un spécialiste de l'énergie renouvelable, mais je me débrouille plutôt bien avec les chiffres. Je travaillais dans le domaine de la TI lorsque la Chine et l'Inde ont pénétré l'industrie et j'ai vu l'impact que cela a eu sur les coûts. Le secteur des éoliennes a eu le même impact sur les coûts dans le secteur de l'énergie renouvelable. Le secteur des éoliennes a atteint un certain niveau, après quoi les prix ont chuté. Les composantes des éoliennes sont fabriquées à coup de 10 000 unités à la fois par les plus grandes entreprises au monde. Nous avons donc conclu qu'il serait essentiel de concevoir un appareil qui pourrait profiter de ces économies d'échelle.

Après un nombre incalculable d'heures passées à innover, à faire des essais, à modifier et à essayer de nouveau, nous avons transporté ce que nous appelons notre « quille cinétique » en Nouvelle-Écosse. Imaginez une barge de travail, comme on en voit partout sur les plans d'eau et dans la baie de Fundy depuis des générations. Nous avons pris cette barge de travail et y avons soudé, en son centre, une plaque de métal qui descend 50 pieds sous l'eau. Placée perpendiculairement à la marée, cette barge, avec sa plaque, créée beaucoup de résistance.

Le défi était de trouver une façon de transformer cette résistance en électricité. Pour ce faire, nous avons attaché un harnais à quatre coins à la plaque de métal sous la barge et relié ce harnais au rivage à l'aide d'une corde très élastique sept fois plus solide que l'acier placée profondément sous l'eau. Pour créer le générateur, nous avons remplacé les pales d'une éolienne par un baril de corde. Lorsque la marée pousse la barge, la corde se tend et fait tourner le baril et le générateur. Tout cela se fait à l'aide des composantes d'une éolienne. La quille se déplace à environ un kilomètre-heure et parcourt environ cinq kilomètres pendant le cycle de marée.

En 2016, nous avons collaboré avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse et avons mené un essai réussi de la quille. En 2017, nous collaborons encore une fois avec le gouvernement provincial pour mettre en œuvre un projet pilote, soit un site de démonstration de quatre mégawatts dans la baie de Fundy.

À notre arrivée en Nouvelle-Écosse, nous avons pris un engagement avec le gouvernement provincial : puisque la baie de Fundy appartient aux Canadiens et aux citoyens de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, ce sont eux qui devraient être les principaux bénéficiaires de notre projet. À cette fin, toutes les activités de développement qu'il est possible de réaliser dans la province le sont, comme la fabrication et les travaux d'ingénierie. D'ailleurs, la quille a été fabriquée par la fonderie de Lunenburg.

Nous ne voulons pas créer un projet uniquement pour la Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick; nous souhaitons créer une industrie qui profitera à long terme aux citoyens. Nous voulons coexister avec les autres utilisateurs de la baie et exporter la capacité intellectuelle des Canadiens et des Néo-Écossais à l'échelle internationale.

Le Canada fait figure de leader dans la transition vers une économie à faible émission de carbone. Je crois que les gouvernements et entreprises se rendent compte des avantages d'investir dans la technologie propre. De plus en plus de jeunes, y compris chez Big Moon Power, sont à l'avant-garde de cette transformation économique. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont fait de l'excellent travail pour attirer de l'investissement. Nous aurions pu mettre notre technologie à l'essai n'importe où. Notre quille est conçue pour fonctionner dans les marées agressives de la baie de Fundy où la vitesse du courant varie de 3 à 12 nœuds.

Ce n'est pas vraiment le cycle de marée qui nous a amenés en Nouvelle-Écosse. C'est plutôt les investissements réalisés par les gouvernements fédéral et provincial dans des programmes, comme le programme de tarifs de rachat garantis, dans la recherche continue et le développement dans le domaine de l'énergie marémotrice.

Il est très important de reconnaître une nouvelle industrie, une nouvelle technologie et une nouvelle économie, mais il est tout aussi important de le faire correctement, et je crois que c'est ce qu'ont fait le gouvernement fédéral et le gouvernement de la Nouvelle-Écosse.

Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir écoutés et nous sommes impatients de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup pour cette présentation.

Le sénateur Massicotte : En résumé, où en êtes-vous aujourd'hui? Vous produisez combien d'électricité et quel est votre prix de production?

M. Blodgett : Nous travaillons avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse à l'obtention d'un permis pour mettre en place notre premier site de démonstration. Notre coût du capital actualisé, le principal élément qui influence le prix de l'énergie, se rapproche de celui d'une éolienne. Nous croyons être en mesure de produire, à moyenne échelle, de l'énergie à environ 100 $ à 125 $ le mégawattheure, ce qui est considérablement moins dispendieux que la plupart des autres technologies marémotrices.

Le sénateur Massicotte : Et où en êtes-vous sur le plan technologique? Serez-vous opérationnels d'ici un an?

M. Blodgett : Oui.

Le sénateur Massicotte : Avec un coût de base après amortissement égal à celui d'une éolienne?

M. Blodget : Je crois que nous pouvons avoir un investissement en capital équivalent à l'éolienne. Nous ne le savons pas encore. Donc, nous nous couvrons un peu contre les frais d'entretien, car c'est nouveau. Nous croyons avoir bien budgété les coûts en capitaux, mais pour l'entretien, nous avons encore des choses à apprendre. Nous espérons être très près de l'éolienne, surtout en raison de la prévisibilité, comme je l'ai mentionné. En raison de cette prévisibilité, nous pourrions demander aux compagnies d'électricité une prime de 15 à 20 p. 100 plus élevée que ce qu'elles versent aux entreprises qui exploitent des éoliennes. Nous espérons être dans cette fourchette.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Blodgett, c'est un plaisir de vous accueillir. C'est moi qui ai parlé à John Coleman, à Washington.

M. Blodgett : Vraiment?

Le sénateur MacDonald : Oui, et j'ai signalé votre projet au Comité. Je suis donc heureux que vous soyez ici.

M. Blodgett : Merci.

Le sénateur MacDonald : J'ai tant de questions à vous poser, mais je crois que je vais commencer par une question pratique. J'aimerais que vous m'expliquiez ce dont John m'a parlé. Cette technologie semble beaucoup moins intrusive que les turbines, puisque la plupart des composantes sont sur la terre ferme. J'aimerais avoir plus d'explications à ce sujet.

M. Blodgett : Certainement. L'idée était de retirer de l'eau toutes les composantes complexes et de les installer sur la terre. Donc, imaginez une éolienne, mais plutôt que de l'installer à 200 pieds du sol, elle est au niveau du sol, ce qui la rend facilement accessible pour faire des travaux d'entretien sur le générateur et les autres pièces. C'est la première chose.

Ensuite, le dispositif dans l'eau est essentiellement une barge de travail — quelque peu perfectionnée — à laquelle nous avons ajouté une plaque de métal. C'est assez simple. Il faudra la retirer de l'eau périodiquement pour l'entretien régulier, comme tout autre navire, mais il n'y a aucune pale en mouvement dans l'eau.

Du point de vue de l'environnement, sachez que nous avons formé un comité composé de scientifiques. Nous avons réuni des experts dans le domaine des pêches, des sédiments, des mammifères et ainsi de suite, et nous leur avons demandé d'examiner la technologie indépendamment de nous et de rédiger un rapport. Nous sommes en train de réaliser une évaluation environnementale, mais jusqu'à maintenant, les résultats sont très encourageants. La technologie semble être beaucoup moins intrusive.

Le sénateur MacDonald : Bon nombre des préoccupations qui ont été exprimées à propos des projets d'énergie marémotrice concernent les pales, la pêche au homard, les stocks de poisson et ce genre de choses. Vous avez bon espoir que cette technologie va non seulement fonctionner, mais qu'elle va aussi dissiper les préoccupations de ces industries?

M. Blodgett : Dès le départ, nous avons sollicité la participation des Premières Nations et nous avons été à l'écoute de leurs préoccupations environnementales.

Nous avons également tenu de nombreuses discussions avec les pêcheurs. Jusqu'à présent, la réaction des pêcheurs est positive. À vrai dire, je crois qu'ils apprécient notre ouverture d'esprit. Ils se rendent compte que la technologie est plus simple; en fait, on n'obtient pas du tout le même type de réaction catégorique que pour les autres technologies.

Évidemment, nous devons aménager un site de démonstration pour vérifier que tout fonctionne correctement, mais jusqu'à maintenant, les réactions des citoyens sont très favorables. Nous voulons nous assurer que tout se déroule bien.

Nous avons financé une étude sur la pêche au homard et une autre sur les fascines. Ces études ont été réalisées par des universitaires et des pêcheurs et orientées par les commentaires des Premières Nations. Nous voulons établir les meilleures données possible pour démontrer aux habitants que nous tenons compte de leurs préoccupations.

Le sénateur Mockler : J'ai vu la centrale d'énergie marémotrice dans la baie de Fundy. Pourquoi avez-vous nommé votre entreprise Big Moon Power?

M. Blodgett : C'est une excellente question. Le soleil, évidemment, a un rôle à jouer dans les marées, mais la lune est encore plus importante. J'ai une bonne amie qui vit aux États-Unis, une Autochtone. Lorsque je lui ai demandé comment je devrais appeler l'entreprise, elle m'a répondu : « Big Moon Power. » Cela m'a plu. C'est ainsi que le nom de l'entreprise est né.

Le sénateur Greene : Il y a plusieurs exemples de technologie de turbine partout dans le monde. Certaines technologies sont très efficaces; d'autres moins. Y a-t-il d'autres exemples de votre technologie de quille ailleurs dans le monde?

M. Blodgett : Non. J'ai dirigé une entreprise dont le chiffre d'affaires était de 10 milliards de dollars, et je sais à quel point il est essentiel de bien gérer ses ressources. Nous nous sommes concentrés sur la Nouvelle-Écosse pour les raisons que j'ai énumérées dans ma déclaration liminaire.

Nous avons eu des discussions avec les gens du Nouveau-Brunswick, et nous avons bon espoir que très bientôt, après avoir mis en œuvre notre projet en Nouvelle-Écosse, nous pourrons aller de l'avant au Nouveau-Brunswick. C'est tout près. Nous n'allons pas trop nous disperser. Nous voulons nous assurer de réussir ici.

Une fois que ce sera fait, nous croyons que les arguments les plus convaincants seraient d'amener les gens ici au Canada et de leur montrer comment la technologie fonctionne.

Le sénateur Greene : Je vous souhaite la meilleure des chances, car en fait, nous en avons besoin.

La sénatrice Fraser : Merci à vous deux, messieurs. C'est très intéressant.

Pardonnez-moi mon ignorance, mais j'aurais quelques questions à vous poser. Tout d'abord, à quelle distance de la côte vos bateaux doivent-ils être? Les marées sont descendantes.

Ensuite, vous travaillez sur un site de démonstration de quatre mégawatts. Pour un bateau donné, au-delà de la démonstration, une fois qu'on est à l'étape de la production, quels sont les résultats escomptés?

M. Blodgett : Ce qui est intéressant à propos de notre technologie, c'est que le bateau dans l'eau et la génératrice sur la rive sont complètement découplés. Au Nouveau-Brunswick, étant donné que les courants de marée sont un peu plus lents, nous pouvons quand même composer avec la situation; nous avons simplement besoin d'un navire un peu plus gros. Dans la baie de Fundy, si nous allons au centre du chenal, où le courant est beaucoup plus rapide, le bateau peut être très petit.

Le site que nous avons identifié longe le cap Split. Nous sommes habituellement situés à 2 000 ou 3 000 pieds de la côte et parallèlement à la rive.

La sénatrice Fraser : Qu'en est-il des résultats?

M. Blodgett : Les quilles se trouvent à un endroit où le débit de l'eau est relativement lent. Si nous avions mis une quille de 2 mégawatts en eaux agitées, la même quille pourrait produire 10 mégawatts.

Le sénateur Black : Comme tout le monde l'a dit, c'est fascinant. J'aimerais savoir quel est l'état d'avancement. Diriez-vous que le projet est achevé ou qu'on en est encore à l'étape expérimentale?

M. Blodgett : Nous devons d'abord mettre en place notre site de démonstration et vérifier le fonctionnement pendant un certain temps.

Le sénateur Black : C'est là où vous en êtes pour l'instant.

M. Blodgett : Oui. Je dirais que tout au long des essais, nous avions des représentants de Stantec et du département américain de l'Énergie sur place, et nous avons répondu à tous les critères. En fait, nous les avons même dépassés. Nous sommes très satisfaits des essais, mais tant que nous n'aurons pas aménagé notre site de démonstration, je dirais que nous sommes encore à l'étape expérimentale.

Le sénateur Black : En espérant que tout se déroule bien. Pourriez-vous nous parler un peu du déploiement?

M. Blodgett : Tout à fait. Au même endroit dont je vous ai parlé plus tôt, sénatrice Fraser, durant la mise en œuvre, nous pourrions générer entre 1 et 1,5 térawatt d'énergie. C'est donc beaucoup d'électricité pour une petite dimension. La première étape sera de 4 mégawatts; la deuxième de 40 ou de 50 mégawatts, puis la troisième, de 1 à 1,5 térawatt.

Le sénateur Black : À quel moment aura lieu la transition?

M. Blodgett : Nous devons tenir compte du calendrier du ministère de l'Énergie de la Nouvelle-Écosse. On nous a dit qu'on essaierait de nous mettre à l'eau d'ici la fin de l'année. Cela dit, nous nous attendons à avoir un système de 4 mégawatts fonctionnel peu de temps après. Cela dépendra ensuite des exigences du ministère ou de la durée pendant laquelle nous devons fonctionner à 4 mégawatts avant de passer à la prochaine étape. Si nous obtenons de bons résultats, naturellement, nous aimerions progresser le plus rapidement possible.

Le sénateur Black : Je vous remercie pour le travail que vous faites.

Le président : Merci beaucoup pour votre exposé très intéressant. Il se peut que les membres du comité vous envoient d'autres questions par écrit. Par conséquent, vous pourrez faire parvenir vos réponses à la greffière, qui se chargera de nous les transmettre.

M. Blodgett : Merci beaucoup du temps que vous nous avez consacré.

Le président : La séance est levée.

(La séance est levée.)

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