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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 5 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 8 h 1, pour étudier les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues, et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Richard Neufeld et je suis un sénateur de la Colombie-Britannique qui a l’honneur de présider ce comité.

Je tiens à souhaiter la bienvenue à toutes les personnes ici présentes ainsi qu’aux téléspectateurs de partout au pays qui nous regardent à la télévision ou en ligne. Je rappelle aux personnes à l’écoute que ces audiences sont ouvertes au public et qu’elles peuvent aussi être visionnées sur le nouveau site web du Sénat à l’adresse : sencanada.ca. Toutes les autres affaires du comité se trouvent aussi en ligne, dont les anciens rapports, les projets de loi étudiés et les listes de témoins.

Je demanderais maintenant aux sénateurs qui se trouvent autour de la table de se présenter. Je vais d’abord présenter le vice-président, le sénateur Paul Massicotte, du Québec.

Le sénateur Massicotte : Bonjour.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Fraser : Joan Fraser, du Québec.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : J’aimerais aussi présenter les membres de notre personnel, en commençant par notre greffière, Maxime Fortin, et nos analystes de la Bibliothèque du Parlement, Marc LeBlanc et Sam Banks.

Chers collègues, en mars 2016, le Sénat a chargé notre comité d’entreprendre une étude approfondie sur les effets, les défis et les coûts de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Le gouvernement du Canada s’est engagé à réduire, d’ici à 2030, nos émissions de gaz à effet de serre de 30 p. 100 en deçà des niveaux de 2005. C’est une tâche énorme.

Dans le cadre de cette étude, le comité a adopté une approche secteur par secteur. Nous examinerons cinq secteurs de l’économie canadienne qui sont responsables de plus de 80 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre, en l’occurrence, ceux de l’électricité, des transports, du pétrole et du gaz, et des industries tributaires du commerce et à forte intensité d’émissions. Notre premier rapport provisoire sur le secteur de l’électricité a été publié le 7 mars et notre second sur le secteur des transports a été publié le 22 juin.

Aujourd’hui, à l’occasion de notre cinquante et unième réunion dans le cadre de l’étude actuelle, je suis ravi d’accueillir David Keane, président et chef de la direction de la BC LNG Alliance. Monsieur, nous allons attendre votre présentation et nous vous poserons ensuite des questions. La parole est à vous.

David Keane, président et chef de la direction, BC LNG Alliance : Sénateur Neufeld et membres du comité, bonjour et merci de m’avoir invité.

Au nom de nos membres, je tiens à vous dire que j’apprécie que vous m’ayez invité à témoigner aujourd’hui sur les implications de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone pour l’industrie émergente du gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique.

La BC LNG Alliance représente les sept principales entreprises de gaz naturel liquéfié ou de GNL en Colombie-Britannique. Nous avons pour objectif d’appuyer, dans notre province, le développement responsable d’une industrie du GNL qui soit concurrentielle et durable à l’échelle mondiale.

Nos membres cherchent à fournir au monde du gaz naturel canadien exploité de façon responsable, y compris à la deuxième économie mondiale, la Chine, et ils atteindront ces objectifs en collaborant avec les collectivités et les peuples autochtones et en leur offrant des avantages.

Nous estimons que le gaz naturel liquéfié s’inscrit dans la transition vers une économie mondiale à faibles émissions de carbone, que le gaz naturel du Canada peut faire partie de la solution pour réduire les émissions de gaz à effet de serre mondiales, et que la tarification du carbone assortie de protections pour les industries tributaires du commerce et à forte intensité d’émissions est appropriée.

L’exportation des abondantes réserves de gaz naturel du Canada sous forme de GNL vers des pays qui cherchent à réduire leur dépendance au charbon comme source d’énergie constitue l’effort le plus important de diminution des émissions de gaz à effet de serre mondiales que peut déployer le Canada.

Bien que les réductions potentielles d’émissions fluctuent modérément en fonction d’une gamme de variables et de suppositions, en règle générale, le gaz naturel qui sert à générer de l’électricité produit jusqu’à 50 p. 100 d’émissions de carbone de moins que le charbon pendant son cycle de vie.

Pour mettre ce scénario de réduction d’émissions en perspective et illustrer les avantages nets potentiels à l’échelle mondiale, une grande installation de GNL en Colombie-Britannique émet entre 60 millions et 100 millions de tonnes de gaz carbonique de moins par année que le charbon pour produire la même quantité d’énergie. Cela équivaut à remplacer entre 20 et 40 centrales thermiques au charbon en Asie par des installations plus écologiques au gaz naturel.

L’exportation de GNL canadien pourrait aussi promouvoir l’intégration de l’énergie renouvelable dans des pays qui dépendent du charbon pour produire de l’électricité étant donné que le gaz naturel est abordable et facile à obtenir, et qu’il fournit un type d’énergie constante lorsqu’il est impossible d’utiliser des types d’énergies renouvelables comme l’énergie solaire ou éolienne pour produire de l’électricité.

Nous encourageons une perspective mondiale pour assurer la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Pensez-y : si les émissions mondiales de gaz à effet de serre étaient représentées par un stade de 50 000 sièges, toutes les émissions du Canada représenteraient environ 800 d’entre eux.

Le Canada peut profiter de l’occasion pour donner l’exemple en réduisant ses émissions globales de gaz à effet de serre par le truchement d’innovations et de l’application de nouvelles pratiques et technologies à cette fin, et il le fera. Voilà pourquoi la BC LNG Alliance recommande au gouvernement du Canada de reconnaître que le gaz naturel canadien pourrait faire partie de la solution mondiale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

En Colombie-Britannique, nos membres sont résolus à bâtir une industrie du GNL qui soit durable et responsable sur le plan environnemental. Le GNL de cette province est assujetti à l’unique seuil d’intensité des émissions mondiales qui fera en sorte qu’il soit parmi les GNL qui émettent le moins d’émissions de carbone au monde et qu’il soit un modèle international de mise en valeur responsable de cette ressource naturelle.

Le fait, pour la Colombie-Britannique, de produire le moins d’émissions de GNL dans le monde est important à la fois pour l’environnement et pour les économies de cette province et du Canada. Une industrie du GNL concurrentielle au Canada ouvrira de nouveaux marchés nécessaires à l’industrie du gaz naturel de la Colombie-Britannique. Cette diversification préservera plus de 13 000 emplois dans l’industrie de la mise en valeur et de la production du gaz naturel en Colombie-Britannique.

Les membres de la BC LNG Alliance sont résolus à être responsables sur le plan environnemental tout en restant concurrentiels sur la scène internationale. Sur 18 pays producteurs de GNL, la Colombie-Britannique deviendrait seulement la deuxième administration productrice de GNL, après la Norvège, à avoir imposé une taxe sur le carbone pour le GNL.

Cela m’amène à mon dernier argument, celui qui concerne le besoin d’instaurer des protections pour les industries tributaires du commerce et à forte intensité d’émissions, comme le GNL. Le projet d’industrie du GNL de la Colombie-Britannique fait déjà face à des impôts et à des coûts qui n’existent pas dans les autres administrations productrices de GNL.

À titre d’exemple, les États-Unis ont été en mesure de profiter des installations de GNL dans le cadre de projets de friche industrielle. Leurs projets de GNL permettent d’économiser des années et des milliards de dollars en coûts de construction et exportent déjà leur GNL à l’étranger. Les États-Unis n’ont ni point de référence relatif à l’intensité des émissions ni taxe sur le carbone. En fait, les producteurs de GNL de ce pays reçoivent des incitatifs pour construire des installations d’exportation du GNL.

Une hausse de la tarification pour l’industrie du GNL au Canada sans protection pour les industries tributaires du commerce et à forte intensité d’émissions aurait les conséquences suivantes : le redéploiement des capitaux d’investissement vers des administrations qui n’ont pas les mêmes obstacles fiscaux ou politiques strictes en matière d’émissions de carbone que le Canada; une hausse des émissions de gaz à effet de serre mondiales ou des fuites de carbone chez les administrations productrices du GNL dont les politiques en matière d’émissions de carbone sont moins strictes que celles du Canada; une réduction de la production de gaz naturel au Canada; et des occasions perdues de créer des emplois, de générer des recettes fiscales et d’avoir une incidence positive sur le PIB du Canada. Prenons un exemple : selon le Conference Board du Canada, une modeste industrie du GNL comportant deux grandes installations et une petite qui englobent la chaîne de valeur en entier contribueront au PIB du Canada à hauteur de plus de 7,4 milliards de dollars par année et assureront 65 000 emplois à la grandeur du pays chaque année pendant 30 ans.

De façon importante, si des investissements en capital dans le GNL sont transférés vers d’autres administrations, cela fera en sorte que les peuples autochtones de Colombie-Britannique n’aient plus la possibilité de participer à la nouvelle industrie au Canada et d’en bénéficier.

En conclusion, la BC LNG Alliance milite en faveur de la parité concurrentielle avec d’autres administrations du monde entier. Le secteur du GNL a besoin de certitude s’agissant de la politique sur le carbone, et nous encourageons le gouvernement fédéral à continuer à travailler avec les provinces, les consommateurs et l’industrie à mieux comprendre les différents scénarios et les voies les plus efficaces à suivre pour réduire les émissions du point de vue global de la concurrence et de la rentabilité.

Si le Canada peut offrir au monde, de façon responsable, le GNL le plus propre et aider d’autres nations à faire la transition vers des types d’énergies plus respectueuses de l’environnement, dont des énergies renouvelables, nous ne devons pas imposer aux producteurs des coûts qui feront en sorte qu’ils n’aient plus les moyens de saisir cette occasion, et nous ne devons pas perdre la possibilité de permettre aux Canadiens de profiter de façon responsable de nos ressources comme le font les autres pays.

La BC LNG Alliance est convaincue que le Canada est capable de mettre en valeur ce qui pourrait être le GNL le plus propre au monde. Un secteur du GNL de calibre mondial pourrait contribuer à l’économie canadienne, à ses technologies propres et à ses innovations, et il pourrait appuyer la transition mondiale vers une économie à faibles émissions de carbone si elle peut être concurrentielle à l’échelle mondiale. Nous ne devons pas penser seulement aux coûts, mais aussi aux occasions perdues pour le Canada si nous continuons à ériger des barrières pour entraver la compétitivité de l’industrie du GNL.

Mesdames et messieurs les sénateurs, merci encore une fois de m’avoir donné l’occasion de témoigner devant le comité.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Keane.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Keane, d’être avec nous ce matin. Votre aide arrive à point nommé, car nous avons besoin d’être mieux informés de certaines des choses qui se passent.

Je comprends l’argument que vous faites valoir pour expliquer pourquoi vous pensez que vous êtes tributaires du commerce. C’est un argument qui, pour moi, a du sens. Dites-nous où se situe le Canada dans le marché mondial. Le gouvernement a finalement approuvé l’usine de GNL Petronas il y a un an. Maintenant, le principal bailleur de fonds est moins investi ou éprouve des difficultés financières; il semble ne pas être intéressé. Les Japonais se sont retirés de deux projets. Quels que soient les problèmes, il semble que le monde ait décidé qu’il n’avait pas besoin de notre GNL ou que nous avons décidé que nous ne sommes pas prêts à jouer ce jeu. Où en sommes-nous? Sommes-nous toujours concurrentiels? Est-ce possible? Quelles sont les questions? Pourquoi ne pouvons-nous pas faire avancer ce dossier?

M. Keane : Sénateur Massicotte, je pense que nous devons être concurrentiels à l’échelle mondiale. Si je peux revenir en arrière brièvement, nous représentons les sept principaux promoteurs de projets en Colombie-Britannique. Y participent un certain nombre des acteurs les plus importants du secteur du gaz naturel liquéfié dans le monde, comme ExxonMobil, Shell, Chevron, les grands Australiens, Woodside. Nous représentons aussi un certain nombre de promoteurs plus modestes, comme AltaGas, Woodfibre et FortisBC.

Lorsque vous regardez où nous avons commencé en 2012 et en 2013, les prix du GNL au Japon et à Tokyo étaient d’environ 18 $ par million d’unités thermiques britanniques. Aujourd’hui, il se situe entre 6 $ et 7 $. Nous avons été témoins d’une chute extraordinaire des prix qui n’était pas prévue. Lorsque le prix du pétrole a chuté, il a entraîné avec lui celui du gaz naturel en Asie.

Nous nous attendons à ce que de nouveaux débouchés s’ouvrent entre 2013 et 2026. Nous nous attendons de voir la demande dépasser l’offre, ce qui, une fois de plus, haussera les prix. Il faut cinq ans pour construire ces grandes installations. Il est judicieux de prendre une dernière décision d’investissements en 2018, en 2019 ou en 2020 pour permettre à ces projets de se faire. Tous nos membres sont vraiment très axés sur leurs projets.

Je pense que, dans le cas de deux ou trois projets dans lesquels on avait cessé la mise en valeur, il s’agit d’une attrition naturelle. À un moment donné, on avait proposé 22 projets en Colombie-Britannique. Vous verrez des consolidations et une réduction du nombre de projets auxquels on donnera suite, la raison étant qu’il s’agit de projets très complexes, non du point de vue du génie, mais bien du point de vue des finances et de la clientèle. Vous cherchez à investir entre 40 et 50 milliards de dollars.

Je pense donc que nous n’avons pas laissé passer la chance. Il s’ouvrira bientôt de nouveaux débouchés pour nous, débouchés que nos membres s’affairent à exploiter pour aller de l’avant.

Le sénateur Massicotte : Vous avez des membres prêts à investir ces milliards de dollars sur la base de la supposition que le prix du gaz naturel augmentera de 300 p. 100.

M. Keane : Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une hausse de 300 p. 100. Nos membres en Colombie-Britannique ont travaillé d’arrache-pied pour réduire leurs coûts contrôlables — les coûts du matériel, des entrepreneurs et des choses du genre. Ils travaillent vraiment fort pour réduire leurs coûts d’ensemble.

Maintenant, il nous faut être concurrentiels à l’échelle mondiale, car nous nous mesurons à des concurrents comme les États-Unis, l’Australie, l’Afrique occidentale, le Moyen-Orient, la Russie et l’Iran. Encore une fois, j’estime que nous aurons, en fait, le GNL le plus propre au monde.

En conséquence, toutes choses étant égales par ailleurs, alors que des pays comme le Canada, la Chine ou d’autres prennent des initiatives pour réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, si notre prix peut être concurrentiel, pourquoi ces importants acheteurs asiatiques ne se diraient-ils pas : « Nous voulons réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, alors pourquoi ne pas acheter du Canada? »

Le sénateur Massicotte : Le Canada est concurrentiel? Je sais que notre processus d’approbation réglementaire est très lent. Nous avons avalisé certains projets. Avons-nous atteint notre objectif?

M. Keane : Nous y travaillons. Je pense qu’il reste des choses à faire pour accroître notre compétitivité. Encore une fois, nous travaillons d’arrache-pied pour y arriver. Je pense que nous sommes prêts du but.

J’ai eu la chance de participer à une mission commerciale en Chine avec le ministre Carr, et je pense que le message que les Chinois nous ont transmis est que nous devons pouvoir faire concurrence à d’autres pays à l’échelle mondiale. Le ministre l’a compris. L’autre question est celle de savoir pourquoi il faut tant de temps pour faire les choses au Canada.

Le sénateur Massicotte : Quelle est votre réponse?

M. Keane : La réponse est que nous avons besoin d’un processus de réglementation qui soit efficace et qui ne prolonge pas ou ne retourne pas en arrière pour revisiter les questions de réglementation. Une fois que ces projets auront été approuvés, ils pourront être exécutés. Nous devons énoncer clairement quels sont les projets pour lesquels il faut de la certitude aux plans réglementaire et financier.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, monsieur Keane, pour votre présentation. Les avis diffèrent d’une personne à l’autre, mais pour d’aucuns, le gaz naturel liquéfié est l’énergie de transition entre le charbon, le pétrole et les énergies renouvelables. Il arrive qu’on n’aime pas le terme « transition », car il signifie temporaire. Vous ne voulez pas être une solution temporaire, mais bien une solution à long terme. En fait, je crois que si on compare votre gaz aux sables bitumineux et au pétrole, il se révèle être un meilleur choix que ces composés du pétrole.

Cependant, vous avez mentionné que le GNL était pur, alors je veux parler de sa composition. Il s’agit d’un gaz sous haute pression qui circule dans les gazoducs. Vos gazoducs doivent être très serrés pour contenir ce gaz qui veut en sortir. Je ne sais pas si vous suivez les actualités, mais en Saskatchewan, les émissions fugitives de gaz sont nombreuses; il est ici question de méthane, d’acide sulfurique et de sulfure d’hydrogène, qui sont toxiques pour les humains — des personnes en sont d’ailleurs mortes récemment. Une grande enquête est en cours.

J’aimerais parler de l’exploitation et de toutes les mesures qui feront de cette industrie l’option sécuritaire pour continuer à utiliser des sources d’énergie non durables.

M. Keane : Sénatrice Galvez, si vous prenez l’origine de notre gaz naturel, principalement celui du bassin Montney ou de Horn River, il proviendra du nord-est de la Colombie-Britannique et de l’ouest de l’Alberta. Le bassin Montney est probablement le premier ou le deuxième bassin au monde. Il s’agit de gaz naturel de grande qualité. Il est associé à des liquides comme le propane et le butane. C’est un bassin de gaz naturel extrêmement prolifique. Si vous prenez les réserves dont nous disposons aujourd’hui, la dernière prévision que j’ai vue du gouvernement de la Colombie-Britannique était qu’il fournirait un approvisionnement pendant 388 ans. Nous avons un volume extraordinaire pour nous approvisionner.

Votre question concernant les émissions fugitives est importante. Les producteurs de gaz naturel, l’Association canadienne des producteurs pétroliers, ont convenu de s’efforcer de réduire ces types d’émissions de 45 p. 100 d’ici à 2025, je crois. Ils y travaillent.

Les producteurs ont aussi convenu de s’efforcer de trouver des façons de remplacer par l’électricité le diesel utilisé pour faire fonctionner les appareils de forage et de compression. Cette démarche réduira les émissions de gaz à effet de serre. Les producteurs travaillent d’arrache-pied à réduire les émissions fugitives et les émissions de gaz à effet de serre.

Les gazoducs seront construits selon les normes les plus élevées au monde. Un point sur lequel je veux être vraiment clair est que, lorsqu’il est entreposé dans ses réservoirs, que ce soit à Kitimat ou à Prince Rupert, le gaz naturel liquéfié n’est pas entreposé sous un autre type de pression que la pression atmosphérique. Il n’est pas non plus transporté sous pression. Le GNL est chargé sur les navires sous forme liquide, et c’est ce à quoi ressemble le GNL, sauf qu’il est bouillant. Il n’est pas transporté sous pression. En cas de fuite, il s’évaporera normalement à moins qu’une étincelle ne soit en cause.

Le transport du GNL est probablement le plus sécuritaire de tous les types de transport. Dans plus de 100 000 voyages, il n’y a eu pratiquement aucun cas de perte de confinement du GNL stocké sur les bâtiments. C’est extrêmement sécuritaire. Je pense que c’est en partie grâce aux équipages hautement formés, ainsi qu’aux navires très techniques et aux bâtiments à la fine pointe de la technologie.

La sénatrice Galvez : Êtes-vous en train de dire que les entreprises gazières de Saskatchewan ne suivent pas les mêmes normes que celles que vous suivrez en Colombie-Britannique?

M. Keane : Non, ce n’est pas du tout ce que je suis en train de dire.

La sénatrice Galvez : Que voulez-vous dire?

M. Keane : J’ignore comment les entreprises gazières fonctionnent en Saskatchewan. Je dis que les producteurs de l’Ouest canadien, et je crois que cela comprend aussi la Saskatchewan, cherchent des façons de réduire les émissions fugitives. Je pense qu’ils travaillent tous très fort pour y arriver. Je ne connais pas du tout la situation en Saskatchewan, alors je ne peux pas me prononcer à ce sujet.

Le sénateur Patterson : Merci pour la présentation. J’ai quelques questions concernant la pureté du GNL de Colombie-Britannique. Vous avez dit qu’il est assujetti à l’unique seuil d’intensité des émissions mondiales qui fera en sorte qu’il soit parmi les GNL qui émettent le moins d’émissions de carbone au monde. Pourriez-vous expliquer ce que vous voulez dire?

Je ne vous accuse pas, mais nous ne voulons pas être intéressés dans cette affaire. Existe-t-il des façons indépendantes de mesurer la pureté et la teneur en carbone du GNL qui montrent que nous nous mesurons aux meilleurs?

M. Keane : Oui, il en existe. C’est une bonne question, sénateur Patterson. La raison pour laquelle j’ai parlé du seuil d’intensité est que, en Colombie-Britannique, une loi entrée en vigueur le 1er janvier 2016, soit la Greenhouse Gas Industrial Reporting and Control Act, exige de ces installations qu’elles aient un seuil d’intensité de 0,16. Si vous dépassez ce seuil, vous devrez acheter des crédits de carbone pour arriver à le respecter ou investir dans un fonds technologique.

Le sénateur Patterson : Vous dites donc que tous vos membres seront en mesure d’atteindre ce seuil?

M. Keane : Ils sont tenus par la loi de l’atteindre. Si vous prenez un de nos membres, Woodfibre LNG Limited, qui fonctionne entièrement à l’électricité, il a une intensité de 0,054. Si vous prenez LNG Canada, qui est l’installation financée par Shell à Kitimat, elle utilise l’électricité pour ses services auxiliaires, si bien que son seuil sera fixé à 0,15, donc inférieur au seuil prévu par la loi. D’autres installations qui ont, disons, un seuil de 0,21 ou de 0,22, devront descendre à 0,16 en achetant des crédits de carbone ou en investissant dans un fonds technologique.

Le sénateur Patterson : Vous avez fait valoir le besoin d’accorder une protection à une industrie tributaire du commerce et à forte intensité d’émissions, celle du GNL. Dans le cadre de nos travaux, nous avons entendu la même chose, entre autres, de la part des représentants de l’industrie de l’acier.

Au Canada, le régime de tarification du carbone — j’aimer parler de taxe sur le carbone — entrera en vigueur en 2018. Pourriez-vous me dire où en est rendue l’industrie du GNL dans ses efforts pour se faire accorder des exceptions en tant qu’industrie tributaire du commerce et à forte intensité d’émissions? Est-ce en Colombie-Britannique que vous déployez ces efforts? Est-ce là-bas que l’on doit demander des exceptions, et comment cela se passe-t-il?

M. Keane : Sénateur Patterson, encore une fois, c’est une bonne question. Nous venons à peine d’entamer ces discussions.

Les discussions sont menées par la province. Pour être bien clair, la Colombie-Britannique impose aujourd’hui une taxe sur le carbone de 30 $ la tonne sur la totalité des émissions brûlées. Si une installation de GNL était exploitée en Colombie-Britannique aujourd’hui, elle paierait 30 $ la tonne. Si son seuil dépassait le seuil prévu de 0,16, elle paierait, grosso modo, 25 $ la tonne en plus de ces 30 $ pour descendre au seuil de 0,16.

Nous avons clairement dit que nous ne nous opposions pas à la tarification du carbone de 30 $ la tonne, mais si on hausse ces prix de 30 $ à 50 $, nous trouverons des façons de protéger les industries à forte intensité d’émissions. Je pense que vous avez probablement entendu des représentants d’autres industries dire que si nous ne réussissons pas, comme ce fut le cas en Colombie-Britannique lorsque la loi initiale a été adoptée en 2007, vous verrez des installations, comme des usines de ciment, fermer leurs portes et partir dans l’État de Washington, après quoi vous devrez acheter votre ciment des États-Unis.

Le sénateur Patterson : Êtes-vous optimiste?

M. Keane : Je suis très optimiste. Je pense que nous allons remporter beaucoup de succès.

Il y a de nombreuses raisons de bien faire les choses en ce qui concerne le GNL en Colombie-Britannique et au Canada si vous pensez à notre proximité sur la côte Ouest aux grands marchés asiatiques; si vous songez au climat plus froid qu’ailleurs qui fait en sorte que notre capacité de production soit de 25 p. 100 plus élevée que celle de la côte américaine du Golfe, de l’Australie, de l’Afrique orientale ou du Moyen-Orient; et si vous prenez notre population qualifiée et très compétente et notre approvisionnement énorme en gaz naturel.

Les acheteurs importants, qu’ils soient en Asie ou en Europe, voudront diversifier leur approvisionnement en gaz. Si on prend les risques politiques aujourd’hui, les risques liés à l’approvisionnement en provenance d’Australie, les risques politiques au Moyen-Orient entre le Qatar et l’Arabie saoudite, et le fait que la Chine achète actuellement 10 p. 100 de son approvisionnement en gaz de la Russie, quelle quantité de gaz supplémentaire voudra-t-elle obtenir de ce pays? Je crois qu’il existe nombre de bonnes raisons pour lesquelles les acheteurs souhaitent diversifier leurs achats afin de tenir compte des risques liés à l’approvisionnement et à la situation politique. Ensuite, vous pensez au Canada : pays qui offre un approvisionnement à long terme, et qui est stable et doté de gouvernements, tant provinciaux que fédéral, qui respectent la primauté du droit.

Le sénateur Patterson : Merci. Très bonne réponse.

Le sénateur MacDonald : Merci, monsieur Keane, d’être venu aujourd’hui. Je crois beaucoup au gaz naturel et au GNL, et je suis la situation en Colombie-Britannique depuis une décennie. Je suis moins optimiste que vous l’êtes, mais je suis ravi que vous le soyez. Vous avez mentionné que la mise en valeur et la commercialisation du GNL s’inscrivent dans un processus très complexe. Je ne m’attendrais pas à ce qu’il soit moins complexe aux États-Unis. Si j’en juge par ce que j’ai observé ces dix dernières années, les États-Unis — passez-moi l’expression — nous ôtent le pain de la bouche dans ce dossier. Ils sont lancés, ils construisent des usines et ils exportent leurs produits. Le processus est-il plus complexe ici qu’il ne l’est aux États-Unis? Pourquoi est-il beaucoup plus facile de faire les choses et de progresser là-bas qu’ici?

M. Keane : C’est une bonne question. Si les États-Unis vont de l’avant plus rapidement, c’est notamment parce qu’ils convertissent leurs installations d’importation aux fins de l’exportation. Ils peuvent déjà tabler sur les réservoirs, les jetées et les pipelines qui comptent pour la plus grande partie des coûts de ces installations. Cela étant dit, ils doivent tout de même y investir de 6 à 7 milliards de dollars alors qu’il nous faudra engager entre 40 et 50 milliards de dollars pour nous donner tous les moyens nécessaires.

Même si les Américains n’ont pas conclu d’entente de libre-échange avec la Chine, ils peuvent miser sur un protocole d’entente ou une lettre de leur président qui indiquait que les Américains voulaient vendre leur gaz naturel aux Chinois. Ceux-ci se sont ainsi dit qu’ils pouvaient s’approvisionner aux États-Unis. Les fournisseurs américains ont pour leur part compris qu’ils pourraient désormais porter une certaine attention au marché de la Chine.

Il faut reconnaître que si les Américains ont effectivement accompli des progrès, leur pays représente toutefois désormais un risque politique important, comparativement à la situation d’il y a deux ou trois ans. Je crois que les grands acheteurs asiatiques et européens vont vouloir diversifier leur approvisionnement pour amortir les risques. Pour les Européens, plutôt que d’acheter son gaz naturel aussi loin que la côte américaine du golfe du Mexique, pourquoi ne pas s’approvisionner sur la côte Est du Canada? Pour la Chine ou l’Inde, pourquoi ne pas se tourner vers la côte Ouest du Canada? Nous avons d’énormes réserves de gaz naturel et une main-d’œuvre hautement qualifiée avec des gouvernements stables à long terme, tant à l’échelle des provinces qu’au niveau fédéral.

Le sénateur MacDonald : Je suis d’accord avec vous. Pourquoi ne pas l’acheter sur la côte Est ou la côte Ouest? Je ne crois pas que ce soit la demande pour le produit qui pose des difficultés. C’est plutôt la capacité d’agir des autorités gouvernementales en la matière. Qu’est-ce qui est surtout problématique sur la côte Ouest? Dans quelle mesure doit-on imputer la responsabilité de l’inaction au gouvernement fédéral et jusqu’à quel point les gouvernements provinciaux et les administrations locales sont-ils également coupables?

M. Keane : Il est difficile pour moi de répondre à cette question. Je pense que tous conjuguent leurs efforts pour que ces projets puissent être menés à terme. Nous avons manqué la première période très propice, soit le milieu de la décennie actuelle. Un nouveau créneau s’offrira à nous au milieu de la décennie qui vient. Quand on sait qu’il faut cinq ans pour construire ces installations, il serait extrêmement avantageux qu’une décision politique favorable puisse être prise en 2018-2019, voire en 2020, autant pour les proposants eux-mêmes que pour les fournisseurs et les acheteurs.

Le sénateur MacDonald : Vous prévoyez que la conjoncture favorable commencera à se manifester aux environs de 2023. Vous devrez payer 50 $ la tonne pour la production de gaz naturel. Vous sera-t-il possible de soutenir la concurrence?

M. Keane : Je pense que nous pouvons être concurrentiels, mais nous devrons trouver un moyen de protéger nos industries à forte intensité d’émissions qui sont tributaires du commerce. Si vous devez payer 50 $ la tonne pour vos émissions, comment améliorer les choses à ce chapitre pour pouvoir soutenir la concurrence de ceux qui ne sont pas assujettis à une telle tarification ailleurs dans le monde? Nous devons débattre de ces questions avec la province et le gouvernement fédéral.

Le sénateur MacDonald : Il faudrait peut-être en conclure qu’il va nous être impossible d’être concurrentiels.

M. Keane : Je ne suis pas d’accord, sénateur. Je pense que nous pouvons être concurrentiels si nous trouvons des façons novatrices de faire fonctionner ces projets.

Comme je l’indiquais dans mes observations préliminaires, si nous y parvenons, le PIB du Canada sera majoré d’environ 7,4 milliards de dollars et 65 000 emplois seront créés au pays. Ce sont les estimations du Conference Board. Comme je l’ai fait valoir à maintes reprises en prononçant des allocutions, il est question ici de l’édification de notre nation. Ainsi, la construction d’une grande usine de gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique représentera le plus gros investissement jamais consenti en Colombie-Britannique. Si l’on construit deux ou trois grandes usines, ce sera le plus gros investissement de l’histoire du Canada. Il s’agit donc de perspectives économiques cruciales pour notre pays.

Il y a aussi un effet de consolidation pour les Premières Nations. Je peux affirmer sans crainte que nous avons établi de nouveaux standards pour ce qui est des partenariats entre les industries d’exploitation des ressources et les communautés des Premières Nations. Nous les avons visitées pour entendre ce que les gens avaient à nous dire, prendre note de leurs points de vue et modifier en conséquence les parcours des gazoducs ou la conception des usines. Si vous prenez l’exemple de l’usine Woodfibre à Squamish à 45 kilomètres au nord de Vancouver, la Première Nation Squamish s’inquiétait de voir les eaux d’évacuation retourner dans la baie Howe du fait que ces eaux seraient plus chaudes que celles de la baie. Après en avoir discuté, Woodfibre a accepté d’installer un système de refroidissement à l’air. Il y a eu des coûts supplémentaires, mais on a tout de même modifié la conception du projet après avoir entendu les gens des Premières Nations. Il y a aussi le cas de la nation Haisla à Kitimat. J’ai participé la semaine dernière à un panel avec une adjointe au chef qui a indiqué que sa nation était vraiment devenue partenaire à long terme dans la réalisation de ces projets avec toutes les perspectives économiques qui s’ensuivent. Tout cela grâce au gaz naturel liquéfié.

Comme je l’ai répété à maintes reprises, les enfants des Premières Nations devraient, au même titre que les nôtres, avoir la possibilité de devenir les soudeurs, les électriciens, les avocats, les comptables et les ingénieurs dont ces projets ont besoin. Ils devraient pouvoir bénéficier de ces possibilités dans la même mesure que tous les autres Canadiens.

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup. Comme le sénateur MacDonald et bien d’autres sans doute, j’ai un penchant en faveur du gaz naturel, que ce soit comme solution transitoire ou comme source d’approvisionnement plus permanente. Cela étant dit, il faut des pipelines pour acheminer le gaz jusqu’à la côte où l’on a besoin d’usines pour le traiter. Qu’arrive-t-il en cas de séisme important?

M. Keane : Ces installations sont conçues pour résister aux tremblements de terre.

La sénatrice Fraser : Même les séismes très violents?

M. Keane : Si la Colombie-Britannique sombre dans l’océan, c’est peut-être une autre histoire.

La sénatrice Fraser : Je suis très sérieuse.

M. Keane : Pour vous répondre sérieusement, sénatrice, je vous dirais que je suis un ancien de British Gas, une filiale du BG Group qui était chargé de construire une installation pour l’importation du gaz naturel liquéfié à Quintero, au Chili. Cette installation a ouvert ses portes juste avant le séisme de forte intensité qui a frappé la région de Valparaiso. Elle s’en est sortie totalement indemne. Elle a été construite pour résister à des tremblements de terre d’une échelle de 8, et elle s’en est tirée sans aucun problème avec les gazoducs qui ont été conçus de manière à pouvoir suivre les mouvements du sol. Je crois donc que toutes ces installations continueraient de fonctionner advenant un séisme majeur.

Cette installation d’importance qui assurait environ 40 p. 100 de l’approvisionnement en gaz naturel du Chili a pu reprendre ses activités en sept jours à peine. Si elle n’a pas pu le faire immédiatement, c’est parce qu’il a fallu d’abord réparer l’un des bras articulés de déchargement sur la jetée. Leurs navires étaient dans la baie en attendant de pouvoir être déchargés, ce qui a pu être fait après les réparations requises. Ces éléments peuvent être prévus dans la conception. C’est peut-être toutefois différent si vous parlez de la côte Ouest dans son ensemble.

La sénatrice Fraser : Je ne parle pas du risque que la Colombie-Britannique sombre dans l’océan.

M. Keane : Ces installations peuvent être conçues de manière à résister à des séismes de forte intensité.

La sénatrice Fraser : Qu’en est-il des coûts supplémentaires?

M. Keane : Il y a effectivement des coûts additionnels, mais toutes les installations à venir sur la côte Ouest du Canada devront être conçues de façon à résister à un tremblement de terre et les coûts afférents seront pris en compte dans la conception.

La sénatrice Seidman : Merci pour votre exposé, monsieur Keane. Il est bien certain que d’autres témoins nous ont parlé des difficultés importantes que risquent de connaître les industries à forte intensité d’émissions qui sont tributaires du commerce. Vous avez souligné la nécessité d’une plus grande certitude quant à notre politique sur le carbone en indiquant qu’il fallait encourager le gouvernement fédéral et les provinces à s’efforcer de mieux comprendre les différents scénarios possibles et les solutions optimales pour la réduction de nos émissions, tant du point de vue des coûts et avantages que dans la perspective de notre capacité concurrentielle à l’échelle planétaire.

Il est possible que vous en ayez déjà traité en répondant aux questions de mes collègues, mais je veux m’assurer de bien comprendre. Est-ce que les industries à forte intensité d’émissions qui sont tributaires du commerce devraient être exemptées des programmes de tarification du carbone? Vous nous avez dit être optimiste quant aux chances que le secteur du gaz naturel liquéfié puisse accroître sa capacité concurrentielle. D’après vous, cela n’est pas un problème. C’est tout à fait réalisable. Outre les éléments que j’ai suggérés au départ, quels sont les différents facteurs à prendre en compte pour que cette capacité concurrentielle se concrétise?

M. Keane : Je crois que nous sommes tous conscients que le Canada a opté pour une approche fondée sur la tarification du carbone. Nous devons donc nous préparer en conséquence. Je répète que nous ne nous opposons pas à l’idée d’une tarification du carbone à 30 $ la tonne en Colombie-Britannique, comme c’est le cas actuellement.

Quant à d’éventuelles hausses, il faut se demander si d’autres mesures pourront être prises, notamment du point de vue fiscal, pour compenser un carbone tarifé par exemple à 50 $ la tonne. Il faut ainsi considérer les différentes possibilités qui s’offrent dans le contexte de nos efforts pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Il est important de noter qu’une fois une installation de gaz naturel liquéfié construite, il n’y a plus rien à faire. Son mode de fonctionnement est établi pour le reste de sa durée utile, laquelle devrait être en l’espèce de 40 ans étant donné que c’est la période visée par les permis d’exportation octroyés par l’Office national de l’énergie. Une fois ces installations conçues et construites, on ne peut pas revenir en arrière et y apporter des changements sans devoir y investir des sommes considérables — qui se calculent en milliards de dollars.

Il faut aussi reconnaître que les avancées technologiques ont permis de réduire dans une large mesure l’intensité des émissions de gaz à effet de serre de ces usines. Année après année, des améliorations sont ainsi apportées à la conception des réacteurs, soit les turbines utilisées pour liquéfier le gaz. Il y a donc toute une gamme d’innovations et de progrès technologiques.

Lorsqu’il est question d’innovation et de technologie, on dirait que les gens pensent tout de suite à Microsoft, Google ou des entreprises semblables. Je peux toutefois vous assurer que je ne connais pas d’industrie plus avancée du point de vue technologique ou davantage tournée vers l’innovation que celle du pétrole et du gaz.

Il y a 15 ans, l’Amérique du Nord n’avait presque plus de sources d’approvisionnement en gaz. C’est justement en raison de cette pénurie qu’un si grand nombre d’installations pour l’importation ont été construites aux États-Unis et sur la côte Est du Canada. Grâce à l’innovation et aux percées technologiques, nous produisons maintenant plus de gaz que nous sommes capables d’en consommer en Amérique du Nord, et c’est pour cette raison que nous souhaitons en exporter.

En cette période d’améliorations incessantes pour notre industrie, nous voulons progresser de façon responsable en collaborant avec le gouvernement du Canada et à la province de la Colombie-Britannique pour trouver des façons de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour ce faire, nous examinons les façons dont nous pouvons composer avec la tarification du carbone tout en contribuant à l’atteinte des cibles que le Canada s’est données. Je ne sais pas si j’ai vraiment répondu à votre question.

La sénatrice Seidman : En partie, tout au moins. Vous souhaitez toutefois que le fédéral et la province explorent les moyens à prendre pour améliorer la capacité concurrentielle de votre industrie en misant sur des solutions optimales pour la réduction des émissions. C’est un peu ce que vous nous avez dit dans votre exposé. À la lumière de votre connaissance du secteur, pourriez-vous nous suggérer un ou deux moyens à mettre en œuvre pour accroître notre capacité concurrentielle?

M. Keane : Il faut d’abord et avant tout voir ce qui peut être fait au niveau des coûts contrôlables des différentes propositions. La construction de telles installations exige des investissements gigantesques. Tous les proposants cherchent des façons de réduire leurs coûts contrôlables, que ce soit pour l’achat d’équipement, le matériel nécessaire à la construction ou les importants contrats d’ingénierie-approvisionnement-construction qui doivent être octroyés. C’est l’un des éléments.

Il y a ensuite les coûts découlant des politiques fiscales provinciales et fédérales. Il faut trouver des façons de mieux gérer ces coûts. À titre d’exemple, il y a en Colombie-Britannique une taxe spéciale sur le gaz naturel liquéfié qui ne touche aucune autre industrie de la province. Si une entreprise de la Colombie-Britannique veut miser entièrement sur l’électricité, elle paiera un tarif de 84 $ le mégawattheure, comparativement au tarif industriel de 53 $.

Il y a d’autres mesures qui pourraient être prises en évitant de pénaliser une industrie qui n’a pas encore atteint son plein potentiel.

Le président : Vous avez parlé d’un virage pour l’ensemble de notre pays. C’est à Sarnia, dans le Sud de l’Ontario, que l’on retrouve la plus grande concentration d’entreprises pétrochimiques au Canada, l’Alberta venant au deuxième rang. L’industrie pétrochimique continuera d’avoir besoin de butane, d’éthane et de propane, autant d’éléments extraits du gaz naturel. Il faudra donc poursuivre la production de gaz naturel pour alimenter cette industrie qui fabrique de nombreux produits de consommation courante. Il suffit de penser aux plastiques et à toutes ces choses que nous utilisons au quotidien.

Si nous n’appuyons pas la mise en place d’installations pour la liquéfaction du gaz naturel, ce méthane pur prendra la direction du sud via les pipelines déjà existants pour être transformé aux États-Unis en gaz naturel liquéfié avant d’être expédié partout dans le monde. Tous les investissements et les emplois indirects découlant de la transformation de nos ressources naturelles seront perdus pour le Canada. En toute franchise, je ne crois pas que ce soit une très bonne idée. Ne serait-il pas préférable de construire ces usines en Colombie-Britannique, ou n’importe où ailleurs au pays, pour exporter le gaz naturel liquéfié sur les marchés mondiaux en créant de l’emploi, des investissements et de la richesse au Canada?

Je sais que c’est une longue question, mais il y a bien des gens qui ne semblent pas comprendre. Nous allons continuer de produire du gaz, mais il sera simplement expédié ailleurs pour être transformé. Et vous savez quoi? Nous respirons le même air. Nous ne sommes pas si loin du golfe du Mexique. Ces gaz à effet de serre vont tout de même se retrouver dans l’atmosphère.

Que risquons-nous de perdre en continuant d’envoyer nos ressources brutes à l’étranger? Le Canada excelle en la matière. Contentons-nous d’exporter nos ressources brutes en laissant quelqu’un d’autre les transformer parce que nous voulons pouvoir affirmer que nous avons réduit nos émissions dans telle ou telle proportion en sachant que le monde demeure inchangé et que nous continuerons de partager le même air et de subir les conséquences de ces mêmes émissions de gaz à effet de serre. Avez-vous une estimation chiffrée des pertes d’emploi ou de recettes fiscales pour le gouvernement fédéral dans l’éventualité où nous déciderions en fin de compte de faire fi des avantages que votre industrie peut procurer à notre pays?

M. Keane : Sénateur, je dois vous citer à nouveau les chiffres avancés par le Conference Board du Canada dans son rapport de l’an dernier. Nous perdrions l’occasion de majorer notre PIB de 7,4 milliards de dollars pour le Canada dans son ensemble et de 5,3 milliards de dollars par année pour la Colombie-Britannique. Nous devrions en outre renoncer à 3 milliards de dollars par année en augmentation de revenus pour le Trésor provincial.

Vous visez dans le mille avec votre question. L’idée que l’on vende notre gaz naturel brut aux États-Unis, à l’instar du bois non transformé, commence à faire des vagues dans les médias sociaux. Nous voyons déjà les producteurs albertains signer des contrats avec Cheniere Energy pour expédier le gaz naturel de l’Alberta vers la côte du golfe du Mexique où il peut être liquéfié sans que la tarification du carbone ne s’applique. C’est la même chose pour le terminal de Jordan Cove en Oregon qui recevra son gaz de la Colombie-Britannique à l’abri de la tarification du carbone.

Il est faux de prétendre qu’en renonçant aux activités de liquéfaction du gaz naturel, on mettra fin à la production de gaz au Canada. Celle-ci va ralentir légèrement, mais elle ne va pas s’arrêter; le gaz va être expédié aux États-Unis.

Voici ce qui risque de se passer à mon avis. Les États-Unis vont se livrer à la transformation à valeur ajoutée de leur production intérieure, soit via l’industrie pétrochimique ou par la liquéfaction, afin de l’écouler sur les marchés étrangers. Les Américains vont ensuite nous offrir d’acheter notre gaz naturel à un prix dérisoire. Notre gaz peut être obtenu via Ako en Alberta à un prix inférieur d’environ un dollar à celui versé sur Henry Hub en Louisiane.

Il y a un choix sociétal ou gouvernemental à faire quant à savoir si nous empruntons cette avenue en renonçant aux possibilités de valeur ajoutée comme un perfectionnement plus poussé de nos gens de métier et de nos ingénieurs travaillant dans cette industrie. C’est une bonne question. On commence à entendre des gens se demander sur les médias sociaux pour quelle raison on voudrait agir de la sorte.

Le président : Ma seconde question fait suite à celle posée par la sénatrice Galvez concernant les fuites de gaz. Je sais que l’Association canadienne des produits pétroliers a mis les bouchées doubles pour contrer le problème des fuites de gaz dans les pipelines étant donné qu’il s’agit de méthane pur. On est très actif à ce niveau, et ce, depuis bon nombre d’années. Cela ne date pas d’hier. Le tout remonte à mes années au sein du gouvernement de la Colombie-Britannique, et c’était il y a environ neuf ans.

Je ne sais pas si la sénatrice Galvez en a fait autant, mais j’ai regardé ce qu’on en disait dans les médias. Je peux vous citer à cet effet Global News:

Est-ce que la Saskatchewan fait fi des menaces potentiellement mortelles que font peser sur nous les émanations provenant des puits de pétrole?

On parle des puits de pétrole et non des puits de gaz naturel, mais je crois que l’on craignait également les émanations de sulfure d’hydrogène.

Le sénateur Massicotte : Je suis heureux que nous puissions bénéficier de votre expertise à l’égard de ces enjeux. Nous pouvons lire bien des choses et formuler toutes sortes d’hypothèses; les prophètes de malheur sont nombreux, mais on peut dire que vous vous y connaissez vraiment. Vous semblez très optimiste quant à la croissance projetée du marché du gaz naturel liquéfié jusqu’à maturation, et ce, malgré les processus gouvernementaux en place et les différentes questions à régler, notamment pour ce qui est des Autochtones. Vous semblez vraiment croire que nous pouvons être des compétiteurs à part entière sur ce marché et que tout cela va se concrétiser. Est-ce que j’interprète bien vos propos?

M. Keane : Oui, tout à fait.

Le sénateur Massicotte : Très bien. Je suis heureux de vous l’entendre dire.

J’ai une question d’ordre technique. Lorsque le projet de gaz naturel liquéfié de Petronas a été annoncé, certains communiqués ont été publiés reprenant le même argument à l’effet que le projet était meilleur pour l’environnement que les autres options qui s’offraient. Un nouveau gouvernement a pris le pouvoir en Colombie-Britannique et les têtes dirigeantes n’étaient soudain plus les mêmes. Certains ont commencé à s’interroger au sujet de la pertinence environnementale du projet, compte tenu de l’investissement que cela représentait, notamment au chapitre des ressources requises. Le projet permet-il tout de même d’améliorer considérablement les choses par rapport à la situation actuelle avec les hydrocarbures, le charbon ou le nucléaire? Bien des gens font valoir que la construction elle-même produira une grande quantité de gaz carbonique.

M. Keane : Je ne suis pas certain d’avoir bien compris la question.

Le sénateur Massicotte : Compte tenu du gaz carbonique qu’il produira, est-ce que le projet Petronas sera tout de même une bonne chose pour le Canada et le reste de la planète?

M. Keane : Le projet va faire augmenter les émissions de gaz à effet de serre en Colombie-Britannique, mais il va permettre de les réduire à l’échelle du monde en remplaçant la production électrique à partir de charbon en Asie ou l’utilisation de charbon pour des processus industriels ou le chauffage. Il procurera un avantage net au niveau mondial en contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le sénateur Massicotte : Pouvez-vous nous donner une idée de l’ampleur des réductions comparativement à l’utilisation du charbon? Présumons que nous pourrons faire en sorte que l’Asie cesse d’avoir recours au charbon. Dans quelle proportion les émissions seraient-elles réduites?

M. Keane : Environ 50 p. 100 de moins.

Le sénateur Massicotte : Avec l’usine projetée, quel est le pourcentage?

M. Keane : Environ 50 p. 100 de moins.

Le sénateur Massicotte : Même avec l’usine de Petronas?

M. Keane : Oui. L’intensité de cette usine aurait été d’environ 0,22, je pense. Encore une fois, elle aurait été obligée d’acheter des crédits compensatoires pour descendre à l’objectif réglementaire de 0,16.

Le sénateur Massicotte : Croyez-vous le projet mort? On parle souvent du projet de Shell? Celui de Petronas est-il mort?

M. Keane : Il faudra demander à Petronas. Il ne fait plus partie de BC LNG Alliance.

La sénatrice Galvez : Parlons du transport du gaz. Beaucoup de joueurs s’activent dans le transport des produits pétroliers ou gaziers. De grandes sociétés sont propriétaires, puis il y a les propriétaires temporaires du produit pendant son transport entre deux points.

Dans la même ligne de pensée que la sénatrice Fraser, selon qui un accident — un séisme, une inondation, le changement climatique, le pergélisol, peu importe — peut survenir, les coûts de la décontamination sont énormes et ils ont une incidence sur l’économie du transport ou l’industrie pétrolière et gazière.

Un secteur est sensibilisé à tous ces coûts, celui des finances, de la banque et des assurances. Deux phénomènes se produisent. Le premier est l’investissement qui provient du pétrole et du charbon; le second est le refus des assureurs de continuer à assurer ces transporteurs. Quelles sont les modalités d’assurance du transport du gaz naturel liquéfié, par exemple?

M. Keane : La plupart seront autoassurés à cause de leur bilan.

Je précise qu’il n’est nullement question, ici, de pétrole, mais seulement de gaz naturel. Le véritable risque serait l’incendie, si une étincelle coïncidait avec une fuite. Sinon, la fuite s’évapore simplement, sans autre répercussion observable sur l’environnement que des émissions de gaz à effet de serre ou des émissions fugitives de méthane.

Encore une fois, ces conduites répondent à des normes de calibre international. En Colombie-Britannique, par exemple, et dans l’Ouest canadien, nous transportons le gaz naturel par gazoduc depuis plus de 60 ans sans accident. Il est très rare qu’un gazoduc souffre de problèmes importants.

La sénatrice Galvez : À combien s’élève le montant de l’assurance?

M. Keane : Je l’ignore.

La sénatrice Galvez : Pouvez-vous le trouver pour nous?

M. Keane : Oui.

La sénatrice Fraser : Dans vos réponses aux questions de la sénatrice Seidman, j’ai été intriguée par l’idée que seulement vous assujettir au régime de l’hydroélectricité ordinaire à usage industriel ferait diminuer vos coûts. J’en ai déduit que le secteur du gaz naturel liquéfié payaient plus d’impôt que d’autres secteurs industriels et que si on supprimait cette surimposition, vos coûts diminueraient. Mais je ne crois pas vous avoir entendu répondre à sa première idée d’une exemption des taxes sur le carbone pour le gaz naturel liquéfié exporté. Si je me trompe, corrigez-moi et veuillez me répéter votre réponse, parce que je ne l’ai pas saisie.

Quoi qu’il en soit, une telle exemption ne risquerait-elle pas de se violer divers accords commerciaux conclus par le Canada? Je sais que nous ne vendons pas ce produit aux États-Unis, ou nous espérons ne pas leur en vendre, ce qui est la grande cause d’inquiétude, actuellement, mais les accords commerciaux et les concurrents sont nombreux. Est-ce que ça causerait un problème?

M. Keane : Comme je l’ai dit, nous ne sommes pas opposés au prix de 30 $ la tonne du carbone. Nous pourrions appuyer l’augmentation qui le porterait à 50 $ si nous pouvions trouver une façon d’en annuler l’effet. On veut, par ce moyen, inciter le producteur d’émissions de gaz à effet de serre à les diminuer. Il y a donc une marge de manœuvre après une augmentation du prix du carbone pour la neutraliser par d’autres mécanismes.

La sénatrice Fraser : Je le demandais, parce que, dans votre réponse à la sénatrice Seidman, vous semblez avoir souligné des particularités de votre industrie, mais d’autres industries aussi réclament des mesures d’exemption ou autres pour neutraliser les coûts que le nouveau régime canadien leur imposera. On pense alors tout de suite à la suppression de la taxe sur tout ce qui est exporté. Avez-vous cherché à savoir si ça violerait des accords commerciaux?

M. Keane : Non.

Le président : Nous sommes arrivés à la fin de la période de questions. Merci beaucoup, monsieur Keane, pour votre exposé très intéressant. Les interventions ont été très instructives.

Souhaitons maintenant la bienvenue au représentant du Conference Board du Canada, son vice-président au Rendement organisationnel et Politiques publiques, M. Louis Thériault. Après votre exposé, nous vous questionnerons. Vous avez la parole.

Louis Thériault, vice-président, Rendement organisationnel et Politiques publiques, Conference Board du Canada : Merci, monsieur le président. J’attends mes notes que, apparemment, on photocopie à votre intention et à celle aussi des interprètes. Je suis prêt à commencer. Je n’en ai pas nécessairement besoin, mais c’est peut-être mieux de les attendre.

Le président : Attendons. Ça ne sera pas long.

Le sénateur Massicotte : Essayez-vous de dire que vous ignorez de quoi vous parlerez?

M. Thériault : Eh bien, j’en ai une vague idée, après 30 années de réflexions sur le sujet.

Le président : Très bien. Vous les avez.

M. Thériault : Je vous remercie, vous, monsieur le président et le comité. Très heureux de comparaître.

Je me propose de discuter avec vous des principaux résultats d’une analyse des options du Canada pour un avenir sobre en carbone.

Notre rapport — qui a motivé votre invitation — a été publié début septembre. Il est intitulé « Le prix à payer pour un avenir plus propre : Analyse des incidences économiques de la réduction des émissions de GES. »

Cette analyse est le résultat d’une modélisation technique, à partir d’un partenariat avec l’Académie canadienne du génie, sous l’égide du projet Trottier pour l’avenir énergétique. À partir de cette analyse technique, nous avons élaboré une analyse économique qui a servi de fondement à la construction de modèles qui ont servi à l’analyse de la politique. Je dois avouer que nous avons aussi éprouvé beaucoup de perplexité.

Nous avons présenté les principaux résultats à notre conférence Reshaping Energy (redéfinir l’énergie), plus tôt au cours de l’année, et nous en avons discuté avec des présentateurs de l’industrie, de la fonction publique et des universités. Le principal constat de la discussion à cette conférence a été la grande complexité du défi que le Canada doit relever.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il importe d’expliquer simplement ce que nous avons fait, parce que c’est très complexe. Parlons d’abord des objectifs d’émissions de gaz à effet de serre, entre 2030 et 2050, et des scénarios que nous avons construits. Comment est-ce que ça se présente?

D’abord, d’après l’accord de Paris, comme vous le savez, nous devons maintenir à moins de deux degrés le réchauffement planétaire, mais chaque pays est libre d’interpréter ce que ça signifie pour lui.

Le Canada a rédigé son premier rapport sur sa contribution déterminée à l’échelle nationale et il a lié très solidement ses contributions au Cadre pancanadien. D’après ce rapport, nous pourrons, par la mise en œuvre du Cadre, atteindre ou excéder l’objectif de réduction de 30 p. 100 des émissions de 2005 d’ici 2030. Les émissions se retrouveraient autour de 517 mégatonnes. Si on compare ce résultat à l’un des scénarios que nous avons analysés, nous nous trouvons à l’intérieur de la marge de 10 p. 100. Nous sommes à 565. Sur le plan climatique mondial, on pourrait dire que nous sommes assez près de l’objectif.

Je dois préciser que nous avons analysé trois scénarios. Celui qui concerne 2030 est rapproché. Dans les deux autres, la plus grande partie des réductions a lieu après 2030, ce qui reporte avant 2050 la plus grande partie des réductions ou les vraies réductions.

Bien sûr, le consensus scientifique le plus répandu veut que, pour respecter l’accord de Paris pour le niveau de réchauffement planétaire, nous devions réduire les émissions, avant 2050, de 80 p. 100 par rapport au niveau de 1990, c’est-à-dire, à seulement 122 mégatonnes. Honnêtement, aucun de nos scénarios ne s’en approche à l’intérieur de la marge de 10 p. 100. Autrement dit, le meilleur des scénarios que nous analysons atteint l’objectif à 60 p. 100 avant 2050.

Deux constats très importants se dégagent de notre travail : le premier est simplement qu’il ne suffit pas de fixer un prix pour le carbone pour atteindre les objectifs difficiles d’émission de gaz à effet de serre.

On parle beaucoup de technologie. L’innovation et elle joueront un rôle déterminant à long terme. Elles ne peuvent pas nous faire atteindre les objectifs d’ici 2030, simplement à cause du peu de temps disponible pour mettre au point et adopter ces solutions.

Le deuxième constat est que, vu les investissements nécessaires, de l’ordre de milliers de milliards de dollars, pour réorganiser l’économie par rapport à un scénario du statu quo, les décideurs doivent vraiment annoncer aux Canadiens à quelle échelle cette transformation influera sur leur quotidien.

Parlons maintenant plus précisément de certains des résultats. Vous verrez que, dans le rapport que vous avez sous les yeux, on examine d’abord les incidences de divers niveaux de taxation du carbone pour aider le Canada à atteindre ses objectifs de réduction. On voit que même si les taxes devaient atteindre 200 $ la tonne d’ici 2025, elles n’entraîneraient qu’une réduction de 1,5 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre à l’extérieur du secteur de la production d’électricité, ce qui est donc assez loin de l’objectif de 2030.

L’analyse laisse aussi entendre que la fixation du prix du carbone n’aura que des incidences négatives modestes sur l’ensemble de l’économie, mais des incidences importantes sur certains secteurs. Pour parvenir à ce résultat, cependant, les recettes de la taxation du carbone empliront, comme prévu, les coffres de l’État, qui, cependant, est censé les réinjecter dans l’économie, grâce à des mesures d’allègement fiscal et à une augmentation des dépenses et des investissements publics. L’hypothèse de la réinjection de ces recettes dans l’économie est vraiment la principale explication du peu d’incidences totales subies par l’économie.

Comme je l’ai dit, cette recherche a aussi permis de quantifier les incidences économiques des réductions des émissions de gaz à effet de serre. Les investissements nécessaires se fondent sur notre travail en partenariat avec l’Académie canadienne du génie, dans le cadre de l’analyse du projet Trottier pour l’avenir énergétique. Cette analyse dégage plusieurs pistes techniques à suivre par le Canada pour atteindre des réductions de 30 à 60 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, mais, l’abaissement des émissions à 30 p. 100 sous les niveaux de 1990 d’ici 2050 nous fait manquer de loin l’objectif de l’accord de Paris, tandis qu’une réduction de 60 p. 100 nous en approche.

Le scénario d’investissement maximal permet de réduire les émissions de 60 p. 100 d’ici 2050. Il exige de nouveaux investissements de 3,4 mille milliards de dollars d’ici 2050. C’est énorme et, franchement, c’est vraiment difficile à appréhender. Ça revient à environ 100 milliards de dollars chaque année, un autre chiffre considérable et difficile à bien saisir. Ce qui le rend plus tangible c’est qu’il équivaut à la moitié des investissements non résidentiels des entreprises au Canada, actuellement et dans nos prévisions. La moitié de ce qui est dirigé vers différents secteurs de l’économie devrait être redéployée pour la mise en marché de ces technologies nouvelles et leur application et leur adoption dans le marché.

Plus de la moitié des investissements iront à la production d’électricité, pour permettre l’électrification de l’économie canadienne. C’est un élément central de ces scénarios techniques. Cette électrification de l’économie est à la base de tout cela.

Comme le Canada approche rapidement de sa capacité économique — nous revenons à l’implication macroéconomique — l’économie canadienne aurait de la difficulté à absorber ce nouvel investissement. Elle a fait le plein. La Banque du Canada ne cesse de le répéter. Notre croissance économique potentielle à long terme est limitée par nos fonds propres et notre main-d’œuvre. Autrement dit, ce nouvel investissement couperait l’herbe sous le pied aux dépenses dans d’autres secteurs de l’économie, dans un scénario du statu quo.

Comme nos capitaux et notre main-d’œuvre sont entièrement employés, aucun bassin important de main-d’œuvre ou de capitaux n’attend d’être dirigé vers ces investissements nécessaires. Le Canada est simplement incapable de démultiplier les fonds, les capitaux, la main-d’œuvre et les ressources nécessaires pour la production de ces investissements sans couper l’herbe sous le pied des fonds et de la capacité productive des autres activités économiques.

Bref, le Conference Board envisage l’avenir du Canada sobre en carbone en s’inspirant d’une analyse technique très puissante, grâce à son partenariat avec l’Académie canadienne du génie. Il est évident, d’un point de vue technologique, alors que nous approchons de l’objectif d’une réduction de 80 p. 100 d’ici 2050, que notre travail se répartisse davantage en ces faisceaux d’implications pour l’économie et les investissements.

Il est clair que, à lui seul, l’établissement du prix du carbone peut compléter l’adoption de technologies, mais ni la technologie ni la taxation du carbone ne peuvent nous faire atteindre l’objectif.

Les pouvoirs publics qui s’apprêtent à taxer le carbone ont besoin de réinvestir ces recettes pour maintenir la croissance de notre économie. C’est une hypothèse centrale de tous ces scénarios.

La compétitivité sera un enjeu déterminant. Certains secteurs seront touchés, et les coups ne seront que partiellement absorbés grâce à un taux de change flexible. Cela fait partie du volet macroéconomique de notre analyse. Le taux de change absorbe les coups dans une certaine mesure, mais pas assez pour compenser l’incidence global sur certains secteurs qui consomment beaucoup d’énergie et qui dépendent des échanges extérieurs.

Il faut mieux comprendre le rôle des consommateurs et mieux le faire connaître. C’est tout un programme politique. Il sera essentiel d’obtenir l’adhésion des Canadiens.

Nous parlons beaucoup de technologie comme moyen d’atteindre cet objectif, mais elle suit vraiment une trajectoire de croissance mesurée. Cela n’arrive pas du jour au lendemain. Cela s’applique à la fois à la mise au point et à l’adoption de technologies, malgré l’impact de technologies perturbatrices comme celle des véhicules automatisés, par exemple.

Depuis 30 ans, j’observe l’évolution du programme climatique. Nous sortons d’un contexte stratégique lent sur le climat. Nous commençons à assortir de mesures concrètes notre aspiration à décarboner l’économie. Le Cadre pancanadien est encore vague, mais il est réconfortant de voir que des discussions ont lieu sur sa mise en œuvre.

La discussion se poursuit, comme c’est nécessaire, sur ce qui arrive après les technologies perturbatrices. Le débat entre les incidences négatives de la réduction de certaines industries et de certaines technologies et les incidences positives de l’expansion d’autres industries et technologies est, pour le moins, un peu contre-productif.

Notre analyse confirme qu’il se créera des dizaines de milliers d’emplois « verts », et que cet investissement « vert » coupera l’herbe sous le pied à des investissements plus classiques, alors que nous serons sur le chemin de la transition. Cela signifie, en quelques mots, que l’économie peut continuer à croître environ au même rythme, mais que sa composition changera.

Peut-être que la principale question encore sans réponse concerne la réaction des Canadiens et de la société aux technologies perturbatrices. Une méthode nouvelle se dessine pour l’écologisation de notre production d’électricité, et nous commençons à avoir une idée de la quantité d’énergie électrique supplémentaire dont nous disposons. Il faut déplacer les emplois des hydrocarbures dans la construction immobilière et les véhicules, ce qui est une partie de la réponse. Nous avons seulement une image partielle de ce qui motive les consommateurs à choisir telle technologie et nous sommes en grande partie réduits aux hypothèses en ce qui concerne les innovations comme les véhicules automatisés.

Le Conference Board accroît sa contribution au débat sur le Plan d’action sur le changement climatique. En effet, nous mettrons sur pied, plus tard cette année, un centre pour une économie de croissance sobre en carbone. Ce centre se fondera sur quatre piliers. Je crois que nous pouvons utiliser les quatre leviers politiques suivants : la demande en énergie, la production d’énergie, l’efficience énergétique et les occasions d’affaires. Le plus grand défi sera peut-être de démontrer les occasions d’affaires de façon équilibrée.

Comme je l’ai dit dans mes commentaires précédents, nous croyons qu’il est temps de pousser la discussion afin de mieux comprendre comment les comportements des consommateurs peuvent nous aider à remodeler notre secteur énergétique et notre économie et à briser le lien entre la croissance économique et celle des émissions de carbone. C’est un élément central de ce programme politique. Comme nous le savons tous, le premier critère auquel les gens pensent lorsqu’ils bâtissent une maison ou choisissent d’acheter un véhicule n’est habituellement pas lié à l’environnement. Il est donc essentiel d’obtenir la participation des Canadiens dans le cadre de cette initiative.

C’est ce qui termine mon exposé. Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci de comparaître devant notre comité ce matin. J’ai lu brièvement votre rapport et j’ai écouté votre présentation. On essaie toujours de mettre tous les renseignements en perspective. Avec les quatre ou cinq points importants, on peut développer un scénario qui a de l’allure pour nous. J’essaie de bien comprendre votre message. Je vais essayer de le résumer, et n’hésitez pas à me le dire si je me trompe.

La tarification du carbone n’a pas d’impact significatif sur l’économie, à l’exception de certains secteurs. Si l’argent est investi, on arrive à presque zéro net. Vous dites que l’imposition d’un prix sur le gaz carbonique n’est pas la solution qu’on souhaiterait pour respecter nos obligations internationales et réduire le gaz carbonique à un niveau acceptable pour les années à venir. Cela est applicable, parce qu’on le mesure à court terme, mais on ne verra pas de résultats à court terme d’ici 15 à 20 ans. Cette mesure prendra toute son importance vers 2050 ou 2060 et prendra plus de temps qu’on le pensait. Il faut changer les comportements, les habitudes des consommateurs et des citoyens. Vous donnez l’impression que c’est la seule solution qu’il faut envisager.

Je suis toujours un peu pessimiste à l’idée que si on n’impose pas un prix sur le carbone, le consommateur, même s’il a de bonnes intentions, oublie vite lorsque ça ne coûte rien et qu’il n’y a pas d’incitatif pour encourager de bonnes habitudes. Quel est votre point de vue quant à mon analyse? Peut-être que je me trompe?

M. Thériault : Non, en fait, votre analyse reprend les grandes lignes de la présentation que je viens de vous livrer aujourd’hui. Je pense qu’il est important de se rappeler que l’économie canadienne, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est fondée sur des avantages comparatifs. Donc, on a beaucoup d’énergie qui est disponible à faibles coûts, en général, par rapport aux normes internationales. Dans notre économie, la consommation de carbone et d’énergie est intense, en général. Cela a influencé les habitudes de transport des consommateurs, la taille de leurs maisons et la façon dont ils se chauffent. Tout cela est lié à notre abondance d’énergie. C’est un avantage qui est central à notre richesse collective. Donc, pour modifier ce qui est naturel à la base, le fameux business as usual, la taxe sur le carbone devrait être très élevée.

Aussi, selon les analyses qu’on a faites en collaboration avec l’Académie canadienne du génie, si on commercialisait les technologies disponibles actuellement, le prix implicite sur le carbone qu’il faudrait imposer afin de les rendre compétitives serait de près de 1 200 $ la tonne. On parle ici d’un écart gigantesque. C’est la raison pour laquelle on dit que le fait d’imposer une taxe sur ce plan causerait une rupture très importante dans la structure économique. Cela ne serait pas soutenable.

Nous ne disons pas que la taxe sur le carbone est inutile; au contraire, nous prétendons que cela fait partie de l’ensemble des outils nécessaires. Comme vous le dites, envoyer des messages quant aux prix, c’est important, mais ce n’est pas suffisant.

Nous prétendons également que l’innovation et les nouvelles technologies pourront peut-être nous mener éventuellement là où nous voulons aller, mais les méthodes que nous connaissons aujourd’hui ne pourront le faire. Lorsqu’on établit des objectifs de réduction aussi importants que la réduction de 80 p. 100 en 2050 par rapport au niveau de 1990, on parle d’une ambition, mais on n’a pas une idée claire de la manière dont on pourrait y arriver. Il s’agit de prévoir une transition ordonnée, dirais-je, sans créer de rupture dans le tissu économique canadien, et d’avoir un plan de transition qui fera en sorte que les secteurs qui seront affectés pourront faire une transition ordonnée sans souffrir et sans créer de rupture dans le marché de l’emploi, et cetera. Donc, il n’y a pas de solutions simples.

Le sénateur Massicotte : Si vous étiez ministre, quelle serait la solution? Si on voulait à tout prix atteindre les objectifs environnementaux, que faudrait-il faire?

M. Thériault : D’abord, je m’organiserais pour que le processus ne soit pas politique. La Grande-Bretagne en est un bon exemple; un secrétariat indépendant a été créé par l’assemblée, et tous les partis ont accepté que le programme climatique soit géré par ce secrétariat indépendant.

Le sénateur Massicotte : Quel est le mandat de ce secrétariat indépendant?

M. Thériault : Il s’agit d’un comité d’experts.

Le sénateur Massicotte : Je vois, mais disons que nous avons un comité indépendant entièrement non partisan. Que doit faire ce comité pour atteindre nos objectifs?

M. Thériault : Il faut envoyer des signaux et vérifier la progression tous les trois ou cinq ans. Définir une date très ferme dans un programme aussi complexe, c’est un peu se mettre en boîte. Cependant, il faut travailler collectivement pour y arriver. Je dirais donc que les messages sur les prix, comme la taxe sur le carbone, en font partie. Il y a une stratégie industrielle qui en fait partie aussi, et une stratégie d’innovation. En outre, il y a un engagement du public en général. Comment le fait-on? Ce n’est probablement pas en parlant du programme de la protection de l’environnement, car beaucoup d’autres facteurs viennent influencer le choix des consommateurs. Le débat doit impliquer les Canadiens, mais à un autre niveau que celui qui est purement environnemental. Il s’agira d’un bénéfice secondaire de mesures prises dès le départ.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La sénatrice Galvez : Je vous remercie de cette intéressante présentation. Je suis d’accord avec presque tout ce que vous avez dit, et je suis d’accord aussi avec l’analyse de mon collègue, le sénateur Massicotte. La taxe sur le carbone, c’est important. Cependant, tout de suite après, vous avez parlé d’éducation, de changement des mentalités et de culture du consommateur, et j’ai deux questions à ce sujet.

Premièrement, le revenu provenant de la vente ou de l’échange de carbone ne pourrait-il pas être attribué à l’innovation technologique et à l’éducation? À l’heure actuelle, ces revenus sont versés au Trésor public et on ne sait pas exactement où ils seront investis. Cela ne serait-il pas plus efficace, puisque dans votre analyse, vous dites qu’il faut accélérer le développement et l’innovation et, également, influencer les consommateurs?

Nous comprenons tous que, selon les générations, la culture de consommation est très différente. Les baby-boomers ont leur façon de consommer, ainsi que les membres de la génération X, de la génération Y et des milléniaux.

Finalement, avez-vous calculé également le prix de ne rien faire? Si nous continuions selon le mode business as usual, combien cela coûterait-il pour faire face aux tragédies et aux catastrophes naturelles? Nous avons beaucoup d’exemples, de nos jours, qui peuvent servir de données réelles pour calculer le prix de ne rien faire.

M. Thériault : Pour répondre à votre premier point, à savoir si les revenus d’une taxe devraient être réinjectés dans l’éducation et dans l’innovation, je dirais que des investissements importants sont faits actuellement dans ces domaines. Il s’agit de décider où investir. Dans nos scénarios, l’effet relativement faible pour l’ensemble de l’économie dépend de deux conditions très importantes. La première, c’est que les revenus sont réinjectés par des baisses d’impôt corporatives ou personnelles et, la deuxième, c’est l’investissement en faveur de l’infrastructure. Il y a un programme fédéral et provincial sur les dépenses en infrastructure qui est déjà central au projet dont on discute à l’heure actuelle, donc d’autres mesures seraient complémentaires. Il ne s’agit pas nécessairement d’une addition parfaite, parce qu’il y a déjà beaucoup d’argent qui est investi dans ces domaines, mais cela pourrait accélérer les projets d’infrastructure, effectivement. Donc, je lierais directement le programme en matière d’innovation aux besoins en infrastructure pour favoriser la cohérence de nos scénarios sur les effets relativement faibles dans l’ensemble.

Le coût de ne rien faire, on ne l’a pas calculé ici. Je dirais qu’il s’agit d’un défi international. Le Canada, s’il agit seul, soit la solution « faite au Canada », n’entraînera pas de résultats importants à l’échelle planétaire. Je crois que nous devons nous le rappeler. Dans les discussions jusqu’à maintenant, cela n’a pas encore été articulé, mais ce le sera bientôt, je pense. Au cours des années 1990, c’était une question centrale, le Canada étant une économie qui dépend de l’énergie pour être compétitive. C’est une économie qui est relativement petite et ouverte, donc qui dépend du commerce. Bref, une solution gagnante pour l’environnement à l’échelle planétaire peut être une solution gagnante pour le Canada également. Je pense qu’il y a des opportunités d’affaires sur le plan du commerce.

Le Canada, en passant aux actes, profitera d’un gain important sur le plan économique, parce qu’il a des solutions à offrir à la Chine et à l’Inde. Les pays qui contribueront aux problèmes climatiques au cours des 30 prochaines années, ce n’est pas le Canada, ce sont les économies à forte croissance. Or, l’Inde n’a pas les solutions canadiennes, la Chine n’a pas les solutions canadiennes, mais nous, nous pouvons les avoir. En fait, nous faisons partie des économies développées qui dépendent beaucoup du secteur énergétique, et nous avons des solutions technologiquement très avancées à offrir.

Il y a donc un programme en matière de commerce qu’il est important d’ajouter à cette discussion et le fait qu’il faut toujours se rappeler que l’objectif, c’est le bien de la planète.

Il y a aussi le phénomène que l’on nomme en anglais le carbon leakage. Si le Canada ne produit pas certains produits, que ce soit l’aluminium, les pâtes et papiers ou les produits chimiques du secteur minier, si tout cela est fait ailleurs, l’empreinte carbone sera-t-elle supérieure ou inférieure que si ces produits étaient faits au Canada? Je m’avancerai à dire que le Canada a les normes les plus avancées à l’échelle internationale par rapport à d’autres pays avec qui il rivalise dans le secteur minier, par exemple. Donc, la planète au complet y perdrait si l’on ne tenait pas compte de ce phénomène de carbone leakage.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Merci, monsieur Thériault, de nous communiquer les conclusions du rapport du Conference Board du Canada.

Dans votre exposé, vous avez dit que ces propositions, ou ce modèle, auraient une incidence importante sur certains secteurs précis. Vous avez utilisé les mots « des incidences importantes sur des secteurs précis. » Dans votre rapport, on dit ce qui suit:

Dans ces scénarios, ce sont les ménages qui sont les plus touchés en raison de la hausse des prix. Il est cependant peu probable que la population en général comprenne les retombées de ces investissements sur leur vie quotidienne.

J’aimerais connaître la nature de cette incidence importante sur ces secteurs précis et bien sûr, l’un des secteurs est formé des ménages canadiens. J’aimerais que vous nous parliez davantage de l’incidence économique que pourraient avoir sur les ménages les efforts potentiels du Canada en vue d’atteindre les objectifs de réduction des GES prévus dans le modèle du Conference Board.

M. Thériault : Il y a l’industrie et les consommateurs. Pour les consommateurs, la taxe sur le carbone est manifestement une taxe. Elle aura donc une incidence négative sur le revenu du Canadien moyen.

Il y aura également une incidence à grande échelle, car les coûts d’exploitation augmenteront dans certaines industries. Selon d’autres travaux effectués par le conseil, il y aura des répercussions sur les salaires à moyen et à long terme. Les diverses taxes sur le revenu disponible, par exemple la taxe sur le carburant, la taxe sur le gaz naturel, la taxe sur l’électricité, et cetera, réduiront le revenu des consommateurs. L’autre incidence est liée à des salaires un peu moins élevés. C’est donc la situation pour les consommateurs.

Nous pourrions parler longtemps de la façon dont les consommateurs perçoivent l’incidence d’une politique environnementale sur leur portefeuille. Comme je l’ai mentionné plus tôt, les consommateurs prendront des décisions ou feront ce qui est préférable pour eux en se fondant sur plusieurs facteurs. Le facteur environnemental n’est pas nécessairement le premier facteur dont ils tiennent compte. On ne sait pas encore réellement comment cela sera perçu par les Canadiens. Cela n’a pas été communiqué. Nous savons seulement que nous rencontrons habituellement une certaine résistance que lorsque nous parlons de taxes.

Si on peut démontrer clairement comment la réinjection des recettes fiscales dans l’économie produira des avantages collectifs concrets, les consommateurs accepteront peut-être cette idée. En effet, les Canadiens sont prêts à payer des taxes, mais il faut réévaluer le contrat social dans ce contexte.

C’est ce qui se passe du côté des consommateurs. Aimeriez-vous que je formule des commentaires sur les producteurs?

La sénatrice Seidman : J’aimerais approfondir la question des consommateurs. Vous avez utilisé un langage percutant lorsque vous avez dit que cela aurait une incidence importante sur des secteurs précis.

M. Thériault : Il s’agit surtout des secteurs de production, c’est-à-dire des secteurs qui sont ouverts au commerce et qui consomment énormément d’énergie. C’est ce que nous appelons les six grands secteurs, à savoir les pâtes et papiers, le fer et l’acier, l’aluminium, les mines et le raffinement du pétrole. Ce sont des secteurs qui dépendent énormément des échanges commerciaux, car ils se situent à la première étape de la transformation des ressources naturelles et des matières premières. Ce sont les secteurs auxquels je fais référence.

La sénatrice Seidman : Nous avons beaucoup entendu parler de ces secteurs. Si ce sont les secteurs auxquels vous faites référence, c’est bien. J’aimerais donc revenir aux ménages et aux consommateurs.

Un langage percutant est utilisé dans cet extrait de votre rapport:

Dans ces scénarios, ce sont les ménages qui sont les plus touchés […] Il est cependant peu probable que la population en général comprenne les retombées…

Je répète cet extrait, car le langage utilisé est important.

Il est cependant peu probable que la population en général comprenne les retombées de ces investissements sur leur vie quotidienne.

M. Thériault : C’est le message que j’ai tenté de communiquer pendant tout ce temps. En général, les consommateurs canadiens ne comprennent pas vraiment les conséquences et les compromis liés à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. La participation de tous les Canadiens est nécessaire pour assurer le succès de cette transition. En ce moment, rien n’est gagné.

La sénatrice Seidman : Vous avez dit qu’il était essentiel d’obtenir la participation des Canadiens. À votre avis, comment peut-on y arriver? Comment le gouvernement peut-il présenter ces changements de façon à obtenir un appui à grande échelle?

M. Thériault : Si je connaissais la réponse exacte à cette question — eh bien, je vous en parlerais peut-être aujourd’hui. Cela me rendrait certainement la vie plus facile. J’ai mentionné que nous parlons de cela depuis 30 ans. Nous avons signé et ratifié la Déclaration de Rio en 1992. Il y a eu le Protocole de Kyoto et ensuite l’Accord de Copenhague. Maintenant, il y a l’Accord de Paris.

Honnêtement, il importe peu de savoir si le gouvernement fédéral était libéral ou conservateur. Cela ne change rien. C’est tout simplement une chose vraiment difficile à accomplir.

Dans mon exposé, j’ai précisé que nous sortons d’une politique environnementale relative au climat qui progresse lentement. L’accord international visant à limiter le réchauffement planétaire à moins de deux degrés indique qu’il ne faut pas dépasser 450 particules par million en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. C’est un consensus à l’échelle mondiale. La Chine y participe pour des raisons liées à la santé de sa propre population. Nous avons pu observer cela lors des Olympiques.

Ce n’est pas que je ne veux pas répondre à la question, mais simplement que c’est un enjeu très complexe. S’il y avait une simple solution, nous aurions réglé le problème en 1992. Le premier objectif visait à stabiliser les niveaux de 1990 avant l’an 2000. Maintenant, nous parlons de réduire les émissions à 80 p. 100 des niveaux de 1990. Nous n’avons jamais entendu parler d’un tel niveau d’ambition et d’aspiration politique. Ce n’est pas facile d’y arriver.

La sénatrice Seidman : Il ne fait aucun doute que c’est très complexe.

M. Thériault : Tout le monde appuie l’idée d’un environnement plus propre. Cela ne fait aucun doute. Nous devons plutôt examiner la réalité d’aujourd’hui et la façon dont nous pouvons assurer la transition vers un environnement plus propre. C’est ce qui cause des tensions. En effet, il y a une dichotomie entre les éléments dont doivent tenir compte les décideurs comme vous et ce que souhaite la population en général. Nous devons tenter de déterminer ensemble comment trancher ce nœud gordien, afin de réconcilier ces deux visions.

La sénatrice Seidman : C’est effectivement le défi à relever. Merci.

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup. J’aimerais revenir à l’organisme britannique indépendant que vous avez mentionné plus tôt. Cet organisme a-t-il des pouvoirs réels ou s’agit-il seulement d’un organisme de persuasion morale?

M. Thériault : En fait, il est enchâssé dans la loi pour atteindre les objectifs. Cet organisme indépendant veille à ce que le Royaume-Uni continue d’avancer dans la bonne voie. Si les objectifs ne sont pas atteints, les conséquences font l’objet d’un débat, car cela fait partie de la loi.

La sénatrice Fraser : Toutefois, l’organisme ne peut pas intervenir et interdire l’utilisation des voitures alimentées au combustible fossile. Une telle proposition devrait d’abord être adoptée par le Parlement.

M. Thériault : Mais l’organisme formule des recommandations précises sur les mesures à prendre pour y arriver. Il revient ensuite au Parlement de faire le nécessaire pour concrétiser ces recommandations.

La sénatrice Fraser : Depuis environ combien d’années cet organisme existe-t-il?

M. Thériault : Depuis environ 12 ans, c’est-à-dire depuis 2005 ou 2006.

La sénatrice Fraser : A-t-il eu une incidence? Lorsque les intervenants de cet organisme parlent, les gens les écoutent-ils?

M. Thériault : Le Parlement n’a jamais remis en question l’autorité de cet organisme. Tous les cinq ans, l’organisme publie un rapport dans lequel il indique s’il est dans la bonne voie ou non, et quels leviers peuvent être utilisés pour l’aider à atteindre ses objectifs. Les objectifs sont donc établis. Seront-ils atteints en 2025, en 2030 ou en 2050? Il s’agit de savoir si on est dans la bonne voie et si on accomplit des progrès.

Il est difficile de dire que ce sont les objectifs en matière d’émission de gaz à effet de serre qui ont influencé certaines des décisions qui ont été prises relativement à la restructuration de l’industrie du charbon et d’autres industries lourdes et certaines des décisions politiques liées à ce que j’appellerais l’équivalent de la « Rust Belt ». Il y a manifestement des conséquences, mais pouvons-nous lier ces deux choses? Il y a un lien de causalité.

La sénatrice Fraser : Brexit?

M. Thériault : Oui, bien sûr, Brexit. Lorsqu’on commence à laisser des gens derrière, cela provoque des contrecoups sur le plan politique. Nous avons pu aussi observer cela aux États-Unis. Lorsqu’on met en œuvre des politiques qui ont une incidence directe sur les emplois et sur les grands secteurs et les grandes régions de l’économie, si on ne met pas aussi en œuvre un plan de transition et qu’on ne s’occupe pas des gens touchés, ces politiques ne seront probablement pas couronnées de succès.

La sénatrice Fraser : Nous avons un Commissariat à l’environnement depuis je ne sais plus combien d’années, mais ça fait quand même un bon moment, et encore cette semaine, notre commissaire a essentiellement dit qu’elle avait rédigé un rapport, et que tout le monde convenait que c’était un excellent rapport, mais que presque personne n’avait pris de mesures à cet égard. C’est déprimant, car elle demandait simplement d’établir des plans et non de modifier des comportements. J’aimerais savoir comment un organisme de cette nature peut avoir une incidence réelle.

M. Thériault : Eh bien, je peux vous donner un exemple très clair. Les travaux que nous avons menés ici laissent croire que nous avons besoin d’un réseau électrique national. Nous devrions décarboniser la production d’électricité, et nous devrions donc électrifier l’économie à grande échelle.

La bonne nouvelle, c’est que nous avons déjà 80 p. 100 de notre énergie renouvelable; il ne reste donc pas trop de travail à faire. Certains secteurs de l’Alberta, et particulièrement de la Nouvelle-Écosse, et dans une certaine mesure du Nouveau-Brunswick et même de l’Ontario et de la Colombie-Britannique présentent une certaine capacité de production d’énergie thermique. Mais si on faisait cela du jour au lendemain, on perturberait trop le système. C’est donc l’un des points dont il faut tenir compte.

L’autre point, c’est qu’il faut savoir comment créer un vrai réseau national. Il s’agit de transmission et non de génération, et c’est une compétence provinciale. Comme nous le savons tous, c’est une conversation tendue, mais c’est le fondement qui permettra d’accomplir toute réduction importante des émissions de gaz à effet de serre.

Le sénateur MacDonald : Lorsque je lis le rapport du Conference Board… Je devrai obtenir une divulgation complète. Je ne crois pas du tout dans la taxe sur le carbone. Je crois qu’une telle taxe ralentit énormément l’économie. Je lis les recommandations formulées par le Conference Board, et j’aimerais savoir si ses membres pensent qu’on devrait imposer une taxe sur le carbone. Vous n’avez pas vraiment mentionné cela ici. Vous avez dit qu’il y aura une taxe et vous avez parlé de ses effets. Quelle est l’opinion du Conference Board sur la taxe sur le carbone?

M. Thériault : Je dois admettre que cela fait partie de la boîte à outils. Il n’y a aucun signal de prix. Si nous n’internalisons pas ce que nous jugeons comme étant mauvais pour l’environnement et le prix des produits que nous consommons, le signal est ambigu.

J’aimerais vous donner un exemple. En Europe de l’Ouest, le prix moyen de l’essence est d’environ 2 $ le litre — ou environ 1 $. Cela représente de 350 à 400 $ la tonne en taxe équivalente. Selon moi, l’écart entre notre point de départ et celui des économies qui ne dépendent pas autant du carbone est assez grand, et nous devrions donc atteindre un niveau qui serait politiquement inacceptable pour les Canadiens. Cela aurait un effet très perturbateur.

Cela fait partie d’un ensemble. Nous pouvons l’utiliser dans le cadre des outils qui nous permettent d’y arriver, afin d’envoyer un message et un signal. Cela fait partie de la démarche pour convaincre les Canadiens que c’est la meilleure chose à faire.

Au bout du compte, cela touchera les consommateurs, mais il y aura également des entreprises qui devront transférer les coûts supplémentaires liés à leurs activités d’exploitation. Cela se reflétera donc sur le prix de nos achats quotidiens, et il y aura également les compromis liés aux salaires et les enjeux liés à la compétitivité des industries dépendantes des échanges commerciaux dont j’ai parlé. Si nous n’incluons pas tous ces éléments lorsque nous parlons de la taxe sur le carbone, nous n’atteindrons pas l’équilibre nécessaire pour convaincre la population en général du bien-fondé de cette initiative.

Manifestement, la première réaction, c’est que si nous sommes les seuls à adopter cette mesure — et vous examinez les industries qui font essentiellement le commerce de leurs produits et qui ne les vendent pas sur le marché canadien, et pour une économie de commerce ouvert comme le Canada, cela crée un avantage concurrentiel du jour au lendemain, surtout avec les États-Unis. En effet, lorsque les États-Unis appuyaient l’Accord de Paris, on pouvait se dire qu’au moins les règles du jeu étaient équitables et que sur le plan des affaires, la situation était neutre. Toutefois, maintenant que les États-Unis font bande à part, on est en droit de se demander quelles seront les conséquences.

En Alberta, les débats ne concernent pas seulement la taxe sur le carbone. Ils visent également la tarification du carbone. Il existe des systèmes de plafonnement et d’échange de droits d’émissions et toutes sortes d’autres éléments, par exemple, pour les industries énergivores, et l’attribution fondée sur les extrants dont on parle en Alberta représente une façon d’éviter la question de la compétitivité.

Je ferais valoir que tous les modèles qui font intervenir un transfert de capitaux ou un mouvement de fonds vers l’extérieur du Canada ne sont pas très utiles. Actuellement, le système du Québec est conçu pour tenir compte du contexte nord-américain avec la Californie, en particulier, mais étant donné la conception de ce système, cela signifie essentiellement — peut-être pas tellement pour le Québec, mais pour les autres provinces qui tentent d’adopter le même modèle — qu’il y aurait un transfert de fonds vers la Californie. Bien honnêtement, il faudrait peut-être réexaminer certains éléments de la conception de ce projet.

C’est difficile. Ce n’est pas que les gens n’aiment pas les taxes. Les gens sont prêts à payer des taxes s’ils ont l’impression que dans l’ensemble, cela leur procurera des avantages et leur permettra d’atteindre les objectifs sociétaux collectifs. Il est difficile de démontrer comment cette initiative permet d’atteindre ces objectifs dans le contexte du changement climatique, et cela revient donc à ce que je disais au sujet de l’importance de convaincre les gens de participer. Selon moi, c’est le niveau à atteindre qui pose problème en ce moment. Les outils fiscaux qui nous permettent d’y arriver ne sont pas suffisants. En effet, il faudrait atteindre un niveau tellement élevé en raison de notre point de départ qu’il est très difficile de convaincre les gens d’accepter cette idée.

Le sénateur MacDonald : Vous avez parlé du prix de l’essence et de l’énergie en Europe. C’est difficile pour nous de fonctionner en ne tenant pas compte de l’économie américaine et de nos liens avec ce pays. Si nous ne pouvons pas être concurrentiels aux États-Unis, il nous sera difficile d’être concurrentiels ailleurs.

Le Conference Board a indiqué que le prix du carbone affectera directement les coûts payés par les ménages pour le chauffage, l’électricité et le transport. L’augmentation du prix de l’énergie fera augmenter le coût des intrants pour les entreprises, ce qui fera augmenter le coût des biens et des services dans l’ensemble de l’économie. Le Conference Board a-t-il estimé l’augmentation annuelle de ces coûts pour les ménages canadiens moyens?

M. Thériault : Si je me souviens bien, il s’agit des 3 000 $ dans l’un des scénarios, c’est-à-dire 80 $ la tonne. Tous les détails sont dans le rapport, mais c’est le coût annuel.

Le sénateur MacDonald : Et pour les entreprises?

M. Thériault : Pour les entreprises, c’est plus nuancé parce qu’il y a un transfert du coût accru des affaires. C’est la grande question. On tient pour acquis, dans ce contexte, que la fluctuation relative des prix aura une incidence sur le commerce. C’est atténué en partie par la faiblesse du commerce dans certains secteurs, qui déprimera la valeur du dollar, ce qui compensera un peu pour les coûts. Autrement dit, certains secteurs bénéficieront de la dépréciation du dollar. Par exemple, le secteur des pièces automobiles et de l’assemblage de véhicules à moteur en bénéficie.

Au final, comme je l’ai déjà mentionné, l’avantage net est relativement minime pour l’économie. Il est même légèrement négatif, mais dans l’ensemble, je dirais qu’il se situe dans la marge d’erreur. Ce n’est pas ce qui suscite le plus de craintes. Ce sont surtout les secteurs et les régions qui seront touchés.

Vous parliez de la difficulté de faire adopter une taxe sur le carbone ou de trouver une formule de tarification du carbone qui fera consensus, mais il y a des nuances à faire. Il faut penser à des mécanismes afin de compenser pour les effets de la tarification du carbone.

J’ai mentionné la méthode d’allocation fondée sur les extrants, en Alberta. Elle est assez complexe, et le terme est assez hermétique, mais la logique sous-jacente est bonne. Elle suppose que dans chaque secteur, il y aura une certaine norme en fonction de laquelle on jugera des émissions de gaz à effet de serre. C’est un incitatif pour les usines qui n’ont pas encore investi dans des technologies de pointe, plus écologiques, afin qu’elles puissent le faire sans perdre trop d’argent comme dans un simple régime de plafonnement et d’échanges qui ne tiendrait pas compte d’une allocation fondée sur les extrants.

Le président : En réponse à la question du sénateur MacDonald sur le coût moyen par ménage, le coût que vous citez est-il calculé en fonction de la moyenne générale du pays?

M. Thériault : Oui.

Le président : Cela pourrait nuire un peu à certaines régions. Par exemple, le Québec a accès à de l’électricité à coût relativement bas, et les systèmes de chauffage sont principalement alimentés à l’électricité au Québec. En revanche, dans d’autres endroits comme en Alberta, le chauffage se fait surtout au gaz naturel. Quand on fait une moyenne, cela ne traduit pas toujours ce qui se passe à certains endroits. Avez-vous une ventilation des données par province?

M. Thériault : Nous avons des résultats partiels par province, mais l’analyse a essentiellement été faite d’une perspective nationale. C’est assez complexe, techniquement. Ce serait le prochain niveau de détail. Nous avons des résultats préliminaires, mais ils ne sont pas assez détaillés pour dépeindre la réalité dont vous parlez, qui est très juste. Les consommateurs ne souffriront pas des mêmes effets uniformément partout au pays. L’exemple des provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta, en particulier, est évident, en raison de l’intensité de leurs émissions de carbone.

Le président : En Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique, la principale source de chauffage résidentiel est le gaz naturel, et non l’électricité. Si vous pouviez nous donner des chiffres pour décrire les coûts, ce serait apprécié.

Vous avez également dit que le Canada aurait des solutions à offrir à l’Inde et à la Chine. Pouvez-vous nous en parler un peu plus?

M. Thériault : Avec plaisir. En fait, c’est une chose dont on ne parle plus beaucoup. On en parlait dans les années 1990. Au moment des négociations sur les accords de Rio et de Kyoto, il y avait ce qu’on appelait les coentreprises internationales, qui étaient au cœur même de la politique environnementale à l’époque, mais cette idée n’a pas encore été remise au goût du jour.

En somme, si le Canada travaille en partenariat avec une entreprise située en Inde ou en Chine, par exemple, il y aura un transfert technologique du Canada vers cet autre pays qui contribuera à réduire l’empreinte des gaz à effet de serre. On discutait à l’époque du mérite attribuable au Canada pour cet effort proactif et ce transfert technologique, mais cette idée n’a pas encore été reprise.

Je dirais que le Canada, comparativement aux autres pays producteurs de pétrole et de gaz, est l’un des plus avancés au monde, sinon le plus avancé technologiquement. Nous avons dû surmonter la barrière des coûts avec les sables bitumineux. Nous avons mis au point des technologies très poussées.

Regardez les normes environnementales et minières que nous devons respecter. Encore, nous avons dû mettre au point des technologies et des procédés de pointe afin de remettre les terres en état, donc cela va bien au-delà des émissions de gaz à effet de serre. Il y a clairement une composante technologique dans l’équation, pour épargner et avoir une empreinte positive au final : nous avons tout avantage à investir dans des technologies moins énergivores. L’exploitation minière est l’une des industries les plus énergivores.

Il y a toutes sortes d’incitatifs en place pour faire du Canada la norme suprême dans beaucoup de ces secteurs, et il y a là un énorme potentiel d’exportation pour le Canada. Plus l’Accord de Paris deviendra concret pour divers pays, plus ils chercheront des solutions. Nous pourrions récupérer notre investissement plus tard, il n’y aurait donc pas d’effet néfaste pour le Canada à long terme.

Nous produirons du pétrole encore longtemps. Si l’on peut nous attribuer le crédit d’un transfert technologique ailleurs qui permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le monde, ce sera un atout pour le Canada comme pour la planète. Il y a là une occasion en or à saisir. Il peut être difficile de faire l’inventaire des gaz à effet de serre et d’en suivre l’évolution. C’est un défi mécanique et technique, mais c’est très logique du point de vue de tous les avantages que cela comporte pour le bien public.

Le président : Je suis content de vous l’entendre dire, c’est comme de la musique à mes oreilles. Je viens de l’Ouest canadien, de la Colombie-Britannique, et nous avons reçu un témoin juste avant vous, qui représentait BC LNG, qui disait à peu près la même chose. Si l’on pouvait remplacer le charbon, en Chine et en Inde, par du GNL du Canada, parce que comme vous l’avez dit, notre industrie pétrolière est l’une des meilleures au monde, nous pourrions en profiter plutôt que d’être pénalisés. Dans le système, à l’heure actuelle, on pénalise ce genre d’entreprises, même quand elles essaient de faire de leur mieux.

Il y a aussi les fuites de carbone, et je voudrais vérifier une chose avec vous. Je sais qu’il y en a. Si nous devons exporter nos ressources brutes directement aux États-Unis, comme nous le faisons déjà pour notre gaz naturel et une grande partie de notre pétrole, c’est ce que j’appelle une fuite de carbone, parce que bien souvent, les normes de production qui s’appliquent ailleurs ne sont pas aussi élevées que celles en vigueur au Canada. Nous avons tendance à vouloir exporter nos ressources brutes parce que nous ne voulons pas voir augmenter nos émissions de gaz à effet de serre. Nous voulons pouvoir dire : « Nos émissions de gaz à effet de serre n’ont pas augmenté. Nous sommes bons, n’est-ce pas? » Nous avons beau nous en féliciter, mais si l’on tient compte du fait que les emplois sont exportés au sud de la frontière et qu’il y a autant de gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère, voire plus dans bien des cas, il y a encore plus d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde que si le produit avait été raffiné au Canada. Est-ce que je me trompe?

M. Thériault : La fuite de carbone est une question centrale dont il faut tenir compte dans la politique du Canada en matière de carbone.

J’ai déjà dit qu’il ne serait pas très avisé de pondre des politiques sur le carbone qui ne tiendraient compte que de ce qu’on produit au Canada, compte tenu de notre structure économique, de nos avantages concurrentiels et de notre petite économie ouverte. Nos ambitions environnementales doivent nécessairement se traduire par des solutions propres au Canada, certes, mais qui tiennent compte de toutes ces dimensions. Les fuites de carbone et le fait que le Canada a des solutions à proposer au problème doivent être au cœur de la discussion.

Cela dit, ce n’est pas l’endroit pour le faire, mais il y a bien des défis techniques à relever pour faire de notre planète un monde meilleur, mais je ne m’arrêterais pas là. On peut envoyer des gens sur la lune. Je pense que nous pouvons trouver des solutions à ce problème.

Le président : Je pense que nous pouvons, aussi.

Quand on dresse la liste de tous les endroits où ont eu lieu les conférences sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre — des endroits magnifiques comme Rio, Kyoto et Paris —, on se dit qu’il devrait y en avoir une à Iqaluit en janvier pour situer les discussions dans un contexte bien réel, sur la façon de faire tout cela, simplement.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur Thériault, j’essaie de bien comprendre votre message. Vous répétez que c’est une chose difficile à faire. Alors, que devrait-on faire? À mon avis, il faudrait accepter que l’on n’atteigne pas nos objectifs, pas seulement au Canada, mais également à l’échelle mondiale. En effet, nous ne sommes pas les seuls à avoir ces mêmes défis et à éprouver ces difficultés.

Devons-nous augmenter nos efforts? Nous allons atteindre 4 °C au lieu de notre objectif de 2 °C. Devons-nous nous préparer en conséquence parce que nous n’atteindrons pas nos objectifs? Dans quelle direction doivent être dirigés nos efforts? Devrait-on augmenter le prix? Allons-nous essayer de minimiser le gaz carbonique ou de prendre des mesures d’atténuation pour tenter de gérer les conséquences?

M. Thériault : J’espère que ce n’est pas la façon dont mon message a été perçu. J’ai parlé de la nécessité d’une taxe sur le carbone. J’ai parlé des difficultés à vendre cette notion. J’ai aussi parlé de différentes façons de concevoir le prix sur le carbone. C’est possible, mais il faut en parler. Actuellement, nous n’en parlons pas. C’est la plus grande priorité. Le niveau de prix sur le carbone devrait être très, très élevé.

Compte tenu des conditions de départ, ce n’est pas le seul outil qui favoriserait une politique de réduction du carbone. L’autre élément, nous venons d’en discuter, et je l’ai réitéré à plusieurs égards, ce sont les solutions que le Canada peut offrir à d’autres pays qui n’ont pas les mêmes normes que le nôtre. Il faut articuler une politique qui est en lien avec le bien de la planète, où nous présentons une solution naturelle pour réduire les gaz à effet de serre. Je pense à la Chine et à l’Inde en particulier, car, au cours des 30 prochaines années, ce sont les pays où se fera la grande croissance des gaz à effet de serre. Il faut inclure cet aspect dans les solutions et, à l’heure actuelle, je ne le vois pas.

Mon message n’est pas seulement négatif, loin de là, car il y a des occasions d’affaires importantes dans tout cela. Ce qui est sûr, c’est que les consommateurs prennent rarement des décisions d’achat basées uniquement sur le critère environnemental. On a une responsabilité collective. Je dirais que les parlementaires et les politiciens ont un grand rôle à jouer en entraînant les Canadiens avec eux dans cette transition énergétique qui est importante, qui est centrale. Si les Canadiens ne font pas partie de la solution, s’ils ne sont pas impliqués dans cette transition, s’ils ne voient pas les gains au sens large que cela apporte pour eux, il sera difficile politiquement de maintenir la tangente.

Les 30 dernières années le confirment. Ce n’est pas être négatif. Il y a une réalité de 30 années de politiques sur le climat qui ne nous a pas amenés près du but. Parlons-en de façon franche. Qu’est-ce que cela implique? Regardons les différents outils à notre disposition. Il faut examiner les outils fiscaux, le côté technologique et le programme en matière d’innovation du Canada. Il faut articuler tout cela et en parler maintenant. Les solutions viendront de là. Il y a aussi tout le côté commercial. On n’en parle pas encore, et je me faisais un devoir d’aborder le sujet aujourd’hui. C’est un aspect de la politique climatique qui doit être central au Canada.

[Traduction]

La sénatrice Galvez : Je vous remercie beaucoup de le dire clairement en réponse à la question du sénateur Massicotte. Ce qu’on vient d’entendre prouve clairement que la politique n’est pas une solution au problème du climat. Cette question ne peut pas être politisée. Je pense que la clé, dans tout ce que vous avez dit aujourd’hui, c’est que cette discussion doit être sortie du cadre politique. Dès qu’on parle de politique, le lobbying et les conflits d’intérêts entrent en ligne de compte. Il y a beaucoup de choses qui nous empêchent de voir le portrait général.

Bien sûr, l’économie doit continuer de rouler, pour le Canada et pour le bien-être des Canadiens. Je conviens à 100 p. 100 avec vous qu’il y a des débouchés économiques à saisir pour la croissance du Canada. L’acier en est un exemple. Nous importons de l’acier de la Chine. Il nous coûte cher et est de mauvaise qualité. Pourtant, nous avons ici accès à du fer, à du carbonate de calcium et à de l’électricité à faible coût. Pourquoi ne pouvons-nous pas le fabriquer ici? Nous ne pouvons pas voir le portrait général. Nous sommes enlisés dans la politique et nous disons qu’il faut favoriser tel ou tel lobby.

Je pense que si ce groupe indépendant arrive à fonctionner en Angleterre, alors que notre propre commissaire à l’environnement n’arrive pas à faire quoi que soit, c’est en raison du pouvoir et de l’influence de la législation.

Pouvez-vous nous expliquer un peu plus comment nous pouvons dépolitiser tous ces enjeux?

M. Thériault : Les parlementaires doivent s’entendre. Au Royaume-Uni, c’est ce qui est arrivé. Les députés du Parti conservateur et du Parti travailliste se sont assis ensemble, puis ils ont dit : « C’est une question centrale pour l’avenir du Royaume-Uni, nous mettrons nos différends politiques de côté. » Il y a eu consensus au départ. C’était la condition préalable au succès.

La sénatrice Galvez : Pourrais-je vous demander de mettre cela sur papier dans une lettre, par laquelle vous nous expliqueriez tout cela, pour que nous puissions connaître votre avis à ce sujet?

M. Thériault : C’est un de modèle de gouvernance stratégique. Ce n’est pas plus compliqué que cela. C’est inscrit dans la loi, et le modèle de gouvernance assure le bon fonctionnement du système. Je serai ravi de vous résumer son fonctionnement.

La sénatrice Fraser : De quelle loi parlez-vous? J’aimerais seulement avoir le titre de la loi.

M. Thériault : Je ne peux pas vous citer le titre exact de la loi à brûle-pourpoint. Je sais que c’est intégré à la loi, parce que le directeur exécutif, le président du groupe est venu parler au haut-commissariat de la Grande-Bretagne, ici. Il a expliqué que le fondement même du groupe, pour qu’il soit efficace, était son caractère apolitique. Comme c’est désormais inscrit dans la loi, il pourra atteindre son objectif. Je ne connais pas le nom précis de la loi. Ce sont les préconditions; puis il y a le modèle de gouvernance qui l’entoure, la façon dont ce groupe est structuré et dont il fait rapport au Parlement; tout cela fait partie de la conception même du groupe. Il avance, et sinon, il fait des recommandations pour que les choses avancent.

Le président : Je vous remercie de ce témoignage très intéressant. C’était d’excellentes questions et d’excellentes réponses. Je vous remercie infiniment d’être venu nous rencontrer ce matin. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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