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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 45 - Témoignages du 10 mai 2018


OTTAWA, le jeudi 10 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 8 h 1, pour étudier la teneur des éléments de la partie 5 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez. Je suis une sénatrice du Québec et je suis présidente du comité.

Je demanderais maintenant aux sénateurs autour de la table de se présenter.

Le sénateur Neufeld : Le sénateur Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.

Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

La présidente : J’aimerais aussi présenter notre personnel : la greffière, Maxime Fortin, et les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Jesse Good.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la teneur des éléments de la partie 5 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.

La partie 5 du projet de loi traite de la Loi sur la tarification de la pollution par les gaz à effet de serre. Nous recevons trois témoins aujourd’hui. Nous recevons d’abord Martha Hall Findlay, qui est présidente et chef de la direction de la Canada West Foundation. Nous vous remercions de vous joindre à nous. Je vous invite à présenter votre déclaration préliminaire, puis nous passerons aux questions et réponses.

Martha Hall Findlay, présidente et chef de la direction, Canada West Foundation : Merci beaucoup à vous tous d’avoir invité la Canada West Foundation à prendre part à vos délibérations. J’aimerais faire une courte présentation pour ceux d’entre vous qui ne nous connaissent pas. La Canada West Foundation est un groupe de réflexion sur la politique publique basé à l’ouest de notre merveilleux pays et fondé il y a près de 50 ans pour répondre à la frustration de voir les grandes décisions qui ont une incidence sur le pays prises dans le centre du Canada sans tenir compte du point de vue de l’Ouest. Je ne sais pas si c’est encore le cas aujourd’hui, mais nous continuons de travailler en vue de favoriser la prospérité économique et sociale de l’ouest du pays avec la conviction que ce qui est bon pour l’Ouest est aussi bon pour l’ensemble du pays. Nous nous centrons sur les ressources humaines, le capital humain, le commerce et l’investissement. Ce sont nos trois principaux centres stratégiques. Nous sommes très fiers de faire partie d’un groupe non partisan qui mise sur des données probantes, et nous y travaillons très fort tous les jours.

En ce qui a trait à la question à l’étude, nous tenons à souligner que nous sommes tout à fait pour la tarification du carbone, mais nous sommes aussi tout à fait pour l’établissement d’une infrastructure qui nous permettra d’acheminer nos ressources — de façon générale, mais aussi nos ressources énergétiques, étant donné les défis d’aujourd’hui — vers le marché, notamment vers les côtes, bien que, à l’heure actuelle, l’objectif soit d’en atteindre un seul.

Il va sans dire — et c’est surtout le cas dans l’Ouest — que, dans certaines régions, nous ne nous faisons pas beaucoup d’amis en appuyant la tarification du carbone; c’est la même chose pour notre appui à l’égard de l’infrastructure énergétique dans d’autres régions du pays. Nous aimerions penser que cela fait de nous des amis, mais ce ne sont pas toujours les mêmes.

Or, nous tenons à le souligner pour montrer que selon les données probantes, il faut miser sur nos ressources pour assurer notre prospérité économique, et qu’il faut pouvoir les acheminer vers le marché. Les données probantes montrent aussi que les changements climatiques sont un réel problème que le Canada doit aborder, tout comme le reste du monde. Nous croyons fermement que pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut y mettre un prix.

Je vais lire quelques commentaires, mais j’ai surtout hâte de discuter avec vous et d’entendre vos questions.

Les messages clés : vous allez entendre mon ami et représentant de la Commission de l’écofiscalité, qui témoignera après moi ce matin. Nous appuyons fortement leur travail. Je n’ai donc pas besoin de vous expliquer en détail ce que la Commission et d’autres organisations ont fait.

Je tiens toutefois à dire que, de notre point de vue, la tarification du carbone permet de réduire les émissions au plus faible coût possible. Mon commentaire se veut non partisan. Si vous voulez faire quelque chose, il faut que ce soit le plus rentable possible. C’est très important pour nous. La tarification du carbone crée une demande pour des technologies à faibles émissions et favorise l’innovation technologique en vue de réduire les émissions. On le voit au quotidien avec les sables bitumineux : une réduction des émissions, surtout, mais aussi — et c’est intéressant — une réduction des coûts. C’est donc une situation gagnant-gagnant en ce qui a trait aux innovations technologiques dans le domaine de l’énergie.

La tarification du carbone fonctionne. Toutes les études montrent que les émissions sont plus faibles dans les administrations qui appliquent la tarification du carbone.

La réduction des émissions par l’entremise d’autres mécanismes comme la réglementation ou la mise en place de programmes incitatifs ne permet pas de réduire les coûts : elle ne fait que les cacher. Si l’on ne réduit pas les émissions, cela entraîne bien évidemment des coûts. Le coût de l’inaction face au changement climatique est aussi réel.

La tarification du carbone est un choix. C’est un choix entre la réduction des émissions au plus faible coût et la réduction des émissions par l’entremise d’autres mesures plus coûteuses. C’est un choix entre laisser les gens et les entreprises réduire leurs émissions de la façon la plus logique pour eux ou laisser le gouvernement dicter aux gens et aux entreprises la façon dont ils devraient réduire leurs émissions… la valeur d’un mécanisme de marché. C’est un choix entre mettre en place des politiques intelligentes pour réduire les émissions maintenant ou refiler cette responsabilité aux prochaines générations. C’est un choix entre faire preuve de transparence au sujet des coûts associés à la réduction des émissions et cacher ces coûts par l’entremise de règlements, de mesures incitatives et autres.

J’aimerais beaucoup parler d’autorité compétente, mais je ne le ferai pas dans mes commentaires. Je ne fais que le mentionner, en espérant que l’un d’entre vous posera des questions à ce sujet, parce que j’aimerais aborder certains des arguments que nous entendons, tant à la Chambre des communes qu’ici, au sujet de la pertinence de tarifier le carbone. L’un des commentaires que nous avons entendus, c’est que les gens normaux ne peuvent pas réduire leurs émissions. Ils doivent utiliser leur voiture, chauffer leur maison, et cetera, et ne peuvent pas faire tout cela sans produire d’émissions. On dit que la taxe sur le carbone punira ces gens qui ne font que vivre leur vie. C’est ce qu’on entend, ce n’est pas moi qui ai dit cela.

Premièrement, la mise en œuvre d’une taxe sur le carbone ne vise pas à punir qui que ce soit, et certainement pas à punir les gens qui ne font que « vivre leur vie », tout comme l’impôt sur le revenu ne vise pas à punir les gens qui travaillent et comme l’impôt sur le revenu des sociétés ne vise pas à punir les entreprises qui font des profits. La taxe sur le carbone vise à réduire les émissions en permettant aux gens d’économiser lorsqu’ils trouvent des moyens de réduire leurs émissions de façon logique. C’est beaucoup mieux qu’un gouvernement qui vous dicte une façon de réduire vos émissions. Il est important que les gens puissent faire ces choix.

Deuxièmement, il est vrai que bon nombre des gens ne pourront pas réduire leurs émissions et devront payer le prix du carbone immédiatement. Ils devront quand même faire le plein d’essence pour se rendre au travail ou conduire leur tracteur, même si je sais qu’on se demande s’il faut tarifer ou non les combustibles agricoles. Ce fait est tout simplement une raison de commencer par une faible tarification du carbone, que l’on augmentera au fil des années, et d’utiliser les revenus de la taxe sur le carbone pour réduire les coûts ailleurs.

Je vais saluer ici les efforts déployés par le gouvernement du Manitoba. Je sais que beaucoup de gens au Manitoba n’aiment pas du tout l’idée de tarifer le carbone, mais personnellement, et c’est assurément notre opinion à la Canada West Foundation, je suis heureuse de voir que le gouvernement dit : « Cela ne nous plaît pas. Cela ne nous plaît pas de voir le gouvernement fédéral nous dire ce que nous devons faire, mais nous sommes conscients qu’il y a un problème et que nous devons tous nous en occuper. Nous allons proposer une solution typiquement manitobaine. » Il n’y a rien de parfait, et beaucoup reste à discuter, mais je me disais que le gouvernement a fait l’effort de s’asseoir à la table et de trouver une solution, et nous pourrions en avoir beaucoup plus au pays à l’heure actuelle.

En y allant tranquillement, on réduit les conséquences initiales de la tarification du carbone au moment où il est le plus difficile pour les gens de s’adapter, mais avec le temps, lorsque les signaux du marché seront clairs, les gens pourront réagir de façon à éviter les taxes sur le carbone dans le cadre de leurs investissements courants. À titre d’exemple, s’ils doivent s’acheter un nouveau véhicule, les gens pourront acheter des véhicules écoénergétiques pour réduire leurs émissions, mais ils ne pourront pas tous s’en acheter un demain, d’où l’importance d’avoir une approche graduelle.

Au fil du temps, il sera également plus facile et moins coûteux d’investir dans des projets faibles en carbone, car l’innovation donne naissance à de nouvelles technologies et réduit les coûts. Les marchés stimulent l’innovation lorsqu’il y a des avantages à saisir. La tarification du carbone crée des avantages à saisir pour ceux qui réduisent leurs émissions. Au fur et à mesure que la taxe sur le carbone augmentera, il sera plus facile et moins coûteux de l’éviter.

Autre citation : « Une taxe sur le carbone n’est autre chose qu’une recette fiscale pour les gouvernements qui la mettent en place. À ce jour, aucune administration n’a mis en place une taxe sur le carbone réellement neutre sur le plan des recettes. »

Voici notre réponse : l’objectif premier de la tarification du carbone est de réduire les émissions. Ce qu’il advient des recettes par la suite est une question de politique tout à fait différente, même si elle mérite, de bon droit, de faire l’objet d’un débat. Toutefois, la rengaine voulant que toute recette additionnelle doive être neutre n’est pas un objectif en soi. L’objectif est de réduire les émissions.

Je me souviens d’un temps pas si lointain où le gouvernement voulait tarifer le carbone, et l’idée de base était de mettre un prix sur les choses que nous voulons le moins, et un prix moins élevé sur celles que nous voulons le plus, alors toute l’idée ne tournait pas autour d’une expression comme « neutre sur le plan des recettes », mais on disait qu’il serait préférable de tarifer le carbone et de réduire l’impôt sur le revenu. La question de politique était abordée sous un autre angle.

Voici ma dernière citation : « Une taxe sur le carbone ne fera que faire dévier les investissements et les émissions ailleurs dans le monde. Le Canada perd des avantages économiques et le niveau des émissions ne change pas dans le monde. »

Cela serait certainement le cas si la taxe sur le carbone s’appliquait partout de la même façon, sans tenir compte des industries à fortes émissions et tributaires du commerce, mais ce n’est pas le cas dans le projet de loi fédéral. Il utilise un système de tarification fondé sur le rendement tout comme celui de l’Alberta pour réduire le fardeau financier des industries qui font face à une concurrence mondiale, mais tout en maintenant un prix pour les encourager à réduire leurs émissions.

Il y a des gens dans différentes régions du pays qui pensent que le projet de loi ne va pas assez loin. On s’inquiète beaucoup des industries tributaires du commerce et on se demande si on remédiera à toutes leurs inquiétudes. Je soupçonne que c’est exactement ce que vos collèges de la Chambre et vous êtes censés faire au sujet de ce projet de loi, soit savoir s’il remédie de façon efficace à ces inquiétudes. Il est à espérer que nous pourrons avoir plus de gouvernements provinciaux autour de la table pour avoir cette discussion.

La présidente : Merci beaucoup de votre déclaration.

Le sénateur Wetston : Merci d’être avec nous aujourd’hui. J’ai fait un peu de recherches au sujet de la Canada West Foundation. Je vous félicite du travail que vous faites, et en particulier de le faire tout en demeurant non partisan. Cela ne doit pas toujours être facile.

Vous avez des antécédents en droit et en politique, et je dois dire que je m’inquiète beaucoup de notre capacité en tant que pays à faire avancer les choses au sein d’une fédération où des obstacles se dressent souvent entre le gouvernement fédéral et les provinces. Je ne veux pas entrer dans le débat sur le transfert de responsabilités aux provinces ou le fédéralisme coopératif, mais je pense que vous voyez où je veux en venir. La Canada West Foundation a parlé des réseaux électriques, de l’idée d’un réseau est-ouest et des avantages que cela présenterait pour nous aider à réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Le développement du réseau électrique se fait nord-sud depuis de nombreuses années, plutôt qu’est-ouest, ce qui pourrait être une solution à certains problèmes entourant les gaz à effet de serre. Avez-vous des idées sur cette question? Comment en sommes-nous arrivés là?

Mme Hall Findlay : Lorsque vous n’étiez pas certain si j’avais des idées sur la question, quelques personnes autour de la table ont dit : « Elle en a probablement ». C’est notre travail à la Canada West Foundation d’effectuer des recherches sur des questions de ce genre, de les examiner et de les analyser.

En fait, nous sommes en train actuellement de préparer un rapport global sur ce qu’il faudrait faire au sujet du réseau et de la capacité de transmission, en particulier dans l’Ouest. Une grande partie au centre du pays n’a pas vraiment besoin d’un réseau est-ouest, mais les quatre provinces de l’Ouest parlent d’en créer un dans l’Ouest depuis des décennies, car il n’y en a pas actuellement. Même dans les provinces de l’Ouest, comme dans tout le pays, nos produits vont plus souvent au sud qu’ailleurs.

Petite anecdote intéressante en passant : quand on parle des conflits et de la construction d’une infrastructure énergétique, cela ne concerne pas uniquement les pipelines. Le Manitoba peine à construire des lignes de transmission, même celles qui vont vers les États-Unis. Nous pensons que le temps est venu de s’attaquer à ce dossier, car les efforts en ce sens ont malheureusement été étouffés par les pressions politiques par le passé. Nous avons vu trop souvent des provinces dire qu’elles ne voulaient pas vraiment de l’électricité venant de tel endroit, car elles avaient des centrales au charbon et que cela allait supprimer des emplois. Il y a de nombreuses années, l’Alberta s’exprimait souvent ainsi. Historiquement, nous avons eu des problèmes politiques qui ont empêché la mise en place d’un réseau électrique vraiment efficace dans l’Ouest.

Le moment est opportun à l’heure actuelle, car tout le monde prend des engagements pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. L’Alberta a une taxe sur le carbone depuis longtemps, mais elle s’engage à en faire davantage. La Saskatchewan prend aussi ses propres engagements. La Colombie-Britannique et le Manitoba ont beaucoup de capacité hydroélectrique, une énergie propre, bien sûr, du point de vue des GES, mais ce n’est pas le cas de l’Alberta et de la Saskatchewan. L’Alberta s’est engagée à fermer toutes ses centrales à charbon, et il faut donc que cette source soit remplacée. Nous espérons que l’Alberta et la Saskatchewan ayant maintenant besoin d’une source d’énergie plus propre, cela ouvre la porte — croisons-nous les doigts — à une plus grande collaboration.

En terminant, j’aimerais ajouter que nous sommes de fervents partisans des énergies renouvelables. Nous utilisons l’énergie solaire depuis près de 20 ans. Si on pouvait n’utiliser que des sources d’énergie propre renouvelables demain, ce serait merveilleux. Nous n’appuyons pas l’industrie pétrolière pour le simple plaisir de le faire. Nous l’appuyons parce que le monde aura besoin de pétrole encore pendant un certain temps, et nous devrions pouvoir le vendre aux autres pays. Pourtant, même si demain nous étions en mesure de satisfaire tous nos besoins en énergie à partir des sources renouvelables, nous ne pouvons pas la transporter de son lieu de production à son lieu d’utilisation, alors la question du transport demeure un enjeu important, peu importe nos idées sur les sources d’énergie.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être avec nous aujourd’hui. J’ai entendu vos commentaires, et tout le monde s’entend pour dire qu’il faut protéger, d’une façon ou d’une autre, nos entreprises à fortes émissions qui sont tributaires du commerce, pour leur permettre de concurrencer à armes égales. C’est la partie facile. Le ministre a été très clair sur ce point.

Mais nous avons maintenant les propositions, et vous l’avez mentionné, qui disent voilà comment nous allons procéder. Des pays ont utilisé différentes approches. Notre façon de procéder consiste à mettre toute l’industrie lourde, tous les grands émetteurs dans le même panier. Puis on se dit qu’ils sont probablement tributaires du commerce, en raison de leur taille, et que nous allons leur accorder 70 p. 100 de crédits gratuits à ce stade-ci — c’est ouvert à la discussion — et que le reste sera tarifé.

Est-ce la bonne approche? Les fonctionnaires nous ont dit avoir fait un tableau pour faire une comparaison avec l’Alberta, et cela s’applique à l’ensemble, comme on le ferait en les protégeant avec une forme d’incitatif.

Est-ce le bon modèle à adopter, selon vous, quand on regarde ce que font d’autres pays ou même l’Alberta? Est-ce que cela fonctionne? Est-ce la bonne approche? C’est un peu arbitraire, mais est-ce la bonne façon de faire?

Mme Hall Findlay : C’est un peu arbitraire. Le problème vient du fait qu’on a discuté de cette approche dans les limites du projet de loi, par exemple, alors qu’à notre point de vue, l’enjeu porte sur la compétitivité globale du pays ou des régions du pays. Quand on parle des industries tributaires du commerce, ce qui inquiète alors, c’est de savoir si cela rendra mon entreprise ou ma région moins compétitive, tant pour ce qui est de vendre mes produits, que d’attirer des investissements.

À la Canada West Foundation, nous sommes d’avis qu’il faut regarder l’ensemble, soit ce qui aide, de façon générale, notre compétitivité et ce qui lui nuit.

Je ne veux pas ici diminuer l’importance d’examiner les problèmes particuliers que peut entraîner la tarification du carbone pour certaines industries et de tenter d’y remédier. C’est ce que j’ai dit plus tôt. Honnêtement, il faut que les gouvernements provinciaux discutent davantage avec le gouvernement fédéral pour déterminer précisément ce qu’il en est.

Le sénateur Massicotte : Si ce n’est pas le bon, avez-vous une idée de ce que pourrait être un meilleur modèle?

Mme Hall Findlay : Selon moi, on ne peut pas regarder un seul élément de notre compétitivité. Honnêtement, la réduction de l’impôt sur les sociétés aux États-Unis est un aspect majeur de la compétitivité, un élément dont nous ne parlons pas. On peut se perdre dans les détails quand on cherche à déterminer si une industrie est plus tributaire du commerce qu’une autre et ce qui va arriver, mais il est important d’avoir ces discussions. Donc, oui, je peux dire que c’est une bonne approche, mais je crains qu’on perde de vue l’ensemble des éléments. Si on s’inquiète vraiment de la compétitivité, il faudrait penser que le climat d’investissements au Canada est très mauvais à l’heure actuelle, car on ne peut rien bâtir. Comme je l’ai mentionné, je ne parle pas uniquement des pipelines, je parle aussi du transport et des parcs éoliens. C’est très difficile.

On peut se perdre autant qu’on veut dans les détails quand il est question de chiffres précis, mais quelqu’un doit faire l’analyse. Je m’inquiète toutefois du fait que, ce faisant, on perde de vue des problèmes beaucoup plus importants liés à notre compétitivité.

Le sénateur Massicotte : Puis-je répondre à cela? Beaucoup de gens disent…

La présidente : Je suis désolée, mais nous avons trois groupes de témoins. Je vais ajouter votre nom pour la deuxième série de questions.

Le sénateur Neufeld : Merci d’être avec nous. Je viens de la province qui a été la première à tarifer le carbone — une taxe sur le carbone, si on veut — et qui l’a fait de façon neutre sur le plan des recettes. Ce n’est plus le cas, et c’est ce qui se passe. Le gouvernement à l’époque a dit que la taxe serait neutre et qu’on réduirait l’impôt des entreprises et des particuliers. Nous l’avons fait quand nous étions en poste. Le gouvernement a changé, et peu de temps après, on a commencé à utiliser l’argent pour autre chose. On voit maintenant très bien ce qui se passe. Le NPD s’empare du butin et le dépensera comme bon lui semble.

J’y vois un grave problème quand on discute de l’actuelle taxe sur le carbone; elle ne servira pas du tout à réduire le carbone.

Quant au transfert des émissions de carbone — et vous savez très bien de quoi je parle ici —, les industries nous ont dit en Alberta qu’elles allaient déménager au sud de la frontière.

Qu’en pensez-vous? Nous vivons tous sur la même planète. Aux États-Unis, même si certains États examinent sérieusement la question, d’autres ne le font pas. Selon la Canada West Foundation, combien d’entreprises allons-nous perdre? Je pense que l’Ouest canadien a perdu 80 milliards de dollars au cours des dernières années — des investissements évalués à 80 milliards de dollars.

Mme Hall Findlay : Dans le secteur de l’énergie à lui seul, pour ce qui est des investissements qui ont quitté le pays et du peu d’attrait que représente le fait d’investir au Canada, il y a des entreprises canadiennes — on voit les gros titres au sujet des grandes entreprises et de ce qu’il leur arrive, mais il y a aussi des entreprises de taille moyenne, des entreprises canadiennes avec des actifs canadiens dans le secteur de l’énergie. Elles les conservent, mais elles n’hésitent pas à dire que tous leurs nouveaux investissements seront faits au Mexique ou ailleurs.

Je ne peux qu’insister encore sur mon commentaire en réponse à la question du sénateur Massicotte : la grande question est la compétitivité dans son ensemble. Nous perdons des investissements et nous n’en attirons pas de nouveau.

Si je peux me permettre, dans le peu de temps que j’ai, je vais en profiter pour parler des compétences.

Cela ne vise pas précisément le projet de loi. Nous sommes en faveur du projet de loi. Nous appuyons les efforts que fait le gouvernement fédéral pour tarifer le carbone. Les défis importants, selon nous, se trouvent du côté des compétences, et des décisions qui n’en sont pas. Il ne s’agit pas d’une question partisane ou d’un commentaire partisan, car, malheureusement, nous voyons de plus en plus de gouvernements d’allégeances différentes agir de la même façon. Un gouvernement prend une décision et quand un autre entre en poste, il prend une autre direction. On ne peut pas diriger une entreprise dans un climat d’incertitude.

On peut être critique, et nous le sommes, de ce qui se passe en Colombie-Britannique au sujet de l’engagement pris par le gouvernement de la province — très clairement pris à des conditions auxquelles nous nous opposions, dans une certaine mesure, au début. Toutefois, un engagement avait été pris au nom du gouvernement de la Colombie-Britannique. Le gouvernement a été remplacé, et le nouveau fait un virage à 180 degrés.

C’est inacceptable, honnêtement, mais — et voici une mise en garde aux politiciens dans diverses régions du pays qui disent, d’une part, qu’il n’est pas approprié pour le gouvernement de la Colombie-Britannique de changer d’idée; qu’il n’est pas approprié, même du point de vue des compétences constitutionnelles, d’empêcher ce qui est clairement un projet fédéral, mais qui disent aussi, d’autre part, oh, soit dit en passant, quand nous serons au pouvoir, nous allons dire au gouvernement fédéral qu’il n’a pas le droit de se mêler de la tarification du carbone, et si nous prenons le pouvoir, nous allons renverser la décision à ce sujet.

Quel que soit votre parti politique, quelle que soit votre allégeance, il est crucial au pays, car nous changeons d’idée et faisons volte-face, que vous soyez d’accord avec une chose ou non, de savoir — et les pertes d’investissements et l’absence de nouveaux investissements en témoignent tous les jours —, que les gens dans le monde et les gens au Canada se disent : « Si nous ne savons pas ce qui va arriver d’un jour à l’autre, il vaut mieux aller ailleurs. »

Merci de m’avoir donné l’occasion d’exprimer cela.

Le sénateur Neufeld : Une autre petite question. Le gouvernement nous a remis un tableau des émissions par secteur économique. Il y a le pétrole et le gaz; les industries à fortes émissions et tributaires du commerce; l’électricité; le transport; les bâtiments; l’agriculture. Et on entend des gens dire qu’il faut simplement se débarrasser de l’industrie pétrolière et gazière. D’accord, mais toutes les autres industries ou divisions ou sections — sauf pour ce qui est de l’électricité, car elle est propre à 85 p. 100 — dépendent des produits dérivés du pétrole et du gaz pour être dans les affaires.

J’ai parcouru le pays et j’ai visité quatre grandes universités. Aucune université ne se penche sur ce que nous utiliserons pour substituer le pétrole et le gaz. Il est bon de dire qu’il faut s’en débarrasser. Dans ce cas, par quoi remplacerez-vous ces produits? Ce n’est pas seulement par l’électricité. C’est de la folie, des illusions. L’électricité jouera un rôle, mais ne fera pas tout. Je ne sais pas pour quoi vous changerez les plastiques ou l’asphalte. Des choses simples me viennent à l’esprit, comme le chauffage des maisons. Quelque 50 p. 100 des foyers canadiens sont chauffés au gaz naturel.

Comment composez-vous avec cette situation? Comment convaincre l’industrie ou les universités de commencer à y réfléchir?

Mme Hall Findlay : Un des problèmes que nous constatons actuellement dans cette discussion est que l’enjeu comporte deux volets, mais que nous les regroupons constamment. Les Canadiens consomment de l’énergie, mais nous nous soucions beaucoup d’en utiliser de moins en moins — nous voulons en effet consommer moins d’énergie, sur le plan de la conservation, mais nous sommes également préoccupés par notre propre empreinte carbone et nos propres émissions de gaz à effet de serre, ou GES.

Nous réalisons de grandes choses et accomplissons de grands progrès en ayant de plus en plus de sources d’énergie renouvelable pour notre consommation au pays. C’est fantastique. Nous avons beaucoup d’occasions à ce chapitre. Nous sommes en mesure de le faire étant donné que nous sommes une société prospère. Cependant, nous avons aussi une industrie qui vend au reste du monde, ce qui continuera longtemps.

Quand une si grande partie du monde vit dans une pauvreté énergétique extrême, nous pouvons difficilement dire : « Eh bien, nous allons couper l’approvisionnement en pétrole parce que le reste de la planète ne devrait pas en utiliser. » Le reste du monde continuera longtemps à utiliser des combustibles fossiles. Cela ne nous plaît peut-être pas, et nous préférerions peut-être qu’il y ait une solution de rechange, mais, sur les plans du coût et de la disponibilité, l’enjeu ici est la demande et la consommation — en fin de compte, tout dépend de la demande.

Le Canada et les Canadiens peuvent faire beaucoup pour réduire leur propre empreinte. Grâce à des innovations considérables, même les émissions de GES attribuables à la production dans les sables bitumineux sont maintenant inférieures — sur les plans de l’intensité et du baril de pétrole — à celles de certains concurrents : deux des Vénézuéliens, et même la California heavy.

Lorsque les gens disent que le pétrole canadien est pire que tout autre, ce n’est plus vraiment le cas. Si le monde a encore besoin de pétrole et de gaz, que le Canada en possède, et que nous pouvons le produire au moins aussi proprement que certaines des autres options, pourquoi ne le ferions-nous pas? Pourquoi devrions-nous mettre l’accent sur le fait que cette production est néfaste? Étant donné que le transport représente 25 p. 100 des émissions de GES du Canada, pourquoi ne pas s’élever contre General Motors et Ford? Nous ne le faisons pas parce que cela n’aurait aucun sens.

Le sénateur Neufeld : Cela aurait une incidence sur l’Ontario.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre exposé. Je viens du Nunavut. Le transport aérien est vraiment important puisque 20 p. 100 du Canada n’a pas de réseau routier, mais c’est important aussi pour les Canadiens.

Vous avez dit que cette mesure législative réduisait le fardeau financier des industries à forte intensité d’émissions et tributaires du commerce. Je veux vous interroger au sujet du transport aérien.

L’autre jour, nous avons entendu le témoignage des représentants du Conseil national des lignes aériennes du Canada. Le milieu est hautement efficace sur le plan technologique. Les transporteurs obtiennent en moyenne des réductions de 1,8 p. 100. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour réduire leurs émissions. En 2016, ils se sont réunis à l’échelle internationale pour former le Régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale, ou CORSIA.

En passant, nous sommes en concurrence avec les États-Unis. C’est ainsi. Les gens se précipitent pour traverser la frontière et profiter des lignes aériennes américaines moins chères. Les Américains ont signé le CORSIA. Le Conseil national des lignes aériennes nous a dit l’autre jour que nous méritions des éloges pour notre participation au CORSIA, et que nous devrions être considérés comme une industrie à forte intensité d’émissions et tributaire du commerce. Nous devrions donc avoir un système fondé sur les extrants pour déterminer et calculer nos émissions, ce que fait essentiellement le CORSIA.

Mais il y a plutôt un prix du carbone fixe dans le projet de loi. Aucun système fondé sur les extrants n’est prévu pour l’industrie aéronautique canadienne. Le CORSIA n’est ni reconnu ni félicité par cette législation. Voilà qui fera flamber à un rythme exponentiel le coût des déplacements dans l’Arctique et au Canada, et qui minera notre compétitivité.

Pourquoi diriez-vous que cette loi protège efficacement les industries à forte intensité d’émissions et tributaires du commerce? L’industrie du transport aérien n’est pas de cet avis.

Mme Hall Findlay : Soyons clairs. Le projet de loi tente de le faire, mais ce n’est vraiment pas parfait. C’est pour cette raison qu’un projet de loi est déposé, puis fait l’objet de discussions au sein d’un comité.

Le sénateur Patterson : D’accord. Permettez-moi de vous poser une autre question rapide. Vous êtes une législatrice. Vous en étiez une. On nous dit — il y a des centaines de pages — que cette disposition législative sur les émissions de gaz à effet de serre, que vous appuyez, permet en fait d’adopter une tonne de règlements pour opérationnaliser la loi.

En tant que législateurs, que pouvons-nous faire pour savoir si quelque chose a été fait pour corriger l’exposition de l’industrie du transport aérien? Nous ne le saurons pas tant que nous n’aurons pas vu les règlements et les particularités du système fondé sur les extrants. Que faisons-nous en tant que législateurs? Adoptons-nous la loi habilitante en ayant confiance que le gouvernement fera les choses correctement, comme la politique sur l’industrie du transport aérien qui, selon moi, n’est pas sans importance aux yeux des Canadiens? Que devons-nous faire lorsque les modalités se trouvent dans les règlements? Que faire, en tant que législateurs?

Mme Hall Findlay : À titre de législatrice, j’aurais d’abord été préoccupée que ce projet de loi fort important soit inclus dans un projet de loi d’exécution du budget beaucoup plus vaste. Bien franchement, je pense que les législateurs pourraient...

Le sénateur Patterson : Ce n’était pas ma question.

Mme Hall Findlay : Je sais, mais je vais le dire quand même.

Le sénateur Patterson : On nous avait promis qu’il n’y aurait pas de projet de loi omnibus.

Mme Hall Findlay : Encore une fois, ce n’est pas une remarque partisane. Je pense qu’un enjeu aussi important que celui-ci — pour répondre à votre question, qui est aussi détaillé, et dont les conséquences peuvent être aussi poussées — doit faire l’objet d’un examen minutieux et obtenir l’engagement total des personnes touchées, sans compter toutes les autres choses que le projet de loi essaie d’accomplir. C’est un volet important.

Cependant, le problème ne se limite pas à cette industrie. Il y en a beaucoup d’autres qui ont l’impression de s’être fait imposer des dispositions sans beaucoup de… Je parle notamment des secteurs minier et agricole. Il y a toutes sortes d’industries qui, à l’instar de l’industrie aérienne, essaient de comprendre comment les dispositions vont les toucher. Bien sûr, ces industries essaient aussi de comprendre quelle sera l’incidence de l’ALENA sur leurs activités.

C’est ce que je disais plus tôt en parlant de la nécessité d’examiner la question dans un contexte plus large. Il se passe beaucoup de choses qui auront une incidence sur de nombreuses industries.

Il faut plus de travail; cela ne fait aucun doute. C’est pourquoi votre groupe vénérable accomplit ce travail. Il va être difficile d’obtenir tous ces points de vue. Je suis entièrement d’accord pour dire que c’est un défi de taille pour les législateurs.

Le sénateur Patterson : L’examen de la réglementation : c’est ce dont nous avons besoin.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup d’être venue. Le sénateur Neufeld a parlé de ce que j’allais aborder. Nous portons tous du pétrole en ce moment. Nous conduisons des voitures; nous prenons l’avion. Quinze milliards de dollars arrivent au port de Saint John en provenance du Venezuela et de l’Arabie saoudite, mais nous n’arrivons même pas à construire un pipeline. Nous disons tous que ce sera génial quand nous aurons la nouvelle technologie, mais nous ne l’avons pas encore. Pour moi, c’est le véritable problème. Nous abordons la question comme si ce sera facile à réaliser.

Le Nouveau-Brunswick est un exemple éloquent de ce qui se produit lorsqu’une industrie s’épuise, qu’un pipeline n’est pas construit, puis que les usines et le reste ferment leurs portes. Si vous voulez que le Canada connaisse le même sort, continuez à vous opposer au pétrole, au gaz et à tout, et c’est bien ce que vous obtiendrez. C’est exactement ce qui se passe à Miramichi, où le taux de chômage avoisine les 40 p. 100.

Les personnes que j’ai écoutées, qui sont venues nous parler avec les meilleures intentions du monde, ne sont vraiment pas entrées dans le cœur du sujet — non seulement dans l’Est du Canada, mais aussi dans toutes les régions du pays.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, madame Hall Findlay. Vous avez parlé de tenir compte de la question de l’analyse de la compétitivité dans une perspective beaucoup plus large que celle qui est envisagée par cette loi. Est-ce que votre fondation a examiné la question du point de vue des citoyens qui financent les subventions aux entreprises, que ce soient celles des sociétés productrices de pétrole ou autres?

Par rapport à l’obligation fiduciaire de l’État canadien vis-à-vis des peuples autochtones, on a créé des droits constitutionnels et on les a reconnus de façon particulière. Votre fondation s’est-elle intéressée aux coûts par rapport aux opérations qui se font? L’État dit aux industries qu’elles concluront des ententes dites de « bénéfices économiques » pour chacun des projets que les entreprises veulent mettre en œuvre. Donc, on semble sous-traiter en pensant qu’on règle la question de l’obligation fiduciaire. Les tribunaux ont affirmé que l’État avait une obligation fiduciaire de consulter les Autochtones, d’obtenir leur accord jusqu’à un certain point et, dans certains cas, les peuples autochtones ont un droit de veto. Cela représente des coûts qui doivent être inscrits quelque part dans le système. On a l’impression que l’État, à l’heure actuelle, l’a complètement sous-traité aux industries. Toutefois, on s’aperçoit que lorsque vient le temps de réaliser les projets, cela ne règle pas la question. Votre organisation s’est-elle penchée sur la question des coûts que cela représente pour l’industrie?

Mme Hall Findlay : Oui, mais je crois qu’il est important de comprendre que c’est un peu tôt pour l’instant. Je sais qu’il est difficile de l’entendre, mais le gouvernement fédéral, indépendamment de tout aspect partisan, n’a pas fait grand-chose pendant des décennies. C’est l’industrie qui était chargée des consultations et des discussions, et de déterminer si un projet allait, entre autres, aider une communauté.

Pendant les discussions et l’analyse concernant Northern Gateway, l’Office national de l’énergie (ONE) — il s’agissait d’une commission d’examen conjointe — était le seul lieu où les environnementalistes et les Autochtones pouvaient se réunir pour parler de leurs droits et de leurs possibilités. Ce n’était pas l’ONE qui devait jouer ce rôle. Il y a eu beaucoup de problèmes. Beaucoup trop de gens voulaient parler, mais ce n’était pas possible. Maintenant que le gouvernement fédéral a établi, ou du moins annoncé, le plan cadre pour les relations avec les Autochtones, on espère qu’on aura la chance de régler des problèmes qui, jusqu’à maintenant, relevaient, par défaut, de la responsabilité des entreprises. C’était une situation difficile et il n’y avait vraiment pas de forum à ce chapitre.

C’est pour cette raison que je dis qu’il est encore un peu tôt. On a mal géré cela. Peut-être que, à présent, le gouvernement, les entreprises et les communautés autochtones pourront se rencontrer dans un environnement beaucoup plus respectueux et propice à la recherche de solutions satisfaisantes pour tous.

La présidente : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : C’est un plaisir de vous voir. Je ne suis pas convaincu que nous n’avons pas eu le temps de réfléchir à une telle politique. Nous avons une taxe sur le carbone depuis 10 ans en Alberta. Quelque 80 p. 100 de la population est désormais assujettie à une tarification rigoureuse et importante du carbone. Nous parlons de taxes sur le carbone et de lutte contre les changements climatiques depuis les années 1990, au moins, et probablement même les années 1980.

Dans ce genre de discussion, on parle de tous les coûts, problèmes et obstacles, des éléments qui sont importants. Nous devons en discuter. Mais il y a deux messages d’urgence très puissants. D’une part, les changements climatiques constituent un risque incalculable. Si nous voulons nuire à l’économie, nous devrions continuer à faire ce que nous faisions avant de sérieusement vouloir agir sur ce dossier.

D’autre part, les forces du marché évoluent. En septembre dernier, j’ai été étonné lorsque GM a annoncé qu’elle allait fabriquer des voitures entièrement électriques. Volvo a aussi des voitures totalement électriques. Chez Volkswagen, 52 milliards de dollars sont investis pour le passage aux voitures électriques. Le fonds souverain de la Norvège a atteint 1 billion de dollars et 700 milliards de dollars d’actions, dont aucune n’est pétrolière et gazière. Quelle est l’incidence du risque que le marché change de plus en plus soudainement? Nous nous retrouvons alors avec des produits que nous ne pouvons pas vendre, mais nous n’avons pas fait la transition vers une économie différente.

Mme Hall Findlay : Comme je l’ai dit plus tôt, si le pays et la planète pouvaient se convertir entièrement demain matin à des sources d’énergie renouvelable, ce serait fantastique. Je ne dis absolument pas qu’il faut soutenir l’industrie pétrolière pour le plaisir. Or, nous avons la preuve que la demande de pétrole et de gaz demeurera considérable pour les prochaines décennies. Que cela nous plaise ou non, c’est ce qui va arriver.

En tant que Canadienne, je trouve donc vraiment important de ne pas rater la chance de fournir encore ce dont le monde a besoin. Je pense que cela doit être une grande partie du message. Ce n’est contre ni l’environnement ni les énergies renouvelables. Bien au contraire. Comment pouvons-nous tirer le maximum de ce qui, d’après les preuves, sera la demande et la consommation mondiale de différents types d’énergie? Je ne conduis pas de voiture électrique en Alberta étant donné que notre source d’électricité crée des émissions plutôt nocives, de sorte que ce serait un choix moins écologique que ma voiture hybride.

Le sénateur Mitchell : Pas si vous rechargez la voiture pendant la nuit, lorsque l’énergie est gaspillée.

Mme Hall Findlay : Personne n’est en désaccord avec cela, sénateur. Le problème, c’est que la conversation se limite à une dichotomie, alors que ce n’en est pas une.

Le sénateur Mitchell : Exactement.

Mme Hall Findlay : Je suis tout à fait ravie qu’on puisse dire que l’Alberta le fait déjà, tout comme la Colombie-Britannique. Nous avons trouvé de nombreuses façons de relever différents défis industriels. Mais quoi que nous fassions en tant que pays et gouvernement — encore une fois, cela n’a rien de partisan —, nous sommes maintenant confrontés au fait que trois provinces pourraient vraiment opérer un virage à 180 degrés, y compris l’Alberta. Cela m’inquiète, parce que si nous n’avons pas suffisamment parlé des détails concernant l’industrie aérienne, et si nous n’avons pas suffisamment répondu à certaines préoccupations du milieu agricole… Écoutez, vous vous souvenez du Tournant vert il y a 10 ans, qui a laissé plusieurs cicatrices pour exactement les mêmes raisons. Nous l’avons regardé s’écrouler au détriment de tant de choses, pas seulement du climat, mais aussi de la réputation du Canada, et de notre capacité à faire avancer les choses au pays.

Je suis donc d’accord, mais nous devons mieux trouver comment réunir tous les intervenants à la table. Si je peux revenir en arrière, c’est pour cette raison que je félicite le Manitoba d’avoir dit : « Nous ne sommes pas d’accord, mais voyons comment nous pourrions nous y prendre. » J’espère vraiment que le gouvernement fédéral répondra la même chose. Bien franchement, nous ne voyons pas assez de situations semblables. C’est comme si cela avait été prévu. « Nous devons imposer une tarification du carbone. Faisons-le rapidement. Plaçons la mesure dans un projet de loi omnibus, de sorte que les législateurs ne pourront pas en discuter suffisamment. »

Mon inquiétude est que nous finissions par perdre la bataille. C’est du déjà vu. Et cela ne présage rien de bon pour le pays dans son ensemble.

La présidente : Merci beaucoup. Je permets une dernière question étant donné que le temps est déjà écoulé.

La sénatrice Seidman : Bon retour, et merci infiniment de votre point de vue.

Je vais m’en tenir à l’essentiel puisque je n’ai pas beaucoup de temps. Vous avez souligné et fait valoir que nous sommes aux prises avec un texte législatif très important au sein d’un projet de loi omnibus. Je vais vous poser une question : si vous étiez à notre place au sein d’un comité chargé de surveiller ce dossier, et que vous pouviez nous formuler deux recommandations de changements que nous pourrions apporter à ces dispositions législatives, quelles seraient-elles? Je sais que je vous mets sur la sellette, mais je veux essayer.

Mme Hall Findlay : Vous me placez effectivement sur la sellette, mais je pense que c’est votre travail. Quelqu’un pourrait décortiquer ce qui doit être changé dans la loi. En toute honnêteté, je ne suis pas suffisamment préparée pour le faire. Vous êtes ceux qui entendent tous les témoins. Le comité de la Chambre en écoute évidemment beaucoup.

J’appuie l’idée. Pour ce qui est de la façon de gérer les détails, je ne pense pas pouvoir vous apporter grand-chose. Ce que je peux faire, c’est souligner ce que je viens de dire dans ma réponse au sénateur Mitchell. Nous devons nous occuper de ce projet de loi, et de ce que cela signifie sur le plan du travail avec les différentes provinces et industries, étant donné que les gouvernements et les politiciens provinciaux rendent des comptes aux industries. Par conséquent, tout le monde doit y participer. Mais si nous ne faisons pas les choses correctement et que nous précipitons son adoption, nous pourrions tout perdre.

C’est ce qui est arrivé il y a 10 ans. Nous avons perdu une brave tentative d’imposer un prix sur le carbone, ce qui nous a fait reculer davantage. Ce qui m’inquiète, c’est que nous sommes sur le point de faire la même chose.

J’aurais aimé avoir la réponse, mais je crois qu’il est vraiment important de souligner que si nous nous permettons d’entrer dans les détails, puis que nous demandons à tout le monde de se prononcer par oui ou non, nous perdrons à nouveau cette occasion.

La présidente : Merci beaucoup. Je vais utiliser ma prérogative pour poser une toute petite question. Il y a 80 p. 100 de la population du Canada qui est déjà assujettie à un certain régime de tarification du carbone. Vous dites que nous avons perdu du temps, mais, étant donné que 80 p. 100 des Canadiens y sont déjà assujettis d’une manière ou d’une autre, serons-nous vraiment plus touchés? Quelle sera la différence entre ce que nous faisions et la nouvelle loi?

Mme Hall Findlay : Ce que je veux dire, c’est qu’une grande partie de ces 80 p. 100 ne se trouvent peut-être pas dans un régime de tarification du carbone en raison de l’inquiétude suscitée par le revirement politique. C’est ma préoccupation. Je pense que le fait qu’il y ait autant de personnes qui vivent dans un régime de tarification du carbone démontre que c’est possible — et les dollars par tonne de ces régimes ne sont pas énormes, à ce stade-ci. J’insiste encore sur le fait que nous appuyons le concept de tarification du carbone parce que c’est beaucoup plus rentable que la réglementation.

Pour ce qui est des questions partisanes, prôner l’adoption d’une réglementation sous prétexte que vous voulez éviter des coûts aux gens est ridicule, car en fin de compte, vous imposerez à tous les contribuables des coûts plus élevés qu’avec la tarification du carbone. Il est trompeur de dire que les gens auront des coûts supplémentaires en raison de la tarification du carbone. Il ne fait aucun doute que la réglementation sera plus coûteuse que le simple cours du marché.

Ces administrations nous ont renseignées sur la bonne marche à suivre. C’est formidable; tirons-en parti. Ce qui me préoccupe, c’est qu’un fort pourcentage de gens se retrouvera dans des endroits où l’on n’aura plus cette possibilité.

La présidente : Merci beaucoup, madame Hall Findlay.

Nous accueillons maintenant le directeur général de la Commission de l’écofiscalité du Canada, M. Dale Beugin.

Merci beaucoup de vous joindre à nous. Je vous invite à présenter votre exposé. Nous aurons ensuite une ou deux séries de questions.

Dale Beugin, directeur général, Commission de l’écofiscalité du Canada : Merci beaucoup de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui. Je représente la Commission de l’écofiscalité du Canada, un groupe d’économistes d’expérience de partout au pays, appuyé par un conseil consultatif multipartite composé de représentants de l’industrie, de la société civile et de tous les horizons politiques. Le mandat de la commission est de définir et de soutenir des politiques qui sont rationnelles tant pour l’environnement que pour l’économie. Autrement dit, il s’agit de déterminer les politiques qui permettent d’atteindre les objectifs environnementaux à moindre coût économique. Les recherches et les analyses que nous avons menées ces trois ou quatre dernières années indiquent clairement que la tarification du carbone est une politique de cette nature.

Durant mon exposé, j’examinerai trois aspects liés au rendement de la tarification du carbone, selon nos analyses et les données économiques disponibles.

Premièrement, la tarification du carbone est un moyen efficace pour réduire les émissions de GES. Elle incite les entreprises et les ménages à opter pour des activités et des technologies à faible émission de carbone, crée une demande pour les technologies à faible émission de carbone et favorise l’innovation à faible émission de carbone.

Nous savons que les prix ont une incidence sur les choix dans toutes les sphères d’activité économique, mais il y a aussi de nombreuses preuves que la tarification du carbone, en particulier, influence les comportements.

En Colombie-Britannique, selon les meilleures recherches universitaires disponibles, les émissions de GES seraient de 5 à 15 p. 100 plus élevées si la Colombie-Britannique n’avait pas mis en œuvre sa taxe sur le carbone en 2008. Cela signifie que les véhicules seraient 4 p. 100 moins efficaces et que la demande d’essence serait de 7 à 17 p. 100 plus élevée. Ce sont les conclusions d’analyses statistiques fondées sur des données des gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada.

L’analyse de modélisation effectuée en 2016 par la Commission de l’écofiscalité a montré qu’une hausse portant le tarif sur le carbone à 50 $ la tonne en 2021 et à 100 $ la tonne en 2027 pourrait réduire les émissions d’environ 170 mégatonnes en 2030 et de 80 mégatonnes en 2022. La tarification du carbone fonctionne.

Les économistes conviennent que la tarification du carbone est l’approche la moins coûteuse pour réduire les émissions de GES.

En ce qui concerne les répercussions économiques, notre analyse de modélisation montre que le coût de la tarification du carbone, même si le tarif atteignait 100 $ la tonne d’ici 2027, n’influerait que légèrement sur la croissance économique. La façon dont les revenus sont recyclés a une incidence sur ces estimations, bien sûr, mais au pire, la tarification du carbone réduirait les taux de croissance d’environ un dixième de point de pourcentage.

Si les revenus étaient utilisés pour réduire l’impôt sur le revenu, comme les provinces ont le pouvoir discrétionnaire de le faire dans le cadre pancanadien, les répercussions sur la croissance seraient négligeables. La croissance économique demeurerait forte et positive.

Outre ces coûts minimes, il faut tenir compte des avantages. La tarification du carbone peut réduire les émissions de GES et aider le Canada à atteindre sa cible de 2030. Cela contribuera également aux efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique et évitera ses conséquences coûteuses. Ces réductions auront également des avantages sur le plan de la réduction de la pollution atmosphérique locale et, par conséquent, de l’amélioration de la qualité de l’air et de la santé à l’échelle locale.

Le Canada s’est fixé des objectifs ambitieux de réduction des émissions en 2030. L’atteinte de ces objectifs entraînera des coûts, mais la tarification du carbone peut permettre de réduire ces émissions au moindre coût possible. D’autres politiques, y compris les subventions ou les règlements normatifs, coûteront plus cher. Les règlements qui exigent des résultats ou des technologies précis dans des secteurs particuliers sont moins souples et, par conséquent, entraînent des coûts plus élevés.

La tarification du carbone ne suppose pas une idée préconçue des endroits, dans l’économie ou dans le pays, qui offrent des possibilités de réduction des émissions au moindre coût.

La souplesse de la tarification du carbone crée également de puissants incitatifs à l’innovation propre.

Les subventions aux technologies propres obligent de choisir des technologies particulières. De plus, elles sont souvent versées à des entreprises ou à des particuliers qui, de toute façon, auraient adopté la technologie propre sans recevoir de subvention ou avec une subvention moindre, ce qui en augmente le coût et réduit leur efficacité.

En dernier lieu, une tarification du carbone bien conçue peut réduire les émissions tout en protégeant la compétitivité des entreprises canadiennes, même si certains de nos partenaires commerciaux n’imposent aucune taxe sur le carbone. En particulier, notre analyse suggère que l’approche d’établissement des prix en fonction des extrants peut apporter des mesures transitoires aux industries vulnérables. Elle incite l’industrie à réduire les émissions de GES en améliorant son rendement et non en réduisant la production ou les investissements au Canada. C’est l’approche que l’Alberta a adoptée dans le cadre du règlement sur les émetteurs de gaz désignés en 2007, et qui a été améliorée par la suite dans le cadre du règlement sur les incitatifs à la compétitivité en matière de carbone en vigueur actuellement. Cette approche est aussi celle du filet de sécurité fédéral, tel que défini dans la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Les entreprises canadiennes, surtout celles des secteurs à forte intensité d’émissions et très exposés à la concurrence, ont clairement exprimé leur soutien à l’égard de l’établissement des prix en fonction de la production comme moyen d’encourager efficacement la réduction des émissions sans miner la compétitivité économique.

En conclusion, un plan climatique fondé sur la tarification du carbone est l’approche la moins coûteuse pour atteindre les cibles d’émissions de GES du Canada. Le projet de loi C-74 garantit que la tarification du carbone s’appliquera partout au Canada, répondra aux inquiétudes quant à la compétitivité, mais donnera aussi aux provinces la souplesse nécessaire pour concevoir leur propre tarification du carbone et leur apportera des revenus de recyclage, en fonction de leur situation et de leurs priorités.

Merci beaucoup. C’est avec plaisir que je répondrai aux questions.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Beugin.

Chers collègues, nous avons seulement 40 minutes par témoin, ce qui vous donne à chacun trois minutes pour vos interventions. Je vous invite donc à limiter la durée des introductions et à aller droit au but.

Le sénateur Neufeld : Nous avons entendu beaucoup de témoignages différents — pas seulement dans le cadre de cette étude, mais dans nos études antérieures — selon lesquels le prix du carbone devrait peut-être grimper jusqu’à 300 $ avant que cela ait une véritable incidence. Pensez-vous que le Canada risque de perdre des entreprises en raison des fuites de carbone? On m’a dit, en privé et en public, que des entreprises quitteront le Canada pour s’établir dans des pays qui n’ont pas de mécanismes de tarification du carbone. Doit-on s’en préoccuper, ou doit-on simplement dire que c’est le prix à payer pour faire des affaires au Canada?

M. Beugin : Je dirais que nous ne savons pas s’il est nécessaire que le prix du carbone augmente à 300 $ la tonne. Selon de bonnes analyses que j’ai consultées, un ensemble de politiques assorti d’une tarification du carbone à 130 $ la tonne pourrait être suffisant pour nous permettre d’atteindre nos objectifs de réduction des émissions.

Quant au point important que vous soulevez concernant les fuites de carbone, je pense que les préoccupations en matière de compétitivité et de transfert d’émissions de carbone sont d’une importance capitale et qu’il faut absolument en tenir compte, et c’est ce que fait cette politique, à mon avis. Recourir à un système de tarification du carbone fondé sur la production va dans le sens des recommandations de diverses études universitaires et analyses économiques selon lesquelles les allocations fondées sur la production peuvent inciter les entreprises à réduire leurs émissions en améliorant leur rendement, en réduisant les émissions par unité de production, et non en modifiant leur volume de production ou en réduisant leurs investissements au Canada. Je pense que la préoccupation est légitime, mais que la solution fait partie intégrante de cette politique.

Le sénateur Massicotte : J’ai une question à deux volets.

Vous êtes favorable à un régime de tarification fondé sur la production, qui est un élément essentiel de notre étude. C’est très important. Il s’agit de la bonne approche pour protéger les utilisateurs à forte intensité d’émissions et très exposés à la concurrence. Et qu’en est-il de la liste des exclusions? Essentiellement, le gouvernement propose d’exclure certaines entreprises, mais certaines entreprises peuvent adhérer. Cette structure vous convient-elle?

Certaines études semblent indiquer que le plan actuel du gouvernement ne nous permettra pas d’atteindre nos objectifs de lutte contre les changements climatiques. La Commission de l’écofiscalité a-t-elle fait des études sur ce sujet?

M. Beugin : La Commission de l’écofiscalité a fait une analyse exhaustive des enjeux de compétitivité, notamment pour déterminer quelles entreprises sont exposées à ces pressions concurrentielles ou non. Nos analyses sont très claires; il y a deux critères. Il faut un secteur exposé à la concurrence et à forte intensité d’émissions, donc un secteur qui produit beaucoup d’émissions par unité de production. On parle d’un secteur en concurrence sur les marchés mondiaux et qui ne peut transférer les coûts.

Selon notre analyse, seulement 5 p. 100 de l’économie canadienne, environ, satisfait réellement à ces deux critères. Cela touche donc une petite et non une grande partie de l’économie. L’enjeu est important, mais surtout pour certains secteurs précis plutôt que pour l’ensemble de l’économie.

Cela varie d’une région à l’autre du pays. En Alberta, on dirait plutôt que cela touche 18 p. 100 de l’économie en raison de l’importance du secteur pétrolier et gazier, qui satisfait manifestement à ces deux critères.

En ce qui concerne l’atteinte de notre objectif, la Commission de l’écofiscalité n’a pas encore fait d’analyse sur les politiques que le Canada doit mettre en place à cette fin. Cela figure sur notre liste de choses à faire pour les huit prochains mois. Cela dit, nous avons fait une analyse de modélisation sur une hausse portant le tarif sur le carbone à 100 $ la tonne en 2027. Les résultats de cette analyse de modélisation montraient que les émissions étaient près de la cible, sans toutefois l’atteindre.

Le sénateur Massicotte : Lorsque vous dites que le secteur doit être à la fois exposé à la concurrence et à forte intensité d’émissions, tout le monde en convient, mais le gouvernement a essentiellement adopté une approche arbitraire selon laquelle l’objectif sera atteint en ciblant les industries grâce au modèle fondé sur la production. La liste des industries qui est incluse satisfait-elle à vos deux critères, ou considérez-vous qu’on devrait modifier la liste par souci d’équité et pour que les secteurs puissent demeurer concurrentiels?

M. Beugin : Il y a un autre processus sous-jacent. Il faut d’abord déterminer les secteurs, puis déterminer l’appui plus ou moins senti qu’il faut accorder à chacun de ces secteurs. Ce processus est en cours; des consultations exhaustives ont lieu avec l’industrie. En fait, j’estime qu’on risque d’attribuer trop d’allocations gratuites. Nous pourrions nous retrouver à surcompenser le problème de la compétitivité, ce qui est, pour parler franchement, une caractéristique courante des systèmes de tarification du carbone. L’allocation fondée sur la production ressemble beaucoup aux allocations gratuites des systèmes de plafonnement et d’échange. Par le passé, lors du lancement des systèmes de plafonnement et d’échange on avait presque toujours pour habitude d’offrir plus d’allocations gratuites que nécessaire.

Le sénateur Patterson : J’ai une question complémentaire; elle porte sur l’industrie du transport aérien. Récemment, des représentants de l’industrie ont indiqué au comité que le secteur est très efficace et que ses acteurs font de leur mieux pour réduire la consommation de carburant — on parle d’une amélioration moyenne de 1,8 p. 100 ces deux ou trois dernières années —, mais qu’ils ne peuvent faire mieux sur le plan technologique. La technologie n’est pas encore au rendez-vous. L’industrie n’est pas incluse dans le système fondé sur la production. Aux termes de cette mesure législative, l’industrie se verra imposer une tarification du carbone fixe. L’accord du CORSIA, que les transporteurs aériens ont réussi à mettre en place à l’échelle internationale pour atteindre des cibles d’émissions, n’a pas été pris en compte ni crédité par le gouvernement du Canada. Quelles sont vos observations à ce sujet?

M. Beugin : J’ai quelques commentaires. Premièrement, il est très important de se rappeler que la tarification du carbone favorise l’innovation. Cela incitera l’industrie à mettre au point de nouvelles technologies.

Le sénateur Patterson : Et les transporteurs aériens?

M. Beugin : Cela pourrait être lié aux biocarburants ou aux gains d’efficience. Nous n’en savons rien, mais il n’est pas nécessaire d’avoir une idée précise de ce qui s’en vient. Il convient de laisser le marché décider de ce qui sera sensé dans ce contexte.

Deuxièmement, je dirais respectueusement que je ne suis pas tout à fait d’accord pour dire que les compagnies aériennes nationales sont exposées à la concurrence.

Le sénateur Patterson : Les Canadiens voyagent à l’étranger.

M. Beugin : Mais c’est différent. La politique ne couvre que les vols intérieurs au Canada. Cela signifie que tous les concurrents de ce marché évoluent dans les mêmes conditions et que par conséquent, ils ne sont pas exposés à la concurrence. Ce que cela signifie, c’est que les coûts seront transférés, ce qui entraînera une augmentation du prix des billets d’avion. Cela a des répercussions — importantes — pour les familles et les entreprises qui ont besoin de ces liaisons aériennes. Pour moi, la préoccupation porte sur les coûts et non sur la concurrence. Je dirais que la solution à ce problème réside davantage dans le recyclage des revenus, comme on l’applique pour s’assurer que les ménages à faible revenu ne sont pas touchés de façon disproportionnée et que la politique n’est pas injuste. Ce fait par l’intermédiaire de remboursement, sur une base trimestrielle, comme nous le faisons pour les remboursements de la TVH et de la taxe sur les biens et services. Cette approche peut garantir que les familles vulnérables ne subiront pas les effets nocifs tout en assurant le maintien des mesures incitatives de la politique de tarification du carbone. En mon sens, il s’agit d’une meilleure piste de solution à ce problème.

Le sénateur Patterson : Vous dites que le projet de loi C-74 est une bonne mesure parce qu’il assure l’uniformité de la tarification du carbone au Canada. Je viens d’une région comptant de nombreuses collectivités éloignées qui dépendent du diesel, qui ne peut être remplacé par une énergie de remplacement. Je suis désolé de le dire, mais nous n’avons pas le bassin démographique nécessaire pour soutenir ces coûts.

Que fait-on lorsque les énergies de remplacement ne sont pas facilement accessibles, si elles ne sont pas abordables pour les gens des petites collectivités isolées? Dois-je simplement dire à la population du Nunavut qu’elle doit avaler la pilule parce que nous participons à l’effort, même si tout va coûter plus cher? La vérité, c’est que cela ne permettra pas de réduire les émissions, parce que, au nord du 60e parallèle, il est impossible de se rendre au travail en vélo. Que peut-on faire pour ces collectivités? Elles sont nombreuses.

M. Beugin : C’est une préoccupation importante qui vaut pour le Nord et pour les collectivités éloignées dans diverses régions du pays. J’ai entendu les mêmes préoccupations dans les régions côtières de Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple. C’est une préoccupation importante qu’il convient de soulever.

Je n’irais pas jusqu’à dire que cela n’aura aucune incidence sur les émissions, en particulier à moyen et à long terme. La tarification du carbone ne favorise pas seulement la modification des comportements à très court terme. À moyen terme, elle favorise les investissements dans des équipements plus efficaces au fil du temps, à mesure que l’équipement doit être remplacé. C’est aussi une mesure efficace à plus long terme, en favorisant l’innovation et le développement de nouvelles technologies à faibles émissions de carbone qui permettent de réduire davantage les émissions, à coût moindre.

Cela dit, je pense que d’autres mesures pourraient être adoptées pour les importants enjeux que vous soulevez dans une perspective à court terme. Je dirais encore une fois qu’une partie de la solution réside dans l’utilisation judicieuse des recettes. Il pourrait aussi avoir des politiques complémentaires, d’autres politiques visant à offrir des mesures d’aide précises pour des problèmes précis.

La sénatrice Cordy : Plusieurs témoins ont parlé de la perte d’un avantage concurrentiel. Il y a plusieurs années, les acteurs de l’industrie du transport aérien disaient avoir perdu un avantage concurrentiel en raison du coût du carburant. Le gouvernement leur a donc permis de percevoir un supplément de carburant, qui n’a cessé d’augmenter. Lorsque le prix du carburant a baissé, le supplément de carburant exigé par les transporteurs aériens n’a pas baissé. Donc, dans certains cas, les mesures incitatives que nous avons offertes aux transporteurs aériens ou à d’autres industries n’ont pas été utiles. À mon avis, lorsqu’on parle d’avantage concurrentiel, il faut envisager des mesures incitatives qui visent à améliorer les choses.

Vous avez déclaré, durant votre exposé, que la tarification du carbone était le moyen le moins coûteux de réduire les émissions de GES. D’autres témoins nous ont dit qu’elle permet aux entreprises de choisir la solution qui leur convient le mieux, ce qui est préférable à se faire dire par le gouvernement quoi faire et comment.

Un témoin précédent nous a aussi dit — je pense que vous étiez présent — qu’au Canada, les volte-face du gouvernement pour ce qui touche les politiques liées à l’environnement nuisent davantage aux investissements des entreprises que la tarification du carbone. Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?

M. Beugin : Il s’agit là d’un point important. La définition du terme « compétitivité » varie largement d’une personne à l’autre. La compétitivité dépend de multiples facteurs, comme les taux d’imposition, la politique environnementale, la proximité des chaînes d’approvisionnement, la situation internationale et les prix des matières premières. C’est important que la tarification du carbone ne devienne pas le bouc émissaire pour tous les problèmes possibles de compétitivité. Il se passe beaucoup de choses, et les solutions stratégiques pouvant être adoptées sont nombreuses. La tarification du carbone n’est qu’un très petit morceau du casse-tête de la compétitivité.

C’est exactement pour cette raison que la Commission de l’écofiscalité soutient qu’il faut une réponse ciblée et spécifique pour régler le problème de compétitivité associé précisément à la tarification du carbone. Soutenez uniquement les secteurs les plus touchés, les 5 p. 100 de l’économie. Ne le faites que temporairement : fournissez du soutien seulement en attendant que nos partenaires commerciaux adoptent eux aussi une politique de tarification du carbone, puis, à mesure que le reste de la planète commence à agir dans le même sens, retirez progressivement votre soutien. Aussi, soyez transparents : montrez clairement pourquoi vous soutenez des secteurs donnés et d’autres non.

Le sénateur Wetston : J’ai une question précise concernant le lien entre la tarification du carbone et la croissance du PIB. J’ai l’impression qu’il doit y avoir un lien direct quelconque. Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?

M. Beugin : Il y a beaucoup d’études économiques intéressantes à ce sujet. Je ne vais pas vous ennuyer avec tous les détails, mais quelques points méritent d’être soulignés.

D’abord, tout dépend de l’usage qui est fait des recettes. Si vous ne faites que verser des paiements forfaitaires ou remettre des chèques aux ménages, c’est peut-être une bonne chose sur le plan de l’équité, mais c’est probablement ce qui a la plus grande incidence négative sur le PIB. Comme je l’ai dit durant mon exposé, même dans le pire des cas, c’est-à-dire en faisant le pire usage des recettes, l’incidence demeure faible : les taux de croissance moyens pourraient passer de 2 p. 100 par année, disons, à quelque chose comme 1,9 p. 100 par année. L’incidence est donc faible, mais négative.

Ce qui est plus compliqué, c’est lorsque les recettes sont utilisées pour réduire d’autres impôts qui engendrent des distorsions, en particulier, par exemple, l’impôt des sociétés, l’impôt qui crée probablement le plus de distorsions. Lorsque toutes les recettes générées par la taxe sur le carbone sont utilisées pour réduire d’autres impôts, c’est là que le lien se brouille. Selon notre analyse, cela n’a presque aucune incidence sur l’économie, mais d’autres analyses semblent indiquer que ce genre de translation de l’impôt peut même avoir un effet positif. Toutefois, ces études ne sont pas très concluantes.

Le sénateur Wetston : Je viens de l’Ontario. Nous avons un système de plafonnement et d’échange. J’ai une certaine préférence pour le plafonnement et l’échange, pour d’autres raisons que celles que vous avez mentionnées. Or, la façon dont les droits ont été utilisés en Ontario semble positive et on semble aller dans la direction dont vous parlez.

Appuyez-vous cette position? Êtes-vous à l’aise avec la façon dont l’Ontario et peut-être le Québec se servent du plafonnement et de l’échange comme moyen d’investir dans l’innovation et dans d’autres secteurs semblables?

M. Beugin : Je vais présenter d’abord une observation générale : la Commission de l’écofiscalité a fait beaucoup de recherches sur le recyclage des revenus et sur les échanges, et elle n’a pas pris position sur la meilleure façon de recycler les revenus. Nous avons déclaré clairement que différentes approches peuvent être justifiées, selon les priorités et les circonstances.

Ainsi, si votre priorité est de stimuler l’innovation ou le développement écologique, l’approche adoptée en Ontario est sensée. Si votre objectif est strictement de minimiser les répercussions économiques, une approche de translation de l’impôt n’ayant pas d’incidence fiscale, semblable à la taxe sur le carbone originale de la Colombie-Britannique, pourrait être un bon choix. Si votre préoccupation principale est l’équité, remettre des chèques aux ménages — solution privilégiée dans une grande mesure par l’Alberta — peut être une approche judicieuse.

Différentes approches peuvent être justifiées dans différentes circonstances, ce qui ne signifie pas qu’on peut faire n’importe quoi. Je pense qu’il est toujours possible de gaspiller des revenus, et nous devrions compter sur les gouvernements pour qu’ils dépensent les recettes générées par la tarification du carbone avec sagesse.

Le sénateur Mitchell : Merci. Je m’intéresse beaucoup à la Commission de l’écofiscalité du Canada. Le conseil compte parmi ses membres Preston Manning lui-même, et il appuie la taxe sur le carbone. C’est fantastique.

Selon un rapport récent du gouvernement, en 2022, à 50 $ la tonne, la différence potentielle dans la croissance économique serait de 2 milliards de dollars. On parle de 2 milliards de dollars sur une économie de 2 billions de dollars. Ce n’est même pas une erreur d’arrondi. On présume seulement que l’argent est remis dans les poches des gens. On ne parle même pas de l’effet stimulant que cela aurait sur l’innovation et les technologies, les choses que font les entreprises de transport aérien et d’autres, selon ce que vous dites.

Avez-vous des études qui montrent que, en plus des 2 milliards de dollars, nous nous attendrions à ce qu’il y ait de la croissance parce que nous aurions catalysé une nouvelle économie du XXIe siècle?

M. Beugin : C’est une très bonne question. Vous avez raison : les modèles que le gouvernement du Canada utilise, qui sont les mêmes que ceux employés par la Commission de l’écofiscalité, ne sont pas très efficaces pour ce qui concerne les changements technologiques. Ils ne prédisent pas quelles sortes de technologies pourraient être créées grâce à la tarification du carbone et à son effet incitatif sur l’innovation, même si, en principe, c’est certain que la tarification du carbone stimulera l’innovation.

Le problème, c’est que nous ne savons pas exactement ce que le marché inventera. C’est justement pour cette raison que la tarification du carbone est une meilleure solution que les approches réglementaires : elle ne présuppose pas que nous connaissions les résultats d’avance et elle ne nous oblige pas à subventionner un type particulier de technologie, car nous ne faisons aucune supposition quant à la technologie qui finira par l’emporter.

Je ne peux donc pas bien répondre à votre question. Je n’ai pas d’analyse quantitative qui montre quels pourraient être les avantages.

Le sénateur Mitchell : Or, vous êtes assez certain que cela arrivera. Pour utiliser une analogie, je ne sais pas comment Crosby comptera son prochain but, mais je suis presque sûr qu’il en comptera un. Pas cette saison-ci, c’est fini. Disons plutôt Connor McDavid. Je ne sais pas comment il comptera ses 100 prochains buts, mais je sais qu’il le fera.

M. Beugin : C’est vrai. En tant qu’ancien Calgarien, je vais vous donner raison à contrecœur.

J’ajouterais que les incitatifs à l’innovation sont surtout efficaces lorsque les attentes quant aux futurs prix du carbone sont claires. Ils fonctionnent le mieux quand la trajectoire des futurs prix du carbone est bien définie. En ce moment, nous avons seulement de l’information jusqu’à 2022 et pas plus loin. Les incitatifs à l’innovation seraient plus puissants si l’avenir était plus certain.

Le sénateur Neufeld : Je m’inquiète toujours pour Fred et Martha, monsieur et madame Tout-le-monde, les gens qui paieront réellement la facture, car ce sera bien eux. Tout finit par retomber sur eux d’une façon ou d’une autre.

Je ne trouve pas que nous avons examiné d’assez près comment nous aidons monsieur et madame Tout-le-monde. Je vais utiliser l’exemple du chauffage au gaz naturel. Le gaz naturel est employé pour chauffer 50 p. 100 des foyers, et je pense que c’est encore plus pour les entreprises.

Aujourd’hui, si vous comparez 50 $ la tonne au prix actuel du gaz naturel, en moyenne, le prix du carbone serait deux fois plus élevé que ce qu’il en coûterait pour chauffer votre maison au gaz naturel. La différence est considérable.

Je sais que les gens disent qu’on arrive toujours au point où l’on peut changer quelque chose, alors je vais utiliser ma propre maison comme exemple. J’ai fait venir une entreprise qui examine votre maison et qui vous dit ce que vous pouvez faire pour économiser de l’énergie. Le représentant m’a dit que j’avais fait tout ce que je pouvais. Je chauffe au moyen d’une chaudière au gaz naturel. Je lui ai demandé si je pouvais la remplacer par une chaudière électrique parce que notre électricité est propre. Il m’a répondu que ce serait stupide parce que cela coûterait quatre fois plus que ce que je paie le gaz naturel aujourd’hui.

Je pense donc à ces choses-là. Je ne suis pas le seul à être dans cette position. Nous sommes très nombreux. Pour les enfants du millénaire qui peuvent à peine se permettre une maison ou qui viennent d’en acheter une, changer le système de chauffage et apporter toutes les autres modifications aura des répercussions énormes.

D’un point de vue réaliste, que pouvons-nous faire à cet égard? Parce qu’au bout du compte, d’après moi, ce sont eux qui vont payer et qui vont perdre leurs emplois. Ce sont eux qui perdront leurs emplois si l’industrie s’en va.

M. Beugin : Permettez-moi de parler d’abord des ménages. Vous soulevez une préoccupation importante. Nous ne voulons pas imposer des frais disproportionnés, surtout aux ménages à faible revenu qui ne peuvent pas les absorber. Ce serait injuste et cela entraînerait des coûts non justifiés.

Cela étant dit, je le répète, il existe des solutions. L’autre grande solution, c’est d’envoyer des chèques et des transferts trimestriels aux ménages à faible revenu. Selon l’analyse de la Commission de l’écofiscalité, utiliser 10 à 13 p. 100 des recettes générées par une politique de tarification du carbone sur l’ensemble de l’économie — utiliser seulement jusqu’à 13 p. 100 de ces revenus — pourrait avoir le résultat que la tranche de 40 p. 100 des ménages au revenu le plus faible se porte aussi bien que s’il n’y avait pas de prix sur le carbone. En remettant de tels chèques aux ménages, vous faites en sorte que la politique ne soit pas régressive.

Le sénateur Neufeld : Cette solution réglera le problème. Rien ne leur sera enlevé. Je vais accepter cette réponse. Toutefois, ils devront quand même changer leur système de chauffage ou apporter de nombreuses modifications si leur maison est vieille. Faites le tour de la ville en voiture et vous verrez toutes les maisons qu’il faudra adapter. Votre solution ne paie pas cette facture-là. D’où viendra l’argent? Comment ces gens feront-ils? Ils vivent d’un chèque à l’autre.

M. Beugin : Je pense que si vous envoyez des chèques trimestriels aux ménages vivant d’un chèque à l’autre pour compenser au minimum les frais qu’ils paieront à cause de la tarification du carbone, ils seront quand même incités à réduire leurs émissions s’ils le peuvent. S’ils ne le peuvent pas, ils ne verront pas de différence.

Le sénateur Neufeld : Avez-vous des chiffres réalistes qui montrent qu’un chèque trimestriel paiera la différence de ce qu’il en coûtera pour chauffer sa maison, l’entretenir, changer les systèmes et faire tout le nécessaire?

M. Beugin : L’Alberta a réalisé cette analyse pour les ménages moyens auxquels elle envoie des chèques trimestriels; elle se trouve sur son site web au sujet de la tarification du carbone. Une telle analyse peut être faite.

Les autres approches visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre comportent aussi des coûts. Par exemple, si vous choisissez plutôt de régler le problème au moyen de la réglementation, ce sera tout de même les ménages qui finiront par payer, d’une façon ou d’une autre. Les coûts seront supportés soit par les investisseurs, soit par les travailleurs, et ils seront plus élevés.

Il serait plus coûteux d’atteindre nos objectifs — et nous voulons tous les atteindre — au moyen de la réglementation qu’avec la tarification du carbone. Une analyse que nous avons faite il y a environ trois ans par rapport aux objectifs de 2020 — pas ceux de 2030 — a montré qu’adopter une approche réglementaire rigide coûterait 3,8 p. 100 du PIB de plus que la tarification du carbone.

Vous pourriez faire mieux. Ce résultat représente le pire des cas et il serait obtenu avec des règles très rigides. Vous pourriez obtenir de meilleurs résultats en employant des approches plus souples, mais vous ne feriez jamais aussi bien qu’avec la tarification du carbone. Vous ne réussiriez jamais à fixer des coûts aussi bas qu’avec la tarification du carbone. L’atteinte des objectifs implique des coûts, mais elle comporte également des avantages liés à la réduction des émissions, et des coûts faibles sont préférables à des coûts élevés.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci d’être ici aujourd’hui. Dans votre présentation, vous dites qu’on a d’un côté ce que j’appelle les scénarios idéalistes, à savoir que si on va de ce côté, tout sera réglé, et de l’autre, ceux qui sont très pessimistes, qui disent qu’on n’y arrivera pas de toute façon. À votre avis, la tarification du carbone est une solution qui permet aux gouvernements d’établir leurs priorités, par exemple, en augmentant le produit intérieur brut plutôt qu’en redistribuant les recettes aux familles moins riches. Selon les priorités que les gouvernements se fixeront, on pourra évaluer un certain nombre de choses, mais il y a aussi des inconnus par rapport à la façon dont la technologie évoluera. Et il y a une partie de cela qu’on ne peut pas évaluer à ce moment-ci. Ai-je bien compris?

[Traduction]

M. Beugin : Oui, j’approuve généralement ce que vous dites. Je pense qu’il est important de se rappeler que le but premier de la tarification du carbone, ce ne sont pas les recettes. Le but premier, c’est d’encourager les gens à modifier leur comportement et de stimuler l’innovation avec le temps.

Les recettes constituent un avantage secondaire, et c’est sur ce plan que les provinces ont de la liberté; c’est là qu’on peut adopter différentes approches selon les priorités. Je suis d’accord sur le fait qu’elles peuvent être adaptées en fonction des circonstances et des priorités locales.

La présidente : Merci.

Pour la dernière partie de la réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, nous poursuivons notre étude sur la partie 5 du projet de loi C-74.

Nous accueillons maintenant Mme Nathalie Chalifour, professeure agrégée à la faculté de droit, Section de common law, de l’Université d’Ottawa. Merci beaucoup de vous joindre à nous. Nous vous invitons à faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons à la période de questions.

[Français]

Nathalie Chalifour, professeure agrégée, faculté de droit, Section de common law, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci de votre invitation ce matin. J’espère que ma comparution vous sera utile. Bien que je parle français, je vais faire ma présentation en anglais. Je pourrai ensuite répondre à vos questions dans les deux langues.

[Traduction]

Je suis professeure agrégée à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, située à deux pas d’ici. Je détiens un doctorat en sciences juridiques de l’Université Western Ontario, ainsi qu’une maîtrise et un doctorat en droit de l’Université Stanford.

Je travaille, j’enseigne et je fais de la recherche dans le domaine du droit et de la politique de l’environnement depuis environ 25 ans. Au cours des 5 à 10 dernières années, je me suis concentrée notamment sur le droit et la politique en matière de climat, principalement au Canada, en accordant une attention particulière à la tarification du carbone, y compris à sa constitutionnalité.

J’ai écrit assez abondamment sur nombre de sujets, y compris la gouvernance du secteur énergétique, l’écofiscalité, l’application de la tarification du carbone, l’équité de la tarification du carbone et la constitutionnalité. Je crois comprendre que c’est de ce dernier sujet que j’ai été invitée à vous parler aujourd’hui.

Je vais prendre quelques minutes pour vous expliquer l’analyse que j’ai réalisée, puis je répondrai à vos questions.

En un mot, j’ai analysé la constitutionnalité de la tarification du carbone en me penchant sur les politiques provinciales et fédérales. Mes deux analyses, que j’ai publiées, ont été faites avant que soit présenté le projet de loi, qui est très récent. Je peux parler des analyses que j’ai réalisées avant le dépôt du projet de loi, mais j’ai aussi examiné la proposition à l’ordre du jour.

La conclusion que je tire de mon analyse de la constitutionnalité de la tarification du carbone par le gouvernement fédéral, c’est que le Parlement a le pouvoir constitutionnel de promulguer la mesure qu’il propose. Toutefois, cela ne diminue aucunement le pouvoir constitutionnel très important que détiennent les provinces. Les provinces ont le droit d’établir des lois sur une grande variété d’enjeux liés à la politique climatique, y compris leurs propres politiques en matière de tarification du carbone. Cependant, à mon sens, sous sa forme actuelle, la loi fédérale est constitutionnelle.

Je pensais prendre quelques minutes pour vous expliquer l’analyse, mais si vous préférez passer tout de suite aux questions, je n’y vois pas d’objection.

La présidente : Je vous en prie, expliquez-nous l’analyse.

Mme Chalifour : Je sais que certains membres du comité ont un diplôme en droit, et qu’ils savent de quoi il retourne, mais pour ceux qui ne sont pas au courant, disons que, heureusement, l’analyse sur la constitutionnalité est relativement simple en ce qui concerne ses critères, mais elle ne l’est pas en ce qui concerne son application. Or, lorsque l’on demande à un tribunal de déterminer la constitutionnalité d’une loi ou même d’une disposition de cette loi — comme cela a été fait récemment dans le renvoi déposé par la Saskatchewan —, le tribunal pose deux questions.

Premièrement, il se penche sur la loi en cause et se demande ceci : « De quoi est-il question? Quel est le principal objet de cette loi, quel est son caractère véritable? » Il examine le libellé afin de cerner exactement ce que la loi essaie d’accomplir, ce sur quoi elle porte vraiment. Le tribunal se pose ensuite la question suivante : « Maintenant que nous savons de quoi il s’agit, en quoi la teneur de la loi consiste-t-elle? De quelle autorité cette loi relève-t-elle? »

Comme vous le savez, la Constitution énumère un certain nombre de pouvoirs relativement à plusieurs dispositions clés, et le gouvernement fédéral a le pouvoir résiduel de légiférer au nom de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement. Bien entendu, cette liste de pouvoirs est entrée en vigueur il y a de nombreuses années, et elle n’inclut pas un grand nombre des objets qui ont depuis été visés par des lois provinciales et fédérales. Par conséquent — et c’est ce qui fait que les professeurs de droit ne manquent jamais de travail —, il existe une jurisprudence ou un droit jurisprudentiel considérable pour interpréter cette division des pouvoirs dans le contexte des réalités actuelles.

Les tribunaux ont concocté une pléthore de concepts. Qu’il s’agisse de fédéralisme coopératif ou d’autre chose, je sais que vous connaissez très bien un bon nombre de ces concepts, ceux-là mêmes qui nous ont aidés à respecter les différences régionales énormes qui existent entre les provinces et les territoires de notre pays, et à promouvoir l’unité nationale.

Au moment de l’analyse, les tribunaux tentent de déterminer l’objet des mesures législatives en examinant la loi proprement dite et les termes utilisés. Ils peuvent tenir compte des effets qu’a pu avoir la loi dans le contexte de discussions stratégiques et même prendre en considération des choses comme l’efficacité — quel ordre de gouvernement est le mieux en mesure de régler un problème — et des valeurs démocratiques comme la responsabilité.

Si l’on essaie d’appliquer le critère aux dispositions législatives à l’ordre du jour, surtout en ce qui concerne la partie 5, nous pouvons voir que le gouvernement actuel a établi que l’objet de la loi est l’atténuation des changements climatiques par l’application pancanadienne de mécanismes de tarification du carbone aux grandes sources d’émissions de gaz à effet de serre. Un coup d’œil au préambule — que vous avez examiné par le menu détail, j’en suis convaincue — nous permet de confirmer que l’objet de la loi est effectivement l’atténuation des gaz à effet de serre. Il est donc établi que la loi traite du risque sans précédent qui pèse sur l’environnement, la santé des personnes et la prospérité économique.

Nous voyons également que l’accent est mis sur les dimensions nationales et internationales du problème, notamment la participation du Canada au régime climatique mondial, et la reconnaissance du fait que tous les ordres de gouvernement ont un rôle à jouer et qu’ils doivent coopérer.

Après avoir établi que l’objet de la loi est l’atténuation des émissions des gaz à effet de serre, vous devez répondre à la question suivante : de quels chefs de compétence s’agit-il? C’est à partir de là que les choses se compliquent un peu, car il n’existe aucun chef de compétence qui traite de pollution environnementale, de tarification du carbone, de changements climatiques ou de quoi que ce soit de semblable, comme il n’y a pas non plus de chefs de compétence précis au sujet des aliments et de drogues, de la santé ou en ce qui concerne les politiques d’autres domaines où les compétences sont partagées.

Mon analyse a fait le survol des chefs de compétence, et une foule d’autres personnes se sont penchées là-dessus et ont écrit des choses à ce sujet.

Les principaux chefs de compétence vraisemblablement aptes à justifier la loi fédérale sont le droit criminel et le souci d’ordre national touchant à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement.

Quand ils pensent à la tarification du carbone et aux taxes sur le carbone en particulier, la plupart des gens se tournent tout de suite vers le pouvoir fiscal comme source d’autorité. Il est de surcroît très possible que les pouvoirs de taxation — tant à l’échelon provincial que fédéral — puissent autoriser la législation sur la tarification du carbone, mais dans le contexte fédéral, la taxation est constitutionnellement considérée comme un moyen de générer des recettes et comme quelque chose que l’on instaure à des fins générales, pour générer des recettes à l’extérieur du cadre réglementaire. Par conséquent, sur le plan constitutionnel, il y a peu de chance que la loi sur la tarification du carbone soit justifiée comme étant une taxe, à moins que les tribunaux n’élargissent leur interprétation de la jurisprudence passée. Cela dit, je crois qu’il y a de fortes chances que la loi soit justifiée en vertu du souci d’ordre national au chapitre de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement, ou aux termes du droit criminel.

Le droit jurisprudentiel récent a donné une interprétation très intéressante du pouvoir en matière de droit criminel. Pour la plupart des Canadiens, le droit criminel ne semble pas être en mesure de servir de justification pour des lois environnementales, mais de nombreuses décisions — y compris des jugements de la Cour suprême — ont confirmé le caractère très large du droit criminel au Canada. Le droit criminel fait autorité pour une vaste gamme de mesures réglementaires portant sur des questions publiques de grande importance, dont la protection de l’environnement. Les tribunaux ont été explicites : la protection de l’environnement fait partie du droit criminel.

Je pourrais parler de certains des critères et de certaines des nuances qui s’appliquent au droit criminel ou au souci d’ordre national en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement, mais pour le moment, je vais plutôt parler de la récente décision Syncrude au sujet de la constitutionnalité de la réglementation fédérale au sujet de la tarification du carbone sur le carburant renouvelable.

Syncrude a contesté la constitutionnalité du règlement. Aux termes de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, il existe des règlements fédéraux qui exigent une teneur minimale en carburant renouvelable dans le diesel et l’essence, soit 2 et 5 p. 100 respectivement. Syncrude a donc allégué que cela n’était pas constitutionnel, et que cela ne relevait pas du Parlement, mais bien du pouvoir provincial. Sauf que la première instance de la Cour fédérale a établi qu’il s’agissait d’une législation fédérale tout à fait valide en matière criminelle, une décision qu’a maintenue la Cour d’appel. La réglementation s’attaque à la pollution environnementale, qui, à maintes occasions, a été reconnue de façon unanime comme ayant un dessein criminel aux termes du droit criminel fédéral.

Toutefois, dans le contexte de la tarification du carbone, ce qu’il y a de plus important dans cette affaire, c’est que Syncrude alléguait qu’il s’agissait d’une mesure économique, c’est-à-dire de quelque chose qui devrait relever des provinces. La Cour fédérale a rétorqué que cela pouvait être une disposition législative fédérale valide, attendu que le droit criminel ne porte pas uniquement sur les dispositions du droit criminel. Il s’agit d’une disposition législative qui tente de changer les comportements, et le Règlement sur les carburants renouvelables essaie de modifier le comportement chez les personnes et au sein de l’économie.

Par conséquent, lorsque Syncrude a tenté de décrire cela comme étant une mesure incitative à caractère économique, et comme une mesure visant à modifier les comportements, mais dans un domaine où le gouvernement fédéral n’avait pas de compétence, la cour a soutenu avec conviction et de façon unanime que cela faisait partie du droit criminel, affirmant que c’était la raison d’être même du droit criminel que de modifier les comportements, et que la façon d’y arriver n’était pas l’affaire des tribunaux, mais bien celle du gouvernement.

La cour a fait un parallèle avec le tabac en soulignant que nous avons des lois fédérales pour encadrer la commercialisation et l’emballage du tabac et des cigarettes. La cour a dit : « Nous ne criminalisons pas le fait de fumer. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas faire, comme nous ne pourrions pas criminaliser l’utilisation de carburants fossiles. Sauf que nous pouvons nous servir de mesures législatives pour communiquer un message important qui changera les comportements et qui, essentiellement, dissuadera les parties concernées de pratiquer l’activité que nous cherchons à décourager. »

Je crois que je vais m’arrêter là afin de vous permettre de me poser les questions que vous souhaitez me poser. Je vais tenter d’y répondre de mon mieux.

La présidente : Merci. J’ai appris des choses aujourd’hui.

Le sénateur Patterson : Merci de votre exposé.

Je vais vous poser une question sur la constitutionnalité. Je m’adresse à la spécialiste du droit que vous êtes. Il s’agit du problème que ces dispositions législatives nous posent, c’est-à-dire le fait qu’il s’agisse d’une loi habilitante qui permettra la mise sur pied d’un régime de réglementation. Nous espérons que l’industrie sera consultée et que les fonctionnaires vont faire les choses comme il se doit, mais le fait d’adopter ce projet de loi signifie essentiellement l’adoption d’une loi habilitante.

Le Parlement a-t-il un rôle à jouer dans l’examen de la réglementation, lorsque diverses industries — nous avons entendu l’avis de l’industrie minière et, l’autre jour, celui de l’industrie du transport aérien — nous disent avoir de la difficulté à interagir avec les représentants du gouvernement, alléguant que ces derniers ne semblent pas tenir compte de leurs préoccupations?

En tant que législateurs, comment pouvons-nous nous insérer dans la supervision de ce processus?

Mme Chalifour : C’est une excellente question. Je crois que, pour toutes sortes de raisons, vous êtes mieux placé que moi pour répondre à cela. Je crois toutefois que la surveillance parlementaire et la supervision de la part de l’exécutif à l’égard des consultations sur les règlements sont vraiment importantes. Je pense que ce qui se fait ici et dans les autres comités est exactement l’approche qui convient : recueillir les points de vue de toutes ces différentes parties concernées, prêter l’oreille à ces opinions, rechercher les solutions optimales, et cetera. J’espère que toutes les parties concernées comprendront qu’on les écoute et qu’elles ont la possibilité de participer au processus, et pas seulement en ce qui concerne la loi habilitante, mais aussi sur le plan réglementaire, c’est-à-dire là où, bien souvent, les détails sont fixés. Je crois que cela est vraiment important, et j’ose espérer que c’est quelque chose qui va se poursuivre tout au long du processus d’élaboration de la réglementation.

Le sénateur Wetston : Je vais vous poser une question d’ordre constitutionnel. Je suis certain que mes collègues sont las de me voir revenir là-dessus, mais j’ai pris part à l’affaire City National Leasing, ainsi qu’au renvoi sur les valeurs mobilières. Je n’arrive absolument pas à m’expliquer comment la Cour suprême a géré le second volet de la compétence en matière d’échanges et de commerce, sans toutefois s’y appuyer. Elle ne s’est pas appuyée sur ce second volet parce qu’il n’a pas été étayé; le volet a été présenté comme étant une compétence générale en matière d’échanges et de commerce. J’essaie encore de comprendre ce qui est arrivé.

Avez-vous quelque chose à me dire à cet égard? Ce n’est peut-être pas un sujet pertinent dans la discussion actuelle, mais j’aimerais quand même entendre votre point de vue sur la question.

Mme Chalifour : Je crois que cette décision a laissé beaucoup de gens perplexes, très perplexes. Pour ceux d’entre vous qui n’ont pas suivi l’affaire, disons qu’au Canada, la compétence en matière d’échanges et de commerce a maintes fois été interprétée de manière très étroite, et les cours semblent très réticentes à appuyer des mesures législatives parlementaires qui tenteraient de réglementer une industrie donnée. C’est quelque chose qui a transparu de façon évidente dans les deux décisions dont vous avez parlé : en dehors de la compétence fédérale explicite qui s’appliquerait à ce domaine, on ne veut pas de mesures législatives qui cibleraient une industrie particulière.

Dans le contexte du climat et de la tarification du carbone, comme je l’ai souvent écrit et comme je l’ai souvent dit à d’autres, j’ai toujours maintenu que si le Parlement devait avoir un rôle à jouer là-dedans — et je crois qu’il s’agirait d’un rôle de très grande importance —, il devait se focaliser sur la composante « gaz à effet de serre » de l’activité industrielle et non sur un secteur particulier ou des technologies particulières, à part, peut-être, en ce qui concerne les dépenses. Voilà comment j’arrive à concilier les choses.

Cela dit, pour ce qui est du volet des échanges et du commerce qui a trait aux échanges interprovinciaux et au commerce interprovincial, je crois que la compétence a été interprétée de façon moins étroite. Je crois que l’un ou l’autre de ces volets serait en mesure de servir de justification pour la composante « échange » d’un programme de plafonnement et d’échange, si un tel programme devait un jour être proposé.

Le sénateur Wetston : Sur une note moins constitutionnelle : je crois que vous avez déjà écrit des choses au sujet de l’incidence que la tarification du carbone aura sur les groupes désavantagés. Verbalement ou par écrit, vous avez aussi parlé de la taxe sur le carbone dans une perspective féministe. Pouvez-vous nous donner des détails sur vos réflexions à l’égard de ces deux sujets, ainsi que sur l’incidence que l’instauration de ce régime risque d’avoir sur ces deux groupes? Je ne sais pas si les féministes sont considérées comme un groupe ou pas, mais je crois que vous comprenez le sens de ma question.

Mme Chalifour : C’est une perspective, effectivement. J’apprécie la question, car j’ai écouté ce qui s’est dit dans certains des autres témoignages.

L’une des raisons pour lesquelles il m’a été vraiment difficile d’écrire à ce sujet, c’est le fait que je suis une fervente défenseure des politiques de tarification du carbone, mais que je crois qu’elles doivent être bien conçues. Je suis d’accord avec ce qu’ont dit les témoins qui m’ont précédée à propos de l’efficacité.

Cela dit, comme j’ai beaucoup insisté sur le caractère équitable de l’application de la taxe et sur les répercussions à l’égard des communautés vulnérables, je suis d’avis que tout est une question de conception. Le diable est vraiment dans les détails. Je crois que ce que l’on a tendance à oublier lorsque nous entendons ces inquiétudes au sujet de Fred et Martha, ainsi que les préoccupations tout à fait valables au sujet des coûts que cela pourrait imposer aux populations fragilisées, c’est qu’il faut toujours tenir compte du coût de l’inaction. Nous devons tenir compte du fait que ce sont les collectivités vulnérables qui seront les plus touchées par les effets des changements climatiques, ce qui, je pense, est la raison pour laquelle nous devons être proactifs en essayant d’y remédier.

Revenons-en aux détails : tout est dans la conception. Comme j’ai envisagé la chose sous l’angle de l’équité et de la justice à l’égard des communautés vulnérables, je crois que la conception doit tenir compte de choses comme le revenu, le contexte rural, le cas échéant, et la capacité d’adaptation. Comme vous l’avez dit, lorsque c’est l’hiver au Nunavut, on ne peut pas circuler à vélo. Les femmes qui ont des responsabilités en matière de prestation de soins ne peuvent pas nécessairement utiliser le transport en commun, attendu qu’elles pourraient avoir à conduire les enfants à l’école ou à s’occuper de leurs parents vieillissants.

Voilà les types de facteurs qui devraient selon moi être intégrés à la conception. Ils ne fournissent pas une raison pour laisser tomber la tarification du carbone. Ces facteurs doivent orienter la façon dont les recettes seront utilisées : nous devons nous assurer que ces différents problèmes et ces différents points de vue seront pris en compte lorsque les recettes commenceront à s’engranger.

Le sénateur Wetston : Et qu’en est-il du féminisme?

Mme Chalifour : C’est le même principe. Tout d’abord, nous savons tous que, dans les pays en développement, les changements climatiques amènent leur lot de problèmes sexospécifiques. Est-ce aussi le cas dans les pays du Nord? Un projet auquel j’ai participé en compagnie de nombreux autres universitaires de pays industrialisés s’est intéressé à cette question. Bien que le problème ne soit pas aussi évident dans un contexte nordique que dans celui des pays en développement, il n’en est pas moins pertinent.

Encore une fois, pour remédier à ce problème, il faut se rapporter à la conception. Nommément, il s’agit de reconnaître que les femmes ont, en moyenne, moins d’argent que les hommes. Par conséquent, dans le contexte d’une politique régressive, il conviendra de tenir compte de cela afin d’éviter de créer un double fardeau régressif pour ces populations. Il ne s’agit pas de mettre de côté la tarification du carbone : tout est dans la conception.

Le sénateur Wetston : Mon collègue, le sénateur Patterson, a avancé aujourd’hui que la conception allait vraisemblablement se jouer davantage dans la réglementation que dans la mise en œuvre de la loi. Dans cette optique, je présume que vous serez, à l’instar du comité, très curieuse de savoir en quoi consistera cette réglementation. Êtes-vous d’accord avec cette observation?

Mme Chalifour : Je crois que oui, même si je pense que la question fondamentale est celle des recettes. En fin de compte, je crois que ce qui importe, c’est ce que l’on fera des recettes. Par conséquent, je pense que si ces choix doivent passer par des processus réglementaires ou autres, c’est à cette étape que seront déterminés les vrais effets, comme ils le seront aussi au moment de poser la question et au stade de la conception.

Le sénateur Massicotte : Comme vous le savez, les recettes engendrées par le programme fédéral seront remises aux provinces, c’est-à-dire à celles qui y participent. Donc, comme vous le dites, il ne reste qu’à déterminer la façon de concevoir l’assiette de revenus à l’échelle provinciale. Mais la stratégie consiste un peu à diviser pour mieux régner, étant donné qu’il ne s’agit pas d’une décision politique du gouvernement fédéral, mais plutôt des gouvernements provinciaux. Toutefois, les provinces ne présentent pas leur solution quant à la façon dont elles affecteront ces recettes pour dédommager leurs citoyens vulnérables.

Les provinces semblent jouer au chat et à la souris à cet égard. Elles ne parlent pas de cet enjeu. En quelque sorte, elles évitent de se manifester à cet égard, probablement parce qu’elles préféreraient disposer d’une marge de manœuvre complète quant à la façon dont elles utiliseront cet argent, sans que cela fasse l’objet d’un débat public à l’échelle nationale. En raison de la séparation des pouvoirs, elles semblent s’en tirer sans avoir à présenter les mesures qu’elles prendront pour s’assurer que nous dédommageons les personnes vulnérables pour la hausse de leurs coûts entraînée par la taxe sur le carbone.

Avez-vous des observations à formuler à ce sujet?

Mme Chalifour : D’un point de vue constitutionnel, la Charte nous oblige à nous assurer que nous respectons essentiellement les droits à l’égalité des citoyens des quatre coins du pays. Par conséquent, bien qu’à mon avis, les provinces se réjouissent de la marge de manœuvre dont elles bénéficient et que, comme le témoin précédent l’a indiqué, les provinces aient pris des décisions différentes quant à leur façon d’utiliser ces recettes, leurs choix découlent, selon moi, de leurs priorités politiques et des questions qui leur importent. Cependant, je considère que les parlementaires et le gouvernement fédéral devraient jouer un rôle vraiment important dans l’établissement d’un ensemble de lignes directrices et de facteurs à prendre en considération, comme vous l’avez fait pour les normes nationales sur la qualité de l’eau et des directives d’un genre semblable, pour vous assurer que certains facteurs sont pris en compte.

Le sénateur Massicotte : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’essayais de retrouver le paragraphe 15(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Ma question est liée à votre réponse sur les priorités établies par le gouvernement quant à l’utilisation des revenus. Peut-on imaginer des lignes directrices selon lesquelles l’utilisation de ces revenus par les provinces favoriserait l’adoption de programmes de promotion sociale pour les groupes défavorisés? C’est déjà prévu par la Charte canadienne des droits et libertés et cela s’applique au gouvernement fédéral autant qu’aux gouvernements provinciaux.

Mme Chalifour : Cela pourrait être une option très intéressante. Je vous remercie de votre question. Lorsqu’on parle de lignes directrices ou de conseils en ce qui concerne les dépenses, je pense que ce sont des questions politisées qui seront sans doute remises en question par les juridictions. C’est une bonne idée de fournir des analyses, des conseils et des pistes de réflexion. Lorsqu’on fait des analyses budgétaires par genre, par exemple, ce sont des enjeux qui peuvent être soulevés dès la mise en œuvre des politiques.

On soulève souvent des questions sur la concurrence ou l’efficacité des mesures. Il peut y avoir des compromis. Peut-être qu’on investit certains de ces revenus dans des programmes de garde d’enfants ou dans d’autres initiatives que l’investissement vert, mais cela aurait des conséquences sur le coût de la tarification. Donc, ce sont des coûts dont il faut tenir compte.

Il faut réfléchir aux coûts que l’on veut inclure dans cette analyse. On peut parler de l’efficacité de notre approche en matière de changements climatiques. Il faut tenir compte des coûts de l’inaction et des coûts sociaux. Selon les économistes, ce n’est pas toujours aussi efficace de le faire ainsi. Cela devient des choix politiques.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Je conviens que Fred et Martha ont été laissés pour compte dans la détermination de ce qui allait leur en coûter en fin de compte. Le dernier témoin a déclaré : « Eh bien, en moyenne, vous pouvez procéder ainsi et leur envoyer un chèque trimestriellement. » Bien que ce soit une bonne idée, habituellement, cela ne compense pas les coûts réels. Il se peut que cela couvre une partie des coûts d’exploitation, mais cela ne permettra pas de remplacer l’équipement des anciennes habitations.

Lorsque vous dites que vous croyez en la tarification du carbone et en la nécessité de mettre en œuvre cette mesure afin de réduire nos émissions, vous soutenez que, si nous ne le faisons pas — vous avez employé le mot « inaction » —, cela aura de graves répercussions.

Dans une certaine mesure, je n’en disconviens pas, mais nous, c’est-à-dire l’ensemble du Canada, dont la superficie est la deuxième en importance dans le monde, ne représentons que 1,5 p. 100 du problème planétaire. C’est ce qu’on nous a dit. On nous a également indiqué que ce pourcentage reculerait. Je suppose qu’il reculera si nous prenons des mesures, mais il reculera également quand le reste du monde, à savoir les économies qui souhaitent jouir d’un mode de vie semblable au nôtre, accroîtra sa consommation de combustibles fossiles. Par conséquent, notre contribution sera moindre. Elle pourrait s’élever à seulement 1 p. 100. Et pourtant, nous avons entendu un grand nombre de témoins nous dire que, si, en fait, nous adoptons une tarification de 50 ou 100 $ par tonne, cela aura des effets dramatiques sur l’économie de notre pays.

J’ai également parlé longuement de l’adaptation. Je crois que nous sommes en mesure de réduire notre contribution de 1,5 p. 100, parce que nous sommes efficaces. Les chômeurs de nombreuses régions du pays pourront tous s’en féliciter les uns les autres quand ils se croiseront dans la rue, mais cela se produira quand même.

Les experts nous disent que le Canada n’atteindra pas ses objectifs. Le monde entier, dont bon nombre de pays européens, n’atteindra pas ses objectifs. L’Allemagne recommence à utiliser le charbon. Toutes sortes de choses se produisent à l’échelle mondiale, et nous n’allons pas atteindre nos objectifs.

J’envisage donc l’adaptation, parce que je crois qu’en dépit de nos bonnes intentions, les changements climatiques surviendront. Ne pensez-vous pas que c’est une mesure que nous devrions envisager sérieusement? À mon avis, aucun gouvernement n’a sérieusement envisagé de s’adapter, sinon après coup. « D’accord. Dans ce cas, nous ferions mieux de nous adapter. » Toutefois, l’adaptation est une mesure à prendre à l’échelle nationale, en vue de comprendre les changements climatiques à venir. Comment peut-on réagir quand les gens se contentent de dire que, si nous ne réduisons pas nos émissions de gaz à effet de serre de 1,5 p. 100, le Canada fera face à une situation catastrophique?

Mme Chalifour : Il y a beaucoup à dire à propos de vos observations. Par conséquent, je m’efforcerai simplement d’aborder brièvement deux arguments. Ce sont des arguments très importants, qui sont cités fréquemment. Le Canada est un acteur qui joue un très petit rôle à cet égard. C’est une façon de voir les choses. En même temps, nous faisons toujours partie des 10 à 12 principaux émetteurs à l’échelle mondiale, et nos émissions par personne sont très élevées. Notre pays est très privilégié. Si nous nous contentons de dire que ces mesures sont trop difficiles à mettre en œuvre, comment pourrons-nous nous tourner vers d’autres membres de la communauté internationale pour leur dire qu’ils devraient prendre des mesures? En ce moment, des petits États insulaires formulent à l’échelle mondiale des appels à l’action incroyablement émotionnels. De plus, j’estime que la communauté mondiale s’est exprimée à Paris. Nous avons affirmé que chacun de nous ferait sa part, puis nous avons présenté nos objectifs et convenu d’agir, tout en reconnaissant que nos mesures n’allaient pas régler le problème du changement climatique. Si le Canada atteint la totalité de ses objectifs, il ne va pas régler le problème en entier, mais il fera sa part.

Je pense que la question de l’adaptation est un énorme enjeu. C’est absolument essentiel, et nous appuyons, tout comme la plupart des pays, l’idée de cerner cet enjeu, car nous cherchions tous tellement la façon de décarboniser nos économies que nous avons prêté moins attention à l’adaptation. Je m’entends donc avec vous pour dire que nous devrions passer plus de temps à cerner cet enjeu, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain en négligeant de prendre des mesures d’atténuation. Je pense que le Canada a finalement pris des mesures vraiment concrètes et que, comme d’autres témoins l’ont indiqué, les entreprises et les intervenants ont seulement besoin de jouir d’une certaine certitude pour aller de l’avant. J’appuie la tarification du carbone, mais je soutiendrais aussi qu’il y ait une réglementation. Je souhaite simplement nous voir progresser relativement à cet enjeu et ne pas gaspiller notre temps, notre argent et notre efficacité, car plus nous attendons, plus le processus sera coûteux.

Cependant, nous devons absolument nous occuper de l’adaptation. J’estime donc que beaucoup de travail nous attend.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Le sénateur Neufeld nous parle souvent de « Fred et Martha ». Je les connais très bien maintenant. Ils ont un fils et une fille. La fille est mère monoparentale de deux enfants et le fils vient tout juste de se séparer. Donc, on a deux familles monoparentales avec de jeunes enfants. En considérant les priorités à établir quant aux revenus, ne devrait-on pas tenir compte de l’équité intergénérationnelle? Fred et Martha sont déjà « assis sur un patrimoine » . Ils vivront assez longtemps. Il est possible que leurs enfants n’en voient pas la couleur avant un bon moment. Ces enfants sont déjà obligés de s’adapter à une réalité qui, pour beaucoup de gens, est très précaire sur le plan économique. Qu’avez-vous à nous dire quant à l’équité intergénérationnelle?

Mme Chalifour : C’est très important. J’étudie le sujet pour voir à quel point nous sommes obligés juridiquement de penser aux générations futures. Je pense que nous avons bel et bien une obligation. La question de savoir comment agir est très importante, mais elle est secondaire au fait d’agir. Il faut agir rapidement et avec certitude. Je suis d’accord avec vous. Il faut absolument prendre en considération les effets distributifs des politiques.

Cependant, grâce aux revenus qui seront générés, il ne devrait pas être bien difficile d’établir l’ordre de priorité des coûts et de se doter d’un plan d’adaptation adéquat à long terme. Il faut absolument tenir compte des générations futures, car il s’agit de questions importantes.

Le sénateur Massicotte : Je suis d’accord avec le sénateur Neufeld, la date en soi est très importante, et j’ai compris que vous êtes d’accord avec nous. Ne devrions-nous pas envisager une augmentation de la taxe sur le carbone afin de pouvoir utiliser ces fonds supplémentaires pour l’adaptation?

Mme Chalifour : C’est toujours une question d’équilibre. La clé, c’est qu’il faut agir, et il faut le faire avec certitude. Les revenus que les taxes vont générer sont considérables. Les Canadiens veulent un pays prospère, qui engendre des emplois à long terme pour tous et de bons programmes sociaux. On est dans un monde très différent.

En ce qui concerne le plan sur les changements climatiques et la législation, de nombreux programmes ont été créés dans différentes provinces. Certaines provinces sont déjà allées de l’avant. Nous sommes devant un modèle qui, selon moi, apporte un certain équilibre. Les variations dans les provinces ont été respectées. On leur a donné la permission d’aller de l’avant avec leurs propres politiques et elles ont la liberté de prendre leurs propres décisions en ce qui concerne les revenus générés. On a donné le choix aux provinces tout en les avisant que le gouvernement fédéral agirait si aucun programme n’était constitué.

Personnellement, on devrait faire en sorte que les revenus générés soient dirigés vers des programmes destinés aux populations vulnérables. Je crois que nous allons dans la bonne direction.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie infiniment de vos interventions, de vos questions et des renseignements que vous avez communiqués.

(La séance est levée.)

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