Aller au contenu
ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 51 - Témoignages du 8 novembre 2018


OTTAWA, le jeudi 8 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-57, Loi modifiant la Loi fédérale sur le développement durable, se réunit aujourd’hui, à 8 h 4, pour étudier le projet de loi, et à huis clos, pour étudier les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone (étude d’une ébauche de rapport).

Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je suis Michael MacDonald. Je suis vice-président de ce comité, et je représente la province de la Nouvelle-Écosse au Sénat.

Je vais maintenant demander aux sénateurs autour de la table de se présenter.

La sénatrice Cordy : Bonjour. Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.

Le sénateur Woo : Yuen Woo, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

[Français]

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le vice-président : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-57, Loi modifiant la Loi fédérale sur le développement durable. Tout d’abord, nous accueillons Brett Favaro, membre du Conseil consultatif sur le développementdurable et, de l’Institut international du développement durable, Stefan Jungcurt, chef de pratique, Connaissance des objectifs de développement durable.

Merci de vous joindre à nous. Je vous invite à faire vos déclarations liminaires, après quoi nous passerons à la période des questions.

Brett Favaro, membre, Conseil consultatif sur le développement durable : Bonjour à vous tous. Je suis Brett Favaro et je suis un scientifique en conservation à l’Université de Terre-Neuve. Je suis également le représentant de Terre-Neuve-et-Labrador au Conseil consultatif sur le développement durable. C’est un plaisir et un honneur de m’adresser à vous tous aujourd’hui.

Avant d’entrer dans les détails du projet de loi C-57, j’aimerais présenter quelques faits scientifiques. Je suis convaincu que le comité comprend les enjeux auxquels le Canada est confronté en ce qui concerne les changements climatiques. À mesure que notre planète se réchauffe, nous sommes confrontés à un vaste éventail de dangers qui menacent notre sécurité, notre économie et notre environnement. La limite la plus sécuritaire, qui a été établie par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies, ou GIEC, est un réchauffement de 1,5 degré Celsius, une cible que le Canada a convenu qu’elle doit s’efforcer d’atteindre dans le cadre de l’Accord de Paris.

Ce qui arrive lorsque nous dépassons la cible de 1,5 degré Celsius est néfaste, et la situation s’aggrave à mesure que la planète se réchauffe. De mon point de vue de scientifique, il est dans notre intérêt national de ne pas dépasser cette cible.

Quelles mesures faudra-t-il prendre? Les nombres sont simples, mais frappants. Le GIEC a établi que, d’ici 2030, l’humanité doit atteindre une série de jalons. Nous devons réduire la quantité d’énergie primaire tirée du pétrole de 37 p. 100. Nous devons réduire de 78 p. 100 la quantité de charbon au cours de la même période, et même le gaz naturel, souvent qualifié de solution de rechange produisant moins d’émissions, doit être réduit de 25 p. 100. D’ici 2050, la consommation de combustibles fossiles de l’humanité doit être réduite de près de 90 p. 100; il faut, essentiellement, les éliminer de nos sources d’énergie.

Le GIEC a été clair. Aucun pays n’est dispensé de cette responsabilité et aucun pays ne sera à l’abri des conséquences du dérèglement climatique si nous n’atteignons pas ces cibles.

Voilà qui m’amène au sujet de la discussion d’aujourd’hui, soit le développement durable. Bon nombre des mesures prévues dans le projet de loi C-57 sont simples et positives. Le projet de loi augmente la représentation autochtone au Conseil consultatif de la Stratégie de développement durable. C’est une excellente nouvelle. Le projet de loi exige que les délégués qui siègent au conseil soient représentatifs de la démographie. Là encore, c’est une bonne idée. Le projet de loi propose une nouvelle règle selon laquelle les règles prévues dans les stratégies de développement durable devraient être évaluées en fonction du fait qu’elles doivent être mesurables et assorties d’un délai, ce que j’appuie certainement.

Il y a un concept dans le projet de loi C-57 sur lequel j’aimerais mettre l’accent, soit l’introduction de l’équité intergénérationnelle. Je crois que ce concept devrait absolument être au cœur de ce projet de loi, mais aussi au cœur des principes du gouvernement dans son ensemble.

Le projet de loi définit l’équité intergénérationnelle comme étant le principe qui est important pour répondre aux besoins de la génération actuelle sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs propres besoins.

L’un des effets les plus pernicieux des changements climatiques est la façon dont il réduira les options à la disposition de nos enfants et de nos petits-enfants. Pour illustrer ce point, je vais changer un peu de sujet. Jusqu’à présent, je vous ai parlé du processus de développement durable en tant que scientifique, défenseur des données probantes et membre d’un conseil consultatif. J’aimerais également vous parler en tant que futur père. Mon épouse Corina et moi allons avoir notre premier bébé, une fillette dont la naissance est prévue pour le 9 décembre. Je veux que vous réfléchissiez aux changements climatiques à la lumière de la naissance de ma fille, pour mettre les choses dans le contexte d’une expérience d’un être humain. D’ici 2030, ou l’année où elle terminera l’école élémentaire, nous devrons avoir réduit la consommation de pétrole de 37 p. 100. En 2050, lorsque nous devrons essentiellement avoir complètement éliminé les combustibles fossiles de nos sources d’énergie, elle aura 32 ans, presque exactement le même âge que j’ai.

Pensez aux changements qui devront être apportés au quotidien pour que nous arrivions à ce point. Il faudra de l’argent, des efforts et des solutions. Nous n’avons pas le choix, car avec les changements climatiques, il y a toujours un prix à payer. On peut payer maintenant et investir dans des énergies renouvelables, des infrastructures résilientes et un avenir sécuritaire et durable, ou on peut payer plus tard, ce qui signifiera qu’il faudra réparer les pots cassés.

La lutte contre les changements climatiques n’est pas une question de contraction. C’est une question d’expansion par l’entremise de projets de développement intelligents et durables, ce qui peut faire du Canada un chef de file en technologie propre et en ressources renouvelables. Si nous nous concentrons, agissons à l’atteinte de buts et faisons vraiment du développement durable un principe directeur, le Canada peut vraiment devenir un chef de file dans ce qui sera probablement la plus importante transition industrielle de l’histoire de l’humanité.

Le projet de loi C-57 représente une étape importante pour mettre les principes à l’avant-plan dans les décisions prises par notre gouvernement. Pour cette raison, j’applaudis cette mesure et je lance à tous les membres ici le défi de trouver des moyens créatifs de faire progresser le processus de décarbonisation et d’appuyer le leadership canadien dans ce dossier.

Ma fille et moi vous en remercierons.

Stefan Jungcurt, chef de pratique, Connaissances des objectifs de développement durable, Institut international du développement durable : Merci de l’occasion de vous faire part de nos points de vue. C’est un honneur de m’adresser à vous aujourd’hui. Bonjour, tout le monde.

Je suis Stefan Jungcurt. Je parle au nom de l’Institut international du développement durable, l’IIDD, et du Conseil canadien pour la coopération internationale, le CCCI.

Nous saluons l’étude du comité permanent sur le projet de loi C-57 et sur les modifications proposées à la Loi fédérale sur le développement durable. Plus particulièrement, nous sommes ravis que la loi inclut maintenant des aspects environnementaux, sociaux et économiques de développement durable.

Nous saluons également l’inclusion d’un ensemble plus vaste de principes, y compris l’équité intergénérationnelle, l’ouverture, la transparence, la participation des Autochtones et la collaboration.

Nous croyons que ces modifications permettront à la loi de jouer un rôle essentiel et intégral dans les efforts du Canada en vue d’atteindre les objectifs de développement durable au pays et à l’étranger. Le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes a déclaré que ce devrait être le but central de la loi dans le rapport de 2016 qui a été préparé à la suite de l’évaluation de la Loi fédérale sur le développement durable.

En 2018, le CCCI, en collaboration avec l’IIDD et d’autres partenaires dans le monde, a évalué les examens nationaux volontaires que 42 pays ont présentés au Forum politique de haut niveau des Nations Unies sur le développement durable. Les examens nationaux volontaires sont les principaux moyens pour les pays de rendre des comptes sur les efforts qu’ils déploient pour mettre en œuvre les ODD, ou les objectifs de développement durable.

Le rapport que nous avons produit a aidé à cerner les pratiques exemplaires nationales pour mettre en œuvre les objectifs de développement durable, les ODD, et rendre des comptes sur les progrès nationaux. Les recommandations que nous formulons aujourd’hui se fondent sur les constatations de ce rapport et mettront l’accent sur les points suivants : lien entre la Loi fédérale sur le développement durable et le cadre des ODD, l’accès à l’information et la reddition de comptes.

Pour le premier point, nous réitérons notre recommandation précédente, selon laquelle le comité doit envisager de citer explicitement les ODD et leur mise en œuvre dans l’objet de la loi. C’est en conformité avec la recommandation 6 du rapport du Comité permanent de l’environnement et du développement durable.

Les ODD sont un cadre universel pour la réalisation du développement durable dans tous les pays. Le Programme à l’horizon 2030 n’impose pas des obligations directes aux pays, si ce n’est qu’il nationalise le cadre. Par conséquent, il est crucial de relier la Loi fédérale sur le développement durable et le cadre des ODD, qui reflète également les cibles concernant de nombreuses autres ententes et obligations internationales.

Le Programme à l’horizon 2030 reconnaît que le développement durable peut seulement être réalisé si tous les ODD sont atteints simultanément. Pour reconnaître cette indivisibilité, la loi révisée devrait aussi énoncer explicitement dans son objet que le développement durable est un objectif pangouvernemental qui comporte un vaste éventail de mesures en matière de durabilité sur le plan humain et naturel. C’est en conformité avec la recommandation no 2 du rapport du Comité permanent de l’environnement et du développement durable.

Dans cet ordre d’idées, nous recommandons que l’annexe de la Loi sur la gestion des finances publiques fasse explicitement mention des huit ministres en tant que principaux ministères responsables pour mettre en œuvre les ODD au Canada. Cela aiderait à ce que ces ministères mettent beaucoup l’accent sur les trois piliers de développement durable et sur les ODD. Cette approche intégrée est un principe fondamental du Programme à l’horizon 2030 et contribuerait à favoriser activement une cohérence dans les politiques pour le développement durable.

En ce qui concerne notre deuxième point, l’accès aux données et à l’information, nous signalons que cet accès est une condition préalable à la reddition de comptes. Nous saluons l’inclusion du principe 5c), qui fait état que la divulgation des renseignements devrait être encouragée pour soutenir la reddition de comptes et la participation du public. Nous remarquons cependant que pour assurer la reddition de comptes, la divulgation des renseignements devrait être la norme et la restriction de l’accès à l’information devrait être justifiée. C’est pour respecter l’engagement du Canada envers un gouvernement ouvert et ses politiques d’ouverture par défaut.

Nous recommandons d’harmoniser le principe 5c) avec la Directive du gouvernement canadien sur le gouvernement ouvert pour qu’il se lise comme suit :

Le principe de l’ouverture et de la transparence, soit le principe selon lequel la communication de renseignements et de données devrait être maximisée afin d’appuyer la reddition de comptes et la mobilisation du public [...]

J’arrive à notre dernier point sur la reddition de comptes. Le Programme à l’horizon 2030 met particulièrement l’accent sur la reddition de comptes volontaire. En tant qu’organisations de la société civile, nous nous sommes réjouies d’avoir pu contribuer au premier examen national volontaire qui a été présenté au Forum politique de haut niveau en 2018. Nous soulignons cependant que la transparence et l’ouverture du processus, et surtout l’inclusion des acteurs non étatiques, doivent être améliorées pour veiller à ce que le gouvernement soit tenu responsable et que ces examens nationaux volontaires soient véritablement inclusifs et de portée nationale. La reddition de comptes requise en vertu de cette loi offre une occasion de le faire.

Les rapports sur la mise en œuvre de la Stratégie fédérale de développement durable fournissent de précieux renseignements sur les efforts déployés par le gouvernement fédéral en vue de réaliser des progrès vers l’atteinte des ODD. Nous recommandons d’aligner les deux cycles de reddition de comptes pour que les rapports sur la mise en œuvre de la Stratégie fédérale de développement durable puissent être mis à la disposition du public six mois après que le gouvernement canadien présente un examen national volontaire.

Nous recommanderions également d’harmoniser les formats de présentation des rapports pour que les renseignements contenus dans les rapports en vertu de la loi puissent être facilement utilisés dans les rapports d’examens nationaux volontaires. Ce faisant, le gouvernement fédéral servirait d’exemple de pratique exemplaire que les gouvernements provinciaux et territoriaux pourraient suivre.

Enfin, bien que cela ne se rapporte pas forcément aux changements dans la loi, nous encourageons ce comité à veiller à ce que la loi et la Stratégie fédérale de développement durable soient harmonisées et complémentaires à la stratégie nationale pour mettre en œuvre les ODD, qui est en train d’être élaborée par Emploi et Développement social Canada.

Merci beaucoup de m’avoir donné cette occasion.

Le vice-président : Merci beaucoup de votre témoignage. Nous allons passer aux questions.

Le sénateur Woo : Merci, messieurs les témoins, et merci à votre fille à l’avance de sa contribution.

Je veux poser une question sur l’harmonisation des objectifs de développement durable avec la loi. Nous avons entendu le témoignage de la ministre récemment et nous lui avons posé cette question, et je pense que la réponse était qu’il faudrait apporter trop de modifications à une loi, qui a été initialement élaborée avant que les objectifs de développement durable aient été présentés.

Je me demande si vous avez eu l’occasion de tenir ces conversations avec le ministère et si vous êtes satisfait de cette réponse. Entrevoyez-vous une voie à suivre différente que nous pourrions prendre pour réaliser nos objectifs de développement durable, autre que le projet de loi C-57?

M. Jungcurt : Merci. Nous n’avons pas eu ces conversations directement avec le ministère, alors je ne sais pas trop les options qui ont été mises à l’essai et qui peuvent avoir été écartées, parce qu’elles ne fonctionnent pas. Comme je l’ai dit, l’intention est de faire mention des ODD en tant que cadre général et pas forcément en tant que document juridique qui prévoit que tous les éléments des objectifs et chaque partie d’une résolution doivent être mis en œuvre.

L’un des grands avantages du cadre des ODD, c’est qu’il est exhaustif, mais il ne présume pas que chaque pays doit assurer un suivi sur chaque cible prévue dans les ODD. Il faut déterminer s’il y a une façon de formuler le libellé de manière à reconnaître que c’est un point de contrôle afin de voir si la Stratégie fédérale de développement durable respecte l’idée générale du cadre des ODD et appuie la responsabilité du Canada d’évaluer sa propre situation et de fixer ses propres cibles qui peuvent être mesurées et communiquées. Ce serait un pas dans la bonne direction dans le cadre du Programme à l’horizon 2030 pour atteindre ce type d’harmonisation.

Bien entendu, cette situation existe dans de nombreux autres pays qui ont travaillé au développement durable par le passé. Ce n’est pas un défi inconnu, et c’est certainement un défi que l’on peut surmonter, à mon avis.

Si l’objet de la loi n’est pas l’endroit approprié pour inclure ce libellé, nous pourrions peut-être l’introduire en tant que principe ou l’inclure dans la disposition qui énonce le cadre pour la Stratégie de développement durable. Ce serait ainsi peut-être un peu moins contraignant pour ce qui est des modifications complémentaires à apporter à la législation ou à la loi.

Le sénateur Woo : Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il y a certainement une incohérence ici, car le projet de loi, qui est manifestement à propos du développement durable, ne fait aucunement référence au Programme à l’horizon 2030. Il y a sûrement un moyen d’y faire référence et d’établir un lien. Comme vous le soulignez, il peut y avoir d’autres façons ou de meilleures façons d’atteindre les objectifs plus directement.

Monsieur Favaro, en ce qui concerne le fait que tous les pays ont la responsabilité d’atteindre les objectifs en matière de changements climatiques, je suis d’accord avec vous, mais tous les pays n’interviennent pas avec le même niveau de détermination. Que pensez-vous de la nécessité des pays qui interviennent avec détermination de s’adapter aux mesures prises par d’autres pays pour avoir une incidence plus directe sur l’économie et le marché au pays? Vous savez à quoi je fais référence: je parle d’ajustements fiscaux à la frontière et d’autres mesures qui peuvent compenser, non pas pour des raisons de protectionnisme, mais pour l’écart entre les efforts déployés pour réduire les émissions de carbone.

M. Favaro : C’est une excellente question. Je veux parler du principe sous-jacent, car mon expertise au conseil consultatif ne se rapporte pas tant à la façon dont je rédigerais ces politiques. Nous avons également fourni des avis sur la façon dont nous mettrions ce cadre en place pour exécuter ces stratégies de développement durable et sur la façon dont elles devraient être structurées.

Mon opinion sur le leadership est que ce n’est pas seulement une question de réduire nos émissions; nous devons également être des chefs de file pour d’autres pays qui peuvent nous percevoir comme un modèle et qui peuvent acheter nos produits pour promouvoir la transition vers la technologie propre. Ce n’est pas seulement l’absence d’émissions canadiennes. Il faut un leadership canadien pour aider les autres pays à atteindre leurs objectifs également. Les gens soutiennent souvent que si la Chine est le plus gros émetteur mondial, pourquoi devrions-nous faire quoi que ce soit? La Chine n’émet pas des émissions pour le plaisir. Elle le fait, parce que nous achetons leurs produits. Elle pollue pour faire rouler son économie. Elle prend des mesures également et élimine progressivement le charbon, dans certains cas. Il y a cependant un peu de controverse quant à la portée des mesures qu’elle prend en ce sens.

Ce que je vous répondrais, d’un vaste point de vue qui repose sur des principes, c’est que nous gagnerons à décarboniser. Nous obtenons de l’énergie à faible coût. Nous avons l’occasion d’être des chefs de file en matière de technologie. Nous vendons ces produits et ces services à d’autres pays. Le risque, c’est que si nous ne le faisons pas intelligemment, nous paierons peut-être un coût plus élevé que nous aurions eu à le faire autrement. Je pense que le principe est très valable.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être des nôtres ce matin.

Monsieur Favaro, vous avez essayé de nous sensibiliser à l’importance d’atteindre nos objectifs, pas seulement au Canada, mais dans le monde entier. La conséquence pour votre fille et pour nous tous est très grave. Je n’y trouve rien à redire. Comment gérez-vous ce que je perçois comme étant la réalité? La réalité est que même cette semaine, le ministre nous a dit que nous n’avons aucune difficulté à atteindre nos objectifs. D’après ce que j’ai lu — et vous avez lu les mêmes documents — des Nations Unies et du vérificateur général du Canada, ils nous disent que nous n’atteignons pas nos objectifs et que nous accusons beaucoup de retard. Même si nous fermons les yeux et souhaitons un meilleur avenir pour 2030, nous n’allons probablement pas atteindre nos objectifs.

Examinons la situation énergétique internationale. Si tous les gouvernements respectent leurs plans, nous aurions quand même un réchauffement de 1,5 ou de 2 degrés de plus que prévu. Que faites-vous dans cette réalité? Les politiciens nous diront qu’ils font tout en leur pouvoir, car c’est bien qu’ils puissent dicter des lois et des règles. Il faut rallier la population à notre vision, qui n’aime probablement pas le changement et la résistance. Que faites-vous avec ce problème?

M. Favaro : C’est la question à un million de dollars. En fait, c’est la question à plusieurs billions de dollars. Il y a deux côtés à la médaille : l’atténuation et l’adaptation. Si nous n’arrivons pas à atténuer les répercussions, nous devons dépenser de l’argent pour nous adapter. Parfois les deux vont de pair. Par exemple, l’adaptation serait la construction d’ouvrages de protection des côtes de manière à ce que nous soyons plus résilients à l’élévation du niveau de la mer. L’atténuation serait d’adopter des énergies renouvelables pour moins polluer.

Si le monde devient très inquiétant, si nous n’atteignons pas ces cibles et que la température commence à augmenter beaucoup, les pays qui ont investi tôt dans la décarbonisation seront en meilleure posture sur le plan économique. C’est parce qu’à un moment donné, les gens diront que si la température a maintenant augmenté de 2,5 degrés Celsius sur la planète, nous devrions peut-être réduire la pollution produite par les combustibles fossiles. Si notre économie est fondée entièrement sur ce que tout le monde doit cesser de faire, alors nous sommes dans une position économique vulnérable.

D’un point de vue pratique, si nous avons réduit notre dépendance aux importations de carburants, parce que nous avons une énergie renouvelable, nous ne sommes pas aussi vulnérables aux défis géopolitiques qui découleront des changements climatiques également. C’est ma réponse. Que l’humanité réussisse ou échoue, il y a un avantage à agir tôt et à essayer de faire une différence.

Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas certain d’être d’accord avec vous, parce que la plupart des choses que nous construisons ont une durée de vie de 30 ou 50 ans.

Vous parlez d’équité intergénérationnelle, et je suis d’accord avec ce principe. Selon lui, nous ne devons pas nous décharger de nos responsabilités sur les générations futures. Cet argument est très juste, mais vous êtes conscients qu’il est complexe. Il faudrait dire la même chose de notre dette accumulée. Si on fait le calcul, nous leur transférerons probablement des responsabilités, notamment en ce qui concerne le changement climatique, comme nous leur transférerons une part importante de la dette, mais nous leur transférerons aussi des actifs importants. Les actifs d’infrastructure dépassent de loin notre dette, au Canada. Sont-ils supérieurs au déficit potentiel attribuable au changement climatique? Je ne le sais pas, mais on ne peut pas compartimenter les choses ainsi et dire que les actifs doivent être égaux aux responsabilités, mais qu’il n’y a pas de transfert de capitaux, sauf peut-être pour ceci ou cela.

Je comprends tout cela, mais la réalité est bien plus complexe. Que faites-vous de ces calculs complexes?

M. Favaro : Quand on parle de développement durable, je pense à tout ce que nous devons encore faire et à tout ce que nous bâtissons pour l’avenir. Je ne veux pas cibler une industrie en particulier quand je parle du développement durable, mais le développement non durable équivaut, d’une certaine façon, à voler les générations futures au profit des générations actuelles. Si nous ne planifions pas intelligemment ce que nous bâtissons, nous serons pris avec des actifs potentiellement contreproductifs à long terme.

C’est la raison pour laquelle je parle d’occasion dont il faut profiter. Nous avons la possibilité de prendre maintenant des décisions judicieuses, qui procureront aux générations futures des actifs qui leur faciliteront la vie et selon moi, c’est ce qu’il faut préconiser.

Le sénateur Massicotte : Des observations?

M. Jungcurt : L’IIDD vient de faire paraître un rapport qui pourrait nous aider à répondre à cette question. Il s’intitule Comprehensive Wealth. L’argument, c’est que beaucoup de décisions se fondent sur un seul indicateur qu’on appelle le PIB. Cependant, le PIB permet de mesurer le revenu, mais pas les actifs sous-jacents qu’on utilise pour le générer. Par exemple, si vous avez 1 million de dollars dans votre compte bancaire, le PIB ne mesurera que les 5 p. 100 d’intérêts que vous toucherez sur cette somme, mais pas le million d’actif, que vous le gardiez ou que vous le perdiez. Dans ce rapport, nous proposons de concevoir une mesure de la richesse globale pour mesurer tout ce qui compte à long terme, afin de faciliter la prise de décisions éclairées. Quelles sont les incidences des décisions d’aujourd’hui sur nos actifs collectifs nationaux, qui comprennent les ressources naturelles, le capital humain et bien d’autres éléments.

Le sénateur Massicotte : Votre argument est très sensé, selon moi, monsieur Favaro, puisque vous dites que toute construction, vraisemblablement des producteurs d’énergie les plus raisonnables, est bonne pour nous. Le Canada ne peut qu’en sortir gagnant puisque c’est un actif positif. Vous dites donc que c’est bon pour l’économie. Si l’on tient compte des justifications, la plupart des gens seront en faveur. Ils diront : « Oui, nous avons construit cette usine et elle a généré tant pour le PIB. »

Toutes les formes d’activité économique sont mesurées par rapport au PIB, ce qui ne constitue pas toujours une très bonne mesure. Comme l’augmentation du PIB est jugée positive, si vous dépensez 10 milliards de dollars afin de remplacer un actif par un actif équivalent, à la différence peut-être de quelques émissions de CO2, ce sera un actif redondant. Oui, le PIB sera positif, mais c’est comme de demander à 10 personnes de creuser un trou pour le remplir de boue. Le résultat net sera le même, mais le PIB augmentera beaucoup. On prend les chiffres qui nous conviennent, mais dans les faits, cela n’ajoute rien à la qualité de vie des Canadiens.

M. Favaro : Ce sont des hypothèses, je le comprends bien, mais si nous voulons être plus précis sur certains types de projets, les chiffres ont beaucoup changé depuis quelques années, particulièrement avec l’avènement des énergies renouvelables. Prenons les piles. Je ne veux pas vous donner un exemple trop pointu, mais je vous en donnerai un pour illustrer la différence entre la perception et le véritable état des choses en matière de technologie. Bien sûr, lorsqu’on veut utiliser de l’énergie renouvelable, il n’y a pas toujours autant de vent ou de soleil qu’on le souhaiterait. Donc si l’on veut utiliser ces formes d’énergie comme sources d’électricité, il faut pouvoir emmagasiner l’électricité quelque part. L’une des façons de le faire consiste à utiliser des piles. Il y a beaucoup d’innovations technologiques qui rendent les piles plus abordables aujourd’hui.

En 2010, il en coûtait environ 1 000 $US pour stocker un kilowattheure dans une pile au lithium-ion. Aujourd’hui, il n’en coûte plus qu’entre 110 et 190 $. Donc, en moins de 10 ans, les coûts ont diminué d’autant. La perception joue beaucoup quant au coût et aux avantages des choses, et il faut faire attention de bien comprendre les enjeux. Je souligne que les universitaires, dont je suis, aiment beaucoup utiliser les articles révisés par des pairs. Or, ces articles, qui prennent souvent du temps à être publiés, présentent souvent des chiffres qui datent déjà de quelques années. Entre le moment où un chercheur commence à écrire son article et celui où il est publié, les chiffres ont déjà beaucoup changé.

Dans le contexte du développement durable, j’estime important d’être à l’avant-garde, aux premières loges, quelle que soit la métaphore qu’on souhaite utiliser. Il faut vraiment bien suivre l’évolution des choses et bien comprendre la réalité économique parce que bien souvent, les choses vont mieux qu’on pourrait le croire.

Le sénateur Patterson : Monsieur Favaro, vous piquez ma curiosité. Vous dites que nous n’avons pas le choix : qu’il faut payer maintenant ou qu’il faudra payer plus tard. Personne ne doit en être exempté. Je viens du plus vaste territoire au Canada. Il comprend 20 p. 100 de la masse terrestre du Canada. Il compte la plus longue ligne de côte, et 25 communautés souvent très petites et isolées y vivent, sans route, sans énergie de remplacement. Je n’en suis pas fier. Il y a bien d’autres communautés des provinces du Nord où c’est la même chose. On y trouve le climat le plus froid, les plus grandes périodes d’obscurité au pays, et c’est là où le coût de la vie est le plus élevé. Les gens y dépendent beaucoup de la chasse et de la pêche pour réduire leurs dépenses alimentaires, puisque les aliments achetés dans les supermarchés coûtent cher, et nous devons éliminer les combustibles fossiles d’ici 2050, comme vous l’avez dit.

Ma question est la suivante : comment puis-je expliquer à un chasseur ou une chasseuse qu’il ou elle doit chasser ou pêcher sans motoneige ni moteur hors-bord?

M. Favaro : Comme pays, nous devons demeurer conscients de ce genre de difficultés. Premièrement, je ne dirais jamais cela à ce chasseur. Nous pouvons créer un espace d’émissions pour les activités que nous jugeons importantes. Par exemple, les chasseurs et trappeurs du Nunavut ont un mode de vie culturellement et économiquement important. Ceux d’entre nous qui n’ont pas besoin de consommer de combustibles fossiles pour conduire leur voiture parce qu’ils peuvent utiliser le transport en commun, le vélo ou la voiture électrique ont l’obligation de créer un espace pour cela. Par exemple, quand on parle de l’industrie pétrolière et gazière, ce sera l’une des transitions les plus difficiles. Il faudra trouver des moyens de nous arrimer aux objectifs de l’IIDD.

Nul besoin de tout faire en même temps. Nous devons procéder par jalons. Nous pouvons nous demander dans quels contextes nous n’avons pas besoin de consommer de combustibles fossiles. Par exemple, nous pourrions modifier énormément notre empreinte d’émissions en matière de transport, en général, en décarbonisant nos flottes grâce aux véhicules électriques et en nous dotant de stratégies et d’infrastructures favorisant l’utilisation du vélo, afin d’aider la population.

Je ne dirais jamais à un chasseur d’arrêter de chasser. Ce serait totalement contre-productif. Cependant, nous avons besoin d’une stratégie afin de créer l’espace nécessaire pour que cette personne puisse continuer de chasser, pendant qu’on continue de garder le changement climatique à l’œil pour que les espèces chassées puissent survivre.

Le sénateur Patterson : Je suis bien content de ne pas avoir à dire aux chasseurs du Nunavut qu’ils doivent retourner à leurs chiens, parce que je ne sais bien pas à quel point c’est possible. La vérité, c’est que les chiens ont besoin de protéines et que ce retour en arrière aurait une grave incidence dans certaines régions, où les troupeaux de caribous sont menacés.

Je suis certain que vous êtes d’accord pour dire que la tarification du carbone est actuellement la meilleure stratégie pour réduire notre dépendance aux combustibles fossiles. Le régime de tarification du carbone qui doit entrer en vigueur au Nunavut l’an prochain ne prévoit pas d’exonération pour le mazout domestique ni pour l’essence. On parle là de l’un des territoires où le coût de la vie et le taux de chômage sont les plus élevés au pays.

Êtes-vous en train de nous dire que nous pourrions créer un espace d’émissions pour des activités importantes comme le chauffage des maisons dans les régions les plus froides du pays? Êtes-vous en train de nous dire que le régime de tarification du carbone au Nunavut devrait prévoir une exemption pour l’essence, parce que la population en a besoin pour continuer de récolter des aliments sains et locaux dont elle a besoin, de même que pour le combustible fossile, dont nous avons malheureusement toujours besoin pour chauffer nos maisons dans nos petits hameaux? Dans ce genre d’endroits, on peut faire valoir que ces activités sont importantes. Nous avons des communautés de moins de 200 âmes qui assurent la souveraineté du Canada sur l’île Ellesmere et à Grise Fiord. Le régime de tarification du carbone du Nunavut devrait-il prévoir une exemption pour l’essence ou le mazout domestique afin d’éviter que leur prix n’augmente?

M. Favaro : Je tiens à être prudent en répondant à cette question, parce que ce n’est pas moi qui établis le régime de tarification du carbone du Nunavut, ni de toute autre province ou territoire, d’ailleurs. Je vous parle à titre de scientifique en conservation et de membre du conseil consultatif sur la stratégie. À titre de membre du conseil consultatif, je fais des recommandations sur ce que la stratégie devrait prévoir et sur les cibles qui devraient y figurer. Je m’applique énormément à parler de politiques qui favoriseraient l’adoption des véhicules électriques ou d’autres choses du genre, par exemple.

Vous avez raison, je suis pour la tarification du carbone de manière générale. Il y a des tonnes d’analyses économiques qui montrent que c’est le moyen le plus efficace de réduire les émissions. Chaque gouvernement, individuellement, doit prendre des décisions sur la façon de mettre cette politique en œuvre. Vous êtes sans doute mieux placés que moi pour dire à quoi devrait ressembler cette politique dans un endroit comme le Nunavut. Je viens du Sud, donc je ne vis pas moi-même ces expériences ni cette histoire. Je ne voudrais vraiment pas dire ce que je voudrais imposer ni ce qui devrait être considéré important.

Le sénateur Patterson : Vous avez dit que personne ne devrait en être exempté.

M. Favaro : Oui, mais le Canada est un pays. Je veux dire par là que nous sommes tous ensemble dans cette aventure.

Prenons un exemple de projets sur lesquels le Nunavut pourrait se pencher et dont je suis à l’aise de vous parler : les projets d’énergie renouvelable. Les coûts n’en seront pas seulement absorbés par les gens du Nunavut. Nous avons l’occasion de nous questionner sur la production de diesel, puisqu’il coûte cher et pourrait être compensé à certains endroits par l’énergie éolienne et l’utilisation de piles. Ce genre de technologie s’autofinancerait dans une période raisonnable, étant donné les coûts exorbitants du diesel.

Nous devons faire preuve de créativité et voir comment nous pouvons profiter de l’occasion pour améliorer la vie des gens, afin que ce soit avantageux tant pour l’économie que l’environnement. C’est ce que je propose.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie infiniment de vos exposés.

Monsieur Favaro, si vous me permettez de vous poser une question sur le Conseil consultatif sur le développement durable, je présume que vous représentez Terre-Neuve, n’est-ce pas?

M. Favaro : C’est juste.

La sénatrice Seidman : Ce projet de loi modifie le mandat du conseil et établit que le Conseil consultatif sur le développement durable conseille le ministre sur toute question touchant le développement durable que ce dernier lui soumet.

Sur quoi le conseil consultatif a-t-il conseillé la ministre à ce jour? Pourquoi cette modification de votre mandat, selon vous?

M. Favaro : Je peux vous parler de nos activités.

J’ai été invité à occuper cette fonction il y a quelques années. Notre principale activité consistait à donner des conseils concernant la stratégie de développement durable elle-même, donc on nous a présenté une ébauche. Je ne me rappelle pas la date exacte, mais cette ébauche se voulait ambitieuse, mais comportait peu de cibles et elles n’étaient pas quantifiées.

Il y a eu des téléconférences, du travail toujours à distance. Les membres du conseil se réunissaient essentiellement par téléconférence, pour parler des différents aspects de cette ébauche.

Nous avons tenu quelques rencontres, avons travaillé un peu chacun de notre côté, puis nous avons assemblé une liste de recommandations écrites, que nous avons soumises. Pour être honnête, c’est la dernière fois que j’en ai entendu parler. Nous avons envoyé nos recommandations, puis un peu plus tard, un plan est sorti.

Je ne sais pas comment nos recommandations ont été accueillies et intégrées au plan. J’y ai vu bon nombre des recommandations soumises par les différentes personnes, il y a des choses qui figurent dans la version finale qui n’étaient pas dans l’ébauche. De manière générale, je préconisais des cibles plus quantitatives, et il y en a maintenant. Il y aura aussi des rapports de suivi. Je ne me rappelle pas tous les éléments, mais de manière générale, c’était notre activité principale. Je ne peux pas parler du travail des autres membres du groupe. C’est mon expérience personnelle.

La sénatrice Seidman : Vous affirmez qu’il y a des choses qui montrent que certains de vos conseils ont été suivis?

M. Favaro : Oui.

La sénatrice Seidman : Mais vous et les autres membres du conseil consultatif n’avez pas reçu de rétroaction, donc il n’y a pas eu de discussions après que vous ayez prodigué des conseils, vous n’avez pas activement participé à la révision du plan?

M. Favaro : Pas moi, en tout cas. Je ne pourrais pas vous dire avec certitude que personne n’y a participé. Pour ma part, je n’ai jamais pris le crayon pour modifier le plan moi-même. J’ai soumis mes commentaires, nous en avons discuté en ligne, mais je n’ai jamais écrit un mot de cette stratégie.

La sénatrice Seidman : Comment le conseil fonctionne-t-il? Vous rencontrez-vous?

M. Favaro : Tout se fait par voie électronique. Nous ne nous sommes jamais rencontrés en personne. Nous nous sommes toujours réunis par téléconférence.

La sénatrice Seidman : Avec la ministre?

M. Favaro : La ministre a participé à un appel, pour une très courte période. Elle devait nous rencontrer à distance, mais je pense qu’elle avait une autre réunion juste après. C’est principalement le personnel affecté au conseil qui nous a rassemblés et nous a dirigés dans notre travail.

La sénatrice Seidman : Comment vous attendez-vous à ce que votre rôle change à la lumière de cette modification? En avez-vous discuté au conseil?

M. Favaro : On ne m’a jamais avisé de la façon dont mon rôle changera ou non à la lumière de ce projet de loi.

La sénatrice Seidman : Pourtant, on peut lire ce qui suit dans le projet de loi :

[...] conseille le ministre sur toute question touchant le développement durable que ce dernier lui soumet.

Auparavant, vous ne savez pas si ce dont vous discutiez ou les sujets sur lesquels vous deviez conseiller la ministre vous avaient été soumis par la ministre?

M. Favaro : Exactement. Nous n’avons jamais eu de contact direct de la sorte. Cela semble être une extension du rôle du conseil consultatif, selon mon interprétation, du moins.

La sénatrice Seidman : Avez-vous des attentes quant au genre de conseils qu’on pourrait vous demander à l’avenir?

M. Favaro : Je n’ai absolument aucune attente. Je suis là pour rendre service. Si l’on me pose une question, je ferai de mon mieux pour y répondre moi-même ou pour trouver la personne qui sera la mieux placée pour le faire.

La sénatrice Seidman : Avez-vous un mandat d’une durée fixe? Avez-vous un contrat? Comment est-ce que cela fonctionne? Comment êtes-vous sélectionnés?

M. Favaro : Je pense que c’est mon député qui a soumis ma candidature. Je ne sais pas exactement comment le processus de sélection s’est effectué. Je me rappelle avoir dû envoyer mon CV. C’était il y a quelques années. J’essaie de me rappeler ce qui s’est passé exactement. Je pense avoir envoyé mon CV, après quoi j’ai été nommé. Je ne sais pas quel processus a été suivi en coulisse ni comment j’ai été sélectionné.

La sénatrice Seidman : Vous n’avez pas de mandat fixe? Il n’y a pas de limite de temps à votre mandat, rien du tout?

M. Favaro : Notre mandat consistait à prodiguer des conseils en vue de la stratégie de développement durable elle-même. C’est ce qu’on m’a dit que nous allions faire. Pour ce qui est de la durée de ce mandat, c’est peut-être écrit quelque part en petits caractères, mais je ne m’en souviens pas.

La sénatrice Seidman : Avez-vous l’impression que vos conseils devraient être rendus publics? Si un conseil consultatif prodigue des conseils à la ministre, devraient-ils être rendus public?

M. Favaro : Je serais d’accord avec cela, tout à fait.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés.

Je suis bien contente que nous ayons ce dialogue. Je sais que nous n’avons pas le choix, que le changement climatique est bien là. Je sais que le saumon est rendu jusque dans l’Arctique et que ce n’est pas son aire de reproduction normale, ce qui signifie que ses aires de reproduction ont changé. Il y a un changement qui s’opère dans le monde, et nous n’avons pas le choix : ce sont les humains qui ont créé ce gâchis. Nous avons la responsabilité de réfléchir à la façon dont nous changerons les choses. On discute de la viabilité des organismes et des écosystèmes de la planète depuis des années, depuis 20 ou 30 ans.

Comment croyez-vous que ce projet de loi nous permettra d’accomplir les progrès rapides aujourd’hui requis? L’économie joue un rôle de premier plan, et on dirait bien que le développement économique est le moteur de tout cela. J’ai demandé à la commissaire quand ce sera vraiment assez, parce qu’il y a tellement de pollution qui émane de l’activité économique que le monde fait déjà peur. Je viens d’une communauté où l’on n’utilise que le diesel, parce que c’est une communauté isolée. Il n’y a pas d’électricité là-bas, et cette conversation n’a toujours pas atteint bien des populations.

Comment croyez-vous que nous pouvons travailler avec vous pour susciter ce changement?

M. Favaro : Vous avez vraiment un bon point au sujet du temps. Le temps presse. Le phénomène à la base des changements climatiques est connu depuis 1850 environ. Tous les présidents depuis John F. Kennedy ont parlé des changements climatiques et des inquiétudes qu’ils suscitent, alors le sujet n’est pas nouveau.

Si nous avions commencé à prendre des mesures dans les années 1970 et 1980, quand les gens ont commencé à comprendre la portée du problème, nous serions passés en douce d’un type d’économie à un autre. Ce qui nous attend maintenant, c’est une piste de ski à double diamant noir où il faut foncer à toute vitesse pour réduire nos émissions en s’efforçant d’atteindre nos objectifs. Nous les atteindrons peut-être, peut-être pas, mais j’espère que nous les atteindrons.

J’aimerais que le développement économique soit un outil. Comment s’y prendre pour que cette loi favorise le développement durable? L’élément le plus important est sa mise en œuvre. Il faut vraiment prendre au sérieux l’idée que le développement durable est un outil incroyablement important pour notre pays. Il faut mousser cette idée et bâtir des industries et des stratégies de production de l’électricité et d’électrification qui vont nous mener vers un avenir prospère. Si nous n’avons pas une économie intacte, nous aurons de la difficulté à la décarboniser.

La réponse que j’ai à vous donner et à donner à ceux qui ont du pouvoir au sein de notre pays est de trouver les leviers qu’ils peuvent utiliser pour agir en ce sens. Tout est là. Nous avons les outils en main pour faire la transition, mais il faut trouver la façon de procéder pour répondre à l’urgence de la situation.

Quand la décision d’agir est prise, tout peut aller très vite. L’éolienne la plus au nord dans le monde se trouve en Norvège, au nord du 70e parallèle. Elle se trouve sur la côte même et a été construite en 2002. Sa construction a pris six mois et elle produit 20 mégawatts d’électricité, soit suffisamment pour alimenter Iqaluit, par exemple. On y est arrivé, on a tiré des leçons de l’expérience, et les dirigeants canadiens peuvent jouer un rôle pour faire bouger les choses.

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, d’être avec nous. Je vous en suis reconnaissant. C’est bon de vous entendre et j’espère que l’information pourra nous servir.

Je pense que nous sommes tous conscients qu’il faut agir, mais comme le sénateur Massicotte l’a mentionné, les obstacles ne manquent pas sur la piste à diamant noir et nous devons décider comment l’aborder avant d’entamer la descente.

Quand vous parliez d’un niveau d’émissions de gaz à effet de serre acceptable pour maintenir notre mode de vie, la construction d’une usine de gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique pour remplacer le charbon que les pays asiatiques utilisent en grande partie pour produire leur l’électricité serait-elle une bonne idée? Je sais qu’ils délaissent tranquillement le charbon, mais compte tenu de leur population, c’est presque une goutte d’eau dans l’océan. Ils utilisent d’énormes quantités de charbon. Serait-ce une solution acceptable?

Pourquoi notre pays serait-il pénalisé pour en aider d’autres à cesser d’utiliser du charbon pour produire leur électricité?

M. Favaro : Je ne vois pas comment on serait pénalisé à moins, par exemple, que vous fassiez référence au fait de ne pas construire une usine de gaz naturel liquéfié, mais je ne veux pas vous mettre les mots à la bouche.

Serais-je en faveur d’une usine? En tant que membre conseillant le Conseil consultatif sur le développement durable, je ne veux pas dire qu’il faudrait privilégier telle ou telle industrie. C’est une décision que les politiciens, les gouvernements devront prendre.

Le sénateur Neufeld : Je veux juste savoir ce que vous nous conseilleriez de faire. Je ne vous demande pas de rédiger le plan, ou de nous dire voici ce qu’il faut faire. Je vous demande conseil, parce que c’est votre rôle.

M. Favaro : Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, notre consommation de gaz naturel doit diminuer de 74 p. 100 d’ici 2050. Le gaz naturel est moins polluant que le charbon, et ce sont là les faits. La façon de combler l’écart, à mon avis, est une décision politique.

Le sénateur Neufeld : D’accord. Il y a un autre élément qui m’agace depuis longtemps, bien avant mon arrivée au Sénat, car j’ai travaillé sur des dossiers de cette nature une bonne partie de ma vie. J’ai voyagé au Canada avec des collègues du comité et j’ai visité diverses universités : UNBC à Prince George, McGill à Montréal, Dalhousie à Halifax, McMaster à Hamilton, et un collège au Nouveau-Brunswick. Des universités assez importantes.

J’ai demandé ce que les universités font en ce moment pour remplacer le gaz naturel ou les combustibles fossiles partout, car ce sont des composantes de base qui servent à fabriquer de nombreux produits. Vous avez parlé des voitures électriques, eh bien, je peux vous dire qu’une grande quantité de gaz naturel et de combustibles fossiles entrent dans la construction des véhicules électriques : les pièces en plastique, en acier, et cetera. Ce sont des composantes de base. Les vêtements que vous portez sont probablement semblables à ceux que je porte. Sans gaz naturel, nous n’aurions probablement pas ce type de vêtements. C’est une composante de base utilisée pour fabriquer des milliers de produits que nous utilisons tous les jours.

Quand j’ai posé la question — nous avons rencontré d’abord les professeurs et ensuite les étudiants pour connaître leurs idées —, aucune université ne s’occupait de cela. Aucune université que j’ai visitée au Canada, et ce sont des universités importantes qui examinent les façons de concevoir des batteries... C’est bien beau d’entendre parler de batteries et d’énergie éolienne, mais on utilise en grande partie des combustibles fossiles pour les fabriquer. Quand commençons-nous à nous pencher sur cette question? Les universités ne parlaient que des façons d’améliorer l’énergie éolienne, l’énergie solaire et les panneaux solaires. Je comprends cela, c’est une bonne chose. Aucune université que j’ai visitée et aucun professeur à qui j’ai parlé n’avait de programme de cette nature.

Comme vous êtes jeune, je vais devoir m’en remettre à vous. J’arrive à un âge où je vais devoir compter sur vous pour examiner cela. Que pouvons-nous faire pour changer la situation, outre que parler de développement durable?

M. Favaro : Il y a environ 29 fils rattachés à cette question. Vous allez devoir venir à l’Université Memorial. Je ne pense pas que vous l’ayez mentionnée dans la liste des universités que vous avez visitées.

Le sénateur Neufeld : Si j’y allais, j’obtiendrais probablement la même réponse que dans les autres universités.

M. Favaro : Mon bureau se trouve dans une université, et je suis parfaitement conscient de la situation dont vous parlez, car, en tant que scientifique spécialisé dans les pêches, j’effectue des recherches en mer avec mes collègues, et les bateaux que nous utilisons pour nous rendre en mer consomment des combustibles fossiles. Dans un article que j’ai écrit en 2014, j’en appelais à la mise en place d’un code de conduite relatif au carbone dans le domaine scientifique. Il faudrait prêcher par l’exemple quand on demande aux autres de réduire leur empreinte carbone. C’est une idée à laquelle j’adhère totalement.

Vous avez un très bon point lorsque vous dites que les combustibles fossiles sont des composantes de base. Je pense que nous devrions prendre soin de nos combustibles fossiles et les utiliser à bon escient. Nous en avons besoin pour fabriquer du plastique, mais la technologie existe pour éviter de s’en servir dans les réservoirs à essence.

Il existe quantité d’analyses sur le cycle de vie des produits comme les véhicules électriques ayant démontré à répétition que même si on utilise de l’électricité relativement polluante pour les fabriquer, ces produits, au cours de leur durée de vie, produisent moins d’émissions. C’est une bonne technologie qu’on peut développer.

Je pense comme vous que les universités devraient jouer davantage un rôle de chef de file dans ce domaine, et vous avez l’occasion, dans le cadre de votre étude, de suggérer que les universités qui reçoivent des fonds fédéraux aient le mandat de jouer un rôle important à cet égard et de mettre en place des programmes pour former la prochaine génération.

Iron & Earth est l’une de mes ONG préférées. C’est une organisation qui forme des travailleurs de l’industrie des sables bitumineux pour les intégrer à celle des énergies renouvelables. L’organisation est basée en Alberta et a une antenne sur la côte Est, à Terre-Neuve-et-Labrador. Elle rassemble des gens autour de cette idée pour bâtir les industries de demain qui seront indispensables pour effectuer la transition.

Nous avons des employés très bien formés qui peuvent effectuer la transition, et c’est une occasion en or qui s’offre à nous.

Le sénateur Neufeld : Merci.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à tous les deux de ces conversations stimulantes. J’aimerais revenir au commentaire de la sénatrice McCallum qui disait que la conversation au sujet des changements climatiques n’a pas atteint tous les groupes de la population, et votre commentaire, monsieur Favaro, voulant que si cette conversation avait eu lieu il y a 30 ou 40 ans, la transition se soit effectuée beaucoup plus en douce. Nos générations veulent maintenant agir très rapidement.

Les changements climatiques progressent si rapidement que les données que nous examinons sont déjà désuètes six mois ou un an plus tard, sans compter le temps nécessaire pour l’examen par les pairs et la publication. Nous nous fions donc à des données qui datent de deux ou trois ans et qui ne sont plus d’actualité.

J’habite en Nouvelle-Écosse, et ceux d’entre nous qui habitent sur les côtes Est, Ouest ou Nord, ceux qui vivent près de la mer, voient les changements dramatiques qui se produisent. On voit le littoral régresser, on voit l’isthme de Chignecto, qui relie la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, s’éroder. La Nouvelle-Écosse pourrait devenir une île si cela continue.

Il y a de nombreuses années, le sénateur Watt, qui habite dans le Nord, nous parlait des changements qu’il constatait déjà à l’époque, la saison chaude qui s’étirait et les hardes qui se rendaient dans des endroits où elles n’avaient pas l’habitude d’aller.

La jeune génération s’intéresse assurément davantage et plus activement aux changements climatiques. Je parle en général, mais comment élargir la conversation, pour revenir au commentaire de la sénatrice McCallum? Nous devons tous être mobilisés et connectés pour comprendre l’aspect intergénérationnel de ce phénomène, l’équité, ce que nous laissons aux générations futures. C’est quasi lié au projet de loi, je sais, mais c’est une question importante.

M. Jungcurt : Pour répondre à plusieurs éléments des questions qui ont été posées, j’encouragerais le comité à voir les cibles un peu différemment, comme elles le sont dans les objectifs de développement durable et comme elles sont censées s’intégrer dans les stratégies de développement durable du gouvernement fédéral. Les cibles sont souvent considérées comme une chose qu’on doit faire, mais qu’on ne peut pas atteindre, parce que, quand on regarde notre trajectoire, l’écart est impossible à combler.

Je vous encourage toutefois à voir les cibles comme un défi. La communauté internationale s’est dotée d’un document qui décrit le monde que nous souhaitons à l’issue des discussions de Rio+20. Le Comité permanent sur l’environnement et le développement durable a recommandé que le Canada fasse le même exercice, c’est-à-dire qu’on se demande : « Quel est le Canada que nous voulons avoir demain? »

Dans le Canada que nous voulons en 2030 — et je vais prendre un exemple un peu différent des changements climatiques —, voulons-nous que l’insécurité alimentaire soit encore un problème? Ou voulons-nous un Canada où la faim a disparu? Si la réponse à ces questions est oui, nous voulons que la faim soit disparue, nous allons tourner notre regard instantanément vers les communautés du Nord, car nous avons des données et nous savons que c’est là où se trouvent les problèmes liés à l’insécurité alimentaire.

Si cela devient notre cible, quelle est l’étape intermédiaire en 2025? Voulons-nous être à mi-chemin, au tiers du parcours, ou voulons-nous que la cible soit atteinte, pour que le problème soit réglé? Quand on se donne un objectif comme celui-là, c’est facile d’examiner alors les coûts, et on peut se rendre compte qu’ils pourraient être extrêmement élevés. Sachant cela toutefois, nous pouvons mobiliser les universités et d’autres acteurs qui ont des connaissances du problème, et leur demander de nous aider à réduire les coûts, car nous avons décidé de régler ce problème. Nous n’en sommes plus à nous demander si nous allons, ou non, le faire. Notre décision est prise.

C’est là toute la force du principe ascendant prévu dans le cadre des objectifs de développement durable et du Programme à l’horizon 2030. L’élan, une fois donné, crée l’environnement pour penser de manière créative à de nouvelles solutions et amener à l’avant-plan des technologies qui existent déjà. Pour en arriver à un approvisionnement énergétique sans combustible fossile dans les collectivités du Nord, il s’agirait peut-être d’élargir l’utilisation des bonnes technologies jusqu’à ce qu’elles deviennent abordables. Quand je dis « abordables », cela ne veut pas dire sur le marché ouvert, mais bien dans le contexte voulant que ces collectivités, dans de nombreuses régions, ont besoin de soutien et d’une façon d’équilibrer leurs conditions de vie pour que les solutions deviennent possibles.

Une fois qu’on y est parvenu, il peut s’agir d’un petit pourcentage de la population qui est concerné au Canada, mais à l’échelle internationale, l’accès à l’électricité et à l’énergie propre est un problème de grande envergure; alors, lorsqu’un concept a fait ses preuves au pays, le Canada peut jouer un rôle de chef de file en proposant ses solutions au reste de la planète.

M. Favaro : À ce sujet, je recommande de regarder ce que nous avons fait très récemment dans le cadre du CanInfra Challenge, un concours de présentation de projets d’infrastructure qui changeraient la donne pour le pays.

Notre projet, appelé IceGrid, portait exactement sur le sujet, et nous avons remporté le concours. Il ne faut pas nécessairement que cela coûte de l’argent. Le Québec, par exemple, s’est doté d’un règlement obligeant les nouvelles maisons à avoir une prise de 240 volts dans le garage. Cela ne coûte que quelques dollars et permet de charger un véhicule électrique dans une période de temps raisonnable. Nous n’avons pas besoin d’une mobilisation générale dans tous les cas; il suffit parfois d’une réglementation intelligente. Un concessionnaire qui vend des véhicules électriques devrait en avoir un dans sa salle d’exposition pour qu’un client puisse l’acheter. Les concessionnaires Chevy n’ont pas toujours un Bolt, leur véhicule électrique, dans leur salle d’exposition. Les règlements peuvent donner de très bons résultats, sans qu’il y ait une mobilisation générale.

M. Jungcurt : Voici une statistique encourageante. Le mois dernier, 8 p. 100 des voitures neuves vendues au Canada étaient électriques. Le Canada se classe au deuxième rang après la Norvège, dont les subventions sont ridiculement élevées. C’est ce qu’on voit actuellement même si le prix des véhicules électriques est très élevé. Nous savons que le prix des batteries diminuera dans deux ou trois ans et qu’il sera à prix comparable. Les choses bougent et les solutions s’en viennent. Il est possible d’agir et de faire des progrès.

Le sénateur Mockler : Quand on regarde les véhicules électriques sur la planète, on constate que la Norvège a plus de véhicules électriques par habitant que tout autre pays. En chiffres absolus, la Norvège a une population de 5 millions d’habitants qui représente 1 p. 100 de la population européenne, possède le plus grand inventaire de véhicules électriques en Europe, et se classe quatrième au monde après la Chine, les États-Unis et le Japon.

Que devrions-nous faire pour encourager l’utilisation des véhicules électriques au Canada? J’aime certaines de vos idées et je m’interroge sur d’autres. Dites-moi également ce que vous pensez des petites centrales nucléaires — le Canada est un chef de file dans ce domaine et le Canada atlantique mène la charge. J’aimerais que vous nous donniez tous les deux votre opinion sur ces sujets, s’il vous plaît.

M. Jungcurt : Je pense que l’approche qui s’est révélée être la plus efficace à l’égard des véhicules électriques est celle de les faire mettre à l’essai par les gens. On appelle cela l’approche du « derrière sur le siège ». J’ignore si vous avez eu l’occasion de conduire une automobile pleinement électrique, mais j’ai constaté que lorsque vous conduisez une automobile électrique pendant quelques heures, vous ne voulez plus rien d’autre. C’est une expérience si différente qu’elle change vos priorités. Vous voyez qu’il y a beaucoup plus à gagner de cette transformation qu’une simple réduction d’émissions.

Pour en revenir à ce que j’ai dit plus tôt concernant les cibles, au chapitre du nucléaire, je préfère ne favoriser aucune technologie au détriment d’une autre lorsque je cherche des solutions. L’ennui, c’est qu’il est parfois difficile d’estimer tous les risques associés à une nouvelle technologie. Ce n’est pas d’hier qu’on discute des risques que présente l’énergie nucléaire et de la façon de gérer les risques résiduels qui font que des catastrophes importantes surviennent parfois. Voici une statistique effrayante — j’ignore qui c’était, mais quelqu’un a dit qu’un accident majeur survient pour chaque tranche de 4 000 années-réacteurs environ, mais lorsque vous divisez ce chiffre par le nombre de centrales nucléaires au monde, vous obtenez 25 ans. Et c’est exactement le nombre d’années qui s’est écoulé entre les catastrophes nucléaires de Three Mile Island, de Fukushima et de Tchernobyl.

On se préoccupe donc de la façon dont on gère les risques résiduels. Si on les compare aux risques associés aux changements climatiques et à la pollution atmosphérique, la pollution générée par les centrales thermiques au charbon affecte beaucoup plus de gens. On peut mettre les choses en perspective, mais c’est une question très difficile à traiter et il ne faut pas l’oublier.

Je ne suis ni pour ni contre ce type de solution et j’encourage la recherche continue dans ce domaine. J’aimerais aussi me pencher sur ce qu’est la réalité du développement de l’énergie et des piles renouvelables. En consacrant le même financement à la recherche, nous pourrions réaliser des avancées plus importantes en adaptant les énergies renouvelables à toutes les situations qu’en essayant de ramener les centrales nucléaires au point de pouvoir réellement réduire un peu le problème.

M. Favaro : Je n’ai rien à ajouter sur la question nucléaire. Je pense que vous en avez fait un excellent résumé.

Je veux vous offrir de vous emmener dans ma Chevrolet Bolt 2012, qui est un véhicule électrique, hybride et rechargeable. Nous vivons à St. John’s, Terre-Neuve, soit une des provinces les moins conviviales au Canada pour les propriétaires de véhicules électriques. Si vous consultez le site plugshare.com pour voir le nombre de bornes de recharge, vous constaterez qu’il n’y en a presque aucune dans notre province. C’est vraiment dommage. Que faire pour promouvoir l’adoption? Je vais vous donner un exemple.

Si je voulais avoir une automobile purement électrique — et non une voiture hybride rechargeable — qui me permette de traverser l’île de Terre-Neuve, il me faudrait acheter une Tesla avec une batterie de 100 kilowatts l’heure, qui coûte environ 130 000 $. Cependant, s’il y avait des bornes de recharge rapide de niveau 3 tous les 200 kilomètres le long de la route, ce qui coûterait au gouvernement quelques centaines de milliers de dollars, nous pourrions acheter une Chevy Bolt à 45 000 $. Il est plus important de consacrer un petit montant d’argent à la construction de l’infrastructure de chargement des voitures que de verser des subventions aux gens pour qu’ils achètent des automobiles électriques, car je reconnais que c’est problématique. Cela fait en sorte qu’il soit plus abordable et plus facile pour une personne d’opter pour ce véhicule que de subventionner l’automobile en tant que telle.

Je me ferai un plaisir de vous donner un tour d’auto si vous venez à St. John’s un jour. Je serai aussi ravi de donner à un quelconque des sénateurs ici présent les données concernant mon véhicule, car nous avons compteur qui enregistre chaque kilomètre parcouru. La température nous permet de savoir quelle fraction de cette distance a été alimentée à l’électricité ou à l’essence. Nous nous promenons à St. John’s où il y a parfois 30 cm de neige et nous pouvons voir les coûts de fonctionnement. Vous constaterez que c’est une technologie vraiment positive et que nombre d’études de marché montrent que lorsque les gens optent pour ce type de véhicule... Je n’achèterais plus de voiture qu’il m’est impossible de charger.

Le vice-président : Nous tenons à vous remercier d’avoir témoigné et d’avoir répondu à nos questions.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-57. Pour la seconde partie, je suis ravi d’accueillir, du Bureau du vérificateur général, Julie Gelfand, commissaire à l’environnement et au développement durable, Andrew Hayes, avocat général principal, et Heather Miller, directrice principale.

[Français]

Julie Gelfand, commissaire à l’environnement et au développement durable, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le vice-président, nous sommes heureux de comparaître devant vous aujourd’hui pour vous faire part de notre opinion sur le projet de loi C-57, Loi modifiant la Loi fédérale sur le développement durable. Je suis accompagnée d’Andrew Hayes, avocat général principal, et de Heather Miller, directrice principale des cadres supérieurs du Bureau du vérificateur général du Canada.

En tant que commissaire à l’environnement et au développement durable du Canada, je me sens investie de la responsabilité spéciale d’aider le comité dans son examen de ce projet de loi. Mes remarques sont fondées sur les travaux d’audit du développement durable menés par notre bureau au cours des 20 dernières années. D’abord, je tiens à dire que nous sommes satisfaits de voir que les modifications proposées visent à établir une stratégie fédérale de développement durable qui permettra d’assortir le processus décisionnel en matière de développement durable d’une plus grande transparence et de l’obligation de rendre des comptes. Auparavant, la loi mentionnait un processus décisionnel en matière d’environnement seulement. Or, le développement durable concerne des processus décisionnels qui intègrent des facteurs économiques, sociaux et environnementaux.

Je m’attends à ce que la Stratégie fédérale de développement durable et les stratégies ministérielles dans ce domaine soient axées sur la mise en œuvre des objectifs de développement durable des Nations Unies jusqu’en 2030. Le Canada s’est en effet engagé à appliquer le Programme de développement durable à l’horizon 2030, et la Stratégie fédérale de développement durable est l’un des meilleurs outils dont dispose le gouvernement fédéral pour y arriver.

Notre bureau était heureux de voir des modifications apportées au projet de loi afin d’autoriser le Conseil du Trésor à élaborer des politiques et à diffuser des directives concernant l’impact des activités du gouvernement sur le développement durable. Nous avions recommandé ces modifications au Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes en décembre 2017.

Nous recommandons que votre comité examine la possibilité de modifier le nouveau paragraphe 10(3) de la loi afin de permettre que tous les comités permanents compétents soient saisis de la Stratégie de développement durable. Nous formulons cette recommandation parce que le développement durable englobe des questions sociales, économiques et environnementales, et concerne une grande diversité de comités, et pas seulement celui qui étudie habituellement les questions liées à l’environnement et au développement durable.

[Traduction]

Notre bureau appuie les modifications proposées, qui obligeront beaucoup plus d’organisations fédérales à définir et à appliquer des stratégies de développement durable et à présenter des rapports annuels à ce sujet. Il s’agit, selon nous, d’une mesure positive en faveur de l’intégration des facteurs liés au développement durable à toutes les activités du gouvernement.

Nous avons aussi été heureux de constater que les entités seraient tenues de contribuer à la rédaction de la stratégie fédérale de développement durable et à l’établissement du rapport du gouvernement fédéral sur les progrès réalisés. De plus, nous sommes favorables à la modification proposée qui obligerait toutes les cibles prévues dans la stratégie à être mesurables et à comporter un échéancier. Cela touche un point que nous avions signalé dans nos rapports antérieurs à ce sujet.

L’objet et les principes supplémentaires proposés dans le nouvel article 5 du projet de loi fourniraient à mes auditeurs des outils qu’ils utiliseraient dans leurs travaux pour demander aux entités de rendre des comptes sur leurs responsabilités à l’égard du développement durable.

Les modifications proposées ne changeront pas mon rôle législatif de suivi des stratégies de développement durable. À l’heure actuelle, je ne connais pas le nombre exact d’organisations que nous devrons auditer. Nous sommes conscients que ce nombre pourrait augmenter de beaucoup. Nous prévoyons qu’il pourrait passer de 27 à peut-être plus de 100 organisations. Le comité devrait savoir que cette augmentation aurait une incidence financière sur le bureau.

Nous avons aussi certaines préoccupations relativement au fait que des modifications corrélatives importantes à la Loi sur le vérificateur général n’ont pas été envisagées, et notre avocat se fera un plaisir de répondre à vos questions à ce sujet, parce que je ne peux pas le faire. Je ne suis pas avocate.

En tant qu’auditeurs, nous sommes favorables à l’idée de renforcer la reddition de comptes à l’égard des résultats. Pour ce faire, la loi pourrait exiger expressément que les administrateurs généraux ou les ministres reconnaissent leurs responsabilités en attestant l’exhaustivité et l’exactitude des rapports sur les progrès de leurs activités en facteur du développement durable.

Une autre façon d’y arriver, qui a fait l’objet de vastes discussions lors de l’examen du projet de loi par le comité de la Chambre des communes, serait d’intégrer l’obligation de rendre compte des résultats liés au développement durable dans les ententes de rendement des administrateurs généraux. Nous notons que l’article sur les contrats fondés sur le rendement du projet de loi actuel serait supprimé avec l’adoption des modifications proposées. Cela laisserait passer une occasion d’utiliser la rémunération au rendement pour exiger des administrateurs généraux qu’ils rendent des comptes.

[Français]

Monsieur le vice-président, je félicite le comité de ses travaux et j’espère que mes suggestions lui seront utiles.

Je termine ainsi ma déclaration d’ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Merci, commissaire. C’est bon de vous revoir. Je remercie vos collègues d’être venus. Vous avez fait le lien entre le projet de loi et sa contribution aux engagements pris par le gouvernement dans le cadre du Programme à l’horizon 2030, et vous avez parlé favorablement de la façon dont ce projet de loi appuiera nos efforts. Nous avons tenu des discussions au cours des audiences précédentes, ainsi qu’avec la ministre il y a quelques jours, sur la question de savoir si le projet de loi en tant que tel reflète suffisamment les objectifs de développement durable du Programme à l’horizon 2030 comme principe, à titre de cadre, ou plus précisément encore comme une série de cibles pour faire en sorte que le lien entre le contenu du projet de loi et les objectifs de développement durable soit plus systématique et plus intimement lié.

Pourriez-vous parler de cette question et dire si vous pensez que le projet de loi est suffisamment étoffé pour être utile au Canada en vue d’atteindre les cibles qu’il s’est fixées dans le Programme à l’horizon 2030?

Mme Gelfand : Vous pouvez aborder la question de deux façons. Vous pouvez inclure les objectifs de développement durable au projet de loi si vous le souhaitez, mais ces objectifs vont jusqu’à 2030. À un moment donné, il vous faudrait les retrancher. Dans sa forme actuelle, le projet de loi me semble assez clair pour ce qui est de respecter les obligations internationales. Pour moi, c’est évident que je peux tenir les ministères responsables de la mise en œuvre des objectifs de développement durable dans ce contexte.

C’est vraiment la question de savoir si vous voulez les inscrire dans le projet de loi pour les enlever plus tard, et si j’en juge par ce que je vois dans le libellé du projet de loi, je crois pouvoir tenir les ministères responsables de la façon dont ils mettront en œuvre les objectifs de développement durable dans le contexte du projet de loi en l’état. Je suis convaincue de pouvoir le faire.

Le sénateur Woo : C’est très clair. Merci.

[Français]

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup, madame, de votre présentation et du professionnalisme dont vous faites preuve, vous et votre équipe.

[Traduction]

Lorsque nous examinons le cadre et la feuille de route pour atteindre les cibles au gouvernement, pouvez-vous nous expliquer les types de recommandations que nous pourrions formuler pour exiger des administrateurs généraux qu’ils rendent des comptes?

Mme Gelfand : Dans mes remarques liminaires, j’ai donné deux options potentielles. La première est que vous pourriez exiger des administrateurs généraux qu’ils attestent l’exhaustivité et l’exactitude de leurs rapports sur les progrès. Dans le cas de nos audits du rendement, nous demandons aux administrateurs généraux d’attester qu’ils nous ont fourni tous les renseignements et que les faits contenus dans l’audit sont exacts. Nous le faisons déjà dans nos vérifications. Vous pourriez l’ajouter au projet de loi.

La seconde option serait celle de lier la rémunération au rendement des administrateurs généraux, ou leurs contrats avec le greffier, à leurs activités de développement durable. Je crois comprendre que l’honorable John Godfrey a milité en faveur de ce point qui s’inscrivait dans la mesure législative originale. Cependant, le gouvernement l’a interprété de façon à ce qu’il porte presque exclusivement sur les activités d’approvisionnement et pas sur toutes les activités.

Je crois que M. Godfrey estimait que cela devrait faire partie du contrat de rémunération au rendement que chaque administrateur général négocie avec le greffier au début de chaque exercice. C’est une seconde façon de faire que nous avons recommandée.

Le sénateur Mockler : Je crois savoir que nous nous penchons sur la question de l’approvisionnement, mais elle ne s’applique plus. Quels sont les autres facteurs? Pouvez-vous être plus précis quant aux autres facteurs que le gouvernement devrait prendre en compte en ce qui concerne ses administrateurs généraux?

Mme Gelfand : Quels autres facteurs?

Le sénateur Mockler : Oui.

Mme Gelfand : C’est difficile pour moi de me prononcer sur ce point. Ce que je dis, c’est qu’un des facteurs qui devraient être pris en compte dans l’entente de rendement des administrateurs généraux avec le greffier est leur contribution aux objectifs de développement durable qu’ils ont inscrits dans leurs stratégies ministérielles de développement durable ainsi que l’atteinte de ces objectifs.

Le sénateur Mockler : Je veux ensuite aborder un autre aspect du projet de loi C-57 ainsi que la surveillance de celui-ci concernant les objectifs que nous voulons nous donner. Je vais parler brièvement du Protocole de Montréal, la première question environnementale mondiale aux conséquences potentiellement désastreuses sur laquelle le Canada s’est penchée. Le Canada a été un chef de file dans le dossier et, en fait, le premier ministre de l’époque, Brian Mulroney, qui était présent pour la signature, a été qualifié du premier ministre le plus écologique au monde.

Le Canada a joué à la fois un rôle scientifique et géopolitique pour traiter avec succès l’appauvrissement de la couche d’ozone stratosphérique avec le Protocole de Montréal, signé en 1987. Il a formé un groupe technologique et déterminé s’il existait une véritable marche à suivre pour éliminer le CFC à l’origine du problème. Je dois avouer qu’à l’époque, les Premières Nations ont participé aux négociations avec les autres intervenants. Dans le programme, le Canada n’a pas imposé de taxe sur les désodorisants; il a plutôt eu recours à une réglementation et à des incitatifs, qui ont fonctionné. Les Nations Unies ont dit que cela avait marché et ont copié le Canada.

Avez-vous des commentaires à formuler concernant la taxe sur le carbone au Canada?

Mme Gelfand : Malheureusement, à ce stade, je ne suis pas préparée à parler de la taxe sur le carbone. Nous en auditerons la mise en œuvre. Le gouvernement fédéral s’est engagé à l’instaurer, et nous l’examinerons dans le contexte d’un audit, mais nous ne l’avons pas encore fait. Je ne peux vraiment pas faire le moindre commentaire à ce sujet.

Le sénateur Mockler : Alors aujourd’hui, nous sommes dans le moment présent. Pensez-vous que nous pouvons atteindre nos objectifs de 2030?

Mme Gelfand : Depuis que je suis commissaire, je n’ai cessé de répéter que chaque audit que nous avons mené montre que le Canada aura beaucoup de travail à faire pour atteindre la cible de 2030. Nous avons aussi procédé à un audit en collaboration avec les provinces et les territoires. Nous avons constaté que nombre d’entre eux n’avaient pas de cible pour 2030. Il sera difficile pour le Canada d’atteindre cette cible, mais nous continuerons de vérifier s’il y arrivera.

Le sénateur Mockler : Je suis d’accord et je pense que vous devriez le faire. Vous avez mentionné qu’il y avait fort à faire. Pouvez-vous expliquer ce que cela signifie?

Mme Gelfand : Le Canada a produit un cadre pancanadien. Les chiffres qui y figurent et ses propres estimations montrent toujours un triangle. Si tous les éléments du cadre sont mis en œuvre, il y aura un écart entre les cibles que nous devons atteindre d’ici à 2030 et le point où ce cadre nous amènera.

Je crois savoir que le gouvernement va mettre en place d’autres mesures qui ne figurent pas dans le cadre pancanadien, comme la Stratégie pour un gouvernement vert, au sujet de laquelle je viens de témoigner devant un autre comité. Je crois comprendre que, par le truchement d’une partie de leurs autres activités, leur plan est d’atteindre la cible de 2030. Mon travail consiste à vous dire s’ils y arriveront ou non et, à ce jour, dans tous nos audits, nous nous préoccupons de la question de savoir si le gouvernement sera en mesure de le faire.

Le sénateur Mockler : Merci. Je regarde un graphique tiré des documents d’Environnement et Changement climatique Canada qui montre les émissions de gaz à effet de serre du Canada de 1990 à 2016. Le graphique me montre qu’ils ont vraiment commencé à diminuer à partir de 2006, 2007 et 2008, et qu’ils ont vraiment baissé de 2014 à 2018. Est-ce exact?

Mme Gelfand : La dernière fois que j’ai fait l’audit des mesures d’atténuation des changements climatiques pour voir si elles réduisaient vraiment nos émissions de gaz à effet de serre, c’était en 2017, si bien que je ne peux pas me prononcer puisque nous n’avons pas examiné ces renseignements.

Le sénateur Mockler : Merci.

Le sénateur Patterson : Merci d’être parmi nous une fois de plus.

J’aimerais poser une question concernant l’article 10.1 de la loi, qui dispose que :

Le Conseil du Trésor peut élaborer des orientations ou directives applicables à l’une ou plusieurs des entités désignées relativement à l’impact sur le développement durable de leurs opérations.

L’autre jour, j’ai posé une question à la ministre concernant les conséquences pour les ministères de ne pas honorer les obligations prévues dans ce projet de loi. Elle a parlé de faire preuve de transparence et mentionné le rôle important que vous jouez pour ce qui est de fournir une évaluation indépendante. À votre dernière visite, vous nous avez dit, à un autre sujet, que les ministères n’honorent pas toujours leurs obligations.

Pourriez-vous nous donner vos vues sur les pouvoirs du Conseil du Trésor dans cette mesure législative? Estimez-vous que le Conseil du Trésor travaillera avec vous à surveiller les ministères qui ne sont pas à la hauteur?

Comment ces politiques ou directives fonctionneraient-elles? Pourriez-vous donner un exemple de la façon dont la politique ou la directive du Conseil du Trésor pourrait influer sur un ministère?

Mme Gelfand : Oui. En fait, nous appuyons l’inclusion de cette disposition dans la loi, principalement parce que le Conseil du Trésor est un gardien. Tout le monde doit passer par le Conseil du Trésor. Tous les engagements et toutes les mesures stratégiques liés à l’argent doivent passer par le Conseil du Trésor, et ce dernier a donc la capacité de forcer les ministères à appliquer ou à observer certains critères, comme l’évaluation environnementale stratégique, par exemple. Il peut indiquer comment les ministères doivent fournir cette information au Cabinet. En fait, nous appuyons ce projet de loi. Nous pensons qu’il fournira une couche supplémentaire.

Je dirais que c’est mieux que cela soit confié au Conseil du Trésor et à un organisme central qu’à Environnement et Changements climatiques Canada parce qu’ils n’ont pas la même influence. Je ne veux pas parler de pouvoir, mais l’ascendant qu’un organisme central peut avoir sur les autres ministères, c’est presque un pouvoir. Nous pensons qu’il s’agit d’une amélioration et qu’il vaut mieux que cela relève du Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor peut établir des directives que les ministères doivent respecter ou rejeter la présentation. Je crois donc que c’est une bonne chose que cela soit entre les mains du Conseil du Trésor.

Pour ce qui est d’assurer le respect de la loi, oui, nous continuerons de faire notre travail de vérification des stratégies ministérielles de développement durable. Nous avons indiqué que nous allions faire beaucoup plus de ce côté. Nous en sommes maintenant à 27. Le sous-ministre vous a dit il y a un jour ou deux que cela allait être étendu à 90 ministères, et qu’il pourrait y en avoir encore plus selon la décision du Cabinet. Cela aura des répercussions sur les ressources, mais nous continuerons de les vérifier. Et nous vous avons suggéré de considérer — ou de prévoir quelque chose en ce sens — la possibilité d’exiger que l’administrateur général approuve l’exactitude de son rapport d’étape sur le développement durable ou de lier sa rémunération au rendement à ses activités de développement durable et à son rendement en la matière.

Voilà autant de moyens que nous pouvons prendre pour nous assurer que les ministères atteignent les objectifs qu’ils se sont fixés dans leur stratégie de développement durable.

Le sénateur Patterson : Cela me semble judicieux, cette idée de lier les salaires à la performance. Est-ce que c’est dans le projet de loi dont nous sommes saisis? Est-ce que vous recommandez que ce soit dans le projet de loi?

Mme Gelfand : Ce n’est pas dans le projet de loi. Ce que nous disons, c’est que vous devriez l’y inclure ou que vous devriez envisager cette possibilité. Il y avait une disposition à cet effet dans l’ancien projet de loi à ce sujet, mais le gouvernement l’a interprété comme s’il s’agissait de quelque chose qui ne portait que sur les activités d’approvisionnement. L’honorable John Godfrey a donc fait valoir l’idée que cela devrait faire partie des ententes de rendement.

Andrew Hayes, avocat général principal, Bureau du vérificateur général du Canada : En 2016, quand l’honorable John Godfrey a comparu devant le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes pour parler de cette même loi, on l’a interrogé sur la disposition de l’article 12 de la loi actuelle concernant les contrats fondés sur le rendement qui sont conclus avec le gouvernement du Canada. M. Godfrey a répondu que cela signifiait que le rendement des fonctionnaires qui occupent un poste supérieur à un certain niveau de gestion ferait l’objet d’une évaluation annuelle. Dans la partie 1 des considérations, il s’agira de savoir dans quelle mesure ils respectent les objectifs de la Loi fédérale sur le développement durable. Je remarque que lorsqu’il a dit « fonctionnaires qui occupent un poste supérieur à un certain niveau de gestion », il ne se limitait pas au sous-ministre. Il aurait aussi bien pu s’agir de hauts fonctionnaires, de sous-ministres adjoints par exemple, mais ce n’est manifestement pas de cette façon que l’article 12 a été interprété.

Le sénateur Patterson : L’article 12 de la loi précédente a été abrogé.

Mme Gelfand : C’est exact.

Le sénateur Patterson : Par le projet de loi C-57.

M. Hayes : S’il est adopté tel qu’il est maintenant, oui, il sera abrogé.

Le sénateur Patterson : Êtes-vous en train de recommander un amendement?

M. Hayes : Nous recommandons d’examiner s’il s’agit d’un outil de reddition de comptes qu’il serait utile d’avoir ou de garder dans la loi.

Mme Gelfand : Nous avons formulé deux recommandations au sujet de la reddition de comptes. D’abord, vous pourriez remettre cette disposition dans la loi en vous assurant que le gouvernement ne la considère pas comme se rapportant uniquement aux activités d’approvisionnement, et en faisant en sorte que la rémunération au rendement soit liée à l’atteinte d’objectifs de développement durable. La deuxième idée que nous avons proposée, c’est que vous envisagiez d’obliger les sous-ministres à approuver que leurs rapports d’étape sur la stratégie de développement durable sont exacts, complets et cetera. Ce sont deux mécanismes de reddition de comptes différents que vous pourriez envisager.

Le sénateur Patterson : D’accord, parce que franchement — je me contenterai de faire une observation —, d’après mon expérience de la machine gouvernementale, les conseils du Trésor sont très bons et efficaces lorsque les ministères demandent de l’argent ou, peut-être, pour approuver des changements en matière de politiques. Sauf que, de façongénérale, ils n’ont pas la réputation d’avoir la capacité d’assurer le suivi et de vérifier comment ces politiques ont été mises en œuvre.

J’ai une dernière question pour vous. Un certain nombre de ministères et d’organismes ont doublé ou triplé de taille. Avez-vous les ressources nécessaires pour faire le travail?

Mme Gelfand : Nous sommes préoccupés par la question des ressources. Cela augmentera la quantité de travail que nous avons à faire dans ce domaine. Le vérificateur général a demandé des ressources supplémentaires, mais je crois qu’il a l’intention de passer pour ce faire par le Comité des comptes publics.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de votre exposé. J’aimerais revenir sur les questions des sénateurs Mockler et Patterson concernant la responsabilisation des administrateurs généraux. Je travaille pour le gouvernement depuis 30 ans et j’ai constaté qu’il y a beaucoup d’employés sous la direction du sous-ministre, des administrateurs généraux, et que nombre d’entre eux ne comprennent pas ce qui doit être fait. Je vais prendre la santé comme exemple. Ils ne font pas ce que le sous-ministre leur dit de faire. Ils cherchent à limiter les coûts plutôt qu’à offrir des soins de santé adaptés à la culture. Il semble donc que vous pénalisez les administrateurs généraux et que vous ne faites rien pour responsabiliser aussi tous ces employés. Est-ce possible? Parce qu’ils continuent de le faire; ils diront qu’ils ont fait telle chose ou qu’ils n’ont pas fait telle chose, et ils continueront à travailler et la même chose se produira. Je pense que c’est ce que vous vouliez dire. Par conséquent, quelles recommandations feriez-vous pour tenir compte de cette dynamique?

Mme Gelfand : Pour ce qui est de responsabiliser l’administrateur général, ce que l’honorable John Godfrey suggérait, c’était de responsabiliser les fonctionnaires à un certain niveau et au-delà. Par exemple, ce pourrait être le directeur général, le sous-ministre adjoint. Cela ne vaut pas seulement pour le sous-ministre. On pourrait abaisser le niveau plancher; la responsabilisation pourrait commencer à l’échelon de directeur, par exemple. Ce serait une façon de le faire.

La sénatrice McCallum : Je parle des employés, des fonctionnaires qui travaillent au niveau du sol. Ils sont nombreux et ce sont eux, en fin de compte, qui déterminent ce qui se produit. Il n’y a pas d’obligations redditionnelles à leur endroit ni aucun pouvoir de sanction qui permettrait de les démettre lorsqu’ils ne respectent pas le protocole.

Mme Gelfand : Je dirais que c’est assez difficile de faire cela dans la fonction publique fédérale.

M. Hayes : Je dirais que la gestion du rendement est un moyen de parvenir à ce genre de responsabilisation. Cela devrait être lié à l’établissement des priorités des aspects du développement durable de la Loi fédérale sur le développement durable, par exemple, et inciter les dirigeants à établir un cadre approprié pour tous leurs employés et à responsabiliser ces derniers par l’intermédiaire de la gestion du rendement.

La sénatrice McCallum : Cela a-t-il donné des résultats?

Mme Gelfand : Dans le domaine du développement durable, non, cela n’a pas fonctionné. Pour être honnête, ces organisations sont énormes. Les organismes du gouvernement fédéral comptent des milliers d’employés. Toutefois, par exemple, je crois comprendre que le greffier a mis l’accent sur les questions de santé mentale, ce qui a touché chaque sous-ministre. Chaque administrateur général était responsable de certains aspects liés aux problèmes de santé mentale, et c’est le genre de chose qui peut se répercuter dans le reste de l’organisation.

On dit souvent qu’il faut donner le ton aux échelons supérieurs. La personne de la haute direction transmet tout ce dont elle est tenue responsable à l’ensemble de l’organisation. Cela ne garantit pas que le commis de première ligne fera ce qu’il faut au bon moment, mais la gestion du rendement est le seul moyen que je connais pour tendre à cela.

La sénatrice McCallum : Si ce sont eux qui dirigent le système, il semble que vous pénalisez les gens de haut niveau, alors que ce ne sont pas eux qui font, mais bien les commis.

Mme Gelfand : Mais ils peuvent exiger que le prochain en ligne atteigne ces objectifs, puis le suivant en ligne peut exiger la même chose du prochain, et cela peut continuer jusqu’en bas. Par exemple, dans le domaine de la santé mentale, vous pouvez vous rendre jusqu’au commis; l’entente de rendement conclue avec leur patron contient quelque chose à cet effet. C’est possible. Je ne sais pas si ça marche. Je ne suis pas un expert en la matière. Nous n’avons pas cette personne autour de la table pour nous le dire.

Le vice-président : Je tiens à informer l’assemblée que la séance d’aujourd’hui sera écourtée, parce que nous allons tenir une séance à huis clos à dix heures moins quart. Il ne nous reste suffisamment de temps que pour quelques questions. Néanmoins, j’en aurais une à vous poser.

C’est au sujet de l’article 5 de la loi, où il est question des principes dont il faut tenir compte dans l’élaboration des stratégies de développement durable. Ceci a été modifié en profondeur pour inclure une liste de valeurs précises à prendre en considération, dont le principe du développement durable, un concept en constante évolution selon lequel l’internalisation des coûts et l’équité intergénérationnelle doivent être prises en considération.

Pouvez-vous nous donner un exemple de la façon dont l’équité intergénérationnelle sera mesurée dans l’élaborationdes stratégies fédérales de développement durable? Quel poids accordera-t-on à cette question, à la lumière de ce facteur et d’autres facteurs concurrents?

Mme Gelfand : Je peux parler de ces principes en général pour dire qu’ils seront transformés en « jargon de vérificateur », en critères en vertu desquels nous pourrons ensuite tenir les ministères responsables. Nous examinerons les diverses définitions de l’équité intergénérationnelle. Selon la définition que nous avons ici, il s’agit de satisfaire aux besoins de la génération présente sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire à leurs propres besoins. Nous allons donc partir de cela pour mettre au point les critères en fonction desquels nous vérifierons les rapports d’étape sur la stratégie ministérielle de développement durable et sur la stratégie fédérale de développement durable.

Il y a les principes de précaution et toute une série de principes autres. Je n’ai pas grandi dans le monde de la vérification, mais mes vérificateurs savent comment prendre ces mots et élaborer des critères précis en fonction desquels nous pouvons évaluer ce que l’on nous rapporte. C’est le travail du bureau de vérification.

Nous avons été heureux de constater qu’il existe dans ce domaine un grand nombre de principes que nous pouvons utiliser comme critères de vérification.

La sénatrice Cordy : Merci d’être là de nouveau. C’est toujours utile d’entendre vos opinions.

Je reviens à ce que vous avez dit au sujet du comité qui devrait procéder à l’examen quinquennal. Je n’ai pas le projet de loi devant moi, seulement le résumé législatif. Voilà ce qui est écrit :

Le projet de loi ajoute à la Loi une nouvelle disposition prévoyant l’examen de celle-ci par un comité parlementaire — soit le comité de la Chambre des communes ou du Sénat qui étudie habituellement les questions touchant le développement durable ou un comité mixte [...]

Ce n’est pas précis. On parle des questions « touchant le développement durable ». Voulez-vous que ce soit plus précis? Pour moi, cela évoque quelque chose de passablement vaste. En fait, lorsque j’ai interrogé la ministre, j’ai pensé que c’était peut-être un peu trop général.

Mme Gelfand : Je dois dire que ce libellé englobe quelque chose d’assez vaste. Dans notre déclaration liminaire, nous proposions de rendre cela très précis — potentiellement plus précis que cela — et de renvoyer la stratégie de développement durable à plus d’un comité. Habituellement, le développement durable est confié au comité de l’environnement, alors qu’il s’agit d’un concept qui englobe des aspects sociaux, économiques et environnementaux. Nous sommes d’avis que la stratégie de développement durable devrait en fait être soumise au Comité des comptes publics, et peut-être aussi au Comité de l’industrie et à celui des affaires sociales. La Stratégie fédérale de développement durable devrait être examinée par un groupe beaucoup plus vaste de comités.

L’idée est de tout intégrer et non d’en faire une question strictement environnementale. Il ne s’agit pas seulement de l’environnement, mais aussi de l’industrie, de l’économie et de l’aspect social.

Nous pensons en fait que nous devrions être plus précis et renvoyer la Stratégie fédérale de développement durable à un plus grand nombre de comités, et pas seulement à un seul.

La sénatrice Cordy : Mais il n’y en a pas qu’un. C’est écrit « touchant le développement durable ». Je suppose que nous discutons de la définition de ce que serait un comité qui s’occuperait du développement durable. J’aime l’aspect englobant dont vous parlez, mais cette définition devrait-elle prendre la forme d’un amendement au projet de loi ou d’une observation? Est-ce que cela devrait faire partie du règlement?

Mme Gelfand : Je suis d’avis que cela devrait faire l’objet d’un amendement au projet de loi. Il faudrait que nous indiquions de façon plus précise à quels comités la Stratégie fédérale de développement durable devrait être renvoyée. Cela devrait comprendre le Comité des comptes publics et les comités de la Chambre et du Sénat chargés des questions économiques, sociales et environnementales. Ce serait la meilleure solution.

La sénatrice Cordy : Merci.

Le vice-président : Je crois qu’il ne nous reste plus de temps pour une deuxième série de questions. Je tiens à vous remercier tous les trois de votre témoignage de ce matin. Merci d’être venus. Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes pour passer à huis clos.

Mme Gelfand : J’ai une dernière observation : il faudrait à tout prix que des gens jettent un coup d’œil aux modifications corrélatives à la Loi sur le vérificateur général. La Loi fédérale sur le développement durable est liée à cette loi et pourtant, il n’y a aucune modification corrélative. Il faudrait que des législateurs se penchent là-dessus.

Le vice-président : C’est noté. Je vous remercie.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page