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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 59 - Témoignages du 8 avril 2019 (séance de l'après-midi)


VANCOUVER, le lundi 8 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 13 h 5, pour étudier ce projet de loi.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez. Je suis une sénatrice du Québec et la présidente du comité. Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter. Nous commençons à ma droite, avec la sénatrice du Yukon.

La sénatrice Duncan : Pat Duncan, du Yukon. Merci.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Paula Simons, du territoire du Traité no 6, en Alberta.

Le sénateur Woo : Bonjour. Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Carignan : Claude Carignan, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La présidente : À ma gauche, voici Mme Maxime Fortin, greffière du comité. À ma droite, nous avons nos analystes de la Bibliothèque du Parlement, Mme Sam Banks et M. Jesse Good. Je vous présente le vice-président du comité, le sénateur MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Nous accueillons maintenant nos groupes de témoins de cet après-midi. Le premier groupe est constitué de Peter McCartney, responsable de la campagne sur le climat du Wilderness Committee, et de Tzeporah Berman, directrice des programmes internationaux de Stand.earth. Vous disposerez de cinq minutes pour faire une déclaration, puis il y aura une période de questions et réponses. Merci beaucoup. La parole est à vous, monsieur McCartney.

Peter McCartney, responsable de la campagne sur le climat, Wilderness Committee : Merci. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de me permettre de témoigner devant le comité pour parler de l’importance capitale d’un processus crédible d’examen environnemental susceptible de rétablir la confiance du public dans les examens effectués par le gouvernement.

Je suis le responsable de la campagne sur le climat de l’organisme Wilderness Committee. Je m’exprime aujourd’hui au nom des 60 000 militants en provenance du Canada et d’ailleurs qui appuient notre organisme et qui comprennent les torts qui ont été causés et qui seront causés à nos milieux de vie et à nos écosystèmes par le cadre réglementaire actuel. Bien que cela ne soit pas important, je précise que notre financement est assuré presque entièrement par des donateurs individuels qui donnent en moyenne 15 $ par mois ou 70 $ en un seul versement.

Aujourd’hui, je souhaite vous faire part de notre expérience de la législation ancienne et actuelle relativement à plusieurs projets auxquels le Wilderness Committee s’oppose dans la province. J’en profite pour faire valoir qu’il est nécessaire que les examens environnementaux favorisent une véritable participation de la population, une transparence accrue, un meilleur processus décisionnel et une évaluation approfondie des répercussions d’un projet. J’estime que le projet de loi C-69 remplit ces objectifs cruciaux. C’est pourquoi je suis en faveur de son adoption.

Personne n’ignore l’existence de luttes féroces à propos de projets controversés en Colombie-Britannique ces dernières années. Les contestations judiciaires et les barrages de protestation sont monnaie courante, signe manifeste que notre cadre ne fonctionne pas. Nous avons besoin d’un processus d’évaluation environnementale exhaustif qui permette d’examiner toutes les répercussions d’un projet au lieu d’un processus conçu pour imposer des conditions à des propositions qui laissent éventuellement à désirer. Croyez-le ou non, nous ne souhaitons pas passer notre temps à lutter contre le développement dans la province, mais il est impératif que les inquiétudes de la population locale soient prises au sérieux.

Il suffit de penser à la saga entourant le projet minier New Prosperity de Taseko à Teztan Biny, ou lac Fish, sur le territoire des Tsilhqot’in. Voilà plus de 10 ans que ce projet représente une menace pour les eaux sacrées du territoire et que nous collaborons avec les Tsilhqot’in pour protéger les eaux. L’organisme de réglementation fédéral a rejeté le projet à deux reprises, mais l’entreprise continue d’essayer de lancer un programme de forages exploratoires en attendant les résultats de l’appel qu’elle a interjeté. Si je ne m’abuse, il y a eu 12 procédures judiciaires, notamment une poursuite frivole pour diffamation intentée contre le Wilderness Committee qui nous a coûté cinq ans et demi de frais juridiques, sans compter le temps consacré par le personnel à ce dossier. La semaine dernière, les Tsilhqot’in ont obtenu une injonction afin que les travaux soient interrompus en attendant une décision de la Cour suprême du Canada. Cette situation ne profite à personne, pas plus les communautés Tsilhqot’in, qui doivent utiliser des ressources qu’elles préféreraient affecter aux services publics, que les investisseurs, qui pourraient réaliser des bénéfices dans le cadre de projets miniers moins controversés.

Le projet de gaz naturel liquéfié Pacific NorthWest est un autre exemple éloquent de projet qui ne valait pas les efforts consentis par tout un chacun. L’entreprise malaisienne Petronas proposait de construire un terminal de gaz naturel liquéfié à l’embouchure de la rivière Skeena, dans le banc Flora, un précieux herbier de zostère qui sert d’habitat à 88 p. 100 des saumons du bassin hydrographique.

Les Lax Kw’alaams ont tout d’abord rejeté à l’unanimité l’offre de 1 milliard de dollars de l’entreprise. Des membres de la communauté ont monté un camp non loin, sur l’île Lelu, afin de repousser les travailleurs venus installer des pieux dans le banc. Si l’entreprise a obtenu les permis nécessaires, c’est parce que l’Agence canadienne d’évaluation environnementale a fait fi des données scientifiques montrant que le projet détruirait l’habitat. Le projet a semé une profonde division au sein de la communauté, et l’entreprise a fini par reculer et par acheminer ses exportations vers LNG Canada.

Il va sans dire que l’examen du projet d’oléoduc et de pétroliers Trans Mountain est l’exemple le plus frappant de l’échec du processus suivi par nos autorités réglementaires actuelles. Le Wilderness Committee mène depuis 2010, avant même la proposition d’expansion, la lutte contre l’acheminement, à des fins d’exportation, de bitume dilué à travers la baie Burrard. La nation Tsleil-Waututh a voté à l’unanimité contre la proposition, peu de temps après son annonce. La même année, le projet de loi fédéral omnibus C-38 retirait à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale la responsabilité des évaluations environnementales pour la confier à l’Office national de l’énergie, un organisme dominé par l’industrie.

C’est en toute bonne foi que le Wilderness Committee a participé à l’examen. Il ne nous a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre que notre participation ne servait qu’à conférer une crédibilité à un processus déficient. Plus d’un millier de personnes, dont un grand nombre de nos membres, ont été exclues de l’examen sous prétexte qu’elles n’étaient pas directement touchées. L’Office national de l’énergie a refusé de prendre en considération les effets des changements climatiques et du transport maritime, même s’il s’agissait des deux principales préoccupations des groupes autochtones et des groupes environnementaux.

De concert avec 34 autres intervenants, nous avons décidé d’abandonner l’examen. Le processus défaillant a immédiatement donné lieu à 19 contestations judiciaires, et la Cour d’appel fédérale a annulé la décision en août. L’opposition suscitée par le projet, renforcée par l’absence d’une évaluation environnementale digne de ce nom, a forcé l’entreprise à vendre la proposition. Je peux vous garantir que des gens feront obstacle à la construction si on cherche à la relancer. Les gens n’agissent pas de la sorte s’ils estiment qu’un projet a fait l’objet d’un examen approfondi et crédible. Ils se tournent vers des mesures désespérées uniquement quand ils sentent qu’on ne les écoute pas.

Le projet de loi C-69 contribuerait à redonner au public confiance dans nos évaluations environnementales. Toutes les parties prenantes devraient appuyer la mesure législative. Elle n’est pas parfaite, mais elle constitue un compromis acceptable. Elle contribuera grandement à la réalisation de bons projets et permettra d’éviter que des propositions mal ficelées débouchent sur des conflits interminables. Taseko Mines, Petronas et Kinder Morgan ont consacré énormément de ressources et de temps, pour finir sans projet. Il aurait mieux valu pour tous les intervenants que les propositions soient évaluées et qu’on trouve des solutions de rechange.

Je vous remercie.

La présidente : Madame Berman, vous avez la parole.

Tzeporah Berman, directrice des programmes internationaux, Stand.earth : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je veux d’abord reconnaître que nous nous trouvons sur le territoire non cédé des Musqueam, des Squamish et des Tsleil-Waututh.

Je suis ici aujourd’hui pour vous exhorter à résister aux pressions exercées par l’industrie pétrolière et gazière pour affaiblir ou carrément faire avorter le projet de loi C-69. Selon nous, le projet de loi n’est pas parfait, mais c’est une amélioration par rapport au processus actuel. C’est une mesure essentielle pour garantir une évaluation adéquate, rétablir la confiance du public et, oui, donner des assurances à l’industrie.

Il nous faut amorcer la discussion en reconnaissant que bon nombre de Canadiens ont perdu confiance dans la capacité du gouvernement fédéral de réaliser des évaluations environnementales justes et équilibrées. Cette perte de confiance se voit dans les manifestations et les contestations judiciaires suscitées par plusieurs évaluations très médiatisées, à la suite des modifications apportées par le gouvernement Harper dans les projets de loi C-38 et C-45, tentative flagrante pour apaiser l’industrie en accélérant le traitement des projets au moyen d’un examen offrant une transparence et une surveillance limitées.

Voilà qui a ébranlé jusqu’à ses fondations la confiance de la population à l’égard de la capacité de notre gouvernement à protéger l’eau propre et la santé de nos enfants. Il semblait de plus en plus que le gouvernement était prêt à faire passer les desiderata de l’industrie pétrolière et gazière avant les preuves scientifiques et les intérêts nationaux. Cette perte de confiance s’est avérée néfaste non seulement pour les institutions gouvernementales, mais aussi pour l’industrie, car tant que les processus d’évaluation donneront régulièrement lieu à des contestations juridiques, il n’y aura pas de certitude pour les promoteurs de projet et leurs investisseurs. Les communautés n’accepteront les résultats que si elles croient de nouveau que de solides processus d’évaluation environnementale reposent sur l’équité et les valeurs communes des deux parties, qui souhaitent toutes deux protéger l’environnement tout en offrant des occasions économiques.

Vous saurez probablement qu’en 2012, le gouvernement précédent a adouci la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, la Loi sur l’Office national de l’énergie et la Loi sur la protection des eaux navigables. Comme Freedom of Information a indiqué dans ses rapports, il a agi à la demande de sociétés pétrolières et gazières afin de tenter de faciliter l’approbation de leurs projets en dépit des préoccupations qu’ils soulèvent.

Dans ce contexte historique, on ne s’étonnera pas que l’industrie pétrolière et gazière organise une campagne aussi forte afin d’empêcher le gouvernement de rétablir la crédibilité du processus d’évaluation environnementale. Je vous exhorte à résister à ces pressions et à plutôt considérer trois priorités qui doivent constituer les fondations d’une solide évaluation d’impact : admettre les droits des Autochtones, assurer la participation équitable et ouverte de la population, et inclure un « test climat ».

Aucun régime d’évaluation environnementale ne peut réussir à moins qu’il ne respecte le titre et les droits des Autochtones. Il a beaucoup été question ce matin du fait que le contexte est très difficile et différent d’autrefois. C’est vrai, mais ce n’est pas parce qu’une démarche est difficile que cela signifie qu’il ne faut pas l’entreprendre. Les tribunaux ont été limpides : si les organismes d’évaluation et la Couronne ne respectent pas leur devoir de consulter les Autochtones, ils révoqueront les permis et les approbations. Au Canada, il faut respecter les droits des Autochtones figurant dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Je laisse aux experts du droit autochtone et aux chefs autochtones le soin de clarifier leurs besoins, mais je veux profiter du temps qui m’est accordé pour indiquer que Stand.earth appuie la reconnaissance des droits des Autochtones dans le projet de loi C-69, ainsi que les amendements que le Conseil des leaders des Premières Nations a proposés ce matin.

Les Canadiens et les Canadiennes veulent avoir leur mot à dire sur les répercussions des projets, qu’il s’agisse de l’impact d’une mine sur leur vie ou de ceux d’un grand projet pétrolier ou gazier sur le climat. Ils se préoccupent de leur qualité de vie et doivent avoir l’occasion de participer au processus afin de déterminer quels projets seront approuvés.

Pour économiser du temps, je vous renverrai à la version écrite de mon témoignage, que je vous ai remise. Je veux toutefois traiter directement de quelques questions relatives à la participation du public.

De 1975 à 2012, le public pouvait participer sans restriction aux processus d’évaluation. À l’époque, seulement deux projets sur des milliers ont été rejetés par les gouvernements conservateurs. Cet accès sans restriction ne nuisait pas à la certitude dans l’environnement d’investissement du Canada. Les organismes savent comment procéder; ils se sont occupés de la question pendant des décennies, jusqu’en 2012.

Stand.earth s’est principalement préoccupé de deux questions, qui concernent toutes deux le processus d’examen des projets d’oléoducs Gateway et Trans Mountain. Le processus d’examen du projet Trans Mountain s’est déroulé en 2012 en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale révisée et la Loi sur l’Office national de l’énergie modifiée. Les audiences ayant eu une portée très restreinte, la participation a été fort limitée, si limitée en fait que de nombreux scientifiques, universitaires et résidants locaux se sont vu refuser le droit d’intervenir, voire de présenter un commentaire sur le projet dans certains cas. Depuis quand est-il correct au Canada de devoir présenter une demande et remplir un formulaire de 11 pages pour pouvoir participer à un processus public, ne serait-ce que pour décider si on peut ou non soumettre une lettre? Le formulaire de demande de 11 pages requis dans le processus relatif au projet Trans Mountain était plus rigoureux que celui qu’on demande aux gens de remplir pour devenir citoyens canadiens. Le processus était donc restreint. Même si les gens étaient autorisés à participer, ils n’avaient pas le droit de procéder à un contre-interrogatoire.

Le projet a soulevé un tollé et a été bloqué. Ce tollé est en grande partie attribuable au fait que l’évaluation environnementale était très limitée et que le processus d’examen était très restreint. Les gens ne peuvent pas faire confiance à un processus qui ne permet pas de se pencher sur toutes les questions relatives à l’environnement et d’assurer une transparence pleine et entière quant aux répercussions économiques et aux décisions qui sont prises.

Le projet de loi C-69, dans sa version actuelle, règle une grande partie des problèmes qui entravent le processus d’évaluation environnementale depuis 2012, éliminant l’essai à l’arrêt et exigeant une participation significative. Il permet ainsi aux citoyens de décider comment ils entendent participer.

Enfin, je veux traiter des changements climatiques. Les Canadiens et les Canadiennes se préoccupent de la question, craignant les risques que l’augmentation dramatique des inondations et des incendies pose pour leurs demeures. La Colombie-Britannique a déjà recensé 19 feux de forêt, alors qu’on est seulement en avril. Nos vies ont changé, le monde a changé, et les changements climatiques effrayants inquiètent bien des gens. Nombreux sont les acteurs de l’industrie qui voudraient que l’industrie puisse continuer d’agir comme par le passé, mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent dans le monde d’aujourd’hui. La population canadienne se préoccupe des impacts des changements climatiques sur sa santé, qu’il s’agisse des chaleurs extrêmes ou de la pollution atmosphérique. Les gens s’inquiètent pour les plantes et la planète qu’ils laisseront en héritage à leurs enfants. Même si ce n’est peut-être pas évident à la une des journaux, les Canadiens et les Canadiennes de toutes allégeances se préoccupent des changements climatiques, comme le montrent d’ailleurs les sondages.

Le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 p. 100 par rapport aux seuils de 2005 d’ici 2030, une cible bien insuffisante que le pays n’atteindra probablement pas avec le train de politiques actuelles, à cause de l’augmentation des émissions du secteur pétrolier et gazier.

Je vous renvoie au rapport intitulé Canada’s Oil and Gas Challenge, que j’ai corédigé avec Environmental Defence pour qu’il soit publié à l’occasion des négociations des Nations Unies sur les changements climatiques, qui se dérouleront en Pologne cette année. Ce rapport montre que si les Canadiens et les Canadiennes de quatre coins du pays font de leur mieux pour réduire les émissions et lutter contre les changements climatiques, tous ces efforts sont réduits à néant par l’augmentation des émissions du secteur pétrolier et gazier. Ce dernier ne veut pas de contraintes, mais de la certitude. Si c’est le cas, il doit pouvoir être concurrentiel dans le monde actuel. Ce matin, nous avons entendu Teck Mining appuyer le projet de loi C-69 parce qu’il pense que ses projets peuvent être concurrentiels avec une évaluation environnementale rigoureuse. Selon moi, toutes les compagnies œuvrant au Canada devraient partager cette opinion. Cela cadre avec les valeurs de notre pays. Voilà les défis que nous devons relever aujourd’hui.

Il ne me semble pas déraisonnable de demander que nous fassions cadrer les évaluations et les décisions relatives aux projets avec nos engagements en matière de changements climatiques. Nous nous sommes engagés à réduire de 80 p. 100 nos émissions d’ici 2050. Nous devons donc diminuer la taille du secteur des carburants fossiles, car on ne peut pas abandonner ce carburant alors qu’on en produit davantage.

L’avenir sera donc différent du passé et les défis seront de taille. Nous devons évaluer ces défis, utilisant les données, faisant preuve de transparence et tenant compte des changements climatiques lors des évaluations environnementales.

J’attendrai la période de questions pour aborder les points soulevés ce matin au sujet du financement étranger et des groupes environnementaux. Je dirais simplement qu’en résumé, si nous voulons protéger l’environnement et l’économie du Canada, réduire le nombre de protestations et de litiges et accroître la certitude, il faut adopter ce projet de loi.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

Sénateur Neufeld, vous avez la parole.

Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup à nos deux témoins de comparaître afin de nous faire part de leurs opinions sur le projet de loi C-69. J’ai une question à laquelle je vous demanderais tous les deux de répondre, si vous le voulez bien.

Si le projet Trans Mountain avait fait l’objet du processus prévu dans le projet de loi C-69, pouvez-vous me dire si on aurait évité les contestations judiciaires, si tout le monde aurait été satisfait et si le projet aurait été de l’avant?

Mme Berman : Nous l’ignorons. Je pense que c’est parce qu’il n’y a pas eu d’évaluation exhaustive de ce projet. Les exigences qu’on propose d’imposer et que de nombreuses personnes jugent absolument nécessaires pour la santé économique du Canada datent de sept ans. Elles s’inspirent d’exigences que même la Chine n’utilise plus, car elle a instauré des politiques pour interdire les automobiles consommant des carburants fossiles, à l’instar de l’Inde, des Pays-Bas et de nombreux autres pays. Nous ignorons donc si ce projet aurait reçu le feu vert s’il avait été soumis à une évaluation rigoureuse et transparente. Je ne pense pas qu’il l’aurait reçu, notamment parce que si nous faisons concorder nos ambitions en matière de climat avec l’approbation des projets, il faut tenir compte du fait que le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat indique qu’il faut réduire les émissions mondiales du secteur pétrolier et gazier de 45 p. 100 d’ici 2040. Si c’est le cas, nous devons réduire les émissions maintenant pour pouvoir assurer la sécurité climatique de la planète. Nous n’avons donc pas besoin d’oléoducs supplémentaires, car nous ne pouvons laisser le secteur des sables bitumineux prendre de l’expansion.

Aucun des groupes avec lesquels je travaille et aucune campagne ne réclament la fin de l’exploitation des sables bitumineux du jour au lendemain, car cela aurait un effet dévastateur sur l’économie canadienne. Nous avons tous des membres de la famille qui travaillent dans le secteur. Ce que nous disons, c’est qu’à l’heure actuelle, nous ne pouvons faire prendre de l’expansion à l’industrie et nous devons assurer la sécurité des communautés et des familles en diversifiant l’économie maintenant au lieu de construire de nouvelles infrastructures pour les carburants fossiles. Merci.

Le sénateur Neufeld : Monsieur McCartney, qu’en pensez-vous?

M. McCartney : Oui. J’ajouterais seulement que je suis convaincu que le projet d’oléoduc Trans Mountain ne cadre pas avec nos engagements en matière de changements climatiques et avec l’économie mondiale, mais voyons ce qu’il en est. Soumettons le projet à un processus scientifique rigoureux d’évaluation environnementale afin de déterminer si cet oléoduc peut ou non exister dans un monde qui respecte ses engagements en matière de changements climatiques. Pour le moment, nous faisons valoir dans les médias que si les sociétés qui exploitent les sables bitumineux ont une place dans un avenir à faibles émissions de carbone, elles devraient nous le prouver. Nous devrions en avoir la preuve scientifique, mais je ne pense pas que ces sociétés l’aient.

Pour ce qui est des procédures judiciaires, il y en aura moins quand une communauté participe au processus et quand on tient compte des espèces menacées d’entrée de jeu. Si des recours sont intentés, je ne pense pas qu’ils réussiront, car les communautés auront participé au processus et à la planification du projet dès le départ. Je pense que c’est dans ce sens que nous devons nous diriger. Merci de votre question.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie tous les deux de comparaître cet après-midi. Nous examinons ce projet de loi, cherchant à concilier les préoccupations relatives à l’environnement et les exigences de l’industrie, tout en incluant les Premières Nations qui ont été laissées de côté par le passé.

Je voudrais traiter de la participation de la population, sujet dont vous avez traité longuement, madame Berman. Des témoins nous ont indiqué que nous devons nous montrer plus restrictifs quant aux personnes qui comparaissent devant le comité. Ces préoccupations que les témoins soulèvent sont-elles fondées, ou considérez-vous que les gens qui sont intéressés, qui participent aux audiences et qui sont des participants actifs feront en sorte que le projet final sera meilleur?

Mme Berman : J’estime que la participation non restreinte du public est un principe fondamental au Canada, et la campagne de peur qui sous-entend que les projets seront bloqués, si nous permettons à la population de participer à une audience publique, ne tient pas la route lorsque nous examinons les données. Les organismes savent comment procéder, et ils l’ont fait de 1975 à 2012. Ce n’est pas tout le monde qui a l’occasion de prendre la parole devant un comité, et ce ne sont pas tous les projets qui seront envoyés à un comité. Ce sera le cas pour certains et pas pour d’autres, mais les gens auront l’occasion d’exprimer leur opinion.

Je crois que la réalité est que ce n’était pas des refus. Si les enjeux deviennent plus controversés et plus complexes, cela ne veut-il donc pas dire que nous devons consulter la population canadienne?

J’aimerais dire une autre chose concernant le projet de loi, parce que je réalise que j’ai oublié d’en parler dans mon exposé, et cela concerne la participation du public et la portée du projet de loi. J’appuie l’amendement qui a été proposé du côté de la Chambre des communes par Elizabeth May, si je ne m’abuse, et qui a reçu l’aval du comité pour que le projet de loi s’applique à l’ensemble des secteurs de compétence fédérale. Il y a encore une fois une grande campagne de peur par certains qui allèguent que le projet de loi ne peut pas s’appliquer à un trop grand nombre de projets.

Je répète que par le passé, soit de 1975 à 2012, le processus d’évaluation environnementale s’appliquait à tous les projets, et je répète que les organismes déterminaient la façon dont cela se déroulait. La portée de l’examen était restreinte dans certains cas. Dans d’autres cas, les examens étaient plus vastes. N’empêche qu’un examen environnemental était nécessaire pour tous les projets. Bref, le projet de loi prévoit un pouvoir discrétionnaire inadéquat pour le ministre, parce qu’il peut faire en sorte qu’une évaluation environnementale n’ait pas lieu. Nous avons vu par le passé le nombre d’évaluations environnementales sous une forme ou une autre passer au pays de 5 000 à environ une liste d’une centaine de projets, et ce n’est pas acceptable. Il n’y avait pas de problème avec notre processus par le passé. Il était bien géré, et je répète qu’en fait durant cette période seulement deux projets ont été refusés.

Je tiens seulement à vous expliquer clairement que je considère comme essentiel l’amendement qui a été proposé en vue de nous assurer que le projet de loi s’applique aux secteurs de compétence fédérale, aux fonds fédéraux et aux terres fédérales.

La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. McCartney : Oui. Au Wilderness Committee, l’essentiel de notre travail consiste à encourager la participation du public à ces processus d’examen. Une grande partie de notre travail vise à aider nos membres à y participer. Je crois que c’est crucial que les autorités se penchent attentivement sur les préoccupations des gens.

Un greffier du Sénat sera en mesure de traiter rapidement une grande partie des lettres ou des demandes reçues, parce que ce sont simplement des gens qui expriment leurs préoccupations au sujet du projet. De temps à autre, il y aura un biologiste sur l’île, que nous n’avons jamais rencontré, qui se manifestera et qui fera valoir un enjeu important auquel nous n’avons même pas encore pensé. Je crois que c’est l’orientation que devra prendre le processus approfondi d’évaluation d’impact. Nous devons entendre ces gens pour nous assurer que nos processus sont exhaustifs.

Si l’industrie s’inquiète que les autorités acceptent qu’un trop grand nombre de personnes participent au processus, je considère cela comme contre-productif. Comme Mme Berman l’a souligné, la participation du public est un élément fondamental du pays. Lorsque des gens s’opposent à un projet ou qu’ils ont des inquiétudes à ce sujet, si nous les excluons d’un processus, leurs inquiétudes et leur opposition ne disparaissent pas. Ces personnes continueront de trouver d’autres manières de se manifester et de s’opposer au projet, et cela cause du tort lorsque cela survient. Cela porte atteinte à la crédibilité de nos examens publics. La population doit avoir confiance que le gouvernement prend des décisions qui sont dans leur intérêt supérieur, et cela mine cette confiance. J’entends des commentaires sur l’Office national de l’énergie et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale qui ne me rassurent pas au sujet des gens qui nous représentent et qui prennent des décisions au pays. Ce n’est pas ce que je veux. Je souhaite que les gens aient confiance en ce processus. Pour ce faire, nous devons prendre au sérieux leurs préoccupations.

Le sénateur Woo : Je remercie les témoins.

Vous avez tous les deux souligné l’importance de tenir compte de la question des changements climatiques dans l’évaluation des projets, et c’est en fait l’un des éléments prévus à l’article 22, soit la mesure dans laquelle le projet contribue à l’engagement du Canada de respecter ses obligations internationales. Toutefois, le gouvernement n’a pas expliqué exactement la manière dont cet élément sera évalué.

J'ai une question. Nous avons un cadre pancanadien de lutte contre les changements climatiques. Comme vous le savez, ce cadre est entré en vigueur la semaine dernière. Bref, nous avons un plan national de tarification de la pollution causée par le carbone qui incite les entreprises et les particuliers à faire ce qui s’impose. Le montant de la taxe augmentera au fil du temps. Nous pouvons nous demander si le prix est suffisamment élevé. Cependant, nous avons un cadre national qui impose une tarification du carbone, ce qui aura une incidence sur les plans des promoteurs. Nous pouvons penser au choix de la technologie, des projets, et cetera. Pourquoi avons-nous besoin d’un autre « test climat » pour les projets quand nous avons un cadre national qui impose une taxe sur le carbone et qui incite l’ensemble de l’économie à collaborer pour respecter nos obligations internationales?

M. McCartney : Nous avons vu au cours des derniers mois que le cadre pancanadien de lutte contre les changements climatiques est fragile. Les engagements que le gouvernement de l’Alberta a pris, en particulier au sujet des sables bitumineux et du plafond de 100 mégatonnes, ont été ignorés, et le plafond n’existe toujours pas. Les politiques provinciales et fédérales en matière de changements climatiques varient d’un endroit à l’autre. Si ces politiques sont suffisantes pour nous assurer de respecter nos engagements, le processus d’examen sera alors assez simple lors de l’évaluation d’impact. Toutefois, si elles ne le sont pas, c’est préoccupant, et nous devons intervenir.

Mme Berman : J’aimerais ajouter une chose. Nous mesurons les émissions au moment où elles ont lieu ou après coup. Cela signifie que les données que reçoit un gouvernement concernent normalement ce qui s’est passé il y a un an. Bref, nos projets « verrouillent » une quantité d’émissions qui ne sont pas considérées.

Lorsque je dis que nos décisions concernant les projets doivent cadrer avec notre plan national de lutte contre les changements climatiques et nos ambitions en la matière, cela veut dire d’évaluer en fait les émissions totales de ce projet et ce que signifient le possible « verrouillage carbone » et les possibles émissions de carbone et de déterminer si cela correspond au cadre pancanadien de lutte contre les changements climatiques. Une taxe sur le carbone ne permettra pas de réduire les émissions découlant de la production dans le secteur pétrolier et gazier à moins que la taxe sur le carbone s’élève à près de 120 ou de 150 $ la tonne dans l’ensemble. Actuellement, cette taxe sur le carbone s’applique seulement à 20 p. 100 des émissions de l’industrie pétrolière et gazière. Pour le dire autrement, la taxe nationale sur le carbone ne s’applique pas à 80 p. 100 des émissions de l’industrie pétrolière et gazière. Voilà principalement pourquoi ce n’est pas suffisant.

Enfin, le gouvernement Obama a imposé un « test climat » au projet Keystone et à d’autres projets d’infrastructure pour inclure le coût social des émissions de carbone et une analyse économique du marché mondial. Actuellement, notre analyse économique à l’Office national de l’énergie tient seulement compte des prévisions concernant la demande en pétrole, si rien ne change, en 2030, en 2040 et en  2050. N’empêche que si notre consommation de pétrole demeure inchangée, nous nous dirigeons vers un monde qui se réchaufferait de cinq ou de six degrés, et la majorité des scientifiques s’accordent pour dire que ce serait un monde inhabitable.

Je ne crois pas que ce soit trop demander de réaliser une analyse économique du marché mondial qui tient compte de la demande en fonction des scénarios où le réchauffement se limiterait à deux degrés, ce qui représenterait un monde habitable. Bref, nous devrions évaluer nos projets en fonction de ce que nous souhaitons que soit la demande. Je conviens que cela demande de faire preuve de leadership, mais c’est ce qui est nécessaire.

Le sénateur Woo : Je vous comprends, et la demande mondiale ne fait pas partie des éléments actuellement prévus à l’article 22. Cela repose seulement sur les engagements du Canada. Si je vous comprends bien, vous dites que, si nous avions un meilleur plan pancanadien de lutte contre les changements climatiques, que toutes les provinces y adhéraient et que nous avions des cibles plus ambitieuses, vous seriez moins insistant — je vous prête des propos —, mais cela vous rassurerait un peu.

Cela m’amène à mon autre question, et c’est une question importante, parce que de nombreux intervenants de l’industrie estiment qu’indépendamment de la manière dont s’appliquera le « test climat », il est impossible qu’un projet gazier ou pétrolier ou un projet de pipeline soit approuvé en raison de ce test. Je vais poser la question inverse. Dans quelles circonstances un projet de pipeline pourrait-il être approuvé compte tenu du « test climat » qui est prévu actuellement à l’article 22 du projet de loi? Dans quelles circonstances un tel projet peut-il être approuvé? L’industrie présume actuellement qu’il est impossible qu’un tel projet soit approuvé en fonction de vos commentaires.

Mme Berman : Je ne crois pas que ce soit vrai en fonction de la façon dont est structuré actuellement le projet de loi. Je crois que cela dépend de ce que le gouvernement fédéral décide de faire concernant les crédits internationaux, et j’aimerais mentionner que nous n’avons pas encore de système à ce sujet. L’article 6 de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques n’est pas encore décidé. Par ailleurs, de nombreuses organisations, notamment Stand.earth, ne sont pas favorables aux crédits internationaux.

Les réductions d’émissions doivent provenir de quelque part. Le gouvernement devra déterminer l’endroit où ces réductions seront faites. Un gouvernement pourrait en toute objectivité décider de permettre une augmentation. Je ne crois pas que cela corresponde au rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, parce que ce rapport nous apprend que nous avons 11 ans pour considérablement réduire nos émissions avant que les changements climatiques deviennent incontrôlables. Bref, durant ces 11 ans, le groupe d’experts affirme que toutes les industries et tous les pays doivent rapidement réduire leurs émissions, et ce, dès maintenant. L’industrie pétrolière et gazière au Canada produit déjà une quantité considérable d’émissions, et c’est en croissance, et c’est sans compter si nous permettons de nouveaux projets. Bref, je ne crois pas que c’est cohérent. Le gouvernement fédéral devra décider s’il souhaite avoir recours aux crédits internationaux ou faire autre chose pour se donner plus de marge de manœuvre dans son cadre pancanadien de lutte contre les changements climatiques, et c’est ainsi que les nouveaux projets seront élaborés compte tenu du projet de loi. Comme je l’ai mentionné, je ne crois pas que le projet de loi soit suffisamment rigoureux. Je crois que nos évaluations concernant les changements climatiques devraient tenir compte de nos objectifs qui visent à en arriver à un scénario d’un réchauffement bien en deçà de deux degrés, mais ce n’est pas ce que prévoit le projet de loi.

Le sénateur Woo : D’accord. Merci.

La présidente : La sénatrice Simons a la parole.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame la présidente.

Je vous remercie de vos réponses honnêtes à mes collègues, les sénateurs Neufeld et Woo. Comme je suis une sénatrice de l’Alberta, je ne suis pas convaincue de votre hypothèse de base selon laquelle nous ne pourrons plus construire de pipelines. Parlons donc de votre autre point, qui est que les réductions des émissions doivent avoir lieu quelque part. Si nous voulons rendre plus vert notre réseau électrique et si nous voulons réduire notre empreinte carbone, nous devrons construire de l’infrastructure, et cette infrastructure s’accompagne de coûts économiques. Les barrages hydroélectriques ont leur propre lot de conséquences économiques. Les centrales nucléaires ont leur propre lot de conséquences économiques, et il en va de même pour les parcs éoliens de grande envergure et la production d’énergie marémotrice.

Ce qui m’inquiète notamment dans le projet de loi C-69, c’est qu’il pourrait être considérablement plus difficile de construire des choses comme des lignes électriques interprovinciales, des barrages hydroélectriques ou des parcs éoliens de grande envergure qui pourraient nuire aux oiseaux migrateurs.

Je tiens à dire clairement que je suis favorable à la construction d’un pipeline, mais je suis aussi d’accord pour construire de l’infrastructure qui nous permet de réduire notre dépendance aux hydrocarbures. Craignez-vous que le projet de loi C-69 crée certains obstacles qui risquent de faire en sorte que ce soit plus difficile de délaisser les hydrocarbures?

Mme Berman : Je crois que c’est une excellente question. Merci.

J’ai commencé dans le domaine des énergies renouvelables il y a plus d’une décennie quand la première ministre Campbell a adopté la première taxe sur le carbone qui s’appliquait à l’ensemble de l’économie, et elle voulait aussi encourager l’essor des énergies renouvelables. Comme nous n’avions ni un processus adéquat ni une évaluation rigoureuse, ce processus était un cauchemar. En fait, nous étions dans le camp inverse durant ce processus et les débats ayant trait à l’hydroélectricité, aux centrales au fil de l’eau et à d’autres enjeux, parce que le processus était terrible. Le processus d’évaluation environnementale n’était pas à la hauteur. Il n’y avait pas de participation du public. L’aménagement du territoire n’était pas adéquat. Bref, les endroits où ces projets étaient prévus étaient aussi controversés que dans le cas des pipelines aujourd’hui.

Je crois qu’il faut un processus transparent et rigoureux en vue d’aller chercher une bonne acceptabilité sociale, parce que le changement n’est pas facile, et nous avons besoin de l’adhésion de la population tandis que nous créons une nouvelle économie.

M. McCartney : La raison pour laquelle le projet de loi est aussi important, c’est que cela permet d’examiner l’ensemble des répercussions et d’évaluer tous les divers impacts d’un projet. Vous ne devriez pas construire un parc éolien au beau milieu d’une voie migratoire empruntée par des oiseaux. Si quelqu’un proposait une telle idée, nous nous manifesterions par écrit pour nous y opposer. Cependant, vous pourriez proposer un meilleur endroit où construire ce parc.

À mon avis, ce qui est vraiment important, c’est que le projet de loi nous fasse réfléchir au meilleur projet que nous pouvons mettre de l’avant et aux avantages. Des compromis seront nécessaires. Toutefois, si des gens ont de réelles préoccupations et que les autorités les prennent au sérieux, cela nous permettra d’avoir de meilleurs projets qui contribueront à lutter contre les changements climatiques.

La présidente : Merci.

Le sénateur Carignan a la parole.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’aimerais connaître votre position à ce sujet. Vous avez parlé d’Obama tout à l’heure. Je trouve ça ironique qu’Obama, qui tenait un discours sur l’environnement, a connu la plus grande augmentation de production de pétrole et de gaz de l’histoire des États-Unis durant son mandat. Je trouve que les actions et le discours ne concordent pas. En tant qu’activiste, croyez-vous qu’on devrait laisser nos énergies comme le pétrole et le gaz sous terre?

[Traduction]

Mme Berman : Merci de votre question, sénateur. Même si je suis d’accord avec le « test climat » qu’a imposé Obama dans la loi, je n’étais pas du tout d’accord avec l’ensemble de son programme environnemental.

Le sénateur Carignan : Merci.

Mme Berman : Il se peut que bon nombre des géants de l’industrie des sables bitumineux affirment maintenant haut et fort qu’ils vont trouver un moyen de décarboniser le pétrole et d’assurer le captage et la séquestration du carbone d’une manière qui est concurrentielle sur le plan des coûts et qui ne présente aucun danger pour l’environnement. Ce n’est pas pour tout de suite. Ils le voudraient bien, et je leur fais confiance, parce que j’estime qu’il y a eu des innovations tout à fait incroyables dans le domaine des sables bitumineux. Est-ce possible à l’heure actuelle? Non, ce n’est pas sécuritaire, et ce n’est pas suffisamment rentable pour pouvoir accroître la production.

Alors, ce pétrole et ce gaz vont-ils rester à tout jamais dans le sol? Je l’ignore. À mon avis, quiconque prétend avoir toutes les réponses à l’ère des changements climatiques est dans l’ignorance. Ces ressources doivent-elles demeurer enfouies dans le sol pour l’instant? Si nous tenons à assurer la sécurité climatique pour nos enfants au cours des 10 prochaines années, je dirais que oui, absolument.

[Français]

Le sénateur Carignan : Croyez-vous également que l’on devrait regarder cet aspect dans une optique mondiale étant donné que l’augmentation des gaz à effet de serre est un problème à l’échelle mondiale? Devrait-on ajouter dans la loi des éléments de mesure sur les effets positifs des projets de gaz à effet de serre dans le monde et pas seulement ici au Canada? Par exemple, on a une énergie de transition qui entraîne une augmentation des gaz à effet de serre ici, mais qui remplace une énergie comme le charbon en Chine, qui est extrêmement polluant. Devrait-on en tenir compte dans l’évaluation environnementale ici au Canada? Bref, devrait-on tenir compte de l’effet de la réduction des gaz à effet de serre comme étant bénéfique d’un point de vue mondial, même si cela amène une augmentation ici au Canada?

[Traduction]

Mme Berman : Merci de votre question, et je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir vous répondre en français. C’est la faute du système scolaire public. Je fais de mon mieux.

Voici la réponse courte à votre question : si l’impact va au-delà des cibles que nous devons atteindre, alors je crois que, oui, nous devons tenir compte des répercussions internationales. Le point de référence pour tous les pays aux prises avec un enjeu d’envergure planétaire, comme les changements climatiques, doit consister à déterminer si chaque pays atteint les cibles qu’il s’est engagé à respecter parce qu’il s’agit d’un problème mondial. Par conséquent, nous ne pouvons pas lutter contre les changements climatiques et évaluer, à l’échelle mondiale, si nous prenons suffisamment de mesures à cet égard pour assurer la sécurité climatique, à moins que chaque pays mette la main à la pâte et s’engage à fournir sa part d’efforts.

La deuxième partie de votre question suppose que le gaz naturel, liquéfié ou non, produit au Canada, par exemple, réduira les émissions dues à la combustion du charbon en Chine. D’après les nombreuses études dont j’ai pris connaissance ces derniers mois, la production accrue de gaz naturel, liquéfié ou non, servait à un moment donné à remplacer le charbon. Or, devant la chute des prix des énergies renouvelables, surtout de l’énergie éolienne et solaire, et l’utilisation accrue des technologies de batteries, même au cours des deux dernières années, nous constatons maintenant que, dans de nombreux pays, le gaz naturel liquéfié et le gaz remplacent les énergies renouvelables.

Je pense donc qu’il s’agit d’une question très complexe. Je ne m’oppose pas à l’idée que cet aspect soit pris en considération par nos organismes et les intervenants du processus d’évaluation environnementale. Au-delà de la question de savoir si un projet nous permet d’atteindre nos cibles, nous devrions, en tant que citoyens du monde, examiner également les répercussions à l’échelle mondiale.

Le sénateur MacDonald : Je voulais que vous répondiez à ces questions, mais je crois que je vais commencer par vous, madame Berman.

On peut déduire de votre témoignage que le monde abandonnera peu à peu les combustibles fossiles au cours des prochaines décennies. Toutefois, ce n’est pas ce que révèle l’information provenant de différentes sources partout dans le monde. En fait, l’Agence internationale de l’énergie prévoit que, d’ici 2040, la consommation de pétrole en Chine augmentera de 4,1 millions de barils par jour et celle en Inde, de 6 millions de barils par jour.

Il faudra bien que ce pétrole vienne de quelque part. Le Canada compte un bien meilleur système réglementaire que la plupart des pays fournisseurs de pétrole, comme le Nigeria, l’Arabie saoudite ou le Kazakhstan. Croyez-vous que le Canada devrait approvisionner ces marchés et, dans la négative, pourquoi?

M. McCartney : Je serais ravi de répondre en premier. Il y a, d’une part, la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement et, d’autre part, les objectifs que la politique climatique doit atteindre. Pour rattraper le retard en matière d’opinion publique, de participation et de demande, la politique climatique ne peut compter que sur la science.

Il y a 10 ans, l’Agence internationale de l’énergie avait prévu une croissance annuelle de 2 p. 100 pour le charbon. Ce que nous avons observé ces deux dernières années, c’est plutôt une réduction de 2 p. 100 de la demande et, maintenant, nous nous attendons à ce que cela stagne au cours des 10 prochaines années.

Nous devons toujours devancer la rondelle, et non la suivre. Si le Canada part de l’hypothèse que le monde va rater toutes les cibles en matière de lutte contre les changements climatiques qui ont été établies, faire échouer l’Accord de Paris et entraîner la destruction climatique à un niveau presque inimaginable, nos efforts seront voués à l’échec. Nous courons ainsi à notre perte sur le plan de l’environnement mondial ou de l’économie. Nous mettons tous nos œufs dans un panier qui est en train de disparaître rapidement.

Je ne pense pas qu’il soit responsable de notre part d’envisager des scénarios de demande en fonction des émissions. D’après les données scientifiques disponibles, je crois que nous devons examiner la vitesse à laquelle les scénarios d’émissions ont changé au cours des dernières années et vraiment tenter de déterminer ce qui se passerait si ces objectifs se concrétisaient à l’échelle mondiale. Nous ne pouvons pas nous permettre de manquer notre coup.

Le sénateur MacDonald : Eh bien, je ne suis pas certain d’avoir obtenu une réponse à ma question.

La présidente : Madame Berman, voulez-vous... Oui, elle souhaite intervenir.

Le sénateur MacDonald : Madame Berman, qu’en pensez-vous?

Mme Berman : Merci.

J'aimerais parler un instant de l’importance de faire preuve de leadership en période difficile parce que c’est, pour moi, l’une des choses dont je suis la plus fière en tant que Canadienne. Je suis d’origine juive et, pendant la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de gens disaient que le Canada ne pouvait rien changer. Ils nous déconseillaient d’envoyer des troupes aux Pays-Bas. Or, il se trouve que ces troupes ont pesé très lourd dans la balance. Nous représentions moins de 0,2 p. 100 de l’effort de guerre au cours de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, nous avons joué un rôle très utile. C’est cela, le leadership.

Le gouvernement est responsable du bien commun. Si le niveau des activités demeure le même ou s’intensifie, la demande mondiale entraînera un réchauffement de 4 à 6 degrés. Le gouvernement du Canada a approuvé les rapports scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ainsi que nos plans et engagements pour aller de l’avant.

Par conséquent, si nous tenons à assurer un monde à l’abri de toute menace climatique, nous devons agir. Il nous faut reconnaître qu’un réchauffement de 4 à 6 degrés ne correspond pas vraiment à un monde fonctionnel. Cela signifie, par exemple, qu’il faut réduire de 50 à 75 p. 100 la production d’aliments sur la planète. Nous devons donc trouver une solution.

Il ne suffit pas de dire que le marché se chargera du problème et que nous avons le droit de livrer concurrence. Parce que le gouvernement... C’est peut-être ce que l’industrie veut faire, parce qu’elle lutte pour sa survie et se rend à l’évidence, mais ce n’est pas acceptable pour le gouvernement. En effet, le gouvernement doit tenir compte du bien commun, et si nous approuvons un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat qui révèle qu’un réchauffement de 4 à 6 degrés rendra inhabitables de nombreuses régions de la planète, nous ne pouvons pas planifier un tel niveau de consommation de pétrole.

Le sénateur MacDonald : Eh bien, là encore, c’est un excellent discours, mais personne ici ne répond à ma question.

La présidente : D’accord.

Le sénateur MacDonald : Le gouvernement a instauré une taxe de 20 $ sur le carbone. Nous savons, d’après l’entente, qu’il nous faut une taxe sur le carbone d’au moins 250 à 300 $ pour respecter ces engagements. Êtes-vous en train de dire que c’est ce que nous devrions faire au Canada? Est-ce là votre solution de rechange? Il n’y a qu’un nombre limité de choix.

Mme Berman : À vrai dire, il y a beaucoup de choix. Nous pouvons réduire les émissions au moyen de la réglementation ou de la tarification. Voilà une connaissance de base. La question qui s’impose est donc la suivante : quels règlements faut-il mettre en place?

Lorsque j’étais coprésidente de l’Oil Sands Advisory Committee en Alberta, dans le cadre du processus de rédaction de règlements, nous avons recommandé un plafond. J’ai quitté ce travail, en partie, parce que la seule façon pour qu’une telle mesure fonctionne — et cela a été prouvé partout au monde —, c’est si le plafond est ensuite abaissé. En effet, les plafonds décroissants entraînent une réduction des émissions.

Ainsi, nous pourrions fixer un plafond sur la production pétrolière et gazière, puis l’abaisser en fonction de nos objectifs pour 2050. Ce serait une façon de s’y prendre. Nous pourrions réglementer les émissions de l’industrie d’une manière différente, au lieu de recourir simplement à la tarification. Nous pouvons imposer un prix, tout en adoptant des règlements destinés à limiter les émissions.

Il y a donc plusieurs façons de réduire les émissions et, en fait, dans beaucoup d’endroits, la réglementation a permis de réduire les émissions plus rapidement qu’une taxe. L’application d’une taxe est, en quelque sorte, le moyen le plus élégant de procéder, du point de vue économique, et c’est pourquoi les économistes adorent cette approche. Toutefois, je crois que nous avons vu que c’est une mesure politiquement inacceptable qui ne parvient pas à réduire les émissions autant qu’il le faudrait pour assurer la sécurité climatique.

Cela signifie que nous devons, comme le diraient les économistes, couper avec les deux côtés des ciseaux. Vous ne pouvez pas simplement réduire la demande, sans tenir compte de l’offre, parce que cela entraînera le blocage du carbone dans le système. Nous savons déjà que la quantité de pétrole, de gaz et de charbon en production ou en construction à l’échelle mondiale est suffisamment élevée pour nous amener au-delà de la limite d’une hausse de deux degrés, si l’on tient compte uniquement du carbone. Il y a assez de chantiers en exploitation à la surface de notre planète, à tel point que si tout était en feu, le monde entier dépasserait les seuils de la sécurité climatique. Aucun nouveau projet d’exploration ou d’infrastructure n’est viable à ce stade-ci de notre histoire, en l’absence de progrès importants au chapitre de l’innovation technologique et du coût lié au captage et à la séquestration du carbone, si nous tenons à accorder la priorité à la sécurité climatique. Voilà l’essentiel.

Le sénateur MacDonald : J’ai une petite question à vous poser. La Chine et l’Inde produisent plus de 40 p. 100 des émissions dans le monde.

Mme Berman : Oui.

Le sénateur MacDonald : Ces deux pays brûlent beaucoup de charbon. S’ils parvenaient à se débarrasser de toutes ces émissions en optant pour l’énergie nucléaire, seriez-vous en faveur de l’énergie nucléaire en Chine et en Inde pour l’élimination de ces émissions et la transition vers une industrie sans émission?

Mme Berman : Eh bien, tout d’abord, je crois qu’une évaluation de la question de savoir si l’énergie nucléaire est nécessaire pour réduire les émissions de carbone dépend de l’échelle, du taux et du coût de mise en œuvre de l’énergie renouvelable en cause. D’après les études que j’ai consultées dans ce dossier concernant les deux pays, il est possible de construire des infrastructures d’énergies renouvelables à grande échelle plus rapidement que des centrales nucléaires afin de réduire les émissions de carbone. Ma réponse serait donc non. Je crois que la priorité doit être accordée aux émissions de carbone.

Toutefois, le contexte plus général de votre question me ramène, encore une fois, à ce que j’ai dit au début de notre conversation, c’est-à-dire le leadership. La Chine et l’Inde ont appuyé le Protocole de Montréal. Nous avons interdit les CFC. Nous avons stoppé l’agrandissement du trou dans la couche d’ozone grâce aux efforts du Canada, parce que nous avons été les premiers à dire « oui ». Voilà où nous en sommes dans l’histoire.

Les autres pays nous emboîteront-ils le pas si nous nous désengageons, sachant que le Canada est un pays riche qui a la capacité de diversifier son économie, et reconnaîtront-ils la nécessité de restreindre la production? Je crois que oui. Beaucoup d’autres personnes sont du même avis. Voilà donc ce qui s’impose. Il faudra faire preuve de leadership. C’est ce qui caractérise la période que nous traversons. N’eût été l’intervention du Canada, il y aurait toujours des trous de plus en plus grands dans la couche d’ozone. Le changement social n’est pas linéaire; nous savons cela. Nous cherchons à atteindre le point de bascule et, à l’heure actuelle, nous cherchons à faire acte de courage.

La présidente : Merci beaucoup.

Sénateur Patterson, vous avez la parole.

Le sénateur Patterson : Merci, madame la présidente. J’aimerais interroger les deux témoins au sujet des critères de sélection.

Monsieur McCartney, vous avez parlé de l’importance de s’assurer que les inquiétudes de la population locale sont entendues et, comme vous l’avez dit, prises au sérieux. Toutefois, le projet de loi C-69 ne vise pas à éliminer les critères de sélection qui, d’après ce que nous avons entendu dire, pourraient faire oublier les inquiétudes de la population locale, au profit d’autres intérêts. Compte tenu de ce que vous avez mentionné aujourd’hui sur l’importance des inquiétudes de la population locale, avez-vous l’impression que les organismes de réglementation devraient au moins accorder la préférence et la priorité aux représentations de ceux qui sont directement touchés?

M. McCartney : Merci de poser cette question. Je la trouve très pertinente.

Nous voulons une véritable participation de la population à toutes les échelles. Quelqu’un qui vit à l’autre bout du pays et qui n’est pas touché par la province ou par le projet doit tout de même être entendu, mais il pourrait écrire une lettre, au lieu de prendre la parole devant un comité. Les inquiétudes de la population locale devraient être une priorité, mais sachant que ces projets ont des répercussions bien au-delà de leur site réel, nous devons tenir compte des préoccupations de tout un chacun.

Le sénateur Patterson : Si j’ai bien compris, vous dites qu’il faudrait qualifier les critères de sélection ouverts en accordant la préférence aux gens de la région dont le témoignage est important.

J’aimerais savoir ce qu’en pense Mme Berman. Je viens du Nunavut, et nous tenons à prendre des décisions par nous-mêmes en raison de l’environnement et de l’histoire uniques de notre territoire. Les représentants d’organismes de réglementation du Nunavut nous ont dit qu’ils veulent avoir l’occasion d’écarter les témoignages qui sont redondants ou qui manquent de pertinence, même si tout le monde est invité à présenter un mémoire.

Je viens de jeter un coup d’œil au projet d’accroissement de la capacité de la canalisation 9-B d’Enbridge. Il y a eu 177 demandes d’intervention, et seules 8 ont été refusées. L’une des demandes provenait d’une femme qui vivait loin de la région touchée et qui disait que le pipeline était « une insulte à son sens du sacré ». Je me demande si vous croyez que les mémoires de ce genre devraient être admissibles.

Mme Berman : Je n’ai pas lu tout le mémoire de cette femme en particulier, alors je ne peux pas vous répondre. Cependant, j’ai rencontré beaucoup de gens, en particulier des dirigeants autochtones ainsi que de nombreuses personnes de toutes sortes de confessions religieuses qui croient que ces projets interfèrent avec leur religion dans le contexte historique actuel et qu’ils sont une abomination pour ce qu’ils considèrent comme étant sacrés. Maintenant, à savoir si ces points de vue devraient être pris en compte, je ne sais pas. Je ne suis pas l’organisme.

Étant donné la feuille de route de nos organismes, j’estime qu’ils sont tout à fait en mesure de gérer la participation du public, de concepteurs professionnels et d’autres intervenants de différents horizons, et de veiller à ce que les gens se fassent entendre, notamment les organismes considérés comme prioritaires. Dans cette optique, je pense qu’au lieu de rester assis ici à essayer de trancher à ce propos ou d’adopter un concept général faisant la part belle au pouvoir discrétionnaire dans le but d’éliminer des gens, nous devons permettre à ces organismes de continuer à faire ce qu’ils font — et qu’ils font bien — dans ce pays depuis des décennies.

Je vais vous donner un exemple. J’ai trois diplômes et il y a quelques années, l’Université de la Colombie-Britannique m’a décerné un doctorat honorifique pour saluer ce que j’ai fait en politique environnementale au cours de mes 30 ans d’expérience. J’ai écrit plusieurs livres. Je suis enseignante auxiliaire à l’Université York et je travaille dans le domaine de la politique environnementale au Canada depuis 30 ans. J’ai demandé à me faire entendre lors des audiences sur le projet Trans Mountain. Si j’ai fait cette demande, c’est aussi en raison de l’expérience de travail en matière de changement climatique que j’ai pu cumuler dans plus de 15 pays et de ma prestation à titre de conseillère sur les changements climatiques auprès de trois différents gouvernements provinciaux. Malgré cela, j’ai été refusée parce que je n’étais pas considérée comme étant une experte ou parce que je n’avais rien à dire à l’ONE à ce sujet.

Le sénateur Patterson : Si je vous comprends bien, vous dites que les organismes de réglementation qui fixent la pertinence des mémoires devraient mettre la pédale douce en ce qui a trait au critère de pertinence tous azimuts?

Mme Berman : Non. Ce que j’ai dit, c’est que j’appuie ce projet de loi sans amendements en ce qui concerne la participation du public.

La présidente : Dernière question, sénateur Mockler.

Le sénateur Mockler : Le Canada ne représente que 0,5 p. 100 de la population mondiale et compte pour 2 à 2,5 p. 100 du PIB mondial. Il n’y a donc aucun doute dans mon esprit : la contribution des Canadiens est supérieure à ce que l’on pourrait attendre d’eux. J’entends ce que vous nous dites et j’ai entendu les autres observations qui ont été formulées. J’aimerais bien que vous veniez dans le Canada atlantique pour discuter de cela avec mes concitoyens.

Cela dit, j’aimerais vous signaler que j’estime que quelque chose ne va pas, et je veux vous dire qui je suis. J’ai servi la population du Nouveau-Brunswick pendant un peu plus de 24 ns à l’Assemblée législative de cette province, et je suis un partisan des données et consultations scientifiques. Aussi longtemps que nous tiendrons compte des données scientifiques et de l’importance de mener des consultations appropriées, les Premières Nations devront être consultées et les parties concernées aussi.

Parlant de taxes, dans ma région du Nouveau-Brunswick, un litre d’essence coûte actuellement 1,29 $. À mille pieds de chez nous, aux États-Unis, il y a une différence de 0,33 $. Pendant la période où Keystone a d’abord été approuvé, puis bloqué et éventuellement rejeté par l’ancien gouvernement, huit projets équivalents à Keystone XL ont été réalisés aux États-Unis.

J’ai ici une lettre du Conseil des premiers ministres de l’Atlantique. On y fait état d’une lettre qui a été envoyée au premier ministre du Canada, disant que le projet de loi C-69, tel qu’il est actuellement rédigé — en ce qui concerne la portée et la compétence proposées des évaluations environnementales fédérales au Canada —, ne permettra pas d’atteindre le double objectif de protection environnementale et de croissance économique.

Selon votre expérience, êtes-vous pour les pipelines ou pour le développement économique des ressources naturelles d’un océan à l’autre, et pas seulement dans une partie du Canada?

Mme Berman : Je suis Canadienne et j’ai eu l’occasion de vivre dans de nombreuses régions du pays. J’ai grandi en Ontario. Beaucoup de membres de ma famille travaillent en Alberta. Je vis maintenant en Colombie-Britannique. Je crois que le Canada a besoin d’une économie très forte, surtout pour faire face à l’avenir. Nous ne pourrons pas faire disparaître les changements climatiques à coups de baguette magique. Nous allons devoir faire face à une hausse des coûts d’assurance, et des milliards de dollars sont actuellement dépensés pour composer avec les répercussions des changements climatiques, et ce, au degré d’intensité auquel nous sommes déjà confrontés. Donc, oui, nous avons absolument besoin d’une économie forte.

Cela dit, d’après ce que j’ai entendu ce matin, il s’agit d’une question qui ressemble un peu à celle de tirer sur le messager. Le fait est que les sables bitumineux sont en difficulté parce qu’ils sont parmi les ressources pétrolières les plus coûteuses et les plus riches en carbone de la planète. C’est pourquoi Total, Shell et Statoil ont fui les sables bitumineux au cours des 24 derniers mois. Bien entendu, c’est une chose qui ne fait pas plaisir à entendre. Je sais que c’est difficile à prendre et que cela va provoquer d’énormes changements au Canada. La construction d’un autre pipeline ne résoudra pas ce problème. Pendant plusieurs années, on nous a dit que la construction d’un autre pipeline allait nous permettre de combler l’écart. Or, vous avez peut-être remarqué que l’écart a disparu et que nous n’avons pas construit de pipeline. Le fait est que les marchés sont compliqués et que notre pétrole coûte cher à raffiner, ce qui nous place dans une situation désavantageuse à l’échelle mondiale.

Or, le fait d’affaiblir notre Loi sur l’évaluation environnementale et de lésiner sur la participation du public n’y changera rien. Ce qui va changer la donne, c’est de regarder ces questions difficiles bien en face et de planifier pour l’avenir. Cela signifie qu’il faut diversifier l’économie. Imaginez si les 10 milliards de dollars que notre gouvernement a dépensés et qu’il va dépenser pour le pipeline Trans Mountain — c’est ce qu’il affirme — avaient été employés pour soutenir et faire progresser d’autres industries où nous savons que nous avons un avantage concurrentiel. Imaginez ce que ce serait si cet argent était investi dans nos infrastructures d’électrification et dans nos lignes de transport, ou pour développer l’industrie de la haute technologie, l’industrie des technologies propres, l’industrie cinématographique ou le secteur agricole...

Le fait est que notre pays est confronté à des questions difficiles, mais que ces questions ne seront pas résolues par une seule industrie. Les solutions devront venir d’un effort collectif et général, et c’est là-dessus que nous devons miser.

La présidente : Merci.

Monsieur McCartney, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. McCartney : Oui, j’allais répondre à cela aussi. J’ai pensé que la question s’adressait à nous deux.

Je viens de l’Alberta et là-bas, on reconnaît désormais que c’était une mauvaise décision en matière de planification et de politique publique que de compter autant sur une seule industrie. Lors des dernières élections, nous avons entendu parler davantage de diversification. Le Canada doit montrer la voie et être le premier pays à avoir une économie faible en carbone. Nous sommes le pays qui peut le faire. L’Alberta est l’endroit le plus ensoleillé et le plus venteux du Canada, et nous pouvons fournir de l’énergie renouvelable aux États-Unis. Le fait d’être les premiers à opter pour une économie à faible émission de carbone sera beaucoup plus avantageux que d’essayer de s’accrocher à une industrie qui, à mon avis — et je pense que la science le démontre —, n’a guère d’avenir.

La présidente : Sur ce, merci beaucoup d’avoir été des nôtres.

Chers collègues, pour notre dernier groupe d’experts à Vancouver, nous accueillons, de la Resource Municipalities Coalition, M. Rob Fraser, coprésident, maire du district de Taylor. De l’Institut Fraser, nous entendrons M. Bruce Pardy, agrégé supérieur de recherches et professeur de droit à l’Université Queen’s, et de FortisBC, nous recevons M. David Bennett, qui est directeur des Communications et relations externes. Donc, vous pouvez procéder, selon la personne qui souhaite parler en premier, et ensuite, nous passerons à la période de questions.

Rob Fraser, coprésident, maire du district de Taylor, Resource Municipalities Coalition : La Resource Municipalities Coalition remercie le Comité sénatorial de l’énergie et l’environnement de l’occasion qui lui est donnée de parler d’une question vitale pour l’économie du Canada.

Nos observations d’aujourd’hui visent principalement à vous exposer dans son contexte notre point de vue sur certains aspects du projet de loi C-69 et sur les conséquences possibles et imprévues que ce projet de loi pourrait avoir sur l’économie canadienne et sur la confiance des investisseurs de partout dans le monde.

Ces dernières années, l’édification d’un avenir durable pour l’ensemble des Canadiens a subi les contrecoups des examens de la réglementation et des processus entrepris par le gouvernement fédéral, examens qui ont contribué à renforcer cette réputation qu’a le Canada d’être un pays réfractaire au développement des industries et des infrastructures. Le fardeau de la réglementation gouvernementale a fait en sorte que les investisseurs lèvent le nez sur les possibilités qui s’offrent ici, une situation qui fait que le Canada se classe désormais au 54e rang mondial des pays où investir. Cette tendance s’est confirmée en 2017 avec un désinvestissement de l’ordre de 7,4 p. 100 de Royal Dutch Shell et ConocoPhillips, un mouvement de capitaux qui a fait en sorte que les investissements étrangers ont été réduits à 162,2 millions de dollars. C’est une tendance préoccupante, compte tenu de la richesse du Canada sur le plan des ressources naturelles, de notre avantage concurrentiel au sein du système énergétique mondial interdépendant et intégré, et du fait que 32 p. 100 du PIB du Canada dépend de l’activité industrielle.

Des municipalités du secteur des ressources naturelles de partout au Canada — nous ne les représentons pas, mais nous croyons que nous tenons compte de leurs intérêts — n’ont pas réalisé leur potentiel en raison de l’échec de projets qui auraient soutenu la croissance économique au chapitre des emplois et des revenus, ces revenus qui soutiennent les soins de santé, l’éducation et les programmes sociaux dans nos collectivités. La non-réalisation de projets comme celui du gaz naturel liquéfié de Pacific NorthWest LNG et celui de l’oléoduc Énergie Est de TransCanada a fait perdre environ 50 milliards de dollars d’investissements à l’économie canadienne. Or, le projet de loi C-69 risque de compliquer davantage le processus, d’accentuer le déclin de la compétitivité du Canada et de décourager les investissements étrangers.

Nos municipalités du secteur des ressources naturelles ne peuvent appuyer le projet de loi sur l’évaluation d’impact, car nous croyons que ce projet de loi ne parvient pas à moderniser la loi existante qu’il était censé remplacer. Cela ne semble pas raccourcir la durée du processus d’examen et pourrait créer des incohérences en ce qui a trait aux facteurs à prendre en considération. Nos observations de ce matin mettent l’accent sur trois d’entre elles.

La première a trait au paragraphe 17(1), où il est question des prérogatives du ministre. Le pouvoir discrétionnaire supplémentaire que l’article 17 accorde au ministre de l’Environnement d’interdire à l’agence de procéder à une évaluation en fonction de sa seule opinion pourrait faire en sorte que le processus devienne un exercice politique plutôt qu’administratif.

Le paragraphe 18(4), qui porte sur la prorogation du délai par le gouverneur en conseil, permet au gouverneur en conseil d’accorder un certain nombre de prorogations fondées sur les recommandations du ministre. Encore une fois, on a affaire à quelque chose qui pourrait être motivé par des raisons politiques. Les prorogations répétées peuvent donner lieu à des processus décisionnels longs et coûteux, et ainsi décourager davantage les investisseurs potentiels.

En ce qui concerne l’article 119, où il est question du savoir autochtone, le ministre doit, par écrit, justifier sa décision. Toutefois, cette décision peut être fondée sur des connaissances autochtones présentées à titre confidentiel au cours du processus d’examen et qui, à ce titre, ne peuvent jamais être divulguées sans le consentement écrit d’un ministre. Étant donné le manque de clarté quant à la façon dont le savoir autochtone pourrait être utilisé dans le processus décisionnel, il semble que le ministre disposera d’un moyen de ne pas divulguer toute l’information qui sous-tend sa décision.

L’article 119 laisse entendre que l’on pourrait accorder beaucoup d’importance à certains renseignements, mais sans fournir de processus de vérification transparent. Étant donné qu’aucun autre demandeur ne bénéficie de ce privilège procédural et que le principe d’une audience est de faire en sorte que tous les participants soient traités sur un pied d’égalité, le fait que le savoir autochtone puisse être utilisé comme preuve sans processus de vérification est un déclencheur évident de litiges, ce qui, encore une fois, risque d’augmenter la durée de l’évaluation et de miner la confiance à l’égard du processus.

Étant donné que l’essoufflement de la croissance mondiale et les considérations en matière d’investissement reposent en partie sur le fardeau de la réglementation gouvernementale, le fait que le processus d’évaluation décrit aux termes du projet de loi C-69 soit perçu comme étant vague, long, coûteux et potentiellement motivé par des enjeux politiques pourrait nuire encore davantage à notre compétitivité.

La coalition reconnaît l’intention du projet de loi C-69 et l’importance d’élaborer un système d’évaluation d’impact et de réglementation sur lequel les Canadiens et les investisseurs pourront compter, un système qui protégera notre environnement et améliorera la santé et la sécurité des Canadiens tout en améliorant notre compétitivité à l’échelle internationale. Or, à notre avis, dans sa forme actuelle, le projet de loi C-69 diminue la compétitivité du Canada dans le monde.

Merci.

La présidente : Monsieur Pardy, vous avez la parole.

Bruce Pardy, agrégé supérieur de recherches, professeur de droit, Université Queen’s, Institut Fraser :

Si ce projet de loi était adopté et que vous aviez des millions de dollars à investir dans un projet, iriez-vous au Canada? Viendriez-vous dépenser cet argent et des années de votre temps à sauter dans les cerceaux d’un cirque politique? Accepteriez-vous que le gouvernement fédéral puisse faire une analyse sexospécifique de votre projet, vous accuser des changements climatiques mondiaux et vous utiliser comme chair politique auprès de militants déterminés à empêcher tout développement, peu importe les avantages? Je sais ce que je ferais. Si ce projet de loi était adopté, en tant qu’investisseur, je m’enfuirais aussi vite que possible vers un autre pays qui veut vraiment de mon argent.

Avec ce projet de loi, notre propre gouvernement semble déterminé à empêcher notre propre prospérité. Ou peut-être pense-t-il que la prospérité du Canada est inévitable ou naturelle, et qu’elle se produira, peu importe les obstacles qu’il mettra en travers de sa route. Ce projet de loi est insensé. Il manque de vision et il est naïf. La prospérité du Canada est le résultat de circonstances historiques, d’un peu de chance, du travail acharné de nos ancêtres et de quelques principes d’organisation. Je parle ici de la prévisibilité de nos lois, du traitement équitable que ces lois permettent ainsi que d’une ouverture au commerce et à la concurrence.

Le projet de loi C-69 mine tout cela. Il crée de l’incertitude. Il est discrétionnaire. Il est basé sur des intentions politiques. Il est hostile au commerce. Je n’essaierais pas de le réparer. Je le jetterais à la poubelle. Nous avons déjà une loi sur l’évaluation. Elle n’est pas parfaite. Elle comporte des lacunes inhérentes à l’évaluation environnementale. Elle est elle aussi une coquille vide. Elle n’est que procédures. En revanche, elle fournit un minimum de prévisibilité. L’Office national de l’énergie, que le projet de loi C-69 éliminera, est, à tout le moins, un organisme quasi indépendant qui possède une expertise et une éloquente feuille de route.

Si vous voulez vraiment rectifier l’évaluation environnementale, promulguez des règles, de vraies règles, des règles de fond, des règles avec du contenu. Lorsque vous construisez un pipeline, quels types d’impacts environnementaux ne sont pas permis? Si vous aviez de telles règles, tout pipeline qui se conformerait à ces règles serait autorisé, et tout pipeline qui ne s’y conformerait pas serait interdit. Si vous aviez des règles, vous n’auriez pas besoin d’une évaluation environnementale. C’est la réticence au fait d’avoir des règles qui rend l’évaluation environnementale nécessaire. C’est comme si on essayait de codifier le crime organisé. C’est une invitation à argumenter sans fin et à débattre à grands cris pour déterminer les valeurs de qui prévaudront dans telle ou telle circonstance. Ce n’est pas ainsi que fonctionne une économie de marché. Ce n’est pas ainsi que la primauté du droit est censée fonctionner. Ce n’est pas une façon de bâtir un pays prospère.

Merci.

La présidente : Merci.

Monsieur Bennett, la parole est à vous.

David Bennett, directeur, Communications et relations externes, FortisBC : Merci, madame la présidente, merci, chers membres du comité, de l’occasion qui m’est donnée de m’adresser à vous à propos de la partie du projet de loi C-69 qui traite de l’évaluation d’impact.

FortisBC achemine environ 21 p. 100 de l’énergie consommée en Colombie-Britannique, c’est-à-dire plus que toute autre organisation de la province. Nous livrons du gaz naturel, de l’électricité et, de plus en plus souvent, d’autres formes d’énergie. Nous exploitons deux installations de stockage du gaz naturel liquéfié et sept centrales hydroélectriques. Nos 2 200 employés et plus servent près de 1,2 million de clients établis dans 135 collectivités de la Colombie-Britannique. Nous prenons très au sérieux nos obligations envers le public et la responsabilité que nous assumons en nous assurant de livrer de l’énergie d’une façon sécuritaire, fiable et soucieuse de l’environnement à toutes les collectivités que nous desservons.

Les intentions de la mesure législative du gouvernement coïncident avec les valeurs opérationnelles principales de FortisBC. Dans de nombreux cas, ses dispositions décrivent la démarche que nous entreprenons actuellement pour gérer, en général, notre relation avec l’environnement et les collectivités que nous desservons.

Dans le cadre du projet de loi C-69, le gouvernement fédéral a exprimé son intention d’améliorer le régime lié à l’environnement et à la réglementation afin de favoriser la compétitivité du secteur des ressources, une forte croissance économique et la construction de projets valables.

La prise de nouveaux règlements qui auront pour effet d’accroître la confiance du public à l’égard des protections environnementales contribuera à attirer des investissements au Canada. Cependant, selon nous, cela représente seulement une partie du défi à relever. Les promoteurs de projets doivent savoir que les processus d’approbation seront non seulement robustes et fiables, mais qu’ils se solderont par des décisions claires et rapides.

FortisBC appuie les amendements que l’Association canadienne de l’électricité a soulignés dans le mémoire qu’elle a présenté au comité le 21 février.

FortisBC croit que, sans l’adoption d’amendements raisonnables et constructifs, la mise en œuvre de la version actuelle de la LEI nuira à l’économie et à la compétitivité du Canada, et empêchera la construction de nombreux projets d’infrastructure essentiels. Par conséquent, nous présentons un ensemble restreint de modifications ciblées, mais importantes qui contribueraient à harmoniser la loi avec le désir du gouvernement d’atteindre des objectifs tant économiques qu’environnementaux.

Les préoccupations suivantes qui sont liées au projet de loi C-69 méritent d’être prises en considération.

Premièrement : le caractère prévisible des échéanciers. Le projet de loi devrait garantir que les délais d’examen prescrits par la loi sont limités et prévisibles. En définissant des jalons dotés d’échéanciers clairs pour les différentes étapes, le gouvernement offrirait un certain degré de certitude et de transparence à toutes les parties concernées par l’évaluation. Les promoteurs doivent être en mesure de comprendre ce que l’on attend d’eux pour pouvoir satisfaire adéquatement aux exigences précoces en matière de planification.

Deuxièmement : les pouvoirs du ministre en matière de désignation des projets. Les promoteurs devraient pouvoir évaluer d’emblée la probabilité qu’un projet fasse l’objet d’un examen. Le pouvoir du ministre de désigner des projets qui ne figurent pas sur la liste des projets désignés devrait reposer sur des critères prédéterminés et rendus publics, et ce pouvoir ne devrait pouvoir être exercé que dans des circonstances uniques ou exceptionnelles.

Troisièmement : la précision de la portée. Le gouvernement doit s’assurer que la portée de l’application du projet de loi est claire et prévisible dans le cas d’un projet désigné. Nous recommandons que des critères soient établis clairement pour décrire quand et comment le ministre déléguera des responsabilités en matière d’évaluation d’impact. Pour que des promoteurs investissent des sommes substantielles d’argent dans des projets de construction, il est essentiel que l’ensemble du processus d’évaluation et sa ligne de mire soient prévisibles pendant toute la durée du projet. Par conséquent, les promoteurs devraient pouvoir s’attendre à recevoir, à un stade précoce du processus, une liste des renseignements et des exigences qui seront mesurés dans le cadre de l’évaluation d’impact.

Quatrièmement : la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le projet de loi devrait contenir des lignes directrices précises et non ambiguës en ce qui concerne la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et d’autres dispositions liées aux Autochtones. Nous appuyons la participation précoce des peuples autochtones à chaque étape du processus d’évaluation d’impact. FortisBC a vécu des expériences très positives liées à la participation précoce des peuples autochtones. Nous avons donc officialisé, dans notre énoncé des principes liés aux Autochtones, l’établissement d’un dialogue précoce et inclusif avec les peuples autochtones. Toutefois, à l’heure actuelle, le projet de loi C-69 n’indique pas clairement comment le gouvernement coordonnera l’application de la loi et ses intentions de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Cinquièmement : le chevauchement entre les compétences provinciales, territoriales et fédérales. La plupart de nos projets font l’objet d’une surveillance provinciale. De plus, je vous signalerais que la Colombie-Britannique procède actuellement à sa propre revitalisation du processus d'évaluation environnementale. Nous croyons qu’il est essentiel que la liste des projets désignés mette l’accent sur les projets majeurs de grande envergure et d’importance nationale qui pourraient avoir des conséquences négatives tangibles dans des domaines qui relèvent du gouvernement fédéral et auxquels une évaluation d’impact est susceptible d’ajouter une valeur considérable.

En conclusion, nous tenons à mentionner de nouveau que FortisBC appuie l’intention du gouvernement d’améliorer les processus environnementaux et réglementaires. Nous vous sommes reconnaissants de l’occasion que vous nous avez donnée de comparaître devant vous aujourd’hui et de mettre en relief nos recommandations qui, selon nous, clarifient la portée du projet de loi C-69. Nous voulons que le Canada réussisse et qu’il devienne un lieu encore plus propice aux investissements mondiaux dans l’énergie et un chef de file du développement des énergies propres, tout en protégeant l’environnement, en favorisant la réconciliation avec les peuples autochtones et en créant des débouchés pour tous les Canadiens.

La présidente : Je vous remercie infiniment des déclarations que vous avez faites.

Nous allons maintenant passer aux séries de questions, en commençant par le sénateur Neufeld.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les trois de votre présence et des exposés que vous nous avez donnés. J’ai une question à poser à chacun de vous, mais je vais commencer par interroger mon collègue, le maire de Taylor, une ville à proximité de Fort St. John, l’endroit où j’habite.

Monsieur Fraser, dans la LCEE de 2012, il y a un critère permanent qui stipule que, pour intervenir, vous devez être touché directement ou être un expert en la matière. Ce critère a été supprimé dans le projet de loi, ce qui permet à n’importe qui d’intervenir. Donc, pour établir une comparaison, si vous modifiez un règlement de zonage dans le district de Taylor, seuls les citoyens de Taylor peuvent vous faire part de leurs commentaires. Pensez-vous qu’il serait approprié que les citoyens de Fort St. John ou Dawson Creek viennent vous dire ce que vous devriez faire à Taylor?

M. Fraser : Je vous remercie de votre question.

Il serait difficile de permettre à des habitants d’autres collectivités d’intervenir dans nos règlements de zonage et dans les mesures que nous prenons au sein de la municipalité. En ce qui concerne le processus qui nous occupe, je conviens qu’un critère devrait être utilisé. Autrement, si n’importe quelle personne qui est légèrement préoccupée peut intervenir, ce processus sera très long, et il se peut que cela n’apporte pas une très bonne contribution au processus de détermination des répercussions environnementales ou de toute autre répercussion liées à un projet particulier. J’utiliserais l’analogie selon laquelle nous n’aimerions pas voir quelqu’un d’autre intervenir dans notre collectivité —, bien qu’il puisse exprimer son opinion. Ce sont des Canadiens, et ils sont toujours les bienvenus, mais leur intervention entraverait notre capacité de mener à bien nos processus en temps opportun.

Le sénateur Neufeld : D’accord. Merci.

Monsieur Pardy, ce qui adviendra, c’est le démantèlement de l’ONE et de la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Ces deux organismes sont respectés à l’échelle mondiale pour le travail qu’ils accomplissent. Seulement au Canada, quelques personnes semblent soutenir que nous ne pouvons plus leur faire confiance. Je trouve très intéressant de toujours entendre ce genre de commentaires, mais ce serait le cas maintenant. Si une audience avait lieu, la Commission canadienne de sûreté nucléaire, par exemple, n’aurait qu’un représentant au sein du groupe d’experts, alors qu’auparavant, toutes sortes de représentants et d’experts de la commission faisaient partie de ce groupe. Pouvez-vous m’expliquer comment cela fonctionnerait?

M. Pardy : Eh bien, je ne sais pas comment cela fonctionnera. À mon avis, cela ne fonctionnera pas très bien, mais je crois que cela témoigne de la nature du projet de loi qui consiste à politiser ce processus. Au cours de chaque projet, il y aura un très vaste débat philosophique au sujet des politiques, le genre de débats qui devraient avoir lieu au cours des élections pendant lesquelles nous élisons nos assemblées législatives afin qu’elles choisissent des mesures législatives à mettre en œuvre.

Il s’avère que ces décisions législatives sont évitées et intégrées dans ces processus. Il s’ensuit que n’importe quelle personne ayant une opinion au sujet de n’importe quelle question vaguement liée à une proposition sera invitée à la table des négociations afin de l’exposer. Ces débats deviendront très généraux et intenables, et ils contribueront à entraver le développement et les investissements dont nous parlons.

Je pense que l’abandon de nos institutions très estimées est une honte. À mon sens, c’est une énorme erreur. Comme je l’ai indiqué au cours de mes observations, ces processus seront essentiellement une invitation à des engueulades.

Le sénateur Neufeld : D’accord, merci.

J’adresse ma dernière question à M. Bennett. Nous avons entendu les producteurs d’hydroélectricité et d’autres personnes dirent qu’en vertu du nouveau projet de loi, il sera très difficile de mettre en œuvre des projets qui utilisent l’eau, par exemple. Selon vous, quelle incidence le projet de loi aura-t-il sur la construction de lignes de transmission? Votre entreprise s’occupe de ces deux aspects, de la production d’hydroélectricité et de la construction de lignes de transmission. Je sais à quel point il est difficile de construire des lignes de transmission en Colombie-Britannique. Dans quelle mesure le projet de loi compliquera-t-il ce processus?

M. Bennett : Oui, et, si vous croyez qu’il est difficile de construire des pipelines, essayer d’installer des fils électriques là-bas.

Le sénateur Neufeld : Je sais.

M. Bennett : C’est déjà une tâche difficile. Au cours de nos observations, nous avons indiqué qu’il était vraiment important de clarifier précisément les projets qui pourront faire l’objet d’un examen et de veiller à ce que tous les intervenants comprennent les règles du jeu dès le début. D’un point de vue philosophique, nous ne nous élevons pas contre l’examen de la réglementation et contre le fait de déterminer si nous pouvons l’améliorer. Le Canada est un endroit où nous aimons tenir des débats, et nous nous réjouissons à la perspective d’entendre ces genres de commentaires au sujet des projets. Toutefois, quelles que soient les mesures que nous prenons, nous ne devons pas établir un système exempt de critères clairs et d’échéanciers raisonnables.

Le sénateur Woo : Ce groupe d’experts est très intéressant. Un témoin souhaite que nous torpillions le projet de loi. Un autre témoin pense qu’il est irrécupérable et laisse entendre que le gouvernement essaie volontairement de contrecarrer notre prospérité. Enfin, un témoin appuie l’intention du projet de loi en formulant quelques recommandations très précises, que nous pouvons étudier plus à fond et qui reposent sur les recommandations de l'Association canadienne de l'électricité.

Toutefois, monsieur Fraser, je tiens à vous poser ma question, parce qu’au cours de votre exposé, vous avez semblé exprimer d’abord ce que je pensais être de fortes réserves à l’égard du projet de loi. Cependant, lorsque vous êtes entré dans les détails, vous avez mentionné trois points liés aux articles 17(1), 18 et 119 du projet de loi qui, selon moi, sont des questions très particulières de nature technique qui pourraient être résolues assez facilement. Pourriez-vous nous expliquer un peu mieux les raisons pour lesquelles vous avez utilisé des mots très durs au sujet du projet de loi? Si vous vous opposez à ce point au projet de loi, quelles sont les autres questions problématiques, outre ces trois questions techniques?

M. Fraser : Eh bien, notre étude du projet de loi est plutôt circonscrite. Nous l’envisageons simplement du point de vue du travailleur ordinaire et de sa recherche d’emplois, et en partant du principe que ces projets doivent être soumis à un certain genre de processus qui veille à examiner toutes leurs répercussions. Nous sommes des maires, des profanes et non des techniciens. Toutefois, lors d’une lecture de base du projet de loi, certains aspects ont sauté aux yeux des maires, notamment le fait que le ministre jouit d’un important pouvoir discrétionnaire. Vous soutenez peut-être que ces points sont faciles à régler, et c’est peut-être le cas, mais, à nos yeux de profane qui ont lu et étudié le projet de loi, ces points ne sont pas éclaircis. S’il y a des moyens faciles de les régler, tant mieux. En ce qui nous concerne, le problème est lié à la capacité de prolonger les échéanciers et à la réduction de la confiance des investisseurs.

Le sénateur Woo : Eh bien, vos observations sont très utiles, car, dans votre cas et dans celui de M. Bennett, elles nous indiquent des difficultés très précises que vous avez soulevées auprès de nous. Au sein du comité, nous nous soucions tous de trouver des amendements qui peuvent régler ces difficultés. Je crois comprendre que, si nous réglons ces trois problèmes, votre opinion du projet de loi changera?

M. Fraser : Certainement.

Le sénateur Woo : D’accord. Merci beaucoup.

La présidente : La prochaine intervenante est la sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame la présidente.

Je tiens à adresser mes questions à M. Bennett. Je viens de l’Alberta. Par conséquent, Fortis est un nom que je connais bien. Lorsque nous avons rencontré précédemment des représentants de l’Association canadienne de l’hydroélectricité, ils ont exprimé diverses préoccupations à propos de la troisième partie du projet de loi, c’est-à-dire des articles portants sur les eaux navigables qui indiquent qu’essentiellement, vous ne pouvez pas entraver les voies navigables. En faisant abstraction de la partie du projet de loi portant sur l’évaluation d’impact, ils craignaient que les changements apportés aux eaux navigables rendent difficile non seulement la construction d’un nouveau projet hydroélectrique, mais aussi le maintien des centrales hydroélectriques qu’ils possèdent déjà. Vous n’avez pas parlé de cela, et je me demande si vous partagez leurs inquiétudes.

M. Bennett : Oui. Comme je disposais de seulement cinq minutes, je me suis efforcé de n’aborder que quelques aspects.

La sénatrice Simons : Eh bien, j’ai donc l’occasion de vous permettre de parler de ces questions.

M. Bennett : Oui, les changements apportés aux eaux navigables nous préoccupent. Nous possédons d’importants réservoirs et, si, par définition, ils deviennent des voies navigables, ce que la mesure législative semble accomplir, nos barrages qui les traversent entraveront ces voies, si nous ne disposons pas d’un moyen d’éviter que ces barrages soient assujettis à la loi. Alors, les améliorations et les mesures que nous devons prendre pour entretenir nos installations hydroélectriques seront soumises à une réglementation plus importante.

La sénatrice Simons : D’accord.

L’autre question que je voulais poser concerne les lignes de raccord électriques interprovinciales. Actuellement, l’infrastructure hydroélectrique interprovinciale... Je ne devrais pas parler d’hydroélectricité, car ce n’est pas ce qu’il y a en Alberta. Alors, l’infrastructure de transport d’électricité est peu développée.

Je faisais partie des journalistes qui couvraient l’Assemblée législative de l’Alberta lorsque le premier ministre Ed Stelmach a tenté de faire adopter le projet de loi 10, qui visait à planifier des lignes de transmission de haute tension, et celui-ci a suscité une résistance féroce. C’est l’un des sujets qui ont donné au Wild Rose Party son impulsion.

Je me demande si Fortis envisage la possibilité d’une infrastructure de transmission interprovinciale, étant donné que cette entreprise réalise ses activités tant en Alberta qu’en Colombie-Britannique? Seriez-vous intéressés?

M. Bennett : Oui. Fortis travaille dans la construction d’infrastructures énergétiques. Nous serions donc intéressés par ce type de projets. Je pense que nous pourrions passer toute la journée à parler de la façon dont le réseau électrique canadien a été bâti et de la raison pour laquelle ces lignes de raccord n’ont pas été construites, mais là n’est pas la question.

Pour ce qui est de savoir si nous souhaitons investir dans des projets de ce type, oui, tout à fait.

La sénatrice Simons : Il est impossible de rendre le réseau de l’Alberta plus écologique sans l’aide de la Colombie-Britannique. En Alberta, nous utilisons le charbon — moins maintenant —, nous utilisons le gaz naturel et notre réseau ne compte quasiment pas d’énergie hydroélectrique. Si nous ne créons pas de mécanismes nous permettant de bâtir ces lignes de raccord, je ne vois pas comment l’Alberta pourra arriver un jour à ce stade.

M. Bennett : C’est une question très compliquée, mais d’un point de vue économique, nous avons beaucoup d’énergie hydroélectrique. L’Alberta possède en réalité beaucoup de ressources éoliennes et solaires. Si nous voulons les optimiser, le raccord de deux systèmes est toujours une bonne chose, mais il y a d’autres raisons pour lesquelles on ne le fait pas.

La sénatrice Simons : Oui.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Bruce Pardy. Le projet de loi aborde la question des effets cumulatifs. Je vais prendre l’ensemble des critères qui doivent être pris en compte. Je vais citer l’alinéa 22(1)a) :

[...] les changements causés à l’environnement ou aux conditions sanitaires, sociales ou économiques et les répercussions positives et négatives de tels changements [...] y compris :

(iii) le résultat de toute interaction entre ces effets; [...]

Si j’ajoute la participation du public, et je cite :

11 L’Agence veille à ce que le public ait la possibilité de participer de façon significative [...] en vue de l’évaluation d’impact [...]

Donc, si je cumule les deux, toute personne pourrait déposer un recours en disant qu’on n’a pas respecté l’obligation de la consulter, qu’on n’a pas suffisamment tenu compte de son opinion. Je veux dire, c’est n’importe quoi. Ai-je bien résumé votre pensée et les risques de litiges sur une multitude de sujets?

[Traduction]

M. Pardy : Oui, c’est tout à fait exact. Lorsque votre liste de facteurs englobe tout, rien n’est prioritaire et les décideurs peuvent choisir n’importe quoi. Si la loi donne pour consigne d’étudier les facteurs sociaux, environnementaux et économiques, vous pouvez choisir de donner la priorité au facteur de votre choix. Cela signifie que vous n’avez pas donné d’indications claires sur ce qui est important. Vous avez donné une page blanche, laissée à la discrétion du décideur. Lorsque vous conjuguez cela, comme vous l’avez dit, à des critères de sélection ouverts et à une participation très large, on obtient exactement ce que vous avez dit. Toute personne a carte blanche pour dire ce qu’elle veut sur ces sujets. Soyons honnêtes : les facteurs sociaux, économiques et environnementaux sont les seuls facteurs. N’importe qui peut donc aborder n’importe quelle question. C’est la direction de ces débats sur les politiques publiques très vastes sur des projets particuliers qui est injuste et qui n’est pas justifiée.

[Français]

Le sénateur Carignan : En fait, le projet de loi amène non seulement le pouvoir discrétionnaire, mais aussi le pouvoir arbitraire. Au fond, il n’y a plus de critères raisonnables dans la prise de décisions pour le ministre. Cela relève davantage du pouvoir arbitraire que du pouvoir discrétionnaire. Quand on dit qu’on devrait encadrer le pouvoir discrétionnaire du ministre, on devrait plutôt dire qu’il n’y a pas suffisamment de critères pour que ce soit discrétionnaire. On devrait encadrer le pouvoir arbitraire.

[Traduction]

M. Pardy : Disons les choses ainsi : si votre mandat est de servir les intérêts du public, le problème est que ceux-ci sont comme la beauté. Ils sont subjectifs. La loi ne définit donc pas ce que vous devez réaliser. Du moment que le ou la ministre s’intéresse aux enjeux énumérés dans la loi, toute décision, littéralement, toute décision est permise par la loi. Il n’y a aucun critère. Il n’y a aucune règle ou exigence fondamentale.

Alors oui, cette situation est comparable à un arbitrage. Le processus législatif est, en quelque sorte, un manquement au devoir. C’est comme si le Parlement avait dit : « Vous savez quoi? Nous ne voulons pas décider de ce qui est important. Nous voulons que cela soit établi dans le cadre de ces décisions très précises, et laisser le ou la ministre trancher. »

Le sénateur MacDonald : Merci aux témoins d’être présents aujourd’hui. Je pense que je vais adresser ma question à M. Pardy.

Au fil des années, l’Institut Fraser a réalisé un grand nombre de bonnes analyses économiques. Le mois dernier, les États-Unis ont prévu qu’ils créeraient 150 000 nouveaux emplois. Ils en ont créé près de 200 000, soit environ 195 000 nouveaux emplois. Au Canada, nous avons perdu environ 7 500 emplois à temps plein. Cela équivaut pratiquement au nombre d’employés de SNC-Lavalin. Étant donné que nos économies sont pratiquement intégrées, pourquoi notre rendement économique accuse-t-il un retard de plus en plus important par rapport à celui des États-Unis?

M. Pardy : C’est une excellente question. Pour répondre, je vous dirais que les conditions ne sont pas équitables, parce qu’elles ne sont pas aussi favorables à l’activité économique ici qu’elles le sont là-bas. Vous pouvez examiner les chiffres relatifs à l’emploi, comme vous l’avez fait. Vous pouvez regarder la construction des pipelines ces 10 dernières années. Pour cerner les causes, vous pouvez regarder les taux d’imposition; vous pouvez regarder les règles; vous pouvez regarder le risque souverain, qui est, d’après moi, un terme clé. Le risque souverain est le risque que l’autorité gouvernante agisse contre vous, et c’est l’une des conséquences de ce projet de loi. Il crée de l’incertitude. Lorsqu’aucun investisseur n’apporte de fonds au Canada, il n’y a pas de croissance de l’emploi, il n’y a pas de croissance de l’économie et pas de construction de pipelines. L’économie stagne. Je pense que la raison est la différence entre les situations de nos deux pays.

Le sénateur MacDonald : Oui.

Vous avez parlé tout à l’heure de l’Office national de l’énergie. Le gouvernement s’apprête à l’éliminer sous prétexte qu’il ne peut pas réaliser ses fonctions. Pourtant, le gouvernement lui a demandé de rendre une décision au sujet du projet d’oléoduc Trans Mountain.

Cette question s’adresse à vous trois. Ils veulent éliminer cet office parce qu’ils estiment qu’il est inadéquat et qu’il ne réalise pas ses fonctions de façon adéquate, et pourtant, non seulement ils lui demandent de rendre une décision au sujet du projet d’oléoduc Trans Mountain, mais ils ont pratiquement annoncé que, selon eux, il serait approuvé. N’y a-t-il pas ici une incohérence?

M. Pardy : Bien entendu. Je pense toutefois qu’ils se débarrassent de l’Office national de l’énergie parce qu’ils veulent plus de contrôle politique sur les résultats qu’ils en auraient avec lui. Cette loi n’est toutefois pas encore entrée en vigueur. La situation actuelle engendrée par la loi précédente est donc toujours d’actualité, si bien que l’Office national de l’énergie fonctionne toujours. Toutefois, ce peut réellement être le seul motif de son abandon. S’il fait bien son travail et produit des recommandations essentiellement indépendantes, vous devez l’éliminer pour contrôler les résultats. Cela me semble être une bonne stratégie.

M. Bennett : J’aimerais simplement ajouter qu’il est très courant, lorsque les règles changent, qu’il y ait un droit acquis. Cela n’est donc pas incohérent de ce point de vue. Cela fait 30 ans que je travaille dans cette industrie, et les règles changent de temps en temps. Un autre organisme de réglementation viendra prendre sa place, mais cela n’est pas incohérent par rapport à la façon dont les choses évoluent. Habituellement, il y a une période de transition.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à vous trois d’être venus ici, à Vancouver, pour parler du projet de loi.

Monsieur Pardy, vous êtes avocat et vous êtes à l'Université Queeen'sc’est exact?

M. Pardy : Oui.

La sénatrice Cordy : Avez-vous joué le rôle de promoteur ou d’intervenant dans le cadre d’une évaluation environnementale prévue dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 et la loi actuelle?

M. Pardy : Vous me demandez si j’ai déjà représenté une partie au processus?

La sénatrice Cordy : Oui.

M. Pardy : Non.

La sénatrice Cordy : D’accord, merci.

Monsieur Bennett et monsieur Fraser, vous avez soulevé un certain nombre de préoccupations semblables concernant la mesure législative actuelle, en fait. Pensez-vous que le stade de planification initiale, qui sera proposé dans le projet de loi C-69, sera utile pour dégager les questions importantes dès le départ?

M. Fraser : Si le stade de planification initiale permet aux promoteurs de présenter leurs idées et d’en faire un bon examen, alors oui, vous pourrez entrer dans le vif du sujet assez rapidement.

M. Bennett : Je suis d’accord. Il a été question de clarifier légèrement les choses, mais dans les projets que nous réalisons, nous faisons beaucoup de planification. Nous y consacrons des années dans certains cas. En conséquence, je crois qu’il serait bon qu’il en soit question dans la mesure législative. Cela donne probablement à certains autres intervenants une meilleure idée de ce à quoi s’attendre dans le cadre du processus, et cela s’inscrit toujours dans notre processus.

La sénatrice Cordy : Je tiens à vous remercier infiniment tous les deux, car c’est toujours utile pour nous de recevoir des suggestions d’amendements de la part des témoins étant donné que bien des points communs ressortent, en fait, de certaines des choses que nous avons entendues. C’est très utile, alors merci à vous trois.

La présidente : Sénateur Patterson, la parole est à vous.

Le sénateur Patterson : Monsieur Bennett, j’ai pris note de votre recommandation voulant que le pouvoir de désigner des projets soit fondé sur des lignes directrices prédéterminées et publiées. Ce soi-disant projet nous a bien préoccupés, mais moins que le mystère qui l’entoure. J’ai posé cette question aux fonctionnaires de Environnement et Changement climatique Canada lorsque le comité a entamé son étude du projet de loi, et j’ai été assez étonné de les entendre dire, lorsqu’ils ont présenté le projet de loi, que les lignes directrices pour désigner certains projets se trouvaient à un stade de consultation pour lequel il y avait un document de discussion. Il s’agit donc de consultations très préliminaires. Par conséquent, je ne me fais pas d'illusions. Je ne crois pas que nous apprendrons grand-chose sur ces lignes directrices avant de devoir envisager l’adoption du projet de loi.

Fortis a-t-il une opinion précise sur ce point ou des préoccupations concernant la désignation des projets? Avez-vous une opinion concernant les projets qui devraient être ajoutés à la liste ou faire l’objet d’une exception?

M. Bennett : Nous n’en sommes pas encore rendus là. Nous avons adopté les recommandations de l'Association canadienne de l'électricité. Nous les avons passées en revue et avons estimé qu’elles nous conviendraient. Nous aimerions dire qu’il est important pour un promoteur de savoir, dès le départ, s’il fait partie ou non du processus. C’est difficile de ne pas savoir.

Il est clair qu’à titre de promoteurs, nous avons une bonne idée des points qui susciteront l’intérêt. Vous pourriez toujours avoir la possibilité d’en soulever. Cependant, en l’espèce, la mesure législative semble accorder beaucoup de pouvoir discrétionnaire. Ce qui nous préoccupe c'est ne pas savoir si on fait ou non partie du processus lorsqu’on envisage un projet.

Le sénateur Patterson : Merci.

La présidente : Sur ce, nous avons terminé notre discussion avec le présent groupe. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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