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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 62 - Témoignages du 11 avril 2019 (séance de l'après-midi)


SASKATOON, le jeudi 11 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 13 h 1, pour examiner le projet de loi.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez, sénatrice du Québec et présidente du comité.

Je demanderai maintenant aux sénateurs ici présents de se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Cordy : Je m’appelle Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de Wadena, en Saskatchewan.

La présidente : Je voudrais profiter de l’occasion pour remercier les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Jesse Good et Sam Banks, la greffière du comité, Maxime Fortin, les sténographes, ainsi que les autres employés du Sénat qui sont ici et qui accomplissent un travail formidable.

Cet après-midi, nous poursuivons notre examen du projet de loi C-69.

Nous souhaitons la bienvenue à notre premier groupe de témoins, composé de Mme Maureen Reed, de l’Université de la Saskatchewan, qui témoigne à titre personnel, ainsi que de M. Steve McLellan, directeur général, et de Joshua Kurkjian, directeur des recherches et de l’élaboration de politiques, de la Chambre de commerce de la Saskatchewan.

Chacun d’entre vous dispose d’environ cinq minutes pour faire un exposé, après quoi nous procéderons à une période de questions et réponses.

Madame Reed, la parole est à vous.

Maureen Reed, professeure, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci beaucoup de m’offrir l’occasion de témoigner devant vous au sujet du projet de loi.

Comme la présidente l’a indiqué, je suis professeure et directrice adjointe à l’École de l’environnement et de la durabilité de l’Université de la Saskatchewan. Depuis 30 ans, voire plus, mes recherches portent sur la gouvernance environnementale dans les communautés rurales, où j’ai étudié l’incidence du genre dans les domaines de la gestion des ressources, de la prise de décisions et du partage des avantages.

Je tiens à remercier Mme Heidi Walker et Mme Amber Fletcher, qui ont contribué à la rédaction du présent exposé.

Aujourd’hui, en notre nom, je voudrais exprimer notre solide soutien concernant l’article 22 du projet de loi C-69, lequel exige la prise en compte de l’influence croisée du sexe et du genre avec les autres facteurs d’identité dans les évaluations d’impact. Les communautés rurales et dépendantes des ressources ne sont pas homogènes. Les projets ont des impacts différents sur les divers groupes, comme les femmes et les hommes, les Autochtones, les aînés, les personnes handicapées et les personnes à faible revenu, entre autres.

Par exemple, en 2018, le Groupe Banque mondiale a fait remarquer que les recherches ont révélé une corrélation entre les projets pétroliers, gaziers et miniers et l’augmentation des taux de violence fondée sur le sexe, notamment du harcèlement sur place. Ces impacts ont habituellement une incidence plus marquée sur les femmes que sur les hommes, particulièrement sur celles qui ont un statut socioéconomique moins élevé dans les communautés et les milieux de travail.

Les risques pour la santé et le bien-être culturel sont également plus élevés chez les personnes qui dépendent davantage des aliments locaux traditionnels, que l’exploitation des ressources rend moins accessibles. Les services sanitaires et sociaux sont souvent débordés en raison de l’afflux de travailleurs dans les communautés. Ce stress peut avoir une incidence disproportionnée sur les femmes qui travaillent en plus grand nombre dans ces domaines et sur les membres de la communauté qui ont des besoins particuliers sur le plan de la santé ou des handicaps.

L’emploi est habituellement considéré comme un avantage clé des projets d’exploitation. Même si les femmes vivant en région rurale ont des niveaux d’éducation supérieurs à ceux des hommes, elles se heurtent souvent à des obstacles de taille quand vient le temps d’accéder aux occasions d’emploi et de formation dans les secteurs de l’exploitation des ressources, particulièrement quand il s’agit d’emplois bien rémunérés. Cette situation peut être attribuable à un manque d’accès au transport, au fait qu’elles s’occupent des enfants ou à leur incapacité de laisser leur famille à la maison pour suivre une formation ailleurs. Une fois engagées, les femmes qui travaillent dans les secteurs des ressources naturelles, particulièrement les Autochtones, subissent des taux de harcèlement et d’intimidation plus élevés que les hommes. L’analyse comparative entre les sexes et de la diversité peut nous aider à déceler des occasions d’améliorer l’accès à l’emploi et d’offrir un milieu de travail sécuritaire et sain.

En outre, les processus de consultation dans le cadre de l’évaluation d’impact n’incluent pas toujours les divers groupes. Par exemple, dans les communautés autochtones et rurales où les activités rattachées à la terre sont importantes, les promoteurs pourraient consulter les associations officielles de chasse et de trappage, qui tendent à être dominées par les hommes, sans toutefois en faire autant pour les groupes moins officiels qui pourraient utiliser la terre pour en tirer des produits non industriels, comme des baies ou des plantes médicinales. Les réunions et les audiences officielles tendent aussi à favoriser ceux qui se sentent à l’aise dans les contextes officiels, ce qui avantage les personnes possédant des niveaux d’instruction et des statuts sociaux plus élevés, comme moi.

L’analyse comparative entre les sexes et de la diversité peut contribuer à trouver des moyens de rendre les processus de consultation plus inclusifs. Certaines compagnies de ressources, comme Rio Tinto, tiennent déjà compte du sexe et de la diversité dans le cadre de leurs activités quotidiennes, notamment dans l’évaluation d’impact, et affirment que ces démarches ont, par exemple, l’avantage d’accroître leur acceptabilité sociale, la qualité de vie des femmes et des hommes dans les communautés et les occasions d’emploi des résidants locaux et des Autochtones. Nous pensons cependant qu’en l’absence d’une solide assise législative, l’analyse comparative entre les sexes et de la diversité dans le cadre de l’évaluation d’impact ne sera pas appliquée de manière homogène dans les divers projets et entreprises.

Les processus d’évaluation d’impact ne peuvent et ne devraient pas faire fi des impacts différentiels des projets d’exploitation des ressources dans les communautés. Nous sommes d’avis que l’inclusion des facteurs relatifs au sexe et à la diversité dans la Loi sur l’évaluation d’impact proposée est une innovation bénéfique qui peut favoriser l’atténuation des impacts négatifs sur les groupes généralement exclus, la répartition plus égale des retombées des nouveaux projets et l’inclusivité du processus de prise de décisions. Tous bénéficieront ainsi de projets plus durables sur les plans sociaux, économiques et environnementaux. Merci.

La présidente : Merci.

Steve McLellan, directeur général, Chambre de commerce de la Saskatchewan : Mesdames et messieurs les sénateurs, madame la présidente, bonjour et bienvenue en Saskatchewan. Comme toujours, c’est un plaisir que d’accueillir la sénatrice Wallin dans notre province, comme c’est également le cas pour le sénateur Tkachuk.

Je m’appelle Steve McLellan et je suis directeur général de la Chambre de commerce de la Saskatchewan. Je suis accompagné aujourd’hui de mon collègue, Joshua Kurkjian, directeur des politiques et de la recherche.

Je veux aussi commencer en soulignant, comme d’autres l’ont fait ce matin, que nous sommes fiers de nous trouver dans le territoire visé par le traité no 6, une terre des Métis. Nous témoignons aujourd’hui pour représenter les intérêts des 10 000 membres du réseau de la Chambre de commerce de la Saskatchewan. Nous sommes fiers de dire que nous avons également communiqué nos renseignements et recueilli les réflexions des chambres de commerce locales de Regina et de la Chambre de commerce de Saskatoon, de sa directrice générale, Darla Lindbjerg, qui est ici aujourd’hui, et de groupes d’affaires comme la North Saskatoon Business Association et de son directeur général, qui est également ici aujourd’hui.

Le comité de l’environnement de la Saskatchewan, qui est en activité depuis une trentaine d’années, est composé de membres aux compétences exceptionnelles. Son président a travaillé pour les organismes de réglementation fédéral et provinciaux, et ses membres ont pris des engagements à long terme envers la province et ses entreprises, qui ont à cœur la conciliation entre l’économie et l’environnement. Ils s’efforcent d’obtenir des résultats qui permettent de concilier ces facteurs, et nous considérons qu’ils ont accompli un travail exceptionnel. Une bonne partie de ces travaux sont expliqués dans les mémoires que vous avez reçus précédemment. Nous voulons vous remercier de nous donner l’occasion de témoigner, et nous vous sommes très reconnaissants de permettre aux voix de la Saskatchewan de se faire entendre dans la province. Je serai aussi concis que possible, et j’espère présenter notre position et répondre aux questions du comité de la manière la plus complète possible. Ici encore, les documents vous ont été envoyés et distribués; je n’en répéterai donc pas la teneur.

Je tiens à remercier chacun des sénateurs de faire l’effort supplémentaire de parcourir le pays afin de tenir des audiences, car nous savons à quel point ce dossier est important. Nous savons également que lorsque les voix légitimes des quatre coins du pays sont entendues, nous pouvons accomplir de grandes choses ensemble. Même si les discussions relatives au projet de loi C-69 en hérissent certains, nous comprenons le processus, alors allons de l’avant.

Voici les principaux points que je veux faire valoir. Au regard des lacunes qu’il contient, il faut réécrire le projet de loi C-69 plutôt que d’y apporter de menus amendements. La tâche qui vous attend n’est pas mince, mais nous pensons que vous êtes à la hauteur.

Deuxièmement, le débat relatif au projet de loi C-69 se déroule alors que la confiance de l’industrie privée à l’égard de la gestion du gouvernement n’a jamais été aussi faible. J’ai pris la peine de dire « gouvernement fédéral », et non « libéral », car le problème n’a rien de nouveau, et il faut que la situation change pour que le pays puisse croître. Aujourd’hui, nous ne débattons pas d’une question politique, mais de politique publique.

Troisièmement, nous sommes d’avis qu’il faut séparer les questions sociopolitiques des questions environnementales, et les confier à des organismes ou à des instances distinctes dotées de lignes directrices précises. Par exemple, le devoir de consulter, la gestion de l’énergie, l’énergie nucléaire ou les questions relatives au sexe méritent de recevoir une attention pleine et entière et ne pas simplement faire partie d’un programme plus vaste.

Quatrièmement, je ferais remarquer que le rôle de la Couronne en vertu de son devoir de consulter est une responsabilité qui incombe à l’ensemble du gouvernement et qui ne se confine pas à un ministère ou à une région. Il faudrait s’occuper du devoir de consulter de manière distincte des questions environnementales ou d’autres points, et confier les activités afférentes à une entité appropriée, peut-être à l’équipe des relations avec les Autochtones d’Affaires du Nord Canada. Je le répète, ce dossier mérite une attention distincte.

Cinquièmement, nous considérons ironique qu’on élargisse la portée du processus d’évaluation pour faire de ce qui était une démarche axée sur l’environnement biophysique une évaluation d’impact et une mise en œuvre de projet plus vastes principalement non axées sur l’environnement, alors que le pouvoir ultime de prise de décisions repose toujours entre les mains du ministre de l’Environnement. Nous jugeons que c’est incompatible et inapproprié.

Sixièmement, nous ne créerions pas et ne vous encouragerions pas à créer un organisme d’examen des évaluations d’impact qui serait également responsable de la gestion quotidienne des projets. Gardez les processus d’évaluation et le cycle de vie des organismes de réglementation distincts. Ce n’est pas parce qu’un organisme est plus grand qu’il sera meilleur. La spécialisation et le professionnalisme se traduiront par de bien meilleurs résultats.

Septièmement, l’élimination de l’application, par l’Office national de l’énergie, de critères pour déterminer le droit de participation des parties prenantes, qui doivent prouver qu’elles sont directement touchées, renforcera le vague intérêt public en accordant plus de pouvoir aux groupes d’intérêts spéciaux opposés dans le cadre du processus. C’est un défi dont il a été plusieurs fois question ici, mais sachez que vos séances n’en seront que plus longues que si on ne fait pas la clarté autour du droit de participation.

Certains groupes d’intérêts et organisations non gouvernementales veulent utiliser le projet de loi C-69 afin de mettre des bâtons dans les roues des secteurs pétroliers, gaziers et miniers traditionnels, ce que nous considérons comme hypocrite, injuste et inapproprié. Fait intéressant, ces démarches pourraient avoir comme conséquence inattendue de nuire aux projets d’énergie renouvelable et à d’autres grands projets. Des témoins ont fait remarquer plus tôt que les grands projets de production d’énergie éolienne et d’autres énergies renouvelables ont besoin du gaz comme énergie de secours; or, le projet de loi pourrait l’interdire. La mesure législative pourrait donc avoir comme effet imprévu d’entraver les projets de production d’énergie renouvelable.

En terminant, je porterai à votre attention, si jamais vous ne l’avez pas vue, une vidéo qui, selon moi, offre une clarté exceptionnelle sur les problèmes auxquels notre pays fait face dans les secteurs du pétrole et du gaz. Chris Slubicki, directeur général de Modern Resources, une compagnie de l’Alberta, est une vedette des vidéos. La semaine dernière, il est venu parler du pétrole à nos membres. Cette vedette des médias sociaux alimente un fil de nouvelles sur les médias sociaux. Quelque 130 000 personnes ont vu sa vidéo. Je vous encouragerais fortement à la visionner, car elle fait la lumière sur la politique publique et les réalités de l’affaire.

Je ferais également remarquer qu’il est injuste d’empiler les mesures contre le secteur de l’énergie, car cela fait en sorte que les gens sont bien plus préoccupés qu’ils ne le devraient, alors que la confiance devrait régner entre nos gens et notre gouvernement. Le schisme entre l’Est et l’Ouest s’élargit, et les importations avec lesquelles nous étions à l’aise sont devenues un problème sous les feux de la rampe, un problème que nous devons résoudre et mieux comprendre. La fronde contre le secteur de l’énergie est néfaste pour le Canada et certainement pour notre province. Ce qu’on a perdu de vue, ce sont les faits, les données scientifiques, la sécurité du public et la clarté qu’exige une saine politique publique. Le Canada a, doit avoir et, selon moi, peut élaborer une politique publique dans un dossier comme celui-ci, mais nous devons nous attaquer à la question. Évacuons la politique du dossier et mettons l’accent sur la politique publique. Merci, madame la présidente.

La présidente : Merci beaucoup.

Sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Merci, monsieur McLellan et madame Reed, pour vos témoignages.

La Chambre de commerce de la Saskatchewan a tenu récemment une journée de mobilisation pour attirer l’attention des Canadiens sur la capacité insuffisante de transport par pipeline et ses effets à la baisse sur le prix de notre pétrole. Vous avez également indiqué que des correctifs doivent être apportés au projet de loi C-69. Combien d’entreprises ont participé à votre journée de mobilisation? Pouvez-vous nous parler de l’impact que peut avoir sur toutes les entreprises de la Saskatchewan ce manque de pipelines pour le transport du pétrole canadien?

M. McLellan : Il y a eu une journée de mobilisation à Regina. Nous n’y avons pas participé, mais des centaines de personnes ont profité de l’occasion pour exprimer leurs opinions. Je suis donc mieux placé pour répondre à la seconde partie de votre question. Les impacts sont considérables. Vous avez entendu ce matin les témoignages des chefs de la direction des grandes entreprises du secteur pétrolier, et on vous a également parlé des répercussions sur nos collectivités autochtones. Je pourrais vous citer le cas d’une femme, une mère seule, qui habite à Moosomin et travaille dans un dépanneur pour un salaire qui n’est pas à la hauteur de ce qu’elle pourrait toucher si nous étions capables d’expédier notre pétrole vers d’autres marchés. Il n’y a plus d’emploi dans le secteur des pipelines.

Je pourrais vous dire que notre province n’est plus capable d’assurer le financement complet de ses programmes d’éducation en raison des pertes fiscales que nous devons essuyer. Je pourrais vous entretenir des possibilités de développement économique qui sont à la portée de nos communautés autochtones, mais qui ne se concrétisent pas vu notre incapacité à aller de l’avant avec ces projets. Comme je le disais tout à l’heure, il est possible pour nous d’avoir des échanges stratégiques totalement apolitiques avec nos voisins autochtones et nos dirigeants municipaux. Ce dialogue n’est pas engagé, car il semble plutôt y avoir mésentente au sujet de ces enjeux. Les répercussions sont d’ordre financier et se calculent bien sûr en milliards de dollars, mais il y a également ces réductions de 12 $ ou 15 $ sur un chèque de paye qui peuvent parfois se traduire par un sac de pommes de terre ou un souper en moins le vendredi. On vous a parlé ce matin de ces jeunes qui doivent abandonner le hockey. Ce sont des répercussions très concrètes qui se font ressentir à la grandeur du pays sans que les gens ne sachent exactement pourquoi. Ils savent toutefois que les projets du genre de ceux que nous souhaitons réaliser sont tout à fait bénéfiques sur les plans économique, scientifique et environnemental.

Le sénateur MacDonald : Il y a deux éléments à considérer concernant les pipelines. Notons d’abord le fait que tout le monde s’imagine que c’est une situation qui touche uniquement l’Alberta, car la Saskatchewan ne vient pas nécessairement à l’esprit dans ce contexte. C’est bien sûr un problème dans cette province-ci également. Toutes les grandes entreprises de pipelines nous ont indiqué que l’adoption du projet de loi C-69 serait problématique pour elles. Les Albertains nous ont exposé très clairement les répercussions qui s’ensuivraient pour eux. Comment se portera pour sa part l’économie de la Saskatchewan dans 10 ou 15 ans si l’on ne se remet pas à construire des pipelines?

M. McLellan : Les conséquences seront énormes et se chiffreront en milliards de dollars à n’en pas douter. Les entreprises du secteur de la potasse, qui étaient représentées ici ce matin, et les exploitants agricoles vendent leurs produits un peu partout dans le monde, ce qui permet aux gens de mieux s’alimenter. La potasse et les céréales doivent être transportées par voie ferroviaire. Si nous continuons à expédier notre pétrole par train parce qu’il nous est impossible de le faire via des oléoducs, un moyen plus sûr et plus économique, nous compliquons les choses pour le transport de ces produits de base, et il en va de même pour nos biens manufacturés. En définitive, l’impact de notre incapacité à construire des pipelines se fait ressentir non pas seulement dans le secteur pétrolier, mais d’une manière beaucoup plus générale. On peut aller jusqu’à s’imaginer le cas d’un jeune qui doit renoncer à ses études universitaires parce que ses parents n’ont pas pu tirer de leurs céréales le prix escompté. Certains se demandent peut-être quel lien il peut y avoir entre les céréales et les pipelines. C’est justement de ces enjeux qu’il nous faut discuter.

Le sénateur MacDonald : Il y a donc un véritable effet domino. Merci.

La sénatrice Cordy : Merci d’être des nôtres aujourd’hui. Vous avez soulevé tous les deux des éléments dont nous n’avions pas encore discuté.

J’aimerais d’abord m’adresser à vous, madame Reed. Un grand merci pour l’analyse que vous avez faite de ces questions et pour l’information que vous nous avez transmise. On nous a très peu parlé de l’analyse sexospécifique dans le contexte de ce projet de loi. Il s’agit de la disposition de l’article 22 prévoyant la prise en compte de l’interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires dans le cadre des évaluations d’impact.

Nous avons entendu le témoignage de l’Association des femmes autochtones du Canada. Elles étaient ravies de constater qu’une telle mesure se retrouvait pour la toute première fois dans un projet de loi, et nous ont indiqué que les femmes autochtones auraient ainsi la possibilité de se faire entendre. Elles se réjouissaient également des perspectives d’emploi qui allaient s’offrir dans les différentes communautés, mais ont rappelé que les femmes sont confrontées à certaines situations qui n’existent pas pour les hommes. Elles ont donné l’exemple de la garde des enfants. Selon elles, si les femmes doivent faire des quarts de travail dans une mine, il faut des garderies ouvertes 24 heures par jour, et ce, pas seulement du lundi au vendredi. J’ai l’impression parfois que nous vivons dans un monde où nous croyons que tous travaillent aux mêmes heures pendant la journée, du lundi au vendredi. La réalité est tout autre. À la lumière du témoignage des représentantes de cette association, pourquoi estimez-vous important d’inclure une mesure semblable dans ce projet de loi et, espérons-le, dans bien d’autres qui suivront?

Mme Reed : Quelques-uns de ces facteurs sont énoncés dans l’information que vous a transmise cette association. On note encore une division très marquée dans la répartition du travail à l’intérieur des ménages et au sein des collectivités rurales et de celles vivant de l’exploitation des ressources. Le fardeau de la garde des enfants et des soins à dispenser aux aînés demeure en grande partie celui des femmes. La garde des enfants peut être très problématique pour celles qui veulent travailler ou suivre une formation pouvant leur permettre d’accéder à un emploi. Il y a peut-être lieu de revoir la manière dont les quarts de travail sont agencés, et des négociations sont possibles à l’intérieur même des ménages. On se limite parfois à des services de garde de jour, et il se peut que certaines personnes ne puissent pas profiter de possibilités d’emploi suivant la formule de rotation avec navettes aériennes. Il y a donc toutes sortes d’éléments pouvant empêcher certaines personnes d’accepter un emploi dans ces secteurs en raison de leur situation familiale.

Je crois que la capacité de mener une analyse sur la différence entre les sexes et la diversité sera en définitive bénéfique pour l’industrie étant donné la pénurie de main-d’œuvre anticipée dans un avenir rapproché, surtout dans les secteurs de l’exploitation minière et de la foresterie. C’est d’autant plus vrai que la proportion de femmes travaillant dans ces secteurs n’a pas tellement changé au cours des 30 dernières années. Je fais partie d’un groupe de travail national qui se penche sur la question de l’équité entre les sexes dans le secteur forestier, car la proportion de femmes n’y dépasse toujours pas les 17 p. 100.

J’ai agi hier comme évaluatrice externe pour la défense d’une thèse qui portait sur la situation des femmes dans le secteur minier. Ces chiffres n’ont pas évolué depuis une trentaine d’années, et les entreprises de ce secteur se porteraient mieux si elles arrivaient à intégrer les femmes à leurs effectifs de façon plus efficace.

La sénatrice Cordy : Je suis heureuse que vous ayez cité la recherche menée par le Groupe Banque mondiale quant à la prévalence des cas de violence sexuelle, y compris malheureusement le harcèlement en milieu de travail dans certaines entreprises des industries extractives. C’est généralement un sujet que les gens cherchent à éviter. Pourriez-vous nous donner certaines statistiques présentées dans ce rapport de la Banque mondiale? Pourquoi les gens préfèrent-ils ne pas aborder la question? J’ai fait quelques lectures à ce sujet, mais personne ne nous en parle. Vous êtes la première à avoir soulevé cette problématique lors de nos séances.

Mme Reed : Je n’ai pas les chiffres en main, mais je pourrais vous les transmettre ultérieurement. J’aimerais tout de même souligner un argument très intéressant qui a été soulevé et qui pourrait éclairer le débat. Dans le secteur minier, les questions de santé et sécurité représentent un enjeu clé depuis bien des années déjà. Les entreprises ont grandement amélioré leur bilan en la matière au cours des 10 à 20 dernières années. Il y a tout un discours officiel concernant la lutte contre le harcèlement sexuel et l’intimidation en milieu de travail, mais il ne semble pas se traduire par des actions concrètes sur le terrain. Si l’on envisage toutefois la problématique dans une perspective de santé et sécurité, il est possible que l’on commence à discuter de ces questions entre collègues de travail de même qu’au sein de la haute direction.

La sénatrice Cordy : Monsieur McLellan, vous avez indiqué dans votre exposé qu’il était important de définir de façon plus précise les facteurs pertinents concernant les impacts à évaluer, notamment quant à l’utilisation de l’analyse sexospécifique. Que proposez-vous exactement?

M. McLellan : Comme vient de le dire Mme Reed, je crois que vous seriez très fière, tout comme nous le sommes, du bilan des entreprises minières de la Saskatchewan pour ce qui est de leurs politiques de gestion des ressources humaines relativement à ces enjeux. On y a fait allusion, mais on ne tient pas toujours compte du fait que nos entreprises, tout au moins d’après ce que j’ai pu moi-même constater, réagissent rapidement et très efficacement toutes les fois qu’un problème d’intimidation, de harcèlement ou de discrimination sexuelle se présente.

La sénatrice Cordy : Si l’on en revient plus précisément au projet de loi, souhaiteriez-vous y retrouver une définition plus précise?

M. McLellan : Je pense que cela devrait être confié à une autre entité. On ne devrait pas inclure ces dispositions dans le projet de loi. Sur le plan national, attaquons-nous de façon plus ciblée aux questions relatives à l’égalité des sexes qui sont abordées dans ce projet de loi. Nous ne croyons pas qu’une discussion au sujet des pipelines soit la meilleure tribune qui soit pour traiter de ces enjeux.

Avez-vous quelque chose à ajouter?

Joshua Kurkjian, directeur des recherches et de l'élaboration des politiques, Chambre de commerce de la Saskatchewan : Je veux seulement insister sur certains points avancés par M. McLellan. Nous n’avons rien contre l’idée d’une analyse comparative entre les sexes plus. Nous croyons simplement qu’il serait plus pratique que cela se fasse par l’entremise d’une ligne directrice distincte. À ma connaissance, c’est la première fois que l’on inclut un critère semblable dans un processus fédéral d’évaluation.

La sénatrice Cordy : C’est effectivement une première.

M. Kurkjian : Comme il y a une certaine part de subjectivité, l’industrie aimerait qu’une version subséquente du projet de loi soit un peu plus claire à ce sujet de telle sorte que nous sachions mieux à quoi nous en tenir.

Mme Reed : Dans sa forme actuelle, l’évaluation porte sur les impacts environnementaux de même que sur les effets connexes, notamment en matière d’emploi. Il est parfois difficile de faire la distinction entre ces différents éléments, surtout dans le cas des gens se livrant à des activités traditionnelles liées au territoire. Si l’exploitation des ressources a notamment pour effet de modifier les comportements de la faune, ces personnes devront adapter leurs modes d’approvisionnement alimentaire. Il peut s’ensuivre des répercussions sur leur culture et leurs comportements sociaux. Il est donc parfois difficile de prétendre qu’il y a des effets environnementaux qui n’ont pas d’impact social immédiat. Merci.

La sénatrice Cordy : Merci.

La présidente : Vous avez cité le cas de Rio Tinto. Je sais que cette entreprise procède à des analyses comparatives entre les sexes depuis un moment déjà au Québec. Comme ma collègue l’indiquait, il est vrai que nous n’avons pas beaucoup entendu parler de cette question dans le cadre de notre étude du projet de loi C-69. J’aimerais que vous nous disiez s’il est difficile de procéder à ces analyses? Comme vous l’indiquiez, il y a de nombreuses autres entreprises qui le font déjà en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Comme il y a des avantages évidents à mener de telles analyses, pourriez-vous nous indiquer pourquoi selon vous on est aussi hésitant à le faire?

Mme Reed : ll faudrait peut-être poser la question aux entreprises elles-mêmes. C’est une réalité nouvelle à certains égards et l’on ne dispose généralement pas des données nécessaires. Il faudrait revoir la façon dont les données sur l’emploi sont collectées au sein de l’entreprise ainsi que la manière dont elles sont analysées. Cela pourrait exiger une expertise que l’entreprise ne possède pas nécessairement. Statistique Canada essaie de déterminer comment elle doit procéder à la collecte des données dans ce contexte. À titre d’exemple, Cameco a été tenue de prendre certaines mesures en ce sens, surtout en raison du fait qu’elle est assujettie à une réglementation différente à titre d’entreprise exploitant l’uranium, mais aussi parce qu’elle compte au sein de ses effectifs une très large proportion de travailleurs locaux et autochtones, ce qui la distingue d’autres organisations. Il y a certains modèles dont nous pouvons nous inspirer pour avoir une meilleure idée de la façon nous pourrions aller de l’avant.

La présidente : Merci. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir transmettre à notre greffière tout supplément d’information qui pourrait nous aider à mieux comprendre ces enjeux.

Mme Reed : Avec plaisir.

Le sénateur Neufeld : Merci à tous de votre présence et de ces informations intéressantes que vous nous communiquez. J’aimerais faire part à Mme Reed de quelques éléments qui ont été portés à ma connaissance comme à celle du comité au cours des derniers jours. Je trouve formidable que l’on s’efforce d’intégrer un plus grand nombre de femmes dans les effectifs des entreprises d’exploitation minière, d’extraction des hydrocarbures et des autres secteurs industriels. À mes yeux, tous ces efforts sont entièrement positifs. Je peux toutefois vous dire que nous avons entendu à Calgary le témoignage de Mme Sarah Vandaiyar, présidente et chef de la direction de la Young Pipeliners Association of Canada. C’est une organisation formidable qui est dirigée par une jeune femme. Nous avons aussi entendu Mme Katie Smith, directrice générale de Young Women in Energy, une autre organisation qui fait de l’excellent travail. Ce matin même, j’ai interrogé Mme Wong, de Cameco Corporation, au sujet du harcèlement sexuel et des comportements semblables. Elle a parlé d’une politique de tolérance zéro au sein de son entreprise.

Les choses se sont peut-être déjà déroulées de cette manière — je ne suis pas en train d’affirmer le contraire — mais la situation est généralement différente de ce qu’elle était à une certaine époque. Lorsque j’habitais à Fort Nelson voilà sans doute une vingtaine d’années, l’usine de contreplaqué cherchait à embaucher des femmes. La fabrique de baguettes offrait pour sa part un service de garderie sur place pour que les femmes puissent travailler. Ma voisine a été à l’emploi de tout un éventail d’entreprises du secteur des pipelines pendant quelque chose comme 30 ans et n’a jamais été victime de harcèlement. Ma bru, une ichtyobiologiste, travaillait sur les bateaux de pêche et n’a jamais été importunée par qui que ce soit, et c’était il y a 15 ans. Il est bon que des gens puissent ainsi concrétiser cette volonté en obtenant des résultats probants.

BC Hydro a un camp de travail juste au sud de Fort St. John où j’habite. On y héberge 4 000 personnes. Il y a un hôpital pour traiter les blessés dans ce camp qui est en place depuis maintenant deux ans. Ce camp est aux portes de ma ville, et je n’ai jamais entendu parler d’aucun acte répréhensible qui s’y serait produit. Je pense que l’on peut affirmer que les gens commencent généralement à saisir le message, mais reste quand même que vous faites partie des intervenants qui doivent poursuivre leurs efforts pour que ces questions demeurent au cœur de nos préoccupations. Je ne suis toutefois pas persuadé que cela doive être intégré à notre processus d’évaluation environnementale.

Je voulais simplement vous faire part de ces quelques éléments qui ont été portés à notre connaissance ou que j’ai pu moi-même observer. Je pourrais vous en dire bien davantage, mais la présidente n’hésitera pas à m’interrompre.

Mme Reed : Est-ce que vous voulez que je réponde?

La présidente : Pouvez-vous commenter?

Mme Reed : Certainement. Je vais être brève. Je pense qu’il y a toujours de ces exemples de bonnes pratiques que nous devons souligner et dont nous pourrions nous inspirer. J’estime toutefois également qu’il peut être un brin dangereux de vouloir généraliser à partir de cas isolés. Peut-être serait-il davantage révélateur de procéder à un examen plus systématique de ces différents enjeux, qu’il s’agisse de harcèlement, d’intimidation ou de préjugés inconscients. Les femmes ont été défavorisées de différentes manières par le passé, et elles le sont encore aujourd’hui. Je pourrais vous fournir d’ici deux semaines une copie de la thèse qui s’appuyait sur une enquête nationale auprès de femmes et d’hommes occupant des postes de gestion dans le secteur minier dans toutes les régions du pays. On y avait signalé un certain nombre d’incidents. Pour différentes raisons, on ne s’est pas intéressé directement à la situation des employés affectés à la production. Cette enquête nationale effectuée par courriel pourrait vous permettre d’y voir plus clair concernant certains autres éléments.

À titre d’exemple, les personnes les plus vulnérables sur les chantiers sont généralement celles qui sont en charge de certains services particuliers, comme le nettoyage dans des secteurs qui sont typiquement masculins, y compris les quartiers d’habitation. Bon nombre de ces incidents ne sont pas signalés en raison notamment des difficultés associées aux communications avec les superviseurs. Cela fait partie du genre de situations qui ont été mises au jour. Je reconnais toutefois qu’il y a aussi d’excellentes pratiques qui ont cours dans de nombreux milieux de travail et dont nous devrions tirer des enseignements.

La sénatrice Simons : Je veux poursuivre avec Mme Reed. Lorsque j’ai interrogé des chefs de file de l’industrie albertaine au sujet de cette disposition, la plupart d’entre eux m’ont indiqué qu’ils n’avaient aucune inquiétude, car leur entreprise le faisait déjà de toute manière. Je dois cependant avouer que j’ai certains doutes lorsque j’examine le libellé du projet de loi. Il n’y a aucune définition permettant de savoir ce qu’on entend par là exactement et aucune façon pour une entreprise de pouvoir affirmer qu’elle a vraiment fait tout le nécessaire à la satisfaction des autorités réglementaires.

Il y a également le fait que l’analyse sexospécifique ne porte pas seulement sur le sort des employés. Elle peut traiter aussi par exemple de l’impact social pour une communauté de l’installation de 150 jeunes hommes qui ne sont plus en contact avec leur foyer. Il ne faut pas être naïf. Ce n’est pas pour rien que certaines localités de l’Alberta ont interdit les camps de travail sur leur territoire en indiquant que c’est une formule qui ne leur convient plus. J’hésite à appuyer une telle mesure dans le cadre du projet de loi en raison du fait qu’elle n’est pas bien définie. Je ne sais pas ce que l’on entend par là exactement. Je ne sais pas si quelqu’un d’autre en a saisi la signification du point de vue juridique et j’ignore si un promoteur serait à même d’affirmer avec conviction qu’il a bel et bien respecté la norme en la matière, quelle qu’elle soit.

Mme Reed : Je suis totalement d’accord avec vous : il n’y a pas que la main-d’œuvre. Notre discussion a probablement un peu divergé. Il y a diverses questions en jeu. C’est difficile à définir. Je pense que quand des entreprises abordent une collectivité, elles doivent déterminer comment la collectivité définit cela aussi, parce que d’une collectivité à l’autre, ce peut être différent. Les femmes autochtones voudront peut-être signaler des enjeux en particulier, ou il peut s’agir d’un effectif vieillissant ou très jeune, qui a ses propres problématiques auxquelles il faut réfléchir.

Chaque fois qu’il y a quelque chose de nouveau, c’est difficile à définir, et cette définition se raffine souvent avec le temps. Ce n’est peut-être pas super rassurant, mais c’est la réalité. Nous avons été confrontés à ce problème quand le concept de l’évaluation d’impact est apparu. Donc il faut définir le concept autant que possible, puis nous inspirer des meilleurs modèles pour les reproduire.

La sénatrice Simons : Croyez-vous que le projet de loi C-69, dans sa forme actuelle, définit suffisamment la chose? C’est ce qui me fait hésiter. Je suis très favorable à l’idée d’une analyse robuste des effets sociologiques des grands projets sur les collectivités. Je suis très en faveur d’une discussion sur ce que cela représente, non seulement pour les femmes, mais aussi pour les employés faisant partie de la communauté LGBTQ ou de minorités visibles, mais je ne vois pas comment on peut intégrer un article à une loi et obliger les entreprises à le respecter si l’on ne leur dit pas ce qu’ils sont censés faire exactement.

Mme Reed : Je pense que si l’entreprise est sérieuse, elle en tiendra compte. Il est difficile à dire si la barre doit être ici ou là, n’est-ce pas? Une analyse sociologique ne se limite pas à compter un nombre de personnes. Ce n’est pas aussi simple que de réserver certaines zones à des fins de conservation et d’autres pour le développement. Il n’y a pas de délimitation claire. Ce n’est pas si rassurant, d’une certaine façon, mais je pense que quand les entreprises travaillent avec les collectivités, les collectivités peuvent les aider à définir ce que cela signifie en contexte, dans leur contexte. Je pense que c’est probablement ce que nous pouvons faire à ce stade-ci.

La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. McLellan : J’aimerais seulement ajouter une chose sur le manque de clarté du projet de loi. L’autre aspect qui mériterait une discussion encore plus approfondie, selon moi, c’est pourquoi on met autant l’accent sur cela lorsqu’il est question de grands projets, alors qu’on ne s’en préoccupe pas autant qu’il le faudrait dans cet hôtel ou dans nos bureaux?

Je pense que collectivement, le Canada a fait des bonds de géant. Il doit encore en faire beaucoup plus, mais il a énormément avancé, et il y a désormais de plus en plus d’études sur le sujet, donc il faut garder cet élan. Cependant, ce sera une distraction dans ce cas-ci et cela risque de nous faire reculer plutôt qu’avancer.

La présidente : Sénateur Tkachuk, à vous la parole.

Le sénateur Tkachuk : Je vous remercie beaucoup d’être ici.

Je voudrais vous poser quelques questions. Madame Reed, vous faites état, dans votre recherche, d’une corrélation entre le pétrole, le gaz, l’exploitation minière et la violence fondée sur le sexe. Où cette recherche a-t-elle été menée?

Mme Reed : Il s’agit d’une étude internationale réalisée par le Groupe Banque mondiale, donc par la Société financière internationale.

Le sénateur Tkachuk : C’est donc une étude internationale, sur ce qui se passe en Amérique du Sud, en Asie et dans le reste du monde?

Mme Reed : De même qu’en Amérique du Nord et en Europe, oui.

Le sénateur Tkachuk : C’est ce que je vous demande, donc...

Mme Reed : Ce problème ne touche pas que le Sud.

Le sénateur Tkachuk : Y a-t-il des données détaillées pour l’Amérique du Nord ou le Canada?

Mme Reed : Je devrai vous les fournir séparément.

Le sénateur Tkachuk : Avez-vous ces données?

Mme Reed : Comme je le disais, j’ai des données pour le Canada. Je pourrai vous les fournir séparément. Je ne les ai pas avec moi.

Le sénateur Tkachuk : Ce serait très apprécié. Concernant l’analyse comparative entre les sexes et le projet de loi C-69, je ne crois pas qu’il y ait de la résistance de la part des entreprises. Je suis d’accord avec les représentants de la chambre de commerce pour dire que ce devrait être une politique publique applicable partout au pays, et, comme la sénatrice Simons l’a dit, le problème n’est pas l’analyse comparative entre les sexes en tant que telle, mais le fait que les gens ne comprennent pas de quoi il s’agit. Ils ne savent pas ce qui satisfera le conseil d’évaluation d’impact quand ils présenteront leur analyse, donc c’est une véritable faille du projet de loi.

J’aimerais entendre vos réactions à tous les deux, parce que nous avons déjà dit qu’il s’agit d’un débat sur la politique publique et que cela fait partie des problèmes que je vois dans ce projet de loi. Quelle est la politique publique sur laquelle s’appuie le projet de loi? Quel est son but?

Mme Reed : Le but du projet de loi serait d’assurer que les impacts environnementaux et sociaux associés aux projets d’exploitation seront évalués.

Le sénateur Tkachuk : Toutes les personnes avec qui j’en ai parlé m’ont dit que tous les impacts possibles sont déjà pris en compte et qu’il n’y a absolument rien dans ce projet de loi susceptible d’améliorer la situation environnementale. Si vous avez des exemples de façons dont on améliorera la protection de l’environnement grâce au projet de loi C-69, j’aimerais les entendre, parce que je n’en ai entendu aucun, nulle part au pays.

Mme Reed : Je n’ai pas évalué le projet de loi dans son ensemble. Mon exposé et mes observations se concentrent vraiment sur cet article.

Le sénateur Tkachuk : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais poser ma question en français. Elle porte sur l’interaction des sexes et l’identité de genre avec d’autres facteurs identitaires. J’ai essayé de comprendre la raison d’être de cette disposition. Je me suis posé la question, à savoir si j’étais dans une analyse de discrimination en vertu de la Charte ou d’un problème d’équité salariale et que l’on insérait une clause par rapport à l’atteinte des objectifs de réduction de gaz à effet de serre... J’aimerais être capable de trouver un lien — je vous entends et je ne le comprends toujours pas — entre cette analyse et une étude d’impact environnemental. Il me semble que même au niveau du droit du travail, il n’y a pas d’autre clause au niveau des conditions de travail. Les éléments que vous soulevez à propos de la santé, de la sécurité au travail et de l’équité salariale sont déjà couverts dans les lois. Toute la partie des embauches est prévue dans les conventions collectives. Si on veut attirer de nouveaux employés, on mettra en place des systèmes de garderie, on améliorera les conditions de travail. Donc, c’est déjà traité du point de vue des conditions de travail. Êtes-vous d’accord avec moi? Selon votre perspective, un des éléments déterminants sociaux en ce qui concerne la réduction de la violence conjugale, c’est d’occuper un emploi avec un revenu élevé. Ai-je bien compris? Donc, plus une personne ou un ménage gagne un revenu élevé, moins il y a de risques de subir de la violence conjugale ou d’avoir des problèmes de santé.

[Traduction]

Mme Reed : Je peux peut-être mentionner quelques petites choses.

Concernant le lien entre l’environnement et les facteurs sociaux associés, l’emploi est habituellement l’un des éléments qui reviennent dans les évaluations d’impact. Il serait important d’essayer de comprendre qui profitera des emplois créés et comment on peut favoriser le recrutement et le maintien en poste de bons employés.

De plus, pour revenir à ce que la sénatrice Simons disait, nous savons qu’il y a des problèmes quand les travailleurs du secteur des ressources se mettent à affluer vers les petites municipalités rurales et viennent en perturber le tissu social. Vous avez raison de dire que la violence familiale et la violence fondée sur le sexe est surtout commise à la maison, mais il y a aussi des problèmes sociaux directement associés à l’afflux de travailleurs dans ces communautés.

On peut aussi penser au lien entre les deux. Laissons l’emploi de côté un instant et réfléchissons aux facteurs sociaux directement liés à l’environnement. Par exemple, quand on commence à exploiter des ressources quelque part, il peut y avoir des effets environnementaux qui se répercuteront sur l’accès aux aliments locaux ou sur l’accès aux terres pour les autres formes d’utilisation, comme il peut y avoir des effets sociaux, culturels et peut-être même spirituels qui seront vécus différemment d’une collectivité à l’autre.

M. McLellan : C’est excellent. Je n’ai que quelques brèves observations à faire. Le manque de clarté est problématique. Si l’on veut analyser des choses comme le salaire, le harcèlement, le nombre de personnes occupant un poste aux différents échelons, ce genre de chose, les effets sur la famille, nous sommes favorables au dialogue. Encore une fois, nous disons simplement que ce n’est pas clair.

Nous avons créé un document il y a environ sept ans sur l’incidence directe de l’afflux de ce qu’on appelait alors les travailleurs migrants dans une petite ville. Nous y avons vu des possibilités et nous avons mentionné quelques-unes des choses desquelles il fallait être conscients, mais depuis une dizaine d’années, environ, ce n’est plus un policier ou un agent d’application de la loi qui donnera une petite tape sur l’épaule de la personne qui a agi de façon inappropriée, c’est un collègue. La personne lui dira : « Tu n’as pas lu la note d’information, recule. » À ce sujet, je pense que les pratiques exemplaires de nos grandes entreprises, conjuguées aux études de plus en plus nombreuses menées dans nos universités, ce qui est positif, aideraient à la fois les personnes ici présentes et le gérant du petit commerce de détail au coin de la rue. Il y a un ancien premier ministre de la Saskatchewan, Lorne Calvert, qui a dit une chose très importante, c’est-à-dire que la meilleure politique sociale demeure toujours d’offrir des emplois de qualité, et ces entreprises offrent de bons emplois, dans des environnements que nous jugeons très sûrs.

J’aimerais revenir rapidement à ce que disait le sénateur Tkachuk un peu plus tôt, lorsqu’il se demandait ce que nous voulons corriger exactement. Je pense que fondamentalement, nous avons de bonnes politiques en place. Le problème, c’est qu’on n’y adhère pas assez. Concernant les consultations autochtones sur la côte Ouest, nous avions le bon processus, mais il n’a pas été suivi. S’il l’avait été, ce serait bien mieux aujourd’hui.

Pour terminer, j’aimerais encore rappeler l’importance de choses comme l’accès aux aliments locaux et l’obligation de consulter adéquatement les personnes touchées pour cerner les enjeux et vraiment adapter le cadre à la collectivité lorsqu’une entreprise s’y installe pour construire un oléoduc ou exploiter une mine. Nos dirigeants d’entreprise apprécient ce genre de choses. Cela fait partie de la conversation sur le devoir de consulter. Merci.

Le sénateur Patterson : J’aimerais remercier nos témoins. Monsieur McLellan, j’ai bien entendu vos craintes que le projet de loi s’éloigne des effets environnementaux pour entrer davantage dans la sphère de l’intérêt public, et vous avez dit que cela risquerait de politiser le processus. Je me questionne sur un autre risque, le risque de contestation judiciaire. Quand on regarde les quelque 20 éléments qui figurent à l’article 22, qui contribuent à la durabilité, on voit qu’il faut déterminer dans quelle mesure un projet répond aux obligations du gouvernement à l’égard du changement climatique et des connaissances autochtones. Comment peut-on savoir ce qui constitue des connaissances autochtones? Quelles sont les sources de connaissances autochtones?

La sénatrice Simons a mentionné le genre et les autres facteurs identitaires. Quels sont ces autres facteurs identitaires? Ils ne sont pas définis dans le projet de loi. Pense-t-on aux personnes LGBTQ? À quoi d’autre? Tout cela semble mûr pour une contestation judiciaire, et nous savons que c’est ce qui mine l’exploitation des ressources naturelles jusqu’ici au Canada, même sans toutes ces nouvelles variables inconnues. Croyez-vous que ce problème de définition des enjeux de politique publique augmente lui aussi le risque de contestation? Vous êtes-vous penchés sur la question?

M. McLellan : Oui et quand on analyse ces éléments, comme l’interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires, on se demande si le projet contribue à la durabilité et quels sont ses effets sur les peuples autochtones. Or ce manque de définition concrète nous complique beaucoup la tâche. Si l’on demandait aux personnes ici présentes de définir ces choses, nous en aurions tous une perception différente. C’est la raison pour laquelle il me semble tout à fait ridicule de laisser cela comme cela, parce que ce ne sont ni les lois ni les règlements qui permettront de définir ces concepts, comme il le faudrait, mais plutôt les décisions judiciaires. Nous sommes allés trop loin. Nous avons pris des projets, des revenus personnels et la réputation du Canada en otage en laissant les tribunaux trancher plutôt qu’en faisant preuve de toute la diligence nécessaire avant le dépôt du projet de loi pour clarifier tout cela. Nous ne sommes pas prêts. Nous devons retourner à la planche à dessin.

La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Kurkjian : J’ai la grande chance de siéger au comité de l’environnement de la chambre de commerce. J’y travaille aux côtés de personnes très intelligentes, d’experts techniques, de gestionnaires en matière environnementale, de personnes qui ont l’expérience de la gestion de grands projets. Avec ce genre de mandat fourre-tout, nous rendons la vie très difficile aux gestionnaires en matière environnementale et aux autres experts scientifiques qui voudront essayer de bien cerner les enjeux environnementaux. Nous leur compliquerons la tâche, mais quel est le but, en fin de compte? Si on leur complique la tâche, ils auront bien plus de mal à cerner et à isoler les effets environnementaux néfastes. Que cela nous permettra-t-il d’accomplir? Merci.

Le sénateur Patterson : Très rapidement, avez-vous des conseils à nous donner sur les autres facteurs identitaires inclus dans l’article sur le genre? Ensuite, je vois que vous avez travaillé récemment pour l’Agence canadienne d’évaluation d’impact à ce sujet. J’aimerais savoir si vous pouvez nous dire quel était votre mandat dans le cadre de cette étude?

Mme Reed : Bien sûr. Je pourrais vous énumérer toutes sortes de choses, mais je vous rappelle qu’il existe au gouvernement fédéral une méthode qu’on appelle l’analyse comparative entre les sexes plus et qu’il y a des tutoriels en ligne qui décrivent comment elle peut s’appliquer à tous les programmes, à tous les ministères et à toutes les initiatives. Si cette analyse est retirée complètement du processus d’évaluation d’impact, nous craignons qu’elle ne reçoive pas autant d’attention que si elle est prescrite par la loi.

Pour répondre à votre deuxième question, on nous a demandé d’effectuer un genre de revue de la littérature pour déterminer comment l’analyse fondée sur le genre et la diversité s’applique aux recherches universitaires et autres en Amérique du Nord, et principalement en Europe et en Australie. Le rapport produit présente en fait l’état de la recherche à ce sujet.

La présidente : Il ne nous reste que quatre minutes, et deux sénateurs souhaitent encore intervenir, soit le sénateur Mockler, puis la sénatrice Wallin.

Le sénateur Mockler : Je travaille dans la sphère publique depuis 35 ans, et je suis d’accord avec la chambre de commerce pour dire qu’il y a un fossé entre l’Est et l’Ouest, une division, et que les Canadiens sont inquiets. Je suppose que quand on observe comment s’est construit le Canada, les personnes avant nous, comme nos enfants et nos petits-enfants plus tard, savaient quand il fallait avoir conscience des politiques nationales, comme vous venez de le dire. Quand on regarde qui nous sommes, au Canada, il y a quelque chose qui cloche puisque l’ancien président des États-Unis, Obama, a fait avorter le projet Keystone, l’a refusé, mais pendant la même période, nous avons construit aux États-Unis des pipelines équivalant à 8 à 10 projets Keystone. Qu’est-ce que cela signifie pour les Canadiens, des pipelines équivalant à 8 à 10 projets Keystone? Cela signifie trois pipelines qui iraient du port de Halifax au port de Vancouver, d’un bout à l’autre du Canada, de 6 500 kilomètres de long.

Ma question rejoint celle du sénateur Carignan. Serait-ce une politique d’édification de la nation, une politique d’infrastructure que de construire un corridor pour l’exploitation de nos ressources d’un océan à l’autre?

M. McLellan : Je pense que c’est la meilleure idée que j’aie entendue depuis longtemps pour nos services publics et l’édification de la nation. Ma famille a acheté des terres qui avaient au départ été accordées aux compagnies ferroviaires autour d’Arcola, en Saskatchewan, et dont elles n’avaient pas besoin. Je pense que c’est trop tard pour ce projet maintenant, mais si nous avions tous ces services publics dans un corridor de 200 mètres au Canada, nous serions en bien meilleure posture aujourd’hui et nous n’aurions pas toutes ces inquiétudes concernant l’impact sur les collectivités et le reste. Pourrions-nous toujours le faire à certains endroits? Je pense que oui. Il est évident que nous avons des leçons à tirer de l’expérience de la Saskatchewan, et les sénateurs le savent, mais je pense que c’est le genre de conversation qu’il convient d’avoir au pays. Est-il trop tard pour établir une infrastructure d’un océan à l’autre? Peut-être, mais ce n’est certainement pas trop tard dans certaines régions, et j’applaudirais tout projet en ce sens.

Le sénateur Mockler : Je suis toujours fâché de la tournure du projet Énergie Est.

M. McLellan : Nous nous comprenons, monsieur.

La présidente : Je donne la parole à la sénatrice Wallin pour une dernière question.

La sénatrice Wallin : J’aimerais revenir à une chose qu’a dite M. McLellan, parce que je pense que c’est exactement ce qui nous amène ici, dans les provinces touchées par ce projet de loi. Je pense que nous devrions le faire plus souvent, plutôt que de toujours siéger à Ottawa.

Vous avez parlé de la confiance de l’industrie envers le gouvernement fédéral, tant envers les libéraux que les conservateurs, qui est à son plus bas, et je pense que quand vous parlez de la confiance de l’industrie, vous parlez autant des employés et des collectivités aussi. Cela me trouble profondément. Je ne veux pas entendre parler de séparation dans l’Ouest canadien. Nous avons passé presque toute notre vie adulte à parler de la séparation du Québec, mais il y a quelque chose ici qui me rend très mal à l’aise. Est-ce ce dont vous parlez?

M. McLellan : Cela ne fait aucun doute. Ce sont en partie les médias sociaux qui sont à blâmer, mais il y a avant tout un facteur humain. Cela vaut la peine de voyager comme vous le faites, et encore une fois, je vous félicite, madame la présidente, d’avoir fait venir le comité ici pour nous entendre. Les opinions diffèrent d’une région du pays à l’autre, mais quand nous devons nous serrer les coudes, nous savons le faire. Nous l’avons prouvé à maintes reprises, donc je suis persuadé qu’il y a une solution à ce problème, mais il faut la trouver rapidement, avant que nos jeunes se disent que la vieille génération a perdu la carte et qu’ils veuillent nous pousser vers la sortie.

Je sais que les investisseurs du monde entier qui fourniront des emplois à mes enfants et qui généreront des revenus pour nos gouvernements regardent le Canada et nous diraient : « Vous savez, vous avez gagné la loterie en devenant citoyen canadien ou en étant nés ici. Vous avez gagné la loterie mondiale, vous êtes les personnes les plus choyées sur Terre, mais vous vous comportez comme des enfants gâtés. » Il y a de quoi avoir honte. C’est un grave problème, un grand problème. Je peux vous dire que si nous n’arrivons pas à trouver de solution, nous serons bien mal pris en cas de guerre mondiale, nous serons bien mal pris en cas de dépression économique. Bref, je vous félicite des efforts que vous déployez. Nous avons besoin que vous fassiez votre travail à cet égard et que vous le fassiez bien. Nous sommes persuadés que vous pouvez y arriver.

La présidente : Merci beaucoup pour ces paroles de sagesse. Je remercie aussi les témoins.

Chers collègues, nous suspendons brièvement les travaux. Ne vous éloignez pas : nous accueillons un deuxième groupe de témoins.

Mme Reed : Merci beaucoup.

La présidente : Pour le deuxième groupe de témoins, nous accueillons le président de la Saskatchewan Urban Municipalities Association, M. Gordon Barnhart; une avocate de la firme MLT Aikins LLP, Me Sonia L. Eggerman, spécialiste du droit constitutionnel et du droit des Autochtones; et, enfin, le président et chef de la direction de Des Nedhe Development, M. Sean Willy.

Soyez les bienvenus. Vous disposez chacun de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi, nous passerons aux questions. Veuillez commencer.

Gordon Barnhart, président, Saskatchewan Urban Municipalities Association : Merci, madame la présidente. Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je suis heureux de répondre à votre invitation à venir représenter mon association et je vous en remercie.

Je suis un peu décontenancé. Étant donné que j'ai été greffier du Sénat, de 1989 à 1994, je ne reconnais, à la table, que deux visages de l’époque : ceux du sénateur Tkachuk et de la sénatrice Wallin. C’est moi qui leur ai fait prêter serment à leur arrivée au Sénat. Je suis heureux de vous revoir.

La Saskatchewan Urban Municipalities Association est souvent incomprise, parce qu’on pense qu’elle ne représente que deux grandes villes. Pourtant, nous comptons 440 membres. Deux, les deux villes les plus grandes, comptent plus de 200 000 habitants; 14, plus de 5 000 habitants; et plus de 225 municipalités, moins de 500 âmes. Nous représentons donc 80 p. 100 de la population des villes et villages qui parsèment le territoire d’une province vaste, mais sans accès direct à la mer.

Nous sommes d’accord avec certaines dispositions du projet de loi C-69, celles qui, par exemple, régissent l’intendance de l’environnement. En 2017, nos membres ont adopté une résolution qui s’opposait à la taxe sur le carbone, mais nous avons aussi résolu de faire de nos membres des chefs de file des stratégies de décarbonation, et la preuve en est que, sur notre site web, nous présentons maintenant au moins 40 projets de nos membres pour l’environnement et la soutenabilité.

Nous sommes aussi convaincus des vertus d’une consultation améliorée sur les politiques de l’environnement et de l’énergie ainsi que sur la mise en valeur des ressources naturelles, mais, dans sa version actuelle, le projet de loi C-69 nous préoccupe beaucoup. Même s’il appuie la consultation élargie, il n’explicite pas que les municipalités sont des parties prenantes. Nous croyons donc que ce serait une addition judicieuse au projet de loi. Nous avons été, dans notre province, les témoins oculaires des effets néfastes, pour nos villes et villages, des échecs de l’industrie. Il est donc indispensable de consulter les municipalités au début de l’élaboration d’un projet et de les consulter entièrement.

Sur l’autre facette de la consultation, nous sommes préoccupés par certaines modifications proposées dans la Loi sur la protection des eaux navigables et la Loi sur les pêches. Dans notre province, la saison de construction est très courte. Les travaux doivent s’exécuter rondement. Les retards entraînent souvent la remise des travaux à l’année suivante, ce qui peut être très difficilement conciliable avec la nature de tel projet.

Les modifications proposées dans ces lois peuvent rendre la consultation excessivement pénible dans le cas des projets municipaux qui ne concernent pas des travaux mineurs. Dans ces travaux, on ne distingue que les mineurs et les majeurs, et, souvent, les municipalités en entreprennent qui sont à peine plus que mineurs, ce qui, pourtant, devrait les soustraire à la somme d’examens exigés par les travaux majeurs. Cela entraîne des retards très coûteux.

Dans le même ordre d’idées, nous sommes également préoccupés par la capacité de nos concitoyens de formuler, à l’extérieur du domaine public, des plaintes officielles auxquelles nous devons répondre et pour lesquelles il faut un processus de médiation. Le processus est ainsi exposé aux abus d’intervenants non directement touchés par le projet, mais qui s’opposent plutôt, pour des motifs plutôt politiques ou philosophiques, à tout projet proposé pour des voies navigables. Nous demandons donc humblement à votre comité d’envisager un amendement qui définira une catégorie mitoyenne entre les projets mineurs et majeurs, ce qui permettrait de réduire le risque de retard. Nous vous demandons aussi de redéfinir l’admissibilité des parties à porter plainte contre un projet particulier.

Enfin, l’économie de la Saskatchewan dépend beaucoup de notre capacité d’exporter nos ressources de la façon la plus sûre, la plus économique et la plus efficace possible. Le spectacle du déclin réel de nos communautés nous est beaucoup plus difficile à supporter que notre secteur des ressources, autour d’elles, ne peut pas expédier ses produits vers des marchés qui, visiblement, aspirent à se les procurer. Les membres de mon association ont adopté deux résolutions, la première en 2016, la seconde en 2018, pour appuyer le projet Énergie Est, et je pense que vous pourriez les appliquer aussi au projet de Trans Mountain. Les pipelines ramèneraient les emplois dans le sud-est de la Saskatchewan, en rendant moins coûteux la livraison de notre pétrole, celui d’une province sans façade maritime, aux acheteurs de partout dans le monde. J’ai entendu dans un exposé le raccourci « le pétrole, c’est l’Alberta ». Eh bien, le pétrole de la Saskatchewan est aussi un facteur important de l’économie de notre province.

En général, nous appuyons aussi les oléoducs. Nous avons pleuré avec les Québécois et les Méganticois victimes de la catastrophe de Lac-Mégantic et nous appuyons beaucoup la recherche de moyens sûrs, autres que le rail, pour transporter le pétrole. Ensuite, je sais que votre comité compte un sénateur du Nouveau-Brunswick. Le pipeline d’Énergie Est serait un bon fournisseur d’emplois dans cette province ainsi que dans la nôtre.

Pour assurer à ces projets une évaluation équitable, nous voudrions que le comité examine de plus près les pouvoirs accordés au ministre. D’après le projet de loi, le ministre pourrait retarder ou bloquer entièrement un projet, s’il considère qu’il n’est pas dans l’intérêt du public de procéder à une évaluation à pleine échelle. Ces pouvoirs permettent à la volonté politique de s’immiscer dans les projets où elle n’exercerait aucune influence et ne menacerait pas la productivité économique.

Je vous remercie donc beaucoup de m’avoir permis de m’exprimer devant vous et je suis impatient de répondre à vos questions. Merci, madame la présidente.

La présidente : Merci.

Maître Eggerman, vous avez la parole.

Sonia L. Eggerman, avocate spécialiste en droit constitutionnel et en droit autochtone, MLT Aikins LLP, à titre personnel : Merci. Je me nomme Sonia Eggerman et je pratique le droit constitutionnel et le droit des Autochtones chez MLT Aikins, à Regina. Je possède plus de 10 années d’expérience dans la prestation de conseils juridiques sur l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne dans divers contextes, découlant de décisions fédérales et provinciales. Actuellement, je représente des Premières Nations et des communautés métisses de l’Ouest sur diverses questions, mais je dois dire que les consultations les plus difficiles auxquelles j’aie participé jusqu’ici ont touché les pipelines interprovinciaux.

Aujourd’hui, j’exposerai des opinions personnelles en me limitant à mon expérience pratique dans la prestation de conseils juridiques à mes clients autochtones sur la consultation. Mes observations se limiteront aussi aux articles du projet de loi concernant la participation des Autochtones aux consultations et au renforcement des consultations. D’après moi, le projet de loi C-69 favorisera une participation accrue des nations autochtones aux occasions de nouer des partenariats qui leur sont offertes et il améliorera la consultation à l’intérieur du processus fédéral d’évaluation environnementale.

Je voudrais cependant parler des éléments qui, du point de vue juridique, manquent au projet de loi. Je tiens à aborder trois questions essentielles. L’une d’elles l’a déjà été aujourd’hui : le traitement réservé aux connaissances traditionnelles autochtones; ensuite, il y a l’absence de tout renvoi à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; je terminerai par la croyance erronée selon laquelle le projet de loi C-69 fera augmenter le nombre de procès intentés par les nations autochtones.

Pour commencer, les connaissances traditionnelles autochtones. D’après le projet de loi, toutes les évaluations d’impact devront en tenir compte. Ces connaissances, aussi en évolution, ne se limitent pas à celles qui sont figées dans un certain passé. On insiste aussi davantage sur la transparence ainsi que sur les modalités de protection de leur confidentialité.

Malgré le caractère très positif de cette mesure du projet de loi, je ne crois pas qu’elle en fasse assez pour donner des orientations pratiques sur la façon de prendre en considération et d’intégrer ces connaissances ainsi que d’autres systèmes juridiques autochtones dans la prise de décisions sur l’environnement. Les connaissances traditionnelles autochtones font régulièrement partie de presque tous les processus de consultation auxquels j’ai participé. On les retrouve à tous les détours, que ce soit à la faveur d’une étude des traditions ou d’explications données de vive voix par des utilisateurs traditionnels des terres et de leur estimation des répercussions des travaux sur leurs droits reconnus par l’article 35.

Les connaissances autochtones s’entendent en général du corpus collectif ou cumulatif de connaissances et d’expériences dans les valeurs partagées par une société possédant une histoire de ses moyens de subsistance. Même si elles jouent un rôle explicatif essentiel sur les répercussions susceptibles d’être nuisibles aux droits, les tribunaux, jusqu’ici, ont très peu pris en considération leur valeur probante, ce qui a eu comme résultat imprévu de les dévaluer, quand elles contredisaient les études environnementales de la science occidentale ou d’autres sciences exactes ou qu’elles ne s’appuyaient pas sur elles, et cetera.

Le traitement des connaissances traditionnelles autochtones, dans l’évaluation des répercussions sur les droits, exige plus qu’une démarche adaptée, laissée à la discrétion des fonctionnaires ou des promoteurs. Le respect des points de vue autochtones exige de traiter ces connaissances comme si elles possédaient une valeur probante indépendante et distincte de celles des preuves scientifiques. D’après moi, le projet de loi C-69 a besoin de lignes directrices détaillées sur l’acceptation, la priorité et le poids de ces éléments de preuve pour répondre aux défis très particuliers qu’affrontent les décideurs, particulièrement quand ces connaissances contredisent la science occidentale ou qu’elles ne sont pas corroborées par elle.

Récemment, la Cour suprême a confirmé que les effets de la réalisation d’un projet sur l’environnement fondé sur la science occidentale ne doivent pas servir d’approximations directes des éventuels effets contraires pour les droits. On constate souvent ce désir réel de corréler des répercussions néfastes pour l’environnement et un effet contraire à un droit prévu dans l’article 35. Ce n’est pas toujours possible. On connaît des exemples de la perception, par une communauté autochtone, de la qualité des terres ou des ressources dont elle a besoin pour exercer ses droits, de son expérience de l’exercice de ses droits dans les secteurs familiaux, des emplacements qu’elle préfère pour exercer ses droits, de certaines occasions pour soutenir des normes d’intendance ou des normes sociales. Je pense vraiment qu’un cadre efficace de prise en considération des connaissances autochtones est essentiel au projet de loi C-69.

Le deuxième absent dont je voudrais parler est la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le 10 mai 2016, le gouvernement fédéral a déclaré qu’il appuyait absolument cette déclaration, « sans restriction ». Des ministres ont ajouté qu’elle serait mise en œuvre graduellement, à la faveur à la fois de lois, de politiques et de mesures entreprises par les nations autochtones. Toutefois, dans la pratique, le gouvernement fédéral s’est grandement distancé du libellé de la déclaration. Plutôt que de chercher à obtenir un consentement libre, préalable et éclairé, le Canada affirme maintenant qu’il cherchera à avoir un consentement libre, préalable et éclairé. Cette interprétation n’est pas conforme à la déclaration même et, de fait, elle n’ajoute rien à ce que la loi affirme déjà sur l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne.

Que la déclaration soit ou non évoquée dans le projet de loi C-69, les nations autochtones pourront compter et compteront effectivement sur les conséquences juridiques de l’aval du Canada. Même si cet aval n’a pas d’effet immédiat sur le droit canadien, on peut s’en servir pour influer sur lui et aider à l’interprétation des lois. Il servira probablement, en particulier, à aider à l’interprétation de l’article 35 de la Loi constitutionnelle, qui protège les droits ancestraux et issus de traités. À mon avis, le gouvernement fédéral rate une occasion en or pour collaborer avec les communautés autochtones à la création et à la définition d’un cadre juridique pour la mise en œuvre commune, en collaboration, du consentement libre, préalable et éclairé. Des universitaires comme Lorraine Land ont soutenu que ce consentement n’est pas seulement un droit de veto contre les projets d’infrastructures. C’est plutôt un processus tout en nuances visant à tisser des liens entre l’État et les nations autochtones.

Dans cette relation entre deux nations que propose Land, on s’échange des renseignements, on analyse les faits en commun, et les deux parties ont un pouvoir égal d’influer sur la décision. Ce n’est qu’une relation parmi d’autres. À la place, le projet de loi C-69 insiste en grande partie sur les protections procédurales augmentées des peuples autochtones dans le cadre de la consultation. Malgré l’augmentation des possibilités, toute la prise des décisions reste dans le domaine politique. Comme David Wright l’a fait remarquer, l’omission délibérée de la déclaration des Nations Unies élargira sûrement le fossé des attentes qui existe entre les nations autochtones et le gouvernement fédéral en ce qui concerne le consentement libre, préalable et éclairé. Sans obtenir de précisions sur la nature du consentement dans le projet de loi C-69, les groupes autochtones devront peut-être en obtenir des tribunaux. Sur ce plan, je crois vraiment que le projet de loi C-69 rate le coche.

Parlons enfin de la fausse croyance selon laquelle les nations autochtones, du fait de ce projet de loi, seront plus querelleuses. Pour moi, c’est une fausseté majeure. La juriste que je suis voit seulement que le projet de loi pourra aider à renforcer le processus de consultation, parce qu’il augmente les protections procédurales accordées aux droits reconnus par l’article 35. Le bon sens fait que beaucoup de garanties procédurales sont déjà intégrées dans un véritable processus de consultation, et beaucoup sont en grande partie appliquées pendant un bon processus de consultation. Peu importe si le projet de loi C-69 est adopté. Les titulaires des droits reconnus par l’article 35 continueront de faire appel aux tribunaux pour protéger leurs droits quand les gouvernements refuseront de venir négocier de bonne foi. Les droits ancestraux est le domaine où la Cour suprême du Canada a en grande partie impulsé la politique, ces 20 dernières années, plutôt que de laisser négocier à des élus le contenu de ces droits avec les nations autochtones.

À ma connaissance, la consultation se fonde beaucoup, en général, sur un processus antagoniste, particulièrement dans le contexte des pipelines. Il semble y avoir beaucoup de gagnants et de perdants, selon l’endroit où le projet sera réalisé, si c’est sur des terres privées ou certaines terres de la Couronne. Cela dépend de l’accès, par les nations, à de bons avocats, archéologues et consultants. Beaucoup de promoteurs feront souvent le minimum exigé, plutôt que de chercher à nouer des relations sérieuses et à les maintenir pendant la durée d’existence de l’ouvrage ou de l’exploitation, 50, 60 ans ou même plus. Beaucoup de nations de la Saskatchewan ne s’engagent même pas dans des consultations, faute de moyens et, quand elles le font, elles manquent souvent de temps ou de compétences pour examiner les documents très techniques ou très spécialisés du domaine de l’environnement qui font partie des évaluations environnementales.

Bien que la consultation soit un moyen important de protection des droits, je ne crois pas qu’elle puisse mener à la réconciliation, qui est l’objectif déclaré de l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Il faut cesser de se focaliser sur la consultation et l’accommodement pour adopter des régimes de collaboration de nation à nation pour la réglementation commune de l’environnement. Sans les amendements nécessaires au projet de loi C-69, le gouvernement fédéral rate une occasion capitale de nouer cette relation, et je crains qu’il reste aux tribunaux le soin de combler les lacunes qui auront subsister.

J’ai l’impression d’avoir dépassé les cinq minutes qui m’étaient accordées. Je vous remercie de votre temps.

La présidente : Monsieur Willy, à vous la parole.

Sean Willy, président et chef de la direction, Des Nedhe Development : Bonjour. Je suis heureux de venir vous faire part de notre opinion sur la situation du projet de loi C-69 et ses répercussions éventuelles sur le développement économique des Autochtones. Je suis fier de me trouver sur le territoire du traité no 6, dans la patrie actuelle des Métis. Je me nomme Sean Willy. Je suis le président et chef de la direction de Des Nedhe Developments. C’est la société de portefeuille détenue en totalité par la Première Nation d’English River, à 600 kilomètres au nord-ouest de Saskatoon. Je viens vous donner le point de vue du chef de file de l’une des sociétés autochtones de développement économique de niveau un du Canada.

Pour commencer, je suis né dans le Nord canadien et j’y ai grandi partout. Né à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest, j’ai vécu à Fort McPherson, à Rankin Inlet, dans le Nunavut, à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest et à Saskatoon, en Saskatchewan, le point le plus au sud où je sois allé. Je fais partie de l’Alliance métisse North Slave, de Yellowknife, dont les liens avec mon ascendance métisse et dénésuline sont forts. Ma mère était métisse d’ascendance dénée et mon père, cadre d’une société minière. J’ai donc le sentiment inné de la non-obligation de consultation, de l’assujettissement à aucune règle, de la réalité de l’inclusion et de la justification, sur le plan commercial, de l’inclusion des Autochtones dans notre économie.

La Première Nation d’English River est l’une des Premières Nations les plus fières et humbles du pays et a bâti une machine du développement de l’entreprise. Elle travaille depuis longtemps avec l’industrie minière du Nord de la Saskatchewan. Comme n’importe quelle relation, il s’agit d’un partenariat qui a des hauts et des bas, mais ce qu’a vu English River il y a 30 ans, c’est une occasion. Les dirigeants de la communauté ont constaté que le monde avait besoin des gisements d’uranium de tout premier ordre qui se trouvaient sur leurs terres ancestrales. Ils savaient qu’ils pouvaient appuyer cette exploitation s’ils pouvaient participer à tous les aspects du processus de surveillance environnementale et améliorer leurs communautés par la création d’entreprises qui travailleraient avec des entreprises d’exploitation des ressources.

Les dirigeants communautaires ont toujours estimé qu’on ne peut accéder à l’autodétermination en ne comptant que sur le financement gouvernemental. On doit créer sa propre richesse, mais pas au détriment de l’environnement. Au cours des 27 dernières années, les choses ont évolué avec Des Nedhe Developments. Son mandat se fonde sur trois piliers : exploiter une entreprise qui n’est pas influencée par la sphère politique; verser des dividendes qui appuient l’infrastructure et les activités de la communauté; et maximiser les possibilités d’emploi pour les membres de la bande English River et d’autres peuples autochtones.

Des Nedhe Development comprend un groupe hétérogène d’entreprises. Le cœur de Des Nedhe, c’est sa division industrielle, qui inclut Tron Construction & Mining, la seule entité du pays appartenant entièrement à des Premières Nations qui concentrent ses activités sur la tuyauterie mécanique et la construction électrique. Tron a été créée dans le cadre d’un partenariat novateur avec l’industrie minière de l’uranium, mais elle s’est diversifiée pour attirer des clients de l’industrie minière de la potasse de la Saskatchewan, des sociétés d’État de la province, de la construction et des compagnies nucléaires. En moyenne, les Autochtones représentent 60 p. 100 de ses employés. C’est l’un des plus importants employeurs chez les Autochtones au pays.

Des Nedhe investit également dans différents secteurs : projets d’énergie renouvelable, possibilités d’exploitation minière souterraine, acier, communications, marketing, cabinets spécialisés dans les relations avec les gouvernements, vente au détail de cannabis, restauration, entretien. De plus, nous prévoyons actuellement développer notre réserve de 140 acres située au sud de Saskatoon, où nous exploitons déjà une grande station-service et 63 000 pieds carrés de locaux commerciaux. Voilà la voie de la réconciliation économique.

Le sénateur MacDonald : Bravo!

M. Willy : Cela a été accompli grâce à l’établissement de partenariats de mise en valeur des ressources novateurs avec différentes entités, Cameco étant un fidèle allié et l’un des meilleurs partenaires qui soient.

La Première Nation d’English River a toujours utilisé les terres de façon judicieuse. Encore à ce jour, des membres de la bande pratiquent la chasse, le piégeage et la pêche pour subvenir à leurs besoins. Quelle que soit la nouvelle réglementation que le Canada adopte, cela importe peu pour la communauté. La Première Nation d’English River gérera et protégera toujours ses terres en voulant le faire de la façon la plus durable possible.

Nos principales préoccupations portent sur les modifications proposées qui sont énoncées dans le projet de loi C-69 en ce sens qu’elles feront en sorte qu’il sera beaucoup plus difficile de mener des projets d’exploitation des ressources et, par conséquent, élimineront les occasions pouvant appuyer le droit des peuples autochtones à la réconciliation économique et à l’autodétermination. Nous ne sommes pas des spécialistes de chaque élément proposé dans le projet de loi, mais après avoir discuté avec bon nombre d’autres dirigeants autochtones au pays, nous croyons que ce changement entraînera une baisse du nombre de possibilités d’exploitation de ressources. Il vous faut comprendre que nous étions parmi les premiers, et qu’il y en a eu environ trois, qui ont commencé il y a 30 ans, et partout au pays on en compte maintenant des centaines. Ce n’est donc pas une tendance à la baisse.

En tant que membres des Premières Nations, Métis et Inuits, nous sommes tous en faveur d’un projet fondé sur les droits, mais rien ne sert d’avoir les meilleurs droits dans le monde si l’on n’a pas une économie qui les appuie. Nous croyons que cela ajoute un obstacle à franchir pour les projets mis en œuvre en région éloignée dans le Nord. Nous pataugeons dans un bourbier quant aux compétences sur le plan de la politique publique au pays. Nous n’investissons pas dans nos infrastructures du Nord, ni dans l’éducation, de sorte que nous devons essentiellement trouver des super gisements dans la partie septentrionale du pays, et si l’on ajoute au fardeau réglementaire, cela ne fait que ralentir les projets. Cela nous prive des projets de moyenne envergure qui pourraient offrir une valeur ajoutée à tous les Canadiens.

Prenons le Nord de la Saskatchewan. Des Nedhe et la Première Nation d’English River communiquent continuellement avec la Commission canadienne de sûreté nucléaire et différents ministères fédéraux pour s’assurer d’avoir voix au chapitre. Nous prenons les choses en main, et nous sommes novateurs dans nos efforts. Nous estimons que c’est la plus grande mobilisation réglementaire au pays, voire dans le monde.

Nous croyons que traiter l’uranium, les mines et les usines différemment d’autres mines métalliques, ce qui est inclus dans le projet de loi C-69, comporte un risque. À notre avis, rien ne le justifie. Ce qu’il en résulte, en fait, c’est qu’on prive les communautés autochtones des ressources, car les entreprises doivent consacrer plus de temps et d’efforts à ce processus lourd. Les organismes de réglementation obtiennent des ressources supplémentaires pour le gérer, mais nous, les Autochtones, perdons des possibilités et, par conséquent, des emplois et des revenus autonomes. Des Nedhe est convaincu que le développement économique et une forte participation au processus environnemental constituent le meilleur moyen d’aboutir à une réconciliation. Au cours des 30 dernières années, la Première Nation d’English River et Des Nedhe ont montré que cela a été accompli par des relations progressives et l’exploitation des ressources.

Je vais terminer mon exposé sur une pensée. Aucune culture n’a amélioré sa situation socioéconomique et n’est devenue plus autonome uniquement avec l’aide du financement gouvernemental ou de philanthropes. À un moment donné, on doit utiliser ses propres ressources et prendre soi-même les mesures qui s’imposent. Nous estimons que dans sa forme actuelle, le projet de loi C-69 nous enlèvera des possibilités et en enlèvera à tous les autres peuples autochtones.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de vos déclarations préliminaires.

Nous passons maintenant aux questions. Sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Merci, madame la présidente.

Je vous remercie tous de vos témoignages. Je vais dire deux choses dans l’intérêt de MM. Barnhart et Willy, car vous avez tous les deux soulevé des choses qu’on nous a répétées à maintes reprises au cours de ce voyage.

Monsieur Barnhart, partout au pays, on nous a dit à maintes reprises ce que vous avez soulevé au sujet des municipalités et du fait qu’il n’en est aucunement question dans le projet de loi proposé. On parle d’une meilleure définition, de projets de moyenne envergure, de restrictions sur ceux qui interviennent, des problèmes liés à la discrétion et aux décisions ministérielles, le pouvoir arbitraire de prendre des décisions. On nous a fait comprendre toutes ces questions, et je peux vous assurer que le comité les examinera avec un regard très critique.

Monsieur Willy, à propos de toutes préoccupations des Autochtones au pays, l’autre chose qu’on nous fait comprendre, c’est que les peuples autochtones semblent être plus perdants que quiconque concernant le projet de loi; ils semblent être les plus touchés. On nous l’a fortement fait comprendre pendant notre voyage au pays. Nous les prendrons en considération dans le cadre de nos travaux.

Ma question s’adresse à Me Eggerman. Je ne suis pas avocat. Je ne suis pas un spécialiste du domaine, mais cette division des pouvoirs a toujours piqué ma curiosité. En ce qui a trait au pouvoir et à la responsabilité en ce qui concerne les communautés autochtones du pays, c’est un volet qui a toujours relevé directement du gouvernement fédéral. Bien entendu, la moitié des Autochtones vivent à l’extérieur des réserves, dans des communautés. Comment la loi s’applique-t-elle lorsqu’il s’agit des relations entre les Autochtones et les gouvernements provinciaux et des responsabilités et compétences provinciales par opposition aux compétences fédérales?

Mme Eggerman : Par rapport à quoi exactement?

Le sénateur MacDonald : Eh bien, dans l’application de la loi... Les gouvernements provinciaux n’ont pas de pouvoirs ou de responsabilité, à ma connaissance, selon la Constitution, lorsqu’il s’agit des relations avec les Autochtones. Je pose la question seulement par curiosité. Comment les choses évoluent-elles étant donné que de plus en plus d’Autochtones vont s’installer en zone urbaine ou à l’extérieur des réserves, et lorsque des politiques comme celle-là sont appliquées et qu’il y a beaucoup de choses dans l’air? Comment le milieu juridique traite-t-il cela?

Mme Eggerman : Dans mon contexte, je parle de consultation. Des consultations ont lieu chaque fois qu’un gouvernement, fédéral ou provincial, prend des mesures ou une décision qui risque d’avoir des effets néfastes sur les Autochtones et les droits issus de traités. Cette obligation, l’article 35, est indépendante de la division des pouvoirs dont il est question aux articles 91 et 92. L’article 35 est indépendant. L’obligation de consulter s’applique tant au gouvernement provincial qu’au gouvernement fédéral et, dans ce contexte, les obligations qu’ils doivent respecter sont assez semblables. Cependant, le projet de loi porte grandement sur des activités fédérales.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Vous avez tous les trois présenté un exposé très utile.

Maître Eggerman, j’ai pris note de votre remarque au sujet de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, soit qu’on n’en fait pas mention dans le projet de loi. En fait, le Sénat est saisi d’un projet de loi, celui de Romeo Saganash, et ce, depuis un certain temps, et il n’a pas encore fait l’objet d’un vote. Il est à espérer qu’il fera l’objet d’un vote au moins avant la fin de notre session et avant les élections. Il ne s’agit pas d’un projet de loi du gouvernement, car je suis certaine que si c’était le cas, j’aurais soulevé un certain nombre de questions de privilège. Quoi qu’il en soit, je vous le dis seulement à titre informatif, maître Eggerman.

J’ai trouvé intéressantes vos observations sur les connaissances traditionnelles des peuples autochtones et le caractère positif de leur inclusion dans le projet de loi. Vous avez dit qu’on ne va pas assez loin. Vous avez dit que les connaissances traditionnelles font partie des processus de consultation, mais qu’elles ont suscité peu d’attention, à part à l’étape de la consultation, et qu’en fait, les tribunaux semblent se prononcer lorsque c’est utilisé. Je suis ravie de vous entendre dire qu’il n’est pas vrai que le projet de loi C-69 fera augmenter le nombre de litiges. L’Association des femmes autochtones a dit qu’il est préférable de collaborer que de se quereller. J’espère que nous nous entendons tous là-dessus.

Je me demande si vous pouvez nous expliquer davantage pourquoi vous pensez qu’on ne va pas assez loin au chapitre des connaissances traditionnelles des Autochtones. On en reste au processus de consultation et aucune mesure n’est prise par la suite et, encore une fois, le système de justice crée les politiques.

Mme Eggerman : D’après mon expérience, on parle beaucoup de l’idée de tenir compte des connaissances traditionnelles des Autochtones, mais en fait, pour ce qui est de la façon dont ces connaissances sont perçues, elles sont toujours sous-évaluées lorsqu’elles entrent en conflit avec la science de l’environnement ou la science occidentale. Pas toujours — cela peut être le cas. Il y a une tendance, parce que les tribunaux ne donnent pas d’orientation. Nous avons des orientations sur la façon dont la preuve par histoire orale devrait être traitée relativement au moment où les droits sont prouvés. Dans le contexte des consultations, il y a une lacune sur le plan juridique quant à la mesure dans laquelle les connaissances traditionnelles des Autochtones devraient être prises en compte par rapport à la science, surtout si les connaissances traditionnelles constituent en soi un système juridique prisé sans corroboration — ou parfois elles contredisent la science occidentale.

Je n’ai pas la solution, mais ce que je dis, c’est qu’il est important que le gouvernement fédéral discute avec les peuples autochtones pour trouver un moyen consensuel de faire en sorte que les connaissances traditionnelles autochtones soient prises en considération et acceptées. De plus, il devrait y avoir des règles quant à la façon dont ces éléments de preuve sont examinés lorsqu’il est question de la science occidentale, et c’est l’une des choses qu’il nous manque. À l’heure actuelle, au Canada, il y a souvent des politiques sur les connaissances traditionnelles autochtones, mais elles sont complètement différentes. Il n’y a pas de politiques normalisées. Chaque nation peut avoir sa propre définition de « connaissances traditionnelles autochtones ». Pour un professionnel, c’est très difficile lorsqu’on a ces énoncés généraux. Le projet de loi ne fournit pas une orientation quant à ce qu’on doit faire de ces éléments de preuve, et je crois qu’il faut en donner une. Comme nous l’avons constaté maintes fois dans ce domaine, lorsqu’il y a des lacunes et que le gouvernement ne veut pas les combler, ce sont les tribunaux qui le font. Parfois, c’est bien, mais les tribunaux ne sont pas toujours des spécialistes de la question. Ils ne sont pas sur le terrain, et parfois, ils n’amènent pas les solutions les plus pratiques, et collaborer pour combler la lacune constitue un aspect important.

M. Willy : Je veux seulement ajouter quelque chose. Les entreprises les plus novatrices les intègrent sans même y penser. J’ai dirigé le programme sur la responsabilité de Rio Tinto à la mine de diamants Diavik, et j’ai dirigé certaines des mines dans le Nord pour Cameco. Nous avons intégré des connaissances traditionnelles non seulement parce que c’était la bonne chose à faire, mais parce que dans les communautés autochtones, la tendance est de tenir des discussions avec d’autres communautés autochtones sur la question de savoir qui est l’exploitant de ressources naturelles qui convient.

Je crois que quelqu’un a mentionné un peu plus tôt qu’il existe déjà des dispositions. Les bonnes entreprises le feront, et nous relevons la barre parce qu’il y a quelques éléments indésirables ou dans certains cas, on n’applique pas un règlement de la bonne façon, et c’est utilisé par des gens de l’extérieur comme pomme de discorde pour venir dans les communautés. Il faut comprendre que les communautés autochtones veulent que le développement économique grimpe dans la hiérarchie des besoins. Nous voulons combler nos besoins d’aliments et d’eau, et de sécurité, et nous sommes assaillis par d’autres groupes qui veulent combler leurs besoins d’actualisation de soi. On ne réglera pas toujours tout et on ne pourra pas tout faire, mais parfois, nos communautés veulent simplement des emplois. Parfois, elles cherchent des options pour nos jeunes pour empêcher les suicides.

Les bonnes entreprises le font déjà dans le Nord de la Saskatchewan. Cameco collabore avec nos communautés pour élaborer, planifier et mettre en œuvre des projets en incorporant les connaissances traditionnelles de la Première Nation d’English River.

Mme Eggerman : Il est vrai qu’il existe de bonnes entreprises qui font vraiment un excellent travail, mais il ne s’agit pas d’un processus uniformisé.

La sénatrice Cordy : Malheureusement, bien des lois sont adoptées en raison des gestes posés par une poignée de personnes.

Quoi qu’il en soit, monsieur Barnhart, vous avez parlé de petits et grands projets et de projets intermédiaires. Je suis certaine que vous avez utilisé un mot qui convient mieux. Qu’est-ce qu’un projet intermédiaire? D’après ce que vous avez dit, je crois comprendre qu’il s’agit d’un projet qu’on laisse à lui-même en quelque sorte parce qu’il n’entre pas dans la catégorie des petits projets ou dans celle des grands projets. Pouvez-vous me donner un exemple d’un projet intermédiaire? Voulez-vous dire que nous devrions définir cette catégorie?

M. Barnhart : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Je ne crois pas que nous avons assigné un montant précis à cette catégorie. Le problème, c’est que lorsqu’un projet est plus grand que les petits projets, il est placé dans le groupe des grands projets. Cela mène à une série d’évaluations et d’examens qui prennent beaucoup de temps et qui peuvent souvent entraîner des retards ou même l’annulation du projet. Donc les projets intermédiaires — nous n’avons pas élaboré de définition précise, mais nous pouvons dire qu’il s’agit par exemple des projets de plus d’un million de dollars, mais de moins d’un certain montant — seraient de cet ordre-là. Il serait très utile de tenter de veiller à ce que ces projets municipaux soient en mesure d’être lancés, car ils n’entrent pas dans la catégorie des petits projets.

La sénatrice Cordy : D’accord. Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Me Eggerman. J’ai examiné attentivement la définition d’« instance », qui inclut un cadre dirigeant autochtone « [...] ayant des attributions relatives à l’évaluation des effets environnementaux […] ». Plus tôt, vous avez dit ceci : « C’est très rare qu’une étude d’impact environnemental ne doive pas tenir compte de l’impact sur les Premières Nations, sur des droits ancestraux ou autres. » Ce pouvoir visant à autoriser un corps dirigeant à mener l’étude environnementale ne devient-il pas plus théorique qu’autre chose? Au fond, il pourrait se retrouver en situation de conflit d’intérêts avec un risque de partialité évident. Donc, n’est-ce pas dangereux de donner ce droit ou un semblant de droit?

[Traduction]

Mme Eggerman : J’aimerais reformuler votre question pour vérifier si j’ai bien compris. Je crois que vous parlez d’un service de substitution ou de substitution lorsque...

Le sénateur Carignan : Oui, et la définition d’une instance autochtone pour mener une étude.

Mme Eggerman : D’accord. On autoriserait les groupes autochtones à mener leur propre évaluation d’impact et à la substituer à l’évaluation. Encore une fois, lorsque j’ai examiné cela, j’ai trouvé que c’était une occasion unique. Il y a aussi d’autres dispositions selon lesquelles le Canada peut conclure d’autres types d’accords, mais nous ne connaissons pas la nature de ces accords. Est-ce une compétence conjointe ou est-ce moins que cela? J’aime cette idée, et je crois qu’elle est prometteuse. Ce que je n’aime pas au sujet de la loi, c’est le manque de précision et le fait qu’il s’agit de mesures ponctuelles qui s’appliqueront à certaines nations, plutôt qu’une loi qui visera les problèmes principaux.

Même si une ou deux nations peuvent avoir la capacité et le désir de mener une évaluation d’impact de substitution, cela n’englobe pas l’ensemble des préoccupations. Chaque fois que j’examine des textes législatifs, je suis toujours inquiète, car on laisse tellement de possibilités à l’imagination. Qu’est-ce que cela signifie? Est-ce une promesse qui ne sera jamais tenue? Nous ne le savons vraiment pas, et comme je suis avocate, je n’aime pas cette incertitude.

La sénatrice Simons : J’aimerais remercier M. Barnhart. Je suis contente d'apprendre que vous étiez greffier du Sénat. C’est formidable. C’est comme un voyage dans le temps.

J’aimerais ajouter, monsieur Willy, que votre présentation sur ce que vous avez accompli à English River était très touchante et inspirante.

Ma question s’adresse à Me Eggerman. Je ne sais pas si vous étiez présente lorsque Dwight Newman, un universitaire, a comparu devant nous. Il a abondamment parlé de l’obligation de consulter, et il a fait valoir l’argument selon lequel le projet de loi est inadéquat, car il ne contient aucune explication ou définition de l’obligation de consulter et qu’il ne contient aucun passage où l’obligation de consulter est engagée. Il y a une partie sur la participation du public et sur les consultations publiques, mais il n’y a rien de précis sur l’obligation de consulter. Il a fait valoir que le projet de loi, dans sa forme actuelle, ferait augmenter le nombre de litiges, car il crée une plus grande confusion au sujet de la signification de l’obligation de consulter dans le contexte du projet de loi. J’aimerais avoir votre avis sur son analyse. Il a hésité un peu sur les points où nous devrions apporter des amendements, mais j’aimerais savoir si vous pouvez nous conseiller sur la façon de préciser cette partie du projet de loi.

Mme Eggerman : Malheureusement, je n’ai pas eu la chance d’entendre M. Newman, mais je l’ai entendu à d’autres occasions et il est très perspicace.

Selon moi, mon obligation de consulter se fonde sur la jurisprudence, c’est-à-dire essentiellement ce que la Cour suprême du Canada a déclaré dans ses jugements Nation haïda, Taku River et Mikisew Cree. Ces trois affaires, en 2004 et 2005, ont établi les fondements de l’obligation de consulter, et c’est ce qui oriente ma démarche.

Je crois que vous avez raison lorsque vous dites que cela manque de précision et qu’on ne sait pas exactement quelle place occupe la consultation. Lorsque j’ai examiné le projet de loi, j’ai eu l’impression que la consultation était un peu partout sans être directement mentionnée, et c’est le cas dans un grand nombre de lois. Par exemple, les lois provinciales qui parlent de l’évaluation d’impact environnemental ou les lois sur l’environnement ne mentionnent pas spécifiquement l’obligation de consulter, mais cette obligation est exigée par la Constitution, et elle doit donc être mise en œuvre et concrétisée. On se contente habituellement de l’intégrer au processus législatif.

Je crois qu’il y a des questions liées au rôle du promoteur. C’est l’une des questions que je me pose. Vous savez, je pensais qu’on avait insisté davantage sur les consultations supplémentaires et sur le fait de les mener plus tôt dans le processus, mais encore une fois, la Cour suprême du Canada nous informe que les consultations doivent être menées le plus tôt possible.

Donc, même si je pense que cela manque de précision, si j’utilisais cette loi dans mes fonctions d’avocate, j’inscrirais au compte rendu toutes les interactions entre la Couronne ou les entités législatives et les clients autochtones en précisant qu’elles font partie du processus de consultation.

La sénatrice Simons : M. Newman a mentionné spécifiquement l'arrêt Nation crie Mikisew, qui a été rendu après la rédaction du projet de loi C-69 et, je crois, après l’adoption du projet de loi à la Chambre. Je dois relire cette décision, car il a dit que certaines parties de cette décision rendaient d’autant plus urgente la nécessité de trouver une façon de modifier le projet de loi C-69, car le projet de loi était particulièrement inadéquat à la lumière de cette décision.

Mme Eggerman : Il devait parler du deuxième arrêt, Nation crie Mikisew, dans lequel le tribunal a déclaré qu’il n’y avait pas d’obligation de mener des consultations relatives à la loi.

La sénatrice Simons : Oui, la province n’était pas tenue de mener des consultations relatives à la loi.

Mme Eggerman : C’est la même chose pour le gouvernement fédéral.

La sénatrice Simons : Oui, mais il a dit que certaines parties de cette décision étaient plus précises au sujet de la signification de l’obligation de consulter.

Mme Eggerman : Je devrai examiner cela. Je vais réexaminer le témoignage de M. Newman et si j’ai quelque chose à ajouter, je le ferai par écrit.

La sénatrice Simons : Ce serait formidable. Merci.

Le sénateur Mockler : J’aimerais remercier chaleureusement les trois témoins. Vous avez tous livré un témoignage très informatif.

Je viens du Nouveau-Brunswick, et nous savons tous ce qui s’est produit dans le cas d’Énergie Est. Ma question s’adresse à M. Barnhart et à la Saskatchewan Urban Municipalities Association. Un corridor de transport de l’énergie qui irait d’un bout à l’autre du pays représenterait-il une bonne décision stratégique dans le cadre de la modernisation du Canada? Nous pourrions l’appeler un transfert de nos technologies, et améliorer les relations avec les Premières Nations et avec les municipalités. Qu’en pensez-vous?

M. Barnhart : Merci de votre question, sénateur. J’ai entendu Steve McLellan répondre à votre question plus tôt, et j’ai tendance à être d’accord avec lui, car je ne suis pas sûr que ce sera possible d’obtenir l’accès aux terres. Nous avons actuellement des corridors de transport avec la route transcanadienne et les deux chemins de fer principaux, et nous pourrions donc nous permettre de rêver à cela. Je suis sûr que vous savez bien que Trans Mountain est une sorte de corridor, car il ne trace pas de nouvelle route; il suit plutôt la route déjà tracée. Cela pourrait-il se produire aussi dans le cas d’Énergie Est? Je présume que c’est possible, mais nous devrions identifier les propriétaires de toutes les terres entre les deux extrémités. Je pense que la situation s’apparente à celles des petits centres qui souhaitent être reliés aux grandes villes par le chemin de fer. Une fois les rails enlevés, il est difficile de les remettre en place.

Le sénateur Mockler : Merci.

M. Willy : Des discussions au sujet d’un tel corridor sont déjà en cours, sénateur. Elles sont surtout menées par les collectivités autochtones. Je crois que nous devons commencer à changer le fait que les collectivités autochtones lancent et dirigent ces discussions, surtout dans l’Ouest canadien, où de nombreuses terres au nord de Saskatoon sont prêtes à accueillir les investissements.

Le sénateur Mockler : Poursuivons donc la réflexion sur un corridor qui traverserait le Canada.

Madame Eggerman, vous êtes avocate de droit constitutionnel. Que se passera-t-il si nous n’obtenons pas les amendements appropriés pour le projet de loi C-69, c’est-à-dire que si, après avoir fait notre travail et avoir proposé ces amendements, ils sont rejetés? Environ huit ou neuf premiers ministres provinciaux ont exprimé des préoccupations à l’égard du projet de loi C-69, et le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique a envoyé une lettre au premier ministre dans laquelle ses membres énumèrent leurs préoccupations. Si ces amendements sont rejetés et qu’on n’adopte aucun des amendements que les Canadiens ont proposés par l’entremise de cet instrument, c’est-à-dire le Sénat, cela ne justifierait-il pas une contestation en vertu de la Constitution du Canada?

Mme Eggerman : C’est une question difficile. Le gouvernement fédéral a compétence constitutionnelle sur des domaines qui touchent à des choses comme les pipelines interprovinciaux et sur tous les enjeux environnementaux sur les terres fédérales. Je crois donc que la compétence nécessaire existe. Je présume que si les Canadiens n’aiment pas le projet de loi, en raison du fonctionnement de notre démocratie, ils auront la possibilité de répondre par l’entremise du processus électoral.

Le sénateur Mockler : Cela réglera cet enjeu.

Le sénateur Patterson : Monsieur Willy, je vous remercie beaucoup de tout ce que vous avez dit — et je suis tout à fait d’accord avec vous. Je reconnais également votre vaste expérience sur le terrain dans des projets modèles comme Diavik.

Le révérend Michael Poellet, docteur en religion et président de l’Inter-Church Uranium Committee Educational Cooperative, nous a parlé des effets néfastes de l’extraction de l’uranium sur la santé des humains, le bien-être social et l’environnement. Il a déclaré que l’on continuait de minimiser ces effets et de ne pas en tenir compte. Vos gens travaillent sur le terrain. Vous avez un nombre impressionnant d’employés autochtones. Observent-ils des effets néfastes sur leur santé et leur bien-être social?

M. Willy : Il y a quelques années, j’ai voyagé sur le territoire du Nunavaut avec un aîné pour participer à des discussions de groupe sur la mise en valeur de l’uranium, et je pense que nous avions utilisé la citation selon laquelle un plus grand nombre de personnes étaient décédées de la pauvreté. Personne, là-bas, n’est décédé des radiations ou des effets sur la santé découlant de la mise en valeur de l’uranium. En fait, les travailleurs voient leur taux de cholestérol augmenter, car ils sont très bien nourris dans les mines d’uranium. Vous savez, il s’agit de ces mêmes principes, et lorsqu’un représentant du clergé parle des Autochtones, nous nous méfions toujours un peu de leurs motivations. Je n’en dirai pas plus.

Le sénateur Patterson : Maître Eggerman, si vous me le permettez, je suis préoccupé au sujet des critères mal définis dans l’article 22. Ils sont très imprécis. Un témoin précédent a dit qu’on pourrait s’informer sur d’autres facteurs identitaires en plus de ceux liés au sexe en consultant le site web de l’analyse comparative entre les sexes plus. Puis-je énumérer rapidement les facteurs identitaires de la liste de l’analyse comparative entre les sexes plus?

La présidente : Sénateur Patterson, nous avons seulement cinq minutes.

Le sénateur Patterson : Je sais, mais je veux que cela soit ajouté au compte rendu. Puis-je utiliser mon temps?

La présidente : D’accord. Allez-y.

Le sénateur Patterson : Les 10 autres facteurs identitaires sont l’éducation, l’orientation sexuelle, le revenu, la culture, l’emplacement géographique, l’incapacité, l’âge, la religion, l’origine ethnique et la race. Maître Eggerman, vous avez dit que la disposition sur le savoir autochtone n’était pas assez approfondie pour préciser le lien avec la science, que les autorités judiciaires lui avaient accordé peu d’attention, qu’il fallait produire des lignes directrices détaillées et un cadre fonctionnel, que chaque nation pouvait avoir sa propre définition de ce qu’exige la loi et ne pas refléter cela. Je présume que ma question se résume à ceci : l’inclusion d’une telle notion mal définie n’affaiblira-t-elle pas l’argument visant à inclure le savoir autochtone dans le projet de loi, une initiative que vous appuyez?

Mme Eggerman : Non, selon mon point de vue d’avocate, l’inclusion de cette disposition sera tout de même utile, car je pourrai utiliser la loi pour démontrer à mes clients qu’ils doivent tenir compte du savoir traditionnel autochtone dans le processus de consultation, car il s’agit de l’un des critères établis. Toutefois, comme vous l’avez dit, les problèmes surgissent lorsqu’il faut déterminer comment cette notion est définie, comment elle est acceptée et comment elle se compare à la science occidentale.

Je crois que c’est utile d’inclure cette disposition, mais une meilleure solution consisterait à rédiger une définition appropriée et à titre d’avocate, je crois que c’est le cas pour toutes les lois. En effet, il n’y a rien de plus difficile que de devoir travailler avec une loi qu’on ne sait pas comment mettre en œuvre sur le terrain, et je pense donc qu’il est important de préciser davantage ces notions. Les critères dont vous parlez sont différents des droits conférés par l’article 35. Je crois qu’il est important de ne pas oublier que les Autochtones et que leurs droits issus des traités sont protégés sur le plan constitutionnel, et que la Couronne doit s’acquitter de son obligation de consulter, car c’est une exigence constitutionnelle. Encore une fois, que la question du savoir traditionnel autochtone soit mentionnée par écrit ou non, selon moi, la Couronne a une obligation prévue par la loi d’examiner ces preuves pour déterminer comment elles peuvent entraîner des impacts potentiellement néfastes sur les droits issus des traités et sur les droits des Autochtones.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui.

Monsieur Willy, j’aimerais seulement vous dire j’ai été impressionné par ce qu’a fait votre communauté pour vous aider à sortir de la pauvreté. Je crois que d’autres intervenants devraient étudier ce modèle. Je viens de la Colombie-Britannique, et certains modèles ont également très bien réussi là-bas. Ce sont toutes de bonnes choses.

Maître Eggerman, j’ai seulement une question. Elle concerne la DNUDPA et le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. J’aimerais avoir votre avis sur la signification du consentement. Est-ce un droit de veto?

Mme Eggerman : Je ne pense pas que mon opinion à ce sujet soit nécessairement importante. De mon point de vue d’avocate, il s’agit d’une déclaration en droit international à laquelle on a adhéré, là encore, pleinement et sans réserve. On y parle d’un consentement libre, préalable et éclairé. Rien n’est indiqué sur le fait d’essayer de l’obtenir. Nous devons organiser une discussion de nation à nation dans le cadre de laquelle les parties, le Canada et les nations autochtones, pourront s’asseoir et décider ensemble de ce que cela signifie.

Là encore, je pense qu’il s’agit davantage d’une question de relation que du fait de s’opposer à l’infrastructure. Toutefois, lorsque les communautés sont touchées et que les répercussions sont très marquées, on devrait pouvoir dire : « Oui, nous voulons ce projet », ou « Non, nous n’en voulons pas », ou encore « Oui, nous voulons ce projet, mais sous certaines conditions ». Encore une fois, je pense que cette question va revenir souvent, jusqu’à ce que l’on passe de la consultation à une réelle prise de décisions concertée, et je pense que les communautés autochtones doivent recevoir une part des ressources dont nous parlons.

Le sénateur Neufeld : Vous avez dit plus tôt que ce concept n’était pas défini, et que cela engendrerait des litiges.

Mme Eggerman : Oui.

Le sénateur Neufeld : C’est pourquoi je vous ai posé la question, et j’imagine que cela fait partie de ce que pensent les gens.

Mme Eggerman : Oui.

Le sénateur Neufeld : Lorsque nous parlons de litiges, nous devons, en quelque sorte, faire le nécessaire pour faire avancer les choses. Cela ne veut pas dire que vous pouvez faire fi de la volonté des autres, et ce n’est pas ce que je dis, mais, à un certain moment, une décision doit être prise.

Mme Eggerman : Je pense que le fait de s’asseoir et d’en discuter afin de déterminer ce qui constitue un consentement libre, préalable et éclairé entre les nations est nettement préférable à un renvoi devant les tribunaux. Lorsque les tribunaux établissent une définition, elle est définitive. Cela ne permet pas la tenue d’un dialogue et d’une discussion continus, ce qui est, d’après moi, la marche à suivre. Comme je l’ai dit, la définition donnée par le Canada du consentement libre, préalable et éclairé diffère de plus en plus de celle des communautés autochtones. Cette différence doit être atténuée d’une façon ou d’une autre, et je pense que la tenue de discussions de nation à nation est préférable aux litiges.

La présidente : Merci beaucoup. Votre temps de parole est écoulé, mais nous avons deux autres questions. Sénateur Tkachuk et sénatrice Wallin, vous avez deux minutes chacun. Merci.

Le sénateur Tkachuk : Merci, madame la présidente.

Tout d’abord, merci beaucoup à vous tous.

Monsieur Willy, je n’ai pas de question pour vous, parce que vous avez été drôlement clair, mais j’en ai une pour M. Barnhart et Me Eggerman.

Maître Eggerman, vous avez parlé du devoir de consulter, et vous avez dit que la définition n’était pas claire. C’est ce qui inquiète tout le monde. Elle n’est pas claire. Vous avez dit que vous basez cela sur les décisions de la Cour suprême. Je pense que c’est ce que vous avez dit. C’est le problème. Nous basons cela sur les tribunaux et nous avons besoin d’une définition plus claire. Tout le monde a besoin d’une définition plus claire. Le manque de précision de la définition est commode pour les avocats, non? Northern Gateway a été retardé par les tribunaux et Énergie Est a été retardé par les tribunaux. Le pipeline en direction du Sud est retardé par les tribunaux aux États-Unis et au Canada. C’est fou.

Nous avons besoin d’une définition. Nous avons besoin que des gens comme vous nous donnent des définitions qui puissent être inscrites dans la loi, pour que cela soit plus clair pour les personnes qui essaient de bâtir des pipelines ou de développer une ressource, pour qu’elles n’aient pas à craindre, lorsqu’elles commencent la construction, que quelqu’un puisse les traîner devant les tribunaux. Je pense que Kinder Morgan est passé par tout le processus deux fois. Cela a tué Kinder Morgan, et ils attendent encore. Cela a coûté 4 milliards de dollars aux contribuables, et cela ne fait que commencer.

Mme Eggerman : Je pense que la clarté est une bonne chose. Je suis d’accord avec vous.

Le sénateur Tkachuk : Le projet de loi C-69 n’est donc pas une bonne chose, parce qu’il n’est pas clair. Pourquoi créer de nouvelles lois si le projet de loi C-69 n’est pas clair?

Mme Eggerman : Ce que je veux dire, c’est que nous devrions en accroître la clarté.

Le sénateur Tkachuk : Très bien. Nous aimerions beaucoup que vous nous disiez quelle serait, selon vous, une définition plus claire.

Monsieur Barnhart...

La présidente : Sénatrice Wallin et...

Le sénateur Tkachuk : J’ai une dernière question pour M. Barnhart, s’il vous plaît.

Monsieur Barnhart, la Saskatchewan Association of Rural Municipalities est venue ici tout à l’heure et a proposé un certain nombre d’amendements qu’elle souhaite voir adoptés ou présentés, et qui vont dans le sens de la Fédération canadienne des municipalités. Votre organisme appuie-t-il ces amendements, et souhaitez-vous également qu’ils soient apportés?

M. Barnhart : Il faudrait que je les examine pour voir ce qu’a dit M. Orb, mais je soupçonne que nos attitudes face à ces questions sont assez semblables, mais j’aimerais vérifier avec lui avant de vous donner une réponse définitive.

Le sénateur Tkachuk : Si vous le pouviez, ce serait très utile.

M. Barnhart : Oui, je vais le faire et je vous donnerai ma réponse.

Le sénateur Tkachuk : Merci beaucoup.

La présidente : Maintenant, passons à la sénatrice Wallin, et le sénateur Carignan a une minute pour une dernière question. Allez-y.

La sénatrice Wallin : Je vais poser ma question avant lui, parce que ce sera long.

J’aimerais simplement dire, chef Willy, que les remarques dans lesquelles vous avez comparé le partenariat à la consultation ou autre, sont très encourageantes. Vous voulez simplement que les choses se fassent. En tant que titulaire d’un diplôme avec majeure en psychologie, je suis également heureuse d’entendre vos inquiétudes au sujet du fait que des personnes se réalisent à vos dépens. Cela me parle.

Voici ma question. Tout à l’heure, nous avons entendu Steve McLellan, de la chambre de commerce, et l’un des points principaux qu’il a soulevés est le fait que l’industrie, les entreprises et les personnes qu’il représente perdent confiance dans le gouvernement fédéral, que leur confiance est au niveau le plus bas, qu’il s’agisse d’un gouvernement libéral ou d’un gouvernement conservateur. Je me demande, dans la mesure où vous vous sentez capable de parler au nom des Autochtones, si vous perdez confiance lorsque des processus de ce type sont mis en place.

M. Willy : Tout tourne autour de l’autodétermination de nos communautés et de notre population, non? Je perds confiance, oui, parce que l’industrie des ressources canadienne est la seule raison pour laquelle les entreprises autochtones sont aussi florissantes. Elles font tout le travail. Aucune autre industrie dans notre pays n’engage et n’embauche autant d’Autochtones que les entreprises d’exploitation des ressources. Faisons la comparaison avec le gouvernement fédéral. J’ai dû réaliser une demande d’accès à l’information sur les 10 dernières années pour l’approvisionnement fédéral. Ils ont accordé 0,46 p. 100 de leurs occasions d’approvisionnement à des entreprises autochtones, alors que ce taux était de 70 p. 100 chez Cameco. Nous réalisons des travaux pour Bruce Power, la plus grande centrale nucléaire au monde. Nous avons la qualité et la capacité pour, avec un peu de chance, travailler avec le gouvernement fédéral. Alors oui, nous perdons confiance dans le processus. Si vous prenez les entreprises de développement des ressources et que vous leur imposez un fardeau supplémentaire, comment allons-nous atteindre la réconciliation économique? Personne d’autre ne fait quoi que ce soit.

La sénatrice Wallin : Merci.

La présidente : Sénateur Carignan, allez-y.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Me Eggerman. Vous avez parlé du devoir de consulter qui est dans la Constitution en ce qui concerne les droits des Autochtones. Ça va. Par contre, le projet de loi crée aussi une nouvelle obligation de consulter en vertu de la loi. Donc, on a deux sources juridiques pour l’obligation de consulter, une qui est constitutionnelle pour les droits issus de traités ancestraux, et une autre qui est issue de la loi. Selon votre interprétation, en ce qui concerne l’obligation de consulter issue de la loi, est-ce qu’on devra consulter les Autochtones ou les bandes au sujet des 22 facteurs qui doivent être pris en compte dans une étude d’impact? Par exemple, devra-t-on tenir compte de l’interaction des sexes et de l’identité de genre, ou seulement des aspects qui auront un impact direct sur eux ou sur leur territoire?

[Traduction]

Mme Eggerman : Mes commentaires se limitent à l’obligation légale de consulter et de prendre des mesures d’adaptation, mais je comprends que cette loi tient également compte non seulement de l’incidence sur les droits, mais également de l’incidence sur les communautés autochtones. Pour ce qui est de la liste de critères que vous avez mentionnée, ces questions doivent être prises en compte dans le cadre de la loi, mais pas dans le cadre de l’obligation légale. Je pense toutefois que le fait d’établir que cette consultation aura une incidence potentielle sur les droits et les autres intérêts des communautés autochtones est une bonne chose, car cela met l’accent sur autre chose que la définition de ces droits. Souvent, à la table de consultation, on discute beaucoup de ce qui constitue ou non un droit. Les gouvernements ont une vision assez étroite des droits. Certaines provinces en ont une vision très étroite et d’autres, une vision un peu plus large. Les Premières Nations auront également une vision très différente de leurs droits.

L’un des avantages d’une définition un peu plus large est que la consultation sera moins axée sur ce qui constitue un droit, au-delà de la chasse, de la pêche et du piégeage, mais également d’autres intérêts qui seront mobilisés, comme l’incidence néfaste sur l’économie. Il pourrait s’agir de quelque chose de particulier qui pourrait ne pas être classé par le tribunal comme un droit autochtone ou un droit découlant d’un traité, mais une communauté autochtone pourrait craindre certaines incidences néfastes sur son économie, et cela ferait l’objet d’une discussion. Je pense qu’une vision large nous rapproche de la réconciliation et constitue un processus de consultation plus complet que lorsque la définition est plus étroite et détermine de façon stricte ce qui constitue ou non un droit.

La présidente : Merci beaucoup à nos témoins.

Merci, chers collègues, de vos questions.

(La séance est levée.)

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