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Sous-comité sur les ressources humaines

 

Délibérations du Sous-comité sur les
Ressources humaines

Fascicule no 1 - Témoignages du 19 juin 2018


OTTAWA, le mardi 19 juin 2018

Le Sous-comité sur les ressources humaines se réunit aujourd’hui, en séance publique, à 17 h 53, conformément à l’article 12-7(1) du Règlement, étudier des questions financières et administratives (sujet : l’examen de la politique de harcèlement du Sénat) et à huis clos, pour l’étude d’une ébauche de rapport.

La sénatrice Raymonde Saint-Germain (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, nous poursuivons ce soir notre étude de la politique du Sénat sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail. Je souhaite la bienvenue au public à cette réunion.

Le sous-comité a été créé le 7 décembre 2017 par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration pour examiner la politique du Sénat sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail.

Ce soir, nous recevons deux groupes de témoins. En premier lieu, nous avons le plaisir de recevoir Katherine Lippel, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de la santé et de la sécurité du travail de l’Université d’Ottawa. Madame Lippel, je vous remercie de votre présence et de votre participation ce soir. Je tiens à vous exprimer les regrets des membres du comité qui ont dû vous faire attendre en raison de la prolongation des travaux de la Chambre. Sans plus tarder, je vous invite à nous livrer vos réflexions.

Katherine Lippel, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de la santé et de la sécurité du travail, Université d’Ottawa : Merci beaucoup, madame la présidente. Vous n’avez pas à vous excuser, c’est tout à fait compréhensible. Je vous remercie de l’invitation. J’ai préparé quelques pages que je vais lire, non pas de notes, mais au moins des interventions.

[Traduction]

Je parlerai surtout en anglais. Vous trouverez des références à la fin, et j’ai remis à M. Charbonneau des exemplaires de ce que j’ai préparé, car je ferai référence à quelques études et vous pourrez voir ce dont je parle lorsque vous les consulterez.

La présidente : Ne vous inquiétez pas. Nous avons de très bons traducteurs et interprètes.

Mme Lippel : Je vais tenter d’être un bon témoin et de ne pas alterner entre deux langues. Je vous remercie de votre patience.

Je vous remercie d’avoir fait les présentations. Je dirai essentiellement quelques mots sur ce que je fais et qui je suis, car je crois que cela vous facilitera la tâche pendant la période de questions. Je suis avocate de formation. Je suis membre du Barreau du Québec. Je suis dans la section sur le droit civil, et je suis donc professeure de droit au Québec. Je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de la santé et de la sécurité du travail, ce qui signifie que je travaille avec des douzaines de personnes qui ne sont pas avocates, et que la plupart de mes recherches sont interdisciplinaires.

En ce qui concerne votre sujet d’intérêt d’aujourd’hui, j’ai récemment mené quelques travaux avec l’Organisation internationale du Travail et j’ai préparé, pour cet organisme, un document intitulé « Addressing Occupational Violence », dans lequel on examine, d’une part, l’ensemble de la documentation sur les définitions des différentes catégories de violence, et d’autre part, la documentation sur les stratégies de réglementation utilisées partout dans le monde. Cette initiative a été menée dans le cadre des préparatifs liés à la convention internationale sur la violence au travail organisée par l’OIT, et de nombreuses initiatives menées au Canada, notamment le projet de loi C-65 et une série de modifications apportées à des lois canadiennes, s’inscrivent dans le contexte de cette convention internationale qui fait actuellement l’objet de négociations.

Le premier projet de convention a été adopté le 8 juin 2018, et c’est donc essentiellement un processus récent. Les choses avancent très rapidement. Dans ce contexte, j’ai produit des documents et dans les références, vous trouverez une référence au projet de convention qui a été adopté.

Avant la réunion qui s’est déroulée à Genève, j’ai travaillé avec des membres de la délégation canadienne, des employeurs, des représentants de travailleurs et des représentants du gouvernement, et nous avons discuté de différentes notions.

Comme je l’ai dit, le projet de loi C-65 fait partie du contexte dans lequel ce projet de convention internationale a été adopté. Je crois que le gouvernement fédéral est notamment conscient de l’obligation du Canada d’agir à titre de chef de file mondial dans le dossier de la violence au travail, et il est certainement un chef de file lors de ces discussions à Genève.

Pour vous parler de l’autre partie de mon expérience, je m’exprimerai en français, car c’est la langue que j’ai utilisée à ce moment-là.

[Français]

J’ai été chercheure dans le contexte de l’Enquête québécoise sur les conditions de travail, de l’emploi et de santé et sécurité du travail, l’EQCOTESST, qui est une enquête nationale au sens québécois du terme, financée par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du gouvernement du Québec et qui a fait un échantillon représentatif de la population qui travaille au Québec de plus de 5 000 personnes. Cela a été mené par l’Institut de la statistique du Québec, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, l’IRSST. J’étais responsable du chapitre sur la violence au travail. Un certain nombre de vos questions portent sur la prévalence, par exemple, des différentes formes de violence. Je pourrais au moins vous en peindre le portrait québécois. Le Dr Michel Vézina était directeur de cette enquête. Il est le responsable à l’INSPQ de tout ce qui a trait aux risques psychosociaux, y compris la violence au travail, et je l’ai consulté avant de venir vous rencontrer. J’ai discuté avec lui de votre projet ainsi qu’avec la Dre Mariève Pelletier qui travaille à l’INSPQ. Donc, même si je suis avocate, je me suis informée auprès de non-juristes et particulièrement de spécialistes en santé.

[Traduction]

J’ai lu votre politique en anglais et en français, et j’ai également lu les délibérations du 5 juin et du 12 juin. Comme je l’ai dit, j’ai présenté votre politique à mes collègues québécois, car ce sont des spécialistes de la prévention de la violence et des troubles de santé liés à la violence. Lorsque je dis « violence », cela comprend évidemment le harcèlement et l’intimidation. Puisque je suis d’accord avec la grande majorité des témoignages précédents, je ne répéterai pas leurs propos. Je serai heureuse de répondre aux questions. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec quelques points, et je les mentionnerai, mais je ne répéterai pas chaque fois que le témoin a exprimé une bonne idée. Par souci de concision, je me concentrerai sur mes commentaires qui apportent de nouveaux éléments liés à votre politique.

Mon premier commentaire concerne les définitions. J’aimerais faire valoir deux points à cet égard. Je crois qu’il est essentiel de tenir compte du spectre complet de la violence, ce qui comprend le harcèlement sexuel, le harcèlement fondé sur le sexe, le harcèlement discriminatoire, le harcèlement fondé sur l’intimidation, et ce que les Suédois appellent la persécution collective — selon votre pays d’origine, vous parlez de persécution collective, d’intimidation ou de harcèlement psychologique. Votre politique doit donc viser tous les comportements du spectre de la violence qui sont reconnus comme étant des formes de violence psychologique. Si vous me permettez de vous donner un bref conseil, il faut porter attention aux définitions contenues dans le projet de loi C-65 et les règlements, car ce cadre législatif avec une définition pourrait causer de la confusion chez un grand nombre de personnes. Les règlements compléteront la définition. Si vous avez plusieurs définitions, cela pourrait causer des problèmes, selon moi. Cependant, c’est évidemment votre politique, et vous ferez ce que vous jugerez approprié à cet égard.

J’aimerais formuler un petit commentaire sur l’ancienne politique que vous révisez. Vous utilisez souvent le mot « conflit », et il est important d’éviter d’associer le harcèlement et l’intimidation à un conflit. Si vous souhaitez l’utiliser, définissez-le, mais le harcèlement peut se produire par exemple lorsqu’on donne un bureau à quelqu’un sans lui donner un téléphone et quelque chose à faire. C’est du harcèlement, même s’il n’y a aucun conflit dans un tel cas. Ce genre de chose peut tuer des gens. En effet, en France, la société France Télécom fait face à des accusations criminelles à la suite de suicides. Souvent, il n’y avait aucun conflit; la société envoyait simplement des gens ne rien faire du tout, afin qu’ils quittent leur emploi. Il vous faut donc faire preuve de prudence lorsque vous utilisez le mot « conflit » dans vos politiques.

Je suis heureuse d’apprendre que vous avez décidé de commencer la formation. Je crois que c’est une excellente initiative. Vous êtes les experts au Sénat. Je ne suis pas experte au Sénat, mais selon ce que j’ai lu sur ce qui a été fait jusqu’ici, les sénateurs et leur personnel sont comme de petites entreprises. Il existe de nombreux documents sur les moyens de prévenir le harcèlement au sein des petites entreprises, et vous pouvez donc vous informer — ou je présume que votre personnel peut vous communiquer ces informations — sur le contenu de ces documents.

Par exemple, je fais beaucoup de travail à l’échelle internationale, et la loi belge indique qu’il faut nommer une personne de confiance. Une personne de confiance peut se trouver au sein d’une grande entreprise, mais dans le cas d’une petite entreprise, il est préférable de nommer une personne de l’extérieur. Il pourrait s’agir d’un membre du personnel d’un établissement complètement distinct. Imaginez que vous êtes de petites entreprises qui peuvent tirer des leçons des pratiques exemplaires contenues dans les lois comme la loi belge, qui offre des outils aux petites entreprises. Rappelez-vous que vous êtes un petit milieu de travail, mais que, en même temps, vous faites partie d’un très grand milieu de travail, s’il y a 400 employés. Donc, lorsque les syndicats peuvent participer, ils devraient le faire. Les ressources humaines peuvent participer aussi et devraient le faire. Vous êtes un organisme hybride, et vous pouvez profiter des pratiques exemplaires des grandes et des petites entreprises, mais n’oubliez pas que vous êtes ces deux types d’entreprises.

[Français]

Dans la loi belge, on parle d’une personne de confiance. L’Assemblée nationale du Québec a adopté une politique sur le harcèlement dans l’enceinte de l’Assemblée nationale qui s’applique aux ministères. J’ai fourni, dans mon document, le lien à cette politique. On y traite d’un « répondant en matière de harcèlement ». C’est un concept qui fait en sorte que quelqu’un soit nommé pour écouter en premier lieu, avant de faire enquête, la personne visée par le harcèlement.

[Traduction]

C’est la cible du harcèlement. Je tente d’éviter d’utiliser le mot victime, mais la personne ciblée par le harcèlement peut s’adresser à une personne de confiance et lui parler librement tout en gardant l’anonymat et lui demander des conseils. Cela se trouve dans la politique de l’Assemblée nationale et dans la loi belge. Je crois que c’est une pratique exemplaire que vous pouvez étudier.

Il faut s’assurer d’offrir une protection solide contre les représailles à la cible de l’intimidation, ainsi qu’aux témoins et aux dénonciateurs. Il est important de se rendre compte que lorsque les gens craignent de parler après avoir été témoins de harcèlement, que ce soit du harcèlement sexuel ou de l’intimidation, ils seront plus susceptibles de dire quelque chose s’ils peuvent compter sur des mesures de protection efficaces. Plus les gens dénoncent la situation rapidement, plus l’établissement en profite, car il est possible de résoudre le problème avant que les gens commencent à souffrir de troubles de santé. Lorsqu’on laisse une situation s’aggraver, elle devient un problème de santé publique. C’est donc une suggestion.

En ce qui concerne les mécanismes de traitement des plaintes et le choix d’un enquêteur, c’est-à-dire la personne choisie par les deux parties pour mener l’enquête, j’ai appris certaines choses non seulement dans les discussions liées au projet de loi C-65, mais également dans une présentation PowerPoint sur les consultations liées aux règlements pour le projet de loi C-65. Si vous ne l’avez pas vue — je pense surtout aux personnes qui vous fourniront du soutien pendant cette initiative —, il serait bon de voir ce qu’on envisage d’inclure dans ces règlements. On envisage notamment une nomination conjointe par les deux parties, afin que la personne choisie pour mener l’enquête soit considérée comme étant crédible par les deux parties.

Je n’ai pas participé aux consultations, car j’étais à l’extérieur du pays à ce moment-là. À titre de membres du Sénat, vous pouvez réfléchir à la façon dont vous nommerez les personnes qui mèneront les enquêtes et vous pouvez vous demander qui est l’autre partie lorsque nous parlons des « deux parties ». Lorsque nous parlons du projet de loi C-65 et de la fonction publique du Canada, dans ma tête, il est clair que le syndicat et les ressources humaines sont les deux parties concernées. Ce n’est toutefois peut-être pas clair pour les rédacteurs de la loi ou pour vous. Je crois que vous devriez éviter que le harceleur ou l’auteur présumé de l’infraction et la victime deviennent les « deux parties » qui choisissent la personne qui mènera l’enquête. En effet, cela pourrait devenir une occasion de revictimiser la victime. Par exemple, si un sénateur est accusé et que la victime est un page, ce n’est pas une situation équitable. S’il s’agit d’une liste de personnes approuvées à la fois par les syndicats et les représentants des ressources humaines, peut-être pour l’ensemble du Sénat, en incluant même les sénateurs, cela éviterait de créer un tel déséquilibre. Vous pourriez étudier cette possibilité.

Il faut veiller à prévoir un financement suffisant pour les enquêtes indépendantes. Il vous faudra un budget. Ce budget devra permettre de répondre à la demande.

Il faut également veiller à mener l’enquête avant de déterminer la validité de la plainte. Lorsque j’ai lu la première ébauche, c’est-à-dire l’ancienne version, j’ai eu l’impression qu’une personne décide, à l’interne — par exemple, le whip —, si la plainte est valide et qu’on l’envoie ensuite aux fins d’enquête. Je crois que ce n’est pas l’ordre approprié. Il faudrait mener une enquête indépendante lorsqu’un incident est signalé.

Voici le point sur lequel je suis en désaccord avec certains intervenants. Je crois que vous devriez éviter d’imposer des échéances serrées. Je peux voir, dans vos débats, que vous tenez à compléter le processus le plus rapidement possible, et nous comprenons cela, mais vous ne devez pas oublier que certaines victimes d’intimidation sont en congé de maladie et qu’elles présentent un risque de suicide lorsque la situation est très grave. Vous ne voulez pas dire à ces gens de se présenter ou de partir. Je suis sûre que vous vous êtes rendu compte de cela aussitôt que j’ai abordé le sujet.

Je travaille avec des médecins qui oeuvrent dans le système de santé publique du Québec, et je me spécialise en indemnisation pour les travailleurs. Le Québec assure la couverture de ces cas depuis les années 1980. Certaines personnes sont très malades et d’autres tentent de se suicider. Il faut veiller à prévoir une souplesse raisonnable dans les règlements pour éviter qu’ils deviennent une nouvelle source de stress pour les personnes touchées. Dans une moindre mesure, cela peut aussi s’appliquer à la personne accusée, car parfois, cette personne peut développer un trouble de santé mentale lié au stress créé par le processus. Vous devez être efficaces. Il ne faut pas laisser le processus durer quatre ans, mais en même temps, il faut respecter la santé de toutes les personnes concernées et veiller à utiliser un processus respectueux.

J’ai quelques suggestions — j’ai presque terminé; c’est la dernière page — pour favoriser la prévention. Je crois que c’est l’élément le plus important, mais dans les discussions que j’ai lues, on ne mettait pas suffisamment l’accent là-dessus. L’un de vos témoins a parlé du stress, un terme approprié et générique, mais nous parlons en fait des facteurs de risque psychosociaux en milieu de travail. Vous trouverez énormément de documentation à cet égard dans mon rapport à l’Organisation internationale du Travail. Par exemple, lorsque des gens occupent des postes où la demande est élevée, mais où le pouvoir de décision est réduit, c’est stressant pour tous les employés de ce milieu de travail. Si vous êtes un adjoint administratif qui relève de six différentes personnes dont les demandes s’accompagnent d’échéances extrêmement serrées, les effets de cette situation peuvent se répandre et empoisonner l’ensemble du milieu de travail. De nombreuses études révèlent que ce genre de situation est un élément sous-jacent à l’intimidation et au harcèlement en milieu de travail. La précarité d’emploi représente un autre risque psychosocial.

Si une partie de votre processus consiste à évaluer le climat du milieu de travail avant de recevoir une plainte et à examiner les risques dont les gens se plaignent et auxquels ils affirment être exposés, cela peut servir de mesure de prévention efficace, car ces conditions peuvent facilement engendrer des conflits.

On a également démontré que la précarité d’emploi est particulièrement liée au harcèlement sexuel — mais pas tellement à l’intimidation. L’intimidation est beaucoup plus observée chez les employés permanents et elle consiste à tenter de se débarrasser d’eux en rendant leurs conditions insupportables. Je vous ai parlé de France Télécom, et vous avez peut-être des questions sur cette affaire. En France, on a porté des accusations criminelles contre les PDG de France Télécom, car selon les allégations, ils ont décidé de se débarrasser de certains employés qui profitaient d’une bonne sécurité d’emploi en rendant leur situation insupportable par l’entremise de l’intimidation.

Cela peut se faire sur le plan horizontal et vertical. Sur le plan horizontal, un employé harcèle un collègue ou un cadre supérieur harcèle un autre cadre supérieur. L’EQCOTESST a révélé que c’est fondé sur le sexe. En effet, plus les hommes occupent un poste élevé dans la hiérarchie, plus ils sont protégés contre le harcèlement. Il est statistiquement significatif qu’un PDG ou même un professionnel soit moins susceptible d’être victime de harcèlement qu’un homme qui se trouve aux échelons hiérarchiques inférieurs ou qui est un col bleu, un travailleur qualifié ou même un superviseur. Toutefois, pour les femmes, il n’y avait aucune différence statistiquement significative entre les secrétaires et les PDG. En résumé, une femme n’est pas protégée lorsqu’elle gravit les échelons. En théorie, une sénatrice est donc tout aussi susceptible de subir du harcèlement psychologique — le sujet dont je parle — qu’une page du Parlement. Vous devriez donc en tenir compte dans vos politiques.

Quelqu’un a recommandé — et je suis tout à fait d’accord — de mener un sondage auprès de vos employés. Vous le savez probablement déjà, mais juste au cas où — étant donné que je n’ai vu cela mentionné nulle part —, il existe un Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux qui est régulièrement mené au sein de la fonction publique du Canada. Vous pouvez consulter les résultats pour tous les fonctionnaires du Canada. J’ai parlé aux représentants du ministère du Travail et du ministère de la Justice. J’ai livré des présentations fondées sur les données produites par ce sondage. C’est un outil précieux. Il a été lancé sous l’administration Harper — en 2011, en 2014 et en 2017 — et il contient des données sur l’ensemble de la fonction publique. Par contre, je n’ai rien pu trouver sur le Sénat. C’est peut-être en raison de mes compétences de recherche ou il se peut que vous ne participiez pas au sondage, mais ne réinventez pas la roue. Utilisez ce sondage. C’est formidable, car vous pouvez vous comparer à vous-mêmes d’une année à l’autre. En même temps, vous pouvez cerner vos forces et vos faiblesses. Tout le monde réussit bien dans certains domaines et tout le monde réussit moins bien dans d’autres domaines. C’est un excellent outil et il ne coûte rien, car il existe déjà.

Surveillez les plaintes. Conservez des statistiques sur le harcèlement sexuel, mais également sur les autres catégories de harcèlement, notamment le harcèlement fondé sur le racisme, le harcèlement discriminatoire et le harcèlement lié à l’orientation sexuelle et à l’appartenance au groupe des personnes LGBT. De plus, les handicaps représentent un élément important dans le dossier du harcèlement.

En terminant, j’aimerais vous communiquer des observations générales. Je l’ai déjà mentionné, mais n’oubliez pas la santé des personnes ciblées, car les gens deviennent gravement malades. Des troubles de santé mentale sont documentés, ainsi que des troubles physiques. Il existe énormément de documentation à cet égard si vous souhaitez en apprendre davantage. Aussi, soyez prudents avec les échéances. Nous voulons tous être efficaces. Je l’ai déjà souligné, mais je le répète. Tenez compte de la santé mentale de toutes les personnes concernées avant d’imposer une période limite de 60 ou de 90 jours. Le Québec vient tout juste de modifier sa loi pour passer d’un délai de 90 jours à une période de deux ans pour les plaintes de harcèlement. Ce changement a été effectué la semaine dernière. Il est aussi important de faire attention aux retards.

Enfin, je termine avec un dernier message : respectez la voix de la personne ciblée. Que veut-elle? Trouvez un endroit sécuritaire où elle pourra exprimer clairement ses besoins. Parfois, les gens veulent simplement que le harcèlement cesse. Parfois, ils veulent obtenir justice et ils souhaitent qu’on reconnaisse qu’ils ont été victimes de harcèlement. Ce que la personne souhaite faire permettra d’orienter le reste de votre démarche.

C’est ce que je tenais à vous communiquer. J’espère que je n’ai pas pris trop de temps.

Le sénateur Scott Tannas (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Merci. Nous passons maintenant aux questions.

La sénatrice Jaffer : Merci. C’était très utile.

Depuis le début de ces travaux, j’ai vraiment de la difficulté, parce que je continue à dire que nous sommes différents chaque fois que nous entendons des témoins. Je ne suis pas une artiste, mais la meilleure façon de vous le faire comprendre est avec ce grand bâtiment. Il y a 105 entreprises, puis il y a l’administration. Je la place au bas, mais elle pourrait être n’importe où. Il y a une base administrative qui sert les bureaux, répond à leurs besoins et fait beaucoup de choses, puis nous avons notre propre personnel. Au sommet, il y a une institution, mais nous demeurons indépendants. Nous pouvons être indépendants dans la façon de traiter notre personnel — c’était le cas jusqu’ici. Nous sommes de passage. Nous ne sommes pas souvent ici.

À vrai dire, dans une entreprise, vous entendez des bruits. Je ne sais pas ce qu’il en est de mes autres collègues, mais je viens ici, je fais mon travail, puis je rentre à la maison. Je ne suis vraiment pas au courant de bien des choses qui se passent autour de moi — parfois même dans mon bureau. Aujourd’hui, je n’y suis même pas allée puisque j’ai travaillé. Nous ne sommes pas à un seul endroit. Nous ne sommes pas le patron. C’est une situation très difficile.

Nous n’avons pas de syndicats, n’est-ce pas? Le personnel des sénateurs n’est pas syndiqué. L’administration l’est, mais pas notre personnel. Ajoutez à tout cela que notre personnel n’a pas de sécurité d’emploi non plus. La plupart des contrats durent un an, même si les employés sont en poste depuis longtemps. Ce ne sont pas des choses dont nous sommes fiers, mais je dis simplement que c’est notre réalité.

Dans une telle situation, tout ce que vous avez dit est très légitime, et nous regarderons certainement comment nous agissons, mais le cadre est très différent. Ce n’est pas une excuse pour ne pas faire tout ce que vous avez dit, mais nous avons des défis à relever.

Il se peut que vous ne puissiez pas répondre aujourd’hui, ce que je respecte. D’après vous, comment pouvons-nous créer un milieu de travail sécuritaire? Ce sont les gens avec qui nous travaillons et ceux qui travaillent pour nous. Les deux groupes ont besoin d’un endroit sûr. Cela me pose problème. Quand vous dites que vous écoutez, cela me frappe vraiment. Quand est-ce que j’écoute? Je ne suis pas ici pour écouter. Je pourrais continuer longtemps puisque cela me dérange. Je me demande si vous pouvez m’aider.

Mme Lippel : Paradoxalement, votre situation n’est pas si différente de celle des professeurs qui font de la recherche. Je suis ici. J’ai passé deux heures dans mon bureau aujourd’hui. J’ai 10 personnes qui y travaillent, et je ne les ai pas vues depuis deux semaines. Je vous comprends totalement. Les universités sont aux prises avec des problèmes de harcèlement sexuel, d’intimidation et de harcèlement. Il y a d’un côté une énorme institution, et de l’autre, un laboratoire de recherche familial, de sorte que je comprends parfaitement ce que vous voulez savoir.

Ce qu’il faut faire, c’est trouver une personne ou une série de personnes de confiance. Chaque sénateur ne peut pas être la personne à qui se confient un ou deux membres du personnel. Ce n’est pas fonctionnel, et ce n’est pas votre rôle. Cependant, vous pouvez avoir une personne de confiance, comme dans le modèle belge, et comme ce qui a été adopté en 2015 à l’Assemblée nationale du Québec — un endroit où le travailleur ou le sénateur peut aller. Je présume que quelqu’un va harceler un sénateur un jour. Cela s’est déjà vu. La présidente de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec a été la première femme à la présidence, et elle a été harcelée sexuellement. Elle disait à la radio qu’elle n’était pas à l’abri de cela. Tout le monde, qu’il s’agisse d’un sénateur ou de la personne qui travaille dans votre bureau pour un contrat d’un an, doit avoir un endroit sûr où elle peut parler.

Il n’est pas facile de désigner un endroit sûr. Cela nécessite une consultation. Il faut en discuter avec les syndicats, même si vos employés ne sont peut-être pas syndiqués. Les syndicats peuvent avoir des recommandations de fournisseurs de services externes, qui sont perçus comme étant justes par toutes les parties, et qui peuvent être recommandés. Ce peut être une personne qui a travaillé pour le Sénat par le passé, et qui est connue des sénateurs, mais qui n’a pas nécessairement de position. Vous pouvez nommer plus d’une personne, pour permettre de faire un choix. Le genre est important.

La sénatrice Jaffer : Puis-je vous interrompre un instant? Que voulez-vous dire par une personne de confiance? Pas quelqu’un qui va décider de leur cas? Je devrais m’arrêter, parce que mes collègues ont des questions. C’est pour remplacer le whip, n’est-ce pas, ou le responsable au sein du parti?

Mme Lippel : Je ne sais pas grand-chose des whips, alors je ne me prononcerai pas.

La sénatrice Jaffer : C’est la personne à qui les gens s’adressent.

Mme Lippel : Oui, mais la personne de confiance est un terme juridique tiré de la législation belge, qui a toujours été ma préférée. Elle est complexe, mais la législation québécoise s’en inspire. Nous n’avons pas inclus cette personne de confiance. Nous avons la Commission des normes du travail, maintenant la CNESST, qui s’occupe de ces affaires, de sorte que vous avez quelqu’un à qui vous pouvez vous adresser.

Une personne de confiance est une personne-ressource, qui ne relève pas du Programme d’aide aux employés. C’est un service différent. Les universités ont désormais ce genre de chose. C’est la personne responsable du harcèlement. Ce pourrait être un ou une ombudsman. Vous devez déterminer le niveau décisionnel qui répond à vos besoins. Il doit au moins y avoir quelqu’un à qui parler. Le genre est important. Vous pourriez nommer un homme et une femme, de façon à avoir deux personnes-ressources.

[Français]

La sénatrice Moncion : Ma question touche la formation et le développement d’une culture sans harcèlement et sans violence. Avez-vous des commentaires sur l’un ou l’autre ou sur ces deux sujets?

Mme Lippel : Je pense que plusieurs formations sont requises. La formation que je ferais pour le harcèlement sexuel est différente de celle pour d’autres formes de harcèlement discriminatoire. Elle est aussi différente pour le harcèlement psychologique. Je ne suis pas formatrice, mais j’ai fait énormément de formations syndicales lorsque la loi québécoise est entrée en vigueur. Les syndicats, au Québec, sont responsables, d’un point de vue légal, de la représentation à la fois des victimes et des accusés qui sont membres du syndicat. La loi a été intégrée dans toutes les conventions collectives du Québec.

En 2002, 2003, 2004 et 2005, il y a eu un changement de culture. On parle de milliers de personnes, car la syndicalisation se chiffre à 40 p. 100, et il fallait prévoir de la formation sur mesure. Lorsqu’on parle aux débardeurs, ce n’est pas la même formation que lorsqu’on s’adresse aux travailleurs de la santé.

Je suis professeure et chercheure. J’en ai vu d’autres. Je suis sûre, par exemple, que Tomlinson offre de la formation à ses cadres. Cette formation est différente de celle que l’on offre à des collègues. Ces services qu’on retrouve sur le marché sont peut-être plus aptes à concevoir une formation sur mesure en fonction des différents besoins.

La sénatrice Moncion : J’aimerais revenir à la formation sur mesure. Vous parlez des différents volets. Le gouvernement fédéral a offert une formation à tous les membres du Parlement et à leurs employés. Je crois que c’était une seule formation qui présentait tous les aspects. Or, vous semblez dire qu’il faudrait peut-être la diviser et prévoir différents volets. Je ne l’ai pas vue, donc je ne suis pas en mesure de la commenter, et vous ne l’avez probablement pas vue non plus. Toutefois, vous semblez nous dire qu’elle devrait être divisée.

Mme Lippel : Il devrait y avoir un programme de formation. Le fait d’expliquer aux gens votre politique est une chose. Enseigner une loi ou une politique en est une autre. Je suis professeure de droit depuis 40 ans, et je peux vous dire que les gens vont s’endormir, mais lorsque la formation porte sur la réalité qui est sous-jacente à la politique, les gens se sentent interpellés.

C’est peut-être attribuable au projet de loi no 132 du gouvernement de l’Ontario, mais à l’Université d’Ottawa, des formations sont offertes à Noël pour permettre aux gens de se pencher sur différentes situations, par exemple, sur la façon de réagir lorsqu’un subalterne dit certaines choses. C’est une formation en ligne, un peu simpliste, mais elle vaut mieux que rien. Elle est offerte dans le bureau individuel de la personne.

Il est beaucoup plus utile d’avoir une formation informée. Par exemple, si vous avez des outils comme le sondage auprès de la fonction publique, on peut se pencher sur la situation au Sénat, sur ce que les gens diraient. Les questions sont-elles bonnes? On peut avoir une formation où les gens réagissent aux résultats pour l’ensemble de la fonction publique et peuvent entamer un dialogue. Cette approche est beaucoup plus pédagogique. Elle peut être adaptée selon les différentes unités au sein du Sénat, soit pour les travailleurs administratifs, pour les sénateurs, et pour les cadres.

Je sais que vous n’avez pas beaucoup de temps, et nous non plus, mais on le fait. Le but est de faire en sorte que les gens se parlent.

J’étais au Conseil de recherches en sciences humaines lorsque les résultats de cette enquête ont été diffusés. Les résultats sont très bons pour certaines choses et moins bons pour d’autres. Je me trouvais avec l’ensemble des salariés lorsqu’ils ont pris connaissance de ces résultats. Une cadre s’est présentée et a dit ceci : « On constate que, en ce qui a trait à certaines thématiques, il faut qu’on se parle. »

Elle est là, la formation. Il faut voir qui siège au comité, ce qu’on doit faire et qui peut nous éclairer sur la question pour faire de la prévention. Lorsque je parle de formation, c’est aussi ce dont il est question.

La sénatrice Moncion : Vous avez mentionné tout à l’heure le sondage du gouvernement fédéral. C’est un sondage qui porte sur les conditions d’emploi?

Mme Lippel : En anglais, il s’intitule Public Service Employee Annual Survey Results.

Les questions qui m’intéressaient concernaient le stress au travail. Ce sont des questions validées. On ne pose pas simplement la question « Êtes-vous stressé au travail?  ». Les questions sont les suivantes : « Est-ce que votre demande est élevée? Est-ce que la latitude décisionnelle est faible?  » Ce sont des questions qui résonnent pour les scientifiques à travers le monde. On sait que si les gens répondent oui à un certain nombre de questions, c’est mauvais pour la santé. Il y a des questions sur le harcèlement discriminatoire, d’autres sur le harcèlement sexuel et d’autres encore sur le harcèlement moral.

La sénatrice Moncion : Dans ce sondage?

Mme Lippel : Oui. Le questionnaire se trouve sur Internet et on peut le télécharger. Il s’adresse à chaque unité du gouvernement canadien, du plus petit au plus grand. Parce que vous êtes inférieurs en nombre à 400, il y a une question de confidentialité. Ce sondage contient des outils particuliers pour faire en sorte qu’on ne puisse déceler ce qui se passe localement.

Statistique Canada n’est pas une énorme unité. Elle est fusionnée avec trois ou quatre autres, ce qui fait en sorte qu’on puisse obtenir des renseignements plus spécifiques sans que la confidentialité soit violée.

[Traduction]

Le vice-président : Je comprends que nous ayons commencé un peu en retard, de sorte que je vais rogner quelques minutes aux témoins suivants pour que nous puissions conclure. Je dirais que nous avons cinq minutes. Sénatrice Moncion, avez-vous autre chose?

[Français]

La sénatrice Moncion : Oui. Pour ce qui est de la culture, comment fait-on? Avez-vous des commentaires sur la façon de modifier aussi la culture?

Mme Lippel : Je crois que le harcèlement sexuel est distinct du harcèlement discriminatoire, et ce dernier se distingue du harcèlement moral. La tolérance au harcèlement sexuel, tel que l’a illustré le mouvement #MoiAussi, est un phénomène à part.

J’ose espérer que la culture commence à changer, et il faut continuer sur cette lancée. Il ne faut pas oublier le harcèlement sexuel, mais il ne faut pas non plus oublier toutes les autres formes de harcèlement.

Le taux des victimes de harcèlement psychologique, au Québec, pour les hommes et les femmes ensemble, contre 2,5 p. 100 de travailleurs et travailleuses victimes de harcèlement sexuel, se situe à 14,5 p. 100. Il est donc presque 10 fois plus élevé. En outre, les femmes sont victimes de harcèlement sexuel et moral plus souvent que les hommes.

Il faut changer la culture dans chacun des cas, et la meilleure façon de s’y prendre, c’est d’être responsable de sa situation. Il faut comprendre de quoi il s’agit. Lorsqu’on a changé la culture syndicale au Québec en matière de harcèlement psychologique et sexuel, les syndicats ont dû intervenir dans la gestion des dossiers et ça a beaucoup aidé à les mobiliser. Ils n’étaient pas à l’aise, mais quant à la prévention, ils sont les meilleurs alliés maintenant. Ça leur coûte une fortune s’ils ne gèrent pas les situations, car ils doivent défendre la victime de même que l’accusé lorsque c’est horizontal.

La sénatrice Moncion : C’est bien. Merci beaucoup.

[Traduction]

Le vice-président : Madame Lippel, nous arrivons à la fin du temps alloué. Je tiens à vous remercier au nom du sous-comité, de même que de tous les sénateurs, pour les excellents conseils qui ont été donnés aujourd’hui. C’était clair; vous avez dit un certain nombre de choses importantes que nous n’avions jamais entendues, et un certain nombre de choses qui renforçaient ou remettaient en question ce que nous avions appris auparavant. Nous vous remercions chaleureusement de votre participation.

Mme Lippel : Tout le plaisir est pour moi.

Le vice-président : Pour la deuxième partie de la séance, j’aimerais souhaiter la bienvenue aux représentantes de la Commission canadienne des droits de la personne : Monette Maillet, directrice exécutive adjointe et avocate générale principale, Fiona Keith, avocate, Division des services juridiques, et Marcella Daye, conseillère principale en politiques, Division des politiques, de la recherche et des affaires internationales.

Merci beaucoup de nous faire part de votre expertise et de vos conseils. Nous attendons votre exposé avec impatience, puis nous passerons aux questions. La parole est à vous.

[Français]

Monette Maillet, directrice exécutive adjointe et avocate générale principale, Commission canadienne des droits de la personne : Bonsoir. C’est un grand plaisir pour moi d’être invitée ici aujourd’hui au Sénat. Nous sommes heureuses de partager avec vous notre perspective sur les droits de la personne.

[Traduction]

Je suis très heureuse d’être accompagnée aujourd’hui de mes collègues de la commission, Fiona Keith et Marcella Daye. Nous vous présentons les salutations de notre commissaire en chef. Nous sommes ici aujourd’hui pour vous offrir nos perspectives et idées tandis que vous mettez à jour votre politique. Nous espérons que notre expérience juridique et politique collective contribuera à éclairer vos discussions. Avant de passer aux échanges, j’aimerais dire quelques mots d’introduction.

Premièrement, nous sommes encouragés par le travail que vous effectuez à réviser votre propre politique interne pendant que le Parlement s’occupe du projet de loi C-65. Il est toujours encourageant de voir un employeur prendre des mesures pour s’assurer que ses politiques sont conformes à la Loi canadienne sur les droits de la personne, et qu’elles reflètent l’esprit des droits de la personne au pays. Toutefois, le Sénat n’est pas seulement un employeur. C’est une partie respectée de notre démocratie. Pour cette raison, nous sommes particulièrement ravis que vous ayez publiquement pris l’engagement de « joindre le geste à la parole » et de montrer l’exemple.

Deuxièmement, nous savons que vous entreprenez ce travail pendant que le projet de loi C-65 est étudié. Comme vous le savez, notre commissaire en chef a comparu devant la Chambre des communes, et une autre fois la semaine dernière devant le comité sénatorial pour parler du projet de loi. Elle aussi était accompagnée de mes collègues qui sont avec moi aujourd’hui.

La Commission canadienne des droits de la personne appuie le projet de loi C-65, et nous étions ravis de voir les amendements proposés par le comité sénatorial, qui intègrent encore plus les droits de la personne. Nous demandons au sous-comité de tenir compte de nos observations et du mémoire que nous vous avons remis concernant le projet de loi C-65.

De même, nous vous demandons de veiller à ce que vos propres politiques internes soient conformes à une approche fondée sur les droits de la personne. Nous serons heureux d’en discuter davantage avec vous ce soir.

Pour terminer, nous tenons à saluer votre détermination à exiger une formation obligatoire pour tous les sénateurs, ainsi que pour tous les superviseurs, gestionnaires et membres du personnel. La commission parle souvent de l’importance de l’éducation afin de prévenir la discrimination et le harcèlement. Nous trouvons que c’est un premier pas louable du Sénat, et nous sommes ravis de voir que vous comptez mettre en oeuvre le projet de loi sans tarder.

Nous serons heureux de répondre à vos questions et de discuter davantage de votre politique ce soir. Sur ce, nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions, à moins que mes collègues aient quelque chose à ajouter.

Le vice-président : Y a-t-il autre chose? Bien. Nous allons donc passer aux questions.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie infiniment d’être ici, et de votre patience aussi.

Vous venez d’une institution assez importante, soit la Commission canadienne des droits de la personne, et nous aussi. Vous avez parlé du projet de loi C-65, et vous savez que nous élaborons une politique sur le harcèlement et une formation obligatoire. Il y aura ensuite des règlements.

Je suis vraiment préoccupée du fait que nous avons suscité des attentes. Nous ne sommes pas là, mais nous avons haussé les attentes. J’espérais que vous puissiez nous aider à comprendre la transition. Toutes ces choses prennent du temps.

Je ne dirai pas son nom, mais j’ai assisté récemment à un événement où une membre de l’armée, une femme très connue, a dit qu’il n’y avait plus de temps à perdre, car la vie de quelqu’un est détruite chaque jour où nous attendons. Une jeune personne arrive dans une institution avec toutes sortes d’attentes, puis sa vie est détruite. Il n’y a plus de temps à perdre. On m’a dit qu’il faut du temps pour changer la culture.

Maintenant que je suis sur cette voie, je ne suis pas prête à attendre que quelqu’un d’autre soit blessé. Alors, comment la transition s’effectue-t-elle? Je pourrais continuer encore et encore, mais vous en avez assez entendu. Qu’adviendra-t-il jusqu’à ce que toutes ces choses soient en place?

Marcella Daye, conseillère principale en politiques, Division des politiques, de la recherche et des affaires internationales, Commission canadienne des droits de la personne : Je vous remercie de la question et de nous avoir invités. Je vais commencer, après quoi mes collègues auront peut-être d’autres choses à ajouter.

Une partie de la bonne nouvelle est que vous commencez cette transition avec un engagement à l’égard de la formation. Vous n’avez besoin ni d’une nouvelle loi ni de la réglementation pour le faire. Plus vite vous mettrez en place les mesures, mieux ce sera.

D’après mon expérience à travailler avec les employeurs et à examiner des politiques et des pratiques qui semblent s’attaquer à des problèmes semblables, il y a d’autres pratiques qui n’ont pas nécessairement besoin de l’appui d’une loi ou d’une réglementation, mais qui peuvent être très bonnes. L’une d’entre elles consiste à donner plus de détails sur le type de formation que vous offrez. La culture est difficile à changer. Cela prend du temps, et il n’y a pas de solution facile. Cependant, il existe des types de formation qui peuvent donner un élan à votre changement de culture d’une façon plus susceptible d’atteindre les résultats que vous recherchez.

Par exemple, la formation passive, où le participant est assis à regarder un webinaire ou à écouter des informations dans une salle de conférence, peut certainement transmettre des renseignements, et nous voulons bel et bien que des informations justes soient diffusées. Cependant, une formation plus intéressante pouvant entraîner des changements sur les plans de l’empathie, de la perception et possiblement de la culture est fondée sur l’interaction. Elle comprend des scénarios et des jeux de rôle permettant aux gens de comprendre ce que vit une personne qui se sent harcelée, ce qui les aide à bâtir des solutions.

En plus de sensibiliser les participants et de transmettre des connaissances, cette formation peut également favoriser l’acquisition de compétences et leur pratique, des compétences qui peuvent ensuite être utilisées le jour suivant.

Tandis que vous vous lancez dans cette initiative de formation, nous vous encourageons à mettre sur pied une formation rigoureuse qui permet une véritable interaction avec les participants et les sénateurs.

La sénatrice Jaffer : Puis-je demander une précision? Qu’entendez-vous par la « pratique »? Je comprends l’acquisition de compétences. J’ignore quelle formation sera dispensée, mais nous opterons pour une formation parlementaire, et peut-être quelque chose d’autre. Par « pratique », voulez-vous dire qu’il faut pratiquer pendant la formation ou après?

Mme Daye : Certaines des formations les plus efficaces que j’ai vues sont des formations actives où les gens participent à des jeux de rôle pendant la séance elle-même, avec quelques conseils. On y offre un cadre structurel dans lequel il est possible d’apprendre. Le participant joue un rôle, puis en discute afin de mieux comprendre la dynamique pouvant survenir dans une éventuelle situation de harcèlement. Il apprend les voies qui peuvent empirer la situation dans le moment, et les compétences qui pourraient améliorer les choses à cet instant. Lorsque c’est fait dans une salle de classe, avec des directives et l’acquisition de connaissances, cela permet aux participants de véritablement mettre en pratique les compétences nécessaires pour prévenir le harcèlement et le gérer efficacement sur le coup.

La sénatrice Jaffer : Lorsque nous suivons la formation — et cette question me préoccupe beaucoup —, le faisons-nous avec nos pairs ou au sein d’un groupe mixte?

Mme Daye : J’inviterais mes collègues à répondre à la question. Les meilleurs groupes que j’ai vus étaient mixtes.

Notre commissaire en chef dit souvent que tout commence par le haut, et vous avez 105 dirigeants. Vous avez tous ces chefs de file au Sénat, et il y a un certain avantage à dispenser une formation entre pairs chez les sénateurs.

Je sais aussi que le projet de loi C-65 a suscité des discussions au sujet de la formation des spectateurs; ce sont des personnes aidantes qui peuvent être témoins de harcèlement, ou à qui une personne victime de harcèlement s’adresse d’abord. Cette formation pour spectateur peut également être utile parmi un groupe de pairs.

Les groupes de pairs peuvent être formés à divers échelons : un groupe de pairs de sénateurs, un groupe de pairs de superviseurs et de gestionnaires, et un groupe de pairs de membres du personnel. Il est toutefois important de mélanger ces groupes afin de comprendre les points de vue et d’échanger sur la dynamique du pouvoir, qui est unique et frappante au Sénat. Vous avez des personnes qui détiennent beaucoup de pouvoir et, comme vous l’avez dit, des jeunes de passage qui viennent travailler au Sénat.

La sénatrice McPhedran : Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie de votre engagement continu dans nos diverses tentatives en vue d’améliorer cet endroit.

La question fondamentale que je me pose concerne les circonstances idéales. Cela fait suite aux propos de la sénatrice Jaffer, qui parlaient de la nécessité d’un catalyseur pour changer la culture.

Je ne parle pas du projet de loi C-65. Je parle exclusivement de notre milieu de travail, le Sénat, et de la possibilité, pour ceux qui ont vécu quelque chose qui relève du harcèlement, de porter plainte devant la commission en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je sais que nous avons discuté brièvement d’un des seuls cas, peut-être, où on a tenté d’empêcher un membre du personnel du Sénat de déposer une plainte en vertu de cette loi.

C’est hypothétique. Idéalement, est-ce un aspect essentiel non seulement pour opérer un changement de culture efficace, mais aussi pour avoir un ensemble de mécanismes qui soutiennent ce changement — autrement dit, un milieu de travail juste?

Fiona Keith, avocate, Division des services juridiques, Commission canadienne des droits de la personne : Je parle de façon générale en tant qu’avocate. Je pense que le recours auprès de tiers est important. La commission a toujours appuyé les mécanismes de recours internes, qui sont soutenus dans l’ensemble de la fonction publique. Cela dit, je pense que la possibilité de faire appel à un tiers, qu’il s’agisse de déposer un grief relatif au travail ou une plainte en matière de droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, sont des mécanismes d’équilibre importants. Cela cadre également avec l’approche selon laquelle la victime ou la cible devrait pouvoir choisir son mécanisme préféré et opter pour plus d’un mécanisme à la fois.

La sénatrice McPhedran : Si je continue avec mon hypothèse : disons qu’un membre du personnel du Sénat se sent lésé et dépose une plainte en vertu de la Loi sur les droits de la personne. Il me semble qu’il est tout à fait possible que la plainte soit rejetée en vertu de l’article 41, selon la discrétion de la commissaire en chef. Pouvez-vous nous dire si cela arrive souvent? Si j’ai le temps, j’aimerais passer à une question sur la médiation, mais je m’arrêterai à la question sur la discrétion de la commissaire en chef pour l’instant.

Mme Keith : La culture et les mécanismes d’application changent également. Nous avons parlé un peu de la culture ce soir, mais il y a aussi la culture relative aux mécanismes d’application. Au cours des dernières années — et surtout au cours des trois dernières années —, je ne me souviens d’aucun cas où la commission ait exercé son pouvoir de discrétion pour renvoyer une plainte pour harcèlement à un autre décideur. Pour le dire de façon positive, je ne me souviens pas qu’il y ait eu une exception : la commission a traité toutes les plaintes de harcèlement. Cette situation est attribuable à plusieurs facteurs, notamment à la culture relative aux mécanismes d’application. Selon le point de vue actuel, il est très important d’offrir aux cibles du harcèlement des mécanismes d’application axés sur les droits de la personne.

Mme Maillet : Oui. Je suis d’accord. En fait, la commission accorde la priorité aux plaintes en matière de harcèlement, surtout aux plaintes pour harcèlement sexuel lorsque, par exemple, dans une industrie dominée par les hommes, les femmes sont plus vulnérables. Nous accordons la priorité à ces plaintes afin de veiller à ce que ces femmes aient tout le soutien dont elles ont besoin.

Le vice-président : Je crois que j’ai perdu le fil et je veux être certain de bien comprendre.

Si le Sénat du Canada mettait en place pour ses employés et sénateurs un processus d’enquête par un tiers... Dans le cas d’un sénateur, je crois que les autres sénateurs rendraient un jugement, mais dans les autres cas, on aurait recours à ce processus. Nous pourrions faire tout cela et ensuite, la personne pourrait s’adresser à la Commission des droits de la personne pour tout recommencer? Est-ce que c’est ce que nous disons ici? Est-ce qu’il en va de même dans toutes les entreprises et institutions? Vous êtes indépendants et vous pouvez décider d’intervenir lorsqu’une personne fait appel à vous. Est-ce exact?

Mme Keith : C’est exact.

Le vice-président : Merci.

La sénatrice McPhedran : Il y a un vote.

Le vice-président : Nous allons entendre la sénatrice Moncion pendant que nous vérifions pourquoi les cloches sonnent.

La sénatrice Moncion : Dans quelle mesure les plaintes se rendent-elles jusqu’à vous? Il y a un mécanisme en place. Selon quelle fréquence recevez-vous les plaintes?

Mme Keith : Le système fédéral des droits de la personne compte deux volets : la Commission canadienne des droits de la personne — c’est nous — et le Tribunal canadien des droits de la personne. Les gens déposent une plainte auprès de la commission, où nous travaillons, et la commission l’étudie. Elle rassemble les faits et détermine si la plainte doit ou non être transmise au Tribunal canadien des droits de la personne. Le tribunal est l’organisme décisionnel qui peut accorder réparation s’il juge que la plainte est fondée.

Au cours des 10 dernières années, nous avons reçu environ 1 100 plaintes de harcèlement.

La sénatrice Moncion : Au cours de la dernière année?

Mme Keith : Au cours des 10 dernières années.

Les gens arrivent souvent à régler les questions de harcèlement par l’entremise d’autres mécanismes. Ils peuvent décider de retirer leur plainte auprès de la commission, décider de ne pas porter plainte ou de ne pas continuer. Il se passe toutes sortes de choses, mais la loi prévoit un recours simultané par l’entremise de la Commission canadienne des droits de la personne.

La sénatrice Moncion : Donc, 1 100 personnes en 10 ans, ce n’est pas beaucoup. Je vais le dire autrement. Ce n’est pas beaucoup si l’on compare ce chiffre au nombre d’histoires que l’on entend.

Mme Keith : Je crois que nous sommes d’accord pour dire que le nombre de plaintes que reçoit la commission n’est probablement pas représentatif du nombre de cas de harcèlement dans les milieux de travail sous réglementation fédérale.

La sénatrice Moncion : Merci. C’est ce que je voulais dire. Avec ce qu’on entend, 1 100, c’est beaucoup, mais pas tantque ça, étant donné l’ampleur du problème.

Le vice-président : Excusez-moi, il y a eu une erreur. Nous pensions que c’était le timbre d’une heure, mais ce n’est pas le cas. C’est le timbre d’une demi-heure. Le vote se tiendra à 19 h 18. Voulez-vous poursuivre encore 10 minutes?

Des voix : D’accord.

Mme Daye : Nous serons disponibles pour vous parler si vous avez des questions et que nous manquons de temps.

Le vice-président : Merci.

La sénatrice McPhedran : Ma prochaine question est une fois de plus hypothétique. Si un membre du personnel décide de porter plainte et que la commission décide d’accueillir la plainte. Il y a un processus d’enquête et en règle générale — corrigez-moi si je me trompe —, on finit par passer à la médiation. C’est souvent ce qui se passe, et le dossier disparaît. C’est une chose avec laquelle j’ai de la difficulté dans cette institution, c’est-à-dire la mesure dans laquelle le secret voile les processus, les chiffres et la vérité. Est-ce qu’il y a eu entente? Est-ce qu’il y a une clause de non-divulgation? Qu’est-ce qui s’est vraiment passé?

La seule façon d’avoir des réponses, c’est par l’entremise de la ligne confidentielle que j’ai mise sur pied. Ce qui se passe maintenant, c’est que j’entends parler de la médiation ou des discussions dirigées et des ententes, mais tout cela disparaît. Dans une certaine mesure, c’est toujours ce qui se passe avec la médiation selon sa forme habituelle. Par exemple, ma collègue a eu une réaction compréhensible lorsqu’elle a dit qu’il n’y avait pas beaucoup de plaintes, mais il faudrait savoir ce qui a disparu pour bien comprendre l’ampleur du problème.

À votre connaissance, y a-t-il une façon de dresser un portrait plus juste de la situation tout en permettant aux gens de choisir la médiation si c’est ce qu’ils souhaitent vraiment, alors qu’ils accepteront peut-être que rien ne soit consigné?

Mme Daye : Vous soulevez une question que se posent de nombreux employeurs et organisations. Elle est d’autant plus importante depuis l’émergence du mouvement #MoiAussi, qui a levé le voile sur de nombreuses plaintes. Vos préoccupations sont les mêmes que celles de tout le monde.

Ce que je dirais au sujet du processus de la commission, c’est que nous arrivons à régler environ le tiers des plaintes de harcèlement par l’entremise de la médiation. Cette médiation est tout à fait volontaire et est privilégiée dans de nombreux cas. Il s’agit de la solution privilégiée par les plaignants pour de nombreuses personnes, notamment parce qu’elles ne veulent pas que le processus s’éternise et qu’il s’agit d’une solution plus rapide et plus facile, qui leur donne aussi le règlement dont elles ont besoin pour passer à autre chose.

Une médiation réussie peut redonner un sentiment de contrôle aux plaignants, mais elle entraîne aussi une perte de données. Notre recommandation, alors que vous révisez votre politique, serait de songer à recueillir ces données de manière à fournir un indicateur des mesures à prendre au travail, mais à les recueillir de façon distincte et anonyme afin de protéger la confidentialité des personnes qui passent par ce processus.

L’incapacité de recueillir ces données et de les utiliser afin de procéder à une analyse robuste de l’égalité en milieu de travail représentera une perte importante pour la politique. Ce type d’exigence pourrait se retrouver dans la réglementation, mais peut-être pas non plus. Toutefois, il est tout à fait de votre ressort d’intégrer cette mesure à la politique et de montrer clairement aux personnes qui souhaitent avoir recours à ces règlements informels que les données qui saisissent la nature de la plainte et vous aident à analyser le problème et à trouver des solutions à des problèmes systémiques font partie du processus. Est-ce que cela vous est utile?

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.

Le vice-président : Chers collègues, je ne veux plus jouer au plus brave avec l’horloge.

Je vous remercie tous. Je suis désolé des circonstances de la réunion d’aujourd’hui. Si nous voulions vous réinviter ou peut-être vous consulter par vidéoconférence au cours de l’été, seriez-vous prêts à nous aider encore?

Mme Maillet : Bien sûr. Nous serons disponibles.

Le vice-président : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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