Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 7 - Témoignages du 21 avril 2016
OTTAWA, le jeudi 21 avril 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, en séance publique, pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada, puis à huis clos pour l'étude d'un projet d'ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : La séance est ouverte. Bonjour à tous. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, aux invités et aux membres du grand public qui suivent les travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Plus tôt, cette année, le Sénat a autorisé le comité à examiner les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada ainsi que les rôles joués par le gouvernement du Canada et le Parlement afin de réduire ces délais et à faire rapport sur ces questions.
C'est la quatorzième séance que nous consacrons à l'étude.
Nous accueillons aujourd'hui, pour nous parler de la coordination des efforts fédéraux et provinciaux dans le système de justice pénale au Canada, en premier lieu, les représentants du ministère de la Justice du Canada : le sous- ministre adjoint principal, Secteur des politiques, M. Donald Piragoff; la conseillère juridique à la Section de la politique en matière de droit pénal, Mme Lucie Angers.
Ensuite, les représentantes de Sécurité publique Canada : la sous-ministre déléguée, Mme Gina Wilson; la directrice générale des Affaires correctionnelles et de la justice pénale, Mme Angela Connidis.
Puis le représentant du ministère de la Justice du gouvernement de la Saskatchewan : le sous-ministre, Services correctionnels et de police, M. Dale McFee.
Enfin, mais non le moins important de nos témoins : la présidente de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada, Mme Elizabeth Strange.
Je vous remercie tous d'être ici. Nous avons hâte d'entendre vos exposés. Si j'ai bien compris, monsieur Piragoff, vous allez ouvrir le bal. Vous avez la parole.
Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Secteur des politiques, ministère de la Justice Canada : Merci, mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie aussi de l'occasion que vous m'accordez de comparaître encore une fois devant vous. Si vous vous le rappelez, j'ai témoigné devant vous au début de février.
Conformément à votre demande, j'axerai mes remarques sur la collaboration fédérale avec les provinces et les territoires, pour assurer au système de justice pénale du Canada un fonctionnement aussi efficace que possible.
Comme je l'ai expliqué le 4 février dernier, la justice pénale est un domaine de compétences partagées, et la structure fédéro-provinciale et territoriale de notre collaboration est dictée par la nécessité de collaborer qu'impose la Constitution.
Il est raisonnable de dire que les fonctionnaires fédéraux, provinciaux et territoriaux de la justice pénale et de la sécurité publique perçoivent généralement leur rôle, comme dans toutes les questions FPT, c'est-à-dire fédéro- provinciales et territoriales, comme un rôle d'intendance du système de justice pénale et qu'ils reconnaissent les responsabilités que chacun de nous détient dans sa sphère respective de compétences.
Permettez-moi quelques mots sur le processus fédéro-provincial et territorial d'après le point de vue de Justice Canada. Mes collègues de Sécurité publique Canada parleront de leur propre travail dans le contexte fédéro-provincial et territorial dans quelques minutes, tandis que M. Dale McFee donnera le point de vue des provinces et des territoires.
En ce qui concerne les ministres, on trouve au sommet de la structure la table de ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux chargés de la justice et de la sécurité publique, qui se réunit environ une fois par année, l'automne habituellement.
Si, par nature, les discussions qui y ont lieu sont confidentielles, on publie après chaque réunion un communiqué officiel sur les faits saillants des discussions. J'invite le Sénat à consulter le site web du Secrétariat des conférences intergouvernementales canadiennes pour prendre connaissance des communiqués. Par exemple, les rapports qui ont été publiés par les ministres, ces quelques dernières années, abordaient des questions telles que la violence contre les femmes et les filles autochtones, les femmes disparues, la cyberintimidation et la traite de personnes.
Sous le niveau des ministres, on en trouve un autre, celui des sous-ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux. Sous l'orientation des ministres, la table au niveau des sous-ministres se réunit habituellement deux fois par année et elle peut aussi se réunir sur demande pour traiter des questions spéciales, soit en personne ou par téléconférence.
Monsieur Dale McFee, comme je l'ai déjà mentionné, est le sous-ministre des Services correctionnels et de la police de la Saskatchewan. C'est l'un des coprésidents de ce forum. Le forum est coprésidé par deux coprésidents fédéraux, l'un du ministère de la Justice, l'autre de la Sécurité publique, puis par des coprésidents des provinces, qui peuvent être un ou deux. Actuellement, la Saskatchewan a hérité du poste de coprésident pour les provinces.
Dans la pratique, les priorités des ministres sont confiées aux sous-ministres puis, de là, aux divers niveaux de travail qui relèvent d'eux. Les priorités sont essentiellement fixées par les ministres, habituellement une fois par année. La dernière réunion, qui a eu lieu en janvier, à Québec, a été, encore une fois, très fructueuse, parce qu'un nouveau gouvernement avait été élu à Ottawa et que l'occasion était belle pour renouer les rapports. La discussion entre tous les ministres est allée bon train sur les priorités fédérales et provinciales, et les points de vue sont très bien accordés. Je pense que M. McFee parlera de certaines de ces priorités communes et des thèmes qui sont ressortis des discussions des ministres.
Toute la structure, celle des ministres et des sous-ministres, s'appuie sur un secrétariat que fait fonctionner Justice Canada avec l'appui de Sécurité publique. Ils sont gérés par les sous-ministres coprésidents. Comme je l'ai dit, il s'agit de ceux de Justice et de Sécurité publique et, actuellement, de la Saskatchewan.
J'invite ma collègue Lucie Angers à dire quelques mots sur le Comité de coordination des hauts fonctionnaires en matière de justice pénale, coprésidé par Lucie Angers elle-même, de Justice Canada, et Hélène Mathieu, du Québec. C'est le niveau de travail et vraiment la machine au service du réseau de structures FPT.
[Français]
Lucie Angers, avocate générale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Le Comité de coordination des hauts fonctionnaires en matière de justice pénale, communément appelé le CCHF, a pour mission première de soutenir les sous-ministres et les ministres responsables de la Justice et de la Sécurité publique, et de leur proposer des pistes de solution à l'égard des questions soulevées dans le cadre de notre étude. Réciproquement, le CCHF aide aussi les sous-ministres et les ministres à cerner les questions qui devraient faire l'objet d'un examen plus approfondi.
Le CCHF fournit également des conseils de nature juridique et stratégique aux sous-ministres et aux ministres en plus d'offrir une tribune visant à favoriser les échanges sur les politiques et les pratiques de chacune des administrations, d'où la nature confidentielle de ses travaux que vous avez mentionnée dans votre lettre d'invitation.
Afin de l'épauler dans les quatre volets de son mandat, le CCHF détermine s'il convient de confier les dossiers à un groupe de travail déjà existant ou d'en créer un autre. Outre le travail effectué par téléconférence et par échanges de courriels tout au long de l'année, le CCHF et une partie des groupes de travail se rencontrent deux fois par année pour se pencher sur les dossiers plus pressants. Des rapports sont envoyés régulièrement aux sous-ministres pour leur approbation ou à titre d'information, afin qu'ils soient au courant de l'avancement des travaux du CCHF. Il revient aux sous-ministres de décider si les rapports devraient être transmis aux ministres ou au comité pour que nous puissions les examiner de plus près.
Si un document doit être rendu public ou faire l'objet de consultations à l'extérieur du gouvernement ou du CCHF, l'approbation des sous-ministres ou des ministres est requise, étant donné la nature confidentielle des travaux, à laquelle j'ai déjà fait référence. Les défis du CCHF sont essentiellement les mêmes pour tous les autres forums FPT, soit les restrictions budgétaires et le temps requis pour mener à bien les travaux de nature complexe.
Chose certaine, le travail du CCHF offre l'occasion de recueillir les divers points de vue de toutes les régions du Canada, ce qui est essentiel pour faire progresser les dossiers complexes dans le domaine du droit criminel. Permettez- moi de redonner la parole à M. Piragoff afin qu'il aborde un autre important forum du FPT dont vous avez entendu parler au cours de vos travaux, soit le Comité directeur sur l'accès et l'efficacité en matière de justice.
[Traduction]
M. Piragoff : En 2003, les ministres ont constaté qu'ils avaient besoin d'élargir leur réseau à l'extérieur de la structure gouvernementale simplement FPT. Les ministres et la magistrature ont convenu de faire travailler ensemble certains des participants les plus importants du système de justice pour les amener à recommander des solutions pratiques aux problèmes touchant le fonctionnement efficace du système, sans compromettre ses valeurs fondamentales ni les valeurs fondamentales des participants.
On a donc créé un comité pour examiner les questions de nature systémique et d'envergure nationale qui peuvent peser lourdement sur l'efficacité du système de justice et l'accès au système de justice pénale.
On a créé un comité directeur sur l'efficacité en matière de justice. Se réunissant habituellement deux ou trois fois par année, il est constitué de 17 membres, soit 6 sous-ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux, 6 représentants de la magistrature (trois du Conseil canadien des juges en chef, et trois des juges en chef des cours provinciales), 3 membres des barreaux et 2 représentants de la police.
Les rapports préparés par le comité sont soumis à l'examen des sous-ministres et des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux, pour qu'ils puissent aussi prendre toutes les mesures qu'ils jugent appropriées à leur égard.
Certains des rapports que le comité directeur a rédigés ces quelques dernières années présentent beaucoup d'intérêt pour le mandat du comité sénatorial touchant les retards dans les procès : en 2005, c'était sur les mégaprocès et sur la gestion des causes déférées aux tribunaux; en 2006, sur l'examen prioritaire des dossiers; en 2009, enfin, sur la réforme des jurys.
Le comité s'apprête à publier d'autres rapports, sur le site web du Centre international pour la réforme du droit pénal et la politique en matière de justice pénale, qui est hébergé à l'école de droit de l'Université de la Colombie- Britannique.
Je recommande vivement au comité de prendre connaissance d'une partie de ces travaux, parce que c'est le résultat d'une recherche commune et essentiellement désintéressée, sans parti pris, par des juges, des hauts fonctionnaires et des sous-ministres, des avocats du Barreau et des policiers, de solutions à des problèmes communs.
En conclusion, monsieur le président, ces éléments forment essentiellement la structure FPT, à laquelle est associée, indirectement, par l'entremise de l'Association du Barreau canadien, d'où elle tire son origine, la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada. Mme Elizabeth Strange vous en parlera. Ajoutons-y les chefs des poursuites pénales — je crois que vous avez entendu le témoignage de Brian Saunders, le mois dernier, concernant le comité des chefs fédéraux, provinciaux et territoriaux des poursuites légales dont il est le coprésident.
Voilà la structure complète du réseau fédéro-provincial et territorial. Mesdames et messieurs, nous restons à votre disposition, si vous souhaitez recevoir plus de renseignements sur ces organismes.
Permettez-moi de conclure en réitérant, encore une fois, la reconnaissance, par le gouvernement fédéral, du rôle essentiel que les provinces et les territoires jouent, au Canada, dans le système de justice pénale. En fait, ils s'acquittent du plus gros du travail de maintien de l'ordre ou de poursuite des délinquants. Ils sont essentiellement sur la première ligne.
C'est, je crois, un objectif partagé par chacun de nous, aux échelons fédéral, provincial et territorial, que d'accroître la confiance des Canadiens dans leur système de justice et de trouver des façons de renforcer ce système de manière à assurer son équité, sa pertinence et son accessibilité pour tous les Canadiens. Merci beaucoup.
Dale McFee, sous-ministre, Services correctionnels et de police, ministère de la Justice, gouvernement de la Saskatchewan : Mesdames et messieurs, bonjour. Je suis Dale McFee, comme l'avait annoncé Donald. Je suis l'un des coprésidents, pour les provinces et les territoires, de la table des sous-ministres de la Justice et de la Sécurité publique.
Je tiens à vous remercier de l'invitation que vous m'avez lancée de venir témoigner devant votre comité sur la question des délais dans le système de justice et sur l'importance de la collaboration entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires pour l'obtention d'un système équitable, efficace pour tous les Canadiens.
Comme Don l'a mentionné, je n'entrerai pas dans les détails de certains groupes — ils seront abordés individuellement —, mais je tiens à dégager certaines priorités de la table des sous-ministres.
J'ai sondé l'opinion de mes homologues sous-ministres sur les améliorations qu'on pouvait apporter à un système équitable et efficace de justice, dans le contexte de sa province ou de son territoire. Je vais mettre en relief, encore une fois, certains des renseignements que le sous-ministre Fenwick a communiqués, il y a environ un mois, également, pour le ministère de la Justice.
J'insiste là-dessus, nous sommes dans une conjoncture faste : un nouveau gouvernement fédéral; beaucoup de nouveaux gouvernements dans les provinces et les territoires; établissement de nouveaux rapports; volonté de réexaminer nos priorités plutôt que de les conserver. Nous devons collaborer à la recherche de nouvelles façons d'accéder à des pratiques innovantes et fondées sur les faits en matière de justice.
Nous reconnaissons que le système de justice a besoin d'évoluer sensiblement et de devenir plus efficace.
Au fil des ans, certains des dossiers dont la table FPT avait été saisie ont cessé d'évoluer, comme Lucie l'a dit, pour diverses raisons : financières, budgétaires, manque de ressources financières ou humaines ou simplement impéritie.
Comme la table FTP façonne la voie à suivre désormais, les sous-ministres ont reconnu les priorités sur lesquelles il fallait travailler. Chacune aura des volets et des résultats mesurables, et je tiens à les énumérer tout de suite, les sept. Même si je les énumère pêle-mêle, elles sont toutes importantes. Par exemple : dans les questions autochtones, le dossier des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées et celui des recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation.
Puis il y a la santé mentale et les dépendances. Visiblement, c'est un problème de taille partout au pays, auquel il faudra consacrer beaucoup d'attention et de travail. Viennent ensuite, successivement, la justice, la prévention de la criminalité, la gestion des données et de l'information, la radicalisation et la lutte contre le terrorisme et, enfin, la cybercriminalité.
À mesure que de nouvelles idées et de nouvelles initiatives surgiront à la table FTP, nous avons l'intention de continuer à confier une partie de ce travail au CCHF, dans l'espoir que les sous-ministres reçoivent un rapport en temps opportun.
Parlons maintenant rapidement de quelques idées innovantes qui, nous l'espérons, amélioreront le système de justice.
Un dossier en manque d'innovation est essentiellement celui de la réduction de la demande. Il faut simplement réduire la demande globale qui s'exerce sur notre système, y compris, évidemment, les services de police, les tribunaux et les services correctionnels.
Par le passé, la justice pénale s'est attachée à l'offre, à demander plus de ressources, à chercher à construire plus de prisons. On constate maintenant de façon générale que l'État ne peut pas continuer à demander plus d'argent pour fournir les mêmes services de la même façon ou construire plus d'infrastructures sous forme d'établissements correctionnels.
Voici un exemple. Je suis une personne pratique. Mon père est mort il y a à peu près deux ans, et je suis fils unique. Imaginez ceci : tous les biens précieux de ma mère sont dans la cour, et le tuyau d'arrosage coule à grand débit. Que fait maman? Elle appelle son fils unique. Et qu'est-ce que je fais? J'accours, je saisis le tuyau et je commence à boire et à boire. Quand je n'en peux plus, j'appelle ma collègue fédérale Gina, ici, parce que je sais qu'elle peut consommer sa part d'eau. Elle se met donc à boire, à boire et à boire. Ensuite, nous appelons à notre secours mon bon collègue et ex- chef de police le sénateur White, en qui j'ai confiance. Ensuite, pour abréger, un brillant étudiant passe par là, nous aperçoit, gisant sur la terrasse — vous êtes l'exception — et coupe l'arrivée d'eau. Eh bien nous devons faire de même pour que le système de justice puisse jouer son rôle.
Une façon d'améliorer l'efficacité, que j'aborderai, est le recours à la détention provisoire. J'utiliserai les données de la Saskatchewan sur le cautionnement et la détention provisoire, mais les données sont étrangement semblables dans toutes les provinces.
En Saskatchewan, le nombre d'adultes en détention a augmenté de 25 p. 100 en 25 ans, alors que, pourtant, le taux de criminalité a baissé. Depuis 1998, le nombre de détenus purgeant une peine n'a augmenté que de 3 p. 100. Le nombre de prévenus en détention provisoire a augmenté de 97 p. 100. Notre population carcérale, en un jour donné, est constituée à 40 p. 100 par le nombre total de délinquants en détention provisoire — dans certaines provinces, c'est plus de 70p. 100. En Saskatchewan, et c'est là, quand on commence à s'intéresser à la détention provisoire, qu'on s'étonne des chiffres, 58 p. 100 des détenus en détention provisoire purgent jusqu'à 14 jours; 70 p. 100 jusqu'à 30 jours et seulement 13 p. 100 finissent par être condamnés à une peine de détention. De toute manière, ils se retrouvent en liberté.
La question qu'on pourrait poser est : comment sont-ils plus à risque au jour 3 ou au jour 10? La réponse est qu'ils ne le sont pas. C'est un processus systémique.
En Saskatchewan, la détention provisoire est une forme de gardiennage à court terme et coûteuse due à un mauvais processus. Pour vous en faire une idée, imaginez-vous que vous êtes à Ottawa, par la journée la plus venteuse de l'année et que vous conduisez un camion vers la banlieue la plus proche, un camion sur la plateforme duquel sont empilés de 2 à 22 millions de dollars en coupures quelconques. C'est ce montant qui s'envole irrémédiablement de votre véhicule.
La détention provisoire vise essentiellement à incarcérer les personnes dangereuses dont on doit se protéger et non celles contre qui on est en colère. Le recours à la détention provisoire doit être repensé.
En fait, une analyse indépendante a révélé qu'en maintenant ces gens en détention, on n'accroît pas la sécurité dans les collectivités. En Saskatchewan, selon une étude que nous avons menée, il n'y a aucune corrélation entre l'augmentation du taux d'incarcération et la réduction de la criminalité. Si nous laissions sortir 12 p. 100 de ces détenus, évidemment les bonnes personnes, nous pourrions nous attendre à une diminution de la criminalité. Cela nous indique que nous gérons des écoles de métiers et des universités plutôt que des centres de réadaptation, et tout cela est attribuable à l'engorgement de notre système.
Il y a un autre groupe de personnes qui demeurent bien plus longtemps en détention provisoire. En Saskatchewan, 94 détenus étaient en détention provisoire depuis plus de deux ans. Trente d'entre eux y étaient depuis presque trois ans et un depuis six ans. Imaginez tout ce que l'on peut faire en six ans. Ces personnes ne bénéficient d'aucun programme pendant cette période et ne peuvent donc pas s'améliorer.
Les pistes de solutions aux problèmes que pose la détention provisoire prolongée sont uniques et il ne faut pas les confondre avec les initiatives en matière de détention à court terme dont il a été question précédemment. Il s'agit de cas qui sont retardés par des processus judiciaires, comme Don l'a mentionné, et nous envisageons d'y remédier. La Saskatchewan et l'Ontario ont convenu de collaborer et d'examiner les pratiques relatives à la détention provisoire de l'ensemble de nos partenaires du milieu de la justice en vue de réduire le recours inutile à la détention provisoire.
Les processus liés à la détention provisoire sont nombreux et complexes. Il faut trouver des moyens de prendre les décisions plus rapidement afin d'améliorer l'efficacité globale du système judiciaire. En outre, certaines pratiques, telles que les vidéocomparutions, ont donné lieu à une meilleure communication entre la Couronne, les avocats, les tribunaux et les policiers, ce qui a permis de réduire les délais et d'améliorer l'efficacité des tribunaux.
Nous croyons également que l'utilisation de la technologie vidéo pourrait nous permettre d'améliorer la prestation des services de santé mentale dans les collectivités du Nord. Nous savons que le gouvernement fédéral se penche actuellement sur le trouble de stress post-traumatique, qu'il considère comme un enjeu important dans le domaine de la justice. Avec la récente fusillade qui est survenue dans une école du nord de la Saskatchewan, ma province natale, on a vu quel était l'impact sur les policiers, les travailleurs de première ligne et les victimes de crimes, en particulier de crimes violents, et nous estimons que nous pouvons mieux tirer parti de la technologie pour offrir des services de santé mentale et de meilleures ressources aux collectivités éloignées.
On collabore avec le Centre canadien de la statistique juridique dans le cadre d'une étude sur la récidive. En reliant les policiers, les tribunaux et les services correctionnels, cette initiative permettra de mieux cibler nos programmes en vue de réduire la demande qui s'exerce sur le système.
Il est temps de changer de paradigme, mesdames et messieurs. Il faut cesser de se demander si on est trop sévère envers les criminels qu'on incarcère ou si on est trop clément en misant sur des stratégies de prévention et d'intervention; on doit plutôt agir intelligemment pour assurer la sécurité de nos collectivités. Nous avons besoin d'une approche équilibrée qui mise sur la répression, la prévention et l'intervention en amont et en aval pour nous attaquer aux problèmes du système de justice.
Il existe une culture au sein de la profession juridique qu'il faut changer. On peut apporter des changements culturels au système de justice pénale, mais la question des retards est attribuable en grande partie à une profession juridique qui accepte de nombreux ajournements dans chaque dossier criminel. Nous devons changer la culture au Canada et réaliser des progrès au chapitre de l'efficacité des poursuites criminelles.
La stratégie sur la prévention de la violence conjugale du Manitoba dont le juge Wyant a parlé, il y a une ou deux semaines, lorsqu'il a comparu devant le comité, est un bon exemple d'un changement qui peut être efficace. Les comparutions devant les tribunaux doivent être significatives; on ne doit pas se contenter d'entériner d'office ou d'ajourner les dossiers.
Mon collègue, Kevin Fenwick, compare le système de justice pénale à un match de football. Même si un match dure trois heures, lorsqu'on calcule le temps réel de jeu, on parle peut-être de 15 minutes. C'est la même chose pour une poursuite criminelle. De la première comparution à la décision finale, on passe très peu de temps à travailler activement sur le dossier. Et les délais entre les comparutions peuvent être très longs.
À notre avis, ce serait une bonne chose que les provinces et les territoires veillent à ce que les paramètres de financement soient flexibles et robustes, de sorte que les fonds soient dirigés vers les initiatives destinées à améliorer les cadres des tribunaux actuels et à réduire considérablement les points de pression dans le système de justice pénale, comme on l'a vu au Nouveau-Brunswick.
Comme Sue O'Sullivan l'a indiqué lorsqu'elle a témoigné il y a quelques semaines, nous avons un devoir envers nos clients, en particulier les victimes : nous devons être plus efficaces. Selon elle, nous devons nous assurer que les victimes se font entendre et qu'elles ne sont pas dans l'attente d'une décision pendant une longue période en raison du processus.
De façon générale, il est possible d'apporter de véritables changements, et on vous l'a démontré par de nombreux exemples. Il reste à savoir comment s'y prendre pour changer les choses concrètement.
Cela peut se faire à différents niveaux. Les partenaires du milieu de la justice — les enquêteurs, les procureurs, les avocats de la défense, les juges, et surtout, les victimes, doivent discuter ensemble des réformes possibles.
Pour conclure, sachez que les SM FPT sont déterminés à établir des partenariats pour mettre en œuvre de nouvelles initiatives destinées à réduire les délais et à améliorer l'efficacité du système de justice.
Nous sommes impatients de travailler avec le gouvernement fédéral pour explorer les différentes options novatrices qui pourraient mener à des changements. Je serai heureux de répondre à vos questions. Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé.
Gina Wilson, sous-ministre déléguée, Sécurité publique Canada : Monsieur le président, et distingués membres du comité, je vous remercie de votre invitation. C'est un plaisir de comparaître devant le comité. Je tiens à souligner que nous sommes sur le territoire traditionnel des Algonquins. En tant que membre de la nation algonquine, je crois pouvoir vous souhaiter la bienvenue tout en vous remerciant de me donner la possibilité de m'exprimer sur un sujet aussi important.
Permettez-moi d'abord de vous donner un bref aperçu du rôle de Sécurité publique Canada dans le système canadien de justice pénale et de sa collaboration avec ses partenaires provinciaux et territoriaux, qui constituent le thème de la discussion d'aujourd'hui.
Bien que Sécurité publique Canada collabore étroitement avec ses collègues du ministère de la Justice, chacun s'acquitte de responsabilités distinctes.
[Français]
Sécurité publique Canada et les organismes de son portefeuille jouent un rôle de premier plan au chapitre de la prévention du crime, de l'exécution de la loi et des services correctionnels. Dans ce contexte, Sécurité publique Canada s'acquitte de fonctions de coordination, de consultation et d'évaluation des programmes et dirige l'élaboration de politiques et de stratégies visant à résoudre les questions touchant la criminalité de la justice pénale au Canada.
[Traduction]
En outre, Sécurité publique Canada mène des études approfondies fondées sur des éléments probants et qui portent sur un vaste éventail d'enjeux, en vue d'appuyer l'élaboration de politiques dans les domaines prioritaires de la prévention du crime, des services correctionnels et de la justice pénale. En fournissant aux décideurs les meilleurs renseignements afin d'orienter le choix et la mise en œuvre des politiques et des programmes à l'échelle nationale, les collectivités tirent profit d'initiatives plus efficaces et plus efficientes qui aideront à réduire la criminalité et à créer des collectivités plus sûres.
Dans le cadre de l'exercice de son mandat, le ministère collabore étroitement avec les autres ministères et organismes fédéraux, les provinces et les territoires, les organismes non gouvernementaux, le secteur privé, les collectivités et les partenaires internationaux pour garantir la sécurité publique de tous les Canadiens.
À cette fin, nous avons mis sur pied trois comités FPT de haut niveau. Évidemment, mes collègues en ont un peu parlé. Ces comités se composent de ministres, de sous-ministres et de sous-ministres adjoints provenant de toutes les administrations. Notre ministre, Ralph Goodale, participe à une réunion annuelle des ministres FPT responsables de la Justice et de la Sécurité publique. Mon collègue a indiqué que la dernière réunion avait eu lieu en janvier dans la ville de Québec et que les ministres ont demandé à se rencontrer à nouveau en octobre.
En règle générale, le mandat de ces organismes consiste à fournir une direction gouvernementale sur la prévention du crime et les politiques relatives aux services de police au sein des administrations canadiennes, à communiquer les pratiques exemplaires et les autres renseignements, et enfin, à examiner les solutions aux principales questions d'intérêt commun aux fins de discussion.
[Français]
Un grand nombre de sous-comités découlent de ces principaux forums composés de cadres supérieurs, et sont souvent mis sur pied afin de résoudre les questions en cours ou émergentes.
Comme vous le savez peut-être déjà, le Comité de coordination des hauts fonctionnaires est un important organisme qui supervise de nombreux groupes de travail. Sécurité publique Canada participe à la plupart de ceux-ci et copréside certains d'entre eux, notamment le Groupe de travail sur les délinquants à risque élevé.
[Traduction]
En outre, Sécurité publique Canada dirige de nombreux groupes de travail FPT qui sont davantage axés sur les responsabilités inhérentes à la sécurité publique. Ainsi, le ministère compte un participant actif au sein du Comité national mixte des hauts représentants officiels de la justice pénale, qui constitue une tribune unique favorisant la compréhension et la coopération mutuelles ainsi que l'échange de renseignements parmi les principaux organismes gouvernementaux et non gouvernementaux de justice pénale partout au pays.
De surcroît, le travail du Comité des sous-ministres fédéraux-provinciaux-territoriaux sur la prévention du crime et les services de police est appuyé par le Comité national de coordination sur le crime organisé.
Ce dernier comité, qui est également présidé par Sécurité publique Canada, réunit cinq comités de coordination régionaux et provinciaux afin de créer des liens entre les organismes d'exécution de la loi FPT et les responsables des politiques publiques en vue de cerner les principaux enjeux, élaborer des stratégies nationales et coordonner les interventions novatrices visant à lutter contre le crime organisé.
Il fournit également des renseignements et des conseils au Comité directeur des sous-ministres FPT sur le crime organisé.
Au-delà de ces comités et groupes de travail, Sécurité publique Canada joue un rôle prépondérant au chapitre du renforcement des relations FPT par l'entremise de l'initiative relative aux paramètres économiques et à la sécurité communautaire, un forum pangouvernemental canadien visant à échanger des renseignements et à examiner des méthodes novatrices pour garantir l'efficience et l'efficacité des services de police ainsi que la sécurité des collectivités partout au pays.
Sécurité publique Canada agit également à titre de chef de file en s'attaquant aux menaces croissantes liées à la traite de personnes, et mobilise activement les gouvernements provinciaux et territoriaux, les administrations municipales, ainsi que les organismes non gouvernementaux afin de lutter contre ce crime odieux.
En ce qui a trait à la collaboration FPT sur la prévention du crime, j'aimerais vous parler brièvement du Centre national de prévention du crime, le CNPC, qui a été fondé dans le cadre de la Stratégie nationale pour la prévention du crime du gouvernement du Canada et qui relève de Sécurité publique Canada. Le CNPC fournit une direction nationale sur les moyens rentables de prévenir et de réduire la criminalité en cernant et en abordant les facteurs de risque, plus particulièrement dans les populations et les secteurs à risque élevé, en appuyant les interventions ciblées, en communiquant les connaissances pratiques et en tirant parti de celles-ci.
[Français]
Depuis sa création en 1998, le CNPC a collaboré avec des partenaires clés à l'échelle locale, provinciale, territoriale et internationale afin d'examiner les facteurs qui exposent les personnes aux risques, et il tente sans cesse de renforcer les partenariats parmi tous les secteurs et d'intégrer systématiquement la prévention du crime à l'exécution de la loi, aux services correctionnels et aux autres interventions pertinentes. Les priorités du centre sont établies en partenariat avec les principaux intervenants et reposent sur les tendances clés en matière de criminalité.
[Traduction]
Bien que la stratégie soit administrée par le CNPC, sa mise en œuvre est réalisée en collaboration avec les provinces et les territoires, à titre de principaux partenaires, puisqu'ils sont les mieux placés pour répertorier les groupes, les enjeux et les secteurs jugés les plus prioritaires aux fins d'investissements dans la prévention du crime au sein de leurs administrations, et pour apporter des connaissances spécialisées dans le cadre de l'élaboration de projets efficaces et de l'intégration des efforts en ce qui touche la prévention du crime.
Le dernier point que j'aimerais aborder brièvement porte sur les défis. Je ne saurais trop insister sur les défis — et je crois que mon collègue a très bien expliqué cet aspect; d'ailleurs, je l'en remercie — ainsi que sur l'importance de l'engagement et de la collaboration avec les principaux partenaires et intervenants au sein des multiples fuseaux horaires et administrations, plus particulièrement dans les cas où les délais sont serrés et que les besoins et les priorités peuvent différer, et où les ressources nécessaires à l'exécution de la loi et à l'engagement de poursuites dans le cadre de cas complexes ou à grande échelle sont utilisées au maximum.
Face à ces défis, je tiens à souligner la nécessité de disposer de mécanismes et de protocoles appropriés pour assurer la collaboration, la communication et l'échange de renseignements à grande échelle.
En conclusion, le rôle de Sécurité publique Canada à l'égard de la criminalité et de la justice pénale est important. Le ministère reconnaît le solide soutien et l'apport des spécialistes parmi ses partenaires provinciaux et territoriaux, et continuera de promouvoir des réseaux et des relations axés sur la collaboration en vue d'élaborer des initiatives et des mesures efficaces et efficientes pour assurer la sûreté et la sécurité au Canada.
Merci beaucoup. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Merci. Pour notre dernier exposé, je cède maintenant la parole à Mme Strange.
Elizabeth Strange, présidente, Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada : Je vous remercie de m'avoir invitée à vous parler de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada. Pour gagner du temps, je vais utiliser l'acronyme « CHLC ». La CHLC est l'organisme de réforme du droit le plus ancien et le mieux établi au Canada. Elle fut fondée en 1918 en vue d'améliorer et d'harmoniser les lois partout au pays. En 1944, la CHLC s'est dotée d'une section pénale afin de formuler des recommandations en vue de réformer et d'améliorer le droit pénal.
La CHLC bénéficie du soutien de tous les gouvernements du Canada. Les évaluations annuelles du gouvernement constituent sa seule source de revenus et elles sont donc indispensables à son succès.
L'un des aspects uniques à la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada est le fait qu'elle réunit divers praticiens et experts de partout au Canada, à la fois du gouvernement et de l'extérieur, dans le but d'examiner et d'améliorer nos lois. La diversité de la CHLC se reflète dans les résolutions, les rapports et les lois uniformes qui sont adoptés.
Les deux sections de la CHLC, dont je vais vous parler — soit la section civile et la section pénale — se réunissent dans le cadre d'une réunion annuelle présidée par la présidente de la CHLC. La présidence alterne entre la section pénale et la section civile.
Cette réunion est notre seule rencontre de l'année et elle se déroule dans une province différente tous les ans. En 2016, j'aurai le plaisir de tenir cette réunion dans ma province natale, le Nouveau-Brunswick. En 2017, la réunion se tiendra en Saskatchewan, puis en 2018, nous célébrerons notre 100e anniversaire dans la ville de Québec.
Je vais tout d'abord parler brièvement de la section du droit civil avant de m'attarder davantage au travail de la section du droit pénal.
La section civile est composée d'avocats du gouvernement, de praticiens du secteur privé, de représentants de l'Association du Barreau canadien, de conseillers juridiques, de réformateurs du droit de commissions de réforme du droit et d'universitaires. La section travaille à des projets qui nous parviennent de différentes façons, que ce soit par l'entremise du gouvernement, de sous-ministres, du secteur privé et, à l'occasion, d'universitaires. De façon générale, le travail se fait au sein de groupes de travail qui produisent des documents de discussion pouvant aboutir à une loi uniforme, généralement après trois ou quatre ans. On obtient des rapports provisoires, un rapport final puis une loi uniforme.
Notre travail contribue également à la mise en œuvre de conventions internationales. Nous travaillons étroitement avec des délégués du gouvernement fédéral sur des lois de mise en œuvre uniformes en lien avec des conventions internationales. Nous entretenons également une relation très collégiale avec nos homologues des États-Unis avec lesquels nous collaborons parfois à des projets conjoints. Nous observons aussi leurs groupes de travail et vice-versa.
À l'occasion, la section civile travaille avec des entités gouvernementales, à la demande de celles-ci. Par exemple, nous avons collaboré avec CCHF-Justice familiale à l'élaboration d'une loi uniforme sur le statut de l'enfant et nous travaillons actuellement avec les registraires généraux de l'état civil sur une nouvelle loi uniforme sur les statistiques de l'état civil.
Je vais maintenant parler de la section du droit pénal dont les travaux sont probablement ce qui vous intéresse le plus. J'avais pensé commencer en vous parlant des délégués de ce groupe. Mes collègues de la section pénale m'ont demandé d'insister sur le fait que la CHLU est unique et particulièrement qualifiée pour examiner le droit criminel de manière approfondie.
Parmi les délégués de la CHLU figurent des procureurs, des avocats de la défense, des membres de la magistrature, des conseillers politiques, des représentants de l'ABC et, à l'occasion, des universitaires. Chacun d'entre eux a la possibilité de se prononcer, de façon indépendante, sur les réformes proposées.
Bon nombre des recommandations dont nous sommes saisis proviennent de la ligne de front du système. Le fait que les recommandations sont évaluées par ceux qui travaillent dans le système partout au pays, des petites régions rurales aux grands centres urbains, mesure à la fois l'impact national et la viabilité locale des suggestions.
La section pénale assume trois fonctions clés : les résolutions, les groupes de travail et les consultations.
Le plus gros du travail porte sur les résolutions. Les résolutions sont soumises par des délégations qui proposent des changements au Code criminel ou à d'autres lois afférentes.
Les délégués de chacune des 14 délégations — le gouvernement fédéral et toutes les provinces sont représentés — votent sur des résolutions visant à améliorer et à renforcer le droit criminel canadien et l'administration de la justice.
En moyenne, entre 20 et 25 résolutions sont soumises chaque année par les différentes administrations. On les explique puis on en discute. On peut les adopter, les modifier puis les adopter, ou encore les rejeter.
Je suis de la section du droit civil, mais j'ai assisté à quelques-unes de leurs réunions et je peux vous dire que les discussions sont respectueuses, rigoureuses et dans la bonne entente. Ce n'est pas toujours unanime, alors on assiste à de bons débats.
Les résolutions ont un effet important sur le programme législatif fédéral. Des résolutions ont été incorporées dans le Code criminel, de même que dans les modifications apportées à d'autres lois, dont la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
La deuxième fonction est celle des groupes de travail. La Section du droit pénal forme des groupes de travail chargés d'examiner un vaste éventail d'enjeux pour ensuite préparer des rapports détaillés. Par exemple, les décisions de la Cour suprême peuvent donner lieu à des rapports de groupes de travail.
On prépare en général un rapport provisoire, puis un rapport final, normalement sur un cycle de deux ans. Les rapports reçoivent le soutien unanime de la Section du droit pénal, et quand cela se produit, c'est important, encore une fois, compte tenu de la diversité des points de vue et des expériences représentés par les délégués. Le rapport de 2013 portant sur les exceptions aux peines minimales obligatoires est un bon exemple de rapport final opportun et approuvé à l'unanimité.
De temps en temps, les deux sections de la CHLC travaillent ensemble à des projets mixtes. Ce sont des projets pour lesquels on peut tirer parti de l'expertise de la Section civile et de la Section du droit pénal. La Loi uniforme sur les personnes disparues est un exemple récent de projet pour lequel les deux sections étaient représentées en vue de l'obtention d'un produit final.
Enfin, il y a aussi les consultations sur les propositions de réforme législative ou sur les enjeux émergents. Cela vient généralement du ministère de la Justice fédéral qui mène en quelque sorte une consultation sur les propositions de réforme législative. Les décideurs obtiennent ainsi une perspective nationale en s'adressant à ceux qui sont en première ligne, de même qu'à d'autres intervenants du système de justice. La consultation sur la Charte canadienne des droits des victimes en est un exemple.
Je n'ai rien de particulier à dire au sujet des délais, mais ayant parcouru un peu l'information, je dirais que, par exemple, concernant la Charte canadienne des droits des victimes, il y a eu des discussions au sujet des délais et il y en aura manifestement d'autres.
Ce sont donc les fonctions essentielles de la Section du droit pénal, ainsi qu'un aperçu de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de venir vous transmettre de l'information. Je serai ravie de répondre à vos questions. Je pourrais demander à ma collègue de répondre. Lucie Angers est également la déléguée fédérale qui participe aux réunions de la CHLC, alors elle pourrait vous donner de l'information plus approfondie sur le fonctionnement de la Section du droit pénal.
Le président : Merci. La durée de tous les exposés a nettement dépassé nos directives habituelles, mais je trouvais important d'avoir vos points de vue au compte rendu.
Nous avons un horaire serré aujourd'hui, et nous espérons pouvoir nous réunir brièvement à huis clos avant de lever la séance. Je vous encourage à faire preuve de toute la concision possible dans vos questions, et j'encourage les témoins à faire de même dans leurs réponses. Je vous en saurais gré.
Nous allons commencer par la vice-présidente, la sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Merci à vous tous. L'information que vous nous avez fournie va certainement nous aider dans notre travail. Je vous sais gré de vos exposés.
J'aimerais poser une question à M. McFee. J'en aurais beaucoup, mais je dois me limiter à quelques-unes.
J'ai trouvé très intéressants vos propos sur la culture dans la profession juridique, ainsi que sur la nécessité de résoudre cela et d'apporter des changements structuraux au système de justice pénale, concernant les délais et les ajournements.
Il y a deux côtés, et en toute justice, je dois vous les présenter tous les deux. Les avocats de la défense vont parfois causer de multiples ajournements, car comme on nous l'a dit, ils doivent plusieurs fois obtenir la divulgation de nouvelles preuves, ce qui fait problème. Je pense que c'est mon collègue le sénateur Baker qui a demandé, l'autre jour, si nous devrions imposer des échéances pour la divulgation de la preuve.
Il est vrai que les ajournements sont problématiques, et il est vrai — j'ai été avocate de la défense — que toutes les fois où il faut aller en cour sans que rien se passe, c'est coûteux pour les deux côtés. C'est coûteux pour l'accusé aussi, chaque fois que vous allez en cour.
Comment aborder la question du changement structural? Vous avez entre autres dit que les juges devraient assumer un plus grand contrôle. Ce n'est pas une idée que je trouve très attrayante, car ils doivent quand même demeurer impartiaux, mais je comprends ce que vous voulez dire. J'aimerais que vous me donniez des exemples précis de façons dont vous croyez que nous pouvons nous attaquer au changement structural requis.
M. McFee : Certainement. Premièrement, je suis d'accord avec vous concernant les délais. Il faut des contacts significatifs. Il y a trop de contacts qui ne sont pas significatifs, au sein de l'organisation judiciaire.
L'autre aspect, c'est que tout le monde contribue à cela. Il faut penser à la police, qui introduit la moindre chose dans le système.
Je pense que nous devons réduire le débit de ce côté aussi. Beaucoup de choses sont introduites dans le système. Certaines choses pourraient en être retirées. On y travaille en Saskatchewan, avec le Hub et les centres, et toutes les questions liées à l'équipe interagence. Ce sont des solutions qui peuvent libérer du temps. Le principe essentiel, d'après moi, c'est que nous devons nous concentrer sur la réduction de la demande et permettre aux tribunaux de faire ce pour quoi ils ont été conçus.
En ce moment, tout passe par le système judiciaire. Nous attendons que les gens soient dans le système judiciaire, puis nous leur disons que nous allons les réparer.
Ma femme est enseignante en 4e, 5e et 6e années. Elle peut prédire les futurs criminels mieux que n'importe quel agent de police ayant travaillé avec moi pendant 30 ans.
Il n'y a pas que les juges. Il y a les contacts significatifs qu'il faut, d'un côté. Il y a le ralentissement, la réduction de la demande. C'est une question de processus.
Est-ce qu'il faut soudainement que les gens soient en détention provisoire? Il faut que nous concevions un outil fondé sur la preuve, sur la science, qui nous servira à déterminer plus efficacement les personnes qu'il faut incarcérer ou détenir provisoirement, et à expédier cela.
Si vous abordez un des volets mentionnés, vous obtiendrez un rendement de 10 p. 100, mais si tout le monde s'améliore de 5 p. 100, vous obtiendrez 35 p. 100.
La sénatrice Jaffer : Parlons des changements structuraux que vous avez abordés et de la culture dans le milieu juridique.
M. McFee : J'en parlais avec mon collègue Kevin Fenwick, du côté du procureur général, et nous attendons trop souvent à cause de délais pour diverses raisons. Nous comptons cela comme du temps passé en détention. Il n'est tout simplement pas bien de laisser quelqu'un en détention provisoire pendant six ans.
À propos de ce que vous disiez, est-ce qu'on pourrait utiliser une partie de ce temps pour résoudre les problèmes de structure? Je pense que oui, probablement. Le temps peut servir pour la structure. Mais il faut que ce soit significatif.
Je ne crois pas que nous puissions demander aux juges de régler cela, parce que ce sont la poursuite, les juges et la police qui contribuent à tout cela. Quand vous parlez de structure, notre système d'administration de la justice au Canada est en fait plutôt bon, mais pas excellent. Pour cela, pour s'améliorer, il faut se pencher sur le temps qui s'écoule avant le procès, sur le temps passé en détention provisoire, sur l'équité, sur tout cela. Je pense que cela revient à l'importance de n'avoir que des contacts significatifs, pour que la structure fonctionne. Si chaque contact qui se produit dans le cadre du système est significatif et si tout le monde est soumis aux mêmes règles, le processus sera moins long, à n'en pas douter.
La sénatrice Batters : Merci à vous tous de votre présence et du dur travail que vous accomplissez probablement presque tous les jours concernant ce genre de problèmes.
Monsieur McFee, je suis ravie de vous avoir avec nous aujourd'hui. La Saskatchewan reçoit constamment des félicitations et j'adore cela, comme tous les membres du comité le savent. Quand le juge Wyant, du Manitoba, a témoigné devant le comité, il n'y a pas longtemps, il a indiqué que la Saskatchewan est un leader national dans ce domaine en particulier pour les solutions novatrices aux délais judiciaires qu'on y trouve.
Plusieurs témoins nous ont parlé du Hub à Prince Albert, parce qu'on a réussi là-bas à réunir de multiples services juridiques dans une seule institution et à diriger les personnes vers des programmes leur convenant mieux. Vous l'avez mentionné, alors j'aimerais que vous nous en parliez.
Pourriez-vous nous parler brièvement du Hub, du travail qu'on y fait et de ce qui en fait un succès? Si vous avez un tout petit peu de temps, pourriez-vous aussi nous parler de solutions pratiques — une ou deux — qui sont utilisées en Saskatchewan pour réduire les délais judiciaires, étant donné que la Saskatchewan est un leader national sur ce plan? Merci.
M. McFee : Le but du Hub est de réduire la demande et, donc, de placer sous un même toit les agences des domaines de la santé, des services sociaux et de l'éducation, et d'utiliser des facteurs de risque pour déterminer la meilleure façon de traiter les personnes et les familles. Il y a 13 centres de ce genre en Saskatchewan. Il y en a 58 au Canada, et 3 aux États-Unis. Ils se fondent tous sur le même cadre. Ils s'occupent de protection de la vie privée et de diffusion de l'information.
Ce que nous constatons en particulier dans ces centres, c'est que les cinq premiers facteurs qui influent sur la justice pénale — et ils semblent liés —, ce sont les problèmes de santé mentale et de dépendance, l'absentéisme scolaire, la littératie, croyez-le ou non, et la violence familiale. J'ai oublié le cinquième, mais il va me revenir.
Nous pouvons retirer cela de la tâche globale quand nous recourons aux professionnels d'autres agences. Une grande partie de cela s'appuie sur la réduction de la demande. Nous avons tous les partenaires à la table. C'est approuvé par tous les ministères. Laisser de côté nos titres et nos rôles et placer la personne et la famille qui vit des difficultés au centre de l'attention afin de résoudre les problèmes donne des dividendes du côté de la réduction de la demande. Nous croyons pouvoir réduire la demande de 30 à 40 p. 100.
Pour ce qui est des autres innovations que nous et la province de l'Ontario avons pour résoudre le problème des délais, nous avons retenu les services de Ray Wyant, que vous venez de mentionner, et de Cal Corley, l'ancien directeur du Collège canadien de police. Ils se penchent sur le cautionnement et la détention provisoire afin de trouver des solutions pratiques. Premièrement, pouvons-nous créer un mécanisme fondé sur la science, de sorte que la police puisse faire une meilleure évaluation visant à déterminer qui doit faire l'objet d'une détention préventive? Pouvons-nous envisager un tiers, plutôt que de mettre les gens en prison, si nous pensons que cela pourrait aider? Pouvons-nous en fait trouver des solutions pratiques aux délais? Ils rencontrent toutes les factions de la collectivité, y compris les victimes, et pour les trois questions, la réponse est oui, absolument. On peut sans nul doute changer cela. D'ici six mois, nous devrions pouvoir nous concentrer sur des changements pratiques.
La sénatrice Batters : Si vous avez de la documentation sur le Hub de Prince Albert et sur les succès remportés grâce à ce projet en particulier, cela serait utile au comité.
M. McFee : Nous pouvons certainement vous transmettre cela. Je pourrais en parler, mais plutôt que d'y consacrer du temps aujourd'hui, je vais vous envoyer l'information.
La sénatrice Batters : Je vous en remercie beaucoup.
La sénatrice Fraser : Merci beaucoup à vous tous. C'est de l'information importante que vous nous donnez.
J'ai une question pour M. McFee. Monsieur, je comprends ce que vous dites à propos des changements qui doivent toucher tout un éventail d'aspects, mais j'aimerais me concentrer sur un élément en particulier pour le moment, soit les horribles statistiques concernant l'augmentation du nombre de personnes en détention provisoire. Je me demande si vous avez une ventilation statistique ou même des données empiriques sur la mesure dans laquelle cette augmentation est attribuable au temps plus long qu'il faut pour régler la cause des personnes en détention provisoire. J'aimerais aussi savoir dans quelle mesure c'est attribuable à la tendance à placer en détention provisoire des personnes qui ne l'étaient pas avant, si vous voyez où je veux en venir.
M. McFee : Je vois, oui. Vous avez raison dans les deux cas. Je pourrais vous obtenir cette information auprès de ma province. Pour l'Ontario, nous en sommes à envisager cela. Comme je l'ai dit, cependant, 58 p. 100 des détentions provisoires sont d'un maximum de 14 jours. C'est le deuxième facteur. Les détentions provisoires sont de moins de 30 jours dans 70 p. 100 des cas. Ils sortent tous, sauf 13 p. 100. C'est la détention provisoire à court terme — un énorme problème.
En Saskatchewan, 94 personnes sont en détention provisoire depuis au moins deux ans, dont un depuis six ans; les détentions provisoires de quatre ou cinq ans ne sont pas rares. Vous avez raison dans les deux cas, mais ce sont des solutions différentes, comme vous le savez. Pour le court terme, c'est une question pratique. Pourquoi imposer la détention provisoire pour certaines choses s'ils vont sortir de toute façon? La deuxième chose, c'est à 100 p. 100 une question de processus. La réalité, c'est que si vous intégrez cela dans un modèle opérationnel, vous avez des jours-lits dans des établissements correctionnels. Dans la plupart des provinces, les personnes en détention provisoire n'ont pas accès aux programmes.
Ce qui se produit avec la solution pratique, c'est que vous congestionnez le système, que vous interrompez les programmes, quand 50 p. 100 des reprises de contact avec la police sont des auteurs d'infractions graves avec violence. S'ils n'ont pas accès aux programmes, qu'est-ce qui arrive? C'est un cycle perpétuel. Alors vous avez tout à fait raison. C'est nécessaire dans les deux cas, mais les solutions sont différentes. La solution à long terme s'accompagne d'un processus plus complexe, mais l'autre solution est plus pratique et nous devrions pouvoir la mettre en œuvre dans un délai raisonnable.
La sénatrice Fraser : Vous avez dit fort pertinemment que nous ne devons pas imposer la détention provisoire à des personnes simplement parce qu'elles nous mettent en colère. Est-ce qu'il y a eu un changement de ce côté?
M. McFee : Il faut incarcérer ceux qui nous font peur, et non ceux qui suscitent notre colère. Nous commençons à prendre cette orientation, mais je dirais que nous sommes sur le premier des sept échelons de l'échelle et que nous avons du chemin à faire. S'il est une chose à résoudre, c'est bien celle-là. Ce que nous savons, concernant l'autre point que vous avez soulevé, c'est qu'il n'y a pas de lien entre la réduction de la criminalité et l'augmentation des incarcérations. Cependant, quand nous conjuguons cela, la situation empire.
Nous devons mieux déterminer les cas pour lesquels nous recourons à la détention provisoire. Je ne veux pas qu'on pense que la détention provisoire n'est pas importante. Il y a de mauvaises personnes qu'il faut incarcérer, et c'est à cela que la détention provisoire sert, mais nous devons faire la part des choses, au moment de déterminer qui nous incarcérons.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous de vos exposés.
Il est très important que nous en apprenions davantage sur le travail que les groupes fédéraux-provinciaux- territoriaux accomplissent en matière juridique. D'après ce que je comprends, Justice Canada, Justice Saskatchewan et la Sécurité publique forment le Comité de coordination des hauts fonctionnaires. Le comité examine les questions de justice, lesquelles sont ensuite réglées par les groupes de travail. Et il y a bien sûr le comité directeur sur la justice et la Conférence pour l'harmonisation des lois, dont vous êtes la présidente, madame Strange.
Comme vous le savez, notre étude porte précisément sur les délais judiciaires. Ceci étant dit, à quoi travaillent votre comité et ces divers organismes concernant ces délais? J'aimerais que vous soyez plus précis. Quels projets de recherche, travaux d'élaboration de politiques ou initiatives de réforme législative le gouvernement fédéral entreprend-il pour résoudre les délais dans le système de justice pénale? Monsieur Piragoff.
M. Piragoff : Merci, sénateur. Permettez-moi de parler de la question du cautionnement. Comme on l'a dit, 60 p. 100 des personnes qui sont arrêtées par la police sont relâchées par la police. Cela signifie que 40 p. 100 des personnes arrêtées vont comparaître devant un juge de la paix ou un juge. De ce nombre, comme Dale l'a dit, 14 p. 10 — je m'excuse — du nombre total, c'est 14 p. 100. Cela signifie que parmi ceux qui comparaissent devant un juge, il y a en a encore les deux tiers qui sont relâchés, ce qui laisse environ 14 p. 100 de ceux qui ont été arrêtés dans le système.
Comme Dale l'a mentionné, si vous deviez être remis en liberté le deuxième jour, pourquoi l'avez-vous été le 14e ou le 10e jour? Vous n'êtes pas moins dangereux. En fait, si vous êtes remis en liberté le 10e jour, vous l'êtes probablement plus que si vous aviez été détenu deux jours parce que vous avez été plus longtemps à l'école du crime. En fait, une mise en liberté rapide est probablement mieux que le contraire.
Le Comité de coordination des hauts fonctionnaires et le Comité directeur sur l'efficacité et l'accès en justice — il s'agit des groupes multidisciplinaires composés de juges, de policiers et de membres du Barreau — se posent les questions suivantes : pouvons-nous réduire le temps passé en détention; pouvons-nous relâcher ces personnes plus tôt; pouvons-nous laisser la police prendre les décisions afin d'augmenter le taux de résolution des crimes par la police, qui est de l'ordre de 60 p. 100; si les juges remettent en liberté les deux tiers des personnes qui comparaissent devant eux, pourquoi la police ne pourrait-elle pas en relâcher certains plus tôt? Ces comités cherchent des façons de donner plus de pouvoir à la police pour qu'elle puisse éventuellement relâcher des gens au poste plutôt que de les faire comparaître devant un juge. C'est un exemple concret sur lequel se penchent les hauts fonctionnaires et les membres du comité directeur. Ils se penchent également sur la gestion des instances et les mégaprocès. Comment peut-on gérer les procès complexes de manière à éviter ces longues périodes d'attente pendant lesquelles il ne se passe rien? Eh bien, on dirait qu'il ne se passe rien, mais il se passe des choses en coulisse. Cela ne se fait pas toujours entièrement dans la salle d'audience.
Nous avons examiné des choses telles que le recours à des juges d'instance spéciale pour coordonner la gestion d'une affaire avant que les tribunaux en soient saisis. Il s'agit d'innovations que certains tribunaux envisagent pour réduire les délais. Nous devons trouver un plus grand nombre de façons novatrices de régler des dossiers sans avoir recours aux tribunaux, par exemple en recourant à la déjudiciarisation ou à des mesures visant le système judiciaire pour les jeunes. Y a-t-il un grand nombre de dossiers qui doivent nécessairement être réglés par les tribunaux? Ne pourraient-ils pas être déjudiciarisés?
Lorsque la cause sous-jacente de la criminalité est la toxicomanie ou autre chose, nous devrions peut-être conduire ces gens ailleurs et leur donner l'aide dont ils ont besoin plutôt que de les condamner et de les aider ensuite. Ce sont les possibilités que nous examinons : la justice réparatrice, des choses du genre.
Le sénateur Baker : Ce n'est pas facile d'être ici, car M. Piragoff est un témoin intéressant. Il a beaucoup de renseignements intéressants.
Vous avez mentionné que 60 p. 100 des personnes arrêtées sont relâchées par la police à la suite de leur arrestation. Lorsque le policier recueille l'information et écrit les chefs d'accusation, selon cet article du Code criminel, la personne doit être relâchée à moins que certains critères ne soient pas remplis. Donc, ce que vous proposez, c'est que ces critères soient pris en considération à divers endroits de manière à élargir la portée de cet article du Code criminel qui établit les exigences en fonction desquelles un policier peut relâcher une personne. C'est une proposition très intéressante que nous devons examiner.
J'aimerais prononcer un long discours sur la détention provisoire, pour défendre ce que les juges font, mais je vais m'abstenir. Le président m'interromprait.
Nous avons constaté que les règles judiciaires diffèrent d'un bout à l'autre du Canada. Nous avons appris que les juges de paix, par exemple, en Ontario, peuvent tenir des audiences de mise en liberté sous caution et lancer des mandats de perquisition, ce qui ne peut pas se faire dans la plupart des provinces. Le Code criminel dit que les juges peuvent le faire. C'est impossible à Terre-Neuve-et-Labrador où un juge de paix ne peut même pas lancer un mandat de perquisition. C'est ce que j'ai proposé plus tôt : recourir au protonotaire comme nous le faisons dans les tribunaux fédéraux. Pourquoi y a-t-il encore cette grande différence entre les provinces concernant le temps d'audience et les retards judiciaires dans différents domaines?
Par ailleurs, pourquoi le manuel des politiques de la Couronne n'est-il pas le même dans les différentes provinces? En Ontario, le juge ne prend pas connaissance des antécédents d'une personne accusée de conduite avec facultés affaiblies qui remontent à plus de cinq ans, contrairement à ce qui se fait dans de nombreuses autres provinces. Pourquoi le manuel des politiques de la Couronne n'est-il pas le même dans toutes les provinces du Canada? Vous allez dire que ces manuels sont très semblables. Je le sais.
Pourquoi les provinces se servent-elles de mécanismes différents pour raccourcir la durée des procédures judiciaires? Pourquoi la question n'a-t-elle pas été réglée dans le cadre de toutes ces négociations que vous menez avec les provinces? Il me semble que les démarches en vue d'avoir un système juridique uniforme dans l'ensemble du Canada ne connaissent pas beaucoup de succès.
M. Piragoff : Monsieur Baker, je sais que le sénateur Joyal et vous êtes des experts en droit constitutionnel, et la réponse se trouve dans la Constitution. Les auteurs de notre Constitution ont décidé que l'adoption du droit pénal, y compris la procédure pénale, devait être une responsabilité fédérale. Nous avons donc un droit pénal fédéral. Cependant, ils se sont également rendu compte que l'administration de la justice est une question locale. C'est la raison pour laquelle l'article 92 de la Constitution prévoit que l'administration de la justice, y compris la mise sur pied des tribunaux, est une responsabilité provinciale. Chaque province a son propre procureur général qui est chargé d'intenter des poursuites non seulement en vertu des lois provinciales, mais aussi en vertu du Code criminel fédéral étant donné que cette responsabilité a été déléguée dans la Constitution et le Code criminel.
Pour respecter cela, il faut trouver un équilibre entre certaines normes nationales en plus de respecter les coutumes et les façons de procéder à l'échelle locale. On se retrouve avec des différences au niveau local.
C'est la raison pour laquelle des organisations comme le CCHF, le comité de coordination des fonctionnaires de Justice, et les chefs des poursuites pénales essaient de discuter des différences entre les provinces. Ils déterminent quelles sont les pratiques exemplaires. À certains égards, il est bon d'avoir certaines différences, car cela stimule l'innovation. La Saskatchewan a eu l'idée de centraliser les services. C'est une chose qui s'est faite à l'échelle locale et qui s'est propagée. Ce n'est pas le gouvernement fédéral qui a dit qu'il fallait centraliser les services, par exemple. Il est parfois bon d'avoir une certaine souplesse, car cela stimule l'innovation même si ce n'est pas uniforme.
Le sénateur White : Merci d'être ici. Je pourrais poser 25 questions. J'ai parfois l'impression que nous essayons de réparer une crevaison sur un tacot. Le taux de criminalité continue de diminuer, et nos établissements judiciaires sont pleins. Qu'est-ce qui explique que les prisons et les centres de détention sont pleins alors que le taux de criminalité continue de diminuer? Qui sont ceux qui se retrouvent dans le système? En Ontario, nous avons effectué des recherches en 2009. En tout, 25 p. 100 des dossiers saisis par les tribunaux donnaient lieu à une condamnation avec sursis ou à une remise en liberté. Il y avait en moyenne neuf comparutions par dossier. Voulez-vous bien me dire pourquoi ces dossiers se sont même retrouvés devant les tribunaux?
Créez-vous en Saskatchewan un autre système qui nous permet de retirer les dossiers qui n'auraient jamais dû être là pour que nous puissions consacrer notre énergie à ceux sur lesquels nous devrions nous concentrer?
M. McFee : Tout d'abord, je sais que vous avez accompli une grande partie de ce bon travail. En un mot, oui. Nous devons voir les choses différemment. Voici un excellent exemple. Nous pourrions ne jamais y arriver. Nous nous penchons entre autres sur la conduite avec facultés affaiblies et les retards judiciaires dans ces dossiers. Sortez des sentiers battus. Nous devons penser différemment.
Dans chaque affaire de conduite avec facultés affaiblies, il y a un conducteur, une quantité variable d'alcool ou de drogues qui a été consommée et un véhicule. Que faisons-nous? Nous essayons d'éduquer la personne qui était intoxiquée. Devinez quoi? Cela ne fonctionne pas.
Alors, qu'est-ce qui fonctionne? Nous légiférons. Devinez quoi? J'ai travaillé dans le milieu, et je peux vous dire que cela n'a qu'une incidence très limitée. Alors, nous légiférons et nous appliquons les lois. Nous faisons le lien et nous procédons comme la Colombie-Britannique et l'Alberta. Nous commençons maintenant à obtenir des résultats. Il existe une technologie qui coûte moins de 1 000 $ pour régler la question de la conduite avec facultés affaiblies. Nous pouvons équiper tous les véhicules demain et régler le problème dans une proportion de 80 ou 90 p. 100. Nous réglerions tout cela et nous pourrions gérer les problèmes de dépendance différemment. Nous voulons que le système de justice pénale en soit saisi, mais, dans les faits, c'est un problème de dépendance.
S'il était question de santé publique et que vous éliminiez les soins actifs, la sécurité communautaire et les forces de l'ordre, ne serait-ce pas la même chose? Si c'était le cas, pourquoi diable ne seraient-ils pas considérés comme un tout?
Le sénateur White : Je vous remercie beaucoup de ces explications, Dale. Je sais que vous comprenez. Une juge à Ottawa m'a dit que 70 ou 80 p. 100 des jeunes contrevenants qui comparaissent dans sa salle d'audience ont des problèmes de santé mentale, de dépendance ou les deux. Comment se fait-il que nous puissions les faire comparaître devant un tribunal du jour au lendemain, mais qu'il faut attendre neuf mois avant qu'ils reçoivent un traitement? La Saskatchewan prend-elle des mesures pour faciliter l'accès aux traitements des maladies mentales et des dépendances afin que nous évitions de remplir sans cesse nos salles d'audience de personnes qui souffrent de l'un ou des deux?
M. McFee : Oui. Les personnes souffrant d'une maladie mentale ou d'une dépendance sont cinq fois plus susceptibles d'avoir trois contacts avec la police et sont parfois à l'origine de 40 p. 100 des appels à la police dans certaines régions. Il s'agit de la population qui risque le plus de commettre une infraction et de récidiver. La réalité, c'est ce que nous essayons de faire en Saskatchewan. En 2018, un hôpital psychiatrique sera associé à un établissement correctionnel médicolégal qui est en cours de construction. Espérons que ce sera lié à une étape à franchir dans la pratique et que le continuum sera associé à l'université de manière à ce que la santé mentale soit considérée sous cet angle lorsqu'on détermine si ces personnes sont visées par un processus pénal afin que nous puissions leur offrir des services, car les coûts sont autrement multipliés par 10. Dans les faits, nous savons où elles se retrouvent. Vous avez raison : la plupart d'entre elles ne devraient pas être en prison.
Le sénateur Joyal : J'ai d'abord une question pour M. Piragoff. Lorsque des décisions fondées sur l'alinéa 11b) de la Charte sont prises au Canada et que les dossiers sont rejetés en raison d'un délai déraisonnable selon le tribunal, est-ce que cela déclenche un signal d'alarme au ministère? Faites-vous un suivi de ces décisions en les considérant comme étant des indications claires qu'il y a quelque chose qui cloche dans le système?
M. Piragoff : Il n'y a pas de suivi structuré des dossiers dans lesquels une décision fondée sur l'alinéa 11b) a été prise. Des examens ont toutefois été effectués. Dans les années 1980, par exemple, nous avons étudié la possibilité d'adopter une loi, la loi sur les procès rapides, pour imposer des délais, comme il a été proposé plus tôt. Les États-Unis, par exemple, ont à cette fin la Speedy Trial Act.
À l'époque, les provinces et beaucoup d'autres intervenants ne voulaient pas que nous adoptions une loi pour...
Le sénateur Joyal : C'était en 1984.
M. Piragoff : Oui, c'était au milieu des années 1980. Ils ne voulaient pas que nous adoptions de loi parce que la Charte était encore nouvelle; que c'était un domaine qui pouvait être réglementé par les juges et la jurisprudence fondée sur la Charte; et que l'établissement de délais fermes par le Parlement aurait pu créer plus de problèmes.
Aucune pression n'a été exercée pour que le gouvernement fédéral impose des délais fermes. On a plutôt mis davantage l'accent sur les outils dont ont besoin les participants pour faire progresser les dossiers plus rapidement dans le système, contrairement à l'imposition par le gouvernement fédéral de délais qui doivent être respectés. On nous dit plutôt de changer le système de manière à ce qu'il soit plus souple à certains égards et de donner plus d'outils pour nous puissions raccourcir certains délais et accélérer les choses.
Le sénateur Joyal : Mais compte tenu de la jurisprudence qui s'accumule et de l'étendue des délais qui sont acceptables selon l'alinéa 11b), ne pensez-vous pas que le gouvernement fédéral a maintenant suffisamment de balises pour proposer aux gouvernements provinciaux et territoriaux une approche qui en tiendrait compte? Je vous pose la question, car lorsque le juge Donohue a décidé d'imposer des délais visant certaines étapes de la gestion des dossiers, ce qui a fait les manchettes au Québec, des gens qui voyaient cela comme une occasion de renforcer les délais ont salué et applaudi la décision.
Je pense que le simple fait d'avoir une loi qui poserait des balises indiquerait dans le système que les délais sont trop longs à différents niveaux. Même si on ne parle pas toujours de deux ans et demi et de délais déraisonnables, il arrive parfois que cela se rapproche de deux ans ou de deux ans et demi. C'est comme avoir 18 ans. Si vous souffrez avant, vous n'êtes pas assuré, mais si vous souffrez un jour après votre anniversaire, le système reconnaît votre souffrance. Vous voyez ce que je veux dire.
À ce stade-ci, pensez-vous que le gouvernement fédéral a une occasion de proposer une loi à cet égard?
M. Piragoff : Comme je l'ai dit, on nous a dit de nous concentrer sur des outils que nous pourrions donner aux juges, par exemple, pour qu'ils aient le pouvoir d'imposer ce genre de délais. À une certaine époque, il n'y avait pas de juges responsables de la gestion des instances. Il ne se passait rien entre l'enquête sur mise en liberté et le procès. Aucun juge n'était saisi de l'affaire. Le Parlement fait partie de la solution, et le Sénat a adopté les mécanismes nécessaires pour qu'il y ait des juges de gestion de l'instruction ou de gestion des instances. C'est un outil qui a aidé les juges.
Comme vous vous souviendrez, lorsque j'ai témoigné le 4 février avec la représentante du Centre canadien de la statistique juridique, je pense qu'il y avait un tableau qui indiquait les retards dans la tenue des procès. Cela variait d'un bout à l'autre du pays. Le Québec avait de graves problèmes, mais les autres provinces s'en sortaient plutôt bien pour ce qui est des retards. Cela varie au sein de la province. Encore une fois, je pense que la plupart des gens sont d'avis qu'il faut donner les outils nécessaires pour faire le travail plutôt que d'établir des délais arbitraires. Laissons les juges fixer les délais parce qu'ils peuvent établir dans quelle mesure une affaire est complexe et déterminer si la police et la Couronne ont besoin de plus de temps pour divulguer des renseignements, par exemple. C'est une chose qu'une loi ne peut pas déterminer. C'est une chose qu'un juge expérimenté peut faire, à savoir fixer des délais. Je conviens que les délais devraient être fixés, mais il est plus sensé de les imposer au cas par cas, en permettant au juge d'évaluer ce qui est nécessaire.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à Mme Wilson. Depuis le début de nos travaux, bon nombre de représentants au service du gouvernement sont venus témoigner au sujet du système judiciaire. Nous avons beaucoup parlé de l'importance de la collaboration des différents services pour trouver des solutions. Cependant, force est de constater que la situation ne s'améliore pas. Je la qualifierais même de mission impossible. D'après vous, à qui devrions-nous recommander la mission de mener le fameux bateau pour que les choses changent et pour éviter de frapper un mur, comme le mentionnait l'ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec, M. Rolland?
Mme Wilson : Au sujet du bateau?
Le sénateur Dagenais : Autrement dit, il faudra que quelqu'un prenne la barre du bateau. Il y a beaucoup d'intervenants et beaucoup de services, mais au Québec, malheureusement, la situation est lamentable. Le juge nous disait que, pour fixer la date d'un procès en cour, il faut envisager 2019. On parle de la Cour supérieure, évidemment.
Mme Wilson : Je pense que cette question s'adresse à ma collègue du ministère de la Justice et pas nécessairement au ministère de la Sécurité publique.
Le sénateur Dagenais : Tout le monde est invité à répondre.
[Traduction]
M. Piragoff : Je crois que j'ai répondu à cette question dans ma réponse au sénateur Joyal. Cela dépend vraiment de la complexité du dossier. Certains dossiers peuvent être traités plutôt rapidement, tandis que d'autres sont plus complexes. Il peut y avoir une quantité considérable d'éléments de preuve d'écoute électronique dont la recevabilité doit être établie. Il peut aussi y avoir une quantité importante de renseignements à divulguer. Il arrive parfois que de nouveaux éléments de preuve — ou de nouveaux témoins — soient trouvés par la police au cours d'un procès. La Couronne doit alors en être saisie. Elle doit en faire part à la partie défenderesse, qui a droit au temps nécessaire pour les examiner. C'est vraiment au cas par cas. Dans certains cas, comme Dale l'a mentionné, les gens sont en détention provisoire pendant deux ou trois ans avant la tenue de leur procès, mais il s'agit habituellement de l'exception à la règle.
Ce qu'il faut retenir, ce qu'il faut vraiment examiner l'essentiel des dossiers et la façon dont ils sont traités. Il y aura toujours des exceptions, des cas particuliers. C'est toujours ainsi dans tous les types de systèmes. Ce qu'il faut vraiment savoir, c'est où se situe l'essentiel des dossiers, quelle est la médiane en ce qui a trait aux retards dans la tenue des procès. Il faut examiner les tableaux que le Centre canadien de la statistique juridique a présentés. Il est important de savoir quelle est la moyenne exacte de jours et d'ignorer les cas particuliers, qui seront toujours assortis de raisons. Soit que les choses ont mal tourné, soit que cela prend plus de temps, à juste titre.
M. McFee : Pour répondre à votre question sur « qui », nous avons entrepris ce travail en Saskatchewan et en Ontario. Nous avons commencé par le début et par la fin du système. Nous avons demandé à un policier de longue date, ancien directeur du Collège canadien de police, et à l'ancien juge en chef du Manitoba — qui siège encore — d'examiner la question. La réponse n'est pas simple, et je ne crois pas qu'il soit juste de jeter tout le blâme sur le début ou sur la fin du processus. C'est en examinant globalement toutes les étapes qu'on trouvera de nombreuses solutions; c'est donc ce que je suggère.
Le président : J'aimerais poser une question à M. McFee. Vous avez entendu les propos de M. Piragoff sur la gestion de cas et les juges, mais vous avez mentionné la culture juridique. Un témoin nous a parlé du cirque qu'est le tribunal des cautionnements à Ottawa. J'aimerais obtenir votre avis sur la gestion appropriée des tribunaux. Selon vous, où se trouve le problème et comment le réglons-nous?
M. McFee : C'est une bonne question. Le facteur dominant est la culture. Continuons à procéder comme par le passé parce que nous pensons avoir un système parfait, n'est-ce pas? Or, quand nous regardons dans le miroir et à l'interne, nous constatons que nous avons un bon système, mais qu'il pourrait être amélioré. Je ne veux pas lancer tout le blâme sur les tribunaux. Les tribunaux sont saisis de trop de dossiers en provenance de la police qu'ils ne devraient jamais recevoir, et je pense qu'ils tentent de résoudre ce problème.
Selon moi, pour toute personne ici présente qui a écouté beaucoup de témoins, cela devient presque une sorte de stratégie par rapport à la façon dont on détient quelqu'un, on décide devant qui le présenter, on trouve où est le retard et on établit ce qui se passe durant le procès. Je pense que certaines choses, comme M. Piragoff et d'autres le disaient au sujet des échéanciers, donnent aux juges le pouvoir d'établir des échéanciers. Or, nous devons aussi absolument faire quelque chose au début du processus, afin que la police ne fasse pas automatiquement tout passer par le système juridique pour obtenir des décisions.
En Saskatchewan, beaucoup de retards sont liés précisément aux poursuites. C'est la peur du risque. Personne ne bouge, personne n'est blessé, n'est-ce pas? La culture est la même d'un bout à l'autre du processus, et quand nous commençons à en parler, nous finissons par nous accuser les uns les autres, ainsi que par constater et reconnaître que la véritable solution est de tenter d'arriver à la même place. Nous jouons différents rôles dans l'appareil judiciaire pour arriver au même point. La confrontation n'est pas une mauvaise chose, mais en même temps, il y a un client, il y a une personne et, surtout, il y a une victime qui suit la plupart des affaires, et c'est fou de penser que nous ne pouvons pas accélérer le processus.
Le président : J'ai un peu de temps pour poser une autre brève question.
Nous avons reçu hier un psychiatre légiste réputé qui recommandait, entre autres, pour remédier au problème de la détention provisoire — je me demande si la question a été abordée dans les discussions FPT —, d'avoir recours à la surveillance électronique afin de permettre aux personnes d'obtenir des traitements ou de garder leur emploi plutôt que d'être emprisonnées indéfiniment. La surveillance électronique permet d'accomplir une vaste gamme de choses; pourtant, on semble très peu l'utiliser au pays. Je pense que Calgary et Edmonton s'en servent à ces fins, et beaucoup d'autres. Est-ce que quelqu'un a quelque chose à dire là-dessus? Si on examine cette possibilité, pourquoi n'y a-t-on pas plus souvent recours?
Angela Connidis, directrice générale, Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale, Sécurité publique Canada : Je peux répondre à la question, monsieur le président. Le Service correctionnel du Canada examine et met à l'essai la surveillance électronique partout au pays. Son utilisation n'est pas encore très répandue parce que des difficultés techniques empêchent de suivre les gens adéquatement. On s'inquiète aussi de stigmatiser les délinquants libérés, car les gens ne vont pas leur permettre de bien réintégrer la société s'ils voient que ce sont des délinquants. La surveillance électronique n'aide pas les délinquants libérés sous condition, mais on s'en sert précisément pour les raisons que vous avez mentionnées : elle pourrait permettre à un plus grand nombre de délinquants d'être libérés sous condition et elle pourrait contribuer à leur réintégration.
Le président : Je pensais plus à la détention provisoire.
Mme Connidis : Je pense que les difficultés techniques sont les mêmes, mais je vais laisser Dale répondre.
M. McFee : Votre observation est très juste. Nous examinons actuellement cette possibilité. L'autre mécanisme va de pair avec la question de savoir si la surveillance pourrait être faite par un tiers, un organisme externe à l'établissement, pour une fraction du coût, en se rendant chez les gens plutôt qu'en les détenant. Nous nous en servons actuellement, comme plusieurs autres provinces, et les nouvelles technologies amélioreront évidemment l'efficacité de la surveillance. Comme on vient de le dire, certaines nouvelles technologies sont encore à l'essai, mais c'est certainement une solution envisageable.
Le sénateur Patterson : Puisque vous procédez actuellement à l'examen mixte des systèmes de détention provisoire de la Saskatchewan et de l'Ontario, monsieur McFee, je voulais attirer votre attention sur quelque chose de plutôt étonnant que nous avons entendu hier, de la part d'une avocate de la défense qui plaide beaucoup de cas de santé mentale en Ontario. Elle nous a dit qu'à sa connaissance, le gouvernement de l'Ontario a apporté un changement au cours des trois à cinq dernières années : une personne qui reçoit les services d'un avocat commis d'office a seulement droit à un paiement de deux heures, ce qui équivaut à environ 200 $. Elle a dit que le résultat est que les avocats du secteur privé n'acceptent plus ces dossiers, ce qui a d'affreuses conséquences. Je vous en parle pour que vous puissiez dire à vos collègues de l'Ontario qu'on nous a affirmé que c'est un problème.
Tout à l'heure, la sénatrice Jaffer a parlé de ce que coûtaient les nombreux ajournements aux deux parties, l'accusé et la Couronne. Je tenais à souligner que si l'accusé ne paye pas lui-même les services de son avocat — s'il a droit à l'aide juridique ou à un avocat commis d'office, comme ce serait souvent le cas —, il n'a rien à payer. Je tenais à le préciser pour le compte rendu.
Enfin, j'ai une question pour M. Piragoff. M. Steven Blaney, ancien ministre de la Sécurité publique du gouvernement conservateur, a déposé un projet de loi émanant d'un député à la Chambre des communes. Le projet de loi porte sur les accusations de conduite avec facultés affaiblies et nombre des infractions techniques qui ont tendance à ralentir l'examen par les tribunaux des cas de conduite avec facultés affaiblies. Il tente d'apporter des modifications pour que ces affaires avancent plus rapidement. Est-ce que le gouvernement a adopté une position sur ce projet de loi émanant d'un député?
M. Piragoff : Le gouvernement examine encore le projet de loi C-226 que M. Blaney a présenté dans l'autre endroit. Je sais qu'il y a des discussions entre des membres du gouvernement et M. Blaney. Je ne peux pas vraiment vous dire à quelle étape ils sont rendus, mais un examen est en cours entre M. Blaney et les députés du gouvernement.
Au sujet de l'aide juridique, vous vous rappelez peut-être que le gouvernement a annoncé dans le budget un investissement de 88 millions de dollars sur les 5 prochaines années pour augmenter la contribution fédérale à l'aide juridique. Cet investissement devrait avoir une incidence considérable sur les provinces et la prestation de services d'aide juridique. C'est aux provinces et aux territoires que revient la décision concernant la façon d'affecter l'argent, comme dans l'exemple que vous avez donné, sénatrice Batters, mais le gouvernement a clairement indiqué qu'il augmenterait les ressources. La contribution actuelle, qui est presque la même depuis les 10 dernières années, est d'environ 112 millions de dollars. C'est une augmentation considérable si on prend les 88 millions de dollars et on les divise par 5.
M. McFee : Je note certainement le premier point que vous avez soulevé, et nous l'examinerons. À titre d'information, nous avons calculé les coûts de la libération sous caution et de la détention provisoire. En Saskatchewan, un délinquant en détention provisoire coûte 80 000 $ par année, tandis qu'un délinquant condamné coûte 43 000 $. Nous investissons donc les plus grandes sommes et les ressources les plus coûteuses pour obtenir le plus petit rendement.
La sénatrice Batters : Monsieur Piragoff, je ne suis pas convaincue que l'augmentation du financement de l'aide juridique aidera à résoudre le problème soulevé par l'avocate hier. Cela ne me semblait pas nécessairement être le cas, mais ce serait une bonne question à examiner. Merci.
Le sénateur White : Merci encore une fois à tous d'être ici.
Monsieur McFee, vous avez parlé de l'utilisation du processus administratif, et je pense que vous avez mentionné les accusations de conduite avec facultés affaiblies en Alberta et en Colombie-Britannique. Envisagez-vous la possibilité d'inclure dans le processus administratif d'autres types d'accusations qui nécessitent un système différent, comme le vol à l'étalage et les multirécidivistes? Ce ne serait pas seulement à la place de la condamnation pour acte criminel et de la déclaration de culpabilité par procédure sommaire; ce serait pour que la province s'occupe du dossier puisque c'est elle qui en est responsable de toute façon.
M. McFee : Monsieur le sénateur, votre observation est juste. Certaines de ces mesures ont connu du succès. Je crois que vous seriez le premier à le comprendre. Nous ne tirons pas pleinement parti de nos données et de nos preuves; c'est pourquoi c'est une des sept priorités. Quand les données et les preuves, que nous pouvons bien présenter et examiner, pourraient donner des résultats dans certains cas sans avoir d'effet néfaste, il faut les examiner. Avant de prendre des décisions de ce genre, nous devons faire beaucoup de travail sur ce que les données révèlent.
Par exemple, chaque année, dans notre province — j'ai entendu cela récemment —, 180 000 accusations sont portées en vertu du Code criminel, dont 60 000 sont liées à des violations, à des défauts de comparution, à l'administration de la justice, et cetera, ce qui nous ramène à votre observation.
Le sénateur White : À ce sujet, en fait, ne serait-il pas logique que les accusations administratives deviennent seulement pertinentes dans les cas où la personne est déclarée coupable d'une infraction substantielle et qu'on s'en serve plutôt à des fins de détermination de la peine?
M. McFee : Comme vous le savez, il faudra étudier la question. Je le répète, nous devons procéder à un examen approfondi pour veiller à ce que nous prenions les bonnes décisions. Cela nous ramène à l'idée que l'attitude selon laquelle personne ne prend de risque, personne ne bouge, personne n'est blessé qu'on trouve dans l'ensemble du système nous donne l'occasion et la possibilité d'apporter de petites modifications pour augmenter l'efficacité du système, sans le changer entièrement. Je ne pense pas qu'il soit question d'une refonte; je pense qu'il est question d'innovation.
Le sénateur McIntyre : À votre avis, les juges et les autres membres du personnel qui participent aux activités des tribunaux reçoivent-ils suffisamment de soutien et de formation pour gérer les cas?
M. Piragoff : Tous les systèmes auraient toujours besoin de plus de soutien. C'est difficile de donner une réponse générale parce qu'il y a des différences importantes dans le montant de soutien et de formation que les tribunaux reçoivent, et ce, non seulement d'une province à l'autre, mais aussi à l'intérieur des provinces.
C'est évident que tous les paliers du gouvernement s'efforcent d'améliorer la formation des policiers et du personnel des tribunaux. Par exemple, le mandat de l'Institut national de la magistrature est de former les juges. Il pourrait toujours y avoir plus de formation. Je ne dirais jamais qu'il y en a assez. Il y a toujours moyen de faire mieux.
Le président : Je remercie tous les témoins. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence et de votre contribution à nos délibérations dans le cadre de cette étude très importante.
(La séance se poursuit à huis clos.)