Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 8 - Témoignages du 4 mai 2016
OTTAWA, le mercredi 4 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 14 h 2, pour examiner la teneur du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (aide médicale à mourir).
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue à tous, chers collègues et invités, ainsi qu'à tous ceux qui, dans la population, suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aujourd'hui. Nous commençons nos audiences sur l'étude préliminaire du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (aide médicale à mourir).
Pour commencer, nous avons parmi nous l'honorable Jody Wilson-Raybould, ministre de la Justice et procureure générale du Canada. Nous avons également, du ministère de la Justice, M. William Pentney, sous-ministre de la Justice et sous-procureur général du Canada, M. Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Secteur des politiques, Mme Laurie Wright, sous-ministre adjointe, Secteur du droit public et des services législatifs, Mme Joanne Klineberg, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, et Mme Jeanette Ettel, avocate-conseil, Section des droits de la personne, Secteur du droit public et des services législatifs.
La ministre a accepté de venir nous voir aujourd'hui, et nous avons donc modifié l'horaire. Lorsque les 90 minutes dont elle dispose seront écoulées, elle nous quittera, et ce sera au tour de la ministre de la Santé de faire son exposé. Nous invitons les fonctionnaires de la Justice et de la Santé de rester avec nous lorsque les ministres auront quitté la salle, afin que les membres du comité puissent obtenir plus de détails.
Madame la ministre, bienvenue parmi nous. Nous sommes heureux de vous accueillir. Vous avez la parole.
L'honorable Jody Wilson-Raybould, C.P., députée, ministre de la Justice et procureure générale du Canada : Merci de votre accueil. Je tiens à vous rendre hommage, monsieur le président, ainsi qu'à tous les honorables sénateurs qui siègent autour de cette table. Je suis heureuse d'être parmi vous et me fais d'avance un plaisir de m'entretenir avec vous.
Je voulais commencer par certaines remarques préliminaires et vous remercier encore une fois de me donner l'occasion de parler du projet de loi C-14, qui, comme on le sait, découle de la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter c. Canada l'année dernière. Le projet de loi fournit un cadre juridique fédéral à l'aide médicale à mourir.
L'aide médicale à mourir est une question complexe et profondément personnelle. La Cour suprême du Canada a rappelé dans l'arrêt Carter que, dans l'élaboration de cette nouvelle loi, le Parlement devrait examiner et évaluer avec soin des intérêts aussi divers qu'importants, en tenant compte notamment de l'autonomie personnelle et de la protection des personnes vulnérables et en veillant à ce que la décriminalisation de l'aide médicale à mourir n'entrave pas la prévention du suicide, le respect des Canadiens atteints d'un handicap et, plus généralement, la promotion du bien-être.
Le projet de loi C-14 établit des règles pénales concernant l'aide médicale à mourir en précisant les critères d'admissibilité, les mesures de sauvegarde et le cadre d'un système de contrôle. La loi proposée reconduit l'article 14 et l'alinéa 241b) du Code criminel pour qu'il reste interdit d'aider une autre personne à mourir ou de provoquer la mort d'une autre personne avec son consentement, sauf si l'un ou l'autre de ces actes est conforme aux règles de l'aide médicale à mourir telles qu'elles sont énoncées dans le projet de loi.
Le projet de loi exempte les médecins et les infirmières autorisées de toute responsabilité pénale au cas où ils fourniraient une aide médicale à mourir à des personnes admissibles en appliquant les mesures de sauvegarde prévues par la loi. Il exempte également ceux qui pourraient participer à cette procédure, comme les pharmaciens qui remplissent l'ordonnance. Et surtout, le projet de loi prévoit une révision parlementaire de cinq ans après son entrée en vigueur.
Le gouvernement a choisi cette approche après un examen approfondi de tous les systèmes d'aide médicale à mourir. Comme l'explique notre document sur le contexte législatif, que j'ai déposé en deuxième lecture, il s'agissait d'analyser et de comparer les systèmes d'autres juridictions, à savoir ceux du Québec, de certains États américains, de plusieurs pays d'Europe, de la Colombie, et cetera.
Le gouvernement s'est également appuyé sur les résultats de consultations organisées dans le pays, ainsi que sur les travaux du comité mixte spécial, le comité externe, le Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir, et sur l'étude pluriannuelle effectuée par le Québec et qui a servi de base à la loi adoptée dans la province. Nous avons également engagé et consulté toutes sortes de parties intéressées.
Grâce à cet ensemble de témoignages et de connaissances, bien plus nombreux même que ceux que contenait le dossier détaillé dont la cour a été saisie dans l'affaire Carter, le gouvernement a pu aborder cette question avec tout le soin qu'il fallait.
Le projet de loi C-14 est plus souple que les lois en vigueur aux États-Unis, qui ne s'appliquent qu'aux patients en phase terminale. Mais il ne va pas aussi loin que les systèmes les plus permissifs d'Europe. Comme la cour l'a rappelé dans Carter, il vaut mieux que ce genre de système de réglementation complexe soit créé par le Parlement que par les tribunaux. La perspective adoptée est à la fois équitable, pratique et équilibrée.
Du point de vue de l'admissibilité, je sais que le projet de loi C-14 aborde les choses différemment de ce que proposait le rapport de la majorité du comité spécial mixte. Certains se demandaient si le projet de loi serait conforme à l'arrêt Carter et à la Charte des droits et libertés, et j'aimerais aborder ces préoccupations.
Le projet de loi est délibérément axé sur les circonstances factuelles qui se trouvent au cœur de l'affaire Carter, dans le cours de laquelle la cour a entendu uniquement des témoignages sur des gens qui en étaient aux derniers stages d'une maladie incurable et en train de décliner physiquement et dont le décès naturel approchait. La Cour suprême a déclaré qu'une interdiction complète de l'aide médicale à mourir dans le Code criminel serait une violation des droits garantis par la Charte dans ces circonstances.
Le gouvernement a donc décidé que les enjeux échappant aux circonstances et aux témoignages examinés par la cour dans Carter, notamment l'admissibilité des personnes de moins de 18 ans, les directives anticipées et la maladie mentale comme seule raison de la demande, devraient faire l'objet d'une étude plus approfondie et qu'ils ne feraient pas partie du projet de loi C-14. Cette étude plus approfondie est justifiée, car ces questions complexes ont des dimensions juridiques, éthiques et concrètes distinctes, que la Cour suprême du Canada n'a pas analysées.
Pour ce qui est des « mineurs matures », nous sommes attentifs au fait que les témoignages entendus par le comité spécial mixte invitent à une réflexion plus approfondie. Compte tenu du caractère irrévocable de la procédure et du fait que les mineurs peuvent être particulièrement vulnérables en raison de leur âge, surtout quand ils sont gravement malades, il convient d'être prudent pour l'instant.
Concernant les directives anticipées, lorsqu'une personne n'est pas en mesure de confirmer son désir au moment où l'aide médicale à mourir serait fournie, le risque d'erreur et d'abus est multiplié. Dans l'arrêt J.A. (2011), la Cour suprême du Canada a estimé qu'une personne ne peut pas consentir d'avance à une activité sexuelle qui aura lieu lorsqu'elle est inconsciente. La cour a rappelé que cette personne ne pourrait pas annuler son consentement si elle a changé d'avis entre-temps. J'estime que les mêmes questions se posent concernant les demandes anticipées d'aide médicale à mourir lorsque la personne ne peut pas explicitement confirmer ou annuler son consentement.
Concrètement parlant, dans les très rares juridictions où les demandes anticipées d'aide médicale à mourir sont autorisées, peu de médecins sont disposés à fournir cette aide dans le cadre de ces circonstances difficiles sur le plan éthique. Il convient d'approfondir la réflexion sur cet enjeu complexe, qui n'est pas analysé dans l'arrêt Carter.
Passons à la maladie mentale comme seule raison de la demande : voilà qui est particulièrement complexe. Premièrement, je tiens à rappeler que le projet de loi ne fait pas de discrimination à l'égard des personnes atteintes de maladie mentale. Elles auraient le même droit de demander l'aide médicale à mourir dans les mêmes circonstances que les autres Canadiens et y auraient accès si elles remplissent les critères d'admissibilité. Mais notre gouvernement n'oublie pas que, en accordant l'aide médicale à mourir au seul motif d'un diagnostic de maladie mentale pourrait entraver les efforts pour promouvoir le bien-être et décourager le suicide de façon plus générale.
Si la maladie mentale pouvait être le seul motif d'obtenir l'aide médicale à mourir et si l'admissibilité n'était pas restreinte aux personnes dont le décès est raisonnable prévisible, il serait difficile de limiter l'admissibilité en tant que telle pour quelque principe que ce soit. Par exemple, il serait arbitraire de donner accès à l'aide médicale à mourir aux seules personnes atteintes d'une maladie mentale et d'exclure les personnes atteintes d'un handicap très grave sans être mortel ou les personnes subissant d'autres formes de souffrance.
Un système d'aide à mourir très permissif tendrait à placer l'autonomie personnelle au-dessus de tous les autres droits et intérêts de la personne, et ce ne serait conforme ni à la Charte ni à une bonne politique gouvernementale. La tâche du Parlement, comme l'a rappelé la Cour suprême du Canada, est de :
[...] soupeser et pondérer le point de vue des personnes qu'un régime permissif pourrait mettre en danger et le point de vue de celles qui demandent de l'aide pour mourir.
Pour relever ce défi, nous devons très soigneusement tenir compte de tous les intérêts en jeu et non pas seulement de l'autonomie personnelle. En s'appuyant sur les circonstances factuelles de l'affaire Carter, le projet de loi C-14 respecte tous ces droits et intérêts. La Cour suprême du Canada a expliqué dans l'arrêt Carter qu'un système de réglementation complexe conçu par le Parlement ferait l'objet d'une grande retenue de la part des tribunaux. Je suis convaincue que la perspective équitable et équilibrée adoptée dans ce projet de loi résistera à un examen en vertu de la Charte.
Comme l'objet de la loi prévoit que le décès du demandeur soit raisonnable prévisible, elle offre aux professionnels de la santé la souplesse qui convient pour tenir compte de tous les aspects de l'état de santé de l'intéressé. En définissant l'expression « problèmes de santé graves et irrémédiables », le projet de loi garantit que tous les adultes compétents dont le déclin les achemine vers leur décès naturel seraient en mesure d'obtenir l'aide médicale à mourir qu'ils souffrent ou non d'une maladie fatale ou en phase terminale.
La loi contient également la mention « sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie », qui indique que l'admissibilité ne dépend pas du nombre de semaines de mois qu'il reste à vivre à l'intéressé, comme c'est le cas dans certains États américains, mais seulement que le décès est raisonnablement prévisible.
Enfin, je tiens à rappeler l'importance d'une réponse législative en vigueur d'ici le 6 juin 2016, date d'échéance de la déclaration d'invalidité de la cour. Faute d'une nouvelle loi en vigueur le 6 juin, les critères énoncés dans Carter deviendront applicables, mais la portée de cette décision est incertaine à plusieurs égards, et son application concrète donnerait lieu à de l'incertitude. À supposer un instant que l'arrêt Carter soit interprété étroitement de sorte que, sauf pour l'aide médicale à mourir, l'article 14 et l'alinéa 241b) du Code criminel seraient applicables, il resterait quand même beaucoup d'incertitude.
Premièrement, parmi les professionnels de la santé, on ne s'entend pas sur ce que sont des problèmes de santé graves et irrémédiables. Il serait donc difficile pour un patient admissible en vertu des dispositions du projet de loi C-14 d'avoir accès à l'aide médicale à mourir. Faute d'une loi fédérale claire, les médecins qui seraient par ailleurs disposés à fournir une aide médicale à mourir pourraient s'y refuser en raison de cette incertitude.
De plus, si on omet de définir les critères de Carter dans la loi fédérale, on risque une application très variable des critères d'admissibilité, non seulement d'une province ou d'un système à l'autre, mais au sein même des provinces et des systèmes. Dans les régions rurales et éloignées, l'accès serait plus difficile, non seulement parce que les médecins ne seraient pas disposés à fournir l'aide médicale à mourir dans un cadre juridique trop incertain, mais aussi parce que, en vertu de l'arrêt Carter, les infirmières sont autorisées à fournir cette aide.
Deuxièmement, le processus provisoire actuel d'approbation par un tribunal prendra fin le 6 juin. En dehors du Québec, il n'existerait donc pas de cadre juridique exécutoire régissant l'aide médicale à mourir. Autrement dit, il n'existerait pas de mesures de sauvegarde obligatoires permettant d'éviter les abus et de protéger les personnes vulnérables.
Les directives publiées par les organismes de réglementation de la médecine ne sont pas exécutoires et ne sont pas uniformes non plus, ce qui risque de créer un patchwork d'applications d'un bout à l'autre du Canada. Ça pourrait gravement compromettre à santé publique. Par exemple, un patient pourrait demander et recevoir une aide médicale à mourir le même jour. Sans vous faire une liste exhaustive des risques, je n'ai pas besoin de vous dire qu'il serait irresponsable de laisser passer le 6 juin sans avoir adopté une loi fédérale.
Comme la cour l'a clairement expliqué dans l'arrêt Carter, les risques associés au décès médicalement assisté peuvent être limités grâce à des mesures de sauvegarde soigneusement conçues et contrôlées. Le projet de loi C-14 prévoit un cadre responsable et équilibré qui limite ces risques et prévoit ces mesures de sauvegarde.
Je suis ouverte à la discussion et serai heureuse de contribuer à votre étude du projet de loi. Notre approche est conforme à l'arrêt Carter et tient compte de tous les enjeux dont la cour a été saisie dans cette affaire. Elle donne un cadre juridique responsable et équitable à l'aide médicale à mourir au Canada, pour la première fois dans l'histoire de notre pays. C'est depuis le début et ça continuera d'être un processus de transformation.
Merci de m'avoir permis de faire quelques remarques préliminaires. Je répondrai volontiers à vos questions.
Le président : Merci, madame la ministre. Nous commencerons par les questions de la vice-présidente du comité, la sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Merci, madame la ministre, d'être parmi nous aujourd'hui. Ce n'est certainement pas la première fois que vous rencontrez des sénateurs en comité. Vous avez souvent comparu devant le Comité des droits de la personne, mais vous voilà aujourd'hui dans un rôle différent. Bienvenue à vous.
Madame la ministre, j'aimerais d'abord éclaircir quelque chose. Vous avez dit que vous aviez examiné l'arrêt Carter, mais, en réalité, les circonstances décrites étaient celles de Gloria Taylor. Est-ce que vous avez examiné les circonstances propres à la situation médicale de Gloria Taylor pour prendre votre décision plutôt que de la fonder sur l'arrêt Carter?
Mme Wilson-Raybould : Merci de cette question, sénatrice. C'est vraiment un plaisir de me retrouver ici devant vous.
Nous avons lu attentivement l'arrêt Carter. Comme je l'ai expliqué dans mes remarques, nous avons élaboré le projet de loi C-14 en fonction des circonstances propres à l'affaire Carter.
Tout au long de l'énoncé de sa décision, à diverses occasions, la cour a parlé de Gloria Taylor et de gens dans la même situation. Notre loi s'adresse aux personnes qui approchent de leur fin, qui souffrent de problèmes de santé graves et irrémédiables et dont le décès est raisonnablement prévisible. Je suis convaincue que notre projet de loi tient compte de la situation dans laquelle se trouvait Gloria Taylor et de la situation dans laquelle se trouvait Kay Carter.
Le sénateur McIntyre : Madame la ministre, merci d'être parmi nous et merci de votre exposé.
Comme vous le savez, dans les arrêts Rodriguez et Carter, la Cour suprême s'est particulièrement intéressée à la question des mesures de sauvegarde liées à la procédure d'aide médicale à mourir. C'était également le souci du comité mixte du Parlement et du Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir. Le projet de loi tient compte de ces préoccupations. En fait, je fais remarquer qu'on y trouve un certain nombre d'exigences procédurales constituant des mesures de sauvegarde pour le processus d'aide médicale à mourir.
Madame la ministre, ma question concernant les mesures de sauvegarde prévues par la loi fédérale comparativement aux mesures de sauvegarde prévues à l'échelle provinciale et territoriale. Cela dit, si vous êtes convaincue qu'une province ou un territoire a prévu des mesures de sauvegarde substantiellement équivalentes aux mesures fédérales, est- ce que la loi fédérale s'appliquera dans cette province ou ce territoire? Inversement, si vous n'en êtes pas convaincue, comment la loi fédérale s'appliquera-t-elle dans ces juridictions?
Mme Wilson-Raybould : Merci de votre question, sénateur.
Le projet de loi C-14 constitue un exercice du pouvoir fédéral en matière de droit pénal. Avant le dépôt du projet de loi, j'ai eu l'occasion, tout comme ma collègue la ministre de la Santé, de m'entretenir avec nos homologues provinciaux et territoriaux. J'ai notamment pu discuter avec tous les procureurs généraux.
Le consensus était clair : l'ensemble des provinces et territoires souhaitait que le gouvernement fédéral joue un rôle de leadership en matière d'aide médicale à mourir. Nous avons examiné tous les rapports dont vous avez parlé, monsieur, et nous avons étudié dans le détail les recommandations du comité mixte spécial concernant les mesures sauvegarde.
Le projet de loi C-14 prévoit ces mesures de sauvegarde, en exigeant l'intervention de deux professionnels de la santé et de deux témoins, ainsi que des mesures supplémentaires, toutes s'appliquant à chaque juridiction du pays en ce qui concerne ce dont les professionnels de la santé doivent tenir compte pour, un, déterminer l'admissibilité du patient et, deux, prévoir les mesures de sauvegarde garantissant qu'on fait le maximum pour protéger les personnes vulnérables.
Les provinces et territoires, liés par les dispositions du droit pénal, seront habilités à créer des organismes de réglementation de la médecine et à collaborer avec eux et d'autres pour créer l'espace qu'ils jugent nécessaire dans leurs propres juridictions.
Le sénateur Cowan : Bienvenue parmi nous, madame la ministre. Vous avez eu l'amabilité, après le dépôt du projet de loi, de m'inviter à venir vous voir. Je vous ai dit, à ce moment-là, que je trouvais la portée du projet de loi trop limitée et que, selon moi, il n'était pas conforme au seuil établi dans Carter ni aux exigences de la Charte des droits et libertés.
Vous avez dit, dans vos remarques préliminaires, que le projet de loi était délibérément formulé en fonction de la situation factuelle décrite dans l'affaire Carter. Puis en réponse à une question de la sénatrice Jaffer, vous avez dit qu'il était inspiré des circonstances propres à Carter et Taylor. Sauf votre respect, madame la ministre, il me semble qu'il incombe intégralement à un tribunal de tenir compte des circonstances dont il est saisi. C'est le travail d'un juge, mais il me semble que le rôle du Parlement est différent. Je vous renvoie à la résolution adoptée en décembre 2015 de former le comité mixte spécial dont vous avez parlé. On y parle de consulter les Canadiens et des experts et de formuler des recommandations sur ce que pourrait être un cadre fédéral de l'aide médicale à mourir qui soit conforme à la Constitution, à la Charte des droits et libertés et aux priorités des Canadiens.
Il me semble que notre tâche, comme législateurs, et la vôtre, comme ministre, est de donner une réponse plus large et non pas simplement de répondre à des circonstances particulières ou à une situation factuelle ayant été portée à l'attention des tribunaux. Pourriez-vous nous donner votre point de vue à ce sujet?
Mme Wilson-Raybould : Merci de cette question très importante, sénateur.
Je commencerai par dire qu'il s'agit d'une question incroyablement difficile, très émotive et très délicate. Je suis très sensible à tous ces rapports et au travail du comité mixte spécial, qui a présenté ses recommandations et, au-delà, proposé au pays la possibilité et les mécanismes de participer à une conversation nationale sur la mort.
Je vais répéter ce que j'ai dit : c'est un processus de transformation. C'est un changement de paradigme du point de vue de la discussion que nous avons en ce moment. Peut-être convient-il, à ce stade, de saluer la vie de Gloria Taylor, de Kay Carter et, avant elles, de Sue Rodriguez, qui, je crois, nous ont amenés où nous en sommes et à cette conversation nationale.
Pour répondre à votre question, du point de vue de la réflexion découlant de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter, les juges ont été très clairs à deux égards. Premièrement, l'interdiction absolue et totale de l'aide médicale à mourir est contraire à la Constitution et enfreint l'article 7 de la Charte. Deuxièmement, comme vous l'avez très justement rappelé, il incombe au Parlement d'instaurer le système de réglementation complexe qui convient. Nous avons eu la chance d'obtenir une quantité incroyable de renseignements de la part d'experts et de citoyens ayant participé à cette discussion. Leurs observations étaient très diverses. C'est l'équilibre que le gouvernement cherchait à obtenir dans l'élaboration du projet de loi, pour tenir compte à la fois de l'autonomie personnelle et de l'arrêt Carter.
Le sénateur Cowan : Sauf votre respect, madame la ministre, ce dont on parle ici, c'est du seuil, je l'appelle comme ça, établi dans Carter, et on parle aussi de la Charte des droits et libertés. Avez-vous une opinion que vous pouvez partager avec nous qui confirmerait que le projet de loi est conforme non seulement au seuil établi dans Carter, mais qu'il permet raisonnablement d'éviter les contestations en vertu de la Charte des droits et libertés?
Aucun d'entre nous, j'en suis sûr, ne voudrait faire subir à quelqu'un d'autre la terrible épreuve imposée à Carter ou Taylor. Les tribunaux sont évidemment liés par les faits de l'affaire dont ils sont saisis, mais pas nous. C'est à nous, les législateurs, d'anticiper la prochaine affaire Carter et la prochaine affaire Taylor et de mettre en place un système suffisamment solide sans être restreints par la situation factuelle propre à Carter ou à Taylor. Ce n'est pas votre avis?
Mme Wilson-Raybould : Selon moi, les parlementaires ont une tâche incroyable à remplir, et, actuellement, le gouvernement a proposé une réponse qui permettra de débattre de ces questions sur le fond.
Pour répondre à votre question sur le cadre de réflexion qui a présidé au projet de loi C-14, j'ai été très heureuse, comme ministre, de pouvoir déposer, en deuxième lecture, un document explicatif qui porte précisément, sénateur, sur les questions que vous soulevez et qui décrit la démarche du gouvernement dans le cadre de l'examen de l'arrêt Carter et de ses efforts pour équilibrer les divers intérêts en jeu, compte tenu de l'autonomie personnelle à respecter, d'une part, et de l'espace à ouvrir et de la protection des personnes vulnérables à protéger, d'autre part. C'est ce qui était au cœur de la décision à prendre.
Dans ce document explicatif, nous abordons également les questions relatives à la Charte des droits et libertés. J'invite tous les Canadiens à le lire pour comprendre comment nous avons pris notre décision.
Le sénateur Cowan : Ce n'est pas une opinion, c'est un document d'information.
Le sénateur White : Merci, madame la ministre, d'être venue nous voir cet après-midi.
Je me demande si la ministre pourrait nous donner une idée de ce que pourrait être une révision après cinq ans. Est- ce qu'on parle d'un examen complet de la loi et de l'éventualité d'une refonte? J'ai vu certaines révisions de ce genre dans le passé et je n'ai pas toujours été satisfait du résultat. Est-ce qu'il y a vraiment une formule précisant ce que doit être une révision?
Mme Wilson-Raybould : Merci, sénateur, voilà une bonne question.
Il n'existe pas de formule prédéterminée de ce que doit être ce genre de révision. En prévoyant cette procédure, on prend acte du fait que la conversation que nous avons en ce moment ne se terminera pas avec l'adoption du projet de loi C-14. Un certain nombre de questions, comme vous le savez, doivent encore être examinées plus à fond. Nous nous sommes engagés, dans le préambule, à entamer des études sur ces questions. Nous voulons donner suite à la loi que nous adopterons et surveiller le système mis en place à mesure que la loi sera appliquée pour pouvoir tenir compte de l'expérience acquise et du dialogue qui se poursuivra dans le pays sur la façon dont fonctionne le système et sur les moyens de l'améliorer.
Le sénateur White : Merci de votre réponse.
Ma deuxième question porte sur l'expression « infirmiers praticiens ». J'ai travaillé dans le Nord pendant de nombreuses années, et il y avait là beaucoup d'infirmières. J'ai consulté deux ou trois sites web provinciaux pour essayer de savoir de quel pouvoir elles sont investies. Ce pouvoir semble découler, quand il s'agit des questions abordées dans le projet de loi, de l'exigence qu'un médecin approuve ou accorde un certain degré d'approbation à leurs actions. Le projet de loi semble leur donner plus de pouvoir que ce que j'ai trouvé dans les sites web de l'Ontario concernant les infirmières.
Y a-t-il une raison justifiant la référence aux infirmiers praticiens dans le projet de loi? Est-ce que c'est une nécessité?
Mme Wilson-Raybould : Concernant les infirmiers praticiens, la ministre Philpott et moi-même avons tenu compte des mesures de sauvegarde nécessaires et des recommandations du comité mixte spécial. Il fallait garantir l'accès à l'aide médicale à mourir dans tout le pays, et nous savions, comme vous l'avez fait remarquer, que les régions rurales et éloignées n'ont pas toujours un médecin sur place, et encore moins deux. Il y a beaucoup d'infirmières qui ont des liens directs avec ces collectivités, qui vivent sur place et qui seraient en mesure de fournir l'aide médicale à mourir, ce qui réglerait la question de l'accès. Les diverses juridictions seront capables de déterminer comment les infirmières sont formées ou quel rôle elles pourront jouer.
Le sénateur Joyal : Je vous remercie de m'avoir permis de vous faire part directement de mes préoccupations.
J'ai été très troublé par la déclaration du ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette, qui a été interviewé dimanche à Radio-Canada et qui, pour parler en termes neutres, a contesté la constitutionnalité du projet de loi du gouvernement. La raison en est que l'arrêt Carter a ouvert la porte au suicide médicalement assisté sans référence à un décès prévisible.
En introduisant dans le projet de loi le critère du décès prévisible, vous limitez considérablement la portée de Carter en n'accordant l'aide médicale à mourir qu'aux personnes dont le décès est prévisible selon un pronostic médical. Il n'y a rien de ce genre dans Carter. Ce faisant, vous vous exposez à des contestations en vertu de l'article 7, aux termes duquel tous les Canadiens atteints d'une maladie en phase terminale ou subissant des souffrances intolérables ont le droit d'avoir accès à l'aide médicale à mourir.
Selon ma lecture du projet de loi, puisque vous limitez le droit garanti par l'article 7, le projet de loi serait susceptible d'être contesté par la Cour suprême du Canada en vertu du critère énoncé dans Oakes ou par n'importe quel tribunal canadien saisi de la question de savoir si cette limite est raisonnable dans une société libre et démocratique, autrement dit en vertu de l'article premier de la Charte. En alléguant l'article premier, comme vous le savez, vous vous exposez aux trois questions fondamentales liées au critère énoncé dans Oakes. Excusez-moi d'employer du jargon ici, mais vous êtes avocate et vous comprendrez certainement, et vos conseillers savent aussi de quoi je parle.
Quand les tribunaux examineront le projet de loi, ils se poseront trois questions. La première est la suivante : quel est l'objet du projet de loi? Ils examineront les « attendus » ainsi que les déclarations que vous aurez faites ici ou à l'autre chambre ou d'autres observations que vous aurez formulées. Quand je lis les « attendus » du projet de loi, je vois que le sixième mentionne un objectif qui contredit Carter. Dans Carter, la cour a admis le suicide médicalement assisté, alors que vous voulez l'exclure dans le projet de loi.
Votre projet de loi est en contradiction flagrante avec l'interprétation de la Cour suprême. Si un tribunal pose la deuxième et la troisième question, votre projet de loi ne résistera pas. Je pense que c'est le principal...
Le président : Sénateur, nous n'aurons pas assez de temps pour avoir une réponse adéquate.
Madame la ministre?
Mme Wilson-Raybould : J'apprécie énormément la conversation que nous pouvons avoir à ce sujet.
Je suis convaincue que le projet de loi non seulement est conforme à l'arrêt Carter, mais qu'il résistera aux contestations en vertu de la Constitution. L'objet du projet de loi est de donner accès à l'aide médicale à mourir dans ce pays en respectant l'autonomie personnelle, mais aussi en veillant à la protection des personnes vulnérables.
C'est ce que la cour a demandé aux parlementaires. Nous avons envisagé toutes sortes de perspectives. Compte tenu des discussions et des décisions relatives à la politique gouvernementale, nous offrons, dans ce texte législatif, la possibilité aux personnes qui remplissent les critères d'admissibilité de mourir en paix.
Bien sûr qu'il y a des aspects à considérer au regard de la Charte, mais je suis convaincue, sénateur, que le projet de loi résisterait au critère énoncé dans Oakes, étant donné les discussions que nous avons eues et la diversité des voix que nous avons entendues.
Le sénateur Plett : J'aimerais donner suite à ce que le sénateur White a commencé à dire au sujet des infirmières. Je vais être plus explicite. En fait, les infirmières n'ont pas le droit de prescrire de narcotiques dans certaines régions du pays. Il y a des limites aux tests diagnostiques qu'elles peuvent faire. Elles ne sont pas autorisées à faire de tomodensitométrie ni d'IRM. Il y a même des limites à leur pouvoir d'ordonner une échographie ou une radiographie. Et pourtant, vous dites que, à cause de la logistique et du fait qu'il pourrait y en avoir dans le Nord, on va leur donner ce pouvoir.
J'ai deux questions. Premièrement, allez-vous les autoriser, dans ce cas, à prescrire des médicaments et à faire des radiographies qu'elles ne peuvent pas faire à l'heure actuelle, alors qu'elles pourraient aider quelqu'un à mourir?
Ma deuxième question porte sur l'avis médical indépendant nécessaire. Encore une fois, j'ai passé une bonne partie de ma vie dans certaines de ces petites collectivités dont vous parlez. Dans beaucoup d'entre elles, les infirmières, et même les médecins quand il y en a, vivent dans la même maison, voire dans le même appartement. Donc, si deux infirmières vivent au même endroit, dans quelle mesure l'avis de l'une est indépendant lorsqu'elle dit à l'autre : « Je crois que cette personne est admissible à l'aide médicale à mourir »?
Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie de ces observations et questions et je ne désavoue pas ma réponse antérieure concernant les infirmières. La notion d'infirmiers praticiens est définie dans le projet de loi. Ces professionnels de la santé sont évidemment assujettis aux lois des provinces et territoires dans lesquels ils exercent, et la portée de leur pratique sera déterminée par ces juridictions.
Quant à votre question au sujet des régions éloignées et des deux infirmières vivant sous le même toit, nous avons mis en place des mesures de sauvegarde qui prévoient l'indépendance des deux avis. C'est le genre de situation qu'il faudrait examiner individuellement.
Le sénateur Plett : Espérons que ça marche.
William Pentney, sous-ministre de la Justice et sous-procureur général du Canada, ministère de la Justice Canada : Sénateur, si vous permettez, j'ai deux choses à souligner à la suite de ce qu'a dit la ministre.
La première, c'est que ça crée une exemption en vertu du droit pénal. Si c'est une infirmière qui intervient, c'est que la province aura autorisé les praticiennes répondant à la définition législative à avoir ce pouvoir. C'est une décision qui incombe entièrement aux provinces. Mais, comme vous l'avez dit, il y a des différences dans la nature et la portée de ce que les infirmières ont actuellement le droit de faire.
Deuxièmement, comme les médecins, il s'agit d'une profession réglementée. On doit s'attendre à ce que les organismes de réglementation collaborent avec les provinces et territoires, puisqu'ils sont en train de réglementer la portée et la nature de la pratique des infirmières et des médecins. C'est leur administration et leur réglementation qui garantiront que les règles sont appliquées.
Si une infirmière s'écarte des règles, elle commet une infraction en vertu du Code criminel. Il y a une exemption limitée, avec des règles et des procédures à appliquer. Si une infirmière n'est pas autorisée à faire ça par sa province, mais qu'elle le fait quand même, elle commet une infraction en vertu du Code criminel. Dans ce sens, ce n'est pas comme si on laissait faire n'importe quoi. Ça se passe dans le cadre d'une profession réglementée.
La sénatrice Batters : Merci d'être venue nous voir, madame la ministre, et bienvenue parmi nous.
J'aimerais discuter du contenu du préambule. Dans vos remarques préliminaires, on aurait dit que vous êtes très préoccupée de vous assurer que les personnes atteintes de maladie mentale sont correctement protégées. C'est ce qui a toujours été ma principale préoccupation dans l'affaire qui nous occupe.
Quand on lit les dispositions du projet de loi sur l'admissibilité à l'aide médicale à mourir, comme vous l'avez dit, le premier paragraphe du préambule fait état de « problèmes de santé graves et irrémédiable », mais quand on va à la définition de cette expression, c'est là que se pose la question de la souffrance physique ou psychologique.
C'est dans le préambule que se trouve la disposition excluant la souffrance psychologique comme seule justification. Voilà une bien mauvaise façon de s'y prendre, parce que ça n'a pas nécessairement force de loi.
Donc, vous vous préoccupez beaucoup de ces questions. Quand vous avez témoigné devant le comité de la Chambre des communes au début de la semaine, vous avez dit clairement que le projet de loi visait à respecter l'arrêt Carter et que son objectif déclaré était d'accorder une mort paisible aux adultes compétents qui approchent de leur décès naturel.
Si telle est vraiment votre intention, pourquoi avoir mis ça dans le préambule et pourquoi examiner la question des mineurs matures et de la maladie mentale, ce que les Canadiens ne veulent manifestement pas? Ils l'ont fait savoir très clairement. Ce n'est pas une bonne façon d'élaborer une loi.
Mme Wilson-Raybould : Merci de votre question, sénatrice.
Pour ce qui est des critères d'admissibilité énoncés dans le projet de loi, nous avons voulu définir plus clairement le sens de l'expression « problèmes de santé graves et irrémédiables ». Ce sont les quatre éléments dont vous parlez dans votre question.
Tous ces éléments doivent être considérés ensemble en fonction de la totalité de la situation du patient qui demande l'aide médicale à mourir. Il se peut que ce patient soit atteint d'une maladie mentale, mais cette maladie ne peut être la seule raison d'accorder l'aide médicale à mourir. Elle doit être envisagée dans le cadre de la situation globale du patient.
Pour ce qui est des mineurs matures, de la maladie mentale et des directives anticipées, nous en parlons dans le préambule parce qu'il faut encore approfondir l'examen de ces questions. Ces trois questions ne sont pas abordées dans l'arrêt Carter, comme vous le savez, sénatrice. On nous a dit toutes sortes de choses à ces divers sujets, et nous voulons entamer une étude de fond pour comprendre les risques et les avantages associés à ces enjeux du point de vue de l'aide médicale à mourir.
Nous l'avons mis dans le préambule en partie pour affirmer notre engagement à examiner ces questions plus en détail, car beaucoup de Canadiens nous en ont parlé très clairement.
La sénatrice Batters : Si vous avez l'intention de mettre en place des mesures de sauvegarde pour protéger les personnes qui peuvent être atteintes d'une grave maladie physique, mais qui souffrent aussi de maladie mentale, pourquoi ne pas prévoir aussi une période d'attente plus longue pour qu'elles puissent consulter un psychiatre, ce qui prend beaucoup de temps dans certains endroits du Canada? Pourquoi ne pas exiger l'approbation d'un psychiatre? Pourquoi permettre, comme dans les autres cas, à deux infirmières d'évaluer la compétence du patient et d'approuver et appliquer la procédure de suicide assisté?
Mme Wilson-Raybould : Merci encore une fois de votre question, sénatrice.
Tout ce qui a trait à l'élaboration du critère d'admissibilité, notamment en ce qui a trait aux « problèmes de santé graves et irrémédiables », vise à rendre la loi suffisamment souple pour permettre aux professionnels de la santé de prendre cette décision en fonction de leur relation avec le patient et de leur évaluation de sa situation médicale dans sa totalité. J'imagine que c'est quelque chose dont la ministre Philpott abordera plus en détail quand elle comparaîtra devant le comité.
À ma connaissance, en cas d'incertitude, les médecins pourront, comme ils le font d'habitude, renvoyer le dossier pour...
La sénatrice Batters : Mais ce n'est pas exigé. Si c'est ce que vous voulez, pourquoi ne pas exiger...
Le président : Désolé.
Sénateur Boisvenu.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui. Je sais que ce sujet est très complexe et très compliqué, car il fait appel à la fois à des valeurs sociales et morales. Je pense que c'est avec beaucoup de courage que vous entreprenez l'étude de ce projet de loi avec nous.
Au Québec, il y a eu une vaste consultation sur le droit à mourir qui a donné lieu à un très large consensus, et le Québec a adopté un projet de loi dans ce sens. Il est évident que, au Québec, nous accordons une grande attention à ce qui émanera du projet de loi C-14.
Il y a un avocat du Québec qui a été très actif dans le domaine, il s'agit de Me Jean-Pierre Ménard, qui est porte- parole du Barreau dans ce dossier et qui est assez critique par rapport au projet de loi C-14. J'aimerais entendre votre opinion au sujet de deux de ses critiques.
La première critique de Me Ménard porte sur le fait que la Cour suprême donne le droit d'accès à l'aide médicale à mourir dans des cas où le projet de loi C-14 retire ce droit. Il s'agit d'une critique très sévère, qui concerne les personnes atteintes de maladies graves et irrémédiables, mais qui ne sont pas près de mourir.
L'autre critique de Me Ménard concerne la notion très floue, très incertaine, très élastique — ce sont ses mots — de « mort naturelle raisonnablement prévisible ». Il propose de biffer strictement les mots « mort naturelle raisonnablement prévisible » du projet de loi C-14. Dans le fond, cette notion pourrait s'appliquer à tout le monde, parce que tout le monde a une mort prévisible : une semaine, deux semaines, 10 ans, 20 ans. Donc, j'aimerais que vous vous exprimiez sur ces deux critiques de Me Ménard.
[Traduction]
Mme Wilson-Raybould : Merci de vos questions, sénateur. Je dirai simplement en aparté que je suis aussi en train d'apprendre le français et que j'apprécie donc que vous ayez posé vos questions en français.
Concernant l'objet du projet de loi, ce texte législatif découle de nombreuses discussions et fait suite à des audiences ayant accueilli des groupes très divers. Comme vous l'avez dit, c'est une question très complexe et difficile. Nous voulions garantir un équilibre entre l'autonomie personnelle et la protection des personnes vulnérables et offrir une mort paisible à ceux et celles qui approchent de leur fin et souhaitent avoir accès à l'aide médicale à mourir.
C'était ce que nous voulions, et le moyen de créer cet équilibre a fait l'objet d'un long débat. Nous avons pris cette décision pour garantir une mort paisible.
Pour ce qui est de l'expression « raisonnablement prévisible » à l'alinéa d) proposé, comme vous l'avez dit très justement, la mort de tout le monde est raisonnablement prévisible. Mais, compte tenu de la façon dont nous avons défini l'expression « problèmes de santé graves et irrémédiables », il faut interpréter tous ces éléments ensemble compte tenu de la totalité de la situation. Nous avons délibérément rédigé le projet de loi ainsi pour garantir une souplesse qui permettra aux professionnels de la santé de déterminer eux-mêmes cette prévisibilité raisonnable en fonction de leur relation avec leur patient.
De plus, nous n'avons pas assorti cette expression d'un délai particulier, comme ça se fait dans d'autres juridictions, toujours pour laisser une certaine souplesse. Nous avons estimé, d'une part, qu'un délai de 6 à 12 mois était arbitraire. Mais, par contre, s'il n'y avait pas d'échéance ou si les éléments ne devaient pas être interprétés de concert, la portée du projet de loi serait trop large.
Nous avons confié aux professionnels de la santé le soin de prendre la décision eux-mêmes.
La sénatrice Eaton : Merci, madame la ministre. Je vous félicite pour votre courage, et je suis désolée qu'on vous ait accordé si peu de temps.
Le préambule se lit comme suit :
Attendu qu'il est souhaitable d'adopter une approche cohérente dans tout le pays en matière d'aide médicale à mourir [...]
Eh bien, on sait que le Québec a déjà sa propre loi. Dans quelle mesure, selon vous, sera-t-il difficile de mettre les provinces et territoires sur la même longueur d'onde pour éviter que les gens fassent du « shopping » d'une province à l'autre pour trouver celle où il est le plus facile d'avoir accès à l'aide médicale à mourir?
Mme Wilson-Raybould : Merci de votre question, sénatrice.
J'ai l'avantage de m'entretenir avec mes homologues des provinces et territoires et continuerai de le faire à ce sujet. D'après ces conversations, je peux vous dire que les provinces et territoires attendaient le signal du gouvernement fédéral.
Je dois reconnaître le travail extraordinaire qui a été fait au Québec depuis plusieurs années pour élaborer sa loi sur les soins de fin de vie. Il se peut en effet que des réglementations différentes soient élaborées dans certaines provinces et que des approches différentes soient adoptées en matière d'aide médicale à mourir et de réglementation des pratiques médicales à cet égard dans différentes provinces.
La sénatrice Eaton : Pourraient-elles aller beaucoup plus loin que votre projet de loi? Est-ce qu'une province pourrait décider d'inclure la maladie mentale et les mineurs matures, ou est-ce que c'est la loi fédérale qui s'en chargera?
Mme Wilson-Raybould : Il s'agit d'un exercice du pouvoir en vertu du droit pénal, qui est un pouvoir fédéral, et toutes les dispositions contenues dans le projet de loi C-14, si elles sont adoptées, seront applicables dans toutes les provinces et dans tous les territoires. Ça vaut pour les critères d'admissibilité comme pour les mesures de sauvegarde. Toutes les provinces et tous les territoires devront s'y conformer.
Le président : Madame la ministre, je sais qu'il est toujours difficile pour les gouvernements de revenir sur leurs pas quand ils ont fait une déclaration publique, mais je suis curieux de savoir quel accueil on a fait à la possibilité de demander une prolongation de l'examen d'une loi aussi importante. Il me semble que, si la demande de prolongation avait été accompagnée d'une demande d'évaluation de la constitutionnalité du projet de loi, un tribunal aurait pu accueillir cette demande.
Comme l'a signalé le sénateur Joyal, des préoccupations sont exprimées en ce moment par la ministre de la Santé du Québec, par la famille Carter, par le Barreau du Québec et par d'autres. J'entends bien que le gouvernement applique les délais prévus et qu'il doit mettre un terme au débat en deuxième lecture au Parlement. Nous devons supposer que c'est ce qui va se passer à l'étape du comité et en troisième lecture.
Je comprends bien que c'est le délai prévu par la cour, mais pourquoi est-ce qu'on n'a pas essayé et pourquoi est-ce que vous n'essayez pas de voir s'il est possible d'avoir plus de temps pour évaluer les répercussions de ce projet de loi et sa constitutionnalité?
Mme Wilson-Raybould : Je mesure l'importance de ces deux questions et je suis heureuse de pouvoir y répondre, sénateur.
Premièrement, nous avons demandé un prolongement du délai de 12 mois prévu par la Cour suprême du Canada. Nous avons demandé six mois et en avons obtenu quatre, d'où l'échéance du 6 juin. La cour a précisé que c'était une mesure extraordinaire permettant de donner plus de temps à un gouvernement pour mettre un cadre de référence en place. La cour a pris cette mesure extraordinaire parce qu'il y a eu entre-temps une élection fédérale qui a laissé peu de temps à notre gouvernement pour faire ce travail. Nous avons pris l'engagement d'élaborer ce cadre fédéral et nous travaillons très dur pour y arriver.
Pour ce qui est de soumettre à la Cour suprême du Canada la question de la validité constitutionnelle de ce projet de loi, mon gouvernement et moi-même nous sommes engagés, et ça incombe aussi, je crois, à tous les parlementaires, à faire ce que la Cour suprême du Canada nous a demandé de faire. Elle nous a confié le soin d'élaborer une loi sur l'aide médicale à mourir. Je crois que, si je devais demander ou prévoir une référence à la Cour suprême du Canada, celle-ci nous renverrait la balle aussitôt et nous inviterait à faire notre travail de parlementaires, c'est-à-dire d'évaluer la diversité des points de vue, de veiller à remplir nos obligations et à jouer notre rôle dans la recherche d'un équilibre, de respecter l'arrêt Carter avec les plus grands égards envers la Cour suprême du Canada et d'instaurer le meilleur système possible pour le Canada. À mon humble avis, c'est ce que traduit le projet de loi C-14.
Le président : Nous avons encore du temps pour une question, sénatrice Lankin.
Je crois savoir, madame la ministre, que vous devez nous quitter brièvement, mais que vous reviendrez, n'est-ce pas?
Mme Wilson-Raybould : En effet. Excusez-moi, mesdames et messieurs. Je dois retourner à la Chambre pour un vote. Mais mes collaborateurs resteront ici.
La sénatrice Lankin : Merci.
Je comprends la difficulté de cette tâche et je me rends compte de l'équilibre délicat que le gouvernement essaie d'établir. J'ai l'impression de revivre certains moments de mon passé où j'avais des discussions sur des politiques et disais : « Je suis généralement d'accord avec ça, mais je trouve que ça ne va pas assez loin. » C'est là que j'en suis actuellement.
Je suis curieuse de savoir ce qui a incité le gouvernement à imposer des limites à l'accès de certains Canadiens à l'aide médicale à mourir. On a beaucoup parlé du décès « raisonnablement prévisible », et vous en avez parlé, vous aussi.
Je vais passer à la question des directives anticipées. Je viens d'une famille où la maladie d'Alzheimer est génétique. Je m'en inquiète moi-même. Pour beaucoup de Canadiens et de personnes âgées, la démence, sous diverses formes, et un véritable problème.
Je peux donner une directive anticipée dans un testament biologique pour interdire qu'on me réanime. À bien des égards, cette directive peut être considérée comme de l'aide médicale à mourir. On rédige ce genre de directive quand on est compétent et considéré comme tel.
Je comprends bien votre prudence, mais, honnêtement, je ne comprends pas tous les enjeux qui vous préoccupent et j'ai l'impression que vous devriez les examiner plus en profondeur. J'aimerais donc entendre vos explications. En dehors de ce que nous dit le document explicatif, qu'est-ce qui vous préoccupe? Qu'est-ce qui vous réveille la nuit à ce sujet?
J'aimerais aussi savoir, concernant question du décès raisonnablement prévisible, pourquoi vous avez besoin d'une révision après cinq ans? Peut-être qu'il faut moins de temps pour analyser ces questions. Peut-être que les cinq ans s'appliquent au système de surveillance, au suivi de la conformité, à certains autres mécanismes prévus dans le projet de loi, mais peut-être pas aux difficiles questions auxquelles beaucoup de Canadiens veulent des réponses pour avoir accès à l'aide médicale à mourir.
Mme Wilson-Raybould : Merci de vos questions, sénatrice. J'espère pouvoir répondre à chacune d'elles.
Il y a un délai de cinq pour la révision de la loi, et, comme vous le savez, il n'y a pas de délai pour les études. Nous nous sommes engagés à commander une ou plusieurs études indépendantes sur ces difficiles questions qui préoccupent les Canadiens et sur le moyen de veiller à ce que les gens puissent donner ce consentement.
Comme nous le savons tous, nous sommes en train de parler de la mort et de l'autorisation de la faciliter médicalement dans le cadre qui convient. L'équilibre est toujours le souci principal.
Vous me demandez ce qui me réveille la nuit. Nous avons tous nos réflexions personnelles, nos propres expériences, nos valeurs intrinsèques, nous sommes des êtres distincts aux façons différentes d'envisager la vie et nous voulons tous veiller à ce que nos proches ne souffrent pas. Vous avez parlé de la maladie d'Alzheimer. Sans trop parler de ma situation personnelle, un de mes grands-pères a souffert de cette maladie pendant 16 ans. Vous pouvez imaginer tout ce qui m'est passé par la tête, et pas seulement au sujet de mon grand-père, mais je sais que tout le monde, à la table du Cabinet, a fait part de ses propres pensées et réflexions au sujet d'expériences personnelles.
On parle ici d'un processus national de transformation dans le cadre d'un débat sur la mort et la fin de vie. Les mesures de sauvegarde que nous avons prévues dans ce projet de loi visent à garantir que, quand la dernière décision est prise, autant que faire se peut, les personnes vulnérables auront été protégées.
Concernant les directives anticipées et la compréhension et la clarté d'esprit au moment où l'aide médicale à mourir est fournie, il faut que le patient soit conscient et comprenne qu'il donne un consentement éclairé.
On peut signer une directive anticipée, et, 10 ans plus tard, il n'y a pas nécessairement confirmation que c'est toujours le désir de la personne quand elle est atteinte de démence ou que, comme dans la maladie d'Alzheimer, elle n'est plus capable de mesurer ou de comprendre la nature de la décision qu'elle prendrait.
Cela dit, ce sont des questions vraiment difficiles, et les réactions que nous avons obtenues sont telles que nous devons approfondir les études. Nous devons nous assurer de bien peser tous les avantages et les risques, et c'est ce que nous nous sommes engagés à faire.
Comme vous le dites, sénatrice, les directives anticipées ont soulevé de nombreuses réactions, souvent très contrastées, et nous devons veiller à ce que les personnes vulnérables soient protégées.
Le président : Merci, madame la ministre.
Comme la ministre doit s'absenter, nous allons reprendre avec les représentants du ministère de la Justice jusqu'à son retour. Je crois qu'ils ont déjà été présentés. S'il y a quelqu'un d'autre, veuillez nous le faire savoir.
Avec l'approbation du comité, je vais maintenant dresser une nouvelle liste, parce que la liste que j'ai en main pour la deuxième série de questions concerne des questions à la ministre. Donc, je pense qu'il serait bon pour tous ceux qui désirent poser des questions aux fonctionnaires du ministère que nous dressions une liste distincte.
Nous commencerons par la vice-présidente, la sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Merci d'être parmi nous aujourd'hui.
J'aimerais approfondir la question des directives anticipées, et je suis sûre que vous avez vérifié comment ça se passe dans d'autres pays. Je crois savoir que, en Belgique, le gouvernement est en train de réévaluer cette question après cinq ans pour déterminer s'il maintient ce principe. Pourriez-vous nous donner une idée, du point de vue technique, du genre de travail dont a découlé la décision de ne pas inclure les directives anticipées?
M. Pentney : Compte tenu des études effectuées par le comité consultatif provincial-territorial et celles du groupe externe fédéral, puis du travail du comité mixte spécial, l'un des enjeux était clairement de savoir si les directives anticipées devaient être incluses dans le projet de loi. Disons que les audiences et les études de tous ces groupes indiquent que les directives anticipées relatives aux traitements médicaux ordinaires, et indépendamment de l'aide médicale à mourir, donnent lieu à des questions très complexes. Elles sont très courantes, mais elles ne sont pas uniformes à travers le pays et elles soulèvent un certain nombre de questions. On sait également que beaucoup de juridictions ne les permettent pas, et, quand c'est permis, comme en Belgique, il faut les renouveler tous les cinq ans.
Je tiens également à préciser que le Canada est dans une situation unique étant donné qu'il s'agit d'un pouvoir exercé en vertu du droit pénal et de l'exercice d'un pouvoir fédéral. La santé est de compétence commune, mais, comme l'a déjà dit la ministre et comme les sénateurs le savent, une grande partie du travail en permettant l'application et réglementant cette application suppose une réglementation provinciale. Les règles et les rôles relatifs aux directives anticipées ne sont pas établis par le droit pénal.
Dans le cadre de nos discussions, les provinces et les territoires voulaient savoir ce que serait la loi fédérale, mis à part le Québec, qui s'est engagé dans une longue étude afin de pouvoir faire sa planification. Comme on l'a dit tout à l'heure, nous l'avons fait, nonobstant la demande adressée à la Cour suprême, en fonction d'une échéance.
Beaucoup d'éléments sont entrés en ligne de compte dans la question de savoir si et comment le gouvernement allait inclure les directives anticipées en fin de compte. Comme vous le voyez dans le projet de loi, nous avons décidé que, pour l'instant, ce processus soumis à l'examen parlementaire serait proposé uniquement aux adultes compétents. Mais la question des directives anticipées reste d'actualité et devra faire l'objet d'études complexes, notamment en collaboration avec les provinces et les territoires et avec les organismes de réglementation. C'est pourquoi nous avons décidé de proposer ce projet de loi, tel quel, au Parlement et de nous engager solennellement à commander des études indépendantes.
La sénatrice Jaffer : Dans nos provinces, nous avons des accords de représentation qui prévoient différentes choses concernant les mesures à prendre si quelqu'un tombe très malade. D'après ce que je comprends de vos explications, est- ce que les provinces examineront la question des directives anticipées?
M. Pentney : Comme l'indique le préambule, le gouvernement fédéral commandera des études, mais il y aura des discussions actives avec les provinces, les territoires, les organismes de réglementation et d'autres sur ces trois sujets. Il s'agira d'études fédérales, mais, comme ça a été le cas du groupe consultatif externe fédéral et du comité mixte spécial, il y aura beaucoup d'interaction avec les autorités provinciales et territoriales en matière de réglementation parce que ce sont les règles provinciales qui déterminent si, quand et dans quelles circonstances les directives anticipées sont autorisées. Ça varie d'une province à l'autre à l'heure actuelle. D'autre part, ce sont les autorités provinciales et les organismes de réglementation provinciaux qui seront chargés de mettre ces règles en application. Si la réglementation fédérale change, ils seront très engagés dans son application. Tout ça montre bien qu'il faut collaborer étroitement avec un certain nombre d'experts, dont les autorités provinciales et territoriales et les organismes de réglementation, pour évaluer les enjeux.
Le sénateur McIntyre : Ma question porte sur la croyance raisonnable mais erronée dont il est question à l'article 245 du Code criminel. J'attire votre attention sur les articles 2, 3 et 6 du projet de loi. Comme vous le savez, l'article 2 exempte de l'accusation d'homicide coupable les personnes qui fournissent de l'aide médicale à mourir sur la base d'une croyance raisonnable mais erronée. L'article 6 du projet de loi vise à modifier l'article 245 du code pour exempter les médecins, les infirmiers praticiens et les personnes qui les assistent.
Cela dit, je précise que la modification proposée à l'article 245 n'inclut pas de disposition concernant la croyance raisonnable mais erronée. Pourquoi donc ou peut-être qu'on devrait prévoir un article distinct?
Joanne Klineberg, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : L'article 245 fait actuellement partie du Code criminel. Il est donc interdit d'administrer ou de faire administrer une substance délétère à une personne.
Dans l'arrêt Carter, la Cour suprême explique que deux dispositions du Code criminel seulement sont effectivement au cœur de l'interdiction de l'aide médicale à mourir, à savoir l'article 14 et l'alinéa 241b). Les juges n'ont pas à proprement parler désigné cette infraction comme une entrave réellement l'aide médicale à mourir. Mais, si on examine la formulation de l'infraction, on peut dire qu'il serait techniquement possible de l'appliquer à l'aide médicale à mourir. Il est très peu probable que cette disposition ne soit jamais utilisée pour ça.
C'est simplement un supplément de prudence que des exemptions ont été prévues à l'article 245, sans reproduire toute la liste des exemptions, mais simplement les plus fondamentales.
Je peux aussi vous répondre en disant que la disposition sur la croyance raisonnable mais erronée est en fait une codification d'un très ancien principe de la common law. Ce principe était inclus dans la loi pour garantir absolument aux médecins, aux infirmières et à d'autres professionnels de la santé qu'ils seraient protégés s'il leur arrivait de faire une erreur tout en agissant raisonnablement et en toute bonne foi. Même si ça n'avait pas été énoncé dans les autres dispositions, ce principe de la common law resterait valable. Il est toujours applicable au cas improbable où des accusations seraient portées en vertu de l'article 245.
Le sénateur McIntyre : Le projet de loi C-14 crée une nouvelle infraction de commission d'un faux. Comme vous le savez, cette infraction existe déjà dans le Code criminel, à l'article 366 si je ne me trompe pas.
J'ai deux questions. Pourquoi créer une nouvelle infraction à ce sujet dans le projet de loi quand l'article 366 existe déjà? Et, dans le cas de cette nouvelle infraction, la mort peut s'ensuivre, et pourtant la sanction est moins grave que pour l'infraction prévue à l'article 366.
La nouvelle infraction de commission d'un faux est une infraction hybride, afin que la Couronne puisse procéder selon une procédure sommaire ou par voie d'accusation. Si elle passe par une accusation, la peine maximale est de cinq ans d'emprisonnement; si c'est par procédure sommaire, la peine maximale est de 18 mois. Pourquoi ce double statut puisque l'infraction est déjà prévue à l'article 366 du code?
Mme Klineberg : Merci de votre question.
Concernant la raison pour laquelle il y a cette infraction dans le projet de loi alors qu'elle est prévue à l'article 366, la réponse est qu'il n'est pas juridiquement nécessaire qu'il y ait une infraction distincte de commission d'un faux relativement aux documents liés à l'aide médicale à mourir, mais qu'on a jugé utile d'attirer l'attention de tous sur l'importance de ces documents et sur l'importance de leur intégrité et de signaler aux autorités chargées d'appliquer la loi qu'il s'agit d'une forme distincte d'acte répréhensible qu'elles doivent se rappeler s'il venait à leur attention.
Quant aux sanctions différentes en matière de commission d'un faux, la raison en est qu'il se pourrait que certaines circonstances soient moins graves que d'autres. La commission d'un faux n'entraînera pas nécessairement la mort d'une personne dans une situation abusive. Nous voulons attirer l'attention de ceux qui participent à une procédure d'aide médicale à mourir sur certaines situations tout de même graves.
Un document peut être falsifié par un médecin ou une infirmière. Il est évident qu'ils pourraient faire l'objet d'accusations de meurtre ou de suicide assisté s'ils ont commis un acte répréhensible.
Le sénateur Baker : J'imagine que vous pourriez dire que ma question échappe à la portée du projet de loi, mais elle a été soulevée par la sénatrice Lankin. Je veux parler des directives anticipées.
Au Canada, je crois que toutes les provinces ont une loi à ce sujet maintenant. Peut-être en manque-t-il une ou deux. Il n'y a pas de chevauchement avec la sphère de compétence fédérale. C'est entièrement du ressort provincial, et ça concerne les situations de fin de vie, les soins palliatifs, jusqu'à la sédation palliative, qui pourrait rendre un patient inconscient jusqu'à sa mort.
Je me pose des questions au sujet des directives anticipées telles qu'elles existent actuellement. Je rappelle, monsieur Pentney, que vous avez soulevé la question. Vous avez dit que ce n'est peut-être pas possible au sens où cette loi s'applique aux adultes compétents. Toutes les lois portant sur les directives anticipées s'appliquent aux adultes compétents et aux soins de fin de vie. Donc la question de quelqu'un qui connaît bien le sujet serait la suivante : qu'est- ce qui empêche la province d'incorporer ce projet de loi dans leur sphère de compétence à l'égard des directives anticipées?
C'est une question juridique. Vous n'êtes pas obligé de répondre si vous ne le désirez pas.
M. Pentney : Je vais répondre, sénateur.
Il s'agit de l'exercice d'un pouvoir fédéral en matière de droit pénal. Une province peut agir dans les limites créées par une exemption à une activité par ailleurs criminelle.
Le sénateur Baker : Les activités de fin de vie, les soins palliatifs.
M. Pentney : Autorisés et consentis par un adulte compétent. C'est la limite imposée actuellement dans le projet de loi. Si le projet de loi est adopté tel quel, ce sera la limite de l'exemption à l'activité criminelle, et la province ne peut tout simplement pas aller au-delà.
Dans la mesure où une province aurait essayé d'exercer sa compétence pour permettre une exemption en vertu du Code criminel pour une personne...
Le sénateur Baker : Vous dites que c'est une exemption.
M. Pentney : C'est ce que crée le projet de loi techniquement. Il reproduit une interdiction pénale générale et précise que, lorsque l'aide médicale à mourir est fournie conformément aux règles établies dans le droit pénal, ce n'est pas un crime. La seule exemption accordée actuellement s'applique aux adultes compétents.
Le sénateur Baker : À l'heure actuelle, toutes les provinces ont des lois s'appliquant aux adultes compétents, qui prévoient une procédure de fin de vie dans le cadre des soins palliatifs et qui supposent, comme l'a rappelé la sénatrice Lankin, certaines mesures entraînant la mort. Elle a raison.
Vous dites donc que vous ne voyez pas ce qui empêcherait les provinces de continuer à reconnaître les directives anticipées concernant exactement la même chose, la même question? Ou diriez-vous qu'il y a là une question d'ordre juridique qu'il faudra bien aborde?
M. Pentney : Je dis que le projet de loi présenté à ce comité prévoit une exemption limitée à une activité par ailleurs criminelle. Il limite la portée de cette exemption aux situations où un adulte, compétent au moment de la demande, autorise cette demande, et les autres mesures de sauvegarde sont aussitôt déclenchées.
Il faudrait peut-être examiner cette question avec les représentants de la santé pour voir comment ça fonctionne, mais, du point de vue de l'exercice du pouvoir en matière pénale, il faut que l'adulte soit compétent au moment de la demande pour être admissible à l'exemption selon le projet de loi qui vous est soumis.
Le sénateur Baker : C'est exactement ce qu'est une directive anticipée.
Merci, bonne réponse.
Le sénateur Plett : Je crois que ça fait suite à ce que j'ai demandé tout à l'heure. Quand j'ai parlé des infirmières, la ministre et vous, monsieur Pentney, avez répondu qu'une partie incombait aux provinces et qu'elles auraient à prendre des décisions. Puis la sénatrice Eaton a demandé si le gouvernement fédéral était l'organe législatif suprême et si les provinces devraient se conformer à la loi fédérale, et il me semble que vous avez répondu oui. J'espère que vous n'allez pas faire porter ça aux provinces et que vous allez répondre au nom du gouvernement fédéral. Je parle des objecteurs de conscience.
Au paragraphe 132 de l'arrêt Carter, la Cour suprême reconnaît explicitement la nécessité d'établir un équilibre entre les droits des patients en vertu de la Charte et ceux des médecins et autres professionnels de la santé, par exemple en matière d'objection de conscience. Là encore, jusqu'à maintenant, la réponse que nous a donnée la ministre est que nous allons permettre aux provinces d'en décider.
Je crois, et je suis sûr que beaucoup d'autres le pensent aussi, que nous sommes à cheval sur une faille juridique et éthique ici, et on parle de la Charte canadienne. Pourquoi ne pas prévoir explicitement cette protection des médecins dans le projet de loi, quel tort est-ce que ça ferait?
M. Pentney : Merci de votre question. Peut-être que je peux commencer, et Laurie pourra compléter.
Dans Carter, la Cour suprême a reconnu, entre autres, que la santé est un secteur de compétence commune. Certains aspects incombent au gouvernement fédéral et d'autres, aux gouvernements provinciaux. Les juges ont estimé que la question de la liberté de conscience était un enjeu qu'il faudrait aborder en chemin.
Le deuxième élément de réponse, je pense, est que rien dans le projet de loi ne contraint un médecin à fournir cette aide. Le projet de loi prévoit une exception au droit pénal et une autorisation, mais il ne crée pas d'obligation.
Le troisième élément serait que les règles de pratique professionnelle auxquels les médecins doivent se conformer sont des règles provinciales. Ce n'est tout simplement pas de l'ordre du pouvoir en matière de droit pénal que de réglementer ces secteurs d'activité. D'autres arrêts de la Cour suprême du Canada concernant les mesures prises par le gouvernement du Canada pour réglementer les soins médicaux précisent les limites du pouvoir fédéral.
Enfin, quel que soit le contenu de ce projet de loi ou d'un autre, aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, les médecins, les infirmières, les professionnels de la santé, comme vous et moi, jouissons de la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte, et ce principe resterait valable quoi qu'il en soit.
Comme la loi fédérale ne contraint personne à faire quoi que ce soit, nous n'avons pas vu en quoi ça porterait atteinte à la liberté de conscience des médecins. Le gouvernement est évidemment conscient de ces importantes considérations, et nous savons que des discussions actives sont en cours dans les provinces et les territoires à ce sujet.
Le sénateur Plett : C'est probablement du ressort des provinces, mais nous savons très bien que, dans les lois sur l'avortement par exemple, les gens qui s'y opposent pour des raisons de conscience finissent par laisser tomber ou par participer. Qu'est-ce qui empêche que les choses évoluent exactement de la même façon et pourquoi ne pas garantir que les professionnels de la santé ne seront pas contraints à participer ni à référer un patient à quoi que ce soit d'autre qu'un site web du gouvernement?
M. Pentney : Encore une fois, je pense que rien dans le projet de loi ne contraint les médecins à participer ou à faire quoi que ce soit.
Le sénateur Plett : À moins que les provinces ne le fassent.
M. Pentney : Comme je l'ai dit, je pense que les autres exemples dont vous parlez concernent la nature et la portée des décisions provinciales en matière de réglementation de la pratique des médecins et des infirmières.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur la question de l'équilibre entre les objectifs énoncés dans le préambule et l'impact de l'arrêt Carter. Je pense que ce projet de loi n'y arrive pas parce qu'il ne tient pas compte du fait que, dans cette décision, essentiellement, on parle de suicide assisté.
La loi québécoise porte essentiellement sur les cas de patients en phase terminale. Carter n'a jamais donné aux patients en phase terminale le droit d'obtenir de l'aide médicale à mourir. En excluant le suicide assisté du projet de loi, d'après moi, vous auriez à alléguer que, en vertu de l'article premier de la Charte, il est permis d'exclure le suicide assisté dans une société libre et démocratique.
Mais, au milieu du paragraphe 6 du préambule, on peut lire que le projet de loi « établit l'équilibre le plus approprié entre, d'une part, l'autonomie des personnes qui demandent cette aide » — les personnes dont parlait la sénatrice Lankin — « et, d'autre part, les intérêts des personnes vulnérables qui ont besoin de protection et ceux de la société ». Autrement dit, dans votre raisonnement, vous assimilez les personnes demandant une aide au suicide aux personnes vulnérables.
À mon avis, ça ne marche pas. Aucun tribunal ne reconnaîtra que l'objectif de ce projet de loi répond aux critères énoncés dans l'arrêt Carter. Étant donné que vous limitez la portée du projet de loi au décès prévisible de patients en phase terminale et que vous comptez sur la loi québécoise, je pense que vous êtes largement en dessous de ce que dit la cour dans Carter. C'est là que ça ne marchera pas. Et vous savez que ce sera contesté très rapidement si le Parlement décide de l'adopter sans supprimer le critère que vous avez ajouté à Carter pour en limiter la portée. C'est là que je pense que votre explication ne tient pas.
M. Pentney : Merci, sénateur. Je répondrai le premier, et peut-être que mes collègues voudront compléter.
Premièrement, comme l'a expliqué la ministre, il s'agit d'une transformation profonde du droit au Canada. L'autorisation de l'aide médicale à mourir est un choix législatif important. Ce faisant, le gouvernement a évidemment examiné très attentivement l'arrêt Carter. Selon une interprétation prudente de Carter, comme l'a dit la ministre, l'interdiction complète de l'aide médicale à mourir serait contraire à l'article 7. Deuxièmement, il vaut mieux que ce soit le Parlement, et non pas les tribunaux, qui élabore un système de réglementation complet. Troisièmement, il incombe au Parlement de décider s'il assume cette obligation et essaie d'élaborer ce système. Quatrièmement, dans l'affirmative, il convient de faire preuve d'une grande retenue. La cour a établi une distinction entre une interdiction absolue, qui selon elle est contraire à un système de réglementation complexe, et un système de réglementation complexe qui, elle le dit clairement, aurait préséance.
Une interprétation prudente de Carter doit comprendre le nombre de références à la situation de Mme Taylor et des gens comme elle. Les paragraphes les plus importants et cruciaux de l'arrêt Carter sont les paragraphes 126 et 127. Permettez que je cite une partie du paragraphe 126 :
Dans la mesure où les dispositions législatives contestées nient les droits que l'art. 7 reconnaît aux personnes comme Mme Taylor, elles sont nulles par application de l'art. 52 [...]
Au paragraphe 127, on trouve la définition de « grave et irrémédiable », puis ceci :
Cette déclaration est censée s'appliquer aux situations de fait que présente l'espèce. Nous ne nous prononçons pas sur d'autres situations où l'aide médicale à mourir peut être demandée.
Ensuite il y a eu les tribunaux qui ont interprété l'arrêt Carter depuis dans le cadre de demandes particulières, et je cite le juge Perell, de l'Ontario, dans l'affaire A.B. Les noms des intéressés sont confidentiels, mais, quand il interprète la portée de Carter, il dit ceci :
[...] un problème de santé grave connote un état du patient qui compromet considérablement ou énormément la qualité de vie de cette personne et qui est de l'ordre de critique, mortel ou terminal.
La juge Martin, en Alberta, s'est également inspirée de l'arrêt Carter pour l'appliquer à une affaire portée devant le tribunal :
Je n'ai aucun mal à conclure que la SLA est un problème de santé grave et irrémédiable. On sait parfaitement qu'il s'agit d'une maladie dégénérative et mortelle, actuellement incurable.
Dans tous ces cas de figure, le gouvernement a décidé de se concentrer d'abord sur cette étape, c'est-à-dire sur ceux qui approchent de la mort. Il a décidé de ne pas spécifier d'échéancier précis, en semaines ou en mois, comme le prévoit peut-être la loi québécoise, selon l'interprétation qu'on donne à la notion de fin de vie, et comme le prévoit clairement la législation américaine. Ce n'est pas pour autant que le gouvernement retient une notion complètement ouverte non plus, soit que la seule souffrance d'une personne suffirait pour lui donner accès.
Je recommande encore une fois ce projet de loi aux sénateurs.
Quatre critères permettent de conclure à l'existence de problèmes de santé graves et irrémédiables, le dernier étant que la mort naturelle du patient soit raisonnablement prévisible. C'est en tenant compte de tous ces critères que le gouvernement a décidé de présenter son choix politique aux Canadiens et au Parlement, et c'est ce qu'il défendra.
Il me semble que, peu importe l'interprétation que l'on donne à l'arrêt Carter, rien n'empêche une telle mesure, et c'est au Parlement que revient la tâche de décider quelles limites devraient y être intégrées. Voilà le choix évident auquel fait face la cour. Ce n'est pas qu'une question de conformité avec l'arrêt Carter mais avec la Charte aussi, et en fin de compte la question sera de savoir si le choix effectué pour le Canada est une règle de droit restreignant les droits et libertés dans la limite du raisonnable et dont la justification peut être démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Le sénateur Batters : Madame Klineberg, dans votre intervention sur le projet de loi cette semaine, vous nous avez décrit certaines des exigences qui y ont été insérées à l'initiative du gouvernement fédéral. Vous nous avez parlé des deux types d'aide médicale à mourir. D'une part, il y a l'euthanasie qui consiste pour fournisseur de soins de santé à faire une injection létale, et d'autre part, il y a l'aide médicale au suicide où une ordonnance médicale est délivrée par un fournisseur de soins de santé à un patient qui prend lui-même les médicaments prescrits.
En ce qui concerne l'euthanasie, le projet de loi du gouvernement libéral prévoit que le médecin ou l'infirmier praticien doive s'assurer du consentement initial du patient en plus de devoir le confirmer immédiatement avant de lui donner l'aide médicale à mourir.
En ce qui concerne le suicide assisté, le consentement devra être fourni au moment de la délivrance de l'ordonnance médicale au patient. Il est prévu que le patient puisse garder cette ordonnance sans l'utiliser pendant, disons, trois ans. Dans ce cas, il n'y aurait aucune exigence de confirmer le consentement initial.
Au vu de ce qui précède, j'estime que ces dispositions dotent le Canada, dans les faits, d'un mécanisme de demandes anticipées ou de directives préalables. Puisqu'il est question de personnes très vulnérables dans des situations volatiles, qui pourraient d'ailleurs ne jamais être découvertes, et du risque de blessure ou de mort qu'elles encourent, pourquoi le gouvernement adopte-t-il une approche si relâchée, contrairement à l'intention qu'il a lui-même exprimée dans le préambule du projet de loi, de ne pas permettre l'utilisation de directives préalables?
Mme Klineberg : Cette question comporte plusieurs aspects, et j'y répondrai de mon mieux.
Premièrement, en ce qui concerne la possibilité qu'une personne obtienne une ordonnance médicale afin de s'administrer une substance pour causer sa mort, il n'en reste pas moins que c'est la personne elle-même qui, le moment venu, se l'administre. Elle devra en être capable, ce qui implique que l'acte restera le fruit de leur volonté.
De ce point de vue, ce n'est pas une demande anticipée dans le sens où on l'entend dans le contexte des directives préalables. Le patient demeure responsable de ses actes. Certes, il passe à l'acte après avoir reçu la substance, mais chaque étape du processus demeure son choix. Rien ne change quant à l'aspect qualitatif de la capacité requise pour prendre une décision.
Le président : Madame Klineberg, excusez-moi de vous interrompre. On vient de me dire que la ministre de la Santé nous attend. Je ne l'ai pas mentionnée et je m'en excuse.
Je vous inviterai à en dire davantage plus tard, puisque nous vous demanderons de rester jusqu'au départ de la ministre de la Justice; les sénateurs qui n'ont pas encore eu la chance de poser leurs questions pourront le faire à ce moment-là.
Sénateurs, veuillez maintenant accueillir l'honorable Jane Philpott, ministre de Santé Canada. Simon Kennedy, sous-ministre, nous vient aussi de Santé Canada.
La ministre restera environ une heure parmi nous, après quoi des collègues de Santé Canada se joindront à M. Kennedy. Notre égarement aujourd'hui est dû à l'obligation pour la ministre d'être présente en Chambre. Nous invitons les fonctionnaires du ministère de la Justice à rester. La ministre de la Justice reviendra plus tard.
Je note la présence des autres fonctionnaires de Santé Canada : Abby Hoffman, sous-ministre adjointe de la Direction générale de la politique stratégique, Helen McElroy, directrice générale de la Direction des programmes et des politiques de soins de santé, et Sharon Harper, gestionnaire de l'Unité des soins continus, Direction générale de la politique stratégique.
Madame la ministre, merci de vous être déplacée, et toutes mes excuses pour vous avoir contraint à ronger votre frein. Je vous inviterais maintenant à faire votre déclaration préliminaire.
L'honorable Jane Philpott, C.P., députée, ministre de la Santé : Merci beaucoup, monsieur le président et merci aux membres du comité. Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui pour vous parler de l'aide médicale à mourir. Bien que je n'aie pas encore eu la chance de tous vous rencontrer en personne, c'est un véritable honneur de comparaître devant ce comité pour répondre à vos questions et préoccupations.
Comme vous le savez peut-être, j'ai eu la chance de poser des questions et de répondre à certaines, plus tôt cette semaine, devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Je vais rappeler la teneur générale de ces propos avant de répondre à vos questions.
Je sais que la ministre de la Justice vous a livré sa présentation plus tôt en journée et qu'elle reviendra plus tard parmi nous. Comme vous le savez, plusieurs domaines relèvent de son champ de compétence. Pour ma part, j'emploierai le temps qui m'est alloué pour répondre aux questions ayant trait à mon portefeuille de la santé et je serai ravie de répondre aux questions qui s'y rapportent.
Comme vous le savez, la Cour suprême a déclaré, l'année dernière, que les dispositions du Code criminel relatives à l'aide médicale à mourir étaient inconstitutionnelles. Aujourd'hui, le Sénat a l'occasion de se pencher sur le projet de loi qui modifierait le Code criminel pour permettre l'aide médicale à mourir.
Certains d'entre vous savent peut-être que je suis médecin de famille. J'ai eu d'innombrables conversations avec des patients qui approchaient de la fin de leur vie. Je peux vous dire, comme vous le savez sans doute déjà, que les conversations portant sur la fin de vie peuvent être très difficiles. Pourtant, c'est un dialogue que nous nous devons d'avoir, que ce soit avec nos patients, nos êtres chers ou en tant que société débattant de ce qu'on pourrait vouloir en fin de parcours sur terre.
Ces conversations sont parfois difficiles pour les fournisseurs de soins de santé, qui n'ont pas toujours été suffisamment outillés par leur éducation pour discuter des questions liées au soutien dont ont besoin les patients en fin de vie, pour ne rien dire de la fourniture de services y ayant trait.
Lors de notre examen de ces questions, nous nous sommes d'abord et avant tout penchés sur la responsabilité de protéger les membres les plus vulnérables de la société. Le projet de loi y parviendra, tout en nous permettant de nous conformer à l'arrêt de la cour.
[Français]
Nous voulons faire savoir à ces Canadiennes et Canadiens que nous comprenons leurs inquiétudes et que nous croyons que les mesures de sauvegarde mises en place avec ce projet de loi feront en sorte que les droits des personnes les plus à risque seront protégés.
[Traduction]
Certains ont estimé que le projet de loi ne va pas assez loin et que les critères d'admissibilité devraient plutôt être élargis dans certains cas. Nous remercions également ces Canadiens pour avoir pris la parole au nom de ceux qui souffrent.
Bien que nous mettions tout en œuvre pour combler les besoins des Canadiens à la fin de leur vie, le système avec lequel nous traitons peut parfois faire obstacle au respect de leur autonomie personnelle.
[Français]
Nous voulons tous un système où le respect de l'autonomie individuelle forme la pierre angulaire de toutes les politiques. Nous voulons également un système où les droits des plus vulnérables sont respectés et protégés. Ce projet de loi est une pièce importante du casse-tête quand vient le temps de faire en sorte que les Canadiennes et Canadiens aient non seulement accès à une bonne vie, mais aussi à une bonne mort.
[Traduction]
Il s'agit de permettre aux patients de reprendre la maîtrise du récit de leur vie et de s'assurer que des soins prodigués avec compassion soient fournis aux Canadiens en fin de vie.
Comme vous le savez, nous avons écouté aussi bien les Canadiens que les divers intervenants avant de déposer ce projet de loi. Tel que sans doute exposé par la ministre de la Justice, nous avons porté une attention toute particulière à la conformité de ce projet de loi à la Charte. Nous avons soigneusement examiné l'arrêt Carter afin de garantir un accès aux soins pour ceux qui chercheraient à alléger leurs souffrances, ce qui s'entend de la possibilité de recourir à l'aide médicale à mourir.
Notre obligation de gouvernement était de répondre à la décision Carter. Cette réponse exige une modification du Code criminel qui protégera les fournisseurs de soin de santé tout en leur permettant de jouer un rôle de soutien auprès de patients qui seraient face à leur choix.
En parallèle, nous nous engageons à prendre le temps nécessaire pour étudier davantage certaines questions supplémentaires, quand leur degré de complexité l'exige.
[Français]
À titre d'exemple, le projet de loi établit un âge d'admissibilité minimum de 18 ans, soit l'âge de la majorité dans la plupart des provinces et territoires. Cette approche nous paraît appropriée, compte tenu du caractère unique et irréversible d'une telle décision.
Nous savons que la capacité à prendre des décisions relatives à la santé n'est pas liée strictement à l'âge et que, selon la province, le droit de refuser un traitement médical ou de consentir à celui-ci peut être obtenu dès l'âge de 14 ans, par exemple.
[Traduction]
Nous avons éprouvé certaines de ces difficultés quand nous nous sommes penchés sur la question des directives préalables. La Cour suprême n'avait pas traité de cette question dans l'arrêt Carter, et l'opinion publique canadienne est, comme vous le savez, profondément divisée en la matière.
[Français]
Après 30 ans à pratiquer la médecine, je suis bien au fait des inquiétudes des Canadiennes et Canadiens qui souffrent en fin de vie, et je comprends pourquoi certaines personnes pourraient vouloir avoir recours à des demandes anticipées afin d'accéder à l'aide médical à mourir. Toutefois, nous devons tenir compte des questions complexes liées aux politiques et à la pratique médicale que soulèvent les demandes présentées à l'avance.
[Traduction]
Par définition, les demandes anticipées sont préparées avant qu'on en ait besoin. Même si on les révise régulièrement, elles ne prennent effet que lorsque la personne en cause perd sa capacité ou son aptitude à communiquer. Par voie de conséquence, le consentement final, une exigence clé de la plupart des régimes de mort assistée à travers le monde, ne pourrait être confirmé par un fournisseur de soins de santé ou un autre.
[Français]
Les groupes d'intervenants en soins de santé ont souligné que les directives préalables concernant d'autres formes de traitement médical peuvent être très difficiles à respecter et que les répercussions seraient plus importantes dans le cas de l'aide médical à mourir.
[Traduction]
Le projet de loi, comme vous le savez, n'ouvre pas la voie à une admissibilité sur la seule base d'une maladie mentale. Il va sans dire que la maladie mentale peut provoquer d'indicibles souffrances. Par contre, des maladies comme la dépression chronique, les troubles cognitifs ou la schizophrénie soulèvent des questions particulières en ce qui a trait à la qualité du consentement. Après avoir consulté de nombreux intervenants en la matière, nous en avons tiré la conclusion que les nuances n'étaient pas suffisamment comprises, en l'état, pour permettre l'élaboration de dispositions appropriées et sûres.
À cette fin, le gouvernement s'engage à demander au moins une étude indépendante sur la question des demandes adressées par des mineurs mûrs, celle des demandes anticipées, ainsi que celle des demandes mettant en cause une maladie mentale comme seule condition médicale sous-jacente.
Le projet de loi C-14 comporte, de plus, une disposition obligeant le Parlement à procéder à l'examen de la loi cinq ans après sa sanction royale. Ceci permettra, d'une part, un examen parlementaire de ces questions complexes, et de l'autre, de faire le suivi de l'évolution de l'expérience des Canadiens dans la mise en œuvre de l'aide médicale à mourir.
En dernier lieu, je ne peux parler de ce projet de loi sans souligner de nouveau l'importance d'un accès amélioré aux soins palliatifs de grande qualité. Notre gouvernement s'est fermement engagé dans ce sens, et il me fera plaisir de travailler ensemble avec les provinces et territoires pour assurer un accès équitable à une vaste gamme d'options en fin de vie.
[Français]
Nous croyons que ce projet de loi valorise l'autonomie individuelle des Canadiennes et Canadiens conformément au jugement de la Cour suprême dans la décision Carter, tout en assurant la protection des Canadiennes et Canadiens vulnérables ainsi que les droits de conscience des fournisseurs de soins de santé.
[Traduction]
Nous savons que ce projet de loi ne représente qu'un enjeu parmi d'autres. J'aimerais donc profiter de cette occasion pour souligner l'engagement pris par ce gouvernement en faveur des soins palliatifs. Nous avons écouté les Canadiens, qui nous ont clairement manifesté leur préférence pour les soins à domicile, et nous sommes donc prêts à procéder à des investissements de taille au cours de notre mandat, de l'ordre de 3 milliards de dollars, afin d'améliorer la qualité de ces soins, y compris les soins palliatifs, au profit des Canadiens.
[Français]
J'ai déjà communiqué avec mes collègues des provinces et des territoires pour discuter des transformations nécessaires à notre système de soins de santé, de sorte à permettre les soins à domicile, y compris les soins palliatifs, qui sont une priorité partagée.
[Traduction]
Le projet de loi que nous avons déposé est le fruit du soutien évident des Canadiens pour ce projet, ainsi que de mûres réflexions menées sur les impératifs d'autonomie personnelle, d'accès aux soins de santé, de la protection des personnes les plus à risque et de la liberté de conscience des fournisseurs de soins de santé.
Je remercie tous ceux qui ont participé de manière consciencieuse et réfléchie au débat sur ces questions difficiles. Je suis consciente du fait que le comité entendra, dans les jours à venir, un vaste éventail d'avis et de points de vue. Je me réjouis de pouvoir suivre vos discussions, et d'interagir avec vous cet après-midi.
Le président : Merci, madame la ministre.
Nous invitons maintenant le vice-président Jaffer à poser ses questions.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie, madame la ministre, de vous être déplacée. J'ai eu plaisir à vous entendre souligner l'importance des soins palliatifs. Comme vous le savez, nous avons reçu un grand nombre de courriels et la critique la plus courante qui nous est adressée concerne les soins palliatifs. Je vous encourage donc à réagir très vite.
J'ai plusieurs questions, mais je commencerai par l'alinéa 241.2(2)a) du projet de loi, qui précise ceci :
(2) Une personne est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables lorsque, à la fois :
a) elle est atteinte d'une maladie, d'une affection ou d'un handicap graves et incurables;
Je me demande pourquoi le terme « incurable » et présenté comme un synonyme de « graves et irrémédiables ». Le terme « incurable » ne figurait pas dans l'arrêt Carter, me semble-t-il, donc vous avez élargi sa portée. Je vous inviterais à motiver cette décision.
Mme Philpott : Tout d'abord, pour faire suite à vos remarques sur les soins palliatifs, je reconnais l'excellent apport du Sénat en la matière. Plusieurs sénateurs ont présenté d'importants rapports traitant de la nécessité des soins palliatifs. Je serais heureuse de travailler avec les sénateurs. Nous aurons besoin de votre appui en cours de route. J'ai hâte d'en discuter davantage avec vous.
En ce qui concerne la formulation que vous évoquez, cela découle de la tentative de meubler le concept de « graves et irrémédiables ». Il était nécessaire de l'étoffer et de le tirer au clair puisque, par exemple, il pourrait y avoir des problèmes de santé graves et irrémédiables qui seraient bénins, épisodiques ou pouvant être résolus de façon spontanée. Nous avons tenté d'établir dans ce projet de loi un cadre sur lequel les fournisseurs de soins de santé pouvaient s'appuyer afin de déterminer l'admissibilité d'un patient.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie pour avoir reconnu le travail du Sénat dans le domaine des soins palliatifs. Je m'en voudrais de ne pas mentionner l'excellent travail de la sénatrice Carstairs en la matière.
Je vais enchaîner par la question du personnel infirmier. Nous avons la chance de vous compter aussi parmi les médecins praticiens. Un certain de nombre de questions se posent à propos des infirmiers. J'ai, tout comme bon nombre de mes collègues, reçu des courriels au sujet de la décision d'inclure les infirmiers praticiens dans le projet de loi. Cela pourrait poser problème. Surtout dans ma propre province, la Colombie-Britannique, où j'ai entendu des infirmiers et infirmières dire qu'ils pourraient être inclus dans le projet de loi sans pour autant que leur ordre professionnel provincial ait établi un protocole de mise en œuvre s'y rapportant. Je me demande quelles discussions vous auriez pu avoir avec les ordres professionnels provinciaux dans le cas du personnel infirmier. Vous aurez beau les exempter, ils pourraient se retrouver pénalisés par leurs ordres provinciaux.
Mme Philpott : Je vous remercie. C'est une excellente question.
Je vous ferai tout d'abord savoir que j'ai rencontré la sénatrice Carstairs, que je respecte énormément, que nous avons eu des conversations fructueuses et que je serai heureuse de travailler davantage avec elle.
En ce qui concerne la question du personnel infirmier, de nombreuses raisons ont milité en faveur de son inclusion dans le texte, comme vous vous en doutez. J'ai beaucoup de respect pour les infirmières et infirmiers praticiens, avec qui j'ai travaillé en étroite collaboration pendant de nombreuses années. Dans ma province de l'Ontario, par exemple, les infirmiers praticiens jouissent d'un vaste champ de pratique. Bien que les infirmiers praticiens ne soient pas des médecins de famille, il y a néanmoins un important chevauchement au niveau des champs de pratique respectifs. Nous voulons reconnaître, bien sûr, qu'il n'était pas déraisonnable d'inclure cette procédure dans leur champ de pratique.
Je dirais que la raison principale pour laquelle nous avons inclus les infirmières et infirmiers praticiens dans le projet de loi était le besoin d'assurer l'accès. Quand nous décidons en tant que gouvernement que l'accès à l'aide médicale à mourir est un service médicalement nécessaire, nous devons nous assurer, en vertu des principes de la Loi canadienne sur la santé, que ceux-ci soient disponibles et accessibles à travers tout le pays.
Nous savons que garantir l'accès à ces services serait difficile dans certaines régions éloignées ou rurales. Comme vous le savez peut-être, dans le Grand Nord, par exemple, il existe de nombreux endroits où les services d'un médecin ne sont pas facilement accessibles.
La question de la réglementation, comme vous l'avez bien dit, relève des provinces. Je peux vous assurer que mes fonctionnaires y travaillent, en étroite collaboration avec les provinces et les territoires. Nous espérons que les règlements seront plutôt uniformes, mais reconnaissons qu'ils présentent, en fonction de la province, certaines différences quant à la définition du champ de pratique. Je serai heureuse de travailler avec les provinces et territoires pour les encourager à examiner la possibilité que l'admissibilité de ces soins fasse partie de la définition du champ de pratique des infirmiers praticiens.
Le sénateur White : Merci à vous deux de vous être déplacés, particulièrement à madame la ministre. C'est maintenant la deuxième fois que j'entends parler de l'examen quinquennal de la loi après cinq ans, et je le trouve être une excellente idée.
Quel genre d'exigences en matière de rapports mettrons-nous en place dans cette loi afin d'examiner les conditions de sa mise en œuvre dans chaque province, ainsi que pour s'assurer de bien comprendre de quoi elle devrait avoir l'air dans cinq ans?
Mme Philpott : C'est une question très importante. Bien que n'étant peut-être pas évident a priori dans le projet de loi, ce qui ressort de nos discussions au moment du dépôt de celui-ci, c'est qu'on mettra en place un système de suivi rigoureux. Une disposition prévoit d'ailleurs que le médecin fasse un rapport et remplisse les formulaires appropriés relatifs au service rendu.
Nous travaillons avec les provinces et les territoires. Certains sont déjà à un stade avancé dans l'élaboration du type de renseignements qui seront demandés aux fournisseurs de soins de santé. J'espère qu'on se penchera non seulement sur leur aspect quantitatif, c'est-à-dire sur le nombre de personnes ayant eu accès à ces soins, les médicaments reçus et la séquence des évènements, mais aussi sur leur aspect qualitatif afin d'avoir une idée des défis qui ont dû être relevés.
Au moins un comité sera mis sur pied pour traiter des questions plus complexes que nous n'avons pas encore réussi à bien cerner. Le système de suivi, qui sera pancanadien, devra tenir compte d'un certain degré de variations en fonction des décisions de chaque province en la matière. Nous devrons alors disposer d'une quantité importante de renseignements pouvant servir à élucider ces décisions.
Le sénateur White : De quoi auront l'air ces comités? Parle-t-on de comités parlementaires, gouvernementaux ou de Justice Canada?
Mme Philpott : Je crois qu'il s'agirait de comités du Parlement. Cela dit, je ne pense pas que nous ayons entièrement décidé à quoi ils ressembleraient. Nous nous sommes engagés à fournir plus de détails à ce sujet cet automne et je pense que le Sénat serait bien placé pour formuler des recommandations à ce sujet. Nous nous sommes engagés, dans la loi, à établir un ou plusieurs comités pour étudier ces questions complexes.
Le sénateur White : Merci beaucoup, madame la ministre.
Le sénateur Cowan : Bienvenue, madame la ministre. J'aurais une ou deux questions. Je vais en poser une, et si je n'arrive pas jusqu'à la deuxième, j'attendrai le prochain tour de questions.
Vous avez parlé, à plusieurs reprises, de l'importance de tenir des discussions avec les provinces et les territoires et ces discussions se poursuivent, mais qu'arrivera-t-il si une ou plusieurs provinces ne prennent aucune mesure législative ou réglementaire? J'en connais au moins une qui n'a pas l'intention de le faire. Pensez-vous que leur inaction ou manque de réaction contrarierait votre désir de veiller à ce que le régime mis en place soit suffisamment robuste pour assurer l'égalité d'accès, les mêmes possibilités, la même réglementation et la même disponibilité de ce service médical aux quatre coins du pays, pour tous les Canadiens?
Mme Philpott : Merci pour cette question.
Comme vous le savez, il s'agit, au fond, d'un projet de loi qui modifie le Code criminel pour protéger les fournisseurs des soins de santé en les exonérant de toute responsabilité criminelle s'ils soutiennent leurs patients en leur apportant une aide médicale à mourir, Dans ce sens, un médecin canadien qui travaille dans le cadre de cette loi et de la réglementation qui en découle — vous êtes les experts en la matière — ne sera pas poursuivi.
Vous soulignez que certaines provinces feront peut-être valoir qu'elles ne sont pas forcément d'accord pour dire qu'il s'agit d'un service nécessaire sur le plan médical.
Le sénateur Cowan : Supposons qu'une ou plusieurs provinces ne prennent aucune mesure législative ou réglementaire. Estimez-vous que si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, il y aura la même égalité d'accès partout au Canada?
Mme Philpott : Je suis certaine que cela fournira une protection adéquate aux fournisseurs de soins de santé.
Le sénateur Cowan : Je ne parle pas des fournisseurs des soins de santé. Je parle de l'accès pour le patient.
Mme Philpott : L'accès est une autre question, mais comme vous le savez, l'accès à d'autres services médicaux que nous jugeons nécessaires est problématique au Canada. Nous avons eu des discussions avec les provinces au sujet de ces autres problèmes et nous avons réalisé des progrès encourageants pour faire en sorte que les services médicaux nécessaires soient accessibles partout dans le pays.
Le sénateur Cowan : Il y a eu des discussions — et je crois que la sénatrice Lankin en a parlé plus tôt — au sujet de la sédation palliative et de l'ordre de ne pas ressusciter, qui sont des pratiques courantes partout au Canada. En tant que médecin, vous possédez une vaste expérience de ce genre de choses et de l'administration d'antalgiques et chacun sait que si on administre une quantité suffisante de médicaments en doses croissantes, cela entraîne la mort.
Pourquoi est-ce jugé acceptable — et nous sommes de cet avis, vous et moi — alors que vous n'êtes pas encore prête à reconnaître le désir d'un grand nombre de Canadiens, je pense, de faire inscrire dans la loi le droit de faire une demande anticipée pour obtenir l'aide médicale à mourir? Comment conciliez-vous ces deux positions?
Mme Philpott : Vous avez parfaitement raison de dire que, jusqu'ici, un certain nombre de pratiques, à l'égard des soins à donner en fin de vie, consistaient à s'abstenir, délibérément, de prolonger la vie. Suivre un ordre de ne pas réanimer est non pas une action, mais une omission. Cette loi autorise à poser un geste au lieu de s'abstenir de poser le geste qui garderait une personne en vie.
Cela dit, vous abordez, je pense, la question des demandes anticipées qui sont évidemment acceptables sous la forme d'un ordre de ne pas réanimer, mais que nous n'avons pas intégrées dans la loi. Nous avons tenu compte d'un certain nombre de raisons pour décider de ne pas inclure les demandes anticipées pour le moment. C'est, en partie, à cause de la difficulté que les professionnels de la santé ont à suivre les autres directives de ce genre. C'est ce que nous disent clairement les organismes comme l'Association médicale canadienne et d'autres selon lesquels il peut être extrêmement difficile de connaître à l'avance le désir d'une personne et de pouvoir le confirmer.
Ce sont là des considérations très différentes, mais elles font partie des raisons pour lesquelles nous avons estimé n'être pas prêts à prendre pour le moment des décisions concernant les demandes anticipées.
Le sénateur McIntyre : Merci, madame la ministre, d'être présente ici aujourd'hui.
Je voudrais revenir sur la question du régime de surveillance. Le projet de loi est très clair : il autorise le ministre de la Santé à prendre des règlements créant un régime de surveillance. Par exemple, le nouveau paragraphe 241.31 crée des obligations légales pour les médecins, les infirmières et les pharmaciens. Il crée également des infractions pour non- respect de la réglementation à l'égard de la surveillance.
Cela dit, le Parlement est-il compétent pour recueillir des renseignements dans le but de surveiller l'aide médicale à mourir? Devrions-nous laisser cette responsabilité aux provinces?
Je vous pose la question parce que le comité externe chargé d'examiner les réponses législatives au rapport Carter a constaté un appui en faveur de mécanismes de surveillance. Néanmoins, il n'y avait pas unanimité quant à savoir si cette supervision devait se faire au niveau fédéral. Pourrais-je savoir ce que vous en pensez?
Mme Philpott : Vous avez fait allusion à certains des défis qui se posent dans notre merveilleux système dans lequel le gouvernement fédéral et les provinces se partagent la responsabilité des soins de santé.
C'est un domaine dans lequel nous croyons que le gouvernement fédéral doit jouer un rôle et de nombreuses provinces se réjouissent que nous jouions un rôle en assumant certaines responsabilités et en nous servant de certaines de nos ressources fédérales, des choses comme l'Institut canadien d'information sur la santé. Mon sous-ministre peut vous donner une idée de certains des autres organismes pancanadiens qui peuvent facilement recueillir des données pancanadiennes. Par conséquent, nous sommes bien placés pour recueillir certains de ces renseignements.
Néanmoins, comme vous l'avez mentionné, nous pourrions proposer de recueillir et de surveiller une série particulière de données. Nous reconnaissons, bien sûr, que ce sera aux provinces d'élaborer le régime en question. Elles pourront s'en charger elles-mêmes ou préférer peut-être laisser certains éléments de côté, mais c'est un domaine au sujet duquel nous allons devoir discuter très sérieusement avec les provinces et les territoires.
Nous avons eu, par le passé, des relations très utiles avec les provinces et les territoires au sujet de la collecte de renseignements sur la santé pour éclairer les décisions futures.
Le sénateur McIntyre : Et espérons que vous parviendrez à un consensus.
Mme Philpott : Nous l'espérons certainement.
Le sénateur McIntyre : Merci, madame la ministre.
Le sénateur Joyal : Bienvenue, madame la ministre.
Je vois des objections à l'égard de votre intention de retarder la mise en oeuvre de l'accès à l'aide médicale à mourir pour trois groupes de personnes, soit celles qui désirent faire une demande anticipée, les mineurs matures et les malades mentaux. Je vais vous dire pourquoi. Sur le plan juridique, je pense que votre loi va être déclarée inconstitutionnelle. C'est parce que vous excluez ces personnes sans préciser dans quel délai elles obtiendront ce droit.
Nous parlons d'un droit reconnu dans la Charte. Un patient a des droits. Au Canada, un patient qui souffre gravement et irrémédiablement et qui ne peut pas tolérer cette souffrance a le droit de mourir avec l'aide d'un médecin. C'est l'arrêt Carter. Si vous excluez ces trois groupes sans établir clairement le délai dans lequel le Parlement adoptera des conditions ou des mesures de sauvegarde précises, qui pourront être parfaitement raisonnables et rationnelles, je pense que vous omettez d'accorder le droit reconnu dans l'arrêt Carter et le droit que ces personnes possèdent en vertu de la Charte.
C'est ce que nous avons entendu dire au comité spécial mixte par le groupe d'experts que l'ancien gouvernement avait nommé. Benoît Pelletier, l'avocat, nous a dit qu'en excluant les mineurs matures, vous ouvrirez la porte à une contestation en vertu de l'article 15. Dans un arrêt rendu en 2009, la Cour suprême a déjà établi un critère selon lequel un mineur mature avait le droit de décider pour lui-même. C'est au paragraphe 95 de A.C. c. Manitoba (directeur des Services à l'enfant et à la famille). La cour a énoncé sept critères bien clairs. C'était en 2009, il y a sept ans. La Cour suprême a donc déjà établi la norme à suivre.
Si vous vous contentez de dire que vous vous en occuperez à l'avenir, j'estime que vous lésez les patients. Ce n'est pas des droits des médecins, mais des droits des patients dont nous parlons ici. C'est le droit, pour les personnes qui souffrent de façon intolérable, d'avoir accès à l'aide d'un médecin pour mourir.
Voilà pourquoi je pense que votre projet de loi ne répondra pas aux critères établis par la cour. Il pourra être contesté par un mineur mature capable de satisfaire aux sept critères. Ce projet de loi n'est pas compassionnel. Il établit un système selon lequel les gens devront attendre indéfiniment que le Parlement se décide à agir.
Je me permets donc de vous dire que je n'accepte pas vos arguments.
Mme Philpott : Merci pour vos observations. Je me réjouis d'entendre votre point de vue à ce sujet.
Je tiens à souligner, à vous tous, en espérant que vous l'accepterez, que ce projet de loi marque un changement monumental pour notre société. Je ne pense pas qu'il faudrait sous-estimer son importance.
Comme vous l'avez dit, cette décision a été prise parce que nous devions répondre à un arrêt de la Cour suprême. La décision de la Cour suprême visait à respecter le droit de ces personnes de décider de mettre fin à leur vie, de mettre fin à leur souffrance. Nous affirmons de façon absolue et fondamentale l'autonomie de ces personnes et leur droit de recevoir cette aide. C'est pourquoi nous avons répondu au jugement du tribunal dans un délai très court.
Le gouvernement du Canada doit, en même temps, préserver d'autres principes. La responsabilité que nous assumons tout aussi solennellement lorsque nous représentons les Canadiens nous demande également de protéger la vie. Nous devons aussi reconnaître qu'il y a des personnes vulnérables que la loi pourrait léser involontairement.
En raison de cette responsabilité solennelle que nous assumons, nous avons examiné ces situations particulières et nous nous sommes dit qu'effectivement, bien des gens aimeraient que nous allions plus loin. Néanmoins, tout le monde conviendra, je pense, qu'un vaste consensus international existe à ce sujet, quant à la façon de protéger adéquatement les personnes vulnérables. Vous ne serez peut-être pas d'accord avec moi, mais nous avons estimé nécessaire de rédiger la loi de façon à prévoir des garanties suffisantes pour protéger les personnes vulnérables.
Le projet de loi que nous avons produit représente, je crois, la bonne approche pour les Canadiens. Je crois qu'il nous permet de respecter l'autonomie de la personne, mais en nous assurant de bien tenir compte des ramifications et en veillant à ce que la vie d'aucune personne vulnérable prenne fin sans une protection adéquate.
Le sénateur Plett : Je veux poser une question que j'ai déjà posée à votre collègue, la ministre de la Justice. Je vais poser deux questions. Je vais les poser immédiatement afin de pouvoir les placer toutes les deux.
Les infirmiers praticiens indépendants peuvent évaluer si un patient répond aux critères et peuvent administrer la substance létale, alors qu'ils n'ont pas le droit de prescrire des narcotiques dans certaines régions de notre pays. Par conséquent, si je souffre énormément dans un hôpital et désire qu'une infirmière m'administre de la morphine, elle n'est pas autorisée à le faire. Par contre, si je change d'avis et je dis : « Si vous ne pouvez pas me donner de la morphine, alors tuez-moi », elle a le droit de le faire. J'ai du mal à comprendre qu'elle ne puisse pas me donner un antalgique, mais qu'elle puisse me tuer.
Je voudrais que vous répondiez à cette question et, s'il vous plaît, ne me répondez pas, comme votre collègue, que nous laisserons les provinces s'en charger. C'est une loi fédérale que nous avons ici.
Quant à mon autre question, je suis en partie d'accord avec le sénateur Joyal pour dire que les mineurs matures posent un problème, mais je vais dans la direction diamétralement opposée. Je sais que le ministère effectue des études dans un certain nombre de domaines, notamment pour explorer la possibilité d'étendre ce droit aux mineurs matures. Par conséquent, nous envisageons de permettre à une personne qui n'a pas le droit d'acheter une bouteille de bière, de voter ou d'aller à la guerre, de demander de l'aide pour mourir. Nous aurions eu 11 décès à Attawapiskat, il y a quelques mois, si ces dispositions de la loi avaient été en vigueur.
Pouvez-vous m'assurer, madame la ministre, que le gouvernement veillera à ce que les médecins ne soient pas autorisés à enlever la vie à des enfants et à ce que les personnes qui ne peuvent pas m'administrer un antalgique ne soient pas autorisées à m'aider à mettre fin à mes jours?
Mme Philpott : Je vous remercie de ces questions très importantes.
Pour ce qui est des infirmières, je pourrais peut-être préciser que cela varie un peu en fonction de la réglementation provinciale, mais qu'en réalité, les infirmières peuvent prescrire des antalgiques si des directives les y autorisent. Dans le cadre de l'exercice de la médecine, les infirmières, les infirmières praticiennes et autres fournisseurs de santé peuvent normalement travailler dans le cadre d'un certain champ de pratique.
Le sénateur Plett : Dans toutes les provinces?
Mme Philpott : Je peux demander des précisions à mes fonctionnaires, mais à ma connaissance, chaque province établit la réglementation en vertu de laquelle les infirmières travaillent dans une province. Les organismes qui régissent la profession précisent quels sont les actes autorisés comme c'est le cas pour les autres praticiens.
Les infirmières peuvent également suivre les instructions d'un médecin. Je peux avoir, par exemple, une infirmière qui n'est pas normalement habilitée à faire une analyse d'urine, mais en tant que médecin, je peux lui dire : « Je vous donne des instructions selon lesquelles si un patient vient ici, même si je ne l'examine pas pour confirmer qu'il souffre d'une infection de la vessie, vous pouvez lui faire une analyse d'urine. »
Vous demandez comment l'infirmière peut aider quelqu'un à mourir si elle n'est pas autorisée à prescrire des antalgiques? Je vous réponds qu'une infirmière peut prescrire un antalgique si elle reçoit des directives en ce sens. J'espère que cela répond à votre argument.
Le sénateur Plett : C'est une réponse, mais elle ne me satisfait pas, désolé. D'un côté elle peut le faire sur les instructions du médecin et de l'autre, elle peut le faire de son propre chef.
Mme Philpott : Laissez-moi répondre à votre deuxième question. Je pense qu'elle illustre très bien la diversité d'opinions au sujet de ces questions délicates. Je comprends votre point de vue. Je comprends vos inquiétudes au sujet des mineurs matures et, dans le cas d'Attawapiskat, non pas de mineurs matures, mais de gens souffrant de maladie mentale. C'est précisément pour ces raisons que nous voulions être sûrs d'étudier davantage ces questions, encore une fois, pour protéger les personnes vulnérables.
Cela dit, comme vous pouvez le constater autour de cette table, certains diront que si un jeune de 17 ans se meurt du cancer dans des souffrances intolérables, quelle différence y a-t-il entre une personne de 17 ans et une autre de 18 ans?
C'est, je pense, une conversation pour laquelle nous devons absolument être prêts à entendre les points de vue de gens dont les opinions sont très différentes des nôtres. Nous devons reconnaître qu'il n'y a pas de solution facile. C'est la raison pour laquelle, sur ce sujet délicat, nous avons estimé que nous n'avions pas suffisamment de renseignements pour prendre une décision satisfaisante. Nous croyons que le projet de loi doit franchir toutes les étapes d'ici le délai du 6 juin que nous a fixé la Cour suprême. Je pense que notre pays se trouvera dans une situation très problématique si nous n'avons pas de cadre législatif en place d'ici cette date. Nous avons donc décidé d'étudier davantage les questions qui posent des problèmes évidents afin d'être certains de prendre les bonnes décisions.
La sénatrice Batters : Pour ce qui est de l'exemple que vous venez de donner au sénateur Plett au sujet d'un jeune de 17 ans qui souffre d'un cancer en phase terminale, le projet de loi de votre gouvernement n'exige pas que la personne souffre d'une maladie en phase terminale, madame la ministre. C'est la première chose que je soulignerais.
Je voudrais parler des souffrances psychologiques. Vous avez exercé comme médecin généraliste pendant de nombreuses années. Pendant tout ce temps, vous avez dû constater que les maladies psychologiques sont peut-être très graves — je ne le nie pas — mais qu'elles sont soignables, et non pas mortelles, et que cela exige des décisions plus complexes.
Cela dit, vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire devant le comité de la Chambre des communes — et vous avez fait une déclaration très semblable, peut-être la même, aujourd'hui — que le projet de loi ne peut pas s'appliquer aux souffrances causées uniquement par une maladie mentale; qu'il est indéniable que les troubles mentaux peuvent causer de profondes souffrances et que les maladies comme la dépression chronique, les troubles cognitifs et la schizophrénie posent des problèmes particuliers pour ce qui est de donner un consentement éclairé.
Cela étant, je me demande pourquoi vous n'avez pas prévu de garanties supplémentaires pour les personnes dont les souffrances sont psychologiques. C'est inclus dans votre projet de loi. Le seul endroit où il est dit que cela ne suffit pas pour obtenir le suicide assisté est le préambule, mais vous n'utilisez pas une évaluation psychiatrique; vous n'exigez pas une période d'attente plus longue. Je crois que la Commission de la santé mentale du Canada a suggéré une période d'attente de trois mois. Vous avez ici un maximum de deux semaines. Et vous allez autoriser deux infirmiers praticiens, même pas un médecin, à donner leur approbation, à évaluer les capacités d'une personne et à lui administrer la substance.
Mme Philpott : Merci pour cette question. Comme c'est la Semaine de la santé mentale, le moment est bien choisi pour aborder ce sujet.
Vous avez souligné une des raisons pour lesquelles ce serait difficile et c'est la question que j'ai soulevée dans ma déclaration à propos de la capacité de donner un consentement éclairé. Néanmoins, pour ce qui est de protéger les personnes dont la demande se fonde uniquement sur une maladie mentale plutôt qu'une maladie physique, vous constaterez, je pense, que la meilleure protection qui leur est donnée dans la loi se trouve à l'article qui définit les « problèmes de santé graves et irrémédiables », où il est dit que la « mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible ».
Pour les personnes qui souffrent de schizophrénie, de dépression, d'anxiété, et cetera, la mort naturelle n'est pas raisonnablement prévisible. Comme vous l'avez dit, il ne s'agit généralement pas de maladies incurables et il existe des traitements pour ces pathologies. L'équipe que nous avons chargée de rédiger le projet de loi a estimé que la prévisibilité raisonnable de la mort naturelle est le critère qui exclurait les personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale.
La sénatrice Batters : Comme votre collègue l'a mentionné un peu plus tôt, la mort de tout le monde est raisonnablement prévisible, dans une certaine mesure. Je parlerai seulement du cas particulier d'une personne souffrant d'une maladie physique très grave qui souffre en même temps d'une maladie mentale. Pourquoi n'avez-vous pas prévu des mesures de sauvegarde supplémentaires pour ce genre de personnes afin d'être sûr qu'elles donneront un consentement éclairé? Comme vous l'avez reconnu, les prises de décision les concernant sont plus complexes. Pourquoi ne pas avoir inclus une protection supplémentaire au lieu de charger simplement deux infirmiers praticiens de donner toutes les autorisations et de faire l'évaluation des capacités?
Mme Philpott : C'est couvert par le critère selon lequel l'intéressé doit donner un consentement éclairé. La question du consentement éclairé ne pose pas vraiment de problème aux praticiens de la santé. En réalité, chaque décision prise dans le cadre du processus décisionnel partagé exige que l'intéressé ait la capacité de donner son consentement. Nous reconnaissons que certaines personnes souffriront d'une pathologie et que c'est pour cette raison qu'elles demanderont de l'aide pour mourir. Néanmoins, si elles sont psychotiques, par exemple, et si elles ont perdu le sens de la réalité pour cette raison, elles ne seront pas jugées capables de donner un consentement éclairé.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bonjour, madame la ministre, et bienvenue. Comme je l'ai dit à votre collègue il y a quelques minutes, nous examinons un projet de loi qui vise à gérer une situation très compliquée et complexe. Tout le monde est de bonne foi pour faire en sorte que ce projet de loi soit le meilleur possible. Le projet de loi impose de nombreuses restrictions ou, du moins, beaucoup d'encadrement aux professionnels de la santé et aux médecins qui devront gérer tout le processus de mettre fin à la vie d'un individu, que ce soit un patient ou une autre personne.
Au Québec, le comportement fautif sur le plan professionnel relève davantage du Collège des médecins que de la justice, à moins qu'un acte criminel ait été commis. Nous retrouvons dans ce projet de loi un article qui m'a surpris. L'article 241.2 a été ajouté au Code criminel afin d'obliger le médecin qui prescrit une substance mettant fin à la vie d'une personne d'informer le pharmacien de l'usage de la substance. J'essaie de comprendre pourquoi cet élément a été intégré au projet de loi afin de modifier le Code criminel et qui oblige un professionnel qui traite avec un autre professionnel de donner la raison de l'usage d'une subsistance.
[Traduction]
Mme Philpott : Vous vous demandez quelle est la raison de cette exigence.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Pourquoi y a-t-il une obligation pour le médecin d'informer le pharmacien que la substance qu'il prescrit servira à mettre fin à la vie d'un patient?
[Traduction]
Mme Philpott : C'est en partie en raison de la surveillance nécessaire. Je ne sais pas si vous allez entendre l'Association des pharmaciens du Canada, mais c'est une chose qu'elle demande énergiquement afin qu'il y ait une bonne interaction entre le fournisseur de soins de santé et le pharmacien pour que ce dernier comprenne à quoi sert le médicament.
Vous ne savez peut-être pas que la plupart de ces médicaments servent généralement pour d'autres pathologies. Il est important pour le pharmacien de comprendre dans quelles circonstances ils sont utilisés lorsque c'est à des fins autres que celles pour lesquelles ils sont approuvés. Il est important que le pharmacien sache pourquoi le médicament a été prescrit.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Si le médecin n'avisait pas le pharmacien, est-ce le Code criminel qui sera invoqué ou le Collège des médecins? Est-ce que ce sera une faute professionnelle ou une faute criminelle?
[Traduction]
Mme Philpott : Il faudrait peut-être que je vérifie auprès de mes adjoints. Je crois que ce serait une infraction à la réglementation plutôt qu'au Code criminel.
Mon équipe s'entend à dire que ce serait une infraction à la réglementation.
Le président : Madame la ministre, combien de temps pouvez-vous passer avec le comité?
Mme Philpott : Il me reste probablement 10 minutes de plus. Je dois dire que vous avez de très bonnes questions. Vous me mettez vraiment sur la sellette.
La sénatrice Lankin : Merci, madame la ministre, d'être venue ici.
Je suis tout à fait consciente de la délicatesse avec laquelle nous devons tous considérer ces questions. Vous avez entendu mentionner à plusieurs reprises que j'ai soulevé des objections ou des inquiétudes au sujet de l'incapacité de donner des directives à l'avance. Je vais de nouveau aborder le sujet avec vous.
Tout comme il y a divers champs de pratique pour les divers professionnels de la santé dans les différentes régions du pays, ainsi que divers régimes de soins palliatifs et d'accès aux services médicaux nécessaires, il y a également différents régimes en ce qui concerne la capacité de consentir au traitement, y compris l'âge du consentement — j'ai introduit une loi en Ontario — la prise de décision par autrui; donc toute une gamme de régimes.
Au niveau provincial, nous avons dû nous pencher, à bien des égards, sur certaines de ces questions complexes. Je reconnais qu'au niveau national, ce projet de loi amène à s'y intéresser de très près, mais ces questions s'apparentent à celles que nous avons déjà examinées dans le cadre de la politique de santé.
Il y a deux scénarios. Aidez-moi à comprendre pourquoi l'un est plus compliqué à comprendre que l'autre pour ce projet de loi et pourquoi cela soulèverait la question des demandes anticipées.
Lorsqu'une personne a perdu la capacité de prendre une décision, mais a donné une directive préalable ou lorsqu'un décisionnaire de remplacement donne une opinion en l'absence de directive préalable, il arrive quotidiennement que l'on cesse d'administrer des substances, par exemple que l'on débranche la perfusion de sérum physiologique. Le projet de loi porte sur l'administration d'une substance alors que dans la situation dont je parle, on enlève une substance.
Un autre exemple serait celui de deux patients souffrant d'une sclérose en plaques progressive. Ils ont tous les deux un très grave problème de mobilité et souffrent énormément. L'un d'eux développe également des troubles cognitifs, mais pas l'autre. L'un peut demander une mort paisible tandis que l'autre ne pourra pas donner une directive préalable le moment venu.
Étant donné que nous avons discuté pendant des années de ces régimes et que nous les avons mis en place, je ne comprends pas pourquoi nous soulevons encore les mêmes arguments. Pourquoi, dans la situation inverse, nous trouvons si difficile d'éduquer les gens quant à la façon de traiter les patients et leurs familles et d'accorder à tous le même accès à une aide en fin de vie?
Mme Philpott : Vous avez certainement soulevé de bons exemples des subtilités et des difficultés de la situation. Vous avez aussi démontré la différence entre l'arrêt du traitement et l'administration d'un traitement et c'est en grande partie là où réside la différence fondamentale.
Comme je l'ai dit, nous avons examiné les modèles internationaux. Si vous étudiez, avec l'esprit ouvert, les pays où les directives préalables sont en place, on peut dire que les problèmes qui les accompagnent n'ont pas toujours suscité des réactions favorables.
La principale difficulté et dont on parle est que la situation devient extrêmement compliquée, ultérieurement, quand la personne a écrit une directive disant : « Lorsque j'en arriverai au point où je ne pourrai plus manger, je ne pourrai plus me nourrir moi-même et je ne saurai plus la date et l'heure, je veux que vous mettiez fin à ma vie. » C'est un énorme fardeau pour le fournisseur de soins de santé qui se retrouve devant cette personne et dit : « Ce patient répond aux critères, car il a dit vouloir finir ses jours paisiblement. Il n'a pas l'air de souffrir et je n'ai aucun moyen de lui faire confirmer que c'est vraiment ce qu'il désire maintenant, dans l'état où il se trouve. »
La sénatrice Lankin : Il faudrait toujours que les autres critères soient remplis.
Mme Philpott : J'ajouterais que des comités seront mis en place pour examiner ces questions sans que nous sachions à l'avance quelle décision sera prise. Néanmoins, d'ici le 6 juin, nous n'aurons pas suffisamment de renseignements pour prendre cette décision équitablement et nous sommes déterminés à nous pencher sur cette question.
Si vous voulez communiquer avec moi ultérieurement, j'aimerais beaucoup que vous le fassiez.
Le sénateur Duffy : Madame la ministre, je vais être bref, car je sais que vous avez un emploi du temps serré.
Je représente l'Île-du-Prince-Édouard et les femmes de ma province ont eu, pendant un certain temps, des difficultés à avoir accès à des services de santé complets. Cela a changé récemment, et c'est une bonne chose.
Pour revenir sur ce qu'a dit le sénateur Cowan, avez-vous réfléchi aux mécanismes dont le gouvernement fédéral dispose — c'est-à-dire la Loi canadienne sur la santé, de l'argent — pour faire en sorte que les services que vous proposez soient disponibles partout au Canada?
Mme Philpott : Merci. C'est une excellente question. L'exemple de l'Île-du-Prince-Édouard dans le cas de l'avortement est très pertinent.
Vous savez sans doute que le principal mécanisme à notre disposition est le fait que la Loi canadienne sur la santé exige le respect d'un certain nombre de principes, dont l'accessibilité. Comme vous le savez aussi, le Transfert canadien en matière de santé part du principe que les provinces et territoires appliquent la Loi canadienne sur la santé et toutes ses dispositions.
Le sénateur Duffy : Cela s'appliquerait-il dans ce cas-ci?
Mme Philpott : Cela s'appliquerait.
Le président : Merci, madame la ministre. Nous apprécions que vous soyez restée un peu plus longtemps.
Mme Philpott : C'est un plaisir d'être avec vous tous. Merci d'examiner la loi. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions ultérieures.
Le président : La ministre de la Justice est revenue. Bienvenue, madame Wilson-Raybould. Nous allons commencer par la deuxième liste de sénateurs que j'avais avant votre départ. La parole est d'abord à la sénatrice Eaton.
La sénatrice Eaton : Merci, monsieur le président.
Je suis ravie que vous consacriez 3 millions de dollars aux soins palliatifs, car je pense que cela aidera beaucoup de gens. J'espère qu'une bonne partie de cette somme sera destinée à la formation, car c'est un domaine très spécialisé. Pouvez-vous m'assurer, madame la ministre, que la réglementation provinciale ne forcera pas les praticiens de la santé à apporter l'aide médicale à mourir?
Mme Wilson-Raybould : Je suppose que vous avez parlé des soins palliatifs avec la ministre Philpott.
Une des choses dont nous avons parlé au cours des discussions que nous avons eues dans l'ensemble du pays au sujet de l'aide médicale à mourir est la nécessité absolue d'offrir des soins palliatifs complets à tous. C'est une discussion qui se poursuivra.
Rien dans notre loi n'obligerait un praticien de la santé à apporter l'aide médicale à mourir. Cette question domaine sera du ressort des provinces et des territoires.
La sénatrice Eaton : Pouvez-vous m'expliquer cela? Autrement dit, l'Ontario ne peut pas prendre votre loi et dire : « Nous allons procéder différemment parce que nous voulons forcer le personnel des hôpitaux à appliquer l'aide médicale à mourir s'ils ne veulent pas le faire »?
Mme Wilson-Raybould : C'est une discussion que le Québec a déjà eue et que l'Ontario est en train de tenir. C'est une chose à laquelle la ministre Philpott travaille, en collaboration étroite avec ses homologues des provinces et des territoires. Pour ce qui est de la liberté de conscience des médecins, c'est du ressort des provinces et des territoires. Je sais qu'un certain nombre de provinces ont commencé, notamment en Ontario, à parler de ne pas obliger les médecins à fournir l'aide médicale à mourir. J'ignore si la sous-ministre a des renseignements plus détaillés au sujet de ce qui se passe dans les provinces et les territoires, mais j'espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Eaton : Cela y répond. Vous dites que l'Ontario n'est pas obligé d'appliquer la loi. L'Ontario pourrait quand même changer d'avis demain et obliger les praticiens à apporter une aide à mourir si c'est ce qu'elle décide, quelles que soient les dispositions de votre loi?
Mme Wilson-Raybould : Les provinces et les territoires ont la possibilité d'établir le cadre réglementaire qu'ils jugent approprié. Cela dit, la réglementation mise en place doit être conforme à la Charte.
Le sénateur White : Merci d'être revenue, madame la ministre.
Vous avez certainement consacré du temps à étudier la loi québécoise. Le Québec a fait plus de recherches que toutes les autres provinces prises ensemble dans ce domaine. N'avez-vous pas songé à adopter, sinon directement sa loi, du moins une version la plus proche possible? Il manquait certainement certains éléments concernant les malades en phase terminale et ce genre de choses.
Mme Wilson-Raybould : Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous avons pu étudier tout ce qui se fait ailleurs sur le plan de l'aide médicale à mourir — dans neuf pays ou États — et nous avons certainement examiné de près ce que le Québec a fait. Les discussions et les débats sur le sujet ont duré un bon nombre d'années au Québec. Les débats sur la loi québécoise ont eu lieu avant l'arrêt Carter. Bien entendu, nous avons tenu compte des pratiques exemplaires et de l'expérience des autres instances gouvernementales, mais nous avons cherché à répondre aux circonstances factuelles de l'arrêt Carter pour rédiger notre loi. Il y a des similarités, peut-on dire, mais aussi certaines différences.
Le sénateur White : Pensez-vous que la loi québécoise est conforme à l'arrêt Carter?
Mme Wilson-Raybould : J'ai eu l'occasion de m'entretenir régulièrement avec la procureure générale du Québec et elle m'a dit que, comme toutes les autres provinces, le Québec étudiera la loi de très près.
Le sénateur White : Alors cela veut dire non?
Le président : Sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Madame la ministre, je vous ai écoutée, vous et la ministre Philpott, tout l'après-midi, et les régions du pays où il y a très peu d'aide médicale sont une des choses qui m'inquiètent. Vous devez en être très consciente, bien entendu, compte tenu du travail que vous avez effectué antérieurement dans les réserves et dans le Nord. Comment allons-nous assurer le même genre d'accès pour les personnes vulnérables de ces régions? Par exemple, je crois qu'à certains endroits, il n'y a même pas de médecin ou d'infirmière praticienne. Prévoyez-vous des dispositions spéciales pour les gens de ces régions vulnérables?
Mme Wilson-Raybould : Merci pour cette question.
Je suppose que ma collègue, la ministre Philpott, a parlé de sa lettre de mandat qui lui demande de travailler au renouvellement de l'accord sur la santé avec les provinces et les territoires et de faire en sorte que tous les Canadiens aient le même accès aux programmes et services de soins de santé.
Vous avez mentionné les personnes vulnérables qui vivent dans les régions éloignées. Il est certain que les communautés autochtones posent des problèmes particuliers. Notre gouvernement examine de nombreuses mesures et s'est engagé à investir dans les communautés autochtones dans son budget de 2016. Il s'agit notamment de travailler en collaboration étroite avec les communautés afin de pouvoir leur fournir les services requis pour s'attaquer à certaines causes profondes des lacunes existantes. Il s'agit notamment d'agir sur le plan de la pauvreté et du logement, et de veiller à faire le maximum pour répondre aux besoins de la population.
La sénatrice Jaffer : Tout l'après-midi, nous avons entendu l'expression « raisonnablement prévisible ». D'après ce que j'ai entendu, cela laisse une certaine latitude. Comment allez-vous assurer une interprétation uniforme d'un bout à l'autre du pays? Il n'y a pas de définition de la « prévisibilité ». Comment allons-nous assurer l'uniformité du processus aux quatre coins du pays?
Mme Wilson-Raybould : C'est une excellente question. Comme je l'ai mentionné, nous avons expressément rédigé nos critères d'admissibilité en précisant les quatre critères qui définissent les problèmes de santé « graves et irrémédiables » et en concluant que la mort doit être « raisonnablement prévisible ».
Comme il faut prendre en compte ces quatre critères et l'état général du patient, nous n'avons pas jugé bon de fixer un délai précis pour prévoir raisonnablement le décès préférant compter sur la capacité des médecins à en juger eux- mêmes en tenant compte de leur relation avec le patient, leur compétence et reconnaissant que nous vivons dans un pays extrêmement diversifié. Les patients sont dans des situations extrêmement diverses et nous avons donc jugé préférable de laisser une certaine latitude aux praticiens pour porter ce jugement en fonction de l'état du patient.
Le président : Sénateur Plett.
Le sénateur Plett : J'ai déjà posé mes questions aux fonctionnaires. Malheureusement, je n'ai pas obtenu une réponse très satisfaisante, mais je vais l'accepter et passer mon tour.
Le sénateur Joyal : Je ne suis pas dans la même situation que le sénateur Plett. Merci, sénateur.
Madame la ministre, je voudrais revenir sur le dernier « attendu que » du projet de loi, surtout la dernière partie, où vous dites que vous avez l'intention de :
[...] explorer d'autres situations ... où une personne peut demander l'aide médicale à mourir, à savoir le cas de demandes faites par les mineurs matures, de demandes anticipées et des demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée.
Vous reconnaissez dans ce préambule qu'il y a au moins trois autres groupes de personnes qui devraient avoir accès à l'aide médicale à mourir. C'est ce que vous laissez entendre en énonçant très précisément ces catégories de personnes. Ce faisant, vous reconnaissez que toutes les personnes de ces catégories pourraient avoir droit à l'aide médicale à mourir en vertu de l'article 7.
À mon avis, en ne fixant aucun délai pour la reconnaissance de leurs droits, vous ouvrez la porte à des contestations en vertu de l'article 15 de la Charte. C'est ce qu'a fait valoir Benoît Pelletier, du Comité externe sur les options de réponse législative, établi par le gouvernement précédent, qui a publié son rapport en décembre dernier. M. Pelletier s'est prononcé précisément sur cette question.
N'aurait-il pas été préférable, pour que la loi survive à une contestation portant sur cette partie du préambule, de prévoir un délai comme le comité spécial mixte l'a préconisé dans la Recommandation 6 de son rapport? Nous étions très conscients que nous étions en train d'exclure des personnes, et pour permettre à la loi de résister à une contestation, étant donné que la cour avait déjà reconnu ce droit, le comité a recommandé de maintenir l'exclusion pendant une période de temps limitée, dans un but précis. En ne fixant pas de délai, je pense que vous ouvrez la porte à une contestation en vertu de l'article 15 de la Charte de la part de personnes qui font partie de cette catégorie.
Mme Wilson-Raybould : Merci pour cette question, sénateur. Comme je l'ai dit et comme nous l'avons expliqué dans notre document explicatif, nous avons tenu compte des considérations relatives à la Charte.
Je dirais que la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Carter ne portait pas sur les mineurs matures, les directives préalables ou les personnes invoquant uniquement une maladie mentale pour demander l'aide médicale à mourir.
Ce qui ressort très clairement d'un grand éventail de points de vue, c'est qu'il s'agit de questions plus complexes qu'il est nécessaire d'étudier en profondeur afin d'avoir de meilleures preuves des risques et avantages relatifs à ces trois questions plus controversées. Nous en avons fait mention dans le préambule pour faire savoir que nous nous engageons à examiner de plus près ces trois questions. Ce n'était pas pour laisser supposer que l'aide médicale à mourir finirait par être offerte à ces trois catégories de personnes, mais pour affirmer la solidité de notre engagement et souligner la nécessité d'avoir d'autres discussions sur le sujet.
Je tiens à dire clairement que la conclusion de ces discussions n'a pas été déterminée à l'avance, sénateur, mais que nous tiendrons compte de l'importance de ces enjeux lorsque nous discuterons de ces trois aspects particuliers en veillant à respecter l'autonomie personnelle et à protéger au maximum les personnes vulnérables. Voilà ce que nous nous engageons à faire.
Le sénateur Joyal : Au paragraphe 127, la Cour suprême déclare :
Nous ne nous prononçons pas sur d'autres situations où l'aide médicale à mourir peut être demandée.
La cour a été claire. Il y a d'autres cas ou situations dans lesquels la cour reconnaîtra qu'un patient a droit à l'aide médicale à mourir, surtout s'il entre dans l'une des trois catégories que vous avez mentionnées et que tout le monde reconnaît. C'est pourquoi je pense que ce paragraphe vous rend vulnérable. Vous le reconnaissez et la cour l'a reconnu, mais vous n'établissez pas de délai précis pour que ces personnes puissent exercer leurs droits dans des conditions bien précises.
Nous conviendrons tous que ces trois catégories de personnes peuvent avoir besoin de mesures de sauvegarde supplémentaires, en plus de celles que contient le projet de loi. Néanmoins, en les excluant sans fixer de délai, je pense que vous ne prenez pas de véritable engagement à reconnaître leurs droits à l'avenir. La cour a laissé entendre qu'elles pourraient avoir ces droits.
La sénatrice Batters : Pour ce qui est d'exiger que le patient soit en phase terminale ou mourant, c'est une question sur laquelle les Canadiens se sont prononcés haut et fort à l'occasion de nombreux sondages différents que le comité externe a réalisés auprès de groupes de discussion. Le Québec l'exige. Tous les États américains qui autorisent le suicide assisté l'exigent. Pourquoi votre gouvernement libéral a-t-il choisi de ne pas exiger que le patient soit en phase terminale de sa maladie ou mourant?
Mme Wilson-Raybould : Le but de notre loi est, bien entendu, de répondre à l'arrêt Carter et de fournir une aide médicale à mourir aux personnes qui satisfont aux critères d'admissibilité, aux quatre critères qui définissent des problèmes de santé « graves et irrémédiables ». C'est pour permettre aux patients qui satisfont à ces critères de finir leurs jours paisiblement.
Même si notre loi est un peu différente, six des neuf autres régimes juridiques sont centrés sur la fin de vie. Nous avons mis en place d'autres conditions annonçant une mort « raisonnablement prévisible » dont les praticiens doivent entièrement tenir compte.
La signification des mots « raisonnablement prévisible » laisse une certaine latitude, mais nous avons choisi délibérément de mettre en place une loi et un régime permettant aux personnes qui arrivent au terme de leur vie de choisir une mort digne et paisible.
La sénatrice Batters : Très brièvement, en ce qui concerne les infirmières praticiennes, vous avez dit tout à l'heure qu'aux yeux de votre gouvernement, c'était une question d'accès. C'est pourquoi, contrairement à ce qui s'est fait presque partout ailleurs, vous allez permettre à des infirmières praticiennes de déclarer un patient admissible, d'autoriser cette procédure, d'évaluer la compétence du patient et d'administrer la substance. Vous avez dit aussi que ce serait nécessaire dans les régions éloignées, mais votre loi n'établit aucune limite à cet égard, si bien que cela pourrait se passer n'importe où au Canada. Cela pourrait être au centre-ville de Toronto.
Il n'y a aucune limite et je me demande donc pourquoi, si cela vise à accorder ce droit dans les régions rurales ou éloignées? Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de recourir à des infirmières praticiennes? Vous avez mentionné la Colombie. Est-ce là que vous avez trouvé ce genre de modèle inhabituel?
Mme Wilson-Raybould : Vous avez raison, sénatrice. En raison de la situation qui règne dans diverses régions de notre pays, certaines personnes n'ont pas accès à des médecins. Nous reconnaissons certainement que la réglementation des infirmières praticiennes et les lois qui leur permettent d'apporter une aide médicale à mourir sont du ressort des provinces et des territoires qui peuvent légiférer à cet égard.
Je dirais que nous avons eu l'occasion de rencontrer l'Association des infirmières et des infirmiers du Canada et que nous apprécions énormément le travail important que les infirmières praticiennes accomplissent et les relations étroites qu'elles entretiennent avec les gens des collectivités locales. Nous reconnaissons qu'elles devraient pouvoir jouer un rôle, pour une question d'accès et compte tenu des exigences rigoureuses de la réglementation de la profession qui doivent être établies, selon ce que disent les provinces et les territoires. C'est à ces derniers qu'il revient de décider si les infirmières praticiennes peuvent apporter une aide médicale à mourir dans ces régions.
La sénatrice Batters : Voulez-vous dire que certaines provinces pourraient autoriser les infirmières praticiennes à le faire tandis que d'autres pourraient refuser, même si votre projet de loi dit que cela peut être fait par des médecins ou des infirmières praticiennes?
Mme Wilson-Raybould : En effet. C'est aux provinces et aux territoires qu'il revient de décider si les infirmières praticiennes pourront apporter l'aide médicale à mourir.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame la ministre, ce projet de loi, une fois adopté, s'adressera sans doute à des citoyens pour lesquels nous avons beaucoup de respect. Je pense à nos militaires et à nos anciens combattants qui reviennent souvent de leurs missions avec des blessures très graves.
Pouvez-vous m'expliquer pourquoi ce projet de loi vise à modifier la Loi sur les pensions et la Loi sur les mesures de réinsertion et d'indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes? En quoi cette loi vient-elle modifier ces régimes?
M. Pentney : Comme vous le savez, il y a les populations qui relèvent du gouvernement fédéral, comme les anciens combattants, et nous ne voulons pas limiter l'accès à une aide médical à mourir à d'autres Canadiens. Les changements aux lois sur les anciens combattants et sur les pensions, par exemple, sont liés à cet aspect. Nous ne voulons pas limiter l'accès aux autres Canadiens. Nous devons donc changer le régime afin que les familles des anciens combattants ne soient pas...
[Traduction]
Je dois le dire en anglais, désolé. Les familles ne sont pas désavantagées du fait que l'ancien combattant a eu accès à une aide médicale offerte aux autres Canadiens. C'est une modification corrélative.
Les provinces et les territoires devront examiner les autres lois auxquelles ils pourraient envisager d'apporter des modifications corrélatives pour s'assurer que les membres survivants de la famille ou d'autres personnes ne soient pas désavantagés du fait que, si la loi est adoptée, l'intéressé aura bénéficié d'un acte que la loi autorise.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que les provinces auront le même exercice à faire par rapport à certains types de métiers, comme les policiers, par exemple?
M. Pentney : Oui, ils doivent considérer les situations des autres. Nous sommes uniques dans le sens que nous gérons un régime médical pour une population.
[Traduction]
Je ne connais aucune province qui gère un régime médical spécialement pour les policiers. La police a accès au régime de santé général, mais pour les détenus du système carcéral fédéral et certaines populations dont les anciens combattants, comme vous le savez, nous avons un régime parallèle.
Le sénateur Sinclair : Ma question porte sur les conséquences qu'il y aurait à ne rien faire, si ce projet de loi n'était pas adopté ou ne l'était pas d'ici le délai fixé.
Si je lis la loi sur laquelle la Cour suprême s'est prononcée, car elle a, en fait, dans sa décision, créé une loi que vous essayez de modifier au moyen de ce projet de loi. En vertu du paragraphe 147 — et si je me trompe, je vous invite à répondre à cela — la Cour suprême a déclaré que tout médecin qui aide une personne à mourir ne sera pas coupable d'une infraction ou passible de poursuite pourvu que ce soit « une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables » — et « irrémédiable » est défini comme impossible à guérir — « lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition. »
Par conséquent, l'arrêt Carter signifie, selon moi, que si ces conditions s'appliquent, un médecin ne peut pas être poursuivi pour aider cette personne à mourir, en l'absence de cette loi ou de toute autre loi. Ai-je raison?
M. Pentney : Oui.
Le sénateur Sinclair : Merci.
Le président : Madame la ministre, si vous pouvez répondre rapidement à une question de plus. Voulez-vous répondre à cela?
Mme Wilson-Raybould : Puis-je y répondre et peut-être répondre à l'autre question que le sénateur Joyal a posée?
Le président : Allez-y.
Mme Wilson-Raybould : Vous avez raison, sénateur, et il est très agréable de vous voir à cette table.
Votre interprétation est juste. L'arrêt Carter s'appliquera s'il n'y a pas de loi fédérale en place d'ici le 6 juin, pour une raison ou pour une autre. Néanmoins, on craint fort que cela ne suscite de l'incertitude pour les praticiens de la santé et l'application de l'arrêt Carter. Cela créera évidemment de l'incertitude en ce qui concerne la capacité des patients d'avoir accès à l'aide médicale à mourir.
Il y aura de l'incertitude du côté des médecins pour l'application de l'arrêt, mais aussi en ce qui concerne les mesures de sauvegarde en place. Aucune mesure de sauvegarde ne sera en place après le 6 juin. Les demandes d'exemption que les citoyens peuvent adresser actuellement à la Cour supérieure de leur juridiction ne seraient plus en place.
Si vous me permettez de parler brièvement de ce qu'a dit le sénateur Joyal au sujet de la constitutionnalité de la loi, je me réjouis que nous ayons pu publier notre document explicatif. Il parlait des considérations relatives à la Charte dont tient compte ce projet de loi. Même si nous en avons parlé, cela ne veut pas dire que notre loi est inconstitutionnelle. Je suis certaine qu'elle est conforme à l'arrêt Carter et qu'elle résisterait à un examen constitutionnel rigoureux parce que nous nous acquittons de nos responsabilités de parlementaires en veillant à élaborer un cadre réglementaire complexe pour le Canada. C'est ce que nous avons fait, en tenant compte de la diversité des opinions et nous avons cherché à assurer l'équilibre absolument nécessaire entre les droits, l'autonomie personnelle, dans ce cas-ci, et la protection des personnes vulnérables.
La sénatrice Lankin : Je me suis penchée sur la question des directives préalables. Du point de vue des professionnels de la santé, cette loi crée une exemption pour les protéger contre les poursuites pénales.
Lorsqu'un professionnel de la santé respecte une directive préalable de ne pas ressusciter donnée par un patient souffrant d'un cancer du cerveau, nous pouvons supposer qu'on n'attend pas de lui une intervention héroïque, mais du confort et l'absence de douleur. J'ai parlé avec votre collègue de la différence entre l'administration d'une substance et le retrait d'une substance lorsqu'un ordre de ne pas ressusciter a été donné. Si un médecin administre de la morphine ou des antalgiques qui provoquent une dépression respiratoire entraînant la mort — et cela se produit constamment — pouvez-vous m'assurer qu'il ne sera pas poursuivi parce qu'il l'a fait en respectant une directive préalable?
Mme Wilson-Raybould : Pour ce qui est des pratiques actuelles des médecins sur le plan de...
La sénatrice Lankin : Compte tenu de l'interdiction de faire une demande anticipée pour l'aide médicale à mourir. Dans le genre de situations qui se produisent aujourd'hui avec les directives préalables, ce professionnel de la santé risquerait-il maintenant d'être poursuivi parce qu'il agit dans le cadre d'une directive préalable qui est interdite par la loi et ne figure pas dans les exemptions à l'égard des poursuites pénales?
Mme Wilson-Raybould : Comme vous le savez sans doute mieux que moi, cela se produit dans les hôpitaux de tout le pays. Je suppose qu'il n'y aura pas plus de risques pour le médecin avec la loi sur l'aide médicale à mourir.
Comme vous le savez, nous allons étudier la question des directives préalables et les questions que suscitent les ordres de ne pas ressusciter ou les cas de sédation palliative dont vous parlez; autrement dit, lorsqu'on répond au souhait du patient en fin de vie ou on adoucit ses souffrances au maximum. La question que nous devons examiner davantage est l'apport de l'aide médicale à mourir dans le contexte des directives préalables.
C'est une question extrêmement complexe. Vous avez reconnu en avoir fait vous-même l'expérience personnelle, comme bien d'autres Canadiens. Nous en entendons parler lorsque nous allons dans les assemblées publiques. Ce ne sont pas des questions faciles. Les discussions reflètent un changement d'attitude à cet égard. Elles ont contribué à nous éclairer. Les Canadiens s'intéressent beaucoup à la question, la discussion ne s'arrêtera pas là et je compte bien la poursuivre.
Le président : Merci, madame la ministre. Nous apprécions vivement votre présence ici et vos réponses aux questions des sénateurs.
Comme il nous reste environ une heure, nous avons demandé aux fonctionnaires de la Santé et de la Justice de s'avancer à la table. Vous pouvez adresser vos questions au ministère de votre choix.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de rester aussi longtemps pour répondre à nos questions.
Je voudrais parler des tierces parties. Cela m'intéresse beaucoup. Je crois qu'il peut s'agir de médecins ou d'infirmiers praticiens et qu'une exemption est prévue pour les personnes qui les aident. Le projet de loi dit « Ne participe pas... la personne qui fait quelque chose en vue d'aider un médecin ou un infirmier praticien... » Je serais curieuse de savoir quelles sont les personnes à qui vous pensiez.
Mme Klineberg : Merci, sénatrice. Cela pourrait être diverses personnes susceptibles de jouer un rôle en aidant le médecin ou l'infirmier praticien au cours des différentes étapes conduisant à l'aide médicale à mourir. Par exemple, on pourrait demander à un travailleur social ou à un psychologue de rencontrer le patient ou sa famille pour aider à établir si le patient fait ce choix volontairement, ou s'il y est poussé par un membre de sa famille, par exemple.
Nous avons aussi envisagé la possibilité qu'un avocat à l'emploi d'un grand hôpital soit chargé d'examiner à l'avance toute la paperasserie pour s'assurer que tout est en ordre.
Selon une analyse juridique technique, chacun de ces actes, si son auteur sait que cela servira à fournir l'aide médicale à mourir, pourrait rendre ce dernier complice de ce qui serait autrement un homicide ou l'infraction d'aider une personne à se suicider. C'est ce que craignaient divers autres fournisseurs de soins de santé, dans une large mesure, mais comme il se peut que d'autres types de personnes interviennent, le libellé s'applique à tous. Néanmoins, ces personnes doivent savoir qu'elles aident un médecin ou un infirmier praticien à fournir ce service conformément au régime prévu par la loi.
La sénatrice Jaffer : Une des choses qui m'inquiètent vraiment dans ce projet de loi c'est la notion de consentement éclairé. J'ai essayé d'en trouver la définition, mais sans succès.
Je vois deux scénarios. Le premier est l'euthanasie volontaire où vous devez pouvoir donner votre consentement presque à la fin. L'autre est le suicide assisté pour lequel vous vous adressez à votre médecin. Vous obtenez une prescription. Vous allez chez le pharmacien. Vous achetez la substance et vous la gardez dans votre réfrigérateur jusqu'à ce que vous décidiez de mettre fin à votre vie.
À ce moment-là, quand vous décidez de mettre un terme à votre vie, il n'y a pas de consentement à donner, n'est-ce pas? Vous pouvez agir quand vous êtes prêt. Ai-je bien compris?
Mme Klineberg : En ce sens qu'aucun médecin ou infirmier praticien n'obtient de nouveau votre consentement, en effet.
La sénatrice Jaffer : Par conséquent, vous donnez votre consentement lorsque vous obtenez la prescription, ce qui peut avoir lieu deux ans avant.
Mme Klineberg : Oui.
La sénatrice Jaffer : Cela peut poser des problèmes pratiques, par exemple si la prescription est valide pour six mois. Le consentement éclairé pourrait donc avoir été donné deux ans plus tôt, après quoi il n'y a plus rien.
Mme Klineberg : Oui. C'est principalement dû aux limites du droit pénal.
Du point de vue de la législation en matière de santé, il est à noter que les provinces et les territoires pourraient imposer des protocoles et des paramètres relatifs à l'aide médicale à mourir lorsqu'elle revêt la forme d'un suicide assisté par le médecin. Ils pourraient prévoir des protocoles exigeant que l'intéressé s'administre lui-même la substance en présence de quelqu'un d'autre dans le cadre d'une loi sur la santé; néanmoins, en matière de droit pénal, l'acte qu'une personne commet en privé pour mettre fin à sa propre vie n'est pas interdit ou réglementé par le droit pénal. Le droit pénal s'y intéresse seulement lorsqu'une tierce personne intervient. C'est en grande partie en raison de ses limitations.
J'ajouterai seulement un peu de contexte à ce sujet. Le Groupe consultatif provincial-territorial d'experts a demandé d'autoriser à la fois l'euthanasie et le suicide assisté par un médecin ou l'aide médicale au suicide. Il a recommandé d'offrir l'aide médicale au suicide y compris de la façon non supervisée que prévoit la loi. À son avis, cela augmente le maximum d'autonomie de l'intéressé qui peut choisir exactement le moment qui lui convient et sait qu'il disposera du médicament voulu lorsque son état changera.
Je mentionnerais aussi que c'est un modèle qui se fonde sur celui des États américains. À l'heure actuelle, quatre États américains autorisent uniquement le suicide assisté par un médecin et c'est basé sur le modèle selon lequel le patient peut obtenir la substance et l'emporter chez lui.
Ce sont là des considérations supplémentaires qui pourraient vous aider à mieux comprendre cette approche.
Le sénateur White : Encore merci pour vos réponses.
Certains éléments doivent avoir échappé à mon attention, car beaucoup de choses peuvent se passer en 24 mois. La santé mentale du patient n'est plus vraiment pertinente s'il garde la substance dans son réfrigérateur ou son armoire comme un pistolet chargé. De nouveaux traitements sont peut-être disponibles. Il n'y a pas de freins et de contrepoids pour s'assurer qu'on a vraiment examiné si le contexte n'a pas changé, n'est-ce pas?
Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Secteur des politiques, ministère de la Justice Canada : Merci, sénateur White. Les deux ans que la sénatrice Jaffer a mentionnés étaient hypothétiques.
Pour obtenir une prescription, vous devez satisfaire à tous les critères. Vous devez d'abord souffrir d'une maladie incurable. Vous devez éprouver des souffrances intolérables. Le médecin doit avoir fait un diagnostic confirmant que votre état de santé a évolué et que votre décès est « raisonnablement prévisible ». Vous ne pouvez donc pas obtenir une prescription à l'avance pour une substance que vous prendrez dans deux ans ou cinq ans. Vous ne pouvez pas obtenir une prescription pour une directive préalable.
Vous devez être admissible. Autrement dit, pour obtenir la prescription, vous devez remplir les critères permettant au médecin de vous injecter la substance, mais au lieu qu'il vous l'injecte, vous décidez de mourir dans votre lit, chez vous, entouré de votre famille plutôt qu'à l'hôpital, ou vous dites : « Je préférerais me rendre au chalet pour y mourir parce que c'est très paisible. » Le médecin ne va pas faire deux heures de route jusqu'au chalet pour vous regarder mourir.
Telle est la raison. Vous conférez davantage d'autonomie au patient si vous lui permettez de prendre le médicament à sa convenance, au moment qui lui convient, afin d'avoir une mort paisible. Comme l'a dit la ministre, nous donnons aux Canadiens le droit à une mort paisible lorsqu'ils sont mourants. L'intéressé est donc déjà proche de la mort. Vous ne pouvez pas obtenir le médicament avant de satisfaire aux critères.
Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir sur l'alinéa 241.2(2)d) proposé, celui qui énonce le nouveau critère :
d) sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l'ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie.
Vous êtes probablement au courant de deux cas dont Radio Canada a fait état au Québec. Une personne qui souffrait d'une maladie — une maladie incurable — n'a pas pu obtenir l'aide d'un médecin pour mourir parce que sa mort n'était pas suffisamment proche en vertu de la loi québécoise. Pour avoir droit à l'aide médicale à mourir, cette personne a dû faire la grève de la faim et s'abstenir de boire tout liquide jusqu'au point où le médecin a conclu qu'elle mourrait dans des souffrances intolérables. Bien entendu, si vous cessez de boire, tous vos muscles se contractent et vous souffrez. Le médecin lui a alors prescrit le médicament.
L'objection que je vois à ce nouveau paragraphe est qu'il va perpétuer cette situation. Cela me semble tout à fait inhumain et contraire à ce que la cour a décidé dans l'arrêt Carter en vertu du droit accordé par l'article 7. Vous ne pouvez pas pousser les gens à se placer dans une situation intolérable pour avoir accès à l'aide médicale à mourir. Et ce n'était certainement pas l'objectif de l'arrêt Carter quand le jugement a été rendu public.
J'espère que nous aurons l'occasion d'avoir ici comme témoins — j'ai proposé le nom de personnes qui ont joué un rôle dans cette affaire au Québec. Les médias en ont beaucoup parlé. Il y a eu deux cas de ce genre.
J'ai donc l'impression que les critères supplémentaires que vous avez prévus ici entraîneront des situations horribles et cela a été rapporté publiquement dans tous les détails.
Je crois qu'avant d'accepter ces critères, nous devons évaluer leur impact par rapport au médecin qui doit se prononcer sur le fait que la personne est mourante alors qu'en réalité le principal critère est la souffrance. C'est le principal critère dans l'arrêt Carter.
En ajoutant cela, vous allez confirmer le genre de situation que je viens de vous décrire.
Simon Kennedy, sous-ministre, Santé Canada : Sénateur, je pourrais peut-être parler des principes sur lesquels repose le projet de loi, et le ministère de la Justice pourra ensuite parler de certains aspects juridiques.
Les ministres ont mentionné ici, ainsi que devant la Chambre des communes, plus tôt cette semaine, que trois approches différentes pouvaient être prises pour concevoir la loi. L'une d'elles était de fixer une période de temps arbitraire pendant laquelle le décès était jugé prévisible. C'est le cas dans certains États américains où il faut que le pronostic des médecins prévoie votre mort dans les six mois. Néanmoins, nous avons largement la preuve qu'il est très difficile de faire ce genre de pronostic. Si vous le faites, c'est arbitraire dans une certaine mesure étant donné qu'il y aura des personnes autrement non admissibles qui vivront un peu plus longtemps. C'était donc une solution.
Une autre aurait été de ne pas inclure la notion de mort « raisonnablement prévisible », ce qui aurait donné quelque chose de beaucoup plus vague que la teneur du projet de loi. Les ministres ont mentionné que cela augmenterait toutes les craintes à l'égard des personnes vulnérables, que l'absence du critère selon lequel le décès doit être « raisonnablement prévisible » dans les circonstances, augmenterait les craintes au sujet des personnes vulnérables.
Le gouvernement a essayé de tenir compte de tout cela, c'est-à-dire des inquiétudes que vous avez soulevées à l'égard des personnes qui éprouvent des douleurs et des souffrances terribles en protégeant contre un décès prématuré les personnes vulnérables qui ne voudraient peut-être pas qu'on les aide à mourir ou qui pourraient subir des pressions.
La loi cherche à tenir compte de ces différentes situations en exigeant que le décès soit raisonnablement prévisible, mais en laissant un professionnel de la santé porter ce jugement. Le soin d'examiner l'ensemble de la situation du patient et de juger que le décès est raisonnablement prévisible est laissé au professionnel de la santé. C'était un choix délibéré.
Ce n'est pas vraiment une loi conçue pour que les personnes qui souffrent terriblement puissent décider de mettre fin à leur vie. C'est un projet de loi pour les personnes qui se trouvent effectivement dans cette situation, mais pour qui la mort est proche, afin qu'elles puissent partir paisiblement. Le gouvernement a fait là un choix politique délibéré. Je crois que le ministère de la Justice a conclu que c'est conforme à la Charte.
Je pourrais peut-être parler un peu plus de la légalité.
Le président : Vous pourrez le faire au deuxième tour.
La sénatrice Batters : Avant l'arrivée de la ministre de la Santé, Mme Klineberg était en train de répondre aux questions que la sénatrice Jaffer et le sénateur White avaient posées au sujet de cette disposition.
Madame Klineberg, quand vous avez donné cette réponse tout à l'heure, vous avez dit que, dans le cas du suicide médicalement assisté, le patient pourrait recevoir une ordonnance deux ou trois ans avant de s'en servir.
Monsieur Piragoff, vous avez dit tout à l'heure que c'était hypothétique. Mais c'est une question hypothétique que nous avons posée hier, lors de la séance d'information, et le représentant de votre ministère a dit que c'était une hypothèse valide.
Le cas que je vous signalerais est celui d'un membre de la famille ou d'une personne sans scrupules, malheureusement, qui pourrait influencer ce patient ou même faire pire que cela sans que vous le sachiez, car aucune mesure de sauvegarde supplémentaire n'est prévue dans cette situation.
Tout à l'heure, quand vous avez répondu à une de mes collègues, madame Klineberg, vous avez fait référence à la loi des États américains à cet égard. Néanmoins, dans les quelques États en question, la loi exige que la maladie soit mortelle et en phase terminale. Le délai ne serait probablement pas bien long. Je me demande si vous pourriez nous fournir un peu plus de renseignements que tout à l'heure, madame Klineberg.
Mme Klineberg : Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Piragoff. Je précise seulement qu'avant que la prescription ne soit donnée, il faut que toutes les conditions d'admissibilité soient remplies. Il faut donc que deux praticiens de la santé habilités à le faire jugent que l'intéressé va bientôt mourir. Quant à savoir combien de temps cela peut prendre, c'est une question hypothétique à laquelle nous ne sommes pas en mesure de répondre.
Pour ce qui est des gens sans scrupules qui exerceraient des pressions ou profiteraient d'une personne dans cette situation, des interdictions pénales très graves visent ce genre de conduite. Toute personne qui conseille, influence ou essaie d'inciter une autre personne à prendre elle-même les médicaments commettrait une infraction pour laquelle il n'existe pas d'exemption. Cette infraction est punissable de 14 ans d'emprisonnement. Toute personne qui prendrait les médicaments et chercherait à les administrer directement à l'intéressé serait responsable d'avoir causé sa mort et pourrait être accusée d'homicide volontaire et plus précisément de meurtre. C'est ce que peut faire le droit pénal. Le droit pénal peut interdire ces formes de conduite.
La sénatrice Batters : Je suis d'accord sur ce point. Espérons seulement qu'avec ce régime nous aurons connaissance de ce genre de choses.
Monsieur Pentney, quand vous avez comparu plus tôt avec la ministre de la Justice, vous avez dit tous les deux que les provinces canadiennes pourraient interdire aux infirmiers praticiens d'accorder une aide médicale au suicide même si votre projet de loi prévoit l'intervention soit d'un médecin soit d'un infirmier praticien. Je me demande si vous pourriez m'indiquer la disposition du projet de loi qui le prévoit. J'ai jeté un rapide coup d'oeil après avoir entendu votre réponse et je me demande si vous vous référez uniquement à la définition d'un « infirmier praticien ».
M. Pentney : C'est la définition exacte. Cela désigne un infirmier agréé qui, en vertu du droit d'une province...
La sénatrice Batters : peut exercer en tant qu'infirmier praticien. Ce n'est pas limité.
M. Pentney : À la page 7, paragraphe (7) :
L'aide médicale à mourir est fournie avec la connaissance, les soins et l'habileté raisonnables et en conformité avec les lois, règles ou normes provinciales applicables.
La sénatrice Batters : Ce sont les deux seules dispositions?
M. Pentney : Oui.
La sénatrice Batters : À bien des égards, le projet de loi semble compter sur les provinces ou les organismes de réglementation pour prendre des mesures importantes et nous pourrions nous retrouver avec des situations très différentes d'un bout à l'autre du pays. Cela ne vous inquiète pas?
M. Pentney : Comme les ministres l'ont dit clairement, en exerçant son pouvoir de légiférer en matière pénale, un pouvoir fédéral qui s'applique d'un bout à l'autre du pays, le gouvernement cherche à établir des paramètres de référence. Le Canada étant un État fédéral et unique au monde où nous exerçons le pouvoir de légiférer en matière de droit pénal à l'égard d'une procédure médicale qui est un domaine de la compétence du gouvernement fédéral et des provinces, comme la Cour suprême du Canada l'a reconnu dans une série de jugements, le gouvernement s'est engagé à assurer une certaine uniformité reconnaissant que les provinces et territoires ont un rôle à jouer dans la réglementation des médecins et de la conduite, des attentes, des normes et des lignes directrices de la profession.
Nous avons vu un certain nombre de provinces commencer à exercer leur compétence en la matière. Le Québec a ouvert la voie. D'autres provinces ont maintenant émis des lignes directrices, certains tribunaux se sont prononcés à l'égard de la conduite à suivre pendant la période intérimaire. Le gouvernement cherche à assurer une certaine uniformité et nous travaillons activement avec les représentants des provinces et des territoires pour mettre ce régime en oeuvre.
Néanmoins, la Cour suprême du Canada a aussi déclaré clairement qu'il y avait des limites aux pouvoirs du gouvernement fédéral. Sa décision concernant la reproduction humaine assistée prescrivait clairement les limites que le gouvernement fédéral ne peut pas dépasser pour réglementer la pratique médicale.
Nous essayons de résoudre ces questions d'une façon unique au monde, mais le gouvernement s'efforce d'assurer un degré d'uniformité raisonnable en reconnaissant que les différentes provinces traitent actuellement les infirmiers praticiens de façon assez variable. Ce travail va continuer.
Le sénateur McIntyre : J'ai deux questions, une pour la Justice et l'autre pour la Santé.
La question pour la Justice concerne le rapport entre la loi québécoise et la loi proposée. La loi proposée prévoit à la fois le suicide assisté et l'euthanasie volontaire. La loi québécoise permet seulement l'euthanasie légale. Il y a également toutes sortes d'expressions différentes. Le Québec parle de « fin de vie » et la loi proposée utilise les mots « raisonnablement prévisible ».
Les deux lois peuvent-elles coexister en supposant que le projet de loi sera adopté, ou le Québec devra-t-il modifier sa loi pour répondre aux normes fédérales?
M. Pentney : Nous travaillons en collaboration très étroite avec les représentants des provinces et des territoires, y compris avec le Québec, pour voir quelles mesures ils pourraient décider de prendre si la loi fédérale est adoptée.
Vous avez raison de mentionner qu'il y a des différences entre la loi fédérale et la loi provinciale. Néanmoins, il y a, si vous voulez, une interdiction générale. Le projet de loi propose d'ajouter une sous-rubrique à l'interdiction pénale générale en disant que l'activité sera légale si elle répond aux conditions ci-après.
Le Québec a rempli en partie ces conditions. La loi fédérale ne l'obligerait pas à les remplir toutes.
L'arrêt Carter suscite une nouvelle série de questions. Je suis sûr que le Québec étudie soigneusement les répercussions que ce jugement pourrait avoir pour sa loi, que ce soit en vertu de la Charte fédérale ou de la Charte québécoise. Ce serait toutefois au Québec de décider et nous discutons activement avec cette province sur les moyens de faire concorder les lois. Ces discussions se poursuivront.
Une autre province pourrait décider de remplir seulement une partie des conditions compte tenu de la pratique médicale qu'elle autorise. C'est effectivement ce que le Québec a fait.
Le sénateur McIntyre : L'arrêt Carter semble avoir rassuré le Québec en ce qui concerne la loi.
M. Pentney : Je laisse à l'assemblée législative et aux fonctionnaires du Québec le soin de vous en parler.
Le sénateur McIntyre : Ma question suivante concerne la santé, surtout les personnes souffrant de troubles mentaux. Le projet de loi n'accorde pas l'aide médicale à mourir aux personnes souffrant de troubles psychiatriques et pourtant, les souffrances psychologiques répondraient aux critères d'admissibilité. D'après ce que j'ai compris, les personnes souffrant d'une maladie mentale auraient droit à l'aide médicale à mourir à la condition de satisfaire à tous les critères d'admissibilité. Je ne comprends pas très bien la distinction entre les personnes qui souffrent de troubles psychiatriques et celles qui souffrent de troubles psychologiques. Les personnes souffrant de troubles psychiatriques ne sont pas admissibles alors que celles qui ont des troubles psychologiques seraient admissibles à la condition de remplir tous les autres critères. Pourriez-vous m'expliquer cela, s'il vous plaît?
M. Kennedy : Je pense que la loi parle de souffrances, et de souffrances résultant d'une condition médicale. Les souffrances psychologiques peuvent faire partie des souffrances dont le médecin tiendra compte en faisant son évaluation, mais elles ne peuvent pas constituer le seul critère. Autrement dit — je pense que la ministre en a parlé tout à l'heure — les souffrances psychologiques, la maladie mentale ne peuvent pas être le seul critère. Cela peut faire partie de l'ensemble des facteurs qui entrent en ligne de compte.
Par exemple, une personne peut souffrir d'un certain type de maladie. Elle présente en même temps des troubles psychologiques — elle est dépressive ou éprouve certaines souffrances psychologiques — mais c'est en même temps qu'une maladie grave qui va peut-être entraîner sa mort dans un délai raisonnablement prévisible. Si vous avez rempli toutes les conditions prévues dans la loi, le simple fait que vous ayez ce trouble psychologique sous-jacent ne va pas vous exclure. Néanmoins, si le seul critère est un trouble psychologique, cela ne suffira pas, aux termes de la loi, à vous permettre d'avoir accès à l'aide médicale à mourir.
Le sénateur McIntyre : Même si vous souffrez d'une maladie mentale, vous restez admissible?
M. Kennedy : Exactement. Les ministres en ont parlé un peu. Il y a la question de la capacité à donner son consentement. Il faut que vous puissiez affirmer librement que tel est votre désir. Vous devez le confirmer.
Le sénateur McIntyre : Vous pouvez souffrir d'une maladie mentale, mais du moment que vous remplissez les autres critères, vous êtes admissible?
M. Kennedy : Exactement, sénateur.
Le sénateur Plett : Monsieur Piragoff, vous avez parlé de situations hypothétiques un peu plus tôt. J'ai examiné la raison d'être de certaines de ces dispositions. Dans certains cas, le pharmacien peut simplement donner un médicament à quelqu'un s'il est prescrit par un médecin. Vous avez dit, toutefois, que le médecin ne voudra peut-être pas faire deux heures de route pour aller jusqu'à un chalet. Je pense qu'une personne désireuse d'administrer une substance pour tuer une autre personne pourrait vouloir faire deux heures de route.
J'aimerais que vous me décriviez une situation où une personne va acheter ce médicament à la pharmacie. Pendant combien de temps peut-elle avoir ce médicament en sa possession et comment fait-elle pour administrer le médicament? Vous faites signe à Mme Klineberg de répondre et je suis d'accord. Que fait cette personne, du début à la fin?
Je crains qu'un médecin laisse une personne souffrant de troubles psychologiques se rendre jusqu'à un chalet pour se tuer. Je crains qu'elle puisse tuer quelqu'un en route vers le chalet où elle va se tuer. Pourriez-vous me décrire le processus?
Mme Klineberg : Le processus commence longtemps avant que le patient arrive à la pharmacie avec une prescription. Il commence quand cette personne adresse une demande par écrit après avoir été informée par un médecin ou un infirmier praticien que son décès est devenu raisonnablement prévisible. Elle fait une demande, par écrit, en présence de deux témoins indépendants. La personne est évaluée par un deuxième médecin ou infirmier praticien. Les deux praticiens déterminent qu'elle satisfait à tous les critères d'admissibilité. La personne peut alors obtenir du médecin ou de l'infirmier praticien une prescription qui sera alors remplie par le pharmacien.
Comme je l'ai déjà mentionné, il y a des limites à ce que le droit pénal peut faire pour réglementer les actes privés d'une personne qui désire mettre fin à ses jours, mais cela ne veut pas dire que le gouvernement ou les collèges des médecins des provinces et des territoires ne peuvent pas établir des protocoles à ce sujet.
Le sénateur Plett : Vous renvoyez constamment la balle aux provinces et aux territoires alors qu'il s'agit d'une loi fédérale. Vous avez rédigé un projet de loi que nous sommes censés adopter. Toutes les questions que j'ai posées semblent être du ressort non pas du gouvernement fédéral, mais des provinces.
Toutefois, vous me dites qu'une personne qui souffre de troubles psychologiques peut se promener pendant deux ans avec un médicament dans ses poches avant de décider de s'en servir et vous confiez ce médicament à quelqu'un qui présente des troubles psychologiques?
M. Piragoff : Si le médecin a des doutes au sujet des capacités du patient, il n'a pas à lui prescrire le médicament. Rien ne l'oblige à le faire.
Le sénateur Plett : Sauf que l'intéressé le lui demande.
M. Piragoff : Mais c'est au médecin de décider.
M. Pentney : Mme Klineberg a décrit le processus et le système, le fait que le patient doit satisfaire aux critères d'admissibilité énoncés dans la loi. Il doit avoir une pathologie, une invalidité ou une maladie lui causant des souffrances intolérables, un déclin important de ses capacités et son décès doit être raisonnablement prévisible. L'intéressé a fait une demande par écrit en présence de deux témoins du corps médical et il a un délai de réflexion de 15 jours. À part cela, le Québec dit qu'il est obligatoire que le médecin administre lui-même le médicament au patient et reste à son chevet jusqu'à son décès. C'est ce que dit la loi québécoise.
L'arrêt Carter considérait à la fois l'administration de la substance par le médecin et son auto-administration par le patient comme des exigences constitutionnelles possibles. La loi permettrait donc, lorsqu'un patient en est à ce stade, si c'est ce qu'il désire et s'il répond à tous les critères d'admissibilité, qu'un médecin lui administre la substance. La loi ouvre également la possibilité que le patient puisse avoir la substance en sa possession et décider des circonstances dans lesquelles il la prendra.
Cela dit, ce sont des médicaments souvent prescrits. Les provinces et les territoires contrôlent déjà la prescription et l'utilisation de ces médicaments. Le projet de loi propose de reconnaître les droits de l'intéressé à s'administrer la substance. Voilà ce que propose la loi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ma question est très générale. La santé relève des provinces en termes d'administration, un peu comme l'administration de la justice. Nous avons le Code criminel qui permet de baliser les sentences et le contexte dans lequel le juge peut donner ces sentences. Il y a les droits des criminels, mais il y a très peu de droits pour les victimes, comme on le sait.
Le sénateur Joyal : Au moins, soyez fier de la charte que vous avez proposée.
Le sénateur Boisvenu : Pourquoi la philosophie qui sous-tendait ce projet de loi n'était-elle pas plutôt une ouverture aux provinces par délégation? Un peu comme on le fait en justice? Quel était l'objectif de baliser de façon très restrictive l'usage de ce moyen qui est offert aux professionnels de la santé? Quel était l'objectif de restreindre plutôt que de laisser une porte plus ouverte aux provinces afin qu'elles puissent, à partir de leur vécu culturel et de leur spécificité, baliser elles-mêmes le travail des professionnels.
M. Kennedy : Je vais commencer par répondre à la question et laisser certains détails à mes collègues du ministère de la Justice. Nous avons eu bien des discussions avec nos collègues des provinces dans la préparation de cette loi et dans l'étude du sujet à la suite de la décision de la Cour suprême. Ils ont dit qu'ils étaient préoccupés face à la possibilité qu'il y ait de grandes différences entre les différentes juridictions. Globalement, les provinces ont indiqué un intérêt à avoir une certaine similarité ou une approche semblable à travers le pays. Nous étions très préoccupés, dans la préparation de la loi, par les préoccupations des provinces, et nous voulions éviter la possibilité qu'il y ait de grandes différences entre les juridictions, afin d'éviter également le tourisme médical et les problèmes qui pourraient en découler.
Le sénateur Boisvenu : Cette opposition n'a pas dû provenir du Québec.
M. Kennedy : Le Québec n'a pas vraiment exprimé de craintes par rapport à cette loi.
Le sénateur Boisvenu : La loi québécoise est moins restrictive que la loi fédérale.
M. Kennedy : L'idée, ici, c'est le Code criminel. Nous allons ouvrir une fenêtre et fournir un encadrement, dans un certain sens, mais c'est vraiment aux provinces, dans le vide qui a été créé dans le Code criminel, de déterminer exactement comment cela fonctionnera. Cependant, cette fenêtre a été créée dans le but de créer une similitude, une certaine approche commune partout au pays. Lorsque nous parlons de drogues et de processus pour les médecins et tout cela, ces aspects relèveront de la compétence provinciale. Dans le cas des infirmières praticiennes, ce sera aux provinces de déterminer exactement comment cela fonctionnera. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Madame Klineberg, le projet de loi prévoit une période d'attente de 15 jours, sauf si « la mort de la personne ou la perte de sa capacité à fournir un consentement éclairé est imminente ». Même si la loi parle d'une période d'attente de 15 jours, ce délai pourrait être réduit pour fournir immédiatement ce service, n'est-ce pas? Deux infirmiers praticiens pourraient juger que la mort ou la perte de capacité est imminente, n'est-ce pas?
Mme Klineberg : Oui, c'est exact. Je préciserais seulement que les autres exigences ne disparaîtront pas pour autant. Il faudra toujours une demande formulée par écrit en présence de deux témoins indépendants. Toutes les autres exigences sont maintenues. C'est seulement la période d'attente de 15 jours qui peut être réduite.
La sénatrice Batters : Elle peut être entièrement supprimée?
Mme Klineberg : Oui, si c'est ce que décident les praticiens de la santé.
Le sénateur Joyal : Ma première question concerne le cinquième « Attendu que » où il est dit « Attendu que le suicide constitue un important enjeu de santé publique ». Avez-vous songé au fait qu'une personne qui reçoit un diagnostic de maladie d'Alzheimer, qui sait que son état va se dégrader, pourrait mettre fin à ses jours immédiatement ou à court terme si elle n'a pas la possibilité de faire une demande anticipée?
Il y a de nombreux exemples de gens qui, lorsqu'ils reçoivent un diagnostic d'Alzheimer, se disent que leur état va tellement se dégrader que cela réduira leur qualité de vie à néant. En leur refusant la possibilité de donner un consentement anticipé, comme l'a mentionné la sénatrice Lankin, vous poussez cette personne au suicide.
M. Pentney : Le gouvernement reconnaît que les gens souffrent dans de nombreuses circonstances et un grand nombre de situations différentes. Comme les ministres et la loi l'ont dit clairement, cette mesure marque une importante phase de transition dans la loi canadienne. Le gouvernement s'est fermement engagé, comme le mentionne le préambule, à continuer d'examiner d'autres aspects de cet enjeu, y compris les demandes anticipées.
La loi ne refuse pas de reconnaître les nombreuses circonstances et dimensions de la souffrance humaine. Son objectif n'est pas de résoudre toutes les situations possibles. Il s'agit de répondre à une forme de souffrance particulièrement pertinente en raison de l'arrêt Carter, mais cela représente aussi pour le Parlement le choix à faire pour commencer, en sachant que les demandes anticipées soulèvent toute une série de questions et de complications qui exigent une évaluation et un examen plus poussés.
Le sénateur Joyal : Vu l'alinéa 241.1(2)d), « sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible... » et le lien avec une maladie incurable, n'est-ce pas, en fait, une décision médicale? Il est dit « ... compte tenu de l'ensemble de sa situation médicale... »
Si je comprends bien, il faut faire une évaluation complète du dossier du patient. En introduisant ce critère, ne contredisez-vous pas le fait qu'en permettant aux infirmiers praticiens d'apporter l'aide médicale à mourir, il s'agit d'un acte médical dont les médecins voudront se charger eux-mêmes et que les infirmiers praticiens ne seront pas autorisés à poser?
M. Pentney : Je ne sais pas trop comment répondre à cette question.
Premièrement, il s'agira effectivement d'une évaluation médicale. Elle sera faite par un praticien de la santé. Deuxièmement, quant à savoir qui sera ce praticien, cela dépendra de la nature et du champ de pratique autorisé pour la profession, je pense.
M. Kennedy pourrait peut-être ajouter quelque chose.
M. Kennedy : Le gouvernement a formulé ces dispositions en sachant que dans certaines provinces, les infirmiers praticiens sont autorisés à poser les mêmes actes généraux que les médecins. Au Québec, par exemple, ils travaillent sous la supervision d'un médecin, mais dans d'autres provinces — cela varie d'une province à l'autre — ils peuvent évaluer, diagnostiquer, prescrire et traiter les patients présentant certaines maladies. Selon les pouvoirs que leur confère leur organisme professionnel ou la province, ils peuvent fournir des services similaires à certains des services que fournissent les médecins.
L'autre préoccupation à laquelle le gouvernement a répondu, et que nous croyons importante, est la question de l'accès. Nous avons beaucoup de petites collectivités éloignées au Canada et on craignait vraiment, je pense, que les patients ne puissent pas avoir accès à ce service si une gamme plus large de praticiens de la santé n'était pas autorisée à le fournir.
Le sénateur Joyal : Ma dernière question concerne les contrats d'assurance-vie auxquels vous faites allusion au huitième « attendu que », en haut de la page 2. Vous dites que l'assurance est du ressort des provinces, mais si une province ne légifère pas pour reconnaître la légalité de l'aide médicale à mourir, ce serait un moyen d'empêcher certains patients d'exercer leurs droits. Comment conciliez-vous cela?
M. Pentney : Il y a eu des discussions avec le secteur de l'assurance-vie et de l'assurance-santé et je suis certain que ce secteur témoignera au sujet de cette question. Dans un certain sens, nous n'avons pas vraiment concilié cela, car la réglementation de l'assurance n'est pas du ressort du gouvernement fédéral. Cet « attendu que » exprime un espoir, un souhait et un désir, en quelque sorte, mais comme bien d'autres choses, dans notre merveilleuse fédération, ce n'est pas du ressort du gouvernement fédéral.
Le sénateur Joyal : Je comprends cela.
Le sénateur McIntyre : Le projet de loi contient 11 articles. J'attire votre attention sur le dernier, l'article 11, où il est dit que les articles 4 et 5 concernant les renseignements à fournir entreront en vigueur à une date fixée par décret tandis que d'autres articles entreront en vigueur au moment de la sanction royale. Pourquoi les articles 4 et 5 n'entrent-ils pas en vigueur lors de la sanction royale? Je suppose que c'est pour laisser le temps d'établir un système de collecte de données, n'est-ce pas?
M. Kennedy : C'est exact, sénateur. Dans l'intervalle, nous établirons un protocole avec les provinces et les territoires pour recueillir des données, mais nous voulons avoir un régime réglementaire. Nous discutons avec les provinces et les territoires de la forme qu'il pourrait prendre.
Le sénateur McIntyre : Vous avez donc besoin de ce délai dans l'intervalle?
M. Kennedy : C'est exact.
Le sénateur Plett : Je vais essayer encore une fois d'obtenir une réponse sans qu'on me dise que c'est du ressort des provinces. J'aurais dû la poser aux ministres, plutôt qu'aux fonctionnaires, mais je vais le faire quand même.
De nombreuses questions sont effectivement du ressort des provinces, comme vous l'avez dit et je l'accepte. Permettez-vous de parler de nouveau de la liberté de conscience. Au paragraphe 132 de l'arrêt Carter, la Cour suprême reconnaît expressément la nécessité d'un juste équilibre entre les droits que la Charte accorde aux patients et les droits que la Charte accorde aux médecins et autres professionnels de la santé; par exemple, le droit à la liberté de conscience.
Quel inconvénient y aurait-il à ce que le gouvernement fédéral fasse une loi portant sur l'objection de conscience au lieu de dire simplement qu'il laissera les provinces régler cette question? A-t-il peur de s'en charger? Car il en a le droit; il ne serait pas contraire à la Constitution que le gouvernement fédéral s'en charge.
M. Pentney : Selon notre interprétation, le gouvernement fédéral sortirait de son champ de compétence en prescrivant un champ de pratique ou des exigences médicales. Faire le contraire reviendrait à inclure dans la loi une clause qui donnerait de faux espoirs ou de fausses indications et qui serait légalement sans effet.
Qu'il y ait ou non une clause dans le Code criminel, je tiens à souligner que les médecins, les infirmières, les particuliers ont tous droit à la liberté de conscience que leur garantit la Charte et que ce droit ne sera ni augmenté ni modifié par l'inclusion d'une clause dans la loi pénale. Il existe une explication très technique quant aux raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas aller jusqu'à prescrire les champs de pratique des professionnels de la santé et ce qu'ils peuvent et doivent faire pour s'acquitter de leurs obligations professionnelles ou légales. Nous pensons que c'est clairement du ressort des provinces. Mais je soulignerais également que rien dans le projet de loi n'oblige un praticien de la santé à fournir ce service.
Le sénateur Plett : Bien, j'ai essayé. Merci.
La sénatrice Batters : Je voudrais faire suite à une question que le sénateur Joyal a posée au sujet de l'assurance-vie.
Cela ne crée-t-il pas deux catégories de victimes de suicide? Nous aurions les bénéficiaires d'une assurance-vie souscrite par un être cher qui s'est suicidé avec l'aide d'un médecin et qui pourraient avoir droit à des prestations; l'autre catégorie serait celle des personnes qui se suicident à cause d'une maladie mentale et qui n'y auraient pas droit. Étant donné que les statistiques montrent que 90 p. 100 des Canadiens qui se suicident souffrent d'une maladie mentale, comment justifiez-vous cela?
M. Pentney : Merci pour cette question, sénatrice.
Comme les deux ministres l'ont mentionné plus tôt, cette question a suscité un débat national sur un éventail de sujets qui vont bien au-delà des dispositions du Code criminel. L'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes discute activement avec les provinces et les territoires et nous veillerons à ce que ces discussions se poursuivent.
Le fait est que le projet de loi crée une exception à la loi pénale et donc un acte qui est légal si les critères sont remplis. Le gouvernement espère que lorsqu'une personne exercera les droits qu'il lui confère conformément à la loi et obtiendra l'aide médicale à mourir, sa situation sur le plan de l'assurance de personnes ne s'en trouvera pas compromise, en reconnaissant que ce domaine n'est pas de sa compétence.
La situation tragique des personnes qui s'enlèvent la vie dans les autres circonstances dont vous parlez est un sujet dont nous espérons que les Canadiens continueront de débattre et nous espérons aussi que l'Association des compagnies d'assurances de personnes et les autres parties intéressées continueront d'examiner s'il y a lieu d'apporter ou non d'autres ajustements à cette loi.
La sénatrice Lankin : Je suppose que cette dernière question s'adresse aux fonctionnaires et je leur demande de la transmettre à leurs ministres.
Je pense que les Canadiens désirent vivement ce projet de loi pour résoudre de nombreux problèmes et je crois que les sénateurs partagent ce désir. Il y a certaines choses que j'accepte entièrement et, en tant qu'ancienne élue provinciale, j'aurais poursuivi immédiatement le gouvernement fédéral devant les tribunaux s'il avait essayé de réglementer le champ de pratique des praticiens de la santé.
Cela dit, les réponses que vous nous avez données révèlent, je crois, l'importance de poursuivre la discussion, la complexité de ces questions et peut-être la polarisation des opinions. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles nous ne donnons pas encore à tous les Canadiens accès à ces dispositions de la loi, mais cela fera l'objet d'autres discussions.
Aujourd'hui, on nous a dit clairement que l'examen du projet de loi au bout de cinq ans couvrira l'ensemble de ces dispositions, la surveillance de son application et toutes sortes de choses. Les dispositions qui seront étudiées le seront dans le cadre d'un processus d'examen distinct qui n'a pas encore été fixé et les discussions avec les provinces n'ont pas encore eu lieu.
J'espère que vous ferez part de mon désir d'entendre les ministres préciser à quoi ressemblera ce processus et dans quel délai il se déroulera. Je pense que les gens ne sont pas prêts à attendre et ne veulent pas avoir à porter leur cause personnelle devant les tribunaux. S'ils peuvent compter sur un délai raisonnable pour que certaines de ces questions très importantes soient résolues, et sur un processus qui leur permettra de participer à ces discussions, cela pourrait rassurer certains d'entre nous. Sans cela, certains sénateurs auront sans doute beaucoup de difficulté à accepter l'absence de certaines dispositions dans ce projet de loi.
M. Pentney : Merci pour cette question. Je peux dire, au nom de M. Kennedy et moi-même, que nous sommes tout à fait prêts à faire part de ces questions aux ministres. Bien entendu, ces dernières examineront la transcription des délibérations et vous seront reconnaissantes de la nature et de la qualité de vos questions. C'est un dialogue important pour le Canada et vous apportez une contribution importante. Merci.
Le président : Il nous reste quelques minutes de plus et je tiens à ce que nous profitions de la présence des fonctionnaires.
La sénatrice Jaffer : Je voudrais revenir sur les demandes anticipées. Cela me préoccupe vraiment car au niveau provincial, nous pouvons demander qu'il n'y ait pas d'acharnement thérapeutique. La sénatrice Lankin a dit que si l'on ne déploie pas trop d'efforts, ce n'est pas grave, mais pour ce qui est d'obtenir de l'aide, vous avez dit qu'on ne pourrait pas faire de demande anticipée. Une personne malade qui désire vivre le plus longtemps possible pour profiter de ses enfants et petits-enfants pourrait conclure que si elle le fait, après il sera trop tard.
Monsieur Pentney, vous avez abondamment répondu à nos questions, mais nous entendons des gens dire que ce n'est pas suffisant. Nous avons attendu assez longtemps. Les gens éprouvent beaucoup de souffrance et n'ont pas accès aux tribunaux. Nous savons tous qui a accès aux tribunaux.
Comme l'a dit la sénatrice Lankin, nous avons besoin de réponses. Nous avons aussi des comptes à rendre aux gens qui nous disent : « N'acceptez pas cela, car le délai du 6 juin n'est pas la fin du monde. Vous devez faire plus pour que nous puissions mourir avec dignité. »
Je vous exhorte, encore une fois, à prendre exemple sur les autres pays qui autorisent les demandes anticipées. Je ne suis pas satisfaite des réponses que vous avez données.
Mme Klineberg : Je voudrais fournir quelques renseignements au sujet des lois des autres pays. Il n'y a, actuellement, que deux pays dans le monde qui permettent de faire une demande anticipée d'aide médicale à mourir lorsque le patient perd ses facultés.
En fait, permettez-moi de préciser : il y a quatre pays, mais deux d'entre eux — la Belgique et le Luxembourg — permettent seulement d'exécuter la demande anticipée une fois que la personne a perdu conscience de façon irréversible. Ce ne serait pas le cas pour les patients souffrant de démence ou de la maladie d'Alzheimer.
Le dernier pays à l'autoriser est la Colombie qui a adopté, l'année dernière, une résolution établissant le processus. Nous n'avons pas encore obtenu de renseignements en provenance de la Colombie pour savoir si c'est appliqué et dans quelles circonstances.
Le seul pays qui l'autorise et pour lequel nous avons des données provenant des études qui ont été faites, est la Hollande. Comme la ministre de la Santé l'a mentionné, je crois, quand elle était là tout à l'heure, il ressort très clairement des études et des données sur la façon dont cela a été fait en Hollande que, même lorsqu'une demande valide a été formulée, dans l'ensemble, les médecins refusent de la respecter. De nombreuses familles changent également d'avis le moment venu.
Nous n'avons pas vraiment de preuve de la façon dont cela se passe sur la scène internationale. Aucun pays n'a des données solides au sujet du désir des médecins d'administrer une substance causant la mort d'une personne qui est consciente, mais incapable d'exprimer ses désirs. C'est, je pense, une des raisons pour lesquelles on a décidé et souhaité d'étudier davantage la question.
Soit dit en passant, un des éléments déterminants qui ont amené les juges de première instance à déclarer la loi inconstitutionnelle est qu'il y avait des preuves du désir de médecins canadiens d'aider des patients comme Mme Taylor. Nous n'avons aucune preuve de leur désir de fournir ces services à des patients qui n'ont plus la capacité d'exprimer leur désir, mais qui restent conscients.
Encore une fois, au cours de nos discussions avec les provinces et les territoires, nous leur avons demandé de poser la question à leurs professionnels de la santé, mais il est possible qu'ils n'aient pas donné suite aux demandes qui ont pu être faites.
Voilà certaines des considérations supplémentaires qui ont, je pense, influé sur la décision du gouvernement.
M. Pentney : J'invite le comité à lire le rapport du groupe externe qui a été nommé et si possible, de convoquer certains de ses membres. Ils ont certainement tenu des consultations au niveau national et international et pourront parler des preuves qu'ils ont recueillies à cette occasion.
Le sénateur Plett : Je voudrais simplement me faire l'écho, du moins en partie, de l'observation de la sénatrice Jaffer, sans doute pour des raisons différentes.
Je suis d'accord avec ce qu'a dit un de nos collègues pendant la pause. Il n'y a sans doute jamais eu de projet de loi qui ait causé autant de désaccord pour autant de raisons différentes. Je crois aussi que le 6 juin n'est pas la fin du monde, mais je crois que le projet de loi est allé trop loin. Voilà mes raisons.
Assurons-nous d'avoir un projet de loi que la majorité des Canadiens pourront approuver. La sénatrice Lankin a dit que les Canadiens veulent quelque chose, mais nous ne savons pas encore s'ils veulent plus ou moins que ce que nous avons. Merci.
Le président : Merci à vous tous. La journée a été longue pour tout le monde. Nous apprécions votre patience et vos contributions à nos délibérations.
(La séance est levée.)