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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 9 - Témoignages du 11 mai 2016


OTTAWA, le mercredi 11 mai 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 14 h 15 pour examiner la teneur du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (aide médicale à mourir).

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, bienvenue, chers collègues, invités et membres du grand public qui suivent les débats du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Aujourd'hui, nous poursuivons nos audiences dans le cadre de l'étude préliminaire du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (aide médicale à mourir).

Durant la première heure, nous accueillons Jennifer Gibson et Maureen Taylor, les deux coprésidentes du Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir.

Merci à vous deux d'être là. Vous avez la parole.

Maureen Taylor, coprésidente, Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir : Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui pour parler du projet de loi C-14. Ma coprésidente, Jennifer Gibson, vous parlera de certaines des préoccupations soulevées dans le cadre des travaux de notre groupe consultatif d'experts. Avec la permission de Jennifer, je vais vous parler du point de vue des patients et des soignants, parce que les vraies personnes visées par cette discussion sont les personnes qui doivent vivre avec des souffrances intolérables.

Mon expérience personnelle touchant l'aide à mourir découle de mon défunt mari, le Dr Donald Low, qui est décédé en 2013, sept mois après avoir découvert qu'il était atteint d'une tumeur cérébrale inopérable. Toutes les complications qu'il craignait en fin de vie — paralysie, faiblesse, incapacité de parler ou de se toiletter — se sont concrétisées. Nous avons essayé en vain de trouver une façon de lui accorder un décès paisible et rapide, et, depuis, je défends le droit à l'aide médicale à mourir.

Mon époux aurait respecté tous les critères du projet de loi C-14. Son décès naturel était raisonnablement prévisible, sa situation médicale se caractérisait par un déclin avancé et irréversible de sa capacité, et sa maladie était incurable. Cependant, le projet de loi C-14 est déficient, et, si Don était ici, il vous dirait la même chose.

Même si l'expérience dans d'autres administrations nous apprend que la majeure partie des patients qui demanderont une aide à mourir en seront à un stade cancéreux avancé, le projet de loi C-14 exclurait d'autres patients qui ont des affections graves et irrémédiables et qui souffrent de façon intolérable, mais dont le décès n'est peut-être pas raisonnablement prévisible.

Vous avez d'autres personnes plus intelligentes que moi qui vous ont déjà dit que l'expression fera assurément l'objet d'une autre contestation judiciaire et que le gouvernement en sortira perdant. Il est évident que le projet de loi a été rédigé par des avocats et non par des personnes qui possèdent des connaissances en médecine.

La sclérose en plaques, la maladie de Huntington, la maladie de Parkinson, la sténose du canal rachidien, la SLA, la maladie d'Alzheimer... les patients qui affichent ces affections peuvent vivre pendant des années en souffrant de façon intolérable avant de mourir.

Le fait de refuser à ces patients la possibilité d'avoir recours à l'aide à mourir simplement parce que certains groupes les considèrent comme des populations vulnérables est une insulte à leur capacité de prendre leurs propres décisions de nature médicale.

Je travaille dans un hôpital où se trouve une unité qui accueille des patients ayant recours à un système de ventilation mécanique à long terme. Ils sont réveillés. Ils interagissent. Ils sont atteints de SLA, de sclérose en plaques ou de MPOC, des maladies évolutives qui leur enlèvent leur capacité de respirer par eux-mêmes. De temps en temps, certains de ces patients décident de faire déconnecter leur ventilateur. C'est ce qu'on appelle l'arrêt des soins.

Après avoir discuté avec leur famille et leur équipe médicale, ils ont droit de choisir cette option et, en passant, ils ne déconnectent pas les tubes eux-mêmes. Ils meurent dans les heures ou les minutes qui suivent.

Si nous acceptons ces décisions comme étant rationnelles, alors pourquoi avoir deux poids, deux mesures? Pourquoi ne pas respecter les droits d'autres patients dont la situation est pratiquement similaire à part le fait que leur survie ne dépend pas de machines? Pourquoi ces patients ne peuvent-ils pas prendre les mêmes décisions de mourir lorsque leur souffrance devient de plus en plus intolérable? L'intention et le résultat sont identiques.

De plus, je suis troublée par la définition de l'expression « graves et irrémédiables » dans le projet de loi C-14, qui inclut le mot « incurables ». Ma crainte, c'est que différents professionnels de la santé interpréteront cette norme différemment, ce qui signifiera un accès inégal à l'AMM pour les Canadiens.

La loi doit souligner que les patients n'ont pas à subir des traitements liés à leur affection médicale si ces traitements ne sont pas acceptables pour eux.

Passons aux directives anticipées. Je sais que certains d'entre vous sont tout particulièrement intéressés par cet enjeu, tout comme les Canadiens âgés de plus de 50 ans. Ils veulent avoir cette option.

Les raisons pour lesquelles le gouvernement exclut les directives anticipées pour les patients en perte de capacité semblent tenir au cas des Pays-Bas, où les directives anticipées sont légales, mais où les médecins les honorent rarement. Le gouvernement se demande donc pourquoi permettre quelque chose au Canada, si les médecins vont tout simplement en faire fi de toute façon? Je ne crois pas que c'est une assez bonne raison pour exclure les directives anticipées. Je crois que nous pouvons trouver un libellé qui permettra à un adulte compétent ayant fait l'objet d'un diagnostic comme la démence de définir d'avance les symptômes et les déficits qui, selon eux, doivent être considérés comme intolérables. En outre, s'ils sont frappés d'incapacité avant que ces symptômes se concrétisent, le médecin devrait être en mesure d'évaluer les souhaits communiqués d'avance et fournir l'aide à mourir. Sinon, ces patients sont pris au piège lorsqu'ils seront plus près d'un décès raisonnablement prévisible. Leur maladie leur aura enlevé leur capacité de présenter une demande, ce qui, selon moi, est cruel.

Dans son analyse du projet de loi C-14, le ministre de la Justice a déclaré que le projet de loi établit un juste équilibre : il privilégie le respect de l'autonomie lorsque la mort approche tout en donnant la priorité au respect de la vie. La meilleure façon de garantir le respect de la vie est d'offrir aux Canadiens l'option de vivre leur vie pleinement et entièrement comme ils le désirent jusqu'au moment où leur souffrance rend la vie intolérable.

Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup. Madame Gibson?

Jennifer Gibson, coprésidente, Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir : Merci beaucoup de m'avoir invitée aujourd'hui. Dans ma déclaration, je vais revenir sur un thème soulevé par Maureen, soit de mettre les patients au centre de la discussion.

Une approche axée sur les patients était un engagement central dans le cadre des travaux du Groupe consultatif provincial-territorial d'experts. Il s'agissait du cadre de référence du rapport du comité mixte spécial et la perspective prise par de nombreux témoins qui ont comparu devant vous. Peu après la communication du rapport du Groupe consultatif provincial-territorial d'experts, en décembre 2014, j'ai reçu un message, un courriel, d'un membre du public. Cette personne nous a remerciés — le Groupe consultatif provincial-territorial d'experts — d'avoir adopté une approche axée sur les patients et de ne pas avoir limité nos recommandations aux affections médicales assorties d'une probabilité de décès élevée. La personne a décrit brièvement sa situation médicale et fait remarquer que vient parfois un moment dans la vie d'un patient où l'équilibre entre la qualité de vie et le désir de prolonger la vie bascule. Du point de l'aide à mourir, cette personne a conclu qu'aucun patient ne prendra une telle décision et ne fera une telle demande à la légère.

Je conserve ce courriel en raison de sa générosité. Cette personne a tendu la main à un parfait inconnu — moi, en l'occurrence — pour donner un aperçu de l'expérience vécue d'une personne qui envisage d'avoir recours à l'aide à mourir.

Cela m'amène à ma première observation au sujet du projet de loi C-14. Qui sont les bénéficiaires du projet de loi C- 14? Pour le dire autrement, le projet de loi tient compte ou fait fi des souffrances de qui? Beaucoup de témoins ont souligné que Kay Carter n'aurait probablement pas respecté les critères d'admissibilité du projet de loi. En effet, il n'est pas du tout certain, selon moi, que la personne qui m'a envoyé le courriel aurait elle aussi pu respecter les critères.

Même s'il est raisonnable d'adopter une approche prudente tandis que nous apprenons de quelle façon offrir l'aide médicale à mourir au Canada, je vous prie de ne pas perdre de vue ceux dont la souffrance n'est pas prise en considération. Cela inclut ceux dont les décès ne sont pas raisonnablement prévisibles, mais dont les affections médicales sont tout de même graves et irrémédiables et dont la souffrance est permanente et intolérable. Comme les représentants des organismes de réglementation médicale l'ont dit hier, cela pourrait aussi signifier l'exclusion des mineurs matures, qui sont peut-être compétents.

Maureen et d'autres témoins ont déjà souligné les limites de la définition de « graves et irrémédiables », alors je ne reviendrai pas sur ces choses, mais je tiens à joindre ma voix à la leur en ce qui concerne leurs préoccupations.

L'un des domaines où le projet de loi C-14 s'en tire assez bien, c'est la description des mesures de sauvegarde procédurales. En effet, il y a un certain nombre de choses que le projet de loi C-14 fait bien, mais je vais m'intéresser ici précisément à la question des mesures de sauvegarde procédurales. Selon moi, elles établissent un juste équilibre, et, ici, je cite le préambule du projet de loi, lequel parle de l'autonomie des personnes qui demandent l'aide médicale à mourir, d'un côté, et les intérêts des personnes vulnérables qui ont besoin de protection et ceux de la société, de l'autre.

Il convient de signaler que ces mesures de sauvegarde procédurales sont très différentes de la façon dont les autres décisions en fin de vie — comme celles qui prolongent ou maintiennent la vie — sont prises de nos jours dans le milieu de la santé. Même si, pour ma part, je ne crois pas qu'il y a une distinction morale entre l'aide médicale à mourir et les autres interventions qui accélèrent la mort, je crois cependant que les mesures de sauvegarde procédurales soulignent la gravité de la décision et reflètent les pratiques exemplaires d'autres administrations.

Certains témoins que vous avez rencontrés ont recommandé que les mesures de sauvegarde procédurales soient accrues afin d'inclure l'examen préalable d'un juge. Il y a un certain nombre de raisons pour lesquelles cette recommandation doit être rejetée, comme des considérations pragmatiques liées aux coûts, à la rapidité et à l'accès. Cependant, du point de vue du patient, la raison la plus importante est le fardeau que cela constituerait pour les patients en fin de vie et leur famille, sans mentionner le fait que cela perturbera la continuité des soins de santé que nous tentons tous de favoriser. On peut tirer une leçon de la situation d'A.B., la première personne en Ontario qui a bénéficié d'une exemption constitutionnelle afin d'avoir accès à l'aide médicale à mourir. Une fois la décision de la Cour supérieure de l'Ontario rendue, A.B. a déclaré ce qui suit :

Mon seul regret au cours des derniers mois, c'est que ma famille et moi avons dû consacrer le peu d'énergie qui me restait pour lutter devant les tribunaux. J'espère que notre gouvernement jugera bon d'apporter des changements permanents à la loi afin qu'aucune autre famille n'ait à refaire ce que j'ai fait à l'avenir.

Enfin, je vais conclure mes commentaires en vous demandant d'inclure un libellé plus ferme dans le préambule en ce qui a trait aux engagements non législatifs du gouvernement fédéral. Plus particulièrement, j'aimerais que les délais accordés pour réaliser une étude sur les mineurs matures, les directives anticipées et les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée soient plus courts. J'aimerais aussi qu'on y ajoute, comme l'ont recommandé le Groupe consultatif provincial-territorial d'experts, le comité mixte spécial et la Société canadienne des médecins de soins palliatifs, un engagement explicite pour créer une commission pancanadienne chargée de promouvoir la qualité et l'accessibilité des soins palliatifs et des autres mesures de soutien en fin de vie à l'intention de tous les Canadiens.

Merci. J'ai hâte à notre discussion.

Le président : Merci. Nous allons commencer justement la discussion avec la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci, madame Taylor et madame Gibson, de nous avoir présenté vos exposés, qui étaient vraiment très poignants. Madame Taylor, vous avez parlé des directives anticipées. Vous savez que c'est une question qui nous préoccupe. Vous avez bien expliqué la situation, alors je ne vais pas vous poser une question à ce sujet.

Madame Gibson, vous avez parlé de la question des tribunaux, mais le principal problème avec les tribunaux, comme nous le savons tous, c'est qu'un patient doit avoir les ressources et la capacité de se tourner vers les tribunaux, et comme nous le savons tous — et notre comité le découvre — l'accès aux tribunaux n'est pas facile. Il y a beaucoup de problèmes à ce niveau.

J'ai un genre de question technique pour vous deux. J'ai vu dans votre rapport final que vous dites qu'une demande d'aide médicale à mourir devrait être présentée par l'intermédiaire d'un formulaire valide de déclaration du patient et que les provinces et les territoires devraient établir les exigences concernant la mise en œuvre de ces formulaires. La notion de consentement éclairé est étroitement liée à l'enjeu de ces formulaires. Durant l'audience, un témoin de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire a déclaré que seulement cinq provinces et territoires avaient établi des normes législatives en matière de consentement éclairé.

De quelle façon procéderait-on pour créer un tel formulaire national et de quelle façon voudriez-vous qu'on assure l'uniformité à l'échelle des provinces et des territoires en ce qui concerne l'établissement de normes sur le consentement éclairé?

Je conviens que ma question est technique — et vous voudrez peut-être prendre un peu de temps pour y réfléchir — alors je ne veux pas vous mettre de pression. Si c'est le cas, vous pourriez sans problème fournir votre réponse plus tard au greffier, qui nous en préparera une copie. Libre à vous. Si vous pouvez répondre maintenant, c'est parfait.

Mme Taylor : Je suis une auxiliaire médicale. En raison de ma formation dans le domaine de la médecine, comme celle de tous les médecins et de tous les membres du personnel infirmier... Nous recevons une formation à l'école pour évaluer la compétence et la capacité des patients. Bien sûr, nous savons que le patient doit comprendre la gravité de sa maladie et les répercussions du traitement dont il fait l'objet afin d'accepter ou de rejeter une thérapie. Selon moi, même si l'adoption d'une norme uniforme à l'échelle du pays peut être une bonne chose, c'est en partie déjà intégré dans les normes des écoles de médecine. C'est ce que je voulais dire. Pour le reste, vous avez raison, c'est une question un peu plus technique.

Pour nous, dans la mesure du possible, les Canadiens devraient avoir accès à un formulaire de déclaration valide, peu importe où ils vivent. Il ne devrait pas y avoir d'inégalité, alors nous aimerions que toutes les provinces et tous les territoires se réunissent à un moment donné afin de définir le genre de normes dont vous parlez.

La sénatrice Jaffer : Vous avez parlé de votre déception. Nous savons qu'une bonne partie du domaine de la santé et même l'exploitation du système de justice sont de compétence provinciale, puis il y a l'échelon fédéral. Vous avez toutes les deux eu beaucoup de temps pour y réfléchir. À quoi espériez-vous que le leadership fédéral ressemble dans un tel dossier?

Mme Gibson : Je serais heureuse de tenter une réponse. De bien des façons, je crois que la portée générale du domaine de compétence fédérale qui a été définie est probablement appropriée. Dans le cadre des délibérations du comité, nous avons tenté de déterminer quels aspects de la question devraient relever des provinces et des territoires et des organismes de réglementation et quels aspects devaient relever du fédéral et l'équilibre que vous avez choisi est similaire à ce que nous espérions.

Cependant, il y a quelques questions qui ont été soulevées dans le cadre de certaines des discussions des comités, à la Chambre et au Sénat, en ce qui a trait aux enjeux liés à l'objection de conscience. Selon nous, cela devrait relever de la réglementation provinciale-territoriale plutôt que de la compétence fédérale.

Je dirais que, de façon générale, c'est probablement assez bon, mais les provinces, les territoires et les organismes de réglementation ont encore beaucoup de travail à faire pour cerner les détails.

Le sénateur White : Merci à vous deux d'être là. Désolé d'être arrivé en retard.

J'ai deux questions rapides. La première concerne le texte législatif qui porte sur les médecins praticiens et le personnel infirmier praticien. Il est indiqué que, au bout du compte, on pourrait exiger la présence de deux membres du personnel infirmier praticien ou de deux médecins praticiens. Selon moi, un des deux devrait être un médecin praticien. Une de vous a-t-elle une opinion sur ce sujet?

Mme Gibson : Le groupe consultatif d'experts a réfléchi à cette question, et nous avons conclu que cela relevait vraiment du champ d'exercices. Tant que le champ d'exercices des médecins ou du personnel infirmier est suffisant pour réaliser le travail clinique nécessaire pour évaluer un patient, le reste importe peu. D'une province à l'autre, la question concerne, selon moi, davantage la définition du champ d'exercices, parce qu'il faut s'assurer d'une certaine uniformité en la matière.

On parle non pas de l'ensemble du personnel infirmer praticien, mais de ceux qui ont la compétence pour faire le travail.

Maureen, je ne sais pas si tu as quelque chose à ajouter, mais je crois que deux membres du personnel infirmier praticien feraient l'affaire. Ce serait tout à fait approprié.

Mme Taylor : Je suis auxiliaire médicale, alors ne comptez pas sur moi pour insulter les infirmières praticiennes et les infirmiers praticiens. C'est une question délicate.

Je suis d'accord que ça relève du champ d'exercices. N'oubliez pas, deux praticiens doivent évaluer le patient, et c'est une recommandation que nous avons formulée nous aussi. L'oncologue d'un patient peut être à Calgary, mais si le patient vit très loin, là où le membre du personnel infirmier praticien est le médecin de premier recours, on peut utiliser la télémédecine pour réaliser une évaluation à deux.

Le sénateur White : J'ai l'exemple parfait. Et je ne veux pas insulter le personnel infirmier praticien. En effet, j'ai passé 19 ans dans l'Arctique et je sais à quel point ces personnes sont importantes, mais je n'en ai jamais vu une procéder à l'insertion d'un drain thoracique dans un poumon sans appeler un médecin au téléphone et en discuter. Grâce à la télémédecine, il n'y a aucune raison de ne pas avoir accès à un médecin praticien.

C'est une question de champ d'exercices, mais cet enjeu n'est absolument pas abordé dans le projet de loi. Il pourrait s'agir d'un infirmier praticien diplômé depuis trois semaines qui n'a aucune expérience de la distinction entre des soins palliatifs et l'aide à mourir. Je suis d'accord qu'il faut exiger les deux, mais j'essaie de déterminer si c'est nécessaire de le faire — à ce moment-ci et en réfléchissant à l'examen dans cinq ans — pour ajouter de la légitimité au fait de prévoir deux praticiens en exigeant que l'un deux soit un médecin.

Mme Taylor : C'est de compétence provinciale, aussi. Même le personnel infirmier praticien dans les différentes provinces n'a peut-être pas le même champ d'exercices. Je crois qu'il faut laisser les provinces s'en occuper.

Le sénateur White : Je ne veux pas provoquer une dispute.

Ma prochaine question porte sur l'endroit dans le projet de loi où il est indiqué que le ministre de la Santé peut prendre des règlements, y compris des règlements pour recueillir des données et des renseignements. Je suis préoccupé par l'utilisation du mot « peut ». S'il était plutôt écrit dans le projet de loi « prendra », alors je ne me ferais pas de souci ici, parce que, selon moi, l'examen quinquennal fera en sorte que nous aurons les données afin de pouvoir en discuter. L'une de vous a-t-elle un avis quant à savoir si cet article devrait exiger la prise de règlements plutôt que simplement la suggérer?

Mme Gibson : Ce n'est pas une partie du libellé qui m'a sauté aux yeux, mais, maintenant que vous le mentionnez, la modification irait dans le sens des recommandations du groupe consultatif d'experts. Nous voulions une surveillance au niveau fédéral et une surveillance au niveau provincial. Si le changement de libellé permet de le faire, alors je crois qu'un libellé plus ferme est probablement préférable.

Mme Taylor : Les données sont cruciales pour étudier ce dossier, alors je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins de leurs excellents exposés.

J'aimerais vous poser une question au sujet des directives anticipées, un thème que vous avez abordé dans votre exposé. Dans le préambule du projet de loi, le gouvernement fait référence aux demandes anticipées. Il est mentionné que le gouvernement s'est engagé à élaborer des mesures non législatives visant à soutenir l'amélioration d'une gamme complète d'options de soins de fin de vie, notamment les situations liées aux demandes présentées par des mineurs matures et les demandes anticipées.

Actuellement, nous considérons que la question des demandes anticipées relève du provincial. Il y a 13 administrations au Canada, non? J'ai lu la plupart des lois qui autorisent les directives anticipées, mais je ne me rappelle pas combien d'administrations n'en ont pas. Il doit y avoir deux ou trois administrations qui n'ont pas de dispositions législatives précises à ce sujet.

Mme Taylor : Nous savons que ce n'est pas universel à l'échelle du Canada, mais — je suis désolée — je n'ai pas le chiffre exact.

Le sénateur Baker : Cependant, voici le problème. J'ai lu la plupart des projets de loi. Il est question de directives anticipées, et la loi est très explicite. Il faut obtenir un consentement écrit éclairé, et la loi couvre tous les aspects imaginables. Puis, lorsqu'on regarde les directives anticipées, disons, dans cette province — situation qui vous est peut- être familière —, une demande anticipée normale peut inclure une section comme celle-ci, qui précise : « Je refuse spécifiquement les choses suivantes... » Puis on mentionne la stimulation cardiaque électrique, mécanique ou par toute autre méthode artificielle ainsi que les respirateurs et les ventilateurs.

La section suivante est ainsi libellée : « J'exige spécifiquement ce qui suit : a) fournir la médication nécessaire pour contrôler ma douleur et contrôler mes symptômes, même si un tel médicament peut réduire le temps qu'il me reste à vivre », ce qui constitue déjà une directive anticipée conduisant à la mort, au Canada, dans une loi provinciale.

Lorsque le gouvernement réglera cette question, croyez-vous que cela se fera à l'échelon provincial — dans une loi provinciale, tout comme l'extrait que je viens de lire et qui, déjà aujourd'hui, permet de réduire l'espérance de vie d'une personne — que la nouvelle autorisation, qui sera maintenant légale, serait incluse par les provinces dans leurs lois? Est-ce ainsi que vous imaginez les choses?

Mme Taylor : Mon souci, c'est que si vous ne prévoyez rien à ce sujet et que vous ne vous prononcez pas, les provinces ne feront rien non plus.

Le sénateur Baker : Donc vous ne voyez pas de distinction entre la compétence fédérale dans ce domaine et la compétence provinciale? Les provinces se sont saisies de ce dossier. Nulle part n'y a-t-il de chevauchement fédéral en ce qui a trait aux directives anticipées. On dirait que les provinces ont tout simplement accaparé ce dossier, et que le gouvernement fédéral s'en est tenu loin. Mais vous suggérez maintenant au gouvernement fédéral de prendre une mesure proactive et de se mêler de cette question — les directives anticipées —, question qui, jusqu'à présent, relevait uniquement de la compétence provinciale.

Mme Taylor : Je vois ce que vous voulez dire. Nous parlions des directives anticipées en venant ici. Jennifer, qui est bioéthicienne, s'y connaît beaucoup plus que moi. J'ai probablement la même directive anticipée dans mon testament, mon père est un avocat successoral. J'ai été surprise d'apprendre que ce n'est pas un document juridiquement contraignant en Ontario. En fait, si une personne est inconsciente, sa famille peut dire : « Non, non, non, nous voulons que vous fassiez tout ce qui est possible. Intubez-la », et les médecins poseront le tube.

Le sénateur Baker : Je ne suis pas d'accord avec vous ici. Dans un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario de 1991 et un arrêt de la Cour supérieure de l'Ontario de 1990, il est dit que, aujourd'hui, les médecins doivent — doivent — respecter les directives. Ils n'ont pas le choix.

Mme Taylor : Sur le terrain, ce n'est pas ce que je vois.

Le sénateur Baker : Je comprends le problème que vous soulevez : si les provinces ne le font pas... vous craignez que toutes les provinces ne le feront pas, et c'est pourquoi vous voulez que le gouvernement fédéral le fasse dans le projet de loi.

Mme Taylor : Il faudrait au moins que ce soit possible. Le projet de loi C-14 fait en sorte que ce n'est pas possible, alors aucune province ne peut affirmer que des directives anticipées seront permises si le projet de loi C-14 est adopté tel quel. Il faudrait au moins en faire une possibilité.

Le sénateur Baker : Je ne comprends pas. Qu'est-ce qui empêcherait les provinces de permettre des directives anticipées?

Mme Taylor : Parce qu'il est indiqué que ce n'est pas possible, non?

Le sénateur Baker : Non, ce n'est pas le cas. Le projet de loi n'aborde absolument pas la question des directives anticipées. Il est indiqué que le gouvernement fédéral se penchera sur cette question et qu'il rencontrera ensuite les provinces. J'imagine que, au bout du compte, ce sera une compétence provinciale.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup, madame Gibson, madame Taylor. Madame Taylor, je vous offre mes condoléances pour le décès de votre conjoint. J'ai vécu une situation semblable avec un frère qui est décédé d'un cancer du cerveau. Nous savons que les derniers instants sont très douloureux.

Hier, nous avons reçu le Collège des médecins de l'Ontario, dont la position est assez claire. Le projet de loi C-14 semble être discriminatoire entre les gens qui sont mourants et les gens qui sont souffrants. L'aide médicale à mourir semble s'adresser à ceux qui sont mourants, mais on ferme une porte aux gens qui souffrent et qui n'ont pas amorcé un processus de mort certaine ou proche. Nous avons entendu le témoignage de Mme Simard, dont la mère s'est suicidée en refusant de se nourrir. Selon moi, ce sont des souffrances encore plus grandes que la mort ou la maladie elle-même.

J'essaie de bien comprendre vos exposés et vos positions sur ce projet de loi, et c'est ce dont j'aimerais que vous me parliez. Est-ce que ce projet de loi crée une discrimination entre ceux qui sont mourants et ceux qui sont souffrants, mais qui sont atteints d'une maladie incurable?

Ma deuxième question concerne l'adoption de ce projet de loi. Est-ce que la situation sera pire pour les gens qui souffrent et qui attendent une solution afin d'avoir une fin de vie honorable? Est-ce que ce projet de loi offre une solution ou est-ce qu'il ne faudrait pas prendre le temps de l'améliorer afin d'y inclure les deux catégories de citoyens?

[Traduction]

Mme Gibson : Je ne veux pas parler pour Maureen, mais je peux dire sans trop me tromper que le fait d'exclure une foule de Canadiens de la portée du projet de loi aura pour conséquence qu'ils continueront de souffrir sans aucun autre choix. S'ils veulent avoir accès à l'aide à mourir, nous les forcerons à continuer à vivre dans la souffrance. Nous pourrions même dire que c'est de la discrimination. S'il y a une discrimination en fonction des types de souffrances, alors oui, je suis tout à fait d'accord.

La question qu'il faut se poser, c'est celle de savoir si nous voyons le processus actuel de confection des lois comme un processus progressif. Il faut au moins commencer ici, et on pourra ensuite élargir la portée à tel et tel groupe, ainsi de suite. J'ai entendu dans le cadre de nos consultations et dans le cadre de mon travail continu dans le domaine que les Canadiens sont prêts à élargir les limites actuellement permises dans le projet de loi.

J'ai participé à une assemblée publique avec les électeurs de ma circonscription. Ils ont dit que ce n'est pas seulement une question de maladie terminale ou incurable : c'est aussi une question de souffrance. Bien sûr, le projet de loi ne dit pas que la « souffrance » est suffisante, puisqu'il souligne aussi la valeur de l'autonomie. Ce n'est pas un projet de loi qui s'attaque seulement à la souffrance, il vise aussi à renforcer l'autonomie des personnes afin qu'elles puissent évaluer ce que la souffrance signifie pour eux. J'aimerais bien sûr qu'on élargisse le projet de loi pour inclure aussi les autres personnes.

Mme Taylor : J'ai l'impression que les travaux du comité sont notre dernière chance de bien faire les choses. J'admets le fait que la présente mouture du projet de loi n'abordera pas la question de la santé mentale, des mineurs matures et des directives anticipées, mais si vous ne devez faire qu'une seule chose, je vous en implore : retirez l'expression « décès naturel prévisible » et le mot « incurable ». Vous pourriez ne faire que cela et ainsi respecter l'esprit de l'arrêt Carter. L'expression « graves et irrémédiables » signifie « graves » ou « très graves » : le patient doit souffrir de façon intolérable et n'avoir accès à aucun traitement acceptable. Je serais extrêmement reconnaissante si vous pouviez seulement revenir à ce libellé.

Le sénateur McIntyre : Madame Gibson, dans votre exposé et dans votre mémoire, vous avez soulevé la question des autorisations judiciaires. Comme vous le savez, l'exigence en matière de sauvegarde est associée depuis longtemps à la reconnaissance judiciaire dans des contextes précis associés à l'aide judiciaire à mourir. Par exemple, dans son opinion dissidente liée à l'affaire Rodriguez, la juge en chef McLachlin a mentionné, comme l'avait fait le juge de première instance dans l'arrêt Carter... Dans le même esprit, les cinq juges de la Cour suprême ont accordé une prolongation de quatre mois.

De plus, dans un autre contexte lié aux soins de santé, il y a un précédent bien établi en vertu duquel la loi exige l'examen quasi judiciaire ou judiciaire du processus décisionnel d'un médecin. En effet, la législation du Nouveau- Brunswick exige souvent une telle participation du judiciaire au moment de l'internement forcé d'une personne dans un hôpital psychiatrique. Des tribunaux sont établis à cette fin. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, s'il vous plaît.

Mme Gibson : J'ai écouté les discussions ici et devant le comité de la Chambre, et je constate que deux visions du monde s'opposent dans le dossier de l'aide à mourir : d'un côté, il y a les tenants du point de vue juridique, et, de l'autre, les professionnels de la santé et les patients, qui voient là un enjeu lié aux soins de santé et qui veulent un système de soins de santé de haute qualité. Lorsque des personnes se présentent pour parler de la mort, elles le font dans le cabinet du médecin ou le bureau du personnel infirmier praticien ou encore avec les membres d'une équipe interprofessionnelle. Ces personnes ne voient pas là un enjeu juridique. Nous devons respecter la continuité des soins que nous fournissons aux Canadiens et la façon dont ils envisagent cet enjeu. Ils ne voient pas là une question juridique, même si — de toute évidence — c'est ainsi que nous l'abordons dans le cadre de la conversation actuelle, liée au Code criminel.

Pour revenir à quelque chose que j'ai dit dans mes commentaires, je tiens à souligner que, actuellement, lorsque vient le temps de prendre des décisions sur la fin de vie, la pratique ne consiste pas à transférer la question de savoir s'il faut respecter les vœux de quelqu'un devant un tribunal. Actuellement, selon nous, c'est à l'équipe interprofessionnelle de se réunir avec le patient — et, possiblement, sa famille — pour déterminer la marche à suivre appropriée. La pierre angulaire du processus, c'est la volonté du patient.

Je veux faire une distinction : pour de nombreux patients, il s'agit d'une option en fin de vie pareille aux autres possibilités, comme le transfert dans un centre de soins palliatifs et l'arrêt d'un traitement de survie. Cependant, pour les Canadiens, il n'y a pas de distinction à cet égard.

Du point de vue de l'uniformité des pratiques dans le domaine de la santé, le fait de transférer cette décision devant un tribunal minerait en fait la continuité des soins et la qualité de l'expérience des patients en fin de vie. Pour revenir à ce qu'A.B. a dit dans ses dernières déclarations, il s'agissait d'une des périodes les plus importantes pour sa famille et lui. Le fait d'avoir eu à interjeter appel pour avoir accès à un tel service était du temps perdu, même s'il a bien sûr obtenu le résultat escompté.

Le sénateur Joyal : Puis-je commencer par vous demander qui vous êtes? Je sais bien qui vous êtes; j'ai le mémoire devant moi. Mes collègues ne connaissent pas le Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir parce que vous ne vous êtes pas présentée au début. Je pourrais lire pour le compte rendu le préambule du rapport, mais pourriez-vous vous présenter vous-même? D'où venez-vous? Je suis désolé d'avoir à poser cette question.

Mme Taylor : Permettez-moi de faire un bref historique du GCPTEAMM : en août de l'année dernière, Jennifer et moi avons reçu un appel d'un représentant du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario. À ce moment-là, les élections fédérales n'avaient pas encore eu lieu. Un groupe fédéral avait-il été mis sur pied à ce moment- là? Pas grand-chose n'avait été fait depuis l'arrêt Carter, et les provinces étaient de plus en plus nerveuses en raison du délai du 6 février 2016, qui approchait à grands pas. Les provinces et les territoires ont décidé qu'ils devaient commencer la discussion. Ils ont communiqué avec des intervenants et créé un groupe pour les conseiller sur la façon d'appliquer l'arrêt Carter en l'absence de tout leadership fédéral.

Jennifer, voulez-vous prendre le relais, ici?

Mme Gibson : Je tiens à préciser que 11 des 13 provinces et territoires ont participé au processus et, en effet, des représentants des ministères de la Santé et des représentants des procureurs généraux ont assisté aux réunions de notre groupe consultatif et ont écouté pendant tout le processus. Évidemment, le Québec n'a pas participé à ce moment-là, et la Colombie-Britannique était seulement là à titre d'observateur.

Notre mandat est important. Il consistait à prodiguer des conseils non exécutoires aux provinces et aux territoires sur la façon dont l'aide médicale à mourir devait être mise en œuvre par les provinces et les territoires. Notre mandat était distinct de celui que le groupe d'experts fédéraux avait initialement défini et qui consistait à formuler des recommandations concernant les modifications à apporter au Code criminel. Notre mandat était provincial et territorial.

Le sénateur Joyal : À la page 15 de votre rapport... l'avez-vous avec vous?

Mme Gibson : Oui.

Le sénateur Joyal : C'est le chapitre intitulé « Contexte juridique ». Une de nos préoccupations, ici, c'est de comprendre la portée de l'arrêt Carter et de comparer le tout avec le projet de loi C-14 pour déterminer dans quelle mesure celui-ci permet d'atteindre les objectifs énoncés dans la décision.

Aujourd'hui, vous en avez proposé une interprétation. Dans ce rapport, à la page 15, vous avez écrit ce qui suit :

Soulignons que la Cour suprême n'affirme pas que la décision s'applique uniquement aux personnes incapables de mettre fin elles-mêmes à leurs jours, à celles qui sont atteintes de maladies fatales ou à celles qui sont près de la mort. La décision de la Cour ne se limite pas aux affections, maladies ou handicaps physiques; elle s'applique également aux maladies mentales.

Qui vous a fourni cette interprétation de l'arrêt de la Cour suprême que vous avez incluse dans votre rapport et communiquée à toutes les provinces et à tous les territoires?

Mme Taylor : Une des membres de notre comité d'experts était la professeure Jocelyn Downie, de l'Université Dalhousie. Elle connaît très bien la Constitution — surtout la question de l'aide à mourir —, alors nous nous sommes fiés à elle. Il y avait beaucoup d'intervenants, y compris des avocats, mais nous n'affirmons pas détenir la vérité en ce qui a trait à l'interprétation de la Constitution.

Le sénateur Joyal : J'ai une autre préoccupation relativement à votre approche, mais je ne vais pas la soulever. Je crois que l'approche découlait d'une compréhension commune des provinces et des territoires et qu'elle a été appliquée par les tribunaux canadiens depuis le 4 février, lorsque la Cour suprême a été saisie à nouveau — comme vous le savez —, d'une demande de prorogation touchant l'arrêt Carter. Depuis, au moins huit tribunaux canadiens ont fondé leurs décisions sur l'arrêt Carter.

Ce qui me surprend à la lecture de ces dossiers, c'est que certains concernent des malades en phase terminale. J'en ai un ici d'une patiente qui a le cancer du sein — je ne nommerai pas les parties, bien sûr — et d'autres liés à d'autres formes terminales de cancer. C'est évident à la lecture des dossiers. Cependant, il y en a d'autres où les personnes ne sont pas en phase terminale. Les pronostics étaient que ces personnes souffraient de problèmes de santé graves et irrémédiables, et les tribunaux ont défini ce que graves et irrémédiables voulaient dire. Permettez-moi de citer, par exemple, une décision du 1er avril de la Cour de la Colombie-Britannique, qui a conclu ce qui suit au sujet du deuxième critère :

Une affection médicale grave « nuit beaucoup ou énormément à la qualité de vie d'une personne et se rapproche des affections dites critiques, mortelles ou terminales », tandis qu'un trouble médical irrémédiable « est permanent et irréversible ».

En d'autres mots, je crois qu'il y a déjà dans la jurisprudence canadienne une interprétation de la façon dont les tribunaux ont appliqué l'arrêt Carter. D'après moi, ces éléments de jurisprudence abondent dans le même sens que votre mémoire, c'est-à-dire que l'arrêt Carter ne se limite pas aux malades en phase terminale.

Le président : C'est une question?

Le sénateur Joyal : De quelle façon avez-vous communiqué l'interprétation de l'arrêt Carter aux autres provinces?

Mme Taylor : Je ne suis pas sûre exactement de comprendre la question.

Le président : Le sénateur et vous pourrez peut-être vous rencontrer, ou il aura l'occasion d'approfondir cette question durant un deuxième tour.

Le sénateur Plett : Merci. J'ai une question pour Mme Taylor, puis une pour vous deux. Pour commencer, madame Taylor, je tiens à vous transmettre toutes mes condoléances et mes meilleurs vœux.

Dans votre déclaration, vous avez parlé des patients. Je vous cite rapidement : « Ils sont réveillés. Ils interagissent. Ils sont atteints de SLA, de sclérose en plaques ou de MPOC, des maladies évolutives qui leur enlèvent leur capacité de respirer par eux-mêmes. De temps en temps, certains de ces patients décident de faire déconnecter leur ventilateur. C'est ce qu'on appelle l'arrêt des soins. Ils prennent cette décision après en avoir discuté avec leur famille et leur équipe médicale, et ils meurent dans les heures qui suivent. »

Ne seriez-vous pas d'accord pour dire, madame Taylor, qu'il y a une grande différence entre débrancher une machine et laisser la nature suivre son cours et donner à la personne une injection ou une pilule pour mettre fin à sa vie? Je ne vous demande pas lequel est mieux selon vous, mais comparer le fait de débrancher une machine et de laisser la nature suivre son cours au fait d'injecter un produit afin de mettre fin à la vie de quelqu'un, c'est un peu comme comparer des pommes et des oranges, non?

Mme Taylor : Quelle est l'intention du patient lorsqu'il demande l'arrêt du ventilateur? Qu'est-ce qu'il veut? Il veut mourir. Lorsque le ventilateur mécanique a été installé, le patient avait le choix de dire : « Je n'en veux pas maintenant. » Mais il voulait essayer. Vous savez, certains patients ont réussi à avoir une certaine qualité de vie, puis est arrivé le moment où ils ont dit : « J'ai eu une belle vie, mais ma situation se détériore, et je veux maintenant en terminer. »

Mon mari est mort à la maison avec une aiguille dans le bras. Il recevait une dose constante de Midazolam, ce qui l'a fait sombrer dans un coma. Il n'était ni nourri ni hydraté. Essentiellement, il s'est laissé mourir de faim et de soif, mais il ne le savait pas, parce qu'il était dans le coma, ce qui est la chose la plus aimable qu'on peut faire à quelqu'un dans sa situation. Mais ne vous méprenez pas, ce qui l'a tué, c'est l'aiguille dans le bras qui le maintenait dans le coma afin qu'il ne ressente pas la faim et la soif. Je ne vois pas la différence. L'unique résultat, c'est qu'il a souffert plus longtemps.

Le sénateur Plett : Je ne veux pas débattre de cette question comme d'autres l'ont fait, je vais m'arrêter là.

Le sénateur White a abordé la question du personnel infirmier praticien. Madame Gibson et madame Taylor, je tiens à vous dire deux choses. Je crois que vous avez dit — corrigez-moi si j'ai tort — qu'une des raisons pour lesquelles vous ne jugiez pas la situation du personnel infirmier praticien problématique, c'est une question de logistique, lorsqu'un patient n'a peut-être pas accès à un médecin. Permettez-moi de citer l'Association des infirmières et infirmiers du Canada :

L'avortement et l'aide médicale à mourir ne sont pas des situations d'urgence. Même dans un contexte éloigné ou rural, si un fournisseur a besoin de se retirer d'un processus, il y a suffisamment de temps, et des politiques et des pratiques pourraient être mises en place pour prévoir la participation d'un autre fournisseur pouvant donner le traitement en question.

Avant de vous laisser répondre, je veux lire la recommandation 22 de votre rapport du 30 novembre 2015. Vous avez recommandé ce qui suit : « L'évaluation des patients doit être effectuée par deux médecins pour que le respect de tous les critères soit assuré ».

Avez-vous changé d'avis depuis la rédaction du rapport final? Comment réagissez-vous à l'affirmation de l'association des infirmières et infirmiers selon laquelle ce n'est pas une urgence et on peut attendre une journée ou deux ou trois jours, le temps qu'un médecin vienne évaluer la situation?

Mme Gibson : Merci de poser la question monsieur le sénateur. Je vais retrouver le numéro de page sans problème. À ce moment-là, nous partions encore de l'hypothèse que le projet de loi s'appliquerait seulement aux médecins. Nous avions recommandé l'ajout d'exceptions pour les autres membres de l'équipe interprofessionnelle, y compris le personnel infirmier praticien et le personnel infirmier en général. Il y a un passage dans le rapport qui précise que, si une telle modification est apportée au projet de loi, alors chaque référence à un « médecin » peut être remplacée par « membre du personnel infirmier praticien ».

Nous n'avons donc pas vraiment changé d'idée. Nous ne faisons que reconnaître les limites. Si on décide dans le projet de loi de se limiter aux médecins, alors soit, mais, en fait, nous demandions quant à nous l'inclusion du personnel infirmier praticien, et ce, en partie pour régler les problèmes d'accès, mais aussi pour reconnaître le champ d'exercices d'autres praticiens qualifiés de notre système de santé, qui sont en outre les professionnels qui ont le plus d'interactions avec les patients. Dans de nombreux cas, si le membre du personnel infirmier praticien est l'intervenant avec lequel le patient entretient une relation de longue date, il voudra peut-être maintenir cette relation durant le processus de mort ou au moment de prendre une décision sur l'aide à mourir. Selon moi, nous devons permettre ce choix.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup. Madame Taylor, j'ai eu l'honneur de connaître votre époux; c'est un homme que je respectais, et j'ai beaucoup de respect pour son engagement à l'égard de la santé publique et son leadership durant la crise du SRAS. Il a joué un rôle dans le débat sur ce texte législatif, et je lui en suis très reconnaissante.

Madame Gibson, vous avez mentionné la demande formulée par certaines personnes au sujet d'un examen préalable. Les organismes de réglementation des médecins nous ont dit qu'il s'agissait d'une question médicale et non juridique et que le système judiciaire ne devrait pas s'en mêler. Le récit d'A.B. que vous avez cité était très convaincant.

J'ai eu l'occasion hier de parler à des représentants de l'Association de la vie communautaire, qui ont fait valoir qu'une forme ou une autre d'examen préalable — sous la forme d'un tribunal spécialisé de détermination du consentement et de la capacité — serait une mesure de sauvegarde importante en cours de route. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Ensuite, s'agit-il encore d'une option pour quelqu'un qui croit qu'une personne est forcée? Pourrait-on remettre en question la capacité d'une personne de prendre cette décision et intervenir si on croit qu'un membre de la famille, un conseiller juridique ou quelqu'un d'autre exerce des pressions? Pouvez-vous nous en parler un peu?

Mme Gibson : Merci, monsieur le sénateur. C'est une excellente question. Lorsque j'ai examiné le projet de loi C-14, j'ai constaté à quel point ce scénario précis est différent de toutes les autres décisions en fin de vie. Le nombre de mesures de sauvegarde prévues dans le projet de loi n'a rien à voir avec les pratiques régulières dans le domaine des soins de santé dans d'autres situations de fin de vie. Le changement de cap est important. Selon moi, il y a suffisamment de niveaux de sauvegarde, de transparence et de freins et contrepoids.

Honnêtement, l'ajout d'une autre couche commence à faire pencher la balance et crée un fardeau supplémentaire pour les patients, les familles et les fournisseurs de soins de santé. D'importants efforts sont nécessaires pour rédiger les affidavits, et ce, pour toutes les personnes qui doivent se présenter devant la Commission du consentement et de la capacité — il faut y consacrer du temps —, et ce, pas seulement pour les patients et les familles, mais aussi pour les fournisseurs de soins de santé. Dans une telle situation, les mesures de sauvegarde commencent à devenir un fardeau, et cela pourrait devenir contre-productif.

Cependant, je comprends certaines des préoccupations soulevées par des organismes, comme l'Association de la vie communautaire, concernant la vulnérabilité sociale de certains Canadiens et leur affirmation selon laquelle une structure qui prévoit un examen judiciaire pourrait être une façon de les protéger. C'est une option, mais je crois que c'est une option beaucoup plus intrusive. Nous pouvons nous attaquer à certains problèmes sociaux d'autres façons beaucoup plus conformes aux pratiques exemplaires. Par exemple, nous avons entendu dire que les professionnels de la santé devaient bénéficier d'une meilleure formation sur l'évaluation de la vulnérabilité sociale. C'est essentiel. Cette mesure serait bénéfique pour tout le monde, pas seulement pour les personnes qui affichent une vulnérabilité sociale.

Dans un témoignage que j'ai entendu la semaine dernière, le professeur Bourassa du Manitoba parlait de soins sécuritaires sur le plan culturel et du besoin de recadrer tout ça. Elles sont là, les occasions à plus long terme et les plus efficaces.

Mon dernier commentaire concerne la discussion sur la protection des populations vulnérables. On semble présupposer un manque de capacité et croire qu'il faut défendre la capacité de cette personne de prendre des décisions. On rend ainsi un mauvais service à ces personnes, et cela risque de renforcer certaines des conditions sociales qui sapent leur capacité d'être des citoyens à part entière.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Encore une fois, je vous remercie, mesdames, de vos réponses. J'ai compris, par la question du sénateur Joyal, que vous aviez été consultées par les deux groupes de consultation, soit un groupe de professionnels et un groupe composés de praticiens, de médecins et de gens du domaine médical, comme vous.

En quelques mots, cette consultation vous a-t-elle permis de vous exprimer? De plus, retrouvez-vous dans la philosophie de ce projet de loi les opinions ou commentaires que vous avez exprimés?

[Traduction]

Mme Gibson : Pouvez-vous reformuler votre question, s'il vous plaît, monsieur?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous avez participé à la consultation qui était liée au projet de loi. Dans le cadre de votre participation à cette consultation, avez-vous eu l'occasion de vous exprimer? En outre, retrouvez-vous dans ce projet de loi les commentaires et suggestions que vous avez proposés?

[Traduction]

Mme Taylor : En grande partie, nous avons rencontré les mêmes intervenants que vous, mais dans un cadre moins officiel. Je crois que le niveau d'échange et de questions était suffisant. Certains ont changé d'idée; pas toujours, mais dans certains cas, nous avons fait des percées. Nous aurions aimé avoir plus de temps, mais nous devions respecter nous aussi un délai, c'est notre lot à nous tous. Je suis d'accord avec Jennifer, j'ai eu l'air de rejeter le projet de loi, mais il est très bon de façon générale. Est-ce que je croyais que nous serions rendus ici il y a trois ans? Non, et j'en suis extrêmement reconnaissante.

Je dois avouer qu'une bonne partie de ce que nous avons entendu figure dans le projet de loi, mais cela ne signifie pas que je n'aimerais pas que vous y apportiez deux ou trois changements importants.

Mme Gibson : Je suis d'accord. De plus d'une façon, nous ne pourrons probablement pas mieux faire que le projet de loi actuel en ce qui a trait au juste équilibre entre les compétences fédérales et provinciales-territoriales. On tente d'inclure plus de choses dans le projet qu'on peut raisonnablement inclure dans un projet de loi qui vise à modifier le Code criminel. Si nous parlions d'un projet de loi national sur les soins de fin de vie partout au pays, nous aurions pu inclure un certain nombre d'éléments soulevés par les témoins en ce qui a trait aux soins de santé et aux soins sociaux.

Je suis extrêmement encouragée de voir que le personnel infirmier praticien jouera un rôle, et je le suis aussi assurément par les mesures de sauvegarde que j'ai cernées. J'aimerais souligner l'importance de certains des engagements non législatifs pour unir le tout de façon proactive. J'aimerais obtenir de plus amples renseignements sur la nature des plans afin de déterminer de quelle façon les discussions sur l'accord sur la santé se poursuivront.

L'une des préoccupations de notre groupe — et je suis sûre qu'il s'agit aussi d'une préoccupation d'autres intervenants — c'était le besoin d'éviter un effet de mosaïque. Cela exigera un certain leadership du gouvernement fédéral. Il est évident que beaucoup de ministères et d'organismes de réglementation du pays comprennent le besoin de commencer à aller dans cette direction. Il y aura beaucoup de travail à faire, mais c'est l'endroit tout désigné pour le faire, et non dans ce projet de loi.

Le sénateur Joyal : Vous avez suggéré d'éliminer le mot « incurable » du projet de loi. Du point de vue du praticien, pourquoi formulez-vous une telle suggestion? Expliquez-le à la lumière de votre expérience.

Mme Taylor : J'ai beaucoup de patients. Je travaille dans le Toronto East General Hospital. La population de patients est pour le moins intéressante. Beaucoup d'entre eux sont diabétiques et ont beaucoup de comorbidités, ce qui signifie qu'ils ont beaucoup de problèmes de santé différents. Le fait d'avoir le diabète et de ne pas faire attention à sa glycémie peut entraîner de terribles conséquences, comme la cécité. Je vois beaucoup de personnes qui ont des problèmes d'afflux sanguin périphérique — c'est-à-dire l'afflux dans leurs orteils et leurs doigts — et qui ont des orteils et des doigts morts. Est-ce traitable? Oui, par amputation. Beaucoup de mes patients me disent : « Je ne veux pas être amputé. Je vais prendre le risque ». Nous leur disons qu'ils vont mourir d'une infection si on ne les ampute pas. « Je suis prêt à tenter ma chance ».

Si j'étais un médecin et qu'un patient me disait : « Mes orteils sont noirs et on veut m'amputer toute la jambe, mais je ne veux pas. Honnêtement, je préfère l'aide à mourir », et que j'avais le mot « incurable » à l'esprit, je pourrais lui dire : « Je suis désolée, mais votre affection est curable par amputation. Je sais que vous souffrez aussi d'une insuffisance cardiaque congestive et de toutes ces autres affections, mais c'est curable. Si c'est votre principale raison, c'est curable ». Cette exigence sera interprétée différemment par différents praticiens. Ce n'est qu'un petit exemple.

Il y a aussi le cancer. Le cancer de mon époux était inopérable en raison de son emplacement. Mais si un patient a une tumeur au cerveau qui peut être retirée et qu'on lui dit que, avec trois autres séries de chimio, il pourrait vivre encore quatre mois, dans une telle situation, le patient peut-il dire : « C'est assez, je ne veux plus continuer à essayer »? Ça m'inquiète.

Le président : Merci à vous deux d'avoir été là aujourd'hui et d'avoir aidé le comité à étudier le projet de loi C-14. Nous sommes très reconnaissants.

Durant la deuxième heure, nous accueillons le Dr Sonu Gaind, président de l'Association des psychiatres du Canada. Il discutera avec nous par vidéoconférence de Hong Kong. Nous accueillons aussi le Dr Tarek Rajji, chef, Géronto-psychiatrie, du Centre de toxicomanie et de santé mentale ainsi que le Dr Padraic Carr et la Dre Linda Ganzini, cette dernière comparaissant par vidéoconférence de Portland, en Oregon.

Merci à vous tous d'être là. Je vais demander au Dr Gaind, puis à la Dre Ganzini de présenter leurs déclarations préliminaires.

K. Sonu Gaind, président, Association des psychiatres du Canada : Bonjour, l'Association des psychiatres du Canada est heureuse d'avoir l'occasion de comparaître devant le Sénat pour parler de l'aide médicale à mourir. Je m'appelle Karandeep Sonu Gaind, je suis le président de l'Association des psychiatres du Canada. L'APC appuie la proposition du projet de loi C-14 d'étudier de façon plus poussée la question de l'AMM lorsque la santé mentale est la seule condition médicale invoquée, sans jugement prématuré quant au résultat.

Il y a des considérations uniques lorsqu'un patient a une maladie mentale qui n'ont pas été prises en compte dans l'arrêt Canada c. Carter de la Cour suprême. En s'attaquant au cerveau, la maladie mentale influe sur les pensées et les émotions du malade, y compris ce qu'il pense de lui et de sa place dans le monde. Les symptômes d'une maladie mentale peuvent donc rendre certaines personnes particulièrement influençables et susceptibles, durant une période de faiblesse, d'être incitées à mettre fin à leurs jours.

Les symptômes de la maladie mentale peuvent avoir un impact sur la résilience émotionnelle d'une personne, rendant même les stress normaux de la vie intenables. Ils peuvent entraîner des distorsions cognitives, y compris une vision négative de soi et de l'avenir. Par conséquent, les symptômes de la maladie mentale peuvent non seulement entraîner de la souffrance, mais aussi avoir un impact indépendant sur le processus décisionnel de la personne touchée au sujet de sa volonté de vivre ou de mourir.

La possibilité de guérir est un autre enjeu clé qui a des répercussions différentes dans le cas de la maladie mentale comparativement aux autres affections médicales. Dans le domaine de la santé mentale, la possibilité de guérir ne peut pas être considérée uniquement du point de vue biomédical de l'amélioration des symptômes. Des facteurs psychosociaux comme l'isolement, la solitude, la pauvreté, le logement et le sous-emploi ou encore le rôle au sein de la société sont des choses qui ont un impact sur la souffrance liée à la maladie mentale, et il faut en tenir compte dans le cadre de la tentative de rétablissement — toute la question de savoir quand une maladie mentale doit être considérée comme irrémédiable est très différente, et ce n'est pas quelque chose que la profession a eu à définir dans le passé. Comme l'APC l'a souligné à la ministre Wilson-Raybould et à la ministre Philpott, il n'y a pas de norme de soins établie au Canada — ni, à la connaissance de l'APC, dans le monde — pour définir le seuil à partir duquel des conditions psychiatriques typiques doivent être considérées comme irrémédiables.

Je ne conteste aucunement le fait que la santé mentale peut entraîner de graves souffrances. Cependant, combinée aux problèmes d'accès, l'absence de normes aurait à elle seule des répercussions troublantes en ce qui concerne l'AMM si l'unique critère de la santé mentale était accepté dans l'éventuel cadre de juin 2016. Un examen récent des données des Pays-Bas confirme ces préoccupations, puisqu'il a été démontré que la majeure partie des cas d'aide médicale à mourir liés à la santé mentale étaient assortis de souffrances psychosociales non résolues, comme l'isolement social.

Conformément à l'étude plus poussée demandée dans l'ébauche du projet de loi C-14, l'APC a créé un groupe de travail ponctuel afin de mieux comprendre ces enjeux.

Il y a d'autres enjeux importants qui exigent l'établissement de normes nationales uniformes, y compris le choix des bons fournisseurs, qui réaliseront des évaluations successives, et la détermination du délai d'attente dans les cas où la maladie mentale est un enjeu. Cependant, je vais terminer ma déclaration en abordant certaines idées fausses sur la santé mentale véhiculées dans le cadre des discussions sur l'AMM.

Commençons par la notion de « dépression résistante aux traitements », ou DRT. Cette expression ne signifie pas que l'affection est irrémédiable. La DRT est une notion de recherche et une notion clinique qui vise à permettre de définir les options de traitement possibles lorsque les symptômes biomédicaux n'ont pas pu être adéquatement atténués après deux tentatives de traitements biomédicaux. Dans le cadre des discussions sur l'AMM, il serait inapproprié — voire dangereux — de se méprendre et de croire qu'une DRT est une affection « irrémédiable ».

Deuxièmement, même si l'APC et d'autres intervenants demandent depuis des années d'éliminer la stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les personnes qui affichent une maladie mentale, il faut comprendre qu'il n'est pas discriminatoire de tenir compte des caractéristiques particulières de la maladie mentale dans le cadre des discussions sur l'AMM. L'« équité » ne signifie pas que tout le monde doit être traité de la même façon; cela signifie qu'il faut traiter les choses de façon équitable et impartiale. Le fait de ne pas prendre en considération les circonstances particulières de la maladie mentale et leur impact possible sur les processus liés à l'AMM, pourrait être considéré comme de la stigmatisation et de la discrimination, puisqu'une telle position ferait fi des réalités de la maladie mentale sur les malades et dans le cadre de leur vie.

Je tiens à nouveau à remercier le comité de bien réfléchir à ces enjeux, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Docteure Ganzini, la parole est à vous.

Linda Ganzini, à titre personnel : Merci. Je suis professeure de psychiatrie et de médecine à la Oregon Health & Science University. Je dois vous dire que je travaille aussi pour le département américain des Anciens Combattants et que mes propos ne reflètent aucunement les points de vue du gouvernement américain.

Depuis le milieu des années 1990, j'ai effectué des recherches sur la Death With Dignity Act de l'Oregon, y compris des sondages auprès de professionnels de la santé, des médecins et du personnel infirmier, des travailleurs sociaux et des aumôniers qui travaillent dans des centres de soins palliatifs pour connaître leurs points de vue et leurs expériences relativement à loi de l'Oregon. J'ai aussi réalisé des études auprès des populations de patients au sujet de leurs préférences touchant l'aide médicale à mourir, y compris des patients atteints du cancer et de la SLA. Plus récemment, j'ai de plus réalisé des études auprès de membres de la famille de patients, qui ont entrepris un processus de demande d'aide médicale à mourir. En outre, j'ai réalisé environ 50 entrevues cliniques et de recherche auprès de patients qui ont présenté des demandes explicites d'aide médicale à mourir.

Je serai heureuse de répondre à vos questions au sujet de ces études. Je sais que la loi canadienne évolue et change. Je ne suis pas nécessairement au fait des toutes dernières considérations, mais, encore une fois, je serai heureuse de vous faire part de mes expériences.

Le président : Merci beaucoup. Docteur Rajji, la parole est à vous.

Tarek Rajji, chef, Géronto-psychiatrie, Centre de toxicomanie et de santé mentale : Je tiens à remercier les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de l'occasion de comparaître aujourd'hui pour faire part de nos points de vue sur le projet de loi C-14.

Le CTSM est l'un des plus importants centres universitaires de science de la santé qui s'intéressent à la santé mentale et à la toxicomanie. Nous réunissons les soins cliniques, la recherche et la sensibilisation pour transformer la vie des gens atteints de troubles mentaux ou qui ont des problèmes de toxicomanie. Nous avons plus de 500 places pour patients hospitalisés et comptons plus de 3 000 employés, plus de 300 médecins et plus de 100 scientifiques. Nous traitons plus de 30 000 patients chaque année.

L'aide médicale à mourir, ou AMM, est un sujet extrêmement complexe lorsque s'y greffe l'enjeu de la maladie mentale. Le CTSM est reconnaissant du fait que le gouvernement a reconnu la nature complexe de cet enjeu dans le projet de loi C-14 et qu'il a prévu plus de temps pour examiner de près les enjeux liés à l'AMM et à la maladie mentale lorsqu'il s'agit de la seule affection médicale invoquée.

Le CTSM sait que la maladie mentale peut provoquer chez les gens une souffrance psychologique intolérable, mais nous croyons aussi que des approches de soins fondées sur le rétablissement permettront à la vaste majorité des malades de s'en remettre. Tandis que le gouvernement va de l'avant et poursuit son examen de la santé mentale et de l'AMM, une analyse poussée et des consultations seront nécessaires pour déterminer si on peut vraiment considérer la maladie mentale comme un trouble irrémédiable et dans quelles circonstances.

Il faut aussi réfléchir à la façon dont on reconnaîtra et soutiendra les professionnels de la santé qui vivent un stress émotionnel associé à l'AMM dans l'exercice de leurs fonctions. Le CTSM offre son expertise au gouvernement, lorsque ce dernier sera prêt à se pencher sur cet enjeu.

Aujourd'hui, je veux discuter des personnes qui respectent les critères du projet de loi C-14, c'est-à-dire qui affichent des problèmes de santé graves et irrémédiables et qui ont aussi une maladie mentale. De telles personnes peuvent sembler admissibles à l'AMM, mais il est essentiel de déterminer si c'est la maladie mentale qui les pousse à présenter leur demande et s'ils ont vraiment la capacité de consentir à l'AMM.

Les personnes qui ont des problèmes mentaux peuvent avoir des perceptions faussées par la maladie mentale et ses conséquences. Pendant un épisode aigu d'une maladie — comme un épisode de dépression majeure, un épisode psychotique aigu ou un épisode maniaque —, il n'est pas rare qu'une personne ait des croyances extrêmement déformées d'elle-même, du monde et de l'avenir. Parfois, ces sentiments de désespoir, d'inutilité et d'impuissance persistent même lorsque les symptômes de la maladie mentale sont mieux contrôlés.

Ces distorsions soulèvent des questions au sujet de la capacité de présenter une demande d'AMM durant un épisode aigu et durant des phases moins aiguës de la maladie. Un traitement fondé sur le rétablissement peut changer les croyances déformées d'une personne et peut-être même avoir un impact sur sa décision de demander une AMM.

Je tiens aussi à vous fournir un exemple clinique pour illustrer ces problèmes : une femme de 65 ans avait de longs antécédents de schizophrénie clinique depuis ses 18 ans. Sa maladie était relativement bien contrôlée grâce à une médication appropriée et des traitements psychosociaux. Cependant, elle continuait à croire fermement qu'elle avait été visitée par des extraterrestres, qu'ils supervisaient sa vie. Malgré la persistance de ces croyances, elle avait réussi à maintenir un certain niveau satisfaisant de relations avec sa famille et les co-résidents.

Dans le passé, lorsque ses symptômes n'étaient pas contrôlés, elle entendait ces extraterrestres lui dire qu'elle causait le cancer et la maladie dans son entourage. À 65 ans, elle souffrait elle-même d'un cancer du poumon. Même si elle n'entend plus les voix, elle croit maintenant avoir le cancer en raison de toutes les personnes à qui elle l'a donné au fil des ans. Par conséquent, pour se repentir, elle refuse tout traitement contre le cancer.

Dans ce dossier, on se trouvait donc devant un dilemme clinique concernant la capacité de cette patiente de demander une AMM pour la soulager des douleurs causées par le cancer. La capacité de demander une AMM est-elle distincte de la capacité de refuser ou d'accepter un traitement contre le cancer?

Il sera difficile de déterminer si une demande d'AMM est associée à une maladie mentale sous-jacente puisque la décision d'obtenir une AMM n'est pas une décision liée aux soins de santé comme les autres. Il faudra fournir une formation aux professionnels de la santé mentale et aux autres professionnels de la santé.

Par conséquent, le CTSM recommande d'inclure dans le projet de loi C-14 — dans l'article proposé 241.3 — des mesures de sauvegarde améliorées pour évaluer la capacité des personnes qui affichent aussi une maladie mentale. Ces mesures de sauvegarde pourraient inclure des procédures normalisées associées à un seuil clair et l'examen par au moins un psychiatre et/ou groupe d'experts, qui serait chargé d'examiner de telles demandes. Le CTSM serait heureux de travailler en collaboration avec le gouvernement pour élaborer ces mesures de sauvegarde.

Je tiens encore une fois à remercier les membres du comité de m'avoir offert l'occasion de leur parler aujourd'hui. L'AMM et la maladie mentale sont des sujets très complexes, et il convient de louanger l'approche adoptée jusqu'à présent par le gouvernement. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci. Docteur Carr, la parole est à vous.

Padraic E. Carr, à titre personnel : Merci, monsieur le président, de me permettre de m'adresser au comité aujourd'hui.

Je suis un psychiatre généraliste. Je travaille auprès d'adultes à Edmonton, en Alberta. Je suis actuellement président désigné de l'Alberta Medical Association. Je suis aussi le président sortant de l'Association des psychiatres du Canada. Cependant, aujourd'hui, je vous parle à titre personnel, en tant que praticien.

Il est évident que l'aide médicale à mourir a engendré tout un débat. Évidemment, la difficulté consiste à trouver un juste équilibre entre l'autonomie des patients et le besoin de protéger les personnes vulnérables en période de faiblesse, surtout les personnes qui ont des maladies mentales.

À de nombreux égards, les maladies mentales sont différentes des maladies physiques. Par exemple, des pensées suicidaires peuvent découler directement de troubles psychiatriques. Les maladies mentales peuvent influer sur la capacité et le jugement, deux critères importants de la compétence. Les symptômes et leur intensité peuvent fluctuer sur plusieurs mois, ce qui exige des évaluations en série.

Sur un sujet connexe, on peut très bien comprendre que des patients peuvent hésiter à fournir des renseignements de nature délicate. Cette réticence peut entraîner des retards dans le cadre d'évaluations qui visent à brosser un portrait diagnostique complet tenant compte du contexte social. Les symptômes eux-mêmes sont influencés par les traits de personnalité sous-jacents, les capacités d'adaptation et les situations sociales des patients. Les patients qui se sentent soutenus dans la collectivité peuvent avoir des points de vue très différents sur l'AMM de ceux qui ont l'impression d'être un fardeau ou d'être seuls.

De plus, il faut parfois des mois avant que certains traitements psychiatriques soient pleinement efficaces, et il faut parfois essayer plusieurs traitements avant de trouver le bon. Les maladies elles-mêmes sont rarement fatales ou terminales, et il y a de nombreux traitements accessibles qui permettent d'éliminer ou d'atténuer les symptômes. Dans ce contexte, le projet de loi C-14 semble une mesure législative initiale raisonnable et prudente pour composer avec les complexités de l'AMM et de la maladie mentale.

Dans un premier temps, il faut adopter une approche uniforme à l'échelle du Canada. Les patients et les professionnels de la santé auront de la difficulté à s'y retrouver s'ils doivent composer avec un ensemble de textes législatifs différents, et ces différences créeraient des inégalités dans le système. Le préambule du projet de loi C-14 précise aussi qu'il faut respecter les convictions personnelles des fournisseurs de soins de santé.

Il faut aussi préciser la signification du terme « irrémédiable ». On pourrait penser que cela signifie intraitable, incurable ou terminal. Évidemment, on ne considérerait pas la plupart des maladies mentales comme étant intraitables ou terminales, mais la plupart de ces maladies pourraient être définies comme étant incurables. Sans précisions, la définition actuelle est inacceptable et met les personnes vulnérables à risque. Les qualificatifs « déclin irréversible » et « décès naturel raisonnablement prévisible » sont des mesures de sauvegarde importantes pour les patients psychiatrisés.

Un deuxième avis médical est aussi nécessaire, et il faudrait prévoir un délai adéquat entre les évaluations pour s'assurer que le résultat des entrevues n'est pas indûment influencé par les circonstances immédiates. De plus, un délai d'attente de 15 jours semble inadéquat si une maladie mentale est présente ou soupçonnée. Les évaluations et les traitements psychiatriques peuvent prendre beaucoup de temps, et il faut déterminer avec soin toutes les variables pour évaluer la capacité d'un patient.

Il est aussi important que le consentement et la capacité soient maintenus jusqu'à la prestation de l'AMM. En effet, on ne respecte pas une mesure de sauvegarde importante si le patient ne peut plus retirer sa demande. Le fait d'avoir donné une directive anticipée ne garantit pas que le patient consentirait encore à l'AMM le moment venu. L'autonomie des patients est aussi à risque si le consentement ne peut pas être retiré parce qu'un des éléments qui déterminent la capacité a changé.

Comme le projet de loi C-14 le laisse entendre, il faut réaliser d'autres études sur les cas où la maladie mentale est la seule affection médicale invoquée pour l'AMM avant qu'on puisse envisager ou appliquer cette notion. Les études devraient inclure un examen de l'accessibilité des ressources en santé mentale et en soins palliatifs dans la collectivité. Le fait que de tels services ne soient pas accessibles peut contribuer à la présentation de demandes d'AMM. Les personnes qui souffrent de maladie mentale sont probablement plus à risque que les membres des autres groupes d'être incitées à commettre un suicide en période de faiblesse.

Dans sa version actuelle, le projet de loi C-14 empêchera probablement le recours à l'AMM lorsque la maladie mentale est l'unique cause. Actuellement, il s'agit d'une approche raisonnable, vu la multitude d'influences pouvant semer la confusion dans ce dossier. Il faut mener plus de consultations auprès des professionnels et du public pour s'assurer que les personnes qui souffrent de maladie mentale sont adéquatement protégées.

Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Nous allons commencer la période de questions. La première intervenante est la vice-présidente.

La sénatrice Jaffer : Depuis que nous avons commencé l'étude du projet de loi, il y a une chose qui me dérange beaucoup. Je concède au gouvernement qu'il faut prendre le temps de travailler sur la question et de rencontrer des témoins pour parler de la façon de mettre en place un système qui protège les personnes les plus vulnérables. Toute ma vie, j'ai travaillé sur des enjeux liés à l'égalité. L'égalité, comme le Dr Gaind l'a dit, consiste non pas à traiter tout le monde de la même façon, mais à traiter les gens différemment parce que leurs besoins sont différents. Le défi, pour moi, c'est lorsqu'une personne respecte les critères des problèmes de santé graves et irrémédiables qui sont incurables et irréversibles — et tout ça —, mais qu'elle ne peut pas donner un consentement éclairé. Dr Rajji, vous en avez parlé.

Cette situation me préoccupe. De quelle façon pouvons-nous organiser le système pour que cette personne ait accès à ce type de service comme le reste des Canadiens? C'est injuste de traiter les gens différemment dans notre grand pays. C'est une situation qui me préoccupe. C'est vous les experts. Qu'en pensez-vous?

Dr Rajji : Je suis d'accord avec vous. Elle est là, la complexité. Tous vos invités — nous trois en tout cas — vous ont probablement dit que le défi ne se limite pas à la question de la capacité. En effet, il est difficile pour nous de considérer une maladie mentale comme étant une maladie irrémédiable. Selon moi, le fait qu'il soit difficile de prévoir le cours d'une maladie mentale est aussi problématique.

Par exemple, même des personnes qui ont de graves maladies mentales comme la schizophrénie... Selon des études à long terme, 30 p. 100 de ces malades se rétablissent plus tard et se remettent de la schizophrénie. La difficulté, dans notre domaine, c'est que nous ne savons pas encore assez de choses pour prévoir qui est susceptible de renverser la vapeur et de se rétablir. En réaction à la maladie mentale, nous adoptons une approche fondée sur le rétablissement en plus de traiter certains des symptômes somatiques dont vous avez entendu parler.

Dr Carr : Votre question portait vraiment sur le système de consentement éclairé. Honnêtement, je ne crois pas que ce sera aussi problématique que la question de la capacité à fournir un tel consentement éclairé. Elle est là, la difficulté.

La sénatrice Jaffer : Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire par « capacité »?

Dr Carr : On pourrait définir une procédure dans toutes les provinces — et peut-être même à l'échelle nationale — en vertu de laquelle le processus de consentement éclairé devrait inclure certains paramètres. C'est quelque chose qu'on peut facilement définir. La difficulté, c'est d'évaluer la personne. On l'a informée, mais a-t-elle compris? C'est ce que signifie la notion de « capacité » : la capacité de saisir les renseignements, de les manipuler rationnellement — sans être influencé par des délires — de comprendre les conséquences de la décision et d'ensuite fournir un consentement clair. Ce qui sera difficile, ce sont ces évaluations individuelles, qui font intervenir le patient et quiconque évalue sa capacité de consentir. Elle sera là, la principale difficulté.

Dr Gaind : Je vais répondre aux deux points que vous avez soulevés, dont l'un concerne la capacité. Si j'ai bien compris votre question, vous parliez de l'épineuse question de savoir comment déterminer ce qu'une personne veut vraiment si elle n'a pas la capacité nécessaire? Vous dites être troublée par la possibilité que certaines personnes ne puissent pas exercer cette option si elles sont jugées incapables.

La sénatrice Jaffer : Exactement.

Dr Gaind : C'est une question très difficile. Qui peut prendre une décision pour une personne dont nous n'avons pas pu connaître la volonté lorsqu'elle était apte ou compétente? Le défi vient en partie du fait que nous savons que, lorsque de telles décisions sont prises, plusieurs choses peuvent influer sur les personnes ou les soignants. Vous nous demandez de quelle façon il faut s'y prendre, mais je ne sais pas quoi vous répondre. Si le patient n'a pas fait connaître sa décision lorsqu'il était tout à fait compétent et apte, qui doit ou devrait décider?

L'autre chose que vous avez mentionnée, c'est si toutes les autres conditions étaient respectées, y compris le caractère irrémédiable de l'affection. Permettez-moi de revenir en arrière et de souligner ce que d'autres ont aussi dit. En réalité, lorsqu'il est question de maladie mentale, nous ne savons pas vraiment ce qu'il faut entendre par « irrémédiable ». Comme j'y ai fait allusion tantôt, c'est en partie parce que nous tentons d'éliminer les symptômes biomédicaux, mais, dans le cas de la maladie mentale, nous tentons aussi de travailler sur beaucoup de facteurs psychosociaux. À quel moment devons-nous déterminer que nous ne pouvons plus améliorer la situation du patient alors qu'il y a encore des facteurs psychosociaux qui pourraient être améliorés? On ne peut pas se limiter aux symptômes biomédicaux.

L'autre chose que je veux souligner, c'est que, lorsque nous prenons une décision similaire à certains égards en matière de capacité et que nous évaluons un certain nombre de choses pour ensuite déterminer qu'une personne est capable ou non de faire ce choix, nous prenons une décision dichotomique, c'est oui ou c'est non. Dans le cas du caractère irrémédiable, en plus du fait qu'il n'y a pas de normes définissant la façon d'appliquer cette notion dans le cas d'une maladie mentale, nous faisons aussi une évaluation prédictive, tandis que, de son côté, la capacité est évaluée de façon ponctuelle, au moment présent. C'est une source de beaucoup d'incertitude et d'imprévisibilité.

Le sénateur White : Je vais me référer au projet de loi et, plus particulièrement, à la réglementation que le ministre de la Santé peut prendre concernant la collecte de renseignements et d'information. Le projet de loi prévoit un examen dans cinq ans. On s'attend à ce que nous nous soumettions au bon vouloir d'un ministre, qui nous permettra peut-être d'avoir accès à l'information nécessaire pour procéder à un examen substantiel.

Vous avez consulté le projet de loi. Selon vous, faut-il fournir des éclaircissements relativement à la question de la collecte de renseignements de façon à garantir que nous pourrons mener un examen vraiment substantiel plutôt que — comme je le fais valoir — un examen superficiel?

Dr Carr : Le préambule mentionne qu'il faut réaliser une étude plus poussée, sans en préciser les paramètres. Il faudrait donc effectivement apporter des précisions.

Dr Rajji : Je suis d'accord. Une bonne partie des défis que nous soulevons aujourd'hui viennent du fait qu'il faut obtenir des précisions et des définitions qui sont inexistantes actuellement. Un processus clair serait très utile, et nous serons heureux d'y participer.

Dr Gaind : Je me fais l'écho de ces commentaires. Nous avons hâte de voir en quoi consistera le processus, ce qui reste à définir.

Pour ce qui est du processus interne de l'APC, nous avons créé un groupe de travail chargé d'examiner ces enjeux. En fait, nous nous sommes déjà rencontrés et nous attendons maintenant le texte final du projet de loi avant de déterminer les prochaines étapes.

Au cours des derniers jours, j'ai parlé à mes homologues du Royaume-Uni, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Les psychiatres australiens et néo-zélandais ont produit une déclaration de principe en février dernier. Ils sont eux aussi préoccupés par le terme « irrémédiable ». Ils disent que le RANZCP considère aussi qu'une souffrance psychiatrique irréductible est rare et qu'il peut être très difficile de déterminer si une personne atteinte de maladie mentale a la capacité voulue dans un tel contexte.

Nous ne sommes pas la seule association nationale à être aux prises avec ce problème. Toute la profession à l'échelle internationale doit se pencher sur cet enjeu et étudier toutes ces questions ensemble.

Le sénateur Baker : Merci. Docteure Ganzini, je me demande si vous avez écouté les questions et les réponses. Avez- vous quelque chose à dire au sujet des questions posées et des réponses fournies jusqu'à présent?

Dre Ganzini : J'ai été aux prises avec bon nombre de ces problèmes. Aux États-Unis et au Canada, je crois que nous nous entendons généralement pour dire que la capacité est l'aptitude de prendre une décision, de soupeser les risques et les avantages des différentes options, de comprendre l'information et de l'appliquer à sa situation sans être touché par des délires et des hallucinations. D'après mon expérience auprès de patients qui demandent une aide médicale à mourir — et je ne veux pas minimiser cet enjeu — ceux-ci sont confrontés à des décisions beaucoup plus complexes d'un point de vue médical que cette décision.

Les enjeux plus importants sont les suivants : devrait-on exiger un niveau de capacité plus élevé de façon à ce que les personnes dont la décision est influencée par la maladie mentale soient exclues? Devrait-on prendre encore plus de recul et examiner la vie des patients pour voir si ces préférences sont authentiques et conformes à une série de valeurs adoptées durant le restant de leur vie? L'aide médicale à mourir est une pratique différente de la suspension ou de l'arrêt d'un traitement médical. Par conséquent, il est juste d'exiger un niveau de capacité plus élevé et d'adopter un processus différent.

Et même là, je ne crois pas que le simple fait d'avoir la capacité est suffisant pour que ces pratiques soient autorisées. Dans le cas des patients dont la seule affection qui les pousse à vouloir hâter leur mort est une maladie mentale, si j'en juge d'après mon expérience de prestation de soins à de nombreux patients suicidaires, ces patients ont peut-être la capacité de prendre la décision, mais je fais quand même tout ce qui est en mon pouvoir pour les aider à trouver d'autres solutions et de continuer à vivre. Même s'ils ont voulu mourir pendant longtemps, ils peuvent s'en remettre et mourir de leur belle mort. Dans ces cas, les membres de leur famille sont très reconnaissants de tous les efforts que j'ai faits auprès de leur proche.

En vertu de la loi de l'Oregon, le décès doit être prévisible, et les médecins doivent trouver une mort digne. Je pourrais travailler auprès de patients qui n'ont pas de maladie terminale, mais qui veulent obtenir une aide médicale à mourir. Cela rendrait mon travail beaucoup plus difficile. Je ne soutiendrais pas une telle solution. Je n'ai pas de données de l'Oregon pour justifier ce que je dis, c'est simplement mon opinion.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de nous avoir présenté vos exposés. Comme vous l'avez tous dit, le principal défi est de trouver un juste équilibre entre l'autonomie du patient et le besoin de protéger les personnes vulnérables.

Cela dit, docteur Carr, dans votre exposé et votre mémoire, j'ai remarqué que vous formulez certaines préoccupations au sujet du projet de loi C-14, dont l'une concerne le délai de carence. J'ai parcouru le projet de loi, qui exige un délai de 15 jours entre le moment où la demande d'aide médicale à mourir est signée et le jour où l'aide médicale à mourir est offerte. Cependant, le personnel médical peut utiliser son pouvoir discrétionnaire lorsqu'une perte de capacité de fournir un consentement éclairé est imminente.

D'après votre expérience, est-il possible d'évaluer si la perte de capacité est imminente? Le pouvoir discrétionnaire accordé au personnel médical s'applique-t-il aux personnes atteintes de démence ou seulement à ceux qui sont susceptibles de sombrer dans l'inconscience?

Dr Carr : Pouvez-vous répéter la question? Je ne comprends pas exactement le scénario que vous décrivez.

Le sénateur McIntyre : Est-ce que le pouvoir discrétionnaire donné au personnel médical s'applique aux patients atteints de démence ou aussi à ceux qui sont susceptibles de sombrer dans l'inconscience?

Dr Carr : Le pouvoir discrétionnaire d'évaluation?

Le sénateur McIntyre : Le pouvoir discrétionnaire concernant le délai de carence de 15 jours.

Dr Carr : Je crois comprendre votre question. On peut difficilement évaluer ou déterminer une perte imminente de capacité. Évidemment, dans le cas des maladies psychiatriques, la capacité peut fluctuer. À certains moments, un patient peut perdre la capacité de prendre des décisions, mais la recouvrer dans certaines conditions. Par conséquent, on peut difficilement prédire avec exactitude et précision quand surviendra la perte de capacité. De toute évidence, dans le cas de troubles comme la démence, c'est habituellement un processus graduel. Il y a certains types d'affections où la progression est plus rapide, mais tout cela reste très difficile à prédire.

Je dois vous demander de répéter la deuxième partie de la question. J'ai de la difficulté à comprendre où vous voulez en venir.

Le sénateur McIntyre : Essentiellement, la question est très simple. Elle concerne le délai de carence de 15 jours. Le délai devrait-il être de 5, 10 ou 15 jours? Dans le projet de loi, on a opté pour 15 jours. On donne cependant un pouvoir discrétionnaire au personnel médical. Ma question concerne le pouvoir discrétionnaire accordé au personnel médical.

Dr Carr : Il faut laisser un certain pouvoir discrétionnaire au personnel médical, qui doit déterminer si le délai pour l'évaluation est raisonnable. Dans le cas de certaines affections, l'état d'un patient peut beaucoup fluctuer. C'est quelque chose qu'on sait d'avance, alors le professionnel de la santé devra dire dans ces cas : « Oui, nous devrions attendre plus longtemps avant de prendre une décision ». Pour certaines personnes, on voit clairement que c'est leur volonté depuis longtemps et que leur état est peu susceptible de changer. Il faut prévoir un certain pouvoir discrétionnaire.

Quinze jours, c'est le minimum pour le projet de loi. Ce délai ne sera probablement pas adéquat pour la plupart des patients en psychiatrie. La plupart de nos traitements vont exiger une période de six à huit semaines.

S'il est question d'un délai de carence de 15 jours, on ne pourra pas évaluer adéquatement si un nouveau traitement est efficace ou non. Il va devoir y avoir un certain pouvoir discrétionnaire; je dis simplement que, dans le cas de la plupart des maladies mentales, un délai de 15 jours ne sera probablement pas suffisant.

Le sénateur McIntyre : Un certain pouvoir discrétionnaire et une certaine marge de manœuvre?

Dr Carr : Exact. Oui.

Le sénateur McIntyre : Merci.

La sénatrice Batters : Je vous remercie tous sincèrement de votre présence. Il s'agit d'un sujet sur lequel je travaille d'arrache-pied depuis plusieurs années. Merci de tout ce que vous faites pour les gens atteints de maladies mentales au Canada.

Je veux commencer par le Dr Rajji. Ce que j'ai dit concernant cet enjeu particulier, c'est que la maladie mentale est traitable. Elle n'est pas terminale, et elle suppose un processus décisionnel plus complexe. À propos de votre argument concernant les mesures de protection améliorées qui sont nécessaires, afin de déterminer ces mesures de protection, vous avez demandé qu'un examen soit effectué par au moins un psychiatre. Actuellement, le projet de loi du gouvernement exige seulement qu'un examen soit effectué, peut-être, par deux praticiens en soins infirmiers et que pas même un médecin y participe, encore moins un psychiatre. Je me demande si vous pourriez nous donner plus de détails quant aux mesures de protection améliorées qu'il faudrait, selon vous, inclure pour vraiment protéger les personnes atteintes de maladie mentale.

Dr Rajji : Merci de poser la question. Selon moi, dans le cas des personnes atteintes d'une maladie mentale concomitante, qui demandent l'aide médicale à mourir pour un problème de santé... nous recommandons une évaluation psychiatrique effectuée par un psychiatre ou un praticien en soins infirmiers qui est expert en matière d'évaluation psychiatrique. Ce pourrait être le cas, mais il n'y en a pas beaucoup au Canada.

La sénatrice Batters : Le projet de loi ne contient aucune exigence de ce genre. Il est simplement question d'un praticien en soins infirmiers.

Dr Raijji : Une évaluation — c'est notre recommandation — effectuée par un psychiatre, en particulier, pour la maladie concomitante, serait l'une des mesures de protection.

La sénatrice Batters : Bien. Merci. En outre, concernant ce qui a été évoqué au sujet du délai de carence de 15 jours, je pense qu'en fait, depuis hier soir ou aujourd'hui, le comité de la Chambre des communes a maintenant réduit ce délai et l'a fait passer à 10 jours, et il peut être complètement annulé, comme nous avons entendu certains témoins du milieu médical le dire également. Cela semble aller dans la mauvaise direction.

Docteur Carr, si vous pouviez nous dire... de nombreux types de médicaments utilisés pour traiter la maladie mentale peuvent avoir pour effet secondaire de donner des idées suicidaires. Pouvez-vous formuler un commentaire à ce sujet? En outre, en ce qui concerne le délai de carence, surtout compte tenu du fait qu'il est maintenant de 10 jours, à mes yeux, cela semble très inadéquat, étant donné les longues périodes d'attente que nous observons partout au Canada — malheureusement — pour même consulter un psychiatre lorsqu'une personne est atteinte de maladie mentale.

Dr Carr : Pour répondre à votre deuxième question d'abord, certes, pour ce qui est du délai de carence, comme je l'ai mentionné, je pense qu'un délai de 15 jours est probablement inadéquat. La plupart des traitements durent beaucoup plus longtemps que cela. Je pense que cela doit être pris en considération si l'on procède à une étude approfondie au sujet des maladies mentales.

Quant aux médicaments qui ont une incidence sur les idées suicidaires d'une personne, ou même les circonstances qui influent sur les idées suicidaires, il y a de nombreux scénarios où des facteurs externes peuvent avoir une incidence à cet égard, et ces facteurs doivent être évalués soigneusement. Il existe certes des médicaments psychiatriques qui sont associés à une augmentation de l'impulsivité et qui pourraient être liés à des comportements suicidaires. Ces médicaments exigent une surveillance attentive. D'autres médicaments, qui ne sont pas utilisés en psychiatrie, ont le même effet secondaire. Il s'agit d'un élément à prendre en considération également.

Il est vraiment important que l'on étudie tous les facteurs liés à l'évaluation, et il faut un certain temps pour le faire. Je pense qu'il est très difficile, en particulier, de faire cela dans le cadre d'une évaluation unique ou d'une évaluation unique effectuée par deux praticiens distincts.

La sénatrice Batters : Merci. Docteur Gaind, j'ai trouvé que vous aviez fourni des renseignements très importants au sujet de la dépression résistante aux traitements. La définition de ce terme n'exigerait que deux types de traitement, bien entendu. Je me demande, selon votre expérience importante dans ce domaine, à quelle fréquence les patients atteints de dépression font-ils l'essai de plus de deux types de traitement?

Dr Gaind : Ce n'est pas rare, dans les cas de dépression difficiles. Même dans ces situations, nous observons souvent une amélioration partielle des symptômes, mais pas une amélioration de tous les symptômes, ou bien des problèmes liés à la tolérabilité d'un médicament qui exige que l'on procède à plus d'un ou deux essais de médicament.

L'argument clé que je voulais m'assurer de faire valoir, c'est que toute la notion de la résistance au traitement se situe en réalité dans un cadre très différent de celui de l'aide médicale à mourir. C'est dans le cadre où, si nous avons procédé à ces séries de traitement... qu'est-ce que la science nous montre ou nous indique que nous devrions faire ensuite? Il ne s'agit pas de dire que, si nous avons procédé à ces séries de traitement, tout est terminé, et nous ne pouvons plus rien faire. Voilà pourquoi il était important que je souligne que la maladie mentale résistante aux traitements, dans le contexte de la littérature et de nos discussions, d'un point de vue clinique, ne se compare pas à une maladie irrémédiable, et nous ne voulons pas que les gens pensent que les cas de résistance au traitement équivalent à l'irrémédiabilité, car ce n'est pas le cas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. J'ai deux questions à poser, dont la première s'adresse au Dr Carr. Docteur Carr, au lieu d'adopter à la hâte une loi incomplète, et je dirais même, dangereuse, à certains égards, ne serait- il pas plus sage de mettre ce projet sur la glace et d'amorcer une réflexion sérieuse, à l'échelle nationale, sur le sujet de la santé mentale?

Je vais vous faire part d'une expérience. Je siège au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je vous dirais, à la blague, que pendant six mois, nous avons étudié la mortalité précoce chez les abeilles. Or, dans ce cas- ci, en l'espace de six jours, on nous demande de nous prononcer sur un projet de loi qui traite de l'aide médicale à mourir pour les humains. Cela me laisse un peu perplexe. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

[Traduction]

Dr Carr : Merci de poser la question. Il est certain que le projet de loi C-14 demande une étude approfondie, et, comme je l'ai dit dans ma déclaration, je suis totalement d'accord avec cela. Je pense qu'il serait prématuré d'inclure la maladie mentale à cette étape et qu'il faut vraiment procéder à une étude approfondie pour s'assurer que les mesures de protection nécessaires sont en place.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s'adresse au Dr Ganzini. Je voudrais revenir à la pratique qui est suivie en Oregon. Depuis la mise en œuvre du projet de loi en Oregon, cette pratique a-t-elle entraîné le refus de l'aide médicale à mourir à des demandeurs qui avaient un diagnostic de troubles de santé mentale? Le cas échéant, pourriez- vous nous dire comment cela s'est passé?

[Traduction]

Dre Ganzini : Une exigence à respecter pour être admissible en Oregon, c'est d'avoir une espérance de vie de moins de six mois. La question consiste alors à déterminer s'il y a, dans ce contexte, des personnes atteintes de maladie mentale — plus particulièrement de dépression — où la maladie mentale influe sur la décision et où, plutôt que d'obtenir une prescription juridique, ces personnes devraient poursuivre le traitement de la dépression? Ça serait très différent du contexte d'une personne dont l'espérance de vie pourrait être des décennies.

Nous savons qu'un petit nombre de patients qui obtiennent des évaluations psychiatriques sont ensuite admissibles aux fins de la loi. Nous ne connaissons pas le pourcentage de patients qui sont refusés, en général, pour cause de maladie mentale. Il est certain que cela se produit, toutefois; nous ne connaissons tout simplement pas la proportion.

Nous savons également que, même si la loi de l'Oregon exige une évaluation psychiatrique ou psychologique, et si on craint que la dépression ait une incidence sur la maladie mentale, un petit nombre de patients atteints de dépression importante, d'un point de vue clinique, a accès à des prescriptions juridiques sans jamais consulter de professionnel de la santé mentale. On ne sait pas si le traitement de la dépression aurait pu les faire changer d'idée.

Dans l'ensemble, il peut s'agir d'un obstacle, mais la chose qui est la plus importante à savoir, en réalité, c'est que de 75 à 80 p. 100 des patients qui présentent une demande en Oregon ne sont atteints d'absolument aucune dépression mesurable. Voilà l'une des raisons pour lesquelles, dans le contexte de l'Oregon, je ne suis vraiment pas favorable aux évaluations psychiatriques obligatoires. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une bonne utilisation des ressources. Ça peut être humiliant pour les patients. Il s'agit d'un groupe de patients qui ont accordé une grande valeur au contrôle et à la dignité. Dans le cadre de nos études, les patients atteints de dépression qui accèdent à des prescriptions juridiques auraient tous été repérés par une simple mesure de dépistage de la dépression, comme le questionnaire PHQ-9. Je préconise un meilleur dépistage au sein de ce groupe de patients avant que l'on décide qui devrait être évalué par des professionnels de la santé mentale.

De plus, l'autre chose qui est différente en Oregon, c'est que 90 p. 100 des patients qui meurent sous le régime de notre Death with Dignity Act sont inscrits dans un centre de soins palliatifs. Tous les soins prodigués dans ces centres requièrent un travail avec un travailleur social clinique, et, honnêtement, ces travailleurs possèdent une expertise importante en matière de santé mentale auprès de patients en fin de vie et probablement plus d'expertise en santé mentale que la plupart des psychiatres.

Au milieu des années 1990, quand nous avons commencé ces études, nous avons mené un sondage auprès de tous les psychiatres de l'Oregon, et seul un très petit pourcentage avait prodigué des soins à un patient qui était en phase terminale au cours de l'année précédente.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je me pose beaucoup de questions sur l'application de cette loi dans le domaine de la santé mentale. J'y ai travaillé pendant quelques années, et c'est un domaine à la fois très complexe et très peu développé sur le plan scientifique. La psychiatrie est une science relativement inexacte, contrairement à la médecine, qui est relativement exacte.

Docteur Carr, avez-vous déjà côtoyé des patients, dans votre champ de pratique, à l'exclusion de ceux qui souffrent de schizophrénie chronique ou de démence — car il est connu que la démence chronique est plus évolutive vers la mort que vers la guérison —, qui souffraient d'une maladie psychiatrique, comme la toxicomanie, la délinquance sexuelle ou la schizophrénie, qui ne voyaient pas de possibilité de retrouver un équilibre et pour qui la mort était un moyen de se dégager de cette souffrance psychiatrique ou psychologique? Quelle a été votre pratique dans ce domaine? Avez-vous rencontré fréquemment des gens qui voulaient mettre fin à leur vie à cause de problèmes psychiatriques?

[Traduction]

Dr Carr : Merci. Il est certain que les idées suicidaires sont un symptôme fréquent des patients en psychiatrie et qu'il s'agit d'un élément commun à bon nombre de diagnostics. Cela peut arriver dans le cas de la dépression, et il s'agit d'un risque lié à la toxicomanie et à la schizophrénie, comme vous l'avez mentionné. On estime que la moitié des personnes atteintes de schizophrénie pourraient tenter de se suicider à un moment ou à un autre de leur vie. Les chiffres sont très élevés.

Dans ma pratique personnelle, j'ai été confronté à de nombreux patients qui affirmaient penser au suicide ou qui m'ont fait part d'idées suicidaires. C'est un sujet difficile. Il est difficile de traiter ces patients. C'est difficile pour le patient, pour sa famille et pour les soignants.

Il est juste de dire que, dans ma pratique, j'ai eu des patients qui se sont suicidés. Toutefois, dans la grande majorité des cas de personnes qui disaient avoir des idées suicidaires, ces pensées ont fini par disparaître grâce à un traitement adéquat. Cela témoigne de la nécessité d'offrir des ressources adéquates en psychiatrie et en santé mentale dans la collectivité, afin que ces personnes puissent être traitées et qu'elles envisagent d'autres choses, de sorte que l'aide médicale à mourir ne soit pas la première option vers laquelle elles se tournent.

La sénatrice Lankin : Je commence vraiment à mesurer de plus en plus le travail qui reste à faire en ce qui a trait aux personnes qui sont atteintes des maladies mentales. Je pense que le travail que font l'APC et le CAMH et le travail que vous offrez de faire sur le caractère irrémédiable et tous ces types de notions... c'est très important.

Docteur Carr, dans deux ou trois de vos arguments, vous avez formulé des commentaires concernant des dispositions du projet de loi qui seraient valables, de votre point de vue, en raison de la protection supplémentaire qu'elles offriraient aux personnes atteintes de maladie mentale. En revanche, certaines personnes soulèveraient des préoccupations au sujet de ces dispositions parce qu'elles s'appliquent à tout le monde.

Si je puis m'exprimer de façon précise, je voudrais soulever deux commentaires que vous avez formulés, en particulier.

Vous avez parlé d'une mort raisonnable et prévisible. Cette expression suscite des préoccupations importantes chez les gens en ce qui concerne une personne — sans maladie mentale — dont l'état de santé physique continue de se détériorer et dont la maladie est irrémédiable et lui cause une douleur intolérable, et pour laquelle aucun autre traitement ne peut répondre aux besoins de la personne.

Si nous changeons ce passage, cela vous poserait un problème en ce qui a trait aux personnes atteintes de maladie mentale, mais selon moi — et je voudrais que vous formuliez un commentaire à ce sujet — en réalité, il s'agit que nous établissions les bonnes mesures de protection pour les personnes atteintes de maladie mentale, pas d'établir une expression générale comme celle-là, qui s'applique à tout le monde.

Le deuxième élément que vous avez mentionné concernait les directives anticipées. Je songe ici à une personne atteinte de démence ou d'une tumeur au cerveau. Elle pourrait suivre tout le processus consistant à établir une directive anticipée et à nommer des décideurs remplaçants et mettre en place tous les mécanismes nécessaires pour s'assurer que, quand elle ne sera plus en mesure de confirmer de nouveau sa décision, quelqu'un sera là pour permettre qu'on lui offre de l'aide médicale à mourir.

Selon votre commentaire, la personne atteinte de maladie mentale pourrait changer d'avis, et nous avons entendu cet argument en ce qui concerne les directives anticipées en général. Une personne pourrait aussi changer d'avis dans le cas d'une ordonnance de non-réanimation, mais notre système a été assorti des bonnes mesures de protection d'emblée et des bons mécanismes pour appuyer des choses comme la prise de décisions par un remplaçant.

Pourriez-vous établir pour moi la distinction entre des mesures de protection pour les personnes atteintes de maladie mentale et les dispositions générales du projet de loi?

Dr Carr : Vous avez abordé deux questions, et les deux, en résumé, font ressortir le besoin de mener une étude concernant la maladie mentale. Voilà pourquoi nous devons procéder avec soin et nous assurer que nous disposons du bon mélange et que nous établissons la bonne réglementation.

Concernant la mort raisonnablement prévisible, il est certain qu'un grand nombre de traitements sont offerts du point de vue de la psychiatrie. Un patient pourrait percevoir sa situation comme étant sans espoir et se dire que cela ne peut plus continuer, mais, en psychiatrie, la plupart de nos maladies ne sont ni terminales ni fatales. De nombreux traitements sont offerts pour traiter ces maladies.

Le Dr Gaind a parlé de la résistance au traitement et de deux essais de médicaments qui sont étiquetés comme étant résistants aux traitements. Cela ne signifie pas qu'un troisième, qu'un sixième, voire qu'un dixième traitement ne va pas fonctionner. Il pourrait bien.

La présence de la mesure de protection relative à la mort raisonnablement prévisible nous permet de faire l'essai de ces autres traitements et de les utiliser dans l'espoir d'améliorer la vie et les perspectives du patient.

Pour ce qui est des directives anticipées, c'est compliqué. Il y a un grand nombre de cas où, en ce qui concerne l'évaluation d'un patient afin de déterminer s'il veut vivre et ce qu'il veut qu'il arrive à la fin de sa vie, les gens changent d'avis. Très souvent, il est très différent de dire bien à l'avance : « Je ne voudrais pas vivre avec telle maladie ou dans telles circonstances »... mais, il y a eu de nombreux exemples de personnes qui se sont retrouvées dans cette situation et qui ont changé d'avis et voulu faire autre chose.

Nous devons prêcher par excès de prudence afin de protéger le patient. Qu'arrivera-t-il si un patient dit : « Je ne veux pas que cela arrive », mais que, à mesure que la maladie progresse, il semble que, peut-être, la vie est plus tolérable que ce qu'il aurait cru? Qu'arrivera-t-il s'il affirme sa joie de vivre, même si son état a changé, et qu'il ne veut plus recevoir d'aide médicale à mourir?

Du point de vue de la capacité du patient d'être apte, qu'arrivera-t-il si un certain élément de cette aptitude change et qu'il devient très clair que le patient ne veut probablement plus recevoir l'aide médicale à mourir, mais que, comme il ne répondra plus aux critères relatifs à l'aptitude, vous ne saurez pas si vous devez procéder à l'intervention ou arrêter? L'autonomie du patient est aussi menacée de cette façon, alors vous devez vraiment prêcher par excès de prudence dans votre réglementation afin de protéger les personnes vulnérables. Si vous permettez les directives anticipées, selon moi, c'est très difficile, en psychiatrie... si ces directives sont en place. Actuellement, je pense que le projet de loi C-14 constitue un juste équilibre.

Le président : Nous disposons de quelques minutes pour une brève deuxième série de questions.

La sénatrice Jaffer : Nous avons très peu de temps, alors peut-être que vous pourrez nous fournir quelque chose plus tard. Je constate que des amendements ont été apportés à la Chambre et que quelque chose sera établi dans 180 jours. Vous travaillez tous auprès des personnes vulnérables. Selon vous, quel genre de processus devrait être établi pour que l'on puisse s'assurer que nous transmettons le bon message afin que, quand viendra le temps pour nous d'examiner le projet de loi, dans cinq ans, nous sachions que nous avons bien fait les choses? Que voudriez-vous voir?

Dr Rajji : De mon point de vue, il faut tenir davantage de consultations entre les diverses disciplines participant aux soins prodigués à une personne atteinte de maladie mentale afin que nous puissions : établir la définition du terme « irrémédiable » — la maladie mentale comporte-t-elle un aspect irrémédiable? —; évaluer la question de l'aptitude et de la fluctuation de l'aptitude relativement à un épisode aigu par rapport à la nature chronique de la maladie, quand les gens sont les plus susceptibles d'être aptes; et régler la question des directives anticipées relativement à la maladie mentale et à la démence.

La sénatrice Batters : Docteur Gaind, je veux vous accorder un tout petit peu de temps pour que vous nous donniez plus de détails au sujet de l'information récente qui provient des Pays-Bas et qui montre que les Néerlandais ont de réelles préoccupations au sujet de leur loi, laquelle permet que la souffrance psychologique soit le seul fondement permettant d'accéder à l'aide médicale à mourir. Ils ont observé des faits nouveaux récents qui les inquiètent. Voudriez- vous nous donner plus d'information à ce sujet, s'il vous plaît?

Dr Gaind : Certainement. Je ne connais peut-être pas tous les chiffres exacts par cœur. Mais l'étude portait sur une période de trois ou quatre ans, je crois, pendant laquelle 66 cas ont été examinés. De ces cas, la majorité était marquée par la solitude et l'isolement social. En plus d'autres diagnostics psychiatriques, comme la dépression ou d'autres, la majorité avait également reçu un diagnostic de trouble de la personnalité. Un nombre assez important n'avait pas subi d'évaluation psychiatrique indépendante, malgré le fait que des mesures de protection solides sont en place.

Ces patients avaient subi de nombreuses évaluations médicales, mais je crois que 12 p. 100 ou près de 20 p. 100 n'avaient pas fait l'objet d'une évaluation psychiatrique indépendante. En outre, une proportion de 10 à 14 p. 100 avait reçu des recommandations contradictoires de consultants, ce qui signifie qu'au moins un consultant pensait que la personne n'aurait pas dû être prise en compte aux fins de l'aide médicale à mourir, mais qu'elle l'avait tout de même reçue. De fait, je crois que l'un des cas n'atteignait même pas le seuil légal à la fin, et il semble qu'il soit actuellement à l'étude.

La sénatrice Batters : Merci de cette information.

Le sénateur Joyal : Docteur Gaind, dans votre lettre, vous avez mentionné que l'APC avait mis sur pied un groupe de travail temporaire chargé de mieux comprendre ces enjeux. Lorsque vous dites « temporaire », quelle est la période et quel est le mandat ou la portée des travaux de ce groupe de travail?

Dr Gaind : Dans une certaine mesure, nous allons modifier la période en fonction des exigences qui nous seront imposées par le projet de loi définitif et des délais relatifs à l'étude non législative proposés par le gouvernement. Actuellement, nous veillons à ce que les bons experts siègent au comité et envisageons de tenir de très vastes consultations sur ce sujet. La définition de certains de ces enjeux ne peut pas être effectuée uniquement par des professionnels de la médecine. Nous avons besoin d'éthiciens, de juristes et de personnes ayant vécu l'expérience également.

Pour ce qui est de la période, je peux vous dire que, comme nous allons l'adapter aux exigences que contiendra le projet de loi...

Le sénateur Joyal : Vous avez mentionné le fait que l'évaluation de l'aptitude mentale est très complexe. À quel genre de mesure de protection supplémentaire à celles qui figurent déjà dans le projet de loi C-14 songez-vous?

Dr Gaind : Pour l'aptitude ou la capacité de guérison?

Le sénateur Joyal : Pour l'aptitude. Il s'agit du premier critère. La personne doit être apte à comprendre les conséquences de sa décision.

Dr Gaind : En ce qui concerne l'aptitude, quand nous avons présenté un exposé devant le comité externe sur les options législatives, au mois de novembre — je pense bien —, nous avons en fait laissé entendre que, si la maladie mentale est en cause, on doit s'assurer qu'une personne adéquatement qualifiée qui connaît bien la maladie mentale et les problèmes qui s'y rattachent participe à ce processus d'évaluation. Comme nous l'avons laissé entendre à ce moment-là, un psychiatre doit participer à une partie de l'évaluation de l'aptitude en présence de maladie mentale, surtout parce que certains des changements cognitifs peuvent être très subtils et qu'ils peuvent passer inaperçus si on n'est pas expert dans le domaine.

Le président : Je remercie tous nos témoins de s'être présentés aujourd'hui et de nous avoir aidés dans le cadre de nos délibérations. Je remercie spécialement le Dr Gaind : je crois savoir qu'il est environ 3 heures du matin, à Hong Kong, alors il s'agit d'un véritable dévouement pour ce qui est de transmettre le message de votre association aux intervenants du milieu. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Dr Gaind : Merci, et je me réjouis à l'idée de me réveiller tôt.

Le président : Pour notre troisième groupe de témoins de la journée, nous accueillons le Dr Derryck Smith, professeur clinicien émérite au Département de psychiatrie de l'Université de la Colombie-Britannique, qui se joint à nous par vidéoconférence depuis Amsterdam. Nous accueillons également le Dr Scott Kim, professeur auxiliaire au Département de psychiatrie de l'Université du Michigan. Le Dr Kim se joint à nous par vidéoconférence depuis Washington D.C. Nous accueillons Patrick Baillie, psychologue du Service de santé de l'Alberta, de la Commission de la santé mentale du Canada.

Merci à tous de votre présence.

Docteur Smith, allons-y avec votre déclaration préliminaire. Vous disposez d'environ cinq minutes. Je peux vous accorder une certaine marge de manœuvre, mais pas trop.

Derryck Smith, à titre personnel : Merci. J'apprécie le dur travail effectué par le Sénat à cet égard. Je me rends compte du fait que vous travaillez de longues heures.

Mon point de vue du projet de loi, c'est qu'il tente de rétrécir le jugement rendu dans la décision Carter d'un certain nombre de façons importantes. Dans le premier cas, il vise à ajouter l'expression « sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible », et la raison de cet ajout est la protection des personnes vulnérables. Aucune donnée probante de nulle part dans le monde n'indique que, dans le cadre de programmes semblables, il y a des personnes vulnérables dont on profite, alors je ne vois aucune raison pour ajouter cette expression, et elle laisse une grande ambiguïté dans l'esprit des praticiens médicaux. Qu'est-ce que cela veut dire, que la mort est devenue « raisonnablement prévisible »? Par exemple, je peux vous garantir que je serai mort dans 50 ans. Est-ce que cela signifie que ma mort est « raisonnablement prévisible »? Je ne pense pas que les médecins aiment ce libellé ambigu.

La deuxième question que je veux soulever concerne l'exclusion de la maladie mentale. Encore une fois, l'arrêt Carter ne mentionne pas la maladie mentale, sauf en faisant allusion à la souffrance psychologique. En tant que psychiatre, j'ai lutté contre le stigmate de la maladie mentale pendant toute ma vie, et l'exclusion de la maladie mentale comme un genre de chose bizarre et inhabituelle, pas un problème médical — me trouble profondément. Il y a quelques personnes — et je veux insister sur le fait qu'il n'y en a que quelques-unes — qui sont atteintes d'une maladie psychiatrique « grave et irrémédiable » qui leur cause une souffrance insupportable, et ces personnes devraient pouvoir se prévaloir des mêmes avantages que tout autre Canadien. Selon moi, l'exclusion des personnes atteintes de maladie mentale de ce projet de loi contrevient à l'article 15 de la Charte, mais je laisse aux avocats le soin de donner une meilleure opinion.

Je comparais devant les tribunaux, en Alberta, actuellement, au sujet du cas d'une femme qui est atteinte d'une maladie psychiatrique et qui, selon moi, la rend admissible. Demain, nous allons entendre une décision de la Cour d'appel à ce sujet, alors il pourrait valoir la peine d'examiner cette décision.

La dernière qui a été rendue portait sur le problème de la démence. Cette affaire découlait non pas de la décision Carter, mais du comité mixte spécial. Il s'agit de l'enjeu le plus important, car un très grand nombre de Canadiens, y compris un grand nombre de nos amis et de nos collègues, vont mourir de démence. Cette maladie est terrible. On perd son sens de la personnalité. On ne sait plus qui on est. On devient incontinent urinaire et fécal, et on peut continuer à vivre dans cet état pendant 10 ans. J'ai été témoin de cette situation dans le cas de mon père et de ma belle-mère, et il s'agit d'un état épouvantable.

Nous n'avons pas besoin de cinq ans pour effectuer cette étude, car, pendant cette période, un grand nombre de Canadiens vont souffrir inutilement parce que nous procédons à l'étude. Nous devons établir une directive anticipée, afin que, quand on jouit de toutes ses facultés mentales, on puisse prendre une décision quant à ce qui arrivera une fois que l'on sombrera dans la démence.

Partout au Canada, nous avons déjà établi des lois relatives à des directives anticipées pour toutes sortes d'autres choses, et nous devons vraiment suivre le conseil du comité mixte spécial concernant les directives anticipées dans le cas de la démence. Cette maladie touchera un très grand nombre de Canadiens, et je pense que nous devons prendre des mesures maintenant au lieu de plus tard.

En résumé, je propose trois amendements : premièrement, que nous retirions la mention de la mort qui est devenue « raisonnablement prévisible »; deuxièmement, que la maladie mentale soit retirée en tant qu'exclusion; et, troisièmement, que nous ajoutions un libellé sur les directives anticipées pour les personnes qui sont compétentes, maintenant, mais qui vont, de manière prévisible, devenir incompétentes au moment où elles sombreront dans la démence.

Le président : Merci, docteur Smith. Docteur Kim, veuillez procéder.

Scott Kim, professeur auxiliaire, Département de psychiatrie, Université du Michigan, à titre personnel : Je vous remercie de me donner cette occasion de vous faire part de mes réflexions.

Je vais limiter mes commentaires à la pratique de l'aide médicale à mourir en raison de troubles psychiatriques — ce que j'appellerai l'aide médicale à mourir psychiatrique —, mais je serai heureux de répondre à des questions sur d'autres sujets.

Comme le rapport du comité mixte spécial suit de près les modèles de la Belgique et des Pays-Bas, je vais me fonder sur deux études récentes — j'en ai moi-même mené une — portant sur ces pays.

En guise de préface, je souligne que, même si les gens ne s'entendent pas sur le fait que l'aide médicale à mourir psychiatrique est acceptable, toutes les parties au débat, selon moi, peuvent convenir de quelques éléments, et c'est par cela que je vais commencer. Premièrement, les personnes atteintes de troubles psychiatriques graves souffrent profondément, et nous devons intervenir face à cette souffrance. Je pense que tout le monde s'entend là-dessus.

Deuxièmement, les personnes atteintes de maladies psychiatriques graves sont particulièrement vulnérables. Elles sont souvent stigmatisées et amenées à avoir l'impression qu'on ne veut pas d'elles. Comme elles sont souvent perçues comme étant « différentes », de nombreuses personnes, y compris certains médecins qui ne sont pas psychiatres, ont une compréhension limitée de ces troubles. Un aspect pénible de ces troubles tient au fait que le jugement du patient — même si la personne est légalement compétente — est souvent influencé par des perceptions et des sentiments provoqués par la maladie, comme des sentiments de désespoir, lesquels, nous le savons, peuvent provoquer un sentiment de détresse chez d'autres personnes également.

Troisièmement, il faut faire extrêmement attention au moment d'élaborer des politiques relatives à l'aide médicale à mourir dans les cas de maladie non terminale parce que la perte prématurée et inutile d'une vie est un grand préjudice. En outre, voici un argument très important : les morts ne formulent pas de plainte, surtout lorsqu'il s'agit d'une personne qui est isolée et stigmatisée et au nom de qui peu de personnes pourront parler après son départ.

Sur ce, je vais passer à quelques conclusions fondées sur un rapport détaillé que j'ai fourni au comité. Vous pouvez regarder mon document écrit. Je vais simplement vous donner quelques conclusions, puis vous pourrez chercher les données probantes et le reste dans ce document.

Première conclusion : il y a un écart entre les suppositions idéalisées que nous faisons au sujet de l'aide médicale à mourir psychiatrique en nous concentrant sur des cas clairs qui, dans notre esprit, sont clairs pour de nombreuses personnes et ce qui se passe vraiment. Même si les débats à ce sujet portent presque exclusivement sur le traitement de la dépression résistante aux traitements, en Belgique et aux Pays-Bas, des personnes ont reçu l'aide médicale à mourir pour la schizophrénie chronique, des troubles de l'alimentation, l'autisme et le deuil prolongé, entre autres. La plupart présentent des troubles de la personnalité, et la plupart sont des personnes seules et socialement isolées. Cela a été bien documenté. Nous ne savons pas pourquoi les femmes sont plus de deux fois plus susceptibles que les hommes de recevoir l'aide médicale à mourir psychiatrique et de la demander.

Deuxième conclusion : les médecins néerlandais ne s'entendent pas sur la futilité médicale dans ces cas-là. Dans environ le cinquième des cas, les patients sont jugés être dans un état de santé médicalement futile, même s'ils refusent les traitements indiqués. Il semble que les patients qui reçoivent l'aide médicale à mourir pour des motifs d'ordre psychiatrique n'ont pas tous reçu tous les traitements indiqués.

La raison est que la détermination de la futilité médicale des troubles psychiatriques dépend d'impressions cliniques qui peuvent varier d'un médecin à un autre, puisque les critères sont très vastes. Même dans le cas de la « dépression résistante aux traitements », par exemple, l'application de ce principe à un cas particulier n'est pas aussi facile que nous le pensons, et, dans le cas d'autres maladies qui sont mentionnées, c'est encore moins clair. Par exemple, je ne suis au courant de l'existence d'aucun document sur lequel un clinicien peut se fonder pour décider quand une personne vivant un deuil prolongé serait admissible à l'aide médicale à mourir.

En ce qui concerne la capacité décisionnelle des patients, les experts trouvent que son évaluation est une tâche difficile. J'étudie ce sujet, et j'écris un livre là-dessus depuis les 15 à 20 dernières années. Le jugement varie considérablement, même entre cliniciens qualifiés, lorsque les cas sont dans les zones grises... des cas susceptibles d'être fréquents lorsqu'il est question d'aide médicale à mourir psychiatrique. Ainsi, on pourrait s'attendre à ce que la détermination de l'aptitude dans ce contexte suppose un examen extrêmement approfondi et une justification soigneuse, car il s'agit d'une façon de s'assurer qu'un parti pris indésirable ne s'immisce pas dans ces évaluations. Dans mon examen des cas de psychiatrie néerlandais, je n'ai pas constaté que la tenue d'un examen approfondi ou le respect d'un seuil de justification constituaient une pratique systématique.

En bref, le jugement des médecins concernant la futilité et l'aptitude doit respecter des critères vastes et vagues applicables à des contextes cliniques compliqués. Ils sont susceptibles d'être intrinsèquement peu fiables et influencés par le point de vue personnel des médecins. Dans le simple but d'illustrer mes propos, je signalerai que, dans l'étude de la Belgique, qui faisait état de 100 cas consécutifs, il a été conclu que tous les cas que l'auteure avait évalués respectaient les critères relatifs à l'aptitude et à la souffrance intolérable provoquée par une maladie psychiatrique médicalement futile, sans exception.

Je devrais également souligner, comme je le mentionne dans mon document écrit, qu'il est probable que le médecin en question soit intervenu dans pratiquement tous les cas d'aide médicale à mourir psychiatrique — ou dans la plupart — qui ont eu lieu partout dans ce pays durant l'année visée par le rapport.

L'aide médicale à mourir psychiatrique peut-elle être réglementée de façon fiable afin que les patients vulnérables atteints d'une maladie non terminale ne la reçoivent pas par erreur? J'ai l'impression que, même si cela semble possible lorsque nous nous concentrons sur des cas idéalisés, les données probantes réelles donnent à penser qu'il en va autrement.

Le président : Monsieur Baillie, la parole est à vous.

Patrick Baillie, psychologue, Service de santé de l'Alberta, Commission de la santé mentale du Canada : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de l'invitation à présenter un exposé au nom de la Commission de la santé mentale du Canada. Je commence par souligner le fait que Louise Bradley, PDG de la Commission de la santé mentale, est actuellement en voyage d'affaires gouvernemental et qu'elle regrette d'être dans l'impossibilité de se présenter. À sa place, pour la deuxième fois en trois semaines, vous m'accueillez à nouveau. Il s'agit d'un dialogue important, et nous apprécions le fait d'avoir la possibilité de prendre part au processus.

Je veux commencer par signaler que la CSMC approuve tous les aspects du projet de loi qui servent à protéger les personnes vulnérables, y compris celles qui présentent des problèmes de santé mentale et qui sont atteintes de maladie mentale, par exemple, en instituant un délai de carence afin que les gens aient le temps de réfléchir à leur demande d'aide médicale à mourir et en exigeant la tenue d'une évaluation répétée du consentement au moment de l'administration de l'aide médicale à mourir. La commission salue également l'accent que met le projet de loi, quoique principalement par le truchement du document contextuel de Justice Canada, sur la distinction entre l'aide médicale à mourir et le suicide, ce dernier étant une situation où, comme le décrit le document contextuel, la personne n'est « pas à l'approche d'une mort naturelle ».

La commission appuie la décision d'adopter une approche progressive par rapport au projet de loi C-14, car une période adéquate est nécessaire pour faciliter la tenue d'une conversation nationale complète au sujet des types de mesures de protection acceptables dont vous avez déjà entendu le Dr Smith et le Dr Kim discuter relativement à l'accessibilité de l'aide médicale à mourir pour les personnes qui sont atteintes de troubles psychologiques ou de santé mentale seulement. Ainsi, on pourra réduire au minimum les conséquences négatives sur les personnes ayant des problèmes de santé mentale et atteintes de maladie mentale lorsqu'elles sont les plus vulnérables, de même que les conséquences sur leurs soignants et sur les professionnels de la santé.

Un document d'information qui vous a peut-être été fourni contient dix recommandations précises que la CSMC a présentées. Par souci de concision, je n'en aborderai que quelques-unes.

La première est la notion consistant à s'assurer que l'accès à des services de santé mentale axés sur le rétablissement est adéquat partout au pays. Comme l'a décrit le Dr Kim, l'une des principales raisons pour lesquelles, aux Pays-Bas, les personnes demandent l'accès à l'aide médicale à mourir lorsqu'elles ont un problème principalement psychiatrique, c'est la solitude, le détachement social et un degré différent d'accès aux traitements. Si une personne n'a pas été en mesure d'accéder aux soins appropriés en santé mentale, comme c'est souvent le cas partout au Canada, et que cette personne commence à considérer l'aide médicale à mourir comme une solution de rechange au fait de continuer à vivre sans accéder au traitement, cela préoccupe la CSMC.

La deuxième recommandation, c'est que l'on mette l'accent sur l'importance parallèle des documents sur la prévention du suicide. Il est clair que la prévention du suicide est une partie clé de démarche que cible la Commission de la santé mentale, alors il importe de faire la distinction entre l'aide médicale à mourir et la notion de suicide.

La troisième recommandation concerne la tenue d'une conversation nationale dans le cadre de laquelle on inclurait des personnes vivant avec des problèmes de santé mentale. Plus tôt aujourd'hui, vous avez entendu parler de l'inclusion d'autres groupes professionnels — les ergothérapeutes, les psychiatres, les praticiens en soins infirmiers —, mais on a très peu discuté de l'inclusion des personnes ayant des problèmes de santé mentale, lesquelles pourraient avoir leur propre point de vue sur le projet de loi et apporteraient une contribution intéressante et importante à la conversation.

Nous voulons nous assurer que des mécanismes appropriés sont en place afin de réduire au minimum le risque de mort injustifiée, y compris, par exemple — conformément aux recommandations que vous avez entendues plus tôt aujourd'hui — le fait que le choix consensuel et éclairé d'accéder à l'aide médicale à mourir soit fait par une personne qui a participé à une évaluation qui écarte l'influence des problèmes de santé mentale. La loi de l'Oregon est décrite en détail dans le document contextuel du ministère de la Justice, mais ce document n'inclut pas une partie très importante de cette loi, c'est-à-dire la disposition suivante :

Si le médecin traitant ou le médecin consultant est d'avis que le patient pourrait être atteint d'un trouble psychiatrique ou psychologique ou d'une dépression nuisant à son jugement, il doit...

— et j'insiste sur le libellé « doit » —

... aiguiller le patient à des fins de counseling. Aucun médicament ne doit être prescrit dans le but de mettre fin à la vie d'un patient d'une manière humaine et dans la dignité avant que la personne offrant les services de counseling ait déterminé que le patient n'est pas atteint d'un trouble psychiatrique ou psychologique ou d'une dépression nuisant à son jugement.

Dans les cas où un certain problème de santé mentale — pas en tant que seul diagnostic, car le projet de loi exclut clairement cela pour le moment et prévoit la tenue d'un dialogue dans l'avenir — pourrait être lié à la décision de la personne de demander l'aide médicale à mourir, il importe de s'assurer qu'une évaluation a permis de déterminer que la dépression ou un autre problème de santé mentale ne nuit pas au jugement de la personne. Cet élément touche la vaste question de l'évaluation de l'aptitude.

Comme vous le savez tous, l'aptitude suppose la capacité de comprendre les renseignements pertinents par rapport à la décision ainsi que les conséquences de la décision. Quelle décision pourrait avoir des conséquences plus importantes que celle de demander l'aide médicale à mourir? Alors, nous voulons nous assurer que des mesures de protection adéquates sont en place.

La commission recommande que deux professionnels de la santé mentale qualifiés participent à l'évaluation, dont l'un est un professionnel n'ayant jamais participé à des interventions liées au cas du patient et qui peut offrir une évaluation objective.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les trois de vos exposés. Le sujet que vous abordez tous fait partie des éléments les plus difficiles du projet de loi. Le problème que me pose le projet de loi tient à l'égalité. Dans ce cas-ci, l'égalité est une question non pas de traiter tout le monde également, mais de traiter les gens différemment. Le défi tient à l'obtention d'un consentement éclairé.

Une personne pourrait répondre à tous les critères, être atteinte d'une maladie incurable et irréversible, sa mort naturelle pourrait être prévisible, et toutes ces choses pourraient être en place, mais elle pourrait être incapable de donner un consentement éclairé en raison de ses problèmes de santé mentale.

Docteur Smith, j'ai entendu ce que vous avez dit au sujet des directives anticipées. Je vous ai entendu dire que nous ne devrions pas attendre et toutes ces choses. Le défi que nous devons relever concerne la façon dont nous allons établir un équilibre entre la protection des personnes vulnérables et le fait de s'assurer que les personnes vulnérables ont les mêmes droits que nous tous.

Dr Smith : Merci, madame la sénatrice Jaffer. Je pense que nous avons déjà intégré des mesures de protection dans le projet de loi C-14. Nous avons prévu deux médecins indépendants. Nous avons prévu deux témoins indépendants. Il me semble que ces mesures de protection dépassent celles de tout autre endroit dans le monde.

Les gens qui ont une maladie mentale devraient avoir les mêmes droits et avoir accès aux mêmes traitements que les gens qui ont un autre type de maladie. Il n'y a aucune différence. S'ils sont incapables, ils ne devraient pas pouvoir donner leur consentement. Mais il y a bien des gens qui ont une maladie physique qui ne sont pas capables. Ce qui me déplaît, c'est quand on isole la maladie mentale pour en faire une sorte de catégorie spéciale. C'est la conséquence des préjugés sur la maladie mentale. Nous devons aussi éliminer cela.

J'ai rencontré aujourd'hui des médecins de la Belgique et des Pays-Bas qui s'occupent de ce type de patients. J'ai rencontré au Canada un patient qui répond clairement à tous les critères. Les maladies dont ils souffrent vont continuer de progresser. Ils ont essayé tout ce qu'il était possible d'essayer. Ils souffrent. Ils ont une maladie psychiatrique. Quelle est la différence entre cela et mourir d'un cancer, d'un problème rénal ou de la SLA? Je ne suis pas d'accord. Je ne crois pas que le Sénat doive lui non plus donner son accord. Nous devons supprimer de ce projet de loi tout ce qui concerne la santé mentale.

Cet aspect n'a pas été reconnu dans Carter. En fait, Carter parlait de souffrances psychologiques. N'entretenons pas de préjugés à l'égard des personnes qui ont une maladie mentale. Prêtons-leur l'oreille. Je suis d'accord avec le Dr Kim, écoutons les personnes qui ont une maladie mentale. Laissons-les comparaître devant un juge. C'est la procédure la plus équitable. Attendons de voir ce que les tribunaux auront à dire quant à leur capacité de consentement et de voir s'ils répondent aux critères énoncés dans Carter.

La sénatrice Jaffer : Nous avons entendu plus tôt un témoin qui a dit, si je l'ai bien compris, que nous devrions demander l'opinion d'un psychiatre en ce qui concerne les gens qui ont des problèmes de santé mentale. Pensez-vous que cela serait utile pour notre projet de loi?

Dr Smith : Peu importe le type de maladies, il est toujours mieux de s'appuyer sur un spécialiste. Quand il s'agit d'un cancer des reins, il faut un néphrologue. Quand il s'agit de la SLA, il faut un neurologue. Si c'est une maladie psychiatrique, il faut un psychiatre. C'est logique. C'est une façon de traiter tout le monde de la même manière.

Il ne faut pas oublier qu'au bout du compte, une maladie psychiatrique, c'est un problème du cerveau humain. Rien de plus. C'est un organe parmi tant d'autres. Pourquoi devrions-nous soumettre une catégorie de gens à de la discrimination tout simplement parce qu'ils ont une maladie mentale plutôt qu'un cancer ou la SLA?

Le sénateur White : Merci à tous d'avoir participé à notre étude. Docteur Smith, vous avez déclaré que vous aimeriez que l'on supprime l'expression « raisonnablement prévisible ». Par quelle expression la remplaceriez-vous?

Dr Smith : Cette expression, les juges et les avocats la connaissent assez bien. Elle est absolument inexacte pour les médecins. Mon collègue Richard Fowler, conseil de la reine de Vancouver, a expliqué à quel point cette expression était vague et pourquoi elle amenait les médecins à ne pas vouloir participer. Si les médecins transgressent la loi, s'ils franchissent la ligne, ils commettent un homicide. Le libellé doit être parfaitement clair. L'expression « raisonnablement prévisible », cela ne veut rien dire.

« Raisonnablement prévisible », cela peut se traduire en heures, mais aussi en années. L'arrêt Carter ne disait rien de la phase terminale. Nous n'avons pas besoin de ce type d'expressions dans le projet de loi.

Le sénateur White : Alors, quelles expressions proposez-vous pour la remplacer?

Dr Smith : Je la supprimerais, tout simplement, et j'utiliserais les termes utilisés dans l'arrêt Carter « graves et irrémédiables » et « souffrances intolérables ». Ce sont les seules choses dont nous avons besoin.

En fait, le principal plaignant dans l'affaire Carter, Kay Carter, n'aurait pas rempli les critères, selon ce projet de loi. Je la connaissais bien. Kay n'avait pas une maladie terminale. Elle souffrait de sténose spinale. Elle souffrait. Elle aurait pu vivre encore 5 ou 10 ans. Elle est allée en Suisse pour recevoir une aide médicale à mourir, car cette aide n'était pas offerte au Canada. C'est ce que feront de plus en plus les Canadiens qui en ont les moyens si nous leur refusons l'accès à l'aide médicale à mourir. Nous devons tout simplement respecter la teneur de l'arrêt Carter, qui était formulé en termes on ne peut plus clairs.

Le sénateur White : Avons-nous vraiment besoin de ce projet de loi? Pourquoi ne pourrions-nous pas tout simplement suivre l'arrêt de la Cour suprême à partir de maintenant?

Dr Smith : Eh bien, voilà une question très intéressante. Il y a eu un précédent, la décision de la Cour suprême qui légalisait l'avortement. Aucun gouvernement du Canada n'y a touché.

Personnellement, j'aimerais mieux qu'il n'y ait pas de loi plutôt que le projet de loi C-14. Cela voudrait dire que la réglementation relèverait des ordres des médecins des provinces. J'aimerais beaucoup mieux que l'on se fonde sur le libellé de l'arrêt Carter plutôt que d'avoir un projet de loi imparfait que nous allons devoir réexaminer dans cinq ans et étudier pendant que des Canadiens souffrent.

Le sénateur White : Merci.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Docteur Smith, vous avez déclaré qu'un spécialiste devait participer à cet arrangement en particulier. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, exige que deux infirmières praticiennes donnent une approbation à l'administration de l'aide médicale au suicide.

Dr Smith : Comme bien des choses au Canada, il s'agit d'un compromis. J'ai travaillé dans les régions rurales du Canada et je sais que de nombreuses petites collectivités dans le Nord, n'ont pas de médecin. La raison pour laquelle les infirmières praticiennes sont mentionnées, c'est qu'il faut permettre aux Canadiens des régions rurales et isolées de se prévaloir des droits que leur accorde la Charte, par le truchement d'une infirmière praticienne.

Idéalement, j'aurais aimé que le médecin de famille du patient et un spécialiste indépendant d'en occupent, mais nous sommes au Canada.

La sénatrice Batters : Docteur Baillie, pourriez-vous me dire combien de temps il faut attendre en moyenne pour voir un psychiatre, au Canada? Quel pourcentage des Canadiens qui ont un problème de santé mentale n'ont pas demandé un traitement? J'aimerais que vous me parliez un peu des mesures de protection que la Commission de la santé mentale du Canada a proposées. Il y avait entre autres une période d'attente de trois mois, ce qui est beaucoup plus long que les 10 jours que propose actuellement le gouvernement fédéral.

M. Baillie : Les délais d'attente pour un accès à un psychiatre varient à l'échelle du pays. Dans le cas d'un psychiatre de pratique communautaire, au Québec, la liste d'attente est de un à deux ans. En Alberta, pour un psychiatre de pratique publique, c'est toujours près d'une année.

En ce qui concerne le pourcentage de Canadiens qui n'ont pas un accès officiel à un traitement, un traitement par un professionnel de la santé mentale formé à cet égard, près de 75 p. 100 des Canadiens n'y ont pas accès. Mais il y a un problème plus important, puisque l'assurance-maladie finance l'accès aux médecins et aux psychiatres, mais pas, par exemple, aux ergothérapeutes ou à d'autres professionnels de la santé mentale réglementés.

En ce qui concerne les mesures de protection, la deuxième question à laquelle la commission voulait s'attaquer a trait à la période de réflexion que vous avez décrite. Dans tous les cas où il y aurait un indice touchant une influence indue ou un handicap important découlant du problème de santé mentale, nous recommanderions une période d'attende plus longue, non seulement pour permettre une évaluation plus poussée, mais également pour donner à la personne l'occasion peut-être de s'informer sur les autres formes de traitements disponibles, au-delà des interventions pharmacologiques, par exemple, dont elle aurait déjà fait l'essai.

La sénatrice Batters : Docteur Kim, dans votre document détaillé, il y a une chose qui m'a frappée :

Étant donné que j'ai étudié et enseigné les aspects tant normatifs qu'empiriques de la capacité de prise de décision pendant près de 20 ans, j'insisterais sur le fait qu'une personne qui ne tient pas compte des difficultés liées à l'évaluation de la capacité des personnes atteintes de graves problèmes psychiatriques demandant l'aide médicale à mourir ne fonde pas son opinion sur les données existantes.

J'aimerais avoir davantage d'information à ce sujet, étant donné que vous n'avez pas eu beaucoup de temps pour nous présenter votre déclaration préliminaire.

Dr Kim : Oui. Merci. Même si nous pouvons nous appuyer sur les critères qu'on nous a appris, la plupart des psychiatres — ceux qui ont participé à notre enquête — estiment qu'il est très difficile et complexe d'appliquer ces critères plutôt larges à des situations cliniques complexes, en particulier lorsque le patient est capable de communiquer, mais qu'il est affecté par un problème de santé susceptible d'altérer son jugement ou son raisonnement.

Nous avons mené des études dans lesquelles nous présentions exactement le même cas à de nombreux psychiatres, 100 psychiatres. Nous avons obtenu des réponses très variées quant à la question de savoir si le patient était capable. Si nous le faisons, c'est que nous devons le faire, et quand le cas est clair, c'est facile; cependant, lorsqu'il s'agit de gens dont la maladie est beaucoup plus subtile, pour lesquels l'évaluation doit être beaucoup plus minutieuse, ce n'est pas si facile.

Nous avons récemment passé en revue tous les documents que nous avions examinés portant sur les 66 cas d'aide médicale à mourir qui ont été enregistrés aux Pays-Bas. Il y a une chose qui m'a frappée, le fait que, dans plus de la moitié des cas, on y trouvait seulement un résumé des jugements du médecin — il ne s'agissait même pas habituellement d'un psychiatre — affirmant que la personne était capable. Pourtant, il s'agissait de personnes atteintes de maladies psychotiques chroniques; de maladies alimentaires chroniques et graves; d'autres problèmes qui, comme nous le montre la pratique clinique, altèrent souvent la capacité de décision. Aucune explication n'a été fournie.

C'est pourquoi je crois que des décisions de ce type peuvent sérieusement être affectées par les opinions personnelles des personnes qui procèdent à l'évaluation.

Nous aurions aimé que les procédures soient beaucoup plus détaillées, mais cela n'est pas le cas.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins, les exposés étaient vraiment excellents.

J'aimerais clarifier quelque chose, docteur Smith. Vous avez dit que vous connaissiez la situation de Mme Kay Carter, de l'affaire Carter. Comme vous le savez probablement, l'arrêt Carter ne concernait pas la situation de Mme Carter, elle concernait la situation d'une Mme Taylor. Dans sa décision, le tribunal n'a mentionné qu'indirectement la situation de Kay Carter, en s'appuyant sur le témoignage de sa fille. Je vais vous en lire deux phrases. Vous l'avez d'ailleurs souligné avec raison :

. . . elle a reçu un diagnostic de sténose spinale, un état qui entraîne la compression progressive de la moelle épinière. On a dit à Kay qu'une opération chirurgicale pourrait soulager en partie la compression de sa moelle épinière, mais elle a refusé en raison des risques importants de cette opération.

L'état physique de Kay s'est détérioré régulièrement pendant les mois suivants, même si ses facultés mentales restaient intactes. En août 2009, elle avait besoin d'aide pour presque toutes ses activités quotidiennes, pour se nourrir, pour faire sa toilette... Elle était confinée à un fauteuil roulant, mais ne pouvait pas le manœuvrer toute seule... Kay éprouvait une souffrance chronique et prenait des médicaments de plus en plus forts à mesure que son état se détériorait...

[Elle craignait] de n'avoir pas physiquement la force de se rendre en Suisse, car son état se détériorait rapidement.

Elle disait cela en raison de son état, et c'est tout ce qu'a dit le juge de première instance. Mais ce juge, au moment de déterminer l'état de Mme Taylor, demandait non seulement qu'elle souffre d'une maladie terminale, conformément aux exigences de ce jugement, mais aussi que sa mort approche. C'était au paragraphe 1414 de la décision.

La question que je vous pose est la suivante : Comment pouvez-vous affirmer que Kay Carter n'aurait pas respecté les exigences de la loi, étant donné les déclarations relatives à l'extrême détérioration de son état formulées par le juge de première instance, de façon incidente, plus ou moins, mais sans les inclure à la constatation des faits?

Dr Smith : J'ai l'avantage d'avoir comparu à titre de témoin expert, dans cette affaire, et d'avoir connu individuellement toutes les personnes concernées, y compris M. Joseph Arvay, c. r. M. Arvay et la famille de Kay Carter étaient d'avis qu'elle n'aurait pas répondu aux critères. Je serais donc de la même opinion, étant donné que je connais très bien cette affaire. Mon opinion, à titre de témoin expert, c'est qu'elle n'aurait pas rempli les critères et qu'elle se serait probablement étiolée indéfiniment.

En ce qui concerne les autres plaignants, le dernier qui est décédé — la semaine dernière, d'ailleurs — grâce à l'aide médicale à mourir, ils n'étaient pas du tout en phase terminale, et ils n'auraient pas pu recourir à l'aide médicale à mourir en application du projet de loi C-14, mais ils y auraient eu droit selon l'arrêt Carter. Je ne vois donc aucune raison pour laquelle on ne retiendrait pas le libellé de l'arrêt Carter. Il a fait l'objet d'une longue réflexion. C'est la juge Lynn Smith qui a rédigé cet arrêt. La Cour suprême l'a accepté plus ou moins instantanément, et je crois que nous devrions en faire notre point de repère. Cet arrêt ne dit absolument rien au sujet d'une maladie terminale.

Le sénateur Baker : De quelle affaire parlez-vous? L'autre jour, vous avez parlé d'une affaire concernant une personne qui n'était pas en phase terminale, mais pour qui la Cour supérieure a rendu une décision. Vous souvenez- vous de quelle affaire il était question?

Dr Smith : Non, je crois que je parlais d'une affaire à laquelle j'ai participé, en Alberta, concernant une femme se trouvant devant les tribunaux et pour laquelle le seul critère était un problème de santé mentale. J'ai reçu le dossier, et je puis vous assurer qu'elle répond au critère concernant une maladie grave et irrémédiable de même que des souffrances intolérables, qui sont fondées sur un diagnostic psychiatrique.

Le sénateur Baker : La décision doit être rendue demain?

Dr Smith : La décision doit être rendue demain par la Cour d'appel. Cette dame s'est présentée devant les tribunaux. C'est une femme de condition modeste. Elle s'est retrouvée devant les tribunaux contre les procureurs généraux de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et du Canada. Même si le juge avait décidé qu'elle pouvait avoir recours à l'aide médicale à mourir, le procureur général du Canada a interjeté appel de la décision devant la Cour d'appel.

Cela a entraîné, pour cette dame, des délais et toutes sortes de dépenses. Elle continue à souffrir. C'est exactement ce qui se passe quand le gouvernement se présente devant les tribunaux avec toutes ses ressources pour contester le droit des gens à mourir selon des règles qui sont exposées assez clairement dans Carter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse au Dr Smith. Docteur Smith, vous semblez être assez familier avec les tribunaux. Je ne sais pas si c'est la pratique courante partout au Canada, mais au Québec, il suffit d'avoir deux psychiatres comme témoins dans une cause pour comprendre à quel point il est difficile d'arriver à un diagnostic qui est sûr à 100 p. 100. Donc, si deux opinions psychiatriques s'affrontent dans le cadre de la même demande d'aide à mourir pour une personne atteinte de problèmes de santé mentale, qui devra trancher en fin de compte?

[Traduction]

Dr Smith : Je vous assure qu'il y a des listes d'attente pour voir un psychiatre, un oncologue, un rhumatologue. Les Canadiens n'ont pas immédiatement accès aux soins médicaux dont ils ont besoin.

Je refuse de croire que la situation est différente en psychiatrie. Il y a certainement des listes d'attente, et c'est la même chose que dans toutes les autres disciplines de la médecine.

Encore une fois, je ne vois pas pourquoi nous aurions besoin... nous n'allons pas régler les problèmes des soins de santé au moyen du projet de loi C-14. Les Canadiens n'ont pas, malheureusement, accès rapidement et régulièrement aux soins de santé dont ils ont besoin.

Cela dit, je ne vois aucune raison pour laquelle il nous faudrait distinguer les patients psychiatriques des patients atteints d'une autre maladie, qui eux aussi doivent s'inscrire sur une longue liste d'attente pour voir un médecin.

Est-ce que les patients psychiatriques sont moins capables que les autres patients? Je ne suis pas d'accord. S'ils ont une maladie psychotique, peut-être, mais les gens qui souffrent d'un cancer en phase terminale peuvent eux aussi être incapables. Vous êtes la proie des souffrances, votre famille vous regarde mourir, et vous avez toutes sortes d'autres soucis en tête. La question de la capacité ne concerne pas uniquement les maladies psychiatriques. Elle concerne tous les gens qui souffrent, je le répète, d'une maladie grave et irrémédiable.

Le sénateur Joyal : Docteur Smith, j'aimerais revenir à un passage de votre mémoire, dans lequel vous parlez de la notion de décès raisonnablement prévisible. Vous dites :

Ce libellé serait prétendument nécessaire pour protéger les personnes vulnérables qui seraient tentées de « mettre fin à leur vie dans un moment de détresse ».

Si je comprends bien le raisonnement du projet de loi, il viserait en fait à faire en sorte que les gens qui ont accès à une aide médicale à mourir soient proches de leur fin. Ils ne sont pas en phase terminale, comme le Québec voulait le prévoir dans sa loi, mais ils sont sur le point de mourir. Cela exclut toutes les autres personnes qui pourraient souffrir d'une maladie grave, irrémédiable et intolérable, car, comme vous le dites, ce sont des personnes vulnérables.

La cour a déclaré que les articles 14 et 241 du Code criminel étaient inconstitutionnels, car ils imposaient une interdiction générale. J'ai l'impression que, si nous excluons tous les patients qui souffrent d'une maladie grave et irrémédiable et se retrouvent dans une situation intolérable, le projet de loi ferait en fait exactement ce que le tribunal a refusé de reconnaître comme argument pour maintenir l'interdiction de l'aide médicale à mourir. Donc, les personnes vulnérables deviennent un concept au sujet duquel nous devons proposer des lignes directrices.

À mon avis, le projet de loi ne tient pas compte du concept utilisé par le tribunal pour imposer l'interdiction et il ramène l'interdiction générale pour une autre catégorie de patients. Est-ce que mon interprétation du projet de loi est correcte?

Dr Smith : Je l'ignore. Mais je vais vous dire ce que j'en pense. Les Canadiens se sont penchés sur la question de savoir si toutes les personnes handicapées étaient vulnérables. C'est un comité spécial du Québec qui a été le premier à mener cette étude. Il n'a trouvé aucun élément probant selon lequel des personnes jugées vulnérables avaient accès à l'aide médicale à mourir. La question a été réexaminée en profondeur par la juge Lynn Smith, qui a rejeté le témoignage selon lequel il y aurait des éléments probants selon lesquels les administrations qui, dans le monde, avaient adopté ce type de lois prenaient avantage des personnes vulnérables. En fait, mon opinion personnelle, c'est que les personnes vulnérables seraient bien plus susceptibles de faire l'objet d'abus dans les environnements non réglementés que dans ceux où il y a une loi.

Toutefois, certains aspects du projet de loi C-14 me plaisent. J'aime bien la clause touchant l'indépendance des deux médecins et j'aime encore plus la clause touchant les deux témoins indépendants. Cela garantit selon moi toute la protection voulue aux personnes vulnérables en empêchant qu'elles ne soient incitées à mourir par des parents cupides ou en raison du coût des soins de santé ou de choses comme cela.

Je crois que nous devons protéger les gens vulnérables, mais, dans un environnement réglementé, rien ne prouve que l'on profite des gens vulnérables.

Le sénateur Plett : J'ai deux ou trois commentaires, puis une question.

Monsieur Smith, vous avez présenté le modèle des Pays-Bas à deux ou trois reprises comme le modèle que nous devrions peut-être essayer de suivre. Le fait est que, aux Pays-Bas, une personne de 64 ans qui souffrait de solitude a eu accès au suicide assisté; une dame d'une cinquantaine d'années, qui avait une phobie des germes, a eu droit au suicide assisté. Si nous adoptions tel quel le modèle des Pays-Bas, il y aurait environ 9 000 cas par année au Canada.

Vous dites que la maladie mentale est exactement pareille à toute autre maladie. Je crois que la maladie mentale a clairement une incidence sur la capacité d'une personne de prendre des décisions éclairées. Je ne vois pas comment nous pourrions accepter cette notion et dire que les gens qui ont une maladie mentale peuvent tout à fait prendre des décisions éclairées.

J'aimerais vous donner un exemple personnel, si vous me le permettez, et j'aimerais qu'au moins M. Baillie nous présente ses commentaires à ce sujet.

Un de mes proches a subi il y a de nombreuses années une blessure à la tête dans un accident impliquant un quadricycle. Il a passé des semaines dans le coma, puis en est sorti, mais souffrait de maux de tête atroces et de dépression; il m'a dit à de nombreuses occasions à quel point il aurait désiré aller se cacher derrière une remise de sa ferme pour se donner la mort. Je crois que, s'il avait eu la possibilité de demander le suicide assisté, il aurait très bien pu le faire.

Toutefois, il s'en est sorti. Ses maux de tête et sa dépression ont disparu et il a pu continuer à exploiter sa ferme pendant de nombreuses années avant de mourir tragiquement d'une crise cardiaque. Toutefois, voici une personne qui, probablement, selon ce que vous proposez, aurait demandé le suicide assisté.

Voici la question que je vous pose, monsieur Baillie : dans le cadre de votre travail, vous arrive-t-il souvent de voir des gens qui se sortent de situations comme celle-là, qui mènent une vie constructive et qui changent d'idée au sujet du suicide?

Monsieur Smith, j'aimerais aussi beaucoup que vous y répondiez, mais j'aimerais d'abord entendre la réponse de M. Baillie.

M. Baillie : Nous connaissons tous la phrase qui dit que le suicide, généralement, est une solution à long terme à un problème à court terme. Chez certaines personnes, un problème de santé mentale peut être de courte durée. Elles peuvent s'appuyer sur des formes de traitement appropriées ou sur leur collectivité. Nous devons nous assurer que ces personnes ont la possibilité d'avoir accès à ces formes de traitements de façon à ne pas décider à leur place qu'elles doivent mettre fin à leur vie alors qu'il pourrait exister d'autres options plus positives.

L'histoire que vous venez de raconter n'est pas rare, dans notre domaine. Les gens qui viennent nous voir, en général, pour demander un traitement ont atteint un certain niveau de détresse et demandent l'aide d'un professionnel, car, dans bien des cas, ils croient qu'ils pourront guérir. S'ils ne voient pas de résultats immédiats, ils pourraient entretenir le désir de mettre fin à leur vie, et, si un régime était en place, ils pourraient demander l'aide médicale à mourir. Nous, de la Commission de la santé mentale, nous aimerions nous concentrer plutôt sur le potentiel de rétablissement et sur les options qui s'offrent aux gens pour réussir dans la collectivité.

Dr Smith : Il est intéressant que vous parliez des Pays-Bas étant donné que, comme vous le savez, je suis présentement à Amsterdam, et j'ai parlé à un grand nombre de personnes concernées par ces affaires.

Tout tient aux détails. Je ne crois pas que vous puissiez lire le compte rendu d'une affaire dans les journaux et considérer qu'il s'agit de preuves concrètes indiquant que quelque chose va ou ne va pas. Vous devez vraiment prendre connaissance des détails de la situation dans laquelle cette personne se trouvait.

Je suis vraiment heureux d'apprendre que votre ami s'est remis de sa dépression; c'est le cas de la plupart des gens. Nous ne parlons pas ici de la plupart des Canadiens qui ont une maladie mentale. Nous parlons d'un pourcentage extrêmement petit de gens dont la situation doit être, pour en revenir à Carter, irrémédiable, grave et intolérable. Cela ne s'applique pas à 99 p. 100 des Canadiens qui ont une maladie mentale. Nous parlons d'un très petit nombre de personnes, et ce sont elles, si vous étudiez bien leur situation, qui répondent à tous ces critères : elles sont capables et elles se sont prêtées à toutes sortes de traitements.

Les gens que j'ai évalués avaient subi trois séances d'électrochocs, avaient fait des séjours dans cinq hôpitaux psychiatriques, avaient suivi une psychothérapie et pris des médicaments, et ils n'allaient pas mieux. Un certain nombre de cas sont réfractaires, et il nous est impossible de les aider à guérir. Pourquoi voudrions-nous que ces gens souffrent davantage qu'une personne atteinte de cancer?

Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de vos exposés.

Monsieur Baillie, à la recommandation numéro 6 de votre mémoire, vous attirez notre attention sur les perspectives particulières des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Personne ne niera que des préoccupations ont été soulevées quant à l'aide médicale à mourir et à son introduction dans les collectivités des Premières Nations qui font face à des taux de suicide élevés. Supposons que ce projet de loi devienne loi, à quels défis le gouvernement fédéral doit-il s'attendre s'il veut fournir des services de soins en fin de vie appropriés à la culture et à la spiritualité dans les collectivités autochtones?

M. Baillie : Si nous repensons aux événements survenus récemment à Attawapiskat, et dans d'autres régions également, je crois qu'il y aura des défis à relever pour donner à ces personnes accès à des soins médicaux adaptés à leur culture, en particulier des soins psychiatriques adaptés à leur culture. Mais il sera particulièrement difficile de faire la part des enjeux qui ont trait à la santé mentale dans les Premières Nations du Canada et chez les Inuits et les Métis, et il faudra y accorder davantage d'attention; c'est pourquoi la commission a recommandé d'examiner la question de concert avec les collectivités, plutôt que de croire qu'une solution universelle est possible.

Le sénateur McIntyre : Docteur Smith, ma question concerne l'autorisation judiciaire. Si nous voulons éviter les abus de même que pour des raisons pratiques et symboliques, pensez-vous qu'il faudra demander à un juge de la Cour supérieure d'examiner et d'approuver chacune des demandes d'aide médicale à mourir au préalable?

Dr Smith : Monsieur le sénateur McIntyre, je ne crois pas du tout que ce soit approprié. En fait, cela ne ferait que placer un fardeau incroyablement lourd sur les épaules de gens qui ont peut-être des moyens modestes, qui souffrent peut-être d'une maladie physique ou psychiatrique quelconque et qui auraient à se présenter devant un tribunal, comme ma patiente en Alberta, et faire face au gouvernement fédéral, qui conteste leur demande et qui entraîne des délais. Nous n'avons pas à charger de ce fardeau des Canadiens qui souffrent. Aucune autre administration du monde n'impose ce niveau d'examen judiciaire. Il n'est pas facile de se présenter devant un juge. C'est un fardeau coûteux à imposer aux Canadiens.

J'aimerais revenir brièvement sur votre premier commentaire pour souligner que le Canada connaît actuellement une vague de suicides qui n'a rien à voir avec l'aide médicale à mourir. Elle tient plutôt au fait que les collectivités autochtones sont démunies et qu'il y a des cas de surdoses de fentanyl dans les rues. Si le gouvernement veut faire quelque chose pour faire baisser le taux de suicide, nous devrions nous y attacher. L'aide médicale à mourir est un élément infinitésimal de la question du suicide. Le suicide est un grand problème, mais ne nous laissons pas distraire dans cette affaire par l'aide médicale à mourir.

Le sénateur McIntyre : En ce qui concerne la question de l'autorisation judiciaire, j'aimerais vous rappeler que la juge McLachlin l'avait soulevée dans son opinion dissidente, dans l'affaire Rodriguez, tout comme l'avait fait la juge dans l'affaire Carter lorsqu'elle avait suspendu son jugement, et comme l'ont fait également les cinq juges de la Cour suprême lorsqu'ils ont accordé une prolongation de quatre mois au Parlement. Je vois bien où vous voulez en venir, mais il y a place à une autorisation judiciaire.

Dr Smith : De toute évidence, si c'est ce que l'autorité judiciaire ou le Parlement décide de faire, cela sera fort bien, mais ce que je vous dis, c'est que cela représentera un fardeau énorme pour les Canadiens.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'ai une question qui me préoccupe beaucoup. Qu'est-ce qui arriverait si le projet de loi n'était pas adopté? J'entends le Dr Smith dire qu'il vaudrait mieux ne pas avoir de projet de loi que d'avoir celui-ci.

Dans certains pays, il y a des associations qui s'organisent, des organisations privées, comme en Suisse, où l'association lifecircle fait la promotion de la mort dans la dignité dans le monde et de l'autodétermination de la fin de sa vie. Celle-ci est associée à des groupes comme Eternal SPIRIT, qui examine les demandes de mort volontaire assistée qui leur sont adressées. En outre, Eternal SPIRIT offre la possibilité de mettre en œuvre les démarches si la demande est acceptée en Suisse.

En l'absence d'une loi, dans le contexte où il y a l'arrêt Carter de la Cour suprême et où le gouvernement ne choisirait pas la clause dérogatoire, pourrait-on envisager que ce genre d'initiative privée puisse voir le jour au Canada? Selon vos connaissances du domaine de la santé, serait-il possible que, dans le cas où il n'y aurait pas de loi, il puisse y avoir des cliniques privées ou des organisations à but non lucratif, par exemple?

[Traduction]

Dr Smith : J'ai parlé aujourd'hui même à des gens de Dignitas, en Suisse. La Suisse offre un environnement unique. C'est la seule administration dans le monde qui autorise, si je puis m'exprimer ainsi, le tourisme pour des gens qui désirent mourir. Vous seriez surpris de savoir combien de Canadiens et d'Européens qui ne sont pas suisses se rendent dans ce pays en raison des restrictions imposées dans leur propre administration.

Est-ce que cela est susceptible de se passer au Canada? Je ne crois pas que quiconque au Canada désire cela. Mais si nous adoptons ici des lois plus restrictives, nous forcerons davantage de Canadiens à se rendre en Suisse. Pour aller mourir en Suisse, il en coûte environ 30 000 $. C'est bien au-delà de la capacité de payer de la plupart des Canadiens moyens, mais les gens qui peuvent se le payer, dans la conjoncture actuelle, vont en Suisse. Je ne sais pas combien de Canadiens cela représente exactement, mais je dirais que 50 personnes par année, probablement, vont en Suisse pour bénéficier de l'aide à mourir.

La sénatrice Batters : Docteur Kim, dans votre exposé vous avez indiqué que les femmes étaient deux fois plus nombreuses à demander l'aide médicale à mourir, selon les exemples que vous avez étudiés. Je trouve que c'est une statistique très intéressante, étant donné que par comparaison, en Amérique du Nord — je crois que cela concerne le Canada, mais cela peut aussi être vrai aux États-Unis —, les femmes sont beaucoup plus nombreuses à faire des tentatives de suicide que les hommes, alors que les hommes en fait sont quatre fois plus nombreux à réussir leur tentative de suicide. C'est en général parce qu'ils choisissent des moyens plus meurtriers.

Pourriez-vous nous dire pourquoi vous pensez qu'il y aurait une distinction si marquée entre les deux? Est-ce parce qu'ils ont accès au choix terriblement final qu'ils savent efficace?

Dr Kim : C'est une constatation qui figure dans les deux documents dont j'ai parlé. Honnêtement, je ne sais pas pourquoi c'est ainsi. C'est une constatation. Aux États-Unis aussi, les femmes sont plus nombreuses à faire une tentative, mais les hommes plus nombreux à réussir. C'est une question complexe. Je ne sais pas exactement pourquoi c'est ce qui arrive.

Si vous me le permettez, j'aimerais répondre à une question soulevée par le Dr Smith, la question de la stigmatisation et le fait que le projet de loi stigmatise les patients psychiatriques.

De la façon dont je le comprends, le projet de loi s'applique également à toute personne qui est en train de mourir. Tout le monde va mourir, alors il est impossible de fonder la discrimination sur ce fait, et il est clair qu'il ne s'exerce aucune discrimination contre des gens en raison de leurs problèmes psychiatriques, d'après ce que je comprends. Je voulais m'assurer que cela soit clair dans le compte rendu, en tant que psychiatre : je ne considère pas que le projet de loi stigmatise qui que ce soit.

Le critère de la maladie grave et irrémédiable, si j'ai bien compris les choses, se veut plus précis que la notion de la mort prochaine. Je suis plutôt surpris, étant donné que les données probantes réunies en Belgique et aux Pays-Bas, où les gens ont utilisé ce type de critère vague, ont fourni le type de conclusions que j'ai décrites dans mon document ainsi qu'aujourd'hui, qui reflètent les grands désaccords opposant les médecins. En fait, les gens qui mènent des recherches sur ce sujet disent qu'il n'existe pas de définition de ce que sont des souffrances intolérables.

La notion selon laquelle les médecins pourront formuler des jugements plus précis en se fondant sur les mots graves et irrémédiables, qui sont moins bien définis, me laisse très perplexe, étant donné que tous les éléments probants montrent que cela entraîne — je ne parlerais pas d'abus intentionnels, comme on l'a décrit — mais, à coup sûr de grands désaccords entre les médecins, auquel cas on peut difficilement dire qu'en appliquant cette règle à une population, on pourra s'attendre à une pratique très fiable.

Nous parlons de pratique, nous ne parlons pas de cas particuliers sur lesquels nous serions peut-être tous d'accord. Si la loi pouvait être formulée de manière à ne s'appliquer qu'à des cas parfaits, nous n'aurions aucune inquiétude à avoir. Mais ce qu'il faut faire, c'est examiner les données qui ont été appliquées pendant de nombreuses années à de nombreuses situations.

Pour terminer, j'aimerais souligner que ce que j'ai tenté de faire, c'est de vous présenter des données que vous pouvez consulter et auxquelles vous pouvez vous fier, par exemple, sur la question de la capacité décisionnelle.

Je suis un peu surpris de voir un collègue psychiatre déclarer que la maladie mentale — je ne me souviens plus des mots exacts — n'avait aucun lien avec la capacité mentale. Je trouve que cette déclaration est extrêmement surprenante. Vous pouvez le déclarer si vous ne vous appuyez pas sur des montagnes de données et d'études, dont j'ai mené moi-même un grand nombre. Vous pouvez le dire; c'est une opinion.

Je crois que cela illustre le fait qu'une personne qui a des opinions très tranchées sur un sujet, par exemple un médecin, envisagera les choses d'une certaine manière au moment d'évaluer un patient. D'autres médecins feront autre chose, et c'est précisément ce que je veux dire. Si vous adoptez ce type de règlements fondés sur des propositions générales, l'opinion personnelle des gens aura une grande incidence.

Le président : D'accord, merci, docteur Kim.

Dr Smith : J'aimerais répondre à...

Le président : Merci. Je suis désolé; je dois mettre fin au débat sur cette question. Nous n'avons plus de temps. Je vais donc vous dire merci à vous tous d'être venus et de nous avoir aidés dans nos délibérations.

Dans notre dernier groupe de témoins d'aujourd'hui, nous accueillons Mme Vyda Ng, directrice générale du Canadian Unitarian Council; M. Richard Marceau, avocat-conseil et conseiller politique principal du Centre consultatif des relations juives et israéliennes; M. Laurence Worthen, directeur exécutif, Christian Medical and Dental Society of Canada, et la Dre Sephora Tang, psychiatre de l'Hôpital d'Ottawa, pour la Coalition for HealthCARE and Conscience; et enfin, M. Sikander Hashmi, porte-parole du Canadian Council of Imams. Merci à vous tous d'être venus. Nous l'apprécions énormément.

Docteure Tang, j'imagine que vous n'êtes ici que pour répondre aux questions. Monsieur Worthen, avez-vous une déclaration préliminaire? Nous allons faire un tour de table. Vous pouvez commencer.

Laurence Worthen, directeur exécutif, Christian Medical and Dental Society of Canada, Coalition for HealthCARE and Conscience : Bon après-midi, merci de l'occasion qui m'est donnée de discuter avec vous aujourd'hui.

Je suis ici en tant que porte-parole de la Coalition for HealthCARE and Conscience et je parle au nom de Son Éminence le cardinal Thomas Collins. Le cardinal vous présente ses excuses pour n'avoir pas pu venir ici discuter avec vous de cette loi qui aura de profondes répercussions sur la société canadienne d'aujourd'hui et de demain. J'ai le plaisir de vous présenter la Dre Sephora Tang, psychiatre d'Ottawa, qui est venue ici cet après-midi pour répondre à vos questions concernant les répercussions de la loi proposée sur elle-même et sur ses patients.

Notre coalition représente plus de 5 000 médecins du Canada, dont la Dre Tang, et plus de 110 établissements de santé comptant près de 18 000 lits de soins de santé et 60 000 employés.

Aujourd'hui, je vais vous parler des modifications qu'il faut apporter au projet de loi C-14 pour protéger la liberté de conscience des travailleurs de la santé et de ceux des établissements, qui ont des objections morales touchant l'euthanasie et le suicide assisté.

Nous voulons qu'il soit clair que, si le Parlement légalise l'aide médicale à mourir, nous n'allons d'aucune façon nous opposer aux patients qui décident de recourir à cette procédure et que nous n'allons jamais abandonner nos patients. Mais ce que nos membres se refusent à faire, c'est d'offrir ce que l'on appelle l'aide médicale à mourir ou de participer à cette procédure. Je précise que participer veut également dire jouer un rôle dans la mort qui est infligée en prenant des dispositions pour que la procédure puisse être exécutée par une autre personne.

Dans la version actuelle du préambule de la loi, il est bien indiqué que le gouvernement va « respecter les convictions personnelles de fournisseurs de soins de santé ». Ce respect est certes très apprécié, mais il n'a pas autant de poids juridique que la protection de la loi.

Aucun autre pays dans le monde ayant légalisé le suicide assisté et l'euthanasie ne force ses travailleurs de la santé, ses hôpitaux, ses maisons de soins infirmiers ou ses hospices à agir à l'encontre de leur conscience, de leur mission ou de leurs valeurs. Toutes les administrations qui ont permis cela ont prévu une disposition sur la liberté de conscience et ont prévu que la participation était volontaire.

Au Canada, si les fournisseurs de soins de santé étaient obligés d'agir à l'encontre de leurs convictions morales, cela constituerait une infraction à l'article 2 de la Charte des droits et libertés.

Nous savons que les hôpitaux et les organismes de réglementation de toutes les régions du pays sont déjà en train d'élaborer des politiques à cet égard. Nous savons que vous avez entendu des témoins de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario, par exemple, qui insistent pour que la loi prévoie une recommandation efficace. Nous croyons que cette exigence est excessive et que l'ordre outrepasse ses compétences à ce chapitre. Il existe bien d'autres solutions, par exemple le transfert des soins ou l'accès direct du patient, qui permettraient d'atteindre le même objectif sans forcer les médecins à encourir les mesures disciplinaires prévues par leur ordre.

La position actuelle de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario représente un problème immédiat et urgent pour les médecins qui, comme la Dre Tang, sont des objecteurs de conscience. Les médecins seraient forcés de choisir entre leur carrière et leur conscience et devront prendre cette décision au moment où la loi entrera en vigueur, ce qui, comme vous le savez, est une question de semaines. Le travail de toute leur vie est menacé.

Nous soutenons que, si le Parlement désire ouvrir la boîte de Pandore de l'aide médicale à mourir, il doit prendre des mesures concrètes pour protéger les fournisseurs de soins de santé et les représentants des organisations qui ont une conscience.

Puisque nous avons discuté avec les provinces, nous savons qu'il n'est pas encore certain que le gouvernement va vraiment décider de légiférer. Dans ce vide juridique, les ordres de médecins, les provinces, les autorités de la santé, les maisons de soins infirmiers et les hôpitaux pourront élaborer des politiques qui vont empiéter sur les droits constitutionnels des fournisseurs de soins. Cela fera naître le chaos. Par exemple, tandis qu'un ordre des médecins, l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario, demande une recommandation, au moins sept autres ont déjà indiqué qu'ils n'en demanderont pas une.

Quand il s'agit de questions aussi cruciales, de réelles questions de vie ou de mort, les Canadiens ne devraient pas avoir à composer avec une approche aussi disparate. Si le Sénat présentait des amendements, il enverrait un signal clair aux provinces pour dire que les droits que la Charte reconnaît aux fournisseurs de soins et à leurs organisations doivent être protégés en toute égalité partout au pays.

Le Parlement a déjà légiféré sur diverses questions en empiétant sur la compétence des provinces et des territoires. Pensons à la Loi sur le mariage civil et aux lois légalisant l'usage de la marijuana à des fins médicales. C'est pourquoi nous demandons instamment au Sénat de préciser, dans le libellé du projet de loi, que son objectif est de prévoir des exceptions au Code criminel, non pas d'obliger qui que ce soit à participer contre son gré à une procédure d'aide médicale à mourir. La participation directe ou indirecte des fournisseurs de soins doit être volontaire, et personne ne devrait être exposé en raison de ses objections de conscience.

Pour terminer, j'aimerais rappeler au comité l'arrêt historique Carter, dans lequel la Cour suprême du Canada avait déclaré qu'aucun médecin ne devrait être forcé à participer à la procédure d'aide à mourir. Obliger les médecins à y participer revient essentiellement à les empêcher de pratiquer la médecine en raison de leur conscience ou de leurs croyances religieuses. Cela revient essentiellement à de la discrimination. Cela ne mène pas au type de société tolérante, inclusive et pluraliste que les Canadiens méritent.

Sikander Hashmi, porte-parole, Canadian Council of Imams : Merci beaucoup, monsieur le président, et bon après- midi à tous. J'aimerais commencer par vous remercier de m'offrir l'occasion de participer à la discussion relative au projet de loi C-14.

Mon nom est Sikander Hashmi. Je suis un imam au sein de la Kanata Muslim Association et je suis membre du conseil des imams d'Ottawa-Gatineau. Ce soir, je suis ici à titre de porte-parole du Canadian Council of Imams.

Comme dans la plupart des autres assemblées religieuses, la tradition musulmane n'appuie pas et n'encourage pas le recours à l'euthanasie ni au suicide assisté. Toutefois, puisque la Cour suprême s'est déjà prononcée sur ce sujet, nos préoccupations et nos recommandations concernant le projet de loi C-14 sont centrées sur trois choses : protéger l'intérêt supérieur des patients en détresse, protéger les patients qui souhaitent continuer à vivre et protéger le droit à la conscience des fournisseurs de soins de santé et des responsables des établissements confessionnels.

La plupart des Canadiens s'entendraient pour dire que la vie est sacrée et que, dans la plupart des situations, sinon toutes, des efforts devraient être faits pour la préserver. En soulignant l'importance de sauver une vie, le Coran fait le rapprochement en ce fait et celui de sauver l'humanité entière. Il ne fait pas de doute que la question de l'aide médicale à mourir préoccupe bon nombre de Canadiens. Les Canadiens sont des gens bienveillants. Quand nous voyons d'autres personnes qui souffrent et qui vivent un sentiment de détresse, nous voulons les aider.

Les dirigeants religieux musulmans, de même que les dirigeants religieux d'autres confessions, prennent soin depuis longtemps des malades. Nous avons pu constater le poids terrible qu'imposent la maladie et la douleur aux patients et à leur famille. Nous comprenons que, dans certains cas, les patients ayant des douleurs très intenses et éprouvant de grandes souffrances et les personnes pouvant s'attendre à vivre la même chose à l'avenir puissent souhaiter mettre fin à leur vie. Nous compatissons avec eux, et, en selon nos traditions religieuses, nous devons prier pour eux afin qu'ils soient soulagés de leur douleur et nous efforcer de leur procurer du confort en leur prodiguant les meilleurs soins possibles. Nous savons également que, lorsqu'un être humain cherche de façon volontaire à mourir, cela témoigne de sa douleur et de sa détresse extrêmes. C'est un appel à l'aide.

Quand une personne cherche à mettre fin à sa vie, nous, comme société, savons que nous ne devons pas accéder à son souhait. Nous lui offrons plutôt, avec compassion, des soins et de l'aide visant à réduire ses souffrances et sa détresse. Nous ne l'aidons jamais à mourir, mais nous efforçons plutôt de la décourager de le faire. Nous croyons que les demandes d'aide à mourir formulées en raison de douleurs et de détresse causées par la maladie ou des incapacités devraient être traitées de façon semblable.

C'est pourquoi nous recommandons que le projet de loi C-14, tout en garantissant certaines protections, exige que les médecins praticiens s'assurent que les patients, après avoir présenté une demande d'aide médicale à mourir, rencontrent une équipe de soins de fin de vie composée d'un psychiatre, d'un travailleur social et, si le patient le souhaite, d'un professionnel en soins spirituels; que les membres de l'équipe de soins de fin de vie soient tenus de discuter des raisons pour lesquelles le patient demande de l'aide médicale à mourir et qu'ils lui présentent toutes les options de soins qui s'offrent afin de s'assurer que les patients prennent des décisions éclairées et de façon volontaire et que l'équipe de soins de fin de vie, ainsi que le médecin praticien, confirme que tous les traitements offerts et tous les moyens de gestion de la douleur ont été épuisés et qu'ils n'ont pas été en mesure de rendre la souffrance tolérable pour le patient dans des conditions que ce dernier juge acceptables.

Même si le projet de loi C-14 contient des mesures de protection, nous sommes d'avis qu'il devrait aussi contenir des mesures visant à s'assurer que les patients et les personnes vulnérables seront protégés contre des erreurs qui pourraient avoir de graves conséquences. Malheureusement, les erreurs, même celles qui sont fatales, font partie de la réalité dans les hôpitaux au Canada. Selon l'étude réalisée par Baker et Norton en 2004, jusqu'à 23 000 adultes canadiens meurent chaque année en raison d'événements indésirables et évitables survenus dans des hôpitaux de soins actifs. C'est pourquoi nous croyons que l'aide médicale à mourir devrait être très encadrée afin de protéger les patients qui ne souhaitent pas mourir. Nous recommandons que le droit de fournir de l'aide médicale à mourir, y compris l'accès à des substances causant la mort, soit limité aux professionnels de la santé ayant suivi une formation spécifique et détenant une certification et autorisés par le ministre de la Santé et le ministre de la Justice.

Aussi, nous sommes très préoccupés par la protection du droit à la conscience des personnes fournissant des soins de santé et des responsables d'établissements de soins confessionnels. Exception faite d'un court passage dans le préambule, il est inquiétant de constater que cette question est passée sous silence dans le projet de loi. Nous sommes d'avis qu'autant d'importance devrait être accordée aux droits à la conscience qu'aux droits du patient d'obtenir de l'aide médicale à mourir. Selon nous, le degré de désengagement par rapport à l'aide médicale à mourir devrait appartenir de façon individuelle aux fournisseurs de soins de santé et aux responsables d'établissements de soins confessionnels et qu'il devrait être rendu public afin d'en informer les patients. Cela devrait être précisé de façon claire dans le projet de loi.

Nous croyons fermement que, comme Canadiens, nous devons en faire davantage pour offrir des soins prodigués avec compassion à ceux qui sont malades et pour trouver des façons plus efficaces de réduire leur souffrance et d'améliorer leur qualité de vie. Nous sommes d'avis qu'il est possible pour les gouvernements fédéral et provinciaux de respecter l'arrêt Carter tout en défendant le caractère sacré et la valeur de la vie. Au lieu d'encourager la mort, unissons-nous pour améliorer la vie et la chérir.

[Français]

Richard Marceau, avocat-conseil et conseiller politique principal, Centre consultatif des relations juives et israéliennes : Je suis ici au nom du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, mieux connu sous son acronyme CIJA. CIJA est l'agence qui représente les fédérations juives du Canada. Nous n'avons pas de formule globale pour traiter tous les aspects de l'aide médicale à mourir. Nous ne proposons pas une interprétation de la loi religieuse juive sur cette question et nous ne prétendons pas transmettre la position uniforme de tous les Canadiens juifs.

[Traduction]

Vous connaissez le vieil adage : Réunissez deux juifs, vous aurez trois opinions.

[Français]

Cependant, nous croyons que notre position représente fidèlement les éléments clefs d'entente au sein de la communauté juive. Certains de nos membres appuient l'aide médicale à mourir et d'autres s'y opposent. En dépit d'opinions divergentes, un large consensus existe dans notre communauté sur le fait que, à la suite de la décision Carter, des mesures importantes doivent être prises, premièrement, pour protéger les fournisseurs de soins de santé qui s'objectent à l'aide médicale à mourir pour des raisons de conscience, deuxièmement, pour veiller à ce que l'admissibilité à l'aide médicale à mourir soit suffisamment réglementée pour protéger les personnes vulnérables, et troisièmement, pour prévoir un véritable accès à des soins palliatifs de qualité.

De nombreux professionnels de la santé s'opposent à l'aide médicale à mourir en se basant sur leurs profondes convictions professionnelles, morales ou religieuses. Pour certains fournisseurs de soins de santé, le seul fait de recommander un patient à l'aide médicale à mourir constitue un acte inadmissible.

[Traduction]

Le CIJA est encouragé par l'adoption unanime hier soir à la Chambre des communes de l'amendement qui énonce clairement que rien dans le projet de loi n'oblige une personne à fournir de l'aide médicale à mourir ou à aider quelqu'un à la fournir.

[Français]

Il s'agit d'une modification importante. Nous sommes heureux que cet amendement ait reçu un appui unanime hier.

[Traduction]

Même si, maintenant, le projet de loi énonce clairement que rien n'oblige les fournisseurs de soins de santé d'agir de façon contraire à leurs convictions, et je ne saurais trop insister sur l'importance de cet amendement, aucune disposition contenue dans le projet de loi ne pourrait empêcher une assemblée législative provinciale ou un ordre des médecins de les contraindre à le faire. Rien dans le projet de loi C-14 ne prévient les pratiques discriminatoires en matière d'emploi fondées sur la volonté d'un fournisseur de soins de santé de fournir de l'aide médicale à mourir, même si ce projet se limite aux domaines de compétence fédérale.

Même si nous mesurons bien le défi que pose l'élaboration d'une loi de portée générale en réponse à l'arrêt Carter sur le plan des sphères de compétence, je souhaite inciter le comité à évaluer s'il existe une façon de renforcer davantage le droit à la conscience dans les lois fédérales afin de faire preuve de plus de leadership, sur lequel pourraient s'appuyer des initiatives provinciales complémentaires à l'avenir.

[Français]

J'insiste cependant sur le fait que toute accommodation concernant l'orientation des professionnels de la santé ne devrait pas limiter l'accès des patients à l'aide médicale à mourir.

[Traduction]

Plusieurs modèles ont été proposés afin de concilier ces droits qui s'opposent, et c'est avec plaisir que j'en discuterais davantage.

[Français]

En ce qui concerne l'admissibilité, nous sympathisons avec les patients n'ayant pas atteint l'âge de la majorité, qui souffrent d'un problème de santé et qui voudraient se prévaloir de l'aide médicale à mourir. Compte tenu de la finalité de l'aide médicale à mourir, nous croyons à la nécessité d'adopter une approche prudente à l'égard des critères relatifs au consentement.

Nous croyons que le gouvernement a établi un juste équilibre dans le projet de loi C-14 en limitant l'accès à l'aide médicale à mourir aux adultes compétents âgés de 18 ans et plus et aux patients adultes qui sont au seuil d'une mort naturelle. Cette approche est cohérente avec les lois sur l'aide médicale à mourir du Québec et d'autres juridictions d'Amérique du Nord.

De nombreux membres de notre communauté croient que les Canadiens devraient être en mesure de donner leur consentement à l'aide médicale à mourir avant de subir une détérioration physique ou mentale, afin de donner des instructions préalables au cas où ils deviendraient incapables d'agir.

Certains considèrent cela comme un élément fondamental de tout régime efficace. D'autres ont exprimé des préoccupations à ce sujet. Après le diagnostic, le patient pourrait, à juste titre, souhaiter ne pas continuer à vivre durant la phase terminale de sa maladie. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement qu'il continuera à désirer une aide médicale à mourir lorsqu'il y deviendra admissible, au moment où il ne sera plus compétent pour révoquer son consentement.

Si le comité choisit de modifier le projet de loi C-14 pour y inclure les directives anticipées, nous croyons que ces directives devraient respecter les mêmes garanties rigoureuses définies dans le projet de loi pour assurer un consentement éclairé. Les patients devront satisfaire à ces exigences au moment où ils sont aptes à fournir un consentement éclairé, et leur directive sera respectée une fois qu'ils auront rempli les conditions d'admissibilité.

Pour terminer, je voudrais discuter d'une question qui fait l'objet d'un large consensus, à savoir la nécessité de fournir des soins palliatifs de haute qualité universellement disponibles. Il est essentiel que l'aide médicale à mourir ne soit pas la seule option, ni l'option par défaut, qui soit offerte aux patients canadiens.

[Traduction]

Vyda Ng, directrice générale, Conseil unitarien du Canada : Le Conseil unitarien du Canada remercie le comité de lui donner l'occasion de présenter un exposé aujourd'hui. Notre organisme est une association de 46 assemblées unitariennes fédérées par l'engagement envers la justice sociale. Nous sommes actifs en ce qui concerne les questions touchant les choix de fin de vie depuis le début des années 1970. Nous étions engagés à titre d'intervenants dans les affaires Taylor et Carter en 2012 et en 2014 et, plus récemment, nous avons présenté un exposé au comité mixte en février. Aujourd'hui, nous souhaitons nous concentrer sur plusieurs points, et le premier est celui de la définition.

La définition proposée dans le projet de loi pose problème et s'écarte de la définition formulée dans l'arrêt Carter. La définition de l'expression « grave et irrémédiable » précise qu'une personne doit être atteinte d'une affection grave et incurable pour être admissible à recevoir de l'aide médicale à mourir. Nous sommes d'avis que cette définition est plus étroite et restreinte que celle donnée par la Cour dans l'arrêt Carter. Le fait d'inclure le terme « irrémédiable » dans la définition laisse entendre que les personnes atteintes d'un problème de santé pour lequel il existe un traitement et un remède ne seront pas admissibles à ce processus, même si leur situation se dégrade en raison de la maladie. Ce terme suppose aussi que les patients doivent subir tous les traitements offerts en vue de guérir, même si ces traitements ne sont pas acceptables à leurs yeux ou qu'ils causent de la douleur ou de la souffrance intolérable.

Le libellé de l'alinéa 241.2(2)b) énonce le critère de déclin avancé et irréversible des capacités. Ce critère exclut les personnes souffrant de maladies chroniques ou dégénératives graves et incurables, mais qui ne causent pas encore un déclin avancé et irréversible des capacités.

De plus, l'alinéa 241.2(2)d) ajoute le critère selon lequel la mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible. L'arrêt Carter ne prévoit pas cette exigence, et ce critère obligera les Canadiens qui souffrent, mais dont le problème de santé ne les condamne pas à mourir, à subir une détresse inutile pendant une période prolongée.

Cette exigence limite l'accessibilité à l'aide médicale à mourir aux personnes dont la mort est imminente et exclut de nombreuses personnes atteintes de maladies chroniques et subissant des souffrances intolérables. La période pouvant être considérée comme étant raisonnablement prévisible est laissée à l'interprétation et pourrait ne pas être à l'avantage de la personne si le médecin de cette dernière estime qu'une période de neuf mois, plutôt qu'une de trois mois, peut être qualifiée de raisonnablement prévisible.

Nous recommandons que le texte de cet alinéa soit remplacé par une formulation plus proche de la terminologie utilisée dans l'arrêt Carter.

Le deuxième point qui nous préoccupe est celui des mesures de sauvegarde. Nous sommes d'avis que des mesures de sauvegarde sont nécessaires, mais que celles mentionnées ci-après rendront l'accès à l'aide médicale à mourir difficile et limité. L'alinéa 241.2(3)g) exige de s'assurer qu'« au moins 15 jours francs se sont écoulés entre le jour où la demande a été signée par la personne et celui où l'aide médicale à mourir est fournie ». Une période de réflexion est utile; toutefois, nous recommandons qu'il soit possible de modifier cette période, dans le cas où la situation de la personne s'aggrave rapidement, et qu'elle soit évaluée au cas par cas.

De plus, la disposition selon laquelle la personne doit consentir expressément à recevoir l'aide médicale à mourir constitue un autre obstacle. Dans les cas où le consentement a déjà été donné, nous recommandons que cet alinéa prévoie la validité du consentement précédemment donné si la personne n'est pas consciente ou a perdu sa capacité à fournir son consentement de nouveau.

Le troisième point que nous souhaitons souligner est celui de l'équité en matière d'accès et le principe d'objection de conscience. Une réglementation cohérente doit être établie dans la législation fédérale afin de préciser les processus selon lesquels les personnes pourront avoir accès à l'aide médicale à mourir dans le cas où leur professionnel de la santé exerce son droit à la conscience et qu'il n'est pas disposé à offrir de l'aide médicale à mourir.

Le processus doit préciser les autres moyens qui s'offrent aux personnes souhaitant obtenir de l'aide médicale à mourir; ces moyens doivent respecter la décision du professionnel de la santé et ne pas porter atteinte aux droits de la personne, ne doivent pas augmentent le défi que pose le fait de vivre avec un problème de santé difficile ni rendre plus difficile l'accès à l'aide médicale à mourir. Les droits du professionnel de la santé ne devraient pas l'emporter sur les droits du patient.

Cette prépondérance doit être établie de façon cohérente au fédéral, en collaboration avec les provinces et les territoires. Les régions rurales et éloignées sont confrontées à des défis particuliers, et la législation fédérale doit définir de façon précise les processus qui s'appliquent dans ces situations.

Le quatrième point que nous souhaitons souligner est celui de la notion de consentement anticipé. Le projet de loi C- 14 ne prévoit pas de processus permettant le consentement anticipé, et une telle disposition est nécessaire dans le cas de personnes qui pourraient en venir à être atteintes de démence avancée ou devenir inconscientes ou qui souffrent d'autres maladies dégénératives susceptibles de diminuer leurs capacités. Le fait d'exclure cette option fait en sorte que des catégories complètes de Canadiens souhaitant choisir d'obtenir de l'aide médicale à mourir pendant qu'ils ont encore la capacité de prendre des décisions se voient refuser cette possibilité. Nous recommandons d'apporter un amendement au projet de loi afin d'inclure une disposition permettant les demandes d'aide médicale à mourir anticipées.

Nous sommes d'avis que l'intention de la Cour dans l'arrêt Carter était que les lois en découlant permettent de faire preuve de compassion, de permettre aux personnes souffrant de problèmes de santé irrémédiables de choisir et de contrôler le moment de leur mort et la façon dont celle-ci surviendra et de protéger la dignité des personnes dans leurs derniers jours. Il s'agit d'une loi qui concerne non seulement la mort, mais aussi le fait de prendre en considération les souhaits d'une personne en ce qui concerne sa fin de vie.

La plupart d'entre nous connaissent une personne souffrant d'une quelconque affection; ce peut être une connaissance, un collègue, un ami, un membre de la famille ou un parent éloigné. Ces personnes qui souffrent d'une maladie incurable, d'un état chronique ou d'une douleur constante, que veulent-elles? Et nous, en tant que personnes compatissantes, que pouvons-nous faire?

Nous vous conseillons fortement de revoir la forme actuelle du projet de loi et de le modifier pour le rendre moins restrictif. Le projet de loi doit suivre le raisonnement de l'arrêt Carter et préserver la dignité des Canadiens.

Le président : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions. Nous allons commencer avec notre vice- présidente, la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Je tiens à vous remercier tous de nous avoir présenté des exposés instructifs.

J'ai une question sur ce que M. Marceau a dit au sujet de l'objection de conscience. Docteure Tang, peut-être pourriez-vous répondre vous aussi. Aujourd'hui ou hier, la Chambre a modifié un article afin d'en éliminer les ambiguïtés. Voici le nouveau libellé : « Il est entendu que le présent article n'a pas pour effet d'obliger quiconque à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir. »

Après avoir étudié l'article, je ne crois pas qu'il est satisfaisant. Je sais que vous avez eu peu de temps pour l'étudier, mais je crois qu'il devrait être formulé ainsi : « Il est entendu que le présent article n'a pas pour effet d'obliger quiconque à fournir l'aide médicale à mourir. » Pourriez-vous vous exprimer à ce sujet?

M. Marceau : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. J'ai abordé cette question dans ma déclaration préliminaire, et, effectivement, nous sommes conscients du fait que le comité de la Chambre a adopté hier un amendement en ce sens dans le projet de loi.

Nous savons également, sauf erreur de ma part, que M. Murray Rankin a proposé un amendement qui irait au-delà de ce qui a été décidé unanimement par le comité. Les représentants du ministère de la Justice ont mentionné que l'amendement allait trop loin, selon eux.

Je prie le comité d'approfondir la question. Je crois fermement que l'amendement adopté pourrait être renforcé. Il y a soudain une occasion pour le gouvernement fédéral d'envoyer un message très clair et de démontrer son leadership relativement à la clause en question. Je crois fermement, comme tous les témoins l'ont mentionné, qu'il est important que les patients aient le droit d'accéder à l'aide médicale à mourir, droit désormais protégé par l'arrêt Carter. Les droits des médecins sont également mentionnés dans l'arrêt Carter. Il s'agit d'atteindre un équilibre juste, et nous croyons qu'il y a des façons d'y arriver. Je sais que vous vous êtes penchés sur la question. Pour répondre à votre question en particulier, nous croyons que l'article pourrait être renforcé.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Hashmi, vous-même ainsi que d'autres personnes pourriez peut-être vous exprimer. Vous avez parlé à la Chambre du problème lié à la stigmatisation au sein des groupes confessionnels. Que vouliez-vous dire? Puisque la personne sera évidemment décédée, la stigmatisation visera les familles. Pouvez-vous approfondir le sujet, s'il vous plaît?

M. Hashmi : Bien sûr. Je crois que les attitudes diffèrent en ce qui concerne le suicide et la question présentement à l'étude. Dans les groupes confessionnels, il se peut que certaines personnes soient à l'aise avec cela, selon leur famille et leurs valeurs, tandis que d'autres personnes ne le seront pas. La difficulté vient du fait qu'il faut protéger la vie privée du patient; c'est un aspect important, mais nous croyons également que la famille devrait, idéalement, jouer un rôle tout au long du processus.

C'est pour cette raison que nous évoquons le sujet de l'équipe de soins en fin de vie. En particulier, le travailleur social devrait pouvoir parler avec le patient pour étudier la question et, si le patient le souhaite, faire participer sa famille. Ainsi, ils pourront prendre ensemble une décision qui satisfait le patient, en premier lieu, ainsi que les membres de sa famille.

D'un autre côté, il peut arriver que le patient exerce son droit d'avoir recours à l'aide médicale à mourir sans le dire à sa famille. Plus tard, la famille l'apprend et la rumeur se répand. Je le redis : il peut arriver que les membres de la famille soient bouleversés en apprenant ce qui s'est vraiment passé.

Le sénateur Plett : Je veux reprendre la question posée par la sénatrice Jaffer.

Monsieur Worthen, à mon avis, la disposition ajoutée par le comité de la justice de la Chambre des communes ne fait que réitérer le fait que l'article se soustrait à toute spéculation tout en permettant aux provinces de décider par elles-mêmes de la mesure dans laquelle l'objection de conscience est acceptable. Par exemple, l'Ordre des médecins de l'Ontario a fait savoir de façon explicite qu'il n'accepterait aucune objection de conscience si la décision lui revenait.

Croyez-vous que l'amendement soit assez explicite pour atteindre les objectifs visés par vous et par bon nombre d'entre nous?

M. Worthen : Nous sommes avant tout préoccupés par le bien-être du patient. Nous voulons aussi que nos médecins, comme la Dre Tang, puissent continuer de pratiquer la médecine. Nous sommes très reconnaissants de l'amendement adopté hier. Nous croyons que cela est incontestablement un pas dans la bonne direction.

Toutefois, nous sommes préoccupés par le fait que l'intention du Parlement pourrait être perçue comme ambiguë à la lumière de l'amendement. Nous aimerions qu'il y ait clarification, peut-être un « attendu » énonçant que l'intention du Parlement est de ne pas obliger, sous le régime de la loi, les personnes soignantes à participer directement ou indirectement à l'aide médicale à mourir.

Le sénateur Plett : Par « indirectement », parlez-vous d'aiguillage?

M. Worthen : C'est exact. Le problème vient du fait que l'amendement est ambigu : nous ne savons pas si le Parlement ne dit rien à ce sujet parce que cela relève de la compétence provinciale, ou parce qu'il ne se préoccupe pas de la protection du droit à la liberté de conscience des personnes soignantes.

À la lumière de toutes les conversations que j'ai eues, je crois que les parlementaires estiment que le droit à la liberté de conscience doit être protégé. Je suis d'avis qu'il ne serait aucunement nuisible d'ajouter un « attendu » qui définirait clairement l'intention du Parlement de prévoir des exceptions au Code criminel dans certaines circonstances. Nous croyons aussi que ces circonstances devraient comprendre, entre autres, que les gens qui appliquent ces lois doivent le faire de façon volontaire; en d'autres mots, il ne doit y avoir aucune contrainte ni pression.

Le sénateur Plett : Docteure Tang, comment cela influencerait-il votre travail de psychiatre si vous aviez l'obligation d'aiguiller un patient qui demande d'avoir accès à l'aide médicale à mourir vers un médecin qui est disposé à lui offrir cette aide?

Sephora Tang, psychiatre, L'Hôpital d'Ottawa, Coalition for HealthCARE and Conscience : En tant que psychiatre, je travaille tous les jours avec des patients qui ont déjà fait une tentative de suicide, qui ont fait des tentatives de suicide répétées, qui souffrent d'un état dépressif grave ou qui souffrent immensément. Ces personnes viennent me voir dans un endroit sécuritaire, comme un hôpital, et c'est mon travail, en tant que psychiatre, de leur redonner de l'espoir quand ils n'en ont plus. Ils doivent voir que ma démarche est cohérente.

Il m'est très difficile, en tant que médecin et psychiatre, de dire que certains patients devraient avoir accès à l'aide médicale à mourir. Comment puis-je décider si cela est adapté à un patient, mais pas à un autre?

Avec toute cette affaire concernant l'objection de conscience, on m'enlève pratiquement tout jugement professionnel; c'est comme si on disait que je dois, même si je suis objectrice de conscience, aiguiller le patient, peu importe mon avis et peu importe si je crois ou non que cela convient au patient, tandis que d'autres qui n'ont pas nécessairement d'objections de conscience n'auraient pas, de fait, à aiguiller ces personnes.

Je me retrouve donc dans une situation très difficile, parce que je sais que si je dois faire une recommandation efficace, je vais probablement aiguiller le patient vers un de mes collègues qui n'éprouve pas d'objection de conscience face à ce principe. Qu'est-ce que je dois ressentir en aiguillant un patient, une personne que je pourrais aider si elle était prête à travailler avec moi, vers quelqu'un qui pourrait l'aider à mourir?

J'aime franchement mon travail, et je veux pouvoir le faire. Il n'y a rien de plus gratifiant que de travailler avec des patients pour les aider à prendre du mieux, les aider à sortir de leurs ténèbres, mais cela prend du temps.

Si la loi ne me permet pas de pratiquer la médecine en toute conscience, si le temps que je vais pouvoir passer avec mes patients est amputé à cause de cela, j'ai l'impression que cela leur sera défavorable, à eux et aux personnes, famille et amis, qu'ils quittent. Je crois que cela sera aussi défavorable pour les professionnels de la santé et les membres de l'équipe qui travaillent avec le patient.

Le sénateur Joyal : Monsieur Worthen, puis-je vous demander de présenter nos salutations au cardinal Collins? J'aurais aimé connaître son opinion sur le sujet.

M. Worthen : Je n'y manquerai pas.

Le sénateur Joyal : Connaissez-vous le contenu de l'article 31 du projet de loi québécois?

M. Worthen : Oui.

Le sénateur Joyal : Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, vous n'êtes pas en accord avec l'article 31 du projet de loi québécois.

M. Worthen : Monsieur le sénateur, si vous me le permettez, je dirais qu'une de mes préoccupations dans toute cette affaire tient à l'absence de dialogue avec les organisations comme la nôtre en ce qui a trait à l'élaboration de lois de ce genre. Que ce soit l'Ordre des médecins ou le gouvernement du Québec, on ne nous consulte jamais à propos de cela. C'est dommage, parce qu'il ne suffirait que de légères modifications pour rendre le projet de loi québécois acceptable à nos yeux. Par exemple, sous sa forme actuelle, un médecin doit remplir un formulaire qui sera ensuite transmis à un administrateur.

Nous pouvons trouver des solutions qui satisferont toutes les parties, si le gouvernement du Québec est prêt à collaborer. Si je pouvais discuter avec l'Ordre des médecins et des chirurgiens de l'Ontario ou avec le gouvernement du Québec, il serait possible de trouver une solution qui conviendrait à nos médecins. Par exemple, il y a le transfert des soins et l'accès direct, appuyé à l'échelon fédéral par la ministre de la Santé. Nous pourrions veiller au respect des demandes des patients tout en protégeant notre droit à la liberté de conscience. Je ne veux pas m'éterniser sur le sujet, mais l'une de mes préoccupations principales tient au fait que nous n'avons jamais l'occasion d'échanger là-dessus. Je crois que nous pourrions trouver des solutions plus rapidement.

Le sénateur Joyal : Je veux poser une autre question sur ce que vous avez mentionné à propos de l'arrêt Carter. La Cour suprême a déclaré très clairement qu'aucun médecin ne devrait être obligé de fournir l'aide médicale à mourir, ce qui, à mon avis, est entièrement en conformité avec l'alinéa 2a) de la Charte. La liberté de conscience est protégée par un énoncé très large selon lequel chacun jouit des libertés fondamentales mentionnées. Le problème vient des établissements. Comme vous l'avez dit dans votre mémoire, l'Ontario compte 110 établissements de soins de santé. La situation n'est pas la même dans une région où il n'y a qu'un seul établissement de soins de santé, comparativement à Toronto, par exemple, où il y en a de toutes sortes, et où une personne pourrait, en suivant sa foi, demander d'y être admise.

Mais dans certains cas, il n'y a qu'un seul établissement de soins de santé, financé par le gouvernement sous le régime de la Loi canadienne sur la santé. Dans ces cas, l'accessibilité et le droit d'avoir recours à l'aide médicale à mourir peuvent constituer un véritable problème. Je ne sais pas si je me suis exprimé assez clairement : comprenez-vous la différence?

Bien que nous ne voulions aucunement aller à l'encontre des convictions de l'administrateur d'un établissement, nous devons nous assurer que le service demeure offert lorsqu'il n'y a aucun autre établissement de santé.

M. Worthen : C'est une très bonne question. Nous sommes engagés dans un processus de dialogue avec divers gouvernements provinciaux à ce sujet. J'ai rencontré en privé des représentants du gouvernement de l'Ontario, et ils m'ont révélé qu'il n'existe aucun de ces établissements en Ontario. L'établissement qui est souvent mentionné est celui qui se trouve à Comox, en Colombie-Britannique, mais nos recherches à son sujet ont révélé que, d'ici 12 mois, il y aura de nouvelles installations laïques à cet endroit.

L'autre chose qu'il ne faut pas oublier, lorsqu'on regarde les statistiques de l'Oregon, c'est que la grande majorité des gens qui choisissent l'aide médicale à mourir préfèrent en fait finir leur vie chez eux.

Je crois qu'il s'agit d'un problème théorique qui peut être résolu. Tous nos établissements sont prêts à permettre le transfert de patients. Puisque les gens sauraient assez vite que notre établissement ne peut permettre cela, des mesures pourraient être prises plus tôt afin de faire en sorte que le souhait du patient soit respecté.

Je crois que les établissements ont une énorme volonté... Nous ne pouvons nous réjouir de ce qui se passe. Nous ne pouvons faciliter la chose, mais en même temps, nous ne pouvons arrêter les gens. C'est pourquoi nous sommes préparés à aider les patients à être transférés, s'ils nous disent où ils veulent être transférés. Je crois personnellement que, dans presque tous les cas, le résultat sera positif du point de vue du patient.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci de vos présentations. Monsieur Marceau, dans votre présentation, vous avez mentionné que l'approche du projet de loi C-14 est cohérente avec la loi sur l'aide médicale à mourir du Québec et celles d'autres juridictions de l'Amérique du Nord. Il est vrai que certains commentateurs ont souligné que le projet de loi fédéral sur l'aide médicale à mourir est fortement inspiré de la loi québécoise concernant les soins de fin de vie. D'autre part, comme vous le savez, le projet de loi fédéral se distingue de la loi provinciale sur plusieurs plans. Vous avez soulevé la question de l'admissibilité, et je voudrais brièvement comparer avec vous les critères d'admissibilité contenus dans la loi québécoise à ceux du projet de loi fédéral.

La loi québécoise s'applique aux patients en fin de vie. Par ailleurs, le projet de loi fédéral utilise une terminologie différente de la loi québécoise. Le projet de loi fédéral ne requiert pas que le diagnostic soit établi selon l'espérance de vie du patient, alors que la loi québécoise prévoit que le médecin doive informer le patient du pronostic relatif à sa maladie.

Est-ce que le critère retenu dans le projet de loi C-14 est plus général et plus flexible que celui qui est énoncé dans la loi québécoise?

M. Marceau : J'aurais deux points à préciser. D'abord, lorsque je disais que le projet de loi C-14 était cohérent avec l'approche du Québec et celle d'autres juridictions de l'Amérique du Nord, c'est qu'il est question de personnes en fin de vie.

Cela se distingue des approches européennes, comme en Belgique, où ce n'est pas nécessairement le cas, et je vais vous citer la décision de la Cour suprême dans le jugement Carter en anglais :

[Traduction]

... cas récents, controversés et médiatisés d'aide à mourir en Belgique auxquels ne s'appliqueraient pas les paramètres proposés dans les présents motifs, tels que l'euthanasie pour les mineurs ou pour les personnes affectées de troubles psychiatriques ou de problèmes de santé mineurs...

[Français]

C'est ce que je disais en termes d'approche générale.

Quant à la terminologie exacte, vous êtes législateur; je l'ai été pendant un certain temps également, et ce n'est pas du copier-coller lorsque je lis ce qui suit :

d) sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l'ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie.

Cela me semble assez semblable à la situation du Québec. Les termes sont différents, et tout juriste ou tout législateur serait capable d'y voir des distinctions. Cependant, je vois une approche philosophique qui est très similaire. Cela s'inscrit dans la même lignée.

Le sénateur McIntyre : Le projet de loi est actuellement muet sur la question des droits de conscience des médecins, infirmiers et pharmaciens.

Par ailleurs, je constate que vous êtes encouragé par le fait que le projet de loi ne force pas les médecins à recommander directement leurs patients. Voulez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Marceau : Différentes approches ont été proposées, et je vais vous en citer deux. L'Association médicale canadienne a parlé d'un service central d'information et de counselling qui permettrait de régler ce problème. Une approche que nous aimons bien est celle du Dr Herschl Berman, spécialiste en médecine interne et soins palliatifs du Temmy Latner Centre for Palliative Care de Toronto, et professeur à l'Université de Toronto. Si vous me le permettez, j'aimerais le citer, parce que je trouve ses propos très pertinents. Mais comme il faut être bref, je vous transmettrai la citation et vous pourrez la transmettre aux membres du comité.

Le sénateur Dagenais : Je vais continuer dans le même ordre d'idées sur l'approche du projet de loi C-14, plus particulièrement en ce qui concerne l'âge minimal de 18 ans. Ne craignez-vous pas que cet aspect puisse donner lieu à des contestations judiciaires et constitutionnelles qui pourraient être longues et déchirantes? À cet égard, ne trouvez- vous pas que nous devrions profiter du débat actuel pour créer davantage d'amendements au lieu de recommencer un autre débat politique à la suite d'un autre jugement de la Cour suprême?

M. Marceau : Compte tenu de la nature délicate de ce débat, et je ne suis pas quelqu'un qui parie souvent, mais je suis prêt à parier un vieux deux dollars avec vous que, de toute façon, le projet de loi qui sera adopté par vous, les législateurs, sera amené au tribunal. Si la condition pour adopter un projet de loi est que personne ne puisse le contester, cela n'arrivera pas.

Deuxièmement, comme on dit en anglais —

[Traduction]

Les affaires complexes font la jurisprudence boiteuse.

[Français]

Donc, tout ce qui touche, par exemple, à l'aide médicale à mourir pour des gens de moins de 18 ans est très sensible, parce qu'on laisserait quelqu'un souffrir, alors que s'il avait quelques mois de plus, il pourrait se prévaloir de ce droit. Il n'y a pas de solution facile. Je me mets à la place d'un parent qui aurait à aider son enfant à prendre cette décision. Comment un parent se placerait-il? Plusieurs personnes autour de la table sont des parents. Comment réagiriez-vous si votre enfant de 15, 16 ou 17 ans voulait se prévaloir de l'aide à mourir, alors qu'il ne peut même pas voter? Est-ce que l'enfant a cette capacité, cette formation, la maturité pour prendre la décision? Il n'y a pas de position très claire.

Cela a été évoqué dans les trois principaux points; il s'agissait du débat le plus difficile à l'interne. Nous avons opté pour la prudence en décidant qu'il fallait être adulte pour prendre cette décision-là, étant donné les conséquences qui sont irrémédiables.

Le sénateur Dagenais : Les jeunes votent quand même à 16 ans.

M. Marceau : C'est vrai?

Le sénateur Dagenais : En tout cas, ce sera le cas éventuellement, mais cela fera l'objet d'un autre débat.

M. Marceau : Ce sera un autre sujet à débattre, et ce sera avec plaisir.

[Traduction]

La sénatrice Batters : J'aimerais commencer par dire, Dre Tang, que j'apprécie beaucoup que vous ayez parlé d'espoir aujourd'hui, car c'est un mot que j'utilise souvent, surtout en matière de maladies mentales; c'est un mot qui n'est pas prononcé souvent dans les audiences de notre comité sur ce sujet. Je vous en remercie, donc. J'espère, quoi qu'il arrive dans ces audiences particulières et relativement à l'adoption de ce projet de loi, que nous serons capable d'atteindre un résultat qui vous permettra d'obtenir la protection de la liberté de conscience que vous recherchez.

Quant à MM. Worthen et Marceau... Tout d'abord, monsieur Marceau, j'avais l'impression de vous avoir déjà vu, et je crois avoir trouvé : vous avez déjà été député, n'est-ce pas?

M. Marceau : Oui, dans une autre vie.

La sénatrice Batters : Pour le Bloc Québécois?

M. Marceau : Oui.

La sénatrice Batters : Heureuse de vous revoir.

M. Marceau : Merci.

La sénatrice Batters : Je vous remercie pour le commentaire que vous avez formulé plus tôt concernant le tout nouvel amendement que la Chambre des communes a déposé pour ce projet de loi concernant la protection de la liberté de conscience, sans toutefois offrir beaucoup de protection pour l'instant; j'apprécie également votre important commentaire selon lequel cela permettrait peut-être de laisser le champ libre aux provinces et aux organismes de réglementation et autres entités de ce genre, alors nous devons mettre en place une protection de la liberté de conscience plus complète.

J'aurais aimé en entendre davantage sur les impressions de M. Worthen à ce sujet, pour savoir qu'est-ce qu'il chercherait à obtenir en particulier. Vous avez déjà formulé de brefs commentaires à ce sujet, mais si vous pouviez en dire davantage sur la protection de la liberté de conscience, sur le fait que ce nouvel amendement ne fournit qu'une mince protection à ce sujet, quelle protection supplémentaire rechercheriez-vous?

M. Worthen : Je vous remercie de me donner l'occasion de répondre à la question. Nous avons deux ou trois précédents — comme la marijuana thérapeutique et la Loi sur le mariage civil — qui nous fournissent des exemples de domaines où le gouvernement fédéral est actif et exerce une compétence qui coexiste avec celle des provinces dans des dossiers d'importance nationale.

Nous sommes reconnaissants de ce qui s'est produit au comité de la justice aux Communes, mais je crois qu'il est essentiel que tout le monde sache clairement que le Parlement est d'avis et veut que la liberté de conscience, garantie par la Constitution, s'applique ici et devrait s'appliquer. Après tout, c'est le Parlement qui définit cet article du Code criminel du Canada.

Par conséquent, il me semblerait que, si le Parlement rédigeait un article qui permet aux gens de faire certaines choses dans certaines conditions, et s'il disait ensuite que ces gens ne peuvent faire ces choses que s'ils le font volontairement, il me semble que cela pourrait être précisé dans la loi : qu'on ne peut obliger personne à faire contre son gré quoi que ce soit en vertu de cet article.

L'autre question que cet amendement soulève dans mon esprit est celle de savoir si le Parlement est en train de signifier qu'il ne veut pas s'en mêler parce qu'il ne veut pas empiéter sur des compétences provinciales, ou si c'est parce qu'il n'y croit pas. Je crois que, si nous voulions clairement signifier les intentions du Parlement, à savoir le fait que la liberté de conscience existe, qu'elle s'applique à la situation, qu'elle comprend la participation directe et indirecte et que le Parlement prévoit essentiellement des exceptions au Code criminel dans ces circonstances seulement lorsque la personne le fait de façon volontaire, c'est ce que je proposerais qu'on dise.

J'ai l'impression, à les entendre parler, que beaucoup de parlementaires appuient la protection de la liberté de conscience. Je peux vous assurer qu'il n'y a aucun conflit avec le fait d'accéder aux souhaits du patient. Vous avez des idées pour y arriver, l'Association médicale canadienne en a, et nous en avons aussi. En les rassemblant toutes, nous pourrons sûrement y arriver.

La Cour suprême vous a demandé de concilier ces intérêts. Elle n'a pas dit qu'ils seraient lésés. Nous n'avons pas à compromettre quoi que ce soit. Nous pouvons être à l'écoute des souhaits du patient en fin de vie et à la fois appuyer l'objection de conscience. Nous, les Canadiens, sommes très bons pour trouver des solutions, mais nous aurons besoin de dialogue, de collaboration et de travail d'équipe. Je crois que nous pouvons y arriver.

La sénatrice Frum : Ma question concerne directement ce point. J'ai été intriguée, docteure Tang, lorsque vous avez dit que ce n'est pas seulement que vous-même, vous auriez une objection de conscience, mais que si votre patient vous demandait de l'aiguiller vers un autre médecin, vous auriez ensuite une décision à prendre à savoir vers qui vous l'aiguillez et de quelle façon vous le faites. C'est là, bien entendu, que réside le dilemme.

Dans notre système médical actuel, on ne peut refuser d'aiguiller un patient. Cela ne s'applique pas à votre branche de la médecine de toute façon, puisque les cas psychiatriques ne sont pas visés par ce projet de loi, mais de façon générale, dans la profession médicale, quelle serait votre réaction dans cette situation? Comment feriez-vous face au problème de l'aiguillage?

Dre Tang : Je vais faire une analogie avec le recours à la marijuana thérapeutique. Si un patient me demandait de la marijuana thérapeutique, et si je croyais qu'il n'existe aucune indication psychiatrique pour le recours à la marijuana thérapeutique et que cela ferait empirer la situation du patient, je pourrais lui dire ceci : « Vous êtes libre de demander de la marijuana thérapeutique à un fournisseur de votre choix. Je continuerai à vous offrir des soins dans d'autres domaines, mais vous êtes complètement libre de demander des soins à quelqu'un d'autre qui pourrait croire qu'il s'agirait d'une bonne décision pour vous. Je peux également vous aider à transférer votre dossier médical à cet autre fournisseur. Cela ne me pose aucun problème. »

Par contre, si je lui répondais que j'allais l'aiguiller précisément à cette fin, c'est presque comme si je l'approuvais. De plus, lorsque j'aiguille un patient, je dois faire un suivi pour m'assurer que les choses se sont passées comme prévu.

Cela me place donc dans une position très difficile. Je comprends que les patients sont libres d'accéder aux services qu'ils veulent, mais dans ce cas particulier, ce serait très difficile.

La sénatrice Frum : Mais les patients ne peuvent généralement pas accéder à un spécialiste sans avoir d'abord été aiguillés.

Dre Tang : Dans les discussions que nous avons eues, même entre les témoins ici présents, des situations ou des solutions ont été proposées, où il ne serait pas nécessaire d'avoir été aiguillé pour recevoir cette intervention. C'est à cela que nous voulons en venir : nous aimerions pouvoir travailler avec les provinces et les établissements pour pouvoir offrir ce service aux patients qui le souhaitent sans avoir à passer par cet aiguillage.

M. Worthen : J'aimerais ajouter quelque chose. Nous avons une proposition spécifique qui offre au patient l'occasion de décider comment il aimerait procéder. Si le patient souhaite rester avec un médecin, même si ce médecin a une objection de conscience, ce que nous proposons est un modèle d'accès direct permettant au patient d'accéder directement à l'évaluation pour l'aide médicale à mourir.

Cela correspond à ce que le ministre de la Santé tente de mettre en place avec les provinces et à ce que de nombreuses autorités de la santé sont ouvertes à mettre en place. Si le patient est trop malade pour y accéder directement par lui- même — et cela arrive souvent lorsque le patient est à l'hôpital —, alors le transfert des soins, où le patient change complètement de médecin... Une personne comme Sephora en parlerait ensuite au patient; et finalement, le patient décide qu'il voudrait un transfert des soins, auquel cas un membre du personnel de l'hôpital se chargerait de faciliter le transfert.

La sénatrice Frum : Je suppose que ce qui va se produire, c'est que certains médecins se feront connaître pour cette raison : le public saura qui ils sont et ira les voir directement. Est-ce bien ce à quoi vous vous attendez?

M. Worthen : Je m'y attends, mais il est dans notre intérêt de nous assurer qu'on prend soin des patients et que leurs souhaits sont respectés. C'est pourquoi nous croyons qu'il est nécessaire de nous assurer que la ministre de la Santé fait ce qu'elle a accepté de faire, c'est-à-dire mettre en place ces processus pour que des personnes comme Sephora n'aient pas à s'inquiéter pour un patient dans l'incertitude. Personne ne devrait être dans l'incertitude. Il devrait y avoir des systèmes en place pour que cela ne se produise pas.

Senator Joyal : J'ai une question pour Mme Ng. Vous n'avez pas parlé du délai mentionné dans le préambule du projet de loi relativement au consentement préalable, aux mineurs matures et aux personnes aux prises avec une maladie mentale. Vous n'avez exprimé aucune inquiétude à ce sujet.

[Français]

Quant à vous, monsieur Marceau, je ne sais pas si vous êtes en mesure de faire des commentaires à ce sujet.

[Traduction]

Mme Ng : Comme je n'avais que cinq minutes, j'ai dû choisir sur quoi insister ici.

Dans un mémoire antérieur, nous avions suggéré que l'âge de consentement soit de 18 ans, mais ce n'est pas tout blanc ou noir; nous sommes ouverts à tenir compte, dans le cas de mineurs matures, des autres options possibles et des autres mesures de soutien qui pourraient être mises en place.

Je pense notamment au cas de Robert Latimer et de sa fille en Saskatchewan, il y a nombre d'années. Aucun parent ne veut voir son enfant souffrir, mais aucun parent ne veut se retrouver dans la position d'avoir à décider si son enfant vivra ou mourra. C'est l'une de ces situations où... Monsieur Marceau, vous avez dit que c'est une zone très grise. Il n'y a aucune bonne ou mauvaise réponse. Je crois que c'est très personnel. C'est l'un de ces domaines où nous aurons besoin de mener d'autres études et consultations.

Le président : Merci à tous. Le temps est écoulé. Nous avons un peu dépassé le temps alloué, mais nous avons assurément apprécié votre présence ici et votre aide dans la réflexion sur ce très important projet de loi.

Chers collègues, à 10 h 30 demain, nous serons de retour dans le local 160. De 12 h 45 à 14 h 45, nous allons procéder à la rédaction de notre rapport, à huis clos. La séance est levée.

(Le comité s'ajourne.)

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