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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 11 - Témoignages du 16 juin 2016


OTTAWA, le jeudi 16 juin 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 217, Loi modifiant le Code criminel (détention sous garde), se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur George Baker (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du grand public qui écoutent les délibérations d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous commençons aujourd'hui nos audiences visant à examiner le projet de loi S-217, Loi modifiant le Code criminel (détention sous garde).

Le projet de loi a été présenté par notre président, le sénateur Runciman, qui nous en parlera au cours de la première heure. Il est accompagné de Michael Cooper, député de St-Albert — Edmonton, qui est un juriste bien connu de la région. Nous sommes aussi en présence de Shelley Wynn, veuve du gendarme David Wynn de la GRC, dont le décès tragique en janvier 2015 et les circonstances entourant sa mort ont motivé le dépôt du projet de loi.

Je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui. Sénateur Runciman, la parole est à vous.

L'honorable Bob Runciman, parrain du projet de loi : Merci beaucoup. Je suis ravi d'avoir l'occasion de parler de ce que je considère être une modification simple, mais possiblement importante du Code criminel. Le projet de loi ne compte que trois articles, et je suis d'avis que l'article 2 est au cœur de la question. Je vais aborder chaque disposition dans l'ordre, puis je vous expliquerai les événements qui m'ont porté à introduire le projet de loi.

L'article 515 du Code criminel énonce les règles entourant la mise en liberté provisoire par voie judiciaire, ou ce que nous appelons généralement le cautionnement.

Le paragraphe 515(10) énumère les motifs justifiant la détention : pour assurer la présence du prévenu au tribunal, pour la sécurité du public et pour éviter de miner la confiance du public envers l'administration de la justice.

L'article 1 du projet de loi vient donc modifier ce troisième élément : éviter de miner la confiance du public envers l'administration de la justice. Plus particulièrement, deux critères sont ajoutés : le fait que le prévenu n'ait pas répondu à une convocation antérieure du tribunal, et le fait qu'il ait antérieurement été déclaré coupable ou qu'il attend son procès à cet égard.

L'article 518 du Code criminel se rapporte à la preuve que le juge de paix peut prendre en considération lors d'une audience sur le cautionnement. À ce sujet, l'article autorise le poursuivant à présenter une preuve en vue d'établir que le prévenu a antérieurement été déclaré coupable, qu'il attend son procès après avoir été inculpé d'une autre infraction criminelle que celle dont le tribunal est saisi ce jour-là, qu'il n'a pas répondu à une convocation antérieure du tribunal ou qu'il a déjà contrevenu aux conditions de sa liberté sous caution.

Selon le libellé actuel, le Code criminel dit que le poursuivant « peut » présenter une telle preuve. Or, l'article 2 du projet de loi S-217 remplace « peut » par « présente ». Autrement dit, le projet de loi fera en sorte qu'il ne soit plus optionnel d'informer le juge de paix du casier judiciaire d'un prévenu lors de l'audience sur le cautionnement.

L'article exige aussi explicitement du poursuivant qu'il présente une preuve en vue d'établir le fait que le prévenu n'a pas répondu à une convocation antérieure du tribunal. En fait, il s'agit selon moi d'une information essentielle à la prise d'une décision éclairée sur le cautionnement. On m'a dit que ces renseignements sont généralement donnés. J'ai discuté de la procédure avec un juge de paix principal du sud-ouest de l'Ontario, qui m'a dit n'avoir jamais vu une affaire où ce genre de preuve n'a pas été présentée. Quoi qu'il en soit, le projet de loi nous assurera que ce soit toujours fait.

La troisième et dernière disposition du projet de loi modifie l'article 719 du Code criminel. Elle fait suite à une décision de la Cour suprême qui a été rendue après l'introduction de mon projet de loi, et je tiens à souligner la contribution de nos analystes à cet égard. Ce sont eux qui ont porté à mon attention la remise en question de la constitutionnalité de l'article. J'ai donc fait analyser l'article par un ancien procureur de la Couronne, qui nous a aidés à rédiger le projet de loi, de même que par le Bureau du légiste, et les deux m'ont assuré que l'article ne devenait pas inconstitutionnel suivant la décision de la Cour suprême.

À mon avis, la décision de la Cour suprême a changé la donne quant à la soustraction du temps d'incarcération avant le procès, et je pense que la disposition aura désormais une incidence limitée, au mieux. La question ne se rapporte pas directement aux circonstances entourant le meurtre du gendarme Wynn, mais elle pourrait éventuellement brouiller les cartes du processus législatif. Par conséquent, lorsque nous parviendrons à l'étude article par article, je demanderais aux sénateurs de bien vouloir voter contre la disposition.

C'était donc un aperçu du projet de loi. Monsieur le président, j'aimerais prendre une minute de plus pour expliquer pourquoi le projet de loi est indispensable, selon moi.

Les dispositions ont été élaborées en réaction au meurtre du gendarme David Wynn de la GRC en janvier 2005, et aux blessures infligées au gendarme auxiliaire Derek Bond, à Edmonton, par un récidiviste violent qui s'est enlevé la vie plus tard ce jour-là.

Je sais que c'est un grand honneur pour nous tous que Shelley, la veuve du gendarme Wynn, soit avec nous ce matin. Toute évaluation raisonnable de Shawn Rehn démontre que l'individu n'aurait pas dû être en liberté au moment du drame. Des centaines d'accusations avaient déjà été portées contre lui pendant sa vie adulte; son dossier comptait des dizaines de condamnations, y compris pour des infractions violentes; et il n'a souvent pas répondu aux convocations du tribunal. Il avait écopé d'un certain nombre de peines d'emprisonnement, y compris de deux passages en pénitencier fédéral. Au moment de son décès, il faisait face à 29 chefs d'accusation et faisait l'objet de deux interdictions d'utiliser des armes à feu et d'autres armes.

Rehn a été arrêté en septembre 2014 pour plusieurs chefs d'accusation, y compris la possession d'une arme prohibée. Il faisait aussi l'objet d'un mandat d'arrestation en raison de chefs d'accusation qui remontaient à l'année précédente, alors qu'il n'avait pas répondu à une convocation du tribunal.

Il ne fait aucun doute qu'il aurait pu et aurait dû être détenu sous garde pour l'un ou l'autre des motifs actuels — pour assurer sa comparution devant un juge, pour la protection ou la sécurité du public, et pour éviter de miner la confiance du public envers l'administration de la justice —, mais il a été libéré sous caution pour une somme de 4 500 $.

J'ai lu la transcription de l'enquête sur le cautionnement, et c'est scandaleux; c'est le moins qu'on puisse dire. On n'a absolument rien dit sur son lourd passé criminel ou sur son mépris éhonté des ordonnances des tribunaux. On n'a aucunement considéré de le garder en détention sous garde, étant donné que le juge de paix qui présidait l'audience n'avait pas la moindre idée des antécédents épouvantables de Rehn. Il a donc été remis en liberté, a commis d'autres crimes, n'a pas répondu à la convocation du tribunal puis, quatre mois plus tard, il a abattu le gendarme Wynn.

En remplaçant « peut » présenter par « présente », le projet de loi fera en sorte que les juges de paix qui président les audiences sur le cautionnement auront l'information dont ils ont besoin pour prendre une décision éclairée. Le projet de loi n'impose aucun fardeau additionnel aux poursuivants, pas plus qu'il n'affaiblit le pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Il garantit simplement que les renseignements cruciaux devant être facilement accessibles seront présentés lors des audiences sur le cautionnement.

Voilà qui résume le contexte, monsieur le président. Merci beaucoup.

L'honorable Michael Cooper, député, St-Albert — Edmonton : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie. Je suis ravi d'être ici. Je suis le parrain du projet de loi S-217 à la Chambre des communes. Ces mesures législatives sont fort nécessaires, d'après moi, et elles font suite à un événement tragique ayant eu de profondes répercussions sur la collectivité de St-Albert que je représente.

Comme le sénateur Runciman l'a dit, le gendarme Wynn a été abattu en janvier 2015 à l'extérieur d'un casino de St- Albert. Cet agent de la GRC prenait des risques jour après jour pour assurer la sécurité de notre collectivité de St- Albert, au sacrifice ultime de sa vie.

Chaque fois qu'un agent de police est tué dans l'exercice de ses fonctions, c'est tragique et révoltant, mais le meurtre du gendarme Wynn est d'autant plus terrible et choquant qu'il était entièrement évitable.

Comme le sénateur Runciman l'a dit, le meurtrier du gendarme Wynn était en liberté sous caution au moment du meurtre, en dépit du fait que des dizaines et des dizaines de chefs d'accusation pesaient contre lui. Il avait déjà eu une cinquantaine de condamnations criminelles, quelque 38 chefs d'accusation pesaient encore contre lui, et il comptait de nombreux défauts de comparution. Il a pourtant été libéré sous caution, et courait librement dans notre collectivité parce que cette information n'avait pas été présentée lors de l'audience sur le cautionnement.

S'il y avait un exemple modèle de personne qui aurait dû être derrière les barreaux plutôt que d'arpenter les rues, c'est bien le meurtrier du gendarme Wynn.

Je doute que quiconque puisse raisonnablement affirmer que les renseignements concernant les condamnations criminelles antérieures, les chefs d'accusation en suspens et les défauts de comparution ne sont pas pertinents dans le cadre d'une audience sur le cautionnement. En effet, l'article 518 du Code criminel dit que la Couronne peut présenter une telle preuve en vue d'une audience sur le cautionnement.

Pourtant, l'information n'a pas été divulguée dans ce cas-ci. Si elle l'avait été comme il se doit, il ne fait aucun doute que le gendarme Wynn serait en vie aujourd'hui et que son meurtrier serait derrière les barreaux, comme il se doit.

Je dirais que le meurtre du gendarme Wynn met en lumière une faille évidente du processus de cautionnement. Le projet de loi S-217 vise à rectifier le tir en exigeant simplement de la Couronne qu'elle présente ce genre de preuve.

Je tiens à préciser que le projet de loi S-217 n'impose aucun fardeau indu à la Couronne. Il n'impose aucune nouvelle obligation aux forces de l'ordre. Il ne porte pas atteinte au pouvoir discrétionnaire du juge de la paix lors de l'audience sur le cautionnement, qui doit rendre sa décision à la lumière des faits et des circonstances particulières de l'individu.

Le projet de loi S-217 oblige simplement le dépôt des renseignements pertinents et importants dans toute audience sur le cautionnement pour mieux s'assurer que les prévenus qui payent la caution se présentent au tribunal, et que la sécurité du public soit préservée, pour éviter de miner la confiance du public envers l'administration de la justice, et pour éviter qu'un événement comme celui qui s'est produit à St-Albert en janvier 2015 ne se répète jamais.

Merci, monsieur le président.

Le vice-président : Madame Wynn, souhaitez-vous dire quelques mots?

Shelley Wynn, à titre personnel : Oui, s'il vous plaît.

J'aimerais commencer par vous remercier de me donner la chance d'être ici aujourd'hui. Monsieur Cooper, sénateur Runciman, je vous remercie de faire en sorte que la question soit une partie aussi importante de votre travail.

Je ne suis ici pour parler ni des particularités de l'audience sur le cautionnement ni de Shawn Rehn — et croyez-moi, j'ai lu le moindre document publié sur lui. Je suis plutôt ici pour vous aider à comprendre comment je dois vivre ma vie sans mon mari, chaque seconde et chaque jour. Je suis ici pour vous démontrer en quoi la modification d'un seul mot pourrait éviter à une autre famille de littéralement vivre l'enfer que j'ai connu au cours de la dernière année et demie.

Dans un instant, je vais vous inviter à fermer les yeux pour quatre secondes. Pendant ces quatre secondes, je veux que vous imaginiez la personne de votre vie avec laquelle vous passez chaque jour; celle que vous voyez avant de vous endormir; la dernière personne que vous voyez le soir; la première que vous voyez à votre réveil; celle avec qui vous faites tout durant le jour; celle qui fait tout pour vous au quotidien; et celle avec laquelle vous comptiez passer le reste de vos jours, à créer de nouveaux souvenirs et à poursuivre vos rêves.

Je vous demande donc de fermer les yeux : un, deux, trois, quatre. Ouvrez maintenant les yeux. Quatre secondes : c'est exactement le temps qu'il a fallu à Shawn Rehn pour enlever la vie à mon mari. C'est exactement le temps qu'il a mis pour m'arracher la personne que je voyais en dernier le soir, et en premier le matin. C'est le temps qu'il lui a fallu pour priver trois garçons de leur père.

Je veux que vous preniez un instant pour imaginer ce que cela pourrait être de perdre cette personne en quatre secondes. Elle est juste partie — tout a disparu.

Voici une photo du gendarme David Wynn, qui a été prise le jour de la remise des diplômes en juillet 2009 au Dépôt de la GRC. C'est ainsi que vous connaissez David. Il était tellement fier d'être membre de la GRC, et il incarnait en toute honnêteté la vraie signification du rôle de gendarme. Il adorait son travail. Ce jour-là était probablement un des moments de sa vie où il a ressenti le plus de fierté, et sa famille aussi. Je pense qu'il a démontré l'amour pour son travail dans tout ce qu'il faisait chaque jour pour protéger la collectivité de St-Albert. Tous les gens de St-Albert seront probablement d'accord.

Voici une autre photo de David Wynn. C'est mon mari; c'est le David que je connaissais. C'est le David que sa famille et ses amis connaissaient. La photo a été prise lors d'un de ses derniers voyages de pêches avec ses fils, en Alberta, à l'automne précédant son assassinat. Dave adorait vraiment la pêche. Ce jeune garçon qui a grandi à Miramichi allait constamment pêcher avec son père, sur l'eau, et il avait hâte de transmettre cette passion à ses trois garçons.

Voici nos trois enfants : Matthew, Nathan et Alexander. La photo a été prise lors du même voyage de pêche avec Dave. C'était probablement un des moments les plus heureux de la vie de Dave, car c'est ce qu'il avait attendu : de pouvoir amener ses garçons à la pêche, tout comme son père le faisait avec lui.

Vous voyez ici Dave en compagnie de sa mère, Catherine Wynn, et de ses sœurs, Dawn Sephton et Mona Wynn. J'ai toujours dit à Dave qu'il était extrêmement chanceux d'avoir ces trois femmes dans sa vie, car elles l'appuyaient dans tout ce qu'il entreprenait — dans tous ses rêves. Ce sont vraiment les trois femmes qui l'ont façonné.

C'était un homme extraordinaire, avec lequel j'ai eu la chance de partager ma vie.

En quatre secondes, une collectivité a perdu un gendarme, une femme a perdu son mari, trois garçons ont perdu leur père, et une mère et des sœurs ont perdu un fils et un frère — tout cela en quatre secondes.

Je me réveille chaque jour en souhaitant pouvoir récupérer ces quatre secondes, mais je ne peux pas. Il n'y a rien que je puisse faire pour changer la réalité.

Chaque jour, je dois vivre ma vie seule, sans Dave à mes côtés pour profiter des moments que nous étions censés partager en famille et en tant que mari et femme.

Chaque jour, ses enfants doivent vivre de nouvelles choses et franchir de nouvelles étapes sans leur père. Ce dimanche, c'est la fête des Pères. Mes fils n'ont plus de père pour célébrer cette journée. Ils ne pourront plus créer de nouveaux souvenirs.

En préparation à la séance d'aujourd'hui, j'ai dû revivre bien des émotions et des choses que je croyais avoir surmontées à la suite d'interminables heures de thérapie. Comme vous pouvez le voir, la douleur sera toujours présente et ne partira jamais — surtout celle du moment où j'ai dû dire à mes trois enfants que leur père n'allait pas s'en sortir. C'est une émotion avec laquelle je dois vivre au quotidien, et que je ne souhaite à absolument personne.

En changeant ce terme, on pourrait assurer le bonheur d'une personne pour toute une vie, et cette personne aurait très bien pu être vous. Dave a été le malheureux qui était présent ce soir-là, mais cela aurait pu être n'importe qui.

Shawn Rehn n'aurait pas dû être en liberté. Il n'aurait pas dû être libéré de prison après son audience de mise en liberté sous caution. On lui a donné de nombreuses chances au fil des ans, et il était évident qu'il n'allait pas se prendre en mains. Je crois que si ses antécédents avaient été exposés, il n'aurait pas été libéré, cette altercation de quatre secondes ne serait pas survenue et mon époux serait encore en vie.

J'aimerais vous faire part d'une dernière réflexion. Je veux vous parler des principes que Dave a appliqués chaque jour de sa vie. Le premier est simple : vivre pleinement chaque jour. Dave vivait comme si c'était le dernier jour de sa vie. Il profitait de chaque moment et réalisait ses rêves. À l'âge de 30 et quelques années, il a changé de carrière. Je croyais que c'était de la folie, mais c'était son rêve.

Le deuxième est de rire chaque fois que vous le pouvez. Ceux qui ont connu Dave vous diront que c'est probablement ce qui leur manquera le plus à propos de Dave : son rire.

Le dernier est d'aimer les autres comme si c'était la dernière fois que vous verrez cette personne, ce qui est exactement ce qu'il a fait lorsqu'il a quitté la maison pour aller au travail ce jour-là. Dave aimait sa famille et il s'assurait que les membres de sa famille le savent tous les jours, en les serrant dans ses bras et en leur disant qu'ils les aiment avant de quitter la maison.

Le vice-président : Merci, madame Wynn. C'est probablement le témoignage le plus poignant que nous avons entendu pour changer la loi.

Sénateur Runciman, vous avez réussi au cours des deux dernières années à changer deux dispositions du Code criminel par l'entremise de projets de loi que vous avez présentés et qui ont été adoptés à la Chambre des communes, et ce sera ici votre troisième réussite, j'en suis certain.

Nous allons commencer la période des questions avec le sénateur Sinclair.

Le sénateur Sinclair : Sénateur, j'ai passé en revue les documents qui nous ont été fournis. Nous n'avons pas reçu la transcription de l'audience avec un juge. Je présume que c'était une audience avec un juge. C'est ce que vous avez dit?

Le sénateur Runciman : Oui.

Le sénateur Sinclair : Nous n'avons pas cette transcription devant nous, alors nous ne savons pas quels renseignements ont été divulgués au juge et qui l'a fait. Avez-vous plus d'information à ce sujet?

Le sénateur Runciman : J'en ai une copie. Je peux vous la fournir.

Le sénateur Sinclair : Il y a deux points sur lesquels je voulais vous poser des questions. Quelqu'un a-t-il fait une demande pour qu'il soit maintenu en détention et le juge a rendu une décision contraire? Est-ce bien ce qui est arrivé?

Le sénateur Runciman : Non. Il y avait un agent de la GRC pour représenter la Couronne. L'avocat de la défense a comparu par téléphone, et une conversation a eu lieu avec le juge de paix qui, si je ne m'abuse, est maintenant un juge provincial, et l'agent qui représentait la Couronne. Je présume, pour ce qui est des premières comparutions, qu'il est assez fréquent en Alberta que des agents de la GRC représentent la Couronne.

Le sénateur Sinclair : C'est monnaie courante partout au Canada en dehors des centres urbains. À partir de mon expérience de travail dans le système de justice, presque partout où il n'y a pas de procureur de la Couronne, des agents de police font la demande de remise en liberté. Je me demande s'il y a des renseignements pour déterminer si l'agent de police qui a comparu pour la demande de remise en liberté de la Couronne a consulté le système du CPIP pour examiner le casier judiciaire de l'accusé avant l'audience. Avez-vous de l'information à ce sujet?

Le sénateur Runciman : Non, je n'ai aucune preuve. Je crois savoir qu'un examen a été effectué. Compte tenu des circonstances, le gouvernement de l'Alberta a entrepris un examen des procédures de remise en liberté sous caution. D'après ce que j'ai vu, il n'y a eu aucune tentative d'accéder au système du CIPC de la part de l'agent. La seule recommandation au gouvernement de l'Alberta qui est ressortie du lot dans le cadre de cet examen est que les policiers ne devraient plus représenter la Couronne aux audiences de remise en liberté sous caution.

Le sénateur Sinclair : C'est une recommandation qui remonte à 30 ans. Elle obligerait le gouvernement à embaucher plus de procureurs de la Couronne, ce qui est peu probable.

Ma question est la suivante : les policiers ont clairement accès au système du CPIC, au système informatique du Centre d'information de la police canadienne. Ils ont accès à ce système, de toute évidence, si bien que le policier aurait pu facilement accéder au casier judiciaire. Savons-nous pourquoi il ne l'a pas fait avant de comparaître au nom de la Couronne?

Le sénateur Runciman : M. Cooper, qui représente ce secteur, a peut-être de l'information que je n'ai pas.

Le sénateur Sinclair : Savez-vous pourquoi?

M. Cooper : Je n'ai pas d'autres renseignements.

Le sénateur Runciman : Je ne sais pas si on vous a seulement remis la transcription de l'audience sur la remise en liberté.

Le sénateur Sinclair : On vient de me la remettre, mais je n'ai évidemment pas eu le temps de la lire.

Le sénateur Runciman : C'est plutôt un résumé, et je pense que la brièveté du document démontre l'approche désinvolte adoptée durant l'audience.

Le sénateur Sinclair : Oui. Les renseignements ne permettraient pas de savoir si le policier a eu accès au système, à moins qu'il ait dit au juge qu'il l'a fait et n'a pas trouvé le casier judiciaire.

Le sénateur Runciman : Il n'y a aucune mention à cet égard.

Le sénateur Sinclair : L'autre question que j'ai est la suivante : comme vous le dites, l'accusé était en liberté sous caution au moment où il a tiré sur les policiers, mais il faisait l'objet de nombreux mandats d'arrestation pour défaut de comparution en cour. Savez-vous combien de mandats d'arrestation avaient été émis?

Le sénateur Runciman : Il faudrait que je vérifie. Je peux trouver le nombre pour vous. C'était un chiffre élevé.

Le sénateur Sinclair : D'après les renseignements rapportés dans les médias, il faisait l'objet d'au moins 10 mandats d'arrestation. Ce nombre vous semble-t-il juste?

Le sénateur Runciman : Je pense que c'est juste.

Le sénateur Sinclair : À mon avis, le problème est peut-être l'absence d'un système d'exécution des mandats d'arrestation adéquat dans la majorité des provinces et des territoires au Canada. Les gens qui sont libérés sous caution, qui violent leurs conditions de libération et qui font l'objet d'un mandat d'arrestation ne sont pas normalement arrêtés par une équipe d'exécution des mandats; ils sont arrêtés seulement si un policier les trouve.

Le sénateur Runciman : Je pense que c'est ce qui est arrivé dans ce cas-ci. L'agent Wynn vérifiait des plaques d'immatriculation, ce qu'il faisait couramment, et a constaté qu'il y avait un mandat d'arrestation non exécuté pour l'individu qui se trouvait dans le casino. C'est lorsque l'agent auxiliaire et lui ont pressenti M. Rehn que des coups de feu ont été tirés.

Le sénateur Sinclair : Pensez-vous qu'il vaudrait la peine que nous recommandions des changements à apporter au code pour obliger les gouvernements à mettre sur pied des équipes d'exécution des mandats lorsque des mandats sont émis?

Le sénateur Runciman : Je pense que c'est une idée qu'il vaudrait la peine de soulever lorsque l'Association canadienne des chefs de police comparaîtra plus tard.

Le sénateur Sinclair : L'association veut avoir une équipe de ce genre, mais elle veut avoir les ressources nécessaires.

Le sénateur Runciman : Elle veut avoir les ressources requises également. Je pense que cette idée mériterait d'être étudiée.

Le sénateur Sinclair : Notre collègue pourra probablement mieux vous informer à ce sujet que moi, mais c'est ce que des policiers ont dit à maintes reprises.

L'autre question que j'ai est la suivante : si un agent d'audience avait cette information et a exercé son pouvoir discrétionnaire de la divulguer, cette situation aurait-elle pu quand même se produire?

Le sénateur Runciman : Cela ne fait aucun doute. Il faut croire, compte tenu des antécédents de M. Rehn — un casier judiciaire long comme le bras, deux interdictions de possession d'armes —, que si le juge de paix a rendu la décision d'accorder la remise en liberté dans ces circonstances, il a fait preuve de négligence dans l'exercice de ses fonctions. Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Sinclair : En tant que juge, je sais que de nombreux individus qui ont de longs antécédents judiciaires ont été remis en liberté avec le consentement de la Couronne parce qu'un accord connexe, qui n'a jamais été divulgué à la cour, a été conclu. Je serais curieux de savoir si l'on a des renseignements qui laissent entendre que c'est ce qui s'est passé dans le cas de M. Rehn. Avez-vous des renseignements à ce sujet?

Le sénateur Runciman : Si l'on regarde la transcription, il semble y avoir eu une conversation téléphonique très brève entre le représentant de la Couronne et l'avocat de la défense. Cette décision et cette conversation semblent avoir été brèves pour conclure un accord sur la façon d'aborder l'affaire.

Le sénateur Sinclair : J'ai une dernière question, monsieur, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, et elle porte sur le fait que cela n'entraînera pas de responsabilités plus lourdes pour les procureurs.

Je suis un peu inquiet que si l'on impose cette obligation aux procureurs et qu'ils ne la respectent pas, des mesures disciplinaires pourraient être prises ou des pertes d'emploi pourraient survenir. Êtes-vous le moindrement préoccupé que vous pourriez créer une responsabilité légale, une responsabilité civile ou même une responsabilité relative à l'emploi?

Le sénateur Runciman : Non. Cela ne m'inquiète pas car, comme je l'ai mentionné plus tôt, j'ai discuté avec le juge de paix en chef dans le Sud-Ouest de l'Ontario, qui est un juge de paix depuis 14 ou 15 ans, et il a dit qu'il ne s'est jamais heurté à une situation où la Couronne n'a pas saisi l'occasion de divulguer l'information aux tribunaux ou au juge qui entend l'audience sur la remise en liberté.

Je suis certain qu'il y a de nombreux cas où, en vertu du code, si le procureur ne suit pas les directives, il peut faire l'objet du type de poursuites dont vous avez parlé. Dans ce cas-ci, il est juste de dire qu'une erreur comme celle-ci peut coûter la vie d'un homme bien et d'un policier qui se souciait de sa communauté. Ma principale préoccupation est qu'une situation de la sorte se reproduise à l'avenir.

Le sénateur Sinclair : Madame Wynn, je tiens à vous exprimer mes sincères condoléances pour votre perte, à vous et à votre famille également. Merci beaucoup de votre présence ici.

Mme Wynn : Merci.

Le sénateur Sinclair : Monsieur le président, je dois quitter pour prendre une photo avec un jeune garçon qui a gagné un concours de rédaction après avoir rédigé un essai sur moi.

Le vice-président : Merci, sénateur Sinclair.

Nous allons devoir essayer d'abréger nos questions pour le temps qui reste, mais nous entendrons tous ceux qui souhaitent prendre la parole pour poser des questions.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de vos déclarations.

Madame Wynn, mes sincères condoléances pour la perte de votre conjoint. C'est une tragédie; c'est indéniable.

Sénateur Runciman and monsieur Cooper, je vous félicite d'avoir parrainé cette mesure législative très importante. Cela dit, sénateur Runciman, comme vous l'avez expliqué, le projet de loi n'interfère pas avec le pouvoir discrétionnaire. Il repose sur le principe que le juge devrait avoir accès à l'information adéquate. Cela n'a pas été le cas dans l'affaire Rehn, malheureusement, où une erreur a coûté la vie de l'agent Wynn. Encore une fois, je vous félicite d'avoir présenté ce projet de loi.

Monsieur Cooper, c'est vous qui parrainez le projet de loi à la Chambre. Comment ont réagi les partis de l'opposition? Vont-ils appuyer ce projet de loi important?

M. Cooper : J'ai eu quelques conversations informelles et la réaction des gens est généralement positive. J'ignore si le gouvernement appuiera le projet de loi.

Le sénateur McIntyre : À quelle étape le projet de loi est-il rendu à la Chambre?

M. Cooper : Il est d'abord présenté au Sénat.

Le sénateur McIntyre : Au Sénat d'abord.

M. Cooper : Oui, en raison de la position que j'occupe à la suite de la loterie pour la sélection des projets de loi d'initiative parlementaire. Il s'agissait, selon nous, d'une façon beaucoup plus rapide de faire adopter cette mesure législative.

Le vice-président : Étant donné le bilan reluisant du sénateur Runciman concernant la présentation et l'adoption de projets de loi, je crois que c'est la bonne façon, et la façon la plus rapide, de faire adopter un projet de loi.

La sénatrice Jaffer : Madame Wynn, je tiens, moi aussi, à vous transmettre toutes mes sympathies, à vous et à vos trois fils, ainsi qu'à la mère et à la sœur de votre conjoint. Je vous demanderais respectueusement de dire à vos fils, à votre retour, que vous les avez bien représentés et que votre message a été bien entendu. Vous êtes une femme courageuse.

Mme Wynn : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci d'avoir accepté notre invitation. Madame Wynn, à la suite de cet incident tragique, avez- vous reçu et continuez-vous de recevoir, vous et vos fils, des services du gouvernement?

Mme Wynn : Pardon?

La sénatrice Jaffer : Votre famille reçoit-elle des services continus de la part du gouvernement? Si vous ne voulez pas répondre, ça va.

Mme Wynn : Nous avons reçu des services. Mais, c'est une tout autre histoire.

La sénatrice Jaffer : Nous parlerons en privé.

Sénateur Runciman, monsieur Cooper, merci d'avoir proposé ce projet de loi.

Monsieur Cooper, avant de poser mes questions, j'aimerais vous remercier publiquement de m'avoir aidé à réunir une famille du Congo dans votre région.

Monsieur Cooper, le sénateur Sinclair en a déjà parlé, mais, si j'ai bien compris, ce n'était pas un poursuivant, c'est exact? C'était devant un juge de paix. C'était un agent de police. Si j'ai bien compris — j'ai beaucoup travaillé à ce dossier —, même l'accusé, M. Rehn, n'était pas présent en cour cette journée-là. Il était représenté par son avocat.

Les agents de police, dans votre région, agissent-ils encore à titre de poursuivants? Si j'ai bien compris, la ministre Ganley a dit qu'il faut non seulement améliorer le système, mais aussi éviter les conséquences involontaires. J'aimerais savoir si vous avez eu des discussions avec des représentants du gouvernement albertain. Quelles mesures le gouvernement provincial a-t-il adoptées? Qu'entend la ministre par « conséquences involontaires »?

M. Cooper : Pour répondre à votre première question, oui, c'est encore ainsi en Alberta. À la suite d'un examen, il a été recommandé de cesser cette pratique.

J'ignore dans quel contexte la ministre Ganley a fait cette déclaration, mais si vous lisez la transcription de l'affaire en question, vous constaterez, comme nous, que les partis ont adopté une approche très détachée relativement à l'audience de mise en liberté sous caution. Par conséquent, on a coupé les coins ronds. Des preuves qui auraient dû être portées à l'attention du juge de paix ne l'ont pas été. Au bout du compte, Shawn Rehn a été mise en liberté avec les conséquences mortelles que l'on connaît.

Le sénateur Runciman : Si je ne m'abuse, Shawn Rehn était présent lors de cette audience.

La sénatrice Jaffer : J'ai quelques documents ici. Vous avez la transcription de cette audience?

Le sénateur Runciman : Oui.

La sénatrice Jaffer : Sénateur Runciman, je tiens, encore une fois, à vous remercier d'avoir proposé ce projet de loi. J'ai beaucoup analysé l'alinéa 515(10)c). Je sais que vous l'avez analysé et étudié plus que moi. Selon ce que je peux lire, cet alinéa ne couvre que l'infraction pour laquelle l'accusé comparaît. L'article porte également sur la gravité de l'infraction et la condamnation.

Selon ce que je peux voir, vous souhaitez ajouter à cela les antécédents de l'accusé. Avez-vous songé à introduire cet ajout à un autre endroit dans la loi? Ce que vous demandez, c'est d'ajouter à l'analyse du dossier les antécédents de l'accusé. Je me demande si c'est le bon endroit pour cet ajout et pourquoi vous avez arrêté votre choix sur cet article.

Le sénateur Runciman : Nous avons mené des consultations à ce sujet et des lois comparables ont été introduites à la Chambre au cours de la dernière session. Nous avons consulté le procureur de la Couronne de l'Alberta et, à la lumière de ses conseils, nous avons choisi cet article.

La sénatrice Jaffer : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Wynn, je tiens à vous offrir mes sincères condoléances. J'ai moi-même été policier pendant 39 ans, et votre témoignage m'a touché profondément. Lorsqu'on enfile son uniforme avant de partir travailler, on ne peut s'empêcher de penser qu'on pourrait ne pas revenir à la maison le soir. J'ai été chanceux, je suis revenu à la maison tous les soirs pendant 39 ans. J'ai perdu des collègues au travail, des amis, et je comprends les émotions que vous ressentez. Je ne peux en dire plus; je suis un peu ému, je dois l'avouer.

J'ai travaillé avec le Centre d'information de la police canadienne, où on nous disait toujours que l'individu qu'on arrête, c'est un dossier. Le réflexe premier de tout policier est de se rendre auprès du suspect, de l'arrêter et ensuite de vérifier. Je suis certain que votre conjoint a fait son travail comme il le devait.

Cela étant dit, ma question s'adresse au sénateur Runciman. Le fait de relier un prévenu à une affaire antérieure pour laquelle il est en attente de procès - et je vais revenir au présent dossier — pourrait-il être considéré comme une atteinte à la présomption d'innocence? Je n'oserais pas dire que la justice est permissive, mais les policiers n'ont-ils pas la responsabilité d'apporter certains outils aux juges?

Avant de vous donner la parole, je tiens à vous féliciter, sénateur Runciman, pour la présentation de ce projet de loi, que j'appuie fortement.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : J'ai réfléchi à la question de présomption d'innocence. Une audience de mise en liberté sous caution n'est pas un procès. La Couronne peut introduire des preuves qui cadrent avec ce que vous soulevez, mais, à mon avis, l'audience de mise en liberté est le moment approprié pour présenter ces preuves. Selon la pratique actuelle, les poursuivants peuvent déjà procéder ainsi et, dans la plupart des cas, ils respectent les lignes directrices établies. C'est certainement ce que m'ont confirmé ceux à qui j'ai parlé de la présentation de ces preuves lors de l'audience.

Comme je l'ai souligné, il s'agit d'un changement mineur. Règle générale, cela se fait déjà dans tous les tribunaux; tous les procureurs de la Couronne présentent des preuves. Nous proposons d'élargir un peu la procédure en rendant obligatoire la présentation de ces preuves, afin que le juge puisse bien comprendre les conséquences que pourraient avoir ses décisions.

Le sénateur Joyal : Madame Wynn, j'aimerais d'abord vous transmettre, à vous et à votre famille, toutes mes sympathies pour la souffrance que vous avez endurée et les difficultés que vous éprouvez à vous ajuster à votre nouvelle réalité.

Ma question s'adresse au sénateur Runciman, ou peut-être à M. Cooper. Si j'ai bien compris, l'article 518, dans sa forme actuelle, accorde au juge un pouvoir discrétionnaire. À l'alinéa 518(1)a), on utilise le mot « peut ». Donc, le juge peut, tout comme à l'alinéa 518(1)d), prendre en considération l'information fournie. Au sous-alinéa 518(1)d.1), le juge peut admettre en preuve, mais au sous-alinéa 518(1)d.2), il prend en considération la preuve. Ici, il s'agit d'une obligation. Ensuite, à l'alinéa 518(1)e), le juge peut recevoir la preuve. Donc, ce n'est qu'en vertu du sous-alinéa 518(1) d.2) que le juge est tenu de prendre en considération la preuve :

le juge de paix prend en considération toute preuve relative au besoin d'assurer la sécurité des victimes ou des témoins de l'infraction qui lui est présentée;

Si j'ai bien compris, selon le libellé original, le juge peut, dans certains cas et à son initiative, demander d'autres informations, sauf lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité des victimes ou des témoins de l'infraction qui lui est présentée.

Cela demeure inchangé. Par contre, votre projet de loi propose de modifier l'alinéa 518(1)c) concernant la responsabilité du poursuivant. Selon le libellé actuel, le poursuivant, tout comme le juge de paix, « peut ». Tous les sous-alinéas, (i), (ii), et les autres, font appel au jugement du poursuivant. Aucun de ces sous-alinéas ne l'oblige à présenter une preuve. Il peut le faire, mais il n'est pas tenu responsable s'il ne le fait pas.

Le sénateur Runciman : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Comme vous l'avez souligné, ce n'est pas une obligation.

Vous proposez d'obliger le poursuivant à présenter au juge de paix les preuves relatives à l'infraction présentée.

Le sénateur Runciman : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Le juge de paix serait alors tenu de prendre ces preuves en considération et de les évaluer avant de décider si l'accusé peut être mis en liberté sous caution.

Des poursuivants vous ont-ils déjà fait valoir que cette obligation de présenter toute l'information serait préférable pour le système, pour la sécurité du système de cautionnement? D'après vous, s'inquiètent-ils du fait que ce ne sont pas tous les renseignements qui sont fournis au juge de paix? Avez-vous entendu des arguments de la part de poursuivants dans ce sens?

Le sénateur Runciman : Non, pas à ma connaissance.

Le sénateur Joyal : Personne n'a attiré votre attention sur le fait que la divulgation volontaire pouvait ouvrir la porte à des situations comme celle qu'a connue Mme Wynn? Est-ce la première fois qu'on relève cette lacune?

Le sénateur Runciman : Selon moi, oui.

Le sénateur Joyal : Monsieur Cooper?

M. Cooper : J'abonde dans le même sens que le sénateur Runciman. Je n'ai pas entendu d'argument spécifique à cet égard.

Le sénateur Joyal : D'accord. Avez-vous entendu dire que les magistrats pouvaient parfois prendre une décision sans avoir tous les renseignements nécessaires à leur disposition? D'une certaine façon, ils ont également une responsabilité. Ils ont une responsabilité directe envers la victime ou le témoin, mais quelqu'un doit assumer une responsabilité à l'égard du public.

Le sénateur Runciman : Je suis d'accord avec vous. Ce projet de loi ne peut pas couvrir tous les aspects. À la lumière de la transcription de l'audience, je pense qu'on peut remettre en question l'ensemble du processus. On peut déplorer le fait que l'information n'a pas été transmise à la juge, mais la juge ne l'a pas demandée non plus. Elle n'a pas posé les questions que bon nombre d'entre nous auraient posées si nous avions été dans sa position.

Le sénateur Joyal : Bien sûr. Toute personne raisonnable qui occupe le poste de magistrat doit être au courant des obligations dont elle doit s'acquitter. Toutefois, elle doit également assumer une responsabilité générale, même si ce n'est pas précisé à l'article 518. Chose certaine, il incombe au magistrat de s'assurer de ne pas libérer une personne qui pourrait être une menace pour la société.

Le sénateur Runciman : Si on prend la transcription de l'enquête sur le cautionnement, au début, la juge de paix dit : « Monsieur Rehn, vous faites face à huit nouveaux chefs d'accusation, et un mandat d'arrestation pèse contre vous pour sept autres accusations ». Cette information était à la disposition de la juge — sans parler du lourd passé criminel de l'individu.

Le sénateur Joyal : Cela aurait dû mettre la puce à l'oreille de la juge.

Le sénateur Runciman : Absolument.

Le sénateur Joyal : J'appuie entièrement votre projet de loi; il n'en fait aucun doute, toutefois, je me demande si le système est assez efficace pour réévaluer la responsabilité du magistrat dans les circonstances, même si, comme vous l'avez dit, on n'est pas dans un procès.

Le sénateur Runciman : Je me suis posé cette question pendant des années, et nous devions convoquer des gens pour venir nous parler du CIPC et l'évaluer, mais nous avons discuté du système de justice de l'Ontario et de la possibilité de s'éloigner de la culture du papier. Cela n'a pas très bien réussi jusqu'à présent. Cependant, il me semble que le juge devrait avoir un ordinateur devant lui, et lorsque l'individu comparaît, il pourrait afficher son dossier et consulter tous les renseignements dont il a besoin.

Pourquoi le système de justice intégré en Ontario n'a-t-il pas encore vu le jour? On en parle depuis 15 ou 16 ans. On a dépensé des millions de dollars et on a accompli très peu de progrès.

Nous sommes confrontés à toutes sortes de difficultés lorsqu'il s'agit de communiquer de l'information en temps voulu.

Le vice-président : Je vous demanderais d'être brefs dans vos questions et réponses.

Le sénateur Joyal : Je me suis inspiré de vous.

Le vice-président : Le président m'a appris à respecter l'horaire autant que possible, mais puisque nous avons commencé la séance un peu plus tard, nous allons peut-être dépasser de quelques minutes.

Le sénateur Plett : Tout d'abord, monsieur Cooper et sénateur Runciman, je tiens à vous remercier d'avoir présenté ce texte législatif qui est d'une importance capitale.

Madame Wynn, je vous remercie d'être ici aujourd'hui et de nous avoir livré un témoignage aussi émouvant. Toutes mes condoléances. Madame Wynn, vous avez dit que votre mari était aventureux et qu'il avait entrepris une nouvelle carrière à la mi-trentaine. Mon fils s'est joint au Service des incendies de Calgary à l'âge de 35 ou 36 ans — je suppose qu'il avait un esprit semblable à celui de votre mari. Quoi qu'il en soit, je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui.

J'aimerais faire quelques observations puis poser une brève question. Je voudrais simplement donner mon opinion sur la question qu'a posée le sénateur Sinclair à savoir si vous êtes préoccupé par le fait que les procureurs seront tenus responsables s'ils ne s'acquittent pas de leur mandat. Personnellement, cela ne m'inquiète pas du tout. J'estime que s'ils remplissent bien leur mandat et qu'ils font ce qu'ils ont à faire, ils ne seront pas tenus responsables; ils ne feront qu'exercer leur travail. C'est ce que je crois.

Selon moi, les audiences sur la liberté sous caution sont beaucoup trop précipitées, étant donné le manque de renseignements présentés. Une audience peut prendre 15, 20 ou 30 minutes, tout au plus. Comme on a pu le constater ici, lorsque la personne est libérée, elle peut commettre d'autres crimes.

Monsieur Cooper, craignez-vous que les poursuivants soient tenus légalement responsables s'ils ne font que leur travail? Tout ce qu'on leur demande de faire, c'est de se conformer à la loi.

M. Cooper : Je n'aurais pas pu mieux l'exprimer, sénateur Plett. Je conviens qu'il revient au ministère public de présenter ce type d'élément de preuve, qui est pertinent et substantiel, pour que le juge puisse décider si l'individu peut être libéré sous caution en vertu de l'article 515.

Le sénateur White : Merci à nos témoins, et toutes mes condoléances, madame.

Sénateur Runciman, en gros, on essaie d'inscrire dans une politique et de mettre en pratique une nouvelle liste d'attentes — ou, à tout le moins, que tout le monde comprenne les règles que devraient suivre les poursuivants. C'est tout ce qu'on fait ici.

Pour être honnête, dans des centaines de collectivités partout au pays, les agents de la GRC, de la SQ, de la PPO et de la police municipale exercent les fonctions de procureur. Très peu d'entre eux ont été formés en droit, et la plupart d'entre eux ont reçu une brève liste des règles à suivre.

Selon mon point de vue — et corrigez-moi si je me trompe —, on veut simplement veiller à ce qu'on n'oublie rien et à ce que toute l'information soit présentée au juge, et pas seulement l'information qu'on pense avoir sur l'individu. C'est tout ce qu'on demande, n'est-ce pas?

Le sénateur Runciman : Absolument. C'est ce qui se produit dans la plupart des cas. C'est assurément ce que nous avons entendu depuis que je travaille dans ce dossier. Je ne vois pas cela comme un problème.

J'ignore si cela se produit à l'heure actuelle. Mon oncle était policier à Brockville. Il est ensuite devenu chef adjoint, puis magistrat, car à l'époque on n'avait pas besoin d'être avocat pour être magistrat et juge provincial. Malheureusement, cette époque est révolue.

Le sénateur White : Ce sera un débat pour un autre jour.

Le sénateur Runciman : Quoi qu'il en soit, il y avait des officiers de justice à l'échelle municipale qui présidaient les premières audiences sur la libération sous caution et d'autres affaires également.

Cependant, cette liste de vérification pourrait indiquer tout ce qu'il y a à faire au moment de la comparution. En réalité, il s'agit de votre dossier pour la journée, la semaine ou le mois, et c'est toujours la même procédure à suivre. C'est très simple.

Le sénateur White : À ce sujet, je suis certain que, dans ce cas-ci, le policier qui s'est occupé du dossier estime que quelque chose lui a échappé, et cela aurait été une possibilité. Il s'agit également d'une liste que le magistrat peut consulter pour vérifier si certains renseignements n'ont pas été transmis. Tout ce que nous faisons ici, c'est créer des mesures de protection.

Le sénateur Runciman : Vous soulevez un bon point.

Le vice-président : On a le temps pour deux brèves séries de questions. J'aimerais poser une question au sénateur Runciman — pour étayer son argument et pour savoir s'il est d'accord avec moi. Dans le Code criminel, avant qu'on arrive au paragraphe 515(10), qui est la disposition qui traite de la détention sous garde de l'individu, il y a le paragraphe 519(9.1) selon lequel :

... si le juge de paix ordonne la détention sous garde du prévenu en se fondant principalement sur toute condamnation antérieure, il est tenu d'inscrire ce motif au dossier de l'instance.

Comment est-on censé savoir qu'une personne a un casier judiciaire et prendre cette décision, à moins d'exiger que le casier judiciaire de cette personne soit présenté au juge? C'est donc une autre raison.

Si on applique le paragraphe 9.1 et qu'une personne a des condamnations antérieures, et c'est la raison pour laquelle le juge va détenir cette personne et ne va pas la libérer sous caution, et qu'il doit aussi l'inscrire, comment un juge fait-il pour obtenir le casier judiciaire de l'accusé si le procureur de la Couronne ou le policier ne lui présente pas cette information?

C'est donc un autre argument en faveur de votre projet de loi.

Le sénateur Runciman : Merci. Et on s'attendrait à ce que le juge pose cette question en tout temps. Il n'y a aucun doute là-dessus.

Le vice-président : Exactement. Cela dit, dans des circonstances normales, on se pencherait sur la jurisprudence, le dossier, les condamnations antérieures et on vérifierait si la personne a déjà violé une condition de mise en liberté antérieure, et cela est toujours pris en considération par le tribunal lors d'une audience sur la libération sous caution. C'est seulement dans les circonstances inhabituelles de cette affaire, et possiblement d'autres à venir, qu'on arrive à combler cette lacune.

La sénatrice Jaffer : Ce n'est pas vraiment une question. Sénateur Runciman, dans le rapport sur Shawn Rehn qui a été produit par la Couronne de l'Alberta, il est indiqué que les deux jours, l'avocat a comparu seul et que dans les deux cas, un mandat a été délivré parce que l'accusé ne s'était pas présenté. Alors une fois de plus...

Le sénateur Runciman : En effet, il avait omis de comparaître.

Le sénateur Joyal : Le président a illustré un point que j'essayais de soulever dans mes premières questions. Quelles sont les responsabilités du juge de paix? Dans certains cas, il n'a d'autre choix que d'examiner le dossier de la personne, alors il semble évident qu'il y a une obligation au moment où le juge ordonne la détention.

Sénateur Runciman, je vais vous poser une question que vous ne serez sûrement pas surpris d'entendre. Pensez-vous que votre amendement porte atteinte à la présomption d'innocence de la personne?

Le sénateur Runciman : Non. J'en ai discuté plus tôt avec le sénateur Dagenais, et il s'agit d'une audience sur la libération sous caution; ce n'est pas un procès. Les procureurs sont en mesure de présenter beaucoup de renseignements sur l'accusé et les circonstances qui ont amené cet individu à se retrouver devant les tribunaux. Je ne vois pas en quoi cela pourrait compromettre la question de l'innocence ou de la culpabilité.

Le sénateur Joyal : Nous voulons éviter qu'il y ait une contestation en vertu de la Charte car, comme nous le savons tous, la présomption est protégée par la Charte.

Le sénateur Runciman : Cet élément de preuve est fourni régulièrement. Le projet de loi stipule qu'on doit donner ces renseignements. On ne sait pas dans combien de cas cela ne se produit pas ni dans quelle mesure ces audiences peuvent être informelles dans certaines circonstances qui, heureusement, n'ont pas eu un dénouement tragique comme on l'a vu dans le cas de Dave Wynn.

J'appuie certainement l'idée du sénateur White d'avoir un aide-mémoire. C'est le genre de chose que devraient régulièrement avoir le juge et le poursuivant.

Le vice-président : Merci à tous nos témoins pour votre excellent exposé en faveur de ce projet de loi.

Dans le cadre de notre étude du projet de loi S-217, Loi modifiant le Code criminel (détention sous garde), nos prochains témoins sont M. David Truax, surintendant de la Police provinciale de l'Ontario; M. Rae Banwarie, président de l'Association professionnelle de la police montée du Canada, qui se joindra à nous par vidéoconférence depuis Surrey, en Colombie-Britannique; et M. John Muise, directeur, Sécurité publique, au Canadian Centre for Abuse Awareness. Nous accueillons également deux conseillères juridiques, tout d'abord, Mme Rachel Huntsman, du Royal Newfoundland Constabulary; et Mme Lara Malachenko, des Services de police d'Ottawa.

Nous allons commencer par une déclaration de M. Truax.

David Truax, surintendant, Police provinciale de l'Ontario, Association canadienne des chefs de police : Merci. Tout d'abord, au nom de l'Association canadienne des chefs de police, j'aimerais offrir mes plus sincères condoléances à l'épouse du gendarme Wynn, ainsi qu'à sa famille, ses amis et ses collègues de travail de partout au pays.

Nous sommes ici aujourd'hui en tant que représentants du Comité de modification aux lois de l'Association canadienne des chefs de police, et nous allons nous exprimer au nom du président, le chef Clive Weighill, et des membres de l'ACCP.

Les agents de police s'acquittent de leurs obligations avec professionnalisme et dévouement dans des situations qui sont souvent dangereuses, comme on a pu le voir lors des événements tragiques qui ont eu lieu à Saint-Albert en janvier 2015. Dans ce contexte, les individus qui commettent des crimes à répétition ou qui ne respectent pas les conditions de leur libération posent souvent un risque considérable à la sécurité du public et des policiers qui sont appelés à interagir avec eux.

Afin de traiter ces personnes conformément à la loi, les divers intervenants du système de justice pénale doivent disposer de toute l'information pertinente au moment de décider d'accorder une mise en liberté provisoire, en gardant à l'esprit que l'audience sur la liberté sous caution a pour but d'appliquer les critères énoncés au paragraphe 515(10) aux faits en l'espèce.

Le projet de loi S-217 propose notamment de renforcer les règles du Code criminel afin qu'on puisse s'assurer que les délinquants dont la détention est nécessaire ne seront pas libérés en raison d'un manque de renseignements à leur sujet. Au cours de notre exposé, nous aborderons les préoccupations liées au travail des policiers, notamment les modifications proposées à l'article 2 du projet de loi, qui se rapporte à l'alinéa 518(1)c) du Code criminel.

Nous appuyons l'objectif de cette mesure. Toutefois, nous aimerions attirer votre attention sur les répercussions inattendues de ce projet de loi et sur les solutions de rechange législatives qui nous permettraient d'atteindre l'objectif souhaité sans mettre en péril la sécurité du public ni accroître la lenteur du système de justice pénale, comme nous l'avons déjà dit au comité plus tôt cette année.

Le rapport de l'Alberta rédigé par Nancy Irving en février 2016 consacre plusieurs pages à ce que devraient contenir les trousses de cautionnement préparées par les services de police et à la façon de s'assurer que l'information est exacte et accessible. Le rapport souligne à quel point la documentation du CITC est désuète et à quel point il est difficile d'obtenir de l'information d'autres provinces ou administrations.

Le rapport de l'Alberta recommande que les services de police et des poursuites examinent les possibilités d'accroître l'échange de renseignements entre les provinces, y compris l'information sur les condamnations criminelles, les accusations en instance et les ordonnances de mise en liberté.

En l'absence de dossiers complets et exacts, la sécurité du public peut être menacée. Il est donc primordial de pouvoir avoir rapidement accès à des renseignements exacts aux stades de l'arrestation, de la mise en liberté et du cautionnement.

Notons, c'est important, qu'il se passe du temps entre le prononcé de la déclaration de culpabilité et le moment où les détails du dossier peuvent être connus par l'entremise du CPIC. On peut obtenir des renseignements supplémentaires sur les accusations en instance contre le prévenu en attente de procès dans d'autres banques de données de services de police et dans les dossiers de la police ou du tribunal local.

Venons-en maintenant aux particularités du projet de loi S-217.

En obligeant le poursuivant à présenter des preuves concernant le casier judiciaire du prévenu, les accusations dont il fait l'objet ou son omission de se conformer à une condition de mise en liberté sous caution ou de répondre à une convocation du tribunal, on s'assure que la police, le poursuivant et le juge accordent à ces circonstances l'attention et l'importance nécessaires.

Outre l'obligation de présenter des preuves, à laquelle nous reviendrons dans un moment, le projet de loi porte que le poursuivant doit établir le fait que le prévenu a un casier judiciaire, des procès en instance, qu'il a manqué aux conditions et qu'il a omis de répondre à une convocation du tribunal.

En ce qui concerne le projet de modification visant l'article 518(1)c), l'obligation de présenter une preuve exige encore, d'après nous, discussion et examen. Nous voudrions donc qu'on nous explique ce que cela implique, précisément.

L'ajout du passage « le poursuivant [...] présente une preuve en vue [...] d'établir le fait » dans les sous-alinéas (i) à (iii) et (v) obscurcit ce qu'on exige de lui pour présenter la preuve de ces faits. Par exemple, devra-t-il présenter la preuve par l'entremise d'un enquêteur? Tiendra-t-on désormais compte des preuves par affidavit? Ou suffira-t-il de présenter un casier judiciaire avec tout autre renseignement sur les circonstances entourant des allégations antérieures et actuelles?

Si ces modifications envisagent pour la Couronne le rôle de présenter des preuves et de prouver les faits par un processus qui tient davantage d'un procès, plutôt que d'obtenir la documentation utile de la police et de la présenter au tribunal — par exemple par lecture de ces renseignements —, on peut concevoir que cette norme de preuve puisse sensiblement étirer les audiences sur le cautionnement, en augmentant la pression sur les ressources policières, et provoquer plus d'ajournements, ce qui pourrait contrarier les résultats visés dans un système déjà tendu et fonctionnant à pleine capacité.

On peut penser que ces exigences s'appliqueront aussi aux situations où il faudra donner son consentement. L'obligation qu'on propose d'imposer au poursuivant pour la présentation de ces preuves modifiera fondamentalement le déroulement des audiences sur le cautionnement. Elles risquent de les étirer, d'exiger des ajournements supplémentaires ainsi que d'augmenter la durée de détention et d'exiger plus de ressources policières. Les pressions sur ces ressources augmenteront sûrement si, en fait, les agents de police seront tenus de témoigner lors de chaque audience sur le cautionnement et de rassembler plus rapidement des dossiers plus détaillés.

De plus, il importe de se rappeler que la charge actuelle de la preuve à l'étape de l'audience sur le cautionnement est un étalon de la prépondérance des probabilités, et cette charge risque d'augmenter si on rend plus rigoureux les critères de preuve d'un fait. Par exemple, les règles de la preuve, comme l'ouï-dire, sont plus souples à cette étape que pendant un procès, mais en imposant une exigence pour prouver un fait, on peut soudainement relever la norme de la preuve, ce qui risque, en effet, de se répercuter sur les questions d'admissibilité.

L'article 518 du Code criminel établit la nature des demandes de renseignements et les types de preuves qu'on peut présenter à l'étape de l'audience sur le cautionnement. Non seulement cet article expose-t-il la preuve que le poursuivant peut présenter, mais il permet aussi au juge, s'il l'estime souhaitable, de questionner le prévenu. En autorisant le juge à se renseigner, nous suggérons que l'article 518 impose la responsabilité partagée au poursuivant et au juge de s'assurer de la présentation de toutes les preuves utiles et nécessaires pour décider de la détention ou de la remise en liberté du prévenu.

Tout en reconnaissant l'importance de mettre en relief la nature de la preuve que le poursuivant peut présenter, nous suggérons qu'il est également souhaitable de préciser dans la loi que le juge est également autorisé à demander les mêmes renseignements au prévenu. Après tout, dans certaines circonstances, on peut prétendre que le prévenu est le mieux placé pour parler, après avoir prêté serment si on le lui demande, de son dossier criminel, des accusations dont il fait l'objet et de ses omissions de comparaître.

Nous proposons un amendement de l'article 518(1)a) inspiré essentiellement de l'article 518(1)c) pour précisément autoriser le juge à questionner le prévenu sur son dossier criminel, les accusations dont il fait l'objet et ses omissions de comparaître et sur tout ce qu'il considérera comme souhaitable de connaître. En explicitant ces demandes de renseignements, nous suggérons que ces circonstances importantes seront prises en considération par le juge lorsqu'il décidera de détenir ou de libérer le prévenu.

Compte tenu de ces questions, nous proposons d'envisager cette démarche commune pour permettre à la police de continuer d'aider la Couronne par l'obtention de renseignements utiles, lorsque c'est raisonnablement possible, et leur communication au poursuivant et pour autoriser le juge à s'informer pour mieux analyser la situation dont il est saisi. Cette collaboration peut aider à conduire à des améliorations et à éviter d'éventuelles situations tragiques.

En raison des contraintes dont nous avons déjà discuté et des objectifs du projet de loi S-217, nous croyons que des modifications à la loi seraient utiles pour souligner la nécessité de profiter du plus de renseignements possible sur le casier judiciaire du prévenu, les accusations criminelles dont il fait l'objet et son omission de se conformer aux conditions ou de comparaître.

Ensuite, ces mesures devraient être praticables et compatibles avec la bonne administration de la justice pour en assurer l'efficacité et la viabilité dans l'intérêt de la a sécurité de tous les Canadiens.

Enfin, nous offrons nos sincères remerciements au comité pour avoir donné à l'Association canadienne des chefs de police l'occasion de présenter ses observations et ses propositions sur le projet de loi S-217.

Le vice-président : Merci, monsieur Truax. Je vous ai accordé plus que le temps prévu, tant vos propos étaient intéressants. Vous avez proposé un amendement au projet de loi pour autoriser le juge à parler au prévenu pour connaître son dossier. Pourriez-vous nous en communiquer le texte?

Nous passons à notre deuxième témoin, le président de l'Association professionnelle de la police montée du Canada, M. Rae Banwarie.

Rae Banwarie, président, Association professionnelle de la police montée du Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs et les témoins, monsieur Cooper et madame Wynn, bonjour. Nos condoléances à votre famille. En mars dernier, je suis passé à St. Albert pour un travail de suivi concernant la tragédie survenue l'année dernière et pour essayer de rassembler et de mettre en place des mesures pour aider nos membres de la région et du détachement touchés.

Je suis Rae Banwarie, président de l'Association professionnelle de la police montée du Canada et membre actif de la GRC.

Je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez de vous présenter notre point de vue sur le très important projet de loi S-217.

L'Association professionnelle de la police montée du Canada est une association nationale sans but lucratif, constituée des membres actifs ordinaires de la Gendarmerie royale du Canada de toutes les régions du pays. Je suis venu exprimer son appui au projet de loi S-217. Nous y voyons un moyen pour fournir aux juges, y compris aux juges de paix, toute l'information utile aux décisions de mise en liberté sous caution, ce qui protégera mieux les agents et améliorera la sécurité publique partout au pays.

L'élément déclencheur de ce projet de loi, déposé par le sénateur Runciman, a été la mort tragique de notre collègue de la GRC, l'agent David Wynn, à St. Albert, en Alberta, en 2015. Dans ce contexte, nous sommes heureux de l'initiative prise du sénateur et du député Cooper.

On connaît bien les événements qui ont entouré le meurtre de l'agent Wynn et, en ma qualité de collègue et membre de la GRC, je pense qu'il est justifié d'y revenir aujourd'hui. La mort prématurée de l'agent Wynn est attribuable à un criminel endurci, Shawn Rehn. M. Rehn était en liberté sous caution au moment du meurtre, malgré l'émission, à son endroit, de mandats d'arrestation concernant 29 accusations portées en quatre dates en application du Code criminel. Son casier judiciaire renfermait d'importants chefs d'accusation et 55 condamnations, notamment pour crimes violents et défaut de comparaître.

M. Rehn a été libéré sous caution en septembre 2014, quatre mois avant la mort de l'agent Wynn. À l'audience sur le cautionnement, on a signalé au tribunal l'épaisseur de son casier judiciaire et ses omissions systématiques de comparaître, mais on n'a pas cherché à annuler sa mise en liberté sous caution sous le régime du paragraphe 524(4) du Code criminel. Après sa mise en liberté sous caution, M. Rehn a omis de comparaître et, le 17 janvier 2015, il tuait l'agent Wynn.

L'agent Wynn laissait derrière lui une femme et trois fils. La perte de notre frère reste encoure douloureuse aujourd'hui pour beaucoup d'entre nous et pour beaucoup de ses confrères partout dans notre pays.

La perte d'un collègue ou d'un autre policier au Canada est toujours tragique. Dans le cas de l'agent Wynn, c'est d'autant plus douloureux que sa mort aurait pu être évitée si le juge de paix avait disposé d'un aperçu plus complet du casier judiciaire de M. Rehn, de ses omissions systématiques de comparaître et des accusations criminelles dont il faisait l'objet.

Notre association appuie le projet de loi S-217, dont l'adoption permettrait de communiquer tous les renseignements utiles au juge ou au juge de paix pour tenir compte de tous les faits et de prendre une décision éclairée dans l'intérêt du public et des agents de police, y compris ceux de la GRC.

Le projet de loi S-217 exige du poursuivant qu'il présente la preuve du casier judiciaire complet d'un prévenu, de son omission de comparaître, de ses désobéissances aux ordonnances et des accusations criminelles dont il fait l'objet, pour communiquer aux décideurs tous les renseignements nécessaires à une décision éclairée sur les conditions de liberté sous caution ou de remise en liberté.

Agent de la GRC depuis 19 ans, j'ai vu un nombre incalculable de fois des contrevenants récidiver ou enfreindre les conditions de leur liberté sous caution ou d'autres conditions.

Nous, les agents de première ligne de la GRC, nous nous acquittons de nos tâches qui sont d'arrêter les récidivistes et d'informer des organismes compétents, agents de probation ou de libération conditionnelle, de toutes les arrestations et infractions des conditions de probation. C'est l'une des nombreuses exigences de notre travail. Il revient à l'avocat de la Couronne de présenter ces renseignements au tribunal.

Si le casier judiciaire d'un prévenu, ses omissions de comparaître, ses désobéissances aux ordonnances ou les accusations criminelles dont il fait l'objet ne sont jamais portées à l'attention du tribunal, il est impossible de prendre ces questions graves en considération pour accorder la liberté sous caution ou libérer le contrevenant conditionnellement, et cetera. On met ainsi en danger le public et tous les agents de police.

Le projet de loi S-217 garantira la communication de ces renseignements indispensables au tribunal dans toutes les circonstances susmentionnées.

Le projet de loi permettrait aussi d'ajouter des motifs justifiant la détention sous garde du prévenu et de tenir compte de ses omissions de comparaître par le passé, de ses condamnations pour une infraction criminelle ou des accusations criminelles dont il fait l'objet.

En fin de compte, nous voyons dans le projet de loi S-217 une victoire pour toutes les organisations policières du Canada, pour les victimes de la criminalité et pour l'amélioration de la sécurité publique à la grandeur du pays. Merci.

Le vice-président : Je vous remercie de votre témoignage.

Entendons maintenant le directeur pour la sécurité publique, au Canadian Centre for Abuse Awareness, M. John Muise.

John Muise, directeur, Sécurité publique, Canadian Centre for Abuse Awareness : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie.

Bonjour. Je m'appelle John Muise. Je suis directeur bénévole de la sécurité publique au Canadian Centre for Abuse Awareness, une ONG caritative vouée à l'éradication des mauvais traitements infligés aux enfants. Ce centre vient en aide aux survivants et aux victimes de mauvais traitements et il n'accepte pas d'argent de l'État.

Mon expérience professionnelle est pertinente pour le sujet d'aujourd'hui. Je vais vous en donner un bref aperçu. J'ai été 30 ans policier à Toronto, y compris 6 ans détaché à l'Office des affaires des victimes d'actes criminels de l'Ontario, un organisme consultatif indépendant conseillant les membres du cabinet en matière de politique.

Après mon départ à la retraite de la police en 2006, je suis entré au service du centre, dans les fonctions qui sont miennes aujourd'hui. En 2009, on m'a nommé membre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada à temps plein et, pendant mon mandat de cinq ans, j'ai rendu de nombreuses décisions en matière de libération conditionnelle pour des contrevenants qui purgeaient des peines au pénitencier. Toutes ces décisions comportaient une évaluation détaillée des risques. Cette expérience est particulièrement pertinente pour la discussion du projet de loi.

Le Centre appuie l'adoption du projet de loi. C'est la raison pour laquelle j'ai pris le temps de venir témoigner en personne. Ce sont de bonnes lois, des lois ciblées, qui permettront de combler une lacune dans nos lois actuelles en exposant clairement les attentes à l'égard du poursuivant et du tribunal.

Je voudrais répondre à certaines de vos craintes.

Tout d'abord, le premier article dans le sommaire du projet de loi, l'alinéa a), se lit comme suit :

Le texte modifie le Code criminel afin :

a) d'ajouter des motifs justifiant la détention sous garde;

D'après nous, on exagère ainsi sa portée. Le projet de loi n'exige rien de plus de la Couronne qu'elle présente des preuves utiles à une libération provisoire et, à exiger du tribunal qu'il en tienne compte. Nous croyons qu'il n'ajoute pas de motifs. C'est le genre de preuves qui a servi pendant des années pour décider des libérations provisoires. Pendant l'étude article par article, vous pourrez envisager de modifier le mot « ajouter » par « clarifier » ou de supprimer cet article.

Ensuite, comme vous le savez, on n'utilise plus « peut » dans l'article 518(1)c). On peut craindre une perte de pouvoir discrétionnaire de la poursuite. Cependant, d'après moi, rendu à ce point dans le processus du système de justice pénale, le devoir de la Couronne est clair : présenter les meilleures preuves, les plus faciles à se procurer sur le risque que présente le contrevenant, relativement aux motifs primaires, secondaires et tertiaires de le détenir.

Il est difficile de prétendre que le passé criminel, les modifications actuelles, la commission d'une infraction aux termes de l'article 145 — comme le fait d'échapper à la garde, d'être en liberté illégale, d'omettre de comparaître et de se conformer à des conditions de mise en liberté — ne sont pas utiles et essentielles à une évaluation du risque. Le tribunal conserve son pouvoir discrétionnaire, après avoir pris en considération tous les renseignements susmentionnés qui auront été communiqués par la Couronne.

Quand j'examinais les dossiers d'un contrevenant à la commission fédérale de libération conditionnelle — et j'en ai examiné littéralement des milliers pendant mon mandat —, à quoi est-ce que je m'arrêtais d'abord? Toujours au même document : le casier judiciaire, qu'on appelle communément la feuille SED. Qu'est-ce que j'y cherchais? La longueur, la fréquence et la diversité des antécédents criminels et des inscriptions dites administratives : notations d'infractions comme l'omission de comparaître et celle de se conformer aux conditions. Ce sont les rudiments de l'évaluation des risques. Les antécédents de mauvais comportements permettent de prévoir avec beaucoup de justesse les futurs comportements semblables, et ces inscriptions — il s'agit d'infractions criminelles, en fait — sont essentielles à la prise de bonnes décisions, par la commission ou un tribunal en ce qui concerne la libération provisoire.

Parlons de l'affaire qui a déclenché l'élaboration de ce projet de loi : le meurtre gratuit d'un agent de la GRC en Alberta. On me dit que l'auteur a été libéré plus d'une fois sous caution et que son casier judiciaire, ouvert il y a bon nombre d'années était lourd et chargé de divers crimes, notamment aux termes de l'article 145. C'est un signe de délinquance continue.

Si on avait exigé que la Couronne fournisse ce type de renseignements essentiels au juge — le casier judiciaire et les données du CIPC — et que le tribunal avait été en mesure de les examiner, je crois qu'il est très possible que la décision rendue ce jour-là ait été différente.

Troisièmement, je sais que les retards judiciaires représentent une préoccupation pour les membres de votre comité et d'autres parlementaires. Comme vous le savez, un rapport intitulé Délais dans les cours : Débloquer le système judiciaire au Canada se trouve sur le site web du Sénat. À notre avis, ce projet de loi ne créerait pas d'autres retards. La fiche SET, c'est-à-dire le casier judiciaire, et les renseignements du CIPC, qui révèle les accusations en instance et d'autres renseignements pertinents, par exemple si la personne est un délinquant présentant un risque élevé de récidive, peut être obtenue en quelques clics. De plus, de nombreux tribunaux ont des bureaux de police satellites équipés d'un accès au CIPC. Sinon, la Couronne d'une petite ville peut téléphoner au service de police local. Les retards ne devraient pas dépasser quelques minutes. J'espère que cela contribue à résoudre certaines de vos préoccupations.

Avant de conclure, le CCAA suggère d'apporter un amendement supplémentaire — en plus de celui apporté au sommaire. En effet, l'alinéa 515(10)c) devrait contenir une référence précise à l'article 145 pour correspondre au libellé de l'alinéa 518(1)c). Il se peut qu'il s'agisse d'un oubli lors de la présentation du projet de loi. Comme vous le savez, l'article 145 vise un large éventail d'infractions — évasion d'une garde légale, en liberté sans excuse légitime et omission de se conformer aux conditions de mise en liberté —, et non seulement l'omission de comparaître.

En terminant, le CCAA croit que le projet de loi représente une mesure protectrice qui améliorera la sécurité publique. À notre avis, il n'a rien de punitif. En effet, la sécurité publique devrait l'emporter sur la rapidité. Comme je l'ai dit, dans le cas tragique qui s'est produit en Alberta, si les dispositions du projet de loi avaient été en œuvre, le résultat aurait pu être différent.

Sénateur Runciman et monsieur Cooper, je vous remercie d'avoir présenté le projet de loi. J'aimerais également remercier toutes les personnes présentes de m'avoir permis de parler au nom du CCAA. Ce projet de loi mérite l'appui de tous les partis et des représentants indépendants. Si les membres du CCAA peuvent vous aider, n'hésitez pas. J'ai hâte de répondre à vos questions. Merci.

Le vice-président : Merci, monsieur. J'aimerais également remercier les autres témoins.

Nous allons maintenant passer aux questions. Nous entendrons d'abord le parrain du projet de loi, le sénateur Runciman.

Le sénateur Runciman : Merci beaucoup. J'ai quelques brèves questions pour M. Truax.

Votre exposé m'a surpris. Je crois que votre organisme a essentiellement interprété de façon élargie un changement apporté à un mot. Je crois que le projet de loi demande aux poursuivants et à la Couronne de faire ce qu'ils font déjà. Selon mes recherches et les gens que j'ai consultés, dans l'ensemble, il s'agit du type de renseignements déjà fournis par les poursuivants. Nous savons que dans l'affaire tragique de David Wynn, cela n'avait pas été fait. Nous ne connaissons pas le nombre de cas similaires qui se sont produits.

À mon avis, il s'agit d'une modification légère, et vous avez déduit toutes sortes de conséquences liées aux retards, aux heures supplémentaires des policiers, et cetera. Cela me pose beaucoup de problèmes. En effet, la Couronne présente des preuves provenant de dossiers antérieurs et d'accusations en instance depuis des décennies. Cela permet tout simplement de veiller à ce qu'elle présente des renseignements qu'elle est déjà autorisée à présenter. Ce que vous dites me cause de grandes difficultés.

M. Truax : Si vous me permettez de répondre, sénateur, avec tout le respect que je vous dois, l'Association canadienne des chefs de police tient simplement à soulever ces questions au sein du comité. Je peux vous assurer que les organismes d'application de la loi de partout au pays feront leur travail et fourniront aux poursuivants tous les renseignements disponibles. Nous croyons que certains changements mineurs au libellé — par exemple, remplacer « le juge peut » par « le juge doit » — peuvent aider à veiller à ce que tous les renseignements pertinents soient examinés, et ce, dans l'intérêt de la sécurité de tous les Canadiens.

Le sénateur Runciman : Je peux vous dire, selon mon expérience au sein du comité, qu'une fois qu'on aborde les interférences, si l'on peut dire, liées la discrétion judiciaire, cela pose toutes sortes de défis, et c'est peu dire. Je crois que nous tentions certainement de tenir compte du cas tragique de David Wynn, et de le faire d'une façon qui nous permettrait d'apporter des changements et d'obtenir l'appui de tous les horizons politiques. Je comprends ce que vous dites, mais c'est plus difficile pour moi, car je suis le parrain du projet de loi.

J'ai une question pour M. Muise. Vous avez parlé des infractions visées par l'article 145.

M. Muise : Oui.

Le sénateur Runciman : Je sais que nous les avons examinées. Avez-vous le projet de loi avec vous?

M. Muise : Oui.

Le sénateur Runciman : Voici un extrait du libellé de l'article 1 qui parle de l'accusé : « Le fait qu'il a antérieurement été déclaré coupable d'une infraction criminelle ou a été inculpé d'une autre infraction criminelle et attend son procès à cet égard. » À mon avis, le fait que l'accusé ait déjà été déclaré coupable d'une infraction criminelle couvre toutes les infractions prévues dans le Code criminel, y compris celles visées par l'article 145.

M. Muise : Vous avez raison. Je suis absolument d'accord. Étant donné que cela avait été mentionné dans l'alinéa 518(1)c), j'étais d'avis qu'il fallait le répéter pour insister sur ce point.

Le sénateur Runciman : Vous ne pensez pas que c'est essentiel au...

M. Muise : Non. À notre avis, si le projet de loi n'est pas amendé, il s'agira tout de même d'un projet de loi de qualité. Au bout du compte, si on doit fournir le casier judiciaire, le tribunal connaîtra les infractions visées par l'article 145 qui sont consignées dans le casier judiciaire, si ce dernier est à jour. Cela ne représente donc pas un obstacle insurmontable. Cela dit, si l'amendement était apporté, on pourrait assurer l'uniformité avec l'alinéa 518(1)c). Je vous laisse en discuter dans le cadre de votre étude article par article.

Le sénateur Runciman : Pour revenir à M. Truax et à la question de la présentation de ces renseignements pendant l'audience sur le cautionnement, je sais que vous avez servi pendant de nombreuses années. Selon votre expérience ou vos connaissances, à quelle fréquence ces renseignements sont-ils retenus, si cela se produit?

M. Truax : Je ne suis pas en mesure de vous fournir un pourcentage ou des données précises. Manifestement, il est impératif que des renseignements exacts et à jour soient disponibles. Évidemment, à l'ère numérique, et lorsqu'on dispose d'un réseau de renseignements à l'échelle du pays, je crois qu'il est extrêmement important que ces renseignements soient rapidement accessibles et qu'ils soient tenus à jour, afin de veiller à ce que tous les facteurs pertinents soient pris en compte par la police, la Couronne et le juge qui préside.

Le vice-président : Merci. C'est très surprenant, monsieur Truax, que ce ne soit pas le cas. Je pensais que ce l'était. Peut-être que les membres du comité qui représentent la police — par exemple, le sénateur Dagenais, lorsqu'il aura la parole — pourront nous parler des données accessibles dans la base de données informatique de la police et nous dire pourquoi ces renseignements ne sont pas coordonnés à l'échelle du pays.

La sénatrice Jaffer : Ma première question s'adresse à M. Banwarie. Ailleurs qu'en Alberta, demande-t-on aux policiers de représenter les poursuivants devant le tribunal? Je n'ai jamais entendu parler de cela en Colombie- Britannique. Connaissez-vous d'autres endroits où les personnes que vous représentez comparaissent devant le tribunal pour les poursuivants ou les représentants?

M. Banwarie : Je crois que c'est la même chose au Manitoba. Lorsque je suis arrivé à West Shore, mon premier détachement à l'extérieur de Victoria, sur l'île de Vancouver, un juge de paix visitait notre détachement les fins de semaine, et nous tenions une audience à ce moment-là. Ensuite, l'affaire était envoyée au centre provincial du juge de paix de la magistrature où elle était réglée par téléphone. Je sais que dans certaines régions et dans d'autres petits détachements des Prairies, ces personnes représentent la Couronne et tiennent l'audience sur le cautionnement.

La sénatrice Jaffer : Merci. Monsieur Truax, lorsque j'étudiais le projet de loi, ce n'était pas vraiment son contenu qui me posait le plus gros problème, mais plutôt les ressources disponibles. C'est vrai dans tous les cas, mais dans ce cas-ci, cela semble encore plus vrai. J'ai lu le rapport du vérificateur général dans lequel il précise qu'il faut 27 jours pour ouvrir un nouveau dossier et 334 jours pour mettre un dossier à jour.

Je ne veux pas discuter du nombre de jours nécessaire. Ce qui me préoccupe, c'est que le CIPC, dont nous avons discuté, n'est pas à jour et il faut beaucoup de temps pour mettre des renseignements à jour. Aucun endroit fiable ne contient tous les renseignements, à moins que la personne ait récemment visité la province en question. Vous pourriez peut-être me donner des renseignements supplémentaires.

M. Truax : Le système du CIPC, sénatrice, est la source de renseignements qu'utilisent fréquemment les organismes d'application de la loi canadienne. Il est absolument impératif que ce système contienne des données exactes et à jour, car les gens se déplacent constamment d'un bout à l'autre du pays. Il est important d'être en mesure de savoir ce qui se passe dans une autre province.

Je ne peux pas parler du fonctionnement du système du CIPC, car je n'y participe pas personnellement. Mon service de police non plus.

La sénatrice Jaffer : Toutefois, selon votre expérience, ce système est-il fréquemment mis à jour?

M. Truax : Si c'est possible, je vous conseillerais de consulter le rapport de l'Alberta préparé par Nancy Irving, car ce rapport soulève plusieurs préoccupations liées au système du CIPC.

La sénatrice Jaffer : À quelles pages?

M. Truax : Au début de la page 67.

Le vice-président : Pourriez-vous nous lire un court extrait, monsieur Truax?

M. Truax : Oui.

C'est la seule base de données nationale des casiers judiciaires du Canada, et elle contient des renseignements présentés par les organismes d'application de la loi d'un bout à l'autre d'un pays. Le CIPC est censé fournir à ces organismes un accès facile et rapide au casier judiciaire complet d'une personne, peu importe l'endroit où les infractions ont été commises au pays. Malheureusement, la plupart des renseignements contenus dans le CIPC ne sont plus à jour, et ce, depuis un certain temps.

La sénatrice Jaffer : Merci. Monsieur Muise, j'ai consulté votre site web et j'ai appris que votre organisme travaille avec des survivants des pensionnats indiens. Dans les médias, on commence à qualifier les prisons de nouveaux pensionnats indiens. En effet, un très grand nombre d'Autochtones se trouvent dans les prisons, où ils représentent environ 23 p. 100 des prisonniers. Lorsque j'ai entendu votre exposé, j'ai été surprise en raison de ce que j'avais lu sur votre site web, à savoir vos préoccupations liées à la discrimination contre certaines personnes, surtout dans le cas de demandes de mise en liberté sous caution.

M. Muise : La meilleure réponse que je puisse fournir, c'est qu'à notre avis, en ce qui concerne ce projet de loi, les renseignements les plus pertinents et facilement accessibles qui permettent à un tribunal de rendre une décision concernant un risque sont fournis et ils doivent l'être. C'est la raison d'être de ce projet de loi. À l'exception du système résidentiel et des problèmes liés aux questions que vous avez soulevées, un tribunal doit avoir accès à des renseignements pertinents et fondamentaux, et ces renseignements doivent être fournis par la Couronne. C'est réellement notre point de vue. Donc, nonobstant les autres questions, nous aidons les personnes ayant survécu à des mauvais traitements, et nous savons que certaines d'entre elles sont également en prison. Toutefois, selon nous, il s'agit de veiller à ce que le tribunal obtienne les renseignements de base dont il a besoin, c'est-à-dire le dossier criminel et les données du CIPC.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Truax. Monsieur Truax, vous savez que la présence de policiers à la cour est dispendieuse, et que les corps de police doivent y consacrer un budget. On sait que, dans les régions éloignées, les policiers peuvent témoigner par l'entremise des nouvelles technologies. Dans les milieux urbains, ils doivent se présenter en cour. Est-ce que vous avez pensé à une nouvelle façon de faire pour que les policiers puissent comparaître en cour et livrer leur témoignage sans qu'ils soient nécessairement obligés d'être présents physiquement, par vidéoconférence, par exemple? Cela faciliterait aussi le travail des policiers.

[Traduction]

M. Truax : Il est impératif d'utiliser la technologie. Aujourd'hui, les décisions provisoires peuvent être rendues par vidéo. Ces technologies sont utilisées pour éviter de mobiliser les gens et les obliger à se présenter physiquement devant le tribunal. Selon mon expérience de travail, qui se déroule surtout dans des régions éloignées dans le nord-est de l'Ontario, la capacité de fournir des preuves vidéo — dans la plupart des cas, les services de police ont accès à ce type de technologie — permettra de réduire la quantité de ressources nécessaires.

L'autre chose, c'est qu'il existe peut-être un type d'affidavit ou de déclaration qui peut également être envoyé de façon électronique et utilisé lors de l'audience de mise en liberté sous caution. Comme vous le savez, cela peut être fait instantanément en cliquant sur le bouton approprié à l'écran.

Je crois que les preuves par vidéo représentent une ressource importante pour la police, surtout lorsque le service de police n'est pas situé près du tribunal. Il est également important d'être en mesure de fournir un affidavit électronique.

La sénatrice Batters : J'aimerais remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui. Tout d'abord, monsieur Banwarie, je vous remercie d'appuyer cet important projet de loi, manifestement parce que vous travaillez sur le terrain — tout comme les membres de votre association. Chaque jour, vous assistez à des audiences sur le cautionnement. Vous savez donc à quelle vitesse elles se déroulent. J'ai pu l'observer également lorsque j'étais avocate plaidante et je sais que parfois, ces audiences se terminent extrêmement rapidement. Convenez-vous que c'est en partie la raison pour laquelle on tient à veiller à ce que cette étape soit obligatoire? Ainsi, lorsque ces audiences sur le cautionnement se dérouleront très rapidement, cette étape ne sera pas oubliée.

M. Banwarie : Oui, et je suis très heureux de voir qu'on tient à ce que le projet de loi veille à ce que la Couronne obtienne les renseignements nécessaires. Dans toutes les poursuites judiciaires que j'ai menées, il s'agissait de données de base. Le casier judiciaire et d'autres renseignements connexes sont toujours fournis, car ils servent à décider si la personne sera mise en liberté, mise en détention provisoire ou mise en détention provisoire avec conditions. C'est incontournable. Il s'agit seulement d'une vérification, d'un projet de loi solide qui veillera à ce que le poursuivant, le juge ou un autre intervenant obtiennent ces renseignements. C'est important, et cela évitera une grande partie des préjudices potentiels. Dans le cas de notre collègue, il a perdu la vie.

La sénatrice Batters : Oui.

M. Banwarie : J'aimerais revenir à la situation dont nous avons parlé. Si la personne avait été mise en détention provisoire, notre collègue serait probablement en vie aujourd'hui.

La sénatrice Batters : Absolument.

M. Banwarie : Toute mesure visant à protéger nos gens et nos collègues à l'échelle nationale et dans chaque service de police est une bonne chose.

La sénatrice Batters : Pour revenir à l'intervention de la sénatrice Jaffer, c'est-à-dire lorsqu'elle parlait des occasions où la police représente la Couronne, j'ai également vu cette situation se produire dans ma province, en Saskatchewan. Je me suis retrouvée dans certains tribunaux de petites villes de la Saskatchewan où cela se produit parfois.

Monsieur Truax, je dois dire que je suis d'accord avec les commentaires formulés plus tôt par le sénateur Runciman. Je crois également qu'il s'agit d'une légère modification qui rend essentiellement obligatoire une mesure déjà en vigueur pour veiller à ce qu'elle soit appliquée. Je crois que la proposition d'amendement dont vous avez parlé présente un problème potentiel, car cela pourrait non seulement interférer avec la discrétion judiciaire ou donner l'impression de le faire, mais cela pourrait également exacerber les craintes entretenues par les avocats de la défense relativement à l'interférence avec la présomption d'innocence. Les changements que vous souhaitez apporter au projet de loi soulèvent-ils ces préoccupations?

M. Truax : Je suis également d'accord avec les préoccupations que vous avez soulevées. Le message communiqué aujourd'hui par l'Association canadienne des chefs de police vise certainement à répéter et à insister sur le fait que nous appuyons les mesures présentées. Nous tenons seulement à signaler certains effets qui devraient être étudiés. Manifestement, l'utilisation du mot « doit » plutôt que « peut » fera l'objet d'un débat. Comme vous le savez, un avocat de la défense peut passer un après-midi complet à se pencher sur ces questions. Elles pourraient également être causées par les changements apportés au projet de loi.

Je souligne également l'importance de prendre en compte tous les renseignements pertinents. Il peut arriver que le procureur de la Couronne ne présente pas les renseignements et qu'on dise : « peut-être qu'à l'échelon supérieur, le juge de paix en fera la demande ».

La sénatrice Batters : Vous avez fait état tout à l'heure de certaines de vos préoccupations, notamment l'augmentation possible du temps passé en détention provisoire. Je suis sûre que vous l'avez constaté également, car c'est très évident dans cette affaire tragique. Le coût pour la société et pour les familles comme celle de Shelley Wynn est immense lorsqu'une telle tragédie survient. Chaque petite mesure pouvant aider à prévenir d'autres cas peut être importante et valoir la peine.

M. Truax : Nous n'avons rien contre les détentions provisoires ou la prolongation des enquêtes sur le cautionnement en vue d'assurer la protection du public.

La sénatrice Batters : Bien sûr.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie nos témoins d'avoir accepté de comparaître devant notre comité au sujet de la sécurité des policiers. Je suis très préoccupé par la fiabilité des données contenues dans le Centre d'information de la police canadienne (CIPC), le Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ) et le fichier des prédateurs sexuels.

Au Québec, 30 p. 100 des prédateurs sexuels condamnés ne figurent pas dans ce fichier. Le CIPC accuse même des retards dans l'enregistrement des données. À l'instar du registre des armes à feu, les renseignements contenus dans ce fichier ne sont pas fiables à 100 p. 100. Les policiers doivent faire preuve de vigilance, puisque les données ne sont pas à jour, ce qui peut mettre leur vie en danger. À mon avis, il est prioritaire de réunir toutes les ressources possibles pour que les fichiers soient mis à jour. La sécurité des policiers en dépend.

Trois cours servent le Canada : la Cour supérieure, la cour provinciale et la cour municipale. Dans les grandes villes comme Montréal, Québec, Vancouver et Toronto, de plus en plus de causes criminelles sont entendues à la cour municipale plutôt qu'à la Cour supérieure ou à la cour provinciale, notamment en ce qui concerne les agressions sexuelles et les vols à l'étalage. J'ai été étonné d'apprendre que les données présentées dans Juristat sur la criminalité au Canada ne comprennent pas les condamnations prononcées par les cours municipales. Les personnes accusées de violence conjugale à la cour municipale de Toronto ou de Montréal font-elles partie des données du CIPC ou est-ce que ce dernier comprend uniquement les condamnations prononcées à la Cour supérieure et à la cour provinciale?

[Traduction]

Lara Malachenko, conseillère juridique, Association professionnelle de la police montée du Canada : Je ne suis pas en mesure de commenter la nature précise des données qui sont inscrites au CIPC. Normalement, cette information devrait être facilement accessible par les services de police locaux, selon chaque province. Mais pour savoir quelles données sont consignées au CIPC, il faudrait vous adresser à la GRC.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Dans une cause pour meurtre, le juge devait trancher le litige, mais il n'avait pas en main les données de la Cour municipale de Montréal sur les sept ou huit condamnations de l'accusé, parce que les systèmes ne communiquent pas entre eux. Le juge était surpris lorsqu'il a constaté qu'il ne disposait pas des renseignements sur les condamnations précédentes de l'accusé, qui était accusé du meurtre de sa conjointe. De plus en plus de causes criminelles sont confiées aux cours municipales, parce que les données ne sont pas compilées dans tous les systèmes. Il faut réfléchir sérieusement à cette situation. La sécurité des policiers est en danger si les données des cours municipales et des cours provinciales ne figurent pas dans le CIPC. Cette situation me dépasse. Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

Mme Malachenko : Il s'agit de trouver un moyen de mieux communiquer l'information et de garantir que tout soit consigné au CIPC afin de le maintenir plus à jour qu'il ne l'est actuellement. Les renseignements pouvant être consultés varient d'une province à l'autre. Certains renseignements accessibles en Ontario ne le sont peut-être pas en Alberta. Les provinces peuvent collaborer en vue d'échanger des renseignements. Ainsi, les services de police peuvent appuyer davantage le procureur de la Couronne puisqu'ils disposent de tous les renseignements et ceux-ci peuvent être présentés au tribunal.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : À mon avis, si nous laissons aux 10 plus grandes municipalités le choix d'inscrire ou non des condamnations criminelles, nous mettons tout simplement la vie des policiers en danger.

[Traduction]

Mme Malachenko : Ma collègue, Mme Huntsman, m'indique qu'elle pourrait répondre.

Rachel Huntsman, conseillère juridique, Royal Newfoundland Constabulary, Association canadienne des chefs de police : Je n'ai pas d'expérience personnelle des cours municipales dont vous parlez, étant donné qu'à Terre-Neuve-et- Labrador, nous avons la cour provinciale et la Cour suprême.

À ma connaissance, les condamnations sont consignées au CIPC non pas en fonction de l'échelon judiciaire qui a entendu la cause, mais en fonction de la catégorie d'infraction. Si le prévenu est accusé d'un acte criminel — les actes criminels comprennent les infractions hybrides telles que voies de fait et vol à l'étalage — et qu'il est reconnu coupable, cela sera consigné au CIPC.

Il est difficile de savoir quand, car il y a toujours un délai, mais la condamnation finira par être transmise au CIPC. À Terre-Neuve-et-Labrador, les procureurs de la Couronne ont toujours un imprimé du CIPC dans leur dossier lorsqu'ils comparaissent devant le tribunal. Si l'accusé a déjà été reconnu coupable de violence conjugale ou de vol à l'étalage, cela figurera dans son dossier du CIPC.

Le sénateur Boisvenu : En théorie.

Mme Huntsman : Je dirais qu'à Terre-Neuve-et-Labrador, cela figure nécessairement dans le dossier puisque ce sont des actes criminels. L'information apparaît dans le système du CIPC dès qu'elle y est consignée par la GRC.

Le vice-président : Merci, madame Huntsman. Je sais que Mme Huntsman est très chevronnée. Elle était autrefois procureure de la Couronne dans cette province. J'ai consulté la jurisprudence récemment, et elle est mentionnée dans plus d'une cinquantaine d'affaires au moment où elle était procureure.

Monsieur Muise, vous vouliez ajouter un commentaire.

M. Muise : Oui, je pense qu'on confond certaines choses. CIPC est le système. On peut en tirer un certain nombre de renseignements, mais deux choses essentielles sont faites régulièrement. D'abord, on obtient le casier judiciaire, ce que j'ai appelé la feuille SED, pour système d'empreintes digitales. Si quelqu'un est reconnu coupable d'un acte criminel, mais que ses empreintes digitales n'ont pas été prélevées par un service de police, l'infraction ne sera pas inscrite sur la feuille SED. La feuille SED ne contient donc pas nécessairement toute l'information.

L'imprimé du CIPC donne surtout des renseignements du genre « accusé de ceci, fait l'objet d'un mandat pour cela, la police de Toronto aimerait l'interroger à tel sujet ». Elle renferme un certain nombre de renseignements, mais n'indique pas les condamnations comme telles.

Il y a le bilan des condamnations locales, ou fiches MTP, qui recensent les condamnations mineures. Puis il y a les bases de données provinciales, le système PARIS, qui porte peut-être un autre nom maintenant, où l'on peut voir des condamnations pour conduite avec facultés affaiblies, les infractions à un feu rouge ou les excès de vitesse.

C'est compliqué, car en plus de tout cela, il s'écoule un certain temps avant que l'information soit consignée, et il est possible qu'elle ne figure jamais dans aucun de ces systèmes.

Le vice-président : Et de nombreux systèmes cohabitent à la grandeur du Canada; il y a les divers systèmes électroniques utilisés par les policiers. Le mieux placé pour nous en parler serait bien entendu l'ancien sous- commissaire de la GRC, ancien policier et chef du Service de police d'Ottawa, le sénateur White, que j'invite maintenant à prendre la parole pour voir s'il a des questions ou des commentaires.

M. Muise : J'espère qu'il ne me corrigera pas.

Le sénateur White : Ma question s'adresserait au surintendant. Je le remercie de ses explications, car, en réalité, les 198 services de police dénombrés actuellement au pays ont tous des exigences, mais il n'existe aucune norme nationale sur le traitement de l'information recueillie.

Seriez-vous d'accord pour dire, monsieur le surintendant — et cela n'a essentiellement rien à voir avec la mesure législative à l'étude —, que nos difficultés sont attribuables à l'absence de normes nationales sur l'embauche; de normes nationales sur les services de police; de normes nationales prévoyant un nombre de jours maximum pour la mise à jour des renseignements — il n'y a pas non plus de norme nationale sur ce qu'il advient des douilles retrouvées après une fusillade. C'est le véritable problème, et on tourne autour du pot. Le gouvernement du Canada doit prendre l'initiative d'établir des normes nationales dans certains domaines, y compris la cueillette et la présentation des renseignements. N'en convenez-vous pas?

M. Truax : J'en conviens, sénateur White. À ma connaissance, aucun pouvoir législatif n'oblige les services concernés à mettre le système du CIPC à jour dans un nombre X de jours, par exemple. C'est crucial à mon avis, car cela peut sembler peu important aux yeux de certains services et, comme nous l'avons constaté dans l'affaire de l'agent Wynn, des renseignements qui ne sont pas à jour, qui ne sont pas accessibles, rendent beaucoup plus difficile la tâche du système judiciaire lorsqu'il doit évaluer correctement les risques liés à une libération ou à d'autres conditions, ou même à une détention. C'est essentiel.

Comme vous l'avez indiqué, sénateur White, certains services peuvent prendre 30, 40, 50, ou 60 jours, voire davantage, pour mettre à jour les dossiers dans le système du CIPC.

Le sénateur White : Lorsque Sécurité publique Canada a été créé en 2003, nous avons cru que ce serait le début d'une nouvelle ère en matière de maintien de l'ordre au Canada, que nous allions commencer à unir nos forces, en tant qu'entités individuelles, dans le cadre de nos opérations dans certains domaines tels que la cueillette et la mise en commun des renseignements et la mise à jour des systèmes.

Soit dit en passant, le CIPC est le meilleur système au monde. Nous sommes l'un des seuls pays à rassembler toutes les empreintes digitales et tous les casiers judiciaires en un seul endroit. Mais cela ne sert à rien si les données ne sont pas à jour. C'est l'une des difficultés.

Le projet de loi n'est pas mauvais du tout, mais je crains que les agents ou les procureurs de la Couronne continuent de devoir dire aux magistrats : « Il n'y a rien dans le système, Votre Honneur. » Ils auront raison, mais ils auront tort. N'est-ce pas vrai?

M. Truax : Je crois que ce que vous dites, sénateur, c'est qu'il serait envisageable d'établir un réseau pancanadien qui contiendrait des renseignements exacts et à jour pour nos 33 millions d'habitants. Ces renseignements deviennent de plus en plus cruciaux à mesure que le pays croît, que la population augmente.

Le sénateur White : Merci de votre témoignage.

Le vice-président : Je remercie nos témoins d'aujourd'hui. Sénateur Runciman, la présentation de M. Truax ne m'a pas étonné. Il a dressé un portrait exhaustif de la situation et de ce qu'elle pourrait être, et nous aurons de quoi réfléchir à l'avenir. Je vous remercie d'avoir été aussi exhaustif; c'est ce dont les comités ont besoin et vous avez fait de l'excellent travail. Je le dis également pour les deux autres témoins. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant procéder à l'étude article par article. Si vous voulez rester, vous pouvez le faire. Sinon, vous pouvez partir.

Comme vous le savez, le projet de loi passera ensuite à l'étape de la troisième lecture et des amendements pourront alors être proposés dans l'enceinte du Sénat. Bien entendu, il sera ensuite renvoyé à la Chambre des communes.

Plaît-il au comité de procéder maintenant à l'étude article par article du projet de loi S-217, Loi modifiant le Code criminel (détention sous garde)?

Des voix : Oui.

Le vice-président : L'étude du titre est-elle reportée?

Des voix : Oui.

Le vice-président : L'article 1 est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le vice-président : L'article 2 est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le vice-président : L'article 3...

Le sénateur White : Avons-nous déjà fait l'article 3?

Le vice-président : Pardon?

Le sénateur Runciman : J'allais recommander que nous votions contre l'article 3.

Le vice-président : Sénateur Runciman, vous allez devoir nous dire pourquoi, car je suis pour l'adoption de l'article 3, mais nous vous écoutons.

Le sénateur Runciman : J'ai déjà expliqué mon raisonnement. Je suis aussi d'accord...

Le vice-président : Non, je regrette, mais vous n'avez pas expliqué votre raisonnement.

Le sénateur Runciman : Je croyais pourtant l'avoir fait. Mon raisonnement, monsieur le président, est que la question de la constitutionnalité a été soulevée. Nous avons confirmé auprès de l'avocat qui nous a conseillés et auprès du légiste que ce n'était pas une inquiétude légitime. Toutefois, cela risque quand même d'embrouiller les choses quant au véritable objectif de la mesure législative, qui est de répondre aux circonstances entourant le meurtre de l'agent Wynn. Nous n'en sommes qu'à la première étape du processus législatif, et je pense qu'en supprimant cet article, nous éliminerons d'éventuels problèmes aux étapes ultérieures. Il y a peut-être un autre moyen d'arriver au même résultat.

De plus, lorsque mon projet de loi a été déposé, la Cour suprême n'avait pas encore rendu sa décision dans cette affaire. Pour cet aspect en particulier, les chances qu'il y ait des changements semblent très minces. J'estime donc, monsieur le président, qu'il serait plus sûr de supprimer l'article.

Le vice-président : Merci. Je ne suis pas d'accord, car la Cour suprême du Canada n'a pas supprimé l'article en entier. Elle en a seulement retranché six mots. Mais j'imagine, comme vous le dites, que cela pourrait brouiller les choses et des personnes qui n'ont pas lu la décision de la Cour suprême il y a trois mois pourraient soulever des objections et retarder l'adoption du projet de loi.

Le sénateur Runciman : Le problème, je pense, c'est l'attitude qu'il pourrait inspirer à l'avenir.

Le vice-président : L'article 3 est-il adopté? C'est la question.

Le sénateur Runciman dit non; tous les autres aussi. L'article 3 est donc rejeté.

Le titre est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le vice-président : Le projet de loi modifié est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le vice-président : Le projet de loi modifié est adopté. Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport?

Le sénateur White : À la lumière des témoignages d'aujourd'hui, je me demande si nous ne devrions pas formuler une observation à l'intention du gouvernement du Canada, en particulier au ministre de la Sécurité publique, pour proposer un examen complet du CIPC, le Centre d'information de la police canadienne, qui porterait principalement sur les retards. C'est une chose que d'être 48 ou 72 heures en retard, mais, en 2005, le CIPC faisait état de plusieurs mois de retard dans un rapport à la GRC. Je ne crois pas que les choses se soient améliorées depuis.

La sénatrice Jaffer : Ce serait 27 jours pour un nouveau dossier et 334 jours pour mettre à jour des renseignements.

Le sénateur Runciman : Je souscris à l'observation.

J'aimerais toutefois préciser que les retards dans la mise à jour du CIPC n'ont aucun lien avec le meurtre de l'agent Wynn. L'accusé avait un casier judiciaire long comme le bras depuis de longues et nombreuses années. Même si les renseignements des trois ou six derniers mois avaient été absents de son dossier, cela reste sans rapport avec l'objet du projet de loi.

Le vice-président : Plaît-il au comité d'annexer des observations, qui pourront s'inspirer des discussions que nous avons eues et qui seront vérifiées par le président du comité après consultation avec les autres membres?

La sénatrice Jaffer : Le comité directeur.

Des voix : Oui.

Le vice-président : Le comité directeur prendra-t-il l'ultime décision? Rapidement.

Des voix : Oui.

Le vice-président : Des observations seront donc annexées au rapport.

Plaît-il au comité que je fasse rapport au Sénat du projet de loi modifié auquel seront annexées les observations?

Des voix : Oui.

Le vice-président : D'accord. Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.

(Le comité s'ajourne.)

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