Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 20 - Témoignages du 2 février 2017
OTTAWA, le jeudi 2 février 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 4, Loi modifiant le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail au Parlement, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi de l'impôt sur le revenu, se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour faire l'étude article par article du projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, chers collègues, invités et membres du grand public. Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-4, Loi modifiant le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail au Parlement, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi de l'impôt sur le revenu.
Nous accueillons ce matin John Mortimer, président, Association InfoTravail du Canada; Derrick Hynes, directeur général, ETCOF Inc.; et par vidéoconférence, de Vancouver, Charles Lammam, directeur, Études fiscales, Institut Fraser. M. Lammam ne peut nous accorder qu'une heure ce matin. Il ne faudrait pas l'oublier. Pour ce qui est des questions, les autres témoins peuvent y répondre pendant plus longtemps. Nous espérons qu'Aaron Wudrick sera en mesure de se joindre à nous également. Il représente la Fédération canadienne des contribuables.
Commençons. Monsieur Mortimer, si vous avez une déclaration liminaire, vous avez la parole.
John Mortimer, président, Association InfoTravail du Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, veuillez consulter l'annexe A de notre mémoire pour voir une copie d'une page web actuelle d'un ouvrier qui a ceci à dire au sujet des cartes d'adhésion à un syndicat :
Ne signez rien! Vous n'avez pas à signer quoi que ce soit. Ne tombez pas dans le piège de signer quelque chose « pour obtenir plus d'information »... « Ce n'est qu'une façon sournoise de faire signer un membre »...
On le sait de source sûre : les recruteurs syndicaux mentent. On peut dire aux employés que la carte vise uniquement à obtenir plus d'information ou seulement à obtenir un droit de vote, mais dans les administrations où l'on vérifie les cartes, la syndicalisation est le but et le résultat de cette tromperie.
Le ministre du Travail, les dirigeants syndicaux, les universitaires et les commissions du travail soulignent le faible nombre de décisions relatives à de telles tactiques syndicales. Voici les quatre plus récentes raisons. Pendant des décennies, les commissions du travail ont décidé que les tactiques de signature de carte ne regardent pas l'employeur. En 2005, le conseil canadien a déclaré :
Les employés qui estiment être victimes d'intimidation ou de mesures coercitives pour signer... doivent le signaler eux-mêmes au conseil.
Les syndicats ont accès à une foule de professionnels de talent et d'avocats externes spécialisés en droit du travail grâce aux 4 à 5 milliards de dollars dont ils disposent, subventionnés par les contribuables, pour former un recours contre les employeurs et des syndicats concurrents pendant les périodes de maraudage. Maintenant que les commissions du travail disent aux employeurs de se taire, il n'est tout simplement pas crédible de prétendre que les employés sont en mesure, dans la pratique, de déposer des accusations contre les syndicats et de s'absenter du travail sans être rémunérés, de se présenter devant le conseil et contester les techniques de signature des syndicats, et à plus forte raison, de pouvoir se payer un avocat à cette fin.
Je le répète : aucune commission du travail ne prend les cartes signées par les employés et les montre aux signataires pour valider a) qu'ils ont signé, b) qu'ils ont signé à la date inscrite sur la carte et c) s'ils prétendent les avoir signées, dans quelles circonstances et pour quelles raisons l'ont-ils fait?
Aucune commission du travail n'entreprend un examen approprié pour savoir s'il s'agit d'une carte légitime, si elle n'est pas contrefaite, si elle a été dûment signée par le travailleur à la date que le syndicat prétend.
Malheureusement, les décisions des commissions du travail permettent en fait aux syndicats de mentir à des travailleurs peu avertis. Une commission a décidé qu'une fraude commise contre un employé n'est pas une fraude contre la commission et ne contrevient pas à la loi. Une autre a décidé qu'il était vraiment dommage qu'un syndicat utilise des cartes que les employés ont expressément demandé de ravoir, mais que le syndicat a ignoré les demandes.
Puis, il y a la question de la fraude associée aux cartes. Elle a atteint un petit sommet avec les tactiques peu reluisantes d'un syndicat dans l'affaire Purdy en Colombie-Britannique. Le syndicat s'est fait prendre à contrefaire les signatures des employés sur des cartes, mais seulement des années plus tard lors d'une comparution devant la commission du travail.
Y a-t-il un parti politique au pays qui n'a pas éprouvé de véritables problèmes avec les campagnes de recrutement de nouveaux membres axées sur les cartes, avant les assemblées de mise en candidature? Que trouve-t-on lors de ces réunions de parti politique? On y trouve des bulletins de vote secrets. Existe-t-il un parti politique qui assimile une carte d'adhésion au parti à un vote? Pas un seul. Tous les syndicats gèrent leurs affaires internes au moyen de scrutins secrets. Les cartes ne servent pas pour leurs élections internes. Cela est révélateur et devrait être très important pour votre comité et tous les sénateurs.
En 1977, les travailleurs de la Nouvelle-Écosse sont devenus les premiers Canadiens à jouir d'un accès légal à une protection de la démocratie en milieu de travail : un scrutin secret garanti par la loi que le présent projet de loi enlève aux Canadiens visés par la réglementation fédérale.
L'annexe C présente un tableau résumant les dispositions clés de 11 codes du travail du secteur privé. Chaque année, dans les huit administrations où l'on tient un scrutin, au cours d'élections dirigées par le gouvernement, les travailleurs sont toujours syndiqués. Même en Nouvelle-Écosse, après 37 ans de démocratie en milieu de travail — surprise! —, les syndicats n'ont pas disparu et les relations de travail ne sont pas retournées à l'époque des Pierrafeu en comparaison des administrations au Canada où il n'y a pas de scrutin.
On reproche au scrutin de réduire le taux des nouvelles syndicalisations. C'est évident qu'il fait cela, car le vote reflète la volonté d'employés éclairés qui exercent un choix privé protégé par le gouvernement. Le fait d'obtenir une syndicalisation au moyen de procédés malhonnêtes à l'égard desquels les travailleurs n'ont pas de véritables moyens d'entamer une procédure judiciaire et qu'ils ne peuvent pas prouvés sera de nouveau la réalité fédérale si le projet de loi C-4 n'est pas modifié ou retiré par le gouvernement.
Il est tout simplement injustifiable et antidémocratique de voler le vote de la partie la plus faible, les travailleurs canadiens, et de confier la vérification des cartes aux dirigeants syndicaux du Canada.
Le président : Nous devons avancer. Je donne maintenant la parole à M. Hynes. Nous vous demandons tous de vous en tenir à cinq minutes.
Derrick Hynes, directeur général, ETCOF Inc. : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l'occasion de présenter un exposé sur le projet de loi C-4 au nom d'ETCOF, c'est-à-dire Employeurs des transports et communications de régie fédérale. Il s'agit d'une association d'employeurs regroupant des entreprises réglementées au palier fédéral dans les secteurs du transport et des communications. Notre association d'employeurs existe depuis plus de 30 ans et nos membres emploient près de 500 000 travailleurs canadiens, ce qui représente plus de la moitié de l'ensemble des travailleurs de la partie du secteur privé régie par le gouvernement fédéral. Les membres d'ETCOF sont des entreprises bien connues : Air Canada, Bell, Postes Canada, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, et FedEx Canada, pour n'en nommer que quelques-uns.
Au fil des années, ETCOF a participé avec succès aux efforts de mobilisation tripartite du régime fédéral de relations de travail du Code canadien du travail. Hier, vous avez entendu le ministre et Hassan Yussuff, président du CTC, dire que le modèle tripartite regroupe Emploi et Développement social Canada, ou EDSC (qui représente le gouvernement), le Congrès du travail du Canada (qui représente les travailleurs) et ETCOF (qui représente les employeurs).
Aujourd'hui, je me concentrerai sur les parties du projet de loi C-4 qui reflètent les changements apportés dans le projet de loi C-525, c'est-à-dire ceux qui visent expressément le processus d'accréditation syndicale et la révocation de l'accréditation. Essentiellement, notre position se résume aux deux points clés suivants : tout d'abord, ETCOF est toujours préoccupé par la façon dont le projet de loi C-525 a été mis en œuvre et, deuxièmement, ETCOF appuie les principes fondamentaux proposés dans le projet de loi C-525.
En ce qui concerne le premier point, ETCOF a toujours fait valoir que le processus de mise en œuvre du projet de loi C-525 était inapproprié. En effet, il a modifié le processus d'accréditation et de révocation de l'accréditation pour tous les organismes régis à l'échelon fédéral par l'entremise d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Il en a été question hier, mais je tiens à reprendre certains de ces points.
Nous n'affirmons pas que le recours à un projet de loi d'initiative parlementaire est antidémocratique, mais nous sommes d'avis que ce type de projet de loi ne devrait pas être utilisé pour apporter des changements au Code canadien du travail. Depuis des décennies, il existe un important mécanisme de consultation tripartite pour apporter de tels changements. Dans le cadre de ce mécanisme, les trois intervenants principaux, à savoir le gouvernement, les travailleurs et les entreprises, adoptent une approche réfléchie pour apporter des changements au code et à ses règlements connexes en menant de nombreuses consultations préalables.
Les projets de loi émanant du gouvernement ont tendance à entraîner la mise en œuvre d'un processus plus rigoureux. En effet, les comités ont souvent accès à des résultats de recherches et d'analyses, et leurs membres peuvent profiter de ressources internes, par exemple l'expertise offerte par les ministères.
Toutefois, les projets de loi d'initiative parlementaire ne sont pas soumis à l'examen approfondi qui peut être mené par l'entremise de vastes consultations auprès de toutes les parties intéressées dans le cadre d'une approche pangouvernementale. Nous disposons d'un processus tripartite qui fonctionne bien. À notre humble avis, il faudrait l'utiliser.
Cela m'amène à mon deuxième point. Même si nous n'avons pas aimé la façon dont le projet de loi C-525 a été mis en œuvre, au bout du compte, ETCOF appuie les principes fondamentaux présentés dans le projet de loi et continue d'appuyer la mise en œuvre de ces changements dans le contexte des négociations des conventions collectives fédérales. Voici ce que nous avons dit devant votre comité sénatorial en décembre 2014 :
Nos membres préfèrent un scrutin secret à un système de vérification de cartes pour déterminer si un syndicat deviendra l'agent négociateur accrédité des employés. L'essence même d'un véritable choix démocratique, le scrutin secret, est entièrement conforme aux principes de la démocratie canadienne. Grâce à lui, tous les employés expriment leur souhait sans subir d'influence indue ni dévoiler dans quel sens ils ont voté. Il s'agit du même mécanisme qui est employé dans le processus électoral au Canada et qui est le plus équitable.
Selon la version actuelle du projet de loi C-525, la majorité des employés qui votent doivent se prononcer favorables à l'idée d'être représentés par le syndicat. En outre, ce processus d'accréditation par un scrutin secret reposant sur la majorité des membres votants est considéré comme la norme dans le droit en matière des relations industrielles en Alberta, en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse, en Ontario et en Saskatchewan. Méthode largement acceptée pour obtenir l'accréditation au Canada, il n'a donc rien d'une nouveauté.
Les dispositions du projet de loi C-525 fixent à 40 p. 100 d'employés le seuil à atteindre avant que le Conseil canadien des relations industrielles demande la tenue d'un vote sur l'accréditation ou la révocation, ce qui nous semble approprié.
Ces dispositions sont équitables et conformes aux règles établissant les seuils de votes pour l'accréditation et la révocation dans les provinces.
Le projet de loi C-525 renferme trois principes fondamentaux auxquels nous continuons de souscrire. Tout d'abord, il exigeait le scrutin secret lors de l'accréditation ou de la révocation des agents négociateurs. Le scrutin secret est un élément fondamental dans notre société démocratique. Nous ne pouvons pas imaginer une formule plus ouverte et plus équitable pour les employés qui doivent faire des choix si importants. Deuxièmement, il faisait en sorte que la syndicalisation ne puisse reposer uniquement sur la signature d'une carte de syndicat. Troisièmement, il fixait à 40 p. 100 le seuil des signataires, ce qui correspond à ce qui se fait dans la plupart des provinces canadiennes.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous présenter un exposé.
Charles Lammam, directeur, Études fiscales, Institut Fraser : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l'occasion de participer à ces importantes discussions au sujet du projet de loi C-4. Je suis désolé de devoir quitter la séance plus tôt.
Je suis le directeur des études fiscales de l'Institut Fraser. Nous sommes un organisme de recherche et de formation non partisan. Mes commentaires aujourd'hui sont un reflet de mes opinions et observations au sujet des recherches que nous avons menées et je ne parle pas au nom de qui que ce soit d'autre à l'Institut Fraser.
À mon avis, les lois dans le domaine des relations du travail devraient viser à trouver un équilibre entre les intérêts des travailleurs, de leurs syndicats et de leurs employeurs. Malheureusement, nos recherches révèlent que les lois dans le domaine du droit des relations du travail, en particulier au niveau fédéral, sont en général non équilibrées et favorisent les organisations syndicales aux dépens des travailleurs. Au lieu d'habiliter les travailleurs à tenir leurs syndicats redevables, le projet de loi C-4 rend le processus de syndicalisation moins démocratique et il affaiblira la reddition de comptes financiers des syndicats.
En vertu de la législation actuelle, qui est entrée en vigueur avec l'adoption du projet de loi C-525, les travailleurs dans les secteurs réglementés par le gouvernement fédéral sont assurés d'avoir l'occasion de voter anonymement dans le cadre d'un scrutin secret lorsqu'ils décident d'approuver un syndicat comme représentant. Sept des 10 provinces jouent un rôle semblable dans le cas des secteurs régis par les provinces.
Le projet de loi C-4 éloignerait la législation fédérale de ce qui est devenu de plus en plus la norme dans les lois modernes sur les relations du travail au Canada en remettant en place l'ancien système de vérification de cartes, un processus qui permet aux syndicats d'être accrédités sans tenir un scrutin secret si un nombre suffisant de travailleurs signent une carte de membre du syndicat.
Délaisser un scrutin secret est problématique, parce que l'accréditation automatique d'un syndicat ne peut pas refléter le véritable souhait d'une majorité des travailleurs qui ont droit de vote. Sans l'anonymat d'un scrutin secret, les organisateurs syndicaux peuvent exercer des pressions sur les travailleurs pour qu'ils appuient l'accréditation du syndicat. Toute dissension ou divergence d'opinions peut devenir conflictuelle, en particulier lorsque la syndicalisation est controversée. Certains travailleurs peuvent ne pas être à l'aise d'exprimer publiquement leur opinion pour ou contre la syndicalisation. Un vote d'accréditation par scrutin secret obligatoire offre la même protection de base d'anonymat dont tous les Canadiens jouissent lorsqu'ils choisissent leurs élus. Permettre l'accréditation d'un syndicat sans tenir un scrutin secret est contraire à l'objectif d'habiliter les travailleurs.
Le projet de loi C-4 rendrait encore plus difficile pour les travailleurs qui paient des cotisations de tenir les syndicats redevables une fois que le syndicat est accrédité. Il est important pour un syndicat de devoir rendre des comptes et d'être sensible aux exigences de ses membres et de ses travailleurs qui paient des cotisations, parce que l'objectif premier d'un syndicat est de représenter les intérêts des travailleurs syndiqués, en particulier dans le cadre de négociations et de différends avec un employeur.
Les règles actuellement en vigueur sur la divulgation des renseignements financiers, même si elles ne sont pas appliquées par le gouvernement fédéral, exigent que les syndicats divulguent publiquement leurs renseignements financiers clés, notamment les dépenses, les recettes et leur situation financière. Cette divulgation, si elle était appliquée, faciliterait la tâche des travailleurs syndiqués et des tierces parties intéressées pour évaluer la santé financière et les activités du syndicat.
Tout comme la tenue d'un scrutin secret pour l'accréditation, les rôles de divulgation des renseignements financiers consacrés dans le projet de loi C-377 favorisent les principes de l'anonymat, de la démocratie et de la reddition de comptes. Les recherches révèlent qu'une plus grande transparence financière contribue à une meilleure gouvernance et à une diminution de la corruption.
Fondamentalement, les règles actuelles sur la divulgation des renseignements financiers exigent des syndicats qu'ils fassent un rapport détaillé du temps et de l'argent qui sont consacrés à des activités non reliées à la représentation des travailleurs, notamment des activités reliées à des causes sociales et politiques. Ce point est tout particulièrement important, parce que les travailleurs syndiqués au Canada peuvent être obligés de payer des cotisations syndicales complètes comme condition d'emploi, même s'ils ne sont pas d'accord avec les causes que le syndicat appuie.
Exiger des syndicats qu'ils divulguent les sommes dépensées permet au moins aux travailleurs de savoir plus facilement et anonymement combien leur syndicat consacre à de telles causes. Il s'agit d'une raison importante pour laquelle une plus grande divulgation des renseignements financiers est nécessaire au Canada.
En terminant, je souligne que les recherches révèlent que des lois équilibrées et impartiales sur les relations du travail peuvent aider à créer les conditions pour une amélioration du rendement économique d'une administration, y compris une augmentation des investissements dans la croissance de l'emploi. Une partie d'un ensemble équilibré de lois sur les relations du travail habilite les travailleurs à accréditer de façon tout à fait démocratique les syndicats et à tenir ces derniers redevables une fois qu'ils sont accrédités. Le projet de loi C-4 va à l'encontre de ces objectifs.
Le président : Bienvenue au comité, monsieur Wudrick. Vous avez la parole.
Aaron Wudrick, directeur fédéral, Fédération canadienne des contribuables : Je m'appelle Aaron Wudrick. Je suis le directeur général de la Fédération canadienne des contribuables. Je tiens à remercier les membres du comité de m'avoir invité ce matin.
Pour ceux et celles qui ne connaissent pas bien notre organisation, la Fédération canadienne des contribuables est un groupe de pression non partisan à but non lucratif. Quelque 90 000 Canadiens d'un bout à l'autre du pays nous appuient grâce à des dons non déductibles d'impôt, ce dont nous sommes très fiers. Notre défense des intérêts porte sur trois aspects : baisse des impôts, lutte au gaspillage et reddition de comptes des gouvernements.
Dans ce contexte, mes remarques porteront sur les dispositions d'un projet de loi qui visent à annuler certains articles de la Loi de l'impôt sur le revenu dans leur application aux syndicats.
Très simplement, la FCC estime que les articles de la Loi de l'impôt sur le revenu qui seront annulés par le projet de loi C-4 représentent un recul pour ce qui est de favoriser la transparence et la reddition de comptes quand il s'agit de l'argent des contribuables.
De toute évidence, il y a un débat en cours qui restera probablement permanent sur l'incidence et l'opportunité de ces mesures, qui concernaient le niveau de divulgation requis des syndicats. Au Canada, les syndicats recueillent environ 4 milliards de dollars tous les ans en cotisations syndicales et peuvent dépenser cet argent comme bon leur semble, sans déclaration publique obligatoire. Ce qui rend cette situation un problème pour le contribuable en général, c'est que les syndicats bénéficient d'une gamme d'avantages fiscaux et de traitements fiscaux particuliers qui sont ni plus ni moins une subvention publique pour leurs activités. Plus précisément, les cotisations syndicales sont déductibles d'impôt, tout comme l'indemnité de grève. Ces allègements fiscaux représenteraient au net environ 400 millions de dollars par année, sinon davantage.
Les œuvres de bienfaisance ont droit à un traitement spécial semblable, mais pas aussi exhaustif. Par conséquent, elles sont tenues à déposer des documents d'information à l'intention du public pour conserver leur statut d'organisme de bienfaisance. Pour nous, il s'agit en fait du raisonnement sur lequel on s'appuie pour demander la divulgation publique des finances des syndicats. Lorsqu'une entité reçoit l'avantage d'une subvention publique, l'attente de transparence à l'égard de cette entité est plus élevée, comparativement aux entités qui ne reçoivent pas un avantage semblable.
Je tiens à être tout à fait clair, la position de la FCC ne doit pas être interprétée comme s'opposant à l'engagement politique ou social des syndicats. Ces derniers sont des intervenants légitimes et devraient pouvoir s'engager dans des activités politiques. Par contre, notre objection tient au fait que les syndicats sont subventionnés par les contribuables pour le faire. En effet, nous avons adopté la position voulant que les partis politiques eux-mêmes ne devraient pas recevoir de subventions publiques, ou du moins ne pas recevoir une subvention aussi généreuse. Cependant, étant donné qu'ils sont subventionnés, nous croyons que cet avantage devrait, comme je l'ai dit, justifier un niveau plus élevé de transparence que s'il n'y avait pas de subvention. Il s'agit du même genre de position que nous avons à l'égard du transfert de fonds publics à des entreprises privées, ce que nous appelons l'aide aux entreprises parasites.
Nous nous y opposons totalement, mais si c'est ce qui doit survenir, le prix pour avoir droit à cette subvention devrait certainement être la transparence et la reddition de comptes aux contribuables qui en font les frais. Je m'arrête ici et je serai heureux de répondre à vos questions.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ma question s'adresse à M. Hynes. Vous condamnez le processus par lequel le projet de loi C-525 a été adopté, parce qu'il ne respecte pas vraiment les principes du tripartisme auquel nous sommes habitués au Canada, en particulier à l'échelle fédérale, pour apporter les modifications nécessaires aux règles du Code du travail ou encore pour assurer une rigueur. On le sait, le projet de loi C-525 comporte des erreurs qui retirent des pouvoirs à la Commission des relations de travail.
Ma question pour vous est la suivante. Je vous propose un choix hypothétique A ou B, découlant du principe qu'on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Selon l'hypothèse A, vous conservez le projet de loi C-525, mais vous mettez en péril le système tripartite actuel des relations de travail, en ce qui a trait aux changements futurs qui seront apportés au Code du travail. Notamment, en adoptant le projet de loi C-525, vous justifiez l'utilisation de projets de loi d'initiative parlementaire pour améliorer ou forcer des lois anti-briseurs de grève.
Selon l'hypothèse B, vous rejetez le projet de loi C-525, mais vous êtes assuré que le système tripartite actuel pour effectuer des changements au Code du travail demeure, ce qui vous permet éventuellement de négocier les paramètres d'un nouveau système d'accréditation qui assure la manière dont le vote secret se tient et qui est équilibré, de sorte que les deux parties aient la chance d'exprimer leur position.
Laquelle de ces deux options choisiriez-vous et laquelle est préférable pour la société canadienne et pour la stabilité des relations de travail à long terme?
[Traduction]
M. Hynes : N'étant pas un politicien, j'ai appris en les regardant à la télévision qu'une réponse hypothétique n'est habituellement pas ce que quelqu'un souhaite. Je vais essayer d'être suffisamment intelligent et de ne pas formuler une réponse hypothétique. Je dirai ceci : vous posez une très bonne question.
Le projet de loi C-525 était véritablement une énigme pour nous en tant qu'association d'employeurs, parce que nous avons une riche histoire de collaboration tripartite avec le secteur fédéral. Rien de tout cela ne fait les manchettes, mais la réalité est que sur 90 à 95 p. 100 des points en litige, la partie patronale et la partie syndicale trouvent une façon de s'entendre.
Nous nous rencontrons au sujet des points en litige. Nous nous assoyons autour de la table, nous les examinons un par un. Je pourrais vous donner des douzaines et des douzaines d'exemples où l'ETCOF et le Congrès du travail du Canada ont rencontré des représentants du gouvernement et ont trouvé notre façon de voir dans ces situations.
Ce qui se retrouve dans les journaux, c'est 5 p. 100 des dossiers marginaux à l'égard desquels nous avons plus de débats. Il y a des différences de points de vue sur le principe où, d'après moi, nous divergeons. Nous divergeons sur la question du scrutin secret. On ne peut pas le cacher.
Je ne peux pas répondre à votre question hypothétique. Par contre, le projet de loi C-525 ne respecte pas ce processus. Nous aurions aimé qu'il le fasse. On pourrait aussi soutenir que le projet de loi C-4 ne le respecte pas non plus, parce qu'il est l'aboutissement d'une promesse électorale. Nous n'avons pas eu de consultations préliminaires ou de discussions préliminaires comme nous le faisons en temps normal, lorsque des modifications sont apportées au code. Nous ne l'avons pas fait pour le projet de loi C-4.
Le projet de loi C-4 nous a été présenté comme un scénario à prendre ou à laisser, ce qui est tout aussi troublant. Il serait préférable, dans toutes ces situations, d'avoir au départ une conversation éclairée avec toutes les parties à la table et de parvenir à une entente sur les grandes questions avant d'aller de l'avant.
Le président : Je m'adresse aux membres du comité et aux témoins. Ce que j'essaie de faire, compte tenu du nombre important de membres du comité, c'est de nous en tenir à environ quatre minutes : deux minutes pour la question et deux minutes tout au plus pour les réponses. Ainsi, j'espère que nous pourrons faire le tour de la table. Je rappelle aux membres que M. Lammam doit quitter à 11 h 30.
Le sénateur Tannas : Monsieur Hynes, à votre avis, est-ce que le système tripartite en place depuis très longtemps a déjà donné lieu à un scrutin secret? S'agit-il d'une position que vous avez déjà fait valoir? Quel est le mécanisme dans le système tripartite pour obtenir un résultat qui apporterait un changement aussi important et significatif que celui-ci?
M. Hynes : Excellente question. Je ne pense pas que ce serait facile. Il pourrait faire partie d'une conversation plus large sur le code. Au fil des ans, nous avons procédé à des examens approfondis du Code canadien du travail. De toute évidence, au cours de ces négociations, il y a des concessions mutuelles de la part de toutes les parties présentes. Il pourrait y avoir une possibilité d'une conversation sur le scrutin secret par opposition à la vérification des cartes si nous avions un dialogue plus élargi. Encore une fois, il faudrait que ce soit organisé comme une conversation sur ce sujet.
En réponse à la question précédente, un projet de loi d'initiative parlementaire, et le fait de nous l'imposer en quelque sorte, a représenté un défi pour toutes les parties. Si nous avions pu, comme vous le suggérez, avoir cette sorte de conversation plus tôt, alors peut-être que nous pourrions trouver une façon d'en arriver à un compromis sur cette question.
Dernièrement, on a beaucoup parlé de l'harmonisation dans toutes les administrations. Je pense que la même logique pourrait s'appliquer au code. Nous constatons une variation entre les provinces et le secteur fédéral sur des questions comme celle-ci. Ce que nous faisons valoir, c'est que le projet de loi C-525 nous a rapprochés d'une harmonisation avec les autres administrations, et nous a rapprochés de ce monde harmonisé. Oui, j'ai bon espoir, mais je concède qu'il s'agit de questions difficiles. L'autre partie aurait une opinion différente, comme en fait foi la position de M. Yussuff hier.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Hynes, mon collègue le sénateur Baker a demandé à la ministre s'il y avait des consultations, et nous n'avons pas obtenu de réponse. D'après ce que je comprends, votre organisme n'a pas été consulté au sujet du projet de loi C-4. Est-ce exact?
M. Hynes : Je dirais qu'il n'y a pas eu de consultations officielles. Je ne veux pas parler au nom de la ministre, mais je crois que ce qu'elle disait en réponse, c'est que le gouvernement n'a pas caché sa position sur des enjeux pendant la campagne électorale. Le gouvernement a été très clair quant à son intention d'abroger les projets de loi C-377 et C-525. Ce n'était pas une surprise. Ce fut une des premières mesures législatives à être déposées à la Chambre des communes au début de la législature. Non, il n'y a pas eu de consultations officielles dans le cadre du modèle tripartite comme nous l'avons fait à de nombreuses autres occasions sur d'autres questions.
La sénatrice Jaffer : La ministre a soulevé la question du modèle tripartite. Je ne sais pas qui, mais quelqu'un de notre groupe a cherché à savoir comment on résoudrait les problèmes concernant le projet de loi C-4 s'il y en avait. Je paraphrase, mais la réponse est qu'elle procéderait à une consultation tripartite. Vous avez également mentionné le tripartisme.
Pour mieux comprendre, est-ce que le processus tripartite a été par le passé efficace? Pourriez-vous nous dire comment fonctionne le processus tripartite?
M. Hynes : Il a été très efficace. Dans mon bureau, j'ai une multitude de dossiers sur des questions que nous avons étudiées. Pour vous donner un exemple très récent, comme vous le savez, le premier ministre s'est engagé à s'attaquer aux questions de harcèlement sexuel en milieu de travail. L'organisme gouvernemental de réglementation essaie de trouver la façon de mieux gérer ce dossier afin que ceux et celles qui portent plainte aient plus rapidement accès à la justice, et que les processus soient nettement améliorés.
L'été dernier, nous avons amorcé une conversation sur ce sujet lorsque le gouvernement a réuni les parties, la partie patronale et la partie syndicale. Nous nous sommes assis à la table et les responsables de la réglementation ont présenté des options dont nous pourrions tenir compte. Nous avons amorcé ce processus. L'aspect vraiment intéressant de cette première conversation, c'est que la partie patronale et la partie syndicale ont véritablement partagé le même point de vue de la façon d'aller de l'avant. Nous nous sommes approprié la question et nous pensons que nous avons fait avancer cette question de façon assez positive.
Il y a des douzaines et des douzaines d'autres exemples du genre. Ils ne font pas les manchettes. Ils sont très productifs. Le processus fonctionne dans 90 à 95 p. 100 des cas, mais c'est en périphérie de ces questions que nous voyons le débat public.
La sénatrice Batters : Monsieur Mortimer, hier, en questionnant la ministre Hajdu, la sénatrice Bellemare a fait référence à votre organisation, InfoTravail. Elle a déclaré que votre groupe avait fait des investissements importants en lobbying afin de promouvoir et de fortement encourager l'adoption du projet de loi C-377 et du projet de loi C-525.
Or, lorsque vous avez comparu devant notre comité en décembre 2014, je constate que le sénateur Moore vous a posé la question suivante : « Quel est le budget de votre organisation? » Vous avez répondu : « Notre budget annuel de fonctionnement oscille, en moyenne, entre 50 000 $ et 90 000 $. » Le sénateur Moore vous a alors demandé : « Combien de personnes l'association InfoTravail emploie-t-elle? » Vous avez répondu : « Vous fixez son unique employé en ce moment. »
Ce n'est pas exactement une organisation de lobbying énorme quand on traite avec le gouvernement du Canada, n'est-ce pas?
M. Mortimer : Exact. Nous n'avons jamais engagé un lobbyiste, nous n'avons jamais payé de frais de lobbying et nous n'avons jamais diffusé une seule publicité. Pour ce qui est de la position de notre conseil d'administration, nous ne faisons pas de lobby. J'ai été président de l'organisation à temps partiel pendant 16 ans. J'ai ma propre entreprise. C'est ainsi que je gagne ma vie et que je subviens aux besoins de ma famille. De toute évidence, nous ne sommes pas des lobbyistes. La seule chose que nous faisons, c'est de répondre aux demandes du Comité de témoigner. Il n'y a pas eu un seul mémoire de lobbying à notre nom auprès de n'importe laquelle des assemblées législatives au pays en 16 ans.
La sénatrice Batters : Je suppose que le contraste serait énorme par rapport aux budgets de lobbying du mouvement syndical au Canada. Je veux en venir à ma deuxième question, mais si vous avez des renseignements à ce sujet, j'aimerais les entendre, rapidement.
Si je me souviens bien, quelques jours à peine avant Noël 2015, le nouveau gouvernement fédéral a annoncé que même si le projet de loi C-377 avait été adopté par le Parlement six mois plus tôt, les exigences relatives à la transparence des syndicats, dont l'entrée en vigueur était imminente, ne seraient pas suivies par le gouvernement fédéral.
Le gouvernement Trudeau l'a fait sans que le projet de loi soit adopté par le Parlement. Je pense même qu'il n'avait pas encore été déposé. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette série d'événements?
M. Mortimer : En tant que Canadien, en tant que contribuable, je trouve sidérant que les dirigeants syndicaux au Canada se soient fait dire qu'ils n'étaient pas obligés de se conformer aux lois du pays. Je crois qu'il est bien connu que les dirigeants des Premières Nations se sont également fait dire qu'ils n'ont pas à respecter les lois adoptées par le Parlement. C'est plutôt renversant. Je suis très inquiet en tant que Canadien, si je me fie au comportement du gouvernement.
J'aimerais faire une petite observation au sujet du processus tripartite. Voici un sondage d'opinions sur ce que pensent actuellement les Canadiens syndiqués du scrutin secret. Ce sont tous des Canadiens syndiqués qui paient des cotisations et qui pensent qu'il devrait y avoir des scrutins secrets. La partie en rouge, ce sont ceux qui pensent le contraire.
Le processus tripartite se compose de dirigeants syndicaux, de dirigeants d'entreprises et de représentants du gouvernement. Il ne parle pas au nom des travailleurs. Il ne parle pas au nom des Canadiens syndiqués. Il ne publie plus les recherches du Congrès du travail du Canada, parce que ces recherches montrent les divergences qu'ils obtiennent dans leurs propres recherches de la part des gens qui doivent payer pour cela par leurs cotisations syndicales. Dans les actions que des gens comme M. Yussuff présentent devant des comités comme le vôtre, qui sont diamétralement opposées à ce qu'ils veulent, personne ne parle en leur nom. À cet égard, le processus tripartite est une imposture.
La sénatrice Batters : Et vous avez dit que cela provenait de membres de syndicats.
M. Mortimer : Cela vient de Canadiens syndiqués, qui paient des cotisations, et il s'agit de recherches très cohérentes faites en 2003, 2008, 2011 et 2013.
La sénatrice Batters : Pourriez-vous nous en remettre une copie?
M. Mortimer : Bien sûr.
Le sénateur Pratte : Simplement pour se remettre en contexte, je rappelle aux sénateurs que le taux de syndicalisation au Canada diminue depuis 40 ans, étant passé de 38 à moins de 30 p. 100.
Sur un plan personnel, dans ma carrière d'éditorialiste, je n'ai jamais eu la réputation d'être un ami des syndicats, et pour être nommé au Sénat, j'ai été parrainé par le Conseil du patronat du Québec.
J'ai lu votre témoignage, monsieur Mortimer, devant le comité de la Chambre des communes et je vous ai entendu de nouveau aujourd'hui. Je dois dire que l'on peut présenter un très bon argument en faveur du scrutin secret, mais chaque fois vous accusez les organisateurs syndicaux de mentir, de recourir à la tromperie systématique et de voler le vote, quant à moi vous perdez toute crédibilité.
Croyez-vous que les organisateurs syndicaux mentent systématiquement pour que leurs syndicats soient accrédités? Croyez-vous qu'ils ont recours systématiquement à la tromperie? Ne pensez-vous pas que la plupart des organisateurs syndicaux agissent de bonne foi? Que vous pensiez ou non que leur façon, le système de cartes ou le scrutin secret, constitue le meilleur système, ne pensez-vous pas qu'ils agissent de bonne foi?
M. Mortimer : Je crois qu'il y a des exemples à n'en plus finir dans les administrations où l'on vérifie les cartes. Les syndicats de journaliers l'ont bien dit. Ils ont encore cette page web; ils l'ont depuis des années, informant leurs membres de la tromperie des syndicats rivaux qui essaient de les marauder.
Un vote leur enlève la tentation de le faire. Les commissions du travail ont été confrontées à la décision arbitrale selon laquelle des employés ont à l'occasion comparu devant elles et ont rarement soulevé qu'on leur disait : « Vous obtiendrez un vote. » Ce qu'ils rétorquent essentiellement est : « Attention, consommateur. »
J'aimerais enlever la tentation. Je ne fais pas de recherche. Je n'ai pas non plus soutenu que tous les organisateurs le font ou que la plupart des organisateurs le font. Ce que j'ai essayé de dire, d'après ce que j'ai entendu des gens et d'après ce que j'ai vu dans les causes et dans les éléments de preuve, c'est que cela se produit. Ce que fait la vérification des cartes, c'est qu'elle nettoie tout et élimine la tentation. Ce qui est bon pour les votes internes des syndicats devrait l'être pour l'accréditation.
Le sénateur Pratte : Il y a également des recherches qui montrent qu'un scrutin secret attire l'intimidation de la part des employeurs que vous représentez. Vous ne représentez pas des employés, vous représentez des employeurs.
M. Mortimer : En tant qu'ancien chef des ressources humaines de Future Shop pour l'Amérique du Nord et des restaurants Wendy du Canada, je peux parler des conseils juridiques que nous recevions, de la façon dont nous nous comportions et de ce que nous disions. Y a-t-il des employeurs qui font des choses qu'ils ne devraient pas faire? Oui, mais le syndicat est là pour déposer les plaintes de pratiques déloyales, et il le fait.
Monsieur le sénateur, le problème est qu'il n'y a personne pour déposer ces plaintes de pratiques déloyales au nom de la personne qui a reçu 20 visites à domicile à Jonquière, au Québec, au cours d'une fin de semaine; la personne qui se rend à la salle de pause à chaque quart et qui y est prise à partie; le copilote qui est assis durant quatre heures pendant que le premier officier ne cesse de répéter : « Tu m'appuieras quand nous arriverons à l'hôtel, quand nous serons devant les gens qui font signer les cartes de l'ALPA, et je m'attends à ce que tu signes cette carte. »
Il existe un profil d'êtres humains qui, devant la persistance incessante de signer une carte, la signeront tout simplement pour ne plus en entendre parler. Ce n'est pas le choix du travailleur, et seul un scrutin secret le protège de cette forme de conduite.
Le sénateur Pratte : Le CCRI, le Conseil canadien des relations industrielles, dit qu'il est en mesure de vérifier cela et de demander aux gens s'ils ont fait l'objet de pressions.
M. Mortimer : Le CCRI a déclaré dans l'affaire TD Canada Trust que le refus de sortir de la résidence d'une femme constituait une tactique de syndicalisation mal comprise des syndicats. La Cour d'appel fédérale a dit qu'en ce qui concerne Carina Bouffard, parce qu'elle n'a fait l'objet d'aucune forme de violence de la part des trois organisateurs des métallos qui ont refusé de sortir de chez elle une nuit de décembre, il ne s'agissait pas d'une tactique inappropriée de refuser de sortir de sa résidence.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aimerais faire une petite parenthèse. Dans le cas de ceux qui peuvent penser qu'il n'y a pas d'intimidation lorsqu'il y a du maraudage syndical, je les invite à écouter les enregistrements audio des audiences de la Commission Charbonneau.
Monsieur Mortimer, j'aimerais revenir sur un aspect qui est ressorti de la discussion. On parle de la signature de cartes. Il est arrivé à certaines occasions que des membres du syndicat aient signé des cartes frauduleusement. Quelles conséquences ces gens ont-ils subies pour avoir signé des cartes frauduleusement? Le savez-vous?
[Traduction]
M. Mortimer : Le seul cas dont je suis au courant est celui où la commission du travail l'ayant appris plus tard, elle a annulé l'accréditation. Le problème est que si les cartes sont signées frauduleusement, qui va s'en apercevoir? Dans l'affaire Purdy, le syndicat a essayé d'intimider les personnes qui avaient exercé leur droit légal de franchir une ligne de piquetage. Le syndicat a annulé leur appartenance syndicale, uniquement pour se rendre compte que les employés n'avaient pas signé de carte. Le syndicat a reconnu en privé qu'il avait frauduleusement signé les cartes. Il essayait de faire perdre leur emploi à ces personnes parce qu'elles avaient franchi une ligne de piquetage, mais elles n'étaient pas membres du syndicat; il s'agissait de travailleurs syndiqués.
Nous sommes le dernier pays de la planète où vous pouvez perdre votre emploi parce que vous n'êtes pas un membre du syndicat. Aucun autre pays ne le permet. Chaque pays protège les emplois des travailleurs s'ils perdent leur appartenance syndicale, sauf le Canada.
La sénatrice Omidvar : Je dois reconnaître que vos éléments de preuve m'interpellent beaucoup plus que ce qui est dit de la tromperie et de la fraude. Nous essayons de prendre nos décisions en fonction d'un examen équilibré des opinions. J'aimerais que vous me montriez cette recherche de nouveau et que vous me disiez quelle était la taille de l'échantillon.
M. Mortimer : Il s'agissait de 1 000 Canadiens qui travaillaient. La recherche a été effectuée par Léger en deux occasions, et par Nanos en deux occasions.
La sénatrice Omidvar : Quel est le nombre total de gens au Canada qui sont membres d'un syndicat?
M. Mortimer : Environ 4,1 millions de Canadiens sont syndiqués. Au Canada, le taux de syndicalisation dans le secteur privé est d'environ 16 p. 100. On compte aujourd'hui plus de travailleurs syndiqués dans les administrations fédérale, provinciales et municipales que de travailleurs dans le secteur privé. Cette donnée a changé maintenant.
La sénatrice Omidvar : Ma question s'adresse à la Fédération canadienne des contribuables. J'ai œuvré au sein d'organismes de bienfaisance la majeure partie de ma vie. Je trouve la comparaison des syndicats aux organismes de bienfaisance un peu opportune. Les organismes de bienfaisance sont tenus de divulguer chaque année la source de leurs dons et les membres des syndicats obtiennent la source de leurs dons, mais les organismes de bienfaisance ne sont pas tenus d'expliquer en détail l'argent qui a été dépensé et de quelle façon il l'a été pour les montants de plus de 5 000 $.
Je pense aussi que les organismes de bienfaisance sont intrinsèquement différents des syndicats. Les syndicats offrent des services aux personnes qui en sont membres. Si vous prenez votre argumentation, les universités reçoivent des déductions pour dons de bienveillance, tout comme les églises et les clubs philanthropiques, et cetera. Où est-ce que cela se termine, ou s'agit-il d'une sorte de chasse aux sorcières des syndicats dans ce cas-ci?
M. Wudrick : Vous soulevez un point très pertinent. Pour nous, le déclencheur pour le seuil plus élevé est, comme je le dis, lorsque l'argent des contribuables est en cause.
Les syndicats sont réticents à communiquer ce genre de renseignements parce qu'ils soutiennent qu'ils pourraient être sensibles, sur le plan commercial, par exemple. C'est un de leurs arguments.
Pour eux, il y a un conflit entre deux principes : le premier est celui du respect de la vie privée et le second, la transparence. Les organisations ont tendance à privilégier très fortement un principe par rapport à l'autre. Notre organisation devient souvent le sujet de la discussion. Si nous ne divulguons pas les noms de nos donateurs, les gens nous disent : « Comment pouvez-vous exiger que les autres soient transparents, si vous ne l'êtes pas? » Nous répondons à cela que pour nous, le respect de la vie privée de nos donateurs est tellement important que nous sommes prêts à renoncer à tout avantage fiscal.
Je présenterais le même argument. Si les syndicats estiment que ces renseignements sont tellement sensibles qu'ils refusent de les rendre publics et qu'ils sont prêts à renoncer à la déduction fiscale des cotisations, nous ne leur demanderions pas de divulguer ces renseignements. Nous ne pensons pas qu'ils devraient être tenus de les divulguer.
La sénatrice Omidvar : Le Code canadien du travail n'autorise-t-il pas, je crois que c'est autour de l'article 110, les membres d'un syndicat à demander qu'on leur explique comment sont dépensées les cotisations syndicales et qu'on leur communique ces renseignements?
M. Wudrick : La question se pose alors de la façon suivante : que peuvent-ils faire avec ces renseignements? Je ne connais pas très bien les détails. S'ils n'ont pas le droit d'examiner ces renseignements de façon anonyme, alors cela fait problème pour nous.
Par exemple, dans le cas des dépenses des hommes politiques, nous n'exigeons pas que les citoyens se rendent dans une salle pour consulter un registre. Ils peuvent aller en ligne et trouver ces renseignements. Cet anonymat est, à notre avis, très important.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Vos présentations étaient de grande qualité.
Je voudrais comparer le Canada, en matière de transparence syndicale, aux autres pays industrialisés. Hier, je disais à un chef syndical qu'il existe deux grands privilèges qu'on reconnaît aux syndicats, mais, maintenant, je dirais qu'il y en a trois.
La majorité des syndicats au Canada représentent des emplois liés à des institutions municipales, provinciales ou gouvernementales. Par exemple, si les fonctionnaires n'étaient pas syndiqués au Canada, le taux de syndicalisation serait beaucoup plus bas.
Premièrement, s'il y a 50 p. 100 de syndicalisation dans une entreprise, 100 p. 100 vont payer des cotisations. Les cotisations sont déductibles d'impôt et sont payées par la majorité des travailleurs non syndiqués. Deuxièmement, ces gens bénéficient de conditions de travail en termes de permanence d'emploi que la majorité des employés non syndiqués n'ont pas. Il y a donc des avantages majeurs.
Par rapport aux pays industrialisés, en ce qui concerne la démocratisation de nos syndicats et la transparence, où le Canada se situe-t-il par rapport aux autres pays? Le Canada est-il à la queue ou en tête en matière de transparence syndicale?
[Traduction]
M. Mortimer : Nous sommes parmi les derniers. Il existe 32 codes de relation de travail au Canada. Il n'y en a que 10 qui contiennent des dispositions autorisant les membres de leur syndicat à obtenir des renseignements. Il y a beaucoup de Canadiens syndiqués qui ne font pas véritablement partie d'un syndicat. Selon 10 des 32 codes des relations de travail qui contiennent des dispositions en matière de divulgation, si vous n'êtes pas un membre en règle et même si vous payez des cotisations syndicales, vous n'avez droit à absolument rien. Les conseils des relations de travail ont déjà rejeté ce genre de demandes.
Les membres d'un syndicat qui demandent des états financiers antérieurs à l'exercice courant, qui essaient de faire de la recherche, se font répondre : « Non, vous auriez dû demander cela l'année dernière. Vous n'avez pas demandé ces renseignements à temps. » Les syndicats utilisent les cotisations syndicales pour contester ces demandes devant les conseils des relations de travail et ces conseils prennent le parti des syndicats. Il y a des conseils des relations de travail qui ont effectivement pris ce genre de décisions au Canada et qui ont empêché les employés d'obtenir les états financiers syndicaux de l'année précédente.
Je dirai, pour terminer, qu'on ne peut pas dire d'un syndicat qui reçoit environ 60 millions de dollars de cotisations et dont les états financiers sont présentés sous la forme d'une déclaration de revenus d'une page et d'un bilan d'une page, est transparent du point de vue de la personne qui paie des cotisations, et encore moins, de celui du contribuable.
Il y a plusieurs autres pays qui ont adopté des dispositions détaillées. Les dispositions que M. Hiebert a introduites dans ce projet de loi s'inspirent de celles qui ont été préparées par nul autre que le sénateur démocrate John F. Kennedy, qui les a mises en œuvre lorsqu'il est devenu président. Je pense que cela est très significatif.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ma question s'adresse à M. Wudrick et fait suite à la conversation sur les contribuables et aux propos qui se sont concentrés sur le projet de loi C-377.
Pouvez-vous me nommer un pays au monde qui a des mesures de transparence semblables à celle des États-Unis, de la France ou de l'Australie? Il y a six pays au total. Pouvez-vous me dire, parmi ces pays — j'en connais six —, si les documents à remplir sont sous la responsabilité d'un autre ministère que le ministère du Travail? Pouvez-vous me nommer un pays qui exige des syndicats des mesures de transparence équivalentes à celles qui sont exigées des employeurs et des organisations patronales?
Aux États-Unis, voilà ce que ça représente. C'est moins substantiel que ce qui est proposé dans le projet de loi C- 377, et c'est très coûteux. Voilà ma première question.
[Traduction]
M. Wudrick : Je ne suis pas en mesure de vous fournir ces exemples maintenant. Une des principales objections qui a été faite au projet de loi C-377 est qu'il serait beaucoup trop compliqué de rendre publics tous ces renseignements. Cela nous imposerait des formalités administratives trop lourdes et notre organisme n'aime pas beaucoup les formalités administratives.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Pouvez-vous me dire si, dans les pays sur lesquels on s'appuie, c'est le ministère des Finances ou le ministère responsable des relations de travail? Ce que je sais, c'est que, dans tous ces pays, c'est le ministère du Travail qui s'occupe de cette question. De plus, dans tous ces pays, les entreprises et les employeurs sont tous sujets à des dispositions semblables. Ces renseignements sont affichés sur les sites Internet, et j'ai lu les documents. Pouvez- vous me contredire sur ce point, oui ou non? Parce que j'aurais une autre question à vous poser.
[Traduction]
M. Wudrick : Je ne peux pas faire de commentaire sur ce point.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Il y a une autre préoccupation. Aux États-Unis, le coût de tout cela a été évalué. On a beaucoup discuté des coûts liés au projet de loi C-377. Les opinions sont divergentes en ce qui concerne les coûts pour le gouvernement, mais les coûts pour les syndicats ne doivent pas être sous-estimés.
[Traduction]
Le ministère estime que le nombre d'heures moyen qu'il faut consacrer aux déclarations et à la tenue de registre pour ce qui est du formulaire LM-2 des États-Unis est de 710 heures pour un syndicat, la première année et de 539,4 heures, la deuxième année. Au total, si vous faites la moyenne, cela représente pour la première année un montant total de 160 millions de dollars. Au Canada, nous avons davantage de syndicats qu'aux États-Unis parce que dans ce dernier pays, la loi ne s'applique pas toujours. Il y a moins de syndicats, notamment.
[Français]
Lorsque les syndicats doivent payer pour remplir les formulaires, ils augmentent les cotisations. Mais qui paiera le coût de ces cotisations? En partie, elles seront déductibles d'impôt. Dans une certaine mesure, le projet de loi C-377 est très inefficace et augmentera le fardeau fiscal des contribuables. Le contribuable, s'il est syndiqué, pourrait demander l'information à son syndicat et, s'il n'est pas syndiqué, il pourrait peut-être demander à quelqu'un qui est syndiqué de le faire pour lui.
En d'autres mots, l'information pourrait être rendue disponible de manière beaucoup moins coûteuse pour les contribuables. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?
[Traduction]
M. Wudrick : J'estime que les deux arguments que formulent les syndicats sur ce point sont quelque peu contradictoires. D'un côté, ils soutiennent qu'ils fournissent déjà ces renseignements, que leurs membres y ont accès, mais de l'autre, ils soutiennent que la préparation de ces rapports leur coûterait très cher. Je crois qu'il faudrait choisir l'un ou l'autre argument.
Un autre aspect concerne les coûts supplémentaires. C'est ce que je dis toujours lorsque la FCC est favorable à ce que l'on dépense davantage pour quelque chose. Si nous sommes effectivement favorables à certaines dépenses, c'est bien à celles qui touchent la responsabilité financière. Il y a des gens qui demandent : « Vaut-il vraiment la peine d'avoir un commissaire à la déontologie? » Oui, ça vaut la peine d'assumer cette dépense si le coût en est la transparence.
Comme vous le dites, il est possible que les syndicats décident d'augmenter les cotisations pour couvrir ces coûts, mais si l'on ne fait rien, les gens verseront leurs cotisations et ne pourront pas savoir ce qu'on en fait.
Le sénateur Tannas : J'aimerais parler de ce qui me paraît être l'aspect par nature intimidant du système de vérification des cartes. J'ai eu une excellente rencontre avec le capitaine Mark Castonguay qui est ici avec nous aujourd'hui et qui est membre de la WestJet Pilots' Association. Cette association a connu récemment une campagne de syndicalisation. Il parle du fait qu'il avait travaillé pendant quatre jours de suite dans la cabine exiguë d'un aéronef avec un capitaine et un premier officier et que, après avoir quitté l'avion et s'être rendu à l'hôtel, un organisateur syndical lui avait demandé : « Est-ce que vous voulez signer une carte? »
Quelqu'un peut dire : « Oui, j'en ai très envie. Cela fait quatre jours que je ne parle que de ça. De quoi parle cette personne? » Cela correspond au profil des personnes qui ne veulent pas avoir de conflit avec qui que ce soit et qui veulent à tout prix s'entendre. C'est la possibilité qu'offre à ces personnes le scrutin secret.
Nous le savons. Un certain nombre de membres de la GRC ont témoigné au cours de l'examen du projet de loi relatif à la GRC et au sujet des risques d'intimidation en l'absence de scrutin secret, et nous en avons tenu compte.
Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de cet aspect? C'est celui qui me dérange. Je m'en remets à ce que me conseille la sénatrice Lankin. Hier, une organisatrice syndicale a déclaré qu'elle était convaincue que les syndicats avaient recours à l'intimidation dans leurs campagnes de syndicalisation et qu'ils l'utilisaient également avec les employeurs. À mon avis, le principe sacré du scrutin secret place tout le monde sur un pied d'égalité. Je ne voudrais pas faire dire tout cela à la sénatrice Lankin. Que pensez-vous de cet aspect? J'aimerais avoir le point de vue de tous à ce sujet, mais plus particulièrement, celui de la FETCO et de votre association.
M. Hynes : C'est une excellente question. Nous n'avons pas dissimulé le fait que sur ce point, nous appuyons le principe du scrutin secret. Nous pensons que le scrutin secret n'est pas un élément parfait du système démocratique dans lequel nous vivons. Nous estimons toutefois que c'est la façon la plus efficace d'obtenir l'opinion des électeurs sur une question, qui évite tout risque d'influence injustifiée exercée par des agents extérieurs.
Cela dit, je ne pense pas que les employeurs agissent toujours de la meilleure façon. On peut reprocher beaucoup de choses à tout le monde dans ces domaines. Je ne pense pas qu'il existe vraiment un système parfait. Nous allons toutefois maintenir notre position qui est favorable au scrutin; c'est une question de principe pour nous. Lorsque le scrutin a été introduit par le projet de loi C-525, le CCRI a, conformément à ses attributions, resserré les échéanciers prévus pour un certain nombre de processus.
Il existe peut-être une solution qui permettrait de préserver le caractère sacré du scrutin, tout en donnant à ceux qui sont en faveur du système de vérification des cartes la satisfaction de savoir que l'on pourrait également réduire la possibilité que les employeurs exercent des pressions indues. Nous avons resserré les échéanciers. Le code permet de tenir le scrutin dans un lieu autre que le lieu de travail.
On pourrait envisager d'autres solutions qui préserveraient pour l'électeur le caractère sacré du scrutin et qui lui donneraient la possibilité de voter secrètement selon sa conscience.
Le président : Avant de nous quitter, M. Lammam aimerait faire un bref commentaire au sujet de la question qu'a soulevée la sénatrice Bellemare. Est-ce bien exact?
M. Lammam : La question précédente.
Le président : Oui.
M. Lammam : J'aimerais faire une remarque au sujet des règles en matière de divulgation financière que l'on retrouve dans d'autres pays. Il est tout à fait exact que les États-Unis imposent aux syndicats des obligations beaucoup plus strictes et rigoureuses. Cela aura certainement pour effet d'alourdir le fardeau que représentent ces tâches au Canada.
Il ne faudrait pas toutefois perdre de vue la raison pour laquelle il est très important de parler des règles en matière de divulgation financière. Au Canada, encore une fois, les cotisations syndicales peuvent être utilisées pour assumer des dépenses syndicales qui ne sont pas reliées à la représentation des membres, mais à la défense de causes sociales et politiques. C'est une des raisons pour lesquelles les règles en matière de divulgation financière sont très importantes, à la fois pour les travailleurs qui veulent adhérer à un syndicat et pour les travailleurs syndiqués.
Parallèlement aux États-Unis, un domaine qui est en fait administré par le Département du travail, il existe des règles qui permettent aux travailleurs syndiqués de choisir de ne pas verser la partie des cotisations syndicales correspondant à des dépenses qui ne sont pas reliées à leur représentation. C'est ce qui constitue aux États-Unis l'obligation minimale en matière de cotisation. En outre, dans les États qui reconnaissent le prétendu droit au travail, ce qui représente environ la moitié ou un peu plus des États de ce pays, les travailleurs peuvent choisir de ne pas verser les cotisations syndicales qui sont reliées à la représentation. C'est la raison pour laquelle il est très important d'adopter, au Canada, des règles strictes en matière de divulgation financière, parce qu'à l'heure actuelle, les travailleurs n'ont pas accès à ces possibilités.
C'était mon autre remarque. Je serais heureux de vous en dire davantage, si j'ai suffisamment de temps, au sujet de la discussion actuelle.
Le président : Cela se fera peut-être, mais je crois savoir que vous partez dans deux minutes, ce qui rend la chose peu probable. Je vous remercie d'être venu.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J'aimerais savoir si chacun d'entre vous a des renseignements quant à l'incidence du vote secret ou du système de cartes sur l'intimidation que vivent les femmes. On parle d'employés, ce qui semble être un thème neutre, mais ce qui m'intéresse, c'est que, du point de vue des droits de la personne, il y a beaucoup de plaintes de harcèlement sexuel en milieu de travail, tant dans le secteur privé que public.
J'apprécie le fait que vous ayez soulevé cet aspect, monsieur Hynes, parmi les discussions amorcées dans le cadre du plan tripartite. Pouvez-vous nous donner davantage d'information à ce sujet? Je vous remercie.
[Traduction]
M. Hynes : L'exemple que j'ai mentionné n'était pas relié directement à cette conversation. J'en ai parlé comme d'un exemple qui montrait que les parties examinaient cette question dans le cadre du plan tripartite.
Il y en a beaucoup d'autres. L'année dernière, nous avons travaillé sur une question pendant 18 mois. Je travaille sur la question des espaces clos. Cela semble une question abstraite, mais il est important d'aborder les questions reliées à la santé et à la sécurité et aux droits de la personne, telles que vécues sur les lieux de travail, et c'est ce que nous faisons avec le plan tripartite.
Pour répondre à votre question, je dois avouer que je ne sais pas quel pourrait être l'effet d'une telle mesure.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J'aimerais avoir une réponse de la part des deux autres témoins ici devant nous.
[Traduction]
M. Mortimer : Je n'ai pas vu d'étude. Je n'ai pas eu non plus connaissance d'exemples concrets, madame la sénatrice, concernant le point précis que vous soulevez.
M. Wudrick : Ce n'est pas mon domaine de spécialisation.
Le sénateur White : Je vais parler plus précisément du scrutin secret. Notre démocratie repose sur le scrutin secret. Il est intéressant de constater qu'il y a des gens qui n'y sont pas favorables.
Lorsque nous avons examiné le projet de loi C-7, le projet de loi sur la GRC, au cours des huit ou neuf derniers mois, ce n'était pas la principale question qu'ont soulevée les membres de la GRC, les agents assermentés ou les membres civils, mais c'était une de leurs préoccupations. Pour être juste, je dois dire que leur préoccupation allait dans les deux sens et je me demande si vous reconnaissez également que cela va dans les deux sens. L'absence de scrutin secret pourrait influencer le choix de l'organisme qui les représenterait à l'avenir, s'ils pensaient avoir voté pour un autre organisme, mais cela pourrait également influencer leur employeur ou les superviseurs.
Pensez-vous que cela soit une possibilité lorsque l'on pense, en particulier, qu'un organisme pourrait décider d'intervenir dans un certain domaine du travail si ce projet de loi était adopté? En fait, cela pourrait avoir un effet plus rapide que celui du projet de loi C-7. Si des membres votaient pour un autre organisme, pensez-vous que la possibilité de refuser le scrutin secret pourrait avoir un effet sur eux du point de vue des employés? Il n'y a pas que le syndicat ou le syndicat futur éventuel, mais également l'employeur. Avez-vous constaté ce genre de chose auparavant?
M. Mortimer : J'ai bien sûr vu des cas où les employeurs se demandaient si le syndicat reflétait vraiment les souhaits de ses membres parce qu'ils ne savaient pas si les cartes avaient été signées de façon tout à fait libre, sans aucune pression. Il y a des cartes qui sont signées de façon tout à fait appropriée et d'autres qui ne le sont pas.
La GRC est un cas intéressant parce que certains de ses problèmes ont été rendus très publics, notamment le harcèlement sexuel, en particulier pour les agents de sexe féminin. Pendant 16 ans, j'ai pris les appels téléphoniques et les courriels des Canadiens de première ligne qui vivaient une campagne de syndicalisation. Lorsqu'un organisateur syndical se rend chez vous 20 fois au cours de la même fin de semaine, lorsqu'il reste à la porte d'entrée de votre maison et refuse de partir, ce sont peut-être des cas assez rares, mais c'est quand même tragique.
L'intimidation est un aspect qui nous préoccupe. Comment pouvons-nous conserver un système de vérification des cartes quand nous savons qu'il y a eu des abus? Ils sont rares parce qu'il n'y a personne qui est en mesure de les signaler. C'est de là que vient le problème. Je ne suis pas surpris que cela préoccupe les agents de la GRC. Certains veulent un scrutin secret. D'autres veulent réellement se syndiquer et souhaitent que le syndicat soit accrédité. Certains sont prêts à exercer des pressions. D'autres refusent le scrutin secret parce que, pour eux, il est plus important d'avoir un syndicat que d'avoir un vote totalement libre.
La sénatrice Batters : M. Hynes, je vous remercie pour les commentaires importants que vous avez faits aujourd'hui au sujet de l'appui qu'accorde la FETCO au scrutin secret obligatoire pour les travailleurs canadiens. Est-il exact que le projet de loi C-525 est en vigueur depuis deux ans environ?
M. Hynes : Oui, depuis 18 mois à deux ans.
La sénatrice Batters : Je sais que votre temps est limité, mais pourriez-vous nous parler davantage de l'expérience de la FETCO au sujet de la période de 18 mois à deux ans au cours de laquelle a été appliqué le scrutin secret obligatoire prévu par le projet de loi C-525?
M. Hynes : Cette question a été soulevée hier quand Mme Brazeau a parlé de l'expérience de la mise en œuvre du projet de loi C-525. Je dirais qu'il est trop tôt pour en parler. Dix-huit mois se sont écoulés. Il ne s'est pas fait beaucoup de chose aux termes de ce projet de loi. Il serait prématuré de dire si la situation postérieure au projet de loi C-525 est meilleure ou pire que celle qui existait auparavant. Je n'ai pas une connaissance directe de certains cas qui me permettrait de dire si la situation s'est améliorée.
Sur le plan des principes, je peux toutefois vous dire que nous sommes favorables aux éléments que contient le projet de loi. Nous aimerions qu'il continue à s'appliquer pendant quelque temps pour vraiment pouvoir cerner ses répercussions et mieux comprendre comment il est mis en œuvre dans le secteur fédéral.
La sénatrice Batters : M. Hynes, il est possible que le projet de loi C-4 supprime d'autres éléments de ces deux projets de loi particuliers, mais est-ce que vous préféreriez personnellement et est-ce que la FETCO préférerait que soit conservée en droit canadien la disposition relative au scrutin secret obligatoire? On pourrait peut-être envisager une disposition qui prévoirait un examen après quelques années, au cours duquel on reverrait cette question.
M. Hynes : Oui, cela pourrait se faire. S'il demeure des problèmes au sujet du scrutin secret, il est possible que nous soyons amenés à examiner d'autres solutions destinées à répondre aux préoccupations qu'expérimentent ceux qui préfèrent le système de vérification des cartes dans un cadre réglementaire.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Encore une fois, mes questions s'adressent à FETCO Inc. Je suis ravie de constater votre ouverture à permettre des dispositions susceptibles de protéger les employés contre l'intimidation de la part d'employeurs. Néanmoins, aucune mesure n'est prévue actuellement dans la loi afin de permettre cette protection. On sait que le projet de loi C-525 comporte des lacunes importantes.
Ma première question est la suivante. Est-ce que de réelles dispositions sont prévues en ce qui concerne les conséquences que subirait un employeur qui adopterait des pratiques déloyales? Sachant que les syndicats perdent leur accréditation, existe-t-il des sanctions équivalentes pour les employeurs?
Je vous pose aussi ma deuxième question, avec laquelle vous pourriez enchaîner. On n'a pas parlé du processus de retrait de l'accréditation. Le processus qui est prévu au projet de loi C-525 semble alarmant, parce qu'avec 40 p. 100 de signatures, on obtiendrait un vote majoritaire des employés. En d'autres mots, il serait possible de retirer l'accréditation d'un syndicat avec un vote de moins de 50 p. 100 plus un. Est-ce qu'il n'y a pas ici une crainte? Au Québec, le vote était fixé à 50 p. 100 plus un. Quels sont vos commentaires par rapport à ces deux éléments?
[Traduction]
M. Hynes : J'aimerais commencer par la deuxième question. La disposition relative à la révocation de l'accréditation prévoit qu'avec 40 p. 100 des votants, on peut ensuite passer au vote. Il faut que la majorité des membres du syndicat soit en faveur de la révocation de l'accréditation.
La sénatrice Bellemare : Oui, une majorité des votants, pas des employés.
M. Hynes : Oui, une majorité des votants. Nous pensons que cela est raisonnable.
La sénatrice Bellemare : Nous ne le savons pas.
M. Hynes : Comme cela se fait dans le processus d'accréditation, et comme cela se fait également dans le système démocratique avec les personnes qui votent, nous nous basons sur la majorité des votants. D'une façon générale, cela nous paraît tout à fait acceptable. Cela nous paraît équitable. Cela préserve le droit au scrutin secret des employés qui veulent l'exercer.
En outre, je représente un groupe d'employeurs très importants qui sont pour la plupart fortement syndiqués. Dans la FETCO, nous vivons dans un environnement syndical. Notre but n'est pas de révoquer de l'accréditation les syndicats. Notre but n'est pas d'empêcher les activités d'accréditation.
J'aimerais rappeler aujourd'hui aux sénateurs que le scrutin secret reflète un principe important. Lorsqu'il s'agit d'accréditation ou de révocation de l'accréditation, nous pensons que chaque employé a le droit de voter secrètement, selon sa conscience.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Aussi, quelles seraient les conséquences pour l'employeur qui aurait adopté des pratiques déloyales?
[Traduction]
M. Hynes : Je n'ai pas avec moi ces renseignements. Je suis sûr que le Conseil canadien des relations industrielles a les moyens de répondre aux griefs qui lui sont présentés au sujet des pratiques de travail déloyales adoptées par des employeurs, tout comme par des syndicats.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Donc, vous ignorez quelles sont les conséquences pour les entreprises qui adoptent des pratiques déloyales.
[Traduction]
Je pose la question à M. Hynes parce qu'il connaît ce domaine.
M. Hynes : Est-ce que j'ai les obligations précises prévues par le code devant moi? Non. Je pourrais les trouver. Je ne peux pas vous les réciter de mémoire. Le collègue qui se trouve à ma droite possède peut-être de meilleurs renseignements sur cette question.
M. Mortimer : Le Conseil canadien des relations industrielles a le pouvoir de syndiquer, comme il l'a déjà fait, un groupe de travailleurs en raison des pratiques déloyales adoptées par l'employeur. On parle alors d'accréditation automatique ou corrective.
C'est l'arme ultime du conseil. C'est la grande peur qui incite de nombreux employeurs à ne pas adopter de pratiques déloyales parce qu'ils peuvent se retrouver avec un syndicat, s'ils le faisaient. Cela s'est produit dans le secteur réglementé par le gouvernement fédéral de même qu'avec les autres pouvoirs correctifs que le conseil a toujours possédés et qu'il a utilisés contre les employeurs qui adoptent des pratiques déloyales.
Le sénateur Pratte : Monsieur Mortimer, vous avez fourni des exemples très éclairants des tactiques d'intimidation utilisées par les syndicats contre les travailleurs. Étant donné que votre organisation représente les employeurs, avez- vous parlé avec vos membres des mesures visant à empêcher le recours à l'intimidation? Par exemple, avez-vous adopté un code? Étant donné que vous travaillez dans ce domaine, pouvez-vous me dire si vous faites de l'éducation comme le font d'autres organisations pour inciter les employeurs à adopter de bonnes pratiques ou des choses du genre?
M. Mortimer : Depuis notre création en 2000, notre mission a consisté à administrer un site web sur lequel nous affichons les formulaires du gouvernement destinés aux travailleurs canadiens. Nous avons commencé au tout début de l'Internet, à une époque où de nombreux conseils des relations de travail ne fournissaient pas aux travailleurs contribuables les formulaires dont ils avaient besoin.
Nous faisons en réalité ce qu'aucun autre conseil ne fait. Nous fournissons des explications complètes basées sur la loi, le règlement et la jurisprudence des 11 conseils des relations de travail du secteur privé, sur la façon dont un employé peut remplir ses formulaires de façon légale et correcte pour ensuite les déposer. Notre seule mission est de gérer un site web ainsi qu'une ligne de renseignements 1-800 pour répondre aux questions des travailleurs.
Le sénateur Pratte : La réponse est donc non.
M. Mortimer : Cela ne fait pas partie de notre mission et n'en a jamais fait partie. La sénatrice Batters a rappelé le montant exact du budget très limité que nous obtenons, puisque le Conseil du patronat du Québec nous accorde 1 000 $ par an, et c'est la somme qu'il nous fournit pour notre fonctionnement.
Le sénateur Pratte : Seriez-vous prêt à reconnaître que nous pourrions certainement trouver des exemples frappants de manœuvres d'intimidation utilisées par les employeurs contre les employés?
M. Mortimer : J'ai déjà témoigné à ce sujet, mais je crois que le fait qu'il existe des syndicats aux finances solides, des dispositions très complètes et une jurisprudence canadienne dynamique, permet aux conseils de relation de travail de sanctionner les employeurs qui agissent de cette façon. En tant qu'ancien directeur des ressources humaines de grandes sociétés qui ont connu des campagnes d'accréditation, je peux vous dire que nous n'avons jamais été accusés d'adopter des pratiques déloyales parce que nous avons toujours respecté la loi.
Le sénateur Joyal : Hier, la ministre a fait la déclaration suivante dans l'exposé qu'elle a présenté au comité :
Sous ma prédécesseure, la ministre Leitch, mon ministère a entrepris une étude tandis que le projet de loi C-525 faisait l'objet de débats au Parlement. La conclusion de cette étude était que le recours au vote obligatoire a grandement contribué au déclin de la présence des syndicats dans le secteur canadien des entreprises. À l'époque, le gouvernement précédent n'a pas communiqué cette étude aux parlementaires.
Les faits démontrent que l'ingérence des employeurs et, surtout, la crainte des employés à l'égard d'une possible ingérence de leur employeur sont des phénomènes bien réels qui expliquent pourquoi le vote obligatoire contribue à la baisse des taux de syndicalisation au pays. [...]
Voulez-vous commenter cette affirmation?
M. Mortimer : Je vais revenir aux 37 ans d'histoire des relations de travail en Nouvelle-Écosse, une province où il se lance tous les ans des campagnes de syndicalisation, cela se fait tous les ans et les travailleurs continuent à voter en faveur des syndicats dans le cadre de scrutins secrets. Je pense que cela réduit effectivement le taux de syndicalisation parce que, si la syndicalisation s'appuie sur des systèmes utilisés dans les provinces où l'on procède à la vérification des cartes, alors le taux d'accréditation est artificiellement élevé. Je pense que cette étude reflète bien ce que souhaitent les travailleurs.
Il est intéressant de parler de la révocation de l'accréditation. Selon le Code canadien, cette révocation doit donner lieu à un vote alors que ce n'est pas le cas de l'accréditation. Cela est-il juste pour les travailleurs? Comment le plan tripartite a-t-il fonctionné pour les travailleurs? Il a mal fonctionné. Au Québec, lorsqu'on veut désaccréditer un syndicat, toutes les cartes de désaccréditation doivent être déposées auprès du syndicat qui peut alors lancer une campagne, et il le fait; cette campagne consiste à communiquer avec les travailleurs pour essayer de les faire changer d'idée. Les cartes syndicales ne sont toutefois jamais fournies à l'employeur. Elles sont uniquement transmises au conseil des relations de travail. C'est un système biaisé et injuste et c'est une histoire qui s'est répétée dans l'ensemble du pays. C'est ainsi que les travailleurs sont mal servis, sénateur.
Ils ne sont pas représentés à la table tripartite. Ils ne le sont pas du tout. Nous sommes une très petite organisation qui est, oui, financée par les employeurs, mais je vais vous dire, et je suis prêt à le répéter n'importe quand et où que ce soit, et qui essaie de défendre la partie la moins puissante. Ce sont les gens à qui je parle au téléphone ou avec qui j'échange des courriels. Ce sont comme les pilotes de WestJet qui m'ont appelé hier soir et m'ont parlé du fait qu'il était possible que l'ALPA essaie de déposer ses cartes au moment où le projet de loi C-4 entrera en vigueur, alors que les employés ont signé des cartes en pensant qu'ils allaient obtenir un scrutin secret et je ne pense pas que cela va préoccuper l'ALPA. Le problème qui se posera à l'ALPA sera le suivant : faut-il uniquement présenter des cartes qui ont été signées par des pilotes de WestJet après la date d'entrée en vigueur du projet de loi C-4 ou les présenter toutes? Je doute fort que ce soit la première solution qui sera retenue.
Le sénateur Joyal : Monsieur Hynes, voulez-vous commenter cela?
M. Hynes : L'étude qui a été effectuée par le gouvernement précédent a été mentionnée au cours de l'examen du projet de loi C-4 devant le comité de la Chambre des communes. Elle mentionnait qu'une recherche avait été effectuée et que le scrutin secret était susceptible de réduire le taux d'accréditation syndicale.
Je conviens avec mon collègue, M. Mortimer, que, sur le plan des principes, nous pensons que les employés devraient avoir le droit de voter secrètement pour leur syndicat. S'ils le font et que les résultats modifient le taux d'accréditation, alors nous pensons que c'est une conséquence légitime de l'exercice par ces personnes d'un droit démocratique.
La sénatrice Omidvar : Je dois admettre que je suis quelque peu confuse. Lorsque le scrutin est secret, il n'y a pas d'intimidation. Avec le système de vérification des cartes, il pourrait y avoir un autre genre d'intimidation. J'ai lu certaines études et il est exact que le scrutin secret obligatoire a entraîné une réduction du taux d'accréditation syndicale. Ce sont là aussi des preuves.
Nous avons également d'autres preuves. J'ai lu également des études de sciences politiques dont il ressort que la présence de syndicats puissants est étroitement reliée à la réduction des niveaux d'inégalité et à l'adoption de programmes sociaux plus généreux. Autrement dit, à long terme, les gains obtenus par les syndicats sont des gains qui profitent à tous. De votre point de vue, est-ce que les syndicats sont des organismes essentiels, souhaitables ou non souhaitables?
M. Mortimer : Selon ce que me disent les Canadiens syndiqués et selon ce qui ressort de la recherche en particulier, les gens pensent que les syndicats ont joué un rôle essentiel à une certaine époque. Je peux vous dire que la plupart des Canadiens qui ne sont pas syndiqués actuellement ne souhaitent pas vraiment l'être. La propre étude du Congrès du travail canadien effectuée en 2003 le démontre clairement. Cet organisme a recensé toutes les raisons pour lesquelles les Canadiens refusent de signer des cartes et de voter en faveur des syndicats. Une des citations fameuses que l'on trouve dans le rapport — et nous la conservons sur notre site web — est que c'est la crainte des syndicats et non pas la crainte des employeurs qui est le principal obstacle à la syndicalisation. D'après le Congrès du travail, la principale raison était que les syndicats privilégiaient l'ancienneté.
Si nous voulons une certaine forme de société, nous devons alors veiller à ce que les travailleurs, les contribuables et les électeurs puissent vraiment exprimer leur choix. Si nous avons un régime syndical qui a pour effet d'augmenter artificiellement le taux d'accréditation syndicale, et qu'en plus, les syndicats ne sont pas obligés de rendre des comptes sur le plan financier à leurs membres comme cela se fait dans d'autres pays, alors je crois que nous allons avoir un mouvement syndical qui sera extrêmement frustré.
Je vais terminer cette discussion avec cette remarque : les présidents des conseils des relations de travail me disent que les principaux griefs qui sont soumis aux conseils des relations de travail portent sur l'obligation de représenter équitablement les syndiqués. Ce sont des Canadiens syndiqués qui déposent une plainte officielle contre leur syndicat. Ces plaintes sont plus nombreuses que toutes les autres et je crois que, devant certains conseils, cette catégorie se situe au premier rang par rapport à toutes les autres combinées. Voilà qui en dit long sur la situation.
La sénatrice Omidvar : Vous devez reconnaître que les employeurs font également de l'intimidation. Vous semblez affirmer que les syndicats essaient d'intimider leurs membres. Et pourtant, nous savons — et cela a paru dans les nouvelles — que, lorsque les employés de Tim Hortons ont voulu se syndiquer, on a menacé de les congédier, et non pas de ne pas pouvoir se syndiquer. C'est leur gagne-pain qui est en jeu.
M. Mortimer : Ce cas est réel et il existe maintenant une convention collective dans ce Tim Hortons de Winnipeg, dont le franchisé avait adopté des pratiques extrêmement déloyales. Il y a maintenant une convention collective d'une durée de trois ans qui a été conclue avec le conseil des Travailleurs et travailleuses unis du Canada. Je connais bien ces situations.
J'estime, sénateur, que notre régime légal contient des dispositions incroyables. Je suis convaincu que les chefs syndicaux qui ont beaucoup de talent, leurs avocats qui sont très efficaces et les membres de leur personnel qui sont très dévoués vont réagir lorsque des employeurs adoptent des pratiques déloyales.
J'essaie également de vous parler, en tant que quelqu'un qui a longtemps été un chef de file en matière de ressources humaines dans ce pays, du genre de formation que nous avons fournie à cette époque à nos directeurs et au risque qu'ils couraient dans leur poste s'ils adoptaient le genre de pratiques qui ont été utilisées, comme vous l'avez mentionné, à Winnipeg.
Ces travailleurs ont quand même réussi à se syndiquer malgré ce qu'a fait l'employeur. Je pense que ce système fonctionne bien.
J'essaie simplement de dire que les personnes qui ne sont pas représentées sont les Canadiens syndiqués qui souhaitent obtenir un cadre législatif différent et qui n'arrivent pas à l'obtenir parce qu'ils ne siègent pas à la table de la FETCO avec le Congrès du travail du Canada et parce qu'ils ne sont pas ici aujourd'hui. Je suis la seule voix minoritaire.
Le sénateur Sinclair : Hier, le fait que la constitutionnalité de la loi antérieure serait touchée par le projet de loi a été mentionné dans les déclarations de la ministre et celles d'autres représentants du gouvernement. En particulier, il a été fait référence au fait qu'en partie à cause d'un manque de consultation, mais également en raison de l'inconstitutionnalité possible de la loi antérieure, 7 des 10 provinces s'y sont opposées. Il y a, à l'heure actuelle, une poursuite en cours en Alberta dans laquelle la constitutionnalité de l'application de la loi antérieure aux syndicats réglementés et mandatés par les provinces est contestée.
Si la contestation réussit et que la constitutionnalité de la loi est confirmée, il y a néanmoins le risque que la loi entière soit annulée. Même si le tribunal déclare qu'elle s'applique uniquement aux organismes relevant du gouvernement fédéral, la loi antérieure aurait un effet non souhaité puisque l'intention était qu'elle s'applique à tous les syndicats.
Voici ma question : si la constitutionnalité de la loi antérieure soulève des questions, pourquoi ne pas y remédier?
M. Mortimer : Il est toujours possible de soulever des questions au sujet d'une loi. Nos tribunaux ont déclaré dans le passé que certaines lois étaient constitutionnelles et ils les ont par la suite déclarées inconstitutionnelles. La jurisprudence relative au statut du droit du travail a subi un changement fondamental. La trilogie des années 1980 a en fait été infirmée par les décisions relatives aux services de santé et autres, qui ont été rendues depuis.
C'est probablement la partie du projet de loi C-377 que j'ai examinée de plus près, notamment en lisant les décisions de l'ancien juge Bastarache, le témoignage d'un professeur de l'Alberta et la jurisprudence citée.
Les organismes de bienfaisance qui sont réglementés par les provinces sont tenus de divulguer certains renseignements aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada. Aucun organisme de bienfaisance, en fait personne, n'a contesté la constitutionnalité de l'imposition d'une obligation fédérale en matière de divulgation d'états financiers aux organismes de bienfaisance réglementés par les provinces. Le statut attribué aux organismes de bienfaisance par la Loi de l'impôt sur le revenu est très semblable aux dispositions du projet de loi C-377.
Il y a certaines choses qu'il conviendrait d'éclaircir. Lorsque j'étais à l'université, j'ai étudié le droit constitutionnel américain ainsi que les changements fondamentaux qui se sont produits dans la jurisprudence au cours des décennies passées, et je souscris à l'opinion du juge Bastarache selon laquelle le projet de loi C-377 était constitutionnel et aurait résisté à une contestation. Les personnes qui ont critiqué cette mesure n'ont pas cité une seule décision. Il l'a fait. Lorsqu'ils ont contesté l'aspect respect de la vie privée de ce projet de loi, ils n'ont pas cité une seule décision.
Nous avons entendu toutes sortes de déclarations, sénateurs, qui n'étaient que de simples déclarations. Elles ne reposaient pas sur les décisions de notre Cour suprême ou sur des dispositions légales. Il s'agissait plutôt d'une campagne de dénigrement du projet de loi qui a été lancée par certains partis politiques.
Le sénateur Sinclair : Par opposition à ce qui se passe à l'heure actuelle, j'imagine.
M. Mortimer : Non, parce que j'ai estimé que le juge Bastarache avait étayé ses conclusions sur la jurisprudence. C'est ce qu'a également fait le professeur de l'Alberta. Je dois avouer que ce sont les deux seules personnes qui ont cité cette jurisprudence pendant toute cette période.
Il est néanmoins possible que je me trompe, dans le cas où il existerait un mémoire ou des études présentées au cours d'une autre séance au sujet du projet de loi C-377 qui contrediraient cette affirmation. J'ai lu tous les comptes rendus des séances du comité. J'ai lu presque tous les mémoires. J'ai passé beaucoup de temps à lire de moi-même tous ces documents pour pouvoir être sûr de ce que je disais. Si je n'étais pas convaincu de ce que j'affirme, sénateur, je n'affirmerais rien. Je dirais le contraire.
M. Hynes : Les commentaires que je vais faire aujourd'hui portent uniquement sur l'autre partie du projet de loi C-4 qui est le projet de loi C-525, de sorte que je n'ai pas de point de vue particulier sur le projet de loi C-377.
M. Wudrick : Pour ce qui est de la constitutionnalité, M. Mortimer a fait remarquer que la question n'était pas claire. Il y en a qui affirment que certaines parties du projet de loi sont inconstitutionnelles, mais nous n'en sommes pas certains. Un juge de la Cour suprême a préparé une opinion dans laquelle il disait que ce projet de loi était constitutionnel et il convient, à notre avis, de lui accorder une grande force probante.
Cela dit, notre appui au projet de loi a pris la forme d'un tout ou rien. Lorsqu'un projet de loi est rendu devant votre comité, nous craignons beaucoup d'en arriver à jeter le bébé avec l'eau du bain. Le projet de loi comporte évidemment certains défauts, mais les principes sur lesquels il repose n'ont pas perdu de leur importance.
Je veux être prudent, compte tenu de l'opinion qu'a mon organisation sur un Sénat non élu, de sorte que je ne dirais pas qu'il incombe au Sénat d'apporter ces changements, mais sur le plan des principes, je ne suis pas du tout opposé à ce que nos représentants élus effectuent ces changements.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Monsieur Mortimer, j'aimerais corriger une impression : est-ce que Merit Canada est bien membre de votre conseil d'administration?
[Traduction]
M. Mortimer : Merit Canada n'est pas membre d'Infotravail.
La sénatrice Bellemare : Elle apparaît sur votre site web, Merit Contractors Association.
M. Mortimer : Non, il s'agit de Merit Saskatchewan, une association provinciale. Karen Low, la directrice exécutive, siège à notre conseil d'administration. Merit Canada, en tant qu'organisme, n'a jamais été membre d'Infotravail. J'aimerais beaucoup qu'elle en soit membre, mais elle n'a jamais pris cette décision et ne nous a jamais donné son argent; certaines de ses associations provinciales sont membres d'Infotravail mais ce n'est pas le cas de toutes.
Le président : Messieurs, je vous remercie d'avoir comparu aujourd'hui, et d'avoir alimenté notre débat sur ce projet de loi. Nous l'apprécions beaucoup.
Voilà qui termine nos travaux pour cette semaine. Mercredi prochain, nous allons faire l'étude article par article de ce projet de loi et jeudi, nous allons débuter nos audiences au sujet du projet de loi C-224, que l'on appelle également la loi du bon samaritain.
(La séance est levée.)