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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 28 - Témoignages du 11 mai 2017


OTTAWA, le jeudi 11 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent aujourd'hui les travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel. Aujourd'hui, pendant la première heure, nous accueillons Devon MacFarlane, directeur, Santé arc-en-ciel Ontario, du Centre Santé Sherbourne, et Marni Panas, conseillère en matière de diversité et d'inclusion et leader communautaire, de Marni Pas Consulting. Merci à vous deux de vous être présentés ici aujourd'hui.

Madame Panas, nous allons vous laisser pour commencer faire votre déclaration préliminaire; j'aimerais vous rappeler à tous deux que vous êtes priés d'avoir fini en cinq minutes.

Marni Panas, conseillère en matière de diversité et d'inclusion et leader communautaire, Marni Panas Consulting : Je m'appelle Marni. Je suis coresponsable du travail touchant la diversité et l'inclusion pour l'un des plus importants employeurs du Canada. Je suis une femme, je suis un père, je suis transgenre. J'ai reçu à la naissance le sexe d'un homme, mais j'ai toujours été une femme.

L'identité de genre reflète le genre que nous nous reconnaissons dans notre for intérieur. Je ne peux pas savoir simplement en vous regardant quelle est votre identité de genre.

Le président : Pourriez-vous ralentir un petit peu, pour les interprètes?

Mme Panas : L'expression de notre genre a trait à la manière dont nous voulons montrer notre genre au monde. Et même là, je ne peux pas faire des hypothèses. Je n'ai moi-même commencé à exprimer mon genre véritable qu'après ma transition, lorsque j'avais 42 ans.

Les termes « expression de genre » et « identité de genre » sont à l'opposé l'un de l'autre, et la discrimination qu'ils suscitent est différente dans les deux cas. Ces deux termes doivent être intégrés aux motifs de protection de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La plupart des provinces et territoires prévoient désormais des mesures de protection pour les gens des minorités sexuelles. Cela prouve qu'aucun argument s'opposant au projet de loi C-16 n'est légitime. Les habitants de ces provinces ont conservé tous leurs droits même si les lois accordent les mêmes protections et ouvrent les mêmes débouchés aux transgenres, aux personnes bispirituelles et à celles de diverses identités de genre. On pourrait être très perplexe et déconcerté de ne pas retrouver les mêmes protections dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Si ces protections ne sont pas incluses, on se retrouve devant une mosaïque à laquelle il manque des pièces. Cela voudrait dire qu'un client, dans une banque de l'Alberta, est protégé contre la discrimination, mais que le commis qui le sert ne l'est pas.

Il y a encore au Canada des transgenres qui sont pratiquement forcés de se faire stériliser, de subir une intervention médicale, tout simplement pour être conformes à leurs pièces d'identité et ainsi avoir accès aux mêmes droits et privilèges que les autres Canadiens.

Les gens transgenres seront toujours la cible d'une violence extrême, tant au Canada qu'à l'étranger. Les crimes commis contre nous ont tendance à être plus violents et horribles que les crimes commis contre tout autre groupe de personnes. Aux États-Unis, une femme transgenre sur 12 risque d'être assassinée, dans bien des États, et cette tendance a été observée avant que l'administration actuelle ne supprime les protections que le gouvernement fédéral assurait aux transgenres américains. On estime que la majorité des crimes à caractère haineux visent des gens transgenres et pourtant, nous ne disposons d'aucun mécanisme pour le signalement, le suivi ou la mise en accusation dans le cas des crimes motivés par la haine qui sont commis au Canada.

Ceux qui s'opposent au projet de loi soutiennent souvent que le fait de protéger les gens transgenres entraînerait d'une manière ou d'une autre un risque pour les femmes et les enfants. Il est ridicule de penser qu'une personne qui voudrait s'en prendre à une autre attend, pour donner libre cours à sa violence, que vous changiez quelques mots dans un texte de loi ou une affiche sur la porte d'une toilette.

Si vous désirez sincèrement protéger les gens, vous devez adopter le projet de loi C-16 dans sa forme actuelle, puisque, je vous l'affirme, la personne qui est la plus susceptible d'être agressée, violée ou assassinée dans un lieu public, c'est moi, une femme transgenre. La société est bien plus dangereuse pour les transgenres que les transgenres ne le sont pour la société.

Ensuite, prétendre que la modification du Code criminel du Canada tient à une question de liberté d'expression, c'est se servir d'un argument bidon pour effrayer les gens, alors qu'il n'y a rien à craindre. Cette modification vise à protéger un des groupes de personnes des plus marginalisées de notre pays. Il ne vous prive pas du tout de votre droit de dire ce que vous pensez, pas plus que les protections ajoutées visant la race, la religion, l'orientation sexuelle et la déficience ne vous privent de ce droit. Ce n'est pas parce que vous vous servez délibérément du mauvais pronom que vous êtes un criminel. Vous manquez de respect, tout simplement, mais si vous nous agressez, que vous nous tuez ou que vous incitez d'autres personnes à le faire, tout simplement parce que nous sommes qui nous sommes et que nous ne trouvons pas notre juste place dans les genres définis par la société, c'est une autre histoire. Il ne faut pas que les gens qui s'opposent à ce projet de loi pour des motifs inventés de toutes pièces vous convainquent de ne pas protéger une partie de votre population contre les risques tout à fait réels auxquels nous faisons face chaque jour.

Le président : Moins vite, s'il vous plaît.

Mme Panas : Nous n'allons pas observer une baisse des taux de suicide ou des cas de discrimination ou de violence à l'encontre des gens de minorités de genre dès le lendemain de l'adoption de la loi, mais il s'agit d'une étape essentielle et nécessaire qui suscitera une normalisation du discours touchant les gens transgenres, qui fera reconnaître que nous existons, que nous sommes des humains comme tous les autres et que nos désirs, nos besoins et nos droits sont les mêmes que les vôtres; que nous ne sommes pas une menace pour la société et que nous avons beaucoup de choses merveilleuses à offrir à notre collectivité; que nous méritons d'être respectés, protégés et chéris en tant que citoyens canadiens et aussi en tant qu'êtres humains, car, tout comme vous, nous ne voulons rien de plus que d'assurer la subsistance de notre famille, pouvoir étudier, occuper un emploi intéressant et contribuer à notre collectivité; que nous faisons partie d'un groupe peu nombreux et vulnérable de gens qui essaient tout simplement de survivre dans une société qui aurait peut-être préféré que nous n'existions pas; nous sommes des parents et, dans mon cas, je ne désire rien de plus que de voir mon fils de 10 ans grandir dans un pays qui lui offre les mêmes occasions de prospérer qu'à tout le monde, peu importe ce qu'il est ou ce qu'il deviendra, puisque ce petit garçon désire tout simplement que son père, la femme qui se trouve devant vous, connaisse le bonheur, soit en santé et puisse échapper à toute discrimination, intolérance, violence et haine.

Il faut absolument que vous adoptiez le projet de loi C-16 sans le modifier, et que vous le fassiez le plus rapidement possible. Dans un monde dominé par l'intolérance, l'injustice et la haine, vous avez l'occasion et l'obligation de faire honneur aux valeurs fondamentales de notre pays, de donner l'exemple au reste du monde et de faire savoir aux plus vulnérables des Canadiens qu'ils sont les bienvenus, ici, qu'ils sont chez eux et en sécurité, ici, car ce sont des formules que les personnes transgenres comme moi entendent rarement.

Merci.

Le président : Bien en deçà de cinq minutes.

Je dois préciser que les deux témoins m'ont demandé d'être appelés par leurs prénoms, et je vais respecter leur désir. Devon, vous avez la parole.

Devon MacFarlane, directeur, Santé arc-en-ciel Ontario, Centre Santé Sherbourne : Merci. Merci de me recevoir ici aujourd'hui. Je suis venu en tant que directeur de Santé arc-en-ciel Ontario pour discuter de l'incidence des droits de la personne sur la santé.

Les répercussions du projet de loi C-16 sur la santé des personnes trans sont rien de moins que critiques. La santé ne tient pas seulement à notre génétique, au nombre de fois que nous consultons un médecin ou à nos habitudes. Le revenu, l'emploi, le logement et les soutiens sociaux sont aussi des facteurs importants, en particulier pour les personnes trans qui, comme nous l'avons déjà entendu, vivent la discrimination dans tous ses aspects. De plus, nous sommes régulièrement la cible de harcèlement et de violence fondés sur l'identité.

Les lois sur les droits de la personne protègent les gens, d'une part, parce qu'elles existent et qu'elles donnent le ton au climat social. En adoptant le projet de loi C-16, nous enverrons un message clair aux Canadiens, pour leur dire que les personnes trans ont de la valeur et qu'il vaut la peine de les protéger, dans la société. Cela enverra également un message aux personnes trans en leur disant que nous pouvons vivre en toute sécurité dans un pays où nous sommes chez nous.

Des études réalisées aux États-Unis ont révélé que, dans les États qui ne protègent pas explicitement leurs droits, les lesbiennes, les homosexuels et les personnes bisexuelles avaient des problèmes de santé mentale beaucoup plus importants — je parle d'anxiété, de dépression chronique et de trouble de stress post-traumatique — que les personnes de leur communauté vivant dans des États où elles étaient protégées. Dans les États n'offrant aucune protection, ces personnes étaient aussi bien plus susceptibles de présenter plusieurs troubles en même temps. Autrement dit, les lesbiennes, les homosexuels et les personnes bisexuelles des États offrant une protection explicite étaient en meilleure santé. Si vous voulez mon avis professionnel, les personnes transgenres du Canada seront au bout du compte elles aussi en meilleure santé si le projet de loi C-16 est adopté.

Pensons à ce qui se passe dans les milieux de travail. Si l'on dit que 900 000 Canadiens environ travaillent dans des secteurs sous réglementation fédérale, on pourra dire qu'environ 5 000 sont des personnes transgenres. À l'heure actuelle, elles ne bénéficient d'aucune protection juridique explicite pour les cas où elles feraient l'objet d'une discrimination fondée sur l'identité de genre dans leur milieu de travail.

Il y a très longtemps, j'ai moi-même craint de m'engager sur le chemin de la transition, de peur d'être renvoyé. J'ai fini par trouver un jour le courage d'aller de l'avant. Des années plus tard, lorsque ma transformation était visible et que des mises à pied étaient effectuées dans mon milieu de travail, j'ai de nouveau eu peur. J'ai cherché d'autres emplois, à gauche et à droite, et j'ai bien vu que les gens réagissaient à mon apparence, et cela me donnait des raisons de craindre que je ne sois pas traité équitablement si je changeais de travail. Pour le meilleur et pour le pire, cette crainte m'a convaincu de ne pas changer d'emploi.

L'étude menée par Trans PULSE a révélé que, tout comme moi, 17 p. 100 des participants avaient refusé une offre d'emploi en raison de craintes liées à leur sécurité, que 13 p. 100 avaient été renvoyés parce qu'ils étaient des personnes trans et que 15 p. 100 encore soupçonnaient avoir été renvoyés pour cette même raison.

Je sais qu'on a beaucoup discuté de la question des toilettes, ici, et que cette question n'a pas vraiment une grande pertinence au regard de ce projet de loi. Les motifs sont limités. Toutefois, si on pense au malaise des personnes qui n'ont pas changé de genre, on pense rarement au fait que les deux tiers des personnes trans évitent les lieux publics comme les toilettes de crainte d'être victimes de harcèlement ou de violence. La plupart des personnes trans ici présentes aujourd'hui ont probablement vécu une mauvaise expérience dans des toilettes et elles n'oublient pas à quels endroits elles peuvent se soulager en paix. Il est vraiment inconfortable, voire carrément douloureux, d'avoir à se retenir quand on ne peut pas trouver des toilettes où on se sent en sécurité.

Et cela a des conséquences sur la santé. Selon une étude réalisée aux États-Unis, 54 p. 100 des personnes transgenres ont souffert de problèmes comme la déshydratation ou les infections urinaires ou rénales; 6 p. 100 d'entre elles ont dû consulter un médecin.

Pouvez-vous vous imaginer ça, devoir vous priver d'eau de crainte de ne pas trouver de toilettes où vous vous sentiriez en sécurité? Ou encore que vous devez consulter un médecin parce que vous vous êtes trop retenu? En tant que personne trans, cette situation m'afflige et m'indigne. En tant qu'administrateur d'un service de santé, je trouve déplorable que le secteur de la santé doive dépenser de l'argent pour régler des problèmes causés par la discrimination, des problèmes tout à fait évitables.

Nous ne pouvons pas parler des personnes trans du Canada sans parler de l'épidémie de violence à laquelle nous faisons face, et bien des témoins en ont parlé avant moi. L'expérience de la violence est douloureuse tant sur le plan mental que sur le plan physique, et elle est encore plus douloureuse lorsqu'elle tient à l'identité. L'étude menée par Trans PULSE a révélé qu'un cinquième des participants avaient subi une agression physique ou sexuelle en raison du fait qu'ils étaient des personnes trans. La violence contre les personnes trans est souvent particulièrement brutale, et représente un risque plus élevé que d'autres formes d'agression. Les femmes trans membres d'une minorité visible sont les plus à risque.

À la lumière de tout cela, sous l'angle de la santé de la population, il est urgent, et c'est indiscutable, d'adopter le projet de loi C-16. Cela fait 12 ans que le Canada réfléchit à des projets de loi sur les droits des personnes trans, et, entre le concept initial et le dépôt des projets, de nombreuses vies ont été brisées ou perdues en raison de la discrimination ciblant les personnes trans, à qui aucun recours judiciaire fondé sur l'identité de genre n'est accessible. Si vous adoptez le projet de loi C-16, vous enverrez à tous les Canadiens un message indiquant qui est précieux, qui il vaut la peine de protéger et qui a le droit de respirer.

Merci.

Le président : Merci. Nous allons commencer nos questions en donnant la parole au vice-président, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins de s'être présentés ici aujourd'hui. Je n'ai qu'une seule question. En ce qui concerne l'épidémiologie, nous allons recevoir dans quelques instants une experte, Mme Bauer, et je vous vois hocher la tête; vous savez exactement de quoi je parle.

La deuxième chose dont j'aimerais que vous me parliez, c'est l'arrêt faisant autorité au Canada pour la reconnaissance de ce dont nous parlons, les statistiques vitales — le permis de conduire, d'autres renseignements personnels quelconques —, c'est-à-dire la décision XY c. Ontario, qui remonte à 2005. Il semble que les autres provinces se conforment à cette décision lorsqu'il est temps de reconnaître et de respecter le genre d'une personne.

Pourriez-vous nous parler un peu plus, Devon, puisque vous avez parlé de santé, de Mme Bauer et des progrès qui ont été réalisés en Ontario quant à la reconnaissance de ce dont vous parlez ici aujourd'hui?

Devon MacFarlane : Le progrès touchant la reconnaissance du genre des gens sur les documents juridiques et les documents d'identité?

Le sénateur Baker : Oui.

Devon MacFarlane : Il est très important de pouvoir afficher les indicateurs de genre, qui reflètent l'identité de genre des personnes. La raison en est que cela protège la sécurité des personnes. D'une part, quand je présente mes documents d'identité, s'ils portent un F ou un M et que cet indicateur ne correspond pas à mon identité de genre, à la façon dont je me présente, cela me désigne comme une personne trans et cela m'expose au risque de violence. C'est un pas très important pour la protection de la sécurité et de la vie des personnes trans.

Le sénateur Baker : Et pourriez-vous commenter le travail qu'effectue Mme Bauer en Ontario?

Devon MacFarlane : C'est un travail sans précédent ailleurs dans le monde, et il est absolument vital. De nombreuses sources en parlent. Ce travail a été appliqué partout au Canda et ailleurs dans le monde. Il est certain que, au Canada, il a permis de comprendre la situation des personnes trans.

Le sénateur Plett : Mes questions s'adressent tant à Marni qu'à Devon. L'expression de genre désigne la façon dont une personne affiche publiquement son genre, ce qui peut comprendre le comportement et l'apparence extérieure, par exemple les vêtements, les cheveux, le maquillage, le langage corporel et la voix. Le projet de loi inscrit explicitement l'expression de genre dans le Code criminel, parmi les groupes identifiables.

À l'heure actuelle, un groupe identifiable, c'est une section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l'origine nationale ou ethnique, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle ou la déficience mentale ou physique. Une personne qui serait accusée en application de la disposition sur les crimes haineux devra avoir manifesté un préjugé, un préjudice ou de la haine à l'égard de ce groupe identifiable.

Même si ce n'est pas explicitement clair, on pourrait faire valoir que les personnes transgenres font partie d'un groupe identifiable, en raison de leur identité de genre. Toutefois, l'expression de genre ne s'applique pas à un groupe quelconque. Tout le monde exprime son genre, et on ne peut d'aucune façon associer une catégorie d'expression à un groupe. De fait, l'organisme Egale Canada a lui-même fait savoir que l'expression de genre était une préoccupation. Comment pouvez-vous soutenir que l'expression de genre — non pas l'identité de genre, mais l'expression de genre — peut s'appliquer à un groupe identifiable?

Devon MacFarlane : Tout d'abord, j'aimerais vous dire, mesdames et messieurs les sénateurs ici présents, vous ne le savez peut-être pas, mais, jeudi dernier, Egale a fait une déclaration pour dire expressément que l'organisme appuyait l'inclusion de l'expression de genre dans ce projet de loi, ce qui clarifie ses déclarations précédentes.

Il est vraiment important d'inclure l'expression de genre dans ce projet de loi, pour de nombreuses raisons. D'une part, l'identité des gens évolue au fil du temps, ce qui signifie qu'une personne, avant d'adopter une identité de transgenre, ou avant de l'afficher dans le monde, peut explorer comment elle se présentera en société. Par exemple, au cours des années où j'avais vraiment une apparence androgyne, sans me présenter encore comme une personne trans, j'aurais été protégé au motif de l'expression de genre, si quelqu'un m'avait agressé.

Mme Panas : Permettez-moi d'ajouter que, pendant 42 ans, j'ai caché la vérité, le fait que j'étais une femme transgenre, une personne transgenre. J'ai dû lutter pendant toutes ces années, et vous n'auriez pas pu dire, en me regardant, quelle était mon identité de genre. Dès le moment où j'ai dit que j'étais une personne transgenre, j'ai tout de suite fait face à des niveaux de discrimination extrêmes.

Quand on commence à exprimer son genre, on fait face à des types de discrimination assez différents, et aussi très distincts. Ce sont deux choses différentes, parce que mon identité, c'est qui je suis; c'est interne. C'est impossible à voir. Je ne peux pas vous regarder, même si vous étiez tous nus, et savoir quelle est votre véritable identité de genre. Mais, dès le moment où vous décidez d'exprimer cette identité, le niveau de discrimination change.

Ce sont des choses différentes, et c'est pourquoi il faut les inclure toutes les deux comme des motifs de protection, puisque ce sont des aspects très distincts et que les niveaux de discrimination sont assez différents, nous en faisons l'expérience.

Le sénateur Plett : Donc, il faudrait qu'il y ait dans le Code criminel une disposition qui me permette de ne pas m'exprimer de la façon dont je voudrais le faire? Si mes cheveux sont coiffés d'une certaine manière, je ferais partie d'un groupe identifiable? Je ne vous suis pas. Encore une fois, avec l'identité de genre, vous avez tous les deux choisi de vous présenter d'une certaine manière, et je le respecte, mais c'est très facilement identifiable. L'expression de genre n'est pas identifiable.

Mme Panas : Votre question elle-même, la déclaration que vous avez lue sur la façon dont nous nous présentons, nos vêtements, notre maquillage, nos pièces d'identité, tout ça, c'est une expression de notre genre. Vous avez dit vous- même cela, dans votre question, vous l'avez défini à notre intention, et c'est déjà identifiable.

Le sénateur Plett : Je ne suis pas d'accord pour dire que cela fait un groupe, mais je vous remercie, monsieur le président.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux d'être venus. Je suis heureuse de vous voir. Ça prend beaucoup de courage pour s'afficher publiquement.

Nous avons reçu hier un certain nombre de témoins, et l'après-midi... et la soirée ont été très intéressantes. C'était très dur pour moi, hier soir, étant donné que, quand j'étais une jeune fille, l'origine ethnique ne faisait pas partie des droits de la personne. Je ne faisais pas non plus partie du Canada. Mais quand nous sommes arrivés ici et que l'origine ethnique a été inscrite dans les lois sur les droits de la personne, je ne sais pas comment vous dire quelle différence cela a fait. Cela a fait en sorte que nous étions protégés. Pour moi, c'est la même chose. C'est une évolution. Nous sommes une société très ouverte, c'est-à-dire que nous nous respectons les uns les autres, et, à mon sens, c'est tout simplement une progression naturelle. Nous aurions dû le faire plus tôt. Nous avons attendu trop longtemps. Un de mes collègues a demandé pourquoi cela avait pris tellement de temps, mais cela s'est fait progressivement. Je ne suis pas fière de voir que cela a pris tant de temps, mais nous sommes rendus là.

J'aimerais vous demander à tous les deux — notre temps est limité — ce qui se passerait si le projet de loi était adopté et ce qui se passerait, s'il ne l'était pas.

Mme Panas : Si vous me permettez, je vais commencer. Merci de poser la question et merci de votre honnêteté. Je crois que le mot « courage » est très intéressant. Ce n'est pas parce que je suis courageuse que je suis ici. Les gens courageux, ce sont ceux qui se cachent toujours et qui vivent quotidiennement un conflit intérieur pour exprimer ce qu'ils sont, parce qu'ils craignent de perdre leur famille, de perdre leurs parents, de perdre leur emploi, de vivre dans une société qui préférerait qu'ils n'existent pas du tout, qui craignent d'aller aux toilettes et de se faire tabasser par une personne qui refuse de les accepter. C'est ça, le courage : vivre dans la peur et l'assumer. Ici, c'est facile. Je respecte ce fait.

Je comprends que vous avez entendu hier des témoignages vraiment troublants qui vous ont mis très mal à l'aise. Et il faut que cela vous mette mal à l'aise, mais vous avez pu vous en échapper, hier. Vous avez pu vous en aller et réfléchir à tout cela. Les personnes transgenres, les personnes qui ont entrepris ce parcours, entendent tout cela tous les jours, dans tous les aspects de leur vie. Nous ne pouvons pas y échapper.

Ce que ce projet de loi signifiera, pour moi, c'est que nous serons nous aussi reconnus dans notre pays. Nous aurons droit à des protections et, si nous perdons notre emploi en raison de notre identité, nous aurons des recours. À l'heure actuelle, nous n'avons rien de cela. C'est un exemple, mais, personnellement, je pourrai sentir que je suis un être humain, que j'ai, comme toutes les personnes ici présentes, l'occasion de m'épanouir, dans mon pays. On ne peut pas dire cela aujourd'hui.

Devon MacFarlane : Si je réfléchis à ce que m'ont dit mes amis et mes collègues au sujet de ce que signifiera le projet de loi pour eux, je dirais qu'il leur enlèvera un poids des épaules. Ils sauront que notre gouvernement les appuie. En tant que personne, je me sens très vulnérable, si le gouvernement ne me reconnaît pas. Je crois donc que cela enlèvera un poids de nos épaules et que nous saurons qu'en effet, notre gouvernement croit que nous avons le droit d'exister, c'est très simple et c'est très profond.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à Marni Panas. Compte tenu des témoignages entendus jusqu'à maintenant, on est loin d'un consensus sur l'appellation qui devrait être adoptée. Devons-nous utiliser « identité de genre », ou « expression du genre »? Peu importe, je suis convaincu que cela ne sera pas facile à mettre en œuvre. Auriez-vous une préférence dans le but d'amenuiser l'ambiguïté que cela provoque?

[Traduction]

Mme Panas : Merci beaucoup de poser la question. Il semble en effet y avoir une certaine ambiguïté, une confusion quant à la façon d'utiliser identité de genre et expression de genre, mais de nombreuses provinces du Canada ont déjà adopté des motifs qui y sont liés expressément. Je viens de l'Alberta, et l'identité de genre et l'expression de genre ont été ajoutées explicitement à titre de motifs de discrimination en décembre 2015, grâce au projet de loi 7. Il n'y a pas de confusion à ce sujet. Les mesures de protection ont été adoptées, et cela est très clair.

Nous parlons ici d'hypothèses, mais je crois que, dans tous les pays qui ont prévu ce type de protection, nous n'avons pas connu les problèmes auxquels vous pensez peut-être.

Le sénateur Joyal : Bienvenue. Comme vous le savez, le projet de loi vise, essentiellement, des activités relevant de la compétence ou du pouvoir du gouvernement fédéral. Selon votre expérience, ou à votre connaissance, y a-t-il des exemples de la discrimination qu'exerceraient des organismes fédéraux, en connaissez-vous, que ce projet de loi, s'il est adapté, permettra de corriger?

Mme Panas : Oui; j'en connais beaucoup en fait. Le ministère des Transports pourrait me refuser l'embarquement si mon apparence de femme ou d'homme ne correspond pas assez parfaitement au genre indiqué sur mes pièces d'identité. Voilà un exemple. Il y a aussi Passeport Canada. De nombreux Canadiens réussisent à obtenir un passeport qui reflète leur véritable identité de genre, grâce aux protections offertes dans leur province ou territoire de résidence, mais il y a des Canadiens pour qui c'est impossible, alors il y a là un écart. Je crois que les recherches de Mme Bauer sont limpides. Quand on pense que 13 p. 100 des personnes transgenres ont perdu leur emploi précisément parce qu'elles sont des personnes trans, peu importe que ce soit un gouvernement provincial ou un gouvernement fédéral qui leur offre une protection, et il est évident que cette discrimination existe. Et ce sont là trois exemples seulement de ce que nous vivons tous les jours.

Devon MacFarlane : L'un des exemples les plus criants en ce qui concerne la vulnérabilité des personnes, dans notre société, c'est la situation des personnes trans dans les prisons fédérales. À l'heure actuelle, je crois savoir que le Service correctionnel du Canada a entamé des consultations pour savoir quelles politiques il devrait adopter. À l'heure actuelle, les personnes trans ne sont pas protégées comme elles devraient l'être, et c'est pourquoi j'ai bien hâte que le projet de loi soit adopté, ce qui protégerait les citoyens les plus vulnérables de notre pays.

Mme Panas : Et cela nous ramène à la mosaïque de mesures de protection. Une personne incarcérée dans une prison provinciale de l'Ontario qui est transférée dans une prison fédérale verra complètement chambouler ces droits et protections.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, le projet de loi simplifierait les choses quant aux mesures de protection offertes à l'échelon provincial ou à l'échelon fédéral à une personne trans, dans son emploi. Je pense principalement à l'emploi, ici. Je pense à la situation des gais qui ont été expulsés de la fonction publique dans les années 1960 ou 1950. Comme vous le savez, il était possible de renvoyer une personne reconnue comme étant homosexuelle. On estimait que cette personne représentait un risque pour la sécurité, parce qu'on croyait qu'elle n'était pas capable d'offrir un service neutre au public, et tout ça.

Pensons par exemple à ce qu'étaient nos relations avec les homosexuels et à la situation du Canada aujourd'hui, où il peut y avoir un premier ministre gai, des ministres fédéraux gais, un maire gai, et tout le reste; aujourd'hui, personne ne se demande plus s'ils sont capables de faire le travail que le public leur a confié.

Ce projet de loi est un signal très important visant la normalisation, si vous me passez l'expression, du rôle et des responsabilités publiques que les personnes trans peuvent assumer. Une personne trans, pas plus qu'une personne homosexuelle, ne devrait être empêchée de se présenter à des élections. Je ne vais pas donner de noms, mais il y a sur la scène politique du Canada toute une série d'homosexuels qui ont été élus et réélus, des personnes que le public apprécie beaucoup. Je ne vois pas pourquoi les personnes trans n'auraient pas elles aussi la possibilité de demander la confiance du public et d'assumer des responsabilités et des tâches publiques.

Le gouvernement fédéral doit, c'est certain, revoir les règlements, les pratiques et les interprétations de ce que constituent de bonnes pratiques, dans le domaine public, comme je le dis toujours. Avez-vous communiqué avec des fonctionnaires pour parler des règlements du gouvernement et des pratiques administratives générales pour vous assurer que ces lois et règlements fédéraux sont harmonisés avec le statut au regard de l'égalité que le projet de loi se propose d'assurer?

Devon MacFarlane : Non, pas encore, mais je le ferais avec plaisir.

Mme Panas : Des fonctionnaires des services de protection, ou des services correctionnels, ont communiqué avec moi, et je vais collaborer avec la direction de l'administration publique fédérale, en juin, pendant deux ou trois jours, dans le cadre de sa conférence.

Vous avez parlé entre autres d'égalité. L'égalité des droits n'est pas établie uniquement entre vous et moi, elle est établie au sein d'une collectivité. À l'heure actuelle, ces droits nous sont refusés. Nous n'avons pas les mêmes droits que tous les autres.

Vous avez également abordé un sujet qui mérite, je crois, qu'on s'y arrête. Il y a deux jours, en Colombie- Britannique, Morgane Oger a presque réussi à devenir la première politicienne ouvertement transgenre à être élue au Canada. Nous en sommes à un cheveu près. La normalisation du discours, pour reprendre votre expression, rend ces choses possibles.

Nous devons arrêter d'évaluer et de juger les gens — leurs compétences, leurs habiletés — selon qu'ils sont homosexuels, transgenres, que leur peau est d'une autre couleur, qu'ils sont d'un autre genre. Nous devons cesser de nous arrêter à l'identité d'une personne et respecter plutôt ses habiletés et ses compétences.

Le président : D'accord, nous devons avancer.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous deux de vous être présentés. La Commission des droits de la personne de l'Ontario a élaboré une politique sur l'identité et l'expression de genre qui précise en quoi consistent le harcèlement et la discrimination. La politique inclut « le refus d'utiliser le nom et le pronom personnel approprié qu'utilise une personne pour s'auto-identifier ». Êtes-vous d'accord avec cette politique, vous deux?

Mme Panas : Oui, je suis d'accord. Dans un lieu de travail, si une personne utilise un pronom ou un nom incorrect pour vous dénigrer, c'est une forme de harcèlement et de violence. On ne se sent pas en sécurité, dans un tel environnement de travail, et c'est la même chose que quand on vous insulte en raison de votre origine ethnique ou de votre religion. Si on se sent en danger dans un lieu de travail... il est évident que je suis tout à fait en faveur d'une pratique qui nous soutiendrait dans ce milieu.

Devon MacFarlane : Je crois que l'enjeu crucial, ici, concerne « le but et l'intention de rabaisser quelqu'un et de le harceler. » Dans ce contexte — c'est ainsi que je comprends le Code des droits de la personne de l'Ontario —, pour ce qui concerne « l'intention », oui, je suis d'accord.

La sénatrice Batters : D'accord, ainsi, vous dites qu'il faut également qu'il y ait une intention?

Devon MacFarlane : C'est ce que j'ai compris.

La sénatrice Batters : Quel pronom voulez-vous qu'on utilise à votre égard?

Mme Panas : Madame la sénatrice, merci beaucoup de poser la question. Je ne crois pas que nous nous posons suffisamment cette question, les uns les autres. Merci beaucoup de la poser. Je préfère le pronom féminin, c'est-à-dire « elle ».

Devon MacFarlane : Au travail, j'utilise le pronom « il ».

Mme Panas : Je crois que nous devrions souligner que les gens font des erreurs, et c'est correct. Je suis réaliste, vous devez aussi être réaliste, ce qui veut dire que vous allez parfois faire une erreur, oublier mon genre et m'appeler par mon ancien nom. Je vais vous corriger, avec respect, chaque fois. Vous répondez : « Excusez-moi », et on passe à autre chose. Il n'y a rien de plus à dire. Ce n'est vraiment pas plus compliqué que ça.

La sénatrice Batters : Êtes-vous du même avis que Devon, qui dit qu'il faut que ce soit fait intentionnellement?

Mme Panas : Bien sûr, si quelqu'un utilise intentionnellement le mauvais pronom pour me rabaisser et me blesser, ce qui arrive souvent, quand les gens se servent d'un pronom pour me blesser, c'est en général pour s'en prendre à mon genre. Il est évident que c'est intentionnel, et la différence est facile à faire. Je suis d'accord avec l'affirmation de Devon.

Devon MacFarlane : Il arrive à tout le monde de faire une erreur sur le pronom, mais quand cette erreur s'accompagne d'une excuse, « Excusez-moi, je ne voulais pas vous blesser », c'est une chose qui arrive, les gens le savent.

La sénatrice Batters : D'accord. Et qu'en est-il des autres pronoms personnels dont nous entendons parler? Je vous le dis franchement, c'est un tout nouveau sujet, pour moi, c'est une chose que je ne comprends pas encore bien, mais je parle des pronoms qui ne sont ni « il », ni « elle ». Vous connaissez peut-être ce type de pronoms? Est-ce habituellement ce que demandent les gens de la collectivité transgenre, d'être désignés par ces autres types de pronoms?

Mme Panas : Je crois que nous faisons exactement ce que vous venez de faire, c'est-à-dire que nous demandons aux gens comment ils veulent être appelés, quand on n'en est pas certain. Et les gens vont peut-être vous proposer un autre pronom. En réalité, nous avons créé ces pronoms. Si je m'aperçois que j'utilise un terme ou une expression qui offense quelqu'un, étant donné ma bonne nature et mon grand cœur, je vais cesser de le faire. C'est une simple question de décence et de courtoisie, il faut respecter les pronoms que les gens veulent. C'est aussi simple que ça.

La sénatrice Batters : Avez-vous quelque chose à ajouter?

Devon MacFarlane : Je suis d'accord avec Marni.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci de votre présence parmi nous ce matin. Je me demandais si le ministère de l'Emploi et du Développement social vous avait consultés. À la suite d'une plainte présentée à la Commission canadienne des droits de la personne, il y a eu un règlement entre les plaignants et ce ministère pour que ce dernier n'utilise pas les données sur le genre ou le sexe pour identifier une personne, à moins qu'il s'agisse d'un but légitime, comme à des fins d'évaluation de programme. En conséquence, le ministère n'allait plus demander de documents avant de procéder à la modification de la mention liée au sexe ou au genre dans le registre des numéros d'assurance sociale. Je suppose que le ministère a dû modifier des règlements. Le sénateur Joyal a parlé de la nécessité de changer les façons de faire en ce qui concerne les politiques et les règlements. Je me demandais si vous aviez été mis au courant de ces travaux ou de la plainte qui avait mené à cette entente. Ma question s'adresse à vous deux.

[Traduction]

Mme Panas : Je ne suis pas vraiment au courant de l'objet initial de la plainte, mais je connais le résultat, et c'est une situation à laquelle nous sommes constamment confrontés. Sur la question fréquente concernant la mention du sexe sur des formulaires, sur les pièces d'identité, pour le numéro d'assurance sociale, par exemple, je me demande quelle est en fait la raison de cette question. Vous avez dit vous-même que c'était une habitude. Nous posons ces questions parce que ces questions sont toujours posées, mais en fait, cette information ne sert à rien. Nous ne traitons pas les personnes différemment, au titre des lois sur l'assurance sociale, selon qu'elles sont d'un genre ou d'un autre. Il faudrait vraiment supprimer certaines de ces données d'identification, étant donné qu'elles n'ont aucune fin véritable. Il y a bien d'autres manières d'identifier les gens, de manière beaucoup plus efficiente.

Devon MacFarlane : On ne m'a pas consulté, à propos de ce dossier fédéral, mais j'ai été un des informateurs clés dans un dossier semblable, en Ontario, qui concernait la collecte, l'utilisation, la conservation et la mention de marqueurs de l'identité sexuelle et de genre sur les documents provinciaux. Au bout du compte, ces indicateurs ne seront demandés que lorsqu'ils sont nécessaires à des fins d'évaluation de programme, par exemple, ce qui est très logique.

Mme Panas : Permettez-moi d'ajouter quelque chose; je travaille pour le plus important fournisseur de soins de santé du Canada, et il est en train de revoir ses formulaires. Nous utilisons à peu près 100 000 formulaires, et il est souvent question du genre, alors nous les examinons un à un pour répondre à la question de savoir si ces indicateurs sont nécessaires. Sont-ils nécessaires en raison du type de traitement offert? S'il n'est pas nécessaire de poser la question, nous ne la poserons pas, ou si nous la posons, ce sera dans un but très précis; nous effectuons donc un examen très approfondi, en ce moment même, de ces questions.

La sénatrice Omidvar : Merci à vous deux de vos témoignages. Ma question s'adresse à Devon. Nous avons entendu hier des témoins dire que le projet de loi C-16 pourrait avoir comme conséquence de gruger les espaces traditionnellement réservés aux femmes, par exemple les refuges. J'aimerais avoir votre opinion sur cette situation, sous l'angle de la santé publique, Devon.

Devon MacFarlane : Peut-être que, si vous le voulez bien, je parlerais d'abord de quelques-unes de mes expériences précédentes à titre de fournisseur de formation pour les refuges et les maisons de transition, y compris l'inclusion des personnes trans.

Vous avez peut-être eu l'impression, hier, que tous les organismes pour femmes avaient la même opinion que les témoins que vous avez entendus. En fait, il y a environ 17 ans, en Colombie-Britannique, une de mes collègues avait fait son mémoire de maîtrise sur la question de savoir si les centres de soutien aux victimes d'agression sexuelle et les maisons de transition accueillent les femmes trans. Il y a 17 ans, 72,5 p. 100 des répondants disaient accueillir les femmes trans. C'est pourquoi je ne crois pas que le projet de loi gruge les droits des femmes. Les femmes trans sont des femmes, et des organisations pour femmes travaillent depuis longtemps avec les femmes trans.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, tous les deux. Nous avons dans un sens beaucoup de chance au moment d'entreprendre l'étude de ce projet de loi, parce que nous avons beaucoup travaillé à des projets de loi semblables à l'échelle provinciale. Nous avons déjà passé l'épreuve de la recherche. J'aimerais aller plus loin et aborder la question des mesures d'adaptation et la façon dont ces lois ont réussi à les intégrer dans la vie quotidienne.

Je crois, Marni, que vous connaissez le travail du conseil des écoles publiques d'Edmonton. J'ai beaucoup parlé avec les responsables de ce qu'ils ont fait et du succès de leurs activités. En fait, un d'eux m'a dit que, à sa connaissance, les seules personnes qui se soient jamais plaintes à ce sujet, c'était des personnes qui n'ont pas d'enfants à l'école.

J'aimerais que vous nous parliez des mesures d'adaptation qui ont été prises en Alberta, peut-être précisément par le conseil des écoles publiques d'Edmonton, et, Devon, à Hamilton, par exemple, en expliquant pourquoi cela a bien fonctionné, les gens agissant de bonne foi.

Mme Panas : C'est très intéressant. Merci beaucoup, monsieur le sénateur Mitchell, de cette excellente question.

En Alberta, ce dossier a très bien été défendu, en particulier par le conseil des écoles publiques d'Edmonton. Je n'aime pas beaucoup l'expression « mesures d'adaptation », puisque ces élèves existent, et c'est tout. Le plus souvent, ce n'est pas un problème pour les élèves. C'est un problème pour les adultes, et il faut que les élèves les éduquent. Et le conseil des écoles publiques d'Edmonton a fait de l'excellent travail.

J'aimerais cependant attirer votre attention sur la division scolaire catholique d'Edmonton, où j'ai souvent été appelée à travailler. Un enfant transgenre atypique, qui exprime son genre, fréquente cette école. Bref, les responsables l'obligent à utiliser une toilette « neutre », tout au bout de l'immeuble, près des bureaux, et il doit être escorté par un enseignant; essentiellement, cet enfant est la cible de toutes les attentions chaque fois qu'il doit se rendre aux toilettes et il a fini, au bout du compte, par ne plus y aller et par se retenir, comme vous l'avez expliqué. Si un enfant est trop effrayé pour aller aux toilettes et qu'il se retient toute une journée, jusqu'à ce qu'il soit rentré chez lui, c'est un véritable problème. Et nous faisons toujours face à ce genre de problème, même chez nous; le tribunal des droits de la personne de l'Alberta est actuellement saisi du dossier.

Cependant, le conseil des écoles publiques d'Edmonton a pris les choses en main et, je le répète, ce ne sont pas les élèves qui ont un problème. Nous pensons au droit d'établir même une alliance entre gais et hétéros, à avoir des alliances de ce type dans les écoles, mais, encore une fois, ce sont les élèves qui doivent nous enseigner.

Devon MacFarlane : En ce qui concerne ces alliances, des recherches réalisées en Colombie-Britannique ont révélé que, lorsqu'il existe une alliance entre les gais et les hétéros, l'état de santé s'améliore, et je ne parle pas seulement des personnes LGBT; je parle aussi de la santé des étudiants hétéros. Je crois que, dans ce domaine, le projet de loi C-16 sera avantageux, puisqu'il améliorera la santé et le bien-être de tous les Canadiens.

Mme Panas : Nous pouvons en déduire que, quand on crée un environnement sûr pour une population marginalisée, qu'on améliore la situation d'un groupe de personnes, toute la société en profite. Nous plaçons la barre plus haut quant à ce que nous attendons les uns des autres, de notre gouvernement et des gens qui fournissent des services. Nous améliorons l'expérience d'un groupe de personnes, mais cela s'applique partout et cela crée un meilleur endroit où nous pouvons tous vivre.

Le sénateur Mitchell : Vous parlez bien des alliances entre les gais et les hétéros?

Devon MacFarlane : On les appelle parfois des alliances entre les gais et les hétéros, parfois des alliances homo- hétéros, cela varie d'une école à une autre.

Le sénateur Mitchell : Un des problèmes auxquels font face les personnes trans, c'est l'accès aux soins médicaux. Elles font face à de la discrimination, souvent, et c'est surprenant. J'aimerais que vous me parliez de votre expérience à ce chapitre en me disant ce qu'il conviendrait de faire et pourquoi cela se passe ainsi.

Devon MacFarlane : Permettez-moi de répondre. Au centre Santé arc-en-ciel Ontario, nous fournissons entre autres de la formation aux fournisseurs de soins de santé de toute la province. C'est nécessaire, car la plupart d'entre eux n'ont jamais eu pendant leur formation l'occasion de se renseigner sur la façon d'intervenir avec respect auprès des personnes trans.

À l'heure actuelle, on a entrepris d'ajouter du contenu touchant l'identité de genre aux programmes des écoles de médecine et à d'autres programmes. En fait, l'Association médicale canadienne a fait il y a quelques années quelques déclarations quant au contenu qui doit être ajouté à ces programmes.

Cette mesure est essentielle, entre autres parce que, en effet, les personnes trans évitent souvent de consulter un professionnel de la santé parce qu'elles craignent la discrimination, et je suis convaincu que Mme Bauer aurait beaucoup plus à dire que moi sur ce sujet. Mais qu'arrive-t-il à une personne qui évite de consulter des professionnels de la santé et qui a été agressée physiquement ou sexuellement?

Mme Panas : Je travaille de mon côté pour un des plus importants organismes de soins de santé du pays, et, l'an dernier seulement, j'ai offert des séances d'information à plus de 5 000 fournisseurs de soins de santé, y compris le personnel infirmier, les médecins, les travailleurs sociaux et tout le reste. J'ai constaté que l'un des principaux obstacles à l'accès aux soins de santé, c'est le fait que les fournisseurs de soins disent : « Je n'ai aucune expérience des soins à prodiguer à des personnes comme vous, adressez-vous ailleurs. » En résumé, les fournisseurs de soins manquent de connaissance et de confiance, au moment où ils doivent prendre soin de patients comme nous.

Mais les choses évoluent. Je fais partie d'un comité de la faculté de médecine et de dentisterie de l'Université de l'Alberta, qui vient tout juste de remanier entièrement son programme de quatre ans pour y inclure la santé des personnes LGBTQ, un sujet qui sera abordé chacune de ces quatre années. Les populations sont diversifiées, et le processus visait explicitement à inclure la santé des personnes trans.

La sénatrice Frum : J'aimerais revenir sur la question qu'a posée la sénatrice Omidvar, au sujet des lieux réservés aux femmes et des refuges pour les femmes violées; en répondant à cette question, vous avez souligné que les femmes trans étaient des femmes, et je suis d'accord avec vous. Mais, là où ça se complique, à mon avis, c'est quant à l'expression de genre. Nous savons que l'expression de genre peut s'appliquer à des hommes qui, dans leur for intérieur, se sentent comme des femmes, mais cela se situe sur tout un spectre.

L'affaire Nixon concernait une personne qui faisait du bénévolat. Une femme transgenre est une femme, c'est entendu, mais que se serait-il passé si la bénévole avait été une personne ayant droit à la protection au titre de l'expression du genre et que, malgré ce droit à l'expression, elle se présentait toujours physiquement comme un homme? Comprenez-vous ma question? Les droits potentiels entrent en conflit, et c'est pourquoi je me demande si l'expression de genre n'est pas un terme trop vague.

Devon MacFarlane : Il y a une chose que j'ai remarquée, quand on parle des hommes et des femmes, et c'est qu'on en parle de façon binaire, alors qu'en fait, il y a bien plus de sexes que cela. Vous connaissez peut-être les termes intersexué ou comme on disait autrefois, hermaphrodite, un terme qui n'est plus utilisé. Il y a bien des gens dont le corps ne correspond pas à la définition médicale d'homme ou de femme. C'est le cas d'environ 1 personne sur 200, en fait.

Pensons à l'expression de genre en tant que motif de discrimination pouvant être contesté; le problème, c'est qu'il arrive qu'une personne qui, génétiquement, est une femme ait de la barbe ou encore qu'elle porte des pantalons. Traditionnellement, nous considérons que c'est l'expression du genre masculin, mais cela soulève quelques problèmes.

Tout cela pour dire que les maisons de transition et les refuges travaillent depuis de nombreuses années auprès de femmes trans. Et, exception faite de l'affaire Nixon, les tribunaux n'ont jamais été saisis d'une affaire quelconque relativement à cette situation. J'ai parlé d'une étude qui indiquait que 72,5 p. 100 des organismes accueillaient des femmes trans, étude réalisée il y a 17 ans, et un seul organisme avait décidé de ne pas accueillir de femmes trans.

Vous parlez de personnes qui sont des hommes, mais qui se considèrent comme étant des femmes; ce sont des femmes trans, peu importe comment ces personnes s'expriment à ce moment-là.

Le président : Il nous reste assez de temps pour poser encore deux ou trois questions; nous commençons par le sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Si vous le voulez bien, j'aimerais poursuivre sur le sujet soulevé par la sénatrice Batters, puis maintenant par la sénatrice Frum, c'est-à-dire l'expression de genre.

Je suis bien d'accord sur le fait que, quand on utilise délibérément le mauvais pronom, pour manifester sa haine ou son manque de respect, il faudrait que quelque chose soit prévu. Je suis d'accord. Marni, vous avez parlé de la division des écoles catholiques d'Edmonton. Nous savons qu'il existe, comme l'a mentionné la sénatrice Frum, des personnes dont l'identité de genre varie ou encore qui n'ont pas de genre. En fait, on m'a dit qu'il existait — je ne les connais pas tous et j'aimerais bien avoir une liste — plus de 70 genres.

Cela fait donc en sorte qu'il n'est pas toujours évident de savoir comment vous aimeriez qu'on s'adresse à vous, et, vous pouvez évidemment le dire, je suis d'accord. Mais la division des écoles catholiques, pour des motifs religieux, prend certaines décisions. La religion fait partie de ce projet de loi, de la même façon que la nationalité, l'origine ethnique, la couleur de la peau, la race, l'orientation sexuelle et l'identité de genre. Ainsi, si, pour des motifs religieux, quelqu'un ne croit tout simplement pas à ce que vous faites ou n'est pas d'accord, ne devrait-elle pas avoir droit aux mêmes protections que vous? Quand il s'agit d'une personne qui n'est pas complètement transformée — j'essaie d'utiliser ici la terminologie correcte et de faire preuve de respect —, s'il s'agit d'une personne dont le genre est fluide, qui se présente un jour comme un homme et le jour suivant comme une femme, et que moi, pour des motifs religieux, je ne peux pas utiliser à son égard un pronom auquel je ne crois pas, à quel type de protection devrais-je avoir droit, dans de tels cas?

Il ne s'agit pas seulement des catholiques ou des chrétiens; il y a d'autres religions qui, pour des motifs religieux, ne le veulent pas. À quels types de protections ces personnes devraient-elles avoir droit, selon le projet de loi?

Mme Panas : Mais ces personnes sont déjà protégées. Je crois que ce projet de loi prévoit entre autres que, dans notre pays, nous ne pouvons pas pour des motifs religieux refuser une protection aux gens. Ce n'est pas un motif que nous pouvons utiliser.

Les administrateurs du bureau de la division des écoles catholiques ont l'obligation de supprimer tous les obstacles et d'offrir les mêmes occasions à tous ainsi que d'assurer un environnement d'apprentissage sûr et accueillant à tous les élèves, en particulier du fait qu'il s'agit d'une institution financée par les deniers publics.

Permettez-moi de vous raconter une histoire sur les gens et leurs sentiments. Je suis une femme catholique et j'ai été élevée dans la foi catholique; je suis allée voir mon prêtre pour lui dire : « Voici ce qui se passe dans ma vie. Est-ce que je pourrai continuer à pratiquer ma foi de la façon dont je l'ai toujours fait? » Il m'a répondu : « Je n'en ai aucune idée; me donnez-vous quelques jours pour y réfléchir? »

Deux jours plus tard, l'évêque me téléphone — nous sommes des catholiques ukrainiens, en passant — et me demande de passer à son bureau. Je lui ai posé ma question et il m'a répondu on ne peut plus franchement oui. Il m'a dit ceci : « L'Église, c'est des gens, pas des choses. L'Église nous enseigne à être ouvert, accueillant, aimant et gentil. Mais comme l'Église, c'est des gens, les gens ne comprennent pas toujours tout très bien, mais je serai toujours gentil avec vous. » Et il l'a toujours été, et notre congrégation l'a toujours été.

Je crois que, au bout du compte, cela tient à notre cœur et à notre foi. Dans ma foi, j'ai appris à ne pas mépriser personne, mais à aimer tout le monde et à accepter les gens comme ils sont. C'est ce que ma foi a fait pour moi, et je crois que, même dans ce contexte, il est possible d'aimer un enfant transgenre, peu importe sa foi.

Le sénateur Plett : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il ne s'agit pas d'être gentil, il s'agit de croire. La sénatrice Batters a d'ailleurs dit que c'était inscrit dans le Code des droits de la personne de l'Ontario. Le gouvernement fédéral a déclaré qu'il adopterait ce code ontarien, c'est affiché sur son site web, ce qui fait que, selon la loi, je serai tenu d'utiliser un certain pronom. Il ne s'agit pas ici de vous empêcher d'aller aux toilettes. J'ai soulevé la question parce que vous avez parlé des écoles catholiques. Il ne faut pas être méchant avec vous, et je ne devrais pas être méchant avec vous, mais, si je ne vous désigne pas par le pronom auquel vous vous attendez, un jour, qui serait peut-être un autre pronom le jour suivant, ce n'est pas...

Mme Panas : Ça ne fonctionne pas comme ça, monsieur le sénateur.

Le sénateur Plett : Je m'excuse, mais c'est ainsi que le décrit le Code des droits de la personne de l'Ontario, je l'ai bien vu.

Mme Panas : Permettez-moi de vous poser une question, monsieur le sénateur. Si vous saviez que, en me donnant un certain nom, vous me feriez courir un risque de violence et de discrimination, un risque qui viendrait de n'importe qui, le feriez-vous quand même?

Le sénateur Plett : J'ose espérer que non, mais ce n'est pas moi, le témoin...

Mme Panas : Je l'espère aussi. C'est tout ce que je voulais savoir.

Le sénateur Plett : Mais ce n'est pas ça, l'objectif du projet de loi. Je ne suis pas en désaccord avec vous. C'est peut- être l'objet de votre question, mais nous provoquons certaines conséquences sans le vouloir. Il pourrait y avoir des conséquences non désirées, mais le projet de loi, selon le code des droits de la personne, m'obligera à faire quelque chose qui me rend peut-être mal à l'aise.

Vous avez demandé qu'on vous appelle Marni. Si je vous appelais Don, ce ne serait pas gentil. Je n'ai aucun problème à vous appeler Marni, mais là n'est pas la question. Nous parlons de pronoms, non pas du prénom.

Mme Panas : Si vous appelez une petite fille trans par son prénom masculin, à l'école, vous aurez non seulement violé ses droits, vous aurez aussi porté atteinte à sa protection et contrevenu à ses attentes, car elle voudrait pouvoir venir à l'école sans craindre la violence, la discrimination et le harcèlement de ses camarades de classe, et...

Le sénateur Plett : Et que se passe-t-il si c'est ma religion qui me l'interdit?

Le président : Nous devons poursuivre.

Le sénateur Baker : Je crois que, comme l'ont dit les témoins, il faut que la méchanceté soit intentionnelle, qu'il y ait une intention criminelle et que ce soit délibéré. Ce n'est pas seulement une affaire de pronom, c'est une affaire d'intention. Et, conformément à cette loi, comme le sénateur Joyal l'a dit très clairement dans sa déclaration préliminaire, il faut qu'il y ait une intention de faire des choses terribles aux termes du Code criminel.

Je voulais apporter une précision, pour le compte rendu, au sujet de ce qu'a dit la sénatrice Frum. Il ne s'agit pas d'une erreur de sa part, mais elle disait que, dans l'affaire Nixon, en Colombie-Britannique, la décision avait été rendue en application de l'article 41 de la Charte des droits de la Colombie-Britannique, laquelle ne s'applique pas aux organismes de bienfaisance. Elle a tout à fait raison sur ce point.

Je n'ai pas d'autres questions. Je crois que les témoins ont fait un travail formidable, aujourd'hui.

Le sénateur Pratte : Merci de vos témoignages. Si j'ai bien compris, la Commission des droits de la personne de l'Ontario soutient que personne ne sera forcé d'utiliser un pronom ou un autre. J'aimerais rapidement lire ce qui y est dit, et j'aimerais savoir si cela vous convient. Il y est dit que certaines personnes ne savent pas quel pronom elles doivent utiliser. Il y a aussi des gens que tout cela met mal à l'aise. De manière générale, quand on a un doute, il faut demander à la personne comment elle voudrait qu'on l'appelle. L'approche la plus respectueuse consiste, toujours, à tout simplement appeler la personne par le prénom qu'elle s'est choisi. Donc, personne ne sera obligé à utiliser un pronom ou un autre. Il y est dit que, quand on veut agir avec respect, le mieux, c'est toujours de demander à la personne quel pronom elle veut qu'on utilise ou, tout simplement, de l'appeler par son prénom, comme nous le faisons ici aujourd'hui. Êtes-vous d'accord avec l'approche proposée par la Commission des droits de la personne de l'Ontario?

Devon MacFarlane : Absolument.

Mme Panas : Je suis tout à fait d'accord. Je ne crois pas que le simple fait d'utiliser un pronom masculin ou féminin fait de vous un criminel. Cependant, si vous utilisez ces pronoms ou des mots de la sorte — ou même si vous mentionnez la race ou que vous utilisez une épithète raciste — pendant que vous commettez un acte de violence contre une autre personne, cela pourrait alors constituer une preuve de votre intention et de votre haine. Toutefois, la seule utilisation de ces pronoms n'est pas un crime. Pour être respectueux, utilisez simplement le prénom, ou demandez quel pronom la personne préfère. Je crois qu'on ne peut pas s'attendre à plus de qui que ce soit. Merci, monsieur le sénateur.

La sénatrice Jaffer : Je ne comptais le mentionner, mais puisque vous avez mentionné Mme Oger... Il lui a fallu beaucoup de courage pour remporter une élection en Colombie-Britannique. J'ai reçu beaucoup de courrier haineux parce que je l'ai soutenue, alors je n'imagine pas ce qu'elle a dû recevoir.

En tant que femme, je me suis toujours battue pour avoir une place à la table afin de faire valoir mon point de vue. Je crois que le Sénat s'est transformé depuis qu'il compte un plus grand nombre de femmes. Je crois aussi qu'il va continuer de changer à mesure que nous approchons de la parité. Selon les personnes qui sont assises autour de la table, on ne va pas étudier les mêmes questions, avoir les mêmes priorités ou aborder de la même façon les problèmes. Si vous n'êtes pas assis à la table, vous êtes à la merci de ceux qui le sont.

Mme Panas : Si vous n'êtes pas assis à la table, alors, habituellement, vous figurez au menu.

La sénatrice Jaffer : Devon?

Devon MacFarlane : Si vous voulez soulever des questions et aider à orienter la conversation, alors je crois qu'il est crucial d'avoir une place à la table. Dans le cas contraire, je suis d'accord pour dire que vous figurez au menu. Selon la façon dont les gens présentent eux-mêmes la question, c'est très facile pour une discussion de dévier subtilement, et c'est pourquoi je vous suis très reconnaissant de me donner l'occasion de m'exprimer ici aujourd'hui.

Le sénateur Joyal : À votre connaissance, existe-t-il une religion, peu importe laquelle, qui interdit à une personne de décider de s'identifier au genre opposé — ou à aucun des deux genres ou qui en fait un péché?

Mme Panas : Mon catéchisme est loin derrière moi. Tout ce que je peux dire, c'est que je ne crois pas qu'il existe une religion qui interdirait à quelqu'un d'aimer quelqu'un d'autre et de l'accueillir dans sa famille. Il y a peut-être des personnes qui se justifient ainsi avec la religion, mais je ne crois pas que cela fait partie de la religion en tant que telle.

Le sénateur Joyal : En savez-vous quelque chose, Devon?

Devon MacFarlane : Je ne peux pas m'exprimer là-dessus. Ce n'est pas mon domaine d'expertise.

Le sénateur Joyal : Quel est le stéréotype le plus courant dont vous êtes victime?

Mme Panas : Je suis heureuse que vous me posiez cette excellente question. Il y en a beaucoup, je vous en assure, mais je crois que la sénatrice Frum a en quelque sorte mentionné — mais je ne vous accuse pas de le penser, ce n'est pas ce que je dis — ou souligné l'idée que les hommes qui s'habillent en femmes ou les hommes qui se sentent comme des femmes ne sont pas vraiment des femmes. En gros, les gens croient que je prétends être quelque chose que je ne suis pas, que j'essaie de leur cacher quelque chose, que je suis un imposteur, que je ne suis pas qui j'affirme être.

Je peux assurer à tout le monde ici présent que personne ne s'affiche en tant que femme transgenre pour obtenir un privilège. Le prix à payer est très élevé. J'ai perdu mes parents, et je suis en plein divorce, et pourtant, je suis très privilégiée. Je suis loin d'avoir vécu tout ce que la plupart des gens de ma communauté doivent affronter. Les gens ne font pas ce que j'ai fait pour obtenir un privilège. Je ne fais pas semblant d'être qui je suis. Je peux enfin vivre sous mon vrai visage, et c'est à ce chapitre qu'il y a un véritable décalage.

Je crois qu'il existe un préjugé invisible qui aide toute cette intolérance et cette discrimination contre les femmes transgenres à sévir, soit qu'elles ne sont pas de vraies femmes. Notre parcours vers la féminité et la façon dont nous envisageons notre rôle dans la féminité diffèrent de que ce qu'ont vécu les femmes cisgenres, tout comme l'expérience d'une femme autochtone ne sera pas la même que celle d'une femme blanche, d'une femme de couleur ou d'une femme musulmane. Nous avons tous pris des sentiers différents vers la féminité. Le fait est que je suis vraiment qui je suis, et c'est ce genre de stéréotypes que nous voulons briser, ou que j'essaie de briser, en tout cas.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Dans la même veine, si vous me le permettez, vous avez fait une distinction qui m'apparaît importante entre l'identité, soit ce que vous êtes à l'intérieur de vous, et l'expression de cette identité dont vous parlez et qui doit être protégée de façon distincte, parce qu'elle vous soumet à une discrimination plus grave encore dans l'expression de genre que dans l'identité de genre. Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples de cela?

[Traduction]

Mme Panas : Je vais vous donner un exemple. À l'âge de 10 ans, une amie à moi a été victime d'un viol en bande. Son expression de genre était masculin, mais elle ne pouvait pas cacher son identité de genre, même à cette époque. C'était tout simplement évident. Elle a survécu, malgré des comportements suicidaires à l'âge de 10 ans — pouvez-vous imaginer —, et elle a maintenant 68 ans. Elle est devenue médecin — une médecin éminente et très respectée —, et elle a aujourd'hui pris sa retraite, mais elle a souffert pendant 58 ans de TSPT, depuis cet événement. Elle a vécu une vie de tourmente, depuis que ces garçons dans sa classe et leurs frères ont découvert son identité qu'elle ne pouvait pas cacher.

Le président : Je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui et d'aider le comité dans ses délibérations sur ce projet de loi. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je vous présente les témoins pour la deuxième heure : Greta Bauer, professeure agrégée et responsable des études supérieures, Département de l'épidémiologie et de la biostatistique, Université Western Ontario; Nicole Nussbaum, avocate et procureure, et Siobhan O'Brien et Marie Laure Leclercq, de l'Association du Barreau canadien. Merci d'être parmi nous.

Commençons avec vos déclarations préliminaires. Je vous rappelle que vous avez cinq minutes au maximum. Mesdames de l'Association du Barreau canadien, je ne sais pas laquelle de vous deux doit présenter l'exposé. Vous avez la parole.

[Français]

Marie Laure Leclercq, Association du Barreau canadien : Tout d'abord, j'aimerais mentionner que je suis francophone, mais que je vais m'exprimer en anglais pour vous. Je vous demande donc d'être indulgents, merci.

[Traduction]

Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Je m'appelle Marie Laure Leclercq. Ma collègue et moi-même sommes venues ici aujourd'hui représenter l'Association du Barreau canadien. L'ABC est une association nationale représentant 36 000 avocats et avocates dans 10 provinces et 3 territoires, y compris les notaires du Québec, les professeurs de droit et les étudiants en droit. Son mandat est de promouvoir les améliorations que l'on peut apporter au droit et à l'administration de la justice.

Je suis une ancienne membre de l'exécutif du Forum sur l'orientation et l'identité sexuelles, ou simplement le Forum. Le mandat du forum est de réagir aux besoins et aux préoccupations des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et bispirituelles qui font partie de l'ABC.

Siobhan O'Brien, Association du Barreau canadien : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs. Je m'appelle Siobhan O'Brien. Je fais partie de la Section nationale du droit du travail et de l'emploi de l'ABC. Le mandat de la Section est d'aborder de tous les points de vue un vaste éventail de questions professionnelles, c'est-à-dire du point de vue des employés, du point de vue de la direction et d'un point de vue neutre. Je pratique le droit du travail et de l'emploi ainsi que le droit en matière de droits de la personne. Je me spécialise dans les problèmes en milieu de travail concernant la communauté LGBTQ.

Mme Leclercq : Notre message aujourd'hui est clair : l'ABC soutient l'adoption du projet de loi C-16, sans réserve aucune. Nous vous encourageons à en faire autant.

Les lois touchant les droits de la personne sont de puissants outils permettant d'aider les gens à comprendre que tous les Canadiens ont des droits et à y être sensibles. Elles permettent aussi de réparer les torts causés par le harcèlement et la discrimination fondés sur des motifs illicites et de promouvoir une culture inclusive et respectueuse.

La Loi canadienne sur les droits de la personne adhère au principe suivant :

[...] le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur [...].

Le fait d'intégrer l'identité de genre et l'expression de genre comme motifs de distinction illicite enverra un message important à tous les Canadiens, à savoir que la communauté transgenre fait partie intégrante de notre vision d'une société tolérante et inclusive.

L'objectif des dispositions du Code criminel concernant les crimes haineux est de prévenir les actes de violence contre les groupes vulnérables de notre société, le genre d'actes violents qui font que ces personnes ont peur de se trouver dans un espace public et qui les forcent à défendre à chaque moment le fait qu'elles sont des êtres humains. En ajoutant l'identité de genre et l'expression de genre dans la définition des groupes reconnus, on enverra un message important à tous les Canadiens, soit que la communauté transgenre fait partie intégrante de notre vision pour une société sécuritaire et démocratique.

Nous attendons ces amendements depuis longtemps, trop longtemps, même. À dire vrai, le gouvernement fédéral est l'un des derniers au Canada à reconnaître ces droits dans une loi. Bien sûr, des gens continuent de s'y opposer. Dans notre mémoire, nous avons réagi à certains des arguments les plus fréquents contre ce projet de loi qui sont, selon nous, infondés. Nous serons heureuses de vous en parler pendant la période de questions.

Mme O'Brien : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous aimerions maintenant approfondir les visées du projet de loi C-16. Les amendements proposés dans le projet de loi C-16 modifieront la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d'interdire explicitement les pratiques discriminatoires chez les employeurs et les fournisseurs de biens, de services, d'installations ou de locaux. Par pratique discriminatoire, on entend le fait de refuser de fournir tout bien, service, installation ou local, ou de traiter différemment et défavorablement la personne pendant la prestation de ces services, à cause de l'identité de genre ou de l'expression de genre de la personne. Une autre pratique discriminatoire serait de refuser d'embaucher ou de maintenir en poste une personne en fonction de son identité de genre ou de son expression de genre. Le fait de traiter différemment et défavorablement une personne dans le cadre de son emploi en fonction de son identité de genre et de son expression de genre sera jugé comme étant une pratique discriminatoire. Le fait d'élaborer ou d'adopter une politique qui empêche une personne d'occuper un emploi ou de saisir une occasion d'emploi en fonction de son identité de genre ou de son expression de genre sera jugé comme étant une pratique discriminatoire. En outre, le fait de harceler une personne en fonction de son identité de genre ou de son expression de genre sera jugé comme étant une pratique discriminatoire.

Greta Bauer, professeure agrégée et responsable des études supérieures, Département de l'épidémiologie et de la biostatistique, Université Western Ontario, à titre personnel : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est un plaisir pour moi d'être ici parmi vous aujourd'hui afin de vous faire part de ce que ma communauté, mes collègues universitaires et moi-même avons appris au cours d'une décennie d'études sur les personnes transgenres en Ontario.

Je vais vous présenter des données tirées principalement de Trans PULSE, un projet financé par les Instituts de recherche en santé du Canada. Nous avons publié 21 articles scientifiques dans des revues avec comité de lecture ainsi que 3 chapitres de livre et 14 rapports ou bulletins d'information. Manifestement, je vais me limiter à quelques points saillants.

Dans la majorité des cas, les personnes transgenres en Ontario ont un profil sociodémographique similaire au reste de la population. Selon les meilleures estimations, 1 personne sur 187 serait transgenre. Dans 80 p. 100 des cas, les personnes transgenres savaient avant d'avoir 14 ans que leur genre ne correspondait pas à ce que les autres voyaient, même si la plupart d'entre elles n'ont commencé à exprimer leur genre que de nombreuses années plus tard. Environ une personne transgenre sur cinq est non binaire et a la conviction profonde qu'elle n'appartient à aucune des deux catégories distinctes, à savoir les hommes ou les femmes.

Les personnes transgenres ne sont toujours pas à l'abri des menaces. Il existe des impacts défavorables sur leur bien- être physique, mental et social ainsi que des obstacles qui les empêchent de participer pleinement à la société canadienne.

Je vais vous lire rapidement quelques données statistiques sur les personnes transgenres en Ontario. Vous savez déjà que 13 p. 100 d'entre elles ont perdu leur emploi parce qu'elles étaient transgenres, mais il y a eu aussi un 15 p. 100 de plus qui ont perdu leur emploi et qui pensent que c'est parce qu'elles sont transgenres. C'est parfois impossible d'en être sûr. Cinquante-huit pour cent d'entre elles n'ont pas pu obtenir un relevé de notes indiquant leur nom ou leur sexe actuels. Le revenu médian annuel est de 15 000 $. Même chez les personnes transgenres qui vivaient à temps plein en tant qu'un sexe ou l'autre et qui avaient changé légalement de nom, 70 p. 100 n'ont pas été en mesure de changer légalement leur sexe sur toutes leurs pièces d'identité.

Vingt pour cent d'entre elles affirment avoir été victimes d'une agression physique ou sexuelle parce qu'elles étaient transgenres, et chez le reste, 34 p. 100 ont affirmé avoir été harcelées ou menacées. Beaucoup d'entre elles n'ont pas signalé ces agressions à la police. À dire vrai, 24 p. 100 de ces personnes ont affirmé avoir été harcelées par la police. En conséquence, 32 p. 100 de ces personnes ont dû déménager pour se sentir en sécurité et pour avoir accès à des services. Chez les personnes autochtones affichant une identité de genre diverse, ce pourcentage était deux fois plus élevé. Au total, 77 p. 100 de ces personnes ont affirmé avoir peur de vieillir en tant que personne transgenre.

Je pourrais continuer, mais je pense que la situation est claire, du moins en partie.

Les personnes transgenres sont très résilientes. Malgré tout, ces épreuves finissent par créer un sentiment de désespoir, de peur que la discrimination n'arrête jamais. Nous savons que les personnes transgenres sont réticentes à demander de l'aide médicale. Nous savons que 21 p. 100 d'entre elles ont refusé de se rendre à l'urgence, et ce, même en cas de problème médical potentiellement urgent. Pouvez-vous imaginer ce que c'est de sentir que vous êtes plus en sécurité en évitant d'aller au service d'urgence alors que vous avez un problème médical urgent?

Selon nos données, l'inclusion sociale et l'expression ouverte du genre peuvent avoir d'importants impacts positifs sur le bien-être des personnes transgenres. Nous en avons déjà eu la preuve avec l'effet du soutien parental chez les jeunes personnes transgenres. Cela s'est vu dans un grand nombre de domaines, mais il y en a un sur lequel je veux insister en particulier. Récemment, nous avons réalisé une analyse très détaillée des facteurs sur lesquels on peut intervenir afin de réduire le risque de suicide chez les personnes trans; on sait que le risque de suicide est élevé chez ces personnes, même si ce n'est pas uniforme. Les personnes transgenres qui ont été victimes de violence présentent un risque de suicide plus élevé. Les personnes qui se préparent à la transition, mais qui ne l'ont pas encore commencée, sont exposées à un risque élevé, alors que le taux chez les personnes qui ont complété leur transition est de 1 p. 100 dans une année donnée. C'est presque aussi bas que celui dans la population générale.

Notre analyse visant à cerner les facteurs d'intervention a révélé l'importance des impacts. Je vais vous donner un exemple. Nous avons établi un modèle : s'il était possible de réduire la transphobie — une mesure générale — du niveau actuel dans la population jusqu'au dixième percentile — c'est-à-dire jusqu'à un niveau où les personnes transgenres ne seraient plus victimes de transphobie, sauf occasionnellement —, nous prédisons que le pourcentage de pensées suicidaires sérieuses dans une année donnée serait réduit de 47 p. 100... de 34 p. 100, pour les personnes transgenres, à 18 p. 100. Cela veut dire que, pour 100 personnes transgenres, 16 d'entre elles passeront une année beaucoup plus agréable où elles ne souffriront pas du genre de détresse psychologique qui les pousse à vouloir mettre fin à leurs jours.

En outre, même chez les personnes restantes qui vont quand même songer au suicide, notre modèle prévoit une réduction de 65 p. 100 du risque de tentative, ce qui veut dire que même les personnes qui songent à se suicider seront moins susceptibles de vraiment passer à l'acte. C'était notre première conclusion.

En plus de la protection contre la transphobie en général, nous avons cerné d'autres facteurs qui peuvent avoir un grand impact : le soutien social, en particulier le soutien de la famille en ce qui a trait au genre; la protection contre les agressions transphobiques, notamment; des pièces d'identité qui reflètent le bon genre de la personne; et le respect du genre de la personne dans la prestation de soins de santé, pour ceux qui en ont besoin.

Je tiens à souligner le fait que tous ces facteurs, mis à part celui lié au soutien social en général, concernent la reconnaissance du genre dans les sphères interpersonnelle, médicale ou institutionnelle ou la protection contre la discrimination et la violence. Donc, en résumé, ces facteurs sont directement liés aux sphères qui seront potentiellement touchées par le projet de loi C-16.

Bien évidemment, j'appuie de tout cœur cette politique. Présentement, ces mesures de protection sont en place ailleurs. Nous vous appuyons sur toute la ligne. Chaque fois que nous revenons, nous avons de nouvelles preuves.

Il y a un point que je veux soulever qui est légèrement...

Le président : Je suis désolé, mais vous n'avez plus de temps.

Mme Bauer : Je n'ai même pas 30 secondes?

Le président : Non.

Mme Bauer : D'accord.

N. Nicole Nussbaum, avocate et procureure, à titre personnel : Merci, et je tiens à m'excuser de ne pas vous avoir envoyé de mémoire. J'ai eu quelques problèmes de santé récemment.

Je vous suis reconnaissante de me donner l'occasion de prendre la parole à propos du projet de loi. Selon moi, la question dont sont saisis le comité et le Sénat n'est pas vraiment de savoir si l'identité et l'expression de genre devraient être protégées par une loi au Canada. La réponse est oui. Tous les tribunaux et toutes les cours qui ont dû se pencher sur la question ont conclu qu'il est interdit de soumettre une personne à la discrimination ou au harcèlement à cause de son identité ou de son expression de genre. Cela ne veut pas dire que chaque affaire a été tranchée de la même façon, mais on a tout de même conclu des protections doivent exister. Jamais au Canada a-t-on conclu que l'identité ou l'expression de genre n'étaient pas des motifs de distinction illicite.

Devant un tel constat, certaines personnes remettent en question l'utilité de ce projet de loi, mais, par-dessus tout, le fait que le Sénat, la Chambre et le pays au grand complet ont lancé cette discussion sur l'existence de ces droits prouve manifestement que nous avons besoin d'un éclaircissement.

En ce qui concerne les dispositions du projet de loi en particulier, on a explicitement reconnu le besoin pour ces mesures de protection il y a 17 ans, dans le rapport produit par le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, présidé par l'ancien juge de la Cour suprême du Canada Gérard La Forest et dont le rapport a été publié en juin 2000. Il était clairement indiqué dans le rapport que laisser la loi sous sa forme actuelle reviendrait à ne pas reconnaître la situation des personnes transgenres et continuerait d'occulter ces problèmes.

Nous le savons tous : depuis ce temps, le projet de loi a été présenté plusieurs fois. Il a été adopté plus d'une fois à la Chambre des communes, mais il a toujours été rejeté à l'étape du vote final au Sénat.

Dans l'affaire Vriend, la Cour suprême du Canada a dû se pencher sur un cas de discrimination précis qui n'était pas prévu dans les motifs de distinction illicite de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans cette affaire, la Cour de l'Alberta, puis la Cour suprême, ont dû décider si le fait que l'orientation sexuelle n'était pas comprise dans la loi sur les droits de la personne de l'Alberta violait le droit à l'égalité des homosexuels en vertu de la loi. Dans cette affaire, la Cour suprême a conclu, d'abord, que l'absence de motifs prévus dans la loi empêche tout recours judiciaire. C'est une des conclusions du tribunal, mais la décision a ensuite abordé les autres impacts sous-jacents à l'exclusion dans cette loi sur les droits de la personne.

J'aimerais vous lire deux ou trois paragraphes tirés de la décision. Voici ce que dit le tribunal :

Cependant, supposons, malgré toutes les conclusions qu'il est raisonnable de tirer, que l'exclusion d'un motif ouvrant droit à la protection prévue par l'IRPA n'a pas pour effet d'accroître la discrimination fondée sur ce motif. Cette exclusion, établie délibérément dans un contexte où il est évident que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle existe dans la société, transmet néanmoins un message à la fois clair et sinistre. Le fait même que l'orientation sexuelle ne soit pas un motif de distinction illicite aux termes de l'IRPA, laquelle constitue le principal énoncé de politique du gouvernement contre la discrimination, laisse certainement entendre que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle n'est pas aussi grave ou condamnable que les autres formes de discrimination. On pourrait même soutenir que cela équivaut à tolérer ou même à encourager la discrimination contre les homosexuels. En conséquence, cette exclusion a manifestement un effet qui constitue de la discrimination.

Je crois que l'analyse du tribunal est très claire et pourrait être appliquée telle quelle à votre étude sur ce projet de loi. Vous êtes désormais conscients de la globalité et de l'omniprésence de la discrimination et du harcèlement.

Je suis chef de projet pour Transforming Justice : Trans* Legal Needs Assessment Ontario. Nous avons mené une enquête, des études de groupe et des ateliers avec des personnes transgenres et des fournisseurs de services juridiques, et nous sommes sur le point de publier notre premier rapport. Selon les résultats de notre enquête, 43 p. 100 des personnes trans qui ont répondu ont signalé vivre de la discrimination et du harcèlement et, sur le plan juridique, être victimes de discrimination. Dans la population en général, ce taux est de 5 p. 100.

Le président : Je vais devoir vous arrêter ici pour que nous puissions commencer la période de questions. Commençons avec le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je tiens à dire merci aux témoins des excellents exposés qu'elles nous ont présentés ainsi que de l'importante contribution que chacune d'entre vous — et pas seulement les avocates, Mme Bauer également — avez apportée au domaine juridique. Voilà, et maintenant je vais passer à ma première question.

Il y a une affaire à laquelle participe le sénateur Joyal qui est présentement devant la Cour supérieure du Québec, et elle a retenu mon attention. Le sénateur a souvent comparu devant la cour du Québec... en tant qu'avocat, pas en tant qu'accusé. C'est en français, mais cela montre ce qui arrive lorsqu'on modifie la loi et que le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires pour les modifications qui devraient découler de la nouvelle version de la loi.

À Terre-Neuve, les choses se passent très rapidement. Nous avons modifié les exigences relatives aux permis de conduire, aux certificats de naissance, et cetera à la lumière de l'affaire XY c. Ontario. Les avocats parmi nous doivent tout savoir là-dessus. C'est un arrêt faisant autorité au Canada et qui concerne le sujet à l'étude aujourd'hui, à l'échelle provinciale.

Cependant, au Québec, il y a présentement une affaire portée devant la Cour supérieure, et je ne sais pas si le sénateur Joyal serait d'accord pour que nous en parlions, puisque l'affaire est encore devant les tribunaux.

Le sénateur Joyal : Faites preuve de réserve.

Le sénateur Baker : Je serai prudent. Je vais toutefois vous dire ce qui a retenu mon attention, puis je vais passer à ma question, madame Bauer. Je tiens à vous remercier d'avoir établi le privilège universitaire de pouvoir mener des études sans avoir à révéler le nom des personnes interviewées. Vous avez établi cela. Donc, dans la jurisprudence, nous avons eu trois affaires successives. Voici ce qui m'a frappé. C'est une question très simple.

Dans cette affaire en particulier, on utilise votre étude. On dit que vous avez déterminé, à la lumière de plus de 400 entrevues avec des personnes transgenres — je crois que c'est bien ça, car c'est dans l'autre langue —, qu'environ un tiers de ces personnes avaient déjà eu des idées suicidaires, et que ce pourcentage baissait à 10 ou 4 p. 100 lorsque ces personnes avaient au moins une pièce d'identité qui reflétait le fait qu'elles étaient transgenres. Je ne fais pas erreur, n'est-ce pas? Pouvez-vous expliquer au comité l'importance de cette conclusion? Ces personnes transgenres qui pensent au suicide ou qui vont jusqu'à se suicider, dans votre étude — une étude marquante — pour laquelle vous avez interrogé plus de 400 personnes en Ontario... Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est important pour le gouvernement de non seulement adopter cette loi, mais également de l'appliquer et de modifier ce genre d'information personnelle cruciale, et cetera?

Mme Bauer : Merci. Les facteurs institutionnels sont extrêmement importants. Quand nous avons commencé l'étude, nous avons d'abord utilisé les études qui avaient déjà été faites, et elles étaient en majorité axées sur l'aspect psychologique. Nous avons songé à orienter l'étude vers la résilience. Comment pourrions-nous améliorer les réactions chez les personnes transgenres? Nous nous sommes rendu compte que personne ne devrait être obligé d'avoir une si grande résilience, vous voyez? Vous ne devriez pas être obligé de faire preuve d'une si grande résilience parce qu'il y a un si grand nombre de facteurs institutionnels en place. C'est en partie la raison pour laquelle notre projet a évolué de cette façon pour lui, ce qui lui a donné une telle pertinence sur le plan politique.

À propos des pièces d'identité — pour ceux et celles d'entre vous qui n'ont pas réfléchi à la question — imaginez que vous ne possédez aucune pièce d'identité sur laquelle le M ou le F reflète votre genre. Vous êtes un étudiant ou une étudiante à Western Ontario. Nos étudiants sortent souvent prendre un verre. Vous êtes une jeune femme transgenre. Allez-vous montrer au videur du bar votre permis de conduire où il y a un M pour pouvoir aller prendre un verre? Réfléchissez un peu au grand risque de violence auquel s'exposent les jeunes femmes qui vont dans les bars. Disons que vos amis ne savent pas que vous êtes transgenre; vous risquez qu'ils apprennent la vérité, alors vous n'allez pas vouloir sortir avec eux. Et disons que vous décidez de conduire votre voiture et qu'un policier vous interpelle. Vous lui montrez votre pièce d'identité, vous êtes seule sur le bord de la route et vous lui montrez une pièce d'identité; 24 p. 100 des personnes transgenres ont dit avoir été harcelées par la police. Allez-vous vous sentir en sécurité dans ce genre de situation?

Certaines personnes ne peuvent pas voyager à l'étranger parce qu'il n'y a pas d'uniformité entre leurs pièces d'identité. Ces gens vivent avec beaucoup de contraintes. Nous nous sommes intéressés aux personnes qui évitent les endroits publics, en raison des incidents de violence — et non des pièces d'identité —, mais la majorité des personnes transgenres qui ont vécu une agression transphobique évitent tout de même de se trouver dans beaucoup d'endroits publics. Environ un tiers de ces personnes évitent de se trouver dans plus de la moitié des endroits que nous avons énumérés. Ces facteurs institutionnels ont un grand impact sur la capacité de ces personnes à participer pleinement à la vie sociale et de se trouver dans des endroits publics que la population en général tient pour acquis.

Le sénateur Plett : J'ai deux questions : l'une pour l'ABC, et l'autre pour Mme Palmer. Je n'ai rien à dire en avant- propos, et si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais poser mes deux questions avant que vous répondiez.

Présentement, le seul motif illicite — et cette question s'adresse à l'ABC — qui ne concerne pas une caractéristique inaltérable et qui est lié à l'expérience interne et personnelle du genre est la religion. La religion est un motif de distinction illicite, et l'expression de la religion — par exemple, le fait de porter un niqab ou un turban — est comprise implicitement. Parallèlement, l'expression de genre devrait être comprise dans l'identité de genre. Ne pensez-vous pas que c'est juste, et sinon, pour quelles raisons?

Ensuite, Mme Palmer, le sénateur Baker ne cesse de mentionner les grandes lois des provinces, soit le fait que toutes les provinces ont ce genre de lois et qu'elles fonctionnent toutes à merveille. Cependant, nous sommes tous au courant du taux de suicide élevé, et il vient justement de le mentionner encore une fois. Compte tenu du fait que des lois similaires existent dans un grand nombre de provinces — depuis cinq ans, en Ontario — pourquoi n'ont-elles pas réussi à mettre un terme au harcèlement, à la discrimination et aux autres incidents fâcheux dont on entend parler? Pourquoi croyez-vous que nous pourrons prévenir ou réduire ces problèmes si le gouvernement adopte cette loi, alors que la majorité de ces mesures législatives s'appliquent à l'échelon provincial, et non fédéral.

Commençons avec l'ABC, suivie de Mme Palmer, s'il vous plaît.

Mme O'Brien : Pour l'expression de genre, je suis sûre que mes collègues vont sauter sur l'occasion de vous expliquer la terminologie et ce qui est compris ou pas dans le terme « identité de genre ».

Le sénateur Plett : C'est vous, l'avocate.

Mme O'Brien : Je suis avocate, et, selon moi, le terme « expression de genre » est tout aussi important que celui d'« identité de genre », puisque c'est l'expression manifeste de l'identité de genre. Il incombe aux législateurs de veiller à ce que l'expression de genre soit un motif de distinction illicite afin de protéger ces personnes dans un contexte professionnel. Selon moi, elles doivent être assurées de pouvoir s'exprimer dans leur lieu de travail.

En tant qu'avocate spécialisée dans les droits de la personne en milieu de travail, je n'ai aucun problème avec la proposition d'inclure « expression de genre » dans la loi, pas plus qu'avec le fait qu'il n'y a pas de définition explicite du terme « expression de genre ».

La plupart des lois sur les droits de la personne au Canada comprennent l'expression de genre et l'identité de genre. Les décideurs en matière de droits de la personne ont construit la définition de ces motifs à la lumière de centaines d'affaires juridiques, à l'aide de conclusions logiques et de renvois à l'objet de la loi. Les décideurs dans d'autres gouvernements doivent interpréter ces motifs, et, comme on le fait ici, ils doivent les interpréter dans l'ensemble, parce que c'est de cette façon que fonctionne notre système de common law.

D'un côté, nous avons la jurisprudence, et de l'autre, comme vous l'avez mentionné, nous avons des commissions chargées d'interpréter la loi. Même si ce n'est pas prescriptif, cela peut aider avec l'interprétation. Si vous avez des préoccupations à propos de la portée du terme « expression de genre », vous trouverez peut-être utile de savoir que d'autres administrations, pour interpréter l'expression de genre, ont effectivement établi des paramètres par rapport à ce que cela veut dire.

Par exemple, en Ontario, il y a eu un certain nombre d'affaires en 2016 où il était mentionné que le terme « expression de genre » n'est pas censé s'appliquer aux personnes cisgenres, par exemple un homme cisgenre qui a l'intention de se faire pousser la barbe ou de s'exprimer d'une façon caractéristiquement masculine. Ce genre de chose n'est pas un motif de distinction illicite lié à l'expression de genre. Les mécanismes d'exécution juridique sous-jacents à cette interprétation permettent de résoudre ce problème de façon satisfaisante, je crois.

Mme Bauer : Je répondrai en disant que nous n'avons pas, dans les faits, de données permettant d'affirmer que les taux ont diminué depuis que les politiques ont été modifiées. Ce que nous avons, c'est un grand nombre d'études transversales. Nous avons le projet Trans PULSE, nous avons l'étude TransYouth et nous avons d'autres études en cours sur l'accès aux soins de santé et sur la santé des jeunes transgenres qui sont envoyés en consultation pour recevoir des soins médicaux. Cependant, personne n'a été en mesure de reproduire l'une de ces études pour voir si la situation avait changé. Par conséquent, nous n'avons pas de données.

Le sénateur Plett : Vous n'avez toujours pas réalisé d'études, après cinq ans en Ontario?

Mme Bauer : Nous sommes encore en train d'analyser les données de notre première étude. Actuellement, je réalise une étude sur les jeunes transgenres aiguillés vers des cliniques pour y recevoir des soins de santé. Nous avons d'autres priorités également, mais nous espérons pouvoir revoir d'anciennes études pour recueillir de nouvelles données.

Une chose que je veux dire, c'est que vous ne devez pas vous attendre à ce que tout change du jour au lendemain. Nous savons, par exemple, qu'il y a une corrélation très forte entre le fait d'avoir été victime de violence physique ou sexuelle parce que vous êtes transgenre et le risque de suicide. Les épreuves vécues ne disparaîtront pas, même si vous adoptez des politiques qui permettront de protéger complètement tout le monde dans l'avenir, ce qui est impossible. Ce genre de choses ne va pas disparaître.

En outre, même si on prend des mesures pour renforcer la sécurité, il va y avoir un décalage entre la sécurité accrue et le sentiment de sécurité chez les gens qui ne se sentent plus en danger. Si on envisage la situation selon une approche fondée sur le parcours de vie, on se rend compte que les expériences passées des gens continuent d'avoir une influence sur eux dans l'avenir.

Un autre point que je tiens à souligner est le fait que le seuil en ce qui concerne la protection des droits de la personne ne se limite pas à ce qui peut sauver des vies. Je ne crois pas qu'on veut seulement adopter ces mesures de protection parce qu'elles peuvent sauver des vies et réduire le risque de suicide. Nous avons énormément de données sur la discrimination et sur le besoin de prendre des mesures de protection, peu importe si cela a un rapport avec le risque de suicide.

La sénatrice Jaffer : Merci de nous avoir présenté vos exposés. En tant que membre de l'ABC, je suis fière de ce que vous venez de dire. Je suis fière d'avoir des collègues comme vous et comme Mme Bauer, bien sûr.

Il y a un point auquel je me suis beaucoup intéressée — et c'est aussi quelque chose qui est ressorti pendant les audiences du comité permanent de la Chambre des communes —, cela concerne l'ancien projet de loi, le projet de loi C- 279, qui traitait des mêmes questions que le projet de loi actuel. Certains témoins nous ont dit que, dans les faits, le projet de loi ne créait pas de nouveaux droits, puisque, dans la jurisprudence, l'identité de genre faisait déjà partie des motifs de distinction illicite. De fait, les témoins ont dit que le projet de loi C-279 — aujourd'hui le projet de loi C-16 — rend plus explicites les mesures de protection pour les Canadiens transgenres.

Le projet de loi C-16 crée-t-il de nouveaux droits qui ne sont toujours pas reconnus en vertu des lois canadiennes?

Mme O'Brien : Je dirais que c'est le cas, oui. Il est vrai que lorsqu'une plainte est déposée pour un motif qui n'est pas compris dans une loi en matière de droits de la personne, il est possible de conclure que la plainte est fondée en vertu d'un motif connexe. En ce qui concerne l'identité de genre et l'expression de genre, on peut conclure qu'une plainte est fondée sur le motif du sexe, dans la Loi canadienne sur les droits de la personne du gouvernement fédéral.

Cependant, dans ce genre de cas, le plaignant doit effectuer une étape supplémentaire. Les motifs de distinction illicite qui ne sont pas explicites obligent le plaignant à prouver d'abord que cette loi le protège et qu'il a une caractéristique analogue à celles mentionnées explicitement dans cette loi. Il est aussi possible de contester les motifs implicites, lorsqu'il n'y a pas de motifs explicites.

Par exemple, en 2014, il y a eu l'affaire C.F. c. Alberta (Statistique de l'état civil), où le gouvernement de l'Alberta a remis en question l'idée que l'identité de genre était assimilable au sexe. Le tribunal a dû trancher cette question avant de pouvoir se pencher sur celle de la discrimination. On a essayé de rejeter ou de remettre en question le fait que l'identité de genre était assimilable au sexe, malgré le fait que l'analogie avait été établie à de nombreuses reprises devant les tribunaux de plusieurs autres administrations.

Mme Nussbaum : Si vous me le permettez, j'aimerais dire que la décision C.F. c. Alberta est particulièrement importante parce qu'elle reconnaît que la Charte protège l'identité de genre en tant que motif connexe. En ce sens, cette décision établit un précédent.

En ce qui concerne la question de savoir si on crée ainsi de nouvelles mesures de protection, je crois, en fait, qu'on reconnaît et qu'on soutient l'importance de protéger ces droits. Ce qui est une mesure de protection est une mesure de protection; puisqu'il n'existe aucun droit absolu, je ne crois pas que la portée de la protection offerte sera différente parce qu'il s'agit d'un droit protégé en vertu d'un motif explicite. L'application concrète de ces mesures de protection sera définie dans la décision de chaque affaire.

Jusqu'ici, la jurisprudence établit un grand nombre de terrains d'entente pour les problèmes du quotidien, en ce qui a trait au travail, par exemple. S'il y a d'autres petits détails qui doivent être réglés en périphérie de ces mesures de protection générales — pour ce qui concerne, entre autres, les droits concurrentiels —, je crois que les cours et les tribunaux vont se charger de combler le manque, comme cela a été le cas pour tous les autres motifs. Ces motifs ne sont pas différents des autres, et je crois que certaines des objections qui ont été soulevées par rapport à cela ne sont pas uniques à l'identité de genre ou à l'expression de genre; on pourrait les soulever pour tout motif de distinction illicite où des droits entrent en concurrence ou lorsqu'il serait possible pour une personne de les contester.

Une autre chose que je veux dire est que les lois en matière de droits de la personne évoluent grâce à la façon dont on règle les plaintes. Vous devez prendre les faits d'un cas particulier comme ils sont présentés par les parties en question. De façon générale, les lois en matière de droits de la personne prévoient qu'un comportement donné est inacceptable. On dit : en fonction de la politique gouvernementale qui établit les droits de la personne pour la population du Canada, ce comportement est inacceptable. Puis, les cours et les tribunaux, à la lumière des faits de chaque affaire, vont prendre des mesures pour protéger les personnes en conséquence.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à Mme Bauer. Dans votre étude, avez-vous fait un relevé, selon les provinces, du comportement en général des citoyens et des entreprises envers les transgenres?

[Traduction]

Mme Bauer : Les données que nous utilisons ont été tirées du projet Trans PULSE, et le projet Trans PULSE ne vise que la province de l'Ontario. C'est tout ce que nous avons, et nous ne pouvons pas extrapoler pour les autres provinces. Il nous manque toujours des données concluantes pour un grand nombre de provinces au Canada.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Dois-je comprendre, de votre réponse, que vous étudiez le comportement des citoyens et des entreprises envers les transgenres?

[Traduction]

Mme Bauer : Nous n'avons pas ciblé d'entreprises dans notre étude. Nous avons enquêté sur des personnes — 433 personnes transgenres en Ontario âgées de 16 ans et plus —, cela n'avait rien à voir avec les entreprises. Les gens nous ont parlé de leurs expériences, et peut-être y en avait-il qui étaient dans un contexte professionnel, mais nous ne nous sommes pas attardés aux politiques des entreprises ni à leur comportement.

[Français]

Le sénateur Dagenais : À titre d'exemple, lorsque j'étais président de l'Association des policiers provinciaux du Québec, l'un de nos membres nous avait avisés qu'il désirait changer de sexe. Nous l'avons appuyé, comme association, nous avons parlé à son employeur, la Sûreté du Québec, et nous lui avons confié un travail qui lui permettait d'effectuer sa transformation.

Il serait peut-être intéressant de vérifier ce que les entreprises font pour aider ces personnes. J'imagine qu'il n'est pas évident de procéder à cette transformation dans le milieu de travail. Pour un corps policier, ce ne l'était pas, en tout cas, mais, comme association, nous avons aidé cette personne.

[Traduction]

Mme Bauer : Je suis heureuse de savoir que vous avez soutenu cette personne; c'est formidable. Je sais qu'il y a beaucoup d'entreprises qui ont fait un excellent travail pour élaborer des politiques explicites de façon à être prêtes si jamais un membre de leur personnel vit ce genre de choses.

Le sénateur Pratte : Les personnes qui s'opposent au projet de loi C-16 évoquent, entre autres, l'argument selon lequel une personne pourrait refuser, pour des motifs religieux, par exemple, d'utiliser le pronom préféré de la personne transgenre lorsqu'elle s'adresse à elle et, en conséquence, être déclarée coupable de discrimination ou de harcèlement et, au bout du compte, se retrouver en prison. Ce genre de scénario est-il plausible?

Mme O'Brien : Les modifications prévues à la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le projet de loi C-16 n'obligent pas une personne à en appeler une autre en utilisant un pronom en particulier. La question a été abordée dans certains contextes universitaires, et je suis sûre que mes collègues seraient d'accord pour dire — puisqu'elles viennent du milieu universitaire — que ces modifications ne vont pas avoir d'incidence sur les discussions ou les débats universitaires à propos du sexe et du genre. Il n'y a rien dans le projet de loi C-16 qui soulève ce genre de questions.

Avec cet amendement, on ne fait qu'interdire explicitement les pratiques discriminatoires, le harcèlement et le harcèlement sexuel fondés sur l'identité de genre ou l'expression de genre.

Nous avons déjà vu, comme mon amie Nicole l'a mentionné, que cette question a été abordée par la Cour suprême du Canada lorsqu'elle a dû se pencher sur les droits en concurrence dans l'affaire Vriend, où il a été mentionné que l'homosexualité et la liberté de religion soulevaient des droits en concurrence. Le tribunal a conclu que la loi provinciale en vigueur comprenait des mécanismes internes permettant de trouver un terrain d'entente pour ces points en opposition, et, de la même façon, on pourrait parvenir à un compromis entre l'expression de genre, la religion et les pronoms; des intérêts apparemment opposés.

La conclusion du tribunal dans l'affaire Vriend, soit qu'il existe des mécanismes permettant de pondérer les droits rivaux, s'applique également ici. La Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique de la même façon, et aucun droit n'est absolu. Il y a des mécanismes prévus dans la loi qui permettent de pondérer ces intérêts rivaux. Ce mécanisme permet de prendre en considération les motifs justifiables qui pourraient être soulevés par certaines parties et de régler les préoccupations liées à la santé, à la sécurité et aux coûts qui pourraient restreindre les mesures d'adaptation liées à des motifs de distinction illicite.

Vous trouverez ces mécanismes à l'article 15 de la version actuelle de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En vertu de ces mécanismes, lorsque les exigences professionnelles le justifient, certaines pratiques ne peuvent pas constituer des actes discriminatoires, par exemple lorsqu'il est question de moyens d'hébergement, de biens, de services ou d'installations pour lesquels il y a un motif justifiable. Pour ces motifs justifiables, la loi prévoit déjà des mécanismes internes qui font que vous devez prouver qu'il vous est impossible de répondre aux besoins de la personne pour des raisons liées aux coûts, à la santé ou à la sécurité.

Les motifs justifiables et les contraintes excessives sont déjà pris en considération dans la loi en ce qui concerne les droits concurrentiels, et ceux-ci ont déjà fait l'objet de nombreuses interprétations juridiques.

Le sénateur Pratte : Quelles sont les probabilités qu'une personne soit accusée de tenir un discours haineux une fois le projet de loi C-16 adopté?

Mme O'Brien : Je ne suis pas spécialisée en droit criminel, mais en tant qu'avocate, je dirais que le risque est très faible.

Le sénateur Pratte : Madame Nussbaum, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Nussbaum : Je serai très brève. Article 318, quiconque préconise ou fomente le génocide. Donc, la disposition ne s'applique pas à vous à moins que vous ne fomentiez le génocide. Dire ce genre de chose dans un lieu public, inciter à la haine ou le genre de chose qui est susceptible de mener à une violation de la paix... Je ne crois pas qu'on peut se rendre jusque-là avec des pronoms. La communication de déclarations en un endroit public afin de fomenter volontairement la haine contre un groupe identifiable. Encore une fois, je ne suis pas sûre que cela nous concerne dans ce contexte, alors non.

À propos de cette question de pronoms... Vous êtes au courant qu'il existe des personnes non binaires. Ce qu'on appelle les pronoms non binaires sont en fait des pronoms qui n'ont pas de genre, qui n'attribuent pas de genre à une personne.

La sénatrice Batters : Madame O'Brien, étiez-vous en faveur de l'ancien projet de loi, le projet de loi C-279, déposé pendant la dernière législature et qui ne comprenait pas l'expression de genre comme motif de distinction?

Mme O'Brien : Je ne connais pas la position adoptée par l'ABC à cette époque, j'en ai bien peur. Je ne sais même pas si je pratiquais le droit à l'époque.

La sénatrice Batters : Madame Leclercq, l'ABC soutenait-elle le projet de loi C-279?

Mme Leclercq : Toute ma vie, j'ai été activiste, et c'est l'une des raisons pour lesquelles je suis ici. Je suis avocate spécialisée en propriété intellectuelle, mais je suis une personne transgenre depuis longtemps. J'ai traversé bon nombre d'épreuves.

La sénatrice Batters : Savez-vous si l'ABC soutenait le projet de loi C-279 à l'époque?

Mme Leclercq : Oui, nous le soutenons. Cependant, en ce qui concerne la distinction faite entre l'identité de genre...

La sénatrice Batters : J'ai quelques autres questions à poser. Ce que je veux savoir, c'est si l'ABC soutenait le projet de loi C-279.

Mme Leclercq : Je ne m'en souviens pas.

Mme Nussbaum : J'ai été la présidente de la Conférence sur l'orientation et l'identité sexuelles de l'Association du Barreau canadien. Nous avons effectivement soutenu le projet de loi, mais nous avons demandé d'y ajouter l'expression de genre, et nous étions opposés aux définitions proposées.

La sénatrice Batters : Madame O'Brien, vu les commentaires précédents que vous avez faits ici devant le comité, croyez-vous que les provinces où l'expression de genre n'est pas un motif de distinction illicite en vertu de la loi protègent moins efficacement les personnes transgenres?

Mme O'Brien : Encore une fois, je vais dire que je ne vois aucun problème à ce que ce projet de loi comprenne le terme « expression de genre ». Ce que je veux dire, c'est qu'il y a un très grand nombre de cas dans la jurisprudence où on offre une interprétation de ce motif de distinction illicite et où on délimite sa portée. Ce genre de cas, il y en a d'un bout à l'autre du Canada.

La sénatrice Batters : Pouvez-vous répondre à ma question? Croyez-vous que les lois provinciales qui ne mentionnent pas l'expression de genre protègent moins les personnes transgenres?

Mme O'Brien : Oui.

La sénatrice Batters : Et quelles mesures de protection ne sont pas offertes?

Mme O'Brien : Je vais devoir m'en remettre à certaines de mes collègues. En ce qui concerne...

La sénatrice Batters : Vous avez mentionné plus tôt le problème lié à l'expression du genre, alors j'aimerais connaître l'opinion de l'ABC en ce qui concerne les mesures de protection juridiques qui ne seraient pas offertes par ces lois provinciales.

Mme O'Brien : On dirait que vous ne voulez pas accepter ce que je dis, mais ma réponse est que même si les lois des autres provinces comprennent seulement l'identité de genre, je ne vois aucun problème avec le fait que ce projet de loi comprenne l'identité et l'expression de genre. Ainsi, on protège ce que l'on veut protéger.

La sénatrice Batters : Est-ce que vous dites cela parce que vous croyez que l'expression de genre est déjà comprise, essentiellement, dans l'« identité de genre »? Est-ce pour cela que vous faites cette distinction?

Mme O'Brien : Non. Si je dis cela, c'est parce que le terme « expression de genre » a déjà fait l'objet de nombreuses analyses dans la jurisprudence et qu'on a ainsi fourni des interprétations valables.

La sénatrice Batters : D'accord. Tout cela avant même que ce projet de loi n'entre en vigueur. Merci.

Mme O'Brien : C'est exact.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s'adresse d'abord à la professeure Bauer. Merci à vous toutes d'être ici aujourd'hui.

Le rapport sur la révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été rédigé à la suite d'une vaste consultation menée à travers le pays. C'était le mandat du comité à l'époque. Je faisais partie de ce comité et, lors de cette consultation générale, des personnes transgenres nous ont fait part de la réalité et de la discrimination qu'elles vivaient. Madame Bauer, vous avez fait des recherches et, à l'époque, il faut dire que les gens devaient achever la transformation chirurgicale pour pouvoir se présenter comme transgenres. On sait qu'aujourd'hui un certain nombre de juridictions ne l'exigent plus.

D'après vous, quel est l'état de l'évolution des recherches médicales — parce que les médecins sont tout de même confrontés à ces réalités —, entre le début des années 2000 et les récentes recherches que vous faites? Y a-t-il une évolution dans la compréhension de ces questions de la part des médecins?

[Traduction]

Mme Bauer : Selon moi, nous avons fait beaucoup de chemin. Les premières études médicales, je crois, étaient surtout axées sur la chirurgie.

Il ressort de nos études que même chez le quart des personnes transgenres, environ, qui disent avoir terminé la transition médicale, ce ne sont pas toutes qui ont subi des interventions chirurgicales. Un grand nombre de personnes en décident autrement pour toute une gamme de raisons, et elles ne devraient pas se sentir obligées de le faire. C'est en partie pour cette raison que cela a été retiré des critères pour apporter des changements à vos pièces d'identité. Personne ne devrait être stérilisé de force ou subir une chirurgie forcée.

En ce qui concerne la recherche médicale et ce qu'on sait dans le domaine des soins de santé, nous avons fait beaucoup de chemin, et pas seulement dans le domaine de la recherche, mais également en ce qui a trait à la formation dans les écoles de médecine. Par exemple, je fais partie de l'école de médecine de Western Ontario, et nous venons d'ajouter du nouveau contenu relatif à la médecine sociale pour les étudiants de première année. Dans les cours sur l'endocrinologie, nous abordons également, en gros, le sujet des traitements hormonaux. Les étudiants s'exercent sur des patients transgenres standardisés.

Le but est d'améliorer le monde médical à cet égard. On veut faire en sorte que les médecins sauront quoi faire, essentiellement, avec les personnes transgenres, alors ils ne seront pas surpris quand ils en verront une pour la première fois. Ils sauront quoi faire, dans l'ensemble, en ce qui a trait aux traitements hormonaux non complexes. Ensuite, bien sûr, des spécialistes s'occuperont des cas plus compliqués.

Il nous reste encore des études à réaliser. Je suis responsable d'une vaste étude nationale que l'on va entreprendre cet été afin de recueillir des données à propos des enfants transgenres, les jeunes transgenres — pas vraiment des enfants — à qui on a recommandé des inhibiteurs d'hormones ou un traitement hormonal. Nous allons recueillir des données de neuf cliniques d'un bout à l'autre du Canada; nous voulons en apprendre davantage sur leur bien-être, autant sur le plan médical que sur le plan social et familial.

La sénatrice Omidvar : Merci à vous toutes. Ma question s'adresse aux avocates, j'imagine.

Hier, on nous a parlé des conséquences inattendues qui pourraient survenir si on élargit la Loi canadienne sur les droits de la personne de cette façon; on ouvrirait les vannes pour d'autres groupes émergents cherchant des droits. On nous a donné l'exemple de la modification ethnique et de la lipidophobie. Je voulais savoir si vous avez quelque chose à dire à ce sujet. Est-il justifié de nier les droits de ces personnes aujourd'hui à cause de problèmes éventuels? Si on remonte en arrière, comment les choses se sont-elles passées?

Mme O'Brien : Je vais laisser mes collègues vous répondre plus en détail, mais je vais dire rapidement que je trouve très peu convaincant l'argument de la pente glissante. Je devrais peut-être souligner le travail qui est fait ici et le fait que c'est loin d'être la première fois que nous tentons de faire adopter un tel projet de loi, et ce, même si nous avons l'appui de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vriend, comme Nicole l'a si bien mentionné ce matin.

La sénatrice Omidvar : En d'autres mots, cela ne vous préoccupe pas?

Mme O'Brien : Cette histoire de pente glissante ne me préoccupe pas.

Mme Leclercq : Ce n'est pas tout; j'imagine qu'il serait important, encore une fois, de mettre en relief les avantages futurs... Peu importe les problèmes que nous allons peut-être créer dans l'avenir, cela va en valoir la peine si nous pouvons améliorer la situation des membres de la communauté transgenre, une amélioration symbolisée et signalée par l'adoption de ces modifications.

Le sénateur Joyal : Ma question s'adresse à l'une ou l'autre des représentantes de l'Association du Barreau canadien.

Selon moi, c'est une violation de l'article 7 de la Charte que d'obliger quelqu'un à subir une opération chirurgicale pour changer de sexe ou pour exprimer son identité.

L'Association du Barreau canadien a-t-elle déjà songé à contester les lois provinciales à ce sujet? Je pose ma question à Mme Leclercq, parce que je sais que cela faisait partie de la loi au Québec. Selon moi, c'est une pratique barbare.

[Français]

Mme Leclercq : À l'époque où j'ai fait face à la problématique, disons que la question ne se posait pas. J'ai donc suivi la route qui m'était imposée.

J'aimerais également parler du fait que, lorsqu'on mentionne la référence à l'existence d'une loi qui permettra d'identifier le groupe, quel est l'effet bénéfique du symbole que cela représente? Dans d'autres interventions, dans les jours précédents, on avait invoqué le fait que cela n'était qu'un symbole, puisque la loi défendait suffisamment le droit en question. Mais je pense que nous sommes une société de symboles, derrière le drapeau, qui est un symbole. Tous ces symboles comptent.

J'aimerais rappeler le témoignage que j'avais fait la première fois que j'ai touché au Code civil. Le premier article que j'avais vérifié, c'était afin de savoir si c'était vrai qu'il y avait un article dans le code qui prévoyait qu'on puisse changer de sexe. C'était au début des années 1980. Ensuite, j'avais toujours cela comme espoir et comme symbole, qu'effectivement cette réalité juridique était disponible.

Je pense que, lorsque ce changement pourra être apporté, le fait qu'il y aura un groupe qui sera identifié, le fait de savoir que, non seulement pour chaque individu, il y aura cette protection, mais qu'il y aura également la possibilité de faire partie d'un groupe, cela enverra un signal très fort.

Pour ce qui est de la chirurgie, je peux vous dire que cela a été, dans mon cas — et j'ai connu beaucoup de personnes qui ont eu une opération —, un dédale inextricable entre les exigences des chirurgiens, d'une part, de respecter leur propre code de déontologie et, d'autre part, les exigences légales. Dans mon cas, j'ai consulté le Barreau; durant la période de transition de deux ans, il a refusé de me laisser pratiquer sous mon nouveau nom. Il a fallu que je pratique sous mon ancien nom tout en étant habillée en femme. Il y avait tout un dédale.

À propos de la chirurgie, je ne serais pas la bonne personne pour témoigner contre la chirurgie, parce que dans mon cas, cela a été, je pense, très bénéfique; je suis de la vieille école, mais je respecte entièrement les nouvelles personnes transgenres qui décident de ne pas adopter cette voie ou qui décideront peut-être ultérieurement de le faire.

Je peux simplement parler de la réalité à l'intérieur, parce que nous ne sommes que chimie, ultimement. Et cette chimie est quand même très importante. Lorsqu'il s'agit de voir ce qui se passe, d'avoir cette connaissance de l'intérieur, il est assez difficile de vous décrire la réalité de cette chose tout comme il est difficile de vous expliquer l'impulsion profonde qui fait qu'une personne très jeune commence à se poser des questions sur son identité.

À mon époque, il n'y avait pas de médias, de réseaux sociaux, aucun moyen de pouvoir confronter cette chose. De plus, nous vivions sous une chape de moralité qui faisait en sorte que c'était quelque chose de tout à fait inacceptable. Donc, on luttait contre cette chose, un peu comme les homosexuels de l'époque, jusqu'au moment où on était confronté à une situation qui devenait impossible. On faisait le saut. Cette impulsion, toutes les personnes trans la ressentent, à des degrés divers, cette chose qui les amène à considérer qu'elles sont une âme qui a été précipitée dans le mauvais corps. C'est la réalité de chacun, et cela peut fluctuer. Je pense qu'il faut célébrer le fait qu'on vit dans une société où cette problématique évolue beaucoup; les jeunes admettent cette réalité beaucoup mieux. Toutes les personnes ici ont plus de 40 ans, mais vous allez constater, chez les nouvelles générations, à quel point les mentalités évoluent à une vitesse extraordinaire.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci à toutes nos témoins. Madame Bauer, il y a quelques semaines, j'ai assisté à une conférence où la Dre Lawson a présenté certains travaux qu'elle menait à l'Hôpital pour enfants de l'est de l'Ontario. Vous avez mentionné que vous alliez mener des études. Je me demandais si vous aviez vu les tendances qu'elle a décrites. Je lui ai demandé pourquoi, selon elle, les choses évoluaient de cette façon, et elle a répondu qu'il y a eu un pic au cours des deux dernières années où environ 75 p. 100 des jeunes personnes transgenres sont des filles qui deviennent des garçons. Je me demande si vous avez relevé la même chose ou si vous pouvez l'expliquer. Ce n'est pas vraiment pertinent pour le projet de loi, mais ça m'intéresse beaucoup. C'est le genre de choses que je me serais attendue à voir il y a 10 ans, mais ça n'a pas été le cas, alors j'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

Mme Bauer : La Dre Margaret Lawson est ma principale co-chercheuse pour cette étude. Nous allons commencer à recueillir des données cet été, mais nous avons déjà analysé les données provenant des personnes référées aux neuf cliniques au cours des 10 dernières années. Ce que nous avons constaté, si je vous montrais un graphique, c'est une montée vertigineuse des jeunes qu'on envoie en consultation. Je crois que c'est formidable. Je ne crois pas qu'il y a nécessairement un plus grand nombre de jeunes transgenres, mais ils arrivent à comprendre leur situation à un âge plus jeune. Je crois que l'Internet a beaucoup aidé.

Dans le passé, ces jeunes auraient pu passer 10 ou 20 ans en pensant qu'ils sont uniques au monde. Maintenant, ils peuvent prendre conscience très tôt de leur situation, et certains d'entre eux entreprennent leur transition sociale à un âge plus bas.

Je sais qu'on assiste à un déséquilibre en ce qui concerne le sexe biologique des personnes qui vont dans les cliniques, mais il y a de nombreux facteurs qui peuvent avoir une incidence sur le genre de jeunes qui vont dans ces cliniques. Ils ne représentent pas nécessairement tous les jeunes transgenres. Plus jeunes, ils sont plus susceptibles d'avoir le soutien de leurs parents afin d'aller consulter; les jeunes plus vieux doivent parfois le faire sans soutien parental. Je ne crois pas qu'on peut regarder ce qui passe dans les cliniques et dire que cela représente tous les jeunes transgenres, parce que la majorité des jeunes transgenres ne se rendent jamais jusqu'aux cliniques.

La sénatrice Pate : Les tendances que vous avez toutes les deux cernées concernent-elles les cliniques ou seulement le CHEO?

Mme Bauer : C'est pour l'ensemble des cliniques. Je suis également en communication avec des collègues à l'étranger, et la situation est la même à l'échelle internationale, même dans des pays comme les Pays-Bas, qui ont ouvert la voie assez tôt en ce qui a trait aux cliniques pour les jeunes transgenres.

Le sénateur Mitchell : Je veux revenir aux définitions, parce qu'il y a quelque chose que je veux clarifier. C'est intéressant de voir qu'à l'époque du projet de loi C-279, on a cherché à obtenir l'appui des députés conservateurs en proposant une motion visant à définir l'identité de genre. Maintenant, le sénateur Plett a proposé une motion pour supprimer la définition. L'ambivalence est claire.

L'argument est que ce n'est pas nécessaire, d'abord parce qu'aucun autre élément n'est assorti d'une définition, et ensuite, parce qu'il y a toutes sortes d'affaires judiciaires en cours présentement devant les tribunaux d'un bout à l'autre du pays où une définition est fournie. Est-ce la vérité?

[Français]

Mme Leclercq : J'aimerais souligner le fait que le projet de loi ne mentionne pas « gender identity and gender expression », mais plutôt « gender identity or expression ».

[Traduction]

Je dirais qu'il s'agit d'un concept unique, un peu comme un gobelet. Vous avez l'intérieur et vous avez l'extérieur, mais vous ne pouvez pas avoir l'un sans l'autre. C'est deux aspects d'une même chose. Voilà ce que j'en pense. Je ne sais pas si les tribunaux vont voir les choses de la même façon.

En ce qui concerne l'absence de définition, j'imagine qu'il ne s'agit pas de la seule loi qui va s'en remettre aux tribunaux pour fournir une définition, mais c'est ce qui est en train de se faire.

Le sénateur Mitchell : Excellent. Merci.

Le président : Merci à toutes les témoins d'être venues ici aujourd'hui et de nous avoir aidés dans notre débat. Nous vous en sommes très reconnaissants.

(La séance est levée.)

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