Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 29 - Témoignages du 18 mai 2017


OTTAWA, le jeudi 18 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été déféré le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour l'étude article par article du projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Aujourd'hui, nous étudions article par article le projet de loi C-16. Je tiens à signaler la présence de fonctionnaires. Je ne leur demanderai pas de s'avancer à moins que des questions ne soient soulevées, mais je tenais à vous le dire, au cas où nous aurions besoin de le leur demander.

Avançons. Plaît-il au comité de procéder à l'étude par article du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

Le titre est-il réservé?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

L'article 1 est-il adopté?

La sénatrice Unger : Je propose la motion suivante :

QUE le projet de loi C-16 soit modifié à la page 1, à l'article 1, par substitution, à la ligne 15, de ce qui suit :

« le sexe, l'orientation sexuelle, l'identité et l'expression de ».

Cet amendement ne change qu'un mot du projet de loi C-16. Il remplace « identité ou expression de genre » par « et expression » uniquement dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Cette modification crée un seul motif de distinction, qui comprendrait à la fois l'identité et l'expression plutôt que les deux séparément. La protection de l'identité ou de l'expression de genre n'en serait pas diminuée, mais cela préciserait que les deux notions sont reliées.

D'abord, l'objet de cet amendement est simple, mais, pourtant, lourd de sens. L'identité de genre, intrinsèquement liée à l'identité de soi, découle d'une croyance personnelle. La loi devrait en prendre acte pour diverses raisons. On ne peut pas la séparer de l'expression de genre, sinon, on accorderait à des personnes non transgenres des droits de transgenres, parce qu'on séparerait ainsi l'expression de genre de la croyance personnelle d'être transgenre.

Ensuite, cet amendement répond aux craintes que le projet de loi C-16 n'autorise des personnes non transgenres à aller de façon inconvenante dans des endroits réservés aux hommes ou aux femmes. On ne peut pas en même temps feindre d'être une personne transgenre et réclamer d'être protégée par les droits des personnes transgenres. Autrement dit, il ne s'agit pas d'empêcher les femmes transgenres d'aller dans les endroits réservés aux femmes. En effet, sans amendement, nous autoriserions n'importe qui à aller dans les endroits réservés aux hommes ou aux femmes. C'est une mise au point nécessaire. Les droits des personnes transgenres n'appartiennent qu'à elles.

Ensuite encore, l'amendement aide à calmer les inquiétudes concernant la liberté d'expression. Les droits relatifs au genre étant fondés sur une croyance ne diminueront pas plus la liberté d'expression que ne le font les droits religieux.

Bref, en unissant l'identité de genre et l'expression de genre dans le même motif, on clarifie à l'avantage de tous, transgenres et non-transgenres, l'appartenance exclusive des droits des personnes transgenres à ces personnes et on dissipe les craintes pour la sécurité et la liberté d'expression.

D'après son résumé législatif, le projet de loi C-16 est identique à un projet de loi antérieur d'initiative parlementaire, le projet de loi C-204, si ce n'est qu'il disjoint les deux expressions, au moyen d'une virgule, tandis que le projet de loi C-216 insère entre les deux la conjonction « ou », ce qui les rapproche plus étroitement. Mon amendement renforce ce lien important.

Le président : Eh bien engageons le débat. Commençons par notre vice-président, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je remercie l'auteure de la motion.

Je rappellerai seulement que nous avons examiné les libellés employés dans chaque province et territoire. Une seule province ne possède pas le libellé précis que nous employons ici dans ce cas particulier.

Dans une séance antérieure, nous avons fait observer et lu pour les besoins du compte rendu que deux provinces ou territoires employaient l'expression « genre, identité de genre, expression de genre ». La majorité employait « identité ou expression de genre ».

L'ensemble des lois, les lois des provinces et des territoires sur les droits de la personne ont bien fait leur travail. Certaines existent depuis des décennies. Notre jurisprudence nous a montré, comme nous l'avons fait inscrire dans le compte rendu, qu'elles ont été efficaces dans les provinces. La plupart des objections que notre comité a entendues concernent ce qui arrive dans les provinces et non le projet de loi.

Je dirais que, dans le cas du projet de loi, nous suivons simplement la jurisprudence, les dispositions actuelles et les jugements rendus au fil des ans dans les provinces. Voilà pourquoi je voterai contre l'amendement.

Le sénateur Sinclair : En lisant les dispositions des autres lois en vigueur dans les provinces, personne ne semble avoir craint de problème ou avoir soupçonné qu'il y en avait eu.

Ces lois sont en vigueur depuis maintenant un certain nombre d'années. Cette tentative de lier ici les deux notions, l'identité et l'expression de genre, par cet amendement, n'est pas seulement inutile, mais elle engendrera la confusion. Elle introduira l'incohérence dans la loi et le risque, je pense, que les auteurs de certains actes de discrimination scélérate contre les personnes trans ne s'en tirent impunément parce que votre amendement permettrait la discrimination fondée sur l'identité de genre sans tenir compte de l'expression de genre. S'il devient impossible de prouver que c'est à la fois l'identité et l'expression de genre qui ont motivé l'acte de discrimination ou l'acte criminel, la disposition cesse alors de protéger la totalité des personnes trans.

Je m'oppose à l'amendement, parce que, malgré l'intention qui lui a donné lieu, il ne clarifie pas la loi. Au contraire, je pense qu'il créera plus de confusion et qu'il multipliera les difficultés pour les constats de discrimination ou ceux que le Code criminel exige pour que ce soit un facteur approprié dans la détermination de la peine.

Malgré vos aspirations à plus de clarté, vous êtes loin d'y parvenir. Les faits démentent absolument que, comme vous le dites, l'expression de genre est inséparable de l'identité de genre. Ils démentent aussi qu'on peut avoir l'identité sans l'expression, selon les circonstances et vice versa. Le genre peut s'exprimer sans nécessairement que l'identité soit claire.

L'important est l'état d'esprit de la personne accusée de discrimination ou reconnue coupable d'une infraction criminelle contre une personne transgenre et ses motifs d'agir. Dans ce cas particulier, votre amendement obligerait le procureur à prouver que les actions ont été motivées à la fois par l'identité de genre et l'expression de genre. La loi serait donc simplement mauvaise. Voilà pourquoi je voterai contre l'amendement.

La sénatrice Batters : Pour répondre à mes collègues Baker et Sinclair, je signale simplement que certaines provinces n'emploient pas l'expression « expression de genre » dans les lois qu'elles ont adoptées, où il n'est question que d'identité de genre. D'autres provinces ont les deux, l'identité et l'expression de genre.

Je pense que l'amendement de la sénatrice Unger est plein de bon sens et qu'il ne cherche pas à supprimer l'expression « expression de genre » de la problématique, mais qu'il l'ajoute simplement. Beaucoup de témoins nous ont dit que l'expression de genre est un élément essentiel de cet enjeu particulier.

Relativement à l'ancien projet de loi d'initiative parlementaire, qui ne comprenait pas l'expression « expression de genre », mais seulement celle d'« identité de genre », j'ai demandé à la ministre de la Justice, à son passage ici, de nous éclairer sur ce que l'ajout d'« expression de genre » donnerait de plus au projet de loi. Sa réponse n'a pas été très éclairante. Elle a plutôt fait allusion à la jurisprudence et aux jugements rendus en matière de droits de la personne. Bien sûr, tout cela a précédé l'adoption de cette loi particulière.

Je pense que cet amendement respecte absolument l'intention du projet de loi, qu'il est plein de bon sens. Il est sûr que je l'appuierai.

Le président : D'autres points de vue?

Le sénateur Plett : Permettez-moi seulement de mettre mon grain de sel. Je n'essaierai pas de contredire les juristes ici présents. Je n'en suis pas un, mais, comme le sénateur Baker l'a répété à maintes reprises, je crois qu'on n'a pas besoin de connaître le droit, mais qu'il faut plutôt du bon sens. J'espère que j'en ai, du moins parfois.

Je cite mon collègue Baker, parce que, à chaque témoin, il a servi exactement le même argument. Les provinces ont cette disposition et sans problèmes, semble-t-il. Alors pourquoi pas nous?

En fait, une procession de témoins est venue nous dire que des problèmes subsistent. J'ignore d'où vient l'idée que tout va bien dans les provinces. Beaucoup de témoins nous ont parlé du taux incroyablement élevé de suicides. Nous avons essayé de savoir des provinces si leurs lois sur les droits des personnes transgenres avaient réduit les taux de suicides. Aucune n'a conservé de statistiques. J'ignore pourquoi, mais c'est cela. Les personnes transgenres, les militants de leur cause, l'ensemble des transgenres nous a dénoncé la persistance du problème et déploré le grand nombre de suicides.

Les lois fédérales sont le facteur minimal. La réglementation relève surtout des provinces. Toutes nos écoles, que fréquentent tous nos jeunes, sont réglementées par les provinces et, pourtant, nous avons des problèmes.

Je rejette d'emblée l'argument du sénateur Baker. Si son seul argument est que si ça va si bien dans les provinces, autant les suivre ou si c'est acceptable pour elles, ce l'est pour nous, il faut que nos lois soient meilleures. Au nom du bon sens, il faut plus de clarté, je tiens à le dire.

Le juge Sinclair siège et dit que la tâche des juges et des procureurs sera rendue plus difficile. Nous n'essayons pas d'adopter un projet de loi pour leur faciliter la tâche, mais pour rendre la vie plus acceptable aux transgenres. Voilà notre objectif.

J'appuie l'amendement de la sénatrice Unger. Je pense qu'il bonifie le projet de loi. Il ne l'empirera certainement pas. Il nous incombe, il est de notre responsabilité d'essayer d'en faire une loi aussi bonne que possible. Je n'appuie pas le projet de loi, mais j'appuie certainement ce qui permet de l'améliorer. Je pense que c'est un moyen de le faire. Voilà pourquoi j'appuierai l'amendement.

[Français]

La sénatrice Dupuis : L'amendement que vous proposez me fait penser à une maxime qui, même si elle n'existe que dans le langage juridique, est très sensée : « Le législateur ne parle pas pour ne rien dire »; les mots comptent. Le problème que j'ai avec votre amendement est le suivant. Si on veut protéger l'identité de genre et l'expression de genre, pourquoi choisir de mettre « and » au lieu de « or » plutôt que « gender identity », « gender expression ». En ce sens, je pense que « gender identity, gender expression » convient très bien pour protéger les droits des transgenres. Par conséquent, « and » est problématique pour moi.

Le sénateur Boisvenu : Ce projet de loi, qui prétend avoir comme objectif de protéger les transgenres, est très contestable. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les transgenres qui sont venus témoigner ici.

D'autres gens sont venus nous dire que c'est un projet de loi très, très ambigu. Le sénateur Sinclair a raison, il est déjà ambigu. Donc, apporter cette modification qui m'apparaît essentielle n'ajoutera pas à l'ambiguïté, mais va plutôt la réduire. Plusieurs d'entre vous étaient absents, hier, lorsque certains témoins nous ont dit — ce qui m'effraie beaucoup — que ce projet de loi, qui est de nature très subjective quant à son interprétation, augmentera de façon significative les accusations. Cela m'interpelle.

L'autre élément est le témoignage des représentantes de l'organisme Pour le droit des femmes du Québec qui disent aussi que ce projet de loi risque d'augmenter l'insécurité des femmes. Cela aussi vient me chercher.

Je pense que la proposition de la sénatrice Unger vient resserrer les choses afin de rendre ce projet de loi un peu plus sécuritaire pour les femmes, et également pour les législateurs. Tout comme le sénateur Plett, je ne suis pas avocat. J'essaie de penser avec mon gros bon sens et de faire en sorte que si on adopte un projet de loi, ce n'est pas pour empirer la situation, mais pour l'améliorer. Pour moi, durant toutes ces audiences, on a fait la preuve que ce projet de loi n'améliore pas la situation des transgenres, et même peut-être loin de là.

Il n'améliore pas non plus la précision pour les magistrats, loin de là. La situation qui est déjà confuse le sera encore plus, ce qui risque d'aggraver la situation de la sécurité des femmes. J'espère qu'autour de la table, où siège presque une majorité de femmes, vous tenez compte de ces éléments, parce que le témoignage de l'organisme Pour le droit des femmes du Québec hier m'a touché. Elles nous ont dit de faire attention, et que leur préoccupation n'est pas de faire plus de victimes, mais bien de protéger les personnes qui font l'objet de discrimination. Or, ce projet de loi ne le fera pas. Encore une fois, ce n'est pas moi qui le dis, ce sont des transgenres qui l'ont dit.

Je pense que la proposition de la sénatrice est tout à fait recevable, et je dirais même très avantageuse pour ce projet de loi.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : Je pense que l'objectif véritable de l'amendement figure noir sur blanc dans le document que la sénatrice Unger a distribué à ses collègues hier et dans lequel on lit :

Mais, à défaut d'amendement, nous autoriserions n'importe qui à entrer dans des endroits réservés aux hommes ou aux femmes. C'est un éclaircissement nécessaire.

L'idée qui transparaît ici est que certains transgenres seraient d'éventuels agresseurs de femmes. Pur préjugé, d'après moi, et qui ne repose sur aucun fait. Des statistiques qui nous ont été présentées à cette fin se sont révélées non valides. Comme il ne se fonde pas sur des faits mais sur le préjugé, je voterai contre.

Le président : D'autres interventions?

Le sénateur Joyal : Avec tout le respect dû à la sénatrice Unger, je ne peux pas appuyer son amendement. Voici pourquoi, en termes non constitutionnels, si vous permettez.

Le projet de loi vise deux groupes de transgenres. Celui, d'abord, de ceux qui, par leur identité, s'affirment transgenres. Nés avec des organes génitaux mâles ou femelles, ils s'estiment en fait appartenir à l'autre sexe. Le deuxième groupe rassemble ceux qui s'estiment arrivés au moment charnière de leur vie où ils décident de s'identifier à un autre sexe, dont ils adoptent les comportements vestimentaires, la démarche, les façons de s'exprimer ou, le cas échéant, de se maquiller et les pronoms à l'avenant.

Votre amendement équivaudrait à exclure ce deuxième groupe. Au lieu de faciliter la vie aux transgenres, vous les excluriez. Ce serait comme leur dire : « Pour être protégés par le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne, vous devez être transgenres des deux façons », pour les motifs que vous et d'autres, ici présents, ont expliqués, comme vient de le faire le sénateur Boisvenu.

Je ne crois pas que ce soit notre objectif. Nous voulons protéger tous les transgenres. C'est difficile. Nous comprenons. Personne ne ferait fi de la difficulté pratique que poserait la réalité, mais le principe, à mon avis, serait sauf, et il incomberait aux tribunaux des droits de la personne, fédéraux, provinciaux ou territoriaux, de faire cette distinction et d'appliquer ces principes.

Voilà pourquoi j'estime que le projet de loi dont nous sommes saisis est bien inspiré et que je ne voterai pas pour votre amendement, avec toutes mes excuses. J'ai beaucoup de respect pour vous et pour le sénateur Plett, dont les arguments sont puissants et convaincants. Cependant, je ne peux pas appuyer votre amendement.

La sénatrice Omidvar : Moi non plus je ne suis pas juriste, mais j'espère que j'aurai autant de bon sens que le sénateur Plett.

Je suis inspirée par une des lignes qui précèdent le passage en question, dans laquelle on lit que les individus sont protégés contre la discrimination indépendamment des considérations fondées sur l'origine nationale ou ethnique. Ce libellé protecteur invoque les deux motifs séparément et non en les combinant. Je pense que nous savons tous ce que signifieraient des considérations fondées sur l'origine nationale et ethnique.

L'amendement limiterait l'application de la loi. Voilà pourquoi je voterai contre lui, en tout respect pour vous.

La sénatrice Frum : J'ai l'intention d'appuyer l'amendement, mais je tiens à rejeter brièvement l'idée selon laquelle aspirer à la une loi claire, c'est faire preuve d'étroitesse d'esprit.

Des résistances se sont opposées à la définition d'« expression de genre » et d'« identité de genre », des expressions très vagues d'après beaucoup de témoins.

Je pense que l'amendement de la sénatrice Unger clarifie mieux le lien qui existe entre ces deux idées. Le sénateur Sinclair a dit que ces notions pouvaient être séparées. Franchement, je ne le comprends pas, et c'est là que gît le problème. Ce n'est pas évident.

Le fait de les lier clarifie le texte, et c'est, je pense, l'objectif de la sénatrice Unger. Cela ne fait pas de ceux qui croient que c'est une bonne idée des étroits d'esprit. Merci.

La sénatrice Batters : Rapidement, pour faire suite à ces propos, je suis absolument d'accord. L'absence de définition explique pourquoi plusieurs témoins juristes, notamment la ministre de la Justice, ont essayé de déterminer exactement, comme d'autres aussi, ce qu'« expression de genre » ajoutait de plus qu'« identité de genre » au projet de loi.

Nous n'avons jamais reçu de réponse satisfaisante à cette question ni vraiment de réponse, si ce n'est que, en général, c'est le genre de notion qu'ont éclaircie un peu les tribunaux et les commissions des droits de la personne. Bien sûr, toute cette clarté est arrivée sans que le projet de loi ne soit en vigueur. Voilà pourquoi je pense que cet amendement est éclairant, alors que le projet de loi lui-même ne l'est pas.

La sénatrice Fraser : En ce qui concerne la clarté du libellé, les deux formules me semblent claires. Mais seul l'amendement de la sénatrice Unger réduit la portée du projet de loi, raison pour laquelle je ne l'appuierai pas.

Le président : Madame la sénatrice Unger, souhaitez-vous répondre à ces observations?

La sénatrice Unger : Oui. Mon amendement vise à préciser que les droits des transgenres appartiennent aux personnes transgenres. Nous savons tous que beaucoup d'exemples différents sont employés.

J'estime que c'est une façon de mieux protéger les transgenres, et je trouve franchement insultant que l'on laisse entendre que je fais montre d'étroitesse d'esprit, car ce n'est bien sûr pas le cas.

Je pourrais vous citer des cas de jurisprudence où l'on a combiné identité de genre et expression de genre. Dans une décision rendue en 2006, le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario a ainsi reconnu que l'identité de genre pouvait exiger une vérification. Je ne vais pas entrer dans les détails à ce sujet, mais six étapes ont été avancées pour cette vérification.

À mes yeux, une telle combinaison des deux notions indique que le tout est fondé sur une croyance personnelle. Nous avons tous nos croyances, notamment en matière religieuse. C'est notre droit le plus strict, mais nous ne pouvons pas les imposer aux autres.

L'identité de genre et l'expression de genre qui s'ensuit émanent toutes les deux d'une croyance personnelle. À mon sens, on devrait les considérer comme un tout de telle sorte qu'elles soient assorties d'un seul et même droit. Ce projet de loi vise seulement à modifier la Loi sur les droits de la personne.

Je ne suis certes pas juriste, et je fais appel à la tolérance de nos conseillers juridiques. L'expression de genre ne peut pas être séparée de l'identité de genre. Si l'on fait cette distinction, on confère des droits à des personnes non sexuées. C'est une forme de protection. Mon amendement ne fait pas de discrimination à l'endroit des femmes. Il vise à s'assurer qu'elles sont en sécurité. Par ailleurs, je voulais également assurer la sécurité des transgenres.

J'ai entendu de nombreuses préoccupations quant aux entraves possibles à la liberté d'expression. L'amendement que je propose ne va pas tout régler, mais il va contribuer à améliorer les choses à cet égard. Je vous demande humblement de l'appuyer.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais revenir sur quelques-uns des arguments présentés par la sénatrice Unger, mais je veux d'abord souligner à quel point j'apprécie l'intérêt qu'elle porte aux personnes transgenres de même que les intentions sincères qui motivent son amendement.

Pour ce qui est de cette décision de 2006 que vous citez, je dois dire que la loi ontarienne ne faisait pas mention de l'expression de genre avant 2012. À ce moment-là, on a séparé les deux concepts, identité de genre et expression de genre, par une virgule, ce qui équivaut à un « ou ». De fait, les neufs lois provinciales où l'on retrouve les notions d'expression de genre et d'identité de genre les relient soit par un « ou » soit par une virgule, ce qui revient au même.

Fondamentalement, je conviens avec la sénatrice Fraser que cela limiterait l'application de la loi et qu'il y aurait des répercussions à prime abord sur un large éventail de cas où des transgenres ne seraient pas protégés. Sans vouloir m'égarer dans les détails, je rappelle que vous soutenez d'abord et avant tout que l'on ne peut pas séparer identité de genre et expression de genre. Ce projet de loi vise pourtant essentiellement à tenir compte du fait que les transgenres sont souvent obligés de faire cette distinction entre leur identité et l'expression de leur genre parce qu'ils sont victimes de discrimination et d'intimidation. Certains perdent leur emploi ou leur logement parce qu'ils ont exprimé leur genre et que d'autres ont ainsi pris conscience de leur identité.

En fait, votre argumentation va tout à fait à l'encontre de la justification même de ce projet de loi. Cette séparation se fait systématiquement de telle sorte que les transgenres puissent survivre sans s'exposer à la discrimination et à l'intimidation qui peuvent prendre des formes que la plupart d'entre nous ne pouvons même pas imaginer.

Le sénateur Pratte : Je n'avais surtout pas l'intention de laisser entendre que mes collègues qui proposent cet amendement font preuve d'étroitesse d'esprit ou sont remplis de préjugés. Je vous prie de m'excuser si c'est l'impression que mes propos vous ont laissé.

Le président : Sommes-nous allés au bout de cette discussion?

Comme personne d'autre ne souhaite intervenir, je vais mettre la motion aux voix.

Le sénateur Plett : Je demande un vote par appel nominal, monsieur le président.

Le président : Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter l'amendement proposé?

Des voix : Non.

Le président : Un vote par appel nominal a été demandé.

Jessica Richardson, greffière du comité : Honorable sénateur Baker, C.P.?

Le sénateur Baker : Non.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Oui.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Boisvenu?

Le sénateur Boisvenu : Oui.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Boniface?

La sénatrice Boniface : Non.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Dupuis?

La sénatrice Dupuis : Contre l'amendement.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Fraser?

La sénatrice Fraser : Non.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Frum?

La sénatrice Frum : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Gold?

Le sénateur Gold : Non.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Harder, C.P.?

Le sénateur Harder : Non.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal : Non.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Omidvar?

La sénatrice Omidvar : Non.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Plett?

Le sénateur Plett : Oui.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Pratte?

Le sénateur Pratte : Non.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Sinclair?

Le sénateur Sinclair : Non.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Unger?

La sénatrice Unger : Oui.

Mme Richardson : Pour : 5; contre : 10.

Le président : Je déclare la motion rejetée.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais apporter une précision. Si certains se demandent pour quelle raison je n'ai pas voté, je veux dire que c'est parce que je ne suis pas officiellement membre de ce comité.

Le président : L'article 1 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Avec dissidence.

L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Avec dissidence.

L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté, avec dissidence.

L'article 4 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté, avec dissidence.

Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Avec dissidence. Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Plett : Monsieur le président, je demande un vote par appel nominal.

Le président : Un vote par appel nominal a été demandé.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Baker, C.P.?

Le sénateur Baker : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Non.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Boisvenu?

Le sénateur Boisvenu : Oui.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Boniface?

La sénatrice Boniface : Oui.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Dupuis?

La sénatrice Dupuis : Oui.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Fraser?

La sénatrice Fraser : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Frum?

La sénatrice Frum : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Gold?

Le sénateur Gold : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Harder, C.P.?

Le sénateur Harder : Oui.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal : Oui.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Omidvar?

La sénatrice Omidvar : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Plett?

Le sénateur Plett : Non.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Pratte?

Le sénateur Pratte : Oui.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Sinclair?

Le sénateur Sinclair : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Unger?

La sénatrice Unger : Non.

Mme Richardson : Pour : 12; contre : 3.

Le président : Le projet de loi est adopté.

Le comité souhaite-t-il discuter de la possibilité d'annexer des observations au rapport?

Le sénateur Plett : Je crois que nous pouvons examiner la question des observations à huis clos, n'est-ce pas?

Le président : Proposez-vous le huis clos?

Le sénateur Plett : Oui, s'il vous plaît.

Le président : Nous allons nous interrompre quelques instants, question de laisser aux personnes qui doivent partir le temps de le faire.

Le sénateur Plett : Pour faire avancer les choses, nous allons en discuter en séance publique afin d'éviter des pertes de temps injustifiées.

Sénateurs, comme vous le savez tous, ce projet de loi a été adopté à la Chambre des communes sans même qu'un témoin soit entendu. Les débats ont été limités si bien que l'on se retrouve maintenant avec des députés qui affirment que si on leur avait donné la possibilité d'étudier ces enjeux et de prendre connaissance des préoccupations relatives à la liberté d'expression et à l'imposition d'un discours forcé, ils auraient voté différemment, ce qu'ils aimeraient bien pouvoir faire.

Nous savons que de très importantes réserves ont été exprimées devant notre comité, surtout au cours des dernières semaines, relativement à la façon dont ce projet de loi sera interprété. Certains experts juridiques ont même déclaré sans ambages qu'il s'agirait d'une restriction sans précédent à notre liberté d'expression. De fait, il est fort probable que l'on considère que ce projet de loi impose un discours forcé. Quel que soit le point de vue que l'on puisse avoir sur ces questions, il y a manifestement tout lieu de s'inquiéter.

À mon avis, notre comité manquerait totalement à ses obligations s'il n'annexait pas tout au moins une observation pour mettre en lumière les préoccupations qui nous ont été exprimées par nos témoins. Ce serait selon moi extrêmement malhonnête et irresponsable de notre part. Je recommande donc que nous joignions à notre rapport l'observation suivante :

Le comité a entendu des témoins qui ont soulevé de sérieuses préoccupations quant aux interprétations futures de cette loi par la Commission canadienne des droits de la personne, surtout pour ce qui est de l'obligation d'utiliser des termes neutres pour certaines personnes qui n'adhèrent pas nécessairement à cette théorie des genres.

Le président : Est-ce que quelqu'un veut débattre de cette proposition?

Le sénateur Baker : Je dois convenir avec mon collègue que la Chambre des communes n'a pas étudié ce projet de loi dans toute la mesure où elle aurait dû le faire. Les comités de la Chambre des communes auraient dû en faire un examen approfondi. Il faut toutefois avouer que c'est assez fréquent.

De fait, nous en sommes rendus au point où on nous demandera peut-être bientôt de nous pencher sur un projet de loi qui est réputé avoir été lu une deuxième fois, réputé avoir été adopté en comité, et réputé avoir été lu une troisième fois.

C'est une opinion qui a été exprimée par un ou deux, voire trois ou quatre, témoins devant le comité, mais non pas par la vaste majorité de ceux que nous avons entendus. Même si c'était le cas, nos tribunaux peuvent toujours examiner les procès-verbaux de nos séances, et c'est exactement ce qu'ils font. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les comités sénatoriaux sont cités sept fois plus souvent que ceux de la Chambre des communes dans la jurisprudence canadienne.

Ce n'est donc pas pour rien que notre comité tient des audiences en bonne et due forme qui font l'objet d'un compte rendu. Les tribunaux s'y référeront lorsque viendra le temps d'interpréter ces mesures législatives, conformément au rôle du Sénat qui doit se prononcer sur les projets de loi afin de guider les tribunaux et les avocats qui devront un jour en interpréter les différentes dispositions.

Ceci étant dit, je ne suis pas d'accord pour que nous annexions au rapport une observation suivant la formulation proposée par le sénateur Plett. Nos procès-verbaux se passent de commentaires. Nos tribunaux des droits de la personne et nos autres instances judiciaires y trouveront notre interprétation des expressions et des termes utilisés dans la loi.

Je m'oppose donc à l'ajout de cette observation. J'irais même jusqu'à dire que je ne vois pas la nécessité de joindre quelque observation que ce soit, si ce n'est peut-être que pour signaler le fait que la Chambre des communes n'a pas vraiment rempli le rôle qui lui incombe relativement à ce projet de loi, mais je vais m'en abstenir.

Le sénateur Sinclair : Merci, sénateur Plett, pour cette proposition. Je dois vous dire que je n'en vois pas vraiment l'utilité, si ce n'est pour ceux qui voudraient faire valoir que nous légitimons ainsi en quelque sorte ces préoccupations qui nous ont été exposées. Je craindrais qu'une telle observation donne à penser que le comité reprend ces préoccupations à son compte.

Je ne serais donc pas favorable à l'observation proposée dans sa formulation actuelle. Je serais toutefois prêt à suggérer un amendement si cela peut être jugé acceptable et si les membres du comité souhaitent effectivement joindre une observation au rapport.

Je proposerais ainsi que l'on précise que le comité est d'avis que les préoccupations exprimées, malgré leur légitimité et la conviction dont elles témoignent, n'étaient pas vraiment fondées et allaient en fait à l'encontre de l'intention visée par le projet de loi.

C'est l'amendement que je proposerais à l'égard d'une observation semblable, mais je serais plutôt d'avis que nous ne devrions pas joindre d'observation à notre rapport.

[Français]

La sénatrice Dupuis : D'abord, je pense que c'est important de souligner que c'est la troisième fois qu'un projet de loi de cet ordre est déposé au Sénat et qu'on a réussi à faire en sorte que le Sénat accomplisse son travail, c'est-à-dire l'adoption d'un projet de loi. Cela mérite d'être souligné. Dans ce cas-ci, nous y sommes arrivés après trois occasions, peu importe ce qu'il y avait dans le projet de loi.

Le deuxième point que j'aimerais soulever, c'est que toutes les questions extrêmement complexes en matière de droits de la personne sont régies par un système de protection des droits des personnes ou des groupes reconnus comme appartenant à des groupes vulnérables pour une raison ou une autre. Donc, ces questions-là sont controversées. Dans ce cas-ci, je ne vois pas ce qui est particulièrement plus controversé que toutes les autres batailles qui ont été menées pour faire reconnaître des droits au titre des droits de la personne.

Par ailleurs, je ne serais pas d'accord pour faire une observation qui serait fondée sur le commentaire selon lequel les parlementaires de la Chambre des communes ont mal fait leur travail. À mon avis, c'est un jugement qui est lourd. À ce chapitre, je constate que le présent comité n'a pas entendu la Commission des droits de la personne, qui est l'agence fédérale responsable de toutes ces questions et de l'application de cette loi, qui aura des impacts sur son financement. Alors, je ne suis pas prête à inclure des observations à ce moment-ci. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je veux réagir à un commentaire que vient de faire la sénatrice Dupuis. Elle a insinué d'une certaine manière que nous n'avions pas fait notre travail la dernière fois que notre comité et le Sénat ont été saisis d'un projet de loi semblable. Je peux lui dire que je faisais partie de ce comité, comme d'autres sénateurs ici présents, à la dernière occasion lorsque nous nous sommes penchés sur le projet de loi S-279.

Le Sénat a bel et bien fait son travail. De fait, notre comité a adopté trois amendements, dont deux ont été acceptés par le parrain du projet de loi, le sénateur Mitchell, qui est des nôtres aujourd'hui. Il s'agissait de modifications proposées dans l'unique but d'améliorer le projet de loi. Certains experts juridiques avaient fait ressortir des éléments du projet de loi qui exigeaient des améliorations. Des gens qui n'appuyaient pas d'une manière générale le projet de loi reconnaissaient tout de même qu'il fallait l'améliorer.

Je tiens à souligner que le projet de loi en question avait fait l'objet d'amendements, non pas simplement parce que des gens s'y opposaient, mais bien parce que l'on voulait essayer de l'améliorer.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Mes propos paraîtront peut-être machiavéliques. J'ai voté en faveur de ce projet de loi pour qu'il soit adopté au plus tôt et contesté au plus tôt. Or, il sera contesté parce qu'à mon avis, il n'atteint pas l'objectif qui avait été fixé : protéger les transgenres. L'observation du sénateur Plett m'apparaît opportune et reflète l'ambiguïté qu'on a observée tout au long des audiences. Un projet de loi qui comporte autant d'ambiguïtés dans ses témoignages soulève un problème fondamental. Le sénateur Joyal a fait la meilleure proposition, soit de soumettre le projet de loi à la Cour suprême pour en valider aussi bien le contenu qualitatif que la recevabilité et son application. Cela aurait sans doute été le chemin le plus logique à suivre. Il faut apporter des précisions à ce projet de loi, parce qu'il y est fondamentalement ambigu. Demain, ce projet de loi qui deviendra loi représentera tout un défi pour la magistrature en ce qui concerne la clarté dans les jugements. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : J'ai deux commentaires. Je veux d'abord traiter de ces allégations voulant que l'étude n'ait pas été suffisante. J'aimerais que nous comprenions bien que ce projet de loi jouira de toute la crédibilité souhaitable si jamais il était adopté, comme j'espère que ce sera le cas. Je tiens à souligner à cet effet que la Chambre des communes a été saisie à trois reprises de projets de loi semblables, incluant celui-ci.

Depuis 2009, des dizaines et des dizaines de témoins ont été entendus d'un côté comme de l'autre. Au cours de la même période, notre société a pu amplement débattre de la question. Du côté de la Chambre des communes, il y a effectivement des témoins qui ont comparu relativement à ce projet de loi. C'était la ministre et ses fonctionnaires.

Tous les partis ont eu l'occasion de poser leurs questions et d'approfondir les choses. Ils ont tous convenu à la Chambre des communes que c'était suffisant. Je veux qu'il soit bien clair que le processus est tout à fait crédible et que ce projet de loi aura une grande valeur grâce au chemin parcouru pour y parvenir.

Mon second commentaire concerne la proposition du sénateur Plett. Il y a effectivement des témoins qui nous ont exposé les préoccupations dont il fait état dans son observation. Comme le sénateur Sinclair l'a indiqué très clairement, les arguments soulevés n'étaient pas toujours bien fondés. De nombreux témoins nous ont affirmé exactement le contraire en indiquant que la liberté d'expression n'était pas menacée, malgré ce que le sénateur Plett laisse entendre dans son observation.

Je pense que nous devrions simplement laisser à chacun le soin de prendre connaissance des témoignages qui ont été consignés. Ils parlent d'eux-mêmes. Nous n'avons pas à imposer notre perspective à qui que ce soit.

Le sénateur Plett : Permettez-moi quelques précisions en guise de conclusion. J'allais réagir aux commentaires de la sénatrice Dupuis à peu près de la même manière que la sénatrice Batters l'a fait, mais je ne vais pas répéter ses arguments. Par ailleurs, le sénateur Sinclair indique qu'il serait favorable à un amendement qui préciserait que nous n'avons pas jugé crédibles des témoins qui l'étaient pourtant. Je paraphrase certes, mais il voulait dire en tout cas que nous n'estimions pas leurs témoignages probants.

Compte tenu du résultat des votes et de l'adoption sans équivoque de ce projet de loi par le comité, il est bien évident que nous n'avons pas l'obligation de joindre une observation à notre rapport. Comme l'indiquait le sénateur Mitchell, nos procès-verbaux se passent de commentaires. Pas moins de 10 ou 11 d'entre nous ont voté en faveur de ce projet de loi.

Comme nous sommes saisis d'un projet de loi qui est censé défendre les droits des minorités, je suggérerais que nous pensions à ceux de la minorité ici présente en lui permettant de faire part de ses observations au Sénat. Je n'arrive tout simplement pas à comprendre comment on peut laisser entendre que ces témoins-là n'étaient pas crédibles.

Nous avons entendu ici même des sénateurs suggérer qu'un professeur tout ce qu'il y a de plus crédible était trop Québécois, trop blanc, trop homme ou trop ceci ou cela, ce qui rendait son témoignage tout à fait non pertinent et lui enlevait de ce fait son droit de s'exprimer. Nous avons eu un sénateur qui a fait valoir qu'en appuyant ce projet de loi, on favorisait en fait un génocide. C'est ce que nous avons pu entendre ici. J'aurais tendance à considérer qu'il s'agit d'un discours haineux, mais je n'ai pas le droit de poursuivre en justice quelqu'un qui a insinué que cela pourrait contribuer à un génocide.

J'aimerais savoir pour quelle raison mes collègues sénateurs qui ont remporté cette bataille voudraient s'opposer à ce que nous communiquions officiellement au Sénat les points de vue divergents exprimés par certains témoins. Ces gens-là n'ont pourtant pas indiqué qu'ils souhaitaient priver les transgenres des droits et de la protection qu'il convient de leur offrir conformément à l'amendement proposé par la sénatrice Unger.

Nous suggérons que notre rapport fasse également état du point de vue de ces témoins tout à fait crédibles qui avaient des réserves concernant certains aspects seulement de ce projet de loi. Ils n'ont jamais prétendu que nous devrions le rejeter dans son ensemble. Ils voulaient que nous le modifiions. Mais voilà que nous essayons de les museler en ne faisant pas état de leurs interventions. Tout cela me dépasse vraiment.

La sénatrice Dupuis laissait entendre que, grâce à l'indépendance relative finalement instaurée par Trudeau, nous aurons désormais un comité sénatorial capable d'accomplir un meilleur travail que par le passé. Il faut qu'il soit bien clair que nous avons toujours bien rempli notre rôle. Nous avons adopté ce projet de loi en comité. Il a été renvoyé à la Chambre. Nous y avons apporté des amendements tout à fait valables. Pourquoi s'opposer avec tant de véhémence à ce que ces opinions soient dûment consignées?

Voilà donc pour ma diatribe de la journée. Je proposerais, monsieur le président, que nous mettions la motion aux voix et que nous levions la séance.

Le président : Malheureusement, ce n'est pas aussi simple.

Le sénateur Joyal : Ceci dit très respectueusement, il est arrivé très souvent au cours des 20 dernières années, soit depuis que je siège ici, que des témoins et des sénateurs soulèvent de très graves préoccupations quant à la constitutionnalité des projets de loi. Je ne veux pas commencer à en dresser la liste, mais peut-être que je devrais le faire un jour.

Je suis certain que mes collègues se souviennent de situations semblables. Je regarde la sénatrice Frum, et je me rappelle les amendements proposés à la Loi électorale qui nous ont amenés à nous interroger très sérieusement quant aux restrictions à l'exercice du droit de vote en vertu de l'article 3 de la Constitution. Ces préoccupations ont été soulevées ici même et le gouvernement y a heureusement donné suite en apportant des modifications pour remédier à la situation. Les préoccupations d'ordre constitutionnel sont un peu le pain quotidien de notre comité.

Je vois mes collègues le sénateur Baker et la sénatrice Batters avec lesquels je siège depuis toutes ces années. Je ne sais pas combien de fois j'ai soulevé des questions quant à la constitutionnalité d'un projet de loi, mais je sais que c'est arrivé souvent. Il est aussi arrivé à maintes reprises que des citoyens se servent en dehors du processus sénatorial des arguments constitutionnels avancés ici pour saisir les tribunaux d'une question.

Il y a eu une affaire semblable la semaine dernière en lien avec la Loi sur la citoyenneté. Nous étions nombreux à être réticents à adopter les mesures législatives proposées par l'ancien gouvernement pour l'établissement d'un nouveau système d'appel. Si nous avions joint des observations à notre rapport sur un projet de loi à toutes les fois que nous avons eu de telles préoccupations constitutionnelles, je crois que notre président aurait manqué de papier depuis longtemps.

Je suis d'avis que les opinions exprimées par les sénateurs et les témoins vont toujours, comme l'indiquait le sénateur Baker, demeurer au procès-verbal. Il revient aux instances et aux citoyens concernés d'examiner le tout et de décider si un tribunal devrait en être saisi en déterminant dans quelle mesure nos discussions peuvent contribuer à éclairer les juges et les autres parties prenantes dans leur réflexion. C'est ainsi que les juges sont si nombreux à faire référence aux débats que nous avons ici ou à la Chambre à la deuxième ou à la troisième lecture concernant l'intention d'un projet de loi, sa portée et tout le reste.

Je reconnais que le projet de loi occasionne des préoccupations légitimes qui pourraient être portées devant les tribunaux. J'espère qu'elles le seront un jour parce que cela contribue à assurer la cohésion qui existe au sein de notre nation en ce qui concerne le respect de la diversité et des minorités. C'est la raison pour laquelle les tribunaux existent, de même que pour établir le genre de paramètres que nous acceptons, que cela nous plaise ou nous, une fois que les tribunaux de la plus haute instance se sont prononcés.

Il me semble que la façon dont le comité procède normalement consiste à exprimer ces préoccupations et à présenter les faits connexes. Chaque fois que nous avions des préoccupations, nous les annexions à titre d'observations. Je pense que nous le faisons pour approximativement neuf projets de loi sur 10, parce que ce sont des préoccupations et qu'il est juste de le faire. C'est la raison pour laquelle nous sommes membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

C'est la nature du comité de soulever ces questions, d'exprimer ces préoccupations et de les exposer aussi bien qu'elles l'ont été hier par les deux éminents professeurs et avocats que nous avons entendus. Nous savons que ces préoccupations sont réelles, mais, une fois que nous les avons entendues, il incombe aux membres du public d'y donner suite si elles leur tiennent à cœur.

Pour soutenir ces contestations, le Programme de contestation judiciaire a même été créé. Des fonds sont à la disposition de tout citoyen qui a le sentiment d'avoir été lésé par cet article du Code criminel, afin qu'il puisse obtenir l'aide financière nécessaire pour intenter un procès. C'est ainsi que notre système fonctionne.

En règle générale, j'ai confiance en ce système. Parfois à tort, parfois avec raison. J'ai le sentiment que, dans l'ensemble, notre système fonctionne. Par ailleurs, j'estime que le comité exerce ses activités en respectant entièrement la diversité d'opinions des gens assis à la table.

Le sénateur Plett : Pour donner suite à l'un des derniers commentaires que le sénateur Joyal a faits, je dirais que, si nous ne souhaitons pas annexer une observation parce que cela risque de survenir trop souvent, c'est assurément le pire argument que je n'ai jamais entendu.

S'il est justifié d'annexer des observations à 10 projets de loi sur 10, nous, les membres du comité sénatorial, devrions avoir la décence et la responsabilité de le faire. En faisant valoir que, si nous le faisons maintenant, nous pourrions être appelés à le faire neuf fois sur dix en plus de tuer un autre arbre, nous faisons abstraction du fait que nous tuons déjà un bien trop grand nombre d'arbres, compte tenu de la paperasse que nous engendrons. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous sommes en train de passer à un système sans papier.

La sénatrice Fraser : En fait, j'aime les documents imprimés. Cela dit, en ce qui a trait à la question des observations, je ne verrais aucune objection à annexer des observations à 10 projets de loi sur 10. D'après mon expérience, la procédure normale consiste à annexer des observations chaque fois que le comité estime qu'il est nécessaire d'attirer l'attention du Sénat sur certaines questions. Les observations ne vont pas plus loin que cela; elles ajoutent probablement des éléments factuels qui ne sont pas cernés directement par le projet de loi, mais qui aident à faire comprendre, par exemple, comment le projet de loi devrait être mis en œuvre, selon le comité.

Ce sont dans ces observations qu'à la lumière des témoignages qu'ils ont entendus, les membres des comités exhortent les parlementaires à mener rapidement des consultations à propos d'un sujet secondaire ou à envisager de modifier un projet de loi distinct.

Habituellement, nous ne nous contentons pas d'indiquer dans nos observations que certains témoins ont déclaré ceci ou cela. Je crois, comme le sénateur Plett l'a signalé, que c'est ainsi parce que les comptes rendus existent et que le comité s'est déjà prononcé. En outre, à moins de réimprimer les comptes rendus de toutes les audiences, nous insulterions, en un certain sens, les témoins que nous ne citons pas dans nos observations.

Le sénateur Plett : Je ne cite pas qui que ce soit.

La sénatrice Fraser : Je ne crois pas que nous voulons nous aventurer sur ce terrain.

La sénatrice Batters : Pour reprendre brièvement le thème de la constitutionnalité et les questions soulevées par le sénateur Joyal à cet égard, je fais observer au comité que, lorsque la ministre de la Justice a comparu devant nous, j'ai exprimé des inquiétudes à propos du risque constitutionnel d'employer dans sa loi la locution « expression de genre », et je lui ai demandé de nous fournir son avis juridique à propos de la constitutionnalité de cet emploi. La ministre a indiqué au comité qu'elle nous fournirait cet avis.

Sa comparution a eu lieu la semaine dernière, et elle n'a pas encore fourni cet avis au comité. Je trouve cela malheureux compte tenu de fait que la ministre semblait dire que cet avis avait déjà été mis au point et que nous allions le recevoir incessamment. Elle ne l'a pas envoyé au comité à temps pour notre étude article par article.

Le président : Sommes-nous prêts à passer à la question?

Une voix : Question.

Le président : Le comité souhaite-t-il annexer au rapport l'observation proposée? Tous ceux qui sont pour?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Une voix : Je demande un vote par appel nominal s'il vous plaît.

Le président : Un vote par appel nominal est demandé.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Baker, C. P.?

Le sénateur Baker : Non.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Boisvenu?

Le sénateur Boisvenu : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Boniface?

La sénatrice Boniface : Non.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Dupuis?

La sénatrice Dupuis : Non.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Fraser?

La sénatrice Fraser : Non.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Frum?

La sénatrice Frum : Oui.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Gold?

Le sénateur Gold : Non.

Mme Richardson : L'honorable sénateur Harder, C. P.?

Le sénateur Harder : Non.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal : Non.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Omidvar?

La sénatrice Omidvar : Non.

L'honorable sénateur Plett?

Le sénateur Plett : Oui.

[Français]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Pratte?

Le sénateur Pratte : Non.

[Traduction]

Mme Richardson : L'honorable sénateur Sinclair?

Le sénateur Sinclair : Non.

Mme Richardson : L'honorable sénatrice Unger?

La sénatrice Unger : Oui.

Pour : cinq voix; contre : 10 voix.

Le président : La motion est rejetée.

Êtes-vous d'accord pour que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord.

Cela met fin à nos travaux d'aujourd'hui.

(La séance est levée.)

 

Haut de page