Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 33 - Témoignages du 7 décembre 2017
OTTAWA, le jeudi 7 décembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur le divorce (plans parentaux), se réunit aujourd’hui, à 10 h 33, afin d’examiner ce projet de loi.
Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, aux invités et aux membres du grand public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous commençons notre étude du projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur le divorce (plans parentaux).
Le projet de loi a été présenté par notre collègue, la sénatrice Cools, qui nous en parlera ce matin.
Bienvenue, sénatrice Cools. Bien entendu, vous connaissez très bien le processus puisque vous avez été membre du comité pendant de nombreuses années. J’ai eu le plaisir d’y travailler avec vous.
La parole est à vous, sénatrice Cools.
L'honorable Anne C. Cools, marraine du projet de loi : Merci beaucoup, monsieur le président.
Comme l’a dit le sénateur Joyal, j’ai siégé au comité avec lui pendant de nombreuses années. J’aimerais profiter de l’occasion pour le féliciter d’avoir été élu au poste de président. Je suis persuadée qu’il fera le meilleur travail possible. J’ai travaillé et siégé avec lui.
Nous sommes saisis de mon projet de loi, le projet de loi S-202, qui a été déposé au Sénat il y a un certain temps. Il est très simple et clair. Il n’est pas surchargé et il ne vise qu’une chose, soit d’inclure dans la Loi sur le divorce un élément qui manque depuis un certain temps. Je vais vous lire la disposition qui modifiera l’article 11 de la Loi sur le divorce.
Pour ceux d’entre vous qui ont les articles de la loi devant eux, l’article 11 définit l’obligation du tribunal. Je vais lire l’alinéa 11(1)b) :
[…] de s’assurer de la conclusion d’arrangements raisonnables pour les aliments des enfants à charge […] et, en l’absence de tels arrangements, de surseoir au prononcé du divorce jusqu’à leur conclusion;
Chers collègues, j’aimerais vous dire qu’au Canada, la réforme du divorce est un sujet qui a été amené d’abord par l’ancien ministre de la Justice et procureur général, Mark MacGuigan. Il avait des idées bien arrêtées en tant qu’universitaire qui lui ont servi dans ses fonctions de procureur général. Je crois qu’il a déjà été doyen de la faculté de droit de l’Université de Windsor. Il avait tout un esprit. Il y a bon nombre d’années, en 1984, c’est vraiment lui qui a lancé le mouvement en faveur d’une réforme de la Loi sur le divorce au Canada. Certains d’entre nous sont assez âgés pour se rappeler que la première Loi sur le divorce du pays a été adoptée en 1968. Mark MacGuigan était persuadé qu’il était temps d’améliorer les choses et d’apporter des changements.
Cela a été appuyé par ce qui se passait dans toutes les provinces, et mené par les procureurs généraux de chaque province, à commencer par Roy McMurtry, le procureur général de l’Ontario à l’époque. Cela a commencé avec l’idée du partage des biens matrimoniaux. En 1978, l’Ontario a été la première province à adopter ce qu’on a appelé la Loi portant réforme du droit de la famille, qui est aujourd’hui la Loi sur le droit de la famille. Elle a lancé la notion selon laquelle à la dissolution du mariage, le mari et la femme doivent avoir chacun une part des biens matrimoniaux.
En tant que libérale, je connaissais très bien Mark MacGuigan et, à l’image du grand homme qu’il était, il a alors lancé l’idée qu’il était temps de se pencher non seulement sur la question de la division des biens, mais également sur celle de la garde des enfants. Je suis certaine que quiconque a connu une personne qui a vécu un divorce à l’époque se souviendra des situations terribles qui en ont résulté.
Toujours est-il que MacGuigan a présenté le petit document suivant. J’ai toujours la version originale. Il a été publié par le ministère de la Justice et s’intitule Propositions de réforme du droit du divorce au Canada. Il ne faut pas oublier qu’il a présenté son projet de loi en 1984. C’était un très bon projet de loi bien rédigé. Il y proposait de nouveaux concepts clés, par exemple l’idée selon laquelle chacun des époux doit respecter les droits parentaux de l’autre; or, le principal concept qu’il y a inclus, c’est « l’intérêt de l’enfant », qui a été inventé, chers collègues, dans une affaire qui a été saisie par la Cour du Banc de la Reine qui remonte à 1893, l’affaire Regina c. Gyngall.
Sénateur Joyal, je suis certaine que vous savez que j’ai dû travailler beaucoup pour savoir d’où provenait le concept de « l’intérêt de l’enfant ». Je vais vous l’expliquer.
Il s’agissait de l’affaire Regina c. Gyngall, en 1893. Cela a été le point culminant des réformes de la fin du XIXe siècle concernant la situation des enfants et son amélioration. Autrement dit, c’est à ce moment-là que l’expression « intérêt de l’enfant » est née. D’autres améliorations sur le plan du bien-être ont été apportées à bien des égards par la suite.
J’aimerais vous lire les deux extraits du jugement. À la page 251, le lord juge Kay dit ce qui suit :
On constate qu’en général, dans les cas où l’enfant est sorti de la petite enfance, le juge rencontre lui-même l’enfant, non pas dans le but d’obtenir son consentement, mais plutôt pour déterminer, et c’est la meilleure façon de le faire, ce qui contribue réellement au bien-être de l’enfant.
Ensuite, au paragraphe 252, le lord juge Kay souligne ce qui suit :
[…] le pouvoir de surveillance concernant les enfants — qui, selon lord Eldon, a toujours été exercé par la Cour de la chancellerie en tant que parens patriae, sur délégation de la Couronne —, doit être exercé selon ce que la cour juge être dans l’intérêt de l’enfant.
Chers collègues, je dois vous dire que j’étais très heureuse lorsque j’ai découvert à quel moment cette expression est apparue. J’étais très heureuse, et j’ai conservé cela pendant des années en espérant pouvoir m’en servir à un moment donné.
Pour revenir au Sénat, en 1998, le Sénat a entrepris une étude conjointe, qui découlait de motions adoptées par les deux chambres. Il s’agissait du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants. J’ai siégé à ce comité, je l’admets, avec un peu de zèle. Nous avons parcouru le pays. L’ensemble du pays a appuyé les travaux du comité. Les médias en ont beaucoup parlé.
Puisqu’il n’y a pas beaucoup d’occasions de parler de ces choses, je dois vous dire que peu importe à quel endroit le comité se rendait, dans chaque hôtel où nous étions, fait inhabituel, la salle était pleine à craquer. C’était la première fois que je voyais un comité parlementaire attirer autant l’attention et recevoir un aussi grand appui de la population. C’était inspirant. Les coprésidents du comité étaient Roger Galloway, de la Chambre des communes, et Landon Pearson, du Sénat. Beaucoup de personnes ont participé. À cette époque, peu importe où je me rendais au pays, même avec un préavis de deux jours, 500 personnes étaient présentes dans la salle, prêtes à discuter des situations difficiles que provoque le divorce.
Mon projet de loi ne porte pas sur toutes les questions liées à la Loi sur le divorce, mais bien sur une question, et il s’agit de l’article 11. Comme vous pouvez le voir, c’est un minuscule projet de loi qui porte sur un point, soit l’article 11.
Voici ce que stipule le paragraphe 11(1) :
Dans une action en divorce, il incombe au tribunal : […] de s’assurer de la conclusion d’arrangements raisonnables pour les aliments des enfants à charge […] et, en l’absence de tels arrangements, de surseoir au prononcé du divorce jusqu’à leur conclusion […]
Toute personne constatera très rapidement qu’il y a une lacune ici. On confère au tribunal, aux juges, le pouvoir de surseoir au prononcé du divorce si aucun arrangement raisonnable n’a été conclu pour les aliments des enfants à charge; or, aucune disposition ne leur confère le pouvoir de surseoir au prononcé du divorce si aucun arrangement parental raisonnable — soit aucun arrangement raisonnable pour la responsabilité parentale des enfants à charge — n’a été conclu.
C’est un aspect qui est oublié, négligé — dites-le comme vous le voulez — depuis de nombreuses années; or, c’est la question qui était revenue sans cesse au cours de l’étude du comité mixte.
Voir des familles déchirées par le divorce est quelque chose d’absolument épouvantable, mais il est encore plus épouvantable de voir la vie des enfants détruites parce que pour diverses raisons, ils n’ont pas accès de façon égale à chacun de leurs parents. Au bout du compte, le comité a conclu que par-dessus tout, les enfants devraient pouvoir maintenir une relation significative avec leurs deux parents. Le comité était assez impartial.
Par conséquent, je propose aux sénateurs et à la chambre d’ajouter après l’alinéa 11(1)a), qui porte sur la conclusion d’arrangements raisonnables pour les aliments des enfants à charge, un nouvel alinéa, soit l’alinéa a.1) :
[…] de s’assurer de la conclusion d’arrangements raisonnables pour la responsabilité parentale des enfants à charge eu égard à leur intérêt et, en l’absence de tels arrangements, de surseoir au prononcé du divorce jusqu’à leur conclusion;
Autrement dit, à mon avis, les enfants ont besoin de leurs parents de façon importante. Il faut que dans la loi, le lien affectif entre le parent et l’enfant soit placé au même niveau que les arrangements financiers pour les aliments des enfants.
Sénateur Joyal, je ne crois pas que vous étiez sénateur à l’époque, mais lorsque les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants ont été établies, elles ont suscité une grande controverse. Le Sénat a apporté des amendements très importants au projet de loi. Le projet de loi C-41 est très bien connu. Il créait un régime dans le cadre duquel le montant des pensions alimentaires était déterminé en fonction du salaire du parent qui n’avait pas la garde — forcément, le père —, et le salaire ou le revenu du parent qui avait la garde n’était même pas pris en compte. Ce projet de loi a fait un énorme pas en arrière relativement à ce qui se passait dans la collectivité.
Quoi qu’il en soit, le projet de loi a été modifié par le Sénat. Malgré les problèmes qui ont été soulevés, le Sénat a réussi à convaincre le ministre de la Justice de l’époque d’appuyer une motion visant à créer un comité mixte pour examiner les questions, car à ce moment-là, la question avait une grande portée.
J’ignore comment nous allons procéder, mais je suis ouverte à toutes les possibilités. Compte tenu de mon expérience, je connais bien les possibilités. Je serais ravie si vous me posiez quelques questions.
Le président : Je vous remercie beaucoup de votre exposé, sénatrice Cools. Oui, j’étais déjà sénateur, puisque j’ai été nommé au Sénat en 1997.
La sénatrice Cools : Vous êtes arrivé en plein milieu du processus.
Le président : Absolument.
La sénatrice Cools : C’était une belle époque au Sénat.
Le président : Je m’en souviens très bien.
Nul doute que les membres du comité ont des questions. Je crois comprendre, bien sûr, qu’ils vous en poseront.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, sénatrice Cools. Merci beaucoup pour votre travail. C’est toujours très positif quand un sénateur prend une initiative personnelle et dépose un projet de loi. J’ai quand même quelques questions, surtout par rapport à la dualité entre les responsabilités provinciale et fédérale.
Au Québec, à l’époque, Mme Tremblay avait déposé un projet de loi qui est venu bien camper le partage des responsabilités, surtout au niveau des biens. Dans les cours québécoises, l’intérêt de l’enfant est souvent une priorité dans les cas de divorce. Pour arriver à ce projet de loi, quelle a été votre démarche de consultation, surtout en ce qui concerne le Québec? J’ai lu votre démarche, mais je n’ai pas vu de Québécois dans les groupes que vous avez consultés. Cela semble être surtout au niveau du Canada anglais. Quel a été votre travail de consultation au Québec?
[Traduction]
La sénatrice Cools : Je crois comprendre que nous avions consulté le Québec. Je me trompe peut-être, car c’était il y a longtemps, mais je sais qu’à l’époque, le sentiment qui prévalait chez les représentants du Québec, c’était que leur régime en matière de divorce était très bon.
Je me rappelle que nous nous disions que s’il était si bon, nous n’avions pas à le modifier ou à nous en faire. Quoi qu’il en soit, la plus grande partie des bonnes choses ont été réalisées dans un cadre provincial. En définitive, le divorce demeure du ressort du gouvernement fédéral. Le fonctionnement du régime québécois était très respecté à l’époque. Certains Québécois disaient qu’à leur avis, il était parfait.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que votre projet de loi définit ce qui est dans l’intérêt de l’enfant? C’est une notion qui peut être très large. Souvent, elle doit être interprétée par le juge lui-même qui a devant lui les deux parents, le père et la mère. Votre projet de loi définit-il ce qui est dans l’intérêt de l’enfant ou si on laisse cela aux tribunaux?
[Traduction]
La sénatrice Cools : Non, la Loi sur le divorce nous dit ce qu’il pense être des arrangements raisonnables. Pour l’essentiel, les arrangements raisonnables sont les arrangements que le juge croit raisonnables hors de tout doute. En vertu de l’alinéa 11(1)b) de la Loi sur le divorce actuelle, le tribunal doit s’assurer de la conclusion d’arrangements raisonnables. C’est très précis et la loi indique clairement qui le détermine.
Pour revenir à la notion de « l’intérêt de l’enfant », comme je l’ai déjà dit, elle a été présentée dans une décision célèbre sur laquelle les tribunaux se sont fondés pendant au moins un siècle. Je peux vous lire une autre déclaration découlant de l’affaire Gyngall; le précédent établi dans l’affaire Gyngall a été invoqué aux États-Unis d’Amérique par le juge Cardozo :
Lorsque le chancelier exerce sur requête sa compétence, il ne tient pas pour acquis que le requérant, fût-ce le père ou la mère, a une cause d’action contre l’autre partie ni même contre quiconque. Il agit dans l’intérêt de l’enfant, conformément à la doctrine parens patriae. Il assume le rôle de « parent sage, affectueux et attentionné »…
Cela provient également de l’affaire Regina c. Gyngall.
… et prend les dispositions qui s’imposent conséquemment à l’égard de l’enfant.
Voici un point essentiel :
Il ne se prononce pas sur un conflit opposant des parties adverses. Il n’est pas l’arbitre de leurs différends. Il ne définit pas les droits qui lient un parent et son enfant ni ceux qui lient deux parents.
Le juge Cardozo poursuit en disant ceci :
Il « s’ingère de manière à protéger les jeunes enfants, en tant qu’enfants, en vertu de la prérogative de la Couronne au titre de la doctrine parens patriae. […] Le requérant ne prétend aucunement […]. Il fait appel à la compétence d’un tribunal pour régler un différend. L’équité ne se soucie pas des différends qui opposent les parties impliquées.
Autrement dit, il ne se soucie pas des différends qui opposent le père et la mère. Il ne se soucie que de l’enfant.
Une série de possibilités ont été laissées entre les mains du juge. Je n’y vois rien de mal. Je crois que c’est souhaitable. Une fois qu’un pouvoir est donné là où il devrait l’être, nous savons qu’on s’en est occupé et que ce pouvoir existe.
Au début des années 1990, il y a eu une vague de féminisme radical tellement importante que bon nombre de personnes se sont égarées pendant une brève période.
Le sénateur Sinclair : Bienvenue, sénatrice Cools. Puisque j’ai eu cette lourde responsabilité, et je la qualifie comme telle parce qu’il est toujours difficile d’agir à titre de juge dans un tribunal de divorce, le partage des responsabilités parentales a toujours été, à mon avis, ce que nous devions examiner en tant que juges, car j’ai toujours cru que c’était avant tout dans l’intérêt de l’enfant. Bien sûr, les causes les plus difficiles sont celles où il y a de la violence familiale, et particulièrement de la violence envers les enfants.
J’ai lu votre projet de loi et je constate qu’un pouvoir discrétionnaire important est accordé au juge. Toutefois, je veux confirmer auprès de vous que vous n’avez pas l’intention de retirer le pouvoir discrétionnaire qu’ont les juges de déterminer qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de ne pas autoriser un parent à entrer en contact avec lui dans ces situations.
La sénatrice Cools : J’ai beaucoup d’admiration pour les juges, qui font face à ces difficultés au quotidien. Dans mes fonctions de sénatrice, j’ai la chance d’avoir beaucoup d’amis très proches qui sont juges. Je pense en particulier à une personne qui est juge en chef. Très souvent, elle m’a aidée et je l’ai aidée dans l’examen de questions juridiques difficiles.
Vous ne devez pas oublier que je conserve le cadre. Le cadre actuel confère ce pouvoir aux juges en tant que représentants du roi concernant la doctrine parens patriae et tous les autres pouvoirs qui ont été confiés aux juges au fil des ans. Il n’est pas question d’altérer ces pouvoirs.
Le divorce peut devenir une situation extrêmement horrible et déshumanisante. Je sais très bien que les juges doivent faire preuve de discernement et faire de leur mieux dans les circonstances. Dans ce cas, j’espère donner aux juges un autre outil.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de votre exposé, sénatrice Cools. Votre projet de loi prévoit des plans parentaux.
La sénatrice Cools : Oui.
Le sénateur McIntyre : Est-il question de partage des responsabilités parentales ou de partage égal des responsabilités parentales?
La sénatrice Cools : Je ne sais pas ce que signifie le « partage égal des responsabilités parentales ». Je n’essaie absolument pas de défendre la notion ou de l’utiliser. Je sais ce que signifie « partage des responsabilités parentales » en raison de l’évolution de la jurisprudence au fil des années; or, puisque je ne sais pas ce que signifie « égal », je préfère m’en tenir à « partage des responsabilités parentales ». Je ne pense pas que le mot « égal » peut nous être utile ici. Comment définit-on ce qui est égal ici? Je l’ignore.
Le sénateur McIntyre : Si je vous pose la question, c’est parce que des opposants au projet de loi disent que le « partage égal des responsabilités parentales » constituerait une violation du principe de « l’intérêt de l’enfant » qui est ancré dans la jurisprudence.
La sénatrice Cools : Je suis du même avis que vous.
Le sénateur McIntyre : Je veux maintenant parler des mots « garde » et « accès ».
Le projet de loi modifie la Loi sur le divorce afin de prévoir des plans parentaux. Je crois comprendre qu’un plan parental pourrait être inclus dans une demande d’ordonnance relative à la garde ou à l’accès présentée par les époux ou l’un des époux en vertu de la loi. Les mots « garde » et « accès » figurent dans un grand nombre d’articles de la Loi sur le divorce.
La sénatrice Cools : Principalement autour de l’article 16.
Le sénateur McIntyre : Le projet de loi S-202 ne modifie pas les principales dispositions ayant trait à l’accès ou à la garde dans la Loi sur le divorce. Il ajoute un nouvel article relatif à la terminologie.
Voici ma question. Cela entraînera-t-il de la confusion ou un manque d’uniformité quant à l’interprétation? J’aimerais vous entendre sur la question.
La sénatrice Cools : J’ai grandement consulté à l’époque le professeur Julien Payne; c’est l’un de mes amis. J’ai travaillé avec ces personnes des années durant.
Je ne pensais pas qu’il serait sage de ma part de modifier l’ensemble de l’article 16. Je me disais que je ferais mieux de me limiter à ce qu’un projet de loi d’initiative parlementaire devrait faire et de laisser la plus grande partie des modifications à la ministre de la Justice et procureure générale. C’est ce que je crois fermement.
Pour diverses raisons, ce serait intéressant que de nouveaux sénateurs plus jeunes reprennent le flambeau, prennent le relais du comité et fassent avancer les aspects qui n’ont pas beaucoup progressé depuis que le comité a terminé son étude.
Je ne voulais pas toucher à l’article 16. Cet article contient de bons éléments, comme la règle du parent amical. Tout cela revient encore une fois à l’époque de MacGuigan. La règle du parent amical prévoit en gros que chaque parent doit respecter le droit de l’autre de soutenir ses enfants et de s’en occuper.
Nous devons la Loi sur le divorce que nous avons actuellement à différents ministres. Le tout a débuté avec MacGuigan. Son projet de loi est mort au Feuilleton, et c’est le procureur général John Crosbie qui a pris le relais à ce sujet. Il a passablement conservé le cadre de MacGuigan, puis il a présenté la mesure. Plus tard, lors de votre arrivée au Sénat, M. Rock avait déjà repris le flambeau, mais ses modifications n’ont pas été aussi bien accueillies que ce que proposaient ces deux prédécesseurs.
À titre de sénatrice, je suis portée à croire que je suis assez bien renseignée. Je connais plutôt bien le droit. Je comprends le droit et je lis beaucoup de lois, mais je pense vraiment que nous devrions nous limiter à ce que nous pouvons gérer. Tout ce que nous proposons, c’est un projet de loi d’initiative parlementaire qui prévoit une chose toute simple. Je peux vous dire que M. Audcent et moi avons collaboré très étroitement à ce sujet. C’est un rédacteur législatif aguerri. Ce que nous essayions d’accomplir, c’était d’établir la nécessité d’avoir un plan parental. J’étais très heureuse et ravie de me limiter à cette proposition.
Si vous y tenez, nous pouvons aller plus loin. Chacun est libre d’amender le projet de loi et de proposer ce qui lui chante, mais je peux vous confirmer que ce projet de loi a nécessité beaucoup de recherches.
Le sénateur Gold : Merci, sénatrice Cools, de nous saisir de ce projet de loi.
Comme vous n’êtes pas sans le savoir, la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies prévoit que les enfants ont le droit d’être entendus dans le cadre de tout processus décisionnel les concernant. C’est aussi le principe que font valoir bon nombre de spécialistes universitaires dans le domaine du droit canadien. Je pense à Nicholas Bala et à d’autres qui ont écrit à ce sujet.
Dans quelle mesure tenez-vous compte de cette notion dans votre projet de loi et votre conception des plans parentaux?
La sénatrice Cools : J’en tiens compte au sens où je m’en remets aux mêmes principes énoncés dans l’affaire Regina c. Gyngall, et ces principes ont aussi été énoncés dans les affaires américaines de Cardozo. En ce qui me concerne, la loi et les pouvoirs existent déjà. Tout ce qu’il y a à faire, c’est de modifier légèrement un petit point pour donner aux tribunaux les pleins pouvoirs.
J’ai parlé avec de nombreux juges qui entendent des procédures de divorce. Bon nombre d’entre eux ont appris à détester les procédures de divorce pour diverses raisons, notamment parce qu’ils les considèrent comme trop difficiles et trop douloureuses. Nous retrouvons déjà les principes dans la doctrine parens patriae ou le principe de « l’intérêt de l’enfant ». Cette notion a son propre bagage législatif. Il y avait suffisamment d’éléments que je n’ai pas eu besoin de pousser mes recherches plus loin, et je préfère laisser à d’autres le soin de le faire.
Le sénateur Gold : Je n’ai peut-être pas bien posé ma question. Selon ce que je lis dans le projet de loi, un juge pourrait inclure dans une demande d’ordonnance le plan parental que vous proposez et il devrait en tenir compte. Cette mesure ne permet pas ou, du moins, ne permet pas explicitement aux enfants de s’exprimer sur l’arrangement qu’ils aimeraient voir. Comme je l’ai mentionné, une tendance se dessine en vue d’encourager les tribunaux à reconnaître qu’il faut aussi tenir compte des souhaits des enfants dans ce processus et non seulement ceux des parents.
La sénatrice Cools : Oui. Tout cela est très soigneusement énoncé dans l’affaire Regina c. Gyngall qui a permis de définir la notion de « l’intérêt de l’enfant ».
Si je ne l’ai pas fait, je l’aurais dû, mais je croyais avoir inclus un passage où les juges mentionnent qu’ils doivent rencontrer l’enfant et lui parler. Il s’agissait des juges les plus hauts et probablement les plus éminents que le monde ait connus en 1893.
À mon avis, je devrais peut-être aller plus loin. J’aurais peut-être dû avoir deux ou trois articles dans mon projet de loi, mais je ne pensais pas que c’était nécessaire, parce que je crois que le reste du travail est là. C’est raisonnable et c’est intact. Tous les juges mentionnent toujours qu’ils sont là pour veiller à l’intérêt de l’enfant et non des parties à un conflit, soit les parents. Ils ne sont pas là pour régler une querelle entre deux parents. Ils sont là pour veiller aux bons soins de l’enfant. Les juges disent très souvent qu’ils rencontrent l’enfant et lui parlent. L’affaire Regina c. Gyngall était un cas exceptionnel. J’aurais peut-être dû présenter d’autres faits propres à l’affaire.
À l’époque, l’enfant avait 15 ans et elle avait été trimballée de gauche à droite durant de nombreuses années. Ensuite, après une longue période, la mère a décidé qu’elle voulait ravoir la garde de son enfant. Elle a essayé de récupérer son enfant, et la jeune fille a répondu qu’elle ne voulait pas retourner vivre avec sa mère. Elle a dit non. Elle était très heureuse là où elle était. Gyngall était une femme qui tenait une pension. L’enfant allait à l’école, elle avait de bons résultats scolaires, et cetera.
Le fait est que les juges ont examiné le dossier et ont rejeté la demande de la mère. Ils ont donné la garde de la petite à Gyngall, parce que l’enfant se portait merveilleusement bien, et ce, depuis longtemps. C’est un cas où les juges se sont interposés. Ces juges étaient de grosses pointures. Ils ont rencontré l’enfant et ils ont pris une décision.
Ce principe existe déjà. Nous avons déjà traversé ce pont; il n’est pas nécessaire de le faire de nouveau. Il y a suffisamment de jurisprudence.
La sénatrice Batters : Merci, sénatrice Cools, d’être là et de nous saisir aujourd’hui de ce projet de loi.
J’ai pratiqué le droit en cabinet privé en Saskatchewan durant de nombreuses années avant d’être nommée au Sénat, et l’un de mes domaines de prédilection était le droit de la famille.
La sénatrice Cools : Bien entendu. Vous êtes donc bien au fait de la question.
La sénatrice Batters : Absolument. En 1995, lorsque j’ai commencé à pratiquer le droit, d’importantes modifications ont été apportées à la Loi sur le divorce pour tenir compte des situations plus actuelles qui avaient cours à l’époque. Durant les 13 années où j’ai pratiqué le droit, la pratique dans le droit de la famille et le droit en matière de divorce a grandement évolué au Canada.
Avant qu’un juge prononce un divorce entre les parties, d’après mon expérience, c’est en fait une exigence de la pratique, à tout le moins, que ceux qui souhaitent demander le divorce doivent avoir régler de manière satisfaisante toutes les questions ayant trait aux enfants, comme la pension alimentaire pour enfants, la garde et l’accès, avant même qu’un juge prononce le divorce. Autrement, les juges ne le feront tout simplement pas.
La sénatrice Cools : C’est brillant.
La sénatrice Batters : Oui. Ce l’est tout à fait, parce que cela empêche de boucler le dossier et veille à ce que le plus important, lorsqu’il est question des enfants, soit d’avoir conclu des arrangements satisfaisants.
J’aimerais vous entendre sur certains points. De mon point de vue, les plans parentaux sont maintenant passablement la norme au Canada, mais ce n’était certainement pas le cas il y a environ 25 ans. La norme était d’accorder la garde exclusive des enfants à la mère et un accès limité au père. Je dirais qu’il y a maintenant des plans parentaux dans la grande majorité des cas. En effet, dans de nombreux cas, le juge s’attend à ce qu’un plan parental soit conclu. Il ne fait aucun doute que l’intérêt de l’enfant continue de prévaloir. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
Je vous dis très respectueusement que je crois que ce que vous cherchez à mettre en œuvre avec votre projet de loi est pratiquement déjà la réalité dans les tribunaux de divorce au Canada.
La sénatrice Cools : Merci. Je connais très bien cette question; j’y ai consacré des milliers d’heures. Lors de ces déplacements au pays, le comité s’est rendu compte que le public partageait la même opinion. Le public n’était pas de l’avis des opposants ou des partisans d’idéologies radicales.
Je ne suis pas quelqu’un qui regarde les sondages et tout le reste, mais je peux vous dire que, lorsque nous commencions à travailler sur notre rapport, la chaîne de journaux Southam de Conrad Black a demandé à une firme de réaliser des sondages sur cette question. J’étais la personne la plus heureuse au monde lorsque j’ai ouvert l’Ottawa Citizen en octobre ou en novembre et que j’ai vu la une qui disait : « Le public appuie les droits des pères ». L’article mentionnait que le public était d’avis que peu d’importance était accordée aux pères et aux enfants dans les procédures de divorce, et il y avait notamment des données et une analyse à l’appui. C’est à ce moment que j’ai bien compris le changement radical qui se produisait dans la tête des Canadiens concernant cet enjeu, parce que cela engendrait tout simplement trop de douleur et d’angoisse, que trop d’enfants en souffraient, et cetera.
Je vois tout cela d’un regard très positif et je suis ravie et heureuse d’avoir pu y contribuer. C’est drôle, mais je souhaite vous partager mon enthousiasme d’il y a 20 ans.
La sénatrice Batters : Oui, absolument. Je crois que le droit a évolué en grande partie parce que le public a démontré un intérêt à l’égard de la question et qu’il a demandé des changements.
La sénatrice Cools : Les tribunaux en ont été saisis.
La sénatrice Batters : Absolument.
La sénatrice Cools : Comme je vous l’ai dit, je suis amie avec de nombreux juges. Ces personnes ont discuté avec moi aux repas, et ce changement radical s’est produit. C’est peut-être tout simplement quelque chose qui s’est produit, mais j’étais heureuse d’y avoir contribué un peu.
La sénatrice Batters : Excellent.
La sénatrice Cools : Je dois vous dire que j’aime bien les gens comme vous et les nombreux praticiens du droit de la famille qui doivent parfois composer avec les problèmes les plus complexes et les plus difficiles. Ils ont parfois l’impression de s’enfoncer. Je me suis toujours rendue disponible pour réconforter certains d’entre eux ou leur faire part de mes connaissances et de mon expérience dans le domaine. J’ai passé beaucoup de temps à conseiller des hommes et des femmes qui menaient des luttes. J’ai travaillé dans le domaine de la violence familiale, et je peux vous dire que je ne lâchais pas le couple tant que la situation n’était pas réglée.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup, sénatrice Cools.
La sénatrice Cools : Nous sommes en quelque sorte des âmes sœurs à certains égards à ce sujet.
La sénatrice Pate : J’aimerais revenir sur certaines des précédentes questions et en particulier celles de la sénatrice Batters. Les résultats du travail que vous, la sénatrice Pearson et d’autres avez réalisé il y a plus de 20 ans reflétaient vraiment le statu quo à l’époque, c’est-à-dire que les femmes étaient souvent les principales responsables des soins. Comme la sénatrice Batters l’a fait valoir, le droit de la famille a évolué, et nous voyons dans la majorité des cas des arrangements de garde conjointe, sauf s’il y a de la violence familiale ou d’autres problèmes.
J’ai une question à deux volets. Comment la violence influerait-elle sur les plans parentaux dont vous parlez en ce qui concerne l’enjeu soulevé par le sénateur Sinclair dans les cas où c’est possible que les enfants courent un risque et que les femmes courent aussi un risque, parce qu’elles sont victimes de violence?
Je suis curieuse d’entendre les données probantes que vous avez pour dire que ces modifications sont actuellement nécessaires. En raison de l’évolution, bon nombre des points que vous, la sénatrice Pearson et le comité aviez soulevés il y a plus de 20 ans ont en gros été réglés.
Quelles données probantes avez-vous pour dire que ces modifications sont actuellement nécessaires? Comment justifiez-vous d’apporter des modifications qui risquent de faire grimper les coûts pour des personnes qui ont souvent déjà de la difficulté à composer avec la dissolution de leur mariage?
La sénatrice Cools : Je ne pense pas que cela fera grimper les coûts pour les personnes qui présentent une requête en divorce, mais cela permet de boucler la boucle, pour le dire ainsi, concernant le pouvoir des juges de refuser une demande de divorce ou de ne pas prononcer un divorce. C’est un pouvoir très important, voire extrêmement important.
Je considère que l’article 11, qui traite des pouvoirs du tribunal et des juges, est incomplet, parce qu’il est question des obligations financières des parents à l’égard des enfants, mais pas des relations émotionnelles et des obligations affectives.
J’avais l’impression que cet aspect était un résidu ou un vestige d’une époque révolue et que nous devions corriger le tir en nous préoccupant du bien-être de l’enfant en ce qui concerne tant les questions émotionnelles et affectives que les questions financières.
Je vous rappelle que cet élément a été inscrit dans la Loi sur le divorce à une époque où la grande préoccupation était la pension alimentaire pour enfants et rien d’autre. C’était seulement la pension alimentaire pour enfants qui comptait. C’était vraiment axé sur un seul aspect. Durant cette époque, nous avons adopté beaucoup de bonnes mesures, mais nous avons également fait beaucoup de tort.
La sénatrice Pate : Avez-vous des données probantes pour dire que c’est actuellement nécessaire?
La sénatrice Cools : La loi en soi montre qu’il y a un besoin. Cet aspect ne s’y trouve pas. Autrement dit, cet article a été ajouté à la loi lorsque les versements de pension alimentaire pour enfants ont été repensés. Cela témoignait d’un intérêt à ce chapitre, mais la société et la population ont maintenant adopté une approche plus équilibrée.
Il faut seulement l’inscrire dans la loi pour tout simplement adapter la situation. Cet ajout aurait dû être fait il y a deux ou trois ans. Je croyais au départ que cela prendrait quelques mois, mais c’est un projet de loi qui traîne depuis bon nombre d’années déjà, et nous sommes rendus à l’étape de l’étude en comité. Je l’aurais fait plus rapidement si je l’avais pu.
La sénatrice Pate : Je m’excuse si je n’ai pas été claire, mais je n’ai rien réussi à trouver me laissant croire qu’un tel changement est actuellement réclamé, compte tenu de l’évolution du droit de la famille dans les provinces et les territoires.
La sénatrice Cools : Je crois que les gens réclament toujours que les questions touchant la justice soient clairement énoncées.
[Français]
Le sénateur Carignan : Merci, sénatrice, pour votre projet de loi, qui tient compte de l’intérêt de l’enfant. Comme vous le savez, le droit de la famille fait partie de ma famille. Même si je ne pratique pas, le fait d’avoir une conjointe experte en droit familial me sensibilise aux enjeux qui sont au coeur de cette question.
D’après mon expérience, à cette période-ci de l’année, les cours sont bondées de demandes de procédures intérimaires et de changements. Les personnes ne s’entendent pas sur qui aura la garde des enfants à Noël, au jour de l’An et lors des déplacements. En décembre, les tribunaux sont complètement débordés par ce genre de demandes.
J’aimerais revenir sur un élément que vous avez mentionné dans votre plan. Il s’agit du mécanisme pour régler les différends entre les époux relativement à l’interprétation. C’est un mécanisme pour réviser ou mettre à jour le plan. Qu’entendez-vous par ce mécanisme de règlement des litiges? Est-ce que cela signifie qu’on enlèverait la compétence de la Cour supérieure pour régler ce genre de litiges?
[Traduction]
La sénatrice Cools : Non. Si c’est ce que vous pensez, je vous suggère d’y réfléchir de nouveau.
Tout ce que j’essayais de faire, c’était de combler une lacune, à mon avis, parce que les parents doivent être en mesure d’expliquer clairement aux juges leurs plans pour s’occuper de leurs enfants.
Certains juges et d’autres personnes m’ont convaincue d’inclure cette longue explication, parce qu’ils éprouvaient des difficultés dans ces domaines. Étant donné qu’un juge peut refuser de prononcer un divorce si les parents ne présentent pas d’arrangements raisonnables concernant la pension alimentaire pour enfants, je me dis que ce serait excellent si le même juge pouvait demander que les parents arrivent à conclure des arrangements sur les rôles parentaux. Dès lors, cela relève de ce juge.
Les juges seront chargés de démêler les éléments substantiels et importants dans les plans parentaux, comme lorsqu’un parent souhaite partir durant un certain nombre de semaines par mois. Ce sont les décisions que nous laissons au système et à votre femme le soin de prendre.
Le sénateur Carignan : Non. C’est correct. De toute manière, elle fait maintenant plus de médiation.
La sénatrice Cools : Oh, c’est bien.
Le sénateur Carignan : Cela vise une partie de mon point. Il est question à l’alinéa e) de votre projet de loi d’un mécanisme pour réviser ou mettre à jour le plan et à l’alinéa d) d’un mécanisme pour régler les différends entre les époux quant à l’interprétation ou à la mise en œuvre du plan.
La sénatrice Cools : Oui.
Le sénateur Carignan : Quel type de mécanisme pouvons-nous penser avoir en place dans une telle situation? Parlons-nous du recours à la médiation?
La sénatrice Cools : Je crois que les parties devraient avoir recours à tous les outils à leur disposition. Ce qui est important, c’est de trouver un outil qui permet d’arriver à régler le différend. L’objectif doit être de régler le différend. Si vous essayez de régler des différends et que l’une des deux parties ne souhaite pas en arriver à un règlement, vous avez un problème. Mon objectif dans tout cela, c’est de laisser le champ libre aux juges.
Les personnes que je vise vraiment à aider ici ne sont pas les familles. C’est le système, et ce sont les juges. Je crois que nous leur en mettons beaucoup sur les épaules. Lorsque les juges ont de la difficulté, nous ne le savons pas, et ils ne le disent pas. Je crois que nous devrions leur laisser le champ libre, parce que bon nombre d’entre eux ont énormément d’expérience dans le domaine de la résolution des différends.
La sénatrice Fraser : Bienvenue, sénatrice Cools. J’ai deux questions qui vous indiqueront sans aucun doute que je suis une profane dans le domaine.
La sénatrice Cools : D’accord.
La sénatrice Fraser : Selon ce que je comprends de votre projet de loi, il peut y avoir un plan parental. Dans un tel cas, ce plan doit inclure X, Y et Z. Cependant, le projet de loi ne dit pas qu’il doit y en avoir un. Dans quelle mesure un juge peut-il exiger un plan parental qui respecte les objectifs que vous avez établis ici?
La sénatrice Cools : Si le juge a devant lui deux personnes qui ne cherchent pas à établir un plan parental, j’estime que le juge a un problème. Je le répète, il devra trouver quelques ressources pour les inciter à faire la paix.
Je ne tente pas du tout de lier les mains des juges en ce moment. Je m’efforce simplement d’élargir un peu plus l’éventail des compétences qu’ils ont déjà à leur disposition, ainsi que la fourchette de possibilités. Manifestement, si une personne ne souhaite pas établir un plan parental, elle ne souhaite pas établir un plan parental. Tout ce qui arrivera, c’est que le juge ne lui accordera pas le divorce, comme il aura le droit de le faire.
La sénatrice Fraser : Ma deuxième question reprend l’argument du sénateur Gold, parce que vous développez les dispositions de la version actuelle de la Loi sur le divorce. Vous ajoutez de nouvelles choses.
La sénatrice Cools : Oui, mais cet ajout est très limité.
La sénatrice Fraser : Je comprends, mais c’est ce que vous faites.
La sénatrice Cools : Oui.
La sénatrice Fraser : Pourquoi n’ajoutez-vous pas en même temps une disposition indiquant que l’enfant a le droit d’être entendu par le juge, s’il est suffisamment âgé?
La sénatrice Cools : Les juges jouissent déjà de ce pouvoir.
La sénatrice Fraser : Je comprends cela, mais, dans la mesure où nous modifions la loi, ces changements ont préséance sur la jurisprudence, je crois. Il me semble qu’il serait peut-être approprié qu’un projet de loi de cette nature mentionne précisément les vues de l’enfant.
La sénatrice Cools : Je ne vois aucune objection à ce que n’importe quel sénateur propose un amendement. Je suis réceptive à cette idée. Tout ce que je m’efforçais de faire, c’est d’ouvrir la porte dans cette direction, puis de laisser le reste à la discrétion des juges.
Les juges sont des gens intéressants. Je suis au courant d’une affaire remontant à un certain temps dans le cadre de laquelle l’avocat était tellement dévoué à la cause qu’il présentait un nombre de plus en plus grand d’éléments de preuves. Le juge l’a appelé et lui a demandé : « Combien de témoins de plus ferez-vous comparaître? » L’avocat a répondu : « Cinq .» Le juge a répliqué : « Pensez-vous vraiment que vous avez besoin de les faire témoigner? » Ayant compris, l’avocat a répondu :« Oh, je pourrais réduire leur nombre à deux .» Le juge a alors déclaré : « Ce serait une délivrance .»
Je vous raconte cette histoire pour vous dire qu’il s’agit là d’un épisode parmi tant d’autres que je connais. Le juge disait vraiment : « Je le sais déjà. Je suis convaincu. Vous n’avez pas besoin de poursuivre votre argumentation. Je suis d’accord avec vous. Je vois ce que vous voyez. »
Tout ce que je tente de faire, c’est créer ou ajouter un cadre qui permet aux gens de faire la paix. C’est l’expression que j’utilise, parce que j’ai passé tellement de temps sur le terrain à arbitrer des différends entre des hommes et des femmes que je ressentais le besoin de continuer à gérer la situation tant que nous n’étions pas parvenus à faire la paix. Vous me regardez avec des yeux très compatissants.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’ai écouté l’ensemble des questions de mes collègues et ce qui me vient à l’esprit est ceci : en quoi ce projet de loi va-t-il améliorer les décisions des juges qui traiteront des questions de divorce? Quel outil supplémentaire peut-on fournir aux juges dans le cadre de ce projet de loi afin qu’ils rendent de meilleures décisions?
[Traduction]
La sénatrice Cools : Cela leur permettrait de refuser complètement d’accorder le divorce jusqu’à ce que certaines questions aient été examinées et certains faits, présentés au tribunal. Cela accroîtrait grandement leurs pouvoirs.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Croyez-vous que, en 2017, les juges se prononcent quand des éléments aussi importants que l’intérêt de l’enfant ne sont pas réglés en cour? Croyez-vous, aujourd’hui, que des juges rendent des décisions en faisant abstraction d’une entente dans l’intérêt de l’enfant? Est-ce une réalité dans nos palais de justice?
[Traduction]
La sénatrice Cools : Ce que je dis, c’est que la loi, le texte de loi, ne donne pas clairement au juge le pouvoir de surseoir la prononciation du divorce, à moins que…
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ce n’est pas là ma question. Ma question traite d’un élément concret.
[Traduction]
La sénatrice Cools : Quelle est votre question?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Y a-t-il actuellement des juges qui ont rendu des décisions dans des causes de divorce sans tenir compte de l’intérêt de l’enfant?
[Traduction]
La sénatrice Cools : Je ne dirais pas que je suis au courant de telles affaires. Je ne dirais pas cela, mais vous posez votre question d’une façon négative. Je tente de vous présenter un enjeu.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : La question que je posais est la suivante : ce projet de loi prévoit-il fournir un outil supplémentaire aux juges pour rendre de meilleures décisions? Si l’on adopte une loi, il faut qu’elle améliore le processus décisionnel d’un juge. En quoi ce projet de loi fera-t-il en sorte que les juges disposeront de meilleurs outils pour rendre des décisions dans l’intérêt de l’enfant?
[Traduction]
La sénatrice Cools : Comme je vous l’ai dit précédemment, le projet de loi accorde aux juges un pouvoir supplémentaire qu’ils ne possédaient pas auparavant, c’est-à-dire celui de surseoir à la prononciation du divorce si cette question n’est pas réglée.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Si l’on offre aux juges un outil de sursis, y a-t-il des causes, aujourd’hui, où des juges ont rendu des décisions sans tenir compte de l’intérêt de l’enfant? Ma question est très claire.
[Traduction]
La sénatrice Cools : Non, je ne le crois pas du tout. Je ne pense pas que nous devrions être assez insouciants pour laisser même entendre que les juges rendent de mauvaises décisions, qu’ils n’écoutent pas tous les faits des affaires ou qu’ils ne prêtent pas attention aux enfants. La plupart des juges que je connais sont plutôt respectueux des gens.
Tout ce que je vous dis, c’est qu’aucun juge n’est parfait parce qu’aucune loi n’est parfaite. Je m’efforce de distinguer une imperfection dans la loi. Je nous donne l’occasion d’apporter une correction à ce seul endroit, et non pas partout dans le projet de loi.
Comme je l’ai indiqué auparavant, je me sens combative à propos du fait que, lorsque les parlementaires décident d’élaborer des projets de loi, ils devraient se limiter à leur champ de compétence et ne pas empiéter sur la compétence ministérielle. Personnellement, je pense que les enjeux plus globaux relèvent du ministre de la Justice qui dispose de tout l’appareil nécessaire pour étudier chaque problème, proposer des idées, et cetera. Les propositions de Mark MacGuigan ont commencé par figurer dans ce petit livre rouge. Ce livre est une perle que je conserve depuis 30 ans.
Je vois cela comme un pas dans la bonne direction. Dans les affaires où bon nombre des hostilités qui existent entre les membres du couple se poursuivent depuis longtemps, je pense que, chaque fois que nous pouvons donner à un juge une occasion de les régler et de le faire d’une façon légale et judiciaire, nous faisons une bonne action parlementaire.
Je ne peux pas examiner chaque éventualité qui existe sur la planète, mais je peux vous dire que j’ai entrepris ce projet après avoir parlé à un très grand nombre de juges en privé. Tous m’ont légèrement encouragé. Les juges sont négligés. Je dois vous dire que c’est la raison pour laquelle, chaque fois que l’on propose de modifier leur salaire, je vote pour cette initiative.
Le président : En ce qui concerne le prochain budget, un article figure dans le projet de loi d’exécution du budget que nous recevrons plus tard dans le cadre de nos travaux.
La sénatrice Cools : Je sais, et c’est inhabituel.
Le président : Toutefois, ce n’est pas la question qui nous occupe ce matin.
Le sénateur Duffy : Sénatrice Cools, comme vous le savez, je suis votre travail à cet égard depuis de très nombreuses années. En ce qui concerne certaines des questions relatives à l’attribution de pouvoirs supplémentaires aux juges, cette modification n’aura-t-elle pas, il me semble, pour effet de faire réaliser aux avocats des parties concernées que c’est là un autre enjeu au sujet duquel ils vont devoir parvenir à une certaine entente avant que l’affaire soit entendue par un juge?
En fait, cela ne fera-t-il pas reposer le travail sur les épaules des avocats des deux parties en cause? Cela n’aurait-il pas l’effet peut-être bénéfique d’accélérer le processus devant les tribunaux? Les parties sauraient, avant de se présenter devant les tribunaux que, si elles n’ont pas coché la case indiquant qu’elles ont approuvé un plan parental, elles n’obtiendraient pas le divorce. Ce que vous proposez n’est-il pas un moyen d’obliger les avocats à inciter les parties à prendre une décision ou à parvenir à une conclusion par rapport à un enjeu avant qu’il soit présenté au juge?
La sénatrice Cools : Ce pouvoir pourrait avoir cet effet. J’ai délibérément examiné l’article portant sur les attributions des fonctionnaires du tribunal qui décrit directement les pouvoirs des juges. Voilà ce que j’ai choisi de faire. Il est tout à fait possible qu’en choisissant cette voie, j’aie négligé d’autres possibilités. Comme je l’ai indiqué précédemment, je m’efforce de limiter mon rôle à celui que devrait avoir une députée d’arrière-ban ou une parlementaire qui présente un projet de loi.
Je n’ai pas étudié d’autres possibilités probablement fantastiques. Je prends ma retraite en août prochain. Par conséquent, je n’ai ni l’occasion ni le temps de procéder à ce genre d’étude. C’est ce qui occupait mon esprit au moment où j’ai élaboré le projet de loi parce que j’avais entendu tellement de juges me parler de la difficulté qu’ils éprouvaient parfois à obtenir que les parties s’entendent sur certaines questions.
Le président : Cela conclut notre audience de ce matin avec la sénatrice Cools qui portait sur son projet de loi.
Bien entendu, sénatrice Cools, je tiens à vous assurer que le comité de direction cherche à préparer une liste de témoins. Je sais que ses membres vous ont aussi demandé de contribuer à la liste. Nous poursuivrons notre étude du projet de loi au cours de nos autres séances.
Je vous remercie de votre contribution de ce matin, sénatrice Cools. Je vous en suis très reconnaissant.
La sénatrice Cools : Je vous remercie, sénateur Joyal, de votre contribution au droit du Canada. Vous vous attaquez à ces enjeux avec ferveur, ce qui, à mon avis, est très souhaitable, mais vous savez ce que je pense de vous de toute manière.
Le président : Merci, sénatrice Cools.
J’aimerais demander aux honorables sénateurs de demeurer dans la salle pendant quelques minutes. Nous devons encore nous occuper de deux questions administratives. La première est liée au budget que nous devons faire approuver. Comme vous savez, notre comité est très économe. Je dirais que c’est le plus économe de tous les comités sénatoriaux.
Je propose que nous demandions au Comité de la régie interne d’approuver une somme de 6 000 $ pour le reste de l’exercice. Je dois obtenir une approbation pour ce budget. Cet argent servira à acheter la dernière édition du Code criminel. Il est essentiel que les nouveaux membres assis à la table disposent de cet exemplaire comme ouvrage de référence. Il ne s’agit pas du tout d’un cadeau de Noël; c’est un outil de travail nécessaire. J’ai besoin que quelqu’un propose cette motion.
Le président : Merci, sénateur Sinclair. La motion est appuyée par le sénateur Boisvenu. Il est convenu que le budget pour l’étude des mesures législatives, d’un montant de 6 000 $, pour l’exercice se terminant le 31 mars 2018, soit approuvé et soumis au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.
Je constate que vous êtes d’accord à ce sujet. Merci, honorables sénateurs.
Comme vous le savez, honorables sénateurs, nous avons fait circuler le rapport Justice différée, justice refusée, et nous avons reçu une lettre du juge en chef associé Robert Pidgeon qui souhaite apporter des corrections au rapport. J’ai besoin que quelqu’un propose d’annexer la lettre du juge Pidgeon à nos délibérations de ce matin afin que tous puissent en prendre connaissance.
Le président : Merci, sénateur White. La motion est appuyée par le sénateur Gold. Elle est sous réserve que, si l’on nous demande une deuxième impression de notre rapport Justice différée, justice refusée dans les années à venir, nous veillerons à ce que les corrections soient apportées à la deuxième édition.
La sénatrice Fraser : Le rapport a-t-il été adopté par le Sénat?
La sénatrice Batters : Oui.
La sénatrice Fraser : Dans ce cas, serait-il nécessaire d’informer le Sénat à propos de cette édition?
Le président : Je pourrais en faire rapport au Sénat.
La sénatrice Fraser : Pour que cela figure dans le compte rendu.
Le président : Oui, pour que cela figure dans le hansard du Sénat. Bien entendu, cela figurera dans notre procès-verbal d’aujourd’hui, mais je pourrais en faire rapport. J’aurais besoin que quelqu’un propose une motion en ce sens.
La sénatrice Fraser : Je la propose.
Le président : La motion est appuyée par le sénateur Sinclair.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’ai une question complémentaire. Si le comité décidait dans le cadre de l’examen d’un projet de loi d’engager des dépenses supplémentaires, devra-t-on demander un nouveau budget? Ce n’est pas parce que nous faisons ce budget que nous sommes limités dans nos actions, dans nos décisions à venir. Les projets de loi C-45 et C-46 nécessiteront peut-être des budgets supplémentaires.
[Traduction]
Le président : Pas du tout, sénateurs. Il s’agit essentiellement d’une demande particulière pour l’exercice qui se termine. Toutefois, si la circonstance exceptionnelle que vous avez décrite survenait, j’aurais besoin que le comité propose une motion pour faire rapport au Sénat et demander la somme d’argent au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, comme n’importe quel comité.
Comme vous vous en souviendrez, nous lisons régulièrement dans le Feuilleton que des comités demandent des budgets pour des études spéciales ou des voyages. Il ne fait aucun doute que, dans ce contexte, il nous faudrait demander une approbation. De ce point de vue, notre demande d’aujourd’hui ne nous limite pas du tout. Au contraire, c’est là la marche à suivre appropriée.
Puisqu’il n’y a pas d’autres questions, la séance est levée, honorables sénateurs.
(La séance est levée.)