Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 36 - Témoignages du 14 février 2018
OTTAWA, le mercredi 14 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à notre réunion durant laquelle nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) relativement à la conduite avec capacités affaiblies.
Nous sommes heureux et chanceux d’avoir avec nous cet après-midi des témoins du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile et, évidemment, de la Gendarmerie royale du Canada.
Je tiens d’abord à vous présenter M. Trevor Bhupsingh. Bon après-midi. Nous vous avons déjà entendu dans le cadre d’un autre examen. Vous êtes directeur général du ministère, et vous êtes accompagné de Rachel Huggins, gestionnaire, Développement des politiques. Bienvenue à vous, madame Huggins.
Nous accueillons le commissaire adjoint Byron Boucher, Wade Oldford, surintendant principal et directeur général, Services judiciaires, et D’Arcy Smith, conseiller spécial, Programme d’évaluation et de classification des drogues, tous de la Gendarmerie royale du Canada.
Bienvenue à tous. Je crois comprendre que vous connaissez la marche à suivre. Écoutons l’allocution d’ouverture de M. Bhupsingh, et mes collègues vous poseront des questions par la suite.
Trevor Bhupsingh, directeur général, Direction générale de l’application de la loi et des stratégies frontalières, Sécurité publique et Protection civile : Bon après-midi, mesdames et messieurs les sénateurs, et merci à vous, monsieur le président.
Je m’appelle Trevor Bhupsingh et je suis le directeur général de la Direction générale de l’application de la loi et des stratégies frontalières, à Sécurité publique Canada. Je suis accompagné de mes collègues de la GRC et de Sécurité publique. Nous sommes heureux d’être ici pour vous donner des renseignements sur les dispositifs de dépistage de drogue dans la salive. Nous savons que le ministère de la Justice vous a déjà fourni des renseignements au sujet du projet de loi.
En raison de l’engagement du gouvernement de légaliser et de réglementer le cannabis, on assiste à un accroissement des préoccupations concernant la conduite avec les facultés affaiblies et la sécurité routière.
[Français]
Même si le taux de conduite avec les facultés affaiblies diminue depuis les 30 dernières années, la conduite avec les facultés affaiblies demeure la principale cause criminelle de décès au Canada, et la conduite avec les facultés affaiblies par les drogues est en augmentation.
Les résultats provenant de différentes sources, y compris des enquêtes à base de données autodéclarées sur les habitudes de conduite, indiquent que la prévalence de consommation de drogue est relativement élevée chez les automobilistes. À l’inverse, les policiers rapportent une incidence relativement faible des cas de conduite avec les facultés affaiblies par les drogues. Ces deux éléments indiquent clairement le besoin d’améliorer la détection des automobilistes qui conduisent avec les facultés affaiblies par les drogues sur les routes canadiennes.
[Traduction]
Le comité a entendu parler des mesures que prend le gouvernement par l’octroi de nouveaux fonds aux provinces et aux territoires afin d’améliorer la formation offerte aux agents d’application de la loi, relativement au test de sobriété normalisé sur le terrain, et aux experts en reconnaissance de drogues de façon à améliorer la détection des automobilistes avec les facultés affaiblies par les drogues. On procède actuellement à la mise en place du financement pour soutenir les provinces et les territoires, alors que les services de police d’un bout à l’autre du pays augmentent déjà leurs capacités en matière de formation pour se préparer à la légalisation du cannabis.
Pour compléter les efforts actuels de détection des automobilistes avec facultés affaiblies par les drogues, le gouvernement du Canada investit également dans la création et l’acquisition de dispositifs de dépistage de drogue dans la salive. L’utilisation potentielle de ces dispositifs de dépistage est conforme aux objectifs de la Stratégie de sécurité routière 2025 du Canada, qui vise à améliorer les efforts en matière d’application de la loi et à tirer profit de la technologie et de l’innovation. De plus, le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis a recommandé au gouvernement de soutenir la création d’un dispositif adéquat de dépistage des drogues qui permettra de détecter les niveaux de THC et qui pourra être utilisé au bord de la route, et d’investir dans de tels outils.
La première étape touche les modifications législatives proposées dans le projet de loi C-46 qui, s’il est adopté, permettra aux agents d’application de la loi d’utiliser des dispositifs de dépistage de drogue dans la salive dans le cadre du système sur la conduite avec les facultés affaiblies par les drogues.
Les dispositifs de dépistage de drogue dans la salive sont utilisés avec succès dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni et l’Australie. Les efforts visant à déterminer si l’utilisation des dispositifs de dépistage de drogue dans la salive est souhaitable au Canada se poursuivent depuis déjà un certain temps. Par exemple, en 2015, la GRC et le ministère des Transports de l’Ontario ont mené une étude sur la fiabilité de plusieurs dispositifs de dépistage de drogue dans la salive. Trois dispositifs ont été jugés fiables par rapport à leur capacité de détecter la présence des drogues identifiées.
[Français]
En fonction des résultats de l’étude, Sécurité publique Canada et la GRC ont mené, de décembre 2016 à mars 2017, en collaboration avec le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, un projet pilote avec les agents d’application de la loi de sept administrations d’un bout à l’autre du Canada, pour mettre à l’essai l’utilisation par les policiers de deux dispositifs de dépistage de drogue dans la salive pouvant être utilisés au bord de la route.
[Traduction]
Le projet pilote avait plusieurs objectifs, y compris l’analyse de l’utilisation de ces dispositifs dans le contexte du climat canadien et des pratiques actuelles d’application de la loi; la détermination des besoins en matière de formation pour permettre l’utilisation efficace des dispositifs; et les procédures opérationnelles normalisées qui sont nécessaires pour permettre l’utilisation efficace de ces dispositifs par les agents d’application de la loi.
Je sais que l’on a déjà fourni au comité le rapport définitif du projet pilote. Vous verrez dans le rapport qu’il a été possible d’utiliser correctement les dispositifs dans différentes conditions météorologiques. Les agents d’application de la loi ont indiqué que les dispositifs étaient faciles à utiliser et ont dit être à l’aise de les utiliser sur le bord de la route.
La technologie actuelle associée aux dispositifs de dépistage de drogue dans la salive comporte certaines limites. Les dispositifs peuvent uniquement détecter la présence d’une drogue, comme le cannabis, dans la salive. Ils ne fournissent pas d’information au sujet de la concentration de la drogue dans le sang et ne peuvent pas déterminer si l’automobiliste a les facultés affaiblies.
Étant donné qu’il s’agit d’une nouvelle technologie au Canada, le Comité des drogues au volant de la Société canadienne des sciences judiciaires a élaboré des normes auxquelles devront répondre les dispositifs avant que l’on ne puisse recommander au procureur général du Canada d’en demander l’utilisation par les policiers. L’appel aux fabricants relativement à la présentation de leurs dispositifs a été effectué en novembre 2017, et Sécurité publique Canada a obtenu les services du Conseil national de recherches en tant que laboratoire de dépistage des dispositifs.
[Français]
Il est important de souligner que le gouvernement soutient l’approfondissement des recherches sur le cannabis et la conduite avec les facultés affaiblies. Sécurité publique Canada a mis sur pied un accord de trois ans afin d’entreprendre des recherches pour déterminer la corrélation qui existe entre la consommation de cannabis, la capacité à conduire et la concentration de THC dans le sang et la salive.
Le projet de recherche à plusieurs volets s’appuiera sur les recherches que mène en ce moment Mme Bruna Brands, des Instituts de recherche en santé du Canada, sur la capacité à conduire et la consommation de cannabis.
[Traduction]
En guise de conclusion, il est essentiel que les agents d’application de la loi d’un bout à l’autre du pays se préparent à l’adoption des nouvelles lois et que la population soit bien informée au sujet des effets qu’a le cannabis sur la capacité de conduire et des conséquences juridiques qui sont associées à la conduite sous l’effet du cannabis. Dès que nos dispositifs seront testés par rapport aux normes, le Comité des drogues au volant présentera une recommandation à la ministre de la Justice et au procureur général du Canada, qui devront en tenir compte. Au moyen d’un décret ministériel, la ministre indiquera les équipements de dépistage de drogues dont l’utilisation a été approuvée par les agents d’application de la loi. Une fois approuvés, ces dispositifs constitueront de nouveaux outils qui aideront les agents d’application de la loi à garder loin des routes canadiennes les automobilistes avec facultés affaiblies par les drogues.
Nous vous remercions de la possibilité que vous nous offrez et nous sommes heureux de répondre à vos questions.
Le président : Cédons maintenant la parole au commissaire adjoint Byron Boucher.
Byron Boucher, commissaire adjoint, Services de police contractuels et autochtones, Gendarmerie royale du Canada : Le discours était…
Le président : Avez-vous une allocution à faire? Vous faites partie de…
M. Boucher : Sécurité publique.
Le président : Il n’y a qu’une seule voix. Je vais lancer l’échange avec la sénatrice Dupuis, vice-présidente du comité.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je vous remercie d’être venus nous rencontrer aujourd’hui. Lorsque le ministre de la Sécurité publique a comparu devant notre comité, il nous a parlé de la formation des agents de police, certes, mais également des agents des douanes. Comment le nouveau système s’appliquera-t-il de façon concrète dans le cas des agents des douanes? Autrement dit, le système prévu dans le projet de loi C-46 va-t-il s’appliquer également selon que l’on soit un policier sur le bord des routes ou un agent des douanes? La même procédure s’applique-t-elle dans les deux cas?
[Traduction]
M. Bhupsingh : Nous voulons nous assurer que les agents des services frontaliers de l’ASFC ont les outils nécessaires pour détecter les conducteurs ayant les capacités affaiblies. Actuellement, ils sont en mesure de détecter les conducteurs ayant les capacités affaiblies par l’alcool, mais ils n’ont pas les outils nécessaires pour repérer les conducteurs sous l’influence des drogues.
Le gouvernement a annoncé que le financement sera affecté à l’application de la loi, mais aussi à la formation des agents de l’ASFC. Autrement dit, dans le cadre du nouveau système, il y aura des fonds pour l’application de la loi et aussi pour former les agents des services frontaliers à la détection de la conduite avec capacités affaiblies.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Pourriez-vous être plus précis, s’il vous plaît, en ce qui a trait au processus pratique? Prenons par exemple un agent des douanes qui a des soupçons ou qui juge que le cas mérite d’être examiné plus à fond. Aura-t-il en sa possession les appareils dont vous avez parlé plus tôt? Comment va-t-il les utiliser? Va-t-il se limiter au test de salive ou ira-t-il plus loin à l’aide du test de sang?
[Traduction]
Rachel Huggins, gestionnaire, Développement des politiques, Sécurité publique et Protection civile : Je vous remercie de votre question. Je suis certaine que la GRC pourra également vous répondre.
Dans le cadre du processus de formation, les agents des services frontaliers de l’ASFC disposeront aussi des tests de sobriété normalisés, qui auront un composé nouveau ou augmenté entrant déjà dans la composition des drogues qui affaiblissent les capacités. L’idée est qu’ils aient la formation nécessaire, et nous y veillerons avec le nouveau financement. La GRC travaille avec l’ASFC en vue d’augmenter cette formation. Ainsi, à la frontière, les agents auront reçu une formation qui leur permet de dissiper leurs soupçons.
Comme pour les services de police, les dispositifs seront disponibles lorsque leur utilisation sera autorisée au Canada. L’ASFC pourra les utiliser, et les agents disposeront donc d’outils supplémentaires pour les aider à détecter les conducteurs avec capacités affaiblies à la frontière.
M. Boucher : Je peux parler de la formation sur les tests de sobriété normalisés. Tout juste la semaine dernière, la GRC a fourni à 24 membres de l’ASFC la formation de base sur les tests de sobriété normalisés. Ce qui est bien, c’est que ceux-ci deviendront à leur tour des formateurs pour ce programme afin que l’ASFC puisse former elle-même ses employés partout au pays.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J’aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités. On s’est rencontré à d’autres occasions pour discuter d’autres projets de loi.
En ce qui concerne les appareils de dépistage, il y en a deux sur le marché : les appareils Securetec et les appareils Alere. Dans les deux cas, il y a un écart de température en ce qui a trait à la conservation, soit de 5 à 25 degrés, et de 15 à 25 degrés.
Dans les régions nordiques, il y a une forte consommation de cette substance et un taux élevé d’infractions au Code de la route. Quelle sera votre stratégie pour conserver ces cartouches afin que les policiers puissent les utiliser? De décembre 2016 à mars 2017, vous avez produit plus de 1 040 échantillonnages liés à la marijuana. Ces échantillonnages vous ont-ils permis de déterminer si ces appareils pouvaient être utilisés à des températures très basses?
[Traduction]
M. Bhupsingh : Je vous remercie chaleureusement, sénateur, de votre question sur le projet pilote et la mise à l’essai des dispositifs. Ce que je peux vous dire au sujet de l’utilisation des dispositifs mis à l’essai, c’est qu’ils ont été utilisés dans toutes sortes de conditions, y compris à des températures sous zéro, et qu’ils étaient toujours fonctionnels dans ces conditions.
Je vais demander à M. Smith ou à Mme Huggins de vous en dire davantage sur les tests. Ils pourront également répondre à votre question sur l’entreposage des cartouches.
Mme Huggins : Pour ce qui est des dispositifs utilisés, soit celui de Securetec et d’Alere, nous avons fourni une formation aux agents d’application de la loi qui mettent à l’essai ces dispositifs. Nous devions faire certaines choses relativement à la température. Par exemple, les dispositifs ont été mis à l’essai à North Battleford, en Saskatchewan, et à Yellowknife en janvier et en février. Le projet pilote consistait entre autres à vérifier comment ces dispositifs pouvaient être utilisés dans un climat très froid qui atteint leurs limites d’utilisation. Nous avons travaillé avec les agents afin de déterminer les procédures opérationnelles normalisées qu’il faudrait mettre en place pour qu’ils puissent utiliser les dispositifs correctement et les faire fonctionner par temps froid. Dans le cadre des mises à l’essai, les dispositifs ont bien fonctionné. Forts de leur expérience du temps froid et des problèmes qu’il peut causer, les agents ont trouvé des façons de s’assurer que les dispositifs pourraient être utilisés efficacement.
D’Arcy Smith, conseiller spécial, Programme d’évaluation et de classification des drogues, Gendarmerie royale du Canada : Nous allons intégrer l’information découlant du projet pilote de Sécurité publique aux modules de formation que nous mettons actuellement en œuvre pour composer avec le temps froid. Tout comme le Comité des drogues au volant, nous avons fait part de nos préoccupations à l’égard des écarts de température aux fabricants et nous demandons un mécanisme qui permettra de vérifier si les éléments ont été expédiés ou entreposés en dehors des températures acceptables. Pour ce qui est de la formation des agents, certaines choses apprises dans le cadre du projet pilote seront intégrées à la formation pour que les agents n’aient aucun problème avec les dispositifs et les cartouches.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie beaucoup de votre professionnalisme.
Il est prévu que les équipements seront livrés d’ici l’été prochain. Une fois que l’appareil entrera au poste de police, combien de temps faudra-t-il pour apprendre à l’utiliser?
[Traduction]
M. Boucher : Le gouvernement devra lancer un processus d’approvisionnement pour obtenir les dispositifs, mais nous surveillons les mises à l’essai et la recherche de très près et nous sommes prêts à commencer la formation — nos normes de formation —, peu importe le dispositif choisi. Par conséquent, lorsque nous serons prêts à avoir…
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Combien de temps faudra-t-il pour qu’un policier soit formé pour effectuer des tests au bord de la route?
[Traduction]
M. Boucher : C’est d’une simplicité désarmante, et nous avons avec nous aujourd’hui des appareils si vous souhaitez qu’on en fasse la démonstration.
Le président : Si vous voulez un innocent, je me porte bénévole. Eh bien, peut-être plus tard.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question porte sur l’alinéa 254(2)b), où il est indiqué que la personne qui est interceptée devra « fournir immédiatement l’échantillon d’une substance corporelle ». Est-ce que le droit à l’avocat pourrait être invoqué ici? Avant de fournir immédiatement un échantillon, le conducteur aura-t-il le droit de faire appel à un avocat?
[Traduction]
Le président : Monsieur Boucher? C’est votre service qui pourrait être en première ligne par rapport à cette question.
M. Boucher : Si je comprends bien le nouveau projet de loi, une fois qu’une demande est faite, si vous refusez de soumettre un échantillon, c’est considéré comme un refus, et cela devient automatiquement une infraction. Donc, sur ce point, oui, vous avez le droit de faire appel à un avocat, mais avant…
[Français]
Le sénateur Carignan : Si le conducteur refuse de fournir immédiatement un échantillon, selon vous, il n’aurait pas le droit de faire appel à un avocat, à ce moment-là.
[Traduction]
M. Boucher : Je pense que l’infraction est commise une fois que le refus est prononcé. Avant cela, il n’y a pas d’infraction. Il y a des soupçons.
[Français]
Le sénateur Carignan : On a des motifs raisonnables de soupçonner, on intercepte la personne et on lui demande de fournir immédiatement un échantillon de substance corporelle à des fins d’analyse. Le conducteur a-t-il le droit de faire appel à un avocat avant de se soumettre au test?
[Traduction]
M. Boucher : À tout moment durant une enquête criminelle, si une personne demande à faire appel à un avocat…
[Français]
Le sénateur Carignan : Je le sais, lorsque la personne le demande. Par contre, est-ce qu’on lui accorde ses droits?
[Traduction]
M. Boucher : On leur lit leurs droits une fois qu’on estime qu’une infraction a été commise. Donc, nous agissons quand il y a des soupçons, à partir du moment où vous avez probablement d’autres données probantes devant vous, lorsque vous cherchez à obtenir cet échantillon, mais n’en avez peut-être pas assez pour qu’une personne demande à faire appel à un avocat.
[Français]
Le sénateur Carignan : Donc, je comprends que vous ne lui accordez pas le droit de faire appel à un avocat.
[Traduction]
M. Boucher : C’est exact.
[Français]
Le sénateur Carignan : Par la suite, au paragraphe 254(3.1), il est indiqué ceci :
L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est en train de commettre, ou a commis au cours des trois heures précédentes [...], peut, à condition de le faire dans les meilleurs délais, [...]
Que signifie l’expression « les meilleurs délais » si la personne croit qu’elle a commis une infraction dans les trois heures? Donc, l’infraction aurait pu être commise déjà depuis 2 h 50. Quels sont les délais?
[Traduction]
M. Boucher : Cela dépendrait vraiment de la situation particulière. Disons que vous faites une intervention routière quelque part... Dans bon nombre des régions que nous servons, il n’y a même pas de service de téléphone cellulaire. Donc, la communication avec un avocat sera permise dès que cela serait possible.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je ne fais plus référence au droit à l’avocat, mais au paragraphe 254(3.1) où il est indiqué ceci :
L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est en train de commettre, ou a commis au cours des trois heures précédentes, une infraction [...], peut, à condition de le faire dans les meilleurs délais, lui ordonner de se soumettre à l’une ou l’autre des mesures [...]
Ces mesures sont soit une évaluation faite par l’agent évaluateur, soit le prélèvement d’un échantillon de sang, ce qui est tout de même une invasion assez importante dans la vie privée des gens.
Cependant, on précise « à condition de le faire dans les meilleurs délais ». Donc, lorsque vous expliquez à un policier, dans le cadre de sa formation, la signification de l’expression « dans les meilleurs délais », qu’est-ce que vous lui dites exactement?
[Traduction]
M. Boucher : Cela dépend beaucoup du lieu. Si nous sommes dans un grand centre urbain, vous pourriez avoir beaucoup plus rapidement la capacité d’obtenir un échantillon de sang, en fonction du processus mis en place une fois le projet de loi adopté et du fait d’avoir à traiter avec les administrations provinciales pour que des personnes puissent en réalité prélever ce sang. Si vous êtes dans une région beaucoup plus éloignée, une province ou un territoire pourrait mettre sur pied des services d’urgence dans un poste de soins infirmiers ou ailleurs, par exemple, afin d’être en mesure de prélever le sang, ou dans un hôpital, où un membre du personnel infirmier peut le faire.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je comprends, mais les mots « dans les meilleurs délais » sous-entendent qu’il faudra prévoir un certain nombre d’experts formés en reconnaissance de drogues, selon une répartition géographique précise, afin de couvrir le maximum de terrain assez rapidement.
Ainsi, quand on dit « dans les meilleurs délais », qu’est-ce que ça signifie pour vous?
[Traduction]
M. Boucher : Dès qu’une personne est en mesure de prélever le sang. Cela pourrait vouloir dire une situation très différente selon la région du pays où vous vous trouvez. Je ne peux pas y accoler de délai, mais je dirais que ce serait le plus rapidement possible. La personne qui fera le prélèvement de sang sera non pas un policier, mais bien un professionnel de la santé.
[Français]
Le sénateur Carignan : Si c’est ce que vous dites dans le cadre de la formation offerte aux policiers, nous aurons des problèmes.
[Traduction]
M. Boucher : Que ce n’est pas un policier qui fait le prélèvement de sang?
[Français]
Le sénateur Carignan : Non, mais dans votre formation, si vous n’êtes pas en mesure de préciser ce que veut dire l’expression « dans les meilleurs délais » et qu’il s’agit simplement de faire le mieux possible, je ne crois pas que les tribunaux seront d’accord.
[Traduction]
M. Boucher : Les agents comprennent que, dans le type d’enquêtes qu’ils mènent en ce moment dans bon nombre de ces petites collectivités et particulièrement pour une force comme la GRC, ce qui est accessible n’est certainement pas pareil à ce qui l’est dans un grand centre urbain, que ce soient les services médicaux ou la capacité de prélever du sang, même d’avoir sur place un expert formé en reconnaissance de drogues. Certains de nos détachements sont composés de trois membres, et il pourrait ne pas y avoir d’ERD formé là-bas.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je comprends que le choix entre un expert en reconnaissance de drogues ou un échantillon de sang se fera en fonction de la disponibilité soit d’un service d’infirmerie ou d’un expert en reconnaissance de drogues.
[Traduction]
M. Boucher : Encore une fois, ce ne sera pas un expert en reconnaissance de drogues qui procédera au prélèvement du sang, mais il fera plutôt la demande de prélèvement. Il faudrait que ce soit un professionnel de la santé... Probablement un processus différent qui est mis sur pied dans chaque administration et qui fournit ce service aux forces policières sur place, que ce soient des services médicaux d’urgence ou un phlébotomiste.
[Français]
Le sénateur Carignan : Donc, le choix du policier d’opter pour l’expertise de l’agent évaluateur au lieu de l’échantillon de sang ne se fera pas en fonction de l’infraction constatée ou de l’individu qu’il a devant lui, mais se fera plutôt selon la disponibilité des services.
[Traduction]
M. Boucher : Non, il faudrait que l’expert en reconnaissance de drogues croie que la personne a les facultés affaiblies par une drogue avant de faire la demande de prélèvement de sang.
[Français]
Le sénateur Pratte : Je trouve très intéressant de siéger à ce comité parce que, chaque fois, je fais un cours de droit instantané.
Pour faire suite aux questions du sénateur Carignan concernant le paragraphe qui mentionne la nécessité de « fournir immédiatement l’échantillon d’une substance corporelle », j’aimerais souligner que c’est déjà ce qui est inscrit dans le Code criminel en ce qui a trait aux échantillons d’haleine, dans le cas de l’alcool.
Le sénateur Carignan : C’est pour cette raison que je ne comprends pas pourquoi il n’est pas en mesure de répondre à ma question.
[Traduction]
Le sénateur Pratte : J’aimerais comprendre quand ces dispositifs de dépistage de drogue seront disponibles. Je suis un peu confus ici. Ai-je raison de dire qu’ils n’ont pas encore été approuvés par le Conseil national de recherches? Ce processus a toujours cours, n’est-ce pas?
M. Bhupsingh : Les normes ont été établies par le CDV. Celui-ci a lancé un appel pour obtenir des dispositifs. Certains de ces dispositifs ont été reçus. Les fabricants ont beaucoup de renseignements à fournir. Il y a un certain niveau à respecter pour ce qui est des tests à effectuer.
Nous avons désigné le Conseil national de recherches pour procéder à la mise à l’essai des dispositifs. Il y a un ensemble de tests, et nous pouvons parler de ces derniers, si vous le voulez bien. Ces dispositifs ne seront pas mis à l’essai, à moins qu’ils satisfassent à un critère minimal, une norme établie par le Comité des drogues au volant. Nous nous attendons à ce que les dispositifs soient mis à l’essai. Quel que soit l’appareil qui répond aux critères, ce mois-ci et le prochain, une fois qu’il aura été approuvé et mis à l’essai par le CNR, celui-ci enverra ensuite ces appareils au CDV, qui présentera une recommandation à la ministre de la Justice et procureure générale du Canada par rapport aux dispositifs qui devraient être inscrits, puis achetés. C’est le processus que nous suivons.
En ce moment, nous procédons à l’établissement de l’inventaire des dispositifs et nous prévoyons les mettre à l’essai ce mois-ci et le prochain.
Le sénateur Pratte : À quel moment pensez-vous être en mesure de le dire aux forces policières? Donnez-moi simplement une fourchette de dates où vous pensez pouvoir dire aux forces policières que ce sont les dispositifs qu’elles peuvent acheter?
M. Bhupsingh : Donc, s’il y a des dispositifs qui franchissent avec succès l’étape des essais de laboratoire et sont admissibles…
Le sénateur Pratte : Espérons-le.
M. Bhupsingh : S’il y a des dispositifs, nous nous attendrions probablement à ce qu’ils soient inventoriés d’ici la fin mars, puis cette recommandation sera présentée à la ministre de la Justice et procureure générale. À ce moment seulement, une décision sera prise concernant les dispositifs qui seront approuvés. Ensuite, on pourrait en faire l’acquisition. Si on examine les délais d’ici le printemps, nous pensons que cela devrait arriver vers la fin mars ou avril.
Le sénateur Pratte : J’aimerais comprendre quel sera le rôle des experts en reconnaissance de drogues. Je sais qu’il y a de l’argent et qu’on insiste pour embaucher plus d’ERD vu que, avec la nouvelle loi, l’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a les facultés affaiblies a le pouvoir discrétionnaire d’envoyer directement le conducteur subir des analyses sanguines. Donc l’agent de la paix n’a maintenant plus besoin de passer par l’expert en reconnaissance de drogues. S’il a un motif raisonnable de croire que la personne a les facultés affaiblies, il peut l’envoyer directement subir des analyses sanguines. Il n’est plus nécessaire de passer par l’ERD. Il peut encore le faire et il peut faire les deux choses. C’est ainsi que je comprends le projet de loi. Toutefois, il n’a pas besoin de le faire. En outre, il est beaucoup plus facile d’envoyer la personne directement pour qu’elle subisse les analyses sanguines. Je me demande si on aura maintenant autant besoin des ERD.
M. Boucher : Je peux répondre à cette question. Les ERD sont assurément toujours nécessaires. Le dispositif actuel ne permettra probablement que l’évaluation d’une certaine quantité de drogues, et non pas de toutes celles dont un ERD est formé pour déterminer la présence chez une personne; c’est donc un éventail beaucoup plus grand.
Pour ce qui est de la collecte de données probantes, la capacité d’observer un éventail élargi de réactions et de reconnaître une drogue particulière par rapport à celle d’un dispositif, qui nous en indiquera seulement la présence, les données probantes que l’expert en reconnaissance de drogues va recueillir serviront à conclure à l’affaiblissement des facultés de cette personne.
Le sénateur Pratte : Qu’entrevoyez-vous comme situation typique? Le policier fera-t-il habituellement les deux — communiquer avec l’ERD et envoyer la personne subir directement des analyses sanguines — ou passera-t-il simplement par l’ERD et attendra de voir ce qui se passe?
M. Boucher : Je ne sais pas s’il y a beaucoup de choses qui sont typiques dans la police, mais en ce qui concerne la collecte de données probantes, la meilleure marche à suivre est d’obtenir le plus possible de données probantes et de ne pas se fier uniquement à l’appareil. Ce dernier n’est qu’un outil pour indiquer la présence d’une drogue, pas nécessairement l’affaiblissement des facultés.
Le sénateur Gold : Nous avons entendu un témoignage concernant l’incidence plus élevée de conduite avec facultés affaiblies dans le Nord et dans des régions plus éloignées, ce qui semble plausible, et les statistiques le confirment. Lorsqu’il a témoigné ici, le ministre Goodale a affirmé que les attentes et le plan consistaient à doubler le nombre d’agents formés pour les tests de sobriété. Même lorsque nous atteindrons ce nombre, cela sera-t-il suffisant?
Pourriez-vous nous parler des difficultés auxquelles vos collègues des gouvernements territoriaux et provinciaux et vous ferez face au moment de vous occuper des régions les plus éloignées, où l’on pourrait croire qu’il y a moins d’occasions de laisser sa voiture derrière soi si on doit se rendre du point A au point B, même si on a consommé des drogues ou de l’alcool?
M. Boucher : En ce moment, 665 experts en reconnaissance de drogues sont formés partout au pays, et ce sont une combinaison d’agents de la GRC et de toutes les autres forces policières. Cette année, en 2018, 17 autres cours seront fournis. L’an prochain, il y en aura 18 autres, et nous aurons la capacité d’en ajouter davantage durant cette période. Nous serons presque en mesure de doubler le chiffre.
Un autre point que je ferai valoir par rapport aux experts en reconnaissance de drogues, c’est que le nombre d’évaluations qu’ils font déjà n’est certainement pas ce que j’appellerais une quantité maximale. Ils peuvent en faire davantage. La moyenne est très basse, je dirais. Leur capacité d’assumer du travail supplémentaire et de mener plus d’évaluations en tant qu’experts en reconnaissance de drogues existe assurément.
Pour ce qui est du Nord, un de nos problèmes, c’est qu’en plus de présenter des défis pour la police en raison de certains des crimes qui surviennent dans ces collectivités éloignées, il existe aussi des difficultés pour la GRC; habituellement, nous transférons là-bas des gens selon une rotation sur trois ans, donc si nous y envoyons un expert formé en reconnaissance de drogues, il y reste pendant trois ans avant d’être transféré de nouveau. Nous devons donc planifier davantage en amont pour amener dans ces collectivités les personnes dont nous avons besoin. Ce n’est pas si différent de tout ce que nous faisons en ce moment lorsque nous choisissons des membres pour occuper ce que nous appelons des affectations temporaires. Nous jetons un coup d’œil pour nous assurer qu’ils ont la formation nécessaire pour aller dans ces collectivités. En ce moment, nous définissons pour la GRC l’emplacement des experts en reconnaissance de drogues partout au pays et, à mesure que nous remplirons nos cours à venir, nous nous assurerons que cela fait partie de la planification pour ce qui est de savoir où nous situerons les gens; ces experts seront donc là pour fournir de l’aide relativement à l’adoption du projet de loi.
Le sénateur Gold : Pourriez-vous nous communiquer des documents de planification quelconques au sujet de la répartition des agents en poste ou de leur répartition prévue?
M. Boucher : Je n’ai pas en main de chiffres à jour. Nous sommes en train de mettre tout cela en place. Nous pourrons les communiquer au comité et vous pourrez voir où se trouvent les ERD du pays. Nous nous ferons un plaisir de vous communiquer cette information.
Le sénateur Gold : Pourriez-vous y inclure les experts d’autres services ou pourriez-vous nous aider à le faire?
M. Boucher : C’est possible. C’est la GRC qui administre le programme des ERD. Mais je n’aurais pas accès aux renseignements touchant le lieu de travail, le lieu de formation ou le lieu d’affectation des agents par leurs services; dans le cas de la PPO, par exemple, l’effectif est muté pendant l’exercice de ses fonctions.
Le sénateur Gold : Merci beaucoup.
Le président : Pourriez-vous aussi nous donner de l’information sur les forces policières autochtones?
M. Boucher : Dans les territoires, seule la GRC est présente. À ce que je sache — et vous pourrez me corriger si j’ai tort —, je ne crois pas qu’il y ait de forces policières autonomes. On voit ça surtout en Ontario et au Québec, dans une certaine mesure dans les Prairies, et je crois qu’il y en a une en Colombie-Britannique. Si ces agents suivaient eux aussi notre formation pour les ERD, je crois que la GRC aurait également des registres à ce sujet.
Le président : Merci.
La sénatrice Eaton : J’aimerais revenir sur votre exposé, monsieur Bhupsingh. J’aimerais que vous m’expliquiez deux ou trois choses, en sachant que j’ai l’esprit très lent. Les dispositifs peuvent uniquement détecter la présence d’une drogue comme le cannabis dans le liquide buccal, et ils ne fournissent aucune information sur la concentration de drogue dans le sang; ils ne permettent pas non plus de déterminer si les facultés du conducteur sont affaiblies.
J’ai entendu d’autres témoins dire qu’il est en fait impossible de savoir combien de temps le cannabis reste dans le sang. Donc, si j’en fumais ce soir et que je prenais le volant dans deux jours, il resterait des résidus de cannabis dans mes tissus adipeux, comme ceux du foie et d’autres organes. Si ces dispositifs ne peuvent déterminer la concentration de drogue dans le sang ni l’incapacité de conduire de la personne, en quoi vous seront-ils utiles?
M. Smith : Dans le cas d’une drogue comme le cannabis, que le produit soit fumé ou mangé, étant donné que, apparemment, nous allons nous occuper des produits comestibles l’an prochain, nous cherchons principalement à mesurer, dans le liquide buccal, les dépôts de THC sur la muqueuse buccale ou les tissus de la bouche. On ne peut pas établir de parallèle direct entre la concentration dans le sang et celle dans le liquide buccal, comme on peut le faire pour d’autres drogues comme la cocaïne ou la méthamphétamine. Quand on mesure la concentration de THC dans le liquide buccal, ce qu’on détermine, en fait, c’est le délai écoulé depuis la consommation. Ce que vous pourrez constater dans la plupart des études portant sur le liquide buccal, c’est qu’il est possible de dépister la drogue, fumée ou consommée, jusqu’à six heures après la consommation; mais vous ne la détecterez pas dans le liquide buccal, le lendemain.
La sénatrice Eaton : Mais M. Bhupsingh a dit, dans son exposé, que cette information ne permettait pas de déterminer si les facultés du conducteur étaient affaiblies.
M. Smith : Vous pouvez établir qu’une personne a consommé de la drogue, jamais qu’elle est incapable de conduire. C’est pour cette raison que le Programme d’évaluation et de classification des drogues, et les ERD, ont tant d’importance à nos yeux.
La sénatrice Eaton : Ils doivent donc le faire ensemble, main dans la main?
M. Smith : S’il s’agit de déterminer que les facultés sont affaiblies, oui. Si vous voulez prélever du liquide buccal afin de pouvoir ensuite demander des tests sanguins et déterminer, en fait, si la limite a été dépassée, ils vous seront utiles. Ils n’arrivent à dépister que trois drogues, c’est-à-dire trois sur les milliers de drogues qui peuvent affaiblir les facultés; et c’est pourquoi le programme des ERD reste un outil précieux. Il permet de déterminer l’incapacité de conduire, non pas seulement la simple présence de la drogue.
La sénatrice Eaton : Merci, c’était très utile.
Ailleurs, dans votre exposé, M. Bhupsingh, vous dites ceci : « […] le gouvernement soutient l’approfondissement des recherches sur le cannabis et la conduite avec les facultés affaiblies. Sécurité publique Canada a mis sur pied un accord de trois ans afin d’entreprendre des recherches pour déterminer la corrélation entre la consommation de cannabis, la capacité à conduire et la concentration de THC dans le sang et la salive. »
Cela m’amène à me poser une question : pourquoi est-ce que ça passe après l’adoption de la loi? Est-ce que ça n’aurait pas dû déjà être fait? N’aurait-il pas fallu que l’on ait déjà les résultats en main avant d’adopter la loi? Est-ce qu’on n’est pas en train de mettre la charrue avant les bœufs?
M. Bhupsingh : Aucun lien direct n’a été établi de manière scientifique entre l’affaiblissement des facultés et la consommation de drogues, et c’est pourquoi le gouvernement a suivi la recommandation du Comité des drogues au volant, qui était de recourir à des seuils. Nous sommes aussi allés voir ce qui se faisait ailleurs, dans les pays qui utilisent déjà des dispositifs de dépistage par voie orale, à savoir le Royaume-Uni ou l’Australie, lesquels utilisent des dispositifs de dépistage par voie orale afin de rassembler des motifs raisonnables à partir desquels on peut soupçonner que quelqu’un n’a pas toutes ses facultés.
Mais pour l’avenir, vous avez raison : dans un monde idéal, nous aurions énormément apprécié qu’il existe un lien entre la consommation de drogue et l’affaiblissement des facultés et de pouvoir le mesurer. La science…
La sénatrice Eaton : N’est-ce pas différent d’une personne à une autre? Vous et moi avons une taille et un poids différents, et est-ce que ce ne serait pas différent pour vous et pour moi, en ce qui concerne les facultés affaiblies?
M. Bhupsingh : Je crois que je vais demander à D’Arcy de parler de la taille ou de la concentration en nanogrammes du THC dans le sang par rapport au volume corporel. Le comité aimera peut-être savoir pourquoi, pour déterminer cela, nous avons une échelle plutôt qu’un niveau spécifique.
M. Smith : En fait, le problème que nous avons eu, en ce qui concerne le THC, c’est que ça dépendra de la personne : est-ce un homme ou une femme, quelle est sa taille et quel est son pourcentage de gras corporel, étant donné que le THC est soluble dans les tissus adipeux? C’est pourquoi nous avons dû tenir compte des concentrations résiduelles de THC dans le sang très longtemps après qu’une personne a fumé.
Il faut tenir compte aussi d’un autre aspect, qui est probablement encore plus important, c’est-à-dire la tolérance de la personne et la fréquence à laquelle elle fume ou consomme de la drogue, étant donné que le produit peut maintenant être ingéré. Vous comprenez qu’il ne sera pas rare pour nous d’avoir affaire à des gens qui consomment de la marijuana à des fins médicales et qui afficheront toujours une certaine concentration de THC, parce qu’elles en consomment tous les jours en raison de leurs problèmes de santé.
Il y aura donc des gens qui affichent pendant très longtemps une concentration de THC dans le sang, et il y a, par ailleurs, les fumeurs occasionnels chez qui on pourra constater la présence de THC dans le sang jusqu’à 24 heures plus tard… C’est le cas par exemple des gens qui partagent un joint pendant une fête, le vendredi soir, ou dans un cadre similaire.
Notre problème au moment de créer des limites fixes et de communiquer cette information au gouvernement, concerne les résultats de la recherche. Malheureusement, il ne s’est pas fait énormément de recherches, l’obstacle étant qu’il s’agit d’une drogue figurant à l’annexe 1, aux yeux de la DEA, et qu’il est très difficile pour bon nombre de chercheurs américains de procéder aux essais qu’ils doivent concrètement faire.
Donc, si vous prenez connaissance des études sur la route qui ont déjà été faites, vous pourrez constater que l’échelle d’incapacité de conduire se situe en dessous des seuils de dépistage, disons, d’un nanogramme par millilitre, alors que nous pouvons mesurer l’incapacité de conduire à partir d’une concentration supérieure à 20 nanogrammes par millilitre.
L’éventail est donc assez large et, étant donné qu’on ne sait jamais à qui on a affaire et qu’on ignore les antécédents de consommation de marijuana d’une personne, on ne sait pas à quand remonte la dernière fois où elle en a fumé. Il faut tenir compte de tous ces facteurs.
Nous avons suggéré au gouvernement d’envisager plusieurs options au moment de chercher une solution. Nous avons remis au Comité des drogues au volant du gouvernement une liste des avantages et des inconvénients associés à chaque niveau de concentration ainsi que de la documentation à ce sujet. Nous n’avons pas retenu un niveau en particulier, nous avons plutôt présenté une gamme d’options, de façon que le gouvernement puisse décider lui-même comment il s’en servira pour assurer la sécurité routière au Canada.
Si vous penchez plutôt pour la tolérance zéro, vous trouverez des données probantes selon lesquelles de nombreuses personnes n’arrivent plus à conduire lorsqu’elles affichent une concentration mesurable quelconque de THC dans le sang; cela concerne par exemple les consommateurs occasionnels, les jeunes consommateurs, les gens qui viennent d’apprendre à conduire, ce genre de personnes.
Puisque l’on ne connaît pas les antécédents des personnes concernées, il semble que le gouvernement, dans sa sagesse, a décidé d’adopter un système à plusieurs niveaux associé à une limite de deux nanogrammes, c’est-à-dire la plus petite concentration possible. Au-delà de cinq nanogrammes, alors oui, il sera possible de démontrer, pour de nombreuses personnes, l’incapacité de conduire. Il s’agissait donc tout simplement des avantages et des inconvénients, et le gouvernement a fait son choix. Ce qui nous complique les choses, c’est le problème des différences entre les personnes.
La sénatrice Eaton : Merci. C’était très utile.
Le sénateur Gold : Si j’ai bien compris vos explications, et malgré certains témoignages selon lesquels nous ne connaissons pas les liens entre la concentration de la drogue et l’incapacité de conduire, les recommandations présentées et la décision du gouvernement ont respecté d’assez près une approche fondée sur la science. Ça n’est pas venu de nulle part. Ai-je raison de dire ça?
M. Smith : Vous avez tout à fait raison. Les membres du Comité des drogues au volant ont consacré presque une année à étudier les recommandations qui concernent tous ces enjeux.
Le sénateur Gold : Merci.
Le sénateur Sinclair : J’essaie de me rappeler de toutes les données probantes qui nous ont été présentées lorsque nous étudiions le projet de loi du sénateur Carignan. Il me semble que ça ne correspond pas à ce qu’on entend ici aujourd’hui.
Le président : La science évolue.
Le sénateur Sinclair : Mais pas si vite. Quoi qu’il en soit, j’y reviendrai une autre fois.
Je voulais parler de deux choses, qui ont toutes deux à voir avec la formation, mais aussi, dans un cas, avec le profilage racial. J’aimerais que vous nous parliez de la formation offerte aux agents. Vous venez de dire qu’une formation venait d’être offerte aux agents des services frontaliers. Pourriez-vous nous dire quelle place occupe le profilage racial dans cette formation, si elle permet de mieux comprendre ce qu’est le profilage et comment ça fonctionne et d’apprendre à l’éviter, dans ce scénario, étant donné les pouvoirs supplémentaires qui viennent d’être accordés?
M. Boucher : Franchement, je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit de spécifique touchant le profilage racial dans la formation sur les tests normalisés de sobriété. Bien sûr, cette question a été posée lorsque le sous-commissaire Brosseau était présent. Les réponses ont été intégrées au processus d’approbation, et les agents sont probablement prêts à quitter l’école de la GRC et à commencer à travailler sur le terrain.
Je peux vous dire que je m’y suis intéressé, plus tôt, que nos membres doivent suivre de très nombreux cours de formation, sur les services de police exempts de parti pris et sur toute une gamme d’autres sujets pendant les six mois qu’ils passent à l’école de la GRC, la Division Dépôt, mais aussi par la suite sur le terrain.
Le programme de formation va vous être acheminé, et vous pourrez voir tout ce que les membres de la GRC, de manière générale, doivent connaître pour s’assurer qu’il ne se passe rien de tel lorsqu’ils sont en fonction et s’occupent de sécurité routière.
Le sénateur Sinclair : Mon neveu a suivi la formation offerte aux agents de la GRC, et je sais un peu de quoi on leur parle. J’aimerais savoir quelle formation est offerte aux autres agents, étant donné que les agents de la GRC ne seront pas les seuls à faire respecter la loi. Il y aura aussi des agents des services provinciaux et municipaux, des agents des services frontaliers, et je ne sais pas quel type de formation leur est offerte.
M. Boucher : Je ne peux parler que de la GRC, sénateur.
Le sénateur Sinclair : Je le sais.
Ensuite, j’ai un commentaire à formuler. En passant, les gens qui sont accusés de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool ont le droit de consulter un avocat avant de subir un alcooltest. Si ce droit peut être exercé, on leur accorde le temps nécessaire pour le faire, alors vous voudrez peut-être vous informer de la façon dont cela va fonctionner dans cette situation également.
Au sujet de la formation qui est donnée aux agents d’application de la loi spécialisés dans la reconnaissance de drogues, je voulais savoir quelle expérience ils ont acquise auprès des collectivités autochtones. Si, par exemple, vos agents de la GRC doivent effectuer du travail de reconnaissance de drogues auprès de collectivités autochtones, reçoivent-ils une formation particulière ou spéciale en ce qui a trait au fait de travailler au sein de ces collectivités?
M. Boucher : Il n’y a rien de particulier dans le programme des ERD qui porte sur les services de police au sein des collectivités autochtones, mais tout agent de la GRC qui fait appliquer la loi dans ces collectivités reçoit une formation supplémentaire avant d’y aller. Dans bien des cas, cela dépend de la région du pays où nous nous trouvons, de sorte que la formation est propre à la culture et à l’histoire de la collectivité en question.
Le sénateur Sinclair : C’est simplement que j’avais cru comprendre que les agents de reconnaissance de drogues n’allaient pas nécessairement être affectés régulièrement à des collectivités situées dans le Nord; ils pourraient y être amenés à des fins d’application de la loi.
M. Boucher : Nos experts en reconnaissance de drogues sont répartis dans l’ensemble du pays, et, comme je l’ai dit plus tôt, durant la mise en œuvre de la formation, nous allons prendre des mesures afin de nous assurer qu’ils le sont de façon appropriée. Le problème que nous posent un grand nombre de ces collectivités éloignées tient à la durée limitée des affectations et aux mutations. On mène beaucoup d’activités de planification préalable dans le but de choisir les personnes qui y vont afin de s’assurer qu’elles ont reçu la formation nécessaire pour pouvoir exercer leurs fonctions.
La sénatrice Batters : Tout d’abord, pour revenir sur la question du sénateur Sinclair concernant le droit à un avocat dans le cas d’un contrôle routier pour le dépistage de la conduite avec facultés affaiblies, pourquoi les témoins de ce groupe ne connaissent-ils pas les réponses? J’imagine que, dans le cas des personnes qui reçoivent une formation sur cette question particulière, qui pourrait peut-être très bientôt être consacrée dans la loi au Canada, cela doit être un élément clé. Pourquoi est-ce que vous — les personnes qui sont là pour témoigner devant nous à ce sujet aujourd’hui — ne connaissez pas cette réponse?
M. Boucher : Je dirais qu’à tout moment durant une enquête criminelle, si une personne demande un avocat, son droit serait respecté. Elle l’obtiendrait.
La sénatrice Batters : Exact. Mais cela va constituer une étape importante et habituelle de chaque test de dépistage routier, et je suis simplement très surprise que nous n’obtenions pas une réponse rapide. Quand le sénateur Carignan a initialement posé la question, je me suis dit que vous ne l’aviez peut-être tout simplement pas bien comprise, mais quand le sénateur Sinclair l’a répétée…
M. Boucher : Je vais dire qu’une partie de l’interprétation n’a pas été transmise dans mes écouteurs quand le sénateur Carignan était en train de poser la question initiale. Mais, il est certain que, du point de vue de la GRC, durant toute enquête criminelle, si on demande à faire respecter son droit à un avocat, nous en mettons un à disposition.
La sénatrice Batters : Vous en mettez un à disposition, mais la personne est-elle informée de son droit à un avocat? Vous n’en êtes pas certain, n’est-ce pas?
Le sénateur Carignan : Ainsi, il ne s’agit pas d’un problème d’interprétation.
La sénatrice Batters : Non. Je ne sais pas vraiment pourquoi les témoins de ce groupe ne connaissent pas la réponse à cette question.
À quelques occasions où le sénateur Carignan a posé aux témoins de votre groupe des questions détaillées et des questions techniques, il semblait y avoir de la confusion et un genre de réticence à répondre à certaines de ces questions. Monsieur Boucher, cela tient peut-être en partie au fait que vous avez mentionné à quelques occasions que des problèmes majeurs sont liés au dépistage de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue au Canada, compte tenu de l’éloignement et de l’isolement des endroits où la GRC fait appliquer la loi dans certaines régions du Canada.
Compte tenu de tout cela, du projet de loi C-46 et de toutes ses dispositions, de tous ses petits détails à peaufiner et de toutes ses exigences rigoureuses en matière de formation visant à améliorer la situation au chapitre de la conduite avec facultés affaiblies au Canada de façon à ce que nous puissions sévir contre ce gros problème que nous avons, pourquoi est-ce que cela n’a pas été abordé autant avant la légalisation de la marijuana, au lieu qu’on examine essentiellement les deux questions en même temps ou qu’on mette peut-être en œuvre ces dispositions par la suite?
M. Boucher : Nous avons déjà des cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue au Canada.
La sénatrice Batters : Bien sûr que oui.
M. Boucher : Nous y faisons face depuis pas mal longtemps, alors nous déployons des ERD. On s’en sert. On traite ces cas. La partie exigeant une analyse sanguine ne s’applique que si la personne ne peut pas fournir un échantillon de liquide corporel.
Je vais revenir à la question qu’on nous a posée au sujet des avocats. Comme nous en discutons, je dirais que, dès qu’un agent est en train de recueillir des éléments de preuve, nous vous informons à l’avance du fait que vous avez droit à un avocat.
La sénatrice Batters : Les agents recueillent des éléments de preuve dès qu’ils ouvrent leur fenêtre, n’est-ce pas?
M. Boucher : Oui.
La sénatrice Batters : Je suppose que je vais m’en tenir à cela.
Le président : Pour la deuxième série de questions, je rappelle aux honorables sénateurs que nous disposons de 10 minutes au maximum.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien, la mise en œuvre d’appareils de détection approuvés, au cours des prochains mois, aidera les policiers dans leur travail de dépistage de drogues dans la salive ou dans le sang de l’organisme humain. Comme vous venez de le dire, et c’est très juste, vous interceptez déjà des gens qui conduisent avec les facultés affaiblies soit par la drogue, soit par l’alcool ou les deux. Pouvez-vous nous dire ce que le nouveau système met en œuvre, avec le projet de loi C-46, qui vous permettra de faire mieux?
[Traduction]
M. Boucher : À nos yeux, le dispositif n’est qu’un outil nous permettant de confirmer la présence d’une drogue. En réalité, lorsqu’un agent a affaire à un sujet, il peut commencer à prendre en note des éléments de preuve relatifs à la conduite elle-même dès qu’il est derrière le véhicule, que la personne traverse la ligne du centre, fasse un virage en grand cercle ou monte sur la bordure, les phares éteints. La collecte de ces éléments de preuve a lieu une fois que le véhicule est arrêté.
Lorsqu’un véhicule est arrêté et qu’on interagit avec le conducteur, il pourrait y avoir toutes sortes de raisons pour lesquelles la personne conduisait de cette manière. Peut-être qu’elle a sorti son téléphone cellulaire et qu’elle est en train de rédiger un message texte ou quelque chose. Il ne s’agit peut-être pas nécessairement de conduite avec facultés affaiblies. Toutefois, cette interaction avec le conducteur amorce le processus par lequel on tente de déterminer s’il y a lieu de creuser davantage. De notre point de vue, ce pourrait être des choses comme un trouble de l’élocution, le fait de demander au conducteur son permis de conduire et qu’il présente une photographie de ses enfants.
La façon dont il réagit à notre présence nous montre sa capacité et la mesure dans laquelle ses facultés sont affaiblies, et cela mène à l’utilisation du dispositif, qui est un autre outil pour nous. Il ne fait qu’indiquer la présence d’une drogue, pas nécessairement le fait que les facultés sont affaiblies. C’est toute cette autre multitude d’éléments de preuve réunis qui nous l’indiquent. Quand la formation connexe aura été élaborée, dans le cadre de cette formation, nous aviserons certainement les participants du fait que la collecte de ces éléments de preuve est la partie la plus importante, pas nécessairement le fait qu’on obtient un résultat positif révélant la présence de drogues sur le dispositif.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’ai une question qui sera peut-être un peu technique. À la page 12 de votre rapport sur le projet pilote et à la page 18 de la version française, vous faites état du fait que, parmi les résultats positifs des tests de dépistage de drogues, la substance en cause qui était détectée le plus souvent était le cannabis, dans une proportion de 61 p. 100. On semble être mieux en mesure de détecter le cannabis que d’autres types de drogues. Ai-je bien compris le sens de cette information?
[Traduction]
M. Smith : Essentiellement, cela dépend de quelle drogue pose le plus grand problème et de la région dont il est question. Le cannabis est très facile à dépister au moyen du liquide buccal, tout comme la cocaïne et la méthamphétamine. Au moment de déterminer quelles drogues nous devrions utiliser, le Comité des drogues au volant s’est demandé quelles drogues on voyait le plus en bordure de la route. Il s’agissait essentiellement du cannabis, de la cocaïne et de la méthamphétamine. Ce sont celles que nous avons envisagé d’intégrer aux fins de la détection dans le liquide buccal et, heureusement, il s’agissait également des drogues pour lesquelles ce type de dépistage s’est révélé être très efficace.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Avez-vous déjà suggéré à la ministre quel appareil vous comptez utiliser?
[Traduction]
M. Bhupsingh : Non.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : À quel moment pensez-vous le lui suggérer?
[Traduction]
M. Bhupsingh : Ces dispositifs ne seront pas une suggestion à l’intention du ministre de la Sécurité publique. Par l’intermédiaire du Comité des drogues au volant, des conseils seront donnés à la ministre de la Justice et procureure générale. Quant à savoir quel dispositif…
[Français]
Le sénateur Boisvenu : À quel moment allez-vous le faire?
[Traduction]
M. Bhupsingh : Cela aura lieu après que l’analyse aura été effectuée en laboratoire pour les dispositifs…
[Français]
Le sénateur Boisvenu : À quel moment croyez-vous le faire?
[Traduction]
M. Bhupsingh : Je pense que cela aura probablement lieu à un certain moment au cours du prochain mois, alors en mars. Je pense avoir déclaré à l’intention du comité ici présent que ce serait à la fin de mars, probablement, au début d’avril.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question pourrait s’adresser davantage à M. Smith, et je vais vous expliquer pourquoi. J’ai un problème avec la limite de cinq nanogrammes. Tout ce que j’ai lu indique qu’il y a autant de gens qui pourraient ne pas avoir les facultés affaiblies, que leurs résultats soient plus bas ou plus élevés que cinq nanogrammes. J’ai lu aussi que le taux de THC dans le sang diminue très rapidement après la consommation de cannabis, particulièrement lorsqu’il est fumé.
J’essaie de voir l’argument rationnel de cette infraction, à savoir si elle n’est que théorique, si elle n’est destinée qu’à imposer une limite équivalente au taux de 0,08 dans le cas de l’alcool ou si elle a vraiment pour objectif d’intercepter les gens qui ont les facultés affaiblies. Clairement, la limite de cinq nanogrammes n’a aucun lien rationnel avec le fait d’avoir les facultés affaiblies.
Compte tenu des résultats de la science actuelle, ne serait-il pas préférable de procéder comme le font d’autres juridictions? On procède au dépistage à l’aide de l’appareil prévu à cette fin le long de la route. Cet appareil détecte la présence de substance. Puis, on transmet le cas à l’expert en reconnaissance de drogues qui, lui, verra si la personne a les facultés affaiblies. Cette façon de procéder apporterait une progression rationnelle au processus d’arrestation. Elle éviterait que l’on arrête des gens qui consomment du cannabis à des fins médicales, qui n’ont pas les facultés affaiblies et dont le taux serait supérieur à deux nanogrammes sur une base régulière. Ils ne seraient donc pas en état d’infraction.
Avez-vous recommandé ou discuté avec le ministère de la possibilité de procéder par étape sans toutefois imposer une limite de cinq nanogrammes? Cela permettrait peut-être d’éviter des contestations judiciaires, autant sur le fond de l’infraction que sur le fait qu’elle est inapplicable, notamment pour les gens qui consomment du cannabis médical.
[Traduction]
M. Smith : Au départ, notre recommandation — et, encore une fois, la présidente du Comité des drogues au volant est assise près du mur, alors je ne tente pas de parler à travers mon chapeau, car Amy va comparaître devant vous après nous —, c’était que nous ne devrions pas procéder ainsi dans le cas du cannabis. Si vous regardez toute la littérature, les recommandations de la Society of Forensic Toxicology et de l’AAFS, en tant que toxicologues, nous n’aimons pas trop les chiffres dans le cas des drogues, car elles sont très différentes de l’alcool relativement à leur effet sur les capacités des gens, à la tolérance et au vaste spectre qui existe entre diverses personnes à cet égard.
Lorsqu’on nous a laissés entendre que le gouvernement voudrait tout de même voir des chiffres, notre problème, c’est que nous avons étudié la question et que nous sommes revenus lui dire que nous n’allions pas lui indiquer quels chiffres choisir. Nous ne ferons pas cela. Toutefois, voici plusieurs chiffres, et voici les avantages et les inconvénients qu’ils présentent. Il incombe au gouvernement d’établir des politiques, pas au Comité des drogues au volant. Nous sommes simplement là pour donner le meilleur avis scientifique.
Concernant les cinq nanogrammes envisagés, vous avez mentionné le fait que, dans l’une des études, il était question des personnes ayant plus de cinq nanogrammes de THC dans le sang. Vous regardez la même étude, et vous vous penchez sur les capacités affaiblies. Vous voyez beaucoup de gens qui ont moins cinq nanogrammes de THC dans le sang et qui ont les capacités affaiblies. Alors où placez-vous ce seuil? Dites-vous que nous ne voulons pas prendre un tas de gens qui ont moins de cinq nanogrammes de THC dans le sang et que, par conséquent, nous allons fixer la limite à un taux plus élevé? Mais, dans ce cas, toutes ces autres personnes qui ont les facultés affaiblies… C’est un enjeu touchant la sécurité à l’égard duquel le gouvernement doit trancher, pas nous, en tant que conseillers scientifiques.
[Français]
Le sénateur Carignan : Pouvez-vous nous donner deux exemples de seuils proposés quant à l’appareil?
[Traduction]
M. Smith : Comme je l’ai dit, nous n’avons pas traité la question dans le but de fixer une limite à proprement parler. Quand le gouvernement a affirmé vouloir des chiffres, nous en avons présenté une série, ainsi que les avantages et inconvénients qui s’y rattachent, en précisant que, si vous choisissez « 2 », voici les problèmes que vous allez avoir. Si vous choisissez « 5 », voici les difficultés qui se poseront au moment de déterminer si les gens ont les capacités affaiblies ou non. Si vous choisissez « 10 », voici les avantages et les inconvénients liés à ces questions.
Cela devient un problème stratégique que le gouvernement, pas le Comité des drogues au volant, doit régler. Nous sommes tout simplement là pour dire : « Voici les avantages et les inconvénients, et, disons, les difficultés auxquelles vous serez confrontés en ayant affaire à des personnes qui pourraient ne pas avoir les facultés affaiblies au taux en question ou à des gens qui auront les capacités affaiblies à un taux inférieur à celui que vous choisissez. » Il s’agit d’un problème stratégique gouvernemental. Nous n’avons fait que présenter l’avis.
Quant à la partie initiale de votre question visant à savoir s’il vaudrait mieux présenter les personnes qui obtiennent un résultat positif au dépistage à un ERD, j’appuie pleinement cette mesure. Je suis un expert en reconnaissance de drogues et un toxicologue. J’aime mon travail, car mes collègues et moi détectons les capacités affaiblies. Nous n’avons pas affaire à des chiffres. En tant que toxicologue, je reçois un échantillon sanguin au laboratoire, et j’obtiens un chiffre précis à cet égard, mais je ne peux pas vous dire si ce chiffre — en l’absence d’autres éléments de preuve — signifie que la personne a les capacités affaiblies ou non. Ce pourrait être le cas d’une personne, et ne pas l’être pour une autre.
Prenez les médicaments comme la méthadone. Les gens qui suivent un traitement à la méthadone peuvent recevoir une dose de 100 milligrammes ou ils peuvent en recevoir une de 1 500 milligrammes. La personne qui reçoit 100 milligrammes pourrait avoir les facultés affaiblies, et celle qui reçoit 1 500 milligrammes, être parfaitement apte. C’est une question de tolérance personnelle.
Je ne peux pas faire dire des choses au gouvernement concernant la raison pour laquelle il a choisi ces chiffres, mais il a reçu une série de conseils complète. Nous avons passé plus d’un an à travailler sur cette question pour lui, à dire : « Voici ce que dit la science. Faites vos choix stratégiques. »
Le président : Je pense que la réponse est très claire et qu’il y a matière à réflexion.
Le sénateur Pratte : Monsieur Bhupsingh, vous avez laissé entrevoir la possibilité qu’après les essais, aucun dispositif de dépistage ne soit approuvé. Qu’arrivera-t-il si cela se produit?
M. Bhupsingh : Je pense que nous n’aurons pas de dispositif de dépistage de drogues par voie orale avant qu’il y en ait un qui réussit le test, c’est certain. Nous savons qu’il en existe un certain nombre qui n’ont pas été soumis à des essais, alors j’ai bon espoir. Quand le Comité des drogues au volant a produit ses critères et normes, un certain nombre d’entreprises différentes se sont montrées intéressées, mais elles n’ont probablement pas été en mesure de respecter la première série de normes et de critères, et elles vont vraisemblablement réessayer de répondre à ces normes et critères.
Pour formuler une hypothèse, puisque vous l’avez demandé, je présume que de plus en plus de dispositifs arriveront sur le marché et qu’un jour, nous aurons un dispositif de dépistage de drogues par voie orale qui sera approuvé et constituera un autre outil que pourront utiliser les forces de l’ordre pour détecter les facultés affaiblies.
Le sénateur Pratte : Un jour, il y aura des dispositifs. Toutefois, supposons que, pendant une période de six mois ou d’un an, nous n’en ayons pas. Les dispositifs de dépistage sont un outil très important sur lequel une partie du projet de loi C-46 est fondée. Nous serions privés de cet outil pendant une certaine période.
M. Bhupsingh : C’est exact. À court terme, nous nous concentrerions sur la formation relative au TSNP et sur la formation à l’intention des ERD. L’investissement qu’effectue le gouvernement fédéral s’étend sur cinq ans. S’il y a un retard en ce qui a trait aux dispositifs de dépistage de drogues par voie orale, j’ai bon espoir qu’à court terme, un dispositif qui approuvé et conforme aux normes et aux critères sera accessible assez rapidement.
Le sénateur Eaton : Une chose qui me dérange vraiment, c’est que, sous le régime de ce nouveau projet de loi, on peut arrêter une personne au hasard pour la contrôler et lui faire subir un alcootest, si je ne me trompe pas, afin de déterminer si elle a les capacités affaiblies par l’alcool. Toutefois, si vous m’arrêtez et que je suis en train de manger mon sandwich — je suis un camionneur qui parcourt de longues distances, et je viens tout juste de manger mon brownie contenant du cannabis —, vous ne pouvez pas me forcer à subir un dépistage aléatoire. Si je n’ai pas les yeux rouges et que je ne zigzague pas sur la route, que je fais simplement ma petite affaire en conduisant dans une rue, vous ne pouvez pas faire cela. Comme l’a dit M. Smith, plus on consomme, plus on développe une grande tolérance. N’estimez-vous pas qu’il devrait y avoir un certain genre de dépistage aléatoire pour les conducteurs d’autobus, les conducteurs de locomotive, les pilotes qui transportent 300 personnes en même temps et les camionneurs qui parcourent de longues distances? Parce que ce n’est pas prévu dans le projet de loi.
Mme Huggins : Je pense que les responsables du ministère de la Justice sont probablement mieux placés pour aborder les particularités de cette question.
Le sénateur Eaton : Ils ne le feront pas. Je leur ai posé la question. Je veux savoir, parce que vous êtes sur le terrain, ou bien M. Boucher l’est certainement, de même que M. Oldford. N’estimez-vous pas qu’il s’agirait d’une bonne mesure préventive?
M. Boucher : Comme on l’a mentionné, c’est toujours un problème en ce qui a trait au dépistage aléatoire.
Le sénateur Eaton : Vous n’êtes pas préoccupé par les alcootests aléatoires.
M. Boucher : Dans l’industrie privée, dans le cas de toute personne qui conduit un moyen de transport de masse, oui, ce serait une bonne idée que cela fasse partie du projet de loi.
Le sénateur Eaton : Merci.
Le sénateur Gold : Je veux revenir au fondement scientifique. J’apprécie vos commentaires et la candeur avec laquelle vous avez décrit le processus par lequel vous aviez conseillé le gouvernement. J’ai déjà été avocat de droit constitutionnel et, par conséquent, je m’inquiète au sujet du caractère raisonnable des mesures, surtout celles qui empiètent sur les droits des personnes.
Toutefois, à ce que je crois savoir — et veuillez me corriger si je me trompe —, les données scientifiques montrent que le cannabis a des fonctions qui affaiblissent les capacités servant à la conduite. Même si des différences au chapitre des degrés de tolérance, des types de corps et des modes de consommation font qu’il est impossible d’établir les liens, il y a un stade au-delà duquel, statistiquement — il s’agit de la question —, un nombre important de personnes, tout bien considéré, ont tendance à avoir les capacités affaiblies dans une certaine mesure, au-delà d’un certain taux. Il y a un certain fondement à cela, n’est-ce pas?
M. Smith : De manière générale, oui. Le problème que pose une drogue comme le THC tient à l’établissement de ce chiffre.
Le sénateur Gold : Très bien.
M. Smith : Vous pouvez examiner beaucoup des recherches qui sont effectuées. Une étude a été menée, à laquelle plus de 1 000 personnes ont participé, je pense, qui portait sur leurs taux de THC et leur rendement dans l’accomplissement de tâches d’attention partagée avec les capacités affaiblies. On n’a pas observé de réelles différences entre les participants dont le taux était supérieur ou inférieur à cinq. On constatait que les capacités étaient affaiblies dans tous les cas, ou bien on observait certains…
Le sénateur Gold : Je vais en arriver à ma question, monsieur le président. Je m’excuse du temps que je prends. Toutefois, si le gouvernement prend une décision stratégique selon laquelle on ne devrait pas être au volant si on a consommé toute quantité de cannabis, pour des raisons de sécurité publique et de prudence, conviendriez-vous du fait qu’il serait rationnel pour lui de choisir un chiffre qui a un certain fondement scientifique? S’il est imparfait, il sera trop et pas assez inclusif, pour ainsi dire. Néanmoins : « Si vous en consommez, prenez un Uber ou un taxi, mais, si vous ne le faites pas, nous allons fixer des limites, selon notre meilleur jugement, qui ont un certain sens, d’un point de vue statistique. » Devrais-je être convaincu qu’il s’agit d’un fondement rationnel et scientifique en fonction duquel on peut faire un choix en matière de politique publique?
M. Smith : À mon avis, en tant que toxicologue, il s’agit d’un fondement rationnel. Vous avez le choix entre trouver un chiffre qui vous permet de démontrer que les facultés de certaines personnes peuvent être affaiblies, un chiffre plus élevé, associé à un affaiblissement plus important des capacités chez un plus grand pourcentage de la population, ou bien choisir la tolérance zéro, ce que font beaucoup d’États et d’autres pays. Ils disent tout simplement : « Si nous en trouvons, dommage. Ça s’arrête là. » Il n’y a absolument aucun autre aspect à prendre en compte. À mes yeux, il s’agit davantage de l’établissement d’une politique antidrogue que de lutte contre la conduite avec facultés affaiblies. Au moins, quand on choisit un chiffre dans le cas d’une drogue comme le cannabis, on apporte dans cette discussion certaines des données scientifiques sur l’affaiblissement des capacités.
Le sénateur Gold : Merci.
Le président : Avant que je vous remercie au nom de mes collègues, cet après-midi, vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire les normes qui ont été élaborées. Pourriez-vous nous les fournir plus tard, ou bien nous donner une idée de la nature des normes que vous avez recommandées aux personnes qui fabriqueront les instruments qui doivent les respecter, afin que nous ayons une idée du genre de système dont il est question?
M. Bhupsingh : Oui. Nous avons une copie, mais je sais que nos collègues du Comité des drogues au volant comparaîtront tout de suite après nous, alors nous allons nous assurer que Sécurité publique vous fournit une copie, ou bien la présidente du Comité des drogues au volant pourrait le faire.
Le président : Merci.
Enfin, comme vous le savez, de nombreuses personnes regardent notre discussion à la télévision cet après-midi. Vous avez piqué ma curiosité en mentionnant que vous avez apporté un système. Pourriez-vous nous en faire une démonstration de 30 secondes? Il y a de nombreux volontaires.
Mme Huggins : Il y a deux dispositifs. Voici l’Alere. Il est très facile à utiliser. Il est portatif et fait partie du projet pilote. Il comporte un écouvillon qui vient en deux parties. Essentiellement, les normes du Comité des drogues au volant exigent notamment qu’il soit doté d’un lecteur. Je vais vous montrer l’autre, car vous pourrez effectuer le test séparément. Il vient en deux parties. Cette pièce s’insère dans le dispositif, puis voici l’écouvillon qui sert à prélever la salive. Donc, vous le frottez sur les parois de votre bouche, et il devient bleu. Une fois qu’il est bleu, vous l’insérez, puis un chronomètre s’enclenche. Ce dispositif donne le résultat en cinq minutes. Avant, c’était huit. La technologie s’est améliorée, et on en est à cinq minutes. Le temps s’écoule, et puis le dispositif vous donne un résultat.
J’ai imprimé un exemple de résultat. Le dispositif comporte une imprimante portative, et tous les renseignements sortent par cette petite imprimante. Ils sont aussi stockés dans l’appareil. Ils vous indiquent de quelle drogue il s’agit. Vous pouvez le programmer de manière à ce que l’agent n’ait pas à entrer un nom. Vous pouvez inscrire la date de naissance de la personne. Toute l’information peut être stockée — le dispositif conserve ces renseignements —, et vous pouvez la transférer.
La sénatrice Dupuis : Qui s’occupe du premier test? Est-ce que je fais le prélèvement et l’administre moi-même, ou bien est-ce l’agent?
Mme Huggins : Cela fait partie des procédures opérationnelles normalisées. Nous avons demandé aux agents de faire les deux durant le projet pilote. Certains agents estimaient qu’il était plus facile de remettre l’écouvillon à la personne afin qu’elle recueille l’échantillon, et d’autres estimaient qu’il n’y aurait pas de problème dans une situation non menaçante.
Le président : Le résultat porterait sur les trois drogues que M. Smith a mentionnées?
M. Smith : Quand le dispositif subira la procédure d’essai, ce ne sera que pour ces trois drogues. Les dispositifs qui ont été utilisés étaient destinés au dépistage du THC, de la cocaïne, de la méthamphétamine, de l’amphétamine, des opioïdes et des benzodiazépines, alors il s’agit là de ce que faisaient les fabricants. Toutefois, quand ils seront évalués et utilisés au Canada, ce ne sera que pour le dépistage du THC, de la cocaïne et de la méthamphétamine.
Le sénateur Carignan : Pourquoi trois, alors que le dispositif peut en dépister six?
M. Smith : C’est pour de nombreuses raisons. L’une est que certaines des drogues sont difficiles à déceler. Les benzodiazépines étaient très difficiles à déceler au moyen du liquide buccal ainsi que des échantillons de sang prélevés. Dans le cas des opioïdes et des benzodiazépines, le problème tient en partie au fait que ces drogues sont des médicaments thérapeutiques ou d’ordonnance et qu’on peut avoir une fourchette supérieure de 10 ou 100 fois pour la marge thérapeutique. Ainsi, une personne qui pourrait prendre 100 milligrammes de Xanax, d’hydrocodone ou d’oxycodone pourrait être à un certain taux. Une autre personne pourrait devoir en consommer cinq fois plus pour soulager sa douleur ou régler ses problèmes. Les médicaments d’ordonnance étaient un vrai fouillis à gérer lorsqu’on tentait de les mesurer, surtout dans le cas du liquide buccal.
Le sénateur Carignan : Y a-t-il un problème lié à la discrimination dans le cas des personnes qui consomment du cannabis thérapeutique?
M. Smith : Le THC présent dans le cannabis thérapeutique se détecte bien.
Une chose qui n’a pas vraiment été mentionnée dans la discussion, c’est que nous n’allons pas procéder à des dépistages aléatoires de drogues. Les agents contrôlent le véhicule des gens pour une raison. Ensuite, ils recueillent d’autres éléments de preuve, comme l’a dit M. Boucher, qui pourraient mener à l’utilisation du dispositif. Si on arrête une voiture parce que la conduite pose problème, que la personne ouvre la fenêtre et que de la fumée de marijuana en sort, on va probablement songer à utiliser le dispositif pour soumettre cette personne à un dépistage. On aurait plus de motifs. S’il ne s’agit que d’un feu arrière qui est éteint, qu’on arrête la personne et qu’il n’y a aucune indication ni d’autres signes de facultés affaiblies par la drogue, on n’utilisera peut-être rien. En général, il y aura d’autres indices avant que l’on passe à cette étape. Il ne s’agira pas d’un indice isolé, car, dans ce cas, ce serait un dépistage aléatoire de drogues.
Le président : Madame Huggins, je vois que vous avez une autre mallette. Nous allons dépasser le temps alloué, mais je crois que tous les sénateurs savent que ces renseignements sont utiles.
Mme Huggins : Il s’agit du deuxième appareil que nous avons utilisé dans le cadre du projet pilote, soit le dispositif Securetech. À la différence de l’autre appareil, celui-ci est muni d’une éponge que l’on frotte sur la langue pour faire un prélèvement, donc il est un peu plus rapide à utiliser que l’appareil muni d’un écouvillon avec lequel on doit recueillir du liquide buccal. Ensuite, on réinsère l’éponge dans le dispositif, puis, quand on brise l’ampoule et libère le liquide, on peut voir, directement sur le dispositif, si le résultat est positif pour le dépistage d’une drogue.
Cette pièce-ci doit être insérée dans le lecteur. C’est une des raisons pour lesquelles il faut avoir un lecteur. C’est difficile de voir les lignes sur le dispositif, alors le Comité des drogues au volant a recommandé que tous les appareils soient munis d’un lecteur. Il fait la même chose. Vous l’insérez, l’appareil exécute le processus et, une fois que c’est terminé, un relevé s’imprime sur lequel figurent les substances détectées dans la salive, le cas échéant.
Le président : Merci beaucoup. Je crois que ces renseignements ont été très utiles. Nous avons dépassé le temps prévu, parce que, à mon avis, les distingués sénateurs voulaient voir ce dispositif.
Merci beaucoup, monsieur Bhupsingh. Nous vous reverrons plus tard; comme le veut l’expression, nos chemins se croiseront. Merci, monsieur Boucher, monsieur Oldford, monsieur Smith et madame Huggins.
Mesdames et messieurs, nous allons entendre nos prochains témoins. Nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi des représentants de la Société canadienne des sciences judiciaires, soit Daryl Mayers, président du Comité des analyses d’alcool, et Amy Peaire, présidente du Comité des drogues au volant. Nous leur souhaitons la bienvenue. Si vous avez eu l’occasion d’entendre le groupe de témoins précédent, vous comprendrez assurément sur quoi portent nos intérêts.
Je vous cède la parole pour présenter vos exposés. Ensuite, nous échangerons librement avec vous.
Daryl Mayers, président, Comité des analyses d’alcool, Société canadienne des sciences judiciaires : Je crois que je vais y aller en premier parce que, à la différence des deux plats principaux, je suis comme le sorbet entre les deux, vu que je vais parler d’alcool, et non de cannabis ou de drogues.
Le président : C’est le cinq à sept, donc allez-y.
M. Mayers : Tout d’abord, les membres du Comité des analyses d’alcool vous remercient de votre invitation. Notre comité fait partie de la Société canadienne des sciences judiciaires. Nous fournissons des avis scientifiques aux ministres de la Justice quant à la détection du taux d’alcoolémie depuis plus de 50 ans maintenant. Nous sommes des scientifiques bénévoles sérieux. Nous possédons une expertise en dépistage d’alcool dans l’haleine et le sang et sommes engagés à l’égard du maintien de la norme toujours élevée en matière de dépistage d’alcool qui est devenue la règle acceptée au Canada.
Nous évaluons des appareils, tout comme le Comité des drogues au volant. Nous formulons des recommandations quant à la gestion de programmes relatifs à l’analyse d’échantillons d’haleine et à la formation, à l’équipement et à l’entretien qui y sont liés; nous formulons aussi des recommandations quant aux procédures qui doivent être suivies par les techniciens qualifiés pour garantir que les concentrations d’alcool dans le sang relevées sont exactes et fiables. Nous publions toutes nos recommandations sur notre site web, soit celui de la Société canadienne des sciences judiciaires. J’ai fourni à la greffière l’adresse du site, et je crois qu’elle l’a peut-être communiquée aux membres du comité. Je l’espère.
Nous souhaitons fournir brièvement des commentaires sur des points concernant spécifiquement le domaine du dépistage de la consommation d’alcool. Nous n’aborderons pas d’autres sujets. Les membres de mon comité ont décidé de passer en revue le projet de loi proposé, vu qu’il comporte des éléments qui sont importants à leurs yeux.
Nous commençons par le paragraphe 320.27(2), portant sur le dépistage obligatoire. Tout d’abord, la chose la plus importante que je tiens à dire, c’est que les ADA, soit les appareils de détection approuvés, sont utilisés, répandus et acceptés par les tribunaux aux fins de dépistage de la consommation d’alcool depuis longtemps. Ils sont exacts et fiables et, du point de vue uniquement scientifique, il n’y a aucun inconvénient, à notre avis, à la mise en œuvre de cette disposition. Aucune raison de nature scientifique ne justifierait de s’y opposer. Je ne parle pas d’autres types de raisons, mais uniquement de raisons scientifiques.
Pour poursuivre — et je vais tenter d’aller assez rapidement —, nous avons examiné certaines dispositions, comme le sous-alinéa 320.28(1)a)(ii). Son libellé nous préoccupe parce que nous constatons qu’on se fonde sur l’avis du technicien qualifié ou du médecin qualifié qui effectue le prélèvement pour évaluer quels échantillons sont nécessaires à la réalisation d’une analyse convenable. Ce passage nous pose des difficultés parce qu’il semble faire porter la responsabilité aux membres du personnel médical, et ceux-ci ne sont pas des experts en analyse judiciaire. Je reconnais que cette formulation figure actuellement dans le Code criminel, mais nous profitons de cette occasion pour justifier la modification que nous proposons, soit de retirer ce passage du projet de loi. Nous avons des réserves quant au fait de permettre à des personnes qui ne sont pas des experts en la matière d’émettre des opinions, alors qu’il ne serait pas avisé de le faire.
De la même manière, dans le paragraphe du même article portant sur l’échantillon retenu, la formulation donne à penser qu’un échantillon de sang doit être retenu, mais, encore une fois, qu’il incombe à la personne qui prélève des échantillons de le faire. Les membres du CAA sont d’avis que cette responsabilité ne devrait pas appartenir à cette personne. De façon logique, cette responsabilité devrait incomber à l’agent de police qui a fait la demande de prélèvement et qui est en mesure de veiller à la protection des éléments de preuve et de comprendre ce processus, ou au responsable du laboratoire judiciaire. Nous sommes aussi en mesure d’effectuer ces processus.
Un autre passage du même article énonce que le défaut de se conformer aux paragraphes (7) ou (8), qui sont liés à la demande ou au prélèvement de l’échantillon, ne porte pas atteinte, en soi, à la validité de l’analyse des échantillons de sang. Nous sommes totalement d’accord. Nous n’allons pas porter de l’eau à la rivière et discuter de droit constitutionnel, parce que nous n’avons pas d’expertise en la matière, mais nous sommes d’avis que, ces choses étant dites, il y a encore un aspect concernant l’admissibilité qui pourrait poser problème et, selon nous, pourrait peut-être enfreindre la Charte. Je n’en suis pas certain; je ne suis pas avocat. Nous croyons qu’il serait possible de faire valoir que cela ne touche pas l’admissibilité. Cela pourrait, en fait, toucher certains aspects de l’analyse ou d’autres choses encore, selon ce qui est utilisé, mais nous souhaitons avoir la possibilité d’effectuer quand même l’analyse parce que les résultats pourraient ne pas être incriminants. Ils pourraient disculper la personne concernée.
Un point positif que je dois mentionner, c’est que les membres du comité doivent dire au législateur et aux citoyens canadiens que tous les appareils de détection approuvés au pays, et utilisés au titre de l’article 320, ont été mis à l’épreuve de façon rigoureuse. Nos normes d’essai figurent sur notre site web, et je vais ajouter, à titre de président du Comité des analyses d’alcool, que ces appareils sont exacts et fiables pour établir le taux d’alcoolémie d’une personne. Je voulais simplement qu’il soit clair que nous soutenons totalement ces affirmations.
Le libellé du paragraphe 320.31(2), à notre avis, d’une part, soulève quelques préoccupations, et d’autre part, est une source d’optimisme. C’est le passage « … toute preuve tendant à démontrer que l’analyse a été effectuée incorrectement » qui nous préoccupe. Cela nous fait vraiment reculer. Je travaille dans le domaine depuis longtemps, et cela me ramène au sujet que je vais aborder plus tard, les guerres de divulgation. Il importe de noter qu’on a instauré toutes sortes de poids et contrepoids en ce qui concerne la divulgation des résultats des alcootests, mais, en l’espèce, dans le cas où ce n’est qu’un laboratoire judiciaire agréé — ce sont les seules personnes qui effectuent ces analyses, qu’il s’agisse d’analyses sanguines pour dépister l’alcool ou les drogues —, je crois que cette disposition peut éventuellement donner lieu à des demandes de divulgation qui sont non pertinentes par rapport à l’objectif visé.
Je vais maintenant poursuivre avec l’article 320.31(4), et j’espère que vous serez d’accord avec moi, parce que je dois apporter une bonne nouvelle aux membres de mon comité. Je crois qu’une solution simple s’applique. Comme les membres du comité le savent probablement déjà, le projet de loi prévoit maintenant que l’alcoolémie doit être supérieure à 20 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. Quand nous utilisons des résultats tronqués, c’est-à-dire qu’on laisse tomber le dernier chiffre — ce qui fait que les résultats de 29, 21 et 22 équivalent tous à 20 —, le chiffre doit être supérieur, donc il doit être de 30 ou plus. Ce n’était pas là notre intention, et je demande qu’on apporte une modification qui reflétera le reste du code en changeant le libellé pour qu’il énonce « équivaut à, ou excède, 20 milligrammes », parce que le chiffre 20 est parfaitement applicable. Un chiffre inférieur rendrait difficile le calcul rétrospectif, mais un résultat de 20 milligrammes convient, donc la formulation « équivaut à, ou excède » serait parfaite, et le CAA appuierait cet amendement au projet de loi. Nous ne pouvons prévoir ce qui se passera devant les tribunaux à cet égard. Il faudra s’ajuster.
Les membres du CAA souhaitent souligner au comité que, à leur avis, il n’y a aucune possibilité qu’un tribunal rende une décision au sujet du taux d’alcoolémie qui porterait préjudice à la personne accusée, donc il n’y aura pas d’effets négatifs pour la personne concernée si nous demandons aux juges d’appliquer une majoration de 5 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang pour chaque période de 30 minutes. Nous nous demandons comment les tribunaux traiteront les intervalles qui ne durent pas exactement 30 minutes. On ne peut qu’espérer que le bon sens prévaudra, mais on ne peut en être assuré; il s’agira d’un point à examiner et que nous contesterons probablement jusqu’à ce que les tribunaux tranchent.
Je passe maintenant rapidement à un autre article et j’espère que vous partagerez mon avis. L’article 320.34 énonce les renseignements qui doivent être communiqués relativement aux appareils de détection approuvés. Cet article reprend presque mot à mot le texte de notre énoncé de position datant de 2012, et j’ai dit « presque ». La difficulté tient au fait que, à l’alinéa c), le libellé contient « les messages ». Dans notre énoncé de position de 2012, nous recommandions la formulation « les messages d’exception ou d’erreurs », et il y a une distinction. Ces dispositifs peuvent afficher différents messages qui ne sont pas pertinents quant au fonctionnement de l’appareil. Par exemple, un des appareils de détection approuvés affiche le message « Veuillez souffler ». À notre avis, selon la formulation actuelle des dispositions du projet de loi, si un agent se présente devant les tribunaux et n’a pas inscrit dans ses notes « le message Veuillez souffler s’est affiché à 22 h 22 », et que ce renseignement n’a pas été communiqué, cela pourrait servir de motif pour demander une défense pleine et entière, la non-divulgation, et présenter d’autres demandes de cette nature. Cela ne touche pas l’aspect scientifique. S’il est possible de remplacer une partie du libellé par « les messages d’exception ou d’erreurs », cela serait utile sur le plan scientifique, du moins de l’avis partagé par les membres du Comité des analyses d’alcool.
Je crois que la greffière a entre ses mains une copie de notre énoncé de position à l’intention du comité. Je l’ai soumis dans les deux langues officielles.
En ce qui concerne l’article 320.34, encore une fois, mon pessimisme refait surface quand il s’agit de communication de renseignements. Nous avons énoncé clairement les renseignements devant être communiqués pour établir le bon fonctionnement de l’appareil. Il y a eu des contestations devant les tribunaux et, dans certaines provinces, on a créé des mesures législatives, et d’autres cas sont actuellement soumis à la Cour suprême. Toutefois, il semble que les paragraphes (3), (4) et (5) ouvrent de nouveau la porte à beaucoup d’autres choses. Si ces dispositions ne visent que la communication d’autres renseignements auxquels la personne concernée a droit, c’est parfait, mais nous nous sommes demandé si la portée de la communication des renseignements était élargie.
Pour terminer, je vais fournir quelques brefs commentaires quant aux dispositions transitoires. En ce moment, j’ai qualité d’analyste au titre de l’article 254.1 du Code criminel en vigueur. Actuellement, cela signifie que je peux effectuer une analyse d’alcoolémie au moyen de prélèvements sanguins ou certifier que des appareils de détection approuvés respectent les normes en matière d’analyse d’alcool, ce qui est une partie nécessaire de mon travail. La disposition ne me permettra maintenant que d’effectuer des analyses sanguines. Cela signifie que je devrai obtenir une autre désignation, ce qui n’est pas dramatique, mais rien ne semble expliquer ce changement. S’il était possible d’ajouter tout simplement « est réputée désignée analyste » au sous-alinéa 320.4b)(ii) et à l’alinéa c), cela réglerait ce problème, pour ma part. Tous les nouveaux venus qui intégreront ce domaine auront deux désignations, ou des désignations différentes des miennes, mais, pour les vétérans comme moi, il s’agit de quelque chose qui, à mon avis, peut être facilement modifié et qui pourrait nous faciliter la vie, même si c’est minime.
Ce sont les points particuliers dont j’aimerais faire part aux membres du comité, et je vous remercie de votre attention à cet égard. Bien sûr, je suis disposé à répondre aux questions auxquelles je peux.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci, monsieur Mayers, d’être ici avec nous. Vous avez bien pris soin de dire que vous n’alliez pas parler ce soir que d’alcool. Est-ce que le comité qui se penche sur la question des analyses d’alcool a discuté du projet de loi C-46 avec le comité chargé de la question de la drogue au volant? Autrement dit, dans le projet de loi C-46, on constate qu’il y a des infractions soit liées aux capacités affaiblies par l’alcool, aux capacités affaiblies par la drogue, ou aux capacités affaiblies par la combinaison de drogue et d’alcool. Est-ce que vos deux corridors de recherche sont hermétiques ou est-ce qu’il y a une discussion, à un moment donné, dans le cadre de vos travaux, qui vous rapproche, ne serait-ce que pour traiter de cet aspect particulier du projet de loi C-46?
[Traduction]
M. Mayers : Merci de votre question. La vérité, c’est que nous tenons des discussions, mais cela m’amène à mon message publicitaire. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour tenir plus de rencontres conjointes. Nous avons discuté. Heureusement, l’ancien président et moi-même travaillons au même endroit, nous avons donc des conversations.
Le CAA a pris certaines mesures pour aider le Comité des drogues au volant, par exemple en ce qui concerne les contenants approuvés. Les contenants que nous approuvons à l’heure actuelle peuvent être faits de plastique. Cette matière n’est pas adéquate pour l’analyse de drogues, c’est pourquoi nous modifions nos normes pour faire en sorte que seuls les contenants de verre soient maintenant acceptés. Actuellement, ils sont tous faits de verre, mais si un nouveau fabricant voulait entrer en jeu, nous aurions alors des normes disant qu’il est interdit d’avoir un tube de plastique. Cela aidera nos collègues du Comité des drogues au volant. Cela ne fait pas de différence en ce qui concerne l’alcool; nous pouvons prendre ce qu’on nous donne.
Nous serions certainement heureux d’avoir plus de collaboration, car il y a de nombreux aspects du projet de loi qui sont confus, si on veut.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Vous semblez généralement d’accord avec les dispositions du projet de loi, sauf dans le cas de certains amendements plus techniques que vous nous avez mentionnés ici, si j’ai bien compris.
Pour ce qui est des tests aléatoires d’alcoolémie, est-ce que vous avez eu à examiner la question? Vous nous avez dit aussi que vous alliez traiter seulement la question du point de vue scientifique, ce qui est compréhensible. Est-ce que vous avez eu l’occasion, dans vos discussions, d’examiner la question du profilage racial dans le choix du test aléatoire du dépistage de l’alcoolémie? Avez-vous examiné la question des barrages routiers? Ils peuvent diminuer le risque de profilage racial dans la mesure où tout le monde est soumis au test, alors que s’il s’agit d’un dépistage complètement aléatoire, on risque un effet de profilage racial, que ce soit inconscient ou non.
[Traduction]
M. Mayers : Pour répondre très rapidement, non, nous n’avons pas examiné cette option. Cela ne fait pas partie de notre mandat, et d’autres personnes sont mieux qualifiées pour prendre des décisions.
Le président : Je comprends, madame Peaire, que votre exposé concerne les drogues. Voudriez-vous nous le présenter maintenant afin que les questions posées par les députés présents puissent en tenir compte dans la même série de questions?
Amy Peaire, présidente, Comité des drogues au volant, Société canadienne des sciences judiciaires : Merci de me donner l’occasion de m’exprimer devant le comité sénatorial permanent. Je suis présente aujourd’hui en tant que présidente du Comité des drogues au volant, ou CDV, dont le rôle est de fournir des conseils scientifiques au ministère de la Justice quant aux problèmes liés à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.
Le CDV a récemment produit deux documents accessibles au public. Le premier est le Rapport sur les limites légales de drogues, que j’ai déjà fourni aux membres du comité, et le deuxième est un document intitulé Procédures d’évaluation et normes relatives au matériel de détection des drogues dans le liquide buccal. Je m’excuse de ne pas avoir fourni une copie de ce dernier document à l’avance, mais il est accessible au public; je le ferai après la réunion.
Le CDV joue un rôle actif dans le processus d’évaluation de ce matériel, qu’on appelle communément des appareils de dépistage de drogue par voie orale.
Il est largement reconnu que les drogues peuvent nuire à la capacité d’une personne à conduire un véhicule motorisé. Des données probantes donnent à penser que la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue est aussi courante, sinon plus, que la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool. Le problème, c’est qu’il est difficile d’avoir des outils efficaces pour détecter rapidement les conducteurs ayant les facultés affaiblies par la drogue.
Il est important de comprendre qu’il existe une grande diversité de drogues, y compris les médicaments en vente libre, les médicaments d’ordonnance et les drogues illicites, qui peuvent nuire à la conduite de différentes manières et qui sont toutes couramment détectées chez les personnes soupçonnées de conduite avec facultés affaiblies au Canada. Ces drogues peuvent influer sur la capacité de conduire d’une personne de différentes manières, selon différentes concentrations, et l’affaiblissement des facultés qui en découlent peut dépendre d’une diversité de facteurs pharmacologiques. Par exemple, chaque drogue se répartit différemment dans le corps, et il peut y avoir une variation quant à la durée des effets, à la concentration entraînant un affaiblissement des facultés, au degré de tolérance qu’une personne peut développer au fil du temps relativement aux effets d’affaiblissement des facultés et la possibilité que la drogue interagisse avec d’autres drogues et que cela cause un affaiblissement supplémentaire ou même synergique. Ainsi, nous devons faire attention de ne pas simplifier à outrance la conduite avec facultés affaiblies par la drogue en nous attendant à ce qu’elle soit tout à fait semblable à la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool ou en considérant que toutes les drogues font partie d’une seule catégorie.
Nous serions négligents de croire que les outils employés dans le cadre d’enquêtes liées à la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool, comme les appareils et les instruments de dépistage permettant de prendre des échantillons d’haleine pour déterminer le taux d’alcoolémie d’une personne, seraient en tous points semblables à ceux utilisés dans le cadre d’enquêtes liées à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Au contraire, il faut examiner les drogues au cas par cas pour ce qui est de l’affaiblissement produit et de la sensibilité des divers outils à leur détection.
Les amendements proposés au projet de loi C-46, qui facilitent la collecte d’échantillon de sang, et ce, en temps opportun après la conduite, seront importants pour le renforcement des enquêtes liées à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, peu importe la drogue en cause. Même si la concentration d’une drogue en particulier dans le sang peut, de façon isolée, avoir une utilité variée au moment de déterminer l’affaiblissement des facultés lié à la drogue, la collecte d’échantillons de sang permet, contrairement à la collecte d’échantillons d’urine, d’établir la présence de drogue dans le corps. Le fait de réduire au minimum le temps nécessaire pour en faire la collecte après la conduite permet d’accroître son utilité, car il y aura moins de risque que la concentration de drogue change avec le temps et que les drogues soient éliminées du corps après la conduite.
Avec la proposition de légalisation du cannabis au Canada, on accorde beaucoup d’importance au THC et à la conduite avec facultés affaiblies. Le THC nuit à la capacité de conduire un véhicule motorisé. On a prouvé l’effet du THC sur l’affaiblissement des compétences particulières requises pour conduire dans le cadre d’études, notamment des études de conduite en circuit fermé, des simulateurs de conduite et des études épidémiologiques menées auprès de conducteurs dont les facultés étaient affaiblies par le THC et qui ont été impliqués dans des collisions automobiles et en ont été tenus responsables.
Toutefois, contrairement à l’alcool, les effets du THC ne sont pas directement liés à la concentration de THC dans le sang. En fait, il y a une certaine variabilité entre les personnes quant à l’affaiblissement des capacités lié au THC, celui-ci est lié à la quantité consommée, au mode d’administration et au nombre de temps écoulé depuis la consommation. Il est important que ces aspects complexes supplémentaires que présente l’affaiblissement des capacités lié au THC, de même que ceux qui sont propres à d’autres drogues, ne détournent pas notre attention de leur potentiel d’affaiblissement des capacités et ne nous empêchent pas d’apprendre de quelle manière les divers outils peuvent être appliqués à la détection de la conduite avec facultés affaiblies par ces drogues.
Merci de votre temps. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame Peaire, est-ce que l’efficacité des outils de détection que les policiers nous ont montrés plus tôt suit un algorithme en rapport avec la baisse de température? Ce sont des appareils très efficaces entre 5 et 25 degrés. La température peut atteindre moins 40 dans les régions nordiques, où la consommation est très élevée. À partir du moment où la température descend sous zéro, est-ce que l’appareil suit un algorithme d’inefficacité par rapport à la température? Y a-t-il un algorithme connu ou est-ce encore à expérimenter?
[Traduction]
Mme Peaire : Je dois expliquer que, quand le Comité des drogues au volant a présenté les normes requises pour l’approbation de l’utilisation de tout dispositif au Canada, nous avons examiné ce à quoi on pourrait s’attendre dans le climat canadien, qui inclut à la fois des températures très élevées et très basses. Nous nous sommes aussi penchés sur les plages de température des dispositifs qui sont sur le marché aujourd’hui, ce qui est offert et la capacité. Nous voulions établir des normes élevées quant à leur utilisation afin qu’ils soient le plus utiles possible au Canada, mais nous devions aussi être réalistes et tenir compte de ce qui se trouve actuellement sur le marché.
Selon nos normes, les dispositifs devraient être fonctionnels dans une plage de température allant, au minimum, de 5 à 35 degrés Celsius, et cela reflète ce qui est disponible sur le marché. Il devrait y avoir des dispositifs pouvant être utilisés à des températures allant au-delà de la plage mentionnée, et nous croyons que ces dispositions législatives devraient prévoir que, si les dispositifs sont utilisés à des températures qui ne sont pas comprises dans la plage jugée acceptable par le fabricant, ce dernier doit prouver quel effet cela aura sur les dispositifs.
D’un point de vue réaliste, il est possible que ces dispositifs ne puissent pas être utilisés à l’extérieur lorsque les températures sont très basses. Ils devraient être conservés dans un endroit où la température est contrôlée, comme dans une voiture de police.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Dans les régions où la consommation est très élevée et où les nuits sont très longues — les nuits nordiques peuvent durer jusqu’à 20 heures —, les températures basses peuvent se prolonger sur de très longues périodes. Est-ce que cela veut dire que ces appareils auraient une efficacité difficile à prouver en cour, parce qu’elle serait facile à contester?
[Traduction]
Mme Peaire : Nous serions obligés de fixer des normes minimales. Il peut y avoir des dispositifs qui fonctionneraient dans une plage de température supérieure à ces normes, mais si un dispositif est utilisé en dehors de la plage de température énoncée par le fabricant, ce dernier devrait indiquer quelle en serait l’incidence potentielle sur le dispositif. Pour certains dispositifs que nous avons vus, on indique simplement à l’utilisateur que la température ne se situe pas dans la plage de température pour l’utilisation et qu’il n’est pas possible d’effectuer un test.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Une option serait la prise de sang, si l’appareil n’est pas efficace. Dans ces communautés, que j’ai visitées, il y a souvent un problème quant à la disponibilité des infirmières ou des professionnels de la santé pour prendre ces prises de sang. Est-ce que ce serait le policier lui-même qui aurait à faire la prise de sang?
[Traduction]
Mme Peaire : Cela dépasse mes compétences. Je crois que ce sont les services de police qui devraient décider de ce qui serait applicable.
La sénatrice Batters : Je veux seulement m’assurer d’avoir bien entendu. Avez-vous dit que la plage de température optimale se situe entre 5 et 35 degrés Celsius, et qu’en dehors de cette plage, il faudrait fournir des données supplémentaires quant à l’efficacité du dispositif en particulier?
Mme Peaire : Cela ferait partie des normes qu’a présentées le Comité des drogues au volant. Il s’agit de la plage minimale de température selon laquelle les dispositifs devaient être fonctionnels.
La sénatrice Batters : La température la plus basse est donc de 5 degrés? Au Canada?
Mme Peaire : Oui. Ce serait le minimum acceptable. On pourrait présenter des dispositifs ayant une plus grande plage de fonctionnement. Nous avons dû tenir compte de ce qu’est une attente réaliste à l’égard des dispositifs qui sont disponibles sur le marché à l’heure actuelle. Quand des services de police envisagent d’acheter ce genre de dispositif, s’il y a plusieurs dispositifs offerts et qu’il y en a un ayant une plage d’utilisation plus grande, ils devraient tenir compte de cette plage d’utilisation au moment de leur achat. Autrement, ils doivent tenir compte de la plage de température pour déterminer à quel endroit ils peuvent employer ces dispositifs, par exemple dans un endroit où la température est contrôlée comme une voiture de police ou un bâtiment.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’essaie de comprendre vos propos.
Pour faire suite à la question de la sénatrice Batters, dois-je comprendre qu’on est en train de subventionner les appareils existants en mettant un écart de 5 à 35 degrés, parce qu’il n’y a pas autre chose qui existe, au lieu de commander un nouvel appareil qui tiendra compte du climat canadien? Dans la ville de Québec, lorsque le mercure passe de 5 à 35 degrés, il fait chaud. On est au début du printemps.
Je suis très sérieuse. On a l’impression de subventionner des industries qui existent. Si elles veulent vraiment percer ce marché, la moindre des choses serait de fournir de l’équipement qu’on pourra utiliser dans les régions rurales où le taux de conduite avec les facultés affaiblies est élevé.
[Traduction]
Mme Peaire : Oui, donc encore une fois, au moment d’élaborer nos normes, nous devions tenir compte du fait que nous voulons des dispositifs qui sont très utiles au Canada et qui respectent des normes d’utilisation très élevées, qui sont fiables et précis et qui pourraient servir aux fins judiciaires. Nous devions également tenir compte de considérations pratiques. Nous avions le choix de créer des normes qui s’appliqueraient seulement en théorie aux dispositifs ou de prendre en considération des normes qui s’appliqueraient aux dispositifs qui sont sur le marché à l’heure actuelle.
M. Mayers : Si je peux me permettre de formuler un commentaire, le comité devrait savoir que les ADA ont une plage de température semblable. Les ADA qu’on utilise actuellement pour détecter la présence d’alcool possèdent les mêmes limites, en raison des piles à combustible qui sont utilisées. Nous avons examiné la question en ce qui a trait à l’alcool.
Le sénateur Gold : Veuillez pardonner mon ignorance, mais si le dispositif est conservé dans une voiture et que la plage de température est respectée, cela veut-il dire qu’à la minute où vous sortez le dispositif à l’extérieur, vous ne respectez plus la plage de température? Je n’ai jamais soufflé dans l’un de ces dispositifs. Du point de vue pratique, que se passe-t-il si, par une soirée d’hiver très froide, le dispositif est dans la voiture. Cela veut-il dire qu’il faut faire entrer le conducteur à l’intérieur de la voiture de police, ou existe-t-il un système permettant de prendre l’échantillon à l’extérieur, de le ramener dans la voiture et d’attendre un certain nombre de minutes? Comment cela fonctionne-t-il? Qu’est-ce que cela veut dire du point de vue pratique?
Mme Peaire : En pratique, ce que nous avons dit à propos du fait que les fabricants devraient fournir des renseignements expliquant l’effet que peut avoir l’utilisation du dispositif en dehors de la plage de température énoncée par le fabricant est important. Il se pourrait que le test prenne plus de temps qu’à l’habitude par exemple. Il peut aussi s’agir d’autre chose, par exemple le dispositif va indiquer que la plage de température n’est pas acceptable et refuser d’accepter un échantillon et de l’analyser.
De ce que nous avons vu du projet pilote de Sécurité publique Canada, lorsqu’on a mis à l’essai divers dispositifs à des températures hivernales très basses, on a constaté que nombre de ces dispositifs fonctionnaient. Beaucoup d’entre eux possèdent leur propre système de chauffage parce qu’ils sont électroniques. Le temps froid n’a pas d’incidence instantanée sur eux. Ils peuvent conserver leur chaleur dans une certaine mesure. L’étude a également montré qu’on utilisait plusieurs dispositifs seulement dans des véhicules de police.
La sénatrice Eaton : Monsieur Mayers, je vais vous poser une question sur l’alcool. Selon le Code criminel, le degré d’affaiblissement des facultés est de 80 milligrammes d’alcool pour 100 millilitres de sang; est-ce exact?
M. Mayers : Au risque de sembler effronté, ce ne l’est pas. Il s’agit de la limite permise. Les gens ont les facultés affaiblies bien avant d’atteindre 80 milligrammes.
La sénatrice Eaton : J’allais dire que les provinces ont imposé leurs propres limites qui sont beaucoup moins élevées. En Ontario, une quantité d’alcool de 50 milligrammes entraînera la suspension du permis de conduire. Je me demandais pourquoi c’était 80 milligrammes dans le Code criminel — et pourquoi on ne l’avait pas corrigé —, alors qu’en Ontario c’est 50 milligrammes?
M. Mayers : Je ne vais pas me lancer sur les décisions du gouvernement.
La sénatrice Eaton : Je ne vous demande pas de le faire. Je vous pose la question en votre qualité de scientifique.
M. Mayers : En tant que scientifique, je témoigne souvent devant les tribunaux pour dire que les personnes ont les facultés affaiblies lorsqu’elles ont 50 milligrammes d’alcool ou plus dans le sang. C’est mon opinion scientifique. Mes collègues du Comité des analyses d’alcool pensent la même chose. Je ne peux pas dire pourquoi le Code criminel impose cette limite. Je sais que, lorsque le code a été mis en place dans les années 1960, il y avait des mémoires à l’époque qui indiquaient que 80 était peut-être un peu trop élevé.
La sénatrice Eaton : Je pose la question parce que la sénatrice Boniface, qui a passé le plus clair de sa vie dans la GRC, a parlé des régions rurales. Vous connaissez les statistiques des régions rurales, dans l’Ouest et le Nord du Canada et dans les Maritimes. Dans les régions rurales, le taux de conduite avec les facultés affaiblies par la drogue ou l’alcool est plus élevé parce qu’il n’y a souvent pas de transport en commun. Je voulais savoir si les provinces étaient trop pingres ou trop sévères avec les gens qui sortent prendre un verre de vin. Vous avez répondu à ma question. Merci.
Madame Peaire, une de nos derniers témoins a affirmé que ces appareils de dépistage de drogue peuvent déterminer s’il y a une drogue dans le sang, mais pas sa quantité. La sénatrice Galvez a prononcé un discours très intéressant devant le Sénat l’autre jour. Elle a affirmé que, au Colorado, les gens du département de l’Agriculture des États-Unis ont constaté qu’ils saisissaient du cannabis beaucoup plus puissant, comme le sinsemilla. Est-ce que cela signifie quelque chose? Au cours de la dernière décennie, il y a eu un afflux de produits du cannabis très puissants aux États-Unis comme le sinsemilla, une plante conçue à partir de clones non pas de graines. Des données provenant des saisies du département de l’Agriculture des États-Unis montrent une augmentation considérable de la puissance de 4 à 30 p. 100. Il s’agit d’une teneur en THC d’au moins 30 p. 100. Le Colorado envisage de proposer une modification afin de limiter la teneur en THC des produits du cannabis. Croyez-vous qu’il s’agit de quelque chose que l’on devrait envisager d’inclure dans la loi?
Mme Peaire : Je crois que le département de l’Agriculture a bien raison de dire que la teneur en THC a considérablement augmenté au fil des ans. Par le passé, il y avait des variétés de marijuana dont la teneur en THC était de 2 à 3 p. 100, alors qu’elle est maintenant régulièrement entre 20 et 40 p. 100. On constate également de plus en plus la présence de concentrés de THC : on extrait le THC de la marijuana pour obtenir un produit concentré dont la teneur va de 70 à 90 p. 100. On peut ajouter ce THC à des concentrés, le vaporiser et l’ajouter à des produits comestibles sans de nombreuses formulations différentes.
Une des difficultés, c’est que nombre d’ouvrages scientifiques n’ont pas été en mesure de s’attacher aux concentrations élevées de THC. Selon ces ouvrages, ce qu’on appelle communément du THC très concentré se dit de concentrations allant jusqu’à 12,6 p. 100, ce qui ne reflète vraiment pas ce qui se vend sur le marché aujourd’hui.
Une des préoccupations des responsables de la santé, c’est que ce cannabis à teneur élevée en THC a beaucoup d’effets puissants qui ne sont pas bien connus sur la santé des gens. Je crois qu’on devrait réaliser des recherches plus approfondies à cet égard.
Ce qui m’inquiète en tant que scientifique, c’est que, avec des produits comestibles à teneur élevée en THC, compte tenu de la façon dont fonctionne le THC, on peut avoir un affaiblissement important des facultés chez une personne, mais elle pourrait avoir un taux relativement faible de THC dans le sang.
Par ailleurs, lorsqu’une personne consomme oralement du THC, elle ne ressent pas les effets directement comme lorsqu’elle le fume. Selon certains rapports, des personnes vont consommer une certaine quantité de produits à teneur élevée en THC de manière orale. Elles ne ressentent aucun effet, alors elles en consomment plus. Une demi-heure ou une heure plus tard, elles ressentent soudainement des effets extrêmement puissants, et certains rapports ont fait état d’activité psychotique et d’hospitalisations très graves associées à cela. Je crois qu’il faut s’en préoccuper.
La sénatrice Eaton : Recommanderiez-vous, si vous étiez assis à cette table, qu’on réglemente la teneur en THC?
Mme Peaire : Je crois, en tant que toxicologue, qu’un des problèmes tient au fait qu’il est difficile de parler de la conduite avec les facultés affaiblies associée à des teneurs élevées en THC. Il n’y a vraiment pas assez de recherches à ce sujet. Si je me fie aux professionnels de la santé et me fonde sur des cas précis, je crois que le cannabis suscite des inquiétudes et qu’on devrait vraiment l’étudier davantage avant de le légaliser.
Le président : Est-ce que cela signifie, pour un Canadien, par exemple, qui aurait une tendance psychotique qui n’est pas visible, qu’une teneur élevée en THC aggraverait les dommages?
Mme Peaire : Même si cela ne relève pas de mon champ d’expertise en tant que toxicologue, des données probantes provenant du milieu de la santé montrent que plus les personnes commencent à consommer jeune des produits de la marijuana, plus leur consommation est importante et élevée en THC et plus elles sont susceptibles de subir des effets à long terme et des effets plus importants sur leur santé, y compris des psychoses.
Le président : Merci beaucoup. Vous avez répondu à ma question.
Le sénateur Pratte : Plus tôt — et je suis certain que vous étiez ici —, M. D’Arcy Smith a expliqué, si j’ai bien compris, que votre comité, au départ, n’avait pas très envie de déterminer des limites légales. Au final, encore une fois si j’ai bien compris, vu que le gouvernement voulait des limites légales, vous avez décidé de présenter le document que vous avez avec vous. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi? J’aurais tendance à penser que, en tant que scientifiques, si vous ne vouliez pas recommander de limites légales, vous auriez pu dire : « Nous ne croyons tout simplement pas à des limites légales; par conséquent, nous ne les recommandons pas. » Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui s’est produit?
Mme Peaire : Oui. C’est précisément pour les limites légales du THC.
Le sénateur Pratte : Oui.
Mme Peaire : Nous avons expressément recommandé des limites légales ou une tolérance zéro pour d’autres drogues dans le même document.
Il est très difficile d’essayer de déterminer un taux sanguin légal pour le THC. Contrairement à l’alcool, dans le cas duquel vous pouvez avoir des concentrations dans le sang qui sont liées aux facultés affaiblies, il n’existe pas, pour le THC, une forte corrélation entre les facultés affaiblies et les concentrations dans le sang.
Le sénateur Pratte : Je comprends la difficulté scientifique. Ce que je veux dire, c’est pourquoi avez-vous décidé de recommander des limites au gouvernement ou, du moins, pourquoi l’avez-vous aidé à établir des limites relativement au taux de THC même si vous n’étiez pas d’accord avec le concept des taux de THC?
Mme Peaire : Il ne s’agit pas d’un concept simple. Toutefois, il existe un lien entre les concentrations de THC et les facultés affaiblies. Le lien le plus important est entre la présence de THC dans le corps et les facultés affaiblies. Cependant, il est possible de faire une généralisation selon laquelle des concentrations élevées de THC dans le sang sont, de façon très générale, liées à une consommation très récente. Plus la consommation de THC est récente, plus la personne est susceptible d’avoir les facultés affaiblies.
Pour cette raison, notre comité a déterminé deux limites légales à prendre en considération parce qu’on a utilisé des limites légales de THC dans d’autres administrations. Nous sommes arrivés aux considérations et aux restrictions scientifiques des deux limites. Essentiellement, la limite légale de cinq nanogrammes de THC par millilitre règle, fort probablement, les problèmes de facultés affaiblies, et la limite légale de deux nanogrammes de THC par millilitre de sang règle les problèmes de sécurité publique parce qu’on est moins certain qu’une personne peut avoir les facultés affaiblies. Toutefois, les gens ont les facultés affaiblies avec deux nanogrammes de THC par millilitre. Alors, pour ce qui est de ces aspects liés à la sécurité publique, on devrait peut-être envisager d’imposer la limite inférieure.
Le sénateur Pratte : Pourriez-vous nous en dire plus sur votre raisonnement concernant les deux nanogrammes et l’aspect lié à la santé publique? J’ai surligné cette phrase dans votre rapport. Je veux comprendre la distinction que vous faites entre les cinq nanogrammes et la recommandation de deux nanogrammes concernant l’aspect lié à la sécurité publique. Que voulez-vous dire par là?
Mme Peaire : Oui. Si une personne fume du cannabis ou de la marijuana, ce qui se produit, c’est que la concentration du produit dans le sang augmente au début très rapidement. Ensuite, lorsque le THC est distribué dans les tissus adipeux et commence à agir sur les récepteurs dans des endroits comme le cerveau et ont un effet sur le système nerveux central de la personne, les concentrations de THC dans le sang diminuent très rapidement. Une fois que les taux de THC sont relativement bas, environ à cinq ou à deux, il peut y avoir une baisse beaucoup plus lente des concentrations dans le sang au cours d’une longue période. Par conséquent, les taux d’une personne pourraient atteindre deux nanogrammes ou même moins en relativement très peu de temps, bien en deçà d’une heure ou deux après avoir fumé, et, au cours de cette période, la personne pourrait encore avoir les facultés trop affaiblies pour conduire un véhicule motorisé. Une personne qui a récemment fumé du cannabis pourrait avoir une concentration de THC dans le sang entre deux et cinq, ou même inférieure à deux, et pourrait avoir les facultés trop affaiblies pour conduire.
Maintenant, il y a peut-être d’autres personnes qui auraient consommé du cannabis et qui auraient une concentration supérieure à deux ou même supérieure à cinq. Il s’agit en général de consommateurs chroniques qui n’ont pas récemment fumé de cannabis, mais qui ont une concentration de THC dans le sang pendant une longue période de temps et peuvent ne pas avoir les facultés affaiblies par le cannabis.
Une autre complication tient au fait que de grands consommateurs chroniques de cannabis peuvent avoir les facultés affaiblies de façon prolongée. Et on ne sait pas si cela est lié aux effets du THC lui-même sur la personne, s’il s’agit de l’effet d’un sevrage du THC qu’ils consomment de manière chronique à des doses élevées ou si c’est un autre effet du THC sur le système nerveux central de la personne en raison de la consommation chronique. On ne sait donc pas s’il s’agit d’un effet direct ou indirect du THC.
Le président : Merci beaucoup. Je crois que votre témoignage a été très instructif parce qu’il y a des éléments en jeu en ce qui concerne l’effet immédiat de la drogue et l’effet à long terme de celle-ci sur différentes personnes; n’oublions pas que les caractéristiques physiques de chaque être humain peuvent être différentes en ce qui concerne la capacité de réagir à la drogue.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Mme Peaire. Comme c’est la période des Jeux olympiques, je vais vous poser une question qui touche M. Ross Rebagliati, qui a gagné une médaille d’or aux Jeux de Nagano en 1998. Pouvez-vous nous parler de situations où une personne qui se trouve à proximité de gens qui fument du cannabis pourrait, par la fumée secondaire, avoir un niveau de THC dans son organisme?
[Traduction]
Mme Peaire : Oui, je peux faire cela. Je crois qu’il peut y avoir deux questions dont nous pouvons parler. Je ne suis pas certaine si vous vous intéressez également à la question de l’exposition passive concernant les appareils de dépistage de drogue par voie orale.
Une des choses que le Comité des drogues au volant a examinée lorsqu’il a rédigé les normes pour les appareils de dépistage de drogue par voie orale était la possibilité d’une exposition passive, et c’est la raison pour laquelle la limite de THC dans le liquide buccal a été établie à 25 nanogrammes par millilitre. On a réalisé des études sur la possibilité de la contamination du liquide buccal par le THC en raison d’une exposition passive, et ces études ont montré que, en raison de cette exposition passive, les concentrations de THC dans le liquide buccal n’atteindraient pas la limite que nous avons établie. Nous voulions donc nous assurer que cela ne pose pas problème pour l’utilisation d’un appareil de dépistage de drogue par voie orale. Ensuite, il est possible d’obtenir des résultats positifs de concentrations de THC dans le sang en raison d’une possible inhalation passive.
Ce qui se produit avec l’inhalation passive, c’est que les concentrations de THC dans le sang baissent très rapidement. La plupart des études montrent qu’elles sont de moins de un nanogramme par millilitre de sang une heure après l’exposition, et il s’agit d’études réalisées dans des situations extrêmes. Dans certaines études, des personnes étaient exposées à tellement de fumée qu’on devait leur offrir des lunettes-masque parce que la fumée irritait leurs yeux. Il est possible que, dans ces situations extrêmes, une personne, même si elle ne fume pas elle-même de manière active, consomme assez de cannabis ou inhale assez de fumée remplie de THC pour que cela soit considéré comme une consommation active de THC en soi. Certaines personnes peuvent ressentir un effet important.
[Français]
Le sénateur Carignan : Au Pays-Bas, notamment, ce sont des exemples que vous avez donnés dans des entrevues antérieures.
[Traduction]
Mme Peaire : Oui.
[Français]
Le sénateur Carignan : Il y a donc des personnes qui pourraient être en infraction, parce qu’il y a infraction si le taux est de deux à cinq nanogrammes, sans ne jamais avoir consommé directement du cannabis?
[Traduction]
Mme Peaire : Je crois que la possibilité pour que cela se produise est extrêmement faible en pratique. Dans les appareils de dépistage de drogue par voie orale, nous avons établi une limite de THC assez élevée pour que les personnes exposées au THC de manière passive n’atteignent pas ces taux et n’obtiennent pas un résultat positif. Dans le sang, même si les personnes exposées au THC de manière passive pourraient, pendant une très courte période, avoir un résultat positif pour ce qui est des concentrations de THC dans le sang, ces concentrations atteindraient très rapidement des taux très bas. Sur le plan pratique, avec l’inévitable délai du prélèvement de sang, je m’attendrais à ce que ces taux ne posent pas problème en raison du temps qui se sera écoulé entre le début d’un incident et l’enquête policière et le prélèvement de sang. Je ne crois pas qu’on constaterait des taux détectables de THC chez cette personne.
Le président : Merci beaucoup. Je regarde l’horloge, alors allez-y très rapidement parce que nous aurions dû avoir déjà levé la séance.
[Français]
Le sénateur Carignan : Au paragraphe 320.31(4), il y a une présomption. Premièrement, j’ai beau lire la disposition, j’ai de la difficulté à la comprendre et, deuxièmement, on crée une majoration de 5 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang pour chaque période de 30 minutes qui excède deux heures. J’ai de la difficulté à voir comment on peut créer cette présomption lorsqu’on parle d’une personne. Je n’ai pas traité beaucoup de cas de ce genre, mais j’en ai fait au moins un, et l’expert disait que, selon le sexe de la personne, son poids et sa taille, l’élimination de l’alcool dans le sang était différente. Comment peut-on créer une présomption pour une personne avec une majoration de 5 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang pour une période de 30 minutes, alors que tout cela varie selon le sexe, le poids et la taille?
[Traduction]
M. Mayers : La réponse rapide est que cela ne varie pas selon le sexe, la taille ou le poids. Si vous faites le calcul à partir d’une consommation d’alcool, vous avez besoin de cette information, mais n’oublions pas qu’il s’agit d’une concentration d’alcool. La seule variable est l’élimination. Ce taux d’élimination est assez fixe et peut être pris en compte dans un mécanisme très conservateur avec la façon dont il est proposé. Ce qu’on propose, c’est le taux d’élimination le plus faible possible pour une personne. Les tribunaux se penchent sur de telles questions tous les jours. Je travaillerai là-dessus demain. C’est la raison pour laquelle nous disons que nous sommes convaincus que la personne accusée ne subira aucun préjudice.
Le président : Merci.
Le sénateur Gold : J’ai une question pour vous deux afin d’encourager la discussion que vous avez tenté d’avoir plus tôt.
Le projet de loi prévoit une infraction pour conduite avec facultés affaiblies, ce qui a toujours constitué une infraction, mais en particulier maintenant en raison des limites légales liées à la combinaison de drogues et d’alcool. Pouvez-vous expliquer les données scientifiques qui sous-tendent la supposition selon laquelle la conduite avec les facultés affaiblies, par une combinaison d’alcool et de cannabis est pire que seulement le cannabis ou seulement l’alcool? Quelle est la synergie entre les deux substances qui touchent les facultés affaiblies? Nous sommes ici pour parler de facultés affaiblies; nous nous écartons parfois un peu du sujet lorsqu’il s’agit de grandes questions.
M. Mayers : Je vais commencer et ensuite Mme Peaire suivra. Je suis d’accord avec 50 milligrammes dans 100 millilitres de sang pour commencer, en ce qui concerne le libellé de l’infraction combinée, comme je le comprends en tant qu’expert en matière de causes liées à l’alcool. Mais je ne m’occupe pas seulement des cas liés à l’alcool; je m’occupe également d’affaires liées à la drogue. À mon avis, il est clair que, si on ajoute la consommation de cannabis à celle d’alcool, les facultés seront davantage affaiblies même si la concentration de chacun d’eux individuellement est faible et n’entraînerait sans doute pas de facultés affaiblies. Selon moi, les drogues affaiblissent les facultés — mais ce n’est peut-être pas le cas —, mais si on combine les deux, on frappe plein dans le mille : il y a une synergie. Un plus un peut ne pas égaler deux, mais égaler quatre. Je n’affirme pas que je sais pourquoi on arrive à ces chiffres, mais le Comité des analyses d’alcool est certainement à l’aise de dire que 50 milligrammes d’alcool dans 100 millilitres de sang entraînent des facultés affaiblies. Si vous nous donnez autre chose avec quoi nous devons travailler en plus de cela, nous ne changerons pas d’idée sur les facultés affaiblies.
Mme Peaire : Je pense que M. Mayers l’a très bien expliqué. La seule chose que je peux ajouter, c’est que l’alcool et le THC réduisent différemment la capacité de conduire. Lorsqu’on combine ces deux types différents de facultés affaiblies, on obtient l’ensemble des facultés affaiblies causées par l’alcool et le THC.
Le président : Avant de lever la séance, je tiens à vous remercier chaleureusement, monsieur Mayers et madame Peaire. J’aurais aimé que nos collègues de la Chambre aient la possibilité de vous écouter tous deux sur le parquet de la Chambre. Je crois qu’il s’agit de renseignements qui seraient très utiles à tous les sénateurs, non pas seulement concernant le projet de loi présentement à l’étude, mais aussi le projet de loi C-45, qui fait également l’objet de discussions et d’une étude des sénateurs. Merci beaucoup de votre contribution à cette heure tardive.
(La séance est levée.)