Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 37 - Témoignages du 28 février 2018
OTTAWA, le mercredi 28 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 16 h 25, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue, honorables sénateurs et distingués invités. Je suis heureux de déclarer la séance de cet après-midi ouverte. Nous étudions le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.
Nous avons des invités de marque cet après-midi. Comme vous le comprenez, j’en suis sûr, vous êtes nombreux et nous avons peu de temps, alors je demande à chacun d’entre vous de vous concentrer sur les points essentiels que vous voulez soulever.
Puis, bien sûr, durant la période de discussion, nous aurons l’occasion de revenir sur certaines choses. Je vous suggère donc de vous concentrer sur ce que vous jugez être l’essentiel.
[Français]
Nous sommes heureux d’accueillir Mme Kathryn Pentz et M. Jonathan Leebosh, de l’Association du Barreau canadien.
[Traduction]
Nous accueillons Michael Bryant, de l’Association canadienne des libertés civiles, James Palangio, de l’Association canadienne des juristes de l’État, et Howard Beddington et François Boillat-Madfouny, de l’Association canadienne de justice pénale.
[Français]
Je n’ose pas dire à tout seigneur, tout honneur. Madame Pentz, je vous cède la parole.
[Traduction]
Kathryn Pentz, c.r., secrétaire, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : Merci de nous avoir invités pour discuter du projet de loi C-46.
L’ABC est une association nationale qui regroupe plus de 36 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires. Un des aspects importants de notre mandat consiste à tenter d’améliorer le droit et l’administration de la justice. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui.
La Section du droit pénal de l’ABC est composée d’avocats expérimentés qui œuvrent dans les tribunaux criminels quotidiennement, tant dans le rôle de procureur de la Couronne que de celui d’avocat de la défense, et ce, dans toutes les régions du Canada.
Je suis accompagnée aujourd’hui de Jonathan Leebosh, qui est membre de la Section du droit de l’immigration. Les membres de la Section du droit de l’immigration prodiguent des conseils professionnels et représentent des milliers de clients au Canada et à l’étranger dans le cadre d’affaires liées au système d’immigration. Après ma brève déclaration, il vous parlera de certaines préoccupations liées à l’incidence du projet de loi C-46 sur le droit de l’immigration.
La Section du droit pénal de l’ABC est extrêmement préoccupée par les répercussions du projet de loi C-46 sur l’efficience du système de justice pénale. La conduite avec facultés affaiblies est l’un des domaines les plus litigieux du droit pénal, et chaque aspect du régime législatif actuel a fait l’objet d’un examen constitutionnel rigoureux.
Même si les infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies font encore régulièrement l’objet de contestations devant les tribunaux, l’enjeu est la plupart du temps de nature factuelle, et le droit est bien établi. Le projet de loi C-46 viendra changer la donne. La loi ne sera plus établie, et les nouvelles dispositions feront l’objet de contestations et seront interprétées par les tribunaux.
La quantité de tels litiges, à elle seule, aura des répercussions énormes sur le système de justice en ce qui a trait aux coûts, aux retards et à l’incertitude dans la loi. À une époque où le système de justice doit assurer l’efficacité du système judiciaire, des cas sont rejetés un peu partout au pays parce qu’ils ne respectent pas les délais prescrits dans l’arrêt Jordan, et les litiges découlant de la mise en œuvre du projet de loi C-46 ne feront qu’empirer le problème des retards devant les tribunaux.
L’ABC ne considère pas que le projet de loi C-46 améliore de façon importante la loi actuelle, certainement pas au point où cela viendrait contrebalancer l’incidence négative sur l’efficience du système de justice.
La conduite avec facultés affaiblies est une préoccupation majeure des Canadiens. Théoriquement, la limite légale établie dans la partie 1 du projet de loi C-46 devrait aider à régler ce problème. Malheureusement, la réalité, c’est que la science a montré que des limites précises ne correspondent pas nécessairement à l’affaiblissement des facultés. Même si on pourra ainsi cerner des conducteurs qui ont de la drogue dans leur organisme, cela ne permettra pas de cerner les conducteurs dont les facultés sont affaiblies. Les consommateurs réguliers peuvent ne pas voir leurs facultés être affaiblies à cinq nanogrammes, mais, à l’opposé, des consommateurs occasionnels peuvent voir leurs facultés grandement affaiblies à un niveau beaucoup plus bas.
Une préoccupation majeure de la Section du droit pénal tient aux enjeux constitutionnels soulevés par le projet de loi C-46, et plus précisément le paragraphe 320.27(2), où il est question du dépistage obligatoire sur place.
Les données brutes utilisées pour soutenir la constitutionnalité de cette disposition sont peut-être convaincantes. D’autres administrations ont eu beaucoup de succès au moment de réduire les accidents mortels attribuables à la conduite avec facultés affaiblies en instaurant de tels contrôles aléatoires.
On cite souvent l’Australie en exemple, mais il faut, dans un premier temps, se rappeler que l’Australie ne possède pas de charte des droits et libertés et que, de plus, la réussite australienne découle du fait que les Australiens sont passés d’un système sans contrôle à un système misant sur des contrôles aléatoires. Lorsque le Canada est passé d’un système où il n’y avait pas de contrôle à un système où on pouvait procéder à des contrôles en fonction de soupçons, nous avons aussi constaté une importante réduction des taux, alors il ne faut pas s’attendre à la même réduction que celle dont a bénéficié l’Australie.
L’introduction du dépistage obligatoire causera des problèmes au système de justice pénale, tant du point de vue des ressources que du point de vue des retards devant les tribunaux. En outre, nous ne sommes aucunement convaincus que ces difficultés permettront d’obtenir des résultats importants.
Il faut se rappeler que la législation n’est pas la seule façon de combattre le problème de la conduite avec facultés affaiblies. L’éducation publique joue un rôle majeur. Pour ce qui est des modifications législatives, la Section du droit pénal de l’ABC a demandé l’adoption d’une approche prudente liée à toute modification législative dans ce domaine et continue de le demander.
Jonathan Leebosh, membre, Section du droit de l’immigration, Association du Barreau canadien : Je serai très bref et je vais me concentrer sur l’incidence au chapitre de l’immigration des changements proposés à l’article 320.19 au sujet des peines maximales liées à la conduite avec facultés affaiblies.
L’augmentation de la peine maximale en vertu de cet article, qui la fixe à 10 ans, est importante. Cela fera en sorte que les infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies seront visées par la disposition liée à la grande criminalité appliquée par la Section de l’immigration. Cela pourrait très bien faire en sorte que des résidents permanents du Canada seront interdits de territoire, alors qu’ils se sont bien établis ici depuis de très nombreuses années. Une seule infraction de conduite avec facultés affaiblies au Canada pourrait faire en sorte qu’un résident permanent fasse l’objet d’une mesure d’expulsion et perde son statut de résident permanent.
Actuellement, le fait d’être coupable d’une infraction de conduite avec facultés affaiblies à l’extérieur du Canada n’a pas d’incidence sur la résidence permanente. Au titre de la disposition proposée, une déclaration de culpabilité liée à une infraction de conduite avec facultés affaiblies à l’étranger pourrait mener à la prise d’une mesure d’expulsion sans même que le résident permanent visé puisse se prévaloir d’un droit d’appel.
La disposition proposée exercera aussi une pression importante sur les ressources du gouvernement, minant la capacité des agents d’immigration et des agents des services frontaliers de traiter rapidement les demandes, ce qui aura pour effet de ralentir la circulation des voyageurs légitimes à la frontière. Nous nous attendons aussi à ce que cela ait une incidence importante sur le tourisme ou l’industrie du voyage au Canada.
Nous recommandons de modifier la peine maximale pour la fixer à 10 ans moins un jour. On évitera ainsi que les dispositions liées à la grande criminalité s’appliquent. On protégerait ainsi les Canadiens contre la conduite avec facultés affaiblies sans générer de graves conséquences liées au droit de l’immigration. Merci beaucoup.
Le président : Nous allons maintenant passer à M. Bryant, de l’Association canadienne des libertés civiles.
Je vous demande de suivre l’exemple de nos autres invités, puisque nous avons peu de temps.
[Français]
Michael Bryant, directeur exécutif et avocat général, Association canadienne des libertés civiles : L’Association canadienne des libertés civiles lutte pour les libertés depuis plus de 50 ans.
[Traduction]
L’Association canadienne des libertés civiles a été fondée en 1964. Il s’agit d’une organisation nationale indépendante, sans but lucratif, et non gouvernementale. Nous interagissons avec les pouvoirs judiciaires, exécutifs et législatifs de l’État dans les situations où ces pouvoirs sont exercés aux dépens des Canadiens et de leurs libertés civiles.
Notre mémoire, daté du 18 septembre 2017 à l’intention du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, est un brillant document de 19 pages rédigé par Mme R. De Luca. Je vais vous épargner une lecture attentive ici, mais je vous le recommande.
En tant que 35e procureur général de l’Ontario, je peux vous dire que ce projet de loi est vraiment un affront aux nombreuses provinces de notre pays et à notre système fédéraliste, au sein duquel la Colombie-Britannique, l’Ontario et le Québec se sont dotés d’approches très différentes en matière de lutte à la conduite avec facultés affaiblies.
Plutôt que de choisir la meilleure de ces approches ou de les combiner, Ottawa a décidé qu’il était plus avisé. Il a créé sa propre approche qui, supposément, augmentera notre sécurité. Cependant, ce qui est sûr, c’est qu’il s’agira d’un pas en arrière pour les libertés civiles au Canada.
Il s’agit du projet de loi le plus attentatoire qui soit. Il punira les pauvres et créera le pouvoir juridique nécessaire pour justifier la discrimination systémique. Il aura aussi pour effet d’accroître les pressions sur les ressources d’aide juridique provinciale, sans pour autant prévoir un soutien connexe pour Aide juridique Ontario et ses homologues provinciaux.
Je vais parler de deux articles précis. Le premier concerne le dépistage obligatoire ou ce qu’on appelle les tests d’haleine aléatoires. Il s’agit en quelque sorte d’une légalisation du profilage. C’est ce que c’est. Lorsqu’on créera un barrage pour réaliser des tests d’haleine aléatoires à l’angle de Jane et Finch, à Toronto, dans certaines parties de Winnipeg et de Vancouver, dans les quartiers musulmans de Maple et dans les quartiers ethniques de Halifax, les résidants de tous ces endroits auront l’impression que les policiers les ciblent en raison de la couleur de leur peau, de la langue qu’ils parlent ou de leur religion. Cela provoquera une prolifération du profilage racial selon l’endroit où les tests d’haleine aléatoires ont lieu.
Selon nous, le paragraphe 320.27(2) proposé devrait être éliminé. Il s’agit d’un tournant important au sein de notre système de justice pénale. Il permet une fouille sans mandat et sans justification, et une saisie sans mandat de notre haleine et de nos fluides corporels sans motif. C’est un changement radical par rapport à la façon dont fonctionnait jusqu’à présent notre pays et la Charte des droits et libertés.
Ce sera maintenant un crime pour une personne de refuser que l’on recueille sans mandat et sans motif un échantillon de son haleine. Ils ne pourront pas se défendre en disant qu’ils ne connaissaient pas le projet de loi C-46.
En conclusion, en ce qui a trait aux amendes obligatoires de 2 000 $, je suis sûr que les sénateurs savent qu’une population distincte du pays ne pourra pas payer ces 2 000 $. Un des principes fondamentaux du système de justice canadien, c’est que, si une personne ne peut pas payer une amende, un juge ne devrait pas lui imposer. Les amendes obligatoires vont à l’encontre de ce principe. Les personnes présentes ici, mieux que partout ailleurs, savent que les principes de dissuasion ne fonctionnent pas et sont régulièrement contredits par les criminologues.
Par conséquent, nous recommandons d’éliminer les paragraphes 320.19(3) et 320.19(4) et demandons la modification de l’alinéa 320.19(1)a) par l’ajout du mot « présumée » à l’expression « peine minimale ».
Pour terminer, l’approche punitive rétrospective du projet de loi est un pas en arrière, qui paralyse les tribunaux novateurs axés sur la réadaptation au Québec, en Ontario et dans de nombreuses autres provinces. C’est un pas en arrière, qui mettra des bâtons dans les roues des cercles de détermination de la peine autochtones, parce qu’on retirera à ces cercles la possibilité de gérer ces infractions précises en raison des peines obligatoires.
Le projet de loi C-46 maintient l’aveuglement volontaire du Parlement à l’égard de la contribution de l’alcoolisme et de la toxicomanie au problème de la conduite avec facultés affaiblies. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Bryant. Vous êtes un témoin exemplaire.
J’invite maintenant James Palangio, de l’Association canadienne des juristes de l’État.
James Palangio, avocat de la Couronne, Association canadienne des juristes de l’État : Honorables sénateurs, je suis heureux de comparaître devant vous aujourd’hui au nom de l’Association canadienne des juristes de l’État.
L’ACJÉ réunit des organisations de procureurs de la Couronne, d’avocats spécialisés en droit civil et de notaires qui œuvrent pour la Couronne au sein du gouvernement fédéral et dans chacune des provinces. Ces organisations membres représentent les procureurs de la Couronne et les avocats du gouvernement spécialisés en droit civil qui sont sur la première ligne dans chacune des provinces ainsi que le Service fédéral des poursuites et le ministère de la Justice.
Le président de l’association, M. Rick Woodburn, m’a demandé de comparaître devant vous en raison de mon expertise du droit sur la conduite avec facultés affaiblies. Puisque je comparais au nom de l’ACJÉ, les points de vue et les opinions que j’exprime ici aujourd’hui ne doivent pas nécessairement être perçus comme représentant les points de vue et les opinions de mon employeur, le procureur général de l’Ontario.
J’ai commencé ma carrière de procureur de la Couronne dans le nord-est de l’Ontario, il y a 25 ans. J’ai exercé le droit dans des petits villages et des grandes villes partout dans la province. Dans mon rôle actuel d’avocat au Bureau des avocats de la Couronne en droit criminel, j’ai abordé plusieurs cas importants de conduite avec facultés affaiblies devant la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour suprême du Canada.
Au cours des 22 dernières années, j’ai enseigné le droit sur la conduite avec facultés affaiblies à des avocats de la Couronne débutants ou expérimentés de l’Ontario et de partout au Canada. Au cours des 14 dernières années, j’ai participé au groupe de travail FPT sur la conduite avec facultés affaiblies, l’organisme responsable de l’élaboration des réformes liées à la conduite avec facultés affaiblies présentée en 2008 dans la Loi sur la lutte contre les crimes violents ainsi que des réformes figurant dans le projet de loi que vous étudiez actuellement, dont certains aspects sont en cours d’élaboration depuis maintenant près de 10 ans.
Alors que le Canada va de l’avant avec la légalisation du cannabis, d’importantes modifications des lois canadiennes sur la conduite avec facultés affaiblies sont nécessaires et inévitables. Le Parlement a aussi décidé de profiter de l’occasion pour moderniser, simplifier et rationaliser les lois canadiennes sur la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool en procédant à la plus importante réforme de ces dispositions des 50 dernières années, reconnaissant ainsi l’évolution de la science sur laquelle s’appuient les instruments modernes approuvés et ce que nous savons jusqu’à présent au sujet de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.
Parmi ces changements, le Parlement a criminalisé le fait de consommer de grandes quantités d’alcool avant de conduire un véhicule ou pendant qu’on le fait, ce qu’on appelle aussi la défense du « dernier verre », un geste décrit par la Cour suprême du Canada comme étant irresponsable à l’égard de la sécurité publique et pathologique. Le Parlement a aussi décidé de limiter l’acte de consommer de l’alcool après avoir conduit dans certaines circonstances, geste que la Cour suprême du Canada a décrit comme un méfait, visant à contrecarrer les enquêtes policières et un acte reflétant un mépris cavalier à l’égard de l’intégrité du système de justice pénale.
Parmi les nombreuses dispositions visant à rationaliser les procès, mentionnons l’introduction législative d’un simple calcul arithmétique visant à déterminer l’alcoolémie d’une personne lorsque l’échantillon d’haleine ou de sang est retardé plus de deux heures.
Les tribunaux d’appel ont accepté, à la lumière de 50 ans de témoignages d’expert, que le corps humain élimine l’alcool à un taux d’au moins 10 milligrammes par 100 millilitres de sang par heure. Ce calcul nouvellement codifié éliminera le besoin d’avoir recours à des témoignages d’expert, qui sont, à la fois, coûteux et chronophages, et permettra vraiment d’aider à réduire les retards devant les tribunaux et le besoin de procéder à des démarches judiciaires inutiles.
Si l’expérience d’autres sociétés libres, démocratiques et diversifiées est une indication, le dépistage obligatoire de l’alcool promet d’être, l’aspect dissuasif et à même de sauver des vies, le plus efficace du projet de loi C-46. Il y a une preuve accablante selon laquelle des agents de police formés ne peuvent pas toujours dépister la présence d’alcool dans le corps d’une personne, soit à l’odeur, soit en posant des questions. Par conséquent, de nombreux conducteurs qui, sinon, feraient l’objet des mesures de dépistage actuelles, ne sont pas détectés. Le dépistage obligatoire de l’alcool vise à surmonter ces limites en permettant d’identifier plus de conducteurs qui ont de l’alcool dans le sang et qui constituent peut-être un risque pour la sécurité publique.
La conduite, autorisée au terme d’un processus strict, est une activité intrinsèquement dangereuse et hautement réglementée. Pour la plupart des Canadiens, le geste le plus risqué qu’ils posent régulièrement, c’est de monter dans le véhicule. Réduire ce risque grâce à la dissuasion est depuis longtemps l’objectif général du régime de lutte à la conduite avec facultés affaiblies du Canada. L’aspect dissuasif du dépistage obligatoire de l’alcool et d’autres aspects du projet de loi C-46 ne doivent pas être sous-estimés. Non seulement la dissuasion accroît la sécurité publique, mais elle réduit aussi le nombre de chefs d’accusation au sein du système de justice, ce qui permet de réduire les délais.
Il ne fait aucun doute que la science et les connaissances liées à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue progressent, mais elles sont loin d’avoir atteint le niveau de compréhension que nous possédons actuellement pour ce qui est de l’alcool. À mesure que notre compréhension de l’affaiblissement des facultés causé par la drogue évoluera, ces dispositions évolueront aussi.
L’ACJÉ a proposé des modifications dans son mémoire afin de réduire au minimum l’incidence des litiges prévus après l’entrée en vigueur du projet de loi C-46 et a réglé des enjeux qui sont actuellement non réglés devant les tribunaux canadiens. Les modifications visent à réduire les recours aux tribunaux et à s’assurer que les dossiers sont tranchés en fonction de leur mérite, sans qu’il y ait d’obstacles liés à des subtilités inutiles.
Nous avons formulé ces recommandations en tenant compte du fait que les dispositions du code qui portent sur la conduite d’un véhicule fonctionnent harmonieusement les unes avec les autres pour que soient atteints les objectifs du législateur et que toute modification proposée tienne aussi compte de l’effet sur l’ensemble du cadre.
J’espère que ma comparution devant vous aujourd’hui pourra vous aider à composer avec les aspects plus techniques, du projet de loi ou du droit, liés à la conduite avec facultés affaiblies en général. Merci.
Le président : Pour terminer les déclarations, nous passons maintenant à M. Bebbington, qui sera suivi de son collègue.
Howard Bebbington, président, Comité d’examen des politiques, Association canadienne de justice pénale : Je tiens à commencer par souligner que l’ACJP fêtera ses 100 ans en 2019, ce qui intéresse peut-être le comité.
Nous sommes un organisme bénévole national indépendant voué à l’amélioration du système de justice au Canada. Nous comptons 700 membres à l’échelle du pays, des membres qui représentent différentes composantes du système de justice pénale, y compris des criminologues et d’autres universitaires, des avocats, des policiers, des personnes qui soutiennent les victimes, des agents de probation, des agents de libération conditionnelle, d’autres travailleurs correctionnels et ainsi de suite.
Nous visons à promouvoir un débat rationnel, éclairé et responsable pour contribuer à l’élaboration d’un système de justice plus humain, équitable et efficace. Nous publions, chaque année, la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale. Nous organisons également tous les deux ans le Congrès canadien de justice pénale.
Les sénateurs ont accès à notre mémoire, alors je ne vais pas le passer en revue de façon détaillée, mais je tiens à commencer par féliciter le gouvernement fédéral de ses efforts visant à mettre à jour et à moderniser ce qui est un domaine difficile du droit, qui a fait l’objet de beaucoup de litiges et qui a engendré vraiment beaucoup de retards au sein du système. Nous croyons que ses efforts sont particulièrement importants, étant donné la légalisation de la marijuana.
Cependant, le projet de loi est aussi problématique à plusieurs égards. Notre principale préoccupation concerne le fondement probatoire de l’infraction reposant sur la prétendue limite légale, les infractions reposant sur la concentration de drogue dans le sang. Nous croyons vraiment que les politiques liées à la justice pénale doivent être fondées sur des preuves, mais nous sommes très préoccupés par les données probantes liées aux infractions reposant sur l’établissement de limites légales.
Le comité n’a qu’à examiner les éléments de preuve qui lui ont déjà été présentés, en commençant par la comparution du 31 janvier de la ministre de la Justice. Dans son témoignage, elle a admis, assez candidement, que les données scientifiques liées à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue et la reconnaissance des niveaux d’affaiblissement des facultés des gens ne sont pas aussi avancées ou exactes que dans le cas de la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool. Elle a mentionné le besoin de continuer de suivre ce qui se passe dans le milieu scientifique. Elle a parlé de concentration de drogues dans le sang de deux et de cinq nanogrammes, deux seuils qui existent dans différentes administrations. Apparemment, le Canada adoptera les deux pour deux fins différentes, mais, encore une fois, nous remettons en question le fondement scientifique du choix de ces niveaux ou de tout autre niveau pour établir les seuils d’affaiblissement des facultés.
Je tiens à rappeler au comité le renvoi du sénateur Carignan aux études réalisées par l’American Automobile Association en partenariat avec l’Association internationale des chefs de police. Ils ont conclu qu’il n’y avait pas de corrélation entre les deux. Tout dépend de beaucoup de facteurs.
Au sein de notre organisation, nous ne sommes pas des scientifiques. Nous ne sommes pas des biologistes ni des toxicologues, mais nous remettons vraiment en question les données probantes sur lesquelles s’appuient les infractions reposant sur l’établissement des limites légales et nous suggérons au gouvernement de reporter la mise en œuvre de ces dispositions jusqu’à ce qu’on ait accès à de meilleures données scientifiques.
Le deuxième point que je veux soulever, et j’espère le faire rapidement, c’est le recours à la réglementation pour établir les taux de concentration de drogue dans le sang. Selon nous, il est crucial que, au sein du système de justice pénale, les normes permettant de distinguer les comportements innocents et criminels soient établies dans la loi, comme c’est le cas de l’alcoolémie actuellement. Nous croyons qu’il est important que ces niveaux fassent l’objet d’un débat public devant le Parlement. Nous croyons aussi que c’est important du point de vue de l’accessibilité, tant pour le public que pour les intervenants de la communauté juridique.
Je vais demander à mon collègue, François Boillat-Madfouny, de parler de mon troisième point, qui concerne le dépistage obligatoire de l’alcool.
François Boillat-Madfouny, membre du Comité d’examen des politiques de l’ACJP, Association canadienne de justice pénale : Je serai très bref. Essentiellement, l’ACJP croit qu’il y a trop de conducteurs avec les facultés affaiblies par l’alcool sur la route, et le dépistage obligatoire de l’alcool permettrait de réduire de façon importante leur nombre. Si nous regardons différents pays du Commonwealth et pays européens qui ont adopté de telles lois et qui ont eu beaucoup de succès, nous croyons que ce pourrait être une intéressante façon de faire.
Le dépistage obligatoire de l’alcool peut aussi aider à assurer l’efficacité des tribunaux en réduisant le fardeau de la preuve imposé à la Couronne. Nous reconnaissons les risques que présente le dépistage obligatoire de l’alcool dans la Charte. Cependant, l’ACJP croit, tout de même, qu’il y a des arguments solides et valables pouvant justifier des violations des articles de la Charte.
Heureusement, ce sera à nos tribunaux de prendre cette décision, mais l’ACJP croit qu’il existe des arguments solides et valables.
M. Bebbington : Je veux soulever deux autres points. Nous sommes très préoccupés par l’utilisation constante par le gouvernement des peines minimales obligatoires, malgré les éléments de preuve chronologiques clairs qui militent contre de telles peines.
Selon nous, pas besoin de regarder plus loin que la documentation figurant sur le site web du ministère de la Justice. Si vous regardez sous les rubriques « Pourquoi nous transformons le système de justice pénale » et « Moins de latitude pour les juges »:
[…] certains laissent entendre que les peines minimales obligatoires confèrent de la certitude au processus de détermination de la peine et aident à assurer un traitement équitable. En pratique, par contre, ces peines font en sorte qu’il est difficile de veiller à ce que les sanctions soient proportionnelles aux crimes. »
Le ministère de la Justice poursuit ainsi :
Des études menées aux États-Unis et ailleurs démontrent qu’elles n’ont pas d’effet dissuasif. Selon des données récentes, les peines minimales obligatoires donneraient lieu à des peines plus courtes, à moins de plaidoyers de culpabilité et à des procès plus longs (ainsi qu’à plus de contestations fondées sur la Charte). Plus de victimes sont obligées de témoigner, et les arriérés augmentent.
Encore une fois ce sont les propos du ministère de la Justice tels qu’ils figurent sur le site du ministère.
Selon nous, les éléments de preuve sont très clairs. La Cour suprême du Canada a tranché dans les arrêts Nur et Lloyd, et la Cour d’appel de l’Ontario a fait de même, au cours de la dernière année, dans l’affaire Morrison, une affaire liée à des infractions sexuelles contre des enfants où la peine minimale a été invalidée. Il ne peut pas y avoir une infraction plus grave que celle-là.
Le président : Veuillez conclure, s’il vous plaît.
M. Bebbington : Je suis désolé. La jurisprudence est claire. Nous faisons valoir que les peines minimales obligatoires sont mal fondées en droit et sont de mauvaises politiques.
Pour conclure, nous prions vraiment le gouvernement fédéral d’augmenter son soutien et le financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie, des programmes de traitement et des autres solutions réparatrices dans l’espoir de trouver une solution plus humaine et plus durable à certains de ces problèmes.
Merci, toutes mes excuses.
Le président : Non, il n’y a pas de problème.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma première question s’adresse à l’Association du Barreau canadien. Merci à vous tous d’être ici pour nous éclairer sur les problèmes que vous appréhendez dans le cadre de ce projet de loi.
Vous dites que vous avez des préoccupations en ce qui concerne les nouvelles procédures judiciaires coûteuses que cette législation introduira, que cela donnera lieu à de nombreuses contestations constitutionnelles devant les tribunaux. Vous dites que le gouvernement devrait retarder la mise en œuvre des limites per se, des données précises. Selon vous, une fois que la science sera plus sûre, cela vous amènerait-il à accepter ce genre de limites ou si vous dites que, de toute façon, il y aura des contestations constitutionnelles, comme il y en a eu d’ailleurs avec l’alcool?
[Traduction]
Mme Pentz : Je crois qu’il y aurait des contestations devant les tribunaux, peu importe, mais nous aurions de meilleurs arguments à faire valoir aux tribunaux et de meilleurs éléments de preuve. Comme cela a été mentionné, il faut une approche fondée sur des données probantes.
Actuellement, les experts disent qu’on ne peut pas vraiment obtenir une corrélation entre le niveau de drogue dans l’organisme d’une personne et son niveau d’affaiblissement des facultés.
Nous craignons beaucoup que les limites légales elles-mêmes ne permettent pas d’atteindre l’objectif escompté. Certaines personnes dont les facultés sont affaiblies passeront à travers les mailles du filet, et certaines autres seront au-dessus des limites sans que leurs facultés soient affaiblies. Ce sont là nos préoccupations.
Si la science évolue, nous pourrons réévaluer nos préoccupations.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Votre position concernant les tests aléatoires pour la consommation, MAS, s’explique-t-elle par le fait que ce sont des tests totalement aléatoires? Cela veut-il dire que vous seriez d’accord s’il s’agissait, par exemple, de barrages routiers, de points précis et délimités, connus à l’avance? Votre position serait-elle la même ou si vous considérez que, de toute façon, qu’ils soient annoncés ou non, les tests aléatoires posent problème sur le plan des libertés civiles?
[Traduction]
M. Bryant : Le problème, c’est que les policiers peuvent contourner cette étape très importante.
Ce n’est pas le fait que les tests sont aléatoires qui importe, mais le fait qu’ils sont obligatoires.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à M. Palangio. Comme je poserai une seule question, je vais me permettre d’ajouter un commentaire à Me Bryant en ce qui concerne les sentences minimales.
La conduite avec facultés affaiblies causant la mort entraîne une amende de 1 000 $ pour une première infraction. Pour une deuxième infraction, c’est 2 000 $. Pour les familles des victimes, c’est difficile à avaler.
Monsieur Palangio, des représentants de Statistique Canada ont comparu devant notre comité il y a quelques semaines pour nous informer sur les délais dans les cas de poursuite pour conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Ces délais sont deux fois plus longs. De plus, les cas de conduite avec facultés affaiblies par l’alcool ont presque doublé chez les 18 à 34 ans au cours des dernières années, même s’il y a réduction de la consommation.
Ce matin, j’écoutais un reportage d’une région de l’Est du Québec où on disait que seulement trois policiers sont formés pour le dépistage des drogues. Le procureur de la Couronne affirmait que, en raison de la complexité de la loi actuelle et du manque de ressources, on pense abandonner de nombreuses mises en accusation, puisque les gens sur le terrain ne sont pas prêts.
Selon votre expérience, et en raison de la complexité que représentent les contrôles routiers, particulièrement en ce qui concerne la marijuana, comment les policiers procéderont-ils sur le terrain au cours des prochains mois? Il y a une grande crainte chez les policiers et les procureurs de la Couronne, car le système n’est pas prêt à absorber les impacts de cette loi.
[Traduction]
M. Palangio : On a fait beaucoup d’efforts pour former plus d’agents relativement au TSN et dans le cadre du programme d’ERD afin que tout soit prêt au moment de la légalisation. Le problème, c’est que c’est un processus compliqué dans la mesure où il faut prévoir les cours en classe et faire venir des agents de partout au pays ou de partout au sein d’une province afin qu’ils y participent.
Les choses ont été mises en branle. Si la question, c’est : « A-t-on ce qu’il faut sur le terrain en vue de la légalisation qui s’en vient? » alors, je ne crois pas. Nous faisons du mieux que nous pouvons pour former et préparer les agents.
Le sénateur Gold : Bienvenue à tous. Ma question concerne le dépistage obligatoire et aléatoire de l’alcoolémie. Je vais donc la poser à l’Association canadienne des libertés civiles, dont je suis un ancien membre — j’ai aussi été un ami, à une autre époque, du regretté Alan Borovoy, dont nous déplorons la disparition —, et à l’Association du Barreau canadien, dont je suis aussi membre.
Dans vos deux mémoires, vous avez déclaré ne pas penser que ces dispositions résisteront à un examen constitutionnel. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet s’il vous plaît?
Je veux connaître plus précisément vos réactions au mémoire et à l’analyse de M. Hogg. Peu importe les atteintes à première vue relativement à un certain nombre de droits… Nous pouvons être en désaccord au sujet de l’article 8. Je ne veux pas qu’on entre trop dans les détails, mais c’est constitutionnel en vertu de l’article premier de la Charte.
M. Bryant : Je répondrai que M. Hogg a donné son opinion à l’organisation Les mères contre l’alcool au volant en 2010. À ce moment-là, il n’avait pas pu examiner les délibérations de la Fondation de recherches sur les blessures de la route qui résumaient toutes les données probantes.
À la page 6 de notre mémoire, nous disons que les recherches actuelles ne permettent pas de prouver que les contrôles aléatoires de l’alcoolémie sont plus efficaces que le statu quo, soit les tests d’haleine sélectifs.
En d’autres mots, si, au bout du compte, le test est fondé sur une limite raisonnable et, en retour, si tout ça est proportionnel et qu’on s’efforce d’adapter la violation, d’un côté, et la solution, de l’autre, il y a une façon moins inconstitutionnelle de procéder qui s’est révélée efficace par le passé.
De ce point de vue, je ne sais pas si M. Hogg savait tout ça à ce moment-là. C’était déjà très serré lorsque la Cour suprême du Canada a tranché, parce qu’elle a conclu que la liberté et la dignité étaient en jeu lorsqu’on demande à quelqu’un de fournir un échantillon d’haleine ou d’urine. Il s’agissait d’une violation importante de la liberté prévue à l’article 7 et de la sécurité de la personne.
Il a fallu une importante adaptation et des efforts prudents des provinces pour mettre en place des systèmes au sein desquels on se donnait beaucoup de peine pour éviter toute fouille et saisie non constitutionnelle qui, pourrait-on dire, était nécessairement exigée dans cette loi. Cette disposition fait fi du premier critère essentiel appliqué dans tous les autres cas de détention, de fouille et de saisie sans mandat, soit l’exigence d’un motif raisonnable et probable.
Le sénateur Gold : Si vous me permettez une précision, le mémoire que M. Hogg a présenté au comité de la Chambre des communes était daté du 14 septembre 2017, alors, au moins, son analyse est d’actualité.
M. Bryant : Vous parlez de son témoignage?
Le sénateur Gold : Son mémoire adressé au comité permanent.
M. Bryant : Il était fondé sur un article qu’il a écrit en 2010, mais je me trompe peut-être.
Le sénateur Gold : M. Hogg est un constitutionnaliste respecté, le plus éminent de sa génération.
M. Bryant : Oui.
Le sénateur Gold : Même s’il est professeur émérite, il se tient au fait de la loi et de la jurisprudence. Je présume que son opinion est tout à fait éclairée par la jurisprudence et les différents avis quant au poids qu’il faut donner aux éléments de preuve associés à l’efficacité des tests d’haleine aléatoires.
M. Bryant : Infaillible?
Le sénateur Gold : Non, personne n’est infaillible.
M. Bryant : Exactement.
Mme Pentz : Ce qui est préoccupant, c’est que, lorsque nous regardons les études réalisées dans les autres administrations, ça ne va pas de soi. Nous regardons ce qui se passe en Australie et dans d’autres pays et nous affirmons pouvoir reproduire ces résultats, ici.
Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles la même démarche ne fonctionnera pas ici, et c’est en partie en raison de la nature de notre pays et de notre population. Les statistiques montrent que, dans les grandes métropoles, il y a une incidence plus marquée des cas de conduite avec facultés affaiblies. Il faut regarder tous les facteurs précis uniques à notre pays.
L’Australie a toujours été vue comme un modèle dans ce dossier, mais il faut voir les ressources que les Australiens ont déployées. En effet, les études révèlent que, en Australie, ils ont prélevé un grand nombre d’échantillons et ont testé le tiers des conducteurs en un an. Cela se traduirait par 3 millions de conducteurs testés au Canada et 82 000 tests par jour en Ontario seulement.
On peut imaginer les ressources requises pour un tel effort, et nous ne les avons pas. Si nous n’avons pas les ressources pour bien mettre en œuvre le programme, nous n’obtiendrons pas un quelconque effet dissuasif.
Le sénateur Gold : Vous me corrigerez si j’ai tort, mais nous avons entendu des témoignages selon lesquels le gouvernement ne s’attend pas à la même diminution du nombre de conducteurs avec facultés affaiblies qu’en Australie parce que la situation de départ est différente. Malgré tout, du moins, c’est ce qui ressort de l’analyse, il y aura une importante diminution du nombre de conducteurs avec les facultés affaiblies, et on pourra sauver beaucoup de vies.
Afin de comparer des pommes avec des pommes, les responsables ont tenu compte de tout ça. Est-ce ainsi que vous comprenez les choses vous aussi?
Mme Pentz : Je crois vraiment qu’ils ont tenté de le faire, mais je ne suis pas sûre qu’ils aient réussi.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à l’ensemble de nos témoins. J’ai aussi des difficultés avec la limite en soi, en raison de la preuve qu’on entend sur l’absence de données scientifiques faisant la distinction entre limite et facultés affaiblies. Je m’inquiète devant le cumul de situations et la chaîne d’évènements.
Prenons l’exemple d’un policier qui arrête un individu. Il va lui demander de soumettre un échantillon aux fins de dépistage du cannabis. L’infraction se produit dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire. Deux heures au moins se sont peut-être écoulées. On lui demande un échantillon de salive, qu’on insère dans un appareil. L’appareil détecte la présence d’une substance, mais pas la quantité. Comment peut-on avoir un motif raisonnable de croire qu’il y a infraction en présence de cinq nanogrammes si l’appareil n’en mesure pas la quantité?
On arrive à la conclusion qu’il y a infraction, donc on pousse l’enquête un peu plus loin. On demande alors une prise de sang. Voilà maintenant plus de trois heures que la personne a cessé de conduire. Selon certaines études, on sait que le taux de THC dans le sang peut chuter de 75 p. 100 en l’espace de 30 minutes. Or, on ne voit toujours pas de lien entre la prise de l’échantillon de sang et l’infraction. Par la suite, on arrive à une infraction prévue par règlement. Je n’ai pas souvent vu d’infraction criminelle où l’actus reus était prévu par règlement plutôt que par une loi adoptée par le Parlement.
Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que cette façon de faire est complètement arbitraire. On crée un faux sentiment de sécurité du fait qu’une loi existe. Toutefois, le principe ne sera que théorique, car le cumul de circonstances arbitraires et d’éléments irrationnels fera en sorte que les tribunaux annuleront cette partie.
[Traduction]
M. Bryant : Exactement, je dirais, et ce, peu importe si ce que vous venez de décrire respecte la Constitution et si M. Hogg a raison de dire qu’une telle mesure est bel et bien constitutionnelle.
[Français]
Le sénateur Carignan : Le professeur Hogg n’a pas donné d’opinion à ce sujet.
[Traduction]
M. Bryant : Je comprends. Peu importe, cela ne signifie pas nécessairement que c’est une excellente politique. Je dirais plutôt que, peu importe si la mesure est conforme à la Charte, cela exige le genre de faute de logique que vous avez mentionné dans votre question, et je suis d’accord avec vous.
[Français]
Le sénateur Carignan : Sur la question du seuil, des experts nous ont dit que l’appareil va détecter le THC en trois familles, mais n’indiquera pas celle des opiacés, car trop de personnes prennent des médicaments et on risque de se retrouver avec un trop grand nombre de faux positifs. N’y a-t-il pas une sorte de discrimination qui est engendrée entre ceux qui prennent du cannabis à des fins médicales et ceux qui prennent un autre produit à base d’opiacés, étant donné que ces derniers ne feront pas l’objet de dépistage?
[Traduction]
Mme Pentz : L’ABC craint que ce sont les types d’arguments qui seront soulevés et qui créeront beaucoup de retards, malgré le fait que l’objectif est de rationaliser le processus. Nous sommes préoccupés par ces types d’arguments qui seront présentés devant les tribunaux.
Je crois que l’intention était de prendre les dispositions liées à l’alcool comme modèle. Cependant, dans le cas de l’alcool, il y a des contrôles routiers qui permettent de cerner des motifs de demander un échantillon d’haleine. C’est difficile de comparer l’alcool et les drogues à cet égard.
M. Palangio : Je crois que les données probantes soumises au comité ont permis d’établir — du moins les données reçues jusqu’à présent — que les dispositifs de dépistage salivaires ne fourniront pas de motif valable d’aller plus loin. Ils ne fournissent pas d’élément de preuve de facultés affaiblies, et il n’y a pas de corrélation entre les résultats et ce qu’il y a dans le sang.
La présence de drogue dans la salive n’est pas une infraction. Pour que les agents aillent de l’avant, arrêtent la personne et poussent l’enquête plus loin, ils ont besoin de motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été perpétrée.
M. Bebbington : Étant donné tous les litiges constitutionnels et les retards que tous les facteurs que vous avez mentionnés causeront sans doute, il faut tenir compte de la grande confusion que cela créera dans l’esprit des gens.
C’est extrêmement difficile de comprendre en quoi cela pourrait aider à combattre le risque potentiel de conduite avec les facultés affaiblies par la drogue. Nous sommes d’accord avec les points que vous soulevez.
La sénatrice Eaton : L’alcool fait l’objet de dépistage obligatoire, mais pas les drogues. Les limites de THC associées aux infractions prévues au Code criminel sont établies dans un règlement. On dirait bien que la loi devance la science.
Ai-je raison? Dans l’affirmative, quelles sont les ramifications juridiques?
M. Palangio : Je crois que votre évaluation est probablement assez juste.
La sénatrice Eaton : La science a du retard sur la législation. J’ai une autre question à laquelle, j’espère, vous pourrez fournir une réponse plus étoffée.
Le dépistage obligatoire de l’alcool s’applique seulement dans le cas des véhicules motorisés, et pas aux moyens de transport comme les avions et les trains. Selon moi, les risques liés à ces moyens de transport sont plus importants puisqu’ils transportent beaucoup de passagers ou des matières dangereuses. Pourquoi ne pas avoir inclus ces moyens de transport dans la disposition sur le dépistage obligatoire de l’alcool?
Monsieur Bryant, êtes-vous enragé à l’idée qu’un pilote fasse l’objet d’un dépistage obligatoire?
M. Bryant : Non. Ces professions précises sont associées à de plus grandes responsabilités, ce qui signifie qu’il y existe déjà des régimes de dépistage des drogues et de l’alcool auxquels ces personnes sont soumises.
La sénatrice Eaton : Il y en a déjà?
M. Bryant : C’est exact. De plus, les infractions de négligence criminelle engloberaient tous les comportements du genre affichés par un pilote, dans ce cas-ci. Je crois que c’est la raison pour laquelle l’accent a été mis sur les conducteurs.
La sénatrice Eaton : Quelqu’un d’autre veut-il ajouter quoi que ce soit?
M. Palangio : Dans notre mémoire, nous recommandons au comité de modifier le projet de loi pour s’assurer que le dépistage obligatoire de l’alcool s’applique aux opérateurs de tous les moyens de transport.
La sénatrice Eaton : C’est ce que je pensais.
Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous d’être là aujourd’hui et de répondre à nos questions.
J’ai une question au sujet des antidémarreurs. Les antidémarreurs sont une option qu’un tribunal peut imposer immédiatement au moment du prononcé de la sentence. Il y a un aspect positif et un aspect négatif.
L’aspect positif, si je ne m’abuse, c’est que, si une personne plaide coupable, durant les 90 premiers jours, elle peut utiliser un tel système pour récupérer son permis.
L’aspect négatif, c’est que, si je ne me trompe pas, cette option est surtout accessible aux personnes financièrement aisées. En d’autres mots, c’est un programme dispendieux.
Cela dit, et compte tenu des différents niveaux de revenu et de l’équité, croyez-vous que nous devrions réfléchir à l’interdiction de conduire minimale obligatoire afin de déterminer s’il faudrait inclure une exception dans le système pour permettre à certaines personnes de continuer à travailler, de conserver leur emploi ou de faire d’autres choses importantes moyennant d’autres conditions strictes?
Mme Pentz : Assurément, il faudra encourager une façon de permettre aux gens de continuer à travailler tant que nous sommes convaincus qu’ils ne conduiront plus avec les facultés affaiblies.
Vous avez tout à fait raison. C’est une option onéreuse, et seules les personnes qui ont assez d’argent y ont actuellement accès. À moins qu’on investisse, peut-être, dans un type d’équipement moins onéreux, je ne crois pas qu’il y a une autre façon de procéder.
M. Bryant : On ne peut même pas imaginer actuellement avec combien d’autres types de situations les tribunaux devront composer. Le problème des peines minimales obligatoires, c’est qu’elles éliminent complètement la capacité du juge d’adapter la peine à l’infraction.
Comme cela a déjà été dit — pas par moi, mais par mon collègue qui représente les avocats de la Couronne —, le point, c’est ce qu’il a appelé les subtilités. Les avocats de la défense continueront de s’en servir, et ce, en raison des peines minimales obligatoires. C’est en raison de l’absence complète de solutions de rechange au procès. Il n’y a aucun incitatif à plaider coupable lorsqu’il y a des peines minimales obligatoires.
Il continuera d'y avoir ce que certains considèrent être des arguments facétieux qui, inévitablement, finiront par faire partie de la jurisprudence. Les tribunaux n’aiment pas les peines minimales obligatoires, et ils trouveront des façons de les contourner. Il est préférable d’apporter une modification, comme vous le proposez, et de remplacer le mot « obligatoire » afin de parler plutôt de « présumée ».
Le sénateur McIntyre : Oui, il y a les peines minimales obligatoires, mais il y a aussi l’interdiction de conduire minimale obligatoire.
Ce dont je parle, c’est l’interdiction de conduire minimale obligatoire. C’est vraiment le nerf de la guerre en ce qui concerne l’antidémarreur.
M. Bebbington : Je suis toujours surpris de voir que notre société est réticente à utiliser davantage les antidémarreurs, tout bonnement parce qu’il coûterait plus cher d’exiger des fabricants qu’ils les installent dans les voitures. Par ailleurs, nous ne semblons avoir aucun problème à assumer le coût de l’incarcération — parfois à long terme — des contrevenants.
Selon moi, il faut étudier la question sous plus d’un angle.
Le sénateur Pratte : J’ai aussi des doutes à propos des limites légales. Malgré tout, je dois admettre qu’ils s’appuient sur une certaine logique.
D’ailleurs, l’expérience des policiers qui affirment qu’il est plus difficile de reconnaître les signes qu’un conducteur a les facultés affaiblies par la drogue vient renforcer cette logique, jusqu’à un certain point. Il est difficile de porter des accusations contre eux, et même ensuite, les procédures judiciaires prennent longtemps avant d’aboutir.
Selon Statistique Canada, ce genre d’accusations mènent à un verdict de culpabilité dans peu de cas. C’est clairement un problème, et les limites légales sont susceptibles de le régler.
Le faible taux de détection, d’accusations et de déclarations de culpabilité pose un problème dans notre lutte contre la conduite avec capacités affaiblies par la drogue. Si nous n’utilisons pas de limites légales, comment pouvons-nous régler ce problème?
M. Boillat-Madfouny : Je dirais que l’ACJP n’est pas nécessairement opposée à l’établissement d’infractions reposant sur des limites légales. Seulement, nous n’avons pas de données probantes sur lesquelles nous appuyer présentement. Voilà pourquoi nous recommandons d’attendre.
Diverses raisons font que nous ne pouvons pas appliquer la même logique à la conduite avec capacités affaiblies par la drogue comme nous le faisons avec la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool, en particulier lorsqu’il est question de THC. Les deux diffèrent de nombreuses façons. Par exemple, la concentration de THC dans le sang ne reflète pas bien le temps écoulé depuis le moment où la substance a été consommée, contrairement à l’alcool. La présence de THC dans le sang d’un conducteur ne veut pas dire qu’il ressent encore l’effet psychoactif de la substance, à l’inverse de l’alcool. En établissant des infractions reposant sur les limites légales, on tient pour acquis que l’affaiblissement des facultés par le cannabis et le THC augmente la dangerosité sur la route, ce qui n’est pas encore prouvé.
Nous recommandons d’attendre que les études scientifiques produisent des données probantes qui pourront servir de fondement à l’établissement de ce genre d’infractions, lesquelles sont lourdes de conséquences lorsque la personne est déclarée coupable. Même lorsqu’il s’agit d’un délit mineur, une condamnation au criminel a des conséquences dramatiques.
Pourquoi devrait-on exposer les gens à ce genre de conséquences si leurs capacités ne sont pas affaiblies, s’ils ne sont pas dangereux sur la route?
Le sénateur Pratte : Je ne veux pas remettre en question votre jugement, mais qui décide du moment où ils auront suffisamment d’études? C’est un problème.
Par exemple, le Comité des drogues au volant de la Société canadienne des sciences judiciaires a, semble-t-il, recommandé ces limites au gouvernement, et le gouvernement a décidé de les accepter.
Mais ce n’est qu’un seul comité, alors qui peut dire si nous avons besoin de davantage d’études scientifiques? Je ne sais pas.
M. Bryant : Je dirais, étant donné les circonstances, que les tribunaux devraient trancher : les tribunaux devraient examiner les données scientifiques, peser les arguments et prendre en considération les témoignages et permettre les contre-interrogatoires par des experts.
D’ici à ce que le Parlement soit convaincu que les études scientifiques pour l’établissement des limites légales sont fiables et conformes à la Constitution, nous devrions laisser les tribunaux trancher.
M. Bebbington : C’est au Parlement de décider. Les tribunaux devront trancher la question si elle survient dans le cadre d’une véritable affaire, mais il faut avant tout décider si les données probantes sont satisfaisantes.
Nous ne remettons pas en question l’excellence des études scientifiques et du travail acharné qui sont accomplis, mais, selon nous, il n’y a pas de certitude encore assez solide pour établir une interdiction pénale qui pourrait mener à une condamnation criminelle.
Respectueusement, c’est à vous que revient la décision de conclure que les études sont convaincantes. Vous avez entendu les arguments des deux côtés.
M. Palangio : Une exigence prévue pour accuser quelqu’un d’une infraction reposant sur une limite légale est que l’échantillon de sang doit avoir été prélevé dans les deux heures, même s’il n’y a aucune donnée probante par rapport à cela. Si l’échantillon de sang a été prélevé après un délai de deux heures, il ne peut pas être utilisé comme élément de preuve pour une infraction reposant sur une limite légale.
C’est pour cette raison que le projet de loi a également renforcé les dispositions relatives aux experts en reconnaissance de drogues de façon à ce que leur avis soit admissible devant les tribunaux. La Cour suprême s’est penchée sur la question dans l’arrêt Bingley, la présomption — réfutable, bien sûr — selon laquelle si on détecte la présence d’une drogue dans un fluide corporel, on peut tenir pour acquis que c’est ce qui affaiblit les facultés.
Donc, on s’attaque au problème sur deux fronts : avec les limites légales pour la drogue et avec le renforcement des dispositions relatives aux ERD.
La sénatrice Batters : Beaucoup d’entre vous aujourd’hui se sont dits très préoccupés de la situation. Vous avez mûrement réfléchi à la question, et, selon vous, les dispositions relatives aux tests aléatoires de dépistage de la consommation d’alcool prévus dans ce projet de loi vont très probablement à l’encontre de la Charte.
Madame Pentz, vous avez témoigné devant le Comité permanent de la justice de la Chambre des communes au sujet du dépistage obligatoire en bordure de la route; vous avez dit, je cite :
[...] essentiellement, l’objection de l’ABC, c’est qu’il s’agit de tests aléatoires. Selon nous, il s’agit d’une violation de l’article 8 de la Charte et nous croyons que cette disposition ne résistera pas à une contestation constitutionnelle.
Dans votre mémoire, il est écrit :
Les tests d’haleine aléatoires (THA) ouvrent la porte à des contestations fondées sur la Charte qui engorgeraient le système sans produire de résultats tangibles.
Vous avez aussi écrit dans votre mémoire qu’il se pourrait fort bien que le critère de la peine minimale établi dans l’arrêt Oakes ne soit pas respecté.
Pour sa part, l’ACLC a indiqué ceci dans son mémoire :
De l’avis de l’ACLC, la mise en œuvre obligatoire des contrôles d’haleine aléatoires au Canada constituerait une fouille et une saisie abusives en violation de l’article 8 de la Charte.
Monsieur Bryant, je me serais attendu à ce que votre témoignage d’aujourd’hui, lorsque vous avez dit qu’il s’agissait du « projet de loi le plus attentatoire qui soit » aurait suffi à faire réfléchir le gouvernement actuel, mais il semble que je me sois trompée.
Madame Pentz, monsieur Bryant, peut-être pourriez-vous nous parler des effets probables de toutes ces dispositions potentiellement inconstitutionnelles. L’explosion de poursuites judiciaires qui va en découler va sûrement accentuer la crise des longs délais judiciaires qui sévit au Canada.
Mme Pentz : En résumé, quiconque fait l’objet de dépistage obligatoire et est forcé de fournir un échantillon pourra contester. Vous vous imaginez bien le nombre d’affaires qui vont engorger les tribunaux, sans parler de la Cour d’appel ensuite, puis de la Cour d’appel fédérale, et finalement de la Cour suprême du Canada.
Cela va non seulement causer des retards attribuables à l’engorgement des tribunaux provinciaux et des tribunaux d’appel, mais aussi avoir un impact énorme sur les autres affaires en instance.
Fondamentalement, nous ne croyons pas au bien-fondé de cette proposition. Le jeu n’en vaut pas la chandelle si nous risquons de congestionner le système, comme cela va probablement arriver.
La sénatrice Batters : Monsieur Bryant, peut-être pourriez-vous aussi commenter.
M. Bryant : Je ne veux pas répéter ce qui a déjà été dit, même si je suis d’accord. Je veux toutefois ajouter que la constitutionnalité des dispositions sera décidée, au bout du compte, par les tribunaux. Ensuite, en théorie, la question sera renvoyée au Parlement. Comme M. Hogg l’a dit, le processus prévoit un dialogue entre le Parlement et le système judiciaire.
Je tiens surtout à mettre l’accent moins sur la Charte, et davantage sur l’impact que le projet de loi aura sur les collectivités. Ce projet de loi risque de semer énormément de discorde, même si ce n’est pas l’intention du gouvernement, parce que la police va pouvoir obliger des gens à fournir un échantillon d’haleine ou un échantillon d’urine dans le cadre d’un contrôle routier, même sans raison ni motifs valables.
Dans notre société et à notre époque, le profilage racial, les contrôles d’identité et la discrimination contre les Autochtones — qui ressort toujours un peu plus tard — sont des problèmes extrêmement délicats. Il n’y a pas de pire moment pour introduire quelque chose qu’on dit « obligatoire » relativement à l’application de la loi.
La sénatrice Batters : Maître Palangio, je vous remercie des amendements que vous nous avez suggérés afin de réduire la durée du processus judiciaire et les retards. Vous savez sûrement que notre Comité des affaires juridiques a entrepris une importante étude sur les délais du système de justice pénale; vous comprenez donc à quel point nous nous intéressons à la question.
Pourriez-vous nous expliquer quel est, selon votre organisation, l’amendement le plus important que nous pourrions apporter au projet de loi?
Le président : Si vous voulez réfléchir, vous pourrez répondre plus tard.
M. Palangio : Je vais y réfléchir. J’en ai mentionné trois dans ma déclaration préliminaire.
Si j’avais à choisir une ou deux dispositions, ce serait celle de la relecture des résultats pour s’assurer que l’alcoolémie était de 20 milligrammes ou plus et celles sur la divulgation. M. Mayers est déjà venu témoigner à propos des messages indiquant une anomalie ou une erreur du dispositif. Bref, les modifications proposées dans le mémoire sont les plus importantes, mais si j’avais à en choisir deux, ce serait celles-là.
La sénatrice Boniface : Ma question s’adresse à M. Palangio. C’est à propos du dépistage obligatoire.
D’après ce que nous avons entendu, jusqu’à 30 p. 100 des conducteurs subissant un contrôle policier s’en sortent parce que les agents de police manquent de temps et de moyens.
Étant donné le travail que vous avez accompli pour le comité et l’expérience que vous avez acquise sur le terrain par rapport au dépistage obligatoire, je serais curieuse d’entendre vos commentaires à propos de l’incidence que cela pourrait avoir sur la sécurité publique et la sécurité des autres personnes sur la route. C’est ma première question.
M. Palangio : Le surintendant principal Charles Cox est venu témoigner l’autre jour, et je crois qu’il a très bien exposé les lacunes du dépistage obligatoire. Il ne s’agit pas d’un nouvel outil de contrôle.
D’une étude à l’autre, la proportion peut être aussi basse que 30 p. 100, mais elle peut aussi être plus élevée.
Ne soyez pas surpris, mais on peut sentir l’alcool. Il y a des gens qui vont mentir à la police lorsqu’on leur demande s’ils ont consommé de l’alcool. Ces personnes vont passer le contrôle routier, que ce soit un barrage ou un contrôle aléatoire en bordure de la route. Selon nous, les données montrent très clairement que ce n’est pas une façon efficace de déterminer si une personne a bel et bien consommé de l’alcool.
Le dépistage obligatoire résout une partie du problème. L’autre partie concerne la sensibilisation du public par rapport à la capacité des agents de police, y compris, tout spécialement, avec l’arrivée et la légalisation d’une nouvelle substance qui affaiblit les capacités. Donc, si on annonce publiquement le dépistage obligatoire, cela devrait avoir un effet dissuasif énorme non seulement sur les personnes qui choisissent de conduire en état d’ébriété — ce qui serait déjà fantastique —, mais aussi sur les conducteurs qui conduisent avec les facultés affaiblies par la drogue.
La sénatrice Boniface : Je crois que vous avez raison; c’est aussi ce qu’a dit M. Cox.
Ma deuxième question concerne les peines minimales. J’aimerais avoir votre opinion sur le sujet. Nous avons tous un peu de difficulté par rapport à cette question. Selon votre expérience, les mesures de dissuasion du public ont-elles un impact?
M. Palangio : Les tribunaux affirment depuis maintenant 30 ou 40 ans que la conduite avec facultés affaiblies est une infraction criminelle différente des autres. Les tribunaux se sont rendu compte que ce genre d’infraction peut être commise par de bons citoyens qui sont respectueux de la loi à tout autre égard. Les conséquences et les peines sévères sont plus susceptibles d’avoir un effet dissuasif sur cette catégorie de personnes.
L’aspect dissuasif de la loi réprimant la conduite avec facultés affaiblies ne se limite pas à la condamnation : il y a d’abord la certitude de se faire attraper; ensuite, la certitude d’être déclaré coupable; et finalement, la certitude d’être condamné à une lourde peine.
Tout cela a un effet combiné, et, selon les tribunaux, les peines minimales obligatoires ont aidé à réduire énormément les infractions de conduite avec facultés affaiblies pour cette partie de la population.
Les tribunaux ont fait des commentaires là-dessus chaque fois que le législateur a augmenté ou modifié les peines minimales obligatoires. Ils ont remarqué que lorsque le législateur augmentait les peines, il s’ensuivait une augmentation des peines relatives aux infractions plus graves, comme le fait d’infliger des lésions corporelles ou de causer la mort.
La sénatrice Pate : Pour continuer sur la lancée de la sénatrice Boniface, pourrais-je vous demander d’élaborer un peu? D’après ce que je comprends, la certitude d’être arrêté et déclaré coupable a un effet dissuasif plus important que la seule peine.
Vous avez d’ailleurs proposé, dans vos observations, des amendements potentiels prévoyant des options de traitement. Je serais curieuse de savoir dans quelle mesure ces options de traitement sont offertes aux personnes, d’après ce que vous en savez, ainsi que dans quel contexte. Les propose-t-on souvent?
Étant donné la façon dont les dispositions relatives à la présomption sont formulées, il est évident que c’est la personne qui fera la demande, mais êtes-vous au courant de cas où le procureur fait la demande, soit parce que la personne n’en a pas les moyens soit parce que l’avocat de la défense n’est pas au courant de ces dispositions ou ne les comprend pas bien?
M. Palangio : Chaque affaire est différente, dépendamment des éléments de preuve en question. Le fait que la personne a peut-être subi un traitement joue également pour beaucoup. Le tribunal qui détermine la peine va prendre tout cela en considération pour que la peine soit juste.
Ce projet de loi offre pour la première fois aux provinces et aux territoires d’appliquer les dispositions d’absolution assorties d’un traitement curatif même si cela n’a pas été fait auparavant. De 70 à 75 p. 100 environ de la population canadienne n’avait pas accès à cette option. Le projet de loi leur offre cette possibilité, pourvu qu’il y ait un programme de traitement approuvé par le gouvernement provincial.
Les avocats de la Couronne peuvent, à leur discrétion, consentir à cette option ou la contester. Tout dépend de la nature du programme et de l’engagement de la personne. Évidemment, les politiques établies par les procureurs généraux au Canada vont aussi avoir une incidence.
Cela est très semblable à ce qu’on voit présentement lorsque les avocats de la Couronne, par exemple, forcent la main des juges en déposant un avis de demande d’une peine plus sévère parce qu’il s’agit de la deuxième, de la troisième, de la quatrième ou de la cinquième infractions. Ce pouvoir discrétionnaire est un élément clé de notre système de justice pénale, et la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il s’agit d’un des aspects centraux du pouvoir de poursuite discrétionnaire.
La sénatrice Pate : Selon votre expérience, cela a-t-il déjà été demandé par des avocats de la Couronne, même si ce n’est pas vraiment leur responsabilité?
M. Palangio : Je ne sais pas. D’ordinaire, l’avocat de la défense ou le représentant de l’accusé ou même l’accusé lui-même fait la proposition à la Couronne ou quelque chose du genre, puis chaque cas est jugé selon ses propres particularités.
Si une autre personne n’en prend pas l’initiative, je ne vois pas vraiment pourquoi la Couronne le ferait, je ne pourrais pas dire que ce n’est jamais arrivé.
Le président : Avant de vous offrir, au nom des sénateurs et des sénatrices ici présents, nos remerciements respectueux, j’aimerais que nous abordions à nouveau la constitutionnalité du dépistage aléatoire. Nous sommes le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, après tout.
Comme vous le savez, lorsque les tribunaux doivent trancher une question de constitutionnalité, il leur arrive de lire nos débats et les commentaires de nos témoins. J’aimerais que vous disiez tout ce que vous avez à dire à propos du dépistage aléatoire, puisque c’est une question très importante.
L’article 8 de la Charte sur les fouilles, perquisitions et saisies est explicite :
Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Il y a aussi, bien sûr, l’article premier sur les limites raisonnables dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Je crois que c’était la sénatrice Batters qui a fait le lien entre votre témoignage, madame Pentz ou monsieur Bryant, et l’article premier. Il s’agit de l’ancien critère, les trois questions auxquelles les tribunaux doivent répondre pour juger du caractère raisonnable de quelque chose. Le critère vise l’objectif, les moyens et la proportionnalité.
Je vous prierais de répondre très rapidement, comme bon vous semble. Comment pourrait-on faire en sorte que le dépistage aléatoire résiste aux trois critères que les tribunaux doivent appliquer pour conclure que le projet de loi est constitutionnel?
Mme Pentz : J’ai peur d’avoir à refuser, monsieur. J’y serai peut-être contrainte à un moment ou à un autre, mais pour l’instant, en tant que représentante de l’ABC, je dois dire que notre position est que c’est inconstitutionnel. Selon nous, ce genre de contrôle aléatoire, sans motif ni justification, contrevient clairement à la Charte.
Le président : Monsieur Bryant, oserez-vous répondre?
M. Bryant : Même son de cloche de mon côté. Je n’ai pas d’amendement à vous proposer. Cela revient à modifier le statu quo, et le statu quo est mieux adapté et proportionnel, à la lumière de l’article premier.
Je ne vois pas quel juste milieu on pourrait trouver entre aucun motif et un motif raisonnable. Sans doute qu’un motif tant soit peu valable serait préférable au dépistage aléatoire et obligatoire.
Le président : Je veux remercier mes collègues ainsi que notre premier groupe de témoins.
Je vais devoir vous demander de céder votre place à la table le plus rapidement possible, parce que nous avons déjà du retard et que nous avons encore un groupe de quatre témoins. Je vous remercierais donc d’être rapides.
J’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue aux représentants de la Criminal Lawyers’ Association : M. Michael Edelson, membre et avocat, Edelson et Friedman LLP, et M. Leo Russomanno, directeur du bureau d’Ottawa et avocat, Russomanno Criminal Law. C’est loin d’être la première fois que vous venez témoigner devant notre comité. C’est un plaisir de vous revoir aujourd’hui.
Nous accueillons également M. Adam Steven Boni, du Conseil canadien des avocats de la défense, Mme Josephine A. de Whytell, avocate, Association du Barreau autochtone, et M. Jonathan Rudin, qui représente les Services juridiques autochtones. Vous connaissez la procédure. Je n’ai pas à vous l’expliquer.
J’inviterais soit M. Edelson, soit M. Russomanno à briser la glace cet après-midi. Vous avez cinq minutes pour présenter votre exposé. Tenez-vous en aux faits saillants, vous aurez amplement l’occasion de revenir sur certaines questions ensuite au cours de la discussion.
Michael Edelson, membre et avocat, Edelson and Friedman LLP, Criminal Lawyers’ Association : Je n’ai pas l’intention de réitérer les nombreuses critiques concernant les lacunes, les écueils juridiques et les problèmes constitutionnels du nouveau projet de loi. Je vais vous présenter mes commentaires à titre de représentant de la CLA et d’avocat de la défense qui a défendu, au cours des 40 dernières années, plus d’un millier de personnes accusées de conduite en état d’ébriété.
Je compte mettre l’accent sur les effets concrets que le nouveau projet de loi aura sur la vie des personnes accusées, des témoins et des victimes ainsi que sur les tribunaux.
Selon une analyse statistique dans le résumé législatif publié par la Bibliothèque du Parlement, l’alcool est la substance qui a été consommée dans 96 p. 100 des cas de conduite avec facultés affaiblies, du moins entre 2009 et 2015. Au cours de cette période, la proportion de cas de conduite avec facultés affaiblies où la substance consommée était de la drogue a doublé, passant de 2 à 4 p. 100.
Avec la légalisation de la marijuana ou du cannabis et l’augmentation du nombre d’ERD et, plus tard, de dispositifs dont les analyses seront admissibles devant les tribunaux, on s’attend à ce que ces statistiques augmentent de façon exponentielle. Cela aura un impact énorme sur notre système de justice pénale.
En 2014 et en 2015, les infractions de conduite avec facultés affaiblies comptaient pour 10 p. 100 des causes réglées — je veux souligner « réglées » — par les tribunaux. Il s’agit d’une diminution de 11 355 par rapport à l’année précédente. Au cours de cette année-là, 79 p. 100 des poursuites pour conduite avec facultés affaiblies ont mené à un verdict de culpabilité. Le taux de condamnation est considérablement plus élevé que la moyenne pour le reste des poursuites pénales, qui est de 63 p. 100.
Dans 90 p. 100 des cas, les tribunaux imposent une amende assortie de l’ordonnance accessoire habituelle, comme la suspension ou le retrait du permis de conduire. Les peines d’incarcération ne comptent que pour environ 10 p. 100 des poursuites pour conduite avec facultés affaiblies.
Soyez assurés que le nouveau projet de loi aura une incidence énorme sur le nombre de poursuites qui se rendent devant les tribunaux. Il est fort probable que le nombre de poursuites pour conduite avec facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue va augmenter et engorger davantage notre système juridique.
Le projet de loi C-46 n’a pas pour objectif d’éliminer la conduite avec facultés affaiblies. Ses dispositions ne font que faciliter le travail des procureurs. C’est un fait. Il rejette les conclusions de longue date des tribunaux, comme la défense du « dernier verre ».
Nous sommes aussi extrêmement préoccupés par les aspects pratiques, juridiques et scientifiques des tests normalisés de sobriété administrés sur place en ce qui concerne les drogues. En particulier, l’expérience des tribunaux américains ainsi que les lacunes relatives à la crédibilité, à la compétence, à l’utilisation adéquate des tests, à la justesse des observations et à la possibilité générale d’erreur nous préoccupent beaucoup.
Mes collègues avocats et moi avons traité d’innombrables dossiers illustrant de façon très claire le chaos que la conduite avec facultés affaiblies cause sur nos routes : les blessés, les morts, la douleur et la peine. Nous avons tous vu cela de près.
Les modifications législatives précédentes dans ce domaine ont entraîné énormément d’affaires juridiques et de causes portées en appel non seulement pour contester la constitutionnalité des modifications et des nouvelles dispositions, mais également les conclusions scientifiques sur lesquelles ils reposent.
Il y a plusieurs choses sur lesquelles je veux insister : le projet de loi ne contribuera en rien à éliminer la conduite avec facultés affaiblies. C’est un fait. Si c’est l’objectif du projet de loi, alors c’est un échec sur toute la ligne. Il n’en sera rien.
Le grand nombre de poursuites pour conduite avec facultés affaiblies ne va pas diminuer à moins que d’autres mesures législatives ne soient prises pour atténuer la situation. Il y a deux modifications fondamentales qui pourraient contribuer à l’atteinte de ce but, afin que les tribunaux soient libres de s’occuper d’autres affaires, réduisant ainsi les délais juridiques. Ces changements législatifs aideraient aussi à ce que les critères de l’arrêt Jordan soient respectés.
Les régimes de suspension préventive des permis de conduire, comme on en voit de plus en plus en Colombie-Britannique, pourraient être une solution pour épargner nos tribunaux et nos ressources, qui pourront alors être utilisés à d’autres fins.
Pour résumer la situation, je vais vous donner un exemple des problèmes pratiques qui sont au cœur de la plupart des questions. Prenons les tests d’haleine aléatoires.
La police d’Ottawa procède habituellement à environ 250 000 contrôles en bordure de la route, et rappelez-vous que la proportion de poursuites criminelles pour conduite avec facultés affaiblies est d’environ 0,1 p. 100. Si la police contrôle 250 000 personnes, cela veut dire que 250 personnes environ seront accusées. Il s’agit d’une proportion qui est demeurée remarquablement faible jusqu’ici.
Nous devons être très conscients du fait que les tribunaux ont autorisé les contrôles aléatoires. C’est un fait, mais il y a eu beaucoup de contestations en vertu de la Charte avant que cela soit possible. Pendant un contrôle, vous n’avez pas de droits garantis par la Charte. Vous ne pouvez pas faire appel à un avocat, à moins que le contrôle ne dure excessivement longtemps.
Prenons maintenant les tests d’haleine obligatoires. Les gens ont soulevé l’argument du motif valable. Cependant, cela n’a jamais été un critère pour les contrôles aléatoires en bordure de la route. Le seuil applicable à respecter est très faible : le policier doit seulement avoir une raison valable de soupçonner que vous avez consommé de l’alcool. Le seuil applicable comme il existe aujourd’hui est très facile à respecter.
Voici le nœud du problème : disons qu’une file de voitures attendent à un barrage routier et que chaque conducteur fera l’objet d’un contrôle aléatoire. Dans ce cas, l’alinéa 10b) de la Charte prévoit que les conducteurs auront le droit à un avocat, car plus un contrôle est long, plus il est possible de faire valoir devant le tribunal que le droit à un avocat a été bafoué.
Même si la situation par rapport à l’article 8 et à l’article 9 de la Charte est différente, il demeure que les contrôles routiers font fi de l’alinéa 10b). Je tiens seulement à ce que vous preniez cette lacune très importante des tests d’haleine aléatoires en considération.
Adam Steven Boni, représentant, Conseil canadien des avocats de la défense : Le Conseil canadien des avocats de la défense a été créé en novembre 1992 afin que les avocats de la défense puissent s’exprimer et donner leur avis sur des questions de justice pénale au Canada. Notre conseil représente les avocats de la défense d’un bout à l’autre du Canada.
J’ai moi-même 25 ans d’expérience en droit criminel, d’abord comme procureur fédéral pour le ministère de la Justice de l’époque, puis comme avocat de la défense.
J’ai eu le temps de consulter les excellents mémoires qui ont été déposés par l’Association canadienne des libertés civiles, par la Criminal Lawyers’ Association et par l’ABC. Je vous recommande de les étudier : ils expliquent et résument de façon incisive toutes les façons dont le projet de loi pourrait contrevenir à la Charte.
Comme mon collègue, M. Edelson, l’a déjà expliqué, les problèmes concernent l’article 8, l’article 9 et l’alinéa 10b) de la Charte. Le projet de loi soulève aussi des problèmes par rapport au droit à un procès équitable ainsi qu’à l’imprécision des dispositions. Je vais éviter de répéter ce qui a été dit.
Il y a deux points que je veux faire valoir à propos de la façon dont le projet de loi va avoir un impact sur le terrain. Mon premier point a déjà été mentionné, mais je tiens à fournir davantage de détails. Le projet de loi comprend tellement de lacunes constitutionnelles qu’il ne peut autrement qu’entraîner des contestations constitutionnelles et des contestations en vertu de la Charte par rapport à plus d’un article dès qu’il sera appliqué sur le terrain. Il y aura énormément de contestations fondées sur la Charte, que ce soit à propos de la portée excessive des dispositions ou d’une violation de l’article 8 ou de l’article 9.
Donc, qu’est-ce que cela veut dire, concrètement? Cela veut dire que les tribunaux provinciaux devront, chacun de leur côté, examiner la même question, et ils risquent d’en arriver à des conclusions différentes, parce que, bien sûr, même des gens raisonnables peuvent penser différemment. Ensuite, les dispositions seront contestées devant les cours supérieures ou les Cours du Banc de la Reine, jusqu’aux cours d’appel. Pendant un certain temps, la loi sera interprétée différemment d’une province ou d’un territoire à l’autre. Des années plus tard, l’affaire sera portée devant la Cour suprême du Canada, mais entre-temps, mesdames et messieurs les sénateurs, il y aura des centaines de milliers d’affaires qui seront compromises à cause des retards. Des procès seront annulés à cause des retards.
Quelles sont les conséquences sur le terrain? Concrètement, pour le public canadien, cela veut dire que notre système de justice pénale est défaillant. Il ne fonctionne pas. Il mine le respect des Canadiens envers la loi et envers l’administration de la justice. J’attends encore qu’on me présente un argument qui me convaincra que ces changements sont importants, doivent être apportés et sont nécessaires. Voilà le premier point que je voulais soulever.
Mon deuxième point concerne les tests d’haleine aléatoires. Au Canada, nous utilisons depuis de très nombreuses années des tests d’haleine sélectifs. On propose maintenant des tests d’haleine obligatoires en bordure de la route. Comme mes confrères de la CLA l’ont si éloquemment expliqué, cela pose un problème en vertu de l’article 8, de l’article 9 et de l’alinéa 10b) de la Charte.
Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez soulevé un point intéressant lorsque vous avez discuté de la possibilité que le projet de loi puisse être sauvé par l’article premier. M. Hogg a également donné son opinion, et je répète que des gens raisonnables peuvent avoir des opinions dissemblables tout aussi raisonnables.
Tenons pour acquis que M. Hogg a raison. Disons que les dispositions relatives aux tests d’haleine obligatoires résistent de justesse à une contestation constitutionnelle. Des dispositions législatives peuvent effectivement résister à une contestation constitutionnelle et survivre grâce à l’article premier, même si ça ne tient qu’à un fil.
Tenons pour acquis que cela arrive. Quelles sont les conséquences concrètes pour M. et Mme Tout le monde? M. Bryant a effleuré le sujet, mais n’a pas eu le temps d’entrer dans les détails. Je voulais y revenir.
J’ai vécu et travaillé dans la région du Grand Toronto toute ma vie. Beaucoup plus que six millions de Canadiens y vivent présentement. Selon le recensement de 2016, 48,8 p. 100 des personnes vivant dans la région du Grand Toronto appartiennent à une minorité visible. À Toronto proprement dit, ce pourcentage grimpe à 51,5 p. 100.
Dans notre ville, nous savons d’expérience que, malheureusement, les pouvoirs de fouille et de détention arbitraire ciblent trop souvent de façon disproportionnée les Torontois racialisés. Vous êtes tous au courant du travail accompli par des gens comme Desmond Cole, à Toronto, concernant les contrôles de routine. Vous êtes tous également au courant de la tension et du stress que les contrôles de routine ont causés dans les relations entre la police et les citoyens de Toronto.
Même si les dispositions relatives aux tests d’haleine obligatoires dans le projet de loi C-46 résistaient aux contestations constitutionnelles, nous nous préoccupons du fait que ces dispositions auront un impact similaire aux contrôles de routine et diviseront davantage la police et les groupes racialisés et marginalisés du pays, en particulier dans les villes comme Toronto.
Il ne s’agit pas d’un argument purement théorique. Je vous recommande de lire l’éditorial de Marci Ian, une figure du réseau de télévision CTV, qui est paru il y a deux jours seulement dans le Globe and Mail. Qui n’aime pas lire Marci le matin? L’article est intitulé : « The double standard of driving while black in Canada », soit « Deux poids deux mesures pour les conducteurs noirs au Canada ». Dans son article, elle décrit la douleur, la frustration et le sentiment d’injustice qu’elle a vécus en tant que conductrice noire lorsqu’elle a été interpellée et questionnée par la police trois fois en huit mois tout près de chez elle. C’est un contrôle de routine, mais il y a pire.
La Cour suprême du Canada a autorisé cela il y a longtemps dans l’arrêt Ladouceur. On ne parle même pas ici d’administrer un test d’haleine obligatoire ni de demander au conducteur de sortir de son véhicule pour lui poser des questions, exiger un échantillon d’haleine et inspecter le véhicule.
Voilà ce qui se passe en vérité sur les routes de la région du Grand Toronto et dans d’autres endroits au pays. Je suis sûr que mon confrère et ma consœur à ma droite auront beaucoup de choses à dire sur l’impact du projet de loi sur les Autochtones du Canada.
Le président : Pourrais-je vous demander de conclure?
M. Boni : Pour conclure, je vous demanderais de ne pas vous borner à savoir si le projet de loi va répondre aux critères de l’article premier uniquement. Aux fins de la discussion, disons que c’est le cas. La question à laquelle il faut répondre, c’est : est-ce que l’impact du projet de loi sur les collectivités va renforcer le respect des citoyens envers la police et le respect de la loi au Canada, ou est-ce que cela aura un effet aux antipodes?
Josephine A. de Whytell, avocate, Association du Barreau autochtone : En tant que membre honoraire de l’Association du Barreau autochtone, c’est un plaisir pour moi d’être ici pour représenter l’association.
L’Association du Barreau autochtone est d’avis que le projet de loi entraînera des contestations constitutionnelles fondées sur le profilage racial, l’érosion de la présomption d’innocence et des facteurs socioéconomiques. Conséquemment, on peut s’attendre à ce que cela entraîne des retards dans le système judiciaire et nuise davantage à la relation entre les Autochtones et la police.
Nous devons éviter que l’interdiction du cannabis à des fins récréatives n’entraîne une augmentation importante des infractions de conduite en état d’ébriété ou de conduite dangereuse. Tout le monde sur la route, y compris les piétons, doit continuer de se sentir adéquatement protégé par les contre-mesures prises par le gouvernement pour assurer leur sécurité.
Même si l’objectif du projet de loi est louable, il demeure néanmoins important de veiller à ce que les interventions policières ne ciblent pas excessivement les Autochtones et les autres groupes marginalisés, étant donné que ces modifications apportées au Code criminel risquent d’avoir sur eux un effet disproportionné. Nous devons trouver un juste milieu entre le devoir de protéger tous les Canadiens et un traitement équitable des groupes minoritaires au Canada. On ne doit pas les traiter comme des criminels.
Le Canada est une mosaïque unie de groupes extrêmement diversifiés. Si nous voulons que tous tirent parti de l’objectif de la sécurité routière, tous les groupes doivent avoir le sentiment que le projet de loi et les personnes responsables de son application les protègent.
L’Association du Barreau autochtone est préoccupée du fait que les modifications proposées pourraient encourager les agents de police qui procèdent à des contrôles en bonne et due forme, à anticiper ou à supposer que le conducteur avait les facultés affaiblies. Les modifications habilitent les agents de police à obliger les conducteurs à se plier à leurs demandes pour lesquelles ils ont un pouvoir discrétionnaire illimité.
Si votre objectif est de dissuader la conduite dangereuse sur nos routes, il serait possible de prévenir les infractions de conduite avec facultés affaiblies sans violer les droits garantis par la Charte. Il faudrait pour cela mettre en place des mesures socioéconomiques positives et améliorer les services sociaux, l’accès aux soins de santé et aux centres de désintoxication. Il serait également possible de rendre le transport en commun plus abordable.
L’Association du Barreau autochtone va surtout aborder la première partie des modifications proposées, puisque les autres témoins ont déjà parlé suffisamment de la conduite avec facultés affaiblies.
Les modifications proposées du paragraphe 253(3) créent trois nouvelles infractions fondées sur la concentration de drogue dans le sang et établissent des limites légales connexes pour déterminer à quelle concentration on peut présumer que la personne a les facultés affaiblies. Dans le cas du cannabis, les études scientifiques n’ont pas prouvé qu’il existait une corrélation entre la concentration de drogue dans le sang et l’affaiblissement des facultés. Dans les faits, les consommateurs fréquents peuvent ne montrer aucun signe d’affaiblissement des facultés quel qu’il soit même lorsque la concentration de drogue dans leur sang affaiblirait de façon importante les facultés d’une personne qui n’en consomme pas fréquemment.
Cette différence n’est pas négligeable. Cela risque de criminaliser injustement un grand nombre de personnes qui consomment fréquemment du cannabis. Même une personne qui suit de façon responsable les lignes directrices de Santé Canada, comme un patient qui doit prendre du cannabis pour raisons médicales, pourrait devoir arrêter sa médication pour une certaine période de temps — peut-être même pendant une semaine — pour pouvoir conduire sa voiture sans craindre d’être poursuivi au criminel parce qu’un policier a par erreur cru que ses facultés étaient affaiblies.
Si les personnes qui consomment fréquemment du cannabis n’ont pas de recours, les limites légales établies auront un effet nuisible très disproportionné, sans pour autant renforcer nécessairement la sécurité de nos routes. Même si les utilisateurs fréquents disposeraient d’un recours juridique, cela ne serait peut-être pas suffisant pour protéger les utilisateurs fréquents autochtones.
Dans l’affaire portée devant les tribunaux canadiens par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, le Tribunal canadien des droits de la personne s’est appuyé sur les conclusions de la Dre Amy Bombay, une neuroscientifique qui a étudié les impacts du colonialisme sur les peuples autochtones et, selon ses conclusions, les peuples autochtones au Canada souffrent d’un traumatisme collectif.
La légalisation prochaine du cannabis à des fins récréatives aura pour effet secondaire de fournir un accès global à ce médicament naturel et efficace. Le cannabis est particulièrement utile pour traiter les symptômes de traumatismes, y compris les douleurs chroniques, le trouble de stress post-traumatique, les troubles panique, l’anxiété et la dépression.
Il y a peu d’études au Canada sur la consommation du cannabis au sein de la population autochtone. Cependant, une étude ontarienne réalisée en 2014 a établi que la proportion de consommateurs de cannabis était plus élevée chez les Autochtones que dans la population en général.
Il existe une grande diversité de croyances, de lois, de pratiques et de coutumes d’un peuple autochtone à l’autre, mais des herbes très efficaces, des racines et d’autres médicaments ont été utilisés, en combinaison avec des cérémonies, depuis les temps immémoriaux. Les peuples autochtones ont conservé leurs propres façons de guérir, libres de l’influence des lois et des institutions non autochtones.
La légalisation du cannabis permettra aux Autochtones d’ajouter un nouvel ingrédient à la panoplie d’herbes traditionnelles qui sont déjà utilisées au Canada à des fins de guérison, à l’extérieur du domaine de la médecine occidentale. De plus, c’est une solution de rechange viable aux opioïdes.
Étant donné que les Autochtones souffrent de symptômes plus importants que le reste de la population et que le cannabis peut être utilisé pour soulager ces symptômes, il semble qu’une infraction ciblant de façon disproportionnée les personnes qui consomment du cannabis aura une incidence disproportionnée sur les Autochtones ayant ce genre de besoin médical.
On peut donc s’attendre à ce que, en l’absence d’un accès égalitaire aux soins de santé, la médecine traditionnelle autochtone et l’achat de cannabis vendu à des fins récréatives plus abordable augmentera la proportion d’Autochtones qui consomment fréquemment du cannabis.
Le président : Pouvez-vous conclure dans les prochaines 30 secondes?
Mme de Whytell : Certainement. Il suffit d’examiner les affaires devant les tribunaux de cautionnements où les principes de l’arrêt Gladue sont appliqués pour voir comment la présomption d’innocence est bafouée lorsque c’est un Autochtone qui est accusé. Dans ces circonstances, on peut s’attendre à ce qu’il y ait un impact disproportionné touchant les Autochtones.
Jonathan Rudin, directeur de programme, Services juridiques autochtones : Les Services juridiques autochtones, anciennement Aboriginal Legal Services of Toronto, est une organisation créée en 1990 qui fournit de manière proactive des services juridiques aux Autochtones dans un grand nombre de régions. Nous sommes également actifs dans le domaine de la réforme du droit et en ce qui concerne les causes types.
J’ai déjà comparu devant votre comité et j’ai apprécié l’ouverture et le sérieux avec lesquels le comité envisage son travail.
En ojibway, notre nom, qui nous a été donné par l’aînée Jackie Lavalley, est Gaa Kina Gwai Wabaama Debwewin, ce qui veut dire « ceux qui sont à la recherche de la vérité ».
Nous allons nous occuper aujourd’hui d’une seule disposition du projet de loi, étant donné qu’un bon nombre de dispositions préoccupantes ont déjà été examinées. Nous nous préoccupons des paragraphes 320.23(1) et 320.23(2). Il s’agit des dispositions qui traitent du report de la détermination de la peine et de la possibilité d’éviter la peine minimale prévue.
Voici le paragraphe 320.23(1) :
Si le poursuivant et le contrevenant y consentent et en tenant compte de l’intérêt de la justice, le tribunal peut reporter la détermination de la peine d’un contrevenant déclaré coupable d’une infraction prévue aux paragraphes 320.14(1) ou 320.15(1) pour permettre à ce dernier de participer à un programme de traitement approuvé par la province où il réside. Le cas échéant, le tribunal rend une ordonnance interdisant au contrevenant […]
Le paragraphe 320.23(2) ajoute que, si le contrevenant termine avec succès le programme en question, le tribunal n’est pas tenu de lui infliger la peine minimale prévue.
Cette disposition remplace les dispositions actuelles sur l’absolution curative du Code criminel s’appliquant aux personnes reconnues coupables de conduite avec facultés affaiblies. Elle représente à un égard important une amélioration par rapport aux dispositions sur l’absolution curative en ce qu’elle s’applique à l’échelle du pays. Elle s’attaque au grave problème tenant au fait que l’absolution curative est accordée dans certaines provinces, mais pas dans d’autres.
Toutefois, nous discernons deux graves problèmes dans cette disposition. Le premier a trait à la façon dont la disposition est actuellement libellée. Une personne qui désire éviter la peine minimale obligatoire doit « participer à un programme de traitement approuvé par la province où elle réside ». Si la province choisit de ne pas approuver ce programme de traitement ou qu’elle n’en approuve qu’une poignée, le recours à cette disposition ne sera pas celui qu’on croit.
Les programmes de traitement destinés aux Autochtones et financés par le gouvernement fédéral ne sont pas automatiquement reconnus, au sens de cette disposition. En fait, certaines provinces pourraient refuser de reconnaître que ce sont des centres de traitement.
De plus, une personne qui voudrait participer à un programme précis, répondant à ses besoins, et qui constate que ce programme n’est pas offert dans sa province n’a donc aucun recours.
Pourquoi faudrait-il que l’admission dans un programme de traitement qui pourrait s’attaquer aux causes profondes de la dépendance d’une personne doive officiellement être approuvée par la province?
Ensuite, l’amendement prévoit que seuls les programmes approuvés par la Couronne permettent d’échapper à la peine minimale obligatoire. Nous n’en voyons pas la justification, et nous estimons que c’est extrêmement problématique.
Si le contrevenant y consent et que le juge estime que le programme est approprié, et la peine, adéquate, pourquoi la personne qui désire s’y inscrire doit-elle s’assurer que la Couronne a donné son consentement? Si la Couronne ne croit pas que l’exemption soit la voie à emprunter, elle peut présenter une demande au tribunal, comme elle le fait dans d’autres circonstances; mais il faudrait que le juge soit seul à même de déterminer si la peine est adéquate. La Couronne ne devrait jamais avoir un droit de veto.
Et pourquoi est-ce que cela préoccupe les Services juridiques autochtones? En 2011, un rapport sur la conduite avec facultés affaiblies au Canada signalait que les infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies n’étaient pas seulement les infractions les plus courantes dont étaient saisis les tribunaux pour adultes du Canada. Il révélait également que, dans les régions qui avaient fourni des données détaillées relativement à l’identité autochtone, les Autochtones comptaient pour 3 p. 100 de la population totale, mais pour 16 p. 100 des détenus incarcérés par les Services correctionnels pour des infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies. Nous nous préoccupons de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons. Nous savons que ce sujet vous préoccupe aussi.
L’option de traitement proposée dans l’article 320.23 peut atténuer le problème, mais elle ne fonctionnera pas si c’est la Couronne qui contrôle l’accès aux programmes. Si le bon sens veut que le contrevenant suive un traitement, il ne faudrait pas que ce soit la Couronne qui décide si cette personne peut s’inscrire à ce programme.
L’Enquête publique de 1991 sur l’administration de la justice et les populations autochtones au Manitoba, présidée par le sénateur Sinclair, avait révélé que la Couronne, quand elle exerce son pouvoir discrétionnaire, penche rarement du côté des peuples autochtones dans notre pays.
La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Anderson, affirmait qu’il est impossible de remettre en question l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Couronne en invoquant la Charte. Elle déclarait qu’il fallait contester la loi qui donne ce pouvoir discrétionnaire à la Couronne.
Nous sommes prêts à le faire et nous allons le faire, mais pourquoi nous en donnerions-nous la peine? Ça n’est pas nécessaire. Le Sénat devrait modifier l’article 320.23 pour qu’il ne soit plus nécessaire de demander le consentement de la Couronne pour s’inscrire à un programme de traitement. Il suffit de supprimer les mots « le poursuivant » de cet article.
Nous aimerions aussi recommander de supprimer les mots qui suivent « programme de traitement », au paragraphe 320.23(1), à savoir « approuvé par la province où il [le contrevenant] réside ».
Si le contrevenant trouve un programme de traitement pertinent et peut prouver à un juge que ce programme répond à ses besoins, pourquoi faudrait-il s’inquiéter de ce que la province pense de ce programme? Cela n’a aucun rapport.
Si ces petits changements sont apportés, nous pensons que l’article modifié saura tenir les promesses qu’on lui reconnaît. Meegwetch.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Monsieur Rudin, en ce qui concerne l’article 320.23, je comprends très bien votre proposition quant au fait de retirer le consentement du procureur de la Couronne. Toutefois, est-ce que vous allez maintenir celui de la personne accusée? Autrement dit, êtes-vous d’avis que cela devrait être laissé entre les mains du tribunal ou croyez-vous plutôt que le consentement de la personne accusée est essentiel pour que la discrétion du tribunal puisse s’exercer?
[Traduction]
M. Rudin : Merci de poser la question. Oui, nous croyons, évidemment, que le contrevenant doit donner son consentement. Nous ne voulons pas que les juges puissent imposer un traitement à une personne contre sa volonté. Ça ne fonctionne pas.
Ce qui nous préoccupe, c’est la question du consentement de la Couronne, mais il est évident que le consentement du contrevenant restera bien sûr essentiel.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma prochaine question s’adresse aux représentants des avocats de la défense. Avec toutes vos années d’expérience, vous connaissez probablement mieux que nous l’ampleur des ajustements qui ont été faits en ce qui a trait au droit, aux tribunaux et aux avocats de la défense et de la poursuite avant que la jurisprudence soit solidement établie en matière de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool.
Vous nous parlez de plusieurs contestations judiciaires. Il y a un coût social qui est clair et un bénéfice immédiat pour les avocats de la défense. Selon vous, qu’est-ce qui nous permettrait de réduire le coût social? En même temps, cela réduirait vos bénéfices, alors la question se pose. Autrement dit, nous aimerions comprendre ce que vous considéreriez être la meilleure voie. On passe de la tolérance zéro à des limites en soi, à aucune limite ou à une autre solution que vous pourriez avoir. Pourriez-vous nous éclairer?
[Traduction]
Leo Russomanno, directeur du bureau d’Ottawa et avocat, Russomanno Criminal Law, Criminal Lawyers’ Association : Même si cela peut nous causer du tort, nous sommes là à vous dire que vous ne devriez pas adopter ce projet de loi ou ces amendements.
C’est en fait un choix politique, et c’est mon opinion personnelle que je vous donne. Il y a des moyens d’utiliser les technologies existantes, comme l’antidémarreur, et de combiner cela à la tolérance zéro. Si vous voulez vraiment vous attaquer à la conduite avec facultés affaiblies et prévenir ce problème, vous pourriez explorer ces options, plutôt que de faciliter les poursuites.
Compte tenu des statistiques fournies par M. Edelson concernant la conduite avec les facultés affaiblies, je ne crois pas qu’on puisse demander mieux, et vous aurez tous les coûts sociaux que vous avez mentionnés. Ce n’est pas moi qui en ai eu l’idée, soit dit en passant. C’est une chose qui saute aux yeux à la lecture de ces amendements. Je ne crois pas qu’ils vont permettre de prévenir les crimes pour commencer.
M. Edelson : Je suis d’accord. Nous pourrions tout simplement interdire l’alcool au volant. Il y a des façons de le faire qui seraient efficaces. Nous blaguons à moitié, les avocats de la défense, quand nous disons que c’est un cadeau de Noël ou d’Hannoucah.
Ces litiges dureront une décennie. J’ai vécu cela plusieurs fois depuis 1977, l’année où j’ai été reçu au barreau. J’y étais avant la Charte, et j’ai pu voir à quel point il était difficile de défendre de telles causes avant la Charte, et après la Charte, avec toutes les contestations non seulement des dispositions législatives visant l’alcool au volant, mais aussi des perquisitions et saisies relatives aux drogues, entre autres.
La seule vraie solution dans ce contexte, pour répondre à votre question, est un taux d’alcool nul dans le sang de tout conducteur au pays et l’adoption de méthodes permettant de garantir cela, comme les dispositifs de démarrage biométrique. C’est en voie de se réaliser. Cela arrivera bientôt. Il sera possible de réaliser un alcootest avec le bout du doigt sur le bouton de démarrage du véhicule à moteur. Il y aura alors des antidémarreurs avec éthylomètre dans chaque véhicule.
Sans cela, vous pouvez bien exiger l’absence totale d’alcool dans le sang, mais les gens vont quand même conduire après avoir consommé de l’alcool. Nous le savons. Ils vont s’essayer. Nous voyons cela tout le temps dans nos pratiques. La tolérance zéro doit être soutenue par des antidémarreurs, qu’ils soient biométriques ou que le conducteur soit obligé de souffler dans l’appareil comme c’est le cas actuellement. Tant que nous n’aurons pas de meilleures technologies, de meilleures solutions scientifiques ou des voitures autonomes, nous aurons ce problème, et ce projet de loi ne peut pas le résoudre.
Ce projet de loi exacerbe le problème du point de vue de nos tribunaux et du temps excessif que ces contestations prennent, comme mon ami M. Boni l’a souligné avec justesse. Des décisions différentes ont été prises par divers tribunaux au pays, et par chaque cour d’appel, et ces causes ont dû se rendre jusqu’à la Cour suprême pour être résolues. Il faut trois ans, quatre ans ou cinq ans pour résoudre chacun des enjeux particuliers, et il y en a une multitude.
Le président : Nous avons plusieurs sénateurs, et le temps avance.
M. Boni : Je n’ai rien à ajouter. Mes amis ont parlé avec éloquence.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je crois que ce projet de loi va rendre le système de justice plus complexe, et ce, de façon magistrale. Plusieurs témoins nous ont dit que, au lieu de libérer nos cours, cette légalisation va les engorger de façon plus complexe.
Monsieur Boni, vous avez parlé beaucoup de contestations devant les tribunaux. Contrairement à d’autres endroits, comme en Irlande, où on a inscrit dans la loi les seuils acceptables de consommation, ici, on a donné au ministre le pouvoir de le faire par réglementation. D’après vous, ce pouvoir sera-t-il contestable du point de vue constitutionnel?
[Traduction]
M. Boni : Ce que j’aimerais savoir, c’est s’il faudra que ce soit fondé sur les données probantes. Comme l’a exprimé de façon tout à fait appropriée un des sénateurs, je crois que le problème, c’est que la loi devance la science. Si nous n’avons pas accès à des données probantes pour nous justifier, et si nous ne disposons d’aucune norme à partir de laquelle déterminer la culpabilité ou l’innocence, comment peut-on espérer résister à une contestation en vertu de la Charte?
Oui, il existe un fossé énorme entre la science et la loi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Pour les avocats de la défense et de la Couronne, quelle aurait été l’avenue la plus logique pour déterminer un seuil de consommation? Auparavant, c’était facile, car il y avait une tolérance zéro. Or, maintenant, on veut prévoir un seuil. Afin d’éviter que nos cours soient engorgées, quelle avenue aurait été la plus pratique pour déterminer ce seuil?
[Traduction]
M. Boni : Je ne saurais pas dire si ce projet de loi aura comme conséquence d’engorger davantage nos tribunaux. Je ne saurais répondre à cette question.
Une partie du problème, c’est que nous ne pouvons pas tirer une réponse claire des données scientifiques. Malheureusement, puisque le projet de loi a choisi de procéder de cette manière, la porte est ouverte à toutes sortes de problèmes, devant les tribunaux.
Je ne sais pas si M. Edelson a quelque chose à dire.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous avez dit que l’arrivée des voitures autonomes résoudrait le problème.
La sénatrice Dupuis : Pas si elles sont conduites par des gens dont les capacités sont affaiblies.
Le sénateur Carignan : J’aimerais faire suite à la question du sénateur Boisvenu. Je me pose la question et je n’ai pas de réponse. Est-ce qu’un acte criminel peut être adopté par un règlement qui serait modifié par le gouverneur en conseil, sans que ce soit inscrit dans la loi ni dans le Code criminel? Je cherche, mais je ne trouve pas. J’ai rarement vu d’acte criminel où l’actus reus est créé par règlement et non dans la loi. N’y a-t-il pas également un problème de compétence juridictionnelle sur le principe même d’adopter un acte criminel par règlement?
[Traduction]
M. Edelson : Nous devons faire une distinction entre l’actus reus, c’est-à-dire la consommation proprement dite de la drogue ou le fait de fumer de la marijuana, et le seuil que le gouvernement établira par règlement et à partir duquel il s’agira d’un acte criminel.
L’acte reste le même. Il s’agit en l’occurrence de fumer de la marijuana. C’est d’ailleurs la même loi qui s’applique quand vous buvez un cocktail ou un shooter dans un bar. L’infraction, c’est d’utiliser un véhicule motorisé quand on a les facultés affaiblies, à quelque degré que ce soit, par l’alcool ou par une drogue. La drogue ne sera pas nécessairement de la marijuana. Et les gens sont nombreux à consommer de la drogue. Il y a des gens qui mélangent les deux. Il y a des gens qui mélangent le Benadryl et l’alcool, et ils dépasseront le seuil.
Ce sont des éléments importants dont il faut tenir compte, mais je comprends ce qui vous préoccupe. Nous sommes tous pour ainsi dire un peu des cobayes pendant la période d’essai des drogues et de l’interdiction de conduire. Nous n’avons vraiment aucune idée de ce qui en résultera, malheureusement.
Certaines personnes acquièrent une tolérance. J’ai déjà défendu une femme qui était allée prendre son enfant à la garderie, avec un taux d’alcoolémie de 300 milligrammes, et ne montrait aucun signe d’affaiblissement de ses capacités physiques. Nous avons constamment des cas comme celui-là. Les gens acquièrent une tolérance très élevée à l’alcool, surtout s’ils sont alcooliques, en général. De la même façon, de nombreux fumeurs de marijuana acquièrent une tolérance importante.
Laissons de côté pour l’instant la question de la légalisation de la marijuana; certaines souches de cette plante présentent des concentrations beaucoup plus élevées en THC. Quand j’étais à l’université, le niveau de THC de la marijuana était autour de 5 p. 100. Aujourd’hui, elle atteint 14, voire 15 p. 100, parfois.
Je suis d’accord avec vous pour dire que nous devons composer avec des variables parfois très difficiles à gérer. Franchement, je crois que cette nouvelle législation sur la conduite avec facultés affaiblies par la drogue sera une excellente source de contestation, étant donné tous ces problèmes. Et les contestations vont durer des années et des années.
M. Boni : J’aimerais ajouter rapidement que le fait que les dispositions soient prises par règlement plutôt que par une loi montre, à mon avis, que le gouvernement ignore qu’il fait une concession.
Nous savons tous qu’il est bien plus facile de modifier un règlement que de modifier une loi. Nous devons reconnaître que les données scientifiques sont encore peu claires et que le gouvernement y va un peu au petit bonheur. Ce n’est pas de cette façon qu’il faut modifier une loi, sauf votre respect.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Edelson, d’avoir parlé des antidémarreurs. De fait, j’avais soulevé la question avec les témoins précédents, ça fait déjà un bout de temps.
J’ai deux questions. Ma première concerne les échéanciers, et l’autre concerne la terminologie. On a inclus dans le projet de loi C-46 un certain nombre de délais; par exemple, on peut utiliser la concentration de drogue dans le sang enregistrée deux heures après le moment où une personne cesse de conduire un véhicule à moteur plutôt que la concentration enregistrée lorsque cette personne conduit ce véhicule. Je crois que c’est important. On prévoit aussi un délai de huit heures pour obtenir un mandat afin de prélever un échantillon de sang lorsque la personne ne peut donner son consentement, alors qu’elle devait le faire auparavant.
J’aimerais connaître vos réflexions sur cet amendement; après, je vous poserai une petite question de terminologie. Monsieur Edelson, voudriez-vous répondre en premier?
M. Edelson : Je ne sais pas si vous connaissez tous le concept du « dernier verre » auquel le projet de loi s’intéresse. Prenons par exemple des gens qui, dans un bar, avalent rapidement quelques shooters. Cinq minutes plus tard, la police les arrête. Leur organisme n’a pas encore absorbé l’alcool consommé. Cependant, lorsqu’ils se retrouvent au poste de police, une heure ou une heure et demie plus tard, leur alcoolémie reflète tout ce qu’ils ont bu au bar.
Il semble que le projet de loi utilise à dessein une approche qui dit en fait aux gens : « Nous interdisons désormais le dernier verre. Ne le faites plus jamais, étant donné que la limite de deux heures vous rattrapera, au bout du compte. »
Je peux vous dire que, sur les milliers de cas dont j’ai eu à m’occuper, probablement, moins de 10 concernaient un conducteur qui avait consommé de l’alcool après le constat d’infraction. Autrement dit, ce conducteur s’est dépêché de retourner chez lui et a descendu un verre de scotch, sachant que les policiers le suivaient. Il ne s’agit pas d’un conducteur qui avait bu quelques derniers verres de scotch au bar et qui a pris le volant, puisqu’il n’était qu’à cinq minutes de chez lui, mais a été arrêté par un agent qui, stationné au centre commercial de l’autre côté de la rue, l’a vu quitter le bar.
Son taux d’alcoolémie au moment où il a pris le volant, le taux que nous cherchons à sanctionner, ne dépasserait pas la limite prévue. Mais nous ne pouvons pas à cause de cela convoquer des experts, essentiellement pour qu’ils fassent la preuve du contraire. C’est un problème, étant donné qu’il arrivera certainement que des gens qui, dans les faits, sont innocents, seront déclarés coupables.
Le sénateur McIntyre : Je vais vous poser ma deuxième question, car nous n’avons plus beaucoup de temps. Le projet de loi C-46 modifie la terminologie actuellement utilisée dans le code. En présentant son contexte législatif, le gouvernement fera valoir que l’un des objectifs est de réduire la complexité de la loi et d’utiliser un langage plus simple et plus moderne sans en changer le sens.
Par exemple, dans la version anglaise, le mot « forthwith » sera remplacé par « immediately ». Le mot « conveyance » servira à désigner tous les véhicules motorisés, navires, aéronefs ou équipements ferroviaires, et la définition du mot « operate » intégrera désormais le concept de la garde ou du contrôle.
Est-ce que les changements de terminologie proposés vous semblent problématiques?
M. Edelson : Non, étant donné qu’ils ne servent qu’à intégrer dans le nouveau vocabulaire de la loi des choses sur lesquelles les tribunaux se sont déjà prononcés. Par exemple, comment peut-on conduire un véhicule motorisé sans en avoir la garde ou le contrôle? Il est toutefois possible d’avoir la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur sans le conduire. C’est une différence clé.
La Cour d’appel l’a établi, dans Plank, il y a des années de cela. Il s’agit des opérateurs avec lesquels nous composons depuis déjà bien des années, et ils ont tout simplement été intégrés à la loi.
Je devrais ajouter une chose, et c’est que nos clients, assis devant nous dans notre salle de conférence, n’ont pas la moindre idée de ce que la loi contient, et ils n’ont pas la moindre idée de l’infraction qu’ils auraient commise. Ils nous demandent : « Que voulez-vous dire? Ça ne se peut pas. » On nous fait constamment ce type de commentaire.
La loi sera maintenant si compliquée que je devrai la lire quatre fois avant de comprendre ce que ce nouveau projet de loi suppose, et je travaille depuis longtemps dans ce domaine. Le citoyen ordinaire devra lire cela. Il n’arrivera pas à comprendre la signification de certaines de ces dispositions, il n’y comprendra rien. Et pourtant, il n’est pas censé ignorer la loi. Bonne chance.
Le sénateur McIntyre : Du moins, le changement de terminologie est un bon changement.
M. Russomanno : Je ne comprends toujours pas le mot anglais « conveyance ».
La sénatrice Batters : Cela fait cinq ans que je siège au comité et j’ai étudié des dizaines de projets de loi portant sur la justice pénale que le précédent gouvernement conservateur avait présentés, et jamais auparavant je n’avais entendu quelqu’un condamner un projet de loi de façon aussi accablante, au regard de la Constitution, que l’a fait aujourd’hui M. Boni, du Conseil canadien des avocats de la défense; il a affirmé que l’on avait touché à toutes les cordes sensibles de la Charte, que nous contreviendrions aux articles 8 et 9 et au paragraphe 10b), que la portée excessive poserait problème, et patati, et patata.
Si je faisais partie du parti au pouvoir et que j’avais entendu tout cela, je serais très préoccupée du chaos que l’adoption du projet de loi pourrait provoquer et qui affecterait notre système de justice pénale, déjà aux prises avec la crise des retards judiciaires dans les tribunaux canadiens.
J’aimerais savoir ce que M. Edelson a à dire, ou peut-être M. Russomanno, puisque nous ne l’avons pas entendu depuis très longtemps. Nous avions l’habitude de vous recevoir tous les mois. J’aimerais savoir ce que vous avez à dire quant à l’analyse du critère Oakes, surtout parce que je trouve intéressant de savoir que l’analyse de M. Hogg était fondée sur des données réunies en 2010.
M. Russomanno : Rapidement, je crois que le principal problème du critère Oakes, comme M. Edelson l’a souligné, c’est que le droit à un avocat est suspendu, et on a jugé que c’était une limite raisonnable, dans le cadre de la loi actuelle, pour deux grandes raisons. Premièrement, la détention peut bel et bien être arbitraire et le droit à un conseil être suspendu, étant donné que l’arrestation doit être faite conformément aux motifs prévus dans le Code de la route, par exemple l’état de fonctionnement du véhicule, le permis et l’enregistrement, la sobriété du conducteur. Ensuite, la détention est relativement brève. C’est à cela que M. Edelson voulait en venir, en réalité, c’est-à-dire qu’il ne sera plus possible désormais de procéder à des détentions de brève durée s’il faut arrêter des gens et poser d’autres questions que les questions normales ayant trait au bon état de marche du véhicule, à la sobriété et aux enregistrements. Il vous faudra désormais attendre, en bordure de la route, qu’on vienne vous porter un dispositif de dépistage approuvé. Il vous faudra mettre les véhicules en file, probablement, et le droit à un avocat sera suspendu pour tous les conducteurs arrêtés et, théoriquement, pour tous les occupants des véhicules. J’ai de la difficulté à comprendre comment on peut estimer qu’une infraction au paragraphe 10b) soit considérée comme une limite raisonnable dans de telles circonstances.
En ce qui a trait aux répercussions de ce projet de loi, M. Boni voulait en arriver à dire que la Cour suprême a reconnu que, chaque fois qu’une violation de la Charte était portée à son attention, il se produisait de multiples autres violations de la Charte dont elle n’entendait jamais parler puisqu’aucune accusation n’était portée. Il reste que la violation des droits individuels a des coûts sociétaux. Les tests d’haleine aléatoires pourraient avoir de très grandes répercussions sur le très grand nombre de personnes, dont bon nombre seront racialisées, qui seront détenues de façon prolongée et privées de façon prolongée de leur droit à un avocat.
Si je puis me permettre d’interpréter quelques-uns des commentaires de M. Boni, je dirais que si ces préoccupations ont été soulevées, c’est parce que la conduite avec facultés affaiblies entraîne un très grand nombre d’enquêtes policières et de mises en accusation devant les tribunaux et parce que les tests d’haleine aléatoires ont eux aussi d’importantes répercussions.
La sénatrice Batters : J’aimerais dire un petit quelque chose à M. Rudin. J’ai bien aimé les excellentes choses que vous avez dites à propos de l’amendement touchant les programmes de traitement que vous aimeriez proposer. Je trouve que la situation actuelle est bien déplorable.
Il arrive que les traitements les plus efficaces, qui vous aideraient à combattre votre dépendance, soient offerts dans une autre province. Je viens de la Saskatchewan. Il n’y a pas beaucoup de programmes de traitement de la dépendance, dans cette province, mais, si vous vous rendez par exemple en Colombie-Britannique, comme le font beaucoup d’habitants de la Saskatchewan, puisqu’ils y trouvent de vraiment bons programmes de traitement, il se peut que vous ne soyez pas admissible, et c’est bien malheureux.
Je crois que le gouvernement devrait étudier la question.
Le président : Pour les gens de la Saskatchewan, comme vous.
La sénatrice Batters : Absolument, à coup sûr, oui.
C’est bien dommage que nous n’ayons pas plus de temps pour votre témoignage.
La sénatrice Pate : Monsieur Rudin, j’ai trouvé votre recommandation intéressante. Je me demande pourquoi vous n’avez pas recommandé quelque chose de plus large, sans vous limiter aux dispositions actuelles.
M. Rudin : En tant qu’organisation, nous nous opposons constamment aux peines minimales obligatoires, et c’est pourquoi j’ai laissé ce débat de côté.
Je ne veux pas dire par là que nous sommes d’accord avec les peines minimales obligatoires ni que ce sont d’excellentes solutions, parce que nous ne les approuvons pas. Cependant, étant donné les autres témoignages que vous entendez, puisque le projet de loi le prévoit et que, jusqu’à un certain point, les peines minimales obligatoires qui s’appliquent à la conduite avec facultés affaiblies suscitent un plus large consensus que dans le cas de certaines autres infractions, nous voulions nous concentrer sur cette disposition-là.
Je ne sais pas ce qui se passera, mais, si le projet de loi est adopté, on pourra faire de petits ajustements. Je ne veux pas dire par là que nous sommes en faveur des peines minimales obligatoires.
M. Russomanno : Il est important de souligner que l’article 730 exclut toujours la possibilité d’une absolution. Même s’il s’agit d’une manière contournée d’échapper à une peine minimale, il n’en reste pas moins que la personne qui veut échapper aux conséquences d’une condamnation au criminel ne peut obtenir l’absolution si elle dépasse un seuil donné.
Le président : C’est un grave problème.
Merci beaucoup de vous être présentés et merci de votre contribution à notre étude d’aujourd’hui. Je m’excuse encore une fois d’avoir dû vous faire attendre. Nous allons certainement réfléchir à vos conseils et commentaires. Ils seront utiles dans l’évolution de ce projet de loi.
(La séance est levée.)