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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 1er mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 10 h 34, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis heureux de vous accueillir à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat du Canada.

Je souhaite également la bienvenue à nos deux invitées.

Comme vous le savez, notre étude porte sur le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

[Français]

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-46 qui vise à apporter des modifications au Code criminel pour réprimer la conduite avec facultés affaiblies.

[Traduction]

Nous avons le plaisir ce matin d’accueillir Mme Kyla Lee, avocate chez Acumen Law Corporation, et Mme Sarah E. Leamon, avocate criminaliste chez Acumen Law Corporation.

Bienvenue à vous deux. Je crois comprendre que vous ferez un exposé, puis nous aurons une discussion libre avec les membres autour de la table. Laquelle de vous deux souhaite y aller en premier?

Sarah E. Leamon, avocate criminaliste, Acumen Law Corporation, à titre personnel : Nous vous laissons décider.

Kyla Lee, avocate, Acumen Law Corporation, à titre personnel : Je peux commencer.

Le président : Vous me mettez vraiment sur la sellette. Maître Lee, vous avez la parole.

Mme Lee : Merci de m’avoir invitée ici aujourd’hui à discuter du projet de loi. À titre d’information, je m’appelle Kyla Lee. Je suis avocate criminaliste à Vancouver, et ma pratique porte principalement sur les lois sur la conduite avec facultés affaiblies. Je m’occupe non seulement des infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies, mais aussi de l’interdiction immédiate de conduire et des suspensions administratives du permis dans le cas de conduite avec facultés affaiblies en Colombie-Britannique.

J’ai une très bonne formation dans le domaine des lois sur la conduite avec facultés affaiblies. J’ai reçu une formation sur le programme de tests de sobriété normalisés et d’évaluation de reconnaissance de drogues. J’ai donné des conférences dans le monde sur les infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies et j’ai témoigné devant la Cour suprême du Canada concernant l’interdiction immédiate de conduire.

Certaines des principales inquiétudes que j’ai à l’égard du projet de loi C-46 concernent les dispositions du projet de loi ayant trait aux alcootests obligatoires. Je suis d’avis que ces dispositions du projet de loi contreviennent à l’article 8 de la Charte, parce qu’elles permettent aux policiers de demander de manière totalement arbitraire un échantillon de substances corporelles aux fins d’analyse.

Ces dispositions sont particulièrement problématiques, parce qu’elles permettent à des policiers d’abuser de leur pouvoir en faisant du profilage racial et en réalisant des contrôles routiers ciblés, ce qui m’inquiète particulièrement à titre de Métisse. Nous avons évidemment vu de nombreuses études au pays concernant des policiers qui abusent de leur pouvoir et qui réalisent des contrôles routiers aléatoires d’une manière qui engendre du profilage racial. Ces dispositions du projet de loi sont particulièrement préoccupantes.

J’ai aussi l’impression que le projet de loi engorgera les tribunaux et entraînera des retards importants en raison des contestations fondées sur la Charte — lorsque je parle de contestations fondées sur la Charte, c’est garanti qu’il y en aura — ayant trait aux dispositions qui permettent des vérifications aléatoires, mais les mécanismes prévus dans les lois qui permettent la tenue d’un procès entraîneront des demandes additionnelles qui engorgeront les tribunaux.

Je crois comprendre que ma collègue, Mme Leamon, discutera de certaines demandes de communication de renseignements.

Toutefois, la demande que je souhaite aborder concerne le contre-interrogatoire de l’éthylométriste ou du technicien en hématologie qui a prélevé l’échantillon de sang dans les cas où les facultés affaiblies ont été déterminées par une analyse sanguine. Dans de telles circonstances, en vertu du Code criminel, une personne peut actuellement demander à la cour l’autorisation de contre-interroger le technicien, et cette autorisation est pratiquement toujours accordée.

Aux termes des modifications proposées dans le projet de loi, l’accusé devra maintenant formuler une demande 30 jours avant la date fixée pour aviser la Couronne et la cour qu’il souhaite contre-interroger le technicien. La Couronne aura ensuite 30 jours pour y donner suite. La demande doit être formulée par écrit, et l’accusé doit énoncer la pertinence du contre-interrogatoire.

C’est particulièrement troublant, parce que cela prolongera en gros d’une journée tout procès pour conduite avec facultés affaiblies où la défense souhaite contre-interroger le technicien et que cela obligera aussi l’accusé à révéler son jeu à certains égards : sa défense concernant l’utilisation ou l’entretien de l’appareil au moment de la vérification et sa défense concernant le prélèvement des échantillons sanguins, le processus et l’analyse de ces échantillons. Cela va à l’encontre des droits qu’ont les accusés en vertu de l’article 7 de la Charte. Cela me préoccupe tout particulièrement.

Voici un autre problème que j’ai remarqué dans le projet de loi et qui me semble particulièrement troublant. Cela concerne les dispositions relatives aux capacités affaiblies par la drogue. La proposition d’établir le taux de THC dans le sang à deux nanogrammes par millilitre est très problématique. Je souligne que cette décision ne se fonde aucunement sur des données scientifiques et que l’explication fournie par le gouvernement pour justifier sa proposition me trouble particulièrement. Le problème, c’est que le gouvernement ne croit pas qu’un taux de deux nanogrammes par millilitre signifie qu’une personne a les capacités affaiblies ou que c’est un comportement criminel, mais la création d’une infraction punissable par déclaration sommaire de culpabilité pour le refléter fera en sorte que toute personne reconnue coupable d’avoir un taux d’alcoolémie égale ou supérieure à ce taux se retrouvera avec un casier judiciaire. Une absolution n’est pas possible, parce qu’une peine minimale obligatoire est imposée même dans le cas d’une infraction punissable par déclaration sommaire de culpabilité.

Par conséquent, plus de Canadiens se retrouveront avec un casier judiciaire. Je prédis également que, étant donné que plus de personnes se retrouveront avec un casier judiciaire pour quelque chose qui n’a rien de criminel, la stigmatisation générale dans notre système de justice pénale associée à un casier judiciaire finira par diminuer avec le temps, ce qui aura des conséquences inattendues sur la gravité des peines dans le cas d’autres infractions et dans d’autres secteurs. Bref, le projet de loi peut avoir des conséquences sur les gens qui se présenteront devant les tribunaux pour non seulement des infractions de conduite avec facultés affaiblies, mais aussi d’autres infractions.

J’aimerais conclure mon exposé en disant que je souhaite que vos travaux au sujet du projet de loi tiennent compte de certaines préoccupations que j’ai soulignées. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci, maître Lee.

[Français]

Mme Leamon : Je remercie les membres du comité de me donner l’occasion de leur parler aujourd’hui du projet de loi C-46. C’est un projet de loi très important qui entraîne de nombreuses implications quant à la Charte, et je suis heureuse d’être ici.

[Traduction]

Je tiens tout d’abord à dire que j’accepte entièrement tous les objectifs du projet de loi en ce qui a trait à la conduite avec facultés affaiblies. Ces objectifs sont valides et nécessaires, et nous devons réduire le nombre de collisions, de blessures et de décès qui surviennent chaque année sur nos routes en raison de la conduite avec facultés affaiblies.

Sauf votre respect, je suis d’avis que les mécanismes par lesquels le projet de loi cherche à atteindre ces objectifs sont problématiques. Certaines de ces modifications sont peut-être anticonstitutionnelles et vont peut-être même à l’encontre de la bonne administration de la justice. Elles auront peut-être l’effet inattendu de réduire le nombre de condamnations pour conduite avec facultés affaiblies en raison des contestations judiciaires et des retards.

J’aimerais commencer par traiter des limites ayant trait à la communication de renseignements. Comme nous le savons, la conduite avec facultés affaiblies est un domaine du droit hautement scientifique qui tient pour acquis que les procédures et les appareils sont précis, mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas.

Le président : Un peu moins vite, je vous prie. Les interprètes peinent à suivre votre rythme, et je suis certain que mes collègues souhaitent comprendre chaque mot que vous dites.

Mme Leamon : Je suis désolée. Je vais parler plus lentement.

Le président : C’est parfait. Merci.

Mme Leamon : Une personne accusée d’un crime a le droit de connaître tous les éléments retenus contre elle, comme le prévoit notre Charte, et elle doit avoir accès aux registres d’entretien en vue de déterminer précisément si un appareil était en bon état de fonctionnement. Les tribunaux ont déjà statué que certains documents passés ayant trait à l’alcootest sont nécessaires et qu’ils devraient être fournis à l’accusé.

Je crois comprendre que cette question est encore une fois débattue actuellement devant la Cour suprême du Canada dans les affaires Gubbins et Vallentgoed qui ont été entendues le mois dernier. La cour a pris la décision en délibéré, mais cette situation nous indique clairement que la question n’est pas réglée.

Le projet de loi cherche carrément à limiter la communication de renseignements, et l’objectif semble être de réduire les retards. Toutefois, ce qui est ironique ici, selon moi, c’est que cette modification est plus susceptible de contribuer aux retards que de les réduire. Les avocats de la défense devront formuler de vive voix et par écrit des demandes qui prennent beaucoup de temps en vue d’obtenir les documents nécessaires. Les procureurs de la Couronne devront répondre à ces demandes, et du temps sera réservé à cette fin devant les tribunaux.

Je propose de plutôt adopter des mesures semblables à celles qu’ont adoptées certains États américains, comme l’État de Washington, et de publier en ligne les anciens registres d’entretien des alcootests, ce qui permettrait à la population d’y avoir accès librement et facilement. Il a été démontré que cette pratique permet de réduire les retards.

Voici un autre problème, selon moi, avec le projet de loi. Il s’agit des contrôles routiers pour le dépistage d’alcool et de drogues. Comme nous le savons, le projet de loi cherche à rendre obligatoires les alcootests et à éliminer, par la même occasion, le besoin d’avoir un doute raisonnable pour ce faire. J’ai entendu que c’est nécessaire pour sauver des vies et que cela survivrait à une contestation fondée sur la Charte.

J’ai entendu la ministre de la Justice dire que fournir un échantillon d’haleine était la même chose que de présenter son permis de conduire. Sauf son respect, ce n’est pas la même chose. Un échantillon d’haleine est envahissant sur le plan physique, c’est un élément de preuve obtenu en mobilisant l’accusé contre lui-même dans le but de l’auto-incriminer et c’est une atteinte importante aux libertés individuelles.

C’est particulièrement le cas dans les situations où une personne est privée de son droit à un avocat avant d’entamer un processus qui peut avoir de graves conséquences juridiques.

À l’instar de ma collègue, je m’inquiète également de la manière dont ces dispositions seront mises en œuvre sur le terrain. Nous savons qu’il y a un risque réel de racisme implicite ou flagrant qui pourrait faire en sorte que les minorités visibles soient touchées de manière plus disproportionnée. C’est une vérité regrettable, et toutes les formations en classe sur la sensibilisation à la diversité n’arriveront pas à éliminer ce parti pris, le cas échéant.

Les policiers ont déjà les outils dont ils ont besoin pour détecter les conducteurs ayant les facultés affaiblies et les retirer de nos routes. Ils ont pratiquement des pouvoirs illimités pour intercepter des véhicules, et le seuil est très bas pour demander à une personne de se soumettre à une vérification au moyen d’un appareil de détection approuvé. Il serait plus efficace d’offrir des formations plus exhaustives aux policiers si nous voulons éviter que des conducteurs ayant les facultés affaiblies poursuivent leur route sans être détectés. Les policiers ont déjà les outils nécessaires pour retirer de nos routes les conducteurs ayant les facultés affaiblies, et ces outils sont conformes à nos lois et ils respectent les droits garantis par la Charte.

Pour conclure, j’aimerais très brièvement parler du système de deux poids, deux mesures, qui est créé pour le dépistage de l’alcool et des drogues sur le terrain. Ce faisant, je souhaite que nous ne perdions pas de vue l’objet du projet de loi et son principal objectif qui est évidemment de réagir à la légalisation de la marijuana. Il n’y a rien qui indique que la méthode, la manière ou la consommation d’alcool au pays changera à la suite de l’adoption de ces dispositions, et nous n’avons aucune raison de croire que la conduite avec les facultés affaiblies causées par l’alcool augmentera.

Je suis perplexe quant à la raison pour laquelle nous modifions des dispositions bien établies concernant l’alcool en vue d’autoriser le dépistage obligatoire alors que la même chose n’est pas faite pour les facultés affaiblies causées par la drogue. Je crois comprendre que cela découle des limites technologiques, parce que nous n’avons pas confiance en la fiabilité du matériel de détection des drogues. Qui plus est, dans seulement quatre mois, ce projet de loi pourrait entrer en vigueur, et nous n’avons pas encore choisi les appareils prévus dans les normes par le Comité des drogues au volant.

Nous avons également entendu à maintes reprises que ces appareils ne font rien d’autre que détecter la présence de drogue chez un conducteur et que ces appareils ne peuvent pas détecter le taux dans le sang ou vérifier les facultés affaiblies. Ce système de deux poids, deux mesures, entraînera une plus grande confusion chez les policiers lors des contrôles routiers, mais cela donnera aussi plus de munitions aux avocats de la défense qui remettront en question la fiabilité des procédures et des vérifications lors du procès et cela ouvrira aussi la voie à de futures contestations constitutionnelles.

En terminant, je souhaite souligner une évidence, c’est-à-dire que pour nous assurer de la validité constitutionnelle des dispositions nous devons évidemment trouver un équilibre entre les libertés individuelles et les intérêts de la société. Nous ne réussirons à réduire la conduite avec facultés affaiblies que lorsque nos lois seront jugées constitutionnellement valides et faciles à appliquer.

À mon avis, le projet de loi n’atteint pas ses objectifs. S’il est adopté, le projet de loi sera vigoureusement contesté, et je vous exhorte, sénateurs, à étudier attentivement le projet de loi et à réaliser un second examen objectif essentiel d’un projet de loi qui pourrait avoir des conséquences imprévues.

[Français]

Merci. J’ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : J’aimerais demander au sénateur Boisvenu, vice-président du comité, d’ouvrir l’échange avec nos témoins ce matin.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à vous deux. Merci beaucoup de vos présentations. J’ai deux questions à poser à chacune de nos invitées.

Ma première question s’adresse à vous, madame Lee. Vous êtes au courant que le gouvernement fédéral n’a pas encore homologué les appareils qui permettront aux policiers de détecter s’il y a présence ou non de cannabis dans la salive des conducteurs. Cette homologation pourrait se faire aussi tard que le mois d’avril. Si on tient compte de la formation, cela nous amène très tard cette année. Êtes-vous préoccupée par cette situation?

[Traduction]

Mme Lee : Cela ne me préoccupe pas, parce qu’il y a déjà des mécanismes en place dans les dispositions du Code criminel qui permettent aux policiers d’effectuer un dépistage pour évaluer si le conducteur a les capacités affaiblies par la drogue. Il s’agit des tests de sobriété normalisés.

Même si le policier n’est pas censé avoir recours à ces tests à cette fin, ces tests sont conçus à cette fin en vertu du Code criminel. Bref, les policiers ont déjà des outils dans la loi pour détecter les conducteurs ayant les facultés affaiblies par la drogue, demander aux conducteurs de se soumettre à une évaluation de reconnaissance de drogues et procéder à l’évaluation en ce sens, prélever un échantillon sanguin ou faire les deux.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Leamon, je vous pose une question en tant que criminaliste. Dans le projet de loi actuel, on prévoit des amendes minimales de 1 000 $ pour la première infraction. Cette amende ne fait pas de discrimination entre le conducteur intoxiqué qui n’a pas causé de blessures corporelles et celui qui a causé la mort. Est-ce que cette situation vous pose problème en tant que criminaliste?

[Traduction]

Mme Leamon : Non. Cela ne me pose pas de problème.

Comme nous le savons, le Code criminel prévoit des peines minimales obligatoires pour certaines infractions, et cette amende de 1 000 $ est imposée à quiconque accusé pour la première fois de conduite avec facultés affaiblies.

Cette amende obligatoire a comme conséquence qu’une absolution conditionnelle ne peut être accordée. L’accusé se retrouvera avec un casier judiciaire en raison de cette amende. C’est la raison pour laquelle je crois comprendre que cette disposition a été adoptée.

Il s’agit d’une peine minimale obligatoire. Même dans les cas où la conduite avec facultés affaiblies n’a entraîné aucune blessure corporelle ou aucun décès, nous pouvons concevoir qu’une amende beaucoup plus élevée puisse être imposée. Dans les cas où il y a des facteurs aggravants comme un décès ou des blessures corporelles, nous pouvons nous attendre à ce que cette amende soit plus élevée, et nous pouvons aussi nous attendre à ce que le juge impose à l’accusé une longue interdiction de conduire et le condamne probablement aussi à une peine en milieu carcéral.

En ce qui concerne la détermination de la peine, la décision est entre les mains du juge, ce qui est, à mon avis, dans l’intérêt supérieur de la société. L’objectif de cette amende obligatoire est d’établir qu’une condamnation au criminel sera déposée.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Avec tout le respect que je dois aux familles des victimes, le projet de loi C-46 ne devrait-il pas faire la distinction entre le chauffeur qui conduit intoxiqué et celui qui enlève la vie de quelqu’un? En ce sens, ne vient-on pas banaliser l’acte d’enlever la vie à quelqu’un?

[Traduction]

Mme Leamon : J’espère de tout cœur que ce n’est pas le cas. Je n’ai pas l’impression que ce régime législatif vient banaliser cela. Bien sûr, le fait de blesser ou de tuer quelqu’un est quelque chose de très, très grave, quelque chose de beaucoup plus grave que de se faire arrêter à un barrage routier après avoir bu quelques verres de trop.

Notre Code criminel tient compte de cela. Il y a trois infractions distinctes pour la conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles et la conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort, et ces infractions s’accompagnent de peines plus lourdes. Je sais que le régime prévoit la prison à vie dans les cas de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort. C’est une sanction très sévère.

En ce qui a trait à la gravité des circonstances, je ne crois pas que nous devrions nous focaliser sur l’amende. La question a beaucoup plus à voir avec les autres peines, comme les peines d’emprisonnement et les interdictions de conduire qui s’appliquent dans ces cas-là.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’aurais une question à poser à Me Lee et à Me Leamon. Maître Lee, vous avez parlé de votre expérience du régime administratif de suspension des permis en Colombie-Britannique. Pouvez-vous nous expliquer rapidement son efficacité ou les problèmes que pose ce régime dans votre pratique?

[Traduction]

Mme Lee : Le régime de suspension immédiate du permis de conduire a causé maints problèmes, et beaucoup d’entre eux n’avaient pas été prévus. Cette sanction a provoqué des retards dans nos tribunaux, pas à l’échelon provincial où ces affaires sont habituellement traitées, mais à l’échelon de la cour supérieure, la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dont les ressources ont été prises d’assaut par les contrôles judiciaires et les contestations constitutionnelles. Un délibéré est en cours en ce qui concerne la troisième version du régime de suspension immédiate du permis, version pour laquelle il y a plus de 300 dossiers qui sont gérés par un seul juge. Et si la contestation constitutionnelle n’aboutit pas, tous ces dossiers devront être traités sur la base des principes du droit administratif. Essentiellement, on ne fait que changer le problème de place.

L’autre problème que nous avons constaté à propos de la suspension immédiate du permis, c’est la déqualification des agents de police. Cela a eu une incidence négative sur les poursuites relatives aux infractions de conduite avec facultés affaiblies. Je reçois tellement de dossiers d’accusations criminelles pour conduite avec facultés affaiblies qui sont irrémédiablement viciés parce que les policiers n’arrivent pas à faire la distinction entre les procédures pour des suspensions du permis de conduire d’une durée de 90 jours et les enquêtes criminelles. Ils commettent des erreurs qui leur font perdre la condamnation au criminel, ce qui est irréversible.

Pour ce qui est de l’efficacité du régime, je crois qu’il serait très imprudent de se fier aux statistiques sur la diminution des décès dont le gouvernement de la Colombie-Britannique s’est vanté. D’autres explications ont été données pour expliquer cette diminution, dont l’utilisation accrue de la ceinture de sécurité, le vieillissement de la population des conducteurs et le fait que la sécurité des voitures s’est beaucoup améliorée depuis cinq ou six ans. Parallèlement à l’application de ce régime, d’autres facteurs se sont imposés pour expliquer l’amélioration de la sécurité routière. Du reste, le nombre de suspensions immédiates appliquées sur une base mensuelle reste constant, ce qui signifie que les gens ne modifient pas leur comportement sur la route. Il y a peut-être moins de morts, mais le nombre de personnes qui conduisent avec une alcoolémie trop élevée ne change pas.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Madame Leamon, la première de vos recommandations est d’accroître la sensibilisation du public aux dangers de la conduite avec facultés affaiblies.

C’est la deuxième recommandation qui m’intéresse particulièrement, qui est celle-ci :

[Traduction]

Renforcer les stratégies d’application de la loi pour lutter contre la conduite avec facultés affaiblies.

[Français]

Pouvez-vous nous préciser un peu ce que vous entendez par ce genre de stratégie?

[Traduction]

Mme Leamon : Absolument. De façon plus précise, ce que cela signifie, c’est que nous devons augmenter la présence et la visibilité des forces de l’ordre sur les routes durant les périodes critiques pour la conduite avec facultés affaiblies. Nous savons que les conducteurs intoxiqués se déplacent surtout à certaines heures de la journée, habituellement entre 23 heures et 4 heures. Nous savons aussi que la conduite avec facultés affaiblies est plus fréquente en milieu rural.

Les services de police doivent cerner ces périodes clés et ces régions clés, chercher à se rendre plus visibles sur les routes et dans les rues, et multiplier les barrages routiers afin de dissuader les gens de prendre le volant après avoir bu.

Notre mémoire conjoint fait état d’une étude affirmant que la visibilité des forces de l’ordre agit de façon beaucoup plus efficace auprès des jeunes conducteurs que les changements législatifs ou l’aggravation des sanctions pénales, surtout lorsqu’il s’agit de les dissuader. C’est une étude importante. Je crois que ce serait une façon plus efficace d’employer nos ressources, comparativement à la perspective d’adopter des lois qui n’ont ou n’auront aucun effet réel et pratique pour dissuader la conduite avec facultés affaiblies sur nos routes.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Est-ce que vous citez l’étude de Berg intitulée Reducing crashes and injuries among young drivers: what kind of prevention should we be focusing on?

[Traduction]

Mme Leamon : Oui, c’est celle dont je parle.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Votre quatrième recommandation est de publier en ligne les «breathalyzer maintenance records». Vous référez-vous à l’expérience des États américains?

[Traduction]

Mme Leamon : Oui. Il a été démontré que le fait d’afficher ce type de documents en ligne en facilite beaucoup l’accès pour le public. Et je ne parle pas seulement des avocats de la défense, comme moi, mais aussi des procureurs de la Couronne, des profanes et des agents de police. Ils auront accès à ces documents en claquant des doigts. Cela crée une situation où nos gens pourront accéder sans tarder à cette information et où nous n’aurons plus à attendre des réponses à nos demandes de divulgation. L’accès se fera sans heurt. Et d’après ce que j’ai compris, la mise en ligne de ces documents se fera très facilement une fois que l’infrastructure nécessaire aura été mise en place.

[Français]

Le sénateur Carignan : Si on tente d’améliorer le système afin de prévenir la conduite avec facultés affaiblies par les drogues, j’ai manifestement les mêmes réserves que vous sur l’impossibilité de faire un lien rationnel entre la limite comme telle et les facultés affaiblies.

Le Sénat avait adopté le projet de loi S-230 qui autorisait l’utilisation des appareils de détection après avoir constaté la présence de soupçons. Dans le projet de loi S-230, on référait également à l’expert en reconnaissance de drogue, avec les motifs raisonnables et probables de croire qu’il y avait infraction. Est-ce que vous pensez que ce système aurait plus de chance de passer le test des chartes que le système qui nous est proposé actuellement dans le projet de loi C-46?

[Traduction]

Mme Lee : Je crois qu’il est plus que probable que cela soit soumis à un examen minutieux fondé sur la Charte, en partie parce que cela reprendrait le système dont nous disposons déjà pour détecter les conducteurs avec facultés affaiblies. Toute l’analyse que la Cour suprême du Canada a faite dans le contexte de l’alcool s’appliquerait donc de façon égale au contexte de la drogue. Du reste, cette façon de faire est semblable au système dont nous disposons pour repérer les conducteurs que l’on soupçonnerait de conduire alors qu’ils ont consommé de la drogue.

À l’heure actuelle, il faut soumettre une demande de test normalisé de sobriété administré sur place, puis rassembler ses motifs raisonnables et présenter une demande d’évaluation par un expert en reconnaissance de drogues. À certains égards, cela améliore le processus et en tonifie la validité sur le plan constitutionnel puisque lorsque le conducteur accepte de se soumettre à un test rapide sur place plutôt que de s’astreindre en personne à une série d’étapes de contrôle, cela signifie un temps de « détention » plus court et moins invasif, ainsi qu’une diminution des risques d’erreurs de la part de la police quant à l’administration des tests.

Dans le cadre d’une contestation constitutionnelle, je crois que ce procédé serait mieux reçu par les tribunaux. Je crois également que cela étaye la notion selon laquelle les policiers constatent des symptômes, formulent des soupçons, obtiennent un résultat positif démontrant la présence de drogue dans le corps du suspect et procèdent à des tests plus approfondis. Il y a une série d’étapes pour confirmer ce problème avec le conducteur qui renforce la collecte d’éléments de preuve aux fins d’enquête.

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous en avez contre le système de contrôle aléatoire; le projet de loi parle de « obligatoire ». Si on appliquait le système de contrôle aléatoire à des transporteurs publics, comme les pilotes d’avion, les conducteurs de locomotive, et tout ce qui touche au transport public, comme les autobus et les trains, est-ce que vous pensez que cela aurait beaucoup plus de chance de passer le test des chartes que de l’imposer à l’ensemble de la population?

[Traduction]

Mme Lee : Je crois que oui, parce que cela éliminerait bon nombre de préoccupations relatives au ciblage des minorités visibles ou à celui d’individus particuliers. Cela interpelle aussi les personnes dans l’exercice de leur profession. Certains professionnels ont des obligations à cet égard, comme c’est le cas de ceux qui travaillent dans le transport en commun. Ils doivent connaître ces obligations. Les seules personnes ciblées sont d’ailleurs celles qui pilotent des moyens de transport qui transportent des gens ou qui, potentiellement, pourraient causer de graves blessures à un grand nombre de gens. Les éléments évoqués dans l’article 1 sont vraisemblablement mieux en mesure de venir au secours de la loi que n’importe quel conducteur lambda.

Je crois aussi que ces dispositions s’harmonisent admirablement avec les contrôles, les règles et les règlements déjà en place pour les chauffeurs d’autobus, les pilotes et les conducteurs formés. Aucune obligation additionnelle ne leur est imposée. Ils sont déjà assujettis à des restrictions qui les obligent à subir des tests de dépistage de drogues et d’alcool à la demande de leur employeur. Or, les dispositions dont il est question n’augmentent en rien les obligations auxquelles ces personnes doivent s’astreindre.

La sénatrice Eaton : Je vais poursuivre la conversation avec Mme Leamon, puis j’aurai une courte question pour vous, madame Lee. Il sait que je vais parler de l’organisme Employeurs des transports et communications de régie fédérale, l’ETCOF.

Les représentants de l’ETCOF ont dit à notre comité national des finances que l’organisme était très préoccupé du fait que le gouvernement ne lui avait accordé pratiquement aucune attention. Êtes-vous d’accord avec cela ou penchez-vous plutôt du côté de Mme Lee?

Mme Leamon : Je n’aime pas faire cela, mais, malgré tout le respect que je lui dois, je vous dirais que je ne suis pas d’accord avec Mme Lee à ce sujet. Bien entendu, nous savons que le Code criminel et la Charte doivent s’appliquer de la même façon pour tout le monde, sans égard pour le travail qu’ils exercent. Par conséquent, indépendamment de ce que dit la loi, deux personnes qui conduisent un véhicule sur la route devraient être assujetties au même contrôle sur place, qu’ils soient là dans le cadre de leur travail proprement dit ou du trajet qu’ils effectuent au point du jour pour se rendre au travail.

Pour moi, lorsqu’il est question de faire appliquer des lois de ce type aux personnes qui travaillent dans l’industrie du transport, je crois que la difficulté réside dans les questions d’ordre pratique lorsque vient le temps de veiller à l’application de la loi. Évidemment, il est beaucoup plus facile d’arrêter un conducteur intoxiqué dans son auto que d’intercepter un avion de ligne ou un remorqueur qui flotte sur l’océan. Nous n’avons tout simplement pas les mêmes moyens pour faire appliquer la loi sur nos routes et dans le ciel.

Ma compréhension du droit du travail est limitée, mais je pense que le droit du travail serait le lieu approprié pour traiter de ce genre de problèmes. Je comprends que le droit du travail a été confronté aux mêmes types de défis et de difficultés que nous avons ici en ce qui concerne le droit criminel, à savoir que la présence de drogue dans le corps de la personne que l’on teste ne signifie pas nécessairement que cette personne a les facultés affaiblies. Il n’y a donc pas beaucoup de sanctions qu’un employeur peut imposer à un employé dont le test de dépistage s’avère positif.

Cela dit, si ce projet de loi devient loi, les personnes qui commettent une infraction alors qu’ils sont aux commandes d’une semi-remorque ou d’un avion devront faire face à des peines plus sévères qu’avant. En effet, aux termes de la loi projetée, le fait de piloter un moyen de transport en échange d’une compensation financière ou de piloter un moyen de transport avec, à son bord, une personne de moins de 14 ans sera considéré comme un facteur aggravant lors de la détermination de la peine. Toutes ces choses pourront être prises en considération pour déterminer la peine.

La sénatrice Eaton : Merci. J’aimerais parler de la question que vous avez soulevée en matière de ciblage. Tom Stamatakis, président de l’Association canadienne des policiers, a fait savoir que le manque de ressources allait faire en sorte que les agents allaient continuer d’utiliser leur pouvoir discrétionnaire lors des tests de dépistage routiers. Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?

Mme Lee : Je pense qu’il est très dangereux de s’attendre à ce que tous les policiers, chacun d’entre eux, utilisent leur pouvoir discrétionnaire de façon appropriée. Je ne veux évidemment pas dire que tous les policiers sont racistes ou que le racisme influencera le jugement de tous les policiers, mais nous savons que cela peut se produire. Si vous laissez cela à la discrétion des services de police, même les préjugés inhérents que les gens ont sans être conscients de les avoir viendront teinter les décisions qu’ils prendront sur le terrain.

J’ai lu certains commentaires du sénateur Sinclair dans un article où il a récemment été cité. Il expliquait que, même lorsqu’il était juge, il faisait constamment l’objet de contrôles routiers aléatoires et qu’on lui demandait systématiquement de présenter son permis. Voilà ce qui arrive aux Autochtones dans ce pays. Voilà ce qui arrive aux Noirs dans ce pays. Voilà ce qui arrive aux Indo-Canadiens, aux Canadiens d’origine asiatique. Pour que ce soit vraiment aléatoire, la décision ne peut être laissée à la discrétion des policiers.

Le sénateur McIntyre : Merci à toutes les deux pour vos exposés. Je vais commencer par une observation. Les procès pour conduite avec facultés affaiblies par la drogue durent presque deux fois plus longtemps que les procès pour conduite avec facultés affaiblies par l’alcool. Je peux vous garantir que le projet de loi C-46 ne réduira pas la durée des procès pour conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Croyez-moi, je le sais, parce que j’ai pratiqué le droit assez longtemps pour connaître la différence qu’il y a entre les deux.

Ma question porte sur les limites légales en matière de THC. En fait, dans votre mémoire, vous formulez six recommandations, et l’une d’elles est que le Parlement devrait s’abstenir de fixer des limites en matière de THC.

Maintenant, en ce qui concerne les concentrations proposées de THC, le comité a jusqu’ici entendu le point de vue du ministère de la Justice quant aux considérations relatives aux capacités affaiblies et aux considérations liées à la sécurité publique. D’après ce que je comprends, la limite légale de cinq nanogrammes par millilitre est fondée sur des considérations relatives aux capacités affaiblies, tandis que la limite légale de deux nanogrammes par millilitre est fondée sur des considérations liées à la sécurité publique.

Il semble que la difficulté réside dans l’établissement d’une corrélation directe entre la concentration de THC et les facultés affaiblies, et bien sûr, comme vous l’avez indiqué dans votre mémoire, nous pouvons nous attendre à ce qu’il y ait des contestations devant les tribunaux au motif qu’il n’y aurait pas de consensus scientifique au sujet des concentrations de THC qui diminuent effectivement les capacités d’une personne. Cela dit, en toute équité à l’égard des fonctionnaires du ministère de la Justice, les concentrations proposées se fondent sur un rapport du Comité des drogues au volant de la Société canadienne des sciences judiciaires. Les concentrations proposées sont le fruit d’une décision politique que le gouvernement a prise à partir de cette information. Nous sommes donc en présence d’une lame à double tranchant, et j’aimerais savoir ce que vous pensez de cela.

Mme Lee : Je reconnais assurément qu’ils ont basé leurs recommandations sur le rapport de la Société canadienne des sciences judiciaires. Cependant, ce rapport est contredit par beaucoup d’autres données scientifiques. Je crois que l’autre aspect — il s’agit peut-être d’une lame à trois tranchants — c’est que le rapport ne reconnaît pas que beaucoup de gens qui ont une concentration élevée de THC dans le sang peuvent aussi avoir dans leur sang une certaine concentration de CBD, le cannabidiol, ce qui viendrait atténuer les effets affaiblissants du THC.

Dans notre mémoire, nous évoquons la récente affaire R. c. Miller qui a été entendue en Colombie-Britannique et dans laquelle une personne a été accusée d’avoir manqué à son ordonnance de probation pour s’être intoxiquée. La question se jouait sur la concentration de THC, mais son test sanguin a aussi révélé la présence de cannabidiol. Le tribunal ne pouvait pas trancher au sujet de l’effet atténuant que le cannabidiol peut avoir sur les effets affaiblissants du THC.

Si le gouvernement a l’intention d’aller de l’avant et de fixer une limite, peut-être qu’il devrait fixer une limite qui tiendrait aussi compte des autres choses que la marijuana dépose dans le sang et qui sont susceptibles d’atténuer les effets affaiblissants. En procédant de la sorte, le gouvernement permettrait à un accusé d’utiliser toute cette information et les résultats complets de ses tests sanguins pour étayer sa réponse et sa défense face à ce type d’allégations.

Le sénateur McIntyre : Aux termes du projet de loi C-46, les évaluateurs en reconnaissance de drogues seraient traités différemment des autres experts. Le projet de loi élimine le besoin de démontrer la qualité d’expert de l’évaluateur en reconnaissance de drogues pour que son témoignage à titre d’expert soit admis dans une procédure judiciaire.

Toutefois, l’exigence de la qualification serait maintenue pour les autres experts et, de toute évidence, tout cela est conforme à la décision de la Cour suprême dans R. c. Bingley. Les experts en reconnaissance de drogues devraient-ils être traités différemment des autres experts?

Mme Lee : Je ne pense pas. Je dois dire que je ne suis pas d’accord avec la décision de la Cour suprême dans l’affaire Bingley, et je ne pense pas qu’un évaluateur en reconnaissance de drogues devrait être traité différemment de tout autre expert simplement parce que le Code criminel stipule qu’il s’agit d’un expert, surtout si les évaluateurs en reconnaissance de drogues, tels qu’ils sont désignés par le Code criminel, ne peuvent être que des agents de la paix. Comme il faut en être un pour devenir évaluateur en reconnaissance de drogues, il est encore une fois difficile pour la défense de répondre entièrement aux contestations si son expert doit suivre le processus de qualification complet alors que la Couronne a l’avantage de n’avoir qu’à appeler son agent et à faire valoir qu’il s’agit d’un expert, ce qui n’est pas remis en question.

Le sénateur Pratte : Vous avez toutes les deux mentionné ce matin une chose que nombre d’autres témoins nous ont dite, soit que l’une des raisons pour lesquelles nous devrions modifier sensiblement ce projet de loi est que nombre des dispositions feront l’objet de contestations au titre de la Charte, ce qui engorgerait les tribunaux. Je veux en discuter brièvement.

Je me demande dans quelle mesure cet argument est valide en tant que tel si un gouvernement et le Parlement sont convaincus qu’une loi ou une section particulière d’une loi est valide et nécessaire. Il y a de fortes chances que nombre de dispositions du Code criminel fassent aujourd’hui l’objet de contestations fondées sur la Charte. En conséquence, je me demande si nous devrions le faire à chaque fois parce qu’une contestation sera soulevée au titre de la Charte. Nombre des dispositions concernant les limites d’alcoolémie ont fait l’objet de pareilles contestations, mais elles se sont avérées être bonnes et nécessaires. En conséquence, je ne suis pas sûr que ce soit un si bon argument. Si la disposition n’est pas bonne, nous devrions évidemment la juger ainsi et la modifier. Elle sera contestée d’une façon ou d’une autre. Même si elle est bonne, elle fera l’objet d’une contestation. Ainsi soit-il. Nous verrons ce que les tribunaux décident.

Mme Leamon : Certainement. C’est au conseiller juridique qu’il revient de contester les lois qui entrent en vigueur pour s’assurer qu’elles soient conformes à la Charte. Il me vient à l’esprit un certain nombre de contestations différentes fondées sur la Charte dont seront saisis les tribunaux concernant ces lois tant en ce qui concerne l’alcool que les drogues. Je prévois qu’il y en aura notamment lorsqu’il est question du dépistage obligatoire de l’alcoolémie à l’article 8, mais aussi des alinéas 10a) et 10b). Je me préoccupe beaucoup de l’atteinte à la sécurité d’une personne avec le prélèvement envahissant d’échantillons d’haleine, mais j’ai aussi des réserves quant aux droits visés à l’alinéa 10b).

J’ai été troublée par certains récits de formateurs de la GRC qui sont venus témoigner devant le comité et qui n’étaient pas, tout à fait, certains si les alinéas 10a) et 10b) entreraient en vigueur en application de ce régime législatif. Lorsque les formateurs de la GRC manquent de certitude à cet égard, cela crée des problèmes importants au chapitre du maintien de l’ordre. Cela ouvrira aussi la possibilité de contestations fondées sur la Charte qui, selon moi, pourraient être recevables.

Il est clair que nous ne devrions pas limiter ou minimiser l’importance des conseils juridiques lorsqu’il est question d’enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies. Sauf votre respect, je pense que c’est une erreur qu’ont commise certains chercheurs universitaires dont j’ai lu les analyses fondées sur la Charte à ce jour.

Ce n’est pas aussi simple que de dire à votre client de souffler dans un appareil ou un instrument en bordure de route. C’est beaucoup plus compliqué que cela. L’essence de ce qui est échangé entre un avocat et son client n’est, en aucun cas, susceptible d’examen, alors ce n’est pas une raison pour ne pas tenir compte de ce droit garanti par la Charte. Je pense que les alinéas 10a) et 10b) soulèvent d’importantes préoccupations en ce qui touche la question de l’alcool.

La question des drogues est une tout autre histoire. Je pense que les limites permises seront trop générales. À mon avis, quand les limites sont aussi basses et qu’il n’existe aucun lien entre les facultés affaiblies et ce niveau de THC dans le sang, elles ne sont pas liées de façon rationnelle à l’objectif de limiter la conduite avec facultés affaiblies. Les contestations qu’elles susciteront seront vigoureuses et elles auront, selon moi, de bonnes chances d’être recevables. C’est au gouvernement qu’il revient de s’assurer que nous adoptons des lois qui feront en sorte que pareilles contestations n’engorgent pas les tribunaux, ne créent pas de retards et n’entraînent pas de gaspillage d’argent.

Mme Lee : L’examen des mesures législatives susceptibles de faire l’objet d’importantes contestations fondées sur la Charte a changé à la lumière des décisions rendues dans l’affaire Jordan et l’affaire Cody. À titre d’exemple, lorsque le projet de loi C-2 a été adopté, il a créé d’énormes retards dans les enquêtes sur les cas de conduite avec facultés affaiblies, car tout le monde posait des questions au sujet de la rétroactivité de l’élimination de la preuve du contraire. Cela a commencé en 2008 et ne s’est pas réglé avant 2012, longue période pendant laquelle ces affaires sont restées en suspens dans les tribunaux. Compte tenu des jugements qu’a rendus la Cour suprême dans l’affaire Jordan et l’affaire Cody et de la limite de 18 mois pour le jugement d’une affaire en cour provinciale, où sont jugés la plupart des cas de conduite avec facultés affaiblies, c’est quelque chose que tout législateur doit garder à l’esprit. S’il est probable qu’une loi fasse l’objet d’une contestation fondée sur la Charte, en particulier une loi régissant la conduite avec facultés affaiblies, qui touche tellement plus de personnes que les autres types de lois pénales, je pense que, compte tenu du nouveau cadre dont nous disposons, c’est quelque chose que nous devons garder à l’esprit.

Le sénateur Gold : Merci d’être venue et bienvenue. J’ai un commentaire et une question. Bien que j’aie été professeur de droit constitutionnel pendant de nombreuses années, vous pourriez être surprise que, dans les faits, je ne veuille pas vous poser de question concernant la Constitution sauf pour faire remarquer que, comme vous le savez…

Le sénateur Carignan : Parce que vous connaissez la réponse.

Le sénateur Gold : Je ne présumerais jamais de connaître la réponse. Cependant, je sais que, lorsque nous examinons des mesures législatives, nous avons pour obligation constitutionnelle d’écouter attentivement les divers commentaires concernant leur constitutionnalité. Nous avons entendu divers points de vue, dont ceux de mon ancien collègue, le professeur Hogg — je suis certain que vous le savez — et du gouvernement. J’abonde dans le même sens que mon collègue, le sénateur Pratte. Je ne pense pas que vous suggériez que le fait qu’il y ait des contestations devrait paralyser toute initiative législative. Cependant, je ne veux pas parler de la Constitution parce que nous entendrons des témoignages d’autres personnes, et je respecte aussi votre point de vue.

Hier, un de nos témoins nous a conseillé de nous demander si c’est une bonne politique, même si elle est maintenue en application de l’article 1 — et je crois personnellement qu’elle le sera, mais là n’est pas la question. Je voulais connaître vos vues sur l’éventuel effet dissuasif de ce projet de loi en ce qui concerne l’alcool et les drogues.

Si je peux étoffer un peu la question, en vous fondant sur votre expérience, existe-t-il un fondement rationnel pour présumer que les tests d’haleine aléatoires, dont on peut dire qu’ils haussent les chances de repérer les personnes qui conduisaient avec facultés affaiblies, auront un effet dissuasif sur ceux qui autrement prendraient le volant après avoir consommé de l’alcool?

En ce qui concerne les drogues, abstraction faite de l’état des connaissances scientifiques, ne serait-il pas raisonnable de présumer — sachant qu’il existe des appareils pour détecter la présence de drogues, qui ne seront utilisés qu’en cas de conduite avec facultés affaiblies au sens de la loi — que vous pourriez être trouvé coupable d’une infraction en soi que vous conduisiez ou non avec facultés affaiblies et que cela inciterait fortement les gens à se dire : « J’aime fumer, alors j’ai intérêt à prendre un Uber? » Les gens croient à tort que fumer améliore leur conduite. Nous savons que ce n’est pas le cas. Nous savons que la marijuana, le cannabis, diminue votre capacité de conduire. Les données scientifiques sont claires. Cela varie d’une personne à l’autre, mais il est sûrement raisonnable de penser qu’il y a un fondement rationnel pour affirmer, même en sachant que vous pourriez être trouvé coupable d’une infraction criminelle si vous avez deux, trois, quatre ou cinq nanogrammes dans le sang : « Je ne vais pas prendre le volant si je fume. Je ne vais pas prendre ce risque. »

Si on laisse de côté la constitutionnalité et l’engorgement des tribunaux — qui sont des questions importantes —, est-ce néanmoins vrai selon vous, ou pouvez-vous vous prononcer sur l’éventuel effet dissuasif de cette mesure pour empêcher les gens de prendre le volant lorsqu’ils ont consommé de l’alcool ou du cannabis?

Mme Leamon : Les effets dissuasifs que la recherche appuie sont meilleurs lorsque l’application est visible et le public est sensibilisé. Les campagnes de sensibilisation doivent cibler les personnes à risque de conduire avec facultés affaiblies, que ce soit par la drogue ou l’alcool. Elles devraient s’adresser à ces groupes. Elles devraient donc viser les jeunes, et être faites en langues autochtones et dans les régions rurales dont nous savons qu’elles sont le plus touchées par ces types d’activités. L’Alberta et la Saskatchewan ont notamment des taux élevés de conduite avec facultés affaiblies, alors nous devrions nous attacher à sensibiliser le public. Le fait est que les lois ne font pas vraiment de différence à moins que les personnes les connaissent et les comprennent.

Mon autre préoccupation que vous avez soulevée concerne les limites permises et la criminalisation des conducteurs qui ont des taux particuliers de THC dans le sang. Je ne pense pas que la société ait intérêt à criminaliser les consommateurs, par exemple, de cannabis thérapeutique. Nous savons que ces personnes peuvent avoir des niveaux résiduels élevés de THC dans leur organisme longtemps après avoir ingéré de la marijuana. Ils ne conduisent pas après l’avoir ingérée, mais s’ils le font quelques jours plus tard pour se rendre à l’épicerie et qu’ils sont arrêtés, un test sanguin pourrait déceler entre deux et cinq nanogrammes dans leur sang. Je ne pense pas que les criminaliser soit dans l’intérêt de la société. Je ne pense pas que cela ait un effet dissuasif. C’est une mesure plus arbitraire qui n’aura pas l’effet souhaité sur la population et les attitudes en général concernant la conduite avec facultés affaiblies.

Le sénateur Gold : Si je vous ai bien compris, l’idée est que vous savez que vous pourriez être arrêté de façon aléatoire, et l’information est bien ciblée, si bien qu’elle devrait avoir une incidence sur ceux qui autrement se diraient qu’ils s’en sont tirés de nombreuses fois parce qu’ils boivent de la vodka et simulent bien la sobriété. Je bois du scotch, et je ne prends pas le volant quand j’ai bu.

En ce qui concerne votre dernière remarque, je comprends votre point de vue et je suis du même avis pour ce qui est des consommateurs de cannabis thérapeutique et du dilemme qui serait le leur. J’en ai parlé dans mon allocution au Sénat.

Quoi qu’il en soit, est-ce que le fait de savoir que je pourrais être arrêté et finir par être accusé d’une infraction me ferait réfléchir si j’en consommais régulièrement, ou à l’occasion, et me ferait dire que j’ai intérêt à ne pas conduire si je suis drogué? N’y aura-t-il pas d’effet dissuasif, au moins pour cette tranche de la population?

Mme Leamon : Oui, je pense que l’expérience de l’Irlande et de l’Australie nous a montré que les tests d’haleine aléatoires, du moins pour l’alcool, ont influé sur les taux de conduite avec facultés affaiblies à ces endroits. Cependant, nous devons nous rappeler que ces pays n’ont pas de Charte équivalente. Alors, encore une fois, on en revient à la Charte.

Je sais, sénateur Gold, que vous ne voulez pas parler de la Charte mais, malheureusement, il est impossible de l’éviter, et je pense que si nous voulions procéder à des tests d’haleine aléatoires, une meilleure façon de faire serait peut-être de n’appliquer la règle qu’aux barrages routiers, par exemple. À mon avis, cela éliminerait toute préoccupation concernant, par exemple, le profilage racial ou les arrêts arbitraires. Vous savez que si vous tombez sur un barrage routier, vous pouvez vous attendre à un test d’haleine. Je pense que cela aurait le même effet dissuasif sur la population, sans les problèmes qui découlent de l’application pratique et des droits garantis par la Charte.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous deux d’être ici. Madame Lee, vous nous avez fourni des renseignements importants concernant une éventuelle non-conformité à la Charte. À la page 1 de votre mémoire, vous dites :

Les modifications que le projet de loi C-46 envisage d’apporter ne feront qu’entraver l’administration de la justice. Les mesures proposées entraîneront des retards judiciaires accrus ainsi que d’énormes dépenses liées aux litiges qui engorgeront les tribunaux pendant des années.

[…] au bout du compte, il est probable que la plupart, sinon la totalité, des modifications proposées soient rejetées.

En ce qui concerne le dépistage obligatoire de l’alcoolémie, sur lequel nous avons entendu de nombreux témoignages hier aussi, vous avez dit :

Pourquoi les personnes qu’on soupçonne de conduite avec facultés affaiblies par l’alcool devraient-elles avoir moins de droits que celles qu’on soupçonne de conduite avec facultés affaiblies par la drogue?

Cela laisse entendre que l’on conclura aussi que la loi n’est pas appliquée de façon raisonnable lorsqu’elle fait l’objet d’une contestation constitutionnelle.

Pour revenir à l’argument soulevé plus tôt par le sénateur Pratte, je fais remarquer que la question n’est pas qu’il y aura des contestations fondées sur la Charte. Bien sûr, c’est le cas de probablement chaque loi que le Parlement adopte. La question ici est qu’il semble très probable que ces contestations fondées sur la Charte soient recevables avec ces différentes dispositions.

Je m’interrogeais sur le point suivant, madame Lee. Devant le Comité de la justice de la Chambre des communes, vous avez réagi à l’argument du professeur Hogg selon lequel il estimait que le projet de loi C-46 était conforme aux articles 8 et 9 de la Charte. Voilà ce que vous avez affirmé :

Je ne vois pas comment il peut arriver à cette conclusion quand notre Cour suprême a déjà statué que les mesures en vigueur actuellement contreviennent à l’article 8 et à l’alinéa 10b) de la Charte. Le projet de loi proposé écorche encore d’autres garanties.

Je me demandais si vous pouviez parler plus en détail de l’argument du professeur Hogg.

Mme Lee : Oui. Je réagis encore à l’opinion du professeur Hogg. Dans les affaires constitutionnelles dont a été saisie la Cour suprême du Canada à ce jour — les affaires Thompson, Bernshaw et R. c. Orbanski; ainsi que la plus récente, R. c. Elias — chaque fois que des essais d’appareils de détection approuvés ou des alcootests administrés sur place, comme les TSN, ont fait l’objet de contestations, la Cour a statué qu’ils contrevenaient à l’article 8 et à l’alinéa 10b) de la Charte. Ils sont sauvés par l’article 1 en raison de trois éléments, soit l’exigence relative au soupçon raisonnable, l’exigence d’immédiateté et l’immunité contre l’utilisation. En Colombie-Britannique, notamment, nous avons éliminé l’immunité contre l’utilisation parce que nous avons la saisie immédiate du véhicule. C’est déjà hors de question. Maintenant, nous éliminons l’exigence relative au soupçon raisonnable et l’exigence d’immédiateté pour simplement faire en sorte que les gens soufflent dans un appareil ou qu’ils participent à ces procédures d’essai envahissantes.

Étant donné que c’est déjà l’état du droit et que rien ne laisse entendre qu’il ne s’agit pas d’une bonne mesure législative — et la Cour suprême du Canada l’a elle-même suivie dans les affaires Orbanski et Elias au début des années 2000 —, je suis d’avis que, même si le professeur Hogg est, manifestement, un universitaire spécialisé en droit constitutionnel très respecté et beaucoup plus expérimenté que nombre de gens dans ce domaine, son opinion ne tient pas compte du fait que la Cour suprême ne s’est, à aucun moment, distanciée de ce qu’elle avait dit dans les années 1980.

La sénatrice Batters : Madame Leamon, au Comité de la justice de la Chambre des communes, vous avez affirmé ce qui suit concernant la limitation de la divulgation :

Les raisons de le faire semblent concorder avec les tentatives de combattre la perception de lenteur du système de justice pénale. Ironiquement, tout cela risque plutôt d’augmenter les délais. Les avocats de la défense, comme moi, perdront un temps fou à remplir des demandes d’accès à ces documents.

Notre comité s’intéresse fortement à la crise des retards qui sévit actuellement dans les cours pénales du Canada, et nous avons constaté qu’un nombre substantiel d’affaires de conduite avec facultés affaiblies mettent beaucoup de temps à être entendues par les tribunaux. Ces affaires criminelles engorgent le système de justice pénale quand il y a des accusations criminelles. Pourriez-vous traiter du problème de retards en fournissant un peu plus de détails que le temps vous a permis de le faire jusqu’à maintenant aujourd’hui?

Mme Leamon : Merci de cette question, sénatrice Batters. Les retards constituent un problème important, comme ma collègue l’a souligné précédemment, particulièrement au regard du contexte juridique actuel découlant de l’arrêt Jordan. La limite pour conclure un procès pour conduite avec facultés affaiblies ou une infraction criminelle est de 18 mois.

Or, nous savons que les dossiers de conduite avec facultés affaiblies exigent déjà beaucoup de temps. Il faut, en moyenne, de 105 à 230 jours pour qu’ils soient traités par le système de justice.

Les restrictions relatives à la divulgation ne feront que contribuer au problème, selon moi, car les avocats de la défense présenteront des demandes. Le projet de loi prévoit un mécanisme à cette fin. La demande doit être déposée, par écrit et de vive voix, au moins 30 jours avant le procès, et nous devrons nous adresser aux tribunaux, occupant ainsi une partie de leur temps précieux. Nous savons que notre système de justice est déjà surchargé. C’est donc un manque de vision que d’accorder plus de temps pour présenter ce que je considère comme des demandes superflues alors qu’on pourrait faire autre chose, comme publier ce genre de documents en ligne. On ne peut aisément faire fi de l’alinéa 11d) de la Charte des droits et libertés. Les gens ont le droit de connaître l’ensemble de la preuve retenue contre eux, qu’il s’agisse de conducteurs ayant pris le volant avec les facultés affaiblies ou de toute personne visée par des accusations criminelles.

Le droit d’obtenir les documents est important, et c’est Greg Yost, je crois, qui a fait remarquer à votre comité que les avocats de la défense sont créatifs. Ils trouveront des moyens de mettre la main sur les documents dont ils jugent avoir besoin pour défendre adéquatement leurs clients. La présentation de ces demandes prendra donc beaucoup de temps, mais je me préoccupe aussi de la rapidité et de la facilité avec laquelle les avocats de la défense obtiendront les documents. Ainsi, si la Couronne ne prévoit pas qu’elle devra fournir ce genre de dossiers historiques si la demande est acceptée, elle devra attendre que les corps de police recueillent les renseignements pour les lui faire parvenir, après quoi elle devra caviarder l’information avant de la transmettre à l’avocat de la défense, ce qui prendra encore beaucoup de temps. Voilà qui pourrait entraîner de nouveaux retards s’il faut demander un ajournement afin d’examiner la documentation avant le procès. Je pense que la manière dont les dispositions sur la divulgation du projet de loi sont rédigées provoquera bien des difficultés sur le plan des retards, et cela me préoccupe.

La sénatrice Boniface : Je veux simplement revenir à votre commentaire sur l’arrêt Bingley. Vous avez exprimé votre désaccord à ce sujet, mais je présume que vous acceptez que c’est la loi.

Mme Lee : C’est la loi.

La sénatrice Boniface : D’accord. Merci. Madame Leamon, vous avez fait référence à la réaction de la GRC à propos de la formation, soulignant qu’elle ne s’est pas encore penchée sur la question. Toutefois, pour être juste, il faut dire que le projet de loi n’est pas encore achevé. La GRC cherchera donc à obtenir des conseils juridiques à ce sujet et les intégrera à la formation. Il est donc logique qu’elle ne se soit pas encore occupée de la question.

Mme Lee : Oui. J’étais juste un peu étonnée que les formateurs de la GRC n’aient pas encore étudié ce genre de questions.

La sénatrice Boniface : Je pense qu’ils attendent le projet de loi. C’est une partie de la raison. Merci. En ce qui concerne le dépistage obligatoire de l’alcool, je m’étonne de votre désaccord avec M. Hogg. Je sais qu’il s’agit d’une personne éminente à contredire, et je comprends votre position. Il fait toutefois figure d’autorité, pas seulement au Canada, mais ailleurs, et il considère que l’article 1 pourrait sauver la mise. Il serait toutefois juste de dire que vous ne partagez pas cet avis.

Mme Lee : Je ne suis pas d’accord avec lui en raison de l’autorité prépondérante de la Cour suprême du Canada en la matière et du fait que les données de base pour procéder à une analyse de l’article 1, soit le nombre d’affaires de conduite avec facultés affaiblies et de décès sur les routes, n’a pas augmenté depuis les années 1980 ou le début des années 2000.

La sénatrice Boniface : Cela ne signifie toutefois pas que cela soit acceptable pour la population canadienne.

Mme Lee : Non.

La sénatrice Boniface : Merci.

La sénatrice Pate : Je vous remercie toutes deux de témoigner.

Vous connaissez peut-être l’article que Randy Elder a publié dans le magazineAmerican Journal of Preventive Medicine, où l’auteur conclut que la manière la plus efficace de prévenir les décès et l’alcool au volant serait une combinaison de programmes de traitement et d’installation de dispositifs d’antidémarrage.

J’aimerais connaître votre avis à ce sujet et savoir ce que vous pensez de l’accessibilité de ces programmes de traitement, l’objectif étant que les gens, particulièrement ceux qui sont aux prises avec de graves problèmes de dépendance, puissent s’en prévaloir.

Mme Lee : J’appuie sans réserve les programmes de traitement pour les gens qui éprouvent des problèmes d’alcool et de dépendance. Au cours de ma carrière, j’ai aiguillé dans cette voie des gens qui en avaient manifestement besoin et je ne les ai jamais revus, alors que d’autres qui n’ont pas suivi ces programmes reviennent parfois.

Quant aux programmes de systèmes d’antidémarrage, ils sont très accessibles. Ces dispositifs peuvent essentiellement être installés dans n’importe quel atelier de réparation de parebrises; la pose est donc assez simple. Notre organisation a réclamé l’installation obligatoire des dispositifs d’antidémarrage dans les véhicules commerciaux à titre de point de départ.

Mme Leamon : Je veux aborder très brièvement la question des absolutions assorties d’un traitement curatif, car je pense que cela concerne le sujet. Le projet de loi prévoit de ne plus autoriser ces mesures.

La Colombie-Britannique n’accorde pas d’absolutions, mais d’autres provinces le font. Il s’agit, selon moi, de mesures très importantes, car elles encouragent les gens aux prises avec des problèmes de toxicomanie et d’alcool depuis longtemps à chercher à obtenir des traitements. Cette mesure incitative contribue à réduire la récidive. Nous savons que des gens qui conduisent en état d’ébriété continuent de le faire.

Nous devons décider dans quelle sorte de société nous voulons vivre. Voulons-nous vivre dans une société où les lois ne servent qu’à sévir, ou désirons-nous traiter les contrevenants chroniques pour qu’ils ne récidivent pas et puissent réintégrer la société?

L’idée d’éliminer les absolutions assorties d’un traitement curatif et l’élément relatif aux absolutions est problématique, et je doute qu’elle atteigne les objectifs qu’elle devrait viser au chapitre des traitements.

[Français]

Le président : Je vais demander à nos invités de conclure rapidement leur réponse à la question du sénateur Carignan.

Le sénateur Carignan : Il sera difficile de répondre en 30 secondes. C’est une question très technique sur la chaîne de possession. Avez-vous eu la chance de lire le paragraphe 320.28(8) qui dit que « la personne qui, au titre du présent article, prélève des échantillons de sang en fait retenir un [...] » Il semble particulier qu’un tiers, que ce soit un médecin ou une infirmière, conserve l’échantillon pendant une longue période de temps plutôt que les policiers qui, habituellement, conservent les pièces à conviction. J’aimerais entendre vos observations à ce sujet.

[Traduction]

Mme Lee : Je pense que cette question a un lien avec nos propos sur les retards devant les tribunaux et dans le processus, car cette disposition pourrait permettre de convoquer les témoins pour qu’ils révèlent ce qu’ils ont fait des échantillons.

Bien des gens ne savent pas comment manipuler les échantillons sanguins. Si on les agite trop, on peut fracasser les cellules sanguines et ainsi faire augmenter le taux d’alcool. Si l’échantillon n’est pas réfrigéré à l’intérieur d’un délai donné ou conservé à température constante au réfrigérateur, il peut fermenter, ce qui y accroît le taux d’alcool.

Il est crucial que les échantillons soient remis aux agents de police, déposés dans une glacière et transportés au laboratoire dans les plus brefs délais. Le simple fait de mettre trop de temps pour analyser l’échantillon peut nuire à la fiabilité de l’analyse.

Le président : C’est avec plaisir que je remercie Mme Lee et Mme Leamon, d’Acumen Law Corporation. C’était un privilège que de vous avoir parmi nous pour répondre aux questions des sénateurs.

[Français]

Merci beaucoup de votre présence. Nous vous remercions de votre contribution à l’étude de ce projet de loi.

[Traduction]

J’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue ce matin à Andrew Murie, chef de la direction, et à Eric Dumschat, conseiller juridique, des Mères contre l’alcool au volant Canada, ainsi qu’à Markitas Kaulius, fondatrice et présidente de Families for Justice. Bonjour. Nous recevons également Grace Pesa et Sheri Arsenault. Bienvenue.

Je pense que nous entendrons d’abord M. Andrew Murie, des Mères contre l’alcool au volant Canada.

Andrew Murie, chef de la direction, Mères contre l’alcool au volant Canada : Merci de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui.

Juste avant de commencer mon exposé officiel, je voudrais saluer quelques personnes dans l’assistance, notamment LeeEllen Carroll, dont le conjoint, Bryan Casey, a été tué en 2011 par un chauffeur en état d’ébriété, et Lise Fournier, dont le fiancé, Alain Seguin, a été tué en 2013. Elles sont membres de la section d’Ottawa de MADD, qui compte des sections aux quatre coins du pays. C’est très important.

Je vous ai remis aujourd’hui une liasse de documents qui inclut mes notes d’allocution, ainsi qu’un message de notre présidente nationale, Patricia Hynes-Coates, dont le fils, Nicholas, a été tué lors d’un accident provoqué par un conducteur en état d’ébriété. Vous y trouverez également la dernière étude réalisée sur les tests d’alcoolémie obligatoires, qui vient d’être publiée dans le numéro de février 2018 du Canadian Criminal Law Review par le professeur Robert Solomon et la doyenne Erika Chamberlain, de la faculté de droit de l’Université Western Ontario.

Dans mon exposé d’aujourd’hui, je mettrai l’accent très précisément sur ce que MADD Canada considère comme le point le plus important dans le projet de loi C-46 : les tests d’alcoolémie obligatoires, que MADD Canada juge comme étant la plus importante mesure de lutte contre la conduite avec facultés affaiblies.

MADD Canada soutient également les amendements proposés sur les plans de la preuve et de la procédure qui, s’ils sont adoptés, régleront certaines des considérations techniques reliées à la loi existante, des décisions discutables des tribunaux et d’autres obstacles qui entravent les efforts pour procéder à des arrestations et à des poursuites dans des affaires de conduite avec les facultés affaiblies. Moins de contrevenants aux facultés affaiblies réussiraient à éviter toute responsabilité criminelle en raison de facteurs qui n’ont rien à voir avec leur comportement criminel, et ceux qui sont reconnus coupables seraient soumis à des sanctions plus sévères.

Qui plus est, MADD Canada soutient fermement les mesures visant les drogues et la conduite automobile, les trois niveaux per se, l’utilisation des tests de dépistage par analyse de salive, l’utilisation des tests sanguins et la réduction de la durée de la suspension de permis si le contrevenant adhère à un programme d’antidémarreur éthylométrique.

En 2016, les Centres for Disease Control des États-Unis a publié un rapport indiquant que le Canada détenait le plus haut pourcentage de décès dans des collisions reliées à la consommation d’alcool, soit 33,6 p. 100, parmi le groupe de 20 pays riches ayant fait l’objet de l’étude.

MADD Canada soutient ardemment et préconise les nouvelles lois qui mettent l’accent sur la dissuasion. Nous devons décourager les gens de conduire lorsqu’ils ont consommé trop d’alcool. Nous devons dissuader les gens avant qu’ils ne causent une collision qui risque de tuer ou de blesser quelqu’un; c’est pourquoi nous devons autoriser les policiers à utiliser les tests d’alcoolémie obligatoires.

Avant de discuter des bénéfices des tests d’alcoolémie obligatoires, je me dois de corriger certaines perceptions erronées. Les pratiques exemplaires en matière de tests d’alcoolémie obligatoires prévoient que tous les véhicules soient interceptés et que tous les conducteurs soient tenus de fournir un échantillon d’haleine. Les tests d’alcoolémie obligatoires fonctionnent sur le même principe que les fouilles obligatoires aux aéroports, sur la Colline du Parlement, dans les cours de justice ou dans d’autres édifices gouvernementaux. Quelques témoins ont fait valoir que les tests d’alcoolémie obligatoires entraîneraient du harcèlement, du profilage envers les minorités visibles et de la discrimination de la part des policiers. Rien d’inquiétant au sujet de pratiques douteuses de la part des policiers n’a pu être trouvé dans tous les documents de recherche ou dans la pratique courante des tests d’alcoolémie obligatoires.

Le Canada a actuellement un système de tests d’alcoolémie sélectifs. Seuls les conducteurs soupçonnés d’avoir consommé de l’alcool peuvent être testés. Les recherches ont démontré que les tests d’alcoolémie sélectifs ne réussissent pas à détecter une portion significative des conducteurs dont les facultés sont affaiblies : ils manquent 90 p. 100 des conducteurs dont le taux d’alcoolémie se situe entre 0,05 et 0,079 p. 100, et 60 p. 100 des conducteurs dont le taux d’alcoolémie est au-dessus de 0,08 p. 100.

Dans vos documents, vous verrez deux graphiques. Dans le cas de l’Irlande, le test d’alcoolémie obligatoire a réduit non seulement le nombre de décès et de blessures, mais aussi le fardeau qui pèse sur les tribunaux. Comme cette mesure a un effet dissuasif considérable, moins de gens sont susceptibles de prendre le volant en état d’ébriété; le nombre de personnes accusées de conduite avec les facultés affaiblies chute donc, considérablement.

La même chose s’est produite à Hong Kong, où on a observé une diminution notable du nombre d’accidents de la circulation.

Je pense qu’on pourrait étudier pays après pays. Ce sont les deux derniers pays à avoir adopté le test d’alcoolémie obligatoire, obtenant des résultats probants dans les deux cas. Les expériences de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande font également l’objet d’une documentation importante.

Nous estimons prudemment que, lorsque les tests d’alcoolémie obligatoires seront utilisés à des fins préventives, nous observerons une réduction de 20 p. 100 des décès au Canada. Nous pensons également que cette mesure réduira le nombre de blessures subies chaque année, lesquelles devraient être inférieures à 12 000.

La recherche est claire sur ce point, et les études prenaient en compte d’autres facteurs qui auraient pu avoir une incidence sur les alcooltests obligatoires. Un grand nombre de témoins que vous avez entendus ont fait valoir que l’Irlande et Hong Kong sont différents de nous, mais dans le cadre des recherches bien définies parues dans les bonnes publications, les auteurs ont contrôlé les autres facteurs. En Irlande, par exemple, le taux d’alcoolémie a été réduit à 0,05 p. 100. Ce facteur étant contrôlé, quand on parle des tests d’alcoolémie obligatoires et qu’on donne ces chiffres, c’est pour l’effet du test obligatoire seulement. C’est un point important à souligner.

On estime que si les tests d’alcoolémie obligatoires sont approuvés au Canada, il en résulterait des économies de 4,3 milliards de dollars la première année. Ce chiffre est fondé sur une estimation utilisant les ressources policières actuelles et le nombre de points de vérification de la sobriété actuels.

Le soutien à l’égard des tests d’alcoolémie obligatoires augmente de façon notable après leur mise en place. Par exemple, en Nouvelle-Galles du Sud, le soutien relatif aux tests d’alcoolémie obligatoires était de 63,8 p. 100 avant leur mise en application. Ce soutien a augmenté à 85,3 p. 100 au milieu de 1983, six mois après leur mise en application, et a atteint 97 p. 100 en 1987. En 2002, 98,2 p. 100 des conducteurs du Queensland soutenaient les tests d’alcoolémie obligatoires.

Donc, plus on effectue des tests d’alcoolémie obligatoires depuis longtemps et plus la population peut en apprécier les avantages pendant une longue période, plus cette mesure recueille de soutien.

Il existe déjà un soutien important des tests d’alcoolémie obligatoires au Canada. Dans un sondage effectué en 2009, 66 p. 100 des Canadiens s’étaient dit en faveur d’une loi qui autoriserait les policiers à utiliser ces tests. En 2010, un sondage d’Ipsos Reid a démontré que 77 p. 100 des Canadiens étaient fortement en accord ou plutôt en accord avec la mise en place des tests d’alcoolémie obligatoires.

Une fois informés du potentiel des tests d’alcoolémie obligatoires sur le plan de la réduction des décès attribuables à la conduite avec facultés affaiblies, 79 p. 100 des répondants ont déclaré qu’il s’agit d’une intrusion raisonnable pour les conducteurs.

Le directeur des affaires juridiques de MADD Canada, M. Robert Solomon, a conclu que les tests d’alcoolémie obligatoires ne contreviennent pas à la Charte. M. Peter Hogg a reconnu la validité de notre analyse de la Charte. Qui plus est, M. Hogg a, de manière indépendante, conclu, dans un avis juridique écrit officiel transmis à MADD Canada, que les tests d’alcoolémie obligatoires ne violeraient aucunement les dispositions de la Charte.

Il est essentiel de considérer les tests d’alcoolémie obligatoires dans le contexte des mesures de dépistage couramment acceptées et appliquées de façon routinière dans les aéroports canadiens. En 2015, on estime que 131 millions de passagers sont montés à bord d’un avion et en sont descendus au Canada. Il n’est pas inusité pour ces passagers d’avoir à retirer leurs souliers, leur ceinture ou leurs bijoux, de voir leurs effets personnels soumis à un test de dépistage d’explosif ou radiographiés à la recherche d’armes, ou encore d’avoir à se soumettre à une fouille manuelle. Il n’est pas rare d’avoir à attendre 10 ou 15 minutes pour être soumis à ces tests de dépistage. Ces tests sont acceptés parce qu’ils servent à assurer la sécurité du public.

Soyons clairs : beaucoup plus de personnes meurent chaque année dans des accidents attribuables à l’alcool au volant qu’à bord des avions.

En conclusion, MADD Canada exhorte le Sénat à faire preuve de leadership et à adopter le projet de loi C-46.

Le président : Merci beaucoup. J’invite maintenant Markitas Kaulius à nous faire sa déclaration.

Markitas Kaulius, fondatrice et présidente, Families for Justice : Merci de m’avoir invitée à comparaître devant vous aujourd’hui. Ma fille, Kassandra, a été tuée le 3 mai 2011, à l’âge de 22 ans, par une conductrice aux facultés affaiblies. Elle revenait à la maison après avoir encadré une partie de balle molle, et elle avait la priorité pour tourner à gauche. Elle s’est fait frapper du côté conducteur, à une vitesse de 103 kilomètres l’heure. Kassandra a perdu les 60 années suivantes de sa vie.

Ce soir-là, la conductrice a choisi de mettre tout le monde en péril sur la route. Elle conduisait à une vitesse dépassant plus de deux fois et demie la limite légale pour conduire. La personne qui a enlevé la vie à ma fille n’est qu’une conductrice parmi des milliers de conducteurs sur nos routes tous les jours qui choisissent de conduire avec les facultés affaiblies. Ils laissent derrière eux un horrible cortège de vies détruites, de blessés et de morts.

Les familles qui ont été abandonnées ne devraient plus avoir à supporter l’angoisse et la souffrance liées à l’inhumation de leurs enfants et de leurs proches à la suite d’un accident lié à la conduite en état d’ébriété ou sous l’effet de drogues. Les enfants ne devraient plus devenir orphelins lorsque leurs parents se font enlever la vie en raison d’une décision téméraire d’un chauffard de prendre le volant après avoir consommé de l’alcool ou une drogue.

L’organisation Families for Justice a demandé au gouvernement du Canada à plusieurs reprises au cours des sept dernières années de modifier les lois régissant la conduite avec facultés affaiblies. Nous lui avons présenté des pétitions signées par plus de 120 000 citoyens, qui demandent que le Code criminel du Canada soit modifié et que l’accusation au titre de la conduite avec facultés affaiblies causant la mort soit désormais appelée « homicide au volant causé par des capacités affaiblies », puisque c’est exactement ce dont il s’agit. Cela viserait tous les décès futurs découlant de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue ou l’alcool.

La pétition demandait aussi au gouvernement de présenter des lois imposant une peine minimale de cinq ans pour les personnes déclarées coupables de conduite avec capacités affaiblies causant la mort. Dans le cas d’une peine de cinq ans, l’accusé pourrait purger environ 10 mois avant d’être admissible à une libération conditionnelle.

Nous vous avons fourni des lettres de soutien de la Division K de la GRC en Alberta, de sa Division E en Colombie-Britannique, de la British Columbia Association of Chiefs of Police, de l’Alberta Federation of Police Associations, du service de police d’Edmonton et de l’Association canadienne des chefs de police, qui appuient tous nos efforts pour exercer des pressions afin que des changements soient apportés aux dispositions législatives canadiennes régissant la conduite avec facultés affaiblies. Ces organismes représentent des personnes qui sont exposées elles-mêmes à la réalité de la conduite avec facultés affaiblies et qui doivent composer avec ses durs contrecoups. Ils croient, eux aussi, que les lois doivent être modifiées.

Dans la documentation que je vous ai remise, j’ai inclus une lettre que j’ai reçue de M. Justin Trudeau, en date du 15 avril 2015, dans laquelle il déclare ce qui suit :

La conduite avec les facultés affaiblies est un choix personnel inacceptable, et les résultats tragiques qui en découlent sont prévisibles et irréversibles. C’est pourquoi je partage votre opinion selon laquelle la conduite avec facultés affaiblies est un acte criminel qui mérite une ferme condamnation morale de la part de la société canadienne. La nécessité d’empêcher un conducteur aux facultés affaiblies d’enlever la vie à un innocent est la raison qui me motive à soutenir l’adoption du projet de loi C-652. Comme vous le savez, l’adoption de la loi de Kassandra fera en sorte que l’infraction de conduite avec facultés affaiblies causant la mort s’appellerait dorénavant « homicide au volant causé par des capacités affaiblies », et c’est exactement ce dont il s’agit : une personne moralement coupable d’avoir tué une autre personne. En raison de ce changement, une condamnation serait un autre argument de poids et, nous l’espérons, constituerait une meilleure mesure de dissuasion pour les éventuels conducteurs aux facultés affaiblies.

De plus, il a affirmé appuyer le projet de loi C-590.

[…] qui vise à alourdir les peines imposées aux personnes qui conduisent en état d’ébriété avancée et permettra aussi d’imposer des peines à celles reconnues coupables de conduite avec facultés affaiblies causant la mort.

Les peines minimales obligatoires ne s’appliquent pas à tous les actes criminels. Néanmoins, elles devraient être mises en place lorsqu’un conducteur aux facultés affaiblies enlève la vie à une personne innocente. À l’heure actuelle, au Canada, toute personne qui est reconnue coupable d’avoir causé la mort d’une autre personne en raison de l’usage d’une arme ou d’un couteau sera condamnée à une peine d’emprisonnement de 7 à 10 ans. Comment se fait-il que les peines soient si légères lorsqu’une personne en tue une autre en conduisant avec les facultés affaiblies sous l’effet de la drogue ou de l’alcool?

Un véhicule qui se retrouve entre les mains d’un conducteur aux facultés affaiblies devient une arme de 3 000 livres sur nos routes. Malheureusement, des milliers de personnes innocentes sont tuées chaque année. Les victimes qui sont décédées ont reçu une peine de mort, et les familles sont condamnées à vivre toute leur vie sans leurs proches.

En 2010, presque autant de conducteurs ayant consommé de la drogue, soit 34,2 p. 100, sont morts que de conducteurs ayant consommé de l’alcool, soit 39,1 p. 100. À l’heure actuelle, la peine minimale infligée à une personne qui cause la mort en conduisant en état d’ébriété est une amende de 1 000 $. Dans le cadre du projet de loi C-46, le gouvernement veut porter l’amende à 1 500 $.

Je vous le demande, à vous tous ici présents : trouvez-vous qu’une amende de 1 500 $ soit une peine appropriée pour une personne qui enlève la vie à votre enfant ou à un être cher? Les gens vous diront que ce n’est absolument pas suffisant.

Le projet de loi C-652, déposé en 2015 par le gouvernement précédent, proposait une peine minimale obligatoire de six ans pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort. Ce serait là une peine appropriée, mais pas une amende de 1 500 $.

Dans le projet de loi C-46, l’article 320.22 prévoit qu’il existe un facteur aggravant si le passager a moins de 16 ans. Nous croyons que le facteur aggravant doit toujours s’appliquer, quel que soit l’âge du passager. Les facteurs aggravants devraient aussi inclure le nombre de passagers lorsque le conducteur conduisait alors que ses capacités étaient affaiblies. À cela devraient s’ajouter la vitesse et le délit de fuite.

Les peines minimales obligatoires permettraient de garantir l’uniformité des jugements dans tout le système de justice. Les contrevenants seront punis selon leur culpabilité morale globale et la gravité du crime qu’ils ont commis. Les peines obligatoires contribueront à créer une norme de justice qui s’applique uniformément à toutes les parties qui ont été accusées de crimes similaires.

Les réformes du régime de la détermination des peines devraient se centrer sur l’amélioration de la sécurité publique. Les peines devraient être proportionnelles à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

La sécurité publique des Canadiens doit être une priorité pour le gouvernement. Nous croyons que le gouvernement a la responsabilité de protéger tous les Canadiens et de veiller à ce que ceux qui commettent des crimes contre eux soient punis de façon appropriée.

Une législation devrait être en place pour assurer l’imposition de peines plus strictes à ceux qui tuent des gens innocents et qui mettent la vie des autres en danger au sein de notre société.

Le président : Merci. Madame Arsenault, je vous saurais gré d’être très concise. Je vois que le temps presse, et mes collègues seront nombreux à vouloir échanger avec vous au sujet de votre déclaration.

Sheri Arsenault, à titre personnel : Oui, je vais faire de mon mieux. Je suis désolée, c’est très difficile. Nous avons tellement de choses à dire.

Le président : Vous aurez l’occasion de préciser votre pensée dans les échanges avec mes collègues.

Mme Arsenault : Je serai brève. Merci beaucoup.

Comme vous le savez, je ne suis pas une spécialiste juridique, et je ne représente certainement pas un organisme doté de vastes ressources comme MADD, mais je suis une vraie victime. Je suis la mère d’un garçon de 18 ans qui a été tué, en compagnie de ses deux amis.

J’espère que vous avez eu l’occasion de regarder la vidéo que je vous ai envoyée. C’est un complément très important à mon mémoire, car ce n’est pas seulement mon histoire déchirante, mais l’illustration de ce que vivent quatre Canadiens chaque jour. Le temps n’allège pas notre chagrin.

Je n’entrerai pas dans les détails concernant mon fils, mais je peux vous dire qu’il a dû être identifié à l’aide de sa fiche dentaire — c’était tout à fait horrible. Voilà ce qui est arrivé à mon fils et à ses deux bons amis.

En 2015, le gouvernement précédent a déposé le projet de loi C-73, qui prévoyait une peine minimale obligatoire de six ans. En 2017, le projet de loi C-46 a été déposé, mais on a retiré toutes les mesures raisonnables de dissuasion et de responsabilisation applicables aux conducteurs aux facultés affaiblies causant la mort.

Les demandes en faveur de la modernisation indispensable des lois et de la reconnaissance de la gravité d’une perte de vie sont tombées dans l’oreille d’un sourd. Les peines imposées aux conducteurs reconnus coupables d’une infraction de conduite avec facultés affaiblies causant la mort sont extrêmement légères et très incohérentes d’un bout à l’autre du pays. Le projet de loi C-46 propose une amende de 1 000 $ à titre de peine minimale pour l’infraction générale liée à la conduite, mais il prévoit également la même peine minimale de 1 000 $ pour ce qui devrait être considéré comme une infraction beaucoup plus grave, à savoir la conduite avec facultés affaiblies causant la mort. Au regard de cette peine minimale prévue dans le projet de loi C-46, il n’y a tout simplement aucune dissuasion ou punition efficace pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort.

La grande majorité des conducteurs aux facultés affaiblies ne sont pris en flagrant délit qu’après une tragédie. C’est alors considéré comme leur première infraction, et un délinquant qui en est à sa première infraction a beaucoup de poids. Nous savons tous que, en réalité, c’est plutôt la première fois qu’ils se font prendre.

Nous devons régler le problème des récidivistes. Notre système de justice considère ce crime comme un accident, contrairement aux autres crimes causant la mort. Vous aurez du mal à trouver un seul Canadien qui estime que les peines imposées à ceux qui causent la mort correspondent le moindrement à ce qu’elles devraient être. C’est simple : la peine n’est pas proportionnelle au crime.

Essentiellement, il s’agit du même projet de loi que celui présenté en 2008, soit le projet de loi C-13. Les peines sont si légères et le risque de se faire prendre est si faible que les conducteurs récidivistes endurcis sont prêts à prendre le risque.

Je ne crois pas que les tests d’haleine aléatoires ou le dépistage obligatoire parviennent à dissuader ce genre de conducteurs ivres. Vous trouverez des peines plus sévères pour la chasse en dehors de la saison ou la pêche sans permis; pourtant, chaque jour, quatre familles doivent enterrer leurs enfants.

Je vais vous dire pourquoi les peines obligatoires seraient, selon moi, efficaces. Elles renforceraient sensiblement l’objectif de dissuasion de la détermination de la peine. Elles uniformiseraient les règles du jeu pour les juges, les procureurs et les avocats de la défense, tout en maintenant la marge de manœuvre considérable dont disposent les juges à l’égard du nombre minimal et maximal d’éléments à prendre en considération, comme les facteurs atténuants ou aggravants.

Par-dessus tout, une peine minimale obligatoire de cinq ans serait comparable à celle applicable à d’autres crimes graves qui causent la mort; ce ne serait plus considéré comme un accident ou une terrible tragédie. Des mesures de dissuasion plus efficaces sont essentielles, mais surtout, la responsabilisation est également un élément crucial.

Pour moi, il est inconcevable que le gouvernement ne prenne pas davantage au sérieux la conduite avec facultés affaiblies causant la mort. Il n’y a rien de plus grave que la perte d’une vie ou la mort d’un enfant. Je crois qu’on devrait examiner le projet de loi C-46 avec un esprit d’ouverture, en accordant une attention particulière aux répercussions, aux décès, aux blessures, aux déclarations des victimes et au coût social, tout en respectant les demandes des Canadiens qui réclament clairement des peines plus sévères. Si le Code criminel ne prévoit pas une peine minimale obligatoire de cinq ans, cela signifie que les Canadiens seront forcés d’accepter des peines de deux ou trois ans pour un acte criminel lourd de conséquences. Après tout, nous sommes en 2018 et, dans le monde d’aujourd’hui, je crois que la décision de conduire avec les facultés affaiblies est, en fait, délibérée.

Je crois sincèrement qu’il incombe à votre comité sénatorial d’examiner le projet de loi C-46 très attentivement, d’un point de vue non partisan, en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies causant la mort, surtout compte tenu du fait que le cannabis viendra s’ajouter à l’équation. Il est donc maintenant d’autant plus impérieux que la législation nécessaire sur cette question de vie ou de mort ne soit pas prise à la légère ou négligée. Nous ne pouvons plus considérer ce crime comme un accident et le traiter comme tel.

Il est recommandé que le Sénat propose que le projet de loi C-46 soit amendé pour y inclure une peine minimale obligatoire de cinq ans applicable aux conducteurs reconnus coupables de conduite avec facultés affaiblies causant la mort, à l’instar de ce qui était prévu dans les projets de loi précédents. Afin d’atténuer les répercussions de ce crime grave sur la société, notre seul espoir est de réduire le carnage, le nombre de morts et la souffrance causés par les conducteurs aux facultés affaiblies et de rendre justice aux familles canadiennes.

Grace G. Pesa, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Faute de temps, sachez que j’ai supprimé quatre paragraphes de mon exposé, parce que je crois que vous avez reçu une copie de mon mémoire.

Cela dit, je m’appelle Grace Pesa, et je viens de Calgary. Je suis une mère, une victime et, maintenant, une militante. Je vous fais part d’une tragédie personnelle dans l’espoir que mon histoire et les autres témoignages que vous avez entendus vous amèneront à étudier le projet de loi C-46 en tenant compte des raisons pour lesquelles je demande une peine minimale obligatoire pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort.

Ma comparution ici aujourd’hui rouvre le traumatisme que j’ai vécu, et ce n’est pas facile. Mon fils, Francis, a été tué par un conducteur en état d’ébriété. Mon fils avait 20 ans. Dans le mémoire que je vous ai remis, j’ai inclus une copie de la notice nécrologique et un article paru dans un journal de Calgary, ce qui vous permettra de mieux connaître mon fils, alors je vais sauter cette partie.

Quant à l’affaire, je souligne que Kulwinder Singh Chohan a choisi de conduire sous l’influence de l’alcool, et qu’il buvait depuis la veille. Il a causé une collision entre quatre véhicules. Francis est décédé cinq jours plus tard. À cause de cette collision, les passagers des autres véhicules qui ont été percutés ont subi de multiples blessures. Le conducteur a été reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies causant la mort et de conduite causant la mort avec alcoolémie supérieure à la limite permise. Il a plaidé coupable et a été condamné à trois ans de prison.

Permettez-moi de citer mon fils aîné à propos de cette peine :

[…] dites-moi donc, est-ce que c’est juste? Est-ce qu’une telle peine correspond à la perte que ma famille a subie? Est-ce que cela est représentatif du potentiel perdu d’un jeune de 20 ans disparu à jamais? À moins qu’il y ait des heures de visite au paradis, je ne crois pas que nous puissions justifier cela parce que la famille du délinquant pourra toujours lui rendre visite à sa guise, mais moi, je ne reverrai plus jamais mon frère.

C’est une question que nous continuons à nous poser encore aujourd’hui : en quoi une telle peine sert-elle la justice?

J’aimerais faire valoir quatre points sur les peines minimales obligatoires qui sont proposées.

Premièrement, une amende de 1 000 $ imposée à un conducteur reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies dépasse l’insulte.

Deuxièmement, une vie fauchée ne vaut que 1 000 $.

Troisièmement, pour une personne riche, une amende de 1 000 $ n’est que de la menue monnaie. Comme Sheri l’a dit, ce n’était qu’une amende payable par carte de crédit.

Quatrièmement, le fait demeure que ce montant ne servira jamais de mesure de dissuasion ou de prévention. L’absence de peines minimales obligatoires continue et continuera d’inciter les conducteurs ivres à faire passer leur besoin de commodité avant la vie des autres.

La conduite avec facultés affaiblies causant la mort n’est pas considérée comme un crime grave. On la désigne, encore aujourd’hui, comme un accident. D’où ma question : où est la peine minimale obligatoire pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort? Il faut des peines d’emprisonnement minimales obligatoires pour avoir tué une personne.

Tant et aussi longtemps qu’il y aura des cas de conduite avec facultés affaiblies causant la mort dans notre société, nous serons toujours menacés par ce crime. Rien ne dissuadera les gens ou ne préviendra ce crime. C’est la raison pour laquelle, comme l’a dit Markitas, des milliers de Canadiens ont signé une pétition sur l’imposition de peines minimales obligatoires. Les familles des victimes souhaitent qu’il y ait des peines minimales obligatoires parce qu’elles veulent que les mesures aient un effet dissuasif, assurent la protection des gens et préviennent ce crime.

J’ai eu le privilège de rencontrer d’autres victimes partout au pays — des centaines, en fait —, et nous continuons de nous demander pourquoi il n’y a pas de peine minimale obligatoire. Pourquoi, pour le même crime, les peines imposées sont-elles si différentes d’une province à l’autre? Je n’ai encore rencontré personne qui est contre l’imposition de peines minimales obligatoires.

Tout le monde peut être une victime. Ce crime ne choisit pas ses victimes. Il peut être commis n’importe où, n’importe quand. Il ne s’agit pas de savoir quand, car nous savons qu’il y a quatre décès par jour. Il s’agit de savoir qui sera la prochaine personne.

Avant de terminer, j’aimerais souligner de nouveau pourquoi je suis ici, et je vais citer mon fils aîné :

Si j’avais le choix, je ne ferais pas cela, je ne voudrais pas révéler toutes ces choses. Je préférerais qu’elles restent dans notre famille, mais si cela nous permet de changer la donne, alors je subirai cette épreuve. Ce n’est plus seulement pour nous, mais pour les autres personnes qui n’ont pas le courage de demander que la situation change.

Après tout, si nous n’agissons pas maintenant, alors quand? Si nous ne le faisons pas ici, alors où? Vous êtes en mesure de changer les choses. Le temps est venu, ici, maintenant. Il sera trop tard une fois que vous serez à ma place, que vous vivrez et direz les mêmes choses que moi.

Le président : Merci beaucoup, madame Pesa. Votre témoignage était très convaincant.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci de vos témoignages. Je sais que la perte d’un enfant est une peine qui durera toute votre vie. Je sympathise beaucoup avec vous. Je vous remercie de nous réitérer le fait qu’une sanction minimale ne doit pas seulement avoir un effet de dissuasion. Il faut reconnaître qu’un crime grave a été commis et, à ce sujet, le Code criminel a toujours fait preuve de justice : un crime grave équivaut à une sentence proportionnelle. Je vous remercie beaucoup de vos témoignages, mesdames.

Ma question s’adresse à tous ceux qui nous écoutent sur Internet ou à la télévision. Un enfant qui perd la vie à cause d’un chauffard qui a choisi de consommer de la drogue ou de l’alcool, c’est difficile, surtout lorsqu’on impose une sanction minimale de 1 000 $. Dans une société comme la nôtre, est-ce juste?

[Traduction]

Mme Arsenault : C’est l’un des plus grands problèmes : il n’existe aucun moyen de dissuasion contre ce crime. Qu’est-ce qui pourrait être plus grave que la perte d’une vie? Comme je l’ai dit, la peine n’est pas proportionnelle au crime. Un véhicule est une arme mortelle, à mon avis. Conduire avec les facultés affaiblies est un choix; ce n’est pas un privilège.

Une amende de 1 000 $, ce n’est pas sérieux; c’est risible, et c’est très insultant de dire que la vie d’un humain ne vaut que cela. Nous voulons que l’amende soit comparable à celles qui s’appliquent pour d’autres crimes ayant des conséquences aussi graves.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Depuis des années, vous militez en faveur des droits des familles. Vous avez correspondu avec M. Trudeau lorsqu’il faisait partie de l’opposition pour lui demander s’il était en faveur des sanctions minimales sévères, et je pense qu’il vous avait appuyée. Avez-vous reçu depuis un soutien de la part du gouvernement dans vos démarches?

[Traduction]

Mme Arsenault : Non. Nous essayons de rencontrer la ministre de la Justice depuis 2016. Il est très difficile de connaître les raisons pour lesquelles cela a été retiré du projet de loi C-46, alors que c’était dans le projet de loi d’initiative ministérielle précédent. C’est très difficile.

Tout ce que j’ai vu, c’est que la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a déclaré à la Chambre des communes que son gouvernement ne s’opposait pas à l’imposition de peines minimales obligatoires pour les crimes graves. Par conséquent, j’en conclus que le gouvernement actuel ne considère pas la conduite avec facultés affaiblies causant la mort comme un crime grave.

Mme Kaulius : Je voulais seulement mentionner que nous avons écrit à tous les députés de la Chambre. Je pense que nous avons reçu 12 réponses.

Voici le type de peines que nous avons vues pour les accidents mortels : un jour de prison, des amendes de 1 500 ou 2 000 $, 90 jours à purger les fins de semaine, une amende de 1 500 $ et sept fins de semaine. Cet homme a tué deux personnes. C’était la troisième fois qu’il était accusé de conduite avec facultés affaiblies.

Dans l’est du pays, un homme a été accusé de conduite avec facultés affaiblies pour la 19e fois. À Victoria, une femme en est à sa 21e fois. Nous nous demandons pourquoi ces personnes ont toujours un permis de conduire.

Je veux vous dire l’unique raison pour laquelle nous sommes ici — nous avons déjà perdu nos enfants. Nous essayons d’empêcher que d’autres parents perdent les leurs.

Le président : Nous le comprenons très bien.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, mesdames, de comparaître devant nous. Vous faites preuve de détermination en venant ici partager avec nous des souffrances dont on ne se remet pas nécessairement. Je n’ai pas de question à vous adresser, mais je voulais vous faire part de l’importance de votre démarche. Il est extrêmement important que les gens trouvent le courage de le faire, même dans les épreuves personnelles les plus difficiles. Cela nous aidera à prendre une décision plus éclairée. Merci.

J’ai une question qui s’adresse à M. Murie. Dans votre exposé, vous avez fait référence à deux tableaux, aux pages trois et quatre. Je ne les ai peut-être pas vues dans votre document, mais quelles étaient les études en question? Pouvez-vous nous faire parvenir les références de ces études, s’il vous plaît?

[Traduction]

M. Murie : C’est dans le document de M. Solomon et de Mme Chamberlain.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous de vos exposés. Mes sincères condoléances pour la perte de vos êtres chers.

Je crois comprendre que vous recommandez tous l’utilisation de moyens de dissuasion plus efficaces et l’adoption de mesures prévoyant des peines plus sévères pour les conducteurs en état d’ébriété. Je comprends votre point de vue.

En ce qui concerne les mesures prévoyant des peines pour la conduite avec facultés affaiblies au Canada, je conviens qu’il n’y a aucune comparaison possible entre les mesures législatives qui ont été présentées par le gouvernement précédent, en 2015, et le projet de loi C-46. Toutefois, en supposant qu’aucun amendement ne sera apporté au projet de loi — je m’attends à ce que des amendements y soient apportés, mais supposons que ce ne soit pas le cas —, ce que je vais vous dire vous rassurera peut-être un peu. Je remarque que l’article 320.22 du projet de loi C-46 prévoit des circonstances pour la détermination de la peine, par exemple « la perpétration de l’infraction a entraîné des lésions corporelles à plus d’une personne ou la mort de plus d’une personne », de même que « le contrevenant conduisait un gros véhicule à moteur ».

Parmi les autres circonstances, il y a les suivantes : « le contrevenant avait comme passager dans le moyen de transport qu’il conduisait une personne âgée de moins de seize ans », et « le contrevenant était engagé soit dans une course avec au moins un autre véhicule à moteur, soit dans une épreuve de vitesse, dans une rue, sur un chemin ou une grande route ou dans tout autre lieu public ».

Je ne vous poserai donc pas de question; je voulais seulement faire cette observation. Merci.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie de votre présence. Nous n’oublierons certainement pas vos témoignages.

Ma question s’adresse à M. Murie. De nombreux témoins nous ont parlé de l’établissement de limites légales pour les drogues, ce que, sauf erreur, vous appuyez. Comme vous le savez, il y a beaucoup d’incertitude quant au fondement scientifique permettant d’établir ces limites, surtout la limite inférieure, et au lien entre la limite et l’affaiblissement des facultés. J’aimerais que vous nous donniez votre point de vue à cet égard, car bon nombre de gens ont l’impression que ces limites sont vulnérables, parce qu’on n’a pas établi de lien évident concernant la limite inférieure de 2 nanogrammes et l’affaiblissement des facultés.

M. Murie : Il faut que ce soit axé sur les deux aspects de ce qui arrive sur le bord de la route. Tout d’abord, le policier doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner que la personne est sous l’effet d’une drogue. En supposant que le projet de loi C-46 a été adopté, le policier aurait déjà vérifié si la personne a les facultés affaiblies par l’alcool.

L’autre chose qui, je crois, a été vraiment mal comprise, c’est que le Comité des drogues au volant a recommandé que la concentration seuil des appareils d’analyse du liquide buccal soit de 25 nanogrammes. Si pendant le contrôle routier, une personne a dans l’organisme une concentration se situant à 25 nanogrammes, ses facultés sont très affaiblies. C’est nettement supérieur à ce qu’on verrait pour un conducteur qui a consommé de l’alcool avec le taux d’alcoolémie de 0,08.

Ce qui se passe, c’est qu’elle échoue au test d’analyse du liquide buccal. À ce moment-là, le policier peut faire une demande d’analyse sanguine. Comme vous le savez, la personne a le droit d’être représentée par un avocat, et le temps file.

Nous savons que pendant ce temps, le THC se dissipe à environ 90 p. 100. Il est encore probable d’obtenir un test positif; cela dépend de ce qu’était le niveau d’intoxication.

On ne peut donc pas se concentrer sur la concentration de deux ou cinq nanogrammes par millilitre dans le sang. C’est que la personne avait les facultés très affaiblies, et un certain nombre d’heures plus tard, les résultats sur les concentrations dans le sang n’indiquent pas ce qu’elles étaient lorsque la personne était au volant. C’est pourquoi nous soutenons cela.

Honnêtement, je vous dirais que cette limite est beaucoup trop élevée, mais c’est celle qui convient pour commencer. Pour l’alcool, dans les années 1980, nous avions commencé par une limite très élevée de sorte qu’il ne s’agissait que des cas de facultés très affaiblies. Au fil du temps, ces limites seront réduites.

Le sénateur Pratte : Dites-vous que les limites de deux et cinq nanogrammes sont beaucoup trop élevées, ou bien que la limite de 25, c’est beaucoup trop élevé?

M. Murie : La limite de 25 est beaucoup trop élevée.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais poursuivre avec cette limite, mais juste avant, j’aimerais vous présenter M. Jean-Pierre Hunter et sa conjointe, que j’ai très bien connus à Saint-Eustache. Ils ont perdu leur fils qui a été victime d’une personne intoxiquée. Cela a beaucoup troublé la famille et l’ensemble de la collectivité de voir un jeune homme avec autant de potentiel s’envoler. On a beaucoup d’empathie pour vous. Je tiens à vous rendre hommage pour ce que vous faites. C’est vraiment impressionnant. Soyez assurés que tous les sénateurs ici et même dans la Chambre poursuivent le même objectif de rendre les routes les plus sécuritaires possible et de tenir loin les gens en état d’ébriété.

Dans cet ordre d’idées, ma question s’adresse plutôt à M. Murie. J’ai vu les commentaires qui ont été transmis à la ministre de la Justice sur la réglementation liée au projet de loi C-46. Il y a un autre groupe de victimes qui a produit un mémoire. Ces personnes citent plusieurs études, dont l’étude de la fondation de l’association américaine des automobilistes (AAA), qui s’oppose à la limite comme telle pour plusieurs raisons, y compris l’absence de lien rationnel. Il y avait aussi une étude du Colorado où, sur près de 11 000 cas, les trois quarts étaient sous la barre des cinq nanogrammes. Ils affirment que, avec un seuil de cinq nanogrammes, on risque d’échapper bon nombre de personnes qui auront les facultés affaiblies. Ils recommandaient d’enlever la limite comme telle, et d’adopter plutôt un contrôle à l’aide d’un appareil de détection de la présence de THC et de confier ensuite la personne à un expert en reconnaissance de drogue. Ils citent notamment d’autres pays qui ont fait ce choix, tels que l’Allemagne, la France, la Belgique et la Finlande.

Ma préoccupation, c’est d’avoir une loi efficace qui fera le travail. Je ne veux pas d’une loi qui sera adoptée et qui créera un faux sentiment de sécurité où, vous l’avez vu, les avocats de la défense risquent de tout contester et d’immobiliser le système. La loi existera théoriquement, mais, en pratique, elle n’aura aucune application. Je préfère une loi qui aura une application et qui sera constitutionnelle. J’aimerais vous entendre au sujet de cette recommandation, qui provient d’un autre groupe de victimes, selon laquelle on n’indique pas de limite per se, mais on adopte plutôt un système en deux étapes.

[Traduction]

M. Murie : Tout d’abord, je félicite le gouvernement pour l’approche qu’il adopte concernant l’appareil d’analyse du liquide buccal, car je le considère comme l’équivalent de l’alcootest. Malheureusement, le recours aux experts en reconnaissance de drogues et au test normalisé de sobriété administré sur place ne constitue pas cette mesure dissuasive, car il est difficile de décrire ce processus. Or, le fait de pouvoir dire qu’un appareil existe et que la police est dorénavant autorisée à s’en servir fera en sorte qu’il y aura un effet dissuasif. Il y aura de nouvelles technologies un jour. L’alcootest s’améliore avec le temps, mais à ce moment-ci, nous devons composer avec les technologies actuelles.

Là où les États-Unis ont fait fausse route concernant le problème de la conduite avec facultés affaiblies, c’est qu’ils n’ont pas inclus le liquide buccal; ils ne s’en remettent qu’aux experts en reconnaissance de drogues et au test normalisé de sobriété administré sur place. Au moment où on a des motifs raisonnables, où un expert en reconnaissance de drogues mène un examen, surtout s’il s’agit d’une drogue qui se dissipe très rapidement, comme l’amphétamine, le THC, je ne doute pas que la plupart… Je crois que les études révèlent que dans 85 p. 100 des cas, la concentration était bien inférieure à cinq nanogrammes. C’est logique, car il a fallu attendre trois heures et demie pour qu’une analyse sanguine soit effectuée. C’est logique. Ils ont donc ruiné leur système en n’incluant pas le liquide buccal.

Je suis tout à fait ravi, malgré certains des obstacles qui se présenteront. Y aura-t-il des contestations? Oui. Je crois que c’est la raison pour laquelle le gouvernement établit une limite aussi élevée pour le liquide buccal. Ainsi, c’est très fiable, très juste et je pense que les tribunaux résisteront à toute contestation.

Le sénateur Gold : Permettez-moi de me joindre à mes collègues pour vous offrir mes condoléances. Je vous remercie de votre présence et du courage dont vous faites preuve en nous aidant à mieux comprendre les répercussions qu’a la conduite avec facultés affaiblies sur vos vies et celles de vos familles qui ont perdu des êtres chers et qui sont à risque.

Ma question s’adresse aussi à M. Murie toutefois, et elle porte sur l’importance d’informer les gens sur les nouvelles mesures qui sont proposées dans le projet de loi C-46. J’aimerais que vous me disiez brièvement si vous êtes satisfait au moins de la façon dont les campagnes d’information et d’éducation sont mises en oeuvre. Y a-t-il des aspects pour lesquels il faudrait déployer des ressources supplémentaires ou différentes ou des moyens différents pour que les Canadiens de toutes les régions, et peu importe leur langue, sachent à quoi ressemblera le nouveau régime?

M. Murie : Je pense qu’il est vraiment important que les Canadiens comprennent le dépistage obligatoire et sachent ce que la police peut faire, et plus on sensibilisera les gens, plus cela aura un effet dissuasif. Donc, avant même que la loi entre en vigueur, en menant des campagnes de sensibilisation, on a déjà un effet dissuasif. Par conséquent, il est vraiment important, au départ… Il y a des groupes comme le nôtre, mais le gouvernement fédéral doit prendre des mesures de sensibilisation comme il l’a fait par l’intermédiaire de Sécurité publique pour la conduite avec facultés affaiblies. C’est donc très important. La période de 180 jours qui précède l’entrée en vigueur des mesures sur le dépistage obligatoire est le moment idéal pour mener ces campagnes.

Le sénateur Gold : Or, nous avons entendu, je crois, le ministre ou ses collaborateurs dire qu’en fait, certaines des campagnes, peut-être celles qui portent sur la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, ont déjà été lancées sur les médias sociaux. Je n’en connais pas le contenu. Je me demande si vous êtes au courant et si vous pouvez nous dire si ces campagnes sont efficaces.

M. Murie : Oui. Nous collaborons à ces campagnes avec le ministère de la Sécurité publique. Nous les avons jugées bonnes. De plus, nous avons préparé nous-mêmes trois messages d’intérêt public et nous recevons environ 1 million de dollars par mois pour le temps de diffusion. Nous nous y affairons donc tous. D’autres groupes interviennent aussi. Je pense que nous avons fait preuve d’efficacité.

À mon avis, l’une des choses les plus importantes que nous devrons faire une fois que le projet de loi C-46 aura été adopté, c’est de diffuser le message au public que la police peut utiliser les appareils d’analyse de liquide buccal immédiatement. Il faut que ce soit le sujet de la prochaine campagne publique que mèneront le gouvernement et des groupes comme le nôtre.

Le président : En fait, monsieur Murie, lorsque le ministre de la Sécurité publique est venu témoigner, il a parlé de votre collaboration avec le ministère dans le cadre de la campagne.

La sénatrice Pate : Je vous remercie tous de votre présence, en particulier Mmes Pesa, Arsenault et Kaulius et les membres de la section d’Ottawa des Mères contre l’alcool au volant qui ont aussi perdu des membres de leur famille. Je ne peux pas imaginer le chagrin que vous éprouvez ou la situation que vous vivez.

Si l’imposition de peines d’emprisonnement plus longues pouvait ramener vos enfants à la vie, je pense que vous pourriez compter sur bon nombre d’entre nous. Je souscris aux propos du sénateur Carignan. Nous voulons tous essayer de mettre fin à ce fléau, et ceux d’entre vous qui ont perdu des êtres chers le souhaitent plus que quiconque.

Ma question s’adresse à vous, mais aussi à M. Murie. Je veux aussi tous vous remercier du travail que vous accomplissez, les membres des Mères contre l’alcool au volant et chaque personne individuellement, avec la sensibilisation que vous faites et les répercussions de sorte que la population connaît les effets. Nous savons que cela peut avoir un effet dissuasif.

La plupart des études indiquent que cela passe par les programmes de traitement et de prévention. Hier soir, l’un des avocats qui a comparu devant nous a parlé de la nécessité d’utiliser des antidémarreurs et il a dit que l’une des façons d’empêcher les gens de conduire avec les facultés affaiblies, ce serait de faire en sorte qu’ils ne peuvent pas démarrer leur voiture. Si une personne a de l’alcool ou de la drogue dans son organisme, elle ne pourrait pas démarrer son véhicule. Je me demande si vous travaillez à ce dossier également ou si vous recommandez leur utilisation. Par exemple, à un moment donné, il y a eu des contrôles environnementaux pour les voitures, ce qui a été considéré comme un changement important. Nous en sommes maintenant aux voitures autonomes.

Mme Kaulius : La technologie existe et nous pouvons le faire. J’aimerais vraiment qu’on oblige les fabricants de voitures à mettre cela en œuvre. Il y a déjà des ceintures de sécurité et des coussins de sécurité gonflables dans les véhicules. Nous avons tout cela. Ces choses ont sauvé des vies. Je sais que si j’avais des enfants adolescents, c’est le type de voiture que j’achèterais.

La technologie existe. Il faut seulement que ce soit obligatoire et mis en œuvre. Je ne peux même pas vous expliquer ce que c’est que de perdre un enfant. Nous perdons des milliers de personnes chaque année, mais la conduite avec facultés affaiblies demeure la principale cause criminelle de décès. Cela fait 40 ans que des campagnes d’information et de sensibilisation sont menées. Je vis en Colombie-Britannique, et depuis la mise en place du régime de suspension immédiate du permis de conduire en septembre 2010, les policiers de la province ont arrêté plus de 195 000 personnes pour conduite avec facultés affaiblies.

On peut bien dire qu’il nous faut accroître la sensibilisation et l’information, mais cela a été fait, et les gens continuent de conduire avec les facultés affaiblies. Chaque mois, on retire plus de 2 000 personnes des routes en Colombie-Britannique.

Mme Pesa : J’aimerais répondre à la sénatrice Pate. Sachez que j’ai travaillé de l’autre côté de la clôture. J’ai côtoyé des jeunes contrevenants dans le milieu carcéral. Je crois à la réhabilitation, à la justice réparatrice et au potentiel de tous les programmes que nous avons en place. Je vais revenir sur ce qu’a dit Mme Kaulius. Nous menons des campagnes de sensibilisation depuis des années. Pourtant, je constate — et je l’ai surtout vu lorsque je m’occupais des dossiers des libérés conditionnels — qu’aussitôt que les gens mettent les pieds en prison, ils planifient déjà leur sortie. Ils ne prennent même pas le temps de réfléchir ou de comprendre pourquoi ils sont là. Ils doivent s’interroger sur ce comportement qui les a conduits en prison.

Cela dit, j’appuie cette mesure, mais j’ai tout de même l’impression que sans peine d’emprisonnement, il n’y aura pas d’effet dissuasif.

Mme Arsenault : J’aimerais tout d’abord voir une responsabilisation, et ensuite les gens pourraient se voir imposer un antidémarreur à vie. Je crois à la réhabilitation. Je me dis qu’une personne pourrait conduire à nouveau un jour. Je me mets souvent dans leur peau. Et si j’étais la mère du conducteur qui a fait une victime? Quand je m’adresse aux enfants de la neuvième et dixième année, ce qui est l’âge parfait, selon moi, je leur dis toujours que les conducteurs ivres ont des mères eux aussi. C’est une question qui comporte de nombreuses facettes.

J’aimerais que le programme d’utilisation d’antidémarreurs soit appliqué, mais ce que je veux voir avant tout, c’est la responsabilisation. J’estime que cela serait également une bonne façon de dissuader les gens de conduire avec les facultés affaiblies.

La sénatrice Boniface : Je suis consciente que le temps presse, mais je tiens à vous remercier tous et toutes d’avoir été des nôtres aujourd’hui, en particulier de nous avoir fait part de la réalité des conséquences qu’occasionne ce crime, car lorsqu’on étudie un projet de loi, on perd parfois de vue les répercussions concrètes. Il est important de prendre conscience qu’il y a des gens qui souffrent tous les jours, comme vous l’avez dit, en raison de ce crime.

Tout d’abord, je veux que vous sachiez que je vous ai bien entendu. Ma question portait sur l’expérience vécue en Irlande. Je vais alors m’adresser à M. Murie, car je crois savoir que le dépistage obligatoire de l’alcool est un moyen de dissuasion, tout comme le dépistage par prélèvement de salive. Je crois que l’expérience de l’Irlande l’a bien démontré. Seriez-vous d’accord?

M. Murie : Absolument.

La sénatrice Boniface : D’accord. C’est tout.

Le président : Comme vous pouvez le constater, nous avons largement dépassé l’heure qui nous était allouée. Au nom de tous mes collègues, je vous remercie infiniment. Je tiens à nouveau à vous féliciter pour votre engagement à accroître la sensibilisation de la population, car je considère qu’il y a la campagne qui est appuyée publiquement par les initiatives du gouvernement et par vos groupes, particulièrement MADD et Families for Justice, mais il y a aussi votre engagement personnel, madame Pesa, madame Arsenault, ainsi que les autres membres de vos groupes et organisations.

Nous vous sommes très reconnaissants pour votre dévouement à cette cause, car pour améliorer la vie des gens, il y a évidemment des initiatives du gouvernement, mais aussi des initiatives des citoyens, et je pense que vous démontrez bien l’importance de telles initiatives.

Je vous remercie, monsieur Murie ainsi que mesdames Kaulius, Arsenault et Pesa, d’avoir enrichi notre réflexion et notre étude sur cette question.

(La séance est levée.)

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