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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 47 - Témoignages du 20 juin 2018


OTTAWA, le mercredi 20 juin 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi, se réunit aujourd’hui, à 16 h 19, pour poursuivre l’étude de ce projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, je suis heureux de vous présenter la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, l’honorable Jody Wilson-Raybould. Elle est accompagnée de Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal.

Je m’excuse si nous sommes si éloignés. Normalement, nous avons une table ronde et c’est beaucoup plus convivial. En ce moment, j’ai l’impression que nous sommes très loin, mais l’échange sera chaleureux et spontané, j’en suis sûr, entre les honorables sénateurs présents à la table.

Comme vous le savez, nous étudions le projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi.

J’ai le plaisir d’inviter la ministre à présenter sa déclaration liminaire. Après cela, nous passerons à une période d’échanges.

L’honorable Jody Wilson-Raybould, C.P., députée, ministre de la Justice et procureure générale du Canada : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs, de me donner l’occasion de comparaître devant vous encore une fois, cette fois-ci pour discuter du projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi.

Je suis ravie d’être ici pour discuter de cet important projet de loi. Je vous donnerai un bref aperçu de ses principaux éléments.

Le projet de loi C-51 modifie le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice. Les modifications proposées au Code criminel font partie de mon examen continu du système de justice pénale et constituent une mesure concrète visant à rendre notre système de justice pénale plus équitable, accessible et pertinent pour tous les Canadiens.

Le projet de loi C-51 propose trois catégories de modifications au Code criminel.

Premièrement, cela permettra de clarifier et de renforcer les dispositions concernant les agressions sexuelles.

Deuxièmement, cela permettra de modifier ou d’abroger les articles du Code criminel que les tribunaux ont déclaré inconstitutionnels ou qui soulèvent des préoccupations relatives à la Charte.

Troisièmement, cela permettra d’abroger les dispositions désuètes et redondantes du Code criminel qui ne reflètent plus la société moderne canadienne ou qui ciblent des comportements déjà visés par d’autres infractions.

Ensemble, ces modifications prouvent le grand respect qu’a notre gouvernement à l’égard des droits et libertés garantis par la Charte et son engagement à moderniser notre droit pénal de sorte qu’il respecte le principe de modération et reflète fidèlement nos valeurs.

Je suis fière de dire que c’est la première fois en plus de 20 ans qu’un gouvernement apporte d’importantes mises à jour aux dispositions du Code criminel en matière d’agression sexuelle. Nombre des réformes proposées visent à codifier ce qui constitue déjà l’état du droit à la suite des décisions de la Cour suprême du Canada.

Par exemple, le projet de loi prévoira qu’une personne inconsciente ne peut consentir à une activité sexuelle et que la défense de croyance sincère, mais erronée au consentement, ne peut être fondée sur une erreur de droit ni sur la passivité du plaignant.

Suivant les modifications du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, le principe, selon lequel le consentement doit être concomitant à l’activité sexuelle, serait aussi clairement énoncé dans le Code criminel.

La codification proposée de ces principes juridiques existants, précisés davantage par les modifications apportées par le comité de la justice, est primordiale, puisqu’un régime rigoureux à l’égard des agressions sexuelles ne peut fonctionner à son plein rendement s’il n’est pas bien compris ou correctement appliqué. Ces précisions ne devraient laisser aucun doute quant à l’état du droit.

En outre, le projet de loi C-51 propose de mettre en oeuvre une recommandation formulée par le comité lors de son examen législatif en décembre 2012 des dispositions du Code criminel relatives à la communication de dossiers dans les cas d’infraction d’ordre sexuel. C’était l’une des recommandations du comité d’établir une procédure pour régir l’admissibilité et l’utilisation des dossiers personnels d’un plaignant qui se trouvent en la possession de l’accusé.

C’est précisément ce que fera le projet de loi C-51 en obligeant un tribunal à tenir compte d’une série de facteurs avant de décider si les dossiers personnels du plaignant qui sont en la possession de l’accusé peuvent être utilisés dans le cadre d’un procès concernant une infraction sexuelle. Ces facteurs sont semblables à ceux que doit examiner un tribunal au moment d’appliquer les dispositions sur la protection des victimes de viol, et ils comprennent le droit de l’accusé à une défense pleine et entière, et le risque d’atteinte à la dignité du plaignant et à son droit à la vie privée.

En outre, pour l’application des dispositions sur la protection des victimes de viol, le projet de loi C-51 précisera qu’une activité sexuelle comprend les communications dont la nature ou l’objet est sexuel. Il veillera également à ce que le plaignant ait le droit d’être représenté par un avocat dans les procédures liées à la protection des victimes de viol.

Ensemble, les modifications proposées dans le projet de loi C-51 en ce qui a trait aux agressions sexuelles reflètent le besoin pressant de respecter tous les intérêts dans un procès criminel : les droits de l’accusé; la fonction de recherche de la vérité des tribunaux; et les intérêts de la victime liés au respect de la vie privée, à la sécurité et à l’égalité.

Comme il a été mentionné, le deuxième aspect général du projet de loi C-51 est l’abrogation ou la modification des dispositions du Code criminel qui ont été jugées inconstitutionnelles ou qui soulèvent des préoccupations relatives à la Charte. Cela inclut de nombreuses présomptions législatives qui ont été déclarées inconstitutionnelles par des tribunaux d’appel, car elles peuvent mener à une condamnation malgré la présence d’un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé : par exemple, les présomptions utilisées pour intenter des poursuites pour des infractions relatives au jeu et à la possession de biens criminellement obtenus.

Plusieurs dispositions du Code criminel contiennent aussi un libellé, qui renverse le fardeau de la preuve et oblige l’accusé à prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait une excuse légitime pour justifier son comportement. Le projet de loi C-51 éliminera ce libellé, qui se lit habituellement « dont la preuve lui incombe ».

Tout comme les présomptions, ce type d’inversion du fardeau de la preuve risque de limiter de manière injustifiable la présomption d’innocence garantie par la Charte, car cela peut mener à une condamnation même si l’accusé a soulevé un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Même si ces dispositions n’ont pas, toutes, fait l’objet d’un examen judiciaire, celles qui ont été portées devant les tribunaux ont été jugées problématiques. Le fait de les abroger de manière proactive permet d’éviter des litiges inutiles et onéreux et d’affirmer la suprématie de la Charte, et cela ne compromet aucunement la sécurité publique.

Troisièmement, le projet de loi C-51 va aussi abroger certaines dispositions redondantes et désuètes du Code criminel. Parmi les exemples de changements proposés, mentionnons l’abrogation des infractions consistant à défier une autre personne à se battre en duel et à publier et à vendre des histoires illustrées de crime, ainsi que les infractions liées aux bons-primes.

Ces infractions sont rarement invoquées. Nous sommes convaincus que leur abrogation ne laissera pas de faille dans notre cadre de droit pénal. Il est primordial que le Code criminel reflète précisément le comportement réellement criminel et qu’il ne vise pas les comportements qui peuvent être mieux traités à l’aide de méthodes moins intrusives.

Sous sa forme initiale, le projet de loi C-51 proposait également d’abroger l’article 176 du Code criminel qui interdit, entre autres, de troubler un office religieux. L’intention était de moderniser le Code criminel et d’abroger les infractions qui recoupent des infractions plus générales. J’aimerais insister sur le fait que le projet de loi C-51 n’a jamais eu pour objectif d’affaiblir la liberté fondamentale de pratiquer sa religion.

Toutefois, durant l’étude du projet de loi C-51 par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, les membres du comité et notre gouvernement ont écouté les préoccupations des témoins et des électeurs quant à l’abrogation de l’article 176. On a adopté un amendement qui conserve et modernise cet article pour assurer la neutralité du genre et pour préciser qu’il s’applique à toutes les religions et à tous les services spirituels. J’accueille favorablement cet amendement du projet de loi. Les Canadiens doivent pouvoir pratiquer leur foi ou leur spiritualité sans craindre d’actes de violence ou de perturbation.

En plus des modifications du Code criminel, le projet de loi C-51 propose de modifier la Loi sur le ministère de la Justice afin d’obliger la ministre de la Justice à déposer des énoncés concernant la Charte pour tous les projets de loi du gouvernement.

L’énoncé concernant la Charte expose les effets possibles du projet de loi sur les droits et libertés garantis par la Charte afin d’orienter les débats publics et parlementaires. Même si j’ai déposé des énoncés concernant la Charte pour tous les projets de loi que j’ai présentés, et pour certains projets de loi qui relèvent de la responsabilité d’autres ministres, le projet de loi C-51 élargira la portée de cette pratique pour la transformer en une obligation légale contraignante pour moi-même et les futurs ministres de la Justice.

Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame la ministre, pour ce résumé des dispositions du projet de loi C-51.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Madame la ministre, merci d’être avec nous aujourd’hui. Bienvenue à nouveau au comité. Vous avez certainement entendu les mêmes choses que nous sur la question du consentement et, de façon plus particulière, sur l’article 273.1. J’aimerais comprendre le choix qui a été fait d’introduire l’alinéa a.1) qui traite de la possibilité que le plaignant ne soit pas conscient.

Au paragraphe 273.1(2), on peut lire ce qui suit :

a.1) il est inconscient;

b) il est incapable de le former pour tout autre motif que celui visé à l’alinéa a.1);

Il y a deux éléments différents présentés par l’amendement. J’aimerais que vous nous expliquiez la logique d’avoir détaché l’inconscience du fait d’être incapable de former le consentement pour tout autre motif que l’inconscience. Dans le fond, on aurait pu le rédiger à l’inverse. On aurait pu incorporer l’inconscience comme un exemple d’incapacité, sans plus.

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Je remercie l’honorable sénatrice d’avoir posé la question au sujet du consentement et de la façon dont nous avons proposé de rédiger l’article pour codifier la décision rendue dans l’affaire J.A. La sénatrice fait référence précisément à la façon dont nous formulons qu’une personne inconsciente ne peut consentir à une activité sexuelle. En outre, dans un paragraphe distinct qui porte sur le consentement, le plaignant est incapable de consentir à l’activité pour tout autre motif que l’inconscience.

Nous avons intégré cela aux dispositions pour qu’il soit clair qu’il peut y avoir d’autres circonstances ou situations dans lesquelles une personne n’a pas donné son consentement, à part l’inconscience. Ces facteurs doivent tenir compte de circonstances plus larges dans le cas où une personne est incapable de donner son consentement en raison de l’affaiblissement de ses facultés ou de toute autre situation dans laquelle une personne peut se retrouver.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien, l’intention n’est pas de définir l’inconscience comme étant le seuil de l’incapacité.

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : C’est exact, madame la sénatrice. Il y a d’autres situations où une personne peut être incapable de donner son consentement.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai une question rapide quant au droit des plaignants d’être représentés par un avocat. Croyez-vous que la représentation par avocat des plaignants devrait être un choix de politique publique et être incorporée, c’est-à-dire que les frais associés à la représentation d’un plaignant par avocat dans les cas d’agression sexuelle devraient être assumés à même les coûts du procès au lieu d’être assumés par les individus?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Merci d’avoir posé la question. Nous sommes attentifs à la question du droit à un avocat et du financement du soutien juridique, et nous discutons régulièrement avec les provinces et les territoires.

Notre gouvernement a fait un investissement en matière de soutien aux victimes. Un certain nombre de projets pilotes sont en place dans les provinces, notamment Terre-Neuve, l’Ontario, la Saskatchewan et l’Alberta. J’ajouterais que ces projets pilotes ont été très bien accueillis par les provinces et ont reçu une rétroaction incroyablement positive de la part des procureurs généraux dans ces administrations.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, madame la ministre. Monsieur le président, au nom de mes collègues, j’aimerais faire un commentaire que je veux le plus respectueux possible envers la ministre.

Madame la ministre, je me fais le porte-parole de mes collègues pour vous exprimer notre déception en ce qui a trait à vos absences devant ce comité dans le cadre de plusieurs projets de loi que nous avons étudiés récemment. Lorsque vous n’êtes pas présente à nos réunions, cela handicape notre travail, puisque nous ne pouvons pas obtenir de réponses aux questions que nous voudrions poser sur le plan politique. Je vous rappelle que les comptes rendus de ce comité sont souvent utilisés par la Cour suprême ou la Cour fédérale et font référence aux propos des ministres dans le contexte politique de ces lois.

Pouvez-vous vous engager, madame la ministre, à respecter dorénavant ce protocole, cette tradition de notre comité d’être parmi les premiers témoins à comparaître lorsqu’un projet de loi est déposé dont vous êtes la principale concernée?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Sénateur, je comprends vos propos, mais je ne peux vraiment rien faire en ce qui a trait à votre déception. Je vous dirais que je déploie tous les efforts possibles pour m’assurer de comparaître devant vous à propos de chaque projet de loi que je présente et dont est saisi le comité. J’apprécie le travail, la discussion et la rétroaction que je reçois du comité et des autres comités. Cet engagement, comme vous l’appelez, se poursuivra.

Je sais que toutes les personnes à cette table sont extrêmement occupées, mais je respecte le travail qui se fait ici et le travail des comités, sans équivoque. Comme toujours, je continuerai de me rendre disponible pour parler de tous les projets de loi extrêmement importants que j’ai l’occasion de présenter.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup. Il faut comprendre que votre prestation permet souvent d’orienter notre travail dans l’évolution du projet de loi. Elle nous est donc très importante.

Je reviens à la question de ma collègue, la sénatrice Dupuis, au sujet de l’article qui traite du droit à un avocat pour une victime. Vous n’êtes pas sans savoir, madame la ministre, qu’à l’heure actuelle, environ 80 p. 100 des présumés criminels dans le système judiciaire canadien sont soutenus par l’aide juridique. Je pense notamment à ceux qui commettent des crimes graves et qui sont souvent incarcérés avant le procès. Puisque ces gens n’auront pas de revenu, c’est souvent l’État qui leur fournit l’aide juridique.

Ce projet de loi indique à la victime qu’elle a droit à un avocat, mais qu’elle doit en assumer les frais. Est-il possible d’établir au Canada un principe d’égalité de représentation entre un criminel, qui est représenté par l’État, et une victime, qui doit souvent assumer elle-même le coût des services de soutien juridique? Vous avez des rencontres avec vos collègues provinciaux régulièrement et vous allez bientôt discuter du renouvellement de l’entente sur l’aide juridique. Pourriez-vous revoir certains des critères du programme? Ce programme est subventionné à 40 p. 100 par le gouvernement fédéral. Pourriez-vous y inclure le soutien à certaines victimes, surtout les victimes d’agression sexuelle et de cas de meurtre?

Le président se souviendra que notre comité a fait ce travail en 2012. Une des raisons pour lesquelles 50 p. 100 des victimes d’agression sexuelle abandonnent leur plainte en cours de poursuite est le manque de soutien juridique.

Votre prochaine rencontre avec vos collègues provinciaux aura lieu en novembre, si je ne me trompe. J’aimerais que vous vous engagiez aujourd’hui à établir avec vos collègues provinciaux une approche pancanadienne de soutien aux victimes au lieu de laisser cette responsabilité aux provinces. Certaines provinces peuvent offrir un soutien aux victimes; d’autres, non. À ce moment-là, les victimes ne jouissent pas d’un statut égal d’une province à l’autre.

Pouvez-vous jouer ce rôle d’impulsion et en discuter avec vos collègues afin que les victimes — surtout dans les cas d’agression sexuelle — soient soutenues par l’aide juridique lors des procès aux frais de l’État, comme le demandait la sénatrice Dupuis?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie d’abord des commentaires et assurément de vos questions. Je vais prendre cela comme un encouragement à continuer, comme je le fais toujours quand je rencontre mes homologues dans les provinces et les territoires, de discuter du financement de l’aide juridique et du soutien des victimes d’acte criminel. C’est une conversation que nous continuerons d’avoir.

Vous avez parlé de la rencontre FPT à venir en novembre. Nous aurons ces conversations. J’attends un rapport sur les pratiques exemplaires, qui vient de mes collègues et de mes collaborateurs, lequel portera sur la meilleure façon d’aider les victimes d’agression et d’infraction sexuelles.

Je suis ravie que nous ayons pu offrir, par le truchement du Fonds d’aide aux victimes, des ressources d’une valeur de 12 millions de dollars pour soutenir et assurer l’aide juridique de manière générale. Nous avons fait des investissements considérables d’environ 88 millions de dollars relativement à l’aide juridique. En outre, le budget de 2018 prévoit 25 millions de dollars sur cinq ans pour offrir de l’aide juridique aux victimes de harcèlement en milieu de travail.

Nous devons continuer à faire un travail incroyable pour nous assurer de soutenir les victimes d’infractions ou d’actes criminels. Nous continuerons de le faire. Mes collègues dans les provinces et les territoires et moi-même discuterons très sérieusement de la question lors de notre rencontre FPT.

Le sénateur Gold : Il y a actuellement trois formes de libelles criminels dans le Code criminel : blasphématoire, séditieux et diffamatoire. Le projet de loi C-51 abroge les dispositions sur le libelle blasphématoire au motif que, entre autres, elles portent atteinte à la liberté d’expression.

Un certain nombre de témoins ont dit également qu’il est justifié de retirer les libelles séditieux et diffamatoire. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez choisi de ne pas inclure ces crimes dans le projet de loi?

Mme Wilson-Raybould : Nous avons suivi tous les témoignages. Je suis bien au fait des préoccupations qui ont été soulevées concernant les libelles blasphématoire, diffamatoire et séditieux.

Pour ce qui est du libelle blasphématoire, comme le savent les honorables sénateurs, nous le retirons du Code criminel. Il découle d’une perception désuète d’attaques contre le christianisme.

Quant au libelle diffamatoire, à la suite des témoignages que nous avons entendus, nous avons décidé de poursuivre nos recherches. C’est ce que mes collaborateurs et moi-même avons fait. Je sais que certains intervenants ont demandé l’abrogation de ces deux libelles.

En ce qui concerne le libelle diffamatoire, 300 accusations ont été portées entre 2005 et 2015. À mon avis, cela semble indiquer que la situation est un peu plus complexe relativement à son abrogation et aux considérations que nous devons prendre en compte. Ce libelle n’est pas inclus dans le projet de loi. Cela s’applique également au libelle séditieux, et ce pourrait être quelque chose que nous pourrions envisager dans le cadre de futurs projets de loi.

Pour ce qui est de la présentation de projets de loi visant à épurer le Code criminel en fonction de la Charte, j’ai indiqué dès le départ que nous pouvons en faire un peu plus. Je serais très ouverte à recevoir davantage de commentaires des honorables sénateurs et certainement des témoins qui comparaîtront devant vous sur ce que nous pouvons faire de plus.

Au chapitre du libelle diffamatoire, nous devons continuer le travail politique et les consultations.

Le sénateur Gold : Je vais poursuivre en vous donnant un conseil non sollicité. Dans le cadre de ce travail, puis-je inviter vos collègues et vous-même à examiner les cas où des accusations ont été portées afin de voir si l’existence de ce crime confère aux forces de l’ordre un certain pouvoir qu’elles pourraient utiliser de temps à autre pour réduire au silence une dissidence par ailleurs légitime?

Le regretté Alan Borovoy s’est toujours inquiété de la façon dont certains pouvoirs peuvent être utilisés afin de réduire au silence une dissidence légitime bien avant que des accusations soient portées ou certainement avant la tenue d’un procès. Je crois qu’il serait utile, dans le cadre de votre analyse et certainement de la nôtre, de tenir compte de l’ensemble du contexte.

Mme Wilson-Raybould : J’apprécie grandement votre conseil non sollicité. Je retiens vos commentaires et, à mesure que nous poursuivons son examen, je comprends que le Code criminel doit évoluer en même temps que la société. Nous allons devoir nous assurer de prendre en compte ces considérations.

La sénatrice Jaffer : Madame la ministre, je suis toujours fière de vous parce que vous venez de ma province. Je sais à quel point vous travaillez dur et je ne veux pas que vous pensiez que nous ne l’apprécions pas. Vous avez une immense charge de travail. Nous savons pertinemment que vous déployez de grands efforts pour être ici devant nous.

Je reconnais également le travail de Mme Morency. Elle vit pratiquement avec nous. Nous l’avons vue à nombre de reprises au fil des ans. Je vous remercie également, monsieur MacCallum.

Je suis très heureuse du droit à un avocat. Cela représentera des difficultés en ce qui concerne les victimes et le fonctionnement, car l’aide juridique dans sa forme actuelle pose problème, mais je crois que c’est un pas dans la bonne direction. J’apprécie grandement l’énoncé concernant la Charte qui fait partie du projet de loi.

Vous avez dit que vous avez lu le document dont nous discutons, alors vous saurez que j’ai des inquiétudes quant au droit au silence. Je suis très préoccupée par le fait que l’accusé doit communiquer des documents et se présenter devant le tribunal sept jours avant le procès pour les montrer.

J’ai trois questions et je vous demanderais de répondre brièvement parce que je veux toutes les poser. Quel problème, quelle cause ou quelle circonstance a mené à la procédure relative à l’admissibilité sans précédent du paragraphe 278.92(1)?

Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Pourriez-vous répéter le numéro du paragraphe?

La sénatrice Jaffer : Paragraphe 278.92(1).

Le président : Il se trouve en haut de la page 11, pour que les autres sénateurs puissent suivre la question soulevée par la sénatrice Jaffer.

Mme Wilson-Raybould : On a dit les chiffres rapidement. Parliez-vous de ce qui a mené à cette procédure?

La sénatrice Jaffer : Oui.

Mme Wilson-Raybould : Je crois que vous en avez parlé au début de votre intervention. C’est le résultat d’une recommandation très importante formulée en 2012 par le comité sénatorial qui a reconnu qu’il y avait une lacune. Même s’il y a des considérations en matière d’admissibilité pour les documents que détient un tiers, le Code criminel comporte actuellement une lacune en ce qui concerne les exigences d’admissibilité pour les documents qui sont en possession d’une personne accusée et qui portent sur un plaignant en particulier.

Dans le cadre de la rédaction de ce projet de loi, nous avons cherché à nous assurer de toujours tenir compte de l’équilibre nécessaire, comme je l’ai dit dans mes commentaires, en ce qui concerne le droit de l’accusé à une défense pleine et entière, et de respecter et de protéger la dignité des victimes d’agression sexuelle.

La sénatrice Jaffer : Le droit au silence de l’accusé énoncé dans ce paragraphe me préoccupe beaucoup, mais je veux vous poser une autre question.

Pourquoi cette procédure s’applique-t-elle seulement aux agressions sexuelles et aux documents qui ne seraient pas autrement visés par le processus actuel de l’article 276? Par exemple, je parle de documents qui ne concernent pas un comportement sexuel ni d’autres cas comme des accusations de violence familiale de nature non sexuelle, de meurtre ou d’autres infractions graves.

Pourquoi cette disposition s’applique-t-elle seulement aux agressions sexuelles?

Mme Morency : Si vous me le permettez, madame la sénatrice, la proposition dans le projet de loi vise à combler une lacune qui se trouve actuellement dans le Code criminel en ce qui a trait aux procédures en matière d’agression sexuelle. À l’heure actuelle, il y a un régime concernant les dossiers détenus par des tiers; il s’agit donc de documents qui concernent le plaignant et dans lesquels...

La sénatrice Jaffer : Oui, mais c’est un article différent. N’utilisez pas mon temps pour en parler.

Mme Morency : Vous parlez de la disposition sur la protection des victimes de viol, n’est-ce pas?

La sénatrice Jaffer : Non, ce n’est pas ma question. C’est un autre article du projet de loi. Je parle du fait que l’accusé présente des documents qu’il a en sa possession concernant des communications entre le plaignant et lui-même, non pas des documents détenus par des tiers.

Mme Morency : C’est l’autre partie. Le droit criminel comporte actuellement une autre lacune concernant les communications à des fins d’ordre sexuel. Le projet de loi prévoirait une exigence que devrait respecter un accusé qui désire présenter en preuve ces communications.

Le Code criminel interdit déjà l’utilisation ou la présentation d’éléments de preuve qui visent à prouver les deux mythes selon lesquels la victime a consenti préalablement et à montrer que le consentement s’applique à l’allégation faite devant le tribunal.

La disposition du projet de loi C-51 cherche à faire quelque chose de similaire, en ce qui a trait aux communications comme les courriels et les messages textes qui ont été préparés préalablement et envoyés à l’accusé et qui visent des fins d’ordre sexuel ou concernent une activité sexuelle antérieure, pour restreindre et empêcher leur utilisation à des fins non pertinentes, ce qui s’applique aux deux mythes selon la Cour suprême. Ce sont des éléments de preuve non probants et non pertinents à l’examen du tribunal.

C’est ce que propose le projet de loi C-51 dans le contexte particulier des procédures en matière d’agression sexuelle.

Le sénateur McIntyre : Ma question porte sur l’admissibilité de dossiers privés se rapportant au plaignant. En fait, c’est une question complémentaire à celle de la sénatrice Jaffer.

Comme vous l’avez expliqué, il y a deux types de dossiers : ceux que détient un tiers et ceux que détient l’accusé. Dans le cas de dossiers privés se rapportant au plaignant que détient un tiers, il n’y a qu’un changement : le délai de signification d’une demande est passé de 14 à 60 jours.

Pour ce qui est des dossiers se rapportant au plaignant en possession de l’accusé, nous avons une nouvelle procédure en place. Les nouvelles dispositions prévoient qu’un juge doit tenir une audience avant que la défense puisse utiliser cet élément de preuve et contre-interroger le plaignant à cet égard pendant le procès.

Si j’ai bien compris, et c’est l’essentiel de ma question, la nouvelle disposition peut exiger que la défense communique au plaignant et à son avocat des éléments de ses arguments, des éléments de preuve en sa possession de même que la pertinence de ces éléments de preuve, parce que le plaignant aura maintenant le droit de participer à l’audience relative à l’admissibilité.

Les avocats de la défense ont fait part de leurs préoccupations concernant cette disposition ou cette nouvelle procédure, et j’aimerais avoir votre point de vue là-dessus, s’il vous plaît.

Mme Wilson-Raybould : J’apprécie les questions en ce qui concerne la lacune que nous tentons de combler au chapitre de l’admissibilité des informations et des dossiers en possession de l’accusé.

Je dirais qu’il ne s’agit pas d’une obligation de communication. Le projet de loi C-51, comme on l’a dit, propose la création d’un nouveau régime pour régir l’admissibilité de dossiers privés se rapportant au plaignant en possession de l’accusé lorsque ce dernier cherche à présenter en preuve ces dossiers.

Le régime proposé exigerait que l’accusé présente une demande d’audience à un juge pour qu’il détermine l’admissibilité de tels dossiers. Les considérations ou les exigences relativement à ce que le juge examinerait dans ces circonstances sont décrites dans notre projet de loi afin de protéger, comme le prévoit le libellé, le droit de l’accusé à une défense pleine et entière et l’intégrité et la dignité des plaignants.

Le sénateur McIntyre : Dans les procès criminels, il y a des interrogatoires cruciaux et importants comme l’interrogatoire principal, le contre-interrogatoire et le réinterrogatoire. Pour les avocats de la défense, le contre-interrogatoire est très souvent leur meilleure arme. Nombre de procès sont gagnés ou perdus en raison du contre-interrogatoire.

Cela dit, je peux comprendre les doléances des avocats de la défense. Selon eux, cette nouvelle procédure permettrait à un plaignant et à son avocat de préparer bien à l’avance une réponse à un contre-interrogatoire, et ces amendements portant atteinte aux droits de l’accusé.

Puis-je savoir ce que vous en pensez?

Mme Wilson-Raybould : Encore une fois, lorsque nous avons rédigé ce projet de loi, nous avons cherché à créer une loi équilibrée qui respecte les droits de l’accusé tout en nous assurant de ne pas oublier les victimes d’agression sexuelle en leur garantissant le respect nécessaire pour ce qui est de la correspondance ou des éléments de preuve en possession de l’accusé.

La sénatrice Batters : Madame la ministre, vous avez été procureure pendant quelques années au début de votre carrière. J’ai beaucoup de respect pour l’excellent travail méconnu que font les procureurs de la Couronne tous les jours pour les Canadiens. Je prends donc très au sérieux les principales préoccupations soulevées dans le mémoire de Loreley Berra, présidente de la Section nationale de droit pénal de l’Association du Barreau canadien. Je désire également souligner que Mme Berra est procureure principale de la Couronne dans ma province, la Saskatchewan.

Le gouvernement conservateur précédent a trouvé un équilibre délicat lorsqu’il a rédigé la Charte des droits des victimes, mais les modifications que vous apportez aux obligations de l’avocat de la Couronne en vertu de la Charte des droits des victimes pourraient bouleverser cet équilibre délicat.

L’Association du Barreau canadien nous dit que certaines des modifications que vous apportez dans le cadre de ce projet de loi pourraient finir par porter préjudice du point de vue de la victime. Je parle plus précisément de donner aux plaignants une voix devant les tribunaux afin qu’ils puissent prendre des décisions sur la façon dont la poursuite doit être engagée et avoir le droit de présenter des observations contraires au cours d’une audience tenue devant un tribunal.

Que répondez-vous à ces préoccupations importantes exprimées par les procureurs de la Couronne selon lesquelles les modifications que vous apportez pourraient finir par nuire aux gens que vous essayez d’aider?

Mme Wilson-Raybould : À dire vrai, je ne suis pas au courant de ces observations. Cependant, notre objectif est de faire en sorte que toutes les victimes d’agression sexuelle aient droit à un avocat. Il n’est pas question ici du droit de participer, mais plutôt du droit d’avoir accès à l’aide nécessaire.

Emcore une fois, nous avons travaillé avec diligence pour élaborer une approche équilibrée permettant de faire respecter les droits des accusés et de veiller à protéger, autant que possible, l’intégrité et la dignité des victimes d’agression sexuelle.

La sénatrice Batters : Le mémoire indiquait précisément que le fait d’accorder au plaignant le pouvoir de prendre des décisions touchant le déroulement de la poursuite est contraire au principe, fondé sur la Constitution, de l’indépendance du procureur général. Permettre à la victime de faire des déclarations à propos de la peine, ce n’est pas comme laisser le plaignant décider du déroulement de certaines parties de la procédure.

On dit ensuite que le droit de faire des observations dissidentes pendant une audience alourdirait considérablement les procédures en cas de désaccord entre le procureur de la Couronne et la victime. Il est aussi précisé que, même quand le procureur et le plaignant sont d’accord, leurs observations respectives peuvent être consignées au dossier et nuire ensuite possiblement à la cause.

Voilà les préoccupations explicites de la Section du droit pénal de l’Association du Barreau canadien. Voyez-vous plus clairement maintenant comment vous pourriez atténuer ces préoccupations?

Mme Wilson-Raybould : Ma réponse ne change pas : nous voulons nous assurer qu’il y ait un équilibre. Ces modifications des dispositions relatives aux agressions sexuelles sont proposées, entre autres afin d’attirer l’attention sur cette situation et de reconnaître qu’il y a un nombre considérable de victimes d’agression sexuelle et que beaucoup d’entre elles ne signalent pas le crime dont elles ont été victimes. Nous voulons que cela change. Nous voulons faire en sorte que le système de justice pénale prenne aussi en considération les préoccupations des victimes d’agression sexuelle.

Le projet de loi C-51 leur accorde le droit d’être représentées. Je soutiens ce droit ainsi que cette disposition du projet de loi C-51, car nous devons faire tout en notre pouvoir pour répondre aux préoccupations exprimées par les victimes depuis de nombreuses années — des décennies — à propos du système de justice pénale et du fait qu’il n’encourage pas les victimes à signaler les crimes.

La sénatrice Batters : Je vous invite à consulter le mémoire qui a été envoyé à notre comité. Vous y trouverez des réponses détaillées quant à la façon dont ces préoccupations particulières sont traitées. La procureure principale de la Couronne affirme que l’équilibre n’a pas été atteint.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur l’article 73, qui modifie l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Dans cet article, on parle de déposer un énoncé concernant la Charte, un document qui semble indiquer les effets possibles du projet de loi sur les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

Pourriez-vous nous donner de plus amples détails sur cet énoncé? En Nouvelle-Zélande, par exemple, on publie les avis que les fonctionnaires donnent aux ministres. Pour avoir siégé au Conseil des ministres, j’ai vu des avis de la part de fonctionnaires qui étaient beaucoup plus précis quant à la constitutionnalité d’un projet de loi et qui allaient beaucoup plus loin qu’un énoncé de cette nature.

Parle-t-on ici d’une opinion juridique formulée par le ministère sur les effets possibles quant à la constitutionnalité de la loi? Pourquoi se limite-t-on uniquement à la Charte? Pourquoi ne pas traiter aussi du champ de compétences des provinces? Cela éviterait certaines ambiguïtés comme celles qu’on retrouve dans le projet de loi C-45.

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie de poser la question, monsieur le sénateur. Je suis extrêmement satisfaite de savoir qu’on exige de présenter un énoncé concernant la Charte pour tous les projets de loi d’initiative parlementaire. C’est une composante extrêmement importante du projet de loi.

Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, j’ai joint des énoncés concernant la Charte à tous les projets de loi que j’ai proposés, à l’instar d’autres ministres, par exemple le ministre de la Sécurité publique relativement au projet de loi sur la sécurité nationale.

Tout d’abord, en tant que ministre de la Justice et procureure générale, je fournis des conseils juridiques à l’organe exécutif du gouvernement. Je n’offre pas d’autres types de conseils. Les énoncés concernant la Charte ne sont pas censés remplacer les conseils juridiques, ni être aussi détaillés. Nous voulons que les Canadiens, les parlementaires et tous ceux qui le veulent puissent lire ces énoncés afin de comprendre quels en seraient les effets potentiels ou quelles parties de la Charte sont visées par un nouveau projet de loi d’initiative parlementaire.

Quant aux articles de la Charte qui soutiennent la tenue de débats et de discussions éclairés, je commencerais par le premier énoncé concernant la Charte que j’ai présenté, à propos du projet de loi C-14 sur l’aide médicale à mourir. Vous le connaissez bien, monsieur le sénateur. Je dirais que l’énoncé concernant la Charte a été très utile à bien des gens qui voulaient prendre part aux discussions sur ce projet de loi.

Pour répondre à votre question, cela ne remplace pas des conseils juridiques. Le but est d’éclairer les échanges, les débats, les réflexions et les discussions qui ont contribué à l’élaboration et à la rédaction du projet de loi.

[Français]

Le sénateur Carignan : Pourquoi attendre 12 mois avant de mettre en vigueur cette disposition? J’ignore quelle complication vous allez invoquer, alors que vous légalisez le cannabis dans un délai de trois mois en établissant tout un système de vente. Pourquoi attendre 12 mois pour déposer un énoncé concernant la Charte que vous avez déjà dans vos dossiers?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Nous n’attendons pas le dépôt d’énoncés concernant la Charte pour les projets de loi émanant du ministère de la Justice. Certains de mes collègues m’ont demandé de l’aide, et cela a été un grand plaisir pour moi de travailler avec eux à l’élaboration d’énoncés concernant la Charte pour leurs projets de loi.

Vous avez parlé de la Loi sur le cannabis. Je suis très reconnaissante à votre honorable chambre de l’avoir adoptée, mais je dois préciser que la légalisation du cannabis a pris plus que trois mois. Le projet de loi a été conçu sur de nombreuses années; a supposé de vives discussions avec un grand nombre de personnes, en plus des efforts déployés par le groupe de travail.

Le délai de 12 mois avant l’entrée en vigueur de la disposition relative aux énoncés concernant la Charte permettra à tous les ministres du gouvernement de s’informer sur la nature de ces énoncés, pas nécessairement en ce qui concerne des projets de loi précis, mais afin que je puisse — ou que tout autre ministre de la Justice puisse — aider les autres ministres à produire des énoncés concernant la Charte pour n’importe quel projet de loi d’initiative gouvernementale. C’est une période de transition.

La sénatrice Pate : Je vous remercie d’être venus ainsi que du travail admirable que vous avez accompli pour ce projet de loi afin de moderniser — entre autres choses — les dispositions législatives concernant les agressions sexuelles et de mieux protéger les victimes de violence sexuelle.

Vous savez certainement que le Lawyer’s Daily a récemment publié un article dans lequel le juge Corbett, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a proposé d’examiner la définition d’agression sexuelle. Un certain nombre de témoins, ici et devant le comité de l’autre chambre, ont aussi fait cette recommandation.

Nous sommes conscients du besoin pressant de fournir aux juges une orientation juridique à ce sujet. Nous sommes conscients — tout comme vous, sans aucun doute — que ce besoin augmente chaque jour et que, pas plus tard qu’hier après-midi à Calgary, pendant le contre-interrogatoire, l’avocat de la défense a dit ceci à une jeune femme dont le père était accusé d’agression sexuelle et d’inceste :

[...] vous n’aviez qu’à serrer les jambes pour empêcher qu’on baisse votre pantalon.

Ce genre de commentaires est l’une des raisons pour lesquelles les juges, les avocats, les universitaires et les travailleurs des centres d’aide en cas d’agression sexuelle disent que les lois concernant les agressions sexuelles n’ont manifestement rien à voir avec les autres lois de notre système juridique, puisqu’elles demandent couramment aux parties plaignantes, essentiellement, de prouver qu’elles ne sont pas des victimes consentantes.

Une proposition était de mettre en place une définition plus rigoureuse. À dire vrai, il semble que cette proposition fait l’objet d’un consensus remarquable : il faut modifier la définition de l’incapacité de consentir et, en particulier, ne pas se contenter de distinguer la capacité et l’inconscience.

Les tribunaux se sont déjà prononcés clairement sur le fait qu’une personne inconsciente ne peut pas donner son consentement conscient, mais la Cour suprême du Canada n’a jamais défini clairement le critère juridique relatif à l’incapacité de consentir. Les critères utilisés varient d’un tribunal à un autre.

Vu le grand manque d’uniformité et le besoin évident d’une définition, avez-vous songé à introduire une définition plus rigoureuse et à modifier les dispositions du projet de loi servant à définir l’agression sexuelle et le contexte dans lequel une personne peut donner son consentement?

Si vous le voulez, je pourrais vous communiquer nos idées et les idées de certains de nos témoins quant à la façon dont ce pourrait être fait.

Mme Wilson-Raybould : Bien sûr, je sais que vous défendez cela depuis longtemps. Je vous remercie d’avoir rappelé les commentaires révoltants qui ont été faits en Alberta. Des paroles de ce genre n’ont pas leur place dans notre système de justice. Nous faisons tout en notre pouvoir pour veiller à ce que cela ne se reproduise pas.

Je dirais — et je ne parle pas nécessairement de ces commentaires en particulier — qu’il faut prendre des mesures par rapport à ce que disent et font les intervenants du système de justice pénale. Avec tout le respect que je vous dois, je dirais que le Code criminel n’est peut-être pas la meilleure façon d’intervenir lorsque des commentaires misogynes de ce genre sont formulés. Nous devons continuer de faire tout notre possible pour lutter contre la misogynie dans notre société et réagir à ce genre de commentaires. Nous devons veiller à ce que les avocats et les juges, dans la mesure du possible, aient accès à des formations pertinentes.

Nous avons soutenu l’Institut national de la magistrature en investissant dans des formations à l’intention des juges. Nous travaillons avec nos homologues provinciaux et territoriaux afin de produire, comme je l’ai mentionné plus tôt, un rapport sur les pratiques exemplaires. J’ai bon espoir — j’irais même jusqu’à dire que je suis très optimiste — que la rétroaction que suscitera ce rapport nous aidera à trouver des solutions pour lutter contre ces problèmes.

J’ai eu le grand plaisir d’échanger des connaissances avec des particuliers, des spécialistes et des intervenants qui s’intéressent à la question des agressions sexuelles; notre but était de trouver des façons plus concrètes d’intervenir. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour influer sur les opinions des gens et les commentaires inappropriés que certaines personnes peuvent faire.

Le projet de loi C-51 comprend une disposition claire qui traite précisément du fait qu’une personne inconsciente ne peut pas donner son consentement, mais il faut une autre disposition sur l’incapacité d’une personne à consentir, parce que l’incapacité peut prendre plus d’une forme.

Je vois où vous voulez en venir et je comprends vos préoccupations. Je suis toutefois réticente à définir davantage l’incapacité ou à définir les critères s’appliquant au consentement ou à l’incapacité, car cela pourrait avoir comme conséquence inattendue de restreindre les circonstances où une personne ne peut pas consentir ou les types d’incapacités. Je doute que quiconque ici veut que cela arrive, alors nous devons poursuivre les discussions sur le sujet.

Je crois sincèrement que les dispositions du projet de loi C-51 indiquent clairement qu’une personne inconsciente ne peut pas consentir, mais il y a des circonstances où l’incapacité pourrait annuler le consentement.

La sénatrice Pate : J’ai une autre question. Étant donné qu’il y a malgré tout au moins un juge qui nous demande clairement du soutien et de l’aide supplémentaires par rapport aux définitions, et vu le genre de mythes et de stéréotypes contre lesquels vous luttez — encore une fois, admirablement —, il me semble qu’il serait utile de trouver des façons de définir quelles sont les incapacités potentielles.

Par exemple, pour reprendre l’explication d’Elaine Craig, si une personne, même consciente, ne peut pas réagir, si elle ne peut pas comprendre la nature de l’acte qu’elle pose, si elle ne peut pas comprendre qu’elle a le choix d’accepter ou de refuser et si elle ne peut pas exprimer son consentement explicite, diriez-vous qu’il serait peut-être utile pour les juges et les avocats d’avoir au moins quelques balises par rapport à ce que je viens de dire afin qu’ils cessent de faire ce genre de réflexions stéréotypées comme celles que nous venons d’entendre hier après-midi, encore, à Calgary?

Mme Wilson-Raybould : Encore une fois, merci beaucoup de vos commentaires. Nous voulons faire en sorte que le projet de loi C-51 soit le meilleur possible.

Le projet de loi C-51 tient compte de ces préoccupations. Pour ce qui est de critères plus larges ou des circonstances particulières qu’un juge devrait prendre en considération, il aurait certainement lieu de chercher dans la jurisprudence les diverses circonstances que les juges et les avocats doivent prendre en considération dans ce genre d’affaires.

Je suis consciente du fait que les commentaires comme ceux qui ont été faits hier et précédemment, d’ailleurs, suscitent des préoccupations. Fondamentalement, c’est grâce à la sensibilisation et aux formations que nous pourrons lutter contre ce genre de choses, mais le Code criminel n’est pas l’outil approprié si nous voulons, dans la mesure du possible, nous assurer que les ressources en formation sont déployées pour offrir des formations pour combattre la misogynie et les préjugés implicites.

En ce qui concerne les incapacités, la définition des incapacités potentielles et les pratiques exemplaires, j’ai bon espoir que le rapport que nous attendons va nous aider relativement aux formations; nous devons poursuivre cette discussion et faire en sorte que tous les Canadiens participent.

Le président : Pour le deuxième tour, je vous prierais d’être brefs dans vos questions et vos réponses.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai deux petites questions très précises. Ma première question concerne le paragraphe 20(3) du projet de loi qui modifie l’article 273.2 du Code criminel. Dans la version anglaise, à l’alinéa c), on mentionne ceci :

[Traduction]

. . . affirmatively expressed by words or actively expressed by conduct.

[Français]

On a l’air de créer deux concepts juridiques, alors que dans la version française, on dit que l’activité a été manifestée de façon explicite par ses paroles ou son comportement. J’aimerais savoir quelle était l’intention véritable de ce sous-paragraphe, au-delà de l’utilisation des mots, surtout qu’on semble créer en anglais un deuxième concept juridique. Je ne veux pas nécessairement que vous me répondiez, mais je pense que cela devrait être étudié plus attentivement et qu’il faudrait approfondir le sujet.

Mon autre question concerne l’énoncé concernant la Charte. Je pense que c’est très intéressant. Est-ce que ce document vise la déclaration sur l’analyse des impacts du projet de loi sur la Charte? Est-ce qu’il comprendra l’analyse différenciée selon le genre qui est menée aussi dans le cadre de l’analyse des effets discriminatoires potentiels d’un projet de loi?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Merci de vos deux questions. Puisque vous ne demandez pas de commentaires sur la différence entre les versions anglaise et française, je vais m’abstenir de répondre en détail maintenant, mais soyez assurée que nous allons nous pencher là-dessus.

Les énoncés concernant la Charte ne visent pas, en principe, les analyses comparatives entre les sexes. Par exemple, les énoncés concernant la Charte pourraient traiter de l’article 15, qui concerne le droit à l’égalité.

À propos de l’ACS+ — ou analyse comparative entre les sexes plus —, l’usage au sein de notre gouvernement est de veiller à ce que tous les dossiers ou tous les mémoires présentés au Cabinet soient assortis d’une ACS+ très rigoureuse.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame la ministre, j’ai entendu votre discours sur les victimes d’actes criminels et d’agressions sexuelles, et je m’y associe.

J’aimerais que vous m’expliquiez quelque chose. Vous êtes la porteuse de la Charte canadienne des droits des victimes au sein du gouvernement fédéral. Il y a un poste qui est central dans cette charte, et c’est celui de l’ombudsman des victimes d’actes criminels. Ce poste a été ouvert en juin 2017 et, aujourd’hui, il est toujours vacant. On peut dire qu’au sein de votre gouvernement, actuellement, il n’y a aucun porte-parole des victimes d’agressions sexuelles ou d’actes criminels.

Il vous a fallu un mois afin de pourvoir le poste d’ombudsman des criminels, et nous attendons depuis un an que le poste d’ombudsman des victimes d’actes criminels soit pourvu, ou au moins huit mois. Avez-vous une date en tête sur laquelle les victimes peuvent compter pour savoir à quel moment vous allez pourvoir ce poste d’ombudsman?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Merci de la question. Je dirais, en un mot, que la dotation de ce poste est une de mes priorités. Comme vous le savez, nous avons un nouveau processus de dotation pour tous les postes à pourvoir, et cela nous a permis de trouver des candidats incroyables pour chacun de ces postes.

Nous sommes en train d’examiner les candidats pour ce poste, et nous croyons que nous pourrons le combler d’ici peu.

La sénatrice Jaffer : Vous avez dit que vous allez affecter des fonds à l’aide juridique pour que les gens aient accès à un avocat. Je sais que c’est encore tôt, parce que le projet de loi n’a pas encore été adopté, mais avez-vous songé à la forme que cela prendra?

Je me préoccupe constamment du fait que même si le gouvernement injecte des fonds dans l’aide juridique, il n’en affecte pas spécifiquement pour cela. D’après ce que j’en sais, les provinces n’ont pas à dépenser l’argent reçu pour l’aide juridique.

Comment pouvons-nous garantir ce droit, puisqu’un droit qui n’est assorti d’aucune ressource n’est pas un droit digne de ce nom?

Mme Wilson-Raybould : Comme cela a été dit plus tôt, en un mot, nous poursuivons nos discussions à propos de l’aide juridique. De notre côté, le gouvernement fédéral a injecté d’importantes sommes d’argent dans l’aide juridique, des fonds qui, une fois affectés, iront à l’aide juridique.

Je serais extrêmement surprise si ce dossier si important n’était pas abordé par au moins un de mes collègues pendant une réunion fédérale-provinciale-territoriale. Je crois parler au nom de tous les procureurs généraux et ministres de la Justice du pays lorsque je dis que nous devons garantir aux gens un accès à la justice. L’aide juridique en est une partie fondamentale, et nous allons continuer de travailler tous ensemble à cet égard.

Le sénateur McIntyre : À propos du consentement, si je comprends bien, le projet de loi poursuit deux objectifs : premièrement, clarifier les dispositions législatives relatives au consentement et, deuxièmement, clarifier la défense de croyance sincère mais erronée au consentement.

Cela dit, diriez-vous que le projet de loi se résume à une codification de l’arrêt J.A.?

Mme Wilson-Raybould : Manifestement, une partie des modifications des dispositions législatives concernant l’agression sexuelle sont une codification de l’arrêt J.A. de la Cour suprême du Canada, pour ce qui est de clarifier les circonstances où le consentement n’a pas été donné. Comme je l’ai dit plus tôt dans ma déclaration préliminaire, l’arrêt J.A. établit clairement que le consentement doit être concomitant à l’activité sexuelle.

Le sénateur McIntyre : Donc, il s’agit de l’arrêt J.A., ça ne va pas plus loin.

Mme Wilson-Raybould : Nous avons aussi proposé un certain nombre de modifications concernant les agressions sexuelles qui s’inspirent de l’arrêt Ewanchuk de la Cour suprême du Canada, à propos du fait que la défense de croyance sincère mais erronée ne peut être invoquée quand elle repose sur une erreur de droit.

Nous avons veillé aussi à renforcer les dispositions sur la protection des victimes de viol et nous nous sommes penchés sur un nouveau régime pour les documents privés, dont il a déjà été question plus tôt.

La sénatrice Pate : Merci du travail que vous avez accompli; vous avez consulté de nombreux groupes par rapport à ces questions. Je sais qu’un grand nombre de personnes ont recommandé de rétablir la Commission de réforme du droit du Canada afin qu’elle révise le Code criminel. Vous avez déjà pris plusieurs mesures en ce sens.

Prévoit-on faire cela? Voudriez-vous que cela fasse partie du projet de loi ou que cela soit proposé dans une observation au comité?

Mme Wilson-Raybould : Vous voulez qu’une réforme du droit soit prévue dans le projet de loi?

La sénatrice Pate : La Commission de réforme du droit.

Mme Wilson-Raybould : Je vais commenter l’autre partie de votre question, à propos de l’examen du Code criminel. Je suis impatiente de revenir témoigner ici à propos du projet de loi C-75, le projet de loi sur les délais dans le système judiciaire.

Nous comptons prendre des mesures concrètes dans notre examen du Code criminel, le modifier et l’étudier exhaustivement. Je suis certaine, mesdames et messieurs membres du Sénat, que vous comprenez que cet exercice dépassera probablement mon mandat comme ministre de la Justice, même si je crois que je vais demeurer en poste encore pour un certain temps.

Nous avons pris un engagement. Nous pourrons évidemment continuer de présenter des projets de loi pour aider à la refonte du Code criminel. C’est une tâche qui mérite nos efforts.

En ce qui concerne la Commission de réforme du droit et les autres types éventuels de commissions sur la détermination de la peine, de nombreux intervenants d’un bout à l’autre du pays ont formulé des commentaires à ce sujet pendant les tables rondes. Ma réaction, bien sûr, a été de songer au potentiel que toutes ces organisations représentent. Je suis on ne peut plus prête à poursuivre les discussions avec vous, mesdames et messieurs les sénateurs, à ce sujet.

Le président : Merci, madame la ministre. Rapidement, j’ai une question à propos de l’article 73 du projet de loi, à la page 24. J’ai remarqué des différences importantes entre l’ancien article 4.1 et ce que vous proposez dans le projet de loi, comme mon collègue, le sénateur Carignan, l’a décrit.

Premièrement, les règlements ne sont plus visés par les énoncés que vous devez présenter en vertu de la loi.

Deuxièmement, les critères sont différents, parce qu’on vise davantage les effets potentiels que les incompatibilités. C’est plutôt vague, du point de vue d’une évaluation juridique.

Troisièmement, les critères proposés en 2013 par votre prédécesseur, l’ancien ministre de la Justice Irwin Cotler, dans son projet de loi, étaient beaucoup plus étendus que ceux que vous proposez dans ce projet de loi.

Pouvez-vous vous exprimer par rapport à ces trois préoccupations?

Mme Wilson-Raybould : Je continue de discuter avec bon nombre de mes prédécesseurs. Je connais très bien les propositions de l’ancien ministre de la Justice, Irwin Cotler.

En ce qui concerne vos questions sur la Loi sur le ministère de la Justice en particulier, le projet de loi C-51 ne propose aucune modification de l’article 4.1. Nous ajoutons des dispositions à la Loi sur le ministère de la Justice relativement aux énoncés concernant la Charte.

Je me ferai un plaisir de poursuivre nos discussions, honorables sénateurs, à propos de la nature des énoncés concernant la Charte. Il ne s’agit pas du tout de conseils juridiques, évidemment, leur but étant d’aider à éclairer les échanges et les discussions touchant les aspects visés par la Charte et tout ce que le gouvernement doit prendre en considération lorsqu’il rédige un projet de loi ou prend des décisions en matière de politique publique.

Le président : Ce sera tout, car les honorables sénateurs doivent se dépêcher d’aller voter. Encore une fois, merci d’avoir pris le temps de venir témoigner, madame la ministre. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir contribué à notre étude du projet de loi C-51.

(La séance est levée.)

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