Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 51 - Témoignages du 1er novembre 2018
OTTAWA, le jeudi 1er novembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence, se réunit aujourd’hui, à 10 h 33, pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion importante sur l’examen du projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence.
Nous avons le plaisir d’accueillir ce matin Mme Marlene Poitras, chef régionale pour l’Alberta, de l’Assemblée des Premières Nations. Bienvenue, madame Poitras.
Nous accueillons également M. Bruce McIvor, membre à titre particulier, de l’Association du Barreau autochtone. Bonjour, monsieur McIvor.
Nous accueillons aussi M. Peter Di Gangi, des Directeurs nationaux de la recherche sur les revendications autochtones. Bienvenue.
Nous accueillons enfin M. Ryder Gilliland, de l’Association canadienne des libertés civiles. Bienvenue, monsieur Gilliland.
Nous allons commencer par Mme Poitras. Après vos exposés, les sénateurs auront l’occasion de présenter des observations et de poser des questions à nos distingués invités présents à la table aujourd’hui.
Marlene Poitras, chef régional pour l’Alberta, Assemblée des Premières Nations : [Note de la rédaction : Mme Poitras s’exprime en langue autochtone.]
Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’avoir invitée aujourd’hui à vous faire part du point de vue de l’Assemblée des Premières Nations sur le projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence.
Les Premières Nations de tout le pays sont préoccupées par le contenu du projet de loi C-58, car cette loi aura une incidence considérable sur nos droits, et ce n’est qu’au cours du dernier mois environ que les efforts de consultation ont commencé, soit assez tardivement.
Nous nous opposons fermement au projet de loi tel qu’il est actuellement rédigé. Nos chefs ont adopté une résolution appelant le gouvernement à retirer le projet de loi et à tenir des consultations en bonne et due forme avec les Premières Nations au sujet de la réforme de la Loi sur l’accès à l’information.
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones énonce l’obligation des gouvernements de veiller à la tenue de consultations significatives lorsque des mesures législatives ou administratives ont une incidence sur les droits des peuples autochtones. L’appel à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation précise aussi clairement que le gouvernement doit s’acquitter de son obligation de consulter adéquatement. Cela n’a pas été fait au moment de l’élaboration du projet de loi C-58 ni lors de sa récente présentation à la Chambre des communes.
Les Premières Nations ont un droit d’accès à l’information détenue par le gouvernement du Canada qui a trait à nos droits et intérêts. Le Canada est également en conflit d’intérêts, parce qu’il contrôle une grande partie de la preuve directement liée aux revendications des Premières Nations à son endroit. Par conséquent, tout effort visant à modifier les règles d’accès à l’information doit tenir compte de ces faits. Les Premières Nations ont un droit d’accès à l’information et le Canada a une obligation particulière à cet égard.
Bien que tardivement, nous nous sommes efforcés d’étudier le projet de loi et de nous engager d’une manière positive à cerner les problèmes et les solutions possibles. Nous sommes quelque peu encouragés de constater que le gouvernement a commencé à nous faire participer aux discussions sur ce projet de loi, et nous prenons acte de l’offre apparente du ministre Brison de supprimer l’article 6, que de nombreuses Premières Nations considèrent comme un obstacle sérieux à l’accès à l’information. Je dis « quelque peu encouragés », parce que les problèmes persistent en ce qui a trait au projet de loi tel qu’il a été rédigé et au processus employé pour le présenter.
Il y a deux questions clés sur lesquelles je voudrais mettre l’accent aujourd’hui. Premièrement, le projet de loi 58 doit reconnaître toutes les Premières Nations comme des gouvernements. Dans l’état actuel des choses, la Loi sur l’accès à l’information et l’article 13 de la Loi sur la protection des renseignements personnels reconnaissent les États nations, les provinces et même les administrations municipales comme des « gouvernements », qui ont le droit de protéger les renseignements qu’ils peuvent communiquer au gouvernement du Canada en toute confidentialité. Toutefois, la grande majorité des Premières Nations sont exclues de cette définition dans la loi : seules les Premières Nations qui ont conclu des traités modernes ou des ententes d’autonomie gouvernementale sont considérées comme des gouvernements. Cela est discriminatoire à l’égard des Premières Nations qui sont régies par des règles coutumières, en vertu de traités historiques ou de la Loi sur les Indiens. Cela est inacceptable et doit être changé.
Comme vous le savez, l’interprétation du paragraphe 13(3), où se trouve la définition de gouvernement autochtone, du projet de loi actuelle est très restrictive. L’article 13 n’est pas, à notre avis, conforme à une compréhension raisonnable de ce qu’est une relation de nation à nation ni aux exigences de l’article 35 de la Loi constitutionnelle ou de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. La Loi sur les Indiens a été imposée et les Premières Nations ont toujours rejeté son imposition, perçue comme une violation des traités et du droit à l’autodétermination. Une nouvelle relation exige que le Canada reconnaisse comme il se doit les gouvernements des Premières Nations pendant que nous effectuons la transition à notre façon, et à notre propre rythme, afin d’exercer plus concrètement notre droit à l’autodétermination. En ce qui concerne les Premières Nations qui choisissent ou non pas d’autre choix que d’interagir en vertu de la Loi sur les Indiens, il n’appartient pas au Canada d’ignorer leur leadership et leur gouvernement.
L’autre question a trait à la consultation. En raison de notre profonde préoccupation face à l’absence de consultation, l’Assemblée des Premières Nations a appelé au retrait du projet de loi dans le cadre de la résolution no 102/2017 de l’Assemblée des Premières Nations transmise par le chef national Bellegarde. La lettre adressée au ministre Brison réitérait ce message en demandant au Canada d’accommoder le droit d’accès à l’information des Premières Nations dans le cadre de cette loi. Une occasion a été manquée de tenir une consultation significative avec les Premières Nations sur cette question. Jusqu’à présent, les efforts de consultation du gouvernement sur ce projet de loi ont été inadéquats et n’ont pas été à la hauteur de ses obligations et de ses engagements politiques. Cela doit changer, et rapidement. L’Assemblée des Premières Nations suivra de près l’évolution de ce projet de loi. Nous en rendrons compte à nos chefs et solliciterons d’autres directives à l’occasion de l’assemblée extraordinaire des chefs en décembre.
Les Premières Nations doivent participer au processus de réglementation et de prise de décisions concernant tout ce qui les touche. Travailler avec nous pour comprendre ce que cela signifie est non seulement inévitable, mais c’est la chose à faire et la bonne décision à prendre. Il en découlera des décisions plus équilibrées, moins acrimonieuses et plus efficaces. Moins de batailles judiciaires. Des décisions plus opportunes. De meilleurs résultats pour nous tous.
En terminant, conformément aux engagements du Canada à l’égard de la réconciliation et de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi que de l’accès à la justice pour les Premières Nations, nous appelons le gouvernement à retirer le projet de loi C-58 et à tenir des consultations en bonne et due forme avec les Premières Nations en ce qui a trait à la réforme législative portant sur l’accès à l’information.
Sur ce, je vous remercie et je me ferais un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
Bruce McIvor, membre à titre particulier, Association du Barreau autochtone : Merci, monsieur le président, et merci au personnel du Sénat. C’est un plaisir d’être ici aujourd’hui. Je comparais au nom de l’Association du Barreau autochtone, une association d’avocats, de juges, de professeurs et d’étudiants autochtones en droit qui travaillent pour les peuples autochtones partout au pays.
Je vous ai remis un résumé de mes notes, et vous trouverez également dans votre trousse un mémoire plus détaillé. Je ne suivrai pas nécessairement mes notes mot à mot, mais vous les avez devant vous.
Je veux vous parler principalement de quatre éléments aujourd’hui : premièrement, l’effet disproportionné des lois de l’accès à l’information sur les peuples autochtones partout au pays; deuxièmement, le droit d’accès à l’information particulier des peuples autochtones; troisièmement, et comme l’a mentionné la chef Poitras, l’absence de consultation sur ce projet de loi; et quatrièmement, les amendements concrets et précis que nous proposons d’apporter au projet de loi.
Tout d’abord, il est très important dès le départ de penser aux répercussions des lois d’accès à l’information sur les peuples autochtones, car ils sont touchés de façon disproportionnée. Ils s’adressent aux tribunaux, négocient avec le gouvernement fédéral pour s’assurer du respect de leurs droits au titre de l’article 35 de la Constitution, qu’il s’agisse des revendications globales ou particulières ou d’autres négociations, et la grande majorité des documents sont détenus par le gouvernement fédéral. Le gouvernement détient ces documents, qui sont la clé d’un processus de réconciliation juste et équitable. De plus, comme le mentionnait également la chef Poitras, c’est un élément indispensable à une saine gouvernance. Pour avoir une relation de nation à nation, les peuples autochtones ont besoin d’avoir accès aux documents fédéraux. C’est important pour des raisons culturelles, pour l’élaboration de nos politiques et pour notre développement économique. D’entrée de jeu, je veux insister sur cet élément. Les peuples autochtones se trouvent dans une situation particulière au regard de l’accès à l’information, car le gouvernement fédéral détient la grande majorité des documents.
Deuxièmement, les peuples autochtones ont un droit d’accès à ces documents. Ce droit a été reconnu en droit international par la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones. Il est reconnu dans le droit interne. Il est reconnu dans les lois. Les peuples autochtones ont un droit d’accès particulier. Il repose sur l’honneur de la Couronne. Il repose sur l’obligation de fiduciaire du gouvernement à l’égard des peuples autochtones. Comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale dans une affaire portant sur la question, il serait contraire aux objectifs mêmes du paragraphe 35(1) de la Constitution que le gouvernement supprime des renseignements qui sont essentiels au règlement des revendications à son endroit. Partout au pays, les peuples autochtones se heurtent déjà aux obstacles existants de l’accès à l’information, et nous sommes d’avis que le projet de loi C-58 en créera de nouveaux. Les peuples autochtones ont un droit d’accès intégral et en temps opportun à l’information. Et nous devrions tous veiller à nous en assurer.
Troisièmement, comme l’a mentionné la chef, il y a eu absence totale de consultation en bonne et due forme sur le projet de loi. Cela va à l’encontre des politiques mêmes du gouvernement. En début d’année, le gouvernement fédéral a publié ses 10 principes régissant sa relation avec les peuples autochtones. Sa façon de procéder dans ce projet de loi est contraire à ces principes. Il est important qu’il y ait des consultations dignes de ce nom. Nous avons beaucoup entendu parler dans les dernières semaines de l’arrêt Mikisew et de l’obligation de consulter. Il est important de se rappeler que même si le gouvernement n’a pas l’obligation légale de consulter, il a quand même l’obligation de procéder à des consultations significatives lorsqu’il envisage de présenter un projet de loi. Cette obligation repose sur l’honneur de la Couronne. Elle repose sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. De bonnes consultations sont le fondement même d’une bonne politique. On nous a dit d’attendre la deuxième phase, que l’on allait nous consulter à ce moment. Je ne compte plus le nombre de fois que les peuples autochtones au pays se sont fait dire cela. On leur dit d’attendre, qu’on va y venir plus tard. C’est tout à fait inacceptable. Il faut que les consultations aient lieu avant qu’une loi soit adoptée.
Je veux maintenant passer à des préoccupations de fond. Comme nous l’avons entendu dire, et comme le comité l’a entendu dire, l’article 6 et le paragraphe 6.1 proposés soulèvent des problèmes importants. Ils créent de nouveaux obstacles. Nous nous inquiétons beaucoup de la réduction du pouvoir de surveillance du commissaire à l’information et, comme vient de le mentionner la chef, du fait qu’on continue de perpétuer la différence de traitement que subissent les nations autochtones et les gouvernements autochtones dans le cadre de la loi.
Nous disons donc, premièrement, que le projet de loi devrait être renvoyé. Il devrait faire l’objet de consultations en bonne et due forme. Dans le cas contraire, des amendements concrets et substantiels doivent y être apportés. Nous les avons détaillés dans notre mémoire. Je vais les passer rapidement en revue.
Premièrement, et c’est un élément très important, il devrait y avoir une section séparée dans la section qui porte sur l’objet de la loi, et sur laquelle repose toute l’interprétation de la loi, pour reconnaître expressément les droits particuliers des peuples autochtones et leur droit d’accès à l’information. Nous avons proposé un libellé précis pour modifier l’objet de la loi à cette fin.
En ce qui concerne les gouvernements autochtones, nous avons proposé un libellé précis pour le modifier, de manière à tenir compte de ce que la chef vient tout juste de mentionner au sujet de la différence de traitement dont font l’objet les Premières Nations au pays. Nous proposons également que l’article 6 et le paragraphe 6.1 soient supprimés. Dans le cas contraire, nous avons proposé des amendements précis prévoyant qu’il y ait des exceptions pour les peuples autochtones, dans le but de reconnaître leur relation particulière avec le gouvernement.
Au sujet du commissaire à l’information, nous avons proposé des amendements afin que le droit de demander une révision soit rétabli. C’est un élément extrêmement important pour les peuples autochtones. En examinant mon mémoire, vous pourrez constater le nombre d’affaires qui ont été devant la Cour fédérale sur lesquelles nous nous appuyons. Comment ont-elles pu aboutir devant la Cour fédérale? C’est grâce à cette disposition de la loi. Cela montre à quel point elle est importante pour les peuples autochtones.
Enfin, nous avons aussi proposé de créer un poste d’agent d’examen autochtone indépendant, dans le but encore une fois de reconnaître la relation particulière des peuples autochtones avec le gouvernement, qui aurait le pouvoir d’examiner les décisions de refus d’accès, d’entendre les plaintes des gouvernements autochtones, de faire des recommandations et de présenter une demande de révision au tribunal.
J’aimerais simplement conclure mon exposé en faisant valoir un dernier point. Nous entendons beaucoup parler de réconciliation. Prenons un peu de recul et réfléchissons à ce que c’est. La réconciliation a trait au rapprochement, à la doctrine de la découverte qui a été discréditée et à l’affirmation indésirable par la Couronne de sa souveraineté sur les terres autochtones au détriment des faits historiques et juridiques à l’appui des droits des peuples autochtones de profiter de leur territoire, de prendre des décisions concernant leur territoire et d’appliquer des lois sur leur territoire. En gros, la réconciliation consiste à transformer un mal en un bien. C’est ce que nous essayons tous d’accomplir ici aujourd’hui. Voilà pourquoi c’est aussi important, parce que c’est un exemple précis de ce qu’il faut faire. Nous devons bien faire les choses. Il faut retourner faire des consultations adéquates et véritables à ce sujet ou nous devons adopter ces amendements précis et concrets.
Merci de votre temps. J’ai hâte de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur McIvor. J’ai regardé votre mémoire. Je vous remercie des amendements que vous avez formulés. Cela facilite grandement nos consultations. Je propose que nous les ayons en main ce matin lors de nos délibérations.
Monsieur Di Gangi, je vous remercie de votre mémoire détaillé. Nous avons hâte d’entendre vos commentaires en la matière.
Peter Di Gangi, directeur, Politique et recherche, Secrétariat de la nation algonquine : Merci, monsieur le président. Bonjour, honorables sénateurs. Merci de nous avoir invités aujourd’hui. Je tiens rapidement à souligner que nous sommes ici sur la Colline du Parlement en territoire algonquin non cédé.
Le mémoire que nous avons préparé a été réalisé par les Directeurs nationaux de la recherche sur les revendications autochtones, soit l’organisme que les Premières Nations chargent de recueillir des renseignements sur les revendications contre le gouvernement du Canada, y compris les revendications précises et les autres différends et litiges ayant trait aux traités et aux titres et aux droits ancestraux.
Comme Bruce l’a souligné, les gouvernements des Premières Nations ont le droit d’avoir accès aux documents fédéraux. Dans ce contexte, le gouvernement fédéral est en conflit d’intérêts, parce qu’il est la partie défenderesse dans ces revendications. Il contrôle l’accès aux éléments de preuve, mais il a aussi une obligation fiduciaire à l’égard des Premières Nations. Toute tentative de modifier la Loi sur l’accès à l’information aura des conséquences sur les Premières Nations et leur capacité de rassembler les éléments dont elles ont besoin pour étoffer leurs revendications, les présenter et obtenir un règlement.
Nous vous avons fait parvenir un mémoire détaillé et des annexes, ce qui comprend aussi les recommandations concernant les amendements qu’a formulés Bruce McIvor; nous vous invitons à en prendre connaissance. Ce matin, j’aimerais rapidement résumer certains points.
Premièrement, pourquoi les documents fédéraux sont-ils importants pour les Premières Nations? Le gouvernement fédéral détient énormément de données sur les relations Couronne-Autochtones : des documents sur les conseils signataires d’un traité, les listes de paiements annuels, les listes de membres, les documents concernant l’administration des terres de réserve et des fonds en fiducie, les pensionnats indiens, et cetera. Cela inclut également un registre des négociations et des litiges en cours entre la Couronne et des Premières Nations.
Pour ce qui est des documents historiques qui sont nécessaires dans le cas de revendications du privilège relatif au litige, quelle garantie avons-nous que le Canada respecte son obligation de s’assurer de rendre accessibles ces documents aux Premières Nations?
Pour les documents plus actuels qui sont soumis au gouvernement fédéral, par exemple, dans le cadre de négociations, des tiers peuvent présenter des demandes d’accès à l’information à l’égard de ces documents. Dans un tel cas, voici la question qui se pose. Comment pouvons-nous garantir aux Premières Nations que ces documents qui sont remis à la Couronne à titre confidentiel sont traités comme tels?
Ensuite, quels sont les problèmes avec le régime actuel d’accès à l’information? Je crois que tout le monde reconnaît que le régime est défectueux, et c’était l’une des raisons derrière le projet de loi.
Les Premières Nations sont censées être en mesure d’avoir accès aux documents de manière informelle et ne devoir passer par le régime d’accès à l’information qu’en deuxième recours. Toutefois, la voie informelle dépend des aléas de la bureaucratie et des caprices du gouvernement. Au ministère des Affaires autochtones, ou AANC, cela peut prendre de trois mois à trois ans pour obtenir les documents par l’entremise du processus informel.
La voie officielle par l’entremise du régime d’accès à l’information est censée nous garantir une réponse dans les 30 jours, mais ce délai ne sert à rien en pratique. Des demandes pour obtenir de plus longs délais sont monnaie courante : des demandes de prolongation de 150, 200 ou 300 jours. Encore là, il arrive même que ce ne soit pas respecté. Par exemple, AANC justifie souvent de tels délais en affirmant, et je cite, que « la demande interfère avec les opérations gouvernementales ». Le gouvernement fait également valoir comme excuse que le nombre de documents est trop volumineux.
Lorsque le demandeur reçoit les documents, le ministère se prévaut souvent et sans raison des exemptions pour ne pas inclure certains documents. Il arrive très souvent que les documents que le demandeur reçoit en fin de compte ne soient pas suffisants pour être utilisés comme éléments de preuve. Ces documents ne répondent même pas aux normes minimales d’AANC concernant les documents.
Des retards supplémentaires sont prévisibles si vous décidez en fait de déposer une plainte au Commissariat à l’information du Canada, parce qu’il y a un arriéré d’environ 3 400 plaintes. En 2016-2017, cela pouvait prendre de six mois à deux ans seulement pour qu’un enquêteur soit affecté à votre dossier. Cela peut prendre ensuite encore trois ans pour que la plainte franchisse les diverses étapes du système. L’arriéré est tel qu’il n’y a pas de temps pour la négociation ou la médiation. C’est le rôle que jouait auparavant le Commissariat à l’information du Canada; c’était très utile pour rapprocher les parties. Il n’y a plus de temps pour ce faire, parce que les enquêteurs doivent traiter les dossiers et éliminer l’arriéré.
Le projet de loi C-58 réglera-t-il ces problèmes? La réponse courte est non. L’accent que met le gouvernement sur la publication proactive ne fait rien pour régler les problèmes qu’ont les Premières Nations avec le régime d’accès à l’information. D’autres sections du projet de loi C-58 traitent des problèmes liés à la bureaucratie, mais cela ne permet pas de garantir que le régime d’accès à l’information répondra mieux aux besoins des utilisateurs, y compris des Premières Nations.
Du point de vue des Premières Nations, je souligne qu’il y a deux grandes inquiétudes. Premièrement, le projet de loi, même avec les amendements, fournit encore aux autorités amplement d’outils pour freiner ou empêcher la publication des renseignements. Deuxièmement, pour la majorité des Premières Nations, comme la chef régionale l’a mentionné, les documents communiqués en toute confidentialité au gouvernement du Canada ne sont pas protégés.
La raison pour laquelle le projet de loi C-58 ne règle pas nos problèmes, c’est que le Conseil du Trésor n’a pas consulté les Premières Nations lors de la rédaction du projet de loi ou après son dépôt. Ce n’est vraiment que depuis 10 semaines que nous avons en fait eu l’occasion et les ressources pour étudier de manière approfondie le projet de loi.
Certaines sections du projet de loi C-58 nous feraient en fait régresser de plusieurs décennies et renforceraient la capacité de la bureaucratie de miner nos efforts pour avoir accès aux documents. Par exemple, le projet de loi C-58 donnerait à deux des motifs de prédilection d’AANC pour les retards, soit l’interférence avec les opérations gouvernementales et le volume de documents, un cadre législatif pour refuser l’accès aux documents. Ce n’est pas une amélioration par rapport au statu quo.
Un autre enjeu important dont ne traite pas le projet de loi C-58, c’est la garde des documents. Les documents historiques doivent être conservés par Bibliothèque et Archives Canada, qui donne accès aux documents fédéraux ayant une valeur historique. Pourquoi donc AANC possède-t-il 60 kilomètres de documents, dont un grand nombre ou la majorité ont une valeur historique? Ces documents ne sont pas transférés à Bibliothèque et Archives Canada. Si vous présentez à Bibliothèque et Archives Canada une demande pour avoir accès à des documents, vous les recevez la même journée, ou cela prend normalement quelques semaines. Pourquoi AANC possède-t-il ces documents et fait-il attendre les gens des années pour les consulter? Nous en discutons plus en détail dans notre mémoire.
Comme les précédents intervenants l’ont mentionné, nous considérons que le projet de loi C-58, dans sa forme actuelle, est un recul. Des modifications majeures sont nécessaires, ou il faudrait retourner faire des consultations adéquates. Je vous remercie de votre temps aujourd’hui.
Ryder Gilliland, avocat, Association canadienne des libertés civiles : Merci, honorables sénateurs, de me donner l’occasion de faire de brefs commentaires au nom de l’Association canadienne des libertés civiles.
J’aimerais insister d’entrée de jeu sur l’utilité d’une loi sur l’accès à l’information pour la société. Nous avons vu que des journalistes du Globe and Mail ont utilisé des demandes d’accès à l’information au cours de l’année précédente dans le cadre de l’enquête « Unfounded » pour révéler qu’un grand nombre de cas d’agression sexuelle ne sont pas signalés ou que des accusations ne sont pas déposées dans un grand nombre de cas et qu’il y a du racisme systémique dans les forces de l’ordre. Cela permet aussi d’aider les citoyens à comprendre l’ALENA. Par ailleurs, vous avez évidemment entendu aujourd’hui des exemples où les demandes d’accès à l’information peuvent être utilisées pour aider les Premières Nations.
C’est une loi très importante qui permet d’obtenir de bons résultats dans bien des cas, mais nous constatons malheureusement aussi de mauvais résultats dans bien d’autres cas. Je ne vais pas répéter ce que vous avez déjà entendu concernant les retards; c’est chronique, et les intervenants s’entendent généralement pour dire que c’est un grand problème du régime. En fait, comme nous l’avons entendu, c’est la raison pour laquelle le projet de loi a été déposé.
Malheureusement, dans sa forme actuelle, le projet de loi crée en fait d’autres obstacles. Il ne réduira pas les retards; au contraire, il risque d’empirer la situation. Je ne me présente pas devant vous aujourd’hui pour vous proposer de déchirer le projet de loi, même si je crois que ce serait une bonne idée de déchirer le projet de loi et de repartir à neuf, compte tenu de ces lacunes.
Cela dit, j’aimerais faire valoir rapidement cinq modifications à la loi actuelle pour l’améliorer, et ces modifications sont très réalistes.
Premièrement, il faut adopter une disposition concernant la primauté de l’intérêt public. Une telle disposition existe dans la province et des municipalités en Ontario. Il y a des exceptions limitées à la primauté de l’intérêt public, mais cette disposition évite de nous empêtrer dans des litiges ayant trait à la définition des exceptions et nous permet d’examiner la véritable question, c’est-à-dire si le public, qui a un droit quasi constitutionnel de savoir, devrait avoir accès à l’information en question. Si nous examinons les cas, nous constatons qu’il arrive trop souvent que cela se transforme en litiges ayant trait à la définition et que nous passions à côté de la situation dans son ensemble. Une disposition concernant la primauté de l’intérêt public permet à l’institution ou au commissaire, s’il est saisi de la question, d’examiner la situation dans son ensemble et de faire ce qui s’impose. Cela se veut une sorte de soupape de sécurité.
Deuxièmement, il y a l’élimination des frais. Selon les plus récentes statistiques que j’ai vues — vous avez peut-être des données plus récentes —, le gouvernement avait perçu 386 000 $ en frais. C’était pour l’exercice 2015-2016. C’est une très petite somme d’argent dans l’ensemble, mais les frais sont évidemment un grand problème pour les demandeurs, et ces frais sont encore plus un problème pour les demandeurs qui ont peu de moyens. Les frais peuvent aussi occasionner des retards, parce que vous pouvez avoir des contestations et des appels concernant les frais. Pour moins de 400 000 $, si nous prenons les données pour 2015-2016, vous pourriez améliorer l’efficacité du régime et renforcer l’accès grâce à cette solution très simple. Compte tenu de la petite somme que représentent les frais perçus, il est difficile de ne pas chercher à comprendre l’objectif des frais, si ce n’est de créer un obstacle.
Le troisième point vise à assujettir les cabinets du premier ministre et des autres ministres aux demandes d’accès à l’information. J’ai eu le privilège de participer en 2011 à l’affaire Commissaire à l’information c. ministre de la Défense; nous avons soutenu devant les tribunaux que les institutions fédérales devraient inclure les cabinets des ministres et le Cabinet du premier ministre. Nous avons été déboutés par la cour, et la nouvelle modification ne change rien.
Cette cause est un exemple parfait. Lorsque la Cour suprême du Canada a entendu notre cause, l’information que nous cherchions à obtenir avait 10 ans. En fait, la demande avait été présentée 10 ans plus tôt; l’information avait donc probablement plus de 10 ans. Nous débattions de la définition de l’expression « institution fédérale », et c’est un exemple classique de tout ce qu’il faut faire et de tout le temps qui est perdu à débattre des détails.
De toute façon, je crois que la majorité des citoyens canadiens trouve illogique que les demandes d’accès à l’information s’appliquent au gouvernement, mais pas aux plus hauts échelons du gouvernement. Étant donné que j’ai participé à cette affaire et aux consultations depuis, je peux honnêtement dire que je n’ai vu aucune bonne raison de ne pas élargir la portée de la loi. Il est vrai qu’il y aura des exceptions à la règle, mais il y a des exceptions. Vous pouvez donc élargir la portée de la loi avec des exceptions, ce qui est la structure de la loi, pour que cela s’applique à l’ensemble du gouvernement.
Comme il a déjà été question de cet élément, je ne vais pas trop insister sur ce point, mais les exigences se trouvant à l’article 6 du projet de loi sont manifestement un obstacle de plus pour les demandes d’accès à l’information lorsque nous conseillons les demandeurs. Normalement, nous conseillons de ratisser large dans la demande, parce qu’il y aura des gens qui, s’ils essaient d’éviter de donner suite à la demande et que vous êtes trop précis, vous diront que vous avez demandé A, alors que c’est en fait B, sachant fort bien que B et A sont proches et que le demandeur s’intéressait à cette information. En exigeant plus de précisions dans les demandes, vous permettez aux institutions fédérales d’éviter plus facilement de donner suite aux demandes d’accès à l’information. Je répète que c’est un obstacle que nous devrions éviter.
En raison du temps, je vais terminer avec cet élément. L’article 6 du projet de loi prévoit aussi la nouvelle possibilité de rejeter des demandes en fonction de leur taille, et cela semble rétrograde. Nous sommes à une époque où nous savons tous que les demandes entraîneront des réponses plus volumineuses, étant donné qu’il y a plus de données. Le côté positif, c’est que c’est aussi plus facile de trouver ces données. C’est dépassé de penser que nous devrions rejeter les demandes volumineuses. J’ai mentionné l’analyse réalisée par les enquêteurs du projet « Unfounded » au Globe and Mail au sujet des problèmes systémiques au sein des forces de l’ordre. L’analyse des mégadonnées et de grandes quantités de renseignements, ce que nous pouvons maintenant obtenir vraiment en un clic ou par d’autres moyens, peut fournir de nombreux renseignements utiles pour les Canadiens. Je crois que c’est une grave erreur en 2018 d’adopter une mesure législative qui sera probablement encore en vigueur dans 5 ou 10 ans quand ce que je viens de décrire sera encore plus la réalité et qui crée un tel obstacle. C’est évidemment un obstacle, et c’est en soi une autre raison de ne pas l’inclure.
Je vous remercie encore une fois de l’invitation. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Je remercie énormément tous les témoins. Je suis persuadé que mes collègues sont impatients de discuter des enjeux que vous avez soulevés.
[Français]
J’invite d’abord le sénateur Boisvenu, vice-président du comité, à ouvrir le débat.
Le sénateur Boisvenu : Je tiens à vous remercier de votre présence. Je trouve vos témoignages très enrichissants, particulièrement en ce qui concerne les communautés autochtones. Lorsqu’on adopte un projet de loi de cette nature, on a toujours l’impression que cela ne vous touche pas. Cependant, on constate que cela vous touche profondément.
Monsieur McIvor, vous avez parlé des effets disproportionnels de l’application de cette loi sur vos communautés. J’aimerais que vous précisiez vos propos à ce sujet. Selon votre perception, y a-t-il des éléments dans ce projet de loi qui risquent de faire l’objet de contestations sur le plan constitutionnel en ce qui concerne vos droits?
[Traduction]
M. McIvor : Merci beaucoup de votre question, sénateur.
Oui, il y a un effet disproportionné, et cela tient au fait que les peuples autochtones partout au pays travaillent fort pour défendre leurs droits prévus à l’article 35. Ils ne sont pas dans la même situation que d’autres groupes dans l’ensemble du pays. Ils ont des droits constitutionnels aux termes de l’article 35 de la Constitution, mais on nous répète sans cesse qu’il s’agit d’une coquille vide. Nous ne savons pas ce qu’il y a à l’intérieur. C’est l’un des aspects de la Constitution qui nous préoccupent dès le début. Ce sont les peuples autochtones qui travaillent à remplir cette coquille. Ce sont eux qui déploient des efforts acharnés pour s’assurer que leurs droits sont reconnus et respectés.
Ils y parviennent surtout en présentant des revendications contre le gouvernement fédéral. Leurs revendications portent sur des titres, des droits ou des torts historiques. Ils s’emploient activement à faire ce travail. Avec un peu de chance, le tout débouche sur des négociations, ce qui nous évite de toujours recourir aux tribunaux pour essayer de lutter contre ce genre de choses, mais même les négociations et les litiges dépendent d’une communication adéquate des renseignements. Les Autochtones n’ont tout simplement pas l’information nécessaire dans la plupart des cas. Les renseignements se trouvent entre les mains du gouvernement fédéral.
Deuxièmement, comme vous le savez tous, bien entendu, le gouvernement fédéral décide qui sont les Indiens aux termes de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, il n’est pas seulement question de gouvernements; cela concerne les particuliers eux-mêmes. Afin de faire respecter leurs droits prévus à l’article 35, les Autochtones se font souvent demander : « Êtes-vous un Indien? Avez-vous une carte? » Comment faire pour obtenir cette carte? On a besoin des documents que détient le gouvernement fédéral. L’effet disproportionné est donc bien précis en raison des droits qui sont inscrits ou qui doivent être respectés aux termes de l’article 35.
Vous trouverez plus de détails à ce sujet dans la deuxième partie de notre mémoire. Nous y abordons cette question plus en profondeur. Nous estimons qu’il s’agit d’une question fondamentale à ne pas perdre de vue. Les peuples autochtones se trouvent dans une situation particulière en ce qui concerne l’accès à l’information en raison des obligations qui leur sont dues et compte tenu de l’article 35 de la Constitution et de l’application de la Loi sur les Indiens.
Le président : Je crois que le sénateur Boisvenu a soulevé la question de la constitutionnalité du projet de loi, mais bien entendu, je prêche pour ma paroisse, comme on le dit en français. Pourriez-vous nous en parler davantage? Pensez-vous qu’il y a un motif de contestation d’une disposition du projet de loi à cause de son libellé en ce qui a trait, bien sûr, aux peuples autochtones?
M. McIvor : Je vais vous donner la réponse que la plupart des avocats fourniraient dans une telle situation si on leur posait la question, mais je crois que cela nous ramène à la raison invoquée dans la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mikisew. En effet, la Cour suprême a déclaré que l’examen d’un projet de loi ne déclenche pas l’obligation de consulter, mais le gouvernement devrait tout de même mener des consultations. Pourquoi? Parce qu’il peut y avoir une contestation juridique après coup. C’est ce qui peut arriver, et la cour l’a reconnu.
Des projets de loi de ce genre, qui sont adoptés sans consultation appropriée, feront l’objet de contestations. Cela ne sert l’intérêt de personne. Les peuples autochtones ne veulent pas avoir à prendre le chemin des tribunaux pour contester ces choses. Le gouvernement affirme qu’il ne veut pas se trouver devant les tribunaux en raison de ces contestations. Les juges de la Cour suprême du Canada, eux-mêmes, disent ne pas vouloir ouvrir la porte à une telle éventualité. Comment faut-il régler ces questions? Il faut les régler dès maintenant grâce à une consultation en bonne et due forme sur le projet de loi, avant qu’il ait force de loi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Dans le dossier du pipeline Trans Mountain, la Cour suprême a annulé la décision du gouvernement de l’acquérir, et ce, sous le prétexte que les communautés autochtones n’avaient pas été consultées.
Est-ce que la cour pourrait invalider le projet de loi parce que vous n’avez pas été consultés? Autrement dit, est-ce qu’il pourrait y avoir une contestation judiciaire de votre part sur la validité de ce projet de loi?
[Traduction]
Mme Poitras : Il y a de fortes chances que les Premières Nations recourent aux tribunaux à cause de l’absence de consultation, si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, et je crois que l’avocat a mentionné tout à l’heure que si le projet de loi subit des amendements considérables et fait l’objet de consultations, alors cela atténuera cet aspect du litige à l’avenir.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de vos exposés.
Nous sommes saisis de la mesure législative actuelle et du projet de loi C-58 pour en étudier la teneur. Comme la chef Poitras l’a souligné à juste titre, des exemptions sont prévues à l’article 13 de la loi actuelle. Le projet de loi C-58 propose d’ajouter deux dispositions essentielles : l’article 6 qui concerne les demandes de communication de documents et l’article 6.1 qui porte sur les motifs pour ne pas donner suite à la demande.
Le ministre Brison a déjà déclaré qu’il accepterait volontiers un amendement qui éliminerait ces nouvelles exigences afin de répondre aux préoccupations soulevées par les peuples autochtones.
L’article 6.1 a également de quoi nous inquiéter, comme vous l’avez tous signalé aujourd’hui, à l’instar de nombreux autres témoins. Lorsque le ministre Brison a comparu devant notre comité le 3 octobre, il a dit ceci :
La commissaire à l’information n’a pas demandé la suppression de l’article 6.1, et [...] les préoccupations que des dirigeants autochtones qui participent au règlement de traités ont exprimées concernaient l’article 6 et non l’article 6.1.
J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. McIvor : Merci, sénateur.
Nous avons proposé des amendements précis aux articles 6 et 6.1, comme vous l’avez entendu. Concernant l’article 6, il s’agit d’un amendement simple. Rétablissons l’ancien libellé. Cela règle le point que notre collègue a soulevé. Lorsqu’on présente ce genre de demandes, surtout pour les Autochtones, par nécessité, il faut ratisser très large. Nous estimons que la définition actuelle fonctionne bien. À défaut de rétablir ce libellé, gardons-le au moins pour les peuples autochtones, compte tenu de la relation particulière.
Pour ce qui est de l’article 6.1, là encore, cette disposition crée des obstacles. Nous convenons qu’il faut nous en débarrasser; nous ne devrions pas l’adopter. Par contre, si l’article proposé suscite un intérêt, alors créons une exemption pour les peuples autochtones, les gouvernements et les particuliers qui essaient de prouver qu’ils sont des Indiens, sachant que le gouvernement fédéral possède les documents nécessaires.
Nous expliquons cela en détail dans notre mémoire. Nous sommes d’accord pour dire qu’il faut retourner faire des consultations adéquates à ce sujet, mais dans le cas contraire, il faut au moins apporter ces amendements concrets.
M. Di Gangi : Chose certaine, dans les mémoires que nous avons présentés au comité de la Chambre et tout au long de ce processus, notre sujet de préoccupation a été l’article 6 au complet, sans exclure l’article 6.1, car les deux vont de pair. Nous avons toujours eu des réserves à l’égard de ces deux dispositions.
Le sénateur McIntyre : Le ministre s’est-il trompé lorsqu’il a fait cette remarque?
M. Di Gangi : Je n’en suis pas sûr. Il y a peut-être eu un malentendu. Je sais seulement que, dans nos mémoires, nous avons indiqué très clairement que nous étions préoccupés par l’article 6 dans son ensemble. Je ne suis pas un législateur, alors j’ai l’impression que l’on coupe les cheveux en quatre. C’est l’article 6 tout entier qui pose problème, y compris les paragraphes.
Le sénateur McIntyre : J’ai une question à poser à l’Association canadienne des libertés civiles. Dans votre exposé, vous avez parlé d’exceptions. Si je comprends bien, les longues listes d’exceptions et d’exemptions contenues dans le projet de loi C-58 n’ont pas été le moindrement rétrécies ou corrigées.
M. Gilliland : En effet, elles ne l’ont pas été. Encore une fois, le problème va bien au-delà de cela, et c’est pourquoi je disais que la primauté de l’intérêt public ajouterait de la valeur. Il serait peut-être avantageux d’examiner des exemptions précises et de restreindre le tout. Au bout du compte, on se retrouvera inévitablement avec un autre ensemble de règles de droit sur les définitions de ces exemptions. L’argument que je voulais faire valoir, c’est que la primauté de l’intérêt public permettrait à une personne, lorsque l’occasion s’y prête, d’examiner un libellé et de se dire : « Je n’ai pas besoin de m’inquiéter outre mesure de la définition de ce mot précis dans ce cas-ci. » D’ailleurs, la primauté de l’intérêt public a été récemment invoquée dans le cadre de l’enquête sur le maire de Toronto.
Bref, cela n’a pas été fait. Je n’ai pas passé en revue les exemptions pour voir si on devrait les restreindre. À mon avis, il y a un problème plus fondamental : le cadre tout entier met toujours trop l’accent sur les définitions plutôt que sur l’objectif général, c’est-à-dire celui de rendre le gouvernement accessible aux Canadiens.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à l’Association du Barreau autochtone. En consultant votre mémoire, je me disais que certaines propositions d’amendements vont dans le même sens que celles qu’on a déjà entendues de la part de plusieurs groupes et qui étaient justifiées pour différentes raisons.
Une autre partie de votre mémoire me donne l’impression qu’on recherche un statut spécial et peut-être même la création d’une section spécifique d’accès à l’information, un régime particulier pour les groupes autochtones. Donc, avez-vous cette volonté de créer un système spécifique compte tenu des obligations de fiduciaire du gouvernement et de vos droits particuliers?
[Traduction]
M. McIvor : Je vous remercie de votre question, sénateur.
Nous partons du principe fondamental qu’il existe une relation précise et particulière entre le gouvernement fédéral et les peuples autochtones pour les raisons que nous avons soulignées : l’effet disproportionné et le droit à l’accès. À partir de là, oui, nous croyons que si le projet de loi est adopté, il faudra y ajouter des dispositions qui reconnaissent cette relation de façon concrète. Il ne suffit pas de dire : « C’est un jour nouveau; il y a une nouvelle relation; le soleil se lève enfin. » Nous voulons voir un engagement concret dans la loi. C’est pourquoi nous avons commencé par l’inclure dans la disposition d’objet.
Cela n’a rien d’inhabituel. La loi de l’Ontario sur l’exploitation minière contient une disposition d’objet qui fait expressément mention de l’article 35 et des peuples autochtones. S’il est possible de le faire dans une loi provinciale sur l’exploitation minière, je crois qu’il y a lieu de prévoir quelque chose de semblable dans la Loi fédérale sur l’accès à l’information, en raison de l’article 35.
Pour le reste, sénateur, vous avez raison. À mesure que nous avancerons, nous tiendrons compte de dispositions précises afin de concrétiser la relation avec les peuples autochtones, l’honneur de la Couronne et les obligations fiduciaires.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma deuxième question concerne l’article 13. D’un côté, vous souhaitez avoir plus d’accès. De l’autre, vous proposez d’amender l’article 13 pour reconnaître les groupes autochtones en tant que gouvernement et pour faire en sorte que le gouvernement ne divulgue pas de renseignements lorsqu’ils ont été transmis par des bandes autochtones.
Dans les années 1998 ou 1999, la Cour fédérale a rendu plusieurs décisions selon lesquelles vous n’êtes pas un gouvernement au sens de cette exception de l’article 13. Donc, le ministère est autorisé à divulguer l’information qui vous concerne. Là, vous nous dites de vous considérer comme étant un gouvernement au sens de cette exemption, afin que le ministère ne divulgue pas cette information aux tiers. N’y a-t-il pas une contradiction entre le souhait d’élargir l’accès et, au même moment, de demander au gouvernement de ne pas communiquer des renseignements qui proviendraient des bandes? S’agit-il d’ouvrir une porte pour obtenir des informations en vue de soutenir des revendications ultérieurement?
[Traduction]
M. McIvor : Merci, sénateur. Les amendements suggérés se trouvent dans notre mémoire; je propose d’en parler en premier et, ensuite, mon collègue, M. Di Gangi, pourra également intervenir à ce sujet parce qu’il a participé à beaucoup plus de cas précis.
Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, il n’y a rien de contradictoire dans ce que nous avons proposé. La loi contient déjà des dispositions qui reconnaissent les gouvernements autochtones. C’est déjà là, mais il s’agit d’une définition très étroite.
Le président : L’alinéa 13(e) de la loi.
M. McIvor : Il y a une différence parce que cela se limite à ceux qui ont conclu des ententes sur l’autonomie gouvernementale. Toutefois, dans le cadre de traités modernes, il y a beaucoup de gouvernements autochtones qui ne correspondent pas à cette définition. La proposition vise à les y inclure comme gouvernements légitimes afin que leurs droits soient respectés lorsqu’ils communiquent des renseignements au gouvernement fédéral.
Je vais laisser mon collègue en parler plus en détail.
M. Di Gangi : Je vous remercie de poser cette question. Je crois qu’elle est importante.
Selon moi, nous devons faire une distinction entre, d’une part, l’accès des Premières Nations aux documents historiques dont ils ont besoin pour recueillir des éléments de preuve leur permettant de démontrer leurs revendications et, d’autre part, les documents qui sont fournis de nos jours, dans le contexte contemporain des négociations. Il serait peut-être utile de vous donner un exemple concret.
Je travaille pour certaines collectivités qui se sont retrouvées devant une situation où un tiers avait présenté une demande à AANC pour obtenir des documents relatifs à une revendication territoriale. Après avoir passé en revue la demande, les fonctionnaires d’AANC avaient rassemblé tous les renseignements nécessaires, puis envoyé des renvois aux autres parties pouvant être touchées par la demande. Ainsi, les Premières Nations pour lesquelles je travaille avaient reçu un avis d’AANC leur disant : « Nous avons reçu une demande de renseignements de la part d’un tiers au sujet de cette revendication territoriale. » Le tout était accompagné de près de 800 à 1 000 pages de documents que le ministère proposait de communiquer au tiers. Dans cette liasse de documents figuraient des renseignements protégés et confidentiels fournis par le conseiller juridique au ministère fédéral de la Justice. Pourtant, lorsque ces documents avaient été distribués dans le cadre de la réunion, les fonctionnaires fédéraux nous avaient donné l’assurance que ces renseignements étaient protégés et qu’ils ne seraient pas divulgués. Et voilà que les fonctionnaires d’AANC proposaient de les communiquer à un tiers à la suite d’une demande.
Nous avons alors commencé à examiner de plus près la loi. L’article 13 de la loi actuelle se lit comme suit :
[...] le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements obtenus à titre confidentiel :
a) des gouvernements des États étrangers [...];
b) des organisations internationales [...];
c) des gouvernements des provinces [...] ;
d) des administrations municipales ou régionales [...].
Dans le cas de tous ces gouvernements, s’ils fournissent des documents au gouvernement du Canada à titre confidentiel, ils ont le droit de les protéger, et les documents ne sont pas accessibles aux tiers, sans leur consentement, à l’exception des Premières Nations. Il y a une annexe qui définit ce qu’est un gouvernement autochtone, et c’est une définition très étroite. Elle ne se limite qu’aux Premières Nations ayant signé des traités modernes ou des ententes sur l’autonomie gouvernementale. Ainsi, 90 ou 98 p. 100 des Premières Nations sont probablement exclues.
En pratique, si vous négociez une question délicate avec le gouvernement du Canada et que vous préparez des documents protégés que vous remettez à l’autre partie à titre confidentiel, la chasse est ouverte. Les tiers peuvent y accéder. La décision de communiquer ou non ces documents est laissée à la discrétion du directeur du programme d’accès à l’information au sein d’AANC. Ce n’est pas la Première Nation qui prend cette décision. À nos yeux, il s’agit d’une discrimination qui empêche les Premières Nations d’avoir l’assurance qu’elles peuvent transmettre des documents au gouvernement et que ceux-ci seront tenus confidentiels.
Le sénateur Pratte : En ce qui concerne l’article 42, vous recommandez de rétablir le pouvoir du commissaire à l’information de demander une révision. Nous avons entendu de nombreux témoignages en faveur de l’idée de renforcer le pouvoir d’ordonnance du commissaire à l’information — par exemple, la possibilité de faire certifier l’ordonnance à la Cour fédérale. Si nous acceptons ces recommandations — autrement dit, si le commissaire à l’information a le pouvoir de rendre des ordonnances exécutoires puisque celles-ci pourraient être certifiées —, est-ce que cela suffirait et, par conséquent, le pouvoir de demander une révision ne deviendrait-il pas, en quelque sorte, inutile si les ordonnances pouvaient être bel et bien exécutoires?
M. McIvor : Merci, sénateur.
Nous croyons qu’il est important, comme première étape, de rétablir ces pouvoirs. Bon, ce n’est pas une panacée. Cela ne réglera pas tous les problèmes, mais nous estimons que les modifications actuellement proposées sont rétrogrades parce qu’elles éliminent cette capacité. Nous jugeons donc qu’il est important, dans un premier temps, de rétablir cette capacité.
Au-delà de cela, l’Association du Barreau autochtone croit que nous avons ainsi l’occasion d’examiner cette mesure législative et son effet global et de reconnaître la relation particulière des peuples autochtones avec le gouvernement. C’est pourquoi nous sommes allés plus loin, notamment en proposant qu’il y ait un agent d’examen autochtone chargé de s’occuper de ces questions et de formuler des recommandations pour la suite des choses.
Même si nous estimons que le rétablissement des pouvoirs est important, nous croyons qu’il est essentiel d’aller plus loin. Nous recommandons de créer un poste d’agent d’examen autochtone. À notre avis, c’est conforme aux 10 principes régissant la nouvelle relation du gouvernement fédéral et aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. C’est une recommandation qui est tournée vers l’avenir et qui peut s’avérer très utile.
Le sénateur Pratte : Merci.
En ce qui concerne l’article 6.1 proposé, un amendement a été adopté à la Chambre des communes, à l’autre endroit, amendement aux termes duquel une institution serait tenue d’obtenir l’approbation écrite du commissaire à l’information avant de refuser une demande sous prétexte qu’elle est trop lourde ou présumément vexatoire. Est-ce une amélioration? Est-ce que cela apaise vos préoccupations au sujet de l’article 6.1?
M. McIvor : Je vais laisser mon ami parler de cela.
M. Di Gangi : Monsieur le sénateur, je pense que nous devons examiner cette question sous plusieurs angles. L’un d’eux est le suivant : nous savons que le Commissariat à l’information est déjà surchargé. Il a un arriéré d’environ 3 400 plaintes. Cela ajoute une couche de travail additionnelle et, d’une certaine façon, cela permet aux ministères fédéraux de se tirer d’affaire puisqu’ils peuvent prendre la décision suivante : « D’accord, nous allons refuser telle ou telle demande. Nous allons la relayer au Commissariat à l’information et elle disparaîtra de la circulation pendant six mois, voire un an. Le commissariat l’examinera, il prendra une décision et il y aura d’autres discussions. » Les ministères se contentent d’éluder la question, et cela peut finir par créer encore plus de travail.
Je pense que si le responsable d’une institution refuse de divulguer telle ou telle information, il doit en prendre la responsabilité. Selon la dynamique actuelle, on ne fait en quelque sorte que retarder les choses. Les responsables peuvent prendre la demande qui est à leur porte et la mettre sur le pas de la porte du Commissariat à l’information du Canada. Les ministères peuvent alors dire : « Eh bien, nous ne sommes pas responsables du retard, parce que c’est entre les mains du Commissariat à l’information »; tout d’un coup, la responsabilité incombe au commissariat.
Je crains que cela ait des conséquences imprévues.
Le sénateur Pratte : Merci.
L’Association du Barreau autochtone du Canada propose une nouvelle façon de définir ce qu’est un gouvernement autochtone. J’ai tendance à être d’accord avec l’idée que cette question devrait être relayée à tous les gouvernements autochtones. Toutefois, dans votre définition, à l’alinéa c), vous incluez une personne ou un organisme qui effectue des recherches pour le compte d’un gouvernement autochtone. Je ne suis pas certain qu’une personne ou un organisme qui fait de la recherche pour un gouvernement autochtone devrait être défini comme faisant partie d’un gouvernement autochtone. Une personne peut peut-être représenter un gouvernement, mais elle n’est pas un gouvernement.
M. McIvor : Merci, monsieur le sénateur. Votre observation est légitime. Nous avons proposé ces dispositions tout en sachant qu’il pourrait y avoir certains ajustements à faire. Là où nous l’avons décrit, c’est qu’à l’heure actuelle, si vous pouvez démontrer que vous travaillez au nom d’une institution autochtone — ce que vous obtenez souvent, c’est une résolution du conseil de bande —, vous pouvez avoir accès à certains documents. C’est de cela que nous cherchions à rendre compte. Nous pensons toutefois qu’il s’agit d’une observation légitime. Nous sommes tout à fait ouverts à l’idée de travailler et de peaufiner ces dispositions pour la suite des choses.
Le sénateur Pratte : Merci beaucoup.
Le sénateur Gold : Merci à vous tous d’être ici. Merci d’avoir replacé les questions dont nous sommes saisis dans le contexte plus large des droits, de l’autonomie gouvernementale et de la réconciliation. C’est très constructif.
Monsieur Gilliland, vous et vos collègues avez déjà plaidé en faveur de la primauté de l’intérêt public. L’Association canadienne des libertés civiles a-t-elle une position sur la primauté de l’intérêt public dans la loi actuelle, qui incorpore la Loi sur la protection des renseignements personnels? Elle semble assez vaste. Il s’agit de savoir si la divulgation de renseignements personnels peut être autorisée lorsque l’intérêt public l’emporte sur toute atteinte à la vie privée. Permettez-moi d’ajouter que le commissaire à la protection de la vie privée nous a dit qu’il était quelque peu ambivalent quant à savoir si une personne devrait toujours être informée ou non de la communication de ses renseignements personnels. Pouvez-vous, s’il vous plaît, situer votre recommandation dans le contexte de ces observations?
M. Gilliland : Cette question de la primauté de l’intérêt public a tout à voir avec la façon dont nous évaluons les droits constitutionnels dans la plupart des affaires constitutionnelles. C’est une question d’équilibre. D’entrée de jeu, nous sommes d’avis qu’elle devrait être aussi vaste que possible, parce que cela permet toujours à l’institution ou à un autre organisme qui fait l’objet d’un examen d’exercer son pouvoir discrétionnaire, de restreindre cette primauté selon les circonstances. Toutefois, elle devrait d’office être aussi vaste que possible, car tout ce que vous faites, c’est faire preuve de discrétion. Si vous réduisez le pouvoir discrétionnaire, vous supprimez la possibilité de l’utiliser. Dans sa forme actuelle, elle est bonne en ce qui concerne le droit à la vie privée, mais elle devrait être plus large et s’appliquer à l’ensemble de la loi.
Le sénateur Gold : L’autre question a peut-être un lien indirect avec le sens de votre recommandation. Elle nous ramène à la question du sénateur Pratte et à vos recommandations, que j’ai tendance à appuyer, d’élargir la définition de « gouvernements autochtones » dans la loi.
À l’annexe de la loi actuelle, on peut voir que la Loi sur l’accès à l’information vise un grand nombre d’organismes et d’institutions gouvernementales, mais pas les gouvernements des Premières Nations en tant que tels. Cela me rappelle un article d’il y a quelques années qui soulignait le manque de clarté quant à l’application de la Loi sur l’accès à l’information aux gouvernements des Premières Nations. L’annexe comprend bien le Conseil de gestion financière des Premières Nations et quelques autres organismes, mais rien sur les gouvernements. Les journalistes se sont plaints de la difficulté qu’ils ont d’obtenir des informations de certains gouvernements. Ils l’obtiennent sur une base volontaire, mais ils ne disposent d’aucun autre mécanisme à cette fin.
Que pensez-vous des répercussions que pourrait occasionner le fait d’assujettir les gouvernements des Premières Nations aux dispositions de la loi? Comment réagissez-vous à cette possibilité? Ce n’est pas nécessairement ce que vous recommandez, à proprement parler, lorsque vous parlez d’inclusion dans la liste des exemptions, mais croyez-vous qu’il y aurait lieu de façon plus générale d’assujettir les gouvernements à la loi?
M. McIvor : Merci, monsieur le sénateur. Mon ami, M. Di Gangi, a peut-être d’autres idées à ce sujet.
D’un point de vue général, comme vous le dites vous-même, nous nous concentrons sur les effets réels de la loi. Dans une large mesure, la loi fait en sorte que le gouvernement fédéral garde en sa possession de l’information dont les peuples autochtones de tout le pays ont besoin pour diverses raisons. C’est sur ce point que portent nos suggestions.
L’élargissement de la loi pour qu’elle s’applique aux Premières Nations est une tout autre question qui soulève de sérieux problèmes sur le plan constitutionnel et des enjeux de gouvernance. Il n’y a eu aucune discussion à ce sujet, alors c’est un tout autre enjeu. Si la chose devait être envisagée, bien sûr, nous nous attendrions à ce que le gouvernement fédéral interpelle les peuples autochtones dès que possible, et qu’il y ait des échanges sérieux à ce sujet, le genre de conversation que le gouvernement s’est abstenu d’avoir à propos de la loi actuelle.
M. Di Gangi : Je suis d’accord avec mon collègue. Je pense que c’est quelque chose qui n’est pas du tout à l’ordre du jour. C’est un aspect dont nous n’avons pas tenu compte dans le cadre de notre discussion sur la loi.
Les autres gouvernements ont leurs propres lois sur la liberté d’information. Les provinces ont les leurs. Je pense que les gouvernements des Premières Nations voudront peut-être examiner leurs propres lois et règlements à cet égard. La possibilité que le gouvernement fédéral promulgue une loi omnibus pour que cela s’applique à nous, ce serait comme de dire : « Donnons-nous une autre Loi sur les Indiens et appliquons-la unilatéralement. » Je ne crois pas qu’il serait sage de s’aventurer de ce côté-là. Ce n’est certainement pas quelque chose que nous avons envisagé dans ce contexte. Notre principale préoccupation à l’égard de l’article 13, c’est que la législation actuelle est discriminatoire à l’égard de la grande majorité des Premières Nations puisqu’il ne reconnaît pas qu’elles sont des gouvernements.
Le sénateur Gold : Il ne s’agissait pas d’une question complémentaire, mais d’une simple demande de clarification. Je ne suis certainement pas en train de proposer un projet de loi omnibus à cette fin, mais comme la question a été soulevée à l’égard d’un aspect, je me demandais si vous aviez une opinion à ce sujet. Je vous remercie de votre réponse.
Vous avez parlé brièvement des administrations provinciales et territoriales. Quelle a été votre expérience avec les régimes d’accès à l’information des provinces et des territoires? Nous avons entendu des témoignages au sujet d’autres systèmes et on nous a fait des recommandations pour améliorer la loi fédérale. Y a-t-il, selon vous, des choses que nous pourrions apprendre des administrations provinciales ou territoriales ?
M. McIvor : Merci, monsieur le sénateur.
Comme vous l’avez vu, notre mémoire est assez long, et il contient effectivement certaines observations à cet égard. Pour certains aspects, nous évoquons la loi ontarienne. Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus pour le moment, mais je trouverai ces passages et je vous en ferai part ultérieurement. Il existe certainement des exemples de lois qui pourraient permettre aux peuples autochtones d’accéder plus facilement aux documents qu’il leur faut. À notre avis, le projet de loi C-58 est un pas en arrière par rapport à ce que les autres gouvernements font partout au pays.
Le sénateur Gold : Merci.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous d’être là.
Ce qui me frappe aujourd’hui, et ce qui m’a frappée au cours des dernières séances que nous avons eues à ce sujet, c’est l’absence totale de consultation appropriée ou même de consultation sur cet important projet de loi. Le commissaire à l’information, le commissaire à la protection de la vie privée et les juges nous l’ont dit, et c’est maintenant le cas des principales organisations des Premières Nations. Pour un gouvernement fédéral qui aime s’enorgueillir de ses consultations, il est plutôt alarmant d’entendre autant d’intervenants clés dire que le gouvernement ne les a pas consultés de façon appropriée.
Madame Poitras, dans votre déclaration liminaire, vous avez dit : « Jusqu’à présent, les efforts de consultation du gouvernementsur ce projet de loi ont été inadéquats et n’ont pas été à la hauteur deses obligations et de ses engagements politiques. Cela doit changer, etrapidement. » Je sais que vous n’aviez pas assez de temps pour entrer dans les détails, mais je voudrais savoir si vous pourriez nous donner des précisions sur les réserves que vous avez au sujet de la consultation qui a eu lieu et sur les raisons qui vous font dire qu’elle n’était pas adéquate.
Mme Poitras : Il y a eu un grave manque de consultation jusqu’à tout récemment. Pour ce qui est de consulter les Premières Nations au sujet de tout projet de loi ou de tout autre projet de loi à venir, le temps est toujours limité, de sorte que nous n’avons pas la chance d’examiner ce dont il s’agit et de formuler des recommandations, ou d’apporter une contribution significative. C’est ce qui est arrivé pour ce projet de loi : nous venons tout juste de recevoir l’information et l’accès à la consultation. C’est tout récent.
La sénatrice Batters : Quand vous dites tout récent, c’était quand ? Ce projet de loi est présenté depuis longtemps. Il a été présenté à la Chambre des communes il y a longtemps, alors je me demande quand cette récente consultation a eu lieu. Cela s’est-il produit lorsque le ministre Brison a indiqué qu’il serait peut-être disposé à le modifier ?
Mme Poitras : Je crois que l’invitation à donner notre avis sur le projet de loi ne nous été lancée qu’il y a quelques semaines.
La sénatrice Batters : D’accord, je vous remercie.
Monsieur Gilliland, j’ai trouvé que vous avez fait une excellente observation lorsque vous avez dit qu’il était très rétrograde, à notre époque, d’avoir une exemption pour les dossiers volumineux. À la fin des années 1990, je travaillais sur ce genre de dossiers. Il n’était pas rare de recevoir des tonnes de boîtes de documents en réponse à une demande. Maintenant, les renseignements sont probablement transmis sur une clé USB ou quelque chose du genre. Je pense que vous avez tout à fait raison. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
M. Gilliland : Je ne sais pas s’il y a beaucoup de choses à ajouter. Mon travail quotidien est celui d’avocate du contentieux, un domaine où nous avons également assisté à des changements spectaculaires en matière de production. Il est désormais convenu que toute demande d’information, que ce soit auprès du gouvernement ou de personnes morales, génère beaucoup plus de réponses qu’il y a 10 ans. Le revers de la médaille, c’est que nous n’avons plus de gens qui vont au sous-sol pour fouiller dans les boîtes. Nous avons des gens qui font des recherches en ligne. Nous sommes sur le point de voir d’énormes transformations. Il y a déjà des changements, mais l’intelligence artificielle rendra tout cela beaucoup plus facile. Comme je l’ai mentionné, les demandeurs utilisent le même genre de technologie pour analyser les données et dégager des renseignements utiles pour les Canadiens. Pour toutes ces raisons, je pense qu’il est malavisé, à notre époque, d’imposer des limites en fonction de la taille.
La sénatrice Batters : Diriez-vous que cette exemption devrait être supprimée intégralement?
M. Gilliland : Oui. En 6.1, vous avez l’alinéa c), qui vous permet de traiter de cette question s’il s’agit d’une demande vexatoire. Pourquoi faudrait-il créé une exemption qui aurait pu avoir du sens il y a 10 ans, mais qui n’en a plus aujourd’hui?
La sénatrice Batters : Merci.
La sénatrice Pate : Merci à vous tous d’être ici.
Chef régionale Poitras, c’est bon de vous revoir. Ma première question s’adresse à vous. Vous avez entendu tous les amendements qui ont été proposés. Y en a-t-il avec lesquels vous ou l’Assemblée des Premières Nations ne seriez pas d’accord? Aussi, à quelle forme de consultation aimeriez-vous que l’on procède à partir de maintenant?
Mme Poitras : Je suis d’accord avec les amendements proposés par Bruce et Peter. Pour ce qui est des consultations, je pense que nous devons consulter directement l’Assemblée des Premières Nations pour nous assurer que nous faisons ce qu’il faut, ainsi que l’Association du Barreau autochtone pour nous assurer que nous avons le bon libellé pour aller de l’avant.
La sénatrice Pate : L’un des aspects qu’aucun de vous n’a abordés aujourd’hui, mais qui ont été soulevés lors d’audiences précédentes et certainement aussi à l’autre endroit, c’est que le plus grand nombre de plaintes concernant les demandes d’accès à l’information provient de personnes qui présentent des demandes au Service correctionnel. À l’heure actuelle, 40 p. 100 des femmes qui purgent une peine de ressort fédéral sont des femmes autochtones; les Autochtones représentent 28 p. 100 de l’ensemble de la population carcérale. Certains des changements dont vous parlez — et je pense en particulier à certaines des suggestions qui ont été faites sur la façon dont nous pourrions procéder aux fouilles — ne s’appliquent pas nécessairement aux détenus. Y a-t-il d’autres questions que vous ou d’autres organismes avez examinées quant à l’impact que cela aura, en particulier sur les prisonniers et sur les prisonniers autochtones, et sur certains des efforts qui ont été déployés concernant ces populations? Je pense en particulier aux efforts déployés pour régler le problème du surclassement, du recours exagéré à l’isolement et de la sous-utilisation des dispositions d’amélioration comme les articles 29, 80, 81 et 84. Cette question s’adresse à tout le monde.
M. McIvor : Merci, madame la sénatrice. Je vais vous répondre en termes généraux.
C’est une question qu’il est très important de soulever. Cela s’inscrit dans le droit fil des appels à l’action lancés par la Commission de vérité et de réconciliation au sujet de cette très importante question. Nous n’avons pas de recommandations précises à formuler au sujet des amendements, du moins, pas dans ce que nous avons préparé, mais je pense que cela en dit long sur les défauts du processus, car, comme vous l’avez entendu, nous avons été très pressés. Nous n’avons eu que quelques semaines pour examiner le projet de loi, débloquer les fonds nécessaires à son examen et nous consulter à l’interne. On a vraiment attendu à la dernière minute pour nous consulter, et c’est un excellent exemple de la raison pour laquelle il faut revenir à une consultation appropriée. Il s’agit de s’attaquer à des problèmes comme ceux-là, non pas d’une façon rapide, mais en ayant le temps de les examiner sérieusement, de trouver la bonne façon d’aborder la question, de parler aux personnes les plus touchées, de les entendre, puis de proposer des amendements qui rendront compte du fruit de ces démarches.
M. Di Gangi : Merci, madame la sénatrice. Je pense que cette question est importante.
J’appuie sans réserve les paroles de Bruce. C’est là un exemple de quelques-uns des enjeux qui auraient dû être abordés si des consultations appropriées avaient été menées et si nous avions été en mesure d’étudier le projet de loi adéquatement et de nouer des dialogues à ce sujet. Je pense également à la question que la sénatrice Batters a posée à la chef régionale. Je sais que, dès le printemps de 2016, nous avions déployé des efforts pour dialoguer avec le Conseil du Trésor au sujet de l’accès à l’information. Une fois le projet de loi déposé en juin 2016, je crois, il nous a pris par surprise. Cela faisait près de deux ans que nous nous occupions de cette question avant que le Conseil du Trésor nous accorde son soutien afin que nous amorcions l’étude du projet de loi. Jusqu’à maintenant, on nous a principalement dit ce qui allait se passer, mais nous n’avons pas été en mesure d’échanger réellement. Tout s’est déroulé de façon précipitée. Il y a environ 10 semaines que nous avons reçu la confirmation de l’appui qu’on nous accorde pour entreprendre un examen approprié du projet de loi. Comme Bruce l’a indiqué, nous n’avons pas été en mesure de procéder à un examen aussi généralisé que nous l’espérions afin de prendre en considération les conséquences possibles, comme quelques-unes de celles que vous avez mentionnées.
M. Gilliland : Je n’ai rien à dire de particulier à ce sujet, mais j’aimerais signaler que les trois problèmes que j’ai mentionnés dans ma déclaration préliminaire s’appliqueraient plus vigoureusement à la population que vous décrivez en ce moment. Les frais seraient problématiques, la possibilité que la demande soit rejetée en raison de son envergure pourrait être problématique, tout comme, bien entendu, la nécessité de préciser la demande avec suffisamment de détails qui, soit dit en passant, porte atteinte à ceux qui n’ont pas l’habitude d’utiliser le système. Plus vous présentez de demandes, plus vos demandes peuvent être élaborées. Si vous avez affaire à des gens qui n’ont pas acquis cette expérience ou reçu cette formation, ils seront particulièrement désavantagés par ces exigences en matière de précision.
La sénatrice Pate : Merci.
Le président : Sénateurs, si vous me le permettez, j’aimerais faire état du sixième des Principes régissant la relation du gouvernement du Canada avec les peuples autochtones qui est mentionné dans l’amendement qu’on propose d’apporter à l’objet du projet de loi. Je tiens à en faire état parce que je crois que nos collègues aimeraient comprendre l’obligation que le gouvernement fédéral a de consulter les peuples autochtones.
Le gouvernement du Canada reconnaît [...] un engagement significatif avec les peuples autochtones vise à obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, lorsque le Canada propose de prendre des mesures ayant une incidence sur eux et sur leurs droits sur leurs terres, leurs territoires et leurs ressources.
Il me semble que l’obligation est très bien décrite dans le principe no 6. Lorsque vous faites allusion au principe no 6 dans les modifications que vous proposez d’apporter à l’article 2 du projet de loi qui porte sur l’objet de la loi, il me semble que ce principe est convaincant. Comme vous le dites, c’est l’honneur de la Couronne et le devoir fiduciaire du gouvernement fédéral à l’égard des peuples autochtones qui sont en cause dans ce principe. Souhaitez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
M. McIvor : Je vous remercie, sénateur, de me donner la chance d’aborder cette question.
Nous croyons que cette question est liée à un enjeu clé, à savoir le décalage que les peuples autochtones de l’ensemble du Canada observent souvent entre les déclarations du gouvernement fédéral et ses actions. Les actions doivent coïncider avec les déclarations. Je ne saurais trop insister sur l’importance que cela relevait, car, à défaut de cela, vous encouragez le cynisme à l’échelle nationale. Comment la réconciliation peut-elle être effectuée quand de telles déclarations sont faites, mais que, lorsque vient le temps de prendre des mesures concrètes, les peuples autochtones sont consultés à la dernière minute, comme vous l’avez entendu dire.
Nous avons entendu une question à propos de l’affaire de l’oléoduc Trans Mountain qui opposait la nation Tsleil-Waututh au Canada et la décision qui a été prise à cet égard il y a un mois ou deux. Cette décision était excellente parce qu’elle décrivait exactement à quoi ressemble une véritable consultation, et le problème fondamental qui se pose est une question de compromis concrets. Nous n’avons pas connu cela. Que l’obligation légale soit déclenchée ou non par la loi, les peuples autochtones recherchent des compromis concrets pour remédier à ces problèmes.
Le président : Vous êtes avocat, et je vous parle en ma qualité d’avocat. Ce qui est difficile à comprendre d’un point de vue juridique, c’est que l’obligation de consulter et le droit de contester dont vous jouissez entreront en vigueur après l’adoption de la loi, et non avant. Alors, quand ce droit vous est-il conféré? Il vous est conféré lorsque la mesure législative est promulguée et que vous êtes reconnu comme un partenaire ou comme un groupe touché par la mesure législative. Vous pourrez alors contester le fait que l’obligation n’a pas été honorée par le gouvernement, mais, tant que la mesure législative n’aura pas été adoptée, vous n’aurez pas la capacité de le faire pour signaler que la mesure aura une incidence sur vous et que vous souhaitez participer aux négociations pour parvenir à un arrangement qui vous permettra d’atteindre votre objectif et qui permettra au gouvernement fédéral de respecter son obligation fondée sur l’obligation de la Couronne de s’assurer que des dispositions d’une sorte ou d’une autre sont prises pour satisfaire les deux parties. J’ai l’impression qu’il y a un vide juridique, car soit l’obligation existe, soit elle n’existe pas. Elle ne devrait pas exister après coup. Elle devrait exister au début des discussions afin qu’une entente puisse être négociée. Comme vous le dites, c’est l’essence de la réconciliation. La réconciliation ne se produit pas lorsque vous contestez des décisions devant les tribunaux après l’adoption du projet de loi. Vous ne participez plus au processus de réconciliation à ce moment-là; vous menez un combat juridique. Alors, où fixons-nous la limite en ce qui concerne l’obligation légale du gouvernement de vous consulter?
M. McIvor : Merci, sénateur. Comme vous et les membres du comité le savez, cela a fait l’objet d’un énorme débat devant la Cour suprême du Canada dans le cadre de la décision Mikisew qui a été rendue récemment. Quatre séries de décisions ont été prises, mais, à mon avis, il y a deux problèmes fondamentaux. L’un d’eux est que l’honneur de la Couronne est primordial, que l’obligation de consulter ait été déclenchée ou non.
Le président : Tout à fait.
M. McIvor : L’honneur de la Couronne est toujours en question. La cour a été très claire à cet égard. Il est en jeu lorsque nous sommes assis à cette table. Lorsque des représentants officiels du gouvernement parlent aux peuples autochtones, ils protègent l’honneur de la Couronne. Ils doivent être perçus comme des défenseurs de cet honneur. Jusqu’à maintenant, le processus d’étude du projet de loi C-58 n’a pas donné cette perception.
Le deuxième point que j’aimerais faire valoir, c’est que, comme vous le dîtes, il y aura des contestations juridiques après coup. Qu’il s’agisse du présent projet de loi ou d’un autre, il est important de préciser maintenant que ce processus doit avoir lieu d’entrée de jeu. Il doit avoir lieu en premier. Voilà en quoi consiste réellement la réconciliation. Elle ne peut pas être effectuée simplement aux dépens des peuples autochtones, parce qu’ils seront alors forcés d’utiliser leurs maigres ressources pour porter ces causes devant les tribunaux et se battre pour la justice. Comme vous avez entendu mon collègue l’indiquer, souvent ces contestations exigent de 5 à 10 ans d’efforts. Et, au terme de ces procédures, il est trop tard. C’est pourquoi nous disons qu’il importe que ce processus ait lieu en premier. C’est là une excellente occasion de créer un précédent et d’envoyer un message au gouvernement fédéral au sujet des mesures qu’il doit prendre lorsqu’il présente une mesure législative qui aura un effet particulier sur les peuples autochtones.
Le président : Merci. Je vous demande pardon, sénatrice McCoy. Je n’ai pas pu résister à la tentation, alors je vous suis redevable.
La sénatrice McCoy : Vous avez apporté une importante contribution, monsieur le président.
Ma première réaction à l’égard de cette mesure législative a été de la rejeter mais, lorsque la commissaire à l’information a comparu devant nous, elle nous a demandé de ne pas le faire. Elle a affirmé qu’avec quelques amendements, dont deux que la ministre avait approuvés à ce moment-là, le projet de loi permettait, selon elle, de faire au moins un pas dans la bonne direction, alors que son rejet affaiblirait la position de la commissaire.
Permettez-moi s’il vous plaît de formuler ma question de la façon suivante et de l’adresser à chacun de vous ou à n’importe lequel d’entre vous : si nous devions présenter quelques amendements, avez-vous un genre de hiérarchie en tête? Y a-t-il pour le moment des modifications essentielles dont la proposition vous mettrait à l’aise à l’avenir? Ensuite, nous pourrons parler de la phase 2 tant redoutée.
M. Di Gangi : Voilà une excellente question, madame la sénatrice. Je pense qu’il est difficile en ce moment d’en choisir. Je ne suis pas à l’aise de pouvoir choisir des amendements sans avoir consulté mes collègues et sans avoir examiné les enjeux de façon adéquate. Tout cela s’est produit très rapidement. Nous n’avions même pas jeté un coup d’œil aux amendements ou discuté de ceux-ci jusqu’à il y a quelques jours.
Certes, je crois qu’il importe de modifier l’article portant sur l’objet du projet de loi, car il a une incidence sur la façon dont le projet de loi est interprété, et j’estime que l’article 6 doit être supprimé. Tout le monde s’entend pour dire que, si une demande est vexatoire, il faut qu’il y ait une façon de la gérer. Cela dit, l’article 6 est un pas en arrière qui donne à des bureaucrates le pouvoir de contrecarrer ou d’empêcher la divulgation de renseignements.
L’article 13 importe également. Pour reprendre les paroles de quelqu’un d’autre, nous sommes en 2018. Par conséquent, pourquoi faisons-nous preuve de discrimination? Le gouvernement affirme qu’il reconnaît les Premières Nations et les relations de nation à nation. Pourtant, il propose une mesure législative discriminatoire envers 98 p. 100 des gouvernements des Premières Nations. Cela ne devrait pas se produire de nos jours.
Autrement, je dirais qu’il faut que nous ayons des discussions.
La sénatrice McCoy : Peut-être qu’en l’occurrence, nous pourrions en rediscuter avec vous dans quelques semaines, quand vous aurez eu un peu plus de temps d’en parler entre vous. Nous pourrons revenir là-dessus, mais d’entrée de jeu, du moins pour le moment, ces modifications seraient essentielles, selon vous.
Comme vous le savez, il y a dans le texte de loi une disposition qui prévoit un examen après un an et des examens législatifs quinquennaux par la suite. Toutefois, comme il est stipulé dans le projet de loi C-58, il s’agirait d’un examen ministériel. Certaines personnes ont proposé ou approuvé avec enthousiasme l’idée que cette stipulation soit modifiée afin que l’examen devienne parlementaire et qu’il soit effectué par la Chambre des communes, le Sénat ou un comité mixte. Quelle serait votre réaction à cet égard?
M. Di Gangi : Je pense que l’idée d’un examen parlementaire est excellente. Nous avons fait l’expérience d’examens ministériels, par exemple, dans le cas de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, dont l’examen a véritablement déçu les Premières Nations. Dans le cas d’un examen parlementaire, il y a plus de transparence et de comptes à rendre, et nous sommes plus en mesure de poser des questions et d’obtenir des réponses.
M. McIvor : Merci, madame la sénatrice.
Nous convenons assurément qu’un examen parlementaire serait préférable. Nous tenons également à insister sur le fait qu’à l’avenir, il est important que les Autochtones participent activement à l’élaboration de la loi, au lieu de les faire attendre une ou cinq années. C’est la raison pour laquelle nous croyons que notre recommandation concernant la nomination d’un réviseur autochtone est extrêmement importante en principe, mais aussi d’un point de vue fonctionnel. Un réviseur autochtone contribuerait à convaincre les Autochtones que leurs intérêts, leurs préoccupations et leurs droits particuliers sont pris en considération et que le réviseur est là pour émettre des recommandations fondées sur sa connaissance approfondie du fonctionnement du projet de loi en tant que tel.
M. Gilliland : En ce qui concerne le deuxième point, je partage l’avis de mes collègues, selon lequel un examen parlementaire serait certainement préférable.
En ce qui concerne le premier point, il est difficile de faire un choix. Je peux vous dire qu’au sommet de la liste de l’Association canadienne des libertés civiles, il y a la primauté de l’intérêt public et un accès élargi aux bureaux ministériels.
Je rappellerais à tous le contexte actuel, à savoir que le bilan du Canada en matière d’accès à l’information est déplorable. Dans la mesure où ces examens sont menés, le Canada a été classé au 55e rang, aux côtés de l’Uruguay, et nous avons entendu les histoires qui expliquent ce classement. Pendant la campagne électorale, le gouvernement s’est engagé à remédier à ce problème et à améliorer le système. Cependant, je pense que la plupart des gens qui ont examiné la mesure législative proposée n’ont pas remarqué une amélioration, mais plutôt une régression.
Maintenant, lorsque nous parlons des nouvelles dispositions que nous devrions supprimer pour améliorer la mesure législative, j’estime que l’élimination de l’article 6, par exemple, améliorerait la proposition, mais rehausserait-elle la Loi sur l’accès à l’information? C’est peu probable. Je pense qu’en assurant la primauté de l’intérêt public et en élargissant l’accès aux bureaux ministériels, le gouvernement pourrait pointer ces améliorations du doigt et dire aux Canadiens que leur accès à l’information a été élargi. À l’heure actuelle, j’estime qu’il n’y a pas grand-chose dans la mesure législative que le gouvernement peut pointer du doigt en affirmant cela.
La sénatrice McCoy : Chef, souhaitiez-vous formuler des observations?
Mme Poitras : Oui, nous sommes assurément disposés à discuter de ces questions avec les ministres ou le Sénat, à l’avenir. Je crois que le gouvernement a une occasion de rectifier ce projet de loi, mais je suis également consciente que les chefs du Canada ont adopté une résolution qui réclame le retrait du présent projet de loi.
La sénatrice McCoy : Oui, nous devrions nous en souvenir et respecter cela.
Vous avez mentionné que la loi ontarienne constituait un bon précédent, mais à l’échelle internationale, il doit sûrement y avoir des lois sur l’accès à l’information qui sont reconnues comme des modèles, n’est-ce pas?
M. Gilliland : C’est une excellente question, et j’aimerais être mieux placé pour y répondre. Pour me préparer à cette comparution, j’ai essayé de trouver les meilleurs modèles et de déterminer les raisons pour lesquelles ils étaient supérieurs.
D’après la documentation, je sais que le système américain de demande d’accès à l’information fonctionne mieux que le système canadien. Ce qui serait utile et ce que je ne suis pas en mesure de faire, ce serait de procéder à l’analyse des raisons pour lesquelles c’est le cas. Il y a des organisations qui mettent l’accent sur cet enjeu et qui établissent ces classements. Je crois qu’il vaudrait vraiment la peine d’examiner les pays qui ont obtenu les meilleurs classements afin de déterminer les modèles qu’ils utilisent, ce qui les distingue du modèle canadien et ce que nous pourrions mettre en œuvre.
Cela nous rappelle précisément l’inutilité d’examiner un projet de loi qui ne rectifie pas le système. La première étape de notre analyse devrait consister à trouver l’administration qui utilise le meilleur modèle et à déterminer ce à quoi nous souhaitons que notre modèle ressemble. À mon avis, le gouvernement a apporté des modifications mineures à notre modèle actuel afin de rendre l’accès à l’information encore plus difficile pour les Canadiens. Je crois que votre question est excellente et qu’elle exige assurément une analyse plus approfondie.
La sénatrice McCoy : Je pourrais paraphraser votre réponse et dire que l’examen parlementaire devrait être fait à neuf. Je pense à un ciel bleu; à un nouveau départ.
M. McIvor : J’aimerais dire une chose à ce sujet, madame la sénatrice. Comme vous l’avez entendu, nous avons été engagés il y a quelques semaines à peine pour réaliser cet examen et lorsque nous avons entrepris les travaux, mon équipe et moi, c’est exactement ce que nous nous sommes dit : examinons les exemples à l’échelle provinciale et internationale qui pourraient fonctionner. Nous n’avons pas eu le temps de le faire et nous croyons que c’est la preuve que tout cela a été précipité.
Ensuite, sauf votre respect, je ne crois pas que ce soit une bonne idée d’attendre la phase deux ou un examen futur, parce que les amendements proposés ici ne sont pas progressifs, comme vous l’avez entendu. Ils sont régressifs. Si c’est ce que nous voulons, alors il est beaucoup plus logique de procéder à une évaluation appropriée aujourd’hui et de prendre le temps nécessaire pour le faire; nous allons procéder avec la mesure législative telle qu’elle est, parce qu’il s’agit d’une meilleure option que les amendements proposés à de nombreux égards, puis nous allons nous prononcer à la suite d’un processus de consultation approprié.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je reviens à ma question initiale, monsieur McIvor : entre modifier le projet de loi actuel ou le rejeter dans son ensemble, quelle avenue privilégiez-vous? La chef a mentionné qu’il faudrait rejeter ce projet de loi. De votre côté, vous avez avancé des propositions d’amendements. Donc, entre ces deux avenues, privilégiez-vous celle où le gouvernement refait ses devoirs ou celle de modifier le projet de loi à votre convenance?
[Traduction]
M. McIvor : Nous vous remercions de nous donner la chance de vous expliquer cela. L’Association du Barreau Autochtone est d’avis que nous devrions tout effacer et retourner à la planche à dessin. Nous appuyons l’Assemblée des Premières Nations à cet égard; nous croyons qu’il faut bien faire les choses. Cela n’a pas été le cas et il est maintenant temps de le faire. Il ne faut pas attendre la phase deux ni aller de l’avant tout de suite. S’il y a un intérêt en vue d’aller de l’avant, nous devons présenter des amendements concrets et précis, mais ce n’est pas certain.
Le sénateur Pratte : Vous avez dit dans vos mémoires que la relation avec Bibliothèque et Archives Canada s’était beaucoup améliorée. Il est plus facile d’obtenir des documents, plus rapidement, et cetera. Vous avez dit qu’AANC détenait toujours des kilomètres de documents. Avez-vous demandé à AANC de transférer ces documents à Bibliothèque et Archives Canada? Quelle a été sa réponse? Pourquoi le ministère veut-il conserver ces documents?
M. Di Gangi : Merci, monsieur le sénateur. C’est une bonne question. Nous avons eu cette discussion. Alors que nous étudions le projet de loi, nous entretenons aussi des discussions continues avec AANC de même qu’avec d’autres ministères au sujet de l’accès à leurs dossiers.
AANC semble très protecteur de ces documents. Le ministère fait valoir qu’il a besoin de ces documents à des fins administratives et politiques, et non à des fins historiques. C’est ce qu’on nous dit, mais je ne suis pas satisfait de cette réponse.
Les ministères fédéraux ont des priorités différentes et doivent tenir compte de divers facteurs, notamment de la gestion des dossiers. Si le ministère donne aux Premières Nations ou au public l’accès à ces documents alors qu’ils pourraient intenter des poursuites contre lui, alors la situation risque de changer complètement.
Il y a de nombreuses contraintes internes associées à l’obtention de ressources et aux budgets. On divise maintenant le ministère en deux, et il gérera tous les dossiers de Santé Canada associés à la santé des Premières Nations. Il y a d’autres conflits à l’interne au sujet des budgets affectés à la gestion des dossiers et aux procédures. Selon ce que je comprends, AANC est responsable des dossiers et répond à trois ministères distincts.
Ce que je veux dire, c’est que ces gens essaient tant bien que mal de gérer ce qu’ils ont, mais ils ne disposent pas des bons outils pour le faire. En vertu de la loi, Bibliothèque et Archives Canada a pour mandat de gérer les dossiers historiques du Canada. Elle offre des outils de recherche en ligne. Elle a l’expertise dans ce domaine. C’est ce qu’elle fait. Il est tout simplement logique de transférer ces documents à Bibliothèque et Archives Canada s’ils ont une valeur historique.
Le sénateur Pratte : Que savez-vous au sujet de ces kilomètres de documents que garde le ministère? Qu’est-ce qui vous fait penser que la plupart de ces documents ont une valeur historique au lieu de servir à des fins administratives?
M. Di Gangi : Je crois que la pièce jointe 1 de notre mémoire présente 10 ou 15 demandes précises qui ont été faites à AANC au sujet de ses documents.
Pour vous donner une idée, si vous préparez une revendication pour une communauté au sujet d’enjeux possibles associés à la gestion des terres de réserve ou de cessions qui se sont produites sur des terres de réserve, il y a une catégorie qui vise l’arpentage et les réserves. Ces documents contiennent l’arpentage d’origine des terres de réserve, les notes de l’arpenteur et les discussions qui peuvent avoir eu lieu avec le chef, le conseil et les administrateurs de ces terres. Ils sont conservés par AANC. Certains de ces documents datent de la fin des années 1880.
Je pense aussi au traité Robinson-Huron de 1850 à titre d’exemple. Il y a les dossiers sur les plaintes et les pétitions, dans lesquels les chefs soulèvent des questions au sujet de la mise en œuvre du traité, de leur interprétation ou de leur compréhension du traité. AANC détient une série de documents, qui remontent à 1916. À mon avis, ils ont plus de 100 ans et présentent une valeur historique.
Je crois qu’AANC craint qu’on mise sur certains de ces documents en cas de litige. Or, je le répète, cela démontre un conflit d’intérêts. L’organisme de la Couronne est le défendeur, mais il détient les documents et en contrôle l’accès. C’est une situation déraisonnable. N’importe qui dans cette position serait en situation conflictuelle.
Bibliothèque et Archives Canada est une institution fédérale, mais au moins, elle est indépendante. Elle a une expertise dans le domaine et a pour mandat de rendre ces dossiers accessibles. Ce n’est pas comme si elle donnait accès à tout. Elle doit respecter certaines règles et mettre en œuvre la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais elle est en bien meilleure position pour offrir ce service. Contrairement à AANC, elle n’est pas en situation de conflit d’intérêts et ne doit pas composer avec des priorités concurrentes ou la saveur du jour.
Le président : Monsieur Di Gangi, il me vient en tête l’exemple de l’adoption du projet de loi S-3 par le Sénat. Sénatrice Pate, vous vous souviendrez que le gouvernement avait notamment dit qu’il ne savait pas combien de personnes seraient touchées par la reconnaissance ajoutée au projet de loi par le Sénat pour protéger les droits des femmes. Personne ne pouvait nous dire combien de gens seraient visés par le projet de loi et en profiteraient. Voici un exemple concret : une personne peut affirmer avoir un statut historique, mais le gouvernement peut refuser de le reconnaître. Vous comprenez, madame la sénatrice, que cette situation est bien réelle. Nous ne parlons pas d’écrire l’histoire; nous parlons du droit des gens d’être reconnus en vue de profiter des avantages auxquels ils ont droit en vertu de la loi. Je crois que ce cas peut très bien expliquer pourquoi AANC ne veut pas publier l’information ou hésite dans de nombreux cas à le faire, en raison du risque de poursuite connexe. On a discuté du projet de la loi autour de cette table; vous vous en souviendrez. C’est une démonstration claire à cet égard.
Monsieur McIvor, je suis certain que lorsque le Sénat débattait de ce projet de loi il n’y a pas très longtemps, vous avez pu évaluer son incidence en ce qui a trait à l’information conservée par AANC au sujet des femmes visées par le projet de loi.
M. McIvor : Je vous remercie de soulever la question, monsieur le sénateur. C’est un enjeu important, voire essentiel, pour les Autochtones. Mon ami, M. Di Gangi, vous a donné de très bons exemples. Lorsqu’on présente ces revendications, il faut avoir accès aux documents. Ces documents historiques constituent le fondement des revendications. C’est essentiel, mais aussi important pour les personnes. Certains de mes clients ont vu leur demande pour obtenir le statut en vertu de la Loi sur les Indiens refusée par les responsables du gouvernement, qui disaient qu’ils étaient responsables de prouver qu’ils étaient Indiens. Or, c’est un ministère qui détient ces documents. Cela revient au cœur de l’article 35. C’est important en vertu de la Loi sur les Indiens, mais bon nombre d’Autochtones qui chassent, qui pêchent ou qui trappent et qui se font arrêter par les agents de conservation disent exercer leur droit en vertu des traités. Les agents de conservation leur demandent alors de montrer leur carte de statut. S’ils ne l’ont pas, ils se retrouvent dans une position difficile, ne serait-ce que pour faire valoir leurs droits constitutionnels.
Le président : Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question porte sur le point que vous avez soulevé relativement à l’obligation de consultation. J’aimerais apporter une précision concernant la décision de la Cour suprême sur la Première Nation crie Mikisew rendue le 11 octobre 2018. Ce jugement vient tempérer l’obligation de consultation dans le cadre du processus législatif. Mon intervention visait surtout à apporter cette précision, mais vous l’aviez déjà fait lorsque vous avez répondu.
Cela m’amène à vous poser la question suivante : une modification à la Loi sur l’accès à l’information ne servirait-elle pas à combler une lacune d’obligation d’information dans un processus administratif ou judiciaire pour reconnaître ou pour revendiquer un droit? Techniquement, cela devrait aller de soi. Il s’agit d’une obligation fiduciaire et le gouvernement doit fournir davantage d’informations sur cette obligation fiduciaire. Y a-t-il un endroit autre que la Loi sur l’accès à l’information, où l’on pourrait faire mention de l’obligation de fournir l’information lorsqu’on revendique un droit?
[Traduction]
M. McIvor : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.
Encore une fois, c’est un exemple de situation où il serait très important pour toutes les parties visées d’avoir l’occasion d’étudier la question en profondeur. C’est une proposition importante, mais nous n’avons pas eu le temps de l’examiner. Souvent, au Canada, les Autochtones mènent un combat d’arrière-garde. Le gouvernement travaille longtemps à l’interne pour élaborer les lois, puis il les présente aux Autochtones qui doivent y réagir. Ce n’est pas une façon proactive de faire les choses. C’est un exemple parfait à cet égard. Comment pouvons-nous aborder cette question fondamentale? Nous avons besoin de ces documents, sinon l’article 35 ne veut rien dire. Il ne veut rien dire si nous ne pouvons pas exercer nos droits en vertu de l’article 35.
Au sujet de l’arrêt Mikisew, il est important de garder en tête qu’il s’agit d’une décision technique, en grande partie. Y a-t-il un déclencheur associé à l’obligation constitutionnelle de consulter et à tout ce qui suit? C’était la question pour le tribunal, qui a décidé que non, mais c’est très important. Il faut tout de même tenir des consultations. Il n’y a peut-être pas de norme associée à l’obligation de consulter, mais l’importance des consultations... Le tribunal a été clair à ce sujet. Il faut faire tout cela pour les obligations fiduciaires, pour l’honneur de la Couronne et pour la mise en place de bonnes politiques permettant d’éviter les contestations judiciaires.
J’espère que le gouvernement fédéral n’adoptera pas cette position aujourd’hui, mais il ne faudrait pas qu’il se fonde sur la décision dans l’affaire Mikisew et qu’il croie qu’il a le feu vert pour aller de l’avant. Ce n’est pas ce que veut dire la décision et il est important d’envoyer un message au gouvernement fédéral, pour lui faire comprendre qu’il ne s’agit pas de bonne gouvernance et que cela ne respecte pas les obligations de la Couronne envers les Autochtones.
Le président : Merci beaucoup. C’était fascinant de vous entendre et d’échanger avec vous ce matin. Je suis privilégié de pouvoir vous remercier au nom de mes collègues, les sénateurs.
Monsieur McIvor, je vous remercie beaucoup et je suis certain que mes collègues voudront vous entendre à nouveau sur d’autres enjeux lorsque le comité sera chargé d’examiner la loi. Nous nous rappellerons que vous êtes partenaire de notre propre réflexion sur tous les projets de loi qui ont trait aux questions autochtones, aux droits autochtones, aux droits en vertu des traités, aux droits relatifs aux ressources et ainsi de suite. Monsieur Di Gangi, nous vous remercions de tout cœur. Chef Poitras, nous vous remercions de vous être libérée et d’avoir été patiente avec nous ce matin. Monsieur Gilliland, nous connaissons très bien l’Association canadienne des libertés civiles et je sais que vous êtes souvent invité à cette table. Nous vous remercions d’avoir été avec nous ce matin.
(La séance est levée.)