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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 52 - Témoignages du 8 novembre 2018


OTTAWA, le jeudi 8 novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence, se réunit aujourd’hui, à 10 h 36, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, avant de commencer l’étude du projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence, je veux vous informer d’un message que la greffière du comité a reçu ce matin et que je vais vous lire. Comme vous le savez, nous étions censés siéger à huis clos pour entendre le prochain témoin. Nous avons toutefois reçu ce message ce matin :

J’écris pour vous aviser que le juge en chef adjoint et moi ne comparaîtrons pas ce matin devant le comité des affaires constitutionnelles et juridiques. Je vais vous faire parvenir une lettre expliquant ma décision que vous pourrez faire circuler parmi les membres du comité. Veuillez tous m’excuser du court préavis et de tout inconvénient causé aux sénateurs. Je remercie tout particulièrement la greffière de ses efforts [sic] organiser la comparution.

De toute évidence, c’est signé par le juge en chef Rossiter, de la Cour canadienne de l’impôt.

Puisqu’il en est ainsi, chers collègues, je vous propose de passer à l’autre témoin et de continuer de siéger en séance publique. Si je reçois le message que le juge en chef a dit qu’il nous ferait parvenir ce matin avant la fin de la séance de cet avant-midi, je vais le faire circuler sans tarder.

Si vous êtes d’accord, c’est ainsi que nous allons procéder.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai un commentaire à faire, et je ne sais pas si mes collègues seront du même avis que moi. La rumeur veut que le juge se soit désisté à cause de la couverture médiatique, qui a mal rendu l’information. Je ne sais pas si c’est le cas. Si oui, je me dis qu’il faudrait, à l’avenir, se prémunir contre ce genre d’événement. Je trouve cela malheureux que les médias puissent transmettre de l’information inexacte par rapport à nos intentions en tant que comité. Peut-on avoir un meilleur contrôle sur les informations sortantes, même lorsque nous tenons une séance à huis clos, plutôt que de laisser les médias gérer les informations et que des témoins très importants se désistent à cause de fuites potentiellement biaisées? Je suis très mal à l’aise avec ce qui s’est passé.

[Traduction]

Le président : Je ne vais pas commenter les raisons que nous a données le juge en chef Rossiter pour expliquer son absence ce matin. Je vais attendre d’avoir l’ensemble des explications, comme vous l’avez interprété, en fonction du message que la greffière ou moi recevrons du juge. Nous allons alors certainement pouvoir y revenir. Je propose que nous attendions de recevoir sa lettre avant d’ajouter quoi que ce soit. Je pense que c’est la bonne façon de procéder, mais je comprends ce que vous dites, sénateur Boisvenu.

Quelqu’un a-t-il des observations à faire avant que nous passions au prochain point à l’ordre du jour? Merci.

[Français]

Il m’est très agréable d’inviter la sénatrice Dupuis à prendre le siège de témoin ce matin alors que nous poursuivons notre étude du projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence.

Madame la sénatrice Dupuis témoigne ce matin à titre d’ancienne présidente de la Commission des revendications particulières des Indiens, qu’elle a présidée de 2003 à 2009, et qui traitait en particulier de l’accès des nations autochtones aux informations nécessaires à leurs revendications particulières.

Madame la sénatrice Dupuis, vous avez maintenant la parole à titre de témoin.

L’honorable Renée Dupuis : Chers collègues, je comparais aujourd’hui devant vous sur un point particulier du projet de loi C-58 qui a été soulevé devant notre comité, notamment par des représentants des Premières Nations, à savoir l’accès à l’information dans les dossiers de revendications territoriales dites particulières.

À titre d’ancienne présidente de la Commission des revendications particulières des Indiens, que j’ai présidée de 2003 à avril 2009, c’est-à-dire jusqu’à la création du Tribunal des revendications particulières Canada, je souhaite partager avec vous l’expérience de la commission en matière d’accès à l’information des Premières Nations par rapport aux dossiers de leurs revendications qui se trouvent entre les mains du gouvernement fédéral.

Il s’agit d’une commission d’enquête un peu inédite puisqu’elle avait non seulement des pouvoirs d’enquête, mais aussi un mandat de médiation pour répondre à la crise d’Oka-Kanesatake au Québec en 1990. La commission a mené cette enquête à la demande des Premières Nations dont la revendication avait été rejetée par le gouvernement fédéral. D’ailleurs, les événements d’Oka découlent du rejet d’une revendication particulière de la Première Nation de Kanesatake par le gouvernement fédéral en 1986.

Les revendications territoriales dites globales ou particulières sont deux catégories créées par le gouvernement fédéral en réponse au jugement de la Cour suprême dans l’affaire Calder en 1973, qui a reconnu pour la première fois que les Premières Nations peuvent avoir des droits toujours valides découlant de leur occupation et de l’utilisation de leurs terres traditionnelles, et ce, même en l’absence de reconnaissance légale spécifique. Le gouvernement fédéral avait estimé à l’époque qu’il était moins risqué de tenter de régler ces litiges par la négociation que devant les tribunaux.

La politique fédérale relative aux revendications particulières a fait l’objet de plusieurs révisions administratives, sans toutefois changer fondamentalement le régime administratif.

D’ailleurs, il est assez intéressant de voir les titres que le gouvernement avait choisis à l’occasion des révisions qui ont été faites de temps à autre. Il y a un rapport qui s’intitule « Dossier en souffrance »; un autre, plus récent, remonte à la dernière révision en 2007 et s’intitule « La justice, enfin ». On voit que les titres indiquent qu’il y a des obligations qui ne sont pas réglées. Le titre anglais de « Dossier en souffrance » était « Unfinished Business ». Le titre « La justice, enfin » laisse entendre qu’il y a quelque chose en suspens qui n’est pas réglé.

La Cour suprême a par la suite déterminé, dans l’affaire Guerin en 1984, que la relation de dépendance légale des bandes indiennes qui découle de l’autorité exclusive que le gouvernement fédéral exerce sur les affaires et les terres de ces bandes crée ce que la cour a appelé une relation de fiduciaire qui peut engendrer, pour le gouvernement fédéral, une obligation de fiduciaire dont il doit répondre devant les tribunaux en cas de litige. Dans l’affaire Guerin, la cour a déterminé que le gouvernement fédéral devait dédommager cette bande de la Colombie-Britannique pour avoir renouvelé un bail de location d’un terrain de golf situé sur des terres de la réserve à des conditions moins avantageuses que celles dont le gouvernement avait d’abord convenu avec la bande. La décision Guerin illustre ce que le gouvernement a catégorisé comme une « revendication particulière ».

En résumé, la politique fédérale sur les revendications territoriales particulières établit le droit d’être dédommagé dans les cas où une obligation légale subsiste quand un traité entre la Couronne et une Première Nation n’a pas été respecté — par exemple, si le nombre total d’acres prévu dans le traité n’a pas été attribué à la Première Nation, ce qui lui laisse un déficit de terres — ou quand le gouvernement n’a pas respecté la Loi sur les Indiens dans la gestion des terres de la Première Nation — par exemple, en permettant la construction d’une route provinciale qui traverse une réserve indienne sans que le gouvernement provincial responsable ait exigé d’obtenir les permis fédéraux nécessaires et sans avoir dédommagé la Première Nation en conséquence en raison de l’expropriation d’une partie de sa réserve.

Cette obligation de fiduciaire crée des obligations légales particulières de la part du gouvernement fédéral et, par conséquent, des droits pour les Premières Nations dans des circonstances précises, qui, dans la majorité des cas, remontent au siècle dernier et même au siècle précédent, soit au XIXe siècle, et dont la documentation est exclusivement entre les mains du gouvernement fédéral parce qu’il s’est attribué l’autorité exclusive de la gestion des terres des Premières Nations. On comprend que, dans la plupart des cas, la documentation est très volumineuse et qu’il est impossible d’identifier la nature ou le nombre de documents auxquels on veut avoir accès pour établir son droit. On a mis les Premières Nations dans la position de revendicateur sans leur assurer l’accès complet et direct aux documents nécessaires pour remplir l’exigence qu’on leur impose de prouver leur droit.

La gestion de ces dossiers documentaires relève plutôt de la conservation de la preuve et doit être traitée comme telle, à mon avis, et non comme la gestion usuelle des dossiers administratifs du ministère responsable. La conservation de ces dossiers devrait donc être assurée selon des règles particulières.

Je souligne que la commissaire à l’information, après sa comparution devant le comité le 17 octobre dernier, a adressé une lettre au président du comité le 1er novembre, lettre qui a été distribuée par la greffière aux membres du comité et dans laquelle elle mentionne qu’elle estime essentiel que le deuxième volet de la réforme de cette loi crée une obligation de documenter et de conserver les documents pour les instances gouvernementales.

Se fondant sur l’expérience de 19 ans d’audiences dans les communautés des Premières Nations qui ont demandé à la commission de faire enquête, le rapport final rendu public en 2009 comporte une recommandation précise à ce sujet, soit la troisième recommandation, et je cite :

Recommandation 3.0 : Que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien donne instructions à son personnel de recherche de constituer un dossier documentaire unique afin d’accroître l’efficacité du processus. Cette étape permettra aussi de s’assurer que les Premières Nations ont accès à toute la preuve documentaire dont dispose le gouvernement du Canada.

Pour sa part, le vérificateur général a mené un audit sur le règlement des revendications particulières dont le rapport a été rendu public à l’automne 2016. Je précise que j’ai agi à titre d’évaluatrice externe lors de cet audit, à la demande du vérificateur général. Dans ce rapport, le vérificateur général constate, et je cite :

[...] que les réformes apportées par le Ministère au processus des revendications particulières avaient introduit des obstacles qui avaient nui à l’accès des Premières Nations au processus et avaient entravé le règlement des revendications...

— y compris —

[...] un partage limité de l’information entre le Ministère et les Premières Nations.

Cette obligation de fiduciaire de la Couronne fédérale dans le contexte des revendications territoriales est distincte et elle ne doit pas être confondue avec les obligations qui découlent des droits constitutionnels qui ont été reconnus aux peuples autochtones dans la Loi constitutionnelle de 1982 lors du rapatriement de la Constitution. Par exemple, le jugement que la Cour suprême a rendu le 11 octobre dernier dans la cause Mikisew Cree First Nation c. Canada porte sur le droit des Premières Nations d’être consultées; par conséquent, le gouvernement et le Parlement se doivent de consulter les peuples autochtones dans le contexte de l’élaboration des lois fédérales, c’est-à-dire avant leur adoption. Dans ce cas-ci, la cause portait sur une loi sur l’environnement. On sait que la majorité des juges ont répondu par la négative à la position défendue par la Première Nation.

En terminant, chers collègues, je suis d’avis que le rapport de notre comité au Sénat, dans le cadre de notre étude du projet de loi C-58, devrait comporter une observation relativement à ce que les Premières Nations ne soient pas, ultimement, laissées sans autre processus que celui qui est prévu dans la Loi sur l’accès à l’information pour régler cette question complexe. Je vous remercie.

Le président : Merci, sénatrice Dupuis, de cette présentation.

Le sénateur Boisvenu : Chère collègue, d’abord, je tiens à vous féliciter pour le travail que vous avez fait durant toutes ces années. Je n’ai qu’une question, et elle se rapporte à votre témoignage du 11 juin 2003 devant le Comité des peuples autochtones du Sénat. Vous étiez accompagnée de Mme Lickers. Elle avait déclaré ceci, et je cite :

La Commission des revendications des Indiens, selon son mandat, doit conserver l’ensemble des dossiers historiques que nous réunissons dans le cadre de nos enquêtes. À la fin de l’enquête et lorsque la Commission cessera d’exister, nous devrons remettre nos dossiers au Bureau du Conseil privé. Jusqu’à ce moment-là, l’ensemble des renseignements d’ordre historique que nous avons réunis au cours de nos douze années d’existence sont archivés dans nos bureaux, ici à Ottawa.

Étant donné que le projet de loi C-58 n’obligera pas le Conseil privé à rendre ces informations disponibles, est-ce que cela complique l’accès aux informations qui peuvent découler des commissions ou des études menées par les communautés autochtones?

La sénatrice Dupuis : En fait, je pense que ça renforce l’idée que le système actuel ne permet pas d’avoir accès au dossier et ne garantit pas la conservation des dossiers. C’est la raison pour laquelle je dis que ces dossiers doivent être considérés comme des moyens de conservation de la preuve. La création de cette commission d’enquête était un des quatre ou cinq éléments de la réponse du gouvernement Mulroney à la crise d’Oka. Donc, c’est toute une documentation qui a été rassemblée. Toutefois, j’ai eu de la difficulté à convaincre le Conseil privé de la conserver. J’ai pris des dispositions pour que la documentation soit transférée à la Bibliothèque et aux Archives nationales avant la fin des activités de la commission. Que ce soit le dossier historique ou le dossier qui a pu être entendu par une commission d’enquête, comme la Commission des revendications particulières, ou que ce soit le dossier qui ira éventuellement devant le Tribunal des revendications particulières, on doit d’abord trouver des mécanismes d’accès afin que les Premières Nations puissent établir leur preuve. Ensuite, on doit trouver des façons de conserver ces documents. Le jugement intérimaire qui serait rendu aujourd’hui, par exemple, par le Tribunal des revendications particulières influencera peut-être le cours du dossier, notamment parce qu’il est favorable aux Premières Nations. Donc, un mécanisme de négociations serait lancé avec le gouvernement.

Le sénateur Boisvenu : Dans tous les cas où les commissions doivent régler des problématiques autochtones, est-ce qu’elles déposent leur rapport au Conseil privé?

La sénatrice Dupuis : Ça dépend du statut qui leur est donné. Normalement, ça relève du Conseil privé, mais, dans le cas de cette commission, le gouvernement a choisi, par arrêté en conseil, de transférer l’autorité administrative de la commission d’enquête au ministère des Affaires indiennes et du Nord, ce qui était une situation particulière. Comme présidente, j’estimais que le rapport final devait aller au Conseil privé, mais cela s’est fait par l’entremise du ministère des Affaires indiennes et du Nord. Il n’y a pas de mécanisme uniforme.

Le sénateur Boisvenu : Puisque le projet de loi C-58 ne s’applique pas au Conseil privé, ces informations sont plus difficiles à obtenir.

La sénatrice Dupuis : C’est la raison pour laquelle je dis que c’est un mécanisme... Tout ce qu’on appelle l’accès à l’information n’est pas en mesure de traiter ces questions de façon satisfaisante, que ce soit du point de vue du gouvernement ou des contribuables. Dès le départ, on a voulu insérer des indications claires dans une carte géographique canadienne sur l’état et le nombre de revendications que la commission avait traitées. Compte tenu des obligations légales que les tribunaux ont reconnues et qui existent pour le gouvernement, on doit créer un système particulier qui permettrait de voir la lumière au bout du tunnel en ce qui concerne ces revendications.

Le sénateur Boisvenu : Merci, madame.

Le sénateur Gold : Bonjour, chère collègue. J’ai deux questions à vous poser. Le problème que vous venez de soulever ne peut pas être réglé par l’entremise d’un amendement. Il faut mettre en place un régime particulier, et c’est pourquoi vous avez suggéré que cela fasse partie d’une intervention. Ai-je bien compris?

La sénatrice Dupuis : Vous avez bien compris. Je pense qu’une observation serait, en ce moment, le meilleur moyen pour notre comité de rendre compte de ce qu’il a entendu. Vous vous rappellerez que les représentants des Premières Nations qui sont venus témoigner devant notre comité avaient une position très précise en ce qui concerne le projet de loi C-58, qui n’était pas nécessairement la même position que d’autres représentants des Premières Nations. C’est pourquoi j’insiste sur le droit d’être consulté en vertu d’un droit constitutionnel. Il est distinct et différent de l’obligation légale de la Couronne de régler des revendications particulières. Dans ce sens-là, oui, je pense que la question est trop complexe pour être réglée par le biais d’un amendement, le projet de loi C-58 qui est devant nous.

Le sénateur Gold : Est-ce la raison pour laquelle vous avez fait la distinction entre les droits légaux de la Couronne comme fiduciaire et le droit constitutionnel de consulter? Est-ce pour cette raison que vous avez fait cette distinction? Pouvez-vous donner des précisions?

La sénatrice Dupuis : Dans l’information que reçoit notre comité, lorsque les témoins viennent devant nous, on essaie de s’assurer aussi... Le comité du Sénat a également une vocation pédagogique. On doit s’assurer que les gens qui nous écoutent ou qui nous liront comprennent nos préoccupations et ce que nous recevons comme information. Dans ce sens-là, j’ai voulu faire comprendre qu’on peut souhaiter, dans le cadre d’un droit constitutionnel, faire valoir notre droit d’être consulté, qui est un droit en évolution et pour lequel la Cour suprême a donné une réponse X, qui est la décision dans l’affaire Mikisew Cree, selon laquelle on n’est pas obligé, légalement ou constitutionnellement, de consulter avant d’élaborer une loi.

Cela dit, cela ne veut pas dire que la question de l’obligation légale du gouvernement n’existe plus. Au contraire, elle existe depuis au moins 1973. On se rend compte que des projets de loi sont mis de l’avant, mais ne traitent pas nécessairement de manière adéquate des obligations légales du gouvernement. C’est comme si les Premières Nations, parce qu’elles sont intéressées à leurs revendications, feront une demande à l’accès à l’information... Si j’étais dans un processus d’immigration, j’aimerais savoir que le ministère de l’Immigration s’occupe de mon dossier. Ce sont deux choses complètement différentes. J’essaie de faire ressortir la nature des deux obligations par rapport aux témoignages que nous avons entendus.

Le président : On pourra certainement revenir sur cette question plus tard.

[Traduction]

La sénatrice McCoy : C’est très utile, sénatrice Dupuis, et je vous en remercie.

L’une des demandes de l’Association du Barreau autochtone — le témoin était Bruce McIvor, et j’ai cru comprendre que vous avez écouté toutes ces audiences, ce qui signifie que vous êtes au courant de la comparution... L’une de ses recommandations était de transférer 16 kilomètres de documents détenus par le ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada à Bibliothèque et Archives Canada. Seriez-vous d’accord?

La sénatrice Dupuis : Je n’ai pas eu l’occasion d’examiner pleinement la question au-delà de ce que le représentant de l’Association du Barreau autochtone a dit devant nous.

Je suis certainement d’avis qu’il est nécessaire d’avoir une sorte d’organisme indépendant qui pourrait devenir le dépositaire de toute cette documentation, ce qui permettrait aux Premières Nations d’éviter la situation actuelle où le gouvernement fédéral détient tous les dossiers et détermine les critères d’admissibilité des revendications particulières. Le gouvernement fédéral, en fonction de ses propres critères, finance des travaux de recherche. Rien ne garantit qu’une Première Nation a accès à l’ensemble d’un dossier.

Ce processus a un caractère unique. Une partie du dossier appartient à Affaires indiennes — peu importe le vrai nom, car il change souvent — et au ministère de la Justice, car il se prononce sur l’admissibilité de la demande. Je suis donc d’avis que la conservation et l’accès au dossier doivent se faire ailleurs.

La sénatrice McCoy : Et nous savons que nous ne pouvons pas le faire en amendant le projet de loi C-58. Nous sommes d’accord.

L’autre demande qui m’a paru raisonnable consistait à décrire la relation spéciale entre les peuples autochtones et le gouvernement du Canada dans le préambule, et aussi à définir les peuples autochtones au-delà de ce qu’ils appellent, je crois, les traités modernes. C’est une définition étroite. Quelle serait votre réponse à ces deux demandes?

La sénatrice Dupuis : Je pense que dans ce cas-ci, on nous demande un amendement qui, en un sens, limiterait la reconnaissance dans cette mesure législative. Nous savons que le gouvernement est en train de négocier une nouvelle relation avec les Premières Nations — et d’autres peuples autochtones, mais nous parlons plus particulièrement des Premières Nations ce matin. Voulons-nous proposer un amendement à une mesure législative qui est débattue dans une autre tribune, une tribune bilatérale, qui a également ses aspects politiques délicats? C’est une question pour le comité.

La sénatrice McCoy : Merci.

J’invoque le Règlement.

Le président : Je vous écoute.

La sénatrice McCoy : Je me retrouve dans une situation rare où je dois remettre en question une règle indéfectible, mais j’ai l’habitude des rôles inversés.

Je pourrais peut-être commencer par demander s’il y a une traduction anglaise de ces observations.

Le président : Comme vous le savez, au début de la séance, je n’ai pas fait circuler le document parce qu’il n’était pas dans les deux langues officielles. Bien entendu, la témoin est libre de l’utiliser tant qu’elle le veut, mais il ne figurera pas dans l’annexe de notre procès-verbal à défaut d’avoir été traduit.

La sénatrice McCoy : Nous avons parlé de la valeur éducative de nos délibérations. Je me demande si je peux vous encourager à faire traduire les observations en anglais et à les faire circuler pour qu’elles figurent dans la documentation.

Le président : Tout à fait. Votre demande est bien accueillie par la présidence. À vrai dire, lorsqu’un témoin présente un document dans une seule des deux langues officielles, le comité peut prendre l’initiative de le faire traduire, ou il arrive parfois que le témoin fournisse lui-même la traduction.

Je ne veux aucunement donner l’impression que la sénatrice Dupuis n’a pas prêté attention au respect de ce principe, car je lui ai moi-même demandé si elle aurait la gentillesse d’avoir une version écrite de son exposé pour en faciliter la compréhension. Parce que lorsque c’est par écrit, c’est très bien structuré.

Cependant, compte tenu du peu de temps à sa disposition avant de témoigner, elle n’a pas pu fournir le document dans les deux langues officielles. Nous allons nous assurer de le faire circuler comme vous l’avez proposé, madame la sénatrice.

La sénatrice McCoy : Merci beaucoup.

Le président : Je suis certain que la sénatrice Dupuis s’en préoccupe, et j’assume la responsabilité de rendre les observations disponibles dans les deux langues officielles et de les faire circuler comme il se doit. Merci de votre suggestion, madame la sénatrice.

Y a-t-il d’autres questions pour la sénatrice?

La sénatrice Batters : Je vous remercie d’avoir abordé la question, sénatrice McCoy, car j’allais en faire autant. C’est un domaine complexe. Je connais la position de mes collègues francophones lorsqu’ils doivent écouter un témoin en anglais seulement à propos d’un sujet complexe. Il est alors difficile de déchiffrer les faits importants et de préparer de bonnes questions. Je me demandais aussi s’il y avait une version anglaise. Mon français s’améliore, mais je n’ai pas encore atteint ce niveau, ou il me faudrait beaucoup de temps pour tout lire. Il serait donc formidable d’avoir une traduction.

Le président : Merci beaucoup. Je vous suis reconnaissant de vos observations, mesdames les sénatrices, quand vous dites que vous comprenez la position des sénateurs francophones lorsqu’ils n’ont qu’un document anglais. L’initiative prise ce matin n’avait certainement pas pour but de vous en faire prendre conscience; certainement pas. Je peux vous dire que le document a déjà été envoyé à la traduction. Il n’est pas long, et nous devrions donc le recevoir plus tard aujourd’hui ou demain.

La sénatrice Dupuis : Si je peux me permettre, en ce qui me concerne, l’idée était vraiment de respecter la pratique du comité. Quelle est la façon officielle de procéder qui m’a amenée à attendre des directives concernant la traduction du document?

[Français]

Le sénateur Pratte : Sénatrice Dupuis, j’aimerais savoir comment vous envisagez l’observation que nous pourrions ajouter. Est-ce que c’est une observation qui se contenterait de dire que le processus actuel d’accès à l’information ne correspond pas du tout aux besoins, ou est-ce que vous souhaiteriez que le comité s’avance un peu sur les principes qui devraient guider le gouvernement dans la mise en place de ce nouveau régime pour ce qui est des revendications particulières?

La sénatrice Dupuis : J’avais envisagé que notre comité pourrait faire une observation générale. Comme vous l’avez mentionné, le système actuel d’accès à l’information ne peut pas répondre de façon satisfaisante au contexte des revendications particulières. Il me semble que c’est suffisant comme observation pour envoyer un message non seulement à la population, mais aussi au gouvernement et dire qu’il y a quelque chose qui doit être fait. C’est une question de délibérations entre les membres du comité, mais on peut, à mon avis, indiquer que le système actuel ne fonctionne pas. Il y a des mécanismes de négociations entre le gouvernement et les Premières Nations qui sont en place qui pourraient très bien servir de forum pour étudier ce qui devrait être amélioré dans le système.

Je n’ai pas envisagé que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui est par ailleurs très occupé à analyser des projets de loi, lance une étude nationale avec un voyage à travers le pays pour consulter tout le monde. Ce n’est pas nécessairement notre fonction. J’ai plutôt envisagé quelque chose de général qui contribuerait à démontrer que nous sommes conscients du problème et que nous souhaitons répondre à certaines indications que la Cour suprême nous a données dans la décision Mikisew Cree.

En tant qu’institution législative, nous avons une réflexion à faire. Jusqu’à quel point veut-on aller dans la consultation de notre propre chef, si je puis dire? C’est peut-être pour amorcer une réflexion, mais je crois que, dans un premier temps, c’est pour faire observation générale.

Le sénateur Pratte : Je pensais au principe que vous avez mentionné dans votre document et qui m’apparaît important et instructif, selon lequel ces dossiers devraient davantage s’assimiler à des règles qui relèvent de la conservation de la preuve plutôt qu’à des informations auxquelles le citoyen tente d’avoir accès. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

La sénatrice Dupuis : Vous avez certainement eu affaire à un ministère qui a des règles de conservation de ses dossiers administratifs. On sait qu’il y a de l’élagage, on sait que des dossiers disparaissent et on sait que, finalement, même dans le cadre de cette opération administrative d’élagage et de conservation des dossiers, des gens estiment que les ministères ont parfois la main leste et se départissent de documents qui auraient dû être conservés.

Dans ce cas-ci, les dossiers historiques et documentaires sont entre les mains du gouvernement qui est, en fait, l’une des parties à un éventuel litige. Cela fait donc en sorte que, si ces dossiers disparaissent, il n’existe plus rien.

Je vais donner un exemple précis dans le cas d’une revendication qui avait été rejetée par le gouvernement. Le seul élément de preuve qui nous est resté à la commission, c’est un ancien directeur général du ministère des Affaires indiennes, au Québec, dans les années 1970, qui pouvait venir témoigner du fait que le gouvernement conservait tous les dossiers, mais tous les dossiers étaient rédigés en anglais, parce que le surintendant des Affaires indiennes responsable de cette Première Nation était un anglophone, alors que la Première Nation avait une langue amérindienne comme langue maternelle et le français comme langue seconde.

Donc, la preuve de la non-connaissance de l’existence du fait qu’il y avait eu expropriation sans dédommagement et que les permis n’avaient pas été obtenus reposait uniquement sur le fait qu’on a pu retrouver cette personne. Je connaissais la façon dont le ministère était structuré à l’époque, quoique je n’y aie jamais travaillé. Nous avons pu trouver cette personne, qui a accepté de venir témoigner.

Cela a fait en sorte que le gouvernement fédéral a révisé sa position et a finalement accepté de reconnaître qu’il avait toujours une obligation de dédommager la Première Nation, parce qu’il avait exercé une gestion des terres de cette Première Nation qui était contraire à la Loi sur les Indiens.

Le sénateur Pratte : Merci beaucoup.

Le président : J’aurai le plaisir de revenir sur cette question plus tard ce matin, si vous me le permettez.

Le sénateur Dalphond : Dois-je comprendre que les documents dont on parle n’ont pas été nécessairement rédigés récemment dans le cadre de discussions visant le règlement de revendications, et que certains d’entre eux peuvent remonter au siècle précédent, et même à 150 ans?

La sénatrice Dupuis : C’est exact. C’est pourquoi j’ai attiré l’attention sur ce fait. La commission, en raison des règles de procédure qu’elle avait adoptées, tenait ses audiences dans les communautés.

En Saskatchewan, dans certaines communautés, il y avait les petits-enfants des signataires d’un traité de 1880. Ma préoccupation, c’était que les petits-enfants qui étaient alors en quatrième année dans cette école soient en mesure d’entendre l’histoire qui serait racontée par leur grand-père ou par leur oncle, ce qui constitue un moyen de preuve reconnu.

Oui, il est exact de dire que certains documents existent et qu’ils remontent à l’époque des traités historiques entre la Couronne et les Premières Nations.

Le sénateur Dalphond : Si je comprends bien, ces documents n’ont pas été transférés aux Archives nationales et sont toujours entre les mains d’un ministère qui aurait été accidentellement impliqué dans le dossier?

La sénatrice Dupuis : À ma connaissance, ils sont toujours entre les mains du ministère.

Le sénateur Dalphond : Les Premières Nations qui souhaitent avoir accès à des documents historiques concernant leur histoire constitutionnelle doivent faire une demande d’accès à l’information, tout comme un chercheur qui voudrait avoir accès aux transcriptions de la Conférence de Québec ou à celle de Charlottetown, afin de savoir ce dont les Pères de la Confédération avaient discuté.

Je ne comprends pas pourquoi il n’y a aucune politique de conservation de ces documents d’une grande valeur historique. Pourquoi ne sont-ils pas transmis à un centre spécialisé ou, à tout le moins, à une division des Archives nationales qui a pour mandat de préserver le patrimoine? C’est une partie de notre histoire qui semble éparpillée et soumise à la Commission de l’accès à l’information. Je trouve cela plutôt étonnant.

La sénatrice Dupuis : Rien n’empêche la Première Nation de demander au ministère de lui transmettre les informations dont il dispose au sujet d’une revendication particulière. Il y a un transfert d’information qui se fait, mais il n’y a pas de garantie que le ministère est en possession de la totalité du dossier.

Comme nous l’ont dit les directeurs nationaux de recherche qui s’occupent de ces revendications, il leur reste la possibilité de faire une demande officielle en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. C’est souvent ce qu’on leur demandera de faire s’il y a un doute que le ministère n’a pas fourni la totalité de l’information.

C’est pourquoi je dis que, de toute façon, ce système ne fonctionne pas bien. Que ce soit dans le cadre du système d’accès à l’information ou dans le cadre d’une demande préliminaire, on peut avoir une idée de ce que l’on va demander, mais on ne sait pas ce que contient réellement le dossier. C’est très difficile de le prévoir, et la réponse qui peut en résulter, c’est que le dossier est trop volumineux.

Pour un gouvernement, il ne s’agit pas d’une manière satisfaisante de remplir ses obligations légales. De plus, cela laisse la Première Nation totalement à la merci du gouvernement. C’est plutôt dans l’esprit de ce qui s’est développé dans les tribunaux de droit civil.

Autrement dit, rien n’empêche qui que ce soit de constituer un dossier et de s’entendre sur une expertise. C’est ce que nous avons essayé de faire à l’époque, dans le cadre du mandat de médiation. Dans la mesure où les deux parties étaient d’accord pour faire de la médiation dans le règlement d’une revendication, on consacrait beaucoup d’énergie à les amener à accepter le principe d’un dossier d’expertise unique.

Donc, chacun y travaille. Cela exige un peu plus de négociations, mais au fond, le gouvernement se trouve à financer la recherche pour la Première Nation, à financer sa propre recherche ou à autoriser parfois de la contre-recherche pour les Premières Nations. C’est un système qui, à mon avis, n’est pas satisfaisant du tout.

Le président : Avant que nous passions à un second tour de questions, puis-je vous poser un certain nombre de questions au sujet des informations partagées autour de la table? Je crois que, si on faisait des observations, le premier élément à établir serait de faire la distinction entre la responsabilité de fiduciaire du gouvernement fédéral en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 — le fameux article 91.24 — et les droits des peuples autochtones en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Je m’explique. Le gouvernement canadien a une responsabilité de fiduciaire à l’égard des Autochtones. En somme, il doit se comporter en bon père de famille qui a la responsabilité des personnes qui dépendent de lui. Il doit viser à protéger leurs droits, car c’est sa responsabilité de fiduciaire. En assumant cette responsabilité de protéger les droits des personnes dont il a la fiducie, il doit s’assurer que tous les titres de propriété ou toutes les preuves établissent les droits des personnes dont il est fiduciaire.

Il doit exercer sa responsabilité légale de protéger les droits des personnes dont il est fiduciaire. Il doit s’assurer de ne pas laisser aller des preuves qui permettraient aux personnes dont il a la charge d’établir leurs droits dans un contexte de revendication éventuelle.

Il y a également la négociation qui a lieu entre les nations dont le gouvernement fédéral est fiduciaire et les revendications auxquelles le gouvernement fédéral est confronté pour manquement à l’égard de traités, de revendications particulières ou de revendications générales qui visent à établir un droit de propriété sur un territoire. En l’absence d’un traité, il y a quand même des revendications, comme l’affaire Calder l’a démontré en 1973.

Je crois que c’est la voie qu’a empruntée le comité qui doit d’abord faire part de ses observations. Ainsi, il faudrait bien établir la distinction entre le droit d’un citoyen de s’adresser au ministère des Affaires indiennes et du Nord pour faire des recherches généalogiques ou historiques et pour avoir accès à certains dossiers et le droit de la nation autochtone dont le gouvernement fédéral est fiduciaire d’avoir accès à ces documents, parce qu’en pratique cela lui appartient. La nation autochtone a un droit à l’égard de ces documents puisqu’en pratique le gouvernement a la charge de les conserver, mais elle n’en a pas la propriété comme telle.

Je crois qu’il y a une distinction très claire à faire entre le droit d’un citoyen de recourir à la Loi sur l’accès à l’information, comme le projet de loi C-58 le propose, et le droit constitutionnel des nations autochtones. Le premier élément des observations que le comité pourrait considérer serait d’établir très clairement cette distinction juridique fondamentale entre les deux. Vous en avez glissé un mot dans votre présentation, mais je crois qu’il faudrait l’expliquer de façon très claire. Nous avons pour objectif d’informer le public lorsqu’on ajoute des observations à un rapport du Sénat. Il me semble que ce serait le premier point que l’on devrait ajouter à nos recommandations sur le projet de loi C-58. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

La sénatrice Dupuis : J’ai voulu faire cette distinction parce que je crois qu’elle est fondamentale. On doit permettre aussi aux gens de comprendre. Il y a beaucoup d’incompréhension face à la situation des Premières Nations sur le plan juridique. En général, on a l’impression que ce qui leur est concédé l’est toujours à cause du bon vouloir des gouvernements. Pourtant, on vit dans un système qui a reconnu qu’ils avaient des droits particuliers et que le gouvernement avait des obligations particulières de protection. C’est ça, une obligation de fiduciaire. Ça ne veut pas dire que cette obligation se retrouve dans tous les aspects de la relation, mais ça peut créer une obligation fiduciaire légale dans certaines circonstances. Il est important qu’on la distingue de ce qu’est le recours d’un citoyen ou d’une citoyenne en vertu d’une loi adoptée par un Parlement à une époque donnée.

Le président : Ma deuxième question concerne la position — comme le sénateur Pratte l’a laissé entendre dans sa question sur le conflit — dans laquelle se trouve le gouvernement, qui est à la fois juge et partie. Le gouvernement a la responsabilité de protéger les droits des personnes dont il est fiduciaire et de protéger et de faire valoir leurs intérêts dans l’ensemble du pays. Dans la proposition d’amendement qui a été faite par M. McIvor la semaine dernière à l’article 9, et je le cite :

[Traduction]

Recommandation : En consultation avec les peuples autochtones, établir en vertu de la Loi sur l’accès à l’information un poste d’agent d’examen autochtone indépendant qui a le pouvoir d’examiner les décisions de refus des demandes d’accès des gouvernements autochtones et d’entendre leurs plaintes en la matière; faire des recommandations pour améliorer le régime d’accès à l’information en ce qui a trait aux peuples autochtones; et présenter au tribunal une demande de révision du refus d’accès essuyé par un peuple autochtone.

[Français]

Cette recommandation avait pour but de dénouer cette situation qui fait que le gouvernement est à la fois juge et partie chaque fois qu’il y a une demande d’accès à l’information de la part d’une nation autochtone qui tente de prouver son titre à un territoire ou à une revendication particulière.

En d’autres mots, il y aurait un arbitre entre les intérêts du gouvernement national au nom du Canada et les intérêts de la nation autochtone. La manière d’arbitrer cette position intenable du gouvernement qui est à la fois juge et partie serait d’avoir un « independent Indigenous review officer. » Ainsi, on pourrait s’assurer que les intérêts des nations autochtones sont protégés. Est-ce que cela pourrait être une façon d’aborder la situation difficile dans laquelle le gouvernement du Canada se trouve d’adjuger les intérêts d’une partie par rapport à ses propres intérêts comme gouvernement?

La sénatrice Dupuis : Cette proposition d’amendement, à mon avis, tient pour acquis que le processus en vue d’assurer l’accès d’une Première Nation à son dossier de revendication particulière qui est prévu dans la Loi sur l’accès à l’information est le bon processus. Je n’en suis pas convaincue. C’est la raison pour laquelle je dis qu’il s’agit d’une question plus complexe. Est-ce qu’on doit laisser le gouvernement choisir comment il va négocier avec les Premières Nations et les autorités qui les représentent l’accès de ces Premières Nations à leur dossier de revendication plutôt que de dire qu’on considère que c’est un mécanisme qui est suffisamment satisfaisant, qu’on considère que ces revendications progressent bien dans ce genre de processus? Ce n’est pas mon avis.

Le président : Très bien. Ma dernière question se rapporte à l’alinéa 6.1(1)b) du projet de loi, selon lequel l’institution gouvernementale peut refuser l’accès à l’information. Je lirai en français l’alinéa b) de l’article 6 :

la demande implique un si grand nombre de documents ou une recherche de documents si vaste qu’y donner suite entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution […]

Vous avez sûrement une certaine forme d’interprétation à donner à ce paragraphe de la loi, étant donné qu’il y a 16 kilomètres d’archives au ministère des Relations Couronne-Autochtones. Si une nation voulait consulter tous les dossiers que le gouvernement détiendrait sur ses titres ou sur son identité, on pourrait tout simplement lui répondre non, car c’est trop complexe. En fait, ce serait nier directement le droit d’une nation de faire valoir son titre, ce qui est contraire à la relation de fiduciaire dont le gouvernement est responsable.

La sénatrice Dupuis : J’ai posé la question au ministre Brison lorsqu’il est venu devant notre comité, à savoir s’il pouvait tenir compte des amendements uniquement à l’article 6. Il s’agirait de ne plus exiger un certain nombre de détails, ce qui est en relation directe avec l’article 6.1 dans le cas des revendications particulières. C’est toujours trop volumineux.

Je vous donne un exemple. J’avais présidé une enquête — si ma mémoire est bonne, c’était aussi en Saskatchewan — qui était, en fait, la troisième commission d’enquête fédérale qui examinait la question précise de cette transaction sur les terres de réserve. Vous pouvez donc imaginer le dossier qui existe quelque part concernant cette réserve, à propos d’une transaction qui tirait son origine de la fin du XIXe siècle.

C’est donc ce qui m’amène à dire qu’un amendement à un projet de loi, tel qu’il est formulé dans l’esprit de la loi actuelle, ne pourrait pas être une solution satisfaisante pour traiter de la question des revendications territoriales.

Le président : Finalement, j’ai une dernière question : est-ce que votre connaissance de cette problématique vous ramène à l’esprit des décisions de la Cour fédérale qui serait intervenue pour ordonner au ministère des Affaires indiennes la divulgation de certaines informations qu’une nation aurait pu demander, et que le ministère aurait refusé de lui donner pour toutes sortes de raisons, dont celle que je mentionnais, soit que la demande est trop volumineuse, que le dossier est trop complexe et que cela prendrait trop de temps?

La sénatrice Dupuis : Je ne suis pas en mesure de vous répondre; la jurisprudence est trop loin dans mon esprit. À ma connaissance, il n’y avait pas beaucoup de décisions préliminaires de cette nature avant la création du Tribunal des revendications particulières.

Le président : Merci.

[Traduction]

La sénatrice McCoy : Les besoins en matière d’information des peuples autochtones ne se limitent pas aux revendications territoriales et aux revendications particulières, par la nature des choses. En effet, je me rappelle de deux ou trois exemples donnés par des témoins qui ont attiré l’attention là-dessus. Il y avait notamment celui d’une personne qui cherche à faire respecter ses droits de pêche après avoir été accostée par un agent de la paix, qui commence par lui demander son certificat de statut d’Indien, ce genre de chose. Cela ne se limite pas aux revendications territoriales.

On a également donné l’exemple de renseignements qu’on s’apprête à communiquer à une tierce partie et qui comprennent des données confidentielles qui avaient été remises au ministère de la Justice et à une nation autochtone à titre confidentiel.

Je pense que notre analyse du projet de loi C-58, quand on adopte le point de vue des Autochtones, doit être assez vaste pour comprendre la gamme complète de leurs expériences et de leurs besoins. Nous parlons de Canadiens ordinaires. Ils ne perdent pas tous les droits des Canadiens ordinaires tout simplement parce qu’ils sont autochtones. Notre respect doit aller au-delà, si je puis dire.

Je ne perds pas de vue une loi moderne sur l’accès à l’information. D’autres témoins ont demandé des amendements pour que les représentants du gouvernement soient tenus de consigner leurs démarches. Il faut également distinguer ce que vous avez dit sur la conservation de la preuve, n’est-ce pas?

La sénatrice Dupuis : Assurément.

La sénatrice McCoy : Je me demande si notre comité de direction ou notre présidence pourrait être incité à renvoyer ce problème de conservation de la preuve au comité de direction ou à la présidence de notre comité des affaires autochtones en tant que sujet qu’il pourrait examiner en profondeur. Je l’ai personnellement proposé à M. McIvor, mais je me demande si cela serait pour nous la bonne chose à faire pour éviter que cette question passe entre les mailles du filet. S’il est vrai — et je crois que oui — que nous avons les mains liées dans notre étude du projet de loi C-58 pour faire transférer ces documents dans un endroit neutre, nous avons peut-être des collègues disposés à se pencher sur la question en assumant davantage un rôle de défenseurs.

Le président : Madame la sénatrice, je vais demander à la sénatrice Dupuis de répondre, et je vais ensuite faire des observations.

La sénatrice Dupuis : Je veux juste prendre quelques instants pour dire que j’ai donné l’exemple de revendications particulières. En matière d’accès à l’information, un problème évident est l’accès aux dossiers détenus par le gouvernement. L’accès n’est pas limité et comprend, comme vous l’avez mentionné, les demandes de particuliers en vue d’établir leur statut d’Indien puisque c’est le gouvernement qui tient le registre. On doit consulter un dossier détenu par le gouvernement, et je pense donc qu’on pourrait éventuellement indiquer toutes les situations dans lesquelles un membre des Premières Nations ou une Première Nation n’a pas accès à ses propres dossiers parce que c’est le gouvernement qui les a.

La sénatrice McCoy : J’ai donc une autre question. Qu’en est-il des immigrants? Nous savons que le ministère de la Citoyenneté reçoit un des plus importants volumes de demandes. Il croule sous les demandes, au point d’avoir une des plus grandes proportions de réponses tardives. Une grande partie de ces demandes — c’est ce que me disent les personnes ayant de l’expérience dans ce genre de choses — sont des demandes de renseignements présentées lorsque quelqu’un entre au Canada ou pour obtenir le genre de documents nécessaires afin d’établir ou de vérifier le statut de citoyen ou d’immigrant reçu ou bien l’admissibilité. Cela semble être une situation parallèle, même si je concède qu’il n’y a pas de relation constitutionnelle fiduciaire avec les immigrants, les réfugiés, les demandeurs et ainsi de suite. Quand on gouverne, il faut néanmoins faire preuve d’impartialité.

Je ne sais pas, mais vous voudrez peut-être y réfléchir.

La sénatrice Dupuis : Je pense que c’est une question dont nous pourrions discuter à votre comité à un moment donné. Je peux voir, au premier coup d’œil, une différence dans le fait que, pour obtenir le statut d’Indien, il faut satisfaire aux exigences prévues par la loi. Ce n’est donc pas comme si vous êtes un immigrant avec vos papiers d’identité et que vous pouvez montrer que vous avez fait telle et telle démarche. À première vue, il faut faire une étude approfondie de la question.

La sénatrice McCoy : Oui. Merci.

Le président : Avant de lever la séance, puis-je vous donner un autre élément de réflexion, madame la sénatrice?

Je sais, bien entendu, que la question de la définition d’une nouvelle relation entre la Couronne et les peuples autochtones n’est pas le sujet du projet de loi ni de l’étude du comité à ce moment-ci. Toutefois, comme vous le savez, un document circule entre les représentants de la Couronne et des Premières Nations en ce qui a trait à la définition de cette nouvelle relation.

Compte tenu de vos connaissances et de votre expérience concernant la question des revendications particulières et des revendications territoriales, je me demande si vous pourriez examiner ce document pour voir si un élément pourrait être utile à prendre en considération pour le comité puisque nous pourrions avoir à faire face à la nécessité d’ajouter une observation dans ce projet de loi au sujet de cette question globale. Nous pourrions ainsi tenir compte de ce qui est négocié actuellement, même si je sais que c’est une négociation et que cela pourrait prendre une tournure différente de ce qu’il y a dans ce document. Il serait avantageux pour tous les sénateurs présents d’être au courant du problème et de savoir qu’il y a des éléments dans ce document que nous devrions souligner, que cela fait partie de cette négociation trop vaste.

Personnellement, je serais reconnaissant envers vous si vous pouviez le faire. Il serait sûrement utile pour tous les membres du comité d’être au courant.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Oui, certainement, je peux le faire.

Le président : Merci beaucoup, sénatrice Dupuis.

[Traduction]

Y a-t-il d’autres questions avant que nous levions la séance? Merci.

(La séance est levée.)

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