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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 17 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, se réunit aujourd’hui à 16 h 15 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous mes collègues, à nos témoins et aux membres du grand public qui suivent les délibérations d’aujourd’hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, et il s’agit de notre dernière journée d’audiences sur le projet de loi. Nous procéderons à l’étude article par article demain.

Pendant la première heure, nous entendrons Jordan B. Peterson, professeur au Département de psychologie de l’Université de Toronto, ainsi que D. Jared Brown, avocat principal à la D. Jared Brown Professional Corporation.

Je vous remercie d’être ici aujourd’hui, messieurs. Vous avez jusqu’à cinq minutes pour nous présenter votre exposé. Je crois que c’est vous qui commencerez, monsieur Peterson. La parole est à vous.

Jordan B. Peterson, professeur, Département de psychologie, Université de Toronto, à titre personnel : Je mentionnerai pour commencer qu’il n’est pas évident de déterminer le niveau d’analyse à accorder à une question de ce type. Lorsqu’on lit un document sur la question, on peut s’attarder aux mots, à la phraséologie, aux phrases ou au texte intégral du document, ou l’on peut examiner le contexte général dans lequel il est susceptible d’être interprété.

Quand j’ai vu le projet de loi C-16 et ses politiques connexes pour la première fois, j’ai eu l’impression qu’il fallait, dans ce cas-ci, analyser le contexte d’interprétation du projet de loi, et c’est ce que j’ai entrepris de faire quand j’ai commencé à parcourir les pages web de la Commission ontarienne des droits de la personne et à examiner ses politiques. Je l’ai fait parce qu’à ce moment-là, le ministère de la Justice avait clairement indiqué sur son site web, dans un lien qu’il a retiré par la suite, que le projet de loi C-16 sera interprété dans le contexte des politiques déjà établies de la Commission ontarienne des droits de la personne. Quand j’ai analysé son site web, j’ai constaté qu’il y avait des enjeux plus vastes en présence et j’ai essayé d’en mettre quelques-uns en relief.

Vous savez peut-être, ou non, que j’ai produit des vidéos critiquant le projet de loi C-16 et diverses politiques l’entourant. Je pense que l’un des éléments les plus scandaleux de ces politiques, c’est qu’elles imposent un discours forcé. La Commission ontarienne des droits de la personne dicte explicitement que le harcèlement peut inclure le refus d’utiliser le nom et le pronom personnel appropriés qu’utilise une personne pour s’identifier, soit les pronoms auxquels je m’opposais. C’est explicite dans ses politiques. Je pense que c’est scandaleux, premièrement, parce qu’il n’y a jamais eu auparavant de texte de loi obligeant les Canadiens à utiliser des titres de civilité ayant une connotation idéologique particulière et que c’est là une limite à ne pas franchir à mon avis.

La définition de l’identité qu’on trouve dans les politiques connexes est floue, malavisée et erronée. Elle est erronée en ce sens que la définition de l’identité n’est pas et ne sera jamais purement subjective parce que l’identité est une chose qu’on vit et qu’on affiche selon tout un ensemble d’outils que la plupart des gens découvrent entre l’âge de 2 et de 4 ans. J’admets que je suis très technique, ici. C’est une réalité humaine fondamentale. Elle est largement admise par les autorités compétentes en matière de psychologie développementale, notamment. L’idée selon laquelle l’identité serait une chose qu’on définit de façon purement subjective me semble totalement farfelue.

Je crois également qu’il est extrêmement dangereux pour nous de favoriser l’instanciation d’un point de vue socioconstructiviste en droit canadien. Selon le point de vue socioconstructiviste, l’identité humaine ne serait qu’une conséquence de la socialisation, alors que les preuves scientifiques attestant du contraire abondent. Cette instanciation en droit serait attribuable, au moins en partie, au fait que les personnes qui privilégient cette perspective savent parfaitement qu’elles ont totalement perdu la bataille sur le plan scientifique.

Il est implicite, dans les politiques de la Commission ontarienne des droits de la personne, que l’identité sexuelle, le sexe biologique, l’identité de genre, l’expression de genre et l’attirance sexuelle varient tous de manière indépendante, alors que ce n’est tout simplement pas le cas. Ce n’est pas ce que la science nous enseigne. Ce n’est pas ce que les faits nous enseignent, et ce n’est assurément pas ce qu’on devrait enseigner aux jeunes dans les écoles secondaires et primaires, comme on le fait de plus en plus. C’est ce qu’on enseigne. Je vous ai apporté cette petite bande dessinée que je trouve particulièrement répréhensible, qui cible de toute évidence les enfants d’environ sept ans, qui sous-entend implicitement, de par son expression graphique, que ces aspects de l’identité sont classiques, dans un premier temps, et indépendants, dans un second temps. C’est faux et encore faux.

Je trouve extrêmement particulier qu’on fasse mention de l’expression de genre dans le projet de loi, parce que l’expression de genre ne renvoie pas à un groupe et que selon la Commission ontarienne des droits de la personne, ce concept inclut des choses aussi banales que les comportements et l’apparence d’une personne, dont ses choix vestimentaires, sa coiffure, le port de maquillage, son langage corporel et sa voix. D’après ce que je comprends, ce concept pourrait ouvrir la porte à des accusations de crime haineux sous le régime du projet de loi C-16, si quelqu’un osait critiquer la façon dont une personne s’habille, ce qui me semble pourtant relever totalement d’un libre choix.

Je pense que l’attitude de la Commission ontarienne des droits de la personne à l’égard de la responsabilité du fait d’autrui se veut punitive, en ce sens qu’elle rend les employeurs responsables du harcèlement ou de la discrimination commis par leurs employés, y compris leur refus d’utiliser les pronoms préférés.

Le président : Je vous prierais de bien vouloir conclure.

M. Peterson : Ils sont donc tenus responsables du fait d’autrui, qu’ils soient au courant ou non de la situation ou que le harcèlement soit volontaire ou non. Je vais m’arrêter là.

Le président : Merci. Maître Brown.

D. Jared Brown, avocat principal, D. Jared Brown Professional Corporation : Je suis un avocat plaidant de Toronto. Je me spécialise en droit commercial et en conflits de travail. Je ne suis pas un chercheur universitaire. Je vis la réalité juridique et le droit, dans ses applications concrètes, avec mes clients.

Il y a environ deux ans, j’ai commencé à voir des plaintes pour discrimination dans toutes les poursuites relatives à l’emploi. Il y a désormais des personnes qui m’appellent toutes les semaines concernant des questions relevant du Tribunal des droits de la personne. C’est devenu la réalité des employeurs partout au Canada.

En août dernier, j’ai découvert M. Jordan Peterson. Il expliquait pourquoi il considérait le projet de loi problématique et mal rédigé. C’est là où j’ai observé une chose extrêmement bizarre: des avocats, des professeurs d’université en droit, des personnes chevronnées, disaient qu’il se trompait en matière juridique, qu’il n’y avait rien d’inhabituel dans ce projet de loi. Ils disaient aussi: « Personne n’ira en prison pour avoir contrevenu à une ordonnance du Tribunal des droits de la personne. » Ils n’étaient donc pas en train de défendre la loi, mais de réduire l’importance de ses effets.

Comme avocat plaidant, chaque fois que j’entends un avocat, et particulièrement un universitaire me dire de détourner le regard parce qu’il n’y a rien à voir, je me méfie. J’ai donc fait mes recherches, dont vous trouverez un résumé dans le mémoire que je vous ai fourni avant la séance d’aujourd’hui. Il décrit le chemin menant à l’emprisonnement. De par ma pratique, je savais que quiconque contrevient à une ordonnance d’un tribunal est passible d’emprisonnement. C’est une simple affaire civile d’outrage au tribunal. Il y a des gens qui se retrouvent en prison pour cela.

Mais que penser de la liberté d’expression? C’est une question fondamentale. Nous savons tous que l’alinéa 2b) de la Charte prescrit que chacun a la liberté fondamentale de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. Nous savons tous que le gouvernement a réussi à restreindre la liberté d’expression avec le temps, mais qu’arriverait-il si le gouvernement, au lieu de restreindre ce que chacun peut dire, prescrivait ce que chacun doit dire? Autrement dit, plutôt que d’inscrire dans la loi on ne peut diffamer une personne, par exemple, le gouvernement dirait: « Quand quiconque aborde tel sujet, comme le genre, il doit utiliser tel groupe de mots et s’appuyer sur les théories approuvées par le gouvernement. »

La jurisprudence américaine énonce clairement qu’il s’agit d’un discours forcé inconstitutionnel. Au Canada, la Cour suprême a énoncé le principe selon lequel tout ce qui force une personne à exprimer des opinions qui ne sont pas les siennes constitue une pénalité totalitaire et donc contraire à la tradition des nations libres comme le Canada.

Comment le projet de loi C-16 nous amène-t-il au discours forcé? Le ministre de la Justice résume le projet de loi C-16 en ces mots: « Le texte modifie la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d’ajouter l’identité de genre et l’expression de genre à la liste des motifs de distinction illicites ». Autrefois, le ministère de la Justice indiquait sur son site web qu’il fallait consulter les politiques de la Commission ontarienne des droits de la personne pour obtenir les définitions de ces termes.

Les politiques ontariennes sur l’identité de genre et l’expression de genre sont énoncées dans mon mémoire. Elles indiquent que le harcèlement fondé sur le sexe peut concerner le refus d’appeler une personne par son nom de choix et le pronom personnel approprié. Le refus d’appeler une personne transgenre par son nom de choix et un pronom personnel qui correspond à son identité de genre sera probablement qualifié de discrimination. Toutefois, la loi n’a pas encore établi si une personne peut insister pour qu’on utilise un pronom neutre particulier à son endroit.

Si le harceleur ne savait pas ou n’avait pas l’intention de harceler cette personne, il s’agit tout de même de harcèlement. Pourquoi est-ce important? En Ontario, la Commission ontarienne des droits de la personne est un instrument d’élaboration de politiques de la législature. Elle crée les politiques qui interprètent le code. Mais le point le plus important, c’est que le tribunal doit respecter ces politiques. Il est tenu de s’y soumettre. La commission crée donc la loi sur les pronoms. En Ontario, les politiques liées aux pronoms ont été intégrées au cadre législatif après l’adoption de la loi par la législature.

À l’échelon fédéral, on suivra le même processus, comme l’a indiqué le ministère de la Justice. Une ligne directrice similaire sera élaborée. Comme dans le cas des politiques de l’Ontario, le tribunal fédéral doit respecter les lignes directrices fédérales. Les lignes directrices imposeront l’utilisation de certains pronoms. Cela se produira après l’adoption du projet de loi au Sénat. L’imposition de l’utilisation de certains pronoms exige qu’une personne utilise des mots qui ne sont pas les siens et qui sous-entendent qu’elle croit ou accepte une certaine théorie sur le genre. Une personne qui tente de désavouer cette théorie peut être tenue de comparaître devant la Commission des droits de la personne pour avoir attribué un genre erroné à une personne ou elle pourrait potentiellement être déclarée coupable d’un crime haineux. En résumé, le gouvernement nous imposera un vocabulaire précis pour parler du genre.

Lorsqu’il s’est prononcé sur la constitutionnalité du projet de loi proposé, le ministère de la Justice a indiqué sur son site web qu’une variation de ce projet de loi existait déjà dans la plupart des provinces. Je ne crois pas que ce soit un argument solide pour la constitutionnalité. J’aimerais vous renvoyer aux commentaires de l’actuelle juge en chef de la Cour suprême, la juge McLachlin, dans la décision Taylor. Ils se trouvent dans mon mémoire.

On ne saurait faire abstraction de l’effet paralysant qu’aurait le maintien de dispositions d’une portée excessive. Bien que l’effet paralysant de lois en matière de droits de la personne soit probablement moindre que celui d’une interdiction criminelle, l’imprécision a pour conséquence qu’elle pourrait décourager plus de conduites que ne le justifient ses objectifs. En tant qu’avocat sur le terrain, les lois mal rédigées et leurs répercussions sur mes clients me préoccupent. En tant que Canadien, je suis inquiet à l’idée que le Parlement autorise tacitement un discours forcé.

Le mémoire que j’ai fourni au comité contient une opinion juridique détaillée sur le projet de loi C-16 que j’ai publiée en décembre dernier. On y trouve un tableau qui démontre comment le régime fédéral de protection des droits de la personne reflète le système de l’Ontario en ce qui concerne l’application des politiques et des lignes directrices.

Le président : Veuillez conclure, monsieur.

M. Brown : Enfin, il comprend la jurisprudence qui soutient cette opinion.

Le président : J’aimerais remercier les deux témoins. Nous passons maintenant aux questions. Nous entendrons d’abord le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : J’aimerais remercier les témoins de leur exposé.

Comme les témoins le savent, neuf provinces canadiennes ont cette disposition dans leur loi, y compris l’Ontario. De plus, le mot « expression », si je me souviens bien, est utilisé dans quatre ou cinq provinces. Il s’ensuit que vous argumentez contre une notion déjà présente dans nos lois.

En ce qui concerne votre référence aux dispositions du Code criminel sur le caractère criminel, le sénateur Joyal a correctement indiqué, lors de notre dernière réunion, que les articles 318 et 319 commencent par aborder la notion de génocide, sous le sous-titre génocide. Il y a ensuite l’incitation susceptible d’entraîner une violation de la paix. Vous savez ce qu’est une violation de la paix, maître Brown — c’est la fomentation volontaire de la haine.

Ensuite, comme vous le savez, cette disposition du Code criminel donne une liste de défenses, par exemple le fait de croire honnêtement à ce que l’on dit. Il y a de nombreuses défenses dans le Code criminel. Elles fonctionnent bien au Canada.

Que pensez-vous des dispositions actuelles du Code criminel et de votre réflexion selon laquelle ces dispositions — le sous-titre sur le génocide, le sous-titre sur l’incitation publique et sur la fomentation volontaire de la haine — ne devraient pas se retrouver sous ces sous-titres?

M. Brown : Je crois que je dois apporter des éclaircissements. Mon exposé concerne la modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le sénateur Baker : Et non le Code criminel?

M. Brown : C’est de cette façon qu’une personne comme M. Peterson peut se retrouver du mauvais côté de la prison. L’examen du document et de l’opinion permet de constater que je dis qu’en violant simplement la modification proposée à la Loi canadienne sur les droits de la personne, et surtout dans le cas d’une personne qui le fait délibérément, par exemple en disant qu’elle n’utilisera pas ces mots, cette personne, si elle se retrouve devant le tribunal…

Le sénateur Baker : Le tribunal ontarien.

M. Brown : Ou le tribunal fédéral. J’ai déjà indiqué que le ministère de la Justice a soutenu qu’il adoptera la même ligne directrice sur les pronoms. Ce que je laisse entendre, c’est que si une personne affirme qu’elle n’utilisera pas ces mots et qu’elle se retrouve ensuite devant un tribunal fédéral, et que ce tribunal ordonne le paiement d’une amende et, subsidiairement, une mesure de redressement non pécuniaire, par exemple une ordonnance de cessation et d’abstention ou une ordonnance qui l’oblige à faire une certaine chose, et que cette personne qui se trouve devant le tribunal soutient qu’elle ne fera pas cela, elle se rendra coupable d’outrage au tribunal et l’emprisonnement sera probablement le résultat de ce processus jusqu’à ce qu’elle ait purgé l’outrage. Disons seulement que je ne fais pas la promotion d’un génocide. Mon exposé se limite à ce qui constitue, à mon avis, un problème lié à la politique sur les pronoms et le discours forcé.

Le sénateur Baker : Cela vise donc aussi la mesure législative provinciale avec laquelle vous êtes fortement en désaccord, même si elle est en vigueur depuis des décennies dans certaines provinces.

M. Brown : Il s’agit des politiques qui sont entrées en vigueur après leur adoption par la législature et qui seront mises en œuvre après l’adoption du projet de loi par le comité.

M. Peterson : J’aimerais ajouter qu’après la réalisation de la vidéo dans laquelle j’affirme que je n’utiliserai pas les pronoms iel ou ille, par exemple, car je considère qu’ils font partie d’une idéologie linguistique d’avant-garde, les avocats de l’université, après avoir étudié attentivement mes paroles, m’ont envoyé deux lettres m’enjoignant de cesser et de m’abstenir de prononcer ces paroles en public, car ils croyaient que je violais non seulement les normes de conduite de l’université, mais également les dispositions correspondantes de la Commission ontarienne des droits de la personne. Ainsi, autant que je puisse en juger, cela a confirmé la déclaration que j’avais faite dans la vidéo, c’est-à-dire que l’acte de réaliser cette vidéo était probablement déjà illégal. Et ils n’ont pas mâché leurs mots.

Le sénateur Baker : Dans le cadre de la loi provinciale.

M. Peterson : Oui.

Le sénateur Plett : Merci, messieurs, d’être ici aujourd’hui.

J’ai deux questions. La première s’adresse à M. Peterson, et l’autre s’adresse aux deux témoins. J’espère que le président me permettra de les poser.

Pendant les délibérations sur ce projet de loi, nous entendons constamment le mot « respect ». Le respect est effectivement essentiel dans les débats visant des lois aussi délicates que celles-ci, mais on doit rappeler à de nombreuses personnes que le respect fonctionne dans les deux sens — y compris à des gens qui font partie de ce comité. Le sénateur Baker a déjà lié des commentaires à la notion de génocide. Je ne crois pas que quiconque fasse la promotion d’un génocide.

Toutefois, monsieur Peterson, pouvez-vous formuler des commentaires sur la notion du respect, c’est-à-dire lorsque certains de vos critiques vous demandent pourquoi vous ne pouvez tout simplement pas respecter vos étudiants en utilisant des pronoms neutres? Comment répondez-vous à cela?

M. Peterson : Premièrement, il faudrait me convaincre que cette pratique ferait plus de bien que de mal, et je ne le crois pas. Je crois que je suis dans une position raisonnable pour justifier mes affirmations. Je crois que les dangers intrinsèques de la loi dépassent grandement les avantages potentiels qu’elle pourrait produire, d’autant plus qu’il n’existe aucune preuve tangible de ces avantages.

J’aimerais également faire valoir que les gens qui soutiennent ce projet de loi prétendent qu’ils agissent au nom de la communauté transgenre, par exemple, mais ils n’ont pas été élus ou nommés pour agir à titre de représentants et le font de leur propre chef. J’ai reçu de nombreuses lettres — au moins 30 à ce jour — de personnes transgenres qui indiquent qu’elles ne sont pas d’accord avec les affirmations de ces soi-disant représentants ou avec l’intention du projet de loi, car le projet de loi accroît leur visibilité, et ils auraient préféré qu’il la diminue.

En ce qui concerne le respect, en général, on ne rencontre pas des gens dans un climat de respect mutuel. On rencontre généralement les gens dans un climat neutre, et c’est la façon appropriée d’amorcer une interaction avec une autre personne, car le respect se mérite tout au long d’interactions réciproques qui dépendent de choses comme la réputation, qui découle également d’interactions multiples.

Je crois que la notion selon laquelle s’adresser à une personne en utilisant son identité autodéfinie est nécessairement une démonstration de respect fondamental à son égard est un argument complètement fallacieux, d’autant plus qu’il n’y a aucune preuve que l’adoption forcée d’un tel langage entraînera un avantage quelconque. Nous sommes censés présumer que puisque l’intention est positive, le résultat sera positif, mais tout expert en sciences sociales sait parfaitement que c’est rarement le cas.

Le sénateur Plett : Maître Brown, vous avez parlé d’ordonnances non pécuniaires qui pourraient contenir des sanctions, par exemple des ordonnances visant à suivre une formation sur la sensibilisation et l’abandon des préjugés. J’aimerais que l’un des témoins ou les deux nous expliquent comment une personne pourrait s’opposer fortement à l’idée de suivre une telle formation. Maître Brown, pourriez-vous faire savoir aux membres du comité dans quelle mesure une sanction pourrait être sévère si une personne refuse de se conformer à une telle ordonnance, surtout à l’échelon fédéral? Pourquoi des gens refuseraient-ils de suivre une telle formation?

M. Brown : Je laisserai M. Peterson expliquer pourquoi lui-même ou une personne comme lui pourrait refuser de suivre ce type de formation. Ensuite, je parlerai manifestement, encore une fois, de la sévérité de cette décision si elle se retrouve devant les tribunaux.

M. Peterson : Je suis tout à fait contre l’idée de suivre une telle formation. En fait, je refuserais catégoriquement sous toute condition de la suivre, et ce, pour de multiples raisons. La première raison, c’est que le débat scientifique sur la soi-disant accusation de préjugé implicite lié à la perception n’a pas encore abouti, et l’un des trois inventeurs de la mesure la plus communément utilisée, c’est-à-dire le test d’associations implicites, s’est dissocié des deux autres chercheurs sur le fondement que l’utilisation du test a depuis longtemps dépassé sa fiabilité et sa validité sur le plan scientifique. En effet, sa validité et sa fiabilité ne sont pas suffisantes pour justifier son utilisation actuelle. D’ailleurs, les chercheurs qui défendent ardemment le TAI et qui ont mis au point ce test l’ont admis publiquement, même s’ils n’ont pas insisté comme ils le devraient.

Tout d’abord, il n’existe pas de consensus scientifique à cet égard et on utilise ces renseignements de façon absolument inappropriée, et je peux l’affirmer à titre de clinicien et de psychométricien. Je connais les critères qui permettent d’utiliser un test essentiellement à des fins de diagnostic, et le TAI ne répond absolument pas à ces critères.

Ensuite, il s’agit de savoir où se trouvent les preuves selon lesquelles la formation contre les préjugés inconscients fonctionne. Il n’y a aucune preuve à cet égard, et les seules indications qu’on peut obtenir laissent croire qu’elle a en fait l’effet contraire, car les gens n’aiment pas comparaître devant un comité de rééducation qui modifie arbitrairement leurs perceptions fondamentales — pas seulement leurs pensées, mais leurs perceptions. C’est incroyable…

Le président : Les membres du comité participent beaucoup aux discussions. Veuillez donc rester concis dans les questions et les réponses.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie d’être ici. J’aimerais citer un court extrait d’un document de la Commission ontarienne des droits de la personne. Le voici:

… Certaines personnes peuvent ne pas savoir comment déterminer quel pronom utiliser. D’autres peuvent se sentir mal à l’aise à l’idée d’employer des pronoms non sexospécifiques. En cas de doute, il convient généralement de demander à une personne comment elle souhaite être abordée. Il est possible d’utiliser « they » en anglais si l’on ne connaît pas le pronom qu’elle préfère. Le fait d’aborder une personne simplement par le nom de son choix est toujours une approche respectueuse.

Vous pouvez donc utiliser un pronom ou utiliser le nom de son choix.

Si une personne décidait de changer son nom de Paul à Peter, vous l’appelleriez certainement Peter, car c’est simplement une question de politesse et de respect. Si la même personne choisissait de changer son nom de Paul à Paula, pourquoi ne l’appelleriez-vous pas Paula, simplement par respect? Quelle est la différence?

M. Brown : Je vais parler de la question juridique, car vous appliquez maintenant toute la rigueur de la loi à l’exigence d’utiliser — et je parle manifestement de la question du pronom. Je ne crois pas que le fait de ne pas appeler une personne par son nom enregistré légalement représente un problème. Ce qui m’inquiète au sujet de ce projet de loi, c’est que si on n’utilise pas le pronom par lequel une personne s’identifie, comme je vous l’ai lu, toute la rigueur de la loi appuie cette personne.

Le sénateur Pratte : Toutefois, la Commission ontarienne des droits de la personne offre aux gens la possibilité de ne pas utiliser les pronoms, mais d’utiliser le nom choisi par la personne, ce qui représente toujours une approche respectueuse. Les pronoms ne sont donc pas nécessaires ou obligatoires. Vous avez toujours l’option d’utiliser le nom choisi par la personne pour manifester votre respect. Ainsi, je fais valoir…

M. Brown : Je ne connais aucune mesure législative qui vous oblige à utiliser mon nom. Autrement dit, encore une fois, c’est le fait que toute la rigueur de la loi appuiera cette pratique lorsqu’il s’agit du groupe identifié dans le projet de loi. Par exemple, si je ne vous appelais pas par le nom que vous avez choisi, je ne suis pas sûr que vous ayez toute la rigueur de la loi pour vous appuyer. C’est la différence que je tente de faire valoir.

Le sénateur Pratte : Monsieur, je fais valoir que vous fondez toujours ce que vous dites sur les propos de la Commission ontarienne des droits de la personne. Et j’ai cité un extrait d’un document de la Commission ontarienne des droits de la personne. La commission affirme que les pronoms ne seront pas obligatoires. Vous pouvez toujours utiliser le nom que la personne a choisi pour manifester votre respect.

M. Brown : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d’accord.

M. Peterson : Je dirais qu’il s’agit en fait d’une indication de la piètre qualité de la rédaction de ces documents de politique, car je peux citer un autre extrait également tiré du site web de la Commission ontarienne des droits de la personne qui dit ce qui suit: « Le harcèlement fondé sur le sexe peut inclure… le refus d’utiliser le nom et le pronom personnel approprié qu’utilise une personne pour s’auto-identifier ».

Donc, si les politiques étaient rédigées de façon cohérente et qu’elles ne contenaient aucune contradiction interne, votre déclaration représenterait alors une objection raisonnable. Toutefois, étant donné qu’elles ne sont pas rédigées de cette façon — et je crois fermement que cela indique la mesure dans laquelle ces politiques sont mal rédigées —, elles sont pleines de contradictions internes qui auront des conséquences très pénibles dans la vie personnelle des gens.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous deux d’être ici.

Tout d’abord, monsieur Peterson, je veux revenir à la question des pronoms personnels. Auriez-vous l’obligeance d’en dire un peu plus à notre comité à ce sujet — c’est une chose que je ne connaissais pas du tout avant le dépôt du projet de loi —, notamment en ce qui concerne les pronoms neutres et vos efforts pour éviter que nous soyons forcés de les employer?

M. Peterson : Je ne pense pas que les personnes à l’origine de cette mesure législative s’attendaient à ce qu’il y ait une explosion totale d’identités, tout d’abord, et aussi de pronoms personnels, comme ce fut le cas. Je crois que Facebook reconnaît maintenant quelque chose comme 71 catégories d’identité de genre, dont chacune est en principe associée à son propre ensemble de pronoms. C’est donc devenu une parodie sur le plan linguistique. C’est devenu ingérable. Les mots ne peuvent pas être intégrés à la langue par décret. Je ne peux pas penser à une seule fois où cela a fonctionné. Nous ne sommes pas certains de la façon dont les mots entrent dans le langage courant, mais ce n’est certainement pas ainsi. Par conséquent, la mesure législative se transforme en une sorte d’absurdité, pour autant que je sache.

L’une des personnes avec qui j’en ai parlé a affirmé que pour savoir quels pronoms personnels employer lorsqu’on s’adresse à quelqu’un, il faut se servir de son cellulaire comme complément à la communication. Ces mots ne sortiraient jamais de la bouche d’une personne qui connaît la nature humaine commune et, disons, la façon dont les gens communiquent entre eux.

La sénatrice Batters : Pour que tout le monde sache à quoi s’en tenir, car je ne pense pas que ces pronoms soient entrés dans le langage courant, vous parlez des pronoms anglais « ze » et « zir ». De quels autres pronoms neutres parlons-nous ici?

M. Peterson : J’ai une mauvaise mémoire pour ce genre de chose. Si vous êtes intéressée, vous pouvez en trouver rapidement des listes sur le Web. Ils ont été créés par des gens dont le principal désir est d’exercer un contrôle linguistique. C’est la manière la plus simple de décrire ce qu’il en est; l’objectif est d’exercer un contrôle linguistique. Ces pronoms ne sont pas employés couramment. Faire de leur non-utilisation une chose pouvant entraîner une sanction pénale semble donc poser un réel problème. Je ne comprends tout simplement pas. Je ne vois pas comment le gouvernement peut justifier l’imposition d’une sanction criminelle à ceux qui omettent d’employer des termes que personne ne connaît ou n’utilise. Cela me semble tout simplement ridicule, mais c’est ce qui est proposé.

La sénatrice Batters : Auriez-vous l’obligeance de nous en dire davantage sur ce que vous avez fait pour lutter contre cette mesure? Beaucoup de personnes connaissent votre histoire, mais pas tout le monde. Je veux juste vous permettre d’en parler un peu plus.

M. Peterson : J’ai fait trois vidéos. Nous allons parler de la vidéo que j’ai filmée dans le but de critiquer le projet de loi C-16 pour les raisons que j’ai déjà décrites, car j’ai lu les politiques connexes. Elles m’ont dressé les cheveux sur la tête. J’ai donc fait une vidéo pour expliquer essentiellement cela et pour présenter mes raisons de manière détaillée.

Je suis depuis longtemps la bataille d’idéologies qui fait rage sur le campus. Je suppose que j’ai une certaine expertise dans le domaine. Une guerre idéologique déchire les campus. Je dirais qu’elle oppose essentiellement le modernisme à une variante idéologique qui est enracinée dans ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le postmodernisme et qui comporte un fondement néomarxiste. C’est ce qui explique toute l’agitation sur les campus. Je vois cela comme un prolongement dans le reste du monde de l’agitation observée sur les campus. Je pense vraiment que c’est le bon niveau d’analyse. Je le pense sincèrement.

J’ai dit croire que c’est une question avant-gardiste dans une sorte de guerre idéologique, et je ne vais pas participer en prenant le parti de ceux dont la position idéologique me semble impardonnable et répréhensible, surtout l’aspect marxiste. J’ai annoncé que je n’allais pas employer ces mots parce que je ne crois pas qu’ils ont été créés pour protéger les droits de qui que ce soit. Je crois que les idéologues qui encouragent ce mouvement se servent de membres peu méfiants et parfois complices de la communauté transgenre pour faire progresser leur avant-gardisme idéologique. Je le crois fermement, et je n’y contribue donc pas.

Le fait qu’il pourrait être illégal que je n’y contribue pas est à mon avis absolument épouvantable. La possibilité même que nous puissions nous retrouver dans ce genre de situation me donne froid au dos en tant que Canadien. Vous savez, si les identités réclamées qui sont instanciées dans la politique connexe à cette mesure sont appliquées, ce sera infernal pour les psychiatres, et ce sera très difficile pour les biologistes et les psychiatres par la suite. Je pense que c’est ce que nous verrons très bientôt.

Le sénateur Gold : Merci d’être ici. Je n’ai jamais exercé le droit; j’étais professeur de droit constitutionnel. Je prône la liberté d’expression, et je reconnais donc l’importance des questions qui sont soulevées. Avec tout le respect, je pense qu’on y a répondu. Mon ancienne collègue, Brenda Cossman, a répondu de façon convaincante aux questions de liberté d’expression dans son témoignage devant notre comité. Je veux faire valoir trois points.

Monsieur Peterson, ces points cachent des questions. Je crois vous avoir entendu dire que les torts l’emportent sur les bienfaits dans cette mesure législative, mais la communauté transgenre souffre régulièrement de discrimination. Peu importe les autres préoccupations qu’on peut faire valoir à propos des tribunaux des droits de la personne et ainsi de suite, ce projet de loi fait un grand pas en avant pour réduire les préjudices subis par une communauté particulièrement vulnérable.

Par ailleurs, voyons si nous pouvons mettre l’accent sur l’aspect sur lequel nous nous entendons peut-être, à savoir que rien dans la loi ne criminalise ou ne transforme en infraction la critique, comme vous le faites, de la notion voulant que l’identité soit un concept social, de la façon dont les mots entrent dans la langue. L’hébreu moderne est toutefois un exemple de langue à laquelle des mots sont ajoutés par décret, et c’est ce que fait l’Académie française. Shakespeare a contribué énormément à la langue anglaise. Rien dans le projet de loi ne vous empêche d’adopter une position de principe contre tous les aspects de la question, y compris vos critiques de l’activisme qui s’y rattache.

Ce qui est en jeu, c’est le pronom. À moins que j’aie mal lu, comme l’a souligné le sénateur Pratte, selon la politique de la Commission ontarienne des droits de la personne, refuser d’employer le nom ou le pronom personnel auquel une personne s’identifie ne constitue pas du harcèlement fondé sur le sexe. Je me trompe peut-être, mais je crois qu’on dit que cela pourrait être le cas. Je pense qu’il y a une réelle différence. Si je vous dis de vous adresser à moi en utilisant un pronom neutre parce que c’est ainsi que je me perçois, car il est blessant que vous m’appeliez « monsieur », « madame » ou peu importe, mais que vous refusez, et que je vous dis que vous pouvez m’appeler « Marc » si cela vous rend mal à l’aise, mais que vous refusez de nouveau et que vous continuez de vous adresser à moi de la façon qui m’est offensante, n’est-ce pas une situation à laquelle la loi peut remédier adéquatement? Vous m’offenseriez en toute connaissance de cause.

À cet égard, nos tribunaux peuvent en définitive trouver le juste milieu entre les gens qui cafouille pour une raison ou une autre et ne peuvent juste pas prononcer les mots et persistent donc à causer du tort intentionnellement. Adhérez-vous à mon interprétation de la liberté d’expression dans ce contexte?

M. Brown : Permettez-moi d’exprimer un point de vue juridique. Après la diffusion des vidéos de M. Peterson, qui ont retenu l’attention du public, la Commission ontarienne des droits de la personne a jugé bon de publier un nouveau document stratégique intitulé Questions et réponses sur l’identité sexuelle et les pronoms. Dans ce document, la commission dit que le « refus de désigner une personne trans par le nom de son choix ou par un pronom personnel qui correspond à son identité sexuelle, voire le fait de mégenrer une personne de façon délibérée, est susceptible de constituer une forme de discrimination ». Je crois que c’est plus clair que ce que vous avez laissé entendre dans votre observation.

Comme je l’ai dit, cette politique a été publiée à la suite des commentaires de M. Peterson sur la question. Je pense que cela indique clairement que c’est une réponse, si vous voulez, au problème soulevé par M. Peterson. Je vais évidemment laisser M. Peterson répondre à l’autre aspect de votre question.

M. Peterson : Je dirais que l’idée même que la désignation d’une personne au moyen d’un terme qu’elle n’a pas choisi peut lui causer un tort irréparable au point où des recours judiciaires sont justifiés, y compris en invoquant une violation potentielle des codes relatifs aux propos haineux, plutôt que de considérer cela comme une forme d’impolitesse, donne une idée de la mesure dans laquelle la culture de la victimisation a pris racine dans notre société.

La sénatrice Frum : Sur le même sujet, maître Brown, quand la ministre de la Justice a témoigné devant notre comité, elle a dit:

Le projet de loi C-16 n’oblige aucunement qui que ce soit à s’adresser à une autre personne en utilisant le pronom « il » ou « elle » ou autrement.

Pouvez-vous formuler des observations sur sa position?

M. Brown : Je suis d’accord avec elle; il n’y a rien à cet effet dans le projet de loi. Cependant, le problème, c’est que sur le site web du ministère de la Justice du Canada, dans la section de questions et de réponses, qui a été retirée en décembre — c’est à l’onglet 5 de mon mémoire —, il était indiqué très clairement que la définition des termes « identité de genre » et « identité d’expression » avaient déjà été données par la Commission ontarienne des droits de la personne. La commission a fourni une discussion et des exemples utiles qui peuvent donner de bons conseils pratiques. La Commission canadienne des droits de la personne fournira une orientation semblable relativement au sens de ces termes dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

C’est, selon moi, l’objectif législatif. Je conviens comme vous qu’à première vue, le projet de loi ne semble pas faire allusion à une sorte de discours forcé, mais lorsque nous établissons un lien aussi délibéré avec cette attente, c’est là qu’on a maille à partir selon moi.

La sénatrice Frum : Vous avez dit que l’idée d’une mesure législative trop générale donne froid dans le dos. Je me demande si vous pensez que le terme « identité de genre » est aussi général que le terme « expression de genre », ou êtes-vous d’avis que l’un l’est plus que l’autre?

M. Brown : Je pense que les définitions sont trop générales, et la seule chose que je peux dire en tant qu’avocat et plaideur, c’est que les tribunaux n’aiment pas les termes trop généraux. Je vous renvoie à la décision rendue dans l’affaire Lund c. Boisson par la Cour d’appel de l’Alberta. Dans cette affaire, la Cour d’appel a dit que:

L’interprétation législative a pour but d’établir une distinction entre l’objectif législatif et le libellé de la loi, si possible, et de donner suite à cet objectif. Ce but devient difficile à atteindre lorsqu’il y a un conflit, une imprécision ou un manque de clarté dans la loi. Ce qui est particulièrement préoccupant dans le domaine des droits de la personne, c’est qu’un manque de clarté se traduit par une hésitation dans l’exercice des libertés fondamentales, comme la liberté d’expression et de religion.

Donc, même si je crois personnellement que les termes ne sont pas bien ou clairement définis, qu’ils sont quelque peu ambigus, il n’empêche que les tribunaux n’aiment pas plus ce genre de mesure législative.

M. Peterson : Je vais ajouter deux choses au sujet de l’hésitation qui en découle. C’est déjà ainsi — et je l’ai vu auprès de mes propres étudiants lorsqu’ils enseignent la personnalité, le sujet que j’enseigne, qui nécessite également une évaluation des différences entre les hommes et les femmes —, car les étudiants avancés au doctorat ont déjà tendance à éviter ce genre de discussions dans leurs salles de classe à cause de ce que pourrait leur coûter la transgression, disons, d’une norme inconnue. Le coût pourrait être si élevé qu’il est tout simplement plus simple d’enseigner autre chose. C’est manifestement ce que j’ai constaté auprès de plusieurs personnes.

Je dirais également qu’il n’est pas anodin que le lien du ministère de la Justice vers les propos de la Commission ontarienne des droits de la personne concernant la façon dont cette mesure législative serait interprétée ait mystérieusement disparu à la mi-décembre. De toutes les choses qui se sont produites et que j’ai étudiées dans ce dossier, je crois que c’est celle qui m’a donné le plus froid au dos. C’est ce qui a permis de voir qu’il y avait anguille sous roche, car la question, c’est de savoir quel est le bon niveau d’analyse. Est-on censé s’en tenir tout simplement au texte législatif? Eh bien, comme le ministère de la Justice a dit qu’on est censé tenir compte des politiques connexes, c’est ce que j’ai fait, et c’est là-dessus que repose mon argumentation. Et puis, tout d’un coup, le lien entre ces deux choses est tout simplement disparu, et il faut maintenant consulter les archives d’Internet pour retrouver le contenu afin qu’il demeure du domaine public. Je trouve que c’est absolument scandaleux.

Le sénateur Plett : Bravo!

La sénatrice Omidvar : Merci à vous deux d’être ici. J’essayais de prendre des notes, mais je ne pense pas me tromper, monsieur Peterson, en disant que vous avez qualifié ce projet de loi d’expression de l’avant-gardisme idéologique. Ai-je bien compris?

M. Peterson : Je pensais davantage aux politiques connexes, mais oui.

La sénatrice Omidvar : J’essaie de concilier ce que vous dites à titre personnel avec les documents publiés par la Société canadienne de psychologie, l’American Psychological Association, l’Association médicale canadienne, l’American Psychiatric Association, l’Association des psychiatres du Canada et les experts des droits de la personne des Nations Unies. On ne parle pas de personnes seules, mais d’associations. J’imagine qu’elles regroupent toutes un grand nombre de psychologues, des membres de la Société canadienne de psychologie et de l’Association des psychiatres du Canada.

Comment pouvons-nous concilier ce que vous dites, c’est-à-dire votre opinion — une chose à laquelle vous avez parfaitement droit —, avec ce que tout le monde dit, ainsi qu’avec les sentiments et les témoignages de personnes qui souffrent depuis plus de 30 ans et que nous avons écoutées, des personnes qui se sont adressées aux tribunaux? Comment pouvons-nous concilier tout cela?

M. Peterson : À propos de votre deuxième point, si les gens que vous écoutez ne sont pas choisis au hasard dans la population, les opinions exprimées dans leurs témoignages ne valent donc rien, car vous ne savez pas si vous avez affaire à un échantillon biaisé. C’est un grand problème du processus de consultation publique qui sous-tend ce projet de loi. Vous l’ignorez peut-être — si je peux me permettre —, mais c’est une pratique courante dans toutes les firmes de sondages ou toutes les entités qui tentent d’obtenir la vraie opinion d’une communauté de personnes. À défaut de procéder ainsi, vous ne pouvez pas dire si l’information recueillie est biaisée.

À propos de votre premier point, que disent exactement les gens qui ne pensent pas comme moi? Vous dites qu’il y en a beaucoup, mais vous ne dites pas précisément ce qu’ils avancent.

La sénatrice Omidvar : Je pense que la présidence va m’interrompre si je...

Le président : Non, c’est bon.

La sénatrice Omidvar : ... lisais ce qu’ils disent tous. En général, ils s’opposent à la discrimination et au harcèlement fondés sur l’identité et l’expression de genre. Je peux également vous remettre trois pages qui portent là-dessus.

M. Peterson : Je m’oppose à la discrimination fondée sur l’identité et l’expression de genre. Là n’est pas la question. Ce qui importe, ce sont les dispositions des mesures législatives connexes et le fait de contraindre les gens à employer certains termes. C’est à cela que je m’oppose.

J’ai eu affaire à toutes sortes de monde au cours de ma vie, des gens qui ressortent du lot de toutes sortes de façons. Je ne suis pas discriminatoire. Il y a sur YouTube 500 heures de vidéo qui me montre en train d’enseigner, et on ne m’a jamais rien reproché. Je ne suis pas quelqu’un de discriminatoire, mais je crois que cette mesure législative est répréhensible, et je ne crois pas un seul instant qu’elle permettra de faire ce qu’elle propose de faire.

Je pense également que mon opinion s’écarte considérablement de celle des entités que vous avez nommées parce que vous n’avez pas démontré qu’elles disent quoi que ce soit mis à part que la discrimination est mauvaise. Je pense que la discrimination déraisonnable est mauvaise. Elle est déraisonnable lorsque les gens sont jugés en fonction d’autre chose que les compétences précises qui sous-tendent leur point de vue. Ce n’est avantageux pour personne lorsque c’est le cas.

Je pense toutefois que vous n’avez aucunement démontré que les points de vue que je fais valoir s’opposent aux pratiques courantes dans ma discipline.

La sénatrice Omidvar : Pouvez-vous répéter une autre fois votre réponse aux sénateurs Gold et Pratte, à propos des solutions de rechange, que je qualifierais de raisonnables, fournies par la Commission ontarienne des droits de la personne par rapport à votre refus de l’utilisation de certains pronoms?

M. Peterson : Eh bien, je pense qu’il a été établi clairement dans le témoignage jusqu’à présent que tout dépend de la partie que vous lisez dans les politiques de la Commission ontarienne des droits de la personne. C’est un gros problème. Une des raisons pour laquelle j’ai fait cette critique d’entrée de jeu, c’est que j’ai pu constater que ces politiques étaient complètement incohérentes.

Permettez-moi de vous donner un autre exemple. La Commission ontarienne des droits de la personne insiste pour dire que l’orientation sexuelle est un phénomène immuable, ce qui signifie, en principe du moins, qu’elle est ancrée dans la biologie. En revanche, les mêmes politiques supposent que l’identité sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre sont des concepts tout à fait indépendants. C’est comme si nous disions: « Excusez-nous les gars, mais vous ne pouvez pas être les deux. Une personne est une chose, et l’autre ne l’est pas. Vous ne pouvez pas réunir ces concepts. »

Dans la politique relative au projet de loi C-16, on retrouve une quantité innombrable d’incohérences logiques semblables. Quel en sera l’effet sur les personnes transgenres qui disent être nées ainsi, ce qui est une affirmation forte sur le plan biologique? Cela signifie qu’il existe un lien de causalité direct entre un phénomène biologique et l’expression d’une identité particulière. C’est en fait l’argument le plus fort dont disposent les personnes qui ont des identités sexuelles ou de genre non conventionnelles, et qui doivent défendre leur point de vue.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd’hui. Ma question s’adresse au professeur Peterson. Je cherche encore un peu ma place dans ce projet de loi, et je suis un peu confus entre les arguments positifs et négatifs soulevés par tout un chacun. Certains disent que, sans ce projet de loi, on pourrait provoquer le suicide ou la dépression chez les gens qui vivent l’expérience transgenre. Je suis étonné de cette position extrême.

Professeur Peterson, vous oeuvrez dans le domaine du comportement humain. Selon vous, existe-t-il des études ou des statistiques quant au potentiel salvateur de ce projet de loi? Ce projet de loi est-il aussi salvateur qu’on le prétend?

[Traduction]

M. Peterson : En principe, nous aurions l’information si les politiques qui ont déjà été introduites par les gouvernements provinciaux avaient été évaluées adéquatement. Mais pour autant que je sache, aucune étude ne démontre que l’adoption de telles mesures législatives a une incidence sur les regrettables taux de suicide, de dépression et d’anxiété qui sont souvent caractéristiques des groupes marginalisés — c’est peut-être une affirmation trop forte.

En fait, ce que j’ai dit au départ, c’est que rien ne prouve que ce genre de recours juridique, disons, générera les retombées positives escomptées. Je crois qu’en mettant cruellement la question sous les projecteurs — c’est une façon de voir les choses —, le projet de loi a plutôt eu l’effet contraire.

C’est très courant. Il s’agit d’un phénomène bien connu dans les sciences sociales connexes: le simple fait d’avoir l’intention de produire un effet donné lors d’une transformation à grande échelle ne signifie en rien que ce sera bel et bien le résultat obtenu. Ce serait génial si tout était aussi simple. Les meilleurs spécialistes des sciences sociales insistent toujours pour que vous intégriez une analyse des résultats dans toute — comment appelez-vous cela? — intervention sociale à grande échelle, étant donné les fortes chances que les mesures produisent des effets contraires à ceux attendus.

Ce ne sont que des présuppositions, qui reposent en partie du moins sur l’idée que la communauté transgenre serait un milieu représenté par des porte-parole qui s’expriment d’une voix uniforme, que c’est ce qu’ils veulent tous, et que les mesures auront l’effet escompté. J’examine le sujet du point de vue des sciences sociales, et je trouve que ce n’est vraiment pas crédible. Je n’adhère pas à l’intention non plus.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’aurais une question que je voudrais d’abord adresser au professeur Peterson et, par la suite, j'aurai peut-être une question pour Me Brown.

Professeur Peterson, j’essaie de comprendre votre position. Est-ce que vous voyez une différence entre les opinions que vous exprimez aujourd’hui sur cette question-ci – dans le cadre d’une consultation publique du Sénat – et les actions que vous posez comme professeur d’université, soit dans une situation d’autorité et de pouvoir sur un groupe d’étudiants?

[Traduction]

M. Peterson : Tout d’abord, je ne me considère pas nécessairement dans une position ni d’autorité ni de pouvoir, mais plutôt de responsabilité. Ce n’est pas la même chose. Je ne suis pas d’accord sur la formulation de votre question. Je ne vois pas en quoi c’est lié à mon point de vue, à savoir si je crois que le projet de loi fera plus de tort que de bien, et si je crois fermement, ce qui est le cas, qu’il s’agit davantage d’une mesure idéologique que d’un mécanisme conçu pour répondre aux préoccupations visées.

Je voudrais également expliquer brièvement ce qui aurait dû se produire lorsque j’ai réalisé la vidéo, ce qui se rapporte à la question. Je m’attendais à ce que les gens y prêtent attention 10 minutes, qu’un article de journal soit peut-être rédigé sur la question, puis que la vidéo tombe dans l’oubli. Mais j’ai mis le doigt sur quelque chose; c’est du moins ce que je croyais. Le fait que la publication soit encore visionnée après neuf mois — bien au contraire, les chiffres ont explosé non seulement au Canada, mais aussi aux quatre coins du monde — me prouve que mon analyse était juste, et qu’il se passe en quelque sorte bien plus de choses à ce chapitre que la question superficielle dont nous avons l’intention de discuter.

Je trouve insultante l’idée que j’abandonne en quelque sorte ma responsabilité personnelle à l’égard de mes étudiants, alors que c’est ce qui me pousse à faire ce que je fais. Je me fais toujours un devoir de dire à mes étudiants ce que je pense et de formuler une opinion aussi éclairée et prudente que possible, et c’est ce que je fais.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je pense que vous comprenez que, si vous participez à un comité sénatorial, peu importe ce que vous pensez de la valeur des questions, il ne vous appartient pas de poser les questions. On s’entend sur cet aspect?

Faites-vous une différence entre ce que vous croyez, votre opinion sur un projet de loi, et le fait que l’université — qui vous paie pour enseigner, à moins que je ne me trompe — vous considère comme étant sous sa responsabilité légale dans vos actions par rapport à vos étudiants, et donc dans une situation d’autorité face à eux, c’est-à-dire que vous pouvez leur donner une note de A ou de E, A étant « Excellent », et E, « mauvais »?

[Traduction]

Le président : Sénatrice, je vous encourage à vous attarder aux éléments du projet de loi. Je pense que c’est pertinent. Je vais maintenant passer au prochain intervenant.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Peterson, ce qui m’inquiète le plus à propos du projet de loi, c’est le discours forcé, qui est fort préoccupant.

Notre comité a entendu le témoignage de Meghan Murphy, qui nous a dit être contre l’idée que l’identité de genre fluctue, puisqu’elle considère que le genre est une construction sociale. M. Gad Saad est lui aussi contre le projet de loi en raison de sa croyance dans la biologie évolutive.

Voilà qui démontre que le projet de loi C-16 met fin prématurément à une discussion sur le genre et le sexe qui semble loin d’être réglée. À mon avis, lorsque nous examinons la définition provinciale établie par les commissions, nous enchâssons dans la loi la théorie sur le spectre des genres. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Peterson : C’est exactement ce que nous faisons. À mon avis, c’est peut-être même plus dangereux encore que la question du discours forcé, étant donné que le point de vue socioconstructiviste du genre n’est pas qu’une simple opinion; c’est tout simplement faux. Je vais prendre une minute pour vous expliquer pourquoi.

Le sénateur MacDonald : Allez-y, s’il vous plaît.

M. Peterson : La proposition qui est illustrée, et qui représente bien la philosophie derrière les politiques, c’est qu’il n’existe aucun lien de causalité entre les quatre volets de l’identité, ce qui est foncièrement absurde. En fait, 99,7 p. 100 des personnes dont le corps possède un sexe biologique donné s’identifient bel et bien à ce sexe. Les deux notions sont intimement liées.

Si vous ne pouvez pas établir un lien de causalité dans une relation aussi étroite, vous devez laisser tomber carrément la notion de causalité. Parmi les personnes qui s’identifient comme étant un homme ou une femme et dont le sexe biologique correspond également à celui d’un homme ou d’une femme, la vaste majorité d’entre elles présentent l’orientation sexuelle correspondante, de même que l’identité de genre et l’expression de genre.

Ces analyses sont incroyablement liées, et des preuves écrasantes démontrent que les facteurs biologiques jouent un rôle dans la détermination de l’identité de genre. Aucun scientifique sérieux contemporain ne contesterait cet argument. Certains remettent cela en question, mais ils proviennent toujours essentiellement du milieu des sciences humaines. Pour ma part, j’ai examiné la question avec grand soin, et ces arguments reposent uniquement sur une idéologie. Dire que l’identité est définie par la société est un précepte idéologique. C’est d’ailleurs notamment pourquoi la notion est intégrée à la loi. En fait, les décideurs ne peuvent en aucun cas avoir gain de cause, mais ils peuvent certainement remporter la guerre de la propagande, surtout en imposant ce genre d’information publicitaire répréhensible aux enfants. Cela fait partie de la volonté exprimée.

M. Brown : J’ajouterais que, dans les tribunaux d’un bout à l’autre du pays, les plaignants transsexuels ont déjà été protégés par les motifs de discrimination sexuelle existants. Comme la ministre de la Justice l’a dit, ce projet de loi a été introduit pour des raisons symboliques. Je vous laisse le loisir de remettre en question le geste posé, mais cette communauté est déjà protégée par les motifs relatifs au sexe qui existent dans la plupart des codes en matière de droits de la personne au pays.

Le sénateur Joyal : Messieurs Brown ou Peterson, le juge Wagner de la Cour suprême a dit ce qui suit lors d’un séminaire qui s’est déroulé à l’Université d’Ottawa au début de mars dernier, c’est-à-dire il y a quelques mois seulement. Il exposait non pas une décision du tribunal, mais plutôt son point de vue. Permettez-moi de vous citer un court passage:

Lorsque le tribunal doit composer avec une affaire liée à l’identité de genre, ces deux propositions offriront des cadres de référence essentiels: d’une part, l’identité n’est pas fixe, mais bien évolutive; et, d’autre part, l’identité n’est pas innée, mais bien contextuelle.

J’ai lu le passage, et j’ai essayé de comprendre l’incidence de ces deux éléments binaires. Puisqu’il parle du « tribunal », j’imagine qu’il en a discuté avec des collègues ou des membres de la profession de façon générale.

Contestez-vous ce genre de définition de la réalité transgenre, ou croyez-vous que c’est une façon convenable d’aborder ces enjeux sur le plan légal? Comme vous l’avez expliqué avec force, quelqu’un pourrait un jour remettre en question la proposition, les politiques et tout ce qui découle de l’adoption d’un tel projet de loi. Nous nous retrouverons un jour devant les tribunaux, et nous devrons analyser la situation et plaider la cause, ou du moins tenir compte des références que le juge Wagner a établies récemment. Comment réagissez-vous à cette perception?

M. Peterson : Je veux m’assurer de bien comprendre la question. Lorsque le juge a affirmé cela, voulait-il dire que l’identité n’est pas fixe, mais qu’elle évolue, et que l’identité n’est pas innée, mais bien contextuelle? Sinon, définissait-il plutôt les limites de la discussion?

Le sénateur Joyal : Ce n’était pas un discours sur la question. Pour employer une expression que Me Brown va comprendre, c’était plutôt une observation incidente lors d’une conférence. La présentation portait sur l’identité, mais puisque le sujet suscite couramment des débats au Canada, bien sûr, il a jugé utile de mettre son grain de sel dans le débat public en disant comment, selon lui, l’identité transgenre devrait être définie, puis en établissant des paramètres.

M. Peterson : Supposons alors que l’identité soit évolutive et contextuelle. Dans ce cas, pourquoi la thérapie de conversion ne fonctionne-t-elle pas? Le problème, c’est que lorsque j’ai commencé à m’opposer au projet de loi, les gens ont immédiatement supposé que j’étais transphobe et raciste, et ils m’ont attribué tous les autres épithètes qu’ils sont parfaitement disposés à invoquer à tout moment. Nombreux sont ceux qui ont essayé de soumettre les personnes illégalement homosexuelles à une thérapie de conversion. Cette proposition est fondée sur l’idée que l’identité et l’orientation sexuelles ne sont ni évolutives ni contextuelles. C’est fondamental, ce qui signifie essentiellement que c’est ancré dans quelque chose comme la biologie. D’accord, oublions cela. Disons maintenant que c’est évolutif et contextuel. Dans ce cas, pourquoi l’identité ne peut-elle pas être modifiée selon le contexte? Voilà une partie du problème relatif aux politiques: elles sont tellement incohérentes qu’elles nuiront aux personnes mêmes qu’elles prétendent protéger. Les gens ont du mal à croire que je m’en soucie, mais ce n’est pas parce qu’on m’a traité de noms que c’est ce que je suis.

Pour bien des personnes dont l’identité est non conventionnelle, si je peux m’exprimer ainsi, l’argument le plus solide dont elles disposent pour faire accepter cette identité à la population, c’est que celle-ci est fortement soumise à des procédés biologiques hors de leur contrôle. Par conséquent, si vous adoptez ce point de vue socioconstructiviste de l’humanité, vous pouvez dire adieu à ces arguments puisqu’ils vont complètement à l’encontre de cette idéologie. Je crois que c’est une grave erreur. Je pense vraiment que de telles mesures produiront des effets contraires à ceux attendus chez les personnes que le projet de loi prétend protéger. Si l’identité peut être changée, est variable, est entièrement subjective et peut être transformée par caprice, pourquoi les gens devraient-ils la respecter?

Le président : Messieurs, je vais devoir vous interrompre. L’heure est écoulée. Nous vous remercions tous de votre comparution et de votre témoignage d’aujourd’hui. Merci.

: Pour la deuxième heure, nous accueillons Bruce Pardy, professeur à la Faculté de droit de l’Université Queen’s; ainsi que Jay Cameron, avocat-procureur au Justice Centre for Constitutional Freedoms. Nous recevons également les représentantes de l’organisme Pour les droits des femmes du Québec: la présidente Michèle Sirois, la vice-présidente Diane Guilbault, et la trésorière et webmestre Lyne Jubinville. J’espère que j’ai bien prononcé vos noms.

Les porte-parole ont un maximum de cinq minutes pour leur déclaration liminaire. Je crois que nous allons commencer par Mme Sirois. La parole est à vous.

[Français]

Michèle Sirois, présidente, Pour les droits des femmes du Québec : Honorables sénatrices et sénateurs, merci de nous avoir invités à témoigner sur le projet de loi C-16. Comme citoyennes et comme féministes, nous sommes convaincues qu’il faut lutter contre les discriminations, mais le projet de loi C-16 n’ajoute rien à la protection des droits des personnes transgenres. Par contre, le projet de loi C-16 aura comme conséquences d’éliminer ou d’affaiblir des droits reconnus aux femmes, ce qui est inacceptable dans une société qui s’est engagée formellement à défendre ces droits.

C’est pourquoi nous demandons une analyse comparative selon les sexes avant l’adoption de la loi. D’abord, nous aimerions préciser ce que nous entendons par les mots « genre » et « sexe ». Dans le cadre de ce projet de loi, qui parle d’identité de genre, une telle distinction est absolument essentielle. Le sexe réfère aux caractéristiques biologiques qui différencient les hommes et les femmes, comme le soulignent Condition féminine Canada et toutes les organisations qui ont des responsabilités en matière d’égalité entre les sexes. Tous constatent qu’il y a deux sexes.

Le genre désigne les attributs dits féminins et masculins définis par le discours social, la culture et l’histoire. C’est donc un construit social, et c’est ce dont il est question quand on parle de stéréotypes de genre. À la lumière de ces définitions, on peut se demander par quel artifice on en est venu à considérer qu’un changement de genre équivaut à un changement de sexe, ce qui est impossible.

Maintenant, en quoi le projet de loi C-16 remet-il en question des droits chèrement acquis par les femmes au cours du dernier demi-siècle? En voici quelques exemples.

Le premier exemple concerne le sport. En mars 2017, un haltérophile remportait le Championnat international féminin d’haltérophilie, délogeant la médaillée d’or de Rio. Jusqu’à l’an dernier, il compétitionnait du côté des hommes. Cette année, il s’est présenté comme transgenre et a donc été autorisé à se mesurer aux femmes.

Les nouvelles normes du Comité international olympique qui ont été adoptées très discrètement en 2016 permettent à des hommes qui se disent transgenres de se présenter comme des athlètes féminines si leur taux de testostérone ne dépasse pas 10 nanomoles par litre de sang, un taux qui est trois à quatre fois plus élevé que le taux de testostérone le plus élevé chez la femme, sans parler de la masse musculaire des athlètes mâles transgenres qui leur donne un avantage disproportionné par rapport aux femmes. Est-ce que cela veut dire que, dorénavant, on pourrait tripler le taux de testostérone acceptable chez les femmes, et cela, avec les incitations au dopage que cela comporte? La participation croissante d’hommes qui se disent transgenres aux sports féminins met en péril les chances des jeunes filles et des femmes de gagner des épreuves sportives, et ce, à tous les niveaux de compétition. Les femmes ont donc toutes les raisons de contester l’arrivée d’athlètes de sexe masculin dans leur compétition. Avec le projet de loi C-16, cette contestation deviendra difficile, puisque les équipes féminines seront exposées à des poursuites. Est-ce équitable pour les femmes qui se sont battues pendant des décennies pour pouvoir faire du sport et participer aux Jeux olympiques?

En ce qui concerne les prisons, tout le monde se souvient du colonel Russel Williams, reconnu coupable de 92 accusations, dont deux meurtres de femmes et plusieurs agressions sexuelles. Le colonel Williams aimait se photographier dans les sous-vêtements de ses victimes après ses crimes. Pourquoi ne déciderait-il pas qu’il serait mieux dans une prison pour femme?

D’ailleurs, l’association britannique des spécialistes de l’identité de genre a prévenu le gouvernement anglais qu’il fallait être très prudent face à ces demandes de transfert sur la base de l’identité de genre, parce que, disent-ils, preuves à l’appui, un nombre croissant de prédateurs sexuels invoquent leur identité de genre, qu’elle soit avérée ou non, pour demander un transfert dans une prison pour femmes. Quand rien ne vient cadrer cette identité de genre, que reste-t-il aux autorités pénitentiaires pour refuser un tel transfert? Or, le projet de loi C-16 ne prévoit aucune balise à ce titre.

En ce qui concerne les enfants, le projet de loi C-16, en banalisant le changement d’identité de genre sans la définir, ouvre la porte aux pires dérives. On assiste à une augmentation fulgurante des demandes de changement de genre de la part d’enfants qui ne se conforment pas aux stéréotypes de genre, comme les petits garçons qui aiment les robes de princesse ou des adolescentes mal à l’aise avec leurs seins. Les études sont pourtant claires : plus de 80 p. 100 des enfants qui présentent une dysphorie du genre deviennent des adultes confortables dans leur corps. Il y a beaucoup d’homophobie sous-jacente à cette volonté de traiter des enfants dont plusieurs sont probablement gais, mais dont l’entourage préfère dire qu’ils sont nés dans le mauvais corps. Les mutilations comme les mastectomies sur des adolescentes, l’administration de blocage de puberté et la prise d’hormones à vie auront comme effet la stérilisation, des mutilations, des castrations chimiques. Comment cela pourrait-il être dans l'intérêt fondamental des enfants?

[Traduction]

Le président : Nous allons maintenant écouter Me Cameron.

Jay Cameron, avocat-procureur, Justice Centre for Constitutional Freedoms : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser au comité. Nous vivons dans une société libre qui valorise grandement l’autonomie personnelle et les droits individuels. Je vais donc illustrer ce que cela signifie dans le contexte de la liberté d’expression dont bénéficient tous les Canadiens.

Dans une société libre, si je le souhaite et que mes notes sont assez bonnes, je peux faire des études en médecine et obtenir le titre prestigieux de docteur, mais je ne peux obliger personne à m’appeler « docteur ». Le gouvernement ne peut pas le faire non plus. C’est ainsi malgré le fait que je m’identifie fortement au titre de docteur. C’est peut-être même au cœur de mon identité.

Je peux être un enseignant universitaire que les gens appellent « professeur », mais je ne peux pas être accusé en vertu des lois sur les droits de la personne ou des lois pénales si je refuse d’appeler quelqu’un « professeur », même si c’est sa profession. Je peux être un pasteur, un prêtre, un rabbin ou un ministre au sein de ma communauté pendant 50 ans, mais je ne peux obliger personne dans la société à m’appeler « révérend », « père » ou « rabbin ». Et le gouvernement ne peut pas le faire non plus. Sa Majesté la Reine peut me nommer chevalier, mais je ne peux pas être accusé aux termes des lois sur les droits de la personne et des lois pénales si je refuse d’appeler un chevalier « sir ».

Dans une société libre, je suis libre de me désigner comme je le souhaite. Je peux affirmer être un homme ou une femme, ou me situer quelque part entre les deux, ou encore inventer un concept entièrement nouveau, mais je ne peux obliger personne à me désigner ainsi, ou à employer l’identifiant ou le pronom que j’ai choisi. Le gouvernement ne peut pas le faire non plus.

Le projet de loi C-16 dont vous êtes saisis est vague et irrecevable étant donné qu’il manque de certitude. En raison de cette incertitude, on pourrait l’interpréter de façon à croire qu’il impose un discours aux Canadiens, comme l’utilisation obligatoire de pronoms sans distinction de sexe. C’est la première fois que des dispositions législatives en matière de droits de la personne ou de droit pénal obligent les citoyens à modifier leur discours. Des discours ont peut-être déjà été interdits dans des circonstances restreintes, mais on n’a jamais exigé l’utilisation d’un discours donné. Pas dans un contexte civil.

Permettre au pouvoir de l’État d’imposer un discours au citoyen va à l’encontre de la jurisprudence. Dans Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre, la Cour suprême du Canada a déclaré que tout ce qui oblige une personne à exprimer une opinion qui n’est pas la sienne est une sanction qui est totalitaire et, par conséquent, étrangère à la tradition des pays libres comme le Canada, même pour la répression des actes criminels les plus graves.

Dans R. c. Sharpe, la juge en chef McLachlin précise que le droit fondamental à la liberté d’expression que possèdent les Canadiens rend possible notre liberté, notre créativité ainsi que notre démocratie, et ce, en protégeant non seulement l’expression qui est « bonne » et populaire, mais aussi celle qui est impopulaire, voire offensante. Je dirais que le caractère offensant est subjectif. Ce qui l’est aux yeux d’une personne peut être acceptable aux yeux d’une autre et, dans une certaine mesure, je peux choisir d’être offensé par ce que j’entends.

Ce n’est pas tout le monde qui apprécie la liberté d’expression comme il le devrait. Il ne fait aucun doute que la Commission canadienne des droits de la personne, si l’on se fonde sur la jurisprudence existante sur les droits de la personne, obligera les fournisseurs de services, les employeurs et les employés à désigner les transgenres par le pronom de leur choix, et imposera des répercussions légales à ceux qui refusent de le faire. Cela se produit déjà et devrait vous préoccuper.

La Commission ontarienne des droits de la personne a expliqué que le refus de qualifier un transgenre par le nom et le pronom personnel qu’il choisit selon son identité sexuelle ou l’attribution délibérée d’un genre erroné seront considérés comme étant des actes de discrimination lorsqu’ils surviennent dans un secteur social couvert par le code, y compris le lieu de travail, le domicile des gens et les établissements de service comme les écoles.

Même les partisans du projet de loi C-16, tels que la professeure de droit à l’Université de Toronto, Brenda Cossman, admettent que la mauvaise utilisation de ce pronom peut constituer une violation de la loi sur les droits de la personne. En n’utilisant pas le pronom préféré d’une personne, on pourrait être passible d’amendes, de dommages-intérêts, de congédiement, de rééducation idéologique sous la forme de formation de sensibilisation et d’autres sanctions. Le fait est que si le projet de loi C-16 est adopté, le gouvernement obligera les gens à dire et à ne pas dire certaines choses sous la menace de sanctions.

Honorables sénateurs, je vous demande de réfléchir sérieusement au type de pays que l’on veut créer aujourd’hui. Devrions-nous avoir un Canada où il y aura une foule de délateurs et où ceux qui s’outragent facilement essaieront davantage d’utiliser le pouvoir d’un État supposément neutre pour faire avancer leur propre programme? À quel moment la voix de la raison s’applique-t-elle dans cette conversation? À quel moment les principes d’une société libre et le droit de parole empêchent-ils un État d’aller trop loin? Voulons-nous vraiment d’un Canada où les gens marchent sur des œufs et où ils ont peur de s’exprimer ou de ne pas le faire? Ce n’est pas ce que je veux. Mais je crains que vous n’entendiez pas mon point de vue en raison des clameurs de ceux qui ne se rendent pas compte de ce qu’ils demandent.

Bien des gens appuient ce projet de loi, inconscients des répercussions qu’il aura sur leur propre liberté, s’il est adopté, mais le fait est qu’il y a des partisans de ce projet de loi qui sont hostiles à la liberté dont jouissent les Canadiens, pas parce qu’ils aiment vivre dans une société libre, mais parce qu’ils estiment qu’il y a une trop grande liberté dans la société.

Le président : Veuillez conclure vos remarques.

M. Cameron : Ces personnes affirment que l’on devrait réduire davantage la liberté. Le Parlement a l’obligation d’adopter des lois qui sont constitutionnelles. À mon humble avis, cette mesure législative dans sa forme actuelle contrevient au paragraphe 2b) de la Charte des droits. Vous devriez amender l’avant-projet de loi…

Le président : Nous devons passer à un autre témoin.

Monsieur Pardy, la parole est à vous.

Bruce Pardy, professeur, Département de la psychologie, Université de Toronto, à titre personnel : Merci de me recevoir parmi vous. Je vous exhorte à ne pas adopter le projet de loi C-16 dans sa forme actuelle en raison de la menace qu’il représente pour la liberté d’expression. J’aimerais faire valoir quatre points.

Premièrement, le fait d’obliger les gens à utiliser certaines expressions est l’atteinte la plus flagrante à la liberté d’expression, et la liberté d’expression est probablement la liberté la plus importante que nous avons. On veut mettre des mots dans la bouche des citoyens et les menacer de les punir s’ils ne se conforment pas. Lorsque la liberté d’expression est restreinte, on peut à tout le moins se taire. Dans ce cas-ci, on veut forcer les gens à tenir des propos auxquels ils ne souscrivent pas.

Deuxièmement, je parle ici de la première partie du projet de loi C-16, qui modifie la Loi sur les droits de la personne. Cette modification pourrait aussi bien obliger les gens à utiliser des expressions non fondées sur le genre contre leur volonté. C’est une façon d’obliger les gens à utiliser certaines expressions. La modification, comme on l’a souligné, ne fait pas référence au discours précisément. Comment pouvons-nous savoir si c’est en fait le cas?

Comme on l’a mentionné, on doit examiner ce que les commissions des droits de la personne disent à ce sujet, car ce sont ces commissions — tant la commission canadienne que les commissions provinciales et les codes provinciaux — qui ont la tâche première d’interpréter et d’appliquer ces dispositions. Ce n’est pas les tribunaux avant tout; ce n’est pas le gouvernement qui décide de la signification. Lorsque la loi est adoptée, son interprétation et son application sont en grande partie régies par la commission, ainsi que par le tribunal. Les tribunaux fourniront à ces entités une grande déférence, et ce sera à eux de décider. La loi stipulera ce que la commission et le tribunal décideront.

D’après ces entités, qu’est-ce que cela signifie? Vous avez entendu leurs témoignages. Je vais vous lire leurs déclarations à nouveau, car c’est un argument important. La Commission ontarienne des droits de la personne croit que les dispositions équivalentes dans le code de l’Ontario signifient, ou signifient fort probablement, que les gens doivent utiliser des pronoms contre leur volonté: « Le refus de désigner une personne trans par le nom de son choix ou par un pronom personnel qui correspond à son identité sexuelle, voire le fait d’attribuer le mauvais genre à une personne de façon délibérée, est susceptible de constituer une forme de discrimination. »

Troisièmement, si l’intention du projet de loi C-16 n’est pas d’obliger les gens à utiliser certaines expressions, alors on devrait tout simplement le signaler dans le projet de loi. Ce n’est pas compliqué. Cette mention empêcherait la commission et le tribunal d’adopter cette interprétation.

Quatrièmement, l’honorable ministre de la Justice a comparu devant le comité le 4 mai. Si je ne m’abuse, elle a dit que, d’après elle, le projet de loi C-16 n’obligera pas les gens à utiliser des pronoms contre leur volonté et que le gouvernement n’avait pas l’intention de les y obliger. Voici où je veux en venir: le cas échéant, il serait fort simple d’énoncer l’intention dans le projet de loi. On refuse jusqu’à présent de le faire, et si c’est bel et bien l’intention, je n’arrive pas à comprendre cette réticence.

Je vais m’arrêter ici, monsieur le président.

Le président : Merci. Nous allons passer aux questions, en commençant avec le sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Merci à tous nos témoins. J’ai quelques questions.

Monsieur Pardy, vous avez très clairement discuté de la question que je voulais vous poser, mais je vais tout de même la poser. Vous avez dit ici et vous avez mentionné dans votre mémoire que si l’intention du gouvernement avec son projet de loi C-16 n’est pas d’obliger les gens à utiliser certaines expressions, il pourrait facilement le préciser clairement, ce que vous avez confirmé ici. Vous avez bien rapporté les propos de la ministre. Je l’ai entendu dire la même chose. J’étais assis à côté d’elle.

Pourquoi croyez-vous que le gouvernement n’a pas inclus cette intention, si c’est bel et bien ce qu’il cherche à faire? Et à votre avis, qu’est-ce que le gouvernement aurait pu faire pour préciser l’intention du Parlement pour l’interprétation future de cette loi? Il y a des gens qui disent continuellement qu’il n’oblige pas les gens à utiliser des expressions données, puis il y a des gens comme vous, d’autres et moi qui pensent que c’est ce qu’il fait. Que pourrions-nous faire pour indiquer clairement qu’il n’obligerait pas les gens à utiliser certaines expressions?

M. Pardy : Merci de la question. J’ai inclus dans mon mémoire un amendement très simple qui inclurait l’intention du gouvernement. Il n’interfère aucunement avec le reste du projet de loi; il ne fait qu’indiquer que le projet de loi ne prévoit pas que l’utilisation du pronom masculin ou féminin pour désigner une personne ne constitue pas une pratique discriminatoire. Il y a probablement diverses façons de formuler ce type d’amendement, mais l’amendement est très simple. Ce n’est pas difficile d’apporter cet amendement sur le plan juridique.

En ce qui concerne la question sur la raison pour laquelle le gouvernement a refusé de le faire, je ne suis pas le gouvernement, alors je peux seulement émettre des hypothèses. Les témoins voudront peut-être laisser le soin aux représentants de la commission et du tribunal de répondre à cette question et n’ont pas déterminé le résultat qu’ils préfèrent, ou ils préfèrent la décision que prendra la commission et le tribunal. Mais je ne fais qu’émettre une hypothèse. Je n’arrive pas vraiment à comprendre pourquoi, compte tenu de l’intention que la ministre a signalée, cette simple mesure ne serait pas prise.

Le sénateur Plett : Nous aimons tous émettre des hypothèses sur la raison pour laquelle le gouvernement fait certaines choses, alors nous continuerons de le faire.

Maître Cameron, nous avons des experts constitutionnels, ici même à cette table — peut-être pas de ce côté-ci, mais certainement de l’autre, avec des gens comme le sénateur Joyal et le sénateur Baker, qui n’est pas ici en ce moment —, qui défendent le projet de loi. Or, vous avez utilisé la Cour suprême. Je viens de lire un passage, une décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Banque nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce et autre. Toute mesure qui force une personne à exprimer des opinions qui ne sont pas les siennes constitue un « type de sanction [qui] est totalitaire et par conséquent étranger à la tradition des pays libres comme le Canada, même pour la répression des actes criminels les plus graves ».

À la lumière de cette décision rendue par la Cour suprême — vous avez parlé de la constitutionalité —, pourquoi croyez-vous que ce projet de loi n’est pas constitutionnel alors que d’autres experts constitutionnels disent carrément que cela n’a pas vraiment d’importance et qu’il est constitutionnel?

M. Cameron : Il y a deux raisons, je dirais. La première est les données probantes dont nous disposons à l’heure actuelle et les témoignages d’autres experts qui ont comparu ici. Le fait que nous débattons de la question de savoir si le projet de loi obligerait les gens à utiliser certaines expressions ou non — et bien des gens estiment que cela forcerait les gens à utiliser des expressions qu’ils ne veulent pas utiliser — montre qu’il y a un problème avec le projet de loi. Les lois pénales peuvent être invalidées parce qu’elles sont vagues, incertaines ou exagérées et, à mon humble avis, ce projet de loi est vague, incertain et exagéré.

La deuxième raison est que dans l’histoire du Canada, que je sache, il n’est jamais arrivé que le gouvernement adopte une loi pour obliger le citoyen à s’exprimer d’une certaine manière. C’est une situation où un pays dépasse carrément les bornes et contrevient au paragraphe 2b) de la Charte. Cette institution a l’obligation d’adopter seulement des lois constitutionnelles. Si elle ne le fait pas, les tribunaux régleront les problèmes, si bien que vous devriez vouloir les régler dès maintenant.

Le sénateur Plett : S’il y a une deuxième série d’interventions, monsieur le président, j’ai une question pour les dames à la table. Merci.

Le sénateur Pratte : Je ne pense pas que les tribunaux tireront une conclusion quelconque, car il n’y a rien dans la loi qui impose un pronom ou un nom.

Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que c’est une question d’obliger les gens à s’exprimer d’une certaine manière. Je pense que c’est une question de respect. Dans une société civilisée, il y a certaines choses qu’on ne peut pas dire, et les lois protègent les gens contre les propos discriminatoires et haineux. Certains peuvent croire que les Noirs ne devraient pas être désignés par leur nom, qu’ils devraient tous être qualifiés de « nègres ». Mais vous ne les appelez pas des nègres; vous les appelez par leur nom. La même chose devrait s’appliquer pour les transgenres; vous ne les désignez pas par un nom qu’on ne devrait pas les appeler. Vous les désignez par le nom ou le pronom de leur choix car c’est la chose respectueuse à faire, n’est-ce pas?

M. Cameron : Votre question m’est-elle adressée, monsieur?

Le sénateur Pratte : À vous ou à M. Pardy.

M. Cameron : Je me ferai un plaisir de répondre à la question, monsieur. Merci beaucoup.

Dans notre société, qui est une société libre et juste, nous n’obligeons pas les gens à faire preuve de respect. Il n’incombe pas au gouvernement de nous obliger à nous respecter mutuellement. Il n’y a aucune jurisprudence qui dit que je dois respecter une personne ou qu’elle doit me respecter. Je suis un avocat. Je n’oblige pas les gens à m’appeler « maître », « Monsieur Cameron » ou « avocat-procureur ». S’ils refusent de m’appeler par ces titres, je n’ai aucun recours juridique contre eux. Même chose pour un médecin, un professeur, un chevalier ou un sénateur.

M. Pardy : J’ai deux points que je veux soulever rapidement. Premièrement, la question n’est pas de savoir si les propos que nous voulons obliger les gens de tenir sont raisonnables. Tout discours que l’on est forcé de tenir est, par définition, déraisonnable. Si vous aviez une loi, par exemple, qui obligeait les gens à dire « bonjour », « s’il vous plaît » et « merci », qui sont des termes parfaitement raisonnables, la loi serait totalitaire car elle fait dire des choses aux citoyens. Dans un pays libre, les gens décident eux-mêmes ce qu’ils veulent dire, et dès que vous leur retirez ce droit, vous ne pouvez plus affirmer que vous vivez dans une société libre.

Deuxièmement, vous ne pouvez pas légiférer le respect. Le respect est une réponse affective et intellectuelle à quelque chose et à quelqu’un. Il s’acquiert avec le temps. Tout ce que vous avez fait, c’est de prendre le pouvoir de l’État de créer un semblant de respect, ce qui est un triste simulacre.

Le sénateur Pratte : Vous pouvez certainement légiférer pour empêcher le manque de respect. Là encore, en ce qui concerne le respect, rien n’est prévu dans la loi qui oblige l’utilisation de pronoms ou de noms. Rien dans la mesure législative ne prévoit cela.

M. Pardy : Je suis d’accord pour dire qu’il n’est pas question de discours. En fait, j’espère que nous pouvons nous entendre là-dessus. Vous semblez interpréter la loi comme si elle n’oblige pas l’utilisation de certains termes et ne devrait pas le faire. Tout ce que je dis, c’est que c’est une possibilité en raison du contrôle que la commission a, et il y a une façon simple de s’assurer que votre objectif et le mien sont atteints, et c’est d’incorporer un amendement très simple qui énonce ce que vous venez de dire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à Me Cameron. Plusieurs observateurs affirment que ce projet de loi est mal rédigé, particulièrement en ce qui concerne l’absence de définition des termes « identité de genre » et « expression de genre ». En fait, j’ai deux questions à poser à ce sujet.

Tout d’abord, pouvez-vous nous faire part de vos commentaires sur les risques associés à l’absence de définitions précises en ce qui concerne ces deux expressions? Par conséquent, en raison de l’absence de ces définitions, n’y a-t-il pas un risque que le nombre d’accusations pouvant être portées contre les citoyens augmente?

[Traduction]

M. Cameron : En réponse à la première question, il y a des risques entourant l’incertitude. L’un des problèmes avec cette mesure législative est qu’elle soulève le sujet délicat de l’identité sexuelle dans un contexte qui regorge de catégories relativement stables et certaines.

La question de l’identité sexuelle a un certain niveau de subjectivité que quelques-unes des autres catégories de la Loi sur les droits de la personne n’ont pas. Elles ne sont pas subjectives. Par exemple, si j’ai une croyance religieuse, c’est ma croyance personnelle, mais le fait d’être une femme ou un homme est quelque chose d’objectif. Mais il y a un niveau de subjectivité qui va à l’encontre des principes des communautés des sciences, de la psychologie et de la sociologie relativement à l’identité sexuelle.

Les gens ne s’entendent pas sur sa signification. Ce côté-là de la table n’est pas d’accord. Et ce côté-ci de la table n’est pas d’accord. En raison de ce désaccord, lorsque vous avez une mesure qui stipule qu’il est interdit de commettre un acte précis envers une catégorie précise, en raison de l’incertitude entourant cette expression, cela crée de l’ambiguïté et entraîne des risques.

Ce peut être la perception d’une personne d’un côté — une personne dans un couloir, un professeur, un employé, un patron ou un juge — qui croit que ce qui a été dit est une insulte à l’identité sexuelle. D’autres personnes peuvent ne pas avoir la même perception, et c’est parce que l’expression n’est toujours pas définie. C’est un problème de taille qui rend la mesure législative inconstitutionnelle.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma deuxième question était la suivante : est-ce que le fait de ne pas avoir de définition précise peut entraîner le risque qu'un plus grand nombre d’accusations puissent être portées?

[Traduction]

M. Cameron : Certainement. Différentes personnes qui appuient cette mesure législative ont différents programmes. Certaines personnes veulent qu’elle soit adoptée car elles estiment que sans cette mesure, la communauté trans ne sera pas traitée équitablement. D’autres personnes croient qu’il y a une trop grande liberté d’expression qui laisse place au manque de respect dans la société, alors nous devons réduire la liberté d’expression des gens.

Néanmoins, en raison de l’incertitude, les accusations concernant ce qui est ou non une insulte ou l’incitation à la haine en lien à l’identité sexuelle augmenteront certainement en raison de la perception des gens. Il y a aussi les pauvres gens que l’on traînera devant les cours et les tribunaux pour répondre à des actes anodins qui sont conformes à leur droit à la liberté d’expression en tant que Canadiens en vertu du paragraphe 2b), ce qui crée de la confusion et n’est pas souhaitable.

La sénatrice Omidvar : Monsieur Pardy, j’ai remarqué, avec un certain intérêt qu’en janvier dernier, vous avez débattu de la question des pronoms obligatoires dans le projet de loi C-16 avec M. Jordan Peterson, qui a comparu plus tôt. Vous avez appuyé le projet de loi C-16. Je me demande si vous pourriez nous présenter vos arguments pour le projet de loi C-16 et les pronoms obligatoires.

M. Pardy : Certainement. Permettez-moi d’abord de situer le débat dans son contexte et de vous expliquer comment cela s’est déroulé. M. Peterson a été invité à débattre. Les organisateurs du débat, des gens de ma faculté, ont fait une tournée dans les diverses facultés pour trouver des gens qui n’étaient pas du même avis que M. Peterson afin de les inviter à débattre de la question. Comme tous ont refusé, on m’a demandé de jouer l’avocat du diable, même si j’étais d’accord avec M. Peterson, et j’ai accepté.

Un de mes arguments était que la liberté d’expression n’existe pas. Nous avons toutes sortes de restrictions. Nous avons les propos diffamatoires, les déclarations négligentes et les propos qui poussent au crime. Dire que la liberté d’expression existe est une affirmation tout simplement fallacieuse. Cet argument est inexact, évidemment. Nous avons la liberté d’expression; ces infractions sont des exceptions, et ce sont toutes des restrictions à la liberté d’expression.

Cette restriction à la liberté d’expression est radicalement différente, car contrairement aux autres restrictions, comme je l’ai indiqué précédemment, elle force les citoyens à employer certains termes. La seule chose à faire, pour éviter les poursuites en diffamation, c’est de garder son opinion pour soi. Je ne suis pas favorable aux autres restrictions à la liberté d’expression; je dis simplement qu’elles sont moins graves que celle dont nous parlons aujourd’hui.

Le sénateur MacDonald : J’ai une question pour vous, monsieur Pardy. On entend toujours dire, dans les discussions sur ce projet de loi, que c’est une question subjective, personnelle et identitaire. Les gens disent que la religion est un choix personnel, subjectif et lié à l’identité. Donc, où est le problème? Ma question est la suivante: que répondez-vous à cela?

M. Pardy : Je dirais qu’on accorde des statuts différents à ces deux intérêts. La liberté de religion vous donne le droit de décider de vos propres croyances, comme il se doit. Les personnes transgenres ou de genre neutre sont aussi libres de choisir le pronom par lequel elles veulent être désignées. Ces droits sont équivalents. Il y a toutefois une limite à la liberté de religion: elle ne donne pas le droit d’exiger l’accord des autres. La liberté de religion n’est que le droit d’être protégé contre toute interférence.

Je serais le premier à faire valoir que les personnes transgenres ou de genre neutre ont la même liberté. Elles ont le droit de décider elles-mêmes de la façon dont elles souhaitent être représentées dans le monde. Cela dit, le reste de la population est libre de se faire sa propre opinion sur toute chose, ce qui comprend la religion et les enjeux liés aux transgenres. Dans un pays libre, nous sommes tous libres de tirer nos propres conclusions. C’est la distinction à faire entre les deux arguments dont vous avez parlé, à mon avis.

Le sénateur MacDonald : Merci. Vous avez clairement établi la différence.

Le sénateur Joyal : Mon collègue, le sénateur Plett, m’a invité à participer au débat. J’accepte l’invitation, sénateur, et je vous remercie.

La Charte énumère un certain nombre de droits, comme vous le savez, et la Cour suprême a clairement reconnu qu’aucun droit n’a préséance sur les autres. Tous ces droits s’appliquent simultanément lorsqu’une personne participe à des débats dans la sphère publique. À titre d’exemple, le cas dont vous avez parlé serait une atteinte à l’alinéa 2b), qui est la liberté de pensée, d’opinion et d’expression, comme vous le savez, et serait contraire à l’article 15, soit l’égalité devant la loi.

Évidemment, dans une société libre et démocratique, tous ces droits, quels qu’ils soient, font l’objet de limites raisonnables. La cour a clairement établi le critère à suivre pour déterminer si la limite acceptable d’une société démocratique ou le caractère raisonnable sont atteints.

Si vous êtes convaincus que ce projet de loi porte atteinte aux droits garantis par la Charte, ne conviendrait-il pas, au lieu de faire de ce projet de loi une exception, d’en saisir la Cour suprême pour qu’elle détermine s’il est constitutionnel? Cela mettrait fin au débat, et la population canadienne reconnaîtrait la sagesse de la Cour suprême quant à l’interprétation de la violation alléguée de l’article 2.

Il me semble possible de contrer l’argument selon lequel le projet de loi est inconstitutionnel. Nous devrions le savoir, étant donné que de nombreuses provinces — presque 10 provinces, selon la liste établie par mon collègue, le sénateur Baker — ont des mesures législatives semblables. Nous aurions ensuite au pays une loi définitive, que tout le monde devrait respecter et s’y adapter. Donc, plutôt que de chercher à modifier le projet de loi, ne serait-ce pas là une façon moins coûteuse et plus efficace de lever les doutes que vous entretenez à l’égard de ce projet de loi, sur le plan constitutionnel?

M. Cameron : De mon point de vue, les divergences entourant le projet de loi constituent un drapeau rouge. Il convient donc de régler ces divergences, mais pas nécessairement en saisissant de la question un tribunal formé de gens qui ont chacun des réserves à cet égard. Beaucoup de témoins, des spécialistes du droit pénal et des spécialistes de la Charte, vous ont expliqué les raisons de leurs préoccupations à l’égard du projet de loi. Il me semble que si vous voulez défendre les principes d’une société libre, la chose à faire est d’inclure dans le projet de loi un amendement visant à dissiper les inquiétudes de beaucoup de gens. Cela dit, le Sénat est libre de renvoyer le projet de loi à la Cour suprême du Canada afin qu’elle tranche la question.

Le sénateur Joyal : Nous pourrions modifier le projet de loi pour préciser qu’il n’entrera pas en vigueur tant qu’il n’aura pas été renvoyé à la Cour suprême. C’est une possibilité. Évidemment, ce n’est pas ce que vous préconisez. Vous préférez que le projet de loi soit modifié, puis qu’il soit contesté devant les tribunaux. D’une façon ou d’une autre, comme l’ont indiqué les témoins précédents, ce genre de proposition est susceptible de mener à des contestations judiciaires.

M. Pardy : Cependant, votre objectif n’est pas clair. Le projet de loi vise-t-il à imposer l’utilisation de certains termes? Certains disent que ce n’est absolument pas le cas. Si c’est votre intention, dites-le; le texte doit traduire l’intention. Pourquoi vous en remettre aux tribunaux pour établir les lois du pays? Vous êtes le corps législatif, alors légiférez.

Le sénateur Joyal : Certes, nous avons ce pouvoir, mais vous faites valoir que si nous adoptions ce projet de loi, il serait inconstitutionnel.

M. Pardy : Pas si vous ajoutez l’amendement, sénateur.

Le sénateur Joyal : Par rapport à la version actuelle. Autrement dit, vous estimez que s’il n’est pas modifié, le projet de loi pourrait être — et sera certainement — contesté.

M. Pardy : Toutefois, en ce moment, vous n’avez même pas une idée précise de ce que la cour pourrait examiner, parce que vous n’avez pas encore demandé l’interprétation de la commission. Donc, tout est possible. Pourquoi ne pas déterminer ce que vous voulez inclure et rédiger le libellé en conséquence? Ensuite, s’il y a des contestations constitutionnelles...

Le président : Nous devons en rester là.

La sénatrice Frum : Maître Cameron, vous avez été interrompu au début de votre intervention, au moment où vous vouliez proposer un amendement. Je vous invite à terminer votre intervention.

Monsieur Pardy, vous avez indiqué que votre proposition d’amendement se trouve dans votre mémoire, mais je ne l’ai pas sous la main. Je me demande si vous pourriez l’expliquer de nouveau. Je tiens à vous donner l’occasion d’en faire la proposition.

M. Cameron : Pour expliquer l’amendement, je vais prendre le cas du professeur Peterson comme exemple. C’est un universitaire; il souhaite rédiger des articles sur cet enjeu d’un point de vue universitaire, dans une perspective scientifique, sociologique et psychologique. Donc, il souhaite accroître les connaissances naissantes, la littérature scientifique, sur cette question précise. Voyons les choses en face; il ne faut pas ignorer la réalité: l’identité de genre suscite beaucoup de désaccords au sein de la communauté scientifique.

Donc, pour protéger des gens comme M. Peterson — des gens qui ont à mon avis parfaitement le droit de faire des recherches et d’en publier les résultats sans avoir à craindre d’enfreindre l’article 319 du Code criminel —, l’une des solutions pourrait être d’ajouter un amendement formulé de façon à indiquer ce qui suit: « Il est entendu que le défaut ou la réticence quant à l’utilisation de pronoms neutres ou d’identificateurs de genre ne peuvent en aucun cas être interprétés comme portant atteinte à cette loi, que ce soit dans un contexte pénal ou dans un contexte lié au Code des droits de la personne. » Je pense que M. Pardy et moi sommes plutôt d’accord pour dire que cela aiderait considérablement à démontrer l’intention réelle du législateur et l’importance qu’il accorde aux droits des Canadiens, c’est-à-dire le droit d’avoir une opinion à ce sujet et le droit de l’exprimer.

M. Pardy : Je vais vous le lire, rapidement; c’est très court. Il s’agirait d’un ajout au projet de loi.

L’article suivant est ajouté à la Loi canadienne sur les droits de la personne:

3.1 a) Rien dans la présente loi ne contraindra quiconque à employer un terme ou une expression en particulier pour désigner toute autre personne:

b) Il est entendu que l’utilisation des pronoms masculins et féminins pour désigner toute personne ne constitue pas une pratique discriminatoire, la présente disposition n’influant en rien sur le caractère général de l’alinéa a).

La sénatrice Frum : D’accord, mais la dernière phrase est en réalité contraire à l’expression de genre. L’inclusion des termes « expression de genre » dans le projet de loi vise précisément à forcer les gens à employer des pronoms qui ne correspondent pas à la notion d’homme ou de femme.

M. Pardy : N’est-ce pas là la question? Si l’expression de genre vise précisément à forcer les gens à employer certains pronoms, il s’agit d’un discours forcé. Voilà la question. Ce n’est toutefois pas la seule interprétation possible de l’expression de genre. Cela peut aussi signifier que les gens ont le droit d’exprimer leur genre comme ils l’entendent et qu’on ne peut leur refuser un emploi pour cette raison précise. J’estime que cette interprétation devrait être la norme et devrait avoir un effet semblable aux autres motifs qui sont maintenant inclus dans le projet de loi.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur Pardy, j’ai une question à vous poser, soit une question principale et une question complémentaire. La question principale est la suivante : dans votre proposition d’amendement, à la page 7 de votre présentation, avez-vous envisagé la possibilité que ce genre d’amendement ait pour effet de miner la théorie actuelle selon laquelle les droits qui sont reconnus dans la Loi sur les droits de la personne sont tous égaux et n’ont pas de statut particulier qui puisse les mettre à l’abri, d’une façon ou d’une autre, des autres droits?En présentant ce genre d’amendement, ne croyez-vous pas qu’on attire l’attention sur un motif? En ajoutant un motif au projet de loi C-16 tel quel, cela n'a-t-il pas pour effet de diminuer la protection des autres motifs de discrimination?

[Traduction]

M. Pardy : Je ne crois pas, non. Je pense que cela découle de la particularité de ce motif, car il s’agit du seul motif qui soulève une question de langue. L’ironie, c’est qu’avec le discours forcé, avec ce motif précis, nous nous retrouverons dans une situation où les gens de cette catégorie seront les seuls à avoir des droits plus étendus que tous les autres. Ils seront en effet les seuls à pouvoir exiger que les gens changent leur discours. Je ne peux imaginer aucun autre motif qui aurait les mêmes conséquences. La question de la langue ne se pose pas dans les cas de la discrimination fondée sur le sexe et sur l’âge, par exemple. Comme Me Cameron l’a indiqué, il n’y a dans notre société aucune autre catégorie de gens qui puisse exiger qu’on emploie certains termes pour s’adresser à eux. Si vous vous adressez à moi en employant un terme que je n’aime pas, tant pis. La seule exception est celle qu’on prévoit pour ce motif et ce groupe.

[Français]

La sénatrice Dupuis : L’autre argument qui a été soulevé par le groupe qui est devant nous aujourd’hui concerne la protection des droits des femmes. Dans le cas du motif du sexe, en ce qui concerne les femmes, beaucoup de personnes de sexe masculin considèrent qu'il est acceptable de traiter les femmes de n’importe quel nom. Or, on a protégé la raison pour laquelle on a décidé d’interdire la discrimination fondée sur le sexe ou le harcèlement, d’ailleurs. C’est précisément parce que des gens croyaient qu’ils avaient la possibilité d’utiliser n’importe quel langage. Cela ne veut pas dire que les gens ne peuvent plus parler au Canada, mais il y a une interdiction d’utiliser des termes qui dépassent une certaine limite qui a été établie par la jurisprudence.À ce moment-là, ne vient-on pas court-circuiter l’égalité de la protection qu’on donne à différents motifs?

[Traduction]

M. Pardy : Je ne pense pas. À mon avis, le terme important de votre question est « interdiction ». En ce qui concerne l’emploi d’un langage discriminatoire, vous laissez entendre qu’on pourrait interdire l’emploi de certains termes pour une catégorie de personnes. C’est peut-être le cas. Quoi qu’il en soit, cela demeure une interdiction, et non une exigence. Dans le cas présent, on parle d’exiger l’emploi d’un pronom précis à la demande d’une personne, et de la possibilité que cette personne puisse vous menacer de porter plainte à la Commission des droits de la personne si vous n’accédez pas à sa demande. C’est un cas unique parmi tous les motifs inscrits dans la loi.

La sénatrice Batters : Merci à tous d’être ici.

J’ai une question pour l’association Pour les droits des femmes du Québec. Selon vous, quelle incidence ce projet de loi pourrait-il avoir sur les espaces sécuritaires pour les femmes?

[Français]

Diane Guilbault, vice-présidente, Pour les droits des femmes du Québec : La reconnaissance de l’identité de genre permet à un homme qui se sent femme d’entrer dans des espaces qui étaient réservés aux femmes sur la base du sexe. Les femmes ont mis beaucoup de temps à obtenir des protections, non pas sur la base du genre, mais sur la base du sexe. Dans ce débat, il y a beaucoup de confusion entre les deux termes, particulièrement en anglais où on utilise souvent le mot « gender » plutôt que le mot « sex ». En français, on l’utilise de façon différente. Nous avons utilisé les termes tel que le font officiellement le gouvernement du Canada et toutes les organisations qui se penchent sur l’égalité entre les hommes et les femmes.

Certains droits sont basés sur le sexe des femmes et non pas sur leur genre. Ce n’est pas parce que des femmes portent des souliers, s’habillent de telle façon ou sont soumises qu’elles ont besoin d’espaces séparés. C’est pour assurer leur protection. Dans la présentation PowerPoint, on vous a fourni des statistiques sur la violence faite aux femmes. Cette violence masculine, hélas, elle existe. Des protections ont été accordées aux femmes, qui sont les principales victimes de cette violence masculine. Les chiffres de Statistique Canada le confirment : la violence contre les femmes est bien présente et les femmes ont des raisons précises et avérées d’assurer leur sécurité. Récemment, le gouvernement du Canada, par l’entremise de sa ministre responsable de la Condition féminine, s’est engagé à prévenir la violence faite aux femmes lors de sa déclaration à l’ONU le 15 mars dernier.

À partir du moment où le concept d’identité de genre n’est pas défini, comme on l’a vu plus tôt, et peut être très subjectif et non vérifiable, cela veut dire que n’importe quel homme peut invoquer une identité de genre pour pénétrer dans des espaces sécuritaires pour les femmes, des espaces basés sur le sexe.

Si on reconnaît l’identité de genre comme étant l’équivalent du sexe, on vient de faire disparaître les protections basées sur le sexe. C’est une préoccupation. On a donné deux exemples dans le contexte des prisons et des sports, où les différences physiques sont évidentes, particulièrement dans les sports. Serena Williams, une grande championne de tennis, a même affirmé qu’elle ne pourrait pas battre les 100 meilleurs joueurs de tennis. Dans le domaine de la compétition sportive, on s’aperçoit que les différences basées sur le sexe sont importantes et que les nier, c’est nier les droits des femmes.

Depuis la signature de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimation à l'égard des femmes (CEDEF) en 1982, le gouvernement s’est engagé à lutter contre la discrimination faite aux femmes et à lutter pour leur égalité. Or, leur égalité passe par la protection des espaces qui leur sont destinés sur la base du sexe et par la protection des programmes, comme l’accès à des postes de pouvoir. Divers programmes dans les différentes provinces du Canada ont pour but d’augmenter la participation des femmes dans des lieux de pouvoir. Il y a aussi des programmes pour les vestiaires et des endroits sécuritaires pour les femmes.

Dans les prisons, là aussi le problème se pose. Dans le cas des détenus masculins reconnus coupables de violence sexuelle à l’endroit des femmes — c’est la raison pour laquelle ils sont en prison —, rien ne les empêche d’invoquer une identité de genre pour demander un transfert dans une prison pour femmes. En Grande-Bretagne, où on a étudié un texte de loi similaire au projet de loi C-16, c’est exactement ce que l’association des spécialistes du genre a déclaré après avoir étudié les demandes de détenus d’être transférés dans une prison pour femmes. Ils n’ont rien à perdre. Ils sont en prison pour 20, 25, 30 ans. Rien n’empêche ces détenus reconnus coupables de violence de demander un transfert. À ce moment-là, ce sont les femmes qui sont en danger.

Nous sommes préoccupées de voir que, depuis le début, la question des femmes, notamment dans le cadre des débats à la Chambre des communes, a été...

[Traduction]

Le président : Nous devons terminer ici. Je suis désolé.

Nous avons le temps pour une brève question. Sénateur Gold.

[Français]

Le sénateur Gold : J’aimerais faire un suivi en ce qui concerne la dernière question. Je comprends et je respecte vos préoccupations. La solution n’est-elle pas d’éliminer la protection contre la discrimination des personnes transgenres ou de reconnaître qu’il y a des contextes, peut-être les deux et d’autres que vous avez mentionnés, dans lesquels une discrimination serait « raisonnable » compte tenu du besoin de protéger les femmes et des différences physiques, ou peu importe?

Mme Guilbault : Déjà, en 2013, le président de la Commission canadienne des droits de la personne avait affirmé que les droits des personnes transgenres étaient protégés par la Charte et que la commission recevait et traitait déjà des plaintes liées à la discrimination contre les personnes transgenres. Nous sommes tout à fait d’accord avec cela. Nous croyons qu’il faut protéger les personnes qui ne se conforment pas aux stéréotypes de genre associés à leur sexe de naissance. Ces personnes ne devraient pas perdre leur emploi et être l’objet de discrimination.

Toutefois, n’y a-t-il pas des balises à poser? À partir du moment où ce sont des protections basées sur le sexe, l’identité de genre ne devient-elle pas automatiquement synonyme d’un changement de sexe? On peut faire un changement de genre. Beaucoup de personnes le font, mais le changement de sexe, biologiquement, cela ne se fait pas. Dans certaines circonstances, l’appartenance à un sexe, le sexe féminin — parce que c’est là que les dangers se posent —, c’est important de le respecter. Pour en avoir le cœur net, nous avons demandé — au moment de l’adoption du projet de loi par le gouvernement — de faire une analyse comparative selon les sexes. C’est un engagement de la part du gouvernement du Canada de s’assurer, avant l’adoption d’un projet de loi, que la loi ne brimera pas les droits des femmes et qu’elle favorisera éventuellement les droits des femmes. Notre demande principale, tel que le rappelait d’ailleurs le vérificateur général en 2016, c’est que cette analyse comparative soit réalisée. On pourrait ainsi jauger les secteurs où il pourrait y avoir des différences d’application pour assurer les droits des femmes, notamment leur droit à la sécurité.

[Traduction]

Le président : Je remercie les témoins d’être venus pour aider le comité dans son étude du projet de loi C-16. Nous vous en sommes très reconnaissants.

(La séance est levée.)

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