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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 60 - Témoignages du 1er mai 2019


OTTAWA, le mercredi 1er mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, se réunit aujourd’hui à, 15 h 32, pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du comité.

[Traduction]

J’ai le plaisir d’accueillir cet après-midi le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l’honorable David Lametti.

[Français]

Bienvenue, monsieur le ministre. Vous êtes accompagné de M. François A. Daigle, sous-ministre délégué, que nous avons déjà eu le plaisir de recevoir à ce comité, et de Mme Laurie Wright.

Monsieur le ministre, vous connaissez le sujet de notre étude aujourd’hui, soit le projet de loi C-75, qui modifie plusieurs dispositions du Code criminel du Canada à la suite de différentes décisions des tribunaux canadiens. Nous avons hâte de vous entendre.

[Traduction]

Vous avez la parole, monsieur le ministre.

[Français]

L’honorable David Lametti, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Bonjour. Monsieur le président, je suis heureux d’être ici aujourd’hui avec mes collègues alors que le comité entame son étude du projet de loi C-75.

J’aimerais d’abord remercier le comité du rôle important qu’il joue dans l’étude du problème des délais dans le système de justice pénale. Votre rapport sur ce sujet contenait des renseignements opportuns et donnait un aperçu des causes de ces délais et des solutions possibles. Les 138 témoignages qui représentaient les diverses perspectives du système de justice pénale ont également été d’une valeur inestimable.

Depuis l’arrêt Jordan de la Cour suprême, nous avons un nouveau cadre pour déterminer à quel moment il y a une atteinte au droit, garanti par la Charte, d’être jugé dans un délai raisonnable. Depuis, tous les professionnels du système de justice pénale évaluent attentivement leur rôle dans la réduction des délais.

Comme le gouvernement l’a mentionné dans sa réponse à votre rapport, les provinces et les territoires, qui sont responsables de l’administration de la justice, continuent d’évaluer et de mettre en œuvre des mesures visant à accroître les gains d’efficacité.

Le gouvernement fédéral, quant à lui, continue d’appliquer une stratégie à plusieurs volets qui comprend les éléments suivants :

D’abord, il y a la réforme du droit. Deuxièmement, nous faisons des investissements dans les programmes qui aident à réduire les délais dans le système de justice pénale, comme l’aide juridique et le Programme d’assistance parajudiciaire aux Autochtones. Troisièmement, nous établissons une collaboration fédérale-provinciale-territoriale afin de nous attaquer aux facteurs contribuant aux délais judiciaires. Quatrièmement, nous avons créé de nouveaux postes et nommé plus de 290 personnes à la magistrature.

Le projet de loi C-75 s’inscrit directement dans des domaines de réforme législative prioritaire approuvée par tous les ministres fédéraux-provinciaux-territoriaux responsables de la justice afin de s’attaquer aux délais judiciaires. Il s’agit d’un projet de loi d’une grande envergure, et je tiens à en souligner quelques dispositions importantes.

Comme ce comité l’a recommandé, le projet de loi moderniserait et simplifierait le régime de mise en liberté sous condition de plusieurs façons.

Il adopterait un « principe de retenue » pour les policiers et les tribunaux, afin de veiller à ce que ceux-ci privilégient la mise en liberté dans les plus brefs délais plutôt que la détention lorsqu’il est raisonnable de le faire, et afin que seules des conditions raisonnables et nécessaires dans les circonstances soient imposées à ceux qui sont mis en liberté provisoire.

De plus, il codifierait une exigence selon laquelle les policiers et les tribunaux doivent tenir compte des circonstances uniques des accusés autochtones et de ceux qui proviennent de populations vulnérables lors de leur mise en liberté provisoire. Cela répondrait aux recommandations 31 et 34 du rapport de ce comité. Le projet de loi renforcerait aussi les protections pour les victimes de violence exercée par un partenaire intime dans les dispositions relatives à la mise en liberté provisoire.

Depuis l’adoption de ce nouveau régime par la Chambre, la Cour suprême a rendu une décision pertinente sur ce sujet.

[Traduction]

Dans l’affaire Myers, la Cour suprême a tenu compte du moment où le statut de détention des prévenus en détention provisoire devrait être réexaminé. Elle a conclu qu’il n’est pas nécessaire d’établir qu’il y a eu un délai déraisonnable dans ladite affaire pour déclencher un examen. Chaque cas doit plutôt être réexaminé après qu’un certain nombre de jours se soient écoulés.

[Français]

Je tiens à vous assurer que le projet de loi C-75 est conforme à cette décision. Cela dit, nous consultons nos homologues provinciaux et territoriaux, ainsi que des intervenants, afin de déterminer si des modifications mineures devront néanmoins être apportées.

Le projet de loi améliorerait l’approche actuellement utilisée pour les infractions contre l’administration de la justice, y compris pour les jeunes, en créant un nouvel outil pour les cas où l’infraction alléguée n’a pas causé de dommages corporels, moraux ou économiques à la victime.

Il répondrait ainsi à la recommandation 33 du comité, qui fait partie de ses recommandations prioritaires.

[Traduction]

Le projet de loi propose également de limiter les enquêtes préliminaires aux infractions passibles d’une peine d’emprisonnement à perpétuité. Cette mesure est conforme à la recommandation 7 visant à éliminer ou à limiter le recours aux enquêtes préliminaires, laquelle était également une recommandation prioritaire.

Nous procédons également au reclassement des infractions afin de donner aux procureurs le pouvoir discrétionnaire dont ils ont besoin pour choisir le mode procédural le plus efficace en fonction de l’infraction.

Les provinces et les territoires ont appuyé vivement cette réforme, car elle est audacieuse et car elle aura, nous l’espérons, une incidence fondamentale et cumulative sur les retards dans le système de justice pénale. Mais permettez-moi d’être parfaitement clair : il ne s’agit pas de diminuer ou d’alléger les peines. Une infraction grave continuera d’être prise au sérieux par les tribunaux. La peine maximale par mise en accusation ne changera pas.

Conformément à vos recommandations, le projet de loi C-75 améliore également le processus de sélection des jurés pour éliminer les pratiques discriminatoires et le rendre plus transparent, promouvoir l’équité et l’impartialité et améliorer l’efficacité globale de nos procès devant jury.

À la suite de l’étude approfondie de ce projet de loi dans l’autre chambre, un certain nombre d’amendements ont été adoptés pour améliorer les objectifs du projet de loi.

Notamment, même si le comité était généralement d’accord avec le reclassement des infractions, il a entendu des témoignages convaincants sur la nécessité d’un traitement spécial pour les infractions liées au terrorisme et à l’encouragement au génocide. Ce sont des infractions très graves, car ce sont des crimes contre l’humanité. Par conséquent, le comité a décidé que ces infractions devaient demeurer des infractions punissables directement par voie de mise en accusation. Nous sommes d’accord.

De même, bien que la disposition sur les éléments de preuve de routine présentés par la police a pour objectif de réduire les délais judiciaires — ce qui est louable —, les témoignages ont permis de constater que le plan, tel que proposé, aurait manifestement pu avoir des conséquences indésirables imprévues, particulièrement pour un accusé non représenté.

D’autres modifications portaient sur l’abrogation de dispositions inconstitutionnelles, y compris les infractions relatives aux maisons de débauche et au vagabondage, lesquelles ont été utilisées de façon discriminatoire contre la communauté LGBTQ2 notamment, pour les bains pour homosexuels ou les clubs d’échangistes.

Je suis également heureux qu’un amendement ait été apporté pour réduire tout effet involontaire sur la représentation par un agent dans les infractions punissables par procédure sommaire.

L’approche choisie — soit donner aux provinces et aux territoires d’autres pouvoirs pour établir des critères concernant qui peut comparaître en tant qu’agent dans les infractions punissables par procédure sommaire, et à permettre aux agents de comparaître pour les ajournements — respecte les responsabilités des provinces et territoires et offre la marge de manœuvre nécessaire pour reconnaître que la représentation par un avocat est réglementée de façon différente partout au Canada.

Permettez-moi maintenant de me concentrer sur le régime de la suramende compensatoire pour le reste de mes observations. Bien que le projet de loi propose d’importantes modifications à ce régime pour qu’il cadre avec les décisions antérieures des tribunaux, il a été entièrement rejeté juste après le dépôt du projet de loi au Sénat.

Dans l’arrêt Boudreault, la Cour suprême a conclu qu’il contrevenait à l’article 12 de la Charte parce qu’il pouvait entraîner des peines nettement disproportionnées, notamment pour les délinquants vulnérables ou marginalisés.

Par conséquent, la suramende compensatoire fédérale, qui est utilisée par les provinces et les territoires pour financer une partie des services aux victimes, n’a pas été imposée au moment du prononcé de la peine depuis le 14 décembre 2018.

Comme cette suramende joue un rôle important quant à la responsabilisation des délinquants envers les victimes, nous devons corriger cette situation.

Après avoir consulté les provinces, les territoires, l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels et les parties intéressées, nous avons trouvé une voie à suivre. À cette fin, nous proposerons des amendements qui donneront aux juges un pouvoir discrétionnaire supplémentaire qui leur permettra de déterminer quand la suramende devrait être appliquée.

Cette recommandation cadre avec la décision dans l’affaire Boudreault et permet de continuer à s’assurer que les délinquants soient tenus responsables devant les victimes et la société dans son ensemble.

Le projet de loi C-75 propose de nombreux changements qui, de façon cumulative, ouvrent la voie à un changement significatif dans le traitement des dossiers dans notre système. Individuellement et collectivement, tous ces changements serviront à prendre des mesures nécessaires et efficaces qui permettront de réduire les délais judiciaires.

Merci. Meegwetch.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre.

[Traduction]

Nous aurons des questions à vous poser. J’en ai moi-même, mais je suis habituellement le dernier.

[Français]

Il me fait plaisir d’inviter madame la sénatrice Dupuis, vice-présidente du comité, à ouvrir le débat cet après-midi.

La sénatrice Dupuis : Monsieur le ministre, merci d’être parmi nous aujourd’hui.

Comme vous l’avez dit, ce projet de loi couvre plusieurs sujets différents. En fait, on a réuni plusieurs projets de loi précédents dans un seul, le projet de loi C-75, qui est devant nous.

Vous avez parlé des offenses mixtes. Vous créez davantage d’offenses mixtes, ce qui donnera la discrétion au poursuivant de choisir un mode d’accusation plutôt qu’un autre et l’un est perçu comme étant plus léger. Quels facteurs vous ont amené à accorder cette discrétion? Outre la question des délais, vous avez insisté sur la nécessité d’accélérer la justice. Quels facteurs vous ont amené à faire ce choix?

M. Lametti : D’abord, je dois souligner que la perception est fausse, en ce sens qu’on ne touche pas aux peines. Les offenses demeurent des offenses. Si, dans les faits, l’offense est sérieuse, elle sera traitée sérieusement par les procureurs et les tribunaux.

On a donné plus de flexibilité aux procureurs justement pour augmenter l’efficacité du système. Parfois, une offense peut ne pas être si grave et il est préférable de procéder par le biais d’une procédure sommaire. Dans d’autres cas, quand l’offense est très sérieuse, la meilleure façon de procéder est par voie de mise en accusation. Nous avons ajouté des offenses mixtes uniquement pour rendre le système plus efficace et donner aux procureurs la possibilité de tenir compte des faits dans n’importe quelle situation.

La sénatrice Dupuis : Par ailleurs, pour ce qui est des personnes vulnérables, on ajoute dans le projet de loi que la décision que devra rendre un juge, en vertu de l’article 493.2, si l’accusé est Autochtone est considéré comme une personne vulnérable... On a choisi de ne pas définir... En fait, ce n’est pas très clair. En général, on dit que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Qu’est-ce que qui vous a amené à choisir cette formulation? On semble donner deux facteurs. Si vous êtes vulnérable parce que vous avez été surreprésenté dans le système de justice criminelle ou que vous êtes désavantagé pour obtenir une mise en liberté sous condition, est-ce que ce sont deux facteurs dont les juges devront tenir compte, y compris d’autres facteurs qui sont à leur discrétion? Ou alors, se limite-t-on à ces deux facteurs pour déterminer qu’une personne est considérée comme vulnérable? On ne donne pas nécessairement une définition, mais deux critères. Que doit-on comprendre de la formulation qui a été choisie?

M. Lametti : Le défi, avec une définition, c’est qu’elle peut être trop large ou trop étroite. Ici, on laisse aux juges, comme on doit le faire dans le système de justice pénale avec des arrêts comme Gladue, la discrétion de considérer le contexte et de le définir. Il s’agit vraiment d’une conversation entre les participants du système de justice pénale. Il revient aux juges et aux procureurs de déterminer qui est vulnérable. Il revient aux juges de déterminer comment traiter et évaluer le fait que le prévenu fait partie d’une population vulnérable.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre. Je souhaite aussi la bienvenue à vos collaborateurs.

Le projet de loi C-75 est un document monumental. Environ 116 infractions seront révisées à la baisse, ce qui est quand même majeur dans l’exercice que vous proposez. J’ai regardé le projet de loi à titre de représentant des victimes et une partie de celui-ci m’a fait sursauter. Vous augmentez à deux ans moins un jour les peines pour certaines infractions, comme à l’alinéa 445(2)b), où il est question, par exemple, de blesser un animal. Toutefois, vous gardez à 18 mois une peine imposée pour une infraction d’agression sexuelle commise à l’endroit d’une personne de 16 ans. J’essaie de comprendre la logique. On sera moins sévère dans le cas d’une agression sexuelle que dans un cas où on blesse un animal, qui sera passible d’une peine de deux ans moins un jour. Tant qu’à augmenter la peine à deux ans moins un jour pour certaines infractions, pourquoi ne pas les augmenter toutes, surtout dans les cas d’agression sexuelle?

M. Lametti : Je ne suis pas d’accord avec votre énoncé à l’effet que, pour certaines offenses, on a réduit les peines. Il est vrai que nous avons créé certaines offenses mixtes. Toutefois, comme je viens de l’expliquer à votre collègue, c’est une façon de donner une discrétion.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, j’ai le tableau devant les yeux. Je ne veux pas commencer un débat avec vous. Certaines peines qui, auparavant, étaient passibles d’un maximum de dix ans ou de cinq ans passent maintenant à deux ans moins un jour. Je considère donc qu’elles sont à la baisse.

M. Lametti : Les peines maximales existent toujours. Cependant, les faits font en sorte que, parfois, certains cas devraient être traités d’une manière différente. Notre but est de rendre le système plus juste, plus transparent et plus efficace, pour donner une discrétion au service de poursuite afin qu’il prenne les mesures qui s’imposent. Les peines maximales existent toujours. Lorsque les faits montrent qu’il s’agit de délits graves...

Le sénateur Boisvenu : Toutefois, vous avez réduit les peines au minimum. Par exemple, dans les cas d’enlèvement d’enfants de 14 ans et moins, il faudra choisir entre une amende et une peine d’emprisonnement.

M. Lametti : Effectivement, c’est un bon exemple que vous venez de donner, parce que...

Le sénateur Boisvenu : Je veux juste préciser ma question. Une personne qui kidnappe un enfant et qui reçoit une amende plutôt qu’une peine d’emprisonnement, pour les victimes ou les familles, pour les parents, c’est comme faire marche arrière.

M. Lametti : Dans certains cas, il pourrait s’agir d’un enlèvement par erreur. Comme je viens de l’expliquer, dans certains cas, un enlèvement survient en raison d’un conflit familial. Plusieurs facteurs contribuent à déterminer la gravité d’un enlèvement, à savoir si la personne impliquée doit écoper d’une peine maximum. Dans d’autres circonstances, ce serait injuste et trop lourd pour le système de justice si on imposait des peines trop sévères.

Il s’agit de donner à la poursuite le pouvoir de déterminer les mesures qui s’imposent. Donc, ce n’est pas vrai que c’est moins sérieux. Cela ajoute une certaine flexibilité et c’est très important, selon nous.

Le sénateur Boisvenu : La perception du côté de la victime, si vous infligez une amende plutôt que d’imposer une peine d’emprisonnement pour des infractions de cette nature-là, est évidemment que la défense ira toujours vers le minimum. J’ai une autre question...

M. Lametti : Je ne suis pas d’accord avec vous.

Le sénateur Boisvenu : J’aimerais soulever un point au sujet de la perception des victimes vis-à-vis du système de justice. Elles ont toujours l’impression que le système de justice est objectif. On a appris récemment qu’on utilise des grilles politiques pour nommer des juges. Cela m’a surpris, parce que je pensais que la nomination des juges était objective. Je connais très bien le processus de nomination des juges. Il y a d’abord les comités régionaux — dont deux du Québec, qui sont composés de citoyens —, puis il y a la liste courte et à ce moment-là, il y a des critères dits « politiques ». Les citoyens et les policiers qui sont nommés aux comités régionaux passent-ils par la lorgnette d’une grille politique?

M. Lametti : Je peux vous affirmer que les nominations qui ont été faites sont de très grande qualité. Je n’ai pas nommé des personnes qui m’ont servi de témoins à mon mariage. Je peux vous le dire.

Nous avons mis sur pied des comités et cela fonctionne de façon exemplaire. Nous avons nommé des juges émérites et nous avons été félicités de cette initiative partout au pays, même au Québec.

C’est vrai, ces éléments d’information nous permettent de faire les vérifications nécessaires pour chacun des candidats et candidates. Les avocats ont le droit de faire des dons aux partis politiques et ils ont le droit de poser leur candidature même s’ils font des dons à un quelconque parti politique. Je peux vous dire que j’ai nommé des personnes qui ont fait des dons à plusieurs partis politiques partout au Canada.

Le sénateur Boisvenu : Vous comprendrez que, vu de la perspective des victimes d’actes criminels, qui devraient être au cœur du système judiciaire, ce que les victimes souhaitent par-dessus tout, c’est l’indépendance des tribunaux. Ce dont on entend parler le plus, c’est que cette indépendance est relativement entachée de critères dits « politiques ». Je comprends qu’on peut nommer des juges très compétents, mais il reste que cela soulève des interrogations.

M. Lametti : Ce n’est pas un critère. Cela ne favorise ni n’exclut personne. Les comités d’évaluation aux quatre coins du Canada travaillent avec des critères très clairs et ils font un travail exemplaire.

Sénateur, je n’hésiterais pas à comparer, à quelque moment que ce soit, le bilan de notre gouvernement en matière de nominations à celui de l’ancien gouvernement de M. Harper.

Le sénateur Boisvenu : Il faudrait voir.

Le sénateur Carignan : Cela vous semblera étrange, monsieur le ministre, mais ma question porte sur le numéro du projet de loi.

Je m’explique. Le projet de loi C-74 a été déposé le 27 mars 2018. C’était un projet de loi budgétaire omnibus qui contenait, à l’article 20, des dispositions sur les ententes de réparation que SNC-Lavalin veut toujours utiliser.

Le projet de loi C-75 a été déposé deux jours plus tard, le 29 mars 2018... C’est une réforme assez exhaustive, car on parle de 400 articles du Code criminel.

Pourquoi les ententes de réparation n’ont-elles pas été incluses dans le projet de loi C-75?

M. Lametti : Le fil conducteur dans le projet de loi C-75 est assez cohérent, sénateur. Il a pour but de réduire les délais dans le système pénal. Nous avons consulté les provinces, les territoires, les experts et nous avons travaillé avec ce comité et avec d’autres comités.

Le sénateur Carignan : Les ententes de réparation font également partie de l’objectif.

M. Lametti : Ce n’est pas le même objectif.

Le sénateur Carignan : Il y avait de longs procès compliqués qui comportaient des aspects financiers et qui duraient des mois ou des années. On a cru qu’il était préférable d’éviter les procès pour ne pas embourber les tribunaux et de conclure des ententes de réparation. C’est exactement la même philosophie que vous essayez de nous vendre avec le projet de loi C-75.

M. Lametti : Bien respectueusement, je ne partage pas votre avis. Les accords de réparation ont d’autres buts qui n’ont rien à voir avec les délais dans le système de justice. Nous avons ici un projet de loi très cohérent. Il est le produit de consultations tenues à travers le Canada.

Le sénateur Carignan : Quel est l’article du projet de loi C-75 que vous avez glissé quelque part, auquel nous devrions faire attention et qui nous rebondira au visage dans un an?

M. Lametti : À notre avis, l’ensemble du projet de loi est très positif et il apporte des améliorations majeures. Évidemment, il y a plusieurs parties. C’est la réponse du gouvernement fédéral au défi des délais dans le système de justice. Nous travaillons avec les provinces et les territoires pour réduire ces délais. Si un article doit être modifié d’ici un an, nous le ferons. Pour l’instant, nous croyons que nous arrivons à une bonne conclusion.

Le sénateur Carignan : Je n’ai plus de questions.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Merci de votre exposé, monsieur le ministre.

Le projet de loi C-75 crée un régime de peines consécutives pour la traite de personnes. Comme vous le savez, la déclaration relative à la Charte a soulevé des préoccupations quant à la constitutionnalité du régime proposé, lequel entrerait en vigueur à la date fixée par décret du gouverneur en conseil.

Comme vous le savez, l’ancien projet de loi C-452 a reçu la sanction royale en juin 2015, mais il n’a jamais été mis en vigueur par décret du gouvernement fédéral.

Je me demande donc : pourquoi retarder l’entrée en vigueur de ces dispositions sur la traite des personnes?

M. Lametti : D’après ce que je comprends, encore une fois, on souhaite ainsi donner au système une certaine latitude pour se préparer à l’entrée en vigueur de cette disposition particulière. On s’accorde une certaine marge de manœuvre. Mme Wright pourrait peut-être donner plus de détails à ce sujet, si le sénateur le souhaite.

Laurie Wright, sous-ministre adjointe principale, ministère de la Justice Canada : Je souhaite bien comprendre la question. Est-ce le retard dans l’entrée en vigueur qui vous préoccupe?

Le sénateur McIntyre : Oui. Comme vous le savez, le projet de loi C-452, présenté par un ancien député, a reçu la sanction royale en juin 2015, il y a quatre ans, mais il n’a jamais été mis en vigueur par décret du gouvernement fédéral. Ce projet de loi était très important et concernait le régime de peines consécutives.

Mme Wright : Son intégration au projet de loi C-75 permettra l’entrée en vigueur de certaines dispositions en même temps que l’entrée en vigueur du reste du projet de loi dans le régime de la traite de personnes.

La proposition de l’ancien projet de loi d’imposer des peines consécutives obligatoires n’entrera pas en vigueur, compte tenu de la position du gouvernement. Comme vous l’avez souligné, cette position a été énoncée dans la déclaration relative à la Charte et concerne la possibilité qu’il limite de façon injustifiée le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités en vertu de l’article 12 de la Charte.

Le sénateur McIntyre : Monsieur le ministre ou mesdames, messieurs les fonctionnaires du ministère de la Justice, pourriez-vous expliquer pourquoi la peine maximale pour deux infractions punissables par procédure sommaire n’est pas modifiée? Il s’agit des infractions d’exhibitionnisme à l’égard d’une personne âgée de moins de 16 ans, alinéa 173(2)b) du code, et d’agression sexuelle à l’égard d’une personne âgée de 16 ans ou plus, alinéa 271b) du code. J’ai de la difficulté à comprendre. Ces infractions prévoient des peines maximales de six mois et de 18 mois respectivement, mais selon le projet de loi C-75, la peine pour les infractions punissables par procédure sommaire sera portée à deux ans moins un jour.

Pourquoi ces deux infractions punissables par procédure sommaire n’ont-elles pas été modifiées?

Mme Wright : Je vais devoir m’engager à revenir devant le comité avec une réponse à cette question.

Le sénateur McIntyre : Je vous en prie.

Mme Wright : Comme vous le savez, le projet de loi est vaste et technique. Nous voulons être en mesure de répondre à toutes les questions aussi précisément que possible, alors je vais y répondre dès que je le pourrai.

Le président : Pouvez-vous répondre d’ici demain, si possible, madame Wright?

Mme Wright : Bien sûr.

Le président : Le comité se préoccupe également des délais.

Mme Wright : Bien sûr. Ce serait le plus tôt possible, peut-être avant la fin de la réunion.

Le président : Vous êtes très gentille. Merci.

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, en ce qui concerne la proposition de votre gouvernement dans le projet de loi C-75 visant l’élimination des récusations péremptoires de jurés, que répondez-vous aux avocats de la défense chevronnés qui se disent très inquiets que l’élimination des récusations péremptoires nuise réellement aux prévenus autochtones? De plus, je constate que cette partie du projet de loi C-75 n’a été incluse que 48 jours après le procès dans l’affaire Boushie, en Saskatchewan. Nous pouvons donc nous demander s’il y a eu suffisamment de diligence raisonnable et de consultations sur cette question.

Je vous renvoie à une citation de l’avocat Geoffrey Cowper, de Fasken Martineau Dumoulin LLP, prononcée devant le comité de la justice de la Chambre des communes :

Si on abolit les récusations péremptoires, les récusations motivées gagneront en popularité ailleurs. L’expérience a été tentée dans d’autres systèmes. On sait que les récusations motivées peuvent bondir de façon astronomique, car c’est ce qui s’est produit dans certains États aux États-Unis. Elles peuvent entraîner une perte d’efficacité et des délais importants, et je pense que c’est une préoccupation tout à fait légitime.

Dans votre déclaration préliminaire et en réponse à quelques questions tout à l’heure, vous avez parlé de l’arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada, vous avez dit que ce projet de loi est la réponse du gouvernement fédéral à l’arrêt Jordan. Alors, pourquoi apportez-vous cette modification au Code criminel qui aggravera la crise des délais judiciaires au Canada?

Le sénateur Sinclair : Monsieur le président, j’invoque le Règlement. En fait, la référence du sénateur au procès dans l’affaire Boushie est erronée. Ce n’est pas le procès Boushie, c’est le procès Stanley.

La sénatrice Batters : Oui, bien sûr.

Le sénateur Sinclair : Je pense qu’elle doit la corriger.

La sénatrice Batters : Pas de problème. Oui, absolument.

M. Lametti : Je vous remercie de votre question, et je vous remercie, sénateur Sinclair, de votre précision et de votre correction.

Les préoccupations concernant les récusations péremptoires ne datent pas d’hier. Elles étaient là bien avant l’affaire Stanley. Mentionnons le travail du sénateur Sinclair ou celui de l’honorable juge Frank Iacobucci. Les deux ont demandé l’élimination des récusations péremptoires en raison de leur incidence potentielle sur les jurys et, surtout, de la possibilité que, dans le cas d’affaires impliquant les minorités visibles, il soit facile d’exclure tout représentant des minorités visibles au sein des jurys.

Encore une fois, je reviens au fait que ce projet de loi est le fruit d’une longue collaboration avec les provinces, les territoires et les experts. Il y a un certain nombre de rapports différents en 1991, 2013 et 2009.

Nous estimons que c’est la bonne façon de procéder. Avec cette proposition, il ne sera pas possible de simplement exclure un juré pour des motifs potentiellement discriminatoires. Si la sélection aléatoire des jurés semble créer un jury potentiellement discriminatoire — un jury uniforme, disons —, le juge pourra utiliser son pouvoir discrétionnaire pour s’assurer que ce ne soit pas le cas.

Nous pensons que cette mesure produira de meilleurs résultats et des jurys plus représentatifs à l’avenir.

La sénatrice Batters : Mais que répondez-vous à cette critique de la part de personnes qui ont représenté un grand nombre de prévenus autochtones et qui ont constaté que la récusation péremptoire avait en fait un effet positif sur la représentation des prévenus autochtones devant des jurés potentiels?

M. Lametti : Nous avons certainement entendu ces commentaires tout au long du processus. À notre avis, la prépondérance de la preuve va dans l’autre sens. La plupart des gens qui critiquent cette décision sont des avocats de la défense et sont donc avantagés, je suppose, dans la façon dont ils souhaitent pratiquer le droit. C’est bien. C’est une opinion légitime, mais nous estimons, compte tenu du poids de la preuve, des études et de l’expertise, que la prépondérance va dans notre direction.

La sénatrice Batters : Qu’en est-il de l’argument concernant le retard? De nombreux avocats de la défense ont dit que si la modification était adoptée, ils présenteraient alors beaucoup plus de demandes de récusations motivées, ce qui, dans bien des cas, entraînerait des procès interminables.

M. Lametti : Dans une certaine mesure, nous espérons que cette situation ne se produise pas, mais nous avons aussi donné au juge le pouvoir de donner suite à ces récusations motivées dans n’importe quel cas particulier. Encore une fois, ce sera à la discrétion du juge. Nous estimons que cette mesure permet de trouver un bon équilibre dans l’avenir et qu’elle devrait réduire le temps requis pour le traitement des affaires dans le système.

La sénatrice Batters : Étant donné que seulement 48 jours se sont écoulés, quel genre de consultations a-t-on menées sur cette partie du projet de loi?

M. Lametti : Encore une fois, elles n’ont pas commencé par l’affaire Stanley; les discussions sur les récusations péremptoires ont commencé il y a des années. Dans ce cas particulier, elles ont commencé par le processus législatif du projet de loi C-75.

La sénatrice Batters : Cet aspect particulier du projet de loi a-t-il été déterminé avant l’entrée en vigueur de cet élément particulier, ou le gouvernement a-t-il changé d’avis à ce moment-là?

M. Lametti : Je n’étais pas ministre à l’époque où cette évolution s’est produite...

La sénatrice Batters : Non, mais vous aviez accès à l’ensemble du ministère.

M. Lametti : Mais le projet de loi a évolué; il a été élaboré au fil du temps.

Je peux affirmer avec certitude que l’élimination des récusations péremptoires a été proposée bien avant l’affaire Stanley, même si le libellé du projet de loi n’était pas achevé.

La sénatrice Batters : D’accord.

La sénatrice Lankin : J’ai plusieurs questions. Monsieur le ministre, bienvenue à vous et à vos fonctionnaires. Nous vous remercions de votre présence ici.

Permettez-moi de commencer en disant qu’il y a beaucoup d’éléments positifs dans ce projet de loi. Bien sûr, nous allons nous concentrer sur les sujets de préoccupation et chercher à mieux comprendre l’intention du gouvernement.

Permettez-moi de commencer par une question importante, qui n’est pas dans le projet de loi : la question des peines minimales obligatoires. Beaucoup d’experts juridiques ont dit que c’est l’une des façons les plus efficaces d’éliminer les arriérés, ou du moins qu’il s’agissait d’une façon de négocier plus facilement des plaidoyers convenables, et ainsi de suite. Cet élément figurait dans la lettre de mandat des procureurs généraux, et les gens sont déçus qu’il ne figure pas dans le projet de loi. Pourquoi cet élément ne figure-t-il pas dans le projet de loi, et comment allez-vous régler le problème?

M. Lametti : Je ne peux pas répondre à la première partie en ce sens que je n’étais pas procureur général à l’époque. Je peux parler de la complexité de la question. J’ai déclaré publiquement, comme député et après ma nomination au poste de ministre de la Justice, que je suis déterminé à réduire le nombre de peines minimales obligatoires et à le faire lorsque j’ai une voie législative pour le faire.

C’est un engagement que je prendrais pour le prochain mandat. Je partage les préoccupations que vous soulevez, je crois. Je l’ai dit publiquement. C’est une question complexe, et il se peut fort bien que ces changements ne figurent pas actuellement, car il est compliqué de les appliquer dans le processus législatif.

Je suis certainement déterminé à étudier la question attentivement. Je partage vos préoccupations et vos sentiments au sujet des peines minimales obligatoires tant en ce qui concerne leur constitutionnalité que leur capacité de réduire les arriérés. Elles permettraient d’avoir un système plus efficace et plus juste, dans lequel le pouvoir discrétionnaire serait conféré à la bonne personne, soit un juge de première instance qui connaît tous les faits et qui est en mesure d’évaluer tous les témoins et tous les prévenus dans un cas particulier.

Mais elles ne figurent pas dans le projet de loi. J’espère qu’en ma qualité de ministre de la Justice, j’aurai l’occasion de travailler avec vous pour atteindre cet objectif.

La sénatrice Lankin : Merci. Permettez-moi maintenant de parler du reclassement en infractions mixtes de nombreuses infractions et de l’objectif énoncé concernant l’efficacité et la réduction possible des arriérés. J’ai été membre de l’Assemblée législative de l’Ontario, du gouvernement et de l’opposition, à l’époque d’Askov. J’ai vu le gouvernement ainsi que les gouvernements subséquents essayer d’y parvenir. Beaucoup de progrès ont été réalisés en Ontario. Un certain nombre de provinces sont profondément convaincues que la mise en œuvre de ce reclassement en infractions mixtes pourrait réduire les arriérés fédéraux, mais pourrait augmenter les arriérés provinciaux. Pouvez-vous nous en parler et nous assurer que ce ne sera pas le cas?

M. Lametti : La réponse globale est qu’il y a de nombreux éléments en évolution. Nous travaillons en étroite collaboration avec les provinces pour essayer de réduire les arriérés dans le système. Nous pensons qu’en créant un système plus souple d’infractions mixtes, un plus grand nombre d’infractions pourront être traitées par les tribunaux provinciaux. Nous pensons que, dans le grand ordre des choses, cette mesure contribuera à réduire les délais dans l’ensemble du système, parce que nous accordons également une plus grande latitude quant à la façon dont les causes sont entendues. Les affaires graves pourront tout de même être entendues par la Cour supérieure lorsqu’il sera déterminé que l’infraction présumée est grave et qu’elle devrait être entendue par un juge de la Cour supérieure plutôt que par un juge de la cour provinciale. Il s’agit de trouver un équilibre entre plusieurs éléments de ce système. Nous allons travailler avec les provinces pour nous assurer que nous le faisons mieux.

La sénatrice Lankin : Permettez-moi maintenant d’aborder la question de la violence familiale et du fait qu’il n’y a pas de distinction de genre. Je suis certaine que vous avez entendu cette critique au sujet de la violence masculine contre les femmes. Je souhaite parler plus particulièrement de l’analyse comparative entre les sexes qui a été faite. Il est assez frustrant de ne pas pouvoir y avoir accès. Pouvez-vous vous engager à nous fournir l’analyse comparative entre les sexes pour ce projet de loi?

M. Lametti : Je ne suis pas sûr de pouvoir le faire. Je vais me renseigner. Je crois comprendre qu’elle est confidentielle, mais je vais vous revenir avec une réponse plus sûre.

Cela dit, je sais qu’elle a été faite. Il y a des dispositions dans ce projet de loi, par exemple, sur la mise en liberté sous caution dans les cas de violence entre partenaires intimes, qui, selon nous, représentent un grand pas en avant pour les victimes.

La sénatrice Lankin : Vous vous rendez compte, bien sûr, que ces dispositions sont de plus en plus invoquées par des hommes qui prétendent être aussi victimes de voies de fait en représailles et que bien des femmes se retrouvent en audience de libération sous caution et sont accusées sans avoir les ressources financières ni, éventuellement, l’accès à l’aide juridique à cause d’un certain nombre de changements. Pourriez-vous nous dire comment l’analyse comparative entre les sexes traite cette disposition et pourquoi votre gouvernement n’a pas cru bon d’inclure une distinction de genre?

M. Lametti : D’après ce que je comprends, la distinction de genre est là et elle vise à protéger les personnes en situation de vulnérabilité dans une relation. Ce sont surtout les femmes, exposées en particulier à la violence d’un partenaire intime. Cela influence la façon d’agir des policiers, cela influence la façon d’agir des juges en procès et en audience de libération sous caution, mais pour l’instant, je ne peux pas vous donner une réponse plus précise sans m’assurer que je suis habilité à le faire.

La sénatrice Dyck : Bienvenue, monsieur le ministre. J’ai deux questions sur les dispositions relatives à la violence entre partenaires intimes. Merci, sénatrice Lankin, d’avoir posé la question de l’analyse comparative entre les sexes.

En examinant ces dispositions, je n’ai perçu aucune sensibilité au point de vue d’une femme autochtone. Comme vous le savez, il est bien établi que, comparativement aux femmes non autochtones, les femmes autochtones sont plus susceptibles de subir la violence d’un partenaire intime.

Pis encore, elles sont plus susceptibles d’être sous-protégées dans le système judiciaire en raison du racisme systémique et sexospécifique, parce qu’elles sont à la fois autochtones et femmes. Et il y a toutes les chances que leur partenaire intime soit d’origine autochtone. La violence faite aux femmes est à la baisse, mais pas chez les Autochtones.

Comme vous le savez, il y a maintenant une enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées, pas toutes les femmes, mais les femmes autochtones.

Compte tenu des faits et des caractéristiques de la violence faite aux femmes autochtones, croyez-vous que le projet de loi C-75 en tient compte et qu’avec ses dispositions sur la nouvelle violence dite « d’un partenaire intime », il protégera suffisamment les femmes autochtones? Parce qu’elles sont plus vulnérables et surreprésentées dans les statistiques de cette violence.

M. Lametti : Tout d’abord, comme vous le savez à la suite des conversations que nous avons eues, vos préoccupations sont aussi les miennes. Ce doit être un des objectifs de notre action de mieux protéger les femmes autochtones contre la violence entre partenaires intimes et dans d’autres aspects de la justice pénale.

Je pense que le projet de loi est utile à cet égard. Nul doute qu’il aide en ce qui concerne la violence entre partenaires intimes, non seulement par ses dispositions formelles, mais aussi par la façon dont nous essayons d’améliorer les différents aspects de la justice pénale. Cela étant dit, je suis toujours prêt à discuter de bonne foi de toute possibilité d’amélioration.

La sénatrice Dyck : Je disais tantôt que les femmes autochtones étaient plus susceptibles d’avoir un partenaire intime qui est aussi autochtone. Comme vous le savez, l’alinéa 718.2e) du Code criminel offre des balises de détermination de la peine, en ce qui concerne particulièrement les délinquants autochtones. Ne craignez-vous pas un traitement différent pour les victimes de violence entre partenaires intimes qui se trouvent être des femmes autochtones? Essentiellement, on pourrait invoquer l’alinéa 718.2e) pour imposer des peines différentes ou moins lourdes que l’incarcération, et il est fort possible qu’on en vienne à imposer deux types de peine, selon que le délinquant est autochtone ou non.

M. Lametti : Il est certain que — depuis l’affaire Gladue, par exemple — les acteurs du système de justice pénale sont obligés de tenir compte du contexte d’un délinquant autochtone.

En donnant plus de latitude aux procureurs pour choisir la façon dont ils vont procéder, nous essayons de tenir compte à la fois de la protection et des besoins des victimes, surtout dans ce cas-ci les femmes autochtones, et d’avoir un système équitable pour l’accusé.

Et dans ce cas particulier, dans l’exemple que vous avez utilisé, ces deux impératifs posent des problèmes complexes qui nous obligent — tant les acteurs du système que les législateurs qui cherchent à l’améliorer — à peser avec soin comment nous allons nous y prendre.

Nous pensons que ce projet de loi va dans la bonne direction. Évidemment, nous demeurons alertes et ouverts aux suggestions qui pourraient l’améliorer davantage.

La sénatrice Dyck : L’expression « femme autochtone » n’apparaît nulle part dans les dispositions relatives aux partenaires intimes. Alors je ne crois pas qu’on lui accorde une protection particulière à moins de la mentionner en toutes lettres.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Monsieur le ministre, ma question est plutôt technique. Il est donc possible que vous ayez à la prendre en délibéré. Elle concerne la partie XIV du Code criminel, les suites de l’arrêt Myers, la mise en liberté et la révision périodique des personnes en détention, en particulier les personnes fragiles ou démunies, que l’on garde en détention un peu comme si on les reléguait aux oubliettes. Désormais, le geôlier devra les amener devant un juge.

L’article 493 du Code criminel dit qu’en principe le terme « juge » se définit, dans la province de Québec, comme un juge de la Cour supérieure de juridiction criminelle de la province ou trois juges de la Cour du Québec. Je me demandais s’il n’y aurait pas là une difficulté, parce que la plupart des infractions criminelles au Québec sont traitées devant la Cour du Québec, et non devant la Cour supérieure, sauf pour les procès devant jury et les procès pour certaines infractions, qui doivent se tenir devant la Cour supérieure, et certaines infractions. L’appel des condamnations sommaires peut se faire devant la Cour supérieure. Toutefois, la compétence de premier niveau est, en principe, la Cour du Québec. Or, on veut que les gens comparaissent rapidement devant un juge, et on parle de 30 jours pour les procédures sommaires, mais devant trois juges. Le processus devient donc assez lourd.

Est-ce qu’il n’y aurait pas lieu de voir si ces causes devraient être entendues devant un juge seul plutôt que devant trois juges? Va-t-on devoir amener tous ces gens, après 30 jours, devant la Cour supérieure plutôt que devant trois juges de la Cour du Québec? Va-t-on également demander au juge de la Cour supérieure qui entendra ces causes de rendre des ordonnances appropriées pour expédier des procédures que ni lui ni la cour ne gèrent et dont ils ne connaissent peut-être même pas le fonctionnement de la Cour du Québec? Je me demandais si cette difficulté avait été considérée au moment de la rédaction du projet de loi.

M. Lametti : L’arrêt Myersest assez récent. Comme vous, je suis un juriste québécois. La question a été soulevée par nos homologues au Québec et nous sommes en train d’y réfléchir. Nous sommes au courant des défis et nous évaluons les suggestions en ce moment.

Le sénateur Dalphond : Je comprends que vous allez informer le comité avant qu’il termine ses travaux sur le projet de loi C-75, et, s’il y a lieu, vous proposerez un amendement.

M. Lametti : Le cas échéant, oui.

Le sénateur Dalphond : Notre échéancier est serré. Nous ne disposons que de deux semaines.

M. Lametti : C’est bien compris.

Le sénateur Dalphond : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Bienvenue, monsieur le ministre. Je m’excuse d’être arrivé en retard.

À propos des infractions mixtes proposées ici, on objectera que certains crimes ne sont pas traités comme il se doit, assez sévèrement. Je voulais vous demander si vous aviez des données empiriques sur les peines moyennes, imposées par voie de mise en accusation ou autrement, ou même dans la catégorie des infractions hybrides qui existent actuellement, afin de mieux comprendre l’incidence que cela pourrait avoir ou non sur les pratiques de détermination de la peine.

Je pense que cela nous serait utile, en marge des questions de délai et de certaines autres qui ont été soulevées. Dans quelle mesure le changement sera-t-il important, compte tenu des peines réelles imposées pour toute une gamme d’infractions? Si vous avez des renseignements de ce genre dans un format accessible, cela nous aiderait certainement à mieux mesurer l’incidence de ce changement.

M. Lametti : Nous pouvons certainement nous y mettre. La réponse générale que je vous donnerais, monsieur Gold, c’est que nous n’avons pas changé les infractions ni les peines. Dans la définition de toute infraction, on énumère une série d’agissements qui peuvent être très graves en fait de dommages ou de tort causé à la victime, et d’autres qui relèvent toujours de cette infraction sans pour autant causer le même tort à la victime ou les mêmes dommages.

Le reclassement en infractions mixtes vise à donner aux acteurs du système, en particulier au procureur, le pouvoir discrétionnaire de procéder par voie sommaire si, à l’examen des faits, le tort causé n’est pas aussi grave que, peut-être, dans d’autres occurrences de la même infraction.

Dans les cas graves, par contre, le procureur voudra obtenir la peine maximale et procédera par voie de mise en accusation, en raison simplement de la gravité du tort causé à la victime et de tout autre critère applicable à l’infraction en question.

Au niveau le plus élevé, cela ne change pas l’infraction ou les éléments constitutifs de l’infraction, et cela ne change pas la possibilité de sanctions, mais cela délimite plutôt la marge de manœuvre du procureur dans le choix de la procédure.

Le sénateur Gold : Merci. C’est entendu. Mais il serait intéressant de savoir si, par exemple, dans le cas de telle infraction qui est traitée actuellement par voie de mise en accusation, étant donné les circonstances, la fourchette de gravité, s’il s’avère que 80 p. 100 des peines imposées sur une période donnée se situent dans cette fourchette par rapport à la fourchette maximale, cela aiderait au moins à comprendre qu’en pareil cas, la discrétion ou le jugement des juges indiquent que le changement sera peut-être plutôt modeste pour les délinquants plus dangereux ou les délinquants moins dangereux.

M. Lametti : Nous vous reviendrons avec tout ce que nous avons, mais l’intention générale est que lorsque les faits ne sont pas aussi graves, la procédure par voie sommaire accélère les choses et s’avère plus équitable pour tout le monde, y compris les victimes. Mieux le système fonctionne, plus il est efficace. J’étais un des greffiers à la Cour suprême lorsque le juge Cory a rédigé le jugement Askov. Une des choses qui lui tenaient à cœur à l’époque, c’était qu’une procédure plus rapide valait mieux pour les victimes, comme pour l’accusé. C’était l’intention, et j’espère que nous y parviendrons grâce à ce projet de loi.

Le sénateur Sinclair : J’ai été juge pendant 28 ans et j’ai présidé de nombreux procès devant jury. J’ai failli éclater de rire lorsque j’ai entendu que les avocats trouvaient que les récusations péremptoires profitaient aux accusés autochtones. Je n’ai jamais vu cela de toute ma carrière. En 1988, l’Angleterre a aboli la récusation péremptoire. Cela fait 31 ans. Est-ce que le système de justice s’est effondré en Angleterre?

M. Lametti : À ce que je sache, non, monsieur.

Le sénateur Sinclair : Connaissez-vous un autre pays du Commonwealth qui a aboli la récusation péremptoire?

M. Lametti : Il y en a d’autres. Mme Wright pourra peut-être m’aider, mais l’abolition de la récusation péremptoire n’a rien de nouveau. Elle a été recommandée pour le Canada.

L’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande du Nord ont toutes aboli la récusation péremptoire. L’Angleterre et l’Irlande du Nord ont des systèmes de common law; l’Écosse, quelque chose qui s’en approche. Mais vous avez raison, merci.

[Français]

Le sénateur Pratte : Bonjour, monsieur le ministre. Je m’excuse à mon tour d’avoir été retardé. Je suis un peu inquiet du caractère radical, si je puis dire, de l’abolition des enquêtes préliminaires, sauf pour les causes qui peuvent mener à l’emprisonnement à vie. Je sais que les procureurs généraux de certaines provinces le réclament depuis un certain temps. Je me demande sur quoi vous vous basez pour penser que le fait d’abolir les enquêtes criminelles pourrait entraîner une réduction des délais. Il ne semble pas y avoir de données très claires à ce sujet.

Sur quoi vous basez-vous pour prendre une décision aussi radicale?

M. Lametti : Une enquête préliminaire exige beaucoup de ressources. Si une victime doit témoigner deux fois, cela peut doubler les effets traumatisants. La plupart des causes qu’on retrouve dans le système ne nécessitent pas d’enquête préliminaire. Nous sommes en train de rendre le système plus efficace, sans toutefois exclure que l’enquête préliminaire puisse être employée dans des cas sérieux où elle sera utile. On veut faire en sorte qu’elle ne soit pas utilisée uniquement dans le but de retarder le processus.

Le sénateur Pratte : Plusieurs personnes dans le milieu juridique pensent, au contraire, que, dans certains cas, l’enquête préliminaire permet d’accélérer le processus; par exemple, en faisant en sorte que, si la Couronne réalise que sa cause est plutôt faible, elle l’abandonne ou atténue les accusations. À l’inverse, la défense peut se rendre compte que sa cause est difficile, que son client est dans le pétrin et donc, elle optera pour des négociations.

L’Association du Barreau canadien propose une solution de compromis. Elle dit qu’on devrait, à tout le moins, sauf pour les causes menant à l’emprisonnement à vie, continuer de pouvoir mener des enquêtes préliminaires pour d’autres causes quand les deux parties sont d’accord, soit la Couronne et la défense, ou quand le juge estime qu’il est dans l’intérêt de la justice de procéder ainsi conformément à certains critères.

Est-ce le genre de proposition qui pourrait vous intéresser?

M. Lametti : Je ne tiens pas à nourrir les attentes. Nous allons considérer toute suggestion ou tout amendement. Il est responsable de notre part d’évaluer tout ce que vous avez à proposer à ce sujet.

J’ai mentionné plus tôt l’arrêt Jordan, qui a changé la donne. Il faut donc chercher, par tous les moyens, à réduire les délais, sans toutefois amoindrir la justice dans le traitement des causes. Les enquêtes préliminaires sont un des plus importants facteurs qui contribuent à prolonger la durée d’une cause. Comme je l’ai dit dans mes remarques liminaires, nous avons consulté les provinces et les territoires. Nous croyons sincèrement avoir trouvé, grâce au projet de loi, une façon de procéder qui est non seulement juste, mais équilibrée et axée sur la justice.

Cela dit, nous allons étudier ce que vous avez à proposer.

Le sénateur Pratte : Je ne suis pas avocat, donc je m’aventure sur un terrain miné et je dois consulter plusieurs personnes. La preuve que les enquêtes préliminaires entraînent des retards indus ne me paraît pas tout à fait convaincante. Peut-être y a-t-il d’autres facteurs, en plus de ce que vous avez mentionné?

M. Lametti : Une analyse récente du ministère de la Justice soulignait que 19 p. 100 des causes ayant fait l’objet d’une enquête préliminaire prévue ou effectuée ne respectaient pas le plafond de 30 mois, en vertu de l’arrêt Jordan. C’est déjà là un critère qui nous motive.

Le sénateur Pratte : Je ne suis pas sûr que la démonstration soit claire. On peut penser que ces causes étaient peut-être tout simplement plus complexes. Quoi qu’il en soit, merci beaucoup, monsieur le ministre.

La sénatrice Dupuis : J’aimerais attirer votre attention sur les articles qui parlent du partenaire intime — le partenaire intime étant défini, dans le projet de loi, comme « dating partner » dans la version anglaise et « partenaire amoureux » dans la version française. Il semble y avoir un problème de correspondance entre les deux versions. Je comprends qu’il n’y ait pas de traduction littérale d’une version à l’autre. Toutefois, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’un « dating partner » n’est pas nécessairement un partenaire amoureux. Vous pouvez fréquenter quelqu’un pour toutes sortes de raisons sauf l’amour. Il se peut que ce soit une question de sémantique, mais, de manière plus importante, on introduit ici un concept juridique. Je vous invite à nous aider à résoudre cette énigme.

Pour en revenir à l’analyse selon le sexe, il est important que le comité soit clair. De la même manière que le gouvernement partage maintenant son analyse par rapport au fait qu’un projet de loi est conforme à la Charte des droits, la question de l’analyse comparative selon les sexes est introduite parce que certains droits n’étaient pas respectés. Il y avait donc de la discrimination à l’endroit des femmes. Il n’est pas évident, à la lecture du projet de loi, que cet aspect a été bien compris et qu’on en a tenu compte. C’est ce sur quoi nous aimerions obtenir des décisions. Autrement dit, la réponse du Conseil privé et du Conseil du Trésor, à savoir que ce sont des documents qui font partie du mémoire au Cabinet et qui sont confidentiels, on la connaît déjà. Ce que nous voulons savoir, c’est ce que vous pouvez faire, en tant que ministre, pour nous rassurer sur le fait que l’analyse par rapport à la discrimination contre les femmes a été faite lors de l’élaboration de ce projet de loi.

M. Lametti : Une analyse basée sur les sexes a été faite. Elle fait partie du mémoire qui a été présenté au Cabinet, je peux vous l’assurer. Je ne peux pas partager cette information, mais je verrai, après la question de votre collègue, si certaines informations pourraient être divulguées.

Merci de vos commentaires sur la terminologie, parce que ce n’est pas une traduction...

La sénatrice Dupuis : Il s’agit des deux versions linguistiques officielles.

M. Lametti : Nous allons examiner la terminologie.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, vous comprendrez que mes questions porteront sur les victimes d’actes criminels. Les groupes de victimes ont relevé trois contradictions dans le projet de loi C-75. La première est la suramende, que vous gardez à la discrétion des juges. Même si la Cour suprême, dans l’arrêt Boudreault, en décembre dernier, a décrété que les suramendes étaient inconstitutionnelles, vous maintenez la discrétion pour les juges, ce qui m’apparaît comme une contradiction.

Autre contradiction, l’ancien projet de loi C-452 prévoyait des sentences consécutives pour les proxénètes. Votre gouvernement a qualifié ces sentences de non constitutionnelles. Or, vous les maintenez dans le projet de loi C-75.

Enfin, les juges avaient l’obligation d’inscrire, au registre des prédateurs sexuels ou des données génétiques, le nom de ceux qui commettent des crimes graves. Dans le cas d’un enlèvement d’un enfant de 14 ans, si on respecte les procédures sommaires plutôt qu’une accusation criminelle, le juge n’aura pas l’obligation d’inscrire cette personne au registre.

Ces contradictions me disent que le gouvernement n’a pas beaucoup réfléchi quand il a rédigé ce projet de loi. Si l’on sait que la suramende risque d’être contestée encore une fois devant les tribunaux, vous aviez dit à l’époque que l’ancien projet de loi C-452 était inconstitutionnel, mais vous maintenez tout de même les sentences consécutives. On pourrait donc enlever un enfant de 14 ans, et aucune procédure sommaire ni inscription au registre de l’ADN ne serait imposée.

M. Lametti : Pour ce qui est de l’arrêt Boudreault, qui a été rendu en décembre, nous prenons les mesures en conséquence. Nous sommes en pourparlers avec nos homologues partout au Canada dans un souci de conformité et de clarté dans le contexte de cette décision rendue par la Cour suprême du Canada.

Nous allons conserver la suramende et son application sera laissée à la discrétion des juges. Cela restera dans le projet de loi.

Le sénateur Boisvenu : Même si ce n’est pas constitutionnel?

M. Lametti : À la discrétion d’un juge... Dans le projet de loi initial, cela s’appliquait automatiquement, mais ce n’est plus le cas. Selon les circonstances, un juge peut décider si cela est juste ou non, selon la nature du délit ou des circonstances entourant l’accusé.

Parce que nous comprenons l’importance...

Le sénateur Boisvenu : Pour ce qui est de l’ancien projet de loi C-452, en ce qui a trait au proxénétisme, vous aviez affirmé que ces peines étaient inconstitutionnelles. Pourtant, vous maintenez les sentences consécutives dans le projet de loi C-75.

M. Lametti : Si j’ai bien compris, cela n’entrera pas en vigueur.

Le sénateur Boisvenu : Pourquoi les avez-vous maintenues, dans ce cas?

M. Lametti : Je peux vous revenir avec une réponse plus exacte au cours des prochains jours.

Le sénateur Boisvenu : Non, mais...

Le président : Merci. Je m’excuse de vous interrompre, sénateur, mais le ministre a dépassé le temps de parole qui lui était accordé.

Le sénateur Boisvenu : Merci, monsieur le ministre.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Dans votre déclaration préliminaire, monsieur le ministre, vous avez parlé des dispositions concernant la représentation des délinquants. Nous savons que ce sont souvent des parajuristes et des agents de l’aide juridique qui s’en chargent, et vous avez dit que vous laissiez aux provinces le soin d’en disposer.

Il y a une chose qui m’inquiète à la base et j’ai besoin de comprendre comment cela va fonctionner. Dans la région que je représente, il y a eu récemment des coupures dans le financement de l’aide juridique. Il n’est plus possible, par exemple, de traiter les dossiers de citoyenneté des immigrants et une foule d’autres choses. Nous savons que la clientèle habituelle de l’aide juridique se recrute en fait chez les plus démunis, ceux qui ne peuvent pas se permettre d’autres ressources et qui n’y ont pas accès.

J’aimerais comprendre comment fonctionnera ce pouvoir discrétionnaire provincial. Ce que je crains, c’est qu’à moins de modifier les dispositions pour élargir l’éventail des infractions punissables par voie sommaire au-delà de six mois, on laisse des gens sans représentation suffisante.

M. Lametti : Le problème est qu’il existe différents systèmes juridiques au Canada. Les parajuristes en Ontario ont des attributions qu’on ne retrouve pas au Québec.

Nous devons être conscients de cela en travaillant avec nos homologues provinciaux. Nous le serons, et nous essaierons de trouver les solutions structurelles appropriées à chaque cas.

En ce qui concerne l’aide juridique, je comprends vos préoccupations au sujet des coupures effectuées dans votre province.

Quant à l’immigration, nous essayons de voir quelle serait la réponse fédérale appropriée à l’égard des personnes qui se font aider dans le système d’aide juridique et le processus d’immigration.

La sénatrice Lankin : Vous ne pensez pas que de corriger la disposition pour...

M. Lametti : Nous allons travailler avec l’Ontario pour corriger la disposition, mais nous ne pouvons pas imposer une solution universelle parce qu’il y a différents systèmes juridiques au pays.

Le sénateur McIntyre : Monsieur le ministre, à part le projet de loi, quelles autres initiatives le gouvernement fédéral pourrait-il mettre en œuvre pour donner suite aux décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires R. c. Jordan et R. c. Cody, par exemple? Pensez-vous qu’il faudrait réinstituer une commission nationale de réforme du droit ayant le mandat d’étudier les réformes législatives et de faire des recommandations au gouvernement?

Y a-t-il d’autres changements qu’on pourrait apporter au Code criminel pour améliorer la gestion des dossiers, qui, soit dit en passant, est un gros problème en matière de délais judiciaires?

M. Lametti : La gestion des dossiers fait partie du projet de loi C-75. En principe, oui, tout ce qu’on pourrait faire pour continuer de l’améliorer serait utile.

Pour ce qui est de rétablir la Commission de réforme du droit du Canada, je ne saurais me prononcer sur une position du gouvernement. Je me contenterai de dire qu’un de mes mentors était Rod Macdonald, qui a été président de l’ancienne Commission du droit du Canada, alors je pense que mon opinion personnelle est évidente.

Le président : J’aurais une brève question à vous poser au sujet des nominations à la magistrature qui, bien sûr, intéressent tous les camps représentés ici.

M. Lametti : Oui.

Le président : N’y aurait-il pas moyen de penser à un système pour vérifier l’engagement politique des candidats à un poste de juge sans avoir à recourir à de l’information partisane qui pourrait créer dans le public une impression de parti pris? Je comprends la responsabilité du ministre de la Justice de veiller à ce qu’une vérification soit faite pour qu’à l’avenir il puisse répondre, en général, de l’impartialité du système de justice au Canada.

N’y aurait-il pas moyen de penser à une manière de vérifier les antécédents des candidats sans avoir à consulter les documents conservés par les différents partis sur les gens qui ont participé, que ce soit financièrement ou politiquement ou à titre de bénévoles, à la vie d’un parti politique?

M. Lametti : Comme je l’ai dit publiquement à plusieurs reprises, c’est un point de données qui nous permet de tout savoir à propos du candidat. Cela ne nuit pas à la candidature de qui que ce soit à l’intérieur du système, non plus que cela la favorise.

Si une personne le dit elle-même dans ses déclarations personnelles, il se peut fort bien que le comité judiciaire en tienne compte à la première étape, mais c’est simplement une valeur de mesure pour que nous sachions tout sur le candidat au cas où, comme je l’ai dit publiquement, nous devons répondre à toute question le concernant. Cela ne l’aide pas et cela ne lui nuit pas non plus dans le processus de nomination. Des candidats de toutes les allégeances politiques ont accédé à la magistrature au cours des dernières années.

Cela repose sur le mérite. Nous avons mis en place un processus qui est transparent, fondé sur le mérite, et je pense que les milieux judiciaires partout au Canada sont très satisfaits de la qualité des nominations. C’est ce que j’entends en tout cas à travers le pays depuis que je suis ministre de la Justice. Ce n’est pas un facteur déterminant dans le système.

Le président : Nous comprenons cela et nous comprenons votre responsabilité. Vous devez répondre des nominations faites par le gouvernement.

Ce qui me préoccupe, c’est que cet objectif, qui est valable, pourrait à mon avis être atteint sans qu’il soit nécessaire d’examiner des documents partisans qui donnent l’impression au public qu’un certain type de candidat pourrait être favorisé par rapport à un autre.

Je pense qu’il y a moyen de faire cela sans créer l’impression qu’on voit maintenant se répandre dans les médias.

M. Lametti : Comme je l’ai dit à maintes reprises en répondant à différentes questions, je suis toujours ouvert aux avis susceptibles d’améliorer n’importe quel système ou n’importe quelle loi. Je suis ouvert à toutes vos suggestions.

Je tiens à vous assurer que les nominations sont faites d’après le mérite et que l’impression qui peut exister dans certains médias est fausse.

Le président : Je suis désolé de vous interrompre, monsieur le ministre. Ma dernière question porte sur la nomination d’un futur juge à la Cour suprême du Canada.

Quelles mesures prenez-vous au sein de votre ministère pour vous assurer qu’il n’y aura pas de fuite de renseignements confidentiels lors de la sélection du prochain juge à la Cour suprême, afin d’éviter le genre de situation que nous avons vu lors de nominations précédentes? Cela s’est traduit, comme vous le savez, par une perte de confiance à l’égard du système et du secret qui doit entourer la sélection d’un candidat.

M. Lametti : J’ai déclaré publiquement, à propos de la fuite précédente, être certain qu’elle ne venait ni de mon cabinet politique ni de mon ministère.

Nous avons agi. Nous avons discuté et nous projetons d’appliquer des mesures au sein du ministère. Je ne vais pas vous dire en quoi elles consistent pour l’instant. Elles feront l’objet d’une annonce au cours des prochains jours, pour autant que je sache.

Le président : Je conclus notre réunion de cet après-midi en vous laissant sur cette réflexion : j’ai été témoin de la carrière exemplaire de l’ancienne juge Beverley McLachlin. Elle a d’abord été nommée par Brian Mulroney, puis promue par Jean Chrétien. Elle a été une juge d’une qualité remarquable au Canada. Elle est un exemple pour quiconque veut faire carrière en droit.

Je suis un peu mal à l’aise, monsieur le ministre, quand on se met à comparer les nominations d’un premier ministre, parce qu’il y a tellement d’exemples de réussite. Une fois qu’un juge est nommé, il est impartial. C’est une obligation très grave. Vous-même êtes le chien de garde de l’impartialité et de l’indépendance du système.

Je pense que nous avons été bien servis en général par toutes les nominations qui ont été faites au Canada, et celle de la juge McLachlin en est un exemple convaincant.

M. Lametti : C’est un très bon exemple, en effet. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Merci de vous être mis à notre disposition cet après-midi. Nous allons certainement faire preuve de diligence raisonnable à l’égard du projet de loi C-75. Nous attendrons les renseignements supplémentaires qui doivent nous être fournis.

M. Lametti : Merci d’avance pour tout votre travail.

[Français]

Le président : Merci, monsieur le ministre.

Nous allons donc poursuivre notre étude du projet de loi C-75 avec notre prochain groupe de témoins cet après-midi. Nous retrouvons des visages familiers. Nous accueillons Mme Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale au ministère de la Justice. Elle est accompagnée de Mme Shannon Davis-Ermuth, avocate-conseil principale, de M. Matthias Villetorte, avocat-conseil et chef d’équipe, et de Mme Paulette Corriveau, également avocate au ministère de la Justice. Bonjour et bienvenue à vous tous.

Vous connaissez la procédure, à moins que vous ayez une déclaration d’ouverture ou des points que vous voudriez porter à la connaissance des sénateurs, compte tenu des questions qui ont été posées au ministre de la Justice.

[Traduction]

À moins que vous ne vouliez ajouter quelque chose aux réponses qu’a données le ministre de la Justice lors de sa comparution, j’inviterai les sénateurs à poser leurs questions.

[Français]

Madame Morency, y a-t-il des points que vous voudriez préciser par rapport aux questions soulevées précédemment?

[Traduction]

Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, ministère de la Justice Canada : Je peux répondre à l’une des questions du sénateur Boisvenu. Si j’ai bien compris, la question était la suivante : pourquoi la peine maximale sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire n’est-elle pas augmentée pour quelques infractions liées aux autres infractions dans le cadre de la démarche de reclassement en infractions mixtes?

Je crois qu’on donnait en exemple l’alinéa 173(2)b), qui porte sur les actes indécents, et l’alinéa 271b), qui porte sur les agressions sexuelles.

Si vous avez examiné les témoignages présentés au comité de la justice, vous n’êtes peut-être pas sans savoir que j’avais abordé cette question à ce moment-là. À l’époque, on avait demandé au ministre pourquoi le projet de loi C-75 ne proposait aucune réforme des peines minimales obligatoires — les PMO. On avait répondu que les PMO faisaient partie d’une problématique plus large relevant, entre autres, de la perception des gens en général et que l’examen de cette perspective plus vaste se poursuivait.

Ainsi, lors de la rédaction du projet de loi dont le comité est saisi, si l’on avait instauré des réformes visant à revoir une disposition pour porter la peine maximale à deux ans moins un jour, par exemple, il aurait fallu abroger une PMO existante avant de la rétablir dans le contexte de l’augmentation de la peine maximale. C’est pourquoi ces infractions n’ont pas été revues. Voilà qui va dans le sens de la norme de rédaction selon laquelle on ne peut pas simplement modifier une partie de paragraphe. Il faut d’abord abroger la disposition, puis la rétablir dans son entièreté. C’est ce qui explique la différence.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, maître Morency, d’être avec nous, et à vos collègues également. J’aimerais revenir sur les articles du projet de loi où l’on parle d’un accusé qui aurait été condamné précédemment pour une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre un partenaire intime. Si je comprends bien, il y a ici un renversement du fardeau de la preuve au moment de l’enquête sur la remise en liberté. J’aimerais que vous m’aidiez à comprendre les raisons qui vous ont amenés, au moment de rédiger cette partie de la procédure, à provoquer ce renversement.

[Traduction]

Shannon Davis-Ermuth, avocate-conseil principale, ministère de la Justice Canada : Je vous répondrai volontiers. Je m’exprimerai en anglais pour m’assurer de vous répondre de façon précise.

Le renversement du fardeau de la preuve dans le cas de la violence par un partenaire intime est une proposition conçue pour cibler les récidivistes que les condamnations pour violence par un partenaire intime n’ont pas réussi à dissuader. Le gouvernement s’est engagé à accroître la protection des victimes de violence par un partenaire intime. Le renversement du fardeau de la preuve en matière de mise en liberté sous caution vise expressément les contrevenants qui ont déjà été reconnus coupables de violence par un partenaire intime.

Si le renversement du fardeau de la preuve est imposé dans ce domaine du droit en particulier, c’est en raison de la nature de la violence par un partenaire intime et du fait que les victimes d’une telle forme de violence sont particulièrement à risque, puisque l’auteur présumé de l’acte de violence cible une personne en particulier. Dans le cas des infractions violentes à l’endroit d’une personne qui n’est pas un partenaire intime — un inconnu, par exemple —, on ne craint pas forcément que l’auteur de l’acte, une fois libéré, se remette à poursuivre la même victime. En revanche, dans le cas de la violence par un partenaire intime, surtout lorsqu’il s’agit d’une personne qui a déjà été reconnue coupable, il est possible que le comportement violent se poursuive, de sorte que, dans une telle situation, la victime est exposée à un risque accru.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Donc, si je comprends bien, selon les statistiques, les femmes victimes de violence conjugale sont plus susceptibles d’être tuées une fois qu’elles sont séparées, parce que leur ancien partenaire va les suivre, même après la séparation, et c’est à cela qu’on veut répondre plus spécifiquement dans ce genre de situation.

[Traduction]

Mme Davis-Ermuth : Oui. De plus, selon les statistiques que vous avez mentionnées, il y a des raisons de croire que lorsqu’il y a violence ou séparation, les victimes sont plus à risque. Cela dit, une arrestation, par exemple, peut aussi entraîner un danger accru pour la victime. Pendant le moment qui suit tout juste l’arrestation — lorsque l’auteur présumé de l’acte de violence est détenu en vue d’une libération sous caution —, il se pourrait que la victime soit particulièrement à risque.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je voudrais revenir à la question des personnes vulnérables. Je me demandais si on dispose des données sur lesquelles se fondent les policiers ou les juges qui auront à déterminer si la personne fait partie d’un groupe qui est surreprésenté dans le système de justice criminelle ou si elle a été défavorisée relativement à la possibilité d’obtenir une remise en liberté. Est-ce qu’il y a des données dont le ministère disposerait, hormis la discrétion des juges ou des policiers, sur lesquelles ils pourraient fonder ce genre de décision?

[Traduction]

Mme Davis-Ermuth : Je veux être certaine de bien comprendre votre question. Parlez-vous des données sur les populations qui ont été jugées vulnérables dans ce genre de circonstances?

[Français]

La sénatrice Dupuis : En fait, j’essaie de comprendre, à partir de la réponse que nous a donnée le ministre au sujet de cet article dans lequel on dit que la police ou le juge de paix doit considérer que la personne est une personne vulnérable — du fait qu’elle appartient à un groupe surreprésenté dans le système de justice criminelle ou qu’elle est défavorisée pour ce qui est d’obtenir sa remise en liberté —, sur quelle base cette décision sera fondée. Est-ce qu’il y a des données qui vous amènent à choisir ces deux facteurs plutôt que n’importe quel autre?

[Traduction]

Mme Davis-Ermuth : Le critère utilisé en l’occurrence est fondé sur la jurisprudence provenant des facteurs de l’arrêt Gladue dans la partie du code portant sur la détermination de la peine. Ce dont il s’agit ici — cela sera réglé en partie par la formation qui devrait avoir lieu avant la mise en œuvre... Si vous examinez les dispositions d’entrée en vigueur du projet de loi, vous verrez que les dispositions dont nous parlons ici entreront en vigueur un peu plus tard que certaines autres dispositions, soit au bout de 180 jours.

Il s’agit de prendre en compte les personnes qui sont... Il y a des facteurs reliés à leur vulnérabilité, comme leur statut socioéconomique ou d’autres facteurs qui peuvent les rendre moins susceptibles d’obtenir une libération sous caution. On n’obtient pas une libération sous caution parce qu’on est pauvre ou en raison d’autres facteurs qui ne sont pas liés à l’infraction que l’on a commise. Les critères de l’octroi de la mise en liberté sous caution devraient être liés à l’infraction elle-même et aux facteurs déterminant la décision de la libération, comme la sécurité publique ou la nécessité de s’assurer que l’accusé se présentera au tribunal, entre autres.

Il s’agit de s’assurer que l’on tient compte des facteurs qui font en sorte que certains obstacles systémiques désavantagent certaines personnes et les rendent moins susceptibles d’obtenir une libération sous caution. Certains rapports indiquent que des personnes sont désavantagées dans le système de mise en liberté sous caution.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Ma question est d’ordre général : est-ce que le ministère a fait une étude sur l’impact judiciaire du projet de loi C-75?

Le président : Madame Morency?

[Traduction]

Mme Morency : Je dirais que, de façon générale, les discussions qui ont eu lieu aux niveaux fédéral, provincial et territorial, et qui ont mené à l’appui des ministres du Canada et des provinces et territoires à l’égard d’un bon nombre des réformes proposées dans le projet de loi C-75, ont beaucoup éclairé l’ensemble des mesures dont vous êtes saisis. En ce qui concerne certaines questions comme la gestion de l’instance judiciaire que le projet de loi aborde, voilà qui répond également, par exemple, aux indications de la Cour suprême du Canada dans sa décision dans l’affaire Jordan, décision selon laquelle tous les intervenants du système de justice pénale, y compris les juges, ont un rôle à jouer dans la réduction des délais dans le système. En conclusion, je dirais que, de façon générale, ces facteurs ont éclairé le projet de loi C-75.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’apprécierais une réponse plus courte; j’avais seulement demandé si, oui ou non, il y avait eu une étude. Ma question visait à savoir, au cas où vous auriez fait des études, ou du moins une analyse, à combien on estime le nombre de détenus, parce qu’on va maintenant augmenter le nombre de poursuites sommaires ou de poursuites mixtes. Cela signifie que beaucoup plus de gens risquent de purger des peines de moins de deux ans, et qu’ils le feront donc dans les prisons provinciales. Connaissez-vous aujourd’hui le nombre de détenus qui seront transférés, au cours des prochaines années, vers les prisons plutôt que vers les pénitenciers? C’est ma première question.

Ma deuxième question est la suivante : avez-vous des données sur les pertes économiques que subiront les provinces en raison de l’abolition de la suramende? C’était des montants que les provinces recevaient pour les programmes d’aide aux victimes.

Voici ma troisième question : d’un point de vue statistique, quel sera l’impact de projet de loi C-75 sur les cours provinciales? Comme il y aura beaucoup de poursuites qui seront des poursuites dites sommaires, ce sont sans doute les cours provinciales qui vont les administrer, et non les cours supérieures; pourtant, les cours provinciales sont déjà débordées.

Donc, j’aimerais savoir si vous avez des statistiques sur le nombre de causes qui seront transférées vers les cours provinciales, sur l’impact du nombre de détenus transférés vers les prisons plutôt que vers les pénitenciers, et, enfin, sur l’impact financier que subiront les provinces en ce qui a trait aux sommes qu’elles recevaient sur le plan de la suramende.

Matthias Villetorte, avocat-conseil et chef d’équipe, ministère de la Justice Canada : Sénateur Boisvenu, je vous remercie de vos trois questions, auxquelles je tenterai de répondre dans l’ordre où vous me les avez posées.

Ce qui est proposé dans le projet de loi C-75 est de nature procédurale. Bien qu’il soit quasiment impossible de déterminer quel sera l’impact de la recommandation visant à rendre certaines infractions mixtes, nous croyons que cet impact ne sera pas significatif. Pourquoi? Parce que le fait de rendre certaines infractions susceptibles de poursuite par la seule voie de mise en accusation donne de la flexibilité aux procureurs. Lorsqu’ils analysent un cas, ils examinent les faits et les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise, y compris la peine que réclamera la Couronne. Même s’il s’agit d’une infraction poursuivie par voie de mise en accusation, la Couronne peut demander une peine de moins de deux ans à purger dans un pénitencier.

C’est pour ce type de cause que le projet de loi C-75 propose de donner de la flexibilité à la Couronne pour qu’elle procède par procédure sommaire. L’amendement proposé est vraiment de nature procédurale. Il ne modifie en rien le cadre de la détermination de la peine et inclut le principe fondamental de la peine, qui est celui d’imposer une peine proportionnelle au degré de responsabilité du délinquant et à la gravité de l’infraction.

Aujourd’hui, une peine infligée pour une infraction poursuivie par voie de mise en accusation est de moins de deux ans, et il est attendu qu’une telle peine sera imposée également à l’avenir.

Quant à votre deuxième question sur la suramende et les pertes financières pour les provinces et les territoires, comme vous le savez, la suramende fédérale représente une partie des suramendes qui sont versées aux Fonds d’aide aux victimes des provinces, qui sont constitués également des suramendes imposées par les provinces.

Depuis la décision Boudreault, il est évident que les suramendes fédérales ne peuvent être imposées. Cependant, nous sommes en pourparlers avec nos homologues provinciaux et territoriaux afin de connaître l’impact de la décision Boudreault sur les suramendes fédérales et les répercussions sur les Fonds d’aide aux victimes des provinces.

Votre dernière question concerne l’impact sur les cours provinciales des modifications visant à rendre certaines infractions mixtes. Comme vous le savez, les infractions sommaires sont entendues en cour provinciale, et la plupart des infractions par voie de mise en accusation sont entendues en Cour supérieure. La très grande majorité des causes sont entendues en cour provinciale. Si je me base sur Juristat de Statistique Canada, sur 1,2 million d’accusations en 2015-2016, environ 13 000 causes ont été entendues en Cour supérieure. Les 13 000 causes n’iront pas toutes en cour provinciale. Il y aura sûrement davantage de causes entendues en cour provinciale, mais cela libérera du temps afin que les juges des cours supérieures entendent des causes plus sérieuses, tout en faisant faire des économies au système.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous avez envisagé une compensation pour les provinces par rapport aux pertes financières? Parce que les gens, plutôt que d’avoir à purger une peine, seront condamnés à payer une amende. Avez-vous estimé si les provinces obtiendront une compensation en raison du nombre croissant de gens qui seront condamnés à payer une amende?

M. Villetorte : Une fois de plus, il est très difficile de prévoir quelles seront les répercussions des amendements prévus au projet de loi C-75. Cependant, je tiens à souligner que, lors de la détermination de la peine — et c’est là qu’il faut que ce soit très clair —, c’est bien davantage une question de procédure qu’une question de détermination de la peine par rapport aux principes.

Une amende pourrait très bien être imposée lorsqu’une infraction est punissable par voie de mise en accusation. C’est pourquoi il est très difficile d’estimer quelles seraient ces variations. Encore une fois, les principes fondamentaux de la détermination de la peine ne sont pas modifiés, et on s’attend à ce qu’une peine qui est proportionnelle aujourd’hui le soit toujours après les amendements prévus au projet de loi C-75.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Ma question porte sur les infractions contre un partenaire intime. Madame Davis-Ermuth, doit-on déduire de la réponse que vous que vous avez donnée à la sénatrice Dupuis que les personnes accusées et déjà reconnues coupables d’une infraction contre un partenaire intime avant l’entrée en vigueur de la nouvelle définition seront considérées comme ayant récidivé? Est-ce bien le cas?

Mme Davis-Ermuth : Pardon, je ne suis pas certaine de bien comprendre votre question.

Le sénateur McIntyre : Permettez-moi de mieux m’expliquer. J’attire votre attention sur l’article 515 du code et sur les paragraphes 225(3) et (6), que l’on retrouve aux pages 78 et 79 du projet de loi. Ces paragraphes — 225(3) et 225(6) — modifient l’article 515 du code en introduisant un renversement du fardeau de la preuve lors d’une demande de mise en liberté provisoire par voie judiciaire dans le cas où une personne est accusée d’une infraction contre un partenaire intime et qu’elle a déjà été reconnue coupable d’une telle infraction par le passé.

Cela dit, comme la définition de « partenaire intime » est nouvelle, les personnes accusées et reconnues coupables d’une infraction commise contre un partenaire intime avant l’entrée en vigueur de la nouvelle définition seront-elles considérées comme ayant récidivé?

Mme Davis-Ermuth : Oui, ce serait le cas. À l’heure actuelle, il n’y a pas d’infraction contre un partenaire intime dans le Code criminel et il n’y en aura pas non plus par la suite. Les tribunaux désignent déjà certains types d’infractions à diverses fins, qu’il s’agisse de violence contre un enfant ou contre un partenaire intime. Dans certaines juridictions, il existe des tribunaux qui s’occupent de ces cas en particulier.

L’ajout de la définition à l’article du Code criminel qui contient les définitions — l’article 2 — ne crée pas une nouvelle infraction. C’est donc dire que toute infraction perpétrée avant l’entrée en vigueur de la définition serait toujours de même nature.

Le sénateur McIntyre : Autrement dit, cet amendement s’appliquera rétroactivement, n’est-ce pas?

Mme Morency : Si je puis me permettre, quand un procureur de la Couronne, lors d’une enquête sur le cautionnement, présentera au tribunal des éléments de preuve au sujet des condamnations antérieures de l’accusé, il disposera des mêmes renseignements avant et après le projet de loi C-75. Il pourra dire par exemple d’une personne qu’elle a été condamnée pour voies de fait. Il pourra aussi dire si sa victime était un conjoint ou quelqu’un d’autre. Après l’adoption éventuelle du projet de loi C-75, une condamnation antérieure pour un acte de violence par un partenaire intime sera connue du tribunal. En pareil cas, il y aura renversement du fardeau de la preuve.

Mme Davis-Ermuth : J’ajouterai que le Code criminel reconnaît déjà ces types d’infractions. L’article 718.2 du Code criminel mentionne un facteur aggravant. Sans employer les mêmes termes pour l’instant, le code comprend les mêmes types d’infractions. Cela dit, les mêmes termes sont utilisés aux articles 109 et 110 du Code criminel. Dans de tels cas, on utilise précisément la terminologie relative aux partenaires intimes et aux interdictions en matière d’armes. Il ne s’agit donc pas non plus d’un nouveau concept intégré au Code criminel.

Le sénateur McIntyre : Ma prochaine question porte sur la suramende compensatoire. Si je comprends bien, l’article 785 du code définit le mot « peine ». Le projet de loi C-75 ajouterait le paragraphe 73(1.1) et le paragraphe (5), c’est-à-dire qu’il ajouterait les dispositions judiciaires discrétionnaires à la définition interprétative de la notion de peine en vertu de l’article 785 du code.

Selon vous, quel est le but de cet amendement? Est-il possible que cela soit interprété comme l’indication qu’une suramende compensatoire imposée par un tribunal en vertu des paragraphes 737(1.1) et (5) devrait être considérée comme une peine en vertu de l’article 785 du code? Il semble que je mélange les choses. Selon vous, cela créerait-il la possibilité d’un mécanisme d’appel? Si vous n’avez pas la réponse, vous pourrez revenir à une date ultérieure.

M. Villetorte : Nous pouvons nous engager à vous revenir avec la réponse. Je veux comprendre votre question. Je crois que je n’ai pas saisi l’essentiel. Il y a la définition de la peine...

Le sénateur McIntyre : Oui, cette définition se trouve à l’article 785. Puis, le projet de loi ajoute de nouveaux paragraphes — 737(1.1) et (5) — à la définition interprétative de la notion de peine prévue à l’article 785 du code. Quel est le but de cet amendement? Si une suramende compensatoire était imposée par un tribunal en vertu des paragraphes que j’ai mentionnés, cela serait-il considéré comme une peine en vertu de l’article 785 du code? Ce serait deux peines, en quelque sorte.

Mme Morency : L’ennui, c’est que je n’ai pas sous la main de copie du projet de loi tel qu’il a été présenté à la Chambre. Dans ce projet de loi, on trouve les changements qui sont ajoutés, mais je crois que le sénateur fait référence aux nouvelles dispositions visant à ajouter la suramende compensatoire que le projet de loi C-75, tel qu’il a été présenté, proposait de corriger. Les nouveaux articles concernant la clause de contrainte excessive y sont ajoutés. Cela dit, nous vous confirmerons cela plus tard.

Le sénateur McIntyre : En fin de compte, le projet de loi ajoute deux nouveaux paragraphes à la définition de la peine prévue à l’article 785.

Mme Morency : C’est exact. Cet ajout comprend les nouvelles dispositions proposées dans le projet de loi C-75, à l’exception de celle donnant au tribunal le pouvoir discrétionnaire d’exempter un accusé ou un contrevenant qui est incapable de payer en raison d’une contrainte excessive. C’est ce que je crois comprendre. Si ce n’est pas le cas, nous en informerons le comité.

[Français]

Le sénateur Pratte : J’aimerais revenir à la question des enquêtes préliminaires et au choix que le gouvernement a fait de limiter les enquêtes préliminaires aux accusations qui peuvent porter à conséquence, comme l’emprisonnement à vie. J’aimerais lire un passage du mémoire de l’Association du Barreau canadien qui me paraît intéressant à ce sujet.

[Traduction]

Voici un extrait du mémoire de l’Association du Barreau canadien :

Souvent, les infractions rendant leur auteur passible d’emprisonnement à perpétuité sans peine minimale ne se traduisent pas par un risque sérieux d’incarcération de longue durée. Une personne qui transmet quelques grammes de cocaïne ou vole un téléphone intelligent aurait droit à une enquête préliminaire en vertu du projet de loi C-75, mais une personne inculpée d’une infraction comportant une peine minimale obligatoire (p. ex., le trafic d’armes à feu) n’y aurait pas droit.

Ce ne sont que des exemples, mais le fait de restreindre les enquêtes préliminaires aux infractions rendant leur auteur passible d’emprisonnement à perpétuité semble arbitraire, parce que, dans bien des cas, il ne s’agirait pas des crimes les plus graves.

Paulette Corriveau, avocate, ministère de la Justice Canada : Il faut souligner que les enquêtes préliminaires font l’objet de débats depuis de nombreuses années. Le Sénat a entendu des témoins qui se sont exprimés pour et contre ces enquêtes. Le Sénat en a recommandé l’élimination ou une importante restriction. L’arrêt Jordan indique qu’il faut examiner si, oui ou non, les enquêtes préliminaires remplissent leur rôle.

Bien qu’il y ait des infractions assorties de peines minimales obligatoires, il ne faut pas oublier que l’emprisonnement à perpétuité demeure la peine la plus sévère qui soit. Il y a diverses peines minimales obligatoires qui sont beaucoup moins sévères pour un accusé.

Au cours des vastes consultations que nous avons menées auprès de nos collègues des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, divers points de vue ont été exprimés, comme cela a été le cas devant le comité de la Chambre. Pour le projet de loi C-75, il a été décidé qu’il fallait trouver un juste équilibre entre les divers points de vue. Nous avons entendu un certain nombre de témoignages provenant des deux camps. Les victimes sont heureuses de voir qu’il y a restriction, puisque l’obligation de témoigner deux fois engendre une revictimisation. D’autres, notamment les avocats de la défense, considèrent qu’il s’agit d’un outil utile. Nous avons tenu compte des points de vue de tous les intervenants et nous avons décidé de cibler les infractions passibles de l’emprisonnement à perpétuité.

J’ajouterais enfin que, dans d’autres domaines de compétence, on voulait aller plus loin encore et appliquer la restriction aux infractions prévues à l’article 469 du code. Il s’agissait de trouver l’équilibre entre les diverses positions, ce qui nous semble être le cas ici.

Le sénateur Pratte : En continuant d’autoriser la tenue d’enquêtes préliminaires dans le cas d’accusations pouvant mener à l’emprisonnement à perpétuité, ne reconnaît-on pas, d’une certaine façon, l’utilité de ces enquêtes, puisqu’elles sont maintenues dans les affaires relevant de crimes graves?

Mme Corriveau : Oui. Certes, la jurisprudence a indiqué que la fonction de communication et d’examen préalables possède une certaine utilité, mais les interprétations judiciaires sont contrastées. Certains ont fait valoir dans leurs décisions qu’il s’agit d’une procédure désuète et qu’elle devrait être éliminée. Il est donc difficile de trouver un juste milieu entre les différentes positions. Nous croyons avoir réussi à le faire avec le projet de loi C-75.

La sénatrice Lankin : J’aimerais revenir sur la question de la violence par un partenaire intime. Je cherche surtout à obtenir des renseignements généraux et des statistiques et à connaître les tendances — si vous disposez de ces informations — en regard des preuves anecdotiques que nous fournissent des cliniques d’aide juridique qui s’occupent des refuges et des problèmes qu’éprouvent les femmes. Depuis un certain nombre d’années, les preuves anecdotiques montrent qu’il y a eu une augmentation des contre-accusations contre les femmes, contre les immigrantes tout particulièrement.

N’ayant pas accès aux chiffres, je ne peux pas vérifier cette information. Est-ce une réalité lors de l’accusation, lors de la mise en liberté sous caution ou lors du procès? Si vous pouviez vous engager à examiner l’information qui pourrait exister et à fournir une explication au sujet du processus décisionnel du gouvernement concernant ces dispositions, je vous en serais reconnaissante.

Mme Davis-Ermuth : Le document d’information sur le projet de loi contient des statistiques sur la violence par un partenaire intime. C’est là que se trouvent la plupart des statistiques disponibles à l’échelle nationale.

Pour ce qui est des statistiques sur le phénomène des accusations doubles dont vous faites mention, on croit qu’au début de l’application des politiques de mise en accusation obligatoire, le pouvoir discrétionnaire n’était pas exercé. Dans certains cas, les victimes étaient, elles aussi, accusées d’infractions. Nous n’avons pas de données à ce sujet.

Avant de parler de la mise en accusation obligatoire et de ses effets, je dirai que la plupart des juridictions du pays commencent à appliquer une politique visant l’agresseur principal, politique qui consiste à mettre en accusation la personne la plus agressive dans la situation et non pas la personne qui a pu recourir à la violence pour se défendre.

Nous n’avons pas de données sur la fréquence des accusations portées contre une personne qui ne le mérite pas, puisqu’il s’agirait alors d’une erreur soit dans l’accusation, soit dans la condamnation. Selon certaines préoccupations qui ont été soulevées, des gens seraient la cible d’accusations inappropriées et, dans certains cas, de condamnations inappropriées. C’est à ce moment-là que le problème se présenterait.

Nous n’avons pas de données précises à ce sujet, mais pour régler le problème, il faut des politiques opérationnelles. Car de telles conséquences ne découlent pas de la loi elle-même, mais bien d’une mauvaise application de la loi.

Mme Morency : Nous verrons si quelque chose a été fait récemment pour répondre à la question précise que vous avez soulevée.

Comme ma collègue l’a fait remarquer, cette question a été abordée notamment dans un rapport qui a été produit dans le cadre du Forum fédéral-provincial-territorial et qui portait sur les politiques relatives aux accusations de violence conjugale et aux poursuites. Dans ce rapport qui remonte pourtant à plus de 15 ans, on note, par exemple, que les femmes autochtones sont surreprésentées dans tous les aspects de la violence par un partenaire intime. Déjà, à ce moment-là, on craignait qu’une femme qui se défend dans une situation de violence fasse aussi l’objet d’une accusation.

Nous pouvons vous fournir des renseignements et de l’information contextuelle, tout à fait. Ma collègue a parlé du document d’information législatif qui fournit plus de renseignements. Il y a peut-être d’autres sources d’information. Nous ferons de notre mieux pour vous les fournir.

La sénatrice Lankin : Je vous en serais reconnaissante. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur les dispositions de coordination. Plusieurs articles de coordination sont prévus en fonction notamment de l’entrée en vigueur du projet de loi C-45, la Loi sur le cannabis. J’essaie de suivre, mais c’est extrêmement complexe et difficile. Le ministère ne devrait-il pas faire un certain nettoyage ou, pour reprendre l’expression consacrée, du toilettage dans les dispositions de coordination, compte tenu de l’entrée en vigueur de cette loi? On retrouve beaucoup de dispositions qui disent que, si l’autre loi entre en vigueur, voici ce qui va s’appliquer; si l’autre loi n’entre pas en vigueur, voici ce qui va s’appliquer. Dans d’autres situations, on dit que, lorsque les deux lois seront entrées en vigueur, voici ce qui va s’appliquer. C’est assez complexe. Avez-vous envisagé de faire cet exercice de toilettage?

[Traduction]

Mme Morency : Je voudrais dire que le dossier d’études article par article qui est remis au comité vise à aider à décortiquer et à expliquer les choses. Je reconnais volontiers que c’est très compliqué. Tout d’abord, ce projet de loi volumineux visait à modifier certaines dispositions qui étaient en même temps modifiées par d’autres projets de loi dont le Parlement était saisi. C’est compliqué, tout à fait. Il y a beaucoup d’étapes.

Ce qui complique encore plus les choses, c’est que nous, les rédacteurs non législatifs, pensons qu’il est évident que vous n’avez pas besoin de faire cela. Toutefois, pour ce qui est de la rédaction de la convention, les rédacteurs législatifs canadiens — qui figurent parmi les meilleurs au monde, à mon avis — suivent les règles et les pratiques.

En règle générale, si deux projets de loi, présentés au Parlement en même temps, modifient la même disposition, une disposition de coordination sera exigée de manière systématique. Au bout du compte, quelle que soit la mesure législative qui est adoptée en premier, l’intention est de faire en sorte que cette disposition figure dans l’état final de la loi. Cette intention est expliquée — clairement, je l’espère — dans le dossier article par article.

Je comprends ce que vous dites, sénateur. C’est compliqué. Si vous avez une question précise à poser au sujet de l’un ou l’autre des articles par la suite, nous nous ferons un plaisir de vous répondre si nous le pouvons.

[Français]

Le sénateur Carignan : Il est difficile de comprendre l’intention du législateur. Je prends l’exemple de la conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool. Si le projet de loi C-75 entre en vigueur, sera-t-on moins sévère dans les cas de conduite avec facultés affaiblies, parce qu’on pourra prévoir la possibilité d’une infraction par déclaration sommaire de culpabilité en vertu de l’alinéa 253(1)b)?

[Traduction]

Mme Morency : Dans le projet de loi C-46, des modifications étaient proposées aux dispositions relatives à la conduite avec facultés affaiblies et au transport. À ce chapitre, il y avait des dispositions de coordination sur le reclassement en infraction mixte dans le projet de loi C-75 comme dans le projet de loi C-46. En fin de compte, l’intention était de disposer de ce qui est actuellement en vigueur dans le projet de loi C-46.

Par exemple, l’infraction consistant à causer des lésions corporelles a été reclassée. La conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles a été reclassée en infraction mixte pour tenir compte de toute une gamme de cas. Il va sans dire que la conduite avec facultés affaiblies est une infraction grave en toute circonstance. Toutefois, dans certains cas, le préjudice causé à la victime est moindre : pensons par exemple à une fracture du bras comparativement à une conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles graves et permanentes. Voilà quelle était l’intention ici.

[Français]

Le sénateur Carignan : Donc, le procureur de la Couronne aura la possibilité d’y aller par procédure sommaire, ce qui donnera la possibilité d’avoir une peine moins sévère pour des cas de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions?

M. Villetorte : On en revient à refléter l’intention de rendre mixtes les infractions prévues dans le projet de loi C-75 et d’augmenter les peines maximales pour ces infractions à deux ans moins un jour. Comme je l’ai expliqué en réponse à la question du sénateur Boisvenu, ces modifications ne changeront pas le principe fondamental de la détermination de la peine. Une peine qui était proportionnelle avant le projet de loi C-46 le sera tout autant après.

Le sénateur Carignan : Je comprends, mais on est dans le même Parlement, on a le même gouvernement, les mêmes députés et presque les mêmes sénateurs. Dans ce Parlement, on adopte une loi qui modifie de manière substantielle une autre loi par rapport à la conduite avec facultés affaiblies, particulièrement pour ce qui est de la sévérité des peines dans les cas de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions.

[Traduction]

Mme Davis-Ermuth : Comme l’expliquait Mme Morency, le projet de loi C-46 reclassait déjà ces infractions en infractions mixtes. Le projet de loi C-75 n’entraînerait pas plus d’infractions mixtes que celles créées ou modifiées par le projet de loi C-46.

Mme Morency : Pour en revenir à la convention de rédaction, il s’agit donc de deux projets de loi modifiant la même disposition dans la même perspective, c’est-à-dire dans le sens d’un reclassement en infractions mixtes de ce qui était auparavant un acte criminel. C’est ce que proposait le projet de loi C-75, même si celui-ci a été présenté après le projet de loi C-46, étant encore devant le Parlement.

En fin de compte, il s’agissait de transformer cette infraction en infractions mixtes et d’éviter de modifier les principes de détermination de la peine, conformément aux objectifs des deux projets de loi — qui portaient sur le reclassement en infractions mixtes du projet de loi C-75, comme nous l’avons expliqué.

Il en va de même dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies. Les cas les plus graves seront toujours pris très au sérieux. En fait, la peine maximale a été augmentée par mise en accusation. Cependant, il faut reconnaître que, pour chaque cas, il peut y avoir toute une gamme de circonstances. Il peut alors être indiqué, pour la Couronne — en tenant compte à chaque fois de la gravité de l’infraction, du degré de responsabilité du contrevenant, des principes habituels de détermination de la peine —, de reconnaître que d’un point de vue procédural, la voie de la procédure sommaire est plus efficace lorsque la jurisprudence indique une certaine échelle des peines, ce qui est conforme aux deux projets de loi.

[Français]

Le sénateur Dalphond : J’aimerais revenir aux enquêtes préliminaires. C’est un sujet qui suscite un certain intérêt. A-t-on des statistiques sur le nombre d’enquêtes préliminaires dans le système actuel par rapport au pourcentage de dossiers? Deuxièmement, le but de ces enquêtes préliminaires est de savoir si on va au procès ou pas. Avec un seuil qui n’est pas très élevé, y a-t-il suffisamment de preuves pour qu’un jury correctement instruit puisse en venir à une conclusion quant à la culpabilité?

Avons-nous des statistiques sur le nombre d’enquêtes préliminaires qui ont fait en sorte qu’il n’y a pas eu de citation à procès?

S’il y en a beaucoup, cela peut être utile, mais s’il n’y en a pratiquement jamais, cela peut rendre le processus inutile. Avons-nous des statistiques sur le temps consacré aux enquêtes préliminaires par les tribunaux? Depuis l’arrêt Jordan, la Cour du Québec a continué de se servir des enquêtes préliminaires prévues au Code criminel. Toutefois, le juge peut demander que les interrogatoires se fassent hors cour dans une salle de témoins et sans qu’il soit présent, pour qu’il puisse s’acquitter d’autres fonctions. Il demande alors aux avocats de revenir à la toute fin pour les requêtes ou les citations à procès, s’il y a lieu. Dans le système actuel, l’enquête préliminaire est en train de changer de couleur, à tout le moins dans le système québécois. Y a-t-il des statistiques relativement à mes trois questions?

Mme Corriveau : Oui, je crois avoir bien noté ce que vous venez de me demander. Premièrement, je peux vous dire que le sondage intitulé « Temps de traitement des tribunaux de juridiction criminelle pour adultes au Canada » de 2018 — « Adult criminal court processing times Canada » en anglais — est basé sur les statistiques de 2015-2016 et qu’on peut le trouver en ligne.

Ce sondage est basé sur des statistiques liées aux accusations, mais il nous donne quand même le nombre de causes. Ainsi, durant cette période, soit 2015-2016, il y a eu 8 047 causes devant la cour provinciale qui ont fait l’objet d’une enquête préliminaire.

Le sénateur Dalphond : À travers le Canada?

Mme Corriveau : Oui, à la cour provinciale. Cette proportion a diminué depuis environ 10 ans.

Le sénateur Dalphond : Elle est passée de 20 000 à 8 000 ou de 12 000 à 8 000 causes?

Mme Corriveau : Si je me fie à ma mémoire, en 2012, il y a eu environ 12 000 enquêtes préliminaires.

Je tiens à vous rappeler qu’en 2004 des modifications ont été apportées pour ce qui est des enquêtes préliminaires. Elles ne se faisaient plus automatiquement. Il fallait en faire la demande. Vingt-neuf pour cent des accusations sont liées à des infractions violentes, comme des voies de fait graves et des infractions d’ordre sexuel. Le délai pour rendre une décision finale est plus long, soit de 433 jours contre 106 jours, s’il n’y a pas d’enquête préliminaire.

Même s’il n’y a pas beaucoup d’enquêtes préliminaires dans tout le Canada, les décisions liées aux causes qui font l’objet d’une enquête préliminaire prennent plus de temps et demandent plus de comparutions devant le tribunal, soit 13 comparutions plutôt que 6. Il y a également une période plus longue entre les comparutions, soit 38 jours entre la comparution qui se produit probablement après l’enquête préliminaire et le procès, plutôt que 27 jours. On parle ici de la cour provinciale.

Le sénateur Dalphond : Évidemment, le dossier n’est pas en état tant que l’enquête préliminaire n’est pas terminée, ce qui fait que le dossier est constamment reporté par le système. On ne fixe pas de date de procès parce qu’on ne sait pas encore s’il y aura citation à procès.

Mme Corriveau : Oui, mais il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas d’enquête préliminaire dans la grande majorité des autres dossiers. Il y a même des infractions qui n’y ont pas accès en ce moment, des infractions d’ordre de juridiction exclusive de la cour provinciale.

J’ai en main les données de certaines cours supérieures, soit environ cinq administrations. Nous entendons 6 467 causes — ce sont des accusations —, y compris 1 674 à la Cour supérieure qui ont fait l’objet d’une enquête préliminaire. Cela représente 49 p. 100 de toutes les causes qui sont entendues par la Cour supérieure. Selon qu’un dossier fait l’objet ou non d’une enquête préliminaire, on parle de 576 jours plutôt que 290 jours. À la Cour supérieure, il nous faut environ 400 jours de plus. Donc, cela demande plus comparutions, soit 11 comparutions plutôt que 7, et le nombre de jours entre les comparutions est de 58 jours plutôt que 35.

Même si on dit que 75 p. 100 des dossiers ont pris plus de 30 mois, c’est-à-dire plus que le barème établi par la décision Jordan, environ la moitié — soit 45 p. 100 des dossiers devant la Cour supérieure — qui ont fait l’objet d’une enquête préliminaire sont sous le barème établi par la décision Jordan. Ce n’est donc pas nécessairement définitif à ce niveau-là.

J’ai également les données de 2014-2015 pour le même sondage que j’ai mentionné plus tôt. Même en 2014, on voit qu’il y avait 9 179... Toutefois, il s’agit de la cour provinciale et de la Cour supérieure.

Le sénateur Dalphond : Y a-t-il des statistiques sur le nombre de citations à procès qui n’ont pas eu lieu à cause de l’enquête préliminaire?

Mme Corriveau : Malheureusement, ce ne sont pas des données qui sont recueillies en ce moment par Statistique Canada. Ils ont fait une révision du sondage.

Le sénateur Dalphond : Cela ne nous permet pas de savoir s’ils allaient tous en procès. Je crois que la grande majorité des dossiers vont en procès. Je ne m’avancerai pas dans les statistiques. Il serait vraiment utile de savoir si la moitié des dossiers ne vont pas en procès. Cela évite un procès plus long et cela permet de faire une enquête préliminaire plus courte. Toutefois, s’ils vont tous en procès, on fait une étape de divulgation de la preuve qui est inutile, puisqu’on a maintenant une obligation de communiquer toute la preuve.

Mme Corriveau : Il serait sans doute important de noter que les pratiques varient d’une province à l’autre, parce que la Colombie-Britannique, le Québec et le Nouveau-Brunswick ont le « precharge screening », ou vérifications préalables à l’accusation, ce qui signifie que les statistiques pourraient être différentes pour ce qui est des causes citées à procès, parce que ce sont les procureurs qui portent les accusations, et non les policiers. Donc, peut-être que, dans le cas des « non-precharge screening », soit les non-vérifications...

Le sénateur Dalphond : Dans certaines provinces, c’est la police qui dépose les accusations et, par la suite, la Couronne se charge du dossier.

Mme Corriveau : La tenue des enquêtes préliminaires est très différente d’une province à l’autre. Le Québec et l’Ontario ont souvent recours à cette procédure, alors que ce n’est pas le cas dans d’autres administrations.

Le sénateur Pratte : J’ai une question complémentaire sur les statistiques que vous avez citées, madame Corriveau. Lorsqu’on parle de la durée d’une cause, les statistiques que vous citez montrent clairement que les causes dans lesquelles il y a enquête préliminaire prennent beaucoup plus de temps avant qu’une décision finale soit rendue. Est-ce qu’on sait quelle est la part de l’enquête préliminaire dans cette durée? Parce qu’on peut penser qu’il s’agit aussi de causes qui sont plus complexes et dont les conséquences pour l’accusé sont plus graves. Donc, ces causes, de toute façon, prennent plus de temps. Les statistiques permettent-elles de savoir que, sur les 400 jours, l’enquête préliminaire a pris tant de jours et que c’est ce qui est la cause du retard?

Mme Corriveau : Malheureusement, nous n’avons pas ces statistiques à l’échelle nationale. Les provinces et les tribunaux ont peut-être ces statistiques pour chaque étape du processus.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le président : Très rapidement, sénateur McIntyre, parce que nous avons un autre témoin qui attend depuis déjà une demi-heure.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Merci. Madame Davis-Ermuth, ma question est la suivante : quelle approche a-t-on adoptée au ministère en ce qui concerne les infractions mixtes? A-t-on envisagé toute une catégorie d’infractions, en examinant ces infractions séparément, pour ensuite reclasser en infractions mixtes toutes celles qui sont passibles — à l’heure actuelle — d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans ou moins? Quelle a été l’approche, de manière générale?

Mme Davis-Ermuth : C’est bien cela : l’approche générale a consisté à procéder par catégorie. Au lieu de se concentrer sur certaines infractions en particulier, il s’est agi d’examiner les répercussions sur le plan de la procédure et d’essayer d’augmenter le nombre de cas où, l’infraction étant moins grave et la probabilité d’une peine peu sévère plus grande, la poursuite a le pouvoir discrétionnaire d’amener l’affaire devant un tribunal provincial où, comme on le sait, les choses se déroulent plus rapidement.

Le sénateur McIntyre : Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Mme Morency : Je peux répondre à la question qui a été soulevée au sujet du projet de loi C-452 — le projet de loi d’initiative parlementaire — et ce qu’il y a dans le projet de loi C-75. Je pense que la question était de savoir pourquoi la disposition qui exige des peines consécutives obligatoires n’entrerait pas en vigueur au moment de l’entrée en vigueur du projet de loi C-75. La raison est la suivante : lorsque le projet de loi C-452 a été adopté par le Parlement, on l’a considéré comme un projet de loi d’initiative parlementaire distinct des autres mesures législatives dont le Parlement a été saisi, mesures qui ont eu une incidence sur les peines consécutives obligatoires. Il s’agissait alors du projet de loi C-36 qui traitait des infractions liées à la prostitution à la suite de l’arrêt Bedford de la Cour suprême.

Dans le projet de loi C-36, un certain nombre de peines minimales obligatoires ont été ajoutées dans le cas des infractions liées à la prostitution. Par conséquent, une fois que ce projet de loi a été adopté et est devenu loi, deux séries d’infractions ont été combinées : celles comportant des peines minimales obligatoires — infractions qui peuvent aussi mener à des accusations dans les cas de traite des personnes — et celles sanctionnées par des peines consécutives obligatoires. Les conséquences d’une telle combinaison au regard de la Charte ont soulevé des préoccupations importantes.

C’est la raison pour laquelle cette disposition particulière n’est pas entrée en vigueur au moyen de la sanction royale. Elle est plutôt demeurée en attente d’un décret du gouverneur en conseil, par exemple, dans l’éventualité où les peines minimales obligatoires seraient modifiées.

Voilà l’explication.

Le président : Merci beaucoup, madame Morency, madame Davis-Ermuth, monsieur Villetorte et madame Corriveau.

J’invite notre prochain témoin, M. Don Beardall, avocat général au Service des poursuites pénales du Canada.

Pouvez-vous vous avancer, monsieur Beardall, afin que nous consacrions au moins une partie de notre séance de cet après-midi à votre comparution?

Je crois, monsieur Beardall, que vous avez été témoin de la discussion qui a eu lieu cet après-midi avec le ministre et vos collègues du ministère de la Justice. Vous connaissez la procédure, j’en suis certain.

Avez-vous une déclaration préliminaire à nous présenter ou acceptez-vous de répondre aux questions sur-le-champ?

Don Beardall, avocat général, Service des poursuites pénales du Canada : Je n’ai pas de déclaration préliminaire, monsieur le président. Je suis ici pour répondre aux questions des sénateurs.

Le président : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Bonjour, monsieur Beardall. Bienvenue au comité. Merci d’être là.

À partir de votre expérience, j’aimerais revenir sur les infractions mixtes et sur le fait que plusieurs ont été créées par l’intermédiaire du projet de loi C-75. Quels facteurs la Couronne devrait-elle considérer dans sa décision de poursuivre quelqu’un, selon un mode d’accusation ou l’autre, dans le cadre de ces infractions mixtes?

[Traduction]

M. Beardall : Je vous remercie de votre question. Il n’y a pas de réponse simple, car de nombreux facteurs peuvent entrer en ligne de compte. Cela dit, je dirais que les principaux facteurs sont les suivants. Le premier facteur à prendre en considération est sans doute la gravité des circonstances de l’infraction, puisque, comme d’autres l’ont dit, la gravité d’une infraction peut varier énormément d’une catégorie à l’autre.

Il y a aussi les antécédents de l’accusé et, en particulier, son casier judiciaire, surtout si celui-ci comprend des infractions de même nature. Voilà qui entrerait certainement en ligne de compte.

Je pense qu’à l’ère de l’arrêt Jordan, on pourrait aussi se demander quelle est la méthode la plus expéditive pour amener une affaire devant les tribunaux, surtout si l’on tient compte des arriérés dans les différents échelons du système judiciaire dans la juridiction en question. Ces arriérés peuvent varier grandement d’une juridiction à l’autre.

Enfin, il peut y avoir des considérations secondaires, comme les conséquences potentielles en matière d’immigration ou la capacité d’obtenir certains types d’ordonnances accessoires pour mettre la main sur des prélèvements d’ADN ou des empreintes digitales, par exemple.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur Beardall.

À l’article 493.2, on parle de « personne vulnérable » lorsqu’on évoque la liberté provisoire. La notion de personne vulnérable n’est pas définie. S’il n’y a pas de définition quant à la notion de personne vulnérable, ne risque-t-on pas d’ouvrir la porte aux situations où on remettrait des personnes en liberté alors qu’on ne devrait pas le faire?

[Traduction]

M. Beardall : Tout d’abord, je remarque que l’appartenance à une population vulnérable est un facteur dont le juge doit tenir compte dans le contexte d’une enquête sur le cautionnement, mais que ce fait ne détermine pas forcément l’issue de l’affaire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : S’il n’y a pas de définition de la notion de personne vulnérable, cela peut être très relatif d’un juge à l’autre. On risque d’avoir des décisions très subjectives qui ne reposeraient pas sur des notions de dangerosité.

[Traduction]

M. Beardall : Je suppose qu’il faudra voir comment cela se passe dans la pratique, mais il ne fait pas de doute qu’il existe des populations vulnérables qui — comme chacun le sait — sont surreprésentées dans le système de justice. Il y aura donc des cas évidents.

S’il y a des cas douteux, si par exemple un avocat de la défense soutient que son client, en tant que gaucher roux à moustache, fait partie d’une population vulnérable, alors peut-être faudra-t-il présenter des éléments de preuve pour établir le fait qu’un tel groupe est effectivement surreprésenté ou désavantagé.

Je ne m’attends pas à ce que l’existence de ce facteur dans une demande de mise en liberté sous caution entraîne un grand nombre d’audiences sur la preuve visant à déterminer si un groupe en particulier constitue une population vulnérable. Il se peut que cela arrive à l’occasion, mais je ne m’attends pas à ce que ce soit un problème important.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le projet de loi C-75 fera en sorte qu’une personne qui contrevient aux conditions ne sera pas arrêtée. Cette situation ne va-t-elle pas nuire au travail des policiers, pour ce qui est notamment de la prise d’empreintes dans le but d’effectuer des recherches sur un individu?

[Traduction]

M. Beardall : D’après ce que je comprends du projet de loi C-75, le policier a le pouvoir discrétionnaire de ne pas procéder à une arrestation pour manquement à la liberté sous caution, mais il conserve le pouvoir discrétionnaire de procéder à une arrestation dans les circonstances appropriées, pour effectuer une fouille ou obtenir des empreintes digitales, par exemple.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Beardall, j’admire votre grand courage. Vous êtes seul ici aujourd’hui pour représenter le Service des poursuites pénales du Canada devant 10 sénateurs.

M. Beardall : Je me sens seul, en effet. Merci, sénateur.

Le sénateur McIntyre : J’ai une brève question à vous poser. Le projet de loi établit d’autres procédures, comme les comparutions pour manquement, aux fins du traitement de certaines infractions contre l’administration de la justice. Selon vous, quel pouvoir discrétionnaire sera accordé à la police, à la poursuite et aux juges, et quelle forme cela prendra-t-il en pratique?

M. Beardall : Il est très difficile de répondre à cette question de façon précise, sénateur. Comme d’autres témoins l’ont indiqué, le Canada compte 13 juridictions distinctes. De l’une à l’autre, les traditions juridiques peuvent être très variables. Il y a déjà toute une gamme de pratiques différentes partout au pays. Je m’attends donc à ce que les choses se passent différemment d’un endroit à l’autre.

Le sénateur McIntyre : Je voudrais simplement dire que le juge, par exemple, aura le pouvoir d’envisager diverses options quant à la décision de porter ou non des accusations. Cependant, selon ce que j’en comprends, le procureur de la Couronne devra demander qu’une décision soit rendue en vertu de cet article-ci afin qu’il y ait une comparution. Ce sera donc une tâche plutôt ardue pour la Couronne.

M. Beardall : Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous voulez dire. Il est possible de porter une accusation et de procéder de manière habituelle. Toutefois, lorsqu’un procureur est d’avis que l’affaire devrait faire l’objet d’une comparution pour manquement plutôt que d’une mise en accusation, il doit en effet demander qu’une comparution pour manquement ait lieu et qu’une décision soit rendue en vertu de ces dispositions.

Il ne me semble pas que le projet de loi prévoie une procédure particulière en pareil cas. Je m’attends donc à ce que cette question soit traitée différemment dans chaque juridiction.

Il y a un aspect qui me semble peut-être préoccupant. Les antécédents judiciaires d’une personne constituent l’un des principaux facteurs pris en compte par les procureurs et par la police lorsqu’un accusé est mis en détention et lorsque l’on se demande s’il devrait être libéré sous caution et, si oui, sous quelles conditions. En vertu du régime actuel, les procureurs reçoivent généralement un imprimé du Centre d’information de la police canadienne indiquant l’historique des condamnations de la personne et de ses manquements aux ordonnances de mise en liberté sous caution.

Cependant, à ma connaissance, si les affaires sont traitées au moyen d’une comparution pour manquement, il est possible que le procureur ne dispose pas de tous les antécédents de l’accusé en matière de mise en liberté sous caution, à moins que l’on crée un mécanisme pour conserver l’historique des mises en liberté sous caution dans un registre qui puisse être consulté. Je mentionne cela au passage.

Le président : Ne croyez-vous pas que si un policier décide de ne pas arrêter une personne qui ne respecte pas ses conditions de mise en liberté, il devrait disposer d’un moyen pour signaler ce manquement afin que l’historique complet de cette personne soit conservé dans le système en vue d’une évaluation des conséquences lors d’une future décision?

M. Beardall : Je crois que vous avez utilisé le mot « devrait ». En cela, je suis d’accord. Cependant, si un policier décide de ne pas arrêter une personne, il peut la renvoyer à une audience judiciaire. Évidemment, il peut aussi déposer un rapport dans les dossiers de la police.

Toutefois, je ne crois pas qu’il y ait un mécanisme permettant d’inscrire la chose dans une base de données nationale de la police. Par exemple, la police de Winnipeg peut disposer d’un dossier concernant la personne. Elle n’a peut-être pas de système permettant de conserver ce genre de dossier individuel en l’absence d’accusations et de condamnations, mais si elle dispose d’un tel système, elle pourrait être en mesure, dans l’éventualité où la personne serait arrêtée de nouveau, d’informer le procureur de Winnipeg que la personne a déjà fait l’objet de trois comparutions pour manquement.

Or, que se passe-t-il si la personne se fait arrêter à Edmonton? La police ou la Couronne de la capitale de l’Alberta auraient-elles accès à cette information?

À ma connaissance, on n’a pas envisagé sérieusement l’établissement d’un système de tenue de dossiers pour ces affaires, ce qui ne veut pas dire que ce ne serait pas possible de le faire.

Le président : Même aujourd’hui, à l’ère d’Internet?

M. Beardall : Tout ce que je dis, c’est qu’à l’ère des systèmes informatisés, je ne suis pas certain qu’Internet serait le bon endroit pour cela, mais je crois que l’on pourrait concevoir un système pour répondre à un tel besoin. À ma connaissance, aucun système du genre n’existe à l’heure actuelle.

Le président : Merci.

La sénatrice Lankin : Merci, monsieur Beardall. C’est formidable d’entendre le point de vue de la poursuite en matière de fonctionnement et d’application de la loi.

Dans l’une de vos réponses, vous avez parlé des critères qui pourraient être utilisés pour déterminer s’il y a lieu de procéder par mise en accusation ou par procédure sommaire et vous avez dit que l’on pourrait tenir compte du statut d’immigrant d’une personne. Si je comprends bien, dans une situation où il y aurait une infraction mixte, on pourrait tenir compte du fait que la personne, si elle était accusée d’un acte criminel, pourrait être expulsée du pays. Est-ce bien là ce que vous avez voulu dire?

M. Beardall : Oui, mais j’insiste sur le fait qu’il s’agissait d’un exemple tout à fait spontané qui devait servir à illustrer l’ensemble des circonstances pouvant être prises en considération. Voilà qui, en effet, pourrait être pris en considération et faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

La sénatrice Lankin : Je comprends. Si ce n’était pas la première infraction, on pourrait en venir à considérer que l’expulsion serait une mesure adéquate.

En ce qui a trait à l’application de cette disposition, ce qui me préoccupe — corrigez-moi si je me trompe —, c’est le fait que, lorsque l’on transforme certaines infractions punissables par procédure sommaire — dont une personne pourrait être accusée en vertu du système actuel — en infractions mixtes, il y a, dans certains cas, une augmentation des peines. Si la peine est supérieure à six mois, la personne immigrante, en cas de condamnation bien sûr, et après avoir reçu une peine de plus de six mois, serait automatiquement passible d’expulsion.

Bien que la nature de l’infraction pourrait être un facteur atténuant permettant de procéder par voie sommaire, les peines encourues qui, aujourd’hui, ne mèneraient pas à la déportation de la personne, pourraient bel et bien mener à son expulsion après l’adoption du projet de loi. Ai-je bien compris de quoi il retourne?

M. Beardall : Il me semble qu’il y a deux scénarios possibles. J’ignore si vous envisagez les deux possibilités ou une seule.

Selon le premier scénario, étant donné que la peine maximale pour déclaration de culpabilité par procédure sommaire est maintenant portée à deux ans moins un jour, la personne pourrait, en cas de procédure sommaire, recevoir une peine qui la rendrait passible d’expulsion du pays.

Je n’ai pas la Loi sur l’immigration sous les yeux et je n’ai pas étudié les correspondances entre les deux textes. Je ne saurais donc dire si l’augmentation de six mois à deux ans moins un jour rendrait certaines dispositions applicables.

Quoi qu’il en soit, s’agissant de la peine à proprement parler, j’abonde dans le même sens que mes collègues du ministère de la Justice, à savoir qu’à moins d’une erreur quelconque, le reclassement des infractions en infractions mixtes ne devrait avoir aucun effet sur les peines imposées. Si la peine appropriée était de 18 mois en vertu de la loi actuelle, elle sera également de 18 mois si le projet de loi C-75 devient loi.

En vertu de la loi actuelle, si le procureur de la Couronne estime que la peine doit être de 18 mois, il se doit de procéder par voie de mise en accusation. Si, dans l’état actuel des choses, l’infraction exclut la procédure sommaire, la peine est tout de même de 18 mois. Toutefois, en vertu du reclassement des infractions en infractions mixtes, il serait possible de procéder par déclaration sommaire de culpabilité tout en demandant une peine de 18 mois.

Les effets probables sur l’immigration, s’ils découlent de la durée de la peine imposée, ne devraient pas être différents en raison du reclassement en infractions mixtes. Par contre, si des dispositions — sur l’immigration ou autre — s’appliquent uniquement en raison du fait que l’infraction est punissable par une peine de deux ans moins un jour plutôt que de six mois, alors le reclassement aurait des conséquences. Toutefois, je ne peux penser à aucune disposition qui pourrait avoir ce type de conséquences.

Le président : J’aimerais que l’on examine les dispositions sur l’immigration. Des préoccupations ont déjà été soulevées autour de la table au sujet des conséquences sur l’immigration si une personne risque automatiquement de perdre son statut simplement, car elle est accusée d’une infraction punissable d’une peine de deux ans moins un jour.

Je propose que nous nous penchions sur la question de l’immigration. Je ne dis pas que vous ne puissiez pas avoir raison, mais je crois me souvenir qu’on a soulevé ce point. Je pense que c’était la sénatrice Jaffer qui l’avait porté à notre attention. Il faudrait peut-être analyser ce point, particulièrement en ce qui concerne les dispositions sur l’immigration.

M. Beardall : Je ne voulais vraiment pas ouvrir une boîte de Pandore, mais je comprends votre préoccupation. Je ne sais simplement pas s’il y aurait réellement des conséquences sur l’immigration.

La sénatrice Lankin : Certains intervenants du ministère de la Justice et vous-même avez parlé des différences qui existent actuellement d’une juridiction à l’autre et d’une province à l’autre, et ainsi de suite. J’ai des préoccupations quant aux répercussions que ces changements auraient sur les personnes vulnérables et à leur application. Je vais vous donner l’exemple d’une personne qui a des problèmes de santé mentale. Il s’agit pour moi d’une question urgente étant donné les projets de loi à venir.

Le pouvoir discrétionnaire est important, mais son application est différente d’une juridiction à l’autre, pourrait soulever des préoccupations concernant l’équité du traitement réservé conformément à la loi. J’ai peut-être complètement tort. Je ne suis pas avocate, et mes questions en témoignent sûrement. Je me demandais si vous pouviez m’en dire plus. Ou encore, si ce que je dis n’a aucun sens pour vous, je me renseignerai davantage et poserai la question d’une autre façon la prochaine fois.

M. Beardall : Je ne suis pas certain de comprendre la question, mais, peu importe, je suis certain que je ne suis pas assez qualifié pour y répondre.

La sénatrice Lankin : Je vais y revenir une autre fois. Merci beaucoup.

Le sénateur Gold : L’une des façons de réduire les délais au cours des procès est qu’il n’y ait pas de procès et que les personnes plaident coupables. Cependant, nous savons que parfois les gens ressentent de la pression ou se sentent contraints de plaider coupables dans certaines circonstances, alors qu’ils pourraient en fait être innocents.

Dans le Rapport du Sous-comité FPT des chefs des poursuites pénales sur la prévention des erreurs judiciaires de 2018, un chapitre traitait de l’enjeu des faux plaidoyers de culpabilité. Ce rapport soulignait également la surreprésentation des Canadiens autochtones dans le système de justice, ce qui peut exercer une pression sur les détenus pour qu’ils plaident coupables dans certaines circonstances tandis qu’ils ne le sont pas.

Voici ma question : le projet de loi C-75 ajoute au processus actuel d’enquête sur les plaidoyers une exigence selon laquelle le tribunal doit s’assurer que les faits concordent avec l’accusation avant d’accepter que le plaidoyer de culpabilité. J’aimerais savoir si vous êtes d’avis que cette exigence résout adéquatement le problème, ou aide à le résoudre, des personnes réellement innocentes qui décident pour quelque raison de plaider coupables.

M. Beardall : Honnêtement, je ne sais pas quelle était la raison de cette modification en particulier. Je n’en ai pas discuté avec mes collègues du ministère de la Justice.

Tout ce que je peux dire, c’est qu’elle n’est certainement pas inutile. Toutefois, je ne vois pas vraiment ce qu’elle ajoute réellement aux obligations actuelles d’un juge. Les juges ont toujours eu l’obligation de veiller à ce que les faits acceptés au cours d’un plaidoyer de culpabilité soient suffisants pour justifier légalement l’accusation. À mon avis, même si cette obligation est codifiée explicitement dans le projet de loi, elle ne constitue pas une nouvelle obligation qui n’existait pas auparavant.

Le sénateur Gold : Je vous remercie. Elle est présentée, du moins dans les documents législatifs que nous avons, comme un ajout.

M. Beardall : C’est certainement un ajout du point de vue législatif.

Le sénateur Gold : Il s’agit donc d’un ajout à la législation, je vois. Merci de cette précision.

Le sénateur Sinclair : Je me demandais si je pouvais ajouter quelque chose, à la demande de la sénatrice Omidvar, et dans le cadre de mon exposé lors de la deuxième lecture du projet de loi, j’ai fait quelques recherches préliminaires. Vous pouvez bien entendu vérifier vous-mêmes, mais d’après les recherches que nous avons faites, je comprends qu’une fois qu’une personne est accusée d’un acte criminel passible d’une peine maximale de 10 ans, les représentants des services de l’immigration doivent être avisés, et cette personne sera expulsée pour un acte criminel passible d’une peine maximale de 10 ans si elle est condamnée à une peine de six mois ou plus. Voilà mon interprétation personnelle de la loi.

Le président : Il s’agit de l’alinéa 36(1)a). Je l’ai devant moi. Les analystes de la Bibliothèque me l’ont rapidement et aimablement apporté. C’est sous le titre « Grande criminalité. » Selon moi, c’est pour cette raison que le reclassement en infractions mixtes a une incidence importante sur l’immigration. Nous tenons compte de cette question dans nos réflexions sur ce projet de loi.

Le sénateur Sinclair : Je souligne encore une fois que ce qui n’est pas clair, c’est si le processus est tout de même enclenché automatiquement, même si la Couronne opte par la suite pour la procédure sommaire au lieu de la mise en accusation.

Le président : C’est exactement ce à quoi je pensais lorsque la sénatrice Lankin a posé sa question. Je me souviens de la discussion qui a suivi, et comme je l’ai dit, je crois que c’est la sénatrice Jaffer qui avait alors soulevé ce point, car elle est, bien entendu, préoccupée personnellement par l’immigration. Or, le contenu de l’article 36 est assez clair. L’article prévoit ce que vous dites. Cependant, ce qui n’est pas clair, ce sont les conséquences du reclassement en infractions mixtes sur cet article.

Merci beaucoup, monsieur Beardall. Comme vous le voyez, ce qui semble simple devient complexe lorsqu’on s’attarde sur les détails. Merci beaucoup. Nous sommes honorés de vous avoir entendus, et j’espère que vous continuerez à prendre part à la discussion sur cet important projet de loi.

M. Beardall : Merci à vous, monsieur le sénateur.

(La séance est levée.)

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