Aller au contenu
MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial
sur la Modernisationdu Sénat

Fascicule n° 2 - Témoignages du 12 avril 2016


OTTAWA, le mardi 12 avril 2016

Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd'hui, à 14 h 50, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.

Le sénateur Tom McInnis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, je déclare la séance du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat ouverte.

Aujourd'hui, nous entendrons la professeure Meg Russell, directrice, Division de la constitution, Département de sciences politiques, University College London. Mme Russell enseigne également la politique britannique et la politique comparative. Elle est une spécialiste très respectée des Chambres hautes partout dans le monde qui étudie tout particulièrement la réforme de la Chambre des lords. Elle comparaît devant nous par vidéoconférence depuis Londres.

Énumérer les publications remarquables qu'elle compte à son actif pourrait prendre une grande partie du temps prévu pour notre réunion, mais j'aimerais porter à votre attention une publication en particulier intitulée Independent Parliamentarians En Masse : The Changing Nature and Role of the 'Crossbenchers' in the House of Lords in Parliamentary Affairs (L'incidence collective des indépendants : changement dans la nature et le rôle des non-inscrits à la Chambre des lords dans les affaires parlementaires [Traduction]). Vous en avez tous reçu un exemplaire.

Madame Russell, veuillez commencer votre déclaration. Les sénateurs auront ensuite certainement des questions à vous poser.

Meg Russell, directrice, Division de la constitution, Département de sciences politiques, University College London, à titre personnel : Merci beaucoup de me présenter en des termes aussi généreux et merci également de m'inviter à témoigner à l'occasion de cette étude importante. C'est pour moi un immense honneur et un grand plaisir d'être avec vous, et j'espère vous être utile dans vos travaux.

Comme vous l'avez indiqué, mon expertise couvre deux champs d'activité : le Parlement britannique, tout particulièrement la Chambre des lords, et le bicaméralisme comparatif.

L'intérêt que je porte au bicaméralisme m'a amenée à étudier dans une certaine mesure le système politique canadien, mais je ne prétends pas être une experte de la politique canadienne, et je ne me permettrai pas vraiment de vous dire comment diriger votre système politique. J'espère toutefois que l'expérience britannique et des études comparatives plus générales sauront vous intéresser.

Dans ma déclaration préliminaire, j'ai pensé qu'il pourrait être utile d'aborder trois sujets : la Chambre des lords, et tout particulièrement le rôle des non-inscrits indépendants, certaines conclusions tirées d'études comparatives plus générales sur le bicaméralisme et certains changements apportés dernièrement à la Chambre des Communes qui semblent s'apparenter à des changements que vous envisagez vous-mêmes.

Pour ce qui est de la Chambre des lords, vous savez qu'elle est souvent comparée au Sénat canadien. Les deux institutions comportent des similitudes, mais elles diffèrent beaucoup également sur certains points importants.

La Chambre des lords, comme le Sénat, demeure une institution totalement non élue. La majorité de ses membres sont des pairs nommés à vie par la Reine sur les conseils du premier ministre.

Depuis la réforme de 1999 au cours de laquelle on a retiré la plupart des pairs héréditaires, soit ceux qui avaient hérité de leur siège, aucun parti politique n'a eu la majorité à la Chambre des lords. Les deux grands partis, le Parti conservateur et le Parti travailliste, conservent un poids à peu près égal et la balance du pouvoir est détenue par le troisième parti, celui des démocrates libéraux, et par un grand groupe de non-inscrits indépendants.

Officiellement, la chambre possède le pouvoir considérable d'opposer son veto pour certains projets de loi et de retarder l'adoption de la plupart des autres pendant un an, mais, dans la pratique, elle fait montre d'une grande retenue dans l'exercice de son plein pouvoir. Toutefois, en dépit du grand respect que j'ai pour l'immense expertise de David Smith sur la politique canadienne, je ne suis pas d'accord avec lui lorsqu'il laisse entendre à votre comité que la Chambre des lords ne joue qu'un rôle périphérique dans la politique britannique. En effet, depuis 1999 tout particulièrement, la Chambre des lords a fait montre d'une confiance renouvelée et défait le gouvernement plus de 500 fois. Ce qui devrait vous intéresser, comme vous l'avez indiqué, étant donné l'évolution des choses dernièrement au Canada, ce sont les non-inscrits indépendants, la façon dont ils ont accédé à la Chambre des lords, leur attitude lorsqu'ils y sont et les répercussions qu'ils ont sur la culture et le rôle en matière de politique de l'institution.

À la lecture de l'article dont vous avez parlé — du moins ceux qui ont eu la possibilité de le lire —, vous avez appris que les non-inscrits indépendants constituent le plus grand groupe d'indépendants de toutes les chambres parlementaires partout dans le monde. Ils sont au nombre de 178 actuellement à la Chambre des lords.

Le groupe a pris lentement de l'importance au fil du temps, à la suite de nominations de lords ou, en fait, de l'entrée à la Chambre de lords héréditaires qui n'avaient aucune allégeance politique. À l'origine, le mot « non-inscrit » désignait quelqu'un qui s'assoyait quelque part entre les lords rattachés au gouvernement et ceux appartenant à l'opposition. Peu à peu, et tout particulièrement depuis les années 1960, le groupe des non-inscrits s'est doté d'une organisation officielle. Il compte maintenant un convenor (un organisateur), quelques employés qui organisent les réunions hebdomadaires et du personnel qui fait circuler les documents d'information, et ainsi de suite. Je sais que vous entendrez l'organisateur dans un témoignage à venir; il pourra alors vous en dire plus sur le sujet.

Aujourd'hui, on s'attend à ce que les membres non inscrits soient totalement séparés des partis politiques. La plupart sont nommés par la commission prévue à cette fin, la House of Lords Appointments Commission. Cet organisme a été créé en 2000; il recherche ouvertement les personnes qui peuvent montrer qu'elles ont à leur actif des réalisations importantes.

La Commission dresse une liste à la lumière des personnes qui ont présenté leur candidature, elle procède ensuite à des entrevues et formule des recommandations au premier ministre sur les personnes à nommer à la Chambre. Le processus est tout à fait ouvert et il a donné lieu à la nomination d'environ 70 personnes depuis la mise en place de la Commission en 2000.

Les non-inscrits forment un groupe très important à la Chambre des lords. Bon nombre sont des experts reconnus dans leur domaine. La Commission s'emploie en fait à établir un juste équilibre dans les champs d'expertise des membres de la Chambre.

La nature des partis et la composition de la Chambre des lords, où aucun parti ne détient la majorité, ont pour conséquence que les non-inscrits peuvent exercer une incidence décisive sur l'issue du vote et se retrouver ainsi sur la ligne de feu. Toutefois, le groupe n'a pas de ligne de conduite collective et le vote de ses membres est habituellement divisé dans une certaine mesure entre partisans et opposants d'une proposition.

Lorsqu'ils n'ont pas une bonne connaissance d'un sujet, les non-inscrits s'abstiennent souvent de voter. La participation de ce groupe au vote à la Chambre ne s'élève qu'à 10 à 20 p. 100.

Toutefois, même si les non-inscrits exercent une incidence importante sur le vote, leur présence est encore beaucoup plus déterminante à d'autres égards. Ils peuvent ainsi influer considérablement sur le ton des débats à la Chambre des lords. Parce que les ministres doivent défendre leurs politiques devant un groupe d'experts non partisans très respectés, les débats sont davantage fondés sur des faits rationnels. De plus, il arrive que des non-inscrits prestigieux remettent en question une politique gouvernementale et exercent une pression réelle sur des ministres. Les non-inscrits interrogent également les ministres à la période des questions et ils jouent un rôle actif dans les comités de la Chambre des lords.

Dans l'ensemble, la présence des non-inscrits donne à la Chambre des lords une image d'organisme moins partisan et plus qualifié, ce qui est très important. La population comprend assez peu le rôle des non-inscrits et les médias leur accordent peu d'attention, mais, de façon générale, leur présence est perçue favorablement et considérée comme un des meilleurs atouts de la Chambre des lords.

Les non-inscrits constituent un groupe extrêmement important et précieux de la Chambre des lords. Je considère donc que l'ajout de membres non alignés sur un parti au Sénat canadien pourrait constituer une mesure positive, mais je doute qu'un Sénat totalement composé de non-inscrits indépendants soit une bonne chose, je tiens à le dire, si nous devons en parler plus tard.

Si notre Chambre des lords était composée uniquement de membres non inscrits, elle fonctionnerait bien différemment et elle serait soumise, je crois, à davantage de pressions et de controverses. Nos non-inscrits évoluent dans un environnement où la majorité des membres sont des pairs affiliés à un parti.

Très peu des pressions exercées pour réformer l'institution portent sur le rôle des non-inscrits. En fait, dans la plupart des propositions formulées à ce sujet, on affirme que de 20 à 25 p. 100 des sièges devraient être réservés à ce groupe. La nomination des lords affiliés à un parti politique fait l'objet toutefois de beaucoup de plaintes. En effet, ce type de nomination est beaucoup plus hermétique. En outre, il n'y a aucune formule de calcul prévue pour le partage des sièges entre les partis et des pressions sont donc exercées à ce sujet; certains voudraient notamment que le partage des sièges soit fondé sur le résultat des élections générales. Qui plus est malheureusement, contrairement à ce qui est le cas au Canada, il n'y a pas de limite au nombre de membres pouvant être nommés; notre Chambre des lords compte donc maintenant plus de 800 membres.

Beaucoup voudraient que les pouvoirs de la Commission chargée de nommer les lords non inscrits soient élargis de façon qu'elle puisse également réglementer le partage des sièges entre les partis et limiter le nombre de lords de la Chambre. Je vous donne cette information parce qu'elle pourrait vous orienter dans vos décisions futures.

Je vais passer maintenant à un autre sujet et serai beaucoup plus brève. J'ai dit que je parlerais un peu du bicaméralisme comparatif. Je vous dirai simplement que l'étude que j'ai faite sur les parlements bicaméraux partout dans le monde m'a appris que leur fonctionnement n'est pas simple. Il apparaît clairement que les premières chambres sont là pour représenter les gens et qu'elles doivent être élues. Les deuxièmes chambres existent en grande partie pour remettre en question les décisions prises par les premières; elles sèment donc la controverse par leur nature même. Que leurs membres soient élus ou nommés, les deuxièmes chambres risquent toujours de voir remettre en question leur légitimité, tout particulièrement par ceux qui détiennent la majorité dans les premières chambres.

La Chambre des lords, comme le Sénat canadien, subit depuis longtemps ce genre de remise en question. Dernièrement, elle a été l'objet d'attaques du gouvernement conservateur, parce que pour la première fois elle a pu attaquer en adoptant un point de vue de la gauche. Il convient de mentionner que lorsque le Parti travailliste était au pouvoir, les non-inscrits se faisaient reprocher d'être trop conservateurs. Maintenant que le Parti conservateur forme le gouvernement, les non-inscrits se font accuser d'être trop à gauche.

Il me semble donc que la Chambre des lords en général et les non-inscrits en particulier font probablement du bon travail, mais leur situation n'est pas particulièrement confortable. Bref, je dirais que si vous créez une deuxième chambre qui ne confronte pas la première, vous allez probablement essuyer un échec. En effet, la Chambre des lords montre qu'elle permet de réaliser des choses. On peut en fait y gagner beaucoup sans avoir à déclencher des élections.

Vous réfléchissez à l'élection des présidents des comités et du Président de la Chambre. Ces deux questions ont fait l'objet d'une réforme au cours des dernières années par notre Chambre des communes. Le premier Président de la Chambre élu par vote secret l'a été en 2009. En 2010, nous avons mis en place un nouveau système d'élection de présidents de comités sélects par vote secret dans toute la Chambre. C'était ce qu'avait recommandé le comité de la réforme de la Chambre des communes pour lequel j'ai servi de conseillère spécialisée. La mesure a remporté un franc succès, et je serai très heureuse de vous en parler si vous le désirez.

Les membres et les présidents des comités de la Chambre des lords ne sont toujours pas élus. La nomination des membres aux comités est encore négociée par la voie des canaux habituels, mais le Président de la Chambre des lords est encore élu par vote secret. On s'attend à ce que les Présidents de nos deux chambres soient totalement non partisans.

J'espère vous avoir présenté des informations dignes d'intérêt et fourni des pistes sur ce dont nous pourrions parler. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, madame Russell. Je suis un lecteur fidèle de vos écrits importants sur la réforme de la Chambre des lords, et ce, surtout depuis la parution du rapport Wakeham de 2000, ainsi que des nombreux documents publiés par le gouvernement britannique. Je vous suis très reconnaissant des observations que vous formulez parce qu'elles m'aident dans mon travail et dans ma réflexion concernant la modernisation du Sénat canadien.

Le gouvernement a l'intention explicite de faire du Sénat canadien une chambre dont les 105 membres seraient indépendants. Connaissez-vous un parlement qui fonctionne sur le modèle de Westminster où la chambre haute est uniquement composée de membres indépendants?

Mme Russell : Merci beaucoup de vos observations et merci également de suivre fidèlement mes travaux. C'est très agréable de vous revoir. Je suis toujours heureuse de pouvoir être utile.

Pour répondre à votre question, vous savez, je crois, que la réponse est non. L'article sur les non-inscrits dont le président du comité a parlé a été publié en 2009. Il remonte donc à quelques années maintenant. Sous certains aspects, il est un peu dépassé pour la Chambre des lords. Toutefois, lorsque j'y ai travaillé, j'ai bel et bien mené une enquête auprès des parlementaires indépendants dans le monde. Il existe très peu d'exemples à ce sujet.

Les rares cas que l'on peut trouver où le nombre d'indépendants est particulièrement élevé se trouvent essentiellement dans les pays où la notion d'indépendance soulève des doutes, comme peut-être dans les pays où les partis politiques ne sont pas autorisés. Il n'existe pas dans le monde de chambre comparable où les membres sont tous indépendants. Nos non-inscrits sont probablement le meilleur exemple d'un grand groupe d'indépendants et de la dynamique qu'ils apportent. Comme je l'ai dit, il est essentiel que les non-inscrits interviennent dans un environnement où l'appartenance à un parti domine.

Le sénateur Joyal : En anglais, les non-inscrits sont appelés les cross-benchers, soit ceux qui occupent les bancs transversaux. Le terme renvoie à l'existence même de bancs appartenant à au moins deux autres entités présentes à la Chambre. Dans sa définition même, le mot renvoie en fait à l'existence de partis à la chambre.

Pourriez-vous nous en dire plus sur la définition de « membre indépendant »?

Dans un nouvel article, au haut de la page 37, vous dites qu'il n'existe donc pas de pair indépendant type. Vous parlez ensuite de l'allégeance du pair en déclarant qu'il n'y a pas de pair indépendant type. À la page 47 du même document, vous affirmez que la notion « d'indépendant » est beaucoup moins claire.

Étant donné qu'il y a plusieurs niveaux d'indépendance, pourriez-vous nous aider à mieux comprendre la notion d'indépendance dans le contexte d'une chambre haute par rapport aux pairs et par rapport à la chambre elle-même?

Mme Russell : Je dis deux choses assez différentes dans ces commentaires. Il n'y a pas de pair indépendant type parce que ce groupe est extrêmement diversifié. Il s'agit à l'évidence d'un grand groupe composé de 178 membres qui proviennent d'horizons très divers. Ils sont arrivés à la Chambre en ayant emprunté différentes routes. J'ai parlé de six routes dans le document, dont certaines ont été fermées depuis. Il n'y a plus beaucoup de membres de la Chambre des lords qui proviennent du milieu judiciaire. Les anciens membres de partis politiques ne siègent plus réellement comme non-inscrits. Ils ont leur propre groupe. Le groupe des non-inscrits se définit maintenant beaucoup plus comme un groupe de spécialistes non partisans que cela était le cas même lorsque j'ai rédigé l'article, il y a quelques années. En raison de sa nature même, le groupe est extrêmement diversifié.

Il y a des gens issus du milieu des affaires, du secteur militaire, de la fonction publique, du monde scientifique, des arts, et cetera. Il est donc impossible de caractériser un membre type. Les non-inscrits varient selon leur âge, leurs intérêts, leurs opinions, et ainsi de suite.

J'ai bel et bien expliqué plus loin dans l'article pourquoi il est difficile de donner une définition exacte du membre indépendant. Notre groupe de non-inscrits s'est donc formé selon les aléas de l'histoire, réellement, que ce soit par la nomination de personnes qui avaient atteint un niveau élevé de compétence dans leur domaine ou par l'arrivée de lords ayant simplement hérédité de leur titre par pairage héréditaire qui n'avaient aucune allégeance à un parti. Le groupe s'est développé graduellement avec le temps et, comme il s'est montré très utile à la Chambre des lords, des mesures réelles et délibérées ont été prises pour conserver ce groupe et veiller à sa constitution. Il a pris la forme graduellement d'un groupe non partisan clairement défini ainsi. Par exemple, il y a quelques années, les membres non-actifs d'un parti politique pouvaient encore très bien être nommés à ce groupe. Ces personnes devaient montrer une indépendance d'esprit et être capables d'exercer leur propre jugement, même si elles pouvaient conserver au fond d'elles-mêmes une certaine loyauté à un parti.

Alors, je doute des bienfaits d'une chambre entièrement composée de membres indépendants. Étant donné que nos non-inscrits composent une minorité, même très grande, à la Chambre des lords, ils ne sont pas à l'avant-scène. Ce sont les membres qui représentent les partis qui jouent les rôles principaux, les rôles de direction et les rôles les plus visibles.

Les membres indépendants subiraient beaucoup plus le feu des projecteurs s'ils étaient les seuls à composer la chambre, après le retrait des représentants des partis. Les attentes à leur égard seraient beaucoup plus élevées, je crois. Ce serait demander beaucoup à ces gens. Je ne souhaite pas dire aux Canadiens comment mener leurs affaires politiques. Votre culture est différente de la nôtre. Vos attentes sont différentes des nôtres, mais je pense qu'il serait souhaitable de consulter l'organisateur si on songeait à bannir les partis politiques de la Chambre des lords. Les non- inscrits trouveraient peut-être difficile d'être sous le feu des projecteurs.

Le sénateur Joyal : Vous parlez de l'organisateur des non-inscrits. Apparemment, il n'est pas clair pour certains de mes collègues que l'organisateur ne s'occupe que d'un seul groupe. Il n'y a pas plusieurs groupes de non-inscrits, avec chacun un organisateur différent qui lui est attitré. À ce que je comprends de la structure actuelle de la Chambre des lords, il y a les pairs affiliés à des partis, membres des partis libéral, démocrate, travailliste, conservateur et vert. Vous dites que les lords irlandais forment un groupe très important à la chambre. Toutefois, l'ensemble des non-inscrits ne forme qu'un seul groupe. En d'autres mots, il n'y a qu'une seule personne portant le titre d'organisateur pour tous les non-inscrits. Il n'y a donc pas plusieurs groupes de non-inscrits, qui choisissent leur organisateur respectif, ni de pairs dits indépendants. Est-ce que je me trompe?

Mme Russell : Vous avez largement raison. Il n'y a assurément qu'un seul groupe de non-inscrits. Histoire de rendre les choses juste un peu plus complexes — mais nous pourrons probablement mettre ce fait de côté assez facilement —, j'ajouterai qu'il y a deux autres groupes qui ne sont pas alignés sur un parti à la Chambre des lords. Il s'agit des évêques de l'Église d'Angleterre, qui sont issus de notre histoire. Ils sont au nombre de 26. Ils ont leur propre organisateur. Ils sont également non partisans. Ils fonctionnent un peu comme les non-inscrits, mais ils sont assez différents d'eux et il est évident que vous n'avez pas leur équivalent au Canada.

Puis, nous avons un groupe qui ne ressemble en rien aux autres dont je viens de vous parler. Nous avons les lords conservateurs, travaillistes, démocrates libéraux ainsi que les lords de quelques autres partis plus petits et les non- inscrits. Nous avons également un groupe de pairs comme les groupes mixtes qui existent dans de nombreux parlements, qui ne font pas partie des catégories que je viens de nommer, mais qui n'ont pas d'organisateur. Il n'y a qu'un organisateur et un groupe organisé pour les pairs indépendants qui ne sont pas évêques.

Voilà, j'imagine, ce qui alimente mes préoccupations concernant une chambre composée uniquement de pairs indépendants. Ce modèle fonctionne dans un environnement où d'autres groupes interviennent. Toutefois, s'il n'y avait personne d'autre que des pairs indépendants, certains pourraient être tentés de former des sous-groupes. Lorsque j'ai étudié le fonctionnement des non-inscrits, j'ai voulu savoir s'il y avait des organisations internes dans ces groupes — en fait, s'il y avait un regroupement de non-inscrits de gauche et un autre de droite, et si certains groupes professionnels avaient tendance à travailler ensemble. Je n'ai assurément perçu aucun groupement de gauche ou de droite.

Il y a des réseaux professionnels; ainsi, les gens issus du milieu de la santé ont tendance à se connaître davantage et il en va de même pour les anciens fonctionnaires, mais, même eux, ne forment pas une organisation de quelque sorte que ce soit. Je dirais que, fondamentalement, vous avez raison : il y a un groupe doté d'un organisateur qui se réunit une fois par semaine dans un bureau. Les membres de ce grand groupe défendent activement leur indépendance personnelle. Le groupe dans son ensemble défend activement l'indépendance de chacun de ses membres et ne suit pas une ligne de conduite commune. Si vous avez lu mon article, vous savez que le groupe s'oppose fermement à tout regroupement organisé à l'intérieur de ses rangs.

Si les non-inscrits occupaient toute la place à la Chambre, il serait très difficile d'empêcher la formation de groupes organisés, qui serait un phénomène très naturel, je crois.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, les pairs qui ne font pas partie des non-inscrits relevant de cet organisateur ne pourraient pas s'attendre à faire partie d'un comité ou à assurer la vice-présidence ni même la présidence d'un comité. Je constate que la personne qui préside le Comité des affaires sociales est un membre non inscrit. Celui ou celle qui veut prendre part à l'organisation du travail à la Chambre des lords sous la direction de l'organisateur et en vertu des privilèges rattachés à ce statut doit donc faire partie des groupes rattachés à l'organisateur pour être nommé à un comité. Il faut peut-être avoir exprimé le désir d'être membre ou faire partie d'un autre groupe ou association de parlementaires et ainsi de suite.

La personne qui ne fait pas partie de ce groupe est laissée à l'écart. Elle ne peut pas s'attendre à avoir le droit de siéger à un comité et d'y présenter des amendements à des projets de loi à ce comité, et cetera, mais elle peut, naturellement, prendre la parole à la Chambre des lords dans les débats ouverts à tous les membres. Les choses se passent-elles ainsi?

Mme Russell : Pas vraiment, en fait, et ce, pour deux ou trois raisons. Premièrement, contrairement à ce qui est le cas dans de nombreux autres parlements, les règles en vigueur à la Chambre des communes et à la Chambre des lords ne favorisent pas ouvertement les groupes affiliés aux partis. Nous appliquons un principe général voulant que les sièges doivent être répartis équitablement dans les comités. Dans la pratique, les sièges sont donc généralement répartis entre les groupes. Dans certains parlements, les personnes qui ne sont pas membres de groupes bien établis et reconnus n'ont pas la possibilité de siéger à un comité. Or, tel n'est pas le cas dans le nôtre. En fait, il n'est pas inconcevable qu'un expert qui n'appartient pas à un groupe principal, mais qui pourrait être utile à un comité soit nommé à ce comité.

L'autre raison a trait à ce dont vous venez de parler concernant la possibilité pour les pairs de présenter des amendements aux projets de loi dans les réunions des comités, et cetera. La situation est bien différente de celle que vous décrivez. À la Chambre des lords, l'étude des projets de loi en comité se fait soit à la Chambre même ou par l'entremise de ce que nous appelons « le grand comité ». Tous les membres ont le droit d'assister aux travaux du grand comité. Il n'y a aucune restriction pour l'examen des projets de loi par le comité et n'importe quel membre peut se présenter et formuler un amendement.

Encore une fois, l'appartenance à un groupe ne confère aucun privilège de plus. En raison de la nature relativement faible — très faible — du rôle du Président de notre Chambre des lords et de la nature relativement déréglementée de cette institution, on n'invite pas de conférenciers et personne ne choisit des modifications. Les gens travaillent donc dans un environnement très égalitaire dans lequel tous les membres ont des privilèges égaux.

Le sénateur Joyal : Merci, Madame Russell.

La sénatrice Bellemare : J'ai eu le privilège de vous rencontrer l'an dernier. J'ai beaucoup appris de notre conversation, lorsque j'étais là-bas avec notre ancien Président, M. Pierre Claude Nolin. J'aimerais revenir à la question soulevée par le sénateur Joyal concernant les privilèges et les fonctions des non-inscrits.

Selon ce que je comprends, au Royaume-Uni, les lords, même s'ils sont non inscrits, ont des pouvoirs égaux à ceux qui appartiennent à un parti traditionnel. À la lumière de ce dont vous pouvez vous rappeler, j'aimerais savoir s'il en a toujours été ainsi ou si la situation actuelle découle de négociations menées au fil du temps.

Mme Russell : Il en a probablement toujours été ainsi. Une des particularités du Parlement britannique tient à ce qu'il soit une institution ancienne, comme vous le savez. Les procédures en place au Parlement britannique sont dans une large mesure, mais pas totalement, antérieures au régime des partis politiques. Voilà une des principales raisons pour lesquelles notre règlement ne tient pas beaucoup compte des partis politiques et pour lesquelles, par exemple, les sièges dans les comités ne sont pas répartis selon l'appartenance à un parti. Les comités existaient avant l'apparition des partis politiques. Les droits conférés aux membres des deux chambres sont issus d'une tradition qui remonte à très loin dans le temps.

La situation des non-inscrits a connu une évolution importante. Il est certain qu'avant la réforme de 1999 — qui a dans une certaine mesure mis les non-inscrits sur le devant de la scène —, la Chambre des lords était largement dominée par les conservateurs. Les délibérations portaient principalement — et j'imagine qu'on pourrait dire que tel est encore le cas, mais dans une proportion beaucoup moindre qu'auparavant — sur des négociations entre les groupes rattachés à un parti.

Après 1999, lorsque les groupes des deux grands partis sont devenus beaucoup mieux équilibrés, les non-inscrits ont naturellement pris une importance beaucoup plus grande. En conséquence, on a eu davantage intérêt à faire participer l'organisateur des non-inscrits aux discussions. L'organisateur actuel est relativement nouveau, et vous pourrez lui parler de cette évolution, mais il ne connaîtra peut-être pas toutes les dispositions qui ont été prises pour ses prédécesseurs. Il est juste de dire, je crois, qu'avec le temps, l'organisateur des non-inscrits a participé davantage aux canaux habituels. Même actuellement, il ne serait probablement pas considéré comme un membre central des canaux habituels, mais le groupe des non-inscrits est beaucoup plus consulté qu'auparavant.

Un phénomène intéressant a fait son apparition à l'arrivée au pouvoir des travaillistes en 1999 et demeure jusqu'à ce jour : les ministres qui veulent convaincre la Chambre des lords d'appuyer leurs lois ont pris l'habitude de s'adresser aux non-inscrits. Ils savent que les non-inscrits jouent un rôle clé dans l'issue du vote et dans l'atmosphère générale qui a cours à la Chambre des lords. Le groupe des non-inscrits a assurément pris de l'importance et il est maintenant reconnu de façon officielle dans une certaine mesure. Ainsi, le principe de base voulant que les membres doivent être égaux demeure le fondement de la situation qui a cours.

La sénatrice Bellemare : Voilà qui m'amène à ma deuxième question. J'aimerais parler de la relation entre les non- inscrits et le gouvernement. Vous venez de dire que les ministres cherchent parfois à obtenir le vote des non-inscrits. Pouvez-vous nous dire comment les non-inscrits réagissent aux projets de loi du gouvernement? Sont-ils sceptiques à l'endroit du gouvernement? Lui sont-ils favorables? Cherchent-ils les défauts des projets de loi? Pouvez-vous nous parler un peu de l'attitude du groupe des indépendants envers les projets de loi du gouvernement?

Mme Russell : Je crois qu'il faut revenir à ce que j'ai dit en réponse aux premières questions du sénateur Joyal, à savoir qu'il n'y a pas de membre indépendant type. Il est donc impossible de tirer des généralisations à leur sujet. Chaque membre de ce groupe évalue chaque proposition émanant du gouvernement selon ses mérites. Les non-inscrits ne donnent jamais une réponse unanime. Les réactions varient à l'occasion. Si les choses étaient distribuées purement au hasard, il arriverait que les membres voteraient tous du même côté, tout particulièrement lorsqu'il n'y a que cinq ou dix membres qui votent. Toutefois, les votes sont généralement répartis soit dans une proportion de 50-50, ou peut-être de deux tiers d'un côté et d'un tiers de l'autre, ou quelque chose de semblable. Le groupe n'a donc véritablement pas de ligne de conduite collective et chaque membre se fait sa propre idée des propositions présentées selon ses mérites.

Dans mon article, j'ai essayé d'examiner un peu les tendances observées dans le vote des non-inscrits. Le vote est très largement divisé. Certains non-inscrits votent beaucoup du côté des conservateurs et beaucoup moins du côté des travaillistes. D'autres font le contraire. Beaucoup divisent leur vote assez également. La situation peut être frustrante, mais elle est également fascinante. C'est pourquoi j'y ai consacré une étude.

Il serait peut-être temps que je mette mon article à jour parce que les non-inscrits ont joué un rôle clé lorsque nous avons eu un gouvernement de coalition; les démocrates libéraux sont alors entrés au gouvernement et les non-inscrits ont constitué le seul groupe décideur à la Chambre des lords. Cela a été un développement important. Ils forment un groupe fascinant, mais il est très difficile de tirer des généralisations à leur sujet en même temps. C'est peut-être un peu frustrant.

La sénatrice Bellemare : Vous avez dit dans votre document que les non-inscrits sont peut-être un phénomène nouveau des chambres hautes, parce que les électeurs sont de moins en moins loyaux à l'égard d'un parti politique. L'apparition d'un groupe indépendant au Sénat témoigne de l'indépendance accrue des électeurs. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet. Pensez-vous toujours ce que vous avez écrit dans votre article? Vous n'avez pas trouvé beaucoup de groupes d'indépendants dans le monde. Il y en a un en Australie. Ils se donnent le même nom, mais il s'agit plus d'une coalition. Pouvez-vous vous prononcer là-dessus, s'il vous plaît?

Mme Russell : Il y a eu des périodes dans l'histoire au cours desquelles des membres indépendants ont détenu la balance du pouvoir au Sénat australien. De petits partis et des particuliers qui n'avaient véritablement aucune allégeance à un parti politique ont également été élus au Sénat de ce pays. Il est arrivé que ces personnes aient détenu la balance du pouvoir, mais le Sénat australien est encore plus petit que son équivalent canadien. En fait, la taille de cette institution correspond à moins du dixième de celle de la Chambre des lords. Il s'agit donc réellement de très peu de gens.

Quand j'ai fait une visite en Australie il y a environ 15 ans, un membre indépendant de la Tasmanie détenait la balance du pouvoir. Il subissait une pression énorme. L'attention de toute la population était concentrée sur lui et sur la position qu'il allait prendre dans les votes par appel individuels, ce qui était très difficile pour lui. Permettez-moi de revenir à votre question que je crains d'avoir oubliée.

La sénatrice Bellemare : Il s'agit du phénomène moderne des groupes indépendants.

Mme Russell : Oui, naturellement. Je vais m'en tenir à ce commentaire. Au Royaume-Uni — et je crois que la situation est assez semblable dans les démocraties avancées —, la loyauté aux partis politiques semble être en perte de vitesse. Nous observons le phénomène que les politologues appellent « le désengagement politique ». Les politiciens sont maintenant davantage intéressés à mettre sur pied des organismes indépendants et apolitiques. En un sens, la Chambre des lords, et tout particulièrement les non-inscrits, incarne cette tendance. J'ai dit que le phénomène est apparu avec le temps. En fait, le groupe des non-inscrits existe depuis plus de 100 ans. Il porte toutefois une aura de modernité. Bref, son temps est arrivé.

C'est la présence de personnes non alignées sur un parti politique qui plaît à la population concernant la Chambre des lords, dans la mesure où la population s'intéresse à cette institution qui ne fait pas très souvent les manchettes. Parce que ses membres ne sont pas élus, beaucoup de gens ne connaissent pas vraiment les détails du fonctionnement de la chambre haute. Toutefois, la présence de membres indépendants constitue l'un des éléments qui plaisent le plus à la population générale. La Chambre des lords est perçue dans l'ensemble comme une institution moins partisane. Les gens apprécient que les membres qui prennent place sur les bancs rattachés à un parti soient perçus comme ayant des affiliations un peu moins étroites avec les partis que les membres de la Chambre des communes et que, dans l'ensemble, les valeurs et la culture de la Chambre des lords soient relativement moins partisanes.

L'un des points que j'ai soulevés dans mon article, et dont j'ai reparlé dans mon livre sur la Chambre des lords publié il y a deux ou trois ans, c'est que la présence des non-inscrits est l'un des facteurs qui favorisent la culture de non-partisanerie dans toute la chambre. Les membres affiliés à un parti politique siègent dans une chambre où la balance du pouvoir est détenue par des membres indépendants, ils ne peuvent donc pas s'attaquer les uns les autres au titre du parti politique auquel ils appartiennent. Ils doivent en fait intervenir avec des arguments rationnels fondés sur des données probantes, parce le vote des non-inscrits indépendants dépend de la qualité des arguments présentés. Si les membres d'un côté cherchaient à marquer des points en s'appuyant uniquement sur des motifs politiques, ils pourraient perdre rapidement l'appui des membres indépendants, qui pourraient alors être enclins à voter avec les membres de l'autre côté. Alors, en un sens, la présence de membres indépendants dépolitise considérablement la Chambre des lords, même les membres rattachés à un parti politique. J'espère que ce que je vous dis semble sensé.

La sénatrice Bellemare : Absolument.

Le sénateur McIntyre : Merci, madame Russell, pour votre déclaration. J'ai également eu la possibilité de lire votre article sur le sujet.

Les non-inscrits n'ont ni chef ni whip, c'est bien clair. Comme l'a dit le sénateur Joyal, ils ont un organisateur. Toutefois, ils ont un statut officiel, ayant été reconnus comme groupe politique, mais non comme parti. Ils ont le droit de participer aux débats et aux travaux de la chambre dans une proportion qui correspond à peu près à leur nombre. Ils votent relativement peu, mais je crois comprendre qu'ils participent à la plupart des débats. Ils exercent une influence sur les travaux de la Chambre des lords.

À l'évidence, la Chambre des lords a dû modifier ses règles et ses procédures pour s'adapter à la présence des non- inscrits. Comment s'y est-elle prise pour permettre aux non-inscrits de participer convenablement aux travaux de la chambre et de façon proportionnelle à leur nombre? Dans quelle mesure les changements apportés ont-ils réellement permis aux non-inscrits d'exercer leurs droits de participation?

Mme Russell : Il ne s'agissait pas beaucoup de changer les règles, parce que le groupe des non-inscrits s'est formé de lui-même au fil du temps. La présence à la Chambre des lords de membres qui ne sont pas affiliés à un parti politique remonte à loin. En fait, la Chambre des lords est apparue avant la création des partis politiques.

Je peux voir que votre sénat accueille un nouveau groupe et que vous devez en conséquence modifier certaines choses. Chez nous, toutefois, il y a toujours eu des membres indépendants à la chambre lorsque nous avons élaboré nos procédures; en fait, beaucoup de nos procédures ont été mises en place avant la création des partis politiques. En un sens, ce sont les membres affiliés à des partis politiques qui ont fait leur entrée à la chambre après les membres indépendants. Nos procédures ont été élaborées avec le temps, mais elles reposent fondamentalement sur le principe voulant que les membres doivent être égaux et avoir chacun des droits égaux à ceux des autres; elles n'accordent pas beaucoup de privilèges officiels aux membres des partis politiques ni aux membres de quelque groupe que ce soit.

À la Chambre des lords, l'application des règles — j'hésite à parler de règles — repose sur le principe de l'équité fondée pour beaucoup sur l'appartenance à un groupe donné. Pour les débats, par exemple, on a tendance à répartir le temps entre le parti gouvernemental, l'opposition, les non-inscrits, en accordant des droits d'intervention équitables aux groupes plus petits, comme les démocrates libéraux et les évêques.

Toutefois, ces dispositions n'ont pas un grand caractère officiel et elles s'appuient sur des conventions, la tradition et des principes communs. Les règles ne sont pas rigides. C'est une situation assez inhabituelle dans une institution parlementaire, j'en conviens, mais elle laisse beaucoup de latitude pour les changements requis selon l'évolution des choses. Il n'est pas besoin de réécrire les règles, il faut simplement élaborer de nouvelles conventions.

Le sénateur McIntyre : Lorsque vous parlez des non-inscrits, parlez-vous des six groupes que vous mentionnez dans votre article, à l'exception des partis de l'Irlande du Nord?

Mme Russell : Concrètement, oui. Comme je l'ai dit, les groupes mentionnés dans l'article ont quelque peu changé. Les membres affiliés aux partis de l'Irlande du Nord ont depuis quitté le groupe des non-inscrits. Nous n'avons plus de gens nommés en qualité de juges à la Chambre des lords depuis la création de la Cour suprême au milieu des années 2000; un nombre plus grand de ces personnes étaient encore en place à la fin de la première décennie de ce siècle que maintenant.

Les autres membres qui ont quitté leur parti ne sont plus les bienvenus chez les non-inscrits. Maintenant, le groupe se compose donc principalement de pairs héréditaires, de membres qui ont été nommés par la commission et de personnes nommées par le premier ministre en qualité de membres indépendants, dont la plupart sont des anciens hauts fonctionnaires.

Comme les membres sont nommés à vie, il faut beaucoup de temps pour apporter des changements au système, mais la plupart des gens qui entrent dans le groupe des non-inscrits sont maintenant nommés par la commission.

Le sénateur Greene : Je vous remercie beaucoup de comparaître devant nous. Un non-inscrit peut-il être membre d'un parti politique?

Mme Russell : Je crois que oui, mais il vaudrait mieux que vous parliez à l'organisateur pour connaître les plus récentes règles en vigueur. Excusez-moi d'hésiter ainsi. On a laissé entendre, il y quelques années, que les non-inscrits allaient être obligés de signer une sorte de déclaration d'indépendance. Je ne suis pas certaine qu'ils aient mis en œuvre cette règle et, le cas échéant, que cette règle les oblige à apposer leur signature pour établir qu'ils ne sont pas membres d'un parti politique. Il a toujours été entendu, de façon moins rigide que cela, que les membres des non-inscrits n'allaient pas suivre les ordres d'un whip de parti, mais que personne n'allait empêcher quelqu'un de faire partie, à titre privé, d'un parti politique.

Donc, ces gens ne sont assurément pas des meneurs de partis politiques. Ils n'assument pas de fonctions de ministre et ils n'ont pas été élus comme députés de leur parti, et ainsi de suite. Alors, j'imagine qu'il n'y aurait pas d'empêchement à ce qu'un citoyen, membre d'un parti politique, devienne un non-inscrit, mais il vaudrait mieux vérifier la chose auprès de l'organisateur pour faire véritablement le point sur le sujet.

Le sénateur Greene : Dans notre cas, si un conservateur ou un libéral décidait, pour une raison ou pour une autre, de quitter son caucus au Sénat et de siéger comme indépendant, il deviendrait probablement un sénateur indépendant tout en demeurant membre de son parti. Qu'adviendrait-il aux membres de la Chambre des lords nommés en qualité de lords conservateurs quelques années auparavant qui décideraient de devenir indépendants et de se rallier aux non- inscrits? Quelle serait alors leur place?

Mme Russell : Eh bien, c'est l'un des points que j'ai cherché à analyser un peu dans cet article, soit la délimitation graduelle du groupe des non-inscrits.

Comme je l'ai dit, le groupe s'est organisé avec le temps et sa délimitation est devenue plus claire. Auparavant, le lord qui quittait son parti prenait place sur un banc transversal et rejoignait ainsi les autres qui n'appartenaient à aucun parti; toutefois, les non-inscrits ont donné une définition ou une délimitation plus étroite à leur groupe, et c'est pourquoi nous avons maintenant cet autre bloc, qui ne constitue pas réellement un bloc, de gens qui ont quitté leur parti. Les non-inscrits sont un groupe auto déclaré de membres indépendants, et ils n'acceptent pas automatiquement les lords qui quittent leur parti politique.

Tel n'aurait pas été le cas il y a 10 ans, mais les choses ont changé au point que si, par exemple, un conservateur quittait son parti, il siégerait probablement à l'extérieur de tous les autres groupes pendant quelque temps. Il pourrait se présenter comme un conservateur indépendant ou simplement un indépendant, mais il ne serait pas nécessairement ni automatiquement accepté dans le groupe des non-inscrits. Il devrait prouver qu'il est un lord indépendant pendant un certain temps et il pourrait ainsi un jour être accepté dans le groupe des non-inscrits; dans les faits, toutefois, il renoncerait à son allégeance politique. Il ne suffit pas de ne pas siéger parmi les lords affiliés à un parti, il faut siéger explicitement et réellement comme indépendant.

Le sénateur Greene : Oui, ce qu'un membre du caucus conservateur à la Chambre des lords pourrait ne pas souhaiter.

Dans un autre ordre d'idées, au début de votre déclaration, vous avez dit qu'au cours des 15 dernières années, la Chambre des lords a défait le gouvernement 500 fois. Comment la population a-t-elle réagi?

Mme Russell : Dans la plupart des cas, la population n'en a pas eu conscience, en fait. Comme vous pouvez le voir, cela arrive souvent. Les défaites à la Chambre des lords n'attirent pas particulièrement l'attention parce qu'elles se produisent très souvent. J'ai également dit dans ma déclaration que la Chambre des lords se montre très prudente. Nous avons des conventions qui régissent l'utilisation des pouvoirs et qui prévoient, notamment, que les projets de loi du gouvernement ne sont pas rejetés dans leur ensemble.

La Chambre des lords a bel et bien le pouvoir de rejeter un projet de loi du gouvernement, mais, dans la pratique, il est extrêmement rare qu'elle se serve de ce pouvoir.

Ce que défait la Chambre des lords, ce sont donc essentiellement des détails; il s'agit de modifications à apporter aux projets de loi. Certaines de ces questions intéressent beaucoup la population et retiennent l'attention des médias. Je peux vous donner un exemple récent d'un sujet retentissant, qui n'était pas en fait un amendement à un projet de loi, qui a suscité une confrontation très grave entre le gouvernement conservateur et la Chambre des lords au mois d'octobre.

Habituellement, les défaites qu'inflige la Chambre des lords portent sur des changements relativement mineurs à un projet de loi. Les journalistes ne les considèrent pas dignes d'intérêt parce qu'elles surviennent tout le temps; les projets de loi sont retournés à la Chambre des communes, qui est priée de réexaminer les mesures rejetées.

J'ai étudié ce qu'il advient des mesures défaites par la Chambre des lords et constaté que, même si la Chambre des communes a le pouvoir d'infirmer toutes les décisions prises par la Chambre des lords, dans la moitié des cas, elle les accepte.

Une des choses que j'ai constatées — et que j'ai peut-être perçues dans le témoignage de David Smith lorsqu'il a parlé de Philip Norton —, c'est le lien important qui existe entre les mesures défaites à la Chambre des lords et l'humeur à la Chambre des communes. Il est assurément vrai, et mes travaux le montrent, que lorsque le gouvernement est défait sur une question à la Chambre des lords, et que le propre parti du gouvernement à la Chambre des communes est ouvertement mécontent, celui-ci a tendance à faire marche arrière.

Je dis souvent que, dans le contexte britannique, le rôle de la Chambre des lords est de renvoyer des questions à la Chambre des communes en leur disant : « Êtes-vous bien sûrs? » Si les membres de la Chambre des communes, après réexamen des mesures, déclarent : « Oui, nous sommes sûrs, merci beaucoup » et décident de renverser leur décision, les membres de la Chambre des lords accepteront la situation. Si la Chambre des communes n'est pas vraiment sûre de son coup, souvent, les ministres ne lui demanderont même pas d'infirmer la décision. C'est le genre de négociations qui ont cours et beaucoup ne retiennent pas l'attention des médias.

Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui. J'ai plusieurs questions, mais je vais en poser deux ou trois et attendre la deuxième série de questions pour les autres.

J'aimerais poursuivre la discussion entamée avec le sénateur Joyal sur l'hypothèse d'une chambre composée uniquement de membres indépendants ou non inscrits. Selon votre expérience, ces gens subiraient beaucoup de pression. Ils auraient peut-être tendance à changer un peu de comportement, et cetera. Je m'attendais à ce que vous souleviez l'argument du vieux régime contradictoire britannique, qui consiste à favoriser l'expression d'opinions opposées pour comprendre la réalité des faits ou étudier à fond un projet de loi. Vous n'avez pas utilisé cet argument, j'imagine, parce que vous ne croyez pas qu'il soit juste. J'aurais probablement été d'accord avec vous, toutefois, il y a de nombreuses organisations dans le monde, publiques ou privées, qui ne fonctionnent pas sur le mode contradictoire, mais qui, avec des débats — à savoir fondamentalement avec des discussions où chacun défend sa cause ou son opinion —, arrivent à obtenir l'information recherchée et à avoir une idée juste de la réalité des faits.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les raisons pour lesquelles vous estimez qu'il serait aussi négatif d'avoir, disons, 100 p. 100 de non-inscrits?

Mme Russell : En fait, j'abonde dans le même sens sur ce point. C'est l'une des raisons.

J'hésite à me prononcer pour le Canada, comme je l'ai déjà dit. Si tous les membres affiliés aux partis politiques étaient retirés de la Chambre des lords et que cette institution ne comptait plus que les 178 non-inscrits, je crois que le problème qui se présenterait en premier et qui serait le plus évident serait celui dont vous venez de parler. Notre système repose sur la présence d'un membre, si ce n'est d'un groupe de membres, d'un ministre du gouvernement, qui favorise l'adoption d'un projet de loi et qui défend le gouvernement. Un membre ou un groupe de membres — soit le porte-parole de l'opposition ou ses partisans — soumet cette proposition à un examen très rigoureux. Il y a donc deux rôles très clairement définis : le rôle de défense du gouvernement et le rôle d'examen approfondi de ce que fait le gouvernement. Il y a deux blocs très clairement définis dont la tâche est de s'acquitter de ces fonctions.

Naturellement, si les membres affiliés à des partis politiques étaient retirés de la Chambre des lords, ces deux blocs disparaîtraient. On se retrouverait aux prises avec le problème auquel le Canada doit faire face, à savoir déterminer qui doit défendre les politiques du gouvernement. Il faudrait également se demander qui devrait examiner en profondeur les politiques du gouvernement. Je commence à croire qu'en l'absence de membres affiliés à des partis politiques à la Chambre des lords, les non-inscrits devraient se doter d'une organisation encore plus complexe que celle qu'ils ont maintenant. Quelqu'un devrait probablement assumer la direction de l'assemblée pour examiner les projets de loi du gouvernement et commencer à poser des questions difficiles, parce que c'est ainsi que les projets de loi sont examinés en profondeur.

Je conviens avec vous qu'il y aurait de sérieux problèmes si les membres affiliés au gouvernement et à l'opposition étaient retirés de la chambre haute.

Confierait-on des mémoires sur des politiques à une équipe de non-inscrits qui agirait comme une équipe qui occupe les banquettes avant? Je n'en suis pas certaine. Comment pourrait-on être sûr que quelqu'un va ouvrir le débat? Il faudrait un niveau d'organisation supplémentaire à ce qui existe déjà. Les non-inscrits se font parfois reprocher leur faible participation aux décisions — bien que la personne qui a déclaré qu'ils sont toujours là et qu'ils se font toujours entendre dans les débats ait absolument raison; il y a toujours des gens désireux de prendre la parole —, mais leur participation aux votes par appel se situe entre 10 et 20 p. 100. Si telle était la participation de l'ensemble de la chambre et non celle d'un groupe seulement, je crois qu'il y aurait des mécontents.

En l'absence de groupes rattachés à un parti — à savoir de blocs qui forment l'assise favorable et l'assise opposée à la proposition au milieu desquelles se trouvent les non-inscrits qui décident —, les non-inscrits feraient chacun l'objet d'une attention beaucoup plus soutenue et leur vote serait surveillé de beaucoup plus près. Grosso modo, s'il n'y avait pas de membres rattachés à un parti politique, la situation serait relativement chaotique ou elle obligerait le groupe des non-inscrits à se doter d'une organisation beaucoup plus complexe dans laquelle certains de ses membres devraient jouer le rôle de ceux qui occupent les banquettes avant, ce qui serait difficile étant donné que ce groupe ne suit pas une ligne de conduite commune.

Je regrette de vous donner encore une réponse bien longue. Mes réponses sont probablement trop longues.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi d'aller plus loin et de me faire l'avocat du diable. Tout organisme décisionnel doit s'attaquer à cette question, et nombre d'organisations dans le monde ont choisi de ne pas avoir de système contradictoire pour obtenir la bonne réponse à leurs interrogations. Les intérêts et les opinions des gens dictent les réponses et, naturellement, ils ont des opinions différentes. Pourquoi estimez-vous nécessaire d'avoir un système contradictoire? C'est un système typiquement britannique, mais pourquoi est-il nécessaire? N'y a-t-il pas de meilleures solutions? Regardons les Nations Unies, par exemple. Il n'y a pas de système contradictoire là-bas. Beaucoup d'organisations trouvent les bonnes solutions sans ce système.

Mme Russell : Il y a peut-être un autre facteur en ce qui concerne la Chambre des lords. Je ne suis pas certaine si c'est la même chose au Canada, mais on ne s'attend pas à ce que les membres de la Chambre des lords y travaillent à temps plein. Beaucoup de ceux qui sont nommés — les non-inscrits tout particulièrement, mais aussi les autres plus généralement et, dans une moindre mesure, les lords rattachés à des partis politiques — n'ont pas mis fin à leur carrière dans leur domaine de spécialité. Il y a ainsi des médecins, des professeurs d'université et des avocats qui continuent d'exercer leur profession. On ne s'attend pas d'eux à ce qu'ils travaillent à temps plein à la Chambre des lords. Ils ne sont pas salariés. Ils reçoivent une allocation quotidienne pour les jours où ils se présentent à la Chambre des lords après y avoir été conviés. Pour nous, la mise en place d'un mode d'examen approfondi à temps plein serait un changement énorme.

En principe, je conviens que vous pourriez mettre sur pied un système, particulièrement dans les comités, dans lequel vous pourriez confier la direction du débat à un membre, à savoir une sorte de système de rapporteur où un membre débattrait d'un projet de loi avec des responsables et des avocats pour examiner les points faibles potentiels, mènerait l'interrogation de témoins experts et ce genre de chose. Toutefois, ce mode de fonctionnement nécessite une présence très active. Je crois que nous ne pouvons pas en attendre autant des non-inscrits de notre système parce que beaucoup travaillent encore très activement à l'extérieur de la Chambre en plus de contribuer à ses travaux. Je ne sais pas si la situation est différente pour ce qui est de la présence à temps plein attendue des sénateurs au Canada.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de vous poser une autre question. Je crois savoir que le système britannique est tel que la Chambre des lords dispose d'une année pour approuver, rejeter ou modifier un projet de loi avant que celui-ci ne retourne à la Chambre des communes. La Chambre des communes a fondamentalement le dernier mot. Au Canada, il n'y a pas de telle limite de temps. En fait, je crois que David Smith a dit qu'il serait désastreux pour nous d'adopter votre système, d'imposer une limite et de renoncer à nos droits de veto.

Désirez-vous nous donner votre avis à ce sujet?

Mme Russell : Oui. Les choses ne durent pas jusqu'à un an, habituellement. Cette limite d'un an ne sert généralement qu'à exercer une pression en arrière-plan, étant donné que la plupart des projets de loi font l'objet de négociations bien avant que ce temps soit écoulé. Il ne fait pas de doute que le Sénat canadien détient un pouvoir beaucoup plus grand et c'est ce qui rend peut-être un peu difficile d'y faire évoluer un groupe d'indépendants.

Une des caractéristiques intéressantes des non-inscrits tient à ce qu'ils ont tendance à être moins préparés à défendre leurs points de vue jusqu'à la limite. Dans la Chambre des lords, même s'ils ne sont pas élus, les membres affiliés aux partis politiques ont l'impression qu'ils doivent s'acquitter d'un genre de mandat électoral provenant de la Chambre des communes. Plus particulièrement, les membres du parti politique qui détiennent la balance du pouvoir avec les non-inscrits, soit les membres affiliés aux démocrates libéraux, notre parti centriste, se plaignent de l'utilisation du scrutin majoritaire uninominal à la Chambre des communes parce qu'il les désavantage. Ils préféreraient un système proportionnel. Même s'ils ne sont pas élus à la Chambre des lords, ils estiment qu'ils devraient avoir le droit d'interroger le gouvernement sur ses politiques selon les votes qu'ils obtiennent pour la Chambre des communes.

Les non-inscrits attaquent généralement moins agressivement les politiques du gouvernement. Ils ont tendance à faire marche arrière plus facilement parce qu'ils n'ont aucun mandat électoral. Voilà, je crois, un autre facteur qui exercerait beaucoup de pression sur les indépendants s'ils devaient composer la chambre haute à eux seuls.

Il y a un vieux cliché au sujet des deuxièmes chambres, n'est-ce pas : si elles sont très vigoureuses et cherchent à exercer leurs pouvoirs, elles sèment la controverse, mais si elles ne cherchent pas à utiliser leurs pouvoirs, elles soulèvent la controverse également. Je crois que cette situation causera probablement des problèmes pour vos membres indépendants, à cause tout particulièrement du pouvoir de veto dont vos sénateurs sont dotés. En effet, s'ils cherchent à remettre en question beaucoup le gouvernement, ils susciteront une controverse, s'ils n'interviennent jamais, ils soulèveront également la controverse.

Comme j'y ai en quelque sorte fait allusion dans ma déclaration, l'option que je privilégie pour la Chambre des lords, et qui pourrait être assez sensée pour le Canada, même si j'ai l'impression que la question n'est pas au programme pour l'instant, serait d'avoir, au lieu d'une chambre haute totalement composée de membres indépendants, une chambre dont les sièges seraient distribués entre les partis selon une formule de calcul claire, fondée sur les résultats des élections générales. On saurait ainsi nettement pourquoi il y a tant de sièges de conservateurs, tant de sièges de travaillistes et tant de sièges réservés aux non-inscrits. C'est ce vers quoi on tend au Royaume-Uni. On ne cherche pas à se débarrasser des partis politiques à la Chambre des lords.

Le sénateur Massicotte : Pourrais-je vous poser une petite question de forme. Vous avez dit que les membres et les présidents de vos comités sont élus par vote secret. Si tel est le cas, vous pouvez vous retrouver avec un président et un vice-président d'un comité appartenant au même parti politique. Est-ce le cas? Étant donné les règles de la majorité pour n'importe lequel de ces votes, il pourrait arriver que tout le comité soit composé de libéraux, si on veut, et également que le président et le vice-président soient des libéraux. Est-ce le cas?

Mme Russell : C'est un processus en deux étapes, ou peut-être même en trois étapes si je peux vous en parler en détail. Il y a un processus en deux étapes au moins pour l'élection des présidents. Nous parlons maintenant de la Chambre des communes, et non de la Chambre des lords, qui n'a pas adopté le système d'élection.

Nous appliquons un principe général voulant que les sièges doivent être répartis dans les comités de façon globalement proportionnelle à la répartition des membres des partis politiques; à la Chambre des lords, naturellement, il y a aussi des sièges réservés aux non-inscrits. Les présidents des comités sont également répartis proportionnellement.

Pour l'élection des membres, on décide tout d'abord de la répartition des sièges; les élections sont ensuite tenues à l'intérieur de chaque parti politique pour l'occupation de ces sièges. Alors, disons que les conservateurs ont droit à six sièges, les travaillistes, à cinq, les démocrates libéraux, à deux, chaque partie réunira ses membres pour élire ceux qui siégeront aux comités.

Pour ce qui est des présidents, comme il s'agit de répartir ces fonctions pour tous les comités dans l'ensemble de la chambre, la première étape consiste à décider de la répartition des postes de président, soit du nombre de présidents auquel chaque parti a droit. Il faut ensuite poursuivre la sélection par les canaux habituels pour décider des comités qui seront confiés à un parti ou à un autre, c'est un processus, je crois, assez informel, mais qui tient compte dans une certaine mesure de l'importance des comités. Les comités perçus comme les plus en vue et les plus importants sont répartis entre les partis, qui, en quelque sorte, y trouvent leur compte. Nous apprenons ensuite quel parti a le droit de présider quel comité; seuls les membres de ce parti sont invités à présenter des candidats, mais l'élection est tenue dans toute la chambre.

Supposons que le comité des affaires étrangères doit être conservateur, selon le résultat tiré des discussions tenues par les canaux officiels, alors les nominations seront ouvertes et seulement des conservateurs pourront proposer des candidats, mais le vote sera pris dans l'ensemble de la chambre. En procédant à un vote général, on exerce en quelque sorte une pression vers le centre, parce que les membres qui sont les plus populaires à la chambre, qui plaisent le plus à la fois au parti gouvernemental et à l'opposition, sont avantagés dans ces élections, ce qui, je crois, est une bonne chose. D'autres pourraient ne pas être d'accord avec moi.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La sénatrice Stewart Olsen : Madame Russell, j'ai un peu de difficulté à comprendre. Nous avons beaucoup parlé des droits de la Chambre des lords. Toutefois, nous n'avons pas beaucoup parlé des responsabilités de ses membres. J'aimerais beaucoup savoir quelles sont les attentes à leur endroit, parce le système est très souple. Je ne comprends pas vraiment : 800 personnes se présentent pour un vote. Nous fonctionnons de façon bien différente ici, et on a des attentes à notre endroit. Je me demande simplement quelles sont les responsabilités des lords.

Mme Russell : C'est une très bonne question. Comme vous le dites et conformément à ce qui ressort clairement de ce que j'ai déjà déclaré, leurs responsabilités sont très mal définies. Si tous les membres de la Chambre des lords se présentaient en même temps, l'institution ne pourrait pas fonctionner. Il est clairement impossible de tenir une assemblée de 800 personnes.

La situation est attribuable en partie au fait que, parce qu'ils sont nommés à vie, certains lords deviennent relativement moins actifs dans les années qui précèdent leur retraite ou, malheureusement, leur décès.

Certains membres exercent clairement des responsabilités. Ceux qui sont choisis pour siéger à des comités doivent se présenter aux réunions, et ils le font. Ils prennent cette responsabilité très au sérieux. Les membres qui président des comités ont manifestement une très grande responsabilité à l'endroit de leur comité et ils prennent cette responsabilité très au sérieux.

Il y a les membres qui occupent les banquettes avant dans les partis principaux et qui doivent faire adopter des politiques. Il y a les ministres dans la Chambre des lords, et il y a également les ministres du cabinet fantôme de l'opposition. On s'attend d'eux à ce qu'ils travaillent à temps plein à s'acquitter de leurs responsabilités, et il en est de même pour l'organisateur des non-inscrits.

Autrement, il n'y a pas d'obligation de consacrer tout son temps au travail de la chambre. Lorsque des gens sont nommés, il est clair qu'on s'attend quelque peu à ce qu'ils fournissent un service actif, et cela a changé un peu avec le temps; en effet, on met maintenant davantage l'accent sur le service actif, y compris pour les non-inscrits. Ainsi, dans le processus de sélection des non-inscrits, on demande aux candidats pressentis s'ils auront du temps pour fournir une contribution appréciable à la Chambre des lords, bien qu'il ne s'agisse pas d'une contribution à temps plein.

On s'attend à ce que les personnes nommées jouent un rôle actif, mais on ne peut pas s'attendre à ce qu'aucune d'entre elles demeure active pour le reste de sa vie, jusqu'à la mort. Il n'y a pas de mécanisme pour obliger les pairs à faire montre de l'empressement qu'ils ont peut-être laissé présager avant leur nomination.

Je peux voir que cela paraît assez étrange. C'est très différent de ce que vous avez ici.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vois. Merci. J'imagine que personne ne prend les présences à la chambre ni dans les comités.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup. J'aimerais connaître les relations de travail qu'entretiennent les non-inscrits, à l'intérieur du groupe et avec les autres. Ils sont indépendants, et non partisans en ce sens qu'ils n'appartiennent pas à un parti politique — ils ne sont pas assujettis à tout le moins à un whip d'un parti politique —, mais ils ont leurs propres convictions et leurs propres valeurs.

Ceux qui ont des communions de pensée forment-ils bel et bien des sous-groupes à l'intérieur de leurs rangs? Ont-ils tendance à collaborer pour préparer des modifications aux projets de loi ou d'autres choses semblables? Ont-ils tendance à voter en bloc? Y a-t-il des sous-groupes formés selon les opinions politiques?

Mme Russell : Comme je l'ai dit plus tôt, c'est ce à quoi je m'attendais lorsque j'ai entrepris mon étude sur le groupe, mais j'ai constaté que tel n'est pas vraiment le cas. Il n'y a assurément pas de groupuscules organisés du genre gauche- droite. Toutefois, comme je l'ai dit, il y a, dans une certaine mesure, des regroupements de gens qui ont des intérêts communs, comme la santé, le bien-être des enfants, la politique du Moyen-Orient, comme c'est le cas dans un parti politique. Ceux qui ont des intérêts communs peuvent se rencontrer pour discuter, mais ils ne forment en aucun cas des groupes organisés pour le vote.

En fait, un phénomène intéressant et un peu spécial apparaît à la Chambre des lords, facilité dans une certaine mesure par la présence des non-inscrits : les regroupements de ce genre, que ce soit de gens préoccupés par exemple par les droits des enfants ou la santé, ont tendance à déborder de leur cadre. Des liens seront ainsi créés entre des membres appartenant à différents partis qui partagent les mêmes intérêts. Les non-inscrits savent pertinemment qu'ils ne peuvent rien accomplir par eux-mêmes parce qu'ils ne forment pas la majorité à la chambre. Ils ne pourront exercer une influence que s'ils ont des liens étroits avec les membres des partis politiques.

D'une façon totalement non partisane — je ne prétends pas qu'il y ait quelque chose de partisan dans cela — ils tissent des liens étroits avec les gens qui partagent leurs points de vue à l'intérieur des partis. Voilà, à mon avis, une autre contribution très importante qu'ils apportent à la Chambre des lords pour créer une atmosphère moins partisane. Le non-inscrit qui s'intéresse à une question particulière concernant la santé cherchera à obtenir l'adhésion des membres affiliés au Parti conservateur et de ceux rattachés au Parti travailliste qui partagent son point de vue. De cette façon, il aide à nouer des liens entre les membres appartenant à ces deux partis.

Les non-inscrits s'organisent très peu en formations à l'intérieur de leurs rangs; je dirais plutôt qu'ils favorisent la création d'une formation plus large, qui regroupe des membres des divers partis présents à la chambre.

La sénatrice Cools : J'aimerais demander à la témoin si la Chambre des lords a une définition de « parti politique ». Si elle n'en a pas, c'est une autre question. Toutefois, si elle en a une, quelle est-elle et qui l'a établie? Est-ce une définition établie par la loi? Par exemple, au Canada, du moins au Sénat, les partis sont enregistrés en vertu de la Loi électorale du Canada. Pourriez-vous nous éclairer quelque peu à ce sujet? La définition que vous avez du parti politique pourrait-elle être suffisamment large pour inclure un parti qui ne compterait que 10 membres?

Mme Russell : Votre question est intéressante. J'imagine que la réponse est non. J'ai déjà dit que notre règlement favorise très peu les partis politiques. Les Standing Orders of the House of Commons reconnaissent le gouvernement, le premier parti de l'opposition et le deuxième. Je crois que le règlement de la Chambre des lords est encore moins précis à ce sujet.

Toutefois, les partis politiques jouissent d'une certaine reconnaissance du fait qu'ils reçoivent du financement, mais je crois qu'on ne compte que trois groupes rattachés à des partis à la Chambre des lords. Il n'y en aurait que trois, effectivement, parce que le parti gouvernemental ne reçoit aucun financement public du fait qu'il forme le gouvernement; il tire des fonds directement de ce qui est payé aux ministres à partir des deniers publics. Il y a un certain financement pour les partis de l'opposition, le premier parti et le deuxième reçoivent donc une certaine part de fonds publics; il en est de même maintenant pour les non-inscrits, mais cette aide est relativement minime comparativement à celle que les partis politiques reçoivent.

J'imagine qu'en ce sens, pour le financement, nous avons une définition du parti politique. Autrement, les partis politiques ne figurent nulle part dans le règlement, et je crois donc que la réponse est probablement non.

La sénatrice Cools : Merci beaucoup.

Le sénateur Joyal : Madame Russell, j'aimerais vous soumettre ma réflexion concernant la façon dont nous pourrions « remodeler » une chambre haute. Comme vous le savez, nous sommes confrontés à l'idée de faire du Sénat canadien une chambre composée de 105 membres indépendants.

Ma réflexion tient compte de la nature du Parlement dans son ensemble. Le Parlement se compose d'une chambre élue, la Chambre des communes, où siègent un gouvernement et une opposition loyale. Il y a le gouvernement en place et, si celui-ci tombe, un autre prend immédiatement sa place pour continuer à gouverner le pays et conseiller Sa Majesté de façon que celle-ci puisse promulguer les lois que son Parlement lui propose.

La Chambre des communes est rattachée à une chambre haute — parce que les deux chambres sont essentielles à la définition du Parlement. Le Parlement se compose, naturellement, de Sa Majesté et de ces deux chambres. Tel est le principe observé en Grande-Bretagne et tel est le principe prévu dans notre Loi constitutionnelle de 1867.

Comment peut-on remodeler complètement la deuxième chambre si on ne reste pas au diapason des principes mêmes qui définissent la première chambre? Au Sénat, ou à la Chambre des lords, le gouvernement ne peut échouer. Si le gouvernement perd un vote à la Chambre des lords, il n'y a pas d'élections générales en Grande-Bretagne, et il en va de même au Canada. La responsabilité du gouvernement n'est donc pas plus grande à la Chambre des lords qu'elle ne l'est au Sénat.

Toutefois, le gouvernement est présent au Sénat, comme vous dites, pour appuyer les projets de loi gouvernementaux, en présenter et chercher à obtenir l'adhésion de la chambre. Comme vous le savez, Sa Majesté voudra obtenir l'adhésion de la chambre haute avant de promulguer une loi. Si Sa Majesté veut l'adhésion des parties en présence, le projet de loi doit être soumis à un examen minutieux avant qu'on lui propose de l'accepter. S'il n'y a pas de relations entre une majorité et une minorité à la chambre haute, comment peut-on s'attendre à ce que la chambre haute appuie le système du mode contradictoire?

C'est pourquoi je doute du bien-fondé d'avoir ici 105 électrons libres — je ne veux pas dévaloriser mes collègues indépendants en utilisant ce terme, mais nous parlons ici de 105 électrons libres —; je tiens à présenter mes excuses sincères à mes honorables collègues, y compris aux nouveaux qui ont été assermentés cet après-midi.

Comment peut-on répartir les responsabilités parmi les membres de cette chambre haute? La chambre haute doit examiner les projets de loi. Il y a des propositions à étudier et un examen approfondi à faire; or, la chambre haute ne peut être efficace que si elle exerce une opposition efficace et que si elle est capable d'examiner à fond les projets de loi qui lui sont confiés. C'est le principe à la base même de notre modèle de Westminster.

Il me semble que nous pouvons nous passer d'un parti gouvernemental et d'une opposition, mais il nous faut une majorité et une minorité. Ce qui est important, c'est d'avoir quelqu'un à la chambre haute qui a la responsabilité, comme vous le dites subtilement, de faire fonctionner le système de façon crédible. Or, pour cela, il faut un membre qui participe entièrement aux débats, du début à la fin, et qui veille au maintien du quorum, qui s'assure que les spécialistes sont interrogés correctement et que le projet de loi est examiné en profondeur. Il ne s'agit pas d'avoir des gens qui vont et viennent comme ils le veulent, qui se présentent pour le plaisir d'assister aux discussions orageuses, qui retournent à la maison et qui ensuite ne sont plus sûres de venir voter parce qu'elles ont autre chose à faire à leur travail, dans leur famille ou dans leurs loisirs.

Il me semble que lorsqu'il y a un parti gouvernemental, quelqu'un a la responsabilité de bien faire fonctionner l'institution et de conserver sa crédibilité. C'est le gouvernement élu, et c'est pourquoi la population fait confiance à ce parti pour diriger le pays. Le principe est transposé à la chambre haute par la présence même d'un parti qui a la responsabilité de la faire bien fonctionner et d'un parti de l'opposition qui est là en attendant de succéder à l'autre, s'il se fait renverser.

La proposition d'avoir 105 membres indépendants, de croire que cette institution du Parlement pourrait fonctionner correctement sur la base même de son système de valeurs me cause des problèmes d'ordre conceptuel.

Suis-je trop puriste, selon vous, ou ma position a-t-elle un certain mérite? Naturellement, nous pouvons établir le vote soumis à la discipline de parti et tout le reste, mais, sur le plan conceptuel, selon moi, si nous devons changer la nature même de la chambre haute, nous devons comprendre le fonctionnement de l'autre chambre, parce que les deux sont synchronisées sur le plan des résultats.

Le président : C'est une bonne question. Allez-y.

Mme Russell : Je crois que le sénateur Greene a dit — et je crois qu'il voulait se faire l'avocat du diable — et j'ai dit « eh bien oui », peut-être que la présence du gouvernement et de l'opposition est importante; il a voulu se faire l'avocat du diable à ce sujet, c'est tout à fait raisonnable. C'est peut-être le principe qui a toujours été appliqué dans l'histoire et qui peut être le principe régissant la Chambre des communes, mais il n'est pas inconcevable de suivre un principe différent, d'appliquer un modèle plus délibératif, je suppose.

Une des caractéristiques importantes du bicaméralisme tient à ce que les deux chambres doivent être différentes. Rien ne sert d'avoir deux chambres semblables. Le défi du bicaméralisme, dont j'ai parlé brièvement dans ma déclaration, est de trouver une solution de rechange logique pour la représentation et l'organisation de la deuxième chambre, qui doit être suffisamment différente de la première, mais qui doit avoir toute la légitimité nécessaire pour susciter le respect de la population et être efficace. La tâche est donc assez difficile, parce que, vraisemblablement, si on estime que la première chambre fonctionne bien, que c'est ainsi que les choses doivent se passer, mais que la deuxième chambre adopte une façon de faire différente, il y aura une controverse.

Je vais me faire l'avocat du diable : je suppose qu'il est concevable que vous essayiez de trouver un mode d'organisation complètement différent pour un Sénat non partisan. Nous avons parlé plus tôt de la façon dont les non- inscrits à la Chambre des lords sont à certains égards curieusement modernes et abondent peut-être dans le sens de la tendance à s'éloigner des partis politiques observée dernièrement.

Un autre modèle très intéressant est apparu au cours des dernières années — et il est clair que vous l'avez mis à l'essai sérieusement au Canada —, c'est un genre d'assemblée de citoyens, un modèle plus délibératif pour l'élaboration de politiques, qui regroupe des citoyens issus de divers horizons sans appartenance à un parti politique, qui délibèrent et qui prennent des décisions à la lumière des données probantes présentées sur des sujets assez limités, il faut le dire, du point de vue historique. Vous pourriez peut-être envisager d'adopter ce modèle pour les délibérations de votre Sénat.

Ce serait une expérience ambitieuse — encore une fois, je parle du point de vue du Royaume-Uni parce que la culture et les attentes ici ne sont pas les mêmes que chez vous —, mais, bien que l'idée de mettre ce modèle en place ici serait peut-être perçue comme assez intéressante et novatrice par les citoyens, si de telles assemblées devaient être formées à titre permanent et être appelées à traiter d'une très grande gamme de sujets et à défendre des politiques très importantes et très controversées, les membres de ces assemblées verraient, j'en ai bien peur, leurs convictions politiques scrutées de très près.

Comme je l'ai dit dans mon article sur les non-inscrits, de fortes pressions pourraient être exercées pour les nominations. Il y a une citation dans mon article selon laquelle il y a plus d'une façon d'être indépendant. Je reprends les paroles de quelqu'un selon lesquelles l'indépendance de l'ancien fonctionnaire n'est pas la seule sorte d'indépendance qui existe. Il y a aussi l'indépendance d'esprit d'un entrepreneur. Il y a aussi l'indépendance d'esprit d'un activiste de la société civile, d'un membre d'une organisation bénévole, et cetera.

Ce qui m'inquiète, c'est qu'il y aurait des pressions pour équilibrer les nominations, ce qui créerait presque un système de partis politiques sans partis politiques. Il faudrait des indépendants de droite pour faire contrepoids aux indépendants de gauche. Les choses deviendraient ainsi très compliquées. Nous réussissons à éviter ce genre de discussion, étonnamment peut-être, grâce au rôle central que jouent les non-inscrits et à ce qu'ils peuvent représenter dans la politique britannique. Nous avons largement réussi à éviter ces discussions du fait que les partis politiques éliminent la surchauffe. Si les partis politiques étaient retirés, je crois que les membres indépendants feraient l'objet d'une attention très soutenue et que leurs convictions personnelles seraient scrutées à la loupe. Que nous n'ayons pas ce problème constitue, je crois, un point fort de notre système et aide les membres à fonctionner efficacement.

La sénatrice Bellemare : Ma question tient plus du commentaire. Nous devons comprendre qu'au Canada, en fait, nous sommes dans une période de transition. Pourquoi? Parce qu'il y avait un problème, les Canadiens croient — et à juste titre, je crois — que le Sénat a été très partisan au cours des dernières décennies. Autrement dit, la loyauté à un parti politique a pris le pas sur le bien commun des Canadiens. Voilà comment le Sénat est perçu. En qualité de sénatrice œuvrant à l'intérieur du Sénat, j'estime que la situation est largement attribuable à la nature bipartisane de notre institution. En effet, notre Sénat n'a toujours compris que deux partis politiques depuis 150 ans. La tentation est donc grande pour le gouvernement en place de mettre la main sur la deuxième chambre; la tentation est réelle.

Connaissez-vous d'autres pays dans le monde, en dehors du Canada et des États-Unis, qui ont ce genre de deuxième chambre bipartisane? Mon hypothèse — et j'aimerais avoir votre opinion là-dessus —, c'est que plus il y a de caucus, moins une deuxième chambre est partisane, et c'est tant mieux pour la société. Je m'arrête ici.

Mme Russell : Ce que vous dites est très intéressant, et je suis pas mal d'accord avec vous.

Il faut définir la notion de « partisan » et déterminer si un « partisan » est nécessairement un « opposant ». Je crois qu'il est possible d'avoir un système assez partisan composé d'une multitude de partis, mais il faut alors que les partis nouent des coalitions entre eux, ce qui atténue peut-être la partisanerie dans une certaine mesure, et favorise un genre différent de partisanerie.

Je crois qu'il est très difficile de faire fonctionner une deuxième chambre, et je suis bien contente que nous n'ayons ce système ici, où le parti gouvernemental ou celui de l'opposition contrôle la chambre, parce que, dans un cas ou dans l'autre, la situation ne serait pas particulièrement saine.

J'ai parlé des nombreux avantages que procure la présence des non-inscrits. L'un de ces avantages tient à ce que les non-inscrits empêchent le gouvernement et l'opposition de contrôler la chambre. Nous avons un troisième parti et d'autres petits partis qui le font. La situation est la même au Sénat australien où, depuis les années 1980, ni le gouvernement ni l'opposition n'ont la majorité à la chambre. La balance du pouvoir est détenue par les petits partis et les indépendants. C'est une situation qui est perçue comme étant très saine.

C'est l'une des raisons pour lesquelles, sans prétendre être une spécialiste de la politique canadienne, je considère comme une évolution positive la présence d'un groupe d'indépendants au Sénat. Je crois que votre régime politique est, à certains égards, très semblable au nôtre en ce que vous avez également le scrutin majoritaire uninominal, deux grands partis, et cetera. Voilà pourquoi j'estime que le genre de modèles que nous examinons ici, soit la répartition des sièges entre les partis à la chambre haute de façon à éviter qu'un parti ne détienne la majorité, pourrait être assez intéressant. Le modèle dans lequel la balance du pouvoir est laissée aux petits partis et aux indépendants est intéressant et positif. Toutefois, si vous alliez jusqu'à confier tous les sièges de la chambre à des membres indépendants, vous pourriez, je crois, être confrontés à des difficultés que nous n'avons pas ici et qui m'inquiéteraient si ce système devait être mis en place ici.

Alors, je suis d'accord avec vous pour ce qui est de mettre fin à la polarité de l'opposition et du gouvernement, mais je crois qu'il y a plusieurs façons d'y parvenir.

Le sénateur Massicotte : J'aimerais vous poser une petite question, si vous le voulez bien, simplement pour m'assurer que je comprends bien votre système. Les non-inscrits participent aux travaux des comités et à toutes les organisations en proportion de leur nombre, par principe. Est-ce la même chose pour le financement? Obtiennent-ils, disons, le même financement que les autres partis politiques pour l'organisation de leurs activités et leurs recherches?

Mme Russell : J'ai manqué le début de votre question, les non-inscrits...

Le sénateur Massicotte : Obtiennent-ils le même financement pour leurs recherches, l'organisation de leurs activités que, disons, les lords affiliés aux partis politiques?

Mme Russell : Non. Comme je l'ai dit, il y a certains fonds pour les partis d'opposition des deux chambres, ce qui est relativement nouveau. Je crois en avoir parlé dans mon article, mais je suis certaine d'en avoir parlé dans mon livre. Je dois vérifier ou vous pourriez demander à l'un de vos adjoints de vérifier quand les non-inscrits ont commencé à recevoir du financement. C'est relativement nouveau. Ce financement demeure de beaucoup inférieur à celui consenti aux partis politiques. Je ne crois pas qu'il y ait une logique particulière à ce sujet. Le Parti travailliste et le Parti conservateur comptent plus de 200 membres à la Chambre des lords. Les non-inscrits sont au nombre de 178. Les démocrates libéraux ont environ 100 ou 110 membres. Ils sont donc moins nombreux que les non-inscrits, mais ils obtiennent quand même considérablement plus de fonds que les non-inscrits. Je ne prétends pas que le modèle est nécessairement bon. Je ne crois que la situation soit vraiment justifiée, étant donné tout particulièrement que les partis politiques ont, naturellement, des organisations à l'extérieur du Parlement. Ils ont des organisations à la Chambre des communes et des organisations à l'extérieur du Parlement sur lesquelles ils peuvent compter pour les recherches, et cetera. De plus, ils ont une ligne de conduite commune. Dans une certaine mesure, leurs membres n'ont pas besoin d'une aide personnelle pour décider de leur vote parce qu'ils sont sous l'autorité du whip. Les non-inscrits sont donc considérablement désavantagés sur le plan du financement au Parlement britannique. Fait intéressant, la population ne s'émeut guère de cette situation, mais j'estime qu'elle n'est pas particulièrement justifiée.

Le sénateur Massicotte : Peuvent-ils participer aux réunions de caucus du parti politique présent à la Chambre des communes? Assistent-ils à la réunion hebdomadaire des démocrates libéraux de la Chambre des communes, par exemple?

Mme Russell : Les membres des partis politiques des deux chambres se réunissent, mais les non-inscrits sont complètement à l'écart de ces rencontres.

Le sénateur Massicotte : Les lords affiliés à un parti politique participent-ils aux caucus?

Mme Russell : Les modes de fonctionnement des partis diffèrent légèrement les uns des autres. Je crois que les trois grands partis ont des organisations distinctes dans les deux chambres. Les membres de la Chambre des lords affiliés au Parti travailliste peuvent, je crois, assister aux réunions de la Chambre des communes, mais ils ne peuvent pas voter. Je crois que le Parti conservateur tient les lords conservateurs totalement à l'écart. Les partis s'organisent de façon légèrement différente, mais il y a des liens assez étroits entre les caucus d'un même parti d'une chambre à l'autre. Il est clair que les non-inscrits, pour leur part, n'ont aucun vis-à-vis à la Chambre des communes ni aucun lien avec les partis.

Le sénateur Massicotte : Une dernière question : vous avez dit que beaucoup de lords ont des emplois à temps plein ailleurs ou exercent une profession dans le secteur public ou privé. Y a-t-il des conflits d'intérêts? Que faites-vous pour éviter le problème? Je sais que la transparence est une préoccupation constante, mais comment réglez-vous la question des conflits d'intérêts? Certaines personnes dans notre pays estiment que les sénateurs ne devraient pas avoir un emploi ou un engagement important à l'extérieur du Sénat. Comment réagissez-vous à cette situation?

Mme Russell : Chez nous, la question est plus délicate pour la Chambre des communes que pour la Chambre des lords. Il y a une certaine controverse, mais on convient dans une large mesure que la Chambre des lords ne fonctionne pas à temps plein, qu'on ne peut pas s'attendre à ce que ses membres y travaillent à temps plein et qu'en fait, les connaissances professionnelles à jour que les lords apportent à l'institution constituent un atout. Parce que les lords ne reçoivent pas un salaire, contrairement aux membres de la Chambre des communes, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils quittent leur profession et se consacrent à la politique à temps plein.

Les membres procèdent par déclaration; ils font état des intérêts qu'ils ont, le cas échéant, dans la question à l'étude. Comme vous le dites, le mot d'ordre est « transparence ».

Le sénateur Massicotte : J'aimerais vous poser une dernière question, si je peux me le permettre : je croyais qu'une indemnisation était versée pour la présence à la chambre, mais il n'y a aucune compétition proprement dite entre les lords, est-ce bien le cas?

Mme Russell : Excusez-moi, pouvez-vous répéter votre question?

Le sénateur Massicotte : En ce qui concerne l'indemnisation versée aux lords, y en a-t-il une ou les rétribue-t-on selon leur présence à la chambre?

Mme Russell : Une indemnisation financière?

Le sénateur Massicotte : Oui.

Mme Russell : Ils reçoivent une allocation quotidienne. Un de vos collègues a dit en passant, si j'ai bien compris, qu'aucun registre des présences n'est tenu à la chambre. En fait, il y a un registre des présences, en raison principalement du fait que les lords ont droit à une allocation quotidienne. Ils ne reçoivent cette allocation que pour les jours où ils sont présents à la chambre.

Le sénateur Massicotte : À combien cette allocation s'élève-t-elle?

Mme Russell : Elle s'élevait récemment à 300 £ par jour. Elle n'a probablement pas changé. Elle a peut-être été légèrement augmentée toutefois.

Le sénateur Joyal : Madame Russell, en réponse à la question de notre collègue, le sénateur Massicotte, j'aimerais citer les chiffres donnés pour les divers groupes de lords dans votre article. À la page 37, vous avez dit que, pour la session 2006-2007, les non-inscrits ont reçu 39 125 £; à la note 16, vous parlez d'un montant de 217 982 £ pour les libéraux et d'un montant 430,177 £ pour les conservateurs. Autrement dit, il y a un écart important, à la lumière de ces chiffres, du moins pour la session de 2006-2007, parce qu'on remonte au moins à sept ans, même à plus que cela, à neuf ans. Il y a un écart important entre les fonds accordés, même si grosso modo, les sommes versées semblent plus ou moins proportionnelles à la taille des parties en présence. Ce qui est payé pour la présence à la chambre est une autre question. Quoi qu'il en soit, à la lumière de ces chiffres au moins, les conservateurs reçoivent au moins 10 fois et les démocrates libéraux au moins 5 fois ce que reçoivent les autres groupes.

Mme Russell : L'écart est très important. Comme je l'ai dit, je ne vous recommanderais pas tout particulièrement d'adopter le modèle du Royaume-Uni. Comme vous pouvez le constater, la Chambre des lords est le produit d'une série de faits fortuits survenus dans l'histoire. Si on pouvait tout redessiner sur une feuille de papier, il y a pas mal de choses qu'on organiserait et que j'organiserais moi-même différemment. Personnellement, je considère qu'il y a des injustices. J'estime que les non-inscrits ont, à tout le moins, des besoins plus grands que les membres affiliés à un parti politique parce qu'ils n'ont pas d'organisation pour les appuyer. En dehors de leurs propres intérêts professionnels, et cetera, et en dehors de la chambre, ils n'ont aucune base pour effectuer des recherches. Eh bien, nous avons d'excellents fonctionnaires qui servent la chambre entière. Les gens affectés à la bibliothèque du Parlement et à ses autres services servent tout le monde de façon égale, mais il me semble plutôt injuste que les non-inscrits n'aient pas plus de fonds à leur disposition.

Le président : Avant que les deux dernières questions des membres soient posées, j'aimerais savoir si vous avez bel et bien parlé du « caucus des non-inscrits »?

Le sénateur Joyal : Le « groupe des non-inscrits », proprement dit.

Le président : Mais ils se réunissent régulièrement.

Le sénateur Joyal : Oui, le groupe se réunit chaque semaine, sous la direction de l'organisateur. Les fonds sont attribués au regard de l'organisateur, naturellement.

Le président : Absolument.

La sénatrice Frum : Madame Russell, excusez-moi. C'est très impoli, j'ai manqué la plus grande partie de votre déclaration et je ne devrais peut-être pas vous poser une question à laquelle vous avez probablement déjà répondu. J'aimerais toutefois revenir à votre analogie de la feuille de papier. Ai-je bien compris que si vous deviez redessiner une deuxième chambre sur une feuille de papier, vous estimeriez que la conception d'une deuxième chambre composée uniquement de membres non alignés, non affiliés et indépendants ne serait pas l'idéal?

Mme Russell : J'ai essayé d'être prudente dans les conseils à vous donner sur ce que vous devriez faire chez vous, mais j'hésiterais beaucoup à concevoir un tel modèle pour votre pays.

La sénatrice Frum : Puis-je revenir alors à la feuille de papier, dans un monde idéal. La raison de mon retard tient à ce que j'ai voulu poser une question à notre nouveau leader du gouvernement libéral, qui a aussi une soi-disant affiliation politique indépendante. J'essayais de me faire expliquer par lui comment il peut être le leader du gouvernement libéral et également un membre indépendant. J'ai encore de la difficulté à comprendre. Il faut une représentation du gouvernement et une représentation de l'opposition. Il y a ensuite de la place pour les indépendants.

Dans une deuxième chambre idéale, comment les sièges devraient-ils être répartis entre tous ces groupes?

Mme Russell : Je ne crois pas qu'il existe une deuxième chambre idéale parce que chacune est modelée sur les circonstances locales.

La sénatrice Frum : C'est juste.

Mme Russell : Une des choses que j'ai dites dans ma déclaration préliminaire est que même si je connais assez bien la politique canadienne, je ne vais pas dire aux experts de la politique canadienne comment la politique de votre pays devrait fonctionner. C'est donc à vous de concevoir une institution qui soit appropriée à votre contexte politique.

Pour ce qui est du leader ou du représentant du gouvernement, je n'ai pas vraiment tiré au clair son titre dans le cadre du nouveau fonctionnement de votre Sénat.

La sénatrice Frum : Lui non plus.

Mme Russell : Voilà un autre exemple, peut-être, d'une nouveauté dont vous devrez décider. Si vous voulez réellement concevoir quelque chose de nouveau, vous devrez concevoir de nouvelles règles et de nouvelles attentes. Il serait peut-être possible de vous organiser pour que des ministres de la Chambre des communes viennent présenter des dossiers au Sénat. Vous n'avez peut-être pas besoin d'un leader du gouvernement dans une nouvelle organisation pour laquelle vous devez trouver une nouvelle logique.

Ce sont des choses que vous devez décider vous-mêmes parce que je suis trop loin pour vous dire ce qui est bon pour vous, aujourd'hui.

La sénatrice Frum : Je vais revenir là-dessus et lire la transcription des délibérations. Seulement pour comprendre, pourquoi ne voulez-vous pas d'une chambre entièrement composée de membres indépendants?

Mme Russell : Je vais peut-être impatienter vos collègues si je me mets à parler de cela en long et en large parce que nous en avons déjà pas mal discuté.

La sénatrice Frum : Vous avez parfaitement raison, et je vous prie de m'excuser. Ce n'est pas bien de se présenter tard. Je vous prie de m'excuser.

Le président : J'aimerais que chacun puisse poser toutes ses questions.

Le sénateur McIntyre : Une dernière petite question. À ce que je comprends, la commission chargée de nommer les membres de la Chambre des lords a la responsabilité de choisir la plupart des non-inscrits, et c'est elle qui donne la définition du mot indépendance. Selon Stevenson Peers, il est possible d'être à la fois indépendant et membre d'un parti si la personne peut faire la preuve qu'elle a des opinions différentes de celles de son parti sur diverses questions.

Cela veut-il dire que l'indépendance est un état d'esprit?

Mme Russell : Vous reprenez, je crois, des propos rapportés dans mon article, mais je ne me rappelle pas précisément lesquels. À l'évidence, ils remontent à plusieurs années.

Je ne sais pas dans quelle mesure il est important pour vous, dans votre situation qui est bien différente de la nôtre, de comprendre à fond ce qui se passe chez nous, au Royaume-Uni. Il faut faire une distinction entre les règles de la commission chargée de nommer les membres et les règles qui régissent les non-inscrits, parce que les deux organisations sont distinctes.

Ce sont les non-inscrits qui décident qui peut être admis dans leurs rangs. La commission chargée de nommer les lords décide qui elle est prête à accepter comme indépendant et à proposer au premier ministre, mais le premier ministre peut aussi nommer des personnes à la Chambre, y compris des indépendants, qui n'ont pas été recommandées par la commission. Il y a également des gens qui étaient à la Chambre avant la mise sur pied de la commission.

Il est donc possible d'avoir un indépendant désigné comme tel à sa nomination et un indépendant qui appartient au groupe de non-inscrits; ce sont deux catégories distinctes. Et, naturellement, les gens changent en cours de route; les gens changent d'opinion et de comportement.

On peut dire sans trop se tromper, je crois, qu'il n'y a encore aucun membre nommé par la commission en qualité de membre indépendant qui s'est joint aux non-inscrits et qui a ensuite décidé de joindre les rangs d'un parti politique. Toutefois, une fois qu'une personne est nommée à la chambre haute, rien ne l'empêcherait d'agir de la sorte. Les opinions politiques des gens peuvent se développer et changer.

Je ne suis pas certaine qu'on puisse répondre correctement à votre question. La Chambre des lords est une institution compliquée.

Le sénateur McIntyre : Les propos en question ont été tenus par Stevenson Peers.

Le président : Merci beaucoup, madame Russell, de votre excellente contribution aux travaux de notre comité.

Mme Russell : J'espère vous avoir été utile. Nous avons une chambre assez spéciale, ici.

Le président : Votre participation nous a été très utile.

Chers collègues, nous nous réunirons demain à notre heure habituelle, à midi, pour entendre des témoins provenant du symposium de l'Université d'Ottawa sur la réforme du Sénat. La semaine suivante, nous entendrons lord Hope, organisateur des pairs non inscrits.

(La séance est levée.)

Haut de page