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MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la
Modernisation du Sénat

Fascicule n° 17 - Témoignages du 9 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 9 mai 2018

Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat se réunit aujourd’hui, à 12 h 2, pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.

Le sénateur Thomas J. McInnis (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Honorables sénateurs, comme vous êtes à même de le constater, notre collègue, le sénateur Greene, est absent pour des raisons indépendantes de sa volonté et il m’a demandé de présider la réunion à sa place. Par ailleurs, l’autre vice-président, le sénateur Joyal, doit s’occuper d’une affaire très importante et il ne peut pas être présent aujourd’hui.

Comme le président l’a souligné à la fin de notre dernière réunion, l’un des enjeux que nous examinons au comité est une question soulevée par notre honorable collègue, la sénatrice Diane Bellemare, et cela concerne l’utilisation d’une liste de contrôle par les comités lorsqu’ils étudient des projets de loi.

Comme vous l’avez appris à la lecture des notes d’information, il a été question de ce sujet à diverses reprises par le passé. L’un de nos témoins, l’ancien greffier du Sénat, M. Gary O’Brien, y a fait référence dans ses commentaires.

Le comité n’a pas encore déterminé s’il devait se prononcer sur l’utilisation d’une telle liste de contrôle, et le comité directeur a décidé qu’il serait important d’entendre les commentaires de la plus récente marraine de ce projet.

Comme vous le savez tous, la sénatrice Bellemare est coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat. Toutefois, en ce qui concerne cette question, la sénatrice Bellemare ne témoigne pas devant le comité à ce titre; elle témoigne à titre plus personnel en sa qualité de sénatrice.

La liste de contrôle de la sénatrice Bellemare prend la forme d’une motion inscrite au Feuilleton et elle est incluse, chers collègues, dans la documentation que vous avez reçue avant la réunion.

Sénatrice Bellemare, merci d’avoir accepté de venir témoigner aujourd’hui pour nous faire part de vos commentaires sur la motion que vous avez présentée devant le Sénat et nous expliquer pourquoi vous croyez que cela permettrait d’améliorer la façon dont les comités sénatoriaux procèdent à l’étude des projets de loi.

Allez-y, et bienvenue.

[Français]

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Je vous avoue que je suis un peu nerveuse de comparaître devant un comité. J’ai été nommée en 2012, et c’est la première fois que je suis invitée à comparaître à titre de témoin.

Le sénateur Massicotte : Vous avez raison d’être nerveuse.

La sénatrice Bellemare : Je tiens d’abord à vous remercier de l’invitation. Je comparais à titre personnel, et j’espère que tout va se dérouler de façon constructive.

D’entrée de jeu, je tiens à remercier les analystes de la Bibliothèque du Parlement qui ont fourni des notes qui exposent bien le fait que cette liste d’observations législatives n’est pas une idée que j’ai inventée. Oui, cette motion m’est apparue comme étant un besoin. Cependant, d’autres avant moi ont pensé qu’il serait utile de la faire.

D’abord, cette idée de dresser une liste de contrôle législative m’est venue assez rapidement après mon arrivée au Sénat. À titre de sénatrice affiliée au caucus conservateur, c’était la première fois que je participais à un caucus. J’avais tenté d’être élue, mais je n’avais jamais participé à un caucus politique.

Je suis arrivée là très candidement, mais peu de temps après, une question m’est apparue comme étant importante. Je devais savoir comment réconcilier mon mandat constitutionnel de sénatrice, qui est d’étudier les projets de loi de façon impartiale, avec ma participation à un caucus affilié à un parti politique reconnu, composé de députés et de ministres de l’autre endroit.

Le caucus auquel j’appartenais avait le mandat de revoir la législation de la Chambre des communes et de participer à des stratégies politiques plus générales. Je me suis dit que le Sénat, c’était peut-être cela. Après être allée voir ce qui se faisait dans le monde, j’ai commencé à m’interroger sur le rôle et le mandat constitutionnel du Sénat.

Lorsque le jugement de la Cour suprême a été rendu, il a précisé notre mandat lié à l’étude impartiale des projets de loi. À partir de ce moment-là, tout en réfléchissant sur la façon de me positionner dans cet univers politique, j’ai établi une grille de points à éclaircir qui nous permettrait de nous positionner devant les choix à faire quant aux projets de loi.

Le 30 septembre 2014, j’ai présenté cette grille d’analyse en Chambre. C’était dans le cadre de mon deuxième discours sur la nature du Sénat. J’avais prononcé un premier discours à l’automne 2014, dans le cadre des interpellations du sénateur Nolin sur la réforme du Sénat. La semaine suivante, j’ai prononcé un discours sur les caractéristiques institutionnelles qui semblaient intéressantes à adopter, et ce, sans amender la Constitution. Le but était de nous donner la possibilité d’exercer notre mandat d’une façon plus indépendante.

J’ai fait référence à cette motion que j’ai poussée plus loin par la suite. En fait, cette motion m’a servie de guide de conduite dans l’étude des projets de loi, mais surtout dans l’étude de projets de loi d’intérêt privé. Elle m’a aussi servie de guide quand je suis devenue sénatrice indépendante non affiliée. Encore aujourd’hui, elle me sert de guide étudier les projets de loi du gouvernement. C’est un guide très utile dans l’exercice de notre mandat constitutionnel, et ce, peu importe le parti politique au pouvoir.

Voici ce que propose la motion no 89, qui est en quelque sorte une liste d’observations :

[Traduction]

Les comités devraient être obligés de faire rapport de certaines observations. Actuellement, comme vous le savez, les comités peuvent formuler des observations, mais ils ne sont pas obligés de le faire.

[Français]

Il s’agit d’une liste dont les comités seraient obligés de se servir, non pas de manière bureaucratique, mais au moins pour avoir la réponse à certaines questions auxquelles le comité devrait rendre des comptes au Sénat.

[Traduction]

... les observations de celui-ci sur les sujets suivants :

a) la conformité, de manière générale, du projet de loi à la Constitution du Canada, notamment :

(i) la Charte canadienne des droits et libertés;

(ii) le partage des compétences législatives entre le Parlement et les législatures provinciales et territoriales;

b) la conformité du projet de loi aux traités et accords internationaux signés ou ratifiés par le Canada;

[Français]

Vous pourrez lire la suite du document qui a été produit par les analystes de la Bibliothèque du Parlement.

[Traduction]

c) le fait que le projet de loi porte ou non atteinte indûment aux minorités ou aux groupes défavorisés sur le plan économique;

d) le fait que le projet de loi a des impacts sur des provinces ou territoires;

e) le fait que les consultations appropriées ont été tenues;

f) toutes erreurs manifestes de rédaction;

g) les amendements au projet de loi présentés au comité qui n’ont pas été adoptés par celui-ci, de même que le texte de ces amendements;

h) toute autre question qui, de l’avis du comité, doit être portée à l’attention du Sénat.

[Français]

Comme vous le savez, chers collègues, le 19 octobre 2016, la sénatrice Nancy Ruth a amendé cette motion en y ajoutant un autre critère.

[Traduction]

d) le fait que le projet de loi a fait l’objet d’une analyse comparative entre les sexes approfondie;

[Français]

Ce sont des critères qu’on peut encore ajouter. On devrait aussi dresser une liste des témoins que nous avons rencontrés dans le cadre du comité pour savoir comment l’analyse a été réalisée.

Comme vous pouvez le constater, c’est une motion très simple. Le Règlement ne l’interdit pas, mais les comités ne le font généralement pas. C’est cela qui m’a amenée à proposer cette motion. Très souvent — vous le constatez dans le cas des projets de loi très importants —, le rapport du comité qui a étudié le projet de loi se résume en une seule phrase. En voici un exemple :

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l’honneur de présenter son onzième rapport.

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-4, Loi modifiant le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail au Parlement, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi de l’impôt sur le revenu, a, conformément à l’ordre de renvoi du 15 décembre 2016, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis, le président.

Généralement, quand il n’y a pas d’amendement dans le cadre d’un projet de loi, c’est la réponse qu’on donne. On n’a pas d’autres obligations. On répond simplement « sans amendement ».

Dans le cas des projets de loi d’intérêt particulier, cela peut poser des problèmes, surtout si on n’a pas en main d’autres éléments d’information que les discours. Parfois, il est intéressant de savoir ce qui s’est dit lors des réunions des comités. D’ailleurs, c’est d’autant plus intéressant parce qu’on a un Sénat de plus en plus indépendant où les caucus ne sont pas les mêmes qu’auparavant.

Cette méthodologie simple a une utilité importante. Comme vous l’avez précisé, M. O’Brien a proposé une idée en ce sens. Il a même dit, devant nous, que cette proposition avait été soumise au Comité du Règlement en 2001. À cet égard, je vous invite à consulter le petit document distribué par la Bibliothèque du Parlement.

[Traduction]

Pour améliorer les pratiques législatives du Sénat, je proposerais d’adopter une recommandation envisagée par le Comité du Règlement lorsque le sénateur Austin était président, voulant que, lorsqu’il fait rapport d’un projet de loi, un comité fournisse une liste de contrôle des enjeux semblable à la liste que contiennent les mémoires au Cabinet. La liste de contrôle contiendrait les constatations du comité sur les divers critères importants en matière de politique publique, comme l’incidence que le projet de loi peut avoir sur le développement régional, les probabilités que le projet de loi enfreint des droits garantis par la Charte et le coût général de la proposition. En procédant ainsi, on pourrait renforcer le processus législatif du Parlement du Canada.

[Français]

M. O’Brien précise que le Comité du Règlement a siégé en 2001 pour traiter de cette question.

À mon avis, cette liste respecte plusieurs objectifs très importants. Elle nous aide, j’en suis convaincue, à remplir notre rôle constitutionnel en nous permettant d’analyser des projets de loi en allant au-delà d’une simple posture personnelle et de nos préférences personnelles. Quand on est un sénateur indépendant et qu’on n’appartient à aucun groupe affilié à un parti politique, les repères pour débattre d’un projet de loi sont absents. Dans un parti politique, on a plus de liberté dans le cas des projets de loi individuels, mais comme on siège avec les députés, on rencontre souvent ces mêmes députés. Quand on siège au sein d’un groupe affilié, les projets de loi du gouvernement peuvent davantage faire partie d’une ligne de parti politique.

Pour les sénateurs indépendants qui ne font pas partie des groupes appartenant à un parti politique, il peut être difficile de se positionner face à un projet de loi. Ce genre de critères nous permet de débattre des projets de loi selon des considérations qui sont liées à notre mandat. À mon avis, ils permettent d’améliorer l’efficacité de nos débats en Chambre. Les sénateurs qui reçoivent un rapport de comité qui contient de telles observations sont mieux disposés à participer adéquatement aux débats à l’étape de la troisième lecture en Chambre.

Par le passé, il m’est arrivé en Chambre de devoir évaluer des projets de loi d’initiative parlementaire qui n’étaient pas clairs. Quand le projet de loi se résume en une seule ligne, il est très difficile de savoir ce qui s’est passé lors des débats, surtout si l’on n’était pas présent. À mon avis, un tel rapport améliore l’efficacité des débats en Chambre et donne lieu à des discussions plus pointues. Si le comité décide, par exemple, que telle décision est constitutionnelle parce qu’on a respecté la répartition des pouvoirs dans les régions, mais que deux provinces ont exprimé telle ou telle préoccupation, cela peut permettre aux sénateurs qui étaient absents lors du débat d’aller un peu plus loin dans l’étude d’un projet de loi.

De plus, je crois que cette liste favorise la transparence. Lorsque le rapport d’un comité se résume en une seule phrase et qu’on arrive avec des discours, on ne sait pas trop comment se positionner. Il est important d’avoir des renseignements en main. Par exemple, des provinces ou des membres de minorités pourraient nous dire qu’il est préférable d’amender le projet de loi de telle autre manière ou d’y ajouter telle ligne. On a la possibilité d’être plus transparent envers la population qui nous confie le mandat d’étudier les projets de loi. Ainsi, on peut y jeter un deuxième regard tout en enchâssant notre immense pouvoir.

Cette dimension du pouvoir m’a amenée à créer une grille de cette nature. Lorsque je faisais mes lectures sur d’autres sénats dans le monde et sur le rôle du Sénat, j’ai rapidement compris que nous avions des pouvoirs immenses. J’ai aussi constaté que, dans certains pays, compte tenu des pouvoirs immenses des sénats dans le monde, en 1911, le Royaume-Uni a adopté une loi pour enchâsser le pouvoir de la Chambre des lords.

C’est peut-être en raison de cet immense pouvoir que, pendant 150 ans, l’autre endroit a essayé d’imposer au Sénat une certaine ligne de parti. Si nous nous disciplinions, nous serions peut-être capables d’avoir un dialogue beaucoup plus convivial avec l’autre endroit, puisque nous aurions des critères objectifs pour débattre d’un projet de loi et non pas simplement la couleur idéologique du parti au pouvoir.

Je me disais qu’une grille comme celle-là pourrait nous permettre d’encadrer notre immense pouvoir sans devoir recourir à des changements constitutionnels ou législatifs, et tout simplement par autodiscipline. Pour moi, il ne m’apparaissait pas du tout bureaucratique de faire une telle liste, parce que les comités reçoivent des experts et recueillent des renseignements.

Donc, il s’agit de répondre selon une certaine grille et de résumer un peu ce qui a été dit. Encore une fois, je trouve logique l’approche d’une motion pour obliger les comités à faire rapport. D’ailleurs, j’ai siégé à des conseils d’administration publics où, lorsqu’on distribuait des mémoires aux membres dans le cadre de dossiers importants, je savais très bien que ceux-ci n’auraient pas le temps de les examiner en profondeur. Alors, on faisait toujours préparer un résumé des tenants et aboutissants des propositions. Au Cabinet, je suis persuadée que les ministres ont ce genre de guide pour dresser les pour et les contre des propositions dont ils sont saisis.

Bref, je pense que l’utilisation d’une telle analyse améliorera grandement nos analyses des projets de loi et obligera — et cela, c’est une autre dimension — les parlementaires et les gouvernements à rendre compte de manière plus approfondie des projets de loi qu’ils veulent adopter. Les témoins invités à nos réunions connaîtront cette grille et devront défendre leurs positions. C’est particulièrement vrai pour les projets de loi d’intérêt privé, parce que j’ai l’impression qu’ils n’ont pas toujours fait l’objet d’un examen approfondi, notamment de la part du ministère de la Justice.

Les projets de loi du gouvernement, de manière générale, ont passé par le ministère de la Justice. Lorsque le projet de loi C-51 sera adopté, nous recevrons justement le rapport du ministère de la Justice concernant la Charte canadienne des droits et libertés et la Constitution.

Selon moi, le fait que les sénateurs sont de plus en plus non affiliés à un parti politique reconnu est un outil intéressant.

[Traduction]

Cette liste de contrôle me fournit un cadre de reddition de comptes utile dans mon travail de législatrice. Cet outil m’a aidée par le passé lorsque je siégeais au caucus et qu’il fallait examiner les projets de loi d’initiative parlementaire, dans les cas où la ligne de parti n’était pas clairement définie. À cette époque, lorsqu’il s’agissait d’un projet de loi du gouvernement à l’étape de la troisième lecture, nous devions parfois reporter le tout.

[Français]

Je m’en tiendrai à cela. Il y a une liste de questions que la Bibliothèque du Parlement a proposée, et je suis prête à répondre à vos questions.

[Traduction]

Le vice-président : Les membres du comité ne se limitent malheureusement pas aux questions rédigées à l’avance qui leur sont remises.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Non, je ne voulais pas dire cela.

[Traduction]

Je suis désolée. Je tiens à m’excuser. J’ai vu des questions dans le...

Le vice-président : Je sais.

La sénatrice Bellemare : Pas pour moi, mais que j’aurais pu...

Le vice-président : D’accord.

La sénatrice Bellemare : Je m’excuse.

Le vice-président : Non. Ne vous excusez pas. Il n’y a pas de limites ici.

Passons maintenant à notre liste d’intervenants.

Le sénateur Wells : Merci, sénatrice Bellemare. Vous avez raison. Je ne vais pas suivre la liste de questions qui se trouve à la fin du document.

Lorsque j’examine des mesures législatives, j’utilise ma propre liste de contrôle. Je me demande l’incidence que le projet de loi aura sur Terre-Neuve-et-Labrador, les secteurs, les industries ou les autres domaines dans lesquels j’ai une expertise et qui me tiennent à cœur. Bref, j’ai une liste de contrôle. Dans la majorité des cas, je vais lire le sommaire, passer le tout en revue, puis je vais écouter.

Je comprends que votre propre liste de contrôle est probablement très différente de la mienne. Je crois que nos collègues utilisent 105 listes de contrôle en fonction de la région, de leur expertise, de nombreux facteurs et des sujets qui leur tiennent à cœur. Voilà le premier point que je voulais soulever.

Avez-vous des exemples où le Sénat ou ses comités ont failli à la tâche, parce qu’ils n’ont pas tenu compte d’un certain aspect d’un projet de loi? Nous savons que les projets de loi sont adoptés très rapidement par la Chambre. Il arrive très souvent que les comités de la Chambre ne les regardent que sommairement ou superficiellement, puis nous nous attelons à la tâche. Le Sénat est reconnu pour la rigueur de ses comités.

Êtes-vous au courant de cas où quelque chose nous a échappé, parce que nous n’avions pas une liste de contrôle?

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je dirais que oui, d’une certaine manière, pour les sénateurs qui n’ont pas participé au débat en comité. Dans leur cas, il peut arriver qu’ils soient complètement obnubilés par un débat en Chambre et qu’ils n’aient pas de repères. Je peux vous en donner plusieurs exemples. Vous le savez, sénateur Wells, il y a eu le projet de loi C-377, un projet de loi d’intérêt privé dont un comité a été saisi et qui a suscité beaucoup de questionnements. La première fois qu’il a été présenté à un comité, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a présenté des observations à son sujet, mais elles n’étaient pas exhaustives. La deuxième fois, il a été étudié par le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a proposé très peu d’observations.

La même chose s’est produite pour le projet de loi C-525 concernant le vote secret. C’était un projet de loi d’initiative parlementaire présenté par des députés, qui proposait de changer le système du Code du travail actuel pour le remplacer par un vote secret obligatoire. Il y a eu beaucoup de débats, et j’avais proposé des amendements à ce comité. J’avais présenté des amendements de deux ordres; un premier traitait des limites sur le vote. Il y avait eu des débats sur l’efficacité et les conséquences inattendues de ce projet de loi en fonction des délais du vote. Les autres modifications portaient sur les erreurs. Les gens sont arrivés avec un petit rapport auquel on avait ajouté des observations sur les erreurs et les débats que cela avait suscités, ce qui signifie que les sénateurs en Chambre ne disposaient pas d’un résumé des tenants et aboutissants du projet de loi.

L’efficacité d’une telle liste permettrait de dissiper des choses sur toutes sortes d’éléments. Je trouve que la grille est neutre et qu’elle est liée à notre mandat constitutionnel. On pourrait l’appliquer à toutes les lois, parce qu’on aurait un rapport pour se positionner et examiner des éléments plus en profondeur. Sinon, les projets de loi nous arrivent et nous nous en remettons à notre caucus. Pour les sénateurs indépendants, il n’y a pas de groupe de cette nature affilié à un parti politique.

[Traduction]

Le sénateur Wells : Bien entendu. Je me souviens très bien des projets de loi C-377 et C-525. Toutefois, vous étiez très active dans ces dossiers. Vous n’aviez pas besoin de liste de contrôle. Vous étiez probablement plus active que tout autre sénateur dans le dossier du projet de loi C-377.

La sénatrice Bellemare : J’ai une liste de contrôle.

Le sénateur Wells : Je sais. C’est ce que je dis. Vous étiez tellement active dans le dossier que vous n’aviez probablement pas besoin de liste de contrôle. Vous aviez votre propre liste de contrôle. Comme je l’ai mentionné dans ma première question, j’avais ma propre liste de contrôle. Cependant, je m’en souviens bien.

Selon vous, la situation aurait-elle été différente si le Sénat avait eu une liste de contrôle? Par ailleurs, cette liste serait-elle utilisée à l’étape de l’étude en comité, au Sénat ou à l’étape de l’une des lectures? Le Sénat serait-il contraint de faire autre chose que de confirmer avoir vérifié la langue, les enjeux autochtones et les droits des provinces et des territoires? Le Sénat serait-il contraint de faire autre chose que de souligner qu’il a tenu compte de ces éléments?

[Français]

La sénatrice Bellemare : Si je comprends bien votre question, quand on a une liste de points législatifs, ça nous permet de débattre en fonction de ces points.

On va prendre un autre exemple, soit un projet de loi ou une situation où, en comité, on se questionne sur la Charte. Dans ce cas,le rapport présente un résumé des débats qui ont été faits à ce chapitre. Certains disent que ça va à l’encontre de la Charte, d’autres disent que non. Il est sûr qu’on ne peut pas le déterminer. Nous ne sommes pas la Cour suprême, mais au moins, ça nous donne un élément de probabilité que ce projet de loi enfreigne ou non la Charte. Donc, cela nous donne un élément que nous pouvons approfondir par la suite.

Cette liste d’éléments est liée à notre mandat et à notre rôle, qui sont de défendre les régions et les minorités, et de ne pas adopter de projets de loi qui sont non constitutionnels et qui enfreignent la Charte. Ça fait partie de notre mandat. Donc, cette liste résume les éléments de notre mandat et d’autres questions. À mon avis, elle nous permet d’être transparents dans nos débats, d’informer nos collègues et d’aller plus loin dans le débat en Chambre.

[Traduction]

Cela nous permet de pousser un peu plus loin les débats au Sénat.

Le sénateur Wells : Monsieur le président, j’ai une autre question.

J’ai lu des dizaines de mémoires au Cabinet et j’ai lu des dizaines de rapports. Je vais plus souvent lire le sommaire du rapport que l’ensemble du rapport.

Vous avez dit que la liste de contrôle serait utile aux gens qui ne lisent pas les rapports ou les projets de loi. Croyez-vous que moins de projets de loi seraient lus si une liste de vérification était fournie, parce que certains seraient rassurés de savoir que nous nous occupions de ces éléments, comme le fait parfois un sommaire?

La sénatrice Bellemare : Vous me demandez si je crois que ce serait le cas, n’est-ce pas?

Le sénateur Wells : Si une liste de contrôle était fournie, croyez-vous que les sénateurs liraient moins de projets de loi, étant donné que la vérification de ces éléments les rassure?

La sénatrice Bellemare : Non. Au contraire. Si le comité était obligé de produire un rapport, je crois que les sénateurs liraient le rapport et les observations. Ensuite, les gens pourraient consulter le projet de loi et ils seraient alors en mesure de participer plus facilement aux débats.

Le sénateur Wells : Merci.

[Français]

Le sénateur Gold : En principe, j’aime l’idée des critères, parce que, si je comprends bien — et je pense que c’est un point que vous avez souligné —, ça répond à notre mandat constitutionnel. Donc, pour quelqu’un comme moi qui viens d’arriver il y a un an et demi, j’ai beaucoup à apprendre, et ça m’aide à structurer mes pensées par rapport à un projet de loi et à compléter ma liste personnelle.

Aussi, je suis convaincu que dans le contexte des projets de loi non gouvernementaux, il est important de structurer notre analyse en comité pour veiller à ce que les choses se fassent correctement. Je me tourne vers le sénateur McInnis, parce qu’on a eu des expériences précises là-dessus sur un projet de loi d’intérêt privé. L’analyse de fond n’avait pas été faite, et l’on était devant un projet de loi, méritoire peut-être, mais qui comportait beaucoup de lacunes quant à l’information transmise par le gouvernement.

Cela dit, si je comprends bien, vous avez mis l’accent sur le rapport final. Il y aurait un rôle et un avantage au début du travail du comité, c’est-à-dire pour structurer le travail du comité. Je pense que le sénateur Wells a raison, les sénateurs expérimentés ont de très bonnes connaissances et posent les bonnes questions quant à la constitutionnalité et au reste. Ainsi, les analystes pourraient nous fournir, au début du projet, une liste permettant de cerner pour nous toutes les questions au moment d’amorcer notre travail.

Je m’excuse pour la longueur de mes propos. Pour mettre cela en œuvre de façon pratique, car notre travail est pratique, comment faire en sorte qu’on trouve un juste équilibre entre la structure d’une telle recommandation ou motion et la flexibilité nécessaire pour ne pas retarder le processus d’examen et ne pas le rendre plus difficile? Je reviens un peu à la question du sénateur Wells. Dans quelles circonstances cela serait-il vraiment nécessaire? Et est-ce qu’il y a une façon de structurer cette méthode avec souplesse, soit en mettant l’accent sur les enjeux dont on n’aurait pas discuté en profondeur pour faire en sorte que les sénateurs et sénatrices puissent dire que le comité a étudié ces enjeux, mais qu’il y a des lacunes? Avez-vous des suggestions pratiques pour mettre cela en œuvre? Excusez-moi pour mon discours en français.

[Traduction]

Il y a plus de mots en français qu’en anglais.

La sénatrice Stewart Olsen : Oui. Évidemment.

Le sénateur Gold : Je le vois comme un geste de respect à l’endroit de Molière.

Comment pouvons-nous faire en sorte de rendre cela pratique sans alourdir inutilement les travaux des comités qui accomplissent leur tâche, comme nous le savons, de main de maître et de manière remarquable? Aucune question complémentaire.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J’ai vu des rapports de comités récemment qui ont étudié des dispositions du projet de loi C-45, par exemple. L’étude respectait tous ces critères. C’était très clair. Alors, je ne vois pas de problème à cerner les questions que l’on devrait se poser et à y répondre succinctement dans un rapport. Parce qu’il y a des projets de loi qui n’ont pas d’incidence régionale, mais peut-être qu’il y a une province ou deux qui aurait des choses à dire sur un sujet. Notre rôle est d’améliorer les projets de loi qui touchent les provinces, les régions et des groupes minoritaires. Ça, c’est simplement un aide-mémoire, mais il s’agit d’en faire rapport, parce que je trouve qu’il y a trop de comités qui présentent au Sénat des rapports sans amendement, constitué d’une seule phrase. Donc, lorsqu’un sénateur veut aller plus loin et remplir son rôle, il doit aller chercher dans les travaux du comité et lire les délibérations, les témoignages et les débats. Ça peut être très long.

Bien entendu, il y a un surcroît de travail qui est exigé de la part de la Bibliothèque du Parlement et du personnel qui soutient les travaux des comités, mais ça n’a pas besoin d’être non plus... Je pense que c’est relativement simple, puisqu’on rapporte déjà les propos des gens en Chambre. Alors, il s’agirait d’ajouter un petit rapport, des observations qui n’ont pas besoin d’être adoptées, mais qui sont soumises aux membres. Ces observations n’ont pas de valeur légale. Elles ne font pas partie du rapport comme tel; elles sont simplement ajoutées aux travaux des comités.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Merci de vos commentaires. C’est un excellent travail. J’ai plusieurs réserves, et j’aimerais vous en faire part et vous poser des questions.

Je crois que cela ralentira l’adoption des projets de loi au Sénat et que le gouvernement ne sera peut-être pas très enchanté par notre décision, si nous allons de l’avant en ce sens.

Ensuite, votre motion souligne la « conformité aux traités » et « le fait que le projet de loi porte ou non atteinte indûment aux minorités », et cetera. Cela signifie qu’une foule d’autres témoins devront comparaître devant le comité. Nous ne pouvons pas seulement nous fier aux réflexions de notre personnel, des gens de la Bibliothèque du Parlement et d’un comité. Nous devrons inviter des représentants des Affaires étrangères au comité. Nous devrons inviter des représentants des minorités, si cet aspect est soulevé, d’autant plus qu’il ne faut pas oublier que c’est grandement subjectif. Je fais seulement allusion au processus.

En ce qui concerne les provinces, cela aura-t-il une incidence sur un ou plusieurs territoires ou provinces? Avons-nous mené des consultations adéquates? Qui détermine si c’est adéquat?

Il est question dans la motion de « toutes erreurs manifestes de rédaction ». Je présume que notre service juridique pourrait se pencher sur la question, et il le fait déjà. La motion parle des « amendements au projet de loi présentés au comité qui n’ont pas été adoptés par celui-ci ». Je crois que cette disposition vient peut-être empiéter sur le droit du comité d’être maître de ses travaux. Si un comité examine les amendements et les approuve ou les rejette, je suis persuadée que le comité a fait ses devoirs. Votre motion fait également allusion à « l’avis du comité », et c’est bien. Je crois que ma grande crainte est la façon de le faire.

J’aimerais notamment suggérer qu’il serait peut-être plus utile de remettre cette liste de vérification aux sénateurs qui élaborent des projets de loi d’initiative parlementaire ou aux autres qui s’affairent à la rédaction de mesures législatives. Autrement dit, pour les projets de loi du gouvernement, les parlementaires seront au courant des éléments que nous vérifierons, et je devrai consulter une telle liste de contrôle, si j’élabore un projet de loi d’initiative parlementaire. Je crois que c’est une excellente idée, mais c’est le processus qui m’inquiète.

La sénatrice Bellemare : C’est une excellente question. Je crois que vous avez raison lorsque nous examinons la question du point de vue du processus dans le cas où nous obligerions les comités à étudier les projets de loi dans l’optique de ces questions.

Toutefois, mon objectif n’était pas de forcer un comité à étudier un projet de loi dans l’optique de ces questions. C’était de faire rapport au comité en fonction de ce qui a été dit au sujet de ces aspects.

Si vous me le permettez, j’aimerais employer une métaphore, parce que c’est celle que j’ai en tête.

[Français]

Si vous allez à la pêche avec un gros filet et que vous attrapez toutes sortes de poisson, il s’agit de mettre la morue avec la morue, la raie avec la raie, les petits poissons et les gros, et de dire : « Voilà ma récolte. » Ce n’est pas d’aller à la pêche à la morue et à la raie en même temps. C’est vraiment de classer l’information qu’on obtient en comité en fonction de ces critères.

[Traduction]

Je suis, en fait, d’accord avec vous. Si un comité avait cette liste de contrôle et qu’il était obligé de répondre à toutes ces questions, ce ne serait pas gérable, et ce n’était pas mon objectif. L’objectif est d’au moins avoir un rapport qui présente ce que le comité a entendu. Voilà pourquoi j’ai dit plus tôt que, si nous pouvions aussi avoir la liste des experts ou des témoins, ce serait utile. Cependant, cela vise la présentation d’un rapport; cela ne vise pas à imposer une manière de faire au comité.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vois. Merci.

Le sénateur Gold : Je tiens à vérifier un aspect. Si, à la fin de l’analyse, aucun témoin ne s’est manifesté pour dire qu’il y a un vrai problème par rapport aux traités internationaux ou que des mesures auront une incidence disproportionnée sur ceci ou cela, il n’en sera tout simplement pas question dans vos observations. Toutefois, s’il y a une controverse au sujet de la constitutionnalité, il en sera au moins fait mention dans les observations incluses dans le rapport.

La sénatrice Bellemare : C’est exact.

Le sénateur Gold : Merci.

Le vice-président : Cependant, ne serait-ce pas fait automatiquement?

La sénatrice Bellemare : Le comité ne serait pas forcé d’examiner ces éléments. C’est une façon de faire rapport au Sénat de ce qu’il a entendu. Le comité peut faire rapport de certains problèmes vraiment importants.

[Français]

Grâce à cette liste, ils pourront dire ce qui pose problème. Par exemple, avec telle province, il y a telle difficulté, tel groupe minoritaire est d’avis que si on ajoutait telle chose, ce serait mieux, tel secteur industriel croit que tel traité de commerce international sur les marques de commerce pose problème. Il y aurait un ordre, ce serait mentionné et ce ne serait pas oublié.

Le sénateur Massicotte : Merci de comparaître devant nous cet après-midi. Je suis surpris de vous entendre dire que ce questionnaire est simplement un format pour faire rapport. Ce n’est pas ainsi que je l’avais compris. Je croyais qu’il s’agissait de diriger ou d’influencer le comité dans ses études. Je me pose la même question que tous. Quels en sont les avantages? Est-ce que ça améliore la qualité de notre travail? A-t-on oublié des points importants par le passé? Je crois que non.

La nature humaine nous amène à examiner ce qui va à l’encontre de nos valeurs, de nos connaissances ou de nos méthodes de travail. Je pense qu’on est assez efficace pour y arriver. Prenons la liste de problèmes constitutionnels, les défis ou les contradictions... Par exemple, lors de nos débats en comité, il arrive souvent que des personnes disent que le projet de loi est anticonstitutionnel, et cetera. Mais qu’est-ce qu’on fait? Certaines personnes invoqueront des arguments en espérant freiner nos travaux. Nous avons comme responsabilité de prendre note des opinions et de les explorer, mais nous ne sommes pas juristes. On mène des études. Quels seraient les résultats de votre proposition? Si quelqu’un vient nous dire que le projet de loi n’est pas constitutionnel, est-ce qu’on arrête nos travaux, est-ce qu’on rédige seulement un rapport?

La sénatrice Bellemare : Les critères m’apparaissent essentiels quant au rôle du Sénat et au second examen qu’il doit porter sur les projets de loi. Si un drapeau rouge est levé en comité par rapport à la constitutionnalité d’un projet de loi, le fait de l’étudier plus en profondeur et de le résumer pour les besoins du Sénat nous permet de mener un débat plus avancé. Autrement, un sénateur ou une sénatrice se lèvera en Chambre, en troisième lecture, pour déclarer que ce n’est peut-être pas constitutionnel et un autre groupe affirmera le contraire. À ce moment-là, on a des débats qui ne nous donnent pas toujours la mesure réelle du problème. Nous ne sommes pas tous des experts.

Je le répète, cette liste n’est pas obligatoire, mais elle nous sera utile. Si quelqu’un déclare qu’un projet de loi n’est pas constitutionnel, on examinera plus en profondeur la question en comité et on posera des questions à d’autres témoins. Bref, on aura un résumé plus substantiel de la question. Une fois que le rapport sera déposé, si le projet de loi n’est pas constitutionnel, on tentera de voir s’il est possible de le rendre constitutionnel.

Il y a des projets de loi du gouvernement et des projets de loi d’initiative parlementaire. Si le projet de loi d’initiative parlementaire n’est pas constitutionnel, on proposera un amendement à l’étape de la troisième lecture pour le rendre constitutionnel ou il ne sera tout simplement pas adopté. Ces projets de loi, en particulier, ne sont pas examinés rigoureusement comme les projets de loi du gouvernement. S’il s’agit d’un projet de loi du gouvernement, on posera des questions. Avant-hier, lors du débat sur le projet de loi C-49, certains sénateurs ont fait des amendements sur la question de la constitutionnalité. Nous ne sommes pas la Cour suprême, donc il y a peut-être une possibilité que ce soit inconstitutionnel. Il y a d’autres éléments à examiner, et on l’a dit au gouvernement, qui nous a répondu qu’il n’était pas d’accord et qu’il croyait que le projet de loi était clair.

Le sénateur Massicotte : Même si c’est censé être une sorte de format pour préparer un rapport, la logique est telle que ça risque tout de même d’influencer le débat. Si le comité doit préparer ce rapport, il y a peut-être pensé. Mais ne croyez-vous pas qu’il y a un risque, en raison du format standard, qu’on délègue le travail aux analystes et que ça influence notre débat? C’est un peu comme les questions qu’on pose dans le rapport, on en laisse l’analyse à quelqu’un d’autre. On ne vérifie pas la liste pour s’assurer qu’on répond à tous les critères. Cela peut-il devenir mécanique et que l’on oublie de poser les bonnes questions?

La sénatrice Bellemare : Dans la liste, il y a l’élément suivant : toute autre question que le comité estime importante d’être soulevée. Cette liste à mon avis est importante. Je l’ai utilisée pour préparer certains discours, notamment dans le contexte du projet de loi du député Chong visant à réformer la façon dont la Chambre des communes fonctionnait. Vous vous souvenez de ce projet de loi, nous ne partagions pas le même point de vue. Je pourrais vous expliquer comment j’ai utilisé ma liste.

Pour moi, ces éléments m’apparaissent légitimes pour aider le Sénat et les sénateurs à se positionner. Étant donné que nous sommes nommés, compte tenu aussi du renvoi de la Cour suprême sur notre rôle et notre raison d’être, je considère que ces critères permettent de baliser notre rôle constitutionnel. Il n’est pas légitime de notre part de nous positionner sur un projet de loi seulement par préférence personnelle, car il faut des critères.

L’exemple du projet de loi du député Chong correspondait exactement à ça. Il y avait eu beaucoup de débats. C’était le projet de loi qui proposait que le leadership d’un parti puisse être contesté s’il y avait une proportion de députés qui y était favorable.

Le sénateur Massicotte : Craignez-vous que, sans cette liste, le comité ne fasse pas son travail?

La sénatrice Bellemare : Quand j’ai fait cette liste, il y avait seulement deux groupes au Sénat. Ils étaient tous les deux affiliés à un parti politique. Tous les deux, donc, côtoyaient les députés. Je voulais essayer d’être un peu plus indépendante dans ma réflexion, alors je suis arrivée avec ça, selon ce que je pensais être notre rôle constitutionnel.

Mais maintenant que le Sénat est de plus en plus indépendant et qu’il n’y a pas de caucus affilié – il y en a un qui discute avec les députés, mais les autres sont indépendants — , il nous faut des critères pour guider notre travail de second examen lorsque nous sommes indépendants pour éviter que nous prenions position seulement en fonction de notre opinion personnelle, parce que ce n’est pas ça, notre légitimité.

Le sénateur Massicotte : Bien que vous ne soyez pas membre d’un groupe indépendant, vous vous souciez du fait que notre programme ne soit pas assez complet et qu’on puisse oublier des choses importantes.

La sénatrice Bellemare : D’un côté, quand on appartient à un caucus affilié à un parti politique, il y a des risques qu’il soit difficile d’être impartial dans l’analyse des projets de loi. D’un autre côté, si nous sommes tous indépendants et que nous n’analysons pas les projets de loi dans un contexte légitime en fonction des besoins de la population, nous aurons des positions qui seront plutôt personnelles.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : Je crois que nous tenons compte de la majorité des éléments de la liste, voire l’ensemble, pratiquement tout le temps. Je vous rappelle que nous avons la réputation de réaliser un examen exhaustif des projets de loi à l’étape de l’étude en comité. Cela signifie que vous entendez diverses opinions. Vous avez les analystes de la Bibliothèque du Parlement qui vous expliquent les divers enjeux. Bref, au fil des discussions et des réunions, je crois que vous constaterez que toutes ces questions sont abordées.

Par ailleurs, nous avons aussi nos propres listes de contrôle, comme l’a souligné le sénateur Wells, et ces listes incluent des éléments importants pour nous.

L’endroit où je vois une utilité, c’est dans le rapport qui est présenté au Sénat. Comme vous l’avez souligné, il arrive souvent qu’il soit simplement écrit que le rapport a été adopté sans amendement dans le cas d’un rapport sur un projet de loi. Il arrive aussi parfois qu’il y ait un peu plus de renseignements. Il peut y avoir des observations ou un amendement, mais il y a très peu de renseignements à ce sujet. Cette information pourrait donc être très utile.

Toutefois, une partie du problème est qu’il est difficile de répondre à bon nombre de ces questions. Les opinions seront variées, par exemple, si nous cherchons à déterminer si une minorité ou un groupe défavorisé sur le plan économique sera touché ou si un ou plusieurs territoires ou provinces seront touchés. Cela inclut même les questions ayant trait à la Constitution, en particulier en ce qui a trait à la Charte des droits et libertés. Chaque juriste aura un avis différent si vous leur posez la question.

Un rapport pourrait inclure une quantité impressionnante de renseignements par rapport à ces éléments. Mon comité terminera bientôt son étude du projet de loi C-45. Nous aurions besoin de plusieurs dizaines de pages pour répondre à toutes ces questions, et je me demande qui s’en occupera. Ce sera le greffier du comité ou le personnel du service de recherche de la Bibliothèque du Parlement qui devra colliger tous ces renseignements. Bien entendu, il faudra aussi faire preuve de prudence. Si un projet de loi divise les gens, le personnel devra veiller à ce qu’il y ait un certain équilibre dans le rapport; autrement, il se fera reprocher d’avoir accordé une trop grande importance à un élément plutôt qu’à un autre. Ce ne sera pas facile de coucher le tout sur papier, et ce, de manière objective.

Avez-vous parlé au greffier ou aux gens de la Bibliothèque du Parlement au sujet des ressources additionnelles dont nous aurions peut-être besoin pour y arriver?

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci de votre question. Elle est excellente. Je n’ai pas parlé au greffier au sujet du surcroît de travail que cela pourrait occasionner. Cependant, d’expérience et en regardant ce que nous avons déjà fait dans les comités pour préparer un résumé des débats, je vous dirais que, pour le projet de loi C-45 et pour la plupart des projets de loi, c’est déjà fait. Des rapports ont été soumis au Sénat. J’ai lu ces rapports, et ils sont très bien faits. Ils nous permettent de rendre compte de nos travaux. J’ai lu les rapports du Comité des affaires étrangères, du Comité des affaires juridiques et du Comité des peuples autochtones, et c’est exactement cela que je souhaiterais qu’on ait pour l’ensemble des projets de loi. Nous l’avons pour le projet de loi C-45, et c’est immense. Il y a des projets de loi qui ne sont pas aussi volumineux. Il y a trop de rapports qui sont souvent présentés sans amendement et qui se résument en une seule phrase. On ne sait pas ce qui s’est fait en comité.

Donc, je sais que la motion, telle qu’elle est rédigée, peut avoir l’air bureaucratique et imposante, mais je serais prête à la revoir, au moins pour obliger les comités à faire rapport. Le facteur le plus important pour moi, c’est l’obligation pour les comités de rapporter au Sénat ce qu’ils ont entendu et, autant que possible, de nous résumer ce qu’ils ont entendu au sujet de la Charte. C’est de ce lien qu’il s’agit, parce que sans rapport, c’est facile. C’était facile auparavant de se faire une idée lorsqu’il y avait deux caucus.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : Toutefois, d’où proviendra l’avis qui nous permettra de déterminer si c’est conforme à la Charte?

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je suis d’accord sur le fait qu’il ne s’agirait pas d’une opinion décisive. On en débat et on peut se reporter à d’autres. On peut aussi se dire que, dans certains cas, c’est le choix qui a été fait. Selon l’ampleur de ce que cela implique, il faut prendre des décisions en conséquence à l’étape de la troisième lecture.

L’obligation de rapporter est fondamentale sur des questions d’enjeu. C’est une question de transparence aussi. Cela rend l’exercice rigoureux pour le gouvernement et pour les parlementaires qui déposeront un projet de loi. Ils auront à le défendre sous cet angle-là.

À mon avis, cela rendra nos débats plus efficaces au Sénat et fera du Sénat une Chambre plus impartiale, ce qui correspond à notre mandat.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : J’ai un petit commentaire au sujet des autres rapports sur le projet de loi C-45, qui a été un processus extraordinaire et très utile. Je sais qu’au moment de la rédaction des rapports certains se sont demandé si les rapports étaient équilibrés.

La sénatrice Bellemare : Qu’avez-vous dit?

Le sénateur Eggleton : Je sais qu’il y a eu des délibérations au sein de certains comités pour déterminer si leur rapport était équilibré. Bref, il faudra faire tout cela, et j’avance que c’est plus facile à dire qu’à faire.

En fin de compte, les sénateurs ne sont pas des experts en tout. Ils ne peuvent pas maîtriser tous les sujets. Avoir plus de renseignements les aidera, surtout dans le cas des sénateurs indépendants. En fin de compte, les sénateurs indépendants, non indépendants, quasi indépendants ou autre doivent pouvoir compter sur des personnes aux vues similaires qui approfondissent un certain enjeu, parce qu’il faut aussi être capable de lire entre les lignes dans le cas de certains rapports.

Le sénateur Massicotte : Par des personnes aux vues similaires, vous voulez dire des gens qui ont une même position politique.

Le sénateur Eggleton : Ce n’est pas nécessairement politique; ce sont seulement des vues similaires.

Le sénateur Massicotte : Au sens philosophique.

Le vice-président : Merci. Il reste un intervenant.

[Français]

La sénatrice Verner : Il y a effectivement une grande nuance dans la compréhension de l’intention de votre motion et ce qu’elle est en réalité. Si je devais résumer, sans être réductrice de ce que vous avez fait, c’est que vous souhaitez que l’ensemble des points de vue qui ont été exprimés lors de l’analyse d’un projet de loi soient rapportés. Point.

Pour certains sénateurs, cela peut devenir la façon dont ils vont exercer leur jugement ou leur vote par rapport à ce projet de loi. Pour d’autres, ce sera une information utile, nécessaire ou supplémentaire, mais leur grille personnelle, comme les sénateurs Wells et Eggleton le disaient, continuera de s’appliquer également.

Comme mon collègue l’a dit, on n’est pas expert en tout et on ne peut pas tout lire et tout suivre non plus. Il est certain que s’il y a eu des débats parmi les témoins sur la conformité à la Charte canadienne des droits et libertés, le comité ne va pas décider d’accorder la priorité à une opinion sur l’adaptabilité à la Charte, mais il pourra exposer le fait que plusieurs témoins ont discuté de la Charte, que certains ont émis des réserves et que d’autres ont affirmé que cela passe le test de la Charte.

C’est ce que je comprends de votre motion. Effectivement, un expert peut dire une chose et un autre dira autre chose, mais pour moi, il peut être utile de savoir que cela a fait l’objet d’une discussion.

Je vous inviterais donc, afin de mettre cette méthode en pratique, de vérifier quelles sortes de ressources supplémentaires elle nécessiterait à l’égard de la Bibliothèque du Parlement ou des rédacteurs des rapports. Je pense que des gens devront s’exprimer sur la façon dont ce travail se fera.

À partir du moment où il s’agit de rapporter ce qui a été dit et non pas d’arbitrer ce qui a été dit, je crois qu’il y a une nuance importante à faire. On parle bien de rapporter et non pas de faire les arbitres. C’est un peu le commentaire que je voulais faire.

La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup. C’est exactement cela. Cette méthode se veut un outil, un instrument.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : J’ai mentionné qu’il a été difficile d’arriver à une entente concernant certains rapports sur le projet de loi C-45 dont a été saisi notre comité.

J’ai oublié le rapport le plus marquant où il y a eu beaucoup de désaccord. J’essaie de trouver le libellé final. C’était celui sur le système de Westminster. Vous rappelez-vous tout le temps dont nous avons eu besoin pour seulement nous mettre d’accord sur ce que nous avions entendu et les éléments que nous considérions comme importants pour en faire rapport au Sénat? Bonté divine.

La sénatrice Bellemare : Si vous me le permettez, j’aurais un dernier commentaire sur ce sujet, parce que j’étais là à certaines reprises lorsque vous avez discuté du rapport. Il ne s’agit pas du même genre de rapport. Ce n’est pas un rapport qui doit être signé par les membres. Ce sont des observations. Au moins, dans le cas de vos observations, vous voulez les diffuser de manière officielle. Ce n’est pas le même genre de rapport, parce que le rapport se veut une réponse à un mandat, et nous avons discuté abondamment du rapport.

Le sénateur Eggleton : De toute manière, je suis d’accord avec mon collègue. Établissez le coût des ressources additionnelles.

Le vice-président : Merci, sénatrice Bellemare. Cela donne matière à réflexion, et je suis persuadé qu’il y aura d’autres discussions à ce sujet pour déterminer si nous l’inclurons dans le rapport ou non. Je suis convaincu que vous participerez aux réunions à titre de membre d’office. Merci beaucoup. C’était un excellent exposé.

(La séance est levée.)

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