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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 34 - Témoignages du 3 décembre 2018


OTTAWA, le lundi 3 décembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit à huis clos aujourd’hui, à 16 h 8, afin de discuter d’un projet d’ordre du jour, et en séance publique, afin de poursuivre son étude sur l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi, de même que son étude de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le président : Honorables sénateurs, nous poursuivons la séance en public. Je m’appelle René Cormier, je suis sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit son étude sur la modernisation des langues officielles. Nous entamons aujourd’hui le cinquième volet de cette étude, qui porte sur les institutions fédérales. De plus, le comité poursuit son étude sur l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant au sein des institutions assujetties à la loi.

Nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Mélanie Joly, ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie. Elle est accompagnée de Mme Guylaine F. Roy, sous-ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie à Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ainsi que de M. Denis Racine, directeur général, Direction générale des langues officielles à Patrimoine canadien, et de M. Yvan Déry, directeur principal, Politiques et recherche, Direction générale des langues officielles de Patrimoine canadien.

Avant de donner la parole à Mme la ministre, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant par ma gauche, avec la vice-présidente du comité.

La sénatrice Poirier : Bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Smith : Bonsoir. Larry W. Smith, du Québec.

La sénatrice Mégie : Bonsoir. Marie-Françoise Mégie, du Québec.

Le sénateur Maltais : Bonsoir et bienvenue. Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Gagné : Bonsoir. Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Moncion : Bonsoir. Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bonsoir. Julie Miville-Dechêne, du Québec. Je ne suis pas membre du comité, mais je tenais à assister à la réunion d’aujourd’hui.

Le sénateur McIntyre : Bonsoir, madame la ministre. Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Merci, chers collègues.

Madame la ministre, bienvenue parmi nous. La parole est à vous et, ensuite, nous procéderons à une période d'échanges avec vous.

L’honorable Mélanie Joly, C.P., députée, ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie : Chers membres du comité, merci de m’avoir invitée.

[Traduction]

Je suis vraiment très heureuse d’être ici avec vous aujourd’hui.

[Français]

Je suis heureuse de revoir tant de visages familiers. Je pense que c’est la troisième fois que j’ai l’occasion de comparaître devant ce comité depuis les trois dernières années, alors j’ai eu ce plaisir auparavant. Je comparais bien entendu ce soir à titre de ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie. C’est un mandat fort que m’a confié le premier ministre pour nos langues officielles et qui me permet de continuer à respecter nos engagements tout en soutenant notre francophonie, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale.

D’entrée de jeu, je tiens à reconnaître l’important travail que fait ce comité en ce qui a trait à la promotion de nos deux langues officielles. Vous entendez les préoccupations de nombreux organismes qui servent nos communautés, ainsi que les intervenants du milieu des langues officielles. Vos travaux alimentent notre réflexion et notre travail au sein du gouvernement, et je tenais à vous en remercier.

[Traduction]

Même si cela a déjà été fait, j’aimerais prendre le temps de vous présenter les membres de la haute direction de mon ministère qui m’accompagnent aujourd’hui. Il s’agit de Guylaine Roy, ma sous-ministre, Denis Racine, Yvan  Déry ainsi que d’autres membres de mon équipe.

[Français]

Avant de m’entretenir avec vous des sujets qui alimentent les travaux du comité, j’aimerais revenir sur un dossier important en Ontario, qui a non seulement retenu l’attention des Franco-Ontariens et des parlementaires, mais aussi celle des francophones d’un bout à l’autre du pays et qui a trouvé des échos au-delà de nos frontières. Dix-huit jours se sont écoulés depuis le « jeudi noir », moment où le gouvernement de l’Ontario annonçait l’abandon du projet de création d’une université francophone administrée par et pour les Franco-Ontariens, un projet porteur et très attendu par la communauté franco-ontarienne. On apprenait aussi la décision du gouvernement Ford d’abolir le Commissariat aux services en français, un organisme vital et indépendant permettant d’assurer le respect des droits linguistiques des Franco-Ontariens.

Rapidement, les Franco-Ontariens se sont mobilisés et ont fait entendre leur voix. Cette fin de semaine, nous vivions un moment historique, un moment où des milliers de francophones et de francophiles de partout se sont rassemblés et ont exprimé leur solidarité envers les Franco-Ontariens.

Au nom de tous les francophones, je tiens à remercier tous ceux qui se sont tenus debout aux côtés des Franco-Ontariens afin de faire respecter leurs droits, car c’est de cela qu’il s’agit. Je salue notamment mes collègues députés, les sénateurs, les communautés minoritaires des quatre coins du pays, mais aussi les Québécois et la communauté anglophone, qui ont su reconnaître et dénoncer cette injustice.

Que devrait signifier cet évènement pour nous tous? Que devrions-nous envisager lorsque vient le temps de penser à l’après-manifestation? D’abord, nous devons retenir le fait que, lorsque les droits de chacun sont respectés, ce sont les droits de tous qui sont protégés.

À titre de ministre responsable des Langues officielles, il était de mon devoir et de celui de notre gouvernement de nous tenir debout aux côtés des Franco-Ontariens afin d’assurer le respect et le plein exercice de leurs droits linguistiques. C’est une question de principe.

[Traduction]

Lorsque nous sommes confrontés à des situations inacceptables, nous devons les dénoncer ouvertement. C’est une question de principe et de leadership. C’est ce que j’ai fait dans ce cas-ci, et c’est ce que je ferai toujours.

Lorsque des membres de notre communauté voient leurs droits et leurs services leur être retirés en totalité ou en partie, nous devons nous serrer les coudes pour dénoncer la situation haut et fort. C’est ainsi que les Canadiens réagissent toujours.

Tout au long de ces 18 journées d’incertitude difficiles à vivre pour les Franco-Ontariens, il a été formidable de voir des francophones, des francophiles et des Canadiens de partout au pays se joindre au débat afin de répondre aux besoins des francophones de tout l’Ontario et de s’assurer que leurs droits sont respectés.

[Français]

Je voudrais aussi souligner la contribution importante des sénateurs dans cette conversation. Plus que jamais, toutes les voix comptent. Suivant la décision du gouvernement Ford de modifier la Loi sur les services en français en Ontario, le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, Carol Jolin, l’a d’ailleurs bien exprimé : la seule raison pour laquelle un gouvernement peut justifier la modification d’une loi sur les services en français est pour la renforcer, et non pour l’affaiblir.

Comme vous le voyez, le dossier les langues officielles me tient vraiment à cœur. C’est un dossier sérieux, un dossier qui me passionne, qui passionne notre premier ministre et qui est au cœur de notre identité. Je suis donc heureuse de pouvoir échanger aujourd’hui avec vous sur les différentes mesures prises par notre gouvernement en matière de langues officielles, et ce, depuis l’annonce de notre plan d’action en mars dernier.

Dans le cadre du mandat qu’il m’a confié, le premier ministre m’a notamment demandé de poursuivre la mise en œuvre du Plan d’action pour les langues officielles. Ce plan propose des investissements historiques d’une valeur de 2,7 milliards de dollars sur une période de cinq ans, dont près de 500 millions de dollars d’argent frais.

Il s’agit de l’investissement en faveur des langues officielles le plus important de notre histoire. C’est là un témoignage clair de l’engagement du gouvernement Trudeau envers nos communautés et nos deux langues officielles. C’est aussi le reflet de notre vision, car nous croyons en l’importance de notre dualité linguistique. Nous croyons qu’elle est l’un des piliers du contrat social qui nous unit, et qu’elle ne peut être assurée que si elle est ancrée dans la vitalité de communautés dynamiques et que si elle est véhiculée par des millions de personnes partout au pays.

Comment y arriver? En attribuant de nouvelles ressources, en articulant des mesures précises afin de répondre aux besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire, tout en assurant leur vitalité et en favorisant la promotion du français et de l’anglais d’un océan à l’autre, tout cela avec une approche « par, pour et avec » les communautés.

Cela passe par un appui important dès la petite enfance afin que nos jeunes puissent ensuite être éduqués dans la langue de la minorité et développer un fort sentiment d’appartenance par rapport à leur identité. Cela contribue, bien entendu, à la construction identitaire de nos jeunes. C’est ainsi que j’ai annoncé, en septembre dernier, que nous allions doubler le Fonds d’action culturelle communautaire, pour une enveloppe totale de 21 millions de dollars destinée à offrir davantage d’activités artistiques et culturelles aux élèves de nos écoles. On parle de 4 000 activités culturelles qui pourront être offertes au cours des quatre prochaines années dans les 1 000 écoles en milieu minoritaire.

Partout au pays, on m’a dit aussi à quel point il est important de pouvoir lire les nouvelles et les histoires des collectivités dans sa langue, ainsi que d’entendre son accent à la radio. Cela contribue au sentiment de sécurité linguistique. Notre gouvernement sait également que les médias communautaires en situation minoritaire qui jouent un rôle en ce sens font face à des défis importants. C’est pourquoi j’ai annoncé, en octobre, le Fonds d’appui stratégique aux médias communautaires, d’une somme de 14,5 millions de dollars sur cinq ans, afin que ces médias puissent continuer à jouer un rôle essentiel pour nos communautés excentrées. Cela inclut aussi une entente d’une valeur de 4,5 millions de dollars sur cinq ans avec la Fédération de la jeunesse canadienne-française qui aidera à offrir des stages à des jeunes dans des journaux au sein de collectivités francophones et anglophones en situation minoritaire. À cela s’ajoute aussi l’appui aux médias annoncé par notre gouvernement dans la mise à jour économique, notamment par le truchement d’un crédit d’impôt sur l’abonnement et d’un crédit sur la main-d’œuvre.

Cet automne, mon collègue Scott Brison, président du Conseil du Trésor, et moi-même, avons révélé les amendements proposés au Règlement sur les langues officielles, qui est lié à la partie IV de la loi. Concrètement, ces changements permettront que, à l’échelle du pays, près d’un million de Canadiens et de Canadiennes soient mieux servis dans la langue de leur choix par leur gouvernement. Plus de 600 bureaux seront nouvellement désignés bilingues, ce qui augmentera le pourcentage de points de services fédéraux bilingues, qui passera de 34 p. 100 à 40 p. 100. La protection de la désignation bilingue de certains bureaux aussi est incluse dans nos modifications, et cette désignation, qui dépendait de la proportion de la population locale, a désormais été modifiée.

Au début de notre mandat, les organismes communautaires nous ont lancé un véritable cri du cœur lorsqu’ils nous ont parlé de leur manque de ressources. Nous les avons entendus. Nous avons bonifié de 20 p. 100 leur financement de base. Ce sont des partenaires importants, et nous allons continuer à travailler en étroite collaboration avec eux pour que le plan d’action ait des retombées concrètes et significatives dans leurs communautés.

C’est une doléance que vous avez aussi entendue, j’en suis certaine. Après 10 ans d’inaction de la part des conservateurs, et à la suite des récentes décisions du gouvernement conservateur de l’Ontario, il était et il est plus que jamais important d’être vigilant et d’agir pour et avec nos communautés linguistiques en situation minoritaire. C’est pourquoi, comme nous nous étions engagés à le faire, j’étais très heureuse d’annoncer, il y a deux semaines, le rétablissement du Programme de contestation judiciaire, qui avait été aboli par l’administration précédente. Il s’agit maintenant d’une somme de 5 millions de dollars qui est destinée à la défense des droits linguistiques et des droits fondamentaux.

On ne peut pas prétendre être un pays bilingue si les communautés ne peuvent pas vivre tous les jours dans la langue officielle de leur choix. Le bilinguisme de notre population et la force de notre dualité linguistique passent par la vitalité et la pérennité de nos communautés linguistiques en situation minoritaire, et c’est ce que nous voulons défendre et promouvoir.

[Traduction]

C’est la raison pour laquelle notre plan d’action propose des objectifs aussi ambitieux.

[Français]

Nous voulons une francophonie canadienne forte et un Canada où les efforts que font les citoyens pour apprendre leur deuxième langue officielle donnent des résultats.

[Traduction]

Nous voulons répondre aux besoins particuliers de la communauté anglophone du Québec, surtout dans les régions rurales. Des investissements considérables sont nécessaires à cette fin, et c’est justement ce que nous avons annoncé dans le cadre de notre plan d’action.

[Français]

Monsieur le président, nous nous préparons à souligner, l’an prochain, le 50 anniversaire de la Loi sur les langues officielles, et j’ai reçu le mandat d’entamer l’examen de cette loi importante dans le but de la moderniser. Il s’agit là d’un exercice nécessaire qui sera mené avec rigueur.

[Traduction]

Nous travaillerons en synergie avec nos partenaires de la communauté des langues officielles de même qu’avec la population et les parlementaires.

[Français]

Je tiens d’ailleurs à souligner ici l’important travail de consultation que vous avez fait et que vous continuez à faire en vue de l’élaboration de vos deux premiers rapports sur la modernisation de la loi. Comme je l’ai déjà dit, vos travaux alimentent notre réflexion et notre travail. J’ai d’ailleurs bien lu vos rapports, et je suivrai attentivement la publication de la série complète de vos rapports sur cette question.

Les droits linguistiques sont inscrits dans notre Constitution et dans notre Loi sur les langues officielles, et nous allons encore et toujours les protéger et en faire la promotion. Notre gouvernement s’est engagé à les soutenir, soutien qui passe notamment par le déploiement de notre plan d’action. Notre gouvernement travaille avec diligence à sa mise en œuvre.

Il s’agit de défendre ensemble une vision que nous avons du pays, un pays où, depuis 151 ans, notre communauté francophone a des droits et a droit au respect. Depuis 151 ans, il y a des communautés francophones et anglophones partout au pays qui cohabitent. Depuis près de 50 ans, nous avons deux langues officielles qui sont inscrites dans notre Constitution et qui donnent lieu à des droits constitutionnels qui sont protégés et qui sont nécessaires à la cohésion de notre pays.

Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame la ministre. Nous allons commencer nos échanges avec la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci, madame la ministre, d’être venue ce soir afin de répondre à nos questions.

Lors de la réunion du comité du 22 octobre dernier, nous avons accueilli M. Ronald Bisson, directeur du Réseau national de formation en justice. Je lui ai demandé si le financement accordé pour améliorer l’accès à la justice et prévu dans votre plan d’action était suffisant, selon lui. Après avoir remercié le gouvernement pour le financement accordé au réseau, il a donné la réponse suivante, que je cite :

Le financement est carrément inadéquat pour faire avancer l’égalité d’accès à la justice.

Il a ajouté que le réseau a fait un exercice très détaillé à ce sujet et que, basé sur 16 initiatives différentes, le réseau aurait besoin de 75 millions de dollars sur cinq ans afin d’atteindre son objectif d’offrir l’accès à la justice partout au pays.

Madame la ministre, pouvez-vous vous engager à appuyer adéquatement l’accès à la justice en accordant les moyens financiers nécessaires au Réseau national de formation en justice?

Mme Joly : Merci, sénatrice Poirier, votre question est très pertinente. Pour nous, l’accès à la justice, dans nos deux langues officielles, est très important, et c’est la raison pour laquelle nous avons prévu, dans notre plan d’action, un financement de 10 millions de dollars pour le soutenir.

Nous avons également augmenté de 20 p. 100 le budget de tous les organismes qui œuvrent en ce moment dans le domaine des langues officielles, ce qui inclut les organismes dans le secteur de la justice. C’est donc certainement une bonne nouvelle pour ces organisations. De plus, nous avons rétabli le Programme de contestation judiciaire, programme nécessaire à la défense des droits linguistiques qui avait été aboli, et dont le rétablissement a été salué par plusieurs groupes partout au pays.

La sénatrice Poirier : Comme je l’ai dit, le Réseau national de formation en justice a remercié le gouvernement pour le financement reçu, mais il affirme qu’il n’est pas suffisant. Est-ce que votre ministère est prêt à s’engager à répondre à sa demande et à ses besoins?

Mme Joly : Je serai heureuse d’avoir de bonnes discussions avec les représentants du réseau. Le plan d’action prévoit déjà un financement plus important, soit 10 millions, en plus du 20 p. 100 supplémentaire dont j’ai parlé.

Des discussion ont lieu en ce moment entre des fonctionnaires de mon ministère et différents groupes au pays, afin de déterminer comment on peut aider davantage de groupes qui n’avaient peut-être pas été soutenus par le passé. Pour ce qui est de l'accès à la justice, si des groupes n’ont jamais reçu de financement, c’est quelque chose que je suis certainement prête à examiner.

La sénatrice Poirier : Merci.

La sénatrice Gagné : Bienvenue, madame la ministre. D’entrée de jeu, je voudrais vous remercier, vous et votre gouvernement, pour les investissements annoncés dans le cadre du plan d’action.

J’aimerais également vous féliciter d’avoir fixé des cibles d’intervention précises, cibles que je trouve très ambitieuses pour favoriser la démographie des communautés francophones en situation minoritaire et pour faire augmenter le bilinguisme des anglophones à l’extérieur du Québec.

Il reste un secteur d’activité important qui, je crois, a peut-être été laissé pour compte dans le cadre de cette annonce — qui sera peut-être étudié dans un deuxième temps —, et c’est celui du Programme des langues officielles dans l’enseignement.

Pouvez-vous me dire où en sont rendues les négociations au sujet de ce programme? Corrigez-moi si je me trompe, mais je comprends qu’il y aura un gel des fonds destinés aux conseils scolaires des établissements postsecondaires de la minorité. Si c’est le cas, cela veut dire que les fonds sont gelés depuis 2003, moment où j’étais à l’Université de Saint-Boniface. Je dois vous avouer que lorsque j’ai entendu dire que le gouvernement ontarien ne financerait pas l’Université de l’Ontario français, et je sais que j’ai été citée plus d’une fois à ce sujet, ça m’a donné mal au ventre. Les communautés francophones sont souvent utilisées comme otages dans le cadre de négociations entre les provinces et le gouvernement fédéral. Tout au long de ma carrière, j’ai souvent été témoin de ces situations d’investissements et de désinvestissements, peu importe les gouvernements.

Depuis qu’on a entamé l’étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, des témoins nous ont dit que l’éducation est à la base, du préscolaire au postsecondaire, du développement des communautés. Je dois vous avouer que je trouve cette situation préoccupante. Pouvez-vous nous dire où on en est rendu avec les négociations?

Mme Joly : On mène plusieurs actions en ce moment. Premièrement, en ce qui a trait au préscolaire, pour la première fois, le Plan d’action pour les langues officielles prévoit des investissements en faveur du secteur de la petite enfance. De façon générale, dans les ententes fédérales-provinciales, comme vous le savez, on a investi des millions de dollars en faveur de la petite enfance, ce qui favorisera l’intégration, dans la langue de la minorité, des enfants issus de couples qui, parfois, sont des membres de la communauté de langue officielle en situation minoritaire, mais aussi de couples exogames.

Deuxièmement, dans le contexte de nos négociations, j’ai entamé les premières discussions avec les conseils scolaires. Les conseils scolaires francophones, plus particulièrement, ont demandé qu’il y ait une certaine traçabilité des fonds fédéraux quant aux investissements des provinces dans leur système scolaire dans la langue de la minorité. Nous avons décidé d’accéder aux demandes des conseils scolaires et de les intégrer dans nos négociations avec les provinces afin d’obtenir un meilleur compte rendu, une meilleure traçabilité des fonds, tout en tenant pour acquis que les provinces agissent de bonne foi. Nous négocions sur cette question pour améliorer les communications et pour améliorer les relations entre les provinces, les conseils scolaires et le gouvernement fédéral. C’est un dossier dans lequel nous déployons beaucoup d’efforts en ce moment.

Dans le Plan d’action pour les langues officielles, j’ai annoncé de nouveaux investissements, particulièrement en matière d’infrastructures. Vous avez fait référence à l’Université de l’Ontario français. Je pourrai répondre à toute question liée à ce dossier, mais il y a très certainement des solutions qui peuvent être apportées par le gouvernement fédéral, étant donné ses investissements en matière d’infrastructures.

Une aide financière sera également accordée pour la formation des enseignants, parce que tous les ministres de la francophonie canadienne se sont entendus pour donner la priorité à la question de la pénurie de main-d’œuvre dans l’enseignement. Donc, le gouvernement fédéral veut faire sa part d’efforts. C’est la raison pour laquelle des sommes d’argent seront accordées aux provinces dans ces différentes catégories. Donc, les discussions et les négociations se poursuivent.

La sénatrice Gagné : L’entente n’est pas encore signée avec le CMEC.

Mme Joly : L’entente n’est toujours pas signée, mais les négociations se poursuivent.

La sénatrice Gagné : Lentement.

Mme Joly : Les négociations suivent leur cours.

La sénatrice Moncion : Merci, madame la ministre, d’être venue. Ma question porte sur l’initiative Ottawa, ville bilingue. L’une des préoccupations que nous avons depuis le « jeudi noir », c’est que l’Université de l’Ontario français était prévue dans le projet de loi 177, qui établissait entre autres le caractère bilingue des services offerts par la Ville d’Ottawa et qui donnait vie à cette université. Ce qui nous préoccupe, c’est que le gouvernement de l’Ontario pourrait adopter un nouveau projet de loi afin de modifier cette section. Je sais que c’est un combat qui est mené par plusieurs personnes.

En ce qui concerne la Loi sur les langues officielles, y aurait-il moyen d’ajouter une précision qui permettrait d’indiquer le caractère unique de la ville d’Ottawa, étant donné que c’est la capitale du Canada et qu’elle doit être à la hauteur de ses ambitions et de sa spécificité, selon Mme Cardinal? J’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.

Mme Joly : C’est une demande que nous entendons souvent dans le contexte de la préparation de notre Plan d’action pour les langues officielles. L’ancienne ministre responsable de la CCN est très impliquée dans toutes les discussions sur le développement de notre capitale nationale. C’était certainement l’un de mes objectifs que d’améliorer le caractère bilingue de la ville. C’est pour cette raison que, dans le Plan d’action pour les langues officielles, j’ai convenu de la nécessité d’investir directement en faveur du caractère bilingue de la ville d’Ottawa. Nous avons réservé 2,5 millions de dollars pour soutenir cette initiative. Encore et toujours, nous continuerons de faire pression sur la province pour maintenir le caractère bilingue de la ville. La municipalité relève des compétences provinciales. À l’échelon fédéral, nous pouvons intervenir en apportant un soutien aux groupes qui seront en mesure de défendre l’aspect bilingue de notre capitale nationale.

La sénatrice Moncion : Vous ne voyez pas dans la Loi sur les langues officielles une petite place où vous pourriez enchâsser cette composante?

Mme Joly : Je suis prête à tenir des discussions à ce chapitre, mais il faut aussi reconnaître la question des compétences. Je ne suis pas opposée à l’idée de reconnaître la nécessité de soutenir le caractère bilingue d’Ottawa. D’ailleurs, c’était déjà prévu dans le Plan d’action pour les langues officielles que j’ai annoncé en mars dernier.

Le sénateur McIntyre : Merci, madame la ministre, de votre présence ici ce soir et de bien vouloir répondre à nos questions. Ma question porte sur le jugement de la Cour fédérale dans l’affaire liée à la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique. L’affaire portait sur l’interprétation des parties IV et VII de la loi dans le contexte d’une entente de paiements de transfert entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Est-ce que ce jugement vous inquiète? Êtes-vous intervenue auprès des institutions fédérales depuis le prononcé de ce jugement? J’aimerais que vous nous expliquiez l’impact de ce jugement sur l’application de la partie VII de la loi.

Mme Joly : Je respecte le jugement qui a été rendu par la cour. J’ai envoyé une lettre à tous les membres du Conseil des ministres pour leur rappeler l’importance de favoriser une interprétation large des mesures positives en vertu de la partie VII de la loi et pour leur indiquer qu’il existe un guide qui peut leur donner un meilleur aperçu des mesures positives, entre autres. Donc, j’ai agi en amont. J’ai également engagé des discussions avec le commissaire aux langues officielles, tout en respectant son indépendance, pour lui rappeler que notre gouvernement tenait à ce que les mesures positives soient interprétées de façon très large. Je serai heureuse de poursuivre cette discussion dans le contexte de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Je tiens à vous rappeler aussi que, pour soutenir la vitalité des communautés linguistiques — sachant que, parfois, malheureusement, la jurisprudence est une bonne façon de faire respecter les droits linguistiques au pays —, j’ai élargi la définition du Programme de contestation judiciaire pour y inclure la partie VII. Dorénavant, si des causes étaient potentiellement liées à des manquements à l’égard des mesures positives en vertu de la partie VII, elles pourraient être financées au moyen du Programme de contestation judiciaire.

Le sénateur McIntyre : À quel moment le Programme de contestation judiciaire sera-t-il pleinement mis en place, maintenant que les membres des comités d’experts ont été nommés?

Mme Joly : Selon les dernières informations que j’ai obtenues de l’Université Ottawa, ce sera début janvier.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie.

Le sénateur Maltais : Merci, madame la ministre, de votre visite. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’ai vu que votre programme consacrera quelques milliers de dollars à la petite enfance. Pourriez-vous dégager quelques-uns des crédits de cette enveloppe pour que les ministères gouvernementaux corrigent leurs sites web? C’est un vrai désastre. Un enfant de la maternelle écrit mieux que ça. Si c’était dans la langue de Shakespeare, il y a longtemps que le Parlement aurait sauté. Je vous demande d’accorder quelques dollars pour corriger cette situation.

Mme Joly : C’est noté.

Le sénateur Maltais : Vous avez parlé du « jeudi noir » en Ontario, et des nombreuses déclarations qui ont suivi cette décision. Vous avez indiqué que vous avez accompagné les Franco-Ontariens et que vous êtes prête à intervenir en faveur de l’université, ce qui fait partie de votre rôle, que vous assumez bien.

Cependant, on sait que l’éducation est de compétence provinciale et que le ministère du Patrimoine peut intervenir en investissant des sommes d’argent, mais de là à financer une université... Les transferts en matière d’éducation se font par péréquation, par transferts fédéraux globaux. C’est le premier ministre d’une province qui décide comment utiliser ce financement. Je crois que c’est ainsi que cela fonctionne.

Maintenant, le programme en matière d’infrastructures pourrait servir à cela; cependant, pour y avoir accès, les provinces doivent faire une demande spécifique. Par conséquent, d’où proviendra le financement? De Patrimoine canadien ou du programme d’infrastructures? Le programme d’infrastructures est déjà clos, à ce que je sache, donc ce financement devra provenir de Patrimoine canadien, si je comprends bien.

Mme Joly : Je vais vous éclairer sur ce point. Là où on est très certainement en mesure de collaborer avec les provinces, c’est bien en matière de financement des infrastructures scolaires. La Direction des langues officielles a beaucoup augmenté ses enveloppes de financement en vertu du plan d’action. Chaque fois qu’une province nous présente un projet, que cela concerne la petite enfance, le niveau élémentaire, secondaire ou même universitaire, celui-ci peut être financé jusqu’à un plafond de 50 p. 100 par le gouvernement fédéral.

À titre d’exemple, nous avons fourni du financement à l’Université Bishop’s, au Québec, et aux écoles secondaires qui patientaient depuis des années à Whitehorse, au Yukon. Nous avons fait en sorte de soutenir une école primaire au Nunavut également. Chaque année, le gouvernement fédéral finance des infrastructures en dehors des ententes fédérales-provinciales sur les infrastructures dont les enveloppes sont fermées. Il fait partie de mes fonctions de les approuver.

Le sénateur Maltais : Si vous acceptiez de financer 50 p. 100 de l’Université de l’Ontario français, d’où proviendrait l’argent?

Mme Joly : De notre enveloppe. Je l’ai déjà dit, j’espère que le gouvernement de l’Ontario va nous adresser cette demande de financement. Nous sommes prêts à financer jusqu’à 50 p. 100 de cette université.

Le sénateur Maltais : Si la province du Nouveau-Brunswick vous faisait la même demande?

Mme Joly : Il y a déjà des projets à l’étude pour le Nouveau-Brunswick en ce moment.

Le sénateur Maltais : Si l’école Rose-des-Vents, de Vancouver, vous faisait la même demande?

Mme Joly : En ce qui concerne l’école Rose-des-Vents, ma collègue Carla Qualtrough est en discussion avec la Société immobilière du Canada ces jours-ci. En ce sens, il s’agit davantage de l’utilisation de terrains fédéraux. Comme je vous le dis, quand une province nous présente un projet d’infrastructure provincial, nous répondons « présents ».

Le sénateur Maltais : Serait-ce que vous avez trouvé la solution à un mal que personne n’était capable de définir : « là où le milieu le justifie »?

Mme Joly : Pouvez-vous répéter votre question?

Le sénateur Maltais : En ce qui a trait aux services aux francophones, les juges ne se sont jamais prononcés sur le fameux critère « là où le milieu le justifie ». On parle des services en français en situation minoritaire. Votre programme va-t-il s’adresser en partie à ces gens?

Mme Joly : La définition de « là où le milieu le justifie » s’applique de façon générale à différentes parties de la loi. Quand je parle d’infrastructures, c’est davantage lié à la partie VII de la loi, qui traite du soutien à la vitalité des communautés linguistiques minoritaires, et ainsi de suite.

De notre côté, nous avons pris la décision d’élargir la définition de « là où le milieu le justifie ». On a décidé d’élargir la définition même du règlement de la partie IV de la Loi sur les langues officielles. Ainsi, dorénavant, si une école offre de l’éducation dans la langue de la minorité dans un milieu, le gouvernement sera obligé d’offrir des services dans la langue de la minorité également. Je sais que j’amalgame deux dossiers, mais la définition vise plusieurs parties de la loi.

Le sénateur Maltais : En dehors du projet de l’Université de l’Ontario français, de quelle manière allez-vous soutenir la communauté ontarienne francophone?

Mme Joly : En fait, on a augmenté de 20 p. 100 tous les budgets des organismes au pays, y compris celui de l’AFO, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario. Nous avons fourni davantage de financement à cette organisation afin de soutenir ses efforts de mobilisation.

Le sénateur Maltais : On peut interpréter cela comme une ouverture pour les autres communautés.

Mme Joly : Oui. Comme je l’ai dit tantôt, la première chose que nous avons faite a été d’augmenter de 20 p. 100 tous les budgets des organisations. Par la suite, comme nous avions encore de l’argent sur la table, nous avons demandé aux différentes organisations de quelle manière nous devions le distribuer. Devions-nous inclure de nouveaux organismes qui n’avaient jamais eu accès à du financement ou bien augmenter les enveloppes existantes? Ce sont des conversations que nous avons eues.

Le président : Je comprends que nous parlions de « là où le milieu le justifie », n’est-ce pas?

Le sénateur Maltais : Oui.

La sénatrice Poirier : Votre mandat vous donne-t-il le pouvoir de conclure des ententes dans le cadre du programme des langues officielles ou cela revient-il à votre collègue de Patrimoine canadien?

Mme Joly : C’est ma responsabilité.

La sénatrice Mégie : Merci, madame la ministre. À la suite de la modification de votre mandat, de quelle manière sont réparties les responsabilités entre Patrimoine canadien et Innovation, Sciences et Développement économique Canada?

Mme Joly : Toutes les questions de langues officielles chez Patrimoine canadien sont sous ma responsabilité. Donc, en vertu du Statut de Westminster, je suis la ministre qui répond aux décisions prises par la fonction publique et par le ministère sur ces questions. Tout ce qui concerne le tourisme et qui revient à Innovation, Sciences et Développement économique Canada est également sous ma responsabilité. Tout ce qui concerne la Francophonie internationale à Affaires mondiales est sous ma responsabilité. Pour nous aider à coordonner ces trois portefeuilles issus de trois ministères différents, le Conseil du Trésor nous a fourni les services d’une excellente sous-ministre; elle fait le suivi et travaille avec les sous-ministres responsables de ces dossiers.

La sénatrice Mégie : Comme vous travaillez sur le plan d’action et que nous travaillons sur la modernisation, avez-vous pensé à tenir compte de l’évolution du contexte sociodémographique avec l’arrivée de nouveaux immigrants? Si oui, quels conseils pourriez-vous donner au comité concernant son travail sur la modernisation de la loi?

Mme Joly : Il y a différentes choses. À partir du moment où on a élaboré le Plan d’action pour les langues officielles, nous avons reçu un montant supplémentaire de 100 millions de dollars par année, soit 500 millions sur cinq ans. Nous avons donc commencé à élaborer des programmes grâce à ces fonds. Le ministère a été très occupé. Denis et Yvan n’ont pas chômé, tout en étant bien soutenus par Guylaine. Quand je parle de mettre en œuvre le plan, je parle de tous les nouveaux programmes créés pour éventuellement financer les organismes et les individus qui vont avoir accès à ces sommes. C’est la première chose.

En outre, on avait reconnu la nécessité de s’adapter au contexte sociodémographique et, sachant qu’il y avait un enjeu lié à l’immigration francophone, on a créé une nouvelle stratégie d’immigration francophone dans le contexte du Plan d’action pour les langues officielles.

Par ailleurs, on sait que l’enjeu est tel qu’il nous faut examiner de façon générale l’aspect systémique du poids de nos communautés, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du Québec. Voilà pourquoi on a décidé d’étudier la possibilité de moderniser la Loi sur les langues officielles.

J’aurai l’occasion de faire des annonces au cours des prochaines semaines sur cette question, mais ce que vous faites va vraiment nous aider dans notre propre travail sur la modernisation de la loi. Il est important de maintenir le poids démographique de nos communautés linguistiques tout en sachant que, la réalité, c’est que notre francophonie a différents visages et différents accents et que nous devons nous y adapter.

Notre défi, à titre de parlementaires, n’a pas seulement trait aux voix que l’on entend, mais aussi à celles que l’on n’entend pas. C’est pour cette raison que, lorsqu’on se penche sur les groupes que l’on peut financer, on essaie de trouver les groupes existants qui n’ont jamais été financés afin d’être en mesure d’avoir la perspective des francophones et des francophiles, ainsi que celle des anglophones qui peuvent être issus des communautés de nouveaux arrivants. C’est important dans le but d’obtenir, comme vous l’avez dit, un portrait sociodémographique pertinent.

Le sénateur Smith : Beaucoup de témoins nous ont dit vouloir mener différentes initiatives, mais ne pas disposer des fonds nécessaires pour ce faire. Je comprends cela. Ma question est toute simple. Quand je pense aux sommes d’argent dépensées, ça me dit quelque chose, mais j’essaie de comprendre ceci : disposez-vous d’un outil pour mesurer vos investissements? Quels sont ces outils et ces mesures? Donnez-moi un exemple d’une mesure et de vos attentes quant à cette mesure. J’ai eu l’occasion de jeter un œil à votre lettre de mandat de 2015 et, plus récemment, à celle du mois d’août.

[Traduction]

Il vous demandait en 2015 d’élaborer un nouveau plan pluriannuel en matière de langues officielles, ce qui est formidable, et un suivi à cet égard est prévu dans votre lettre de mandat la plus récente.

Je m’intéresse surtout aux données d’évaluation, car ce sont elles, et non pas l’argent, qui pavent la voie à la réussite et au changement. L’argent n’est que le carburant. Où souhaitez-vous qu’il vous mène? Comment allez-vous évaluer les résultats? Donnez-moi quelques exemples de résultats obtenus grâce à vos investissements.

Mme Joly : J’ai décidé de travailler avec mon équipe pour établir des objectifs clairs et ambitieux, comme le soulignait la sénatrice Gagné. Il y en a en fait trois.

Il s’agit premièrement de rétablir et maintenir le poids démographique des francophones hors Québec à hauteur de 4 p. 100 de la population d’ici 2036, ce qui est en soi un objectif très ambitieux.

Deuxièmement, il faut faciliter l’accès aux services pour les communautés anglophones du Québec, surtout dans les régions.

Troisièmement, nous devons faire passer notre taux national de bilinguisme à 20 p. 100 d’ici 2036 en misant sur l’augmentation du taux de bilinguisme des anglophones à l’extérieur du Québec qui doit grimper de 6,8 p. 100 à 9 p. 100.

Nous avons rétabli le formulaire long de recensement, ce qui nous permettra un meilleur suivi des données, le tout en collaboration avec Statistique Canada.

Nous avons bonifié le financement prévu au titre de la capacité d’analyse des données linguistiques de Statistique Canada pour faire justement ce que vous préconisez, soit mesurer les impacts.

Nous nous employons donc à établir des objectifs clairs et à nous assurer d’avoir les données nécessaires pour faire le suivi qui s’impose.

Mes trois années dans un rôle de ministre m’ont appris que c’est une chose d’annoncer du financement, mais c’en est une autre de s’assurer que les gens vont en ressentir les effets. Nous avons gardé cette considération à l’esprit en mettant en œuvre notre plan d’action. Depuis septembre, toutes les organisations oeuvrant dans le domaine des langues officielles au Canada ont vu ainsi leur budget augmenter de 20 p. 100. C’est du financement sur lequel elles peuvent d’ores et déjà compter.

Nous avons annoncé des fonds pour un millier de nouvelles écoles. Ce sont les communautés en situation minoritaire qui pourront en bénéficier. Il leur revient de travailler avec l’organisation responsable pour obtenir ce financement. Il faut cependant compter de 8 à 12 mois pour que les impacts se fassent sentir sur le terrain. Nous devrions donc voir les premiers résultats d’ici le mois de mars, le temps que l’argent ait filtré jusqu’à la base.

[Français]

Le sénateur Smith : Avez-vous établi le type de rétroaction que vous recherchez en ce qui a trait aux mesures menant aux résultats? Selon moi, c’est toujours le changement de culture qui importe; que ce soit avec l’anglais, le français et les autres langues qui existent. Comment allez-vous savoir s’il s’agit d’un succès ou non, autrement qu’en fonction de la somme d’argent investie? S’agit-il d’un de vos objectifs pour l’année 2036 ou avez-vous des objectifs à plus court terme? Il vous faut des objectifs à court terme pour répondre aux objectifs à long terme, sinon la perception est qu’il ne s’agit que d’une dépense et non pas de quelque chose qui apportera des résultats.

Mme Joly : Les prochains résultats du recensement pourront être obtenus en 2021. C’est à partir de ces résultats qui seront disponibles en 2021 que l’on pourra faire le suivi, et à chaque recensement, nous serons en mesure de faire le suivi. L’enjeu qui avait trait au recensement était de savoir si nous posons les bonnes questions. Est-on en mesure d’avoir la bonne information? C’est pour cela que nous avons octroyé une somme supplémentaire de 3 millions de dollars à Statistique Canada, soit pour créer une cellule au sein du ministère qui sera dotée d’une expertise pointue afin de recueillir les bonnes données et d’analyser ensuite les bonnes données.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais vous poser deux brèves questions. Avez-vous reçu, oui ou non, une demande formelle du gouvernement Ford de financer l’Université de l’Ontario français?

Mme Joly : Non, absolument pas. Cependant, comme je l’ai dit, nous sommes prêts à étudier cette option.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’entendais Mme Adam qui parlait d’un budget de 84 millions de dollars pour l’université. Au-delà d’une participation à l’infrastructure, le gouvernement fédéral, en raison des règlements ou par sa volonté, est-il prêt à financer davantage que l’infrastructure?

Mme Joly : Nous respectons le champ de compétences de la province.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je comprends. Cependant, si une telle demande vous était faite, c’est-à-dire de payer la moitié de la facture, serait-ce quelque chose d’envisageable?

Mme Joly : Différents programmes du ministère du Patrimoine canadien peuvent s’appliquer, mais de façon générale, nous respectons les compétences provinciales. Le soutien se fait par l’entremise des transferts gouvernementaux qui visent l’éducation. C’est tout le système scolaire. C’est vraiment en ce qui a trait à l’infrastructure. L’enjeu actuel a justement trait à l’infrastructure de l’université. De façon générale, des fonds sont disponibles pour la formation des enseignants, et cela aussi peut aider.

Nous sommes de bonne foi dans le cadre de ce projet. Des demandes d’aide pour des projets proviennent de partout au pays. Cependant, l’enjeu particulier en ce qui a trait à ce projet est le suivant : lors de l’élaboration du Plan d’action pour les langues officielles, je suis allée en Ontario, et tous les groupes qui représentent les jeunes m’ont parlé de ce projet. Nous avions donc prévu du financement à cet égard dans notre plan d’action. C’est pour cette raison que je dis que le financement est disponible.

Le président : Je vais conclure avec une question qui n’est peut-être pas simple. Selon ce que j’entends dire des témoins, je suis très préoccupé par toute la question de la gouvernance et de la mise en œuvre de la loi au sein de l’appareil gouvernemental. On parle d’une agence centrale; presque tous les témoins nous ont dit que c’est bien beau d’avoir une loi, mais que s’il n’existe pas de mécanismes internes pour la mettre en œuvre, cela pose un défi.

Vous avez tout à l’heure donné l’exemple d’une lettre que vous avez envoyée aux membres du Conseil des ministres pour les inviter à donner une interprétation plus large de la partie VII. Nous sommes à réfléchir, au sein du comité, à la suite de la mise en œuvre de la loi. De quels outils et mécanismes structurels disposez-vous? J’aimerais vous entendre à ce sujet; comme cela fait trois ans que vous êtes en poste, de quels outils disposez-vous afin d’interpeller les autres ministères? Par exemple, si un ministère crée un nouveau programme qui concerne les langues officielles, pouvez-vous le soutenir? Si un ministère ne fait pas son travail dans ce domaine, quelle est votre capacité d’agir? Et si la réponse à toutes ces questions était « non », qu’est-ce que vous entrevoyez comme type de structure afin que la loi soit mise en œuvre et prise en charge par l’ensemble des ministères?

Mme Joly : Mon but n’est pas d’être partisane. Je vous donne mon point de vue en fonction de ce que j’ai remarqué lorsque j’ai été nommée. J’ai constaté à quel point les réflexes liés aux langues officielles avaient été mis de côté pendant 10 ans au sein de la fonction publique, et de façon générale, dans ce qui était proposé au gouvernement. L’enjeu, c’est de recréer ce leadership au sein de la fonction publique, ce que mentionne d’ailleurs le rapport Borbey-Mendelsohn. Le greffier du Conseil privé avait commandé ce rapport, et deux fonctionnaires ont mené cette étude. Je vous invite d’ailleurs à en tenir compte et à le lire, parce qu’il fait état de cet enjeu qui a existé pendant plusieurs années.

Maintenant, en tant que ministre, on m’a donné la responsabilité de défendre la question des langues officielles et d’assurer un leadership pangouvernemental. Je pense qu’on a été capable de le démontrer dans plusieurs dossiers, comme celui de la Défense nationale en ce qui a trait au Collège militaire royal de Saint-Jean, jusqu’au président du Conseil du Trésor. On a même modifié un règlement.

La réalité, c’est qu’il faut assurer la gouvernance de la loi au sein de la fonction publique et non au niveau politique, et c’est une question à débattre dans le contexte de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Dans les faits, chaque fois qu’un mémoire est présenté au Cabinet pour qu’une décision soit prise, on doit imposer une lecture en fonction de l’impact sur les communautés linguistiques en situation minoritaire. C’est une obligation qui s’impose au gouvernement, mais elle pourrait être renforcée. Je pense que ça vaut la peine d'en discuter.

Le président : Quand on regarde les précédents plans d’action et les feuilles de route, le premier plan d’action indiquait de façon très claire un énoncé sur la question de la coordination horizontale de la mise en œuvre de la loi ou du plan d’action lui-même. Cependant, dans le Plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023, il y a des investissements, mais il n’y a rien qui indique comment vous allez travailler à la coordination horizontale de la mise en œuvre du plan.

Mme Joly : C’est indiqué dans nos lettres de mandat, par contre, et il est indiqué que je suis responsable, avec le président du Conseil du Trésor, d’assurer ce leadership dans l’ensemble du gouvernement. C’est comme cela qu’on l’a prévu. C’est la première fois que les lettres de mandat sont rendues publiques. Auparavant, ce n’était pas le cas. C’est une façon de lancer le message aux parlementaires, aux Canadiens et aux communautés. Je pense que cela permet, de façon générale, d’assurer un meilleur suivi de toutes les décisions gouvernementales en matière de langues officielles dans le but de renforcer la Loi sur les langues officielles. Je pense qu’il vaudrait la peine pour vous d’étudier la question. Nous aurons très certainement cette conversation de notre côté, parce que les groupes nous l’ont souvent mentionné.

Le président : Madame la ministre, au nom des membres du comité, je vous remercie beaucoup d’avoir été des nôtres ce soir.

Mme Joly : Merci beaucoup.

Le président : Nous poursuivrons notre étude et nous aurons un rapport final à vous remettre, probablement au début du mois de juin. Nous savons qu’il vous sera utile. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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