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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule nº 16 - Témoignages du 18 mai 2017


OTTAWA, le jeudi 18 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi S-203, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins), se réunit aujourd'hui, à 8 h 41, pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour. Je m'appelle Fabian Manning, président du comité et sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador. Avant de laisser la parole à notre témoin, je demanderai aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche immédiate.

Le sénateur McInnis : Sénateur McInnis, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

Le président : D'autres sénateurs pourraient se joindre à nous bientôt.

Le comité poursuit son examen du projet de loi S-203, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins). Nous recevons aujourd'hui Alan Latourelle, ancien directeur général de Parcs Canada. Monsieur Latourelle, je crois comprendre que vous avez un exposé. Je vous cède donc la parole, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Alan Latourelle, ancien directeur général, Parcs Canada, à titre personnel : Monsieur le président, je voudrais remercier le peuple algonquin de nous autoriser à tenir la séance sur son territoire ancestral.

C'est pour moi un honneur de vous faire part de mes opinions personnelles sur une question qui me passionne : l'importance de mettre la population canadienne en contact avec la nature, particulièrement les jeunes. Je pense que le comité devrait tenir compte de cette question dans le cadre de son examen du projet de loi S-203.

Au cours des dernières décennies, nous avons assisté à une perte de biodiversité réelle et considérable sur terre et dans les océans en raison de la disparition d'espèces et de la détérioration de l'habitat. Concurremment, nous avons constaté que les Canadiens, particulièrement les jeunes, passent de moins en moins de temps dans la nature.

Certains ont qualifié cette rupture entre les gens et la nature de « trouble déficitaire relié à une carence en nature », un terme employé pour décrire les répercussions personnelles et sociétales de la perte de lien avec la nature.

Au Canada, bien des causes peuvent expliquer cette rupture. Tout d'abord, le Canada est de plus en plus urbanisé. Près de la moitié des Canadiens vivent maintenant dans les quatre régions centrées autour de Toronto, de Vancouver, de Montréal et de Calgary/Edmonton. Par conséquent, la distance physique et psychologique entre les Canadiens et leur patrimoine naturel s'est accrue.

En outre, la population a un mode de vie de plus en plus sédentaire. On estime que les Canadiens passent 90 p. 100 de leur temps à l'intérieur. Par exemple, une étude réalisée en 2010 laisse entendre que les enfants canadiens passent environ cinq, voire huit heures par jour devant des écrans audiovisuels.

À cela s'ajoute la forte concurrence entre les moments de loisir et les pressions croissantes de l'apprentissage structuré. Ce phénomène ne se limite pas au Canada ou à l'Amérique du Nord, mais s'étend au monde entier.

Voilà qui fait qu'au cours de la dernière décennie, les responsables des aires protégées ont porté une attention croissante au problème afin d'intervenir pour renverser la tendance.

Il s'agit maintenant d'une question prioritaire pour l'Union internationale pour la conservation de la nature, puisqu'on admet maintenant à l'échelle internationale qu'il est urgent de permettre aux gens de tous âges, particulièrement aux enfants, d'avoir un lien avec la nature afin qu'ils soient plus susceptibles de protéger le monde vivant. Essentiellement, nous devons faciliter l'apprentissage expérientiel qui favorisera l'amour de la nature et l'engagement personnel au chapitre de la conservation.

Le Canada fait figure de chef de file mondial à cet égard, car il a pris des mesures concrètes et mobilisé la communauté internationale.

Par exemple, à l'occasion du Congrès mondial de l'UICN sur les parcs tenu en 2014, qui a réuni 6 000 participants de 160 pays, les participants ont fait la promesse suivante :

[...] INSPIRER [...] l'ensemble des populations, toutes générations, régions et cultures confondues, à expérimenter les merveilles de la nature dans les aires protégées, à y investir leur cœur et leur esprit, et à former une association à vie afin d'assurer le bien-être physique, psychologique, écologique et spirituel. Nous motiverons et mobiliserons une nouvelle génération de communautés urbaines et rurales, effectuant ainsi un investissement essentiel dans la durabilité future de la planète et dans la qualité de vie des gens des toutes les régions du monde.

Sachez que c'était une des premières fois de son histoire que l'UICN confirmait que l'établissement d'un lien entre les gens et la nature constitue une de ses trois principales priorités, puisque ce facteur contribue à l'atteinte de ses objectifs de conservation.

Pour atteindre ces objectifs, il faudra adopter des approches novatrices et assurer la collaboration entre les nombreux partenaires et institutions. Les zoos et les aquariums du Canada peuvent jouer un rôle important en raison de leur présence dans les grands centres urbains et du fait qu'ils attirent des millions de jeunes Canadiens. Grâce à leurs programmes, ils peuvent allumer l'étincelle et susciter l'émerveillement chez ces derniers, et les inciter à prendre soin de la nature et à être les futurs intendants de notre planète.

Essentiellement, grâce à leur interaction avec la nature, sur place et dans le cadre de programmes comme ceux que les zoos et les aquariums offrent, les jeunes Canadiens ont une véritable occasion de connecter leur cœur et leur esprit, et de prendre un engagement à long terme à l'égard de la durabilité de ce grand pays qui est le nôtre.

Monsieur le président, je répondrai avec plaisir aux questions que les membres du comité pourraient avoir.

Le président : Merci, monsieur Latourelle. Nous accorderons la parole au sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Je vous présente mes excuses à l'avance, car je dois malheureusement participer à la séance d'un autre comité à 9 heures. Je vais donc partir après mes questions. Merci beaucoup de témoigner.

Mes questions portent sur le fait que dans notre pays — comme vous l'avez souligné avec justesse —, la campagne s'en va en ville et la ville s'en va à la campagne, bien que je ne sois pas certain de savoir dans quel sens cela va. Quoi qu'il en soit, nous sommes très urbanisés. J'ai eu le luxe et l'expérience de voyager dans de nombreuses régions du pays, y compris dans le Nord de ma province, dans la région de Churchill, qui compte de nombreux bélugas, parmi lesquels j'ai eu l'occasion de nager et de canoter. Cependant, rares sont ceux qui bénéficient d'une telle occasion.

Si vous pouvez me donner une opinion personnelle, j'aimerais savoir si vous pensez que les zoos et les aquariums — et peut-être Marineland et l'aquarium de Vancouver en particulier — éduquent adéquatement les jeunes. J'aimerais aussi obtenir l'avis de Parcs Canada à ce sujet. Appuierait-il les programmes que ces établissements offrent?

M. Latourelle : Étant maintenant à la retraite, je ne peux parler au nom de Parcs Canada, mais je possède de l'expérience avec l'aquarium de Vancouver, par exemple, les zoos de Toronto et de Calgary, et plusieurs partenaires.

Le programme d'éducation est primordial quand vient le temps d'éduquer les jeunes Canadiens. Par exemple, certains programmes, dont certains visent même à réintroduire des espèces menacées, sont mis en œuvre dans le cadre d'un partenariat entre Parcs Canada et certains établissements qui donnent aux jeunes Canadiens l'occasion de non seulement expérimenter la nature, mais aussi de poser des gestes concrets.

Le sénateur Plett : Nous avons, bien sûr, eu vent de la décision du conseil d'administration du parc de Vancouver de ne plus autoriser l'utilisation de cétacés après une certaine période, mais l'aquarium envisage déjà de déménager pour pouvoir poursuivre ces activités. Connaissez-vous aussi son programme de sauvetage, à moins que vous ne vouliez l'appeler programme de rétablissement? D'après votre expérience, est-ce que Parcs Canada participait beaucoup au programme de sauvetage mis en œuvre par l'établissement?

M. Latourelle : Je connais bien le programme de sauvetage et la contribution qu'il apporte. À l'époque où je travaillais pour Parcs Canada, le ministère n'y participait pas beaucoup en raison de la nature de ses programmes et de ceux de l'établissement.

Le sénateur Plett : Mais vous connaissez certainement ses activités et appuieriez son programme de sauvetage?

M. Latourelle : Je le connais très bien et, je le répète, je pense qu'il offre un service précieux à la population canadienne.

Le sénateur Plett : À votre avis, le projet de loi S-203 nuirait-il à la viabilité de l'aquarium de Vancouver et de Marineland? Dans l'affirmative, l'éducation des jeunes en pâtirait-elle?

M. Latourelle : Je ne peux parler au nom de ces établissements. Je peux cependant vous dire qu'avec d'autres établissements, ils donnent aux jeunes Canadiens des centres urbains l'occasion de voir personnellement des mammifères et des animaux sauvages vraiment exceptionnels.

Le sénateur Plett : Et le projet de loi S-203 aurait une incidence à cet égard?

M. Latourelle : D'après mon interprétation de la mesure législative, oui.

Le sénateur Gold : Bienvenue.

Vous avez souligné l'importance de l'apprentissage expérientiel des jeunes. Je me souviens qu'enfant, j'ai visité un aquarium marin quelque part aux États-Unis et que j'y ai vu un spectacle que j'ai tout simplement adoré. Il y avait des dauphins qui bondissaient à travers des cerceaux et accomplissaient toutes sortes de tours. Mais cela n'équivaut pas vraiment à voir des animaux dans un état naturel, même si c'est dans un aquarium; j'en suis du moins arrivé à considérer que ce n'est pas nécessairement le cas.

Existe-t-il des limites? Quels genres de spectacles ou d'activités offrent ou non un apprentissage approprié aux jeunes en ce qui concerne les animaux? Nous nous intéressons ici aux cétacés. Y a-t-il des limites à ce que nous pourrions imposer à nos cétacés pour éduquer adéquatement nos jeunes?

M. Latourelle : Sachez d'abord que je ne suis pas un expert de la question; je tiens à ce que ce soit très clair. Ici encore, moi et ma famille avons eu l'occasion de visiter plusieurs zoos et aquariums du pays, et cette expérience a inspiré mes enfants. Quelle est la limite? Je ne peux vous donner d'opinion éclairée à ce sujet.

Le sénateur Gold : Je suppose que je vous pose cette question parce que je vois une différence entre montrer des animaux en train d'être nourris et soignés — ce qui se fait davantage aujourd'hui que par le passé, je suppose — parce que dans bien des cas, ils ne peuvent pas être remis en liberté, et leur faire faire des manœuvres spectaculaires afin de divertir un public payant. Je me demandais simplement si vous aviez une opinion sur la valeur éducationnelle de ces deux façons de faire.

M. Latourelle : Selon moi, la simple présence des mammifères marins a une valeur éducationnelle pour les jeunes. Votre collègue a fait allusion aux bélugas dans la région de Churchill, par exemple. Bien des Canadiens n'ont pas la possibilité de voir cela. Je pense que ces établissements offrent aux Canadiens une occasion de se renseigner sur ces animaux, de les voir directement et d'être ainsi incités à prendre des mesures concrètes pour protéger les espèces menacées.

Le sénateur McInnis : Bienvenue et merci de témoigner. Vous avez eu, pour une personne d'apparence aussi jeune, une carrière fort impressionnante que je vous envie.

J'ai grandi dans une région rurale, à Sheet Harbour, sur la côte Est de la Nouvelle-Écosse, à sept kilomètres à peine du sanctuaire faunique Liscomb. Ces sanctuaires sont gérés par les provinces, mais les gouvernements sont malheureusement en train de les faire disparaître, permettant aux entreprises forestières d'y faire des coupes à blanc. Ces sanctuaires étaient clôturés et, bien entendu, protégés. Celui situé à sept kilomètres de chez moi comprend 62 lacs et ruisseaux. C'est une expérience absolument remarquable que de parcourir ces forêts anciennes.

Vous avez souligné l'importance de la nature et de sa valeur éducative. La communauté où je vis se trouve à une heure et demie, presque deux heures, du centre urbain de Halifax, et il n'y a pas de parcs ou d'autres établissements semblables. Je me doute qu'il en va de même dans le Canada rural. En fait, il me semble que le Sénat a réalisé une étude, il y a quelques années, sur les difficultés du Canada rural. Dans notre communauté, dans ces communautés principales, il se trouve des épiceries, des banques, des stations-service, un hôpital, des écoles et d'autres établissements. Le danger, c'est que ces services disparaissent à mesure que la plupart des habitants partent habiter en ville, vieillissent, et cetera. Pourtant, les industries des pêches, des mines et des forêts et ce genre de secteurs ont besoin de ces services. Voilà qui pose un véritable défi.

Je voudrais que nous puissions attirer plus de gens à l'extérieur de la région urbaine, mais près de la moitié de la population de la Nouvelle-Écosse vit dans la région métropolitaine de Halifax/Dartmouth, où un grand nombre d'enfants passeront 90 p. 100 de leur temps à l'intérieur, comme vous l'avez indiqué, il me semble.

Il existe à ce sujet un livre que je n'ai pas lu, mais qui figure dans nos notes. Ce livre, intitulé The Last Child in the Woods, c'est-à-dire le dernier enfant dans les bois, et dont le nom de l'auteur m'échappe, devrait être une lecture obligatoire dans les écoles.

Comment pouvons-nous nous assurer que les jeunes ont un lien avec la nature, alors que nous sommes incapables d'avoir un aquarium dans toutes les communautés principales? Comme je l'ai indiqué, les parcs et les sanctuaires ferment, et c'est une honte. Pour aller droit au but, comment pouvons-nous établir un parc national sur la côté Est? C'est un défi et un problème. Vous avez absolument raison. Peu de gens abordent la question; je suis donc ravi que vous le fassiez.

M. Latourelle : Quand j'ai parlé du leadership du Canada à l'échelle internationale, c'est parce que notre pays fait figure de chef de file mondial à ce sujet. Vous avez évoqué le livre intitulé The Last Child in the Woods, de Richard Louv. Cet ouvrage a vraiment lancé un dialogue international afin de relever les défis considérables que pose la préservation de la nature, et c'est pour de bonnes raisons. Si les gens ne tombent pas amoureux de la nature et ne se soucient pas de nos océans et de nos parcs, ils ne les protégeront pas à long terme.

À mesure que les Canadiens deviennent de plus en plus urbanisés et que les régions urbaines prennent de l'expansion, il faudra prendre des décisions à long terme à propos des régions rurales et des lieux exceptionnels de notre pays, où la nature doit être protégée. À mon point de vue, c'est pourquoi c'est essentiel. Les gens sont plus urbanisés, disposent de moins de temps et ont un mode de vie plus structuré.

Par le passé, Parcs Canada collaborait avec l'aquarium de Vancouver, le zoo de Toronto et d'autres établissements pour allumer l'étincelle chez les jeunes et les inciter à aller dehors. Le mieux, bien entendu, consiste à leur faire expérimenter la vraie nature. C'est, de loin, la meilleure approche, mais ce n'est pas une expérience à la portée de tous les jeunes Canadiens. Dans les centres urbains, comme au centre-ville de Toronto, comment une famille pauvre peut- elle se rendre à l'extérieur de la ville? C'est une entreprise difficile en raison du coût, de la distance et d'autres facteurs. Comment peut-elle connaître, au moins en partie, la faune sauvage du Canada et en être inspirée?

Le sénateur McInnis : L'expérience de la nature est populaire ces temps-ci; les gens s'adonnent à la randonnée et on construit des sentiers pédestres, comme le Sentier transcanadien. Ces activités sont devenues fort populaires au cours de la dernière décennie. Un nombre croissant de gouvernements investissent dans ces activités, ce qui pourrait s'avérer très utile, à mon avis.

M. Latourelle : Oui, je pense que ces activités offrent de formidables occasions. Nous pouvons construire les infrastructures. Le Canada possède le meilleur réseau de parcs du monde. Par exemple, au chapitre des parcs marins, le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent est un endroit exceptionnel. Je pense que le défi auquel nous sommes tous confrontés à l'échelle internationale consiste à savoir comment inciter les jeunes à sortir dehors et à visiter ces endroits. Les infrastructures sont là. Ce que nous nous efforçons de faire, c'est encourager les jeunes à faire un pas en avant, car ce sont les futurs dirigeants de notre pays et les futurs intendants de ces endroits.

Le sénateur Enverga : Merci de témoigner. À l'instar du sénateur McInnis, je vis tout près d'un parc, c'est-à-dire le parc urbain national de la Rouge, qui se trouve à quelques mètres de chez moi.

Dans votre exposé, vous avez parlé du trouble déficitaire lié à une carence en nature. Je sais que le problème perdure depuis un certain temps. Vous avez travaillé à Parcs Canada et je sais que vous avez fait un travail remarquable pour faire de nos parcs les meilleurs au monde. J'aimerais toutefois savoir quel serait, selon vous, le rôle de Parcs Canada pour la protection de nos espèces en danger. Les zoos et les parcs marins ont-ils aidé à protéger nos espèces?

M. Latourelle : Ma réponse sera fondée sur mon expérience. À titre d'exemple, 50 p. 100 des espèces en péril au Canada sont réparties dans nos parcs nationaux ou d'autres espaces administrés par Parcs Canada, notamment les espaces marins comme le parc marin Saguenay-Saint-Laurent, où l'on trouve les bélugas. Nous observons des progrès dans l'ensemble du réseau en ce qui concerne les mesures de protection et de réintroduction des espèces. Vous avez peut-être entendu parler de la récente réintroduction du bison, à Banff. Quant aux bélugas du parc marin Saguenay- Saint-Laurent; de nouveaux règlements ont été adoptés pour mieux protéger l'espèce, ce qui résulte d'une étroite collaboration entre les universitaires, les scientifiques et Parcs Canada. Je ne parlerai pas en leur nom, mais je dirais, selon mon expérience, que nous observons d'importants progrès.

Le sénateur Enverga : Je crois comprendre que Parcs Canada réussit véritablement à protéger certaines espèces. Cela dit, quand on y pense, nous vivons tous sur la même planète, de sorte que tout peut avoir une incidence sur tout le reste, notamment les changements climatiques, la pollution dans d'autres régions du monde, ou encore le plastique qui envahit les océans. Un jour ou l'autre, tout cela aura des conséquences sur notre réseau de parcs.

Vous avez consacré des efforts considérables pour aider nos espèces; avez-vous malgré tout observé une dégradation de la situation de certaines d'entre elles? Certaines espèces sont-elles en voie de disparition en raison de problèmes qui touchent l'ensemble de la planète?

M. Latourelle : J'ai eu le privilège de présider le forum international des directeurs de parcs nationaux à deux reprises sur une période de 10 ans. Rapprocher les gens de la nature figurait parmi les trois principales priorités que nous avons examinées. Les effets des changements climatiques représentent un enjeu considérable pour tout le monde, étant donné que nous ignorons leur incidence à long terme sur nos parcs. De toute évidence, l'un des principaux enjeux est lié au développement tout juste à l'extérieur des limites des parcs et à l'incidence du développement sur les déplacements de la faune dans les corridors utilisés par les animaux sauvages, car ces animaux ne se limitent pas aux parcs, bien entendu.

Le sénateur Enverga : Selon vous, les zoos et les aquariums jouent-ils un rôle quelconque pour la protection ou la croissance de ces espèces?

M. Latourelle : Oui. Je vais utiliser un exemple concret pour illustrer mon propos. Parcs Canada travaille en partenariat avec le zoo de Toronto, le parc national du Canada et lieu historique national Kejimkujik, en Nouvelle- Écosse, et le Parc urbain national de la Rouge, où nous avons réintroduit la tortue mouchetée. Cette initiative a été menée en partenariat avec le zoo de Toronto. Le zoo a joué un rôle essentiel, d'abord en fournissant les tortues en nombre suffisant, puis en appuyant Parcs Canada à l'étape de la réintroduction de l'espèce.

L'initiative du parc urbain national de la Rouge a été réalisée avec la participation des Canadiens, notamment les jeunes, qui ont participé en grand nombre. C'était exceptionnel. Par exemple, les bénévoles qui ont participé aux efforts de réintroduction de cette espèce au parc national Kejimkujik y ont consacré un nombre d'heures sans précédent pour des activités de bénévolat.

Le président : Dans votre exposé, vous avez mentionné le Congrès mondial sur les parcs de l'Union internationale pour la conservation de la nature, qui s'est tenu en 2014, en indiquant qu'il avait attiré 6 000 participants de plus de 160 pays. Je ne répéterai pas la promesse qui a été faite à l'occasion du congrès. J'aimerais toutefois que vous nous parliez des progrès qui ont été réalisés depuis 2014 par rapport aux objectifs qui ont été convenus. Je suis conscient que cela remonte à seulement trois ans et que ces choses ne se font pas du jour au lendemain. Avez-vous observé des changements, ou une augmentation du nombre de personnes qui reprennent contact avec la nature?

M. Latourelle : Nous constatons que les pays ont adopté des approches différentes, mais que tous apprennent les uns des autres. Je vais prendre le Canada en exemple. Depuis le congrès, Parcs Canada a créé le Programme d'initiation au camping pour les nouveaux Canadiens. Beaucoup de programmes d'initiation au camping se déroulent en milieu urbain. Il s'agit d'une première étape dans l'établissement d'un contact avec la nature. Il y a également un programme d'initiation au canot. Les occasions d'apprendre sont nombreuses.

D'autres initiatives ont été créées, notamment en Ontario, où les jeunes Canadiens, les étudiants d'université avaient beaucoup de difficulté à se rendre sur nos sites. Nous avons établi un partenariat avec un jeune entrepreneur qui offre un service de navette vers nos parcs. L'un des principaux problèmes était lié au transport vers le parc national le plus proche. Ce programme a connu un franc succès au parc national de la Péninsule-Bruce; il permet aux jeunes Canadiens de reprendre contact avec la nature.

Nous observons d'importants progrès. D'ailleurs, le thème central de la semaine internationale de l'environnement, au début du mois de juin, sera « Rapprocher les gens de la nature », ce qui est en soi un progrès important.

Le président : Essentiellement, comme je l'ai indiqué, le projet de loi S-203, vise à modifier le Code criminel et d'autres lois pour mettre fin à la captivité des baleines et dauphins. Selon vous, étant donné votre expérience, quel pourrait être l'avenir d'endroits comme l'aquarium de Vancouver ou Marineland si cette mesure législative est adoptée? D'après les témoignages précédents, Marineland accueille environ un million de visiteurs par année. En outre, nous avons entendu dire que beaucoup d'étudiants s'y rendent pour acquérir des connaissances.

Selon vous, étant donné votre expérience, quelle pourrait être l'incidence de ce projet de loi sur les deux principaux sites canadiens que nous étudions actuellement? Pourriez-vous nous présenter vos observations à ce sujet?

M. Latourelle : Comme je l'ai indiqué précédemment, je ne peux m'exprimer en leur nom. En outre, je n'ai pas une connaissance approfondie de leurs activités. Je peux toutefois vous dire qu'ils ont des programmes éducatifs exemplaires pour favoriser la participation des jeunes et les inspirer. Il s'agit selon moi d'une étape essentielle pour que le Canada puisse compter à long terme sur une génération de jeunes Canadiens et de futurs dirigeants soucieux de la nature et désireux de la protéger.

Le sénateur Gold : Vous venez de poser ma question, monsieur le président. Permettez-moi tout de même de tirer parti de la présence du témoin en posant une question plus générale. Vous avez accompli beaucoup de choses à Parcs Canada pendant votre longue carrière. Sans vouloir vous placer en situation délicate, que reste-t-il à faire? Si vous aviez une recommandation à nous faire — ou à faire au gouvernement par notre intermédiaire —, quelles mesures le Canada doit-il encore prendre pour veiller non seulement à la pérennité de nos habitats naturels, mais aussi pour favoriser les liens des Canadiens avec ces habitats?

M. Latourelle : En ce qui concerne les parcs nationaux, par exemple, nous avons presque terminé la mise en place du réseau de parcs nationaux du Canada, qui est déjà, je le répète, le plus important réseau au monde. Notre principal défi, à tous, est lié aux océans, c'est-à-dire la mise en œuvre d'un programme de conservation efficace par la création d'aires protégées. Divers autres pays, dont les États-Unis, doivent aussi relever ce défi.

Nous avons une riche histoire, et rapprocher les gens de la nature est un facteur essentiel. D'après mon expérience, nous avons connu de graves difficultés pour l'établissement d'aires marines nationales de conservation parce que la population canadienne n'a pas une connaissance adéquate des concepts. C'est tout le contraire dans le cas des parcs nationaux, car les gens ont l'occasion de les visiter et d'y faire du camping. À mon avis, l'enjeu est lié à l'éducation et au rétablissement des liens de la population avec la nature. Cela dit, l'établissement des aires marines est notre principal défi, à mon avis.

Le sénateur Gold : Merci.

Le sénateur Enverga : Vous avez mentionné les problèmes relatifs à nos océans. Il a été proposé, en tant que solution de rechange aux aires marines ou aux installations en aquarium pour les cétacés, de créer des sanctuaires côtiers. Avez- vous entendu parler de cette solution? Selon vous, cette solution pourrait-elle être viable pour le Canada, compte tenu des changements climatiques et de leurs conséquences sur les océans, qui ont une dimension planétaire? Avez-vous étudié la question? Est-ce viable, à votre avis?

M. Latourelle : Oui, et je peux établir un parallèle avec le réseau terrestre. Le réseau d'aires protégées du Canada ne comprend pas uniquement les parcs nationaux. Il faut tenir compte des investissements considérables et des réalisations de Conservation de la nature Canada. À notre réseau s'ajoutent les partenariats public-privé et les parcs provinciaux.

Quant aux océans, je dirais qu'il faut examiner une gamme d'outils, car un seul ne suffit pas. La solution ne passe pas uniquement par les aires marines nationales de conservation, mais par divers outils. Ce n'est qu'ainsi que le pays pourra atteindre ses objectifs en matière de conservation.

Le sénateur Enverga : Êtes-vous d'accord avec l'aménagement d'énormes parcs marins pour les animaux en captivité? En quoi cela pourrait-il être utile sur le plan écologique ou environnemental?

M. Latourelle : Cela dépend des caractéristiques du milieu ou de l'espèce. Dans le cas du caribou, par exemple, des enclos ont été aménagés pour la réintroduction de l'espèce. Donc, cela se fait déjà au Canada, à des fins précises. Je ne connais pas assez le milieu marin pour me prononcer sur la validité de cette solution. Je me contenterai de dire que ces stratégies sont utilisées en milieu terrestre, dans des circonstances précises.

Le sénateur Enverga : On parle de terres situées à proximité, n'est-ce pas?

M. Latourelle : Oui.

Le sénateur Enverga : Quant aux océans, la question a une dimension planétaire.

M. Latourelle : Exactement.

Le sénateur Enverga : Merci.

Le sénateur McInnis : Vous dites que votre réseau est pratiquement achevé. Vous avez donc étudié divers sites pour l'établissement de parcs à l'échelle du pays. Quels sont les critères pour la création d'un parc national? Est-ce lié aux caractéristiques géographiques uniques d'une région? Est-ce lié à la faune, à la nature?

M. Latourelle : Tous ces critères sont pris en compte. Le Canada est un chef de file mondial à cet égard en raison de l'approche unique que nous avons adoptée pour la création des parcs. Nous avons ciblé 39 régions naturelles en fonction de leurs caractéristiques : géologie, géographie et faune. Les gouvernements successifs avaient comme objectif de créer un parc national pour chacune des 39 régions naturelles. C'est la priorité.

J'ai été plutôt actif à l'échelle internationale. Le Canada est un chef de file mondial à cet égard, car aucun autre pays n'a créé autant de parcs que nous. Prenez à titre d'exemple l'agrandissement de la réserve de parc national Nahanni et l'accord qui a été signé avec la province pour la création de la réserve de parc national du Canada des Monts-Mealy. Donc, 39 régions ont été ciblées, et le choix du site dans chacune des régions est fait en collaboration avec les diverses collectivités en fonction du potentiel et de la représentativité du site.

Le gouvernement canadien n'a plus recours à l'expropriation depuis les années 1970. L'établissement d'un parc national nécessite l'appui de la population locale et du public.

Le sénateur McInnis : Cela commence par la communauté?

M. Latourelle : Oui. Tout d'abord, Parcs Canada ne peut, aux termes de la loi, créer un parc national sans l'appui et l'engagement de la province. Le processus comprend une consultation exhaustive auprès du public, processus qui vise à déterminer la faisabilité de la création d'un parc national ou d'une aire marine de conservation. La durée varie; cela peut être de trois ou quatre ans, voire 10 ans dans certains cas, selon les obstacles et le contexte à l'échelle locale. La décision est fondée sur l'appui de la population locale et sur les meilleures données scientifiques possible du point de vue écologique.

Le sénateur McInnis : Je me demande comment vous avez pu rater les 200 îles au large de la Nouvelle-Écosse. Nous devrons discuter.

Le président : Monsieur Latourelle, je vous remercie de votre participation à notre étude du projet de loi S-203. Nous vous souhaitons nos meilleurs vœux de succès.

M. Latourelle : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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