Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule nº 23 - Témoignages du 5 décembre 2017
OTTAWA, le mardi 5 décembre 2017
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin), se réunit aujourd’hui, à 17 h 17, pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je m’appelle Fabian Manning, sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et je suis heureux de présider la réunion de ce soir. Avant de céder la parole à notre invité, j’inviterais les membres du comité à se présenter, en commençant à ma droite.
Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.
Le sénateur Christmas : Daniel Christmas, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Sénatrice Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.
Le président : Il se pourrait que d’autres sénateurs se joignent à nous sous peu.
Le comité entreprend ce soir l’étude du projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin).
Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui notre collègue, l’honorable Michael MacDonald, qui parraine le projet de loi S-238 au Sénat. Au nom des membres du comité, je remercie le sénateur MacDonald d’être avec nous ce soir. Je crois savoir que vous avez une déclaration liminaire. Je vais vous demander de la faire, puis les sénateurs vous poseront des questions.
Je vous souhaite la bienvenue, sénateur MacDonald, et vous cède la parole.
L’honorable Michael L. MacDonald, parrain du projet de loi : Merci, monsieur le président et chers collègues. J’ai passé de nombreuses heures à cette table, mais c’est la première fois que j’y présente mon propre projet de loi, alors je vous remercie de m’en donner l’occasion.
Je suis ravi d’être ici aujourd’hui pour lancer l’étude par le comité du projet de loi S-238, Loi interdisant l’importation de nageoires de requin, que j’ai déposé au Sénat le printemps dernier.
Comme il ne compte que quelques dispositions seulement, le projet de loi est relativement court et simple. Cependant, je pense qu’il pourrait permettre au Canada de jouer un rôle de premier plan pour mettre un terme au commerce des nageoires de requin.
Ce projet de loi vise à interdire l’importation de nageoires de requin séparées de la carcasse du requin. Je dois signaler qu’il prévoit certaines exceptions, avec l’autorisation du ministre, si l’importation des nageoires sert la recherche scientifique et la survie des espèces de requins.
Si l’enlèvement des nageoires de requin est interdit au Canada depuis 1994 en vertu des conditions des permis délivrés par le ministère des Pêches et des Océans, leur importation demeure permise. En 2015 seulement, le Canada a importé plus de 144 000 kilogrammes de nageoires de requin, ce qui représente une hausse de 36 p. 100 depuis 2012.
En inscrivant dans la loi qu’il est interdit de prélever les nageoires des requins, le projet de loi S-238 officialisera cette interdiction. Comme je viens de le dire, pour l’heure, cette pratique n’est interdite que par les conditions associées à l’exploitation du permis de pêche.
Chers collègues, l’enlèvement des nageoires de requin est un phénomène mondial qui décime l’une des espèces primordiales sur la planète. Jusqu’à 100 millions de requins sont tués chaque année pour répondre à la demande de soupe aux nageoires de requin. C’est une catastrophe écologique qui bat son plein. La plupart des nageoires sont coupées en mer alors que le requin est encore en vie. Il est ensuite rejeté à l’eau, où il se noie ou meurt au bout de son sang. L’enlèvement des nageoires de requin est une pratique cruelle, qui engendre un terrible gaspillage. Quatre-vingt-dix-huit pour cent de l’animal est jeté et gaspillé. Mais, chose plus importante encore, nous sommes témoins de la destruction mondiale des requins, sans doute l’une des espèces les plus importantes au monde. Le projet de loi S-238 vise à empêcher les nageoires, qui peuvent être des produits de la pratique de l’enlèvement des nageoires de requin, et qui le sont selon toute vraisemblance, de franchir nos frontières.
Mais avant d’aller plus loin, je veux préciser clairement les buts que ce projet de loi ne vise pas : le projet de loi S-238 n’interdit pas la soupe aux nageoires de requin. Il n’interdit pas la vente ou la consommation de nageoires de requin au Canada. En fait, il serait encore possible d’importer des nageoires de requin, dans la mesure où elles ne sont pas séparées de la carcasse. Le projet de loi cible uniquement les nageoires de requin qui sont séparées de la carcasse, car nous ne pouvons pas déterminer avec précision les espèces ni savoir si les nageoires ont été prélevées sur un requin vivant.
Chers collègues, cette pratique est très utilisée par les pêcheurs simplement pour des raisons économiques. Compte tenu de la demande et du prix de détail élevés des ailerons de requin, les nageoires ont une valeur beaucoup plus grande que les autres parties de l’animal. En jetant la carcasse, les pêcheurs peuvent économiser de l’espace précieux à bord de leurs bateaux afin d’y entreposer une quantité énorme de nageoires.
Je dois reconnaître que ce projet de loi s’inspire du travail accompli par le regretté cinéaste canadien Rob Stewart, dont le documentaire primé Les Seigneurs de la mer a énormément contribué à faire connaître les terribles conséquences que l’enlèvement des nageoires peut avoir sur les différentes espèces de requins. Je dois également souligner le soutien accordé par Sandra, Brian et Alexandra Stewart — la famille de Rob — qui poursuivent courageusement sa mission, soit de protéger les requins.
Rob est mort dans des circonstances tragiques plus tôt cette année. Il était en train de filmer la suite des Seigneurs de la mer. Il a consacré sa vie à sensibiliser le public, non seulement aux conséquences écologiques de cette terrible pratique, mais aussi à la véritable nature des requins, ainsi qu’à leur rôle dans l’écosystème océanique. C’est un honneur de bénéficier du soutien de la famille Stewart.
Chers collègues, ce n’est ni une question politique ni une question partisane. Le problème, c’est simplement que le commerce mondial des ailerons de requin ne saurait être durable. Il est incroyablement cruel et écologiquement irresponsable. Il est en train de détruire complètement une espèce essentielle à l’écosystème marin. Il n’est pas exagéré de dire que nous risquons l’extinction de l’espèce parce que c’est la seule issue possible si nous ne faisons pas collectivement quelque chose pour arrêter le carnage.
Les requins parcourent nos océans depuis au moins 420 millions d’années, à l’époque où la Terre ne comptait que deux continents. Les requins sont apparus 150 millions d’années avant les dinosaures. Ils comptent donc parmi les vertébrés les plus anciens de la Terre. Et, en tant que superprédateurs, ils jouent un rôle vraiment critique dans le maintien de la santé de nos océans, qui abritent 80 p. 100 de toute la vie sur Terre.
La plupart des requins sont vivipares, par opposition à ovipares, et donnent naissance à de petites portées. Ils sont très lents à atteindre la maturité sexuelle : cela leur prend de 10 à 25 ans. Par conséquent, leurs taux de reproduction sont extrêmement bas. Ils constituent une espèce qui aurait énormément de difficultés à se rétablir si les nombres enregistraient une trop forte baisse. Pourtant, on ne s’en est jamais inquiété, car, à l’exception de l’épaulard, les grands requins n’ont pas d’ennemis naturels. Aujourd’hui, c’est l’homme qui est en train de les anéantir.
C’est un animal incroyable qui, malheureusement, a été diabolisé dans notre société, étant considéré comme un mangeur d’hommes et comme une menace constante pour la sécurité des humains. Il est donc important de comprendre la vraie nature des requins et le rôle critique qu’ils jouent dans nos océans. Nous ne devons pas permettre que le souvenir de films tels que Les Dents de la mer, même s’ils sont très divertissants, change complètement la perception qu’a la société de ces belles et importantes créatures.
Je crois que nous pouvons tous convenir que le braconnage des éléphants, simplement pour le prestige que certains irresponsables associent à l’ivoire de leurs défenses, est déplorable. Il en est de même du massacre des rhinocéros pour leur corne. C’est à juste titre que les Canadiens sont indignés en pensant à ces tueries. Nous n’acceptons pas cela. Le carnage causé par le prélèvement des ailerons de requin reste cependant au fond de l’océan, hors de vue, et ne touche pas la conscience sociale des gens même si on laisse des dizaines de millions de requins mourir chaque année simplement pour répondre à la demande de soupe d’ailerons de requin. Ce qui est curieux, chers collègues, c’est que les ailerons de requin ne contribuent presque pas à la saveur de la soupe. Ils ne font que modifier légèrement la texture du liquide.
De plus, l’idée erronée que les produits du requin contiennent des éléments nutritifs et ont même des propriétés médicinales est démentie par la science moderne. En fait, il est établi que le requin contient des concentrations élevées de méthylmercure, une neurotoxine dont la consommation est dangereuse pour les humains.
Bien qu’il y ait des règlements en vigueur dans certains pays, comme le Canada, pour empêcher la pratique de l’enlèvement des nageoires de requin dans leurs eaux, l’industrie demeure sous-réglementée, ou alors les règlements, lorsqu’ils existent, sont incohérents et peu fiables.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, en 2015 seulement, le Canada a importé plus de 144 000 kilogrammes de nageoires de requin, dont la majorité provenait de Hong Kong et de la Chine continentale, qui sont de loin les plus grands intervenants sur le marché mondial et qui représentent le centre névralgique des importations et des exportations. Les nageoires de cette provenance ont probablement été obtenues de pêcheurs qui pratiquent l’enlèvement de nageoires de requin.
Bien que le Canada soit un intervenant de petite envergure dans le marché des nageoires de requin si on le compare à Hong Kong et à la Chine continentale, selon un rapport publié en 2015 par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, intitulé State of the Global Market for Shark Products, le Canada est le plus grand importateur de nageoires de requin à l’extérieur de l’Asie de l’Est.
Les statistiques sur le déclin des populations de requins sont effarantes. L’enlèvement des nageoires de requin a complètement décimé ces populations à l’échelle mondiale. Certaines espèces ont décliné de plus de 80 p. 100 au cours des 50 dernières années. Par exemple, on estime que 89 p. 100 des requins-marteaux, 80 p. 100 des renards marins, 79 p. 100 des grands requins blancs et 65 p. 100 des requins-tigres dans l’Atlantique Nord-Ouest ont disparu. C’est également le cas de 87 p. 100 des requins bleus dans l’océan Pacifique tropical, ainsi que de 90 p. 100 des requins soyeux et de 99 p. 100 des requins à longues nageoires dans le golfe du Mexique.
Faut-il donc s’étonner que 74 espèces de requin figurent désormais sur la liste des espèces menacées, que 67 autres sont considérées comme presque menacées? Ou encore que 14 des espèces de requin les plus prisées pour le commerce des ailerons de requin se trouvent sur cette liste d’espèces menacées? Pourtant, il y a seulement huit espèces de requin qui sont actuellement protégées à l’échelle internationale, aux termes de la Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction, la CITES.
D’après la section canadienne de la Humane Society International :
Même pour ces huit espèces, on applique très peu, voire pas du tout, les restrictions pertinentes en matière d’importation au Canada. Les ailerons de requin ne sont pas étiquetés en fonction de l’espèce ou du pays d’origine et de nombreuses espèces vulnérables de requins continuent d’être tuées pour leurs nageoires.
On ajoute :
À moins d’interdire l’importation d’ailerons de requin au Canada, il sera tout simplement impossible de garantir que des ailerons provenant d’espèces de requins menacées n’entreront pas au pays.
Je crois sincèrement que le Canada est capable d’en faire plus, et que les Canadiens s’attendent à ce que les gens qui nous gouvernent fassent un meilleur travail pour protéger et préserver la faune.
Depuis la présentation du projet de loi S-238 dans cette Chambre, un nombre incroyable de personnes et d’organisations m’ont dit l’appuyer — je crois que vous entendrez un bon nombre d’entre elles au cours de votre examen du projet de loi. Je n’ai pas encore entendu une seule personne ni un seul organisme s’opposer au projet de loi S-238.
De plus, à la fin d’avril, le conseil municipal de la Ville de Toronto a adopté une motion visant à appuyer le projet de loi S-238. Je suis très heureux d’avoir l’appui de la plus grande ville du Canada.
Une pétition a aussi été lancée sur le site change.org. Elle demande au Parlement d’appuyer le projet de loi S-238 et d’interdire l’importation de nageoires de requin au Canada. En peu de temps, près de 18 000 personnes ont signé la pétition.
Je crois que les Canadiens s’attendent à ce que nous agissions. Dans un sondage mené en 2013 par Environics Research Group, on a constaté que 81 p. 100 des Canadiens sont en faveur de l’interdiction de l’importation de nageoires de requin au Canada. De toute évidence, le consensus est vaste parmi les Canadiens : l’enlèvement des nageoires de requin est une pratique cruelle, inutile et inacceptable.
Il faut dire cependant que des tendances prometteuses visant à mettre fin à la vente et au commerce des nageoires se sont manifestées dans de nombreuses administrations ces dernières années. Les États de la Californie, d’Hawaï, de l’Oregon et de Washington ont déjà adopté des lois à cet effet. Plusieurs autres États des États-Unis examinent des projets de loi. Une mesure proposant l’interdiction de la vente et du commerce des nageoires à l’échelle fédérale est également soumise au Congrès américain.
Je voudrais également faire remarquer, chers collègues, que même si l’Asie de l’Est est le centre névralgique du commerce des nageoires de requin, d’importants progrès ont été enregistrés récemment au chapitre de la sensibilisation aux effets écologiques de la soupe aux ailerons de requin. En fait, beaucoup de collectivités et d’organisations asiatiques se sont énergiquement élevées contre cette pratique dans les dernières années.
Par exemple, le gouvernement chinois a interdit de servir cette soupe aux dîners officiels et, plus tôt cette année, Air China a annoncé qu’elle ne transporterait plus de cargaisons de nageoires. C’est la première compagnie aérienne de la Chine continentale qui prend cette initiative. Elle se joint ainsi à au moins 35 autres transporteurs aériens et à 17 sociétés mondiales de transport maritime par conteneurs qui ont pris la même décision.
Les Canadiens doivent se mobiliser. Nous sommes les plus importants importateurs de nageoires de requin à l’extérieur de l’Asie de l’Est. Le projet de loi S-238 nous offre l’occasion de transmettre un message énergique à la communauté mondiale disant que la situation actuelle du commerce des nageoires de requin est inacceptable.
J’aimerais également souligner qu’une interdiction totale des importations est nécessaire, car, à défaut d’une réglementation et d’une surveillance cohérentes partout dans le monde, il serait quasiment impossible de déterminer si les ailerons importés au Canada viennent de requins pêchés entiers et non d’une amputation suivie par le rejet en mer du reste de l’animal. Autrement dit, il est impossible de déterminer si les ailerons admis au Canada découlent d’un prélèvement sur un requin vivant.
De plus, il n’y a aucun moyen fiable d’identifier l’espèce d’origine des ailerons importés pour s’assurer qu’ils ne viennent pas d’espèces vulnérables ou protégées.
Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que nos services frontaliers contrôlent les ailerons importés pour s’assurer qu’ils n’ont pas été prélevés sur un requin vivant. Cela ne serait vraiment pas réaliste. C’est pour cette raison que je propose d’interdire toutes les importations d’ailerons de requin.
Le projet de loi constitue le seul moyen de montrer que le Canada n’appuie pas l’enlèvement des nageoires de requin. Je crois qu’il est irresponsable et inacceptable que le Canada interdise la pratique de l’enlèvement des nageoires tout en autorisant l’importation d’ailerons probablement prélevés sur des requins vivants.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. Merci.
Le président : Merci, sénateur MacDonald. J’aimerais souhaiter la bienvenue à la sénatrice Raine, de la Colombie-Britannique, et à la sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Gold : Merci, sénateur MacDonald.
Vous avez mentionné que certaines administrations ont déjà pris des mesures à cet égard, et que le Congrès est saisi d’un projet de loi. Dois-je en déduire, donc, que le Canada serait le premier pays à interdire l’importation des nageoires de requin si nous adoptons ce projet de loi?
Le sénateur MacDonald : Je vais devoir vérifier pour m’en assurer. Je suis convaincu que nous serions un des premiers, même si le projet de loi aux États-Unis est lui aussi en cours d’examen. Aux fins du compte rendu, je pense que le projet de loi aux États-Unis est parrainé à la fois par les républicains et les démocrates.
Le sénateur Gold : Cela fait le pont, en un sens, avec mon autre question. Outre l’importance réelle et symbolique de bannir la pratique ici, quelle sera l’efficacité de cette mesure si elle ne s’inscrit pas dans un mécanisme international? Existe-t-il une réelle possibilité que des pays qui partagent nos vues, comme l’Australie et d’autres, peut-être, se joignent à nous pour concevoir un mécanisme international afin de réglementer cette pratique?
Le sénateur MacDonald : Ce projet de loi ne réglera pas le problème, bien sûr, mais c’est un pas dans la bonne direction. Je pense qu’il sera plus facile pour le Canada de mobiliser d’autres pays — et les pays sont ouverts à la mobilisation — si nous prenons les devants et montrons que nous sommes prêts à passer de la parole aux actes.
Je répète que nous interdisons cette pratique au Canada depuis 1994. J’ai grandi dans une région du pays, sur la côte Est, où il y a beaucoup de requins. Nous passions tout notre temps sur l’océan ou sur le rivage. Tous les pêcheurs vous diront qu’ils voient de moins en moins de requins. Ce n’est pas vraiment une tradition ici au Canada de pêcher le requin pour la consommation, alors ce n’était pas une grande préoccupation pour les gens. Toutefois, ceux qui passent leur vie sur l’océan voient les choses changer, et ils ne veulent pas que les requins disparaissent.
Pensez-y : nous sommes dans un pays où cette pratique n’est pas vraiment problématique. Vous ne pouvez qu’imaginer ce qui se passe dans les autres parties du monde où l’enlèvement des nageoires de requins est répandu.
Pour ce qui est d’entamer un dialogue à l’échelle internationale, je crois qu’il est important que nous prenions les devants à cet égard. Cela ne fait que renforcer notre argument et notre main.
Le sénateur Plett : Je vous remercie d’être venu, sénateur.
Sénateur MacDonald, au cours de votre déclaration, vous avez parlé du fait que vous ne cherchiez pas à interdire l’importation des nageoires de requins pourvu qu’elles soient encore attachées à la carcasse des requins, et je crois que la raison que vous avez donnée à cet égard était que cela permettait d’identifier l’espèce. Corrigez-moi si j’ai tort, mais est-ce que les nageoires de certaines espèces de requins ont une plus grande valeur que celles d’autres espèces?
Je ne laisse nullement entendre que cette façon de procéder est incorrecte, mais, compte tenu de cette précision, il me semble que, si vous souhaitez connaître l’espèce des requins sur lesquels les nageoires sont prélevées, c’est parce que certaines espèces sont meilleures à manger que d’autres.
Le sénateur MacDonald : Les gens ne mangent pas les nageoires de requin; elles sont ajoutées à la soupe plutôt à titre de décoration.
Pour en revenir à la première partie de votre question, il y a des pêches du requin sur la planète qui sont considérées comme durables, mais je crois que le nombre de ces pêches connaît probablement un recul. Je ne voulais pas proposer un projet de loi qui empêcherait des personnes qui pratiquent une pêche du requin durable de poursuivre leurs activités.
Si un requin est capturé et utilisé dans sa totalité dans le cadre d’une pêche du requin durable, il semble raisonnable que les pêcheurs puissent utiliser les 2 p. 100 du requin qui correspondent à l’aileron, s’ils ont l’intention d’utiliser les 98 autres p. 100.
Je crois que c’est OCEANA et un autre groupe qui ont mené des études sur les nageoires de requins importés au Canada et qui ont découvert que près de 80 p. 100 d’entre elles provenaient d’espèces de requins en voie de disparition ou menacées. Certaines de ces espèces, comme les requins-baleines et les grands requins blancs, sont d’énormes animaux qui subissent de grandes pressions. S’il faut que les nageoires soient attachées à la carcasse, les gens n’importeront pas de requins au Canada s’ils souhaitent simplement obtenir les nageoires. Cela n’arrivera pas, car ce ne serait pas financièrement viable.
Le sénateur Plett : Mais l’espèce n’est pas pertinente?
Le sénateur MacDonald : En ce qui concerne les espèces en tant que telles, à ma connaissance, l’espèce sur laquelle l’aileron est prélevé importe peu.
Le sénateur Plett : Cela faisait partie de vos observations.
Le sénateur MacDonald : Il est très difficile de déterminer l’espèce à l’origine de la nageoire. Lorsque les scientifiques prennent le temps de le faire, ils constatent que de 75 à 80 p. 100 de ces ailerons proviennent habituellement d’espèces de requins en péril.
Le sénateur Plett : À votre avis, la demande d’ailerons de requin contribue-t-elle grandement à la mortalité des requins à l’échelle mondiale? Autrement dit, dans quelle mesure la pratique de l’enlèvement de nageoires est-elle responsable du déclin de la population de requins à l’échelle mondiale?
Le sénateur MacDonald : Je ne crois pas qu’on puisse douter qu’il y ait une forte corrélation entre l’enlèvement de nageoires et le déclin des populations de requins.
Le sénateur Plett : Avez-vous des chiffres?
Le sénateur MacDonald : Nous avons des chiffres relatifs à la consommation de soupe aux ailerons de requin. Pendant des générations, la soupe aux ailerons de requins était un mets raffiné consommé uniquement par les classes supérieures de l’Asie du Sud-Est, mais, en raison de l’essor de la classe moyenne dans cette région, la demande de soupe aux ailerons de requins est montée en flèche dans les années 1990, ainsi que depuis cette période.
Je ne crois pas qu’on puisse douter qu’une corrélation existe entre l’accroissement de la demande et de la consommation de soupe aux ailerons de requin et le déclin de très importantes espèces de requins partout dans le monde.
Le sénateur Plett : Quelles preuves existent? Je ne laisse nullement entendre que vos observations ne sont pas entièrement exactes, mais j’ai eu l’occasion de voyager dans bon nombre de régions de l’Asie au fil des ans. Étant donné que vous avez soulevé cette question au Sénat, j’ai profité de mes voyages là-bas pour poser quelques questions à cet égard.
L’une des questions que j’ai posées il y a un an de cela est la suivante : « Coupez-vous seulement l’aileron, et rejetez-vous le reste de l’animal à la mer où il mourra? » J’ai posé cette question en Chine. Ils m’ont dit que, si vous visitiez n’importe quel marché sur n’importe quelle rue de Chine, vous constateriez que toutes les parties du requin sont consommées d’une façon ou d’une autre, à l’exception des entrailles peut-être.
Qu’est-ce qui vous prouve que ce n’est pas le cas, qu’ils n’utilisent pas le reste des requins là-bas avant d’envoyer les ailerons au Canada?
Le sénateur MacDonald : En ce qui concerne la question de savoir s’ils utilisent 98 p. 100 du requin là-bas et envoient les ailerons ici, nous ne disposons d’aucune preuve pour corroborer cette affirmation ou la réfuter. C’est indubitable. L’un des problèmes, c’est qu’il est très difficile de surveiller cette industrie.
J’ai mentionné plus tôt le fait que nous, les Canadiens, n’avons pas vraiment coutume d’utiliser le requin comme source d’alimentation. Cela peut arriver, mais ce n’est pas une pêche de subsistance ordinaire. Dans certaines parties de l’Asie du Sud-Est, le requin est pêché à des fins alimentaires et ce, depuis des années.
Dans le cas de 80 p. 100 des ailerons de requin qui sont importés au Canada, les chercheurs savent qu’ils proviennent d’espèces en péril, c’est-à-dire des espèces qui ne sont pas censées être pêchées en premier lieu. Je pense que les éléments de preuves et le déclin notable des requins partout dans le monde appuient mon assertion selon laquelle la plupart de ces nageoires ont été prélevées sur des requins en eau libre.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Je vous suis reconnaissante de tout le travail que vous avez réalisé à cet égard.
Savez-vous s’il arrive que les ailerons de requin soient utilisés et transformés, puis vendus sous forme de soupe aux ailerons de requin surgelée ou en conserve, et cette utilisation serait-elle assujettie à la loi?
Le sénateur MacDonald : Je ne peux pas vraiment parler de cette question en connaissance de cause. Je pourrais peut-être renvoyer cette question à certains de nos témoins à venir. Je pense qu’ils pourraient être mieux placés pour répondre à cette question. Je n’ai jamais aperçu de soupe aux ailerons de requin dans les magasins canadiens, mais je ne peux affirmer avec certitude que cette soupe n’est pas vendue quelque part en Asie du Sud-Est.
La sénatrice Raine : Si vous interdisez l’importation des ailerons de requin et qu’il y a un marché pour cette denrée, il se pourrait que les fournisseurs contournent cette interdiction en important la soupe plutôt que les ailerons de requin. J’espérais que cette possibilité serait prévue dans la loi, parce qu’il n’y aurait aucune façon de savoir si cette soupe aux ailerons de requin a été fabriquée à l’aide de…
Le sénateur MacDonald : C’est une très bonne question et un aspect que nous devrions étudier.
La sénatrice Ringuette : C’est une excellente suggestion en ce qui concerne les ailerons et les produits transformés qui pourraient contenir des ailerons.
Le sénateur MacDonald : Ça l’est.
La sénatrice Ringuette : Qui exporterait un requin en entier au Canada? Quelle culture? Quel pays?
Le sénateur MacDonald : Je ne pense pas que ce soit une question de culture ou de pays; c’est une question financière. Je suis sûre qu’un grand nombre de pays exporterait n’importe quoi s’ils considéraient qu’un marché existe. Le problème, c’est le volume et le poids d’un requin. Comme je l’ai indiqué, j’ai grandi au sein d’une collectivité de pêcheurs où personne ne mangeait du requin. Il se peut qu’il y ait quelques obscurs marchés pour le requin, mais il n’y a aucun marché de masse pour cette denrée. Par conséquent, personne n’aurait besoin d’importer des requins en entier, puisque ce serait une entreprise coûteuse qui rapporterait peu.
La sénatrice Ringuette : Donc, malgré l’exception que vous prévoyez dans le projet de loi, vous êtes relativement satisfait de cette mesure législative?
Le sénateur MacDonald : Je le suis. Cette exception existe à des fins de recherche scientifique et d’autres fins de cette nature. Il s’agit là d’une première étape. Nous ne remporterons aucune guerre à cet égard, mais nous pourrions gagner une bataille. C’est une excellente indication, et cela indique au monde entier que nous allons prendre des mesures à cet égard. Au lieu de dire que nous interdisons l’enlèvement de nageoires dans nos eaux, nous prendrons des mesures contre l’importation d’ailerons de requin dans notre pays. Je pense que la mesure législative envoie un excellent message de la part du Canada.
Au cours des derniers mois, j’ai saisi l’occasion de parler du Sénat en général et de ce que nous faisons en particulier à divers étudiants universitaires. Les étudiants soulèvent toujours cette question. Mon projet de loi est toujours mentionné. Ils sont au courant de son existence, et ils y sont favorables. Ce projet de loi jouit d’un excellent appui. Je suis étonné de constater le nombre de fois qu’il est mentionné et le fait qu’ils ont conscience de son existence. Ce projet de loi est attrayant pour un grand nombre de Canadiens, et avec raison, je crois.
La sénatrice Ringuette : Pour revenir à la question et probablement la suggestion de la sénatrice Raine, seriez-vous favorable à un amendement qui assujettirait également à la loi les produits transformés contenant des ailerons de requin?
Le sénateur MacDonald : Je serais favorable à tout amendement qui, selon moi, renforcerait le projet de loi sans compromettre la possibilité qu’il soit adopté.
En ce qui concerne la question soulevée par la sénatrice Raine, j’aimerais qu’elle soit abordée par les experts qui peuvent parler de cet aspect d’une façon un peu plus informée que moi, car je ne suis pas aussi compétent à cet égard que je devrais peut-être l’être.
La sénatrice Poirier : Je n’ai jamais mangé de soupe aux ailerons de requins. Par conséquent, j’ignore les endroits où elle est vendue ou les endroits où on peut l’acheter. Si j’ai bien compris, vous avez dit que l’aileron de requin n’était pas mangé, qu’il servait simplement de décoration, n’est-ce pas?
Le sénateur MacDonald : De texture; c’est exact.
La sénatrice Poirier : Pourquoi doivent-ils ajouter l’aileron de requin à la soupe?
Le sénateur MacDonald : Ce n’est probablement pas nécessaire. Il pourrait utiliser autre chose pour donner à la soupe une texture, mais c’est une question de culture et de statut. C’est la raison pour laquelle cet enjeu a pris une telle ampleur et a acquis une vie propre.
La sénatrice Poirier : Où la soupe est-elle vendue au Canada?
Le sénateur MacDonald : Vous la trouverez dans les restaurants de quelques-unes des régions urbaines importantes du Canada, ainsi que partout en Asie du Sud-Est. Pour tout vous dire, j’ai mangé de la soupe aux ailerons de requin. Je ne l’ai su qu’après coup. Je leur ai dit : « Ce n’était pas trop mal. Qu’est-ce que c’était? » Ils m’ont répondu, et je leur ai dit : « J’aurais préféré que vous me le disiez avant que je mange la soupe. » C’était il y a quelques années. Je serais certainement mieux informé aujourd’hui.
Par principaux centres urbains au Canada, j’entends Toronto et Vancouver.
La sénatrice Poirier : Et ils ne peuvent pas confectionner la soupe sans les ailerons?
Le sénateur Plett : Elle porte le nom de soupe aux ailerons de requin.
La sénatrice Poirier : Mais il a dit qu’on ne mangeait pas l’aileron, qu’il servait simplement de décoration.
Le sénateur Plett : Non, on le mange.
La sénatrice Poirier : Vous le mangez. Il n’est donc pas utilisé qu’à des fins décoratives. C’est bon; je souhaitais obtenir des éclaircissements à ce sujet.
Le sénateur MacDonald : Ils l’utilisent pour donner de la texture à la soupe.
La sénatrice Poirier : Donc, vous mangez l’aileron?
Le sénateur MacDonald : Je ne le mange pas. Je boirais le bouillon; je ne mangerais pas le cartilage.
La sénatrice Poirier : C’est tout ce que je voulais savoir.
Le sénateur Christmas : Merci, sénateur MacDonald. Je m’intéresse aux aspects financiers de cet enjeu. Elle — c’est-à-dire la soupe aux ailerons de requin — est principalement vendue dans les régions urbaines?
Le sénateur MacDonald : Oui.
Le sénateur Christmas : Et, la plupart des importations proviennent de Chine. Par conséquent, je présume que la plupart des consommateurs sont des Canadiens d’origine asiatique, n’est-ce pas?
Le sénateur MacDonald : Eh bien, je n’ai pas de chiffres concrets à cet égard, mais je soupçonne que la plupart des consommateurs sont des Canadiens originaires d’Asie du Sud-Est.
Il est difficile de déterminer la source de tous les ailerons, parce que si vous regardez certains des documentaires que j’ai visionnés et si vous examinez la couverture à ce sujet, vous constaterez qu’on se livre à cette pratique partout. L’enlèvement des ailerons survient à tous les endroits fréquentés par des requins où quelqu’un possède un bateau; quelqu’un peut s’attaquer aux requins actifs et leur enlever leur aileron. Au nombre des ailerons importés au Canada, on retrouve diverses espèces qui vont des requins-baleines aux grands requins blancs en passant par les renards marins. Bon nombre de ces requins vivent dans des parties complètement différentes de la planète. On les trouve partout sur la planète.
Le sénateur Christmas : Si je comprends bien, ce projet de loi interdira seulement l’importation des ailerons de requin. Il n’interdit pas la production ou la vente de cette soupe.
Le sénateur Macdonald : Il n’interdit pas la consommation, la vente ou la promotion de la soupe. Il ne s’occupe pas du tout de cette partie du marché. Nous ne portons pas un jugement moral sur les gens qui produisent, vendent ou mangent cette soupe. Nous soutenons que ces espèces sont en péril. Nous devons faire quelque chose pour lutter contre la pratique même. Nous l’avons interdite ici depuis 1994.
Nous ne devons pas perdre de vue que, depuis que nous avons interdit cette pratique, la destruction des requins est montée en flèche. Elle est beaucoup plus prononcée aujourd’hui qu’elle l’était en 1994. Même si nous nous servons du nombre modéré de 75 millions de requins par année et, nous sommes conscients que, certaines années, ce chiffre a dépassé les 100 millions, cela totalise 2 milliards de requins au cours des 23 dernières années. Selon moi, ce chiffre est plutôt insoutenable.
Le sénateur Christmas : Je sais qu’en Nouvelle-Écosse, par exemple, nous attrapons notre part de requins. Si nous interdisons l’importation d’ailerons de requin en provenance d’autres pays, risquons-nous de créer un marché national d’ailerons de requin?
Le sénateur Macdonald : En théorie, je suppose que c’est possible, mais deux facteurs s’opposent à cette possibilité : les requins ne sont pas très nombreux ici, et il n’y a pas de tradition de pêche du requin au Canada. D’un point de vue culturel, cette pratique n’est pas gravée en nous.
Je le répète, ce projet de loi n’interdit pas la pêche des requins. Si un requin est pêché en entier et que les gens souhaitent le consommer, je suppose qu’ils pourraient utiliser l’aileron du requin.
Nous ne portons pas de jugement moral à cet égard. Nous savons simplement que les espèces sont détruites partout dans le monde, et nous souhaitons faire un peu notre part en déclarant non seulement que nous interdisons la pratique, mais aussi que nous interdisons l’importation des ailerons qui ont été obtenus au moyen de cette pratique.
La sénatrice Hartline : Merci beaucoup, sénateur Macdonald. Ce sujet est intéressant. Je vous remercie de la vidéo. Je la donnerai à mes neveux.
Le sénateur Macdonald : Il n’y a pas de quoi. Je n’ai pas produit la vidéo; je me contente de la distribuer.
La sénatrice Hartling : J’ai une question à vous poser parce que je ne vous connais pas très bien. Qu’est-ce qui vous a poussé à élaborer ce projet de loi? D’où vient l’impulsion?
Le sénateur Macdonald : J’ai grandi sur le bord de l’océan, sur le bord de l’eau. J’ai un peu un amour pour les animaux. Je ne suis pas vraiment un naturaliste ou quoi que ce soit de ce genre. Je ne suis pas du genre à faire du camping ou des activités de ce type; ce n’est pas mon fort. Toutefois, j’aime les espèces sauvages. Lorsque j’étais enfant, je ne manquais jamais une émission de Jacques Cousteau. Chaque fois qu’il passait à la télévision, je regardais ses aventures. J’étais rivé à la télévision, tout comme mon père. Ce genre d’activité m’intéresse, tout simplement.
Je connaissais Rob Stewart. Je pense qu’il est intéressant que le grand spécialiste en matière d’habitudes des requins ait été un Canadien, un jeune homme très accompli. Puis il est mort tragiquement. J’ai ensuite commencé à regarder le travail qu’il avait accompli.
J’avais une vague idée de l’existence du problème. Toutefois, après avoir commencé à lire sur le sujet, j’ai réalisé l’ampleur du problème. Je me suis également rendu compte que non seulement nous ne faisions pas ce que nous étions en mesure de faire au Canada, mais nous ne faisions pas non plus ce que les gens s’attendraient à ce que nous fassions s’ils savaient à quel point la situation est déplorable et à quel point nous prenons peu de mesures pour prévenir ce massacre inutile.
Ce projet de loi a été présenté à la Chambre en 2013 — et ce n’était guère différent du mien. Il a été rejeté par cinq voix. Certains des membres de notre caucus ont voté pour; d’autres ont voté contre. Il y a eu des discussions, et nous nous sommes demandé s’il n’y avait pas lieu de régler la question par voie réglementaire, sans adopter une loi. J’ai été très déçu que le projet de loi ne soit pas adopté parce que je croyais que c’était la bonne chose à faire.
Une fois que je me suis renseigné davantage sur le sujet après le décès de Rob Stewart et après avoir lu et examiné son travail, je me suis dit : « Pourquoi ne pas présenter ce projet de loi au Sénat? » J’estimais alors que c’était un bon projet de loi qui méritait d’être adopté.
Quand on fait partie d’un caucus, on n’obtient pas toujours ce qu’on veut. C’est ainsi que fonctionne la politique. Nous avons une assemblée législative bicamérale. Un des grands avantages d’un tel système, c’est qu’on peut présenter un projet de loi à l’une ou l’autre des Chambres.
J’ai donc décidé de présenter cette mesure législative au Sénat et d’en saisir les sénateurs, parce que si nous pouvons la faire adopter au Sénat, je crois que nous arriverons à la faire adopter à la Chambre. Je pense que nous pouvons ainsi envoyer un beau message au monde entier.
Les Américains travaillent sur leur projet de loi. En nous voyant adopter notre projet de loi, ils seront peut-être encouragés à nous emboîter le pas, et nous pourrons peut-être commencer à vraiment améliorer la situation à cet égard.
La sénatrice Hartling : Je vous remercie de votre passion.
Le sénateur Gold : Sénateur MacDonald, j’aimerais en savoir un peu plus sur les répercussions possibles sur les consommateurs canadiens d’ailerons de requin, parce que vous avez mentionné qu’en 2015, le Canada a importé environ 144 000 kilogrammes de nageoires de requin. Il y a donc une demande pour ce produit dans certaines communautés ou localités du pays.
Le projet de loi aurait pour effet de mettre un terme à cet approvisionnement parce que, si je comprends bien, il est peu probable qu’on importe des carcasses entières uniquement pour les nageoires, d’autant plus qu’il n’y a pas une grande tradition ou pratique liée à une industrie nationale des nageoires de requin.
Le sénateur MacDonald : Mais on pêche des requins au Canada, surtout sur la côte Ouest. On peut leur enlever les nageoires.
Le sénateur Gold : Dans quelle mesure avez-vous mené des discussions ou des consultations avec les membres des communautés qui consomment actuellement de la soupe aux nageoires de requin? Quelle sorte de commentaires avez-vous reçus?
Le sénateur MacDonald : J’ai parlé aux membres des communautés. Pour la plupart, ils se sont montrés favorables et compréhensifs.
Au cours des prochains jours, nous recevrons ici des témoins qui représentent ces communautés, et vous verrez à quel point ce sujet leur tient à cœur. Je crois qu’il y a certaines questions délicates dont nous devons être conscients et dont ils sont conscients, eux aussi.
Il y a un aspect culturel. Nous ne voulons pas être insensibles à ces choses, mais la plupart des gens sont assez raisonnables lorsqu’il est question de la survie d’une espèce et des mesures qui s’imposent pour en assurer les chances de survie.
Nous recevrons également des conseillers de Toronto et d’autres endroits, comme de l’Asie du Sud-Est, qui appuient entièrement cette interdiction. Les choses ont beaucoup bougé en Asie du Sud-Est, où il existe tout un marché noir contre lequel les autorités luttent constamment. Elles déploient des efforts considérables. Nous n’en entendons pas trop parler au Canada parce que cela se passe loin de chez nous, mais nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. C’est juste que notre rôle particulier là-dedans se limite presque exclusivement au fait de permettre l’importation de nageoires de requin.
Le sénateur Gold : D’aucuns craignent également qu’une interdiction de l’importation de nageoires de requin ait une incidence négative sur la pêche durable aux requins. Je crois que vous y avez fait allusion tout à l’heure.
Pourriez-vous nous aider à comprendre en quoi consiste une pêche durable aux requins? Y en a-t-il une, par définition? Autrement dit, y a-t-il moyen de pêcher des requins de manière durable sans pratiquer l’amputation des nageoires?
Le sénateur MacDonald : Non. Une pêche durable aux requins se veut une pratique qui ne menace pas le volume de l’espèce ni sa capacité de renouvellement. Il s’agit de capturer des requins appartenant à une espèce qui ne subit pas de pression environnementale et qui n’est pas en voie de disparition, c’est-à-dire dont le volume est suffisant. Voilà en quoi consiste une pêche durable aux requins.
Comme je l’ai dit, il n’y a pas beaucoup de requins sur la côte Est; on en dénombre quelques-uns sur la côte Ouest. Mais, je le répète, le nombre de requins diminue de plus en plus sur la côte Est.
Le sénateur Gold : Où pourrais-je trouver des exemples de pêche durable?
Le sénateur MacDonald : On en trouve peut-être un peu en Colombie-Britannique et, manifestement, dans différents coins du monde. Par contre, si vous perdez 100 millions de dollars par année, j’ignore à quel point une telle pêche sera durable ou pendant combien de temps.
Le sénateur Gold : Selon toute vraisemblance, l’interdiction pénaliserait certains pays où l’on pratique la pêche durable aux requins. Autrement dit, notre marché serait fermé à ceux qui pêchent des requins de manière durable et qui pourraient pratiquer l’amputation des nageoires lorsque les stocks sont stables.
Le sénateur MacDonald : Notre marché leur serait fermé s’ils ne faisaient qu’importer des nageoires de requin, en effet.
Le sénateur Plett : D’après les notes que j’ai sous les yeux, on tue chaque année 73 millions de requins dans le monde entier pour leur prélever les nageoires.
Savez-vous quelle proportion de ce chiffre est exportée vers le Canada? Si je comprends bien, il y a 73 millions de nageoires ou d’autres parties du requin qui sont prêtes à être vendues. Quelle est l’importance du rôle joué par le Canada dans ce commerce?
Le sénateur MacDonald : Je dirais 144 000 kilogrammes — et, bien entendu, les requins ont généralement plus d’une nageoire. Ce serait donc plus d’une nageoire par requin.
Le sénateur Plett : Des 73 millions de requins tués pour leurs nageoires, combien sont exportés vers le Canada?
Le sénateur MacDonald : Je n’en ai aucune idée. Je dirais que nous représentons un pourcentage relativement faible de la consommation mondiale, à mon avis. On parle tout de même de 144 000 — eh bien, cela dépend de la taille des requins. Certains requins sont de très petite taille; d’autres sont énormes et pèsent des tonnes. Je pense que ce serait, dans l’ensemble, un très petit pourcentage. Je n’ai pas les chiffres exacts. Je crois, sénateur Plett, que certains des témoins qui viendront plus tard auraient des chiffres plus précis et pourraient répondre à cette question.
Le sénateur Plett : D’après vous, quelles sont les chances ou quelle est la probabilité — et si nous ne jouons pas un rôle déterminant, il y a peut-être une très faible probabilité — qu’un autre pays conteste une interdiction canadienne? Ces interdictions ont-elles été contestées ou discutées au sein de l’Organisation mondiale du commerce?
Le sénateur MacDonald : Oui, nous en avons discuté, et nous avons vérifié auprès de nos conseillers juridiques au Sénat et au Parlement. Ils ne pensent pas qu’il y ait grand-chance d’une contestation juridique parce que l’interdiction vise uniquement les nageoires de requin. Il ne semble pas y avoir de question susceptible de créer un conflit. Ce n’est pas un projet de loi très compliqué, et je suppose que quelqu’un pourrait contester notre décision si nous exportions ce produit, mais nous ne le faisons pas.
Le sénateur Watt : Sénateur MacDonald, je crois que vous avez un projet très intéressant entre les mains.
Le sénateur MacDonald : Merci.
Le sénateur Watt : Un des aspects qui m’inquiètent, advenant l’adoption du projet de loi, c’est l’exigence que les nageoires de requin ne soient pas séparées de la carcasse. Si les nageoires sont destinées à la consommation humaine, que fait-on du reste? Où se trouve le marché pour le reste de la carcasse? Pouvons-nous envisager quelque chose de positif, peut-être un engrais pour les agriculteurs? Je ne sais pas s’il existe un marché à cet égard. Ou encore, on pourrait s’en servir pour la nourriture pour chiens ou chats, mais pas nécessairement pour la consommation humaine. Je n’ai jamais entendu dire que des gens mangent de la viande de requin, mais j’ai certainement entendu dire que la consommation de nageoires aide à stimuler le système. C’est pour cela que certaines personnes en consomment.
À moins que nous trouvions une façon d’utiliser les carcasses, j’ai du mal à imaginer comment ce produit sera importé au Canada. C’est beaucoup de poids supplémentaire qui, une fois rendu ici au Canada, n’aura probablement aucune valeur marchande.
Qu’est-ce qui se passe dans l’océan? Est-ce qu’on prélève les nageoires et rejette le requin à l’eau, où il sera probablement mangé alors qu’il est partiellement vivant? Qu’accomplissons-nous au juste ainsi? Voilà ce qui me pose problème dans ce projet de loi.
Le sénateur MacDonald : Je crois qu’il faut commencer quelque part lorsqu’il s’agit de mettre un frein à l’extermination d’une espèce primordiale à l’échelle planétaire. De nombreux pays s’attendent à ce que le Canada fasse preuve de leadership dans de nombreux domaines.
Je le répète, le gouvernement Chrétien a estimé, dès 1994, qu’il s’agissait d’une question morale assez importante pour adopter des lois interdisant l’enlèvement de nageoires au Canada, mais les choses en sont restées là. Au cours des 24 ou 25 dernières années, cette pratique a explosé partout dans le monde, à tel point que de nombreuses espèces de grande importance subissent d’énormes pressions. Je crois que le Canada peut donner l’exemple au monde entier et prendre l’initiative dans ce dossier. Il est beaucoup plus facile de prendre les devants et d’exprimer son opinion quand on joint l’acte à la parole et, à mon avis, c’est ce qui s’impose.
Je crois que le monde est tellement plus petit qu’il l’était. Les gens interagissent beaucoup plus qu’avant sur une gamme de sujets. Il s’agit d’un phénomène mondial, et c’est le genre d’enjeu que presque aucun pays dans le monde — en tout cas, presque aucun pays qui se trouve en bordure de l’eau — ne peut passer sous silence. Je crois que c’est une mesure qui pourrait nous inspirer de la fierté et dont nous pourrions nous servir pour amener d’autres pays à discuter non seulement de cet enjeu, mais aussi d’autres problèmes.
Beaucoup d’animaux dans le monde subissent des pressions sur le plan de leur capacité de survie. En tant que conservateur, j’ai commencé à m’intéresser à la préservation de la vie et de l’habitat des animaux, des terres humides, ce genre de choses. Je crois que la conservation devrait faire partie du mandat de tout conservateur. C’est conforme à ma philosophie personnelle. Voilà pourquoi je tiens à poursuivre cette initiative, et je crois qu’il y a un grand appui à cet égard.
Le sénateur Watt : En principe, je sais ce que vous voulez dire. Je pense que c’est la bonne chose à faire. Mais vous vous servez de cette interdiction uniquement pour empêcher l’enlèvement des nageoires, si tel est votre objectif, mais pas nécessairement pour promouvoir l’idée qu’il faut importer toute la carcasse; cela me semble logique. Mais la question demeure : que faire avec le reste? Si on l’importe au Canada, à quoi servira-t-il? Sera-t-il jeté au dépotoir? Servira-t-il à des fins qui pourraient s’avérer utiles? J’ai mentionné le domaine agricole.
Si votre objectif est de mettre un terme à la pratique de l’amputation des nageoires, alors je peux comprendre votre projet de loi. Mais si nous y ajoutons un ingrédient supplémentaire, à savoir la carcasse entière, je crois que nous allons un peu trop loin.
Le sénateur MacDonald : Personne n’importerait la carcasse entière au Canada parce qu’il n’y a pas de marché pour cela, du point de vue alimentaire ou autre.
Le sénateur Watt : Est-il possible d’apporter une modification à cet égard? Seriez-vous ouvert à l’idée d’un amendement pour éliminer la carcasse?
Le sénateur MacDonald : Je crois que le projet de loi traite déjà de cet aspect. Encore une fois, je serais ouvert à tout amendement qui ne menacerait pas la capacité de faire adopter ce projet de loi. D’autres personnes ont voulu apporter d’autres amendements concernant les raies et d’autres formes de vie dans l’océan. Cependant, j’ai jugé qu’il serait préférable de nous en tenir à une portée étroite et de mettre l’accent sur l’importation de nageoires. Parfois, il faut commencer par de petits pas, et je pense que nous ne pouvons pas tout faire en une journée, mais je suis convaincu que nous pourrons en venir à bout. Je ne prétends pas que l’adoption du projet de loi réglera tous les problèmes. Ce ne sera que le début. Mais allons-y une étape à la fois, et j’aimerais voir le tout se concrétiser.
Le président : Comme il n’y a pas d’autres questions, j’aimerais remercier le sénateur MacDonald de son exposé et de ses réponses à nos questions. J’attends certes avec impatience nos discussions sur votre projet de loi au cours des jours et des semaines à venir.
Le sénateur MacDonald : J’aimerais simplement ajouter, monsieur le président, que s’il y a des questions auxquelles le profane que je suis n’a pas su répondre, je suis sûr que les divers experts, scientifiques et invités qualifiés dans ce domaine qui viendront témoigner dans les prochains jours seront en mesure d’y répondre de manière plus scientifique et peut-être de fournir des réponses à vos questions qui restent en suspens.
Le président : Je crois qu’en tant que profane, vous vous en êtes plutôt bien sorti ce soir. Nous avons hâte d’entendre les autres témoins qui viendront comparaître devant nous sous peu.
Nous allons maintenant faire une pause pendant quelques instants pour nous préparer à notre séance à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)