Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule nº 36 - Témoignages du 6 février 2019
OTTAWA, le mercredi 6 février 2019
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures, se réunit aujourd’hui, à 9 h 36, pour étudier ce projet de loi.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je m’appelle Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador et le président du Comité permanent des pêches et des océans. Avant de présenter notre témoin ou de l’inviter à se présenter et à prendre la parole, je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Campbell : Larry Campbell. Je suis un sénateur de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, Nouveau-Brunswick.
Le sénateur McInnis : Thomas McInnis, sénateur de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.
La sénatrice Busson : Bev Busson, Colombie-Britannique. Bienvenue.
Le sénateur Francis : Brian Francis, Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Christmas : Bonjour. Dan Christmas, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Munson : Bonjour. Jim Munson, Ontario.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, Manitoba.
Le sénateur Gold : Bonjour. Marc Gold, Québec.
Le président : Merci, chers collègues.
Ce matin, le comité poursuit son étude du projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures.
Nous accueillons aujourd’hui quatre groupes de témoins. Notre premier témoin est arrivé, et je lui demanderai de se présenter et de nous dire quelques mots sur lui-même. Il fera une déclaration liminaire, après quoi nous passerons à la période des questions.
Duane Ningaqsiq Smith, président et chef de la direction, Société régionale des Inuvialuit : Ublaami. Bonjour. Je m’appelle Duane Smith Ningaqsiq. Je vais m’en tenir à la partie anglaise de mon nom pour faciliter les choses.
Je suis le président élu et chef de la direction de la Société régionale des Inuvialuit.
Le sénateur Patterson : Vous venez d’être réélu, n’est-ce pas?
M. Smith : La semaine dernière. Je rappellerai que la région des Inuvialuit est la très grande région du nord-ouest du Canada, attenante à l’extrémité nord-est de l’Alaska. Elle a une superficie d’un peu moins d’un million de kilomètres carrés. Même s’il faut compter neuf heures de vol pour s’y rendre, nous sommes toujours au Canada. N’hésitez pas à venir nous rendre visite.
La région désignée des Inuvialuit est notre patrie. Comme vous le savez peut-être, elle fait partie de l’Inuit Nunangat, qui comprend trois autres régions inuites. Nos traités modernes s’appliquent sur environ 38 p. 100 du territoire du Canada, ainsi que sur la moitié de son littoral.
Nous avons négocié notre revendication territoriale avec le Canada. Cela a débuté en 1970 en réponse à l’accroissement des activités de développement dans nos terres et nos eaux, activités sur lesquelles nous avions peu d’influence à l’époque.
La CDI, comme on appelle communément la Convention définitive des Inuvialuit, a été signée et est entrée en vigueur en 1984. Il s’agit du deuxième traité moderne signé par le Canada et le premier s’appliquant au nord du 60e parallèle.
Il importe de souligner que les négociations avec le Canada n’ont pas porté sur les ressources extracôtières à ce moment-là, si bien que, pour nous, il s’agit toujours d'une question en suspens. Depuis, d’autres négociations et ententes sur les ressources extracôtières ont été conclues entre d’autres organisations autochtones et le Canada.
La région désignée des Inuvialuit, souvent abrégée RDI, comprend les terres, les glaces et les eaux du delta du Mackenzie, de la mer de Beaufort et de l’océan Arctique. Il y a six collectivités dans la région désignée, soit Aklavik et Inuvik, qui se trouvent sur les rives du Mackenzie, et Paulatuk, Sachs Harbour, Tuktoyaktuk et Ulukhaktok, sur la côte de la mer de Beaufort. Il y a plus de 6 000 Inuvialuit dans la RDI et partout au Canada et ailleurs.
Peu de gens savent que la mer de Beaufort et l’océan Arctique comptent pour environ les deux tiers de la RDI. Les ressources dans cette région sont tenues en fiducie pour les générations futures. Cet espace marin n’est pas inhabité. Il est un élément constitutif majeur de notre région, de notre mode de vie, de notre culture. Il est important de signaler qu’il y a partage de compétences entre le Canada et les Inuvialuit en vertu de lois comme la Loi sur les océans, la LFH et la CDI.
Lorsque je parle de la CDI, il faut se rappeler que nous en sommes tous deux signataires. C’est notre entente territoriale. Quand je dis « notre », cela signifie la vôtre et la mienne. Les parties signataires ont donc, toutes deux, l’obligation et la responsabilité d’assurer la meilleure mise en œuvre possible de l’entente.
Selon notre lecture des modifications proposées à la Loi sur les océans, le ministre pourra, par décret, désigner une zone marine protégée dans toute aire marine qui n’est pas désignée comme une ZPM en vertu d’une disposition de la loi. Nous retenons des modifications proposées à la LFH que le gouverneur en conseil pourra, par décret, interdire aux propriétaires d’intérêts d’entreprendre ou de poursuivre des activités dans des zones désignées comme ZPM en vertu de la Loi sur les océans.
Bien que la Loi sur les océans prévoie une consultation ministérielle aux termes de la partie II, elle est facultative plutôt qu’obligatoire. De plus, s’il est vrai que la Loi sur les océans contient une disposition de non-dérogation, celle-ci ne constitue pas une obligation de consulter. Ainsi, les titulaires de droits issus de traités auront à faire valoir leurs droits à la consultation lorsque des mesures de conservation pouvant avoir des effets néfastes seront envisagées.
Prises ensemble, la Loi sur les océans et la LFH confèrent aux ministres le pouvoir de prendre des décisions importantes en matière d’environnement et d’économie dans une région visée par une entente territoriale sans effectuer une étude approfondie, sans mener de consultations et sans tenir compte de nos droits. Or, pour les restrictions de cette importance, le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause des titulaires de droits est nécessaire.
J’aimerais souligner que, jusqu’à ce jour, deux zones marines protégées, les deux seules qui existent actuellement, ont été établies dans ma région. La ZPM Tarium Niryutait a été créée en 2010. Il s’agit de la première ZPM arctique au Canada et elle couvre près de 1 800 kilomètres carrés dans le delta du Mackenzie et son estuaire dans la mer de Beaufort. La ZPM Anguniaqvia niqiqyuam, établie en 2016, est la deuxième ZPM arctique du Canada. Elle a une superficie de 2 361 kilomètres carrés et est située dans la baie Darnley, près de la collectivité inuvialuit de Paulatuk.
Ces deux ZPM ont été créées grâce à une collaboration entre les Inuvialuit, le ministère des Pêches et des Océans du Canada, l’industrie, les intervenants et gouvernements locaux. Bien que ces ZPM aient bénéficié d’un certain apport de ressources financières et humaines en vue de leur création, cela n’a pas été le cas à l’étape de leur mise en œuvre effective.
Les Inuvialuit craignent que l’établissement de ZPM par décret ministériel en vertu de la Loi sur les océans et la restriction supplémentaire du développement par décret d’interdiction en vertu de la LFH réduisent le niveau de leur participation aux décisions déterminantes pour l’avenir de la région et exacerbent les problèmes de mise en œuvre que nous connaissons déjà.
Sur ce, je vous remercie de votre attention. Je crois comprendre que mon temps est probablement écoulé, mais je vous remercie de m’avoir écouté et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Smith, et bienvenue. Comme d’habitude, je demanderai à notre vice-président d’entamer la période de questions.
Le sénateur Gold : Merci et bienvenue. J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur l’expérience que vous avez vécue jusqu’à maintenant pour ce qui est des ZPM. Vous avez mentionné les deux qui ont été établies depuis l’entente sur les revendications territoriales, et vous avez dit qu’elles l’avaient été grâce à un effort de collaboration entre votre communauté et d’autres intervenants. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure le processus de consultation a été efficace? Vos droits reconnus dans l’entente sur les revendications territoriales et autres droits ont-ils été suffisamment respectés? Avez-vous des recommandations à formuler sur la façon d’améliorer le processus?
M. Smith : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Comme je l’ai dit, ces deux initiatives ont été lancées par les Inuvialuit parce qu’elles étaient importantes pour la viabilité de l’écosystème. Nous nous considérons comme faisant partie de l’écosystème, et tout ce qui aura des effets néfastes se répercutera sur nous. Nous avons donc adopté une approche proactive pour nous assurer que les effets néfastes sur ces zones seraient réduits au minimum.
La première ZPM a été créée pour protéger l’habitat du béluga. C’est là que se trouve la plus grande population de bélugas au monde. C’est l’une des raisons pour lesquelles la zone est importante. Nous avons aussi un lieu historique national, que le Canada néglige, situé dans cette zone qui atteste notre contribution millénaire en tant que Canadiens et qu’Autochtones.
Nous avons travaillé avec l’industrie dans cette zone, où il y a beaucoup de pétrole et de gaz, pour que les activités d’exploration se fassent seulement après le départ des bélugas afin de les protéger contre les effets néfastes de ces activités. Cela a fonctionné. Le gouvernement fédéral, le MPO en l’occurrence, l’ayant constaté, il a commencé à travailler avec nous et l’industrie en vue d’adopter des mesures législatives appropriées. Cela a pris beaucoup de temps, mais avant que cela se fasse nous avions déjà une entente avec l’industrie.
La deuxième ZPM a été créée parce que nous voulions nous assurer que l’écosystème unique et diversifié de cette zone soit préservé dans la mesure du possible, principalement en raison de son utilisation par la collectivité et pour nous assurer qu’aucune activité de transport maritime, d’exploration ou autre n’aurait un effet néfaste sur cette zone. De nouveau, l’industrie et, dans ce cas-ci, le gouvernement fédéral en ont reconnu l’importance et ont collaboré avec nous pour établir cette ZPM.
Le sénateur Gold : Merci. Hier, le ministre et ses collaborateurs nous ont parlé de ces modifications et de la possibilité d’établir une protection provisoire en attendant l’achèvement des travaux d’analyse. Ils nous ont dit que leur processus consistait à déterminer, en se fondant sur leurs propres recherches et données scientifiques, la possibilité qu’une zone donnée ait une importance en raison de sa biodiversité. Une fois la zone déterminée, cependant, ils nous ont dit qu’ils mèneraient des consultations continues avec les intervenants — entre autres, avec les collectivités autochtones, les pêcheurs, les gouvernements provinciaux et territoriaux — avant de prendre une décision quant à créer ou non une ZPM provisoire.
Ce processus vous semble-t-il approprié ou proposez-vous des changements?
M. Smith : Je dirais que c’est plutôt ignorant en ce qui concerne ma région. Je dis cela parce que le gouvernement a imposé un moratoire dans ma région sans aucune consultation préalable.
Deuxièmement, si je dis « ignorant », c’est parce que nous avons un accord définitif avec le gouvernement fédéral depuis près de 35 ans dans le cadre duquel il existe un organisme de cogestion qui s’occupe de la gestion et de la recherche marines extracôtières. Il s’agit du Comité mixte de gestion de la pêche, dans lequel sont représentés les Inuvialuit et les gouvernements territorial et fédéral. Mais ses membres, lorsqu’ils siègent, ne disent pas : « Je représente le gouvernement ou les Inuvialuit. » Ils travaillent plutôt pour dégager un consensus et disent : « Nous savons quel est notre mandat; c’est d’élaborer un plan de recherche après avoir consulté les collectivités sur les priorités à retenir. »
Ils sont donc en place depuis près de 35 ans maintenant et, pour ce qui est du processus dont vous venez de parler, le gouvernement fédéral fait fi du processus établi et de la responsabilité exercée dans le cadre de la cogestion.
De plus, il n’y a aucune mention des connaissances autochtones ou traditionnelles dans ce processus.
Le sénateur Gold : Merci.
Le sénateur Patterson : Je suis heureux d’avoir l’occasion de participer aux travaux du comité ce matin en tant que porte-parole du projet de loi. Je devrai m’absenter plus tard ce matin pour un autre comité, mais je suis heureux de cette occasion qui m’est donnée.
Monsieur Smith, lorsque le premier ministre Bob McLeod a comparu pour appuyer le projet de loi, il a décrit ses effets éventuels sur la Convention définitive des Inuvialuit. Vous venez de décrire comment l’accord prévoit la participation des Autochtones à un processus de cogestion extracôtière. Mais il a aussi dit que le projet de loi pourrait avoir un effet sur l’entente de transfert des responsabilités. J’aimerais vous poser une question à ce sujet. Le transfert des responsabilités consiste à confier aux gouvernements territoriaux la responsabilité du gouvernement fédéral à l’égard des terres et des ressources, y compris, en fin de compte, des ressources extracôtières.
Deuxièmement, l’article 3.2 de l’Entente sur le transfert des responsabilités entre les Territoires du Nord-Ouest et le Canada engage le Canada, le GTNO et la SRI, votre organisme, à entamer des négociations sur la gestion des ressources pétrolières et gazières dans la mer de Beaufort et d’autres zones extracôtières du Nord.
Cet engagement pris dans l’accord sur le transfert des responsabilités a été, franchement, mis de côté par le Canada lorsque le moratoire sur le pétrole et le gaz dont vous avez parlé a été annoncé. Mais j’aimerais vous poser une question au sujet du projet de loi. Croyez-vous, à l’instar du premier ministre McLeod, que les mesures unilatérales — comme le pouvoir du ministre de créer unilatéralement une ZPM — auront pour effet de porter atteinte au processus qui a été rétabli par le ministre LeBlanc pour discuter de la cogestion au large des côtes?
M. Smith : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Comme je l’ai dit, le projet de loi tel qu’il est rédigé ne respecte pas les droits que nous confère l’accord définitif. À vrai dire, il fait marche arrière parce qu’il n’y a pas de véritable consultation. Il faut prévoir un mécanisme ou un processus dans ce projet de loi pour reconnaître nos droits et donner suite aux nombreuses décisions des tribunaux qui affirment la nécessité d’une consultation adéquate.
Le sénateur Patterson : En ce qui concerne la consultation, pourriez-vous nous décrire la consultation menée auprès des Inuvialuit avant l’annonce faite en octobre 2018 par le premier ministre Justin Trudeau et le président Barack Obama au sujet du moratoire sur les activités pétrolières et gazières? De plus, j’ai reçu, en tant que porte-parole, un compte rendu des consultations sur le projet de loi et j’ai remarqué que votre organisme figurait dans la liste. J’aimerais savoir ce que vous pensez des consultations entourant le moratoire sur le pétrole et le gaz, s’il y en a eu, et si vous estimez avoir été suffisamment consultés sur ce projet de loi. Votre organisme figurait dans la liste. A-t-on répondu à certaines préoccupations que vous avez soulevées?
M. Smith : Encore une fois, je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Pour répondre à la première partie de votre question, pour peu que vous considériez qu’un appel téléphonique 20 minutes avant l’annonce du moratoire constitue une consultation, c’est tout ce que le gouvernement fédéral a fait pour travailler — ou ne pas travailler — avec nous à la préparation du moratoire. Il y avait des entreprises qui avaient des droits d’exploration extracôtière à l’époque, et c’était essentiellement pour elles le signal de fermeture. Il n’y a donc pas eu, à proprement parler, de consultation à ce sujet.
Deuxièmement, cela dépend, encore une fois, de ce que vous entendez par l’étendue de la consultation. Nous avons été avisés que ce projet de loi était en cours de rédaction. On nous a dit : « Veuillez nous faire part de vos commentaires, venez nous voir et faites-nous connaître vos commentaires, si vous en avez. » Si je me souviens bien, il n’y a pas eu de sensibilisation dans la région touchée par le projet de loi, et je pense qu’il devrait y en avoir parce que nous sommes en démocratie. L’avant-projet de loi devrait donc s’adresser à la population pour qu’elle puisse y participer comme il se doit.
Le sénateur Patterson : Qu’en est-il du transfert des responsabilités ou de la disposition de non-dérogation? Cela vous rassure-t-il?
M. Smith : Je dirais que ce n’est pas aussi important que ça devrait l’être à l’heure actuelle. Le document dont vous parlez date de cinq ans et il prévoit aussi que les négociations devraient débuter 60 jours après sa signature. Jusqu’à maintenant, on nous a fait part de l’intention d’entamer des négociations, mais, en réalité, aucune consultation ou négociation n’a encore été entreprise.
La sénatrice Bovey : Merci beaucoup d’être parmi nous. Je comprends bien ce que vous avez dit. J’ai quelques points sur lesquels j’aimerais obtenir des éclaircissements, si vous le voulez bien. Le premier concerne la consultation. À l’étape de l’étude en comité à la Chambre des communes, M. Tootoo et M. McLeod ont proposé une modification visant à renforcer les droits des peuples autochtones qui pourraient être touchés par le projet de loi C-55. Cette modification de l’article 5 du projet de loi portait sur le pouvoir discrétionnaire du ministre de désigner une ZPM par décret. La modification de MM. Tootoo et McLeod a été acceptée. Je la cite : « La création d’une telle ZPM provisoire se fait à la discrétion du ministre, d’une manière qui n’est pas incompatible avec quelque accord sur des revendications territoriales mis en vigueur et ratifié ou déclaré valide par une loi fédérale. ».
Pouvez-vous commenter cette modification? Est-ce qu’elle apaise certaines des préoccupations qui ont été exprimées plus tôt, puisque la modification en question fait partie du projet de loi?
M. Smith : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Je pense qu’elle contribue en partie à alléger le processus ou à atténuer les préoccupations, mais elle ne va pas assez loin en ce qui concerne la nécessité de travailler ensemble. Comment pourrais-je le dire autrement? Nous avons tenté de travailler avec les deux personnes que vous avez nommées pour bien libeller cette modification, mais il me semble qu’elle ne va toujours pas assez loin dans l’expression de son objet.
La sénatrice Bovey : Si vous me le permettez, j’aimerais poser une question de suivi, puis une autre question. Je pense qu’il y a deux étapes différentes, le projet de loi lui-même, puis le règlement et la mise en œuvre. Est-ce le projet de loi qui vous préoccupe ou est-ce plutôt la réglementation et la mise en œuvre qui vont suivre?
M. Smith : Je pense que ce sont les deux à la fois parce que l’objet du projet de loi et la façon dont il sera réalisé auront un effet. À mon avis, la rédaction d’un projet de loi devrait refléter les diverses décisions rendues par les tribunaux au fil des ans. Sinon, nous nous engagerons dans la même voie que ce projet de loi annonce, du fait qu’il va à l’encontre de décisions rendues par des tribunaux de divers niveaux et de la façon dont elles devraient être appliquées. L’un dit qu’on est censé les appliquer de telle façon et les incorporer dans tel processus, l’autre dit qu’il faut continuer comme on a toujours fait, même s’il a été démontré devant les tribunaux que cette façon de faire ne fonctionne pas.
La sénatrice Bovey : Puis-je passer à un autre aspect? Vous avez parlé d’écodiversité. Je suis on ne peut plus d’accord avec vous au sujet du caractère vulnérable et unique des zones en question. Sauf erreur, il existe une entente sur les répercussions pour les Inuits. Pourriez-vous nous parler de cette entente et de son incidence à cet égard?
M. Smith : Une fois de plus, merci de votre question, madame la sénatrice. Si je comprends bien, l’avantage dont vous parlez concerne la région du sénateur Patterson. Ce n’est pas du tout dans ma région. Nous n’avons aucune entente sur les répercussions et les avantages avec quelque partie que ce soit, gouvernement compris. Voilà pourquoi j’ai expliqué dans ma déclaration que les ressources prévues en ce moment pour la recherche et la gestion dans ces deux zones de protection marines protégées sont insuffisantes.
Le sénateur Patterson : Puis-je essayer d’éclairer le comité?
Madame la sénatrice Bovey, une nouvelle zone de protection marine est actuellement en voie de création dans la région de Baffin, au Nunavut, et l’association régionale, l’Association inuite Qikiqtani, est en train de négocier avec le gouvernement fédéral une entente sur les répercussions et les avantages, comme le prévoit l’accord sur les revendications territoriales des Inuits. On me dit que le montant prévu pourrait atteindre, voire dépasser, les 200 millions de dollars pour des infrastructures maritimes et d’autres avantages importants. La zone en question se situerait dans le détroit de Lancaster. Je donne cette information pour préciser ce à quoi il est fait allusion ici.
Le sénateur Christmas : Merci. Agréable de vous retrouver, monsieur Smith.
Je voudrais poursuivre sur la même lancée que la sénatrice Bovey. Vous avez dit que l’amendement proposé aux Communes ne va pas assez loin. Votre société serait-elle disposée à proposer un libellé ou un amendement propre à dissiper totalement vos préoccupations?
Je vous laisse le temps d’y réfléchir. J’ai l’impression que votre organisation réclame le droit de donner ou de refuser son consentement pour l’établissement de zones de protection marines dans votre région. J’avance simplement cette idée, mais je voudrais connaître votre point de vue. Quelle amélioration faudrait-il apporter au projet de loi pour qu’il tienne compte entièrement de vos préoccupations?
M. Smith : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Content de vous revoir également.
La question n’est pas facile. Je ne réclame aucun droit de veto de quelque nature à ce propos, mais il me semble que notre traité moderne a mis en place, pour nous et pour les gouvernements, une certaine marche à suivre. Je propose donc d’avoir recours à ce processus pour voir s’il y a lieu de créer dans ma région une ou plusieurs zones de protection marines. Le traité prévoit déjà différents dispositifs d’évaluation des répercussions positives et négatives dans notre région. Nous avons un processus de cogestion qui porte sur l’étude des répercussions environnementales ainsi que le Bureau d’examen des répercussions environnementales. Dans un cas comme dans l’autre, les Inuvialuit et le gouvernement fédéral sont représentés aux différents niveaux d’évaluation des activités envisagées dans la région.
Je ne peux proposer aucun libellé pour l’instant, mais nous serions sans doute disposés à en présenter un qui puisse indiquer comment répondre aux besoins des deux parties. Il s’agirait probablement d’en revenir au traité moderne que nous avons déjà, car il s’agit d’un dispositif éprouvé qui nous sert bien depuis 35 ans.
Le sénateur Christmas : Seriez-vous d’accord pour qu’on intègre au projet de loi C-55 les dispositions de la Convention définitive des Inuvialuit qui portent sur ces processus?
M. Smith : Je le crois. Certains sénateurs ici présents connaissent bien les processus relatifs aux revendications territoriales des Inuits. Comme je l’ai dit, notre territoire représente 38 p. 100 du Nord du Canada, 38 p. 100 de la masse terrestre du pays et 50 p. 100 de son littoral. Il est donc utile que nous collaborions.
Si je me reporte aux autres traités sur des revendications territoriales des Inuits à propos de cet enjeu, c’est que le contenu de chacun n’est pas très différent, pour ce qui est de la nécessité de collaborer, et nos processus respectifs à appliquer à l’égard de ces questions sont assez semblables.
Le sénateur Christmas : Si je peux me permettre de changer un peu de sujet, je dirai que j’ai été intéressé par vos observations sur les deux ZPM qui existent dans votre région. Vous avez dit avoir reçu une aide financière pour ces deux zones, mais j’ai eu l’impression que vous n’aviez pas obtenu toute l’aide nécessaire pour ces zones.
Pourriez-vous préciser le montant de l’aide financière accordée pour ces deux zones? Combien manque-t-il? Combien faut-il accorder de plus?
M. Smith : Encore une fois, merci de vos questions, monsieur le sénateur. Il n’y a aucun engagement de 200 millions de dollars ni rien qui soit de cet ordre. Une des ZPM reçoit le montant incroyable de 40 000 $ de Pêches et Océans pour mener des recherches. Nous avons dû faire des démarches auprès du ministère pour obtenir plus de fonds de recherche. Pour l’heure, nous en sommes à 200 000 $, mais il ne s’est pas engagé à maintenir ce montant après le 1er avril.
Voilà pourquoi nous hésitons et répugnons parfois à traiter avec le gouvernement fédéral à propos de ce genre de question. Il jette de la poudre aux yeux au lieu de prendre des engagements durables ou de réaliser du concret à long terme. On dirait parfois qu’il veut créer ces grandes zones en profitant de nos régions, étant donné qu’elles sont assez éloignées et que les Canadiens n’y font pas beaucoup attention, et il s’agit de très vastes entités géographiques.
Vous posez une question sur l’offre de ressources suffisantes, notamment pour recueillir et documenter le savoir autochtone sur ces zones. Les lacunes sont immenses. Il nous faut un engagement réel. Si vous proposez des projets de loi tels que celui-ci, il y a lieu de se demander quelle est la valeur de ces mesures, quels en sont les avantages pour ceux qui sont touchés. Qu’est-ce que cela leur donne?
Le sénateur Patterson : Bravo!
Le sénateur Christmas : C’est très déconcertant. De toute évidence, le Canada a reconnu la grande valeur de ces deux zones, avec leurs écosystèmes et leurs espèces uniques, et il est très important de les protéger. Pourtant, lorsqu’il s’agit de débloquer des ressources financières pour s’en occuper, elles ne sont pas dignes de la valeur que les Canadiens ont attachée à ces zones. Merci beaucoup, monsieur Smith, je vous sais gré de vos observations.
Le président : Madame la sénatrice Bovey, voulez-vous donner suite à une question que le sénateur Christmas a posée?
La sénatrice Bovey : Je me contenterai d’intervenir au deuxième tour.
Le président : Monsieur Smith, si vous voulez proposer une recommandation ou un amendement, je vous invite à le faire le plus tôt possible pour que le comité puisse en discuter. Vous aurez l’obligeance de les remettre à la greffière du comité.
M. Smith : Merci, monsieur le président. Je me permets d’ajouter quelque chose à l’intention du sénateur Christmas. Pour vous donner une idée, j’ai dit que la superficie de la mer de Beaufort et de l’océan Arctique est de 600 000 ou 700 000 kilomètres carrés. À l’heure actuelle, le MPO a un seul navire sur place pour évaluer les stocks. Autant dire que c’est une aiguille dans une botte de foin et qu’il est impossible de faire une évaluation correcte de cette manière.
J’insiste constamment sur l’importance de la présence du Canada dans le Nord, car nous y voyons de plus en plus de navires de recherche chinois et coréens. Cela donne une idée de l’importance de notre collaboration, non seulement pour la recherche canadienne, mais aussi pour la souveraineté du Canada.
Le président : Très intéressant. Monsieur le sénateur Munson?
Le sénateur Munson : J’allais aborder cette question. Merci de l’avoir soulevée. Vous avez apporté des précisions sur l’amendement. Alors, que font ces navires là-haut? Quel est l’objet des recherches de ces pays étrangers? Ils cherchent une nouvelle voie pour franchir le passage du Nord-Ouest? Quelle est la nature de leurs recherches? Où en sont-ils, d’après vous?
M. Smith : L’an dernier, le Canada a autorisé la Chine à emprunter le passage du Nord-Ouest. Les Chinois ont dit qu’il s’agissait de faire des recherches. Une fois rendus à l’autre bout, ils ont dit qu’ils avaient établi la carte d’une route de navigation à leurs propres fins. Le Canada devrait s’en inquiéter, car d’autres pays, comme des pays européens et les États-Unis, prétendent qu’il s’agit de voies navigables internationales, que c’est un couloir de navigation. En réalité, la glace recule si rapidement dans la région polaire que cette route sera l’option privilégiée.
Les types de recherche qu’on réalise sont nombreux. La Chine vient d’achever son deuxième brise-glace de recherche. Il lui a fallu moins de deux ans. La Corée va très bientôt terminer la construction de son deuxième brise-glace. Et nous, nous discutons depuis 12 ans de la construction du nôtre. C’est la réalité. La Chine a rédigé son livre bleu qui porte sur une partie de sa stratégie des nouvelles routes de la soie. Cela comprend le passage du Nord-Ouest et les activités qui s’y rapportent. Mais elle mène ces activités de recherche en faisant appel au Conseil de l’Arctique et à d’autres entités. Il lui arrive de collaborer avec divers pays de l’Arctique pour mener ces activités de recherche. Parfois, chacun agit de son côté, indépendamment.
Le sénateur Munson : Je suis coprésident du Groupe interparlementaire Canada-Japon. Je sais que le Japon a également de nouveaux intérêts dans cette région. Vous devez vous sentir seul, tant du côté du gouvernement du Canada que face aux pays étrangers.
M. Smith : Eh bien, nous habitons là-bas et nous voyons ce qui se passe. Nous travaillons avec Transports Canada, la Garde côtière et Pêches et Océans pour repérer les couloirs de navigation. Ma prochaine réunion sera consacrée à l’élaboration d’un programme pilote de surveillance des navires qui traversent la région. Il y a beaucoup de navires de plaisance qui ne font l’objet d’aucune surveillance et nous sommes préoccupés par les risques de perturbation des écosystèmes et des sites culturels fragiles.
Le sénateur Munson : Est-ce à cela que vous avez fait allusion tout à l’heure dans votre témoignage lorsque vous avez parlé des répercussions négatives? C’est à cela que vous songiez?
M. Smith : Cela en fait partie.
Le sénateur Munson : Quoi d’autre?
M. Smith : Le fait qu’un processus soit mis en place sans que nous puissions collaborer de façon satisfaisante à son élaboration et qu’on nous coupe l’herbe sous le pied, si je peux dire, en ce qui concerne les retombées économiques. Nous ne faisons pas d’évaluation complète des avantages et des inconvénients des processus que nous envisageons. Prenons l’exemple du parc national sur la terre ferme. Le but visé est la protection d’une espèce donnée. Si les changements climatiques en ont chassé cette espèce, ce parc a-t-il encore sa raison d’être?
Il en va de même pour nos ZPM dans l’Arctique. Nous avons besoin de fonds suffisants pour exercer une surveillance et réaliser des recherches sur ces zones et ainsi nous assurer qu’elles atteignent leurs objectifs. La glace recule si rapidement que nous n’avons plus de glace fondante en été, de sorte qu’une partie de l’écosystème change et que certains de ses éléments ne survivent pas. En même temps, d’autres espèces s’implantent. Comment cela influence-t-il l’écosystème qui était là au départ? Nous essayons de maintenir une certaine pérennité.
Le sénateur Munson : C’est pourquoi votre amendement est important. J’ai du mal à croire qu’en 2019, ce soit toujours le même paternalisme. On pense mieux connaître que vous qui vivez sur le territoire les effets de ces zones de protection marines.
M. Smith : Cela nous ramène à la signature du traité sur nos revendications territoriales. Le traité disposait que les deux parties devaient élaborer un processus de cogestion, mais les scientifiques du gouvernement fédéral ont dit : « Nous allons gérer et vous allez coopérer. » C’était leur conception de la cogestion. Nous avons fait beaucoup de chemin en 35 ans. Les deux parties discutent pour arriver à un consensus et connaissent maintenant leur mandat. Mais vous avez raison dans ce cas-ci. C’est ainsi que le projet de loi se présente : « C’est nous qui savons ce qu’il y a de mieux, et nous allons mettre ces zones en place avec ou sans vous ». Nous recueillerons l’information plus tard, au lieu de le faire tout de suite pour être en mesure de prendre des décisions éclairées.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup.
Le sénateur McInnis : Merci, monsieur Smith, d’être parmi nous. La discussion est passionnante.
Vous avez réussi à créer deux ZPM, de concert avec le gouvernement fédéral, en travaillant ensemble. On nous dit que l’une des principales raisons de ce projet de loi est de faire augmenter plus rapidement le nombre de ZPM afin d’atteindre le taux de 10 p. 100 que notre gouvernement a accepté à l’échelle internationale. Le processus du système actuel ou précédent demande plus de temps. S’il faut plus de temps, c’est parce qu’il y a des consultations.
Dans ce cas-ci, il n’y a pas de discussion avec les premiers ministres provinciaux ou les dirigeants territoriaux. Il est possible d’imposer une ZPM. C’est ce qu’on appelle une zone d’intérêt. Cette empreinte est là et elle est gelée. Les consultations ne commencent qu’après, semble-t-il. D’après mon expérience au comité qui est en place dans ma région, en Nouvelle-Écosse, ce n’est pas un comité de consultation, mais de mise en œuvre. Voilà ce qui existe.
Lorsque des amendements ont été présentés au comité de la Chambre des communes, la difficulté résidait dans l’application ou non de la notion d’obligation. L’amendement aurait dû prévoir une obligation.
On présente donc un projet de loi pour atteindre ces 10 p. 100. C’est de cela qu’il s’agit. Je ne peux pas voir qui connaîtrait mieux votre région que ceux qui y habitent et la gouvernent. Certainement, personne à Ottawa, et certainement pas le MPO, sauf son respect. Il y a là d’excellents professionnels, compétents, mais on n’arrive jamais à rien quand une partie impose ses vues. La charge de la preuve est inversée. On impose une zone, quitte à ce que l’autre partie prouve que cette zone n’a pas lieu d’être. Ce n’est pas ainsi qu’un gouvernement devrait fonctionner. Voilà pourquoi le projet de loi, à mon avis, est totalement fallacieux. Il n’est pas nécessaire. Il aurait fallu le resserrer. Il aurait fallu se demander pourquoi il fallait des délais de 7 à 10 ans dans les régimes existants. Pourquoi fallait-il autant de temps?
Pour ma part, je ne comprends tout simplement pas ce projet de loi, et il me semble qu’il a causé beaucoup de consternation, d’anxiété, qu’il a dressé les gens, au niveau local, les uns contre les autres dans ma région. C’est inacceptable. Il ne faudrait jamais légiférer sans consulter.
Qu’en pensez-vous? Pourquoi ne pourrions-nous pas poursuivre les efforts de collaboration que vous avez déployés pour implanter vos deux ZPM précédentes?
M. Smith : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Aux termes du traité, je le répète, les deux parties ont une obligation de mise en œuvre. Ce processus existe, et c’est un autre processus dont le projet de loi ne tient aucun compte, à mon avis.
Je suis d’accord avec vous. Nous avons un processus que nous avons établi et qui a bien marché deux fois. Pourquoi ne pas continuer d’y recourir, ainsi qu’aux outils prévus dans le traité, pour évaluer d’autres sites, de façon que tout le monde y gagne, au lieu, comme le sénateur Munson l’a souligné, de nous imposer ce choix sans un dialogue sérieux et satisfaisant entre les parties. Je suis on ne peut plus d’accord avec vous.
Le sénateur McInnis : Merci. Je pourrais poursuivre. Je ne veux pas me répéter, mais je me demande simplement si, au Canada, nous en sommes arrivés à un point où une seule partie peut imposer ses vues. Elle fait une proposition, et il faut l’accepter. C’est fondamentalement inadmissible. Ce n’est pas de la démocratie, et nous ne devrions pas nous comporter de la sorte. Merci d’avoir accepté de comparaître.
M. Smith : Merci.
Le président : Merci, monsieur le sénateur McInnis. Passons au deuxième tour. Ce sera d’abord le vice-président.
Le sénateur Gold : Merci encore, monsieur Smith, mais je ne distingue pas très bien l’enjeu central. Je comprends toutes les préoccupations que vous soulevez et nous allons les prendre au sérieux. Mais j’ai du mal à concilier ce que nous avons entendu, ce que j’ai lu dans le projet de loi, ce que nous avons entendu de la part d’autres témoins et certaines choses qui ont été dites ici même. Je fais peut-être fausse route, mais je voudrais y voir clair.
Il me semble d’abord qu’il s’agit ici de modifications qui seraient apportées à la Loi sur les océans pour permettre l’établissement de ZPM provisoires. Il y a tout un processus qui ne change pas; on ne fait qu’y ajouter des éléments. Pour ce qui est de ce processus, comme pour les autres, il faut respecter les droits ancestraux et les ententes sur les revendications territoriales. Il ne me semble pas évident qu’on puisse reprocher une action unilatérale au gouvernement à l’égard de ce processus et du cadre constitutionnel à respecter. Mais je me trompe peut-être. Voilà donc une première chose.
D’après ce que nous comprenons du processus présenté dans le projet de loi et décrit par le gouvernement, il est vrai que le gouvernement et Pêches et Océans pourraient, unilatéralement, si je peux utiliser ce terme, désigner des zones, à tort ou à raison, et peut-être sans l’avantage, qu’il devrait avoir, de la consultation de la base. C’est ce que nous ont dit de nombreux témoins. Je suis tout à fait d’accord.
Ensuite, les pouvoirs publics disent qu’ils pensent devoir explorer tel secteur, mais ce qu’ils nous disent, c’est qu’à ce moment-là — bien avant que le ministre ne prenne la décision de désigner une zone de protection provisoire —, il y aurait des consultations auprès des parties et collectivités intéressées et qu’on tirerait parti des connaissances locales et autochtones et de la participation nécessaire des collectivités, qu’il s’agisse de pêcheurs ou d’autres personnes qui habitent le territoire et y gagnent leur vie, car ils savent mieux que quiconque ce qui se passe chez eux.
Je n’arrive pas à concilier certains des qualificatifs employés à ce sujet et ce que nous avons entendu. Évidemment, je vous invite à donner votre point de vue une fois que j’aurai terminé mon assez longue intervention.
Enfin, on nous a également dit qu’en ce qui concerne l’établissement d’une ZPM provisoire, il y a un gel de l’empreinte. Je sais que nous avons entendu des préoccupations au sujet des pêches par rotation. À l’autre endroit, vous et d’autres avez exprimé des préoccupations au sujet du blocage du niveau d’activité et de l’interdiction de toute expansion de l’activité. Les fonctionnaires nous ont appris hier que ce sont les catégories d’activités qui ont été bloquées, et non pas le volume ni les quotas.
Si j’ai bien compris, un processus est envisagé. La Constitution l’exige et les processus de règlement des revendications territoriales sont en place de sorte que, lorsqu’une zone est désignée, il y a des consultations avant la mise en place d’une ZPM provisoire. Si elle est mise en place, ce n’est pas nécessairement le cas, du moins dans certaines catégories d’activités qui tiennent compte des activités en cours dans cette collectivité, qu’il s’agisse de pêche ou d’autres activités du genre, ce qui pourrait inclure l’exploration pétrolière et gazière également, en attendant la conclusion des consultations, de la recherche, et cetera. Où est-ce que je me trompe?
M. Smith : Eh bien, tout d’abord, un moratoire nous a été imposé.
Le sénateur Gold : Cela faisait-il partie des ZPM provisoires?
M. Smith : Je pense que c’est l’intention, mais encore une fois, c’est imposé. Il ne s’agit pas de déterminer pourquoi un moratoire devrait être mis en place dans une zone pour laquelle vous avez déjà délivré des permis d’exploration.
Je suis d’avis que si nous n’avons pas suffisamment de données scientifiques, qu’il s’agisse de connaissances occidentales ou traditionnelles, alors nous devrions travailler ensemble pour élaborer et fournir des ressources adéquates en vue de mettre en œuvre un plan de recherche pour recueillir ces données en conjonction avec les autres activités en cours. C’est le processus que nous avons déjà. C’est établi et le gouvernement fédéral, dans ce cas-ci, néglige ses responsabilités et ses obligations en vertu du présent traité.
Le sénateur Gold : Je comprends ce que vous dites, monsieur Smith, mais je reviens à ma question. D’après ce que je comprends, cela ne découle pas des dispositions du projet de loi dont nous sommes saisis. En fait, le projet de loi C-55 et les modifications qu’il apporterait à la Loi sur les océans relativement à la protection provisoire n’envisageraient pas ce genre de moratoire unilatéral en attendant la tenue de consultations. Nous avons devant nous un processus par lequel le ministre pourrait recommander une ZPM provisoire.
Je ne conteste pas du tout les lacunes des processus. Je me concentre peut-être trop sur le projet de loi dont nous sommes saisis et j’essaie de comprendre comment il fonctionne et comment il vous toucherait, vous et votre collectivité.
M. Smith : J’essaie de comprendre où vous voulez en venir, mais je crois comprendre que le problème est le pouvoir discrétionnaire dont dispose le ministre pour imposer ces mesures. Comme vous l’avez également dit, une fois qu’une zone est désignée, qui désigne cela? Comment s’y prend-on pour faire cette distinction dans la désignation d’une zone?
Si je me souviens bien, vous avez dit que le ministre « pourrait ». C’est trop discrétionnaire en ce qui concerne les obligations du Canada en matière de consultation en bonne et due forme avec nous-mêmes, qui sommes la partie touchée.
Deuxièmement, il y a des effets de gel dans notre région. Dans notre cas, nous avions des entreprises qui avaient des permis d’exploration et cela leur a été imposé. Cela ne rassure aucunement la région. L’industrie devrait investir dans l’exploration, mais on lui a imposé un moratoire. Ces gens sont donc partis. D’après ce que je comprends, le Canada a remboursé leurs dépôts, ce qui ne leur apporte aucun réconfort pour l’avenir, une fois le moratoire levé, parce qu’il s’est fait très peu de chose au bout des cinq années. Cela veut-il dire que, comme nous n’avons pas d’information ou de données, le Canada maintiendra le moratoire?
Nous avons des réserves prouvées, à tout le moins neuf mille milliards de pieds cubes de gaz et de grandes quantités de pétrole. Mais il y a absence d’investissements de l’industrie et de stimulation de l’économie à cause du moratoire. Je sais que le pétrole est sale maintenant, mais nous cherchons à exploiter le gaz que nous avons, tant sur la terre qu’en mer. Seulement, lorsque les processus gouvernementaux sont causes d’incertitude, cela bloque toute potentialité de développement. C’est ce qui nous préoccupe le plus : l’incertitude et le pouvoir discrétionnaire du ministre d’imposer ces mesures. Nous avons besoin de clarté quant à la façon dont ces zones désignées seraient considérées.
Encore une fois, en vertu du présent traité, il incombe au comité mixte de gestion de la pêche d’évaluer les sites éventuels afin qu’ils puissent nous faire, à nous ainsi qu’aux différents gouvernements, des recommandations d’experts.
Le sénateur Gold : Merci beaucoup, monsieur Smith.
La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. Je tiens à vous féliciter pour le nombre de questions que vous avez soulevées. Et si je peux me permettre, le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique tente, en fait, de régler certains des problèmes que vous avez mentionnés au sujet de la sécurité. Je comprends très bien ce que vous dites au sujet des Chinois et des Russes et je vous prie de ne pas penser que le reste d’entre nous ne se préoccupe pas autant de ces questions. Je prends à cœur ce que vous avez dit et nous allons faire part de votre témoignage à l’autre comité également, si c’est possible.
Avec ces désignations provisoires, je relève, comme le sénateur Gold, quelques contradictions dans ce que nous avons entendu au cours des derniers jours. Il m’est apparu très clairement, lors de la discussion que j’ai eue hier avec les fonctionnaires du ministre et du ministère, que tous les traités et accords existants sont bien en place. Ils l’emportent sur ces mécanismes, et l’inverse n’est pas vrai. Je pense que cela a été très clair tout au long du processus. Si je me trompe quant à l’avenir, dites-le-moi.
L’autre chose que vous avez mentionnée, ce sont les stocks de poissons qui changent en raison des changements climatiques, et je sais que le Centre de recherche sur l’Arctique a commencé ses travaux, mais qu’il n’est peut-être pas encore officiellement ouvert. Je crois comprendre qu’on travaille, comme vous le dites, avec les connaissances scientifiques occidentales et autochtones. Hier, lorsque j’ai interrogé le personnel du ministère au sujet de la signification des preuves scientifiques, j’ai demandé s’il s’agissait seulement des chercheurs scientifiques du MPO ou s’il s’agissait de la recherche qui se fait dans les universités, du savoir autochtone, et de cette plus grande cache, si je peux dire, de preuves. On m’a assuré que c’était tout ce qui précède. Si je me trompe, où est-ce que je me trompe?
M. Smith : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Je ne dirais pas que vous avez tort. Personne ne se trompe quand il est question de mettre en œuvre des recherches, parce que toute donnée recueillie est utile. Je pense qu’il faut comprendre comment les priorités en matière de recherches sont établies dans notre région. Comme je l’ai dit, le comité mixte de gestion de la pêche consulte fréquemment les collectivités. Il détermine ses priorités d’après l’avis des collectivités et il les intègre à ses recommandations, recommandations qu’il renvoie ensuite aux collectivités pour voir s’il a visé juste.
Dans certains domaines, il y a des programmes de recherche à long terme pour surveiller différentes espèces. Mais les ressources nécessaires pour élaborer un programme de surveillance communautaire uniforme font défaut. Il est important que les ZPM actuelles disposent de ressources adéquates pour surveiller leur mise en œuvre.
La deuxième ZPM est censée faire l’objet d’un examen périodique tous les cinq ans, mais je ne crois pas qu’il y aura suffisamment de ressources pour faire cette évaluation. Par ailleurs, nous savons que certaines espèces de poissons se sont installées dans la région qu’elles occupent désormais. Nous avons maintenant du saumon qui remonte la rivière. Nous n’avons jamais eu de saumon dans cette région. Du saumon kéta périodiquement, mais nous commençons à voir différentes espèces, ce qui pourrait être un problème pour certains, parce que, s’ils ne voient pas d’inconvénient à avoir du saumon, ils se plaignent que celui-ci s’empare de l’habitat de différentes espèces comme l’omble.
La sénatrice Bovey : Permettez-moi d’enchaîner. Je comprends ce que vous dites et je suis certainement d’accord pour dire qu’il faut des ressources pour poursuivre la surveillance. L’été dernier, j’ai été vraiment encouragée lors de mon passage à bord du navire de recherche scientifique Amundsen, bien que nous ayons navigué dans la baie d’Hudson. Notre comité sur l’Arctique s’est rendu au centre de recherche de Cambridge Bay et j’espère que la recherche entreprise par ce nouveau centre fera appel au savoir autochtone inuit, comme c’est le cas pour le travail de David Barber sur l’Arctique de l’Est. Je pense qu’il est très important que vous proposiez l’amendement que vous jugez nécessaire, et le comité prendra note de la question des ressources.
M. Smith : Si vous me le permettez, en ce qui concerne les installations de Cambridge Bay, elles ont leur propre programme qu’elles sont en train de mettre en œuvre, et nous, les quatre régions inuites, avons proposé un comité consultatif inuit sur la façon d’élaborer le programme de recherche autochtone, mais cette proposition a été rejetée. Nous avons donc déjà un problème en ce qui concerne la façon dont le supposé centre de recherche spécialisé du Canada aborde ses affaires dans l’Arctique. Cela nous préoccupe donc déjà.
La sénatrice Bovey : Permettez-moi de conclure. Permettez-moi de dire qu’étant donné que le président du comité est ici et que je suis vice-présidente du comité sur l’Arctique, nous commençons à peine à parler de l’aspect recherche scientifique de notre travail et je pense qu’il serait vraiment utile que vous comparaissiez devant ce comité et que nous puissions faire un suivi sur certaines de ces questions qui ne relèvent pas du projet de loi C-55. Je comprends que tout cela est lié, mais en dehors des détails du projet de loi C-55 et du mandat de ce comité spécial, il faut tenter de définir les questions clés que nous devons examiner tous ensemble.
Le président : Il nous reste environ sept minutes, et nous avons les sénateurs Patterson et McInnis. Vous pouvez vous répartir ce temps.
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.
Monsieur Smith, le gisement de gaz naturel sur lequel la ville d’Inuvik comptait pour ses besoins en électricité et en chauffage est épuisé. Vous avez neuf mille milliards de pieds cubes de gaz extracôtier que vous voulez exploiter et une route qui mène à Tuktoyaktuk qui pourrait vous aider à exploiter ces ressources extracôtières.
Dans les années 1980, le père de Justin Trudeau et le ministre de l’Énergie, Marc Lalonde, ont mis en œuvre le Programme énergétique national qui incitait des entreprises comme Dome Petroleum à forer dans la mer de Beaufort. On y a foré 500 puits sans incident.
Vous êtes un jeune homme, alors vous n’étiez peut-être pas là à l’époque bénie des années 1980, quand ces activités se déroulaient dans la mer de Beaufort. Mais je pense que c’est la raison pour laquelle la revendication territoriale a été réglée avec les Inuvialuit, à cause de cette activité pétrolière et gazière extracôtière. Vos entreprises et vos membres inuvialuits ont-ils profité de cette activité extracôtière? Ont-ils eu des retombées positives?
Deuxièmement, pourriez-vous parler un peu de vos activités traditionnelles sur l’océan, particulièrement en ce qui concerne la chasse à la baleine et la pêche? De nouvelles espèces arrivent dans le Nord. Pensez-vous qu’il pourrait y avoir une pêche en développement dans vos eaux? Merci.
M. Smith : Je vous remercie de votre question, sénateur. La plupart des travaux d’exploration ont été effectués dans les années 1970, dans le cadre du Programme énergétique national, et se sont terminés au début des années 1980. J’étais là, à la fin de ces travaux, pour nettoyer les îles artificielles qui avaient été créées. Les neuf mille milliards de pieds cubes de gaz, juste pour apporter cette correction, se trouvent sur terre. Cela faisait partie du projet gazier de la vallée du Mackenzie que différentes parties ont tenté d’élaborer, y compris l’Aboriginal Pipeline Group. Il y a également diverses réserves connues de gaz et de pétrole au large des côtes. Il y a donc beaucoup de ressources naturelles dans la région qui n’ont pas été exploitées.
Le gisement de gaz qui alimente actuellement ma collectivité est sur le point de disparaître, même s’il continue de nous alimenter. Encore une fois, il n’y a pas de stratégie pour mettre en valeur ces ressources. L’une des régions autochtones veut être proactive avec le gouvernement et l’industrie pour les exploiter, mais personne ne prête attention. Géographiquement, nous sommes plus près de l’Asie que de la Colombie-Britannique, c’est un autre fait que l’on perd de vue.
J’essaie de me souvenir de votre deuxième question également.
Le sénateur Patterson : Vos activités traditionnelles.
M. Smith : Eh bien, c’est la raison pour laquelle, dans ma déclaration préliminaire, je vous ai invité à venir voir la culture. Elle fait partie de l’identité canadienne. Nous avons un lieu historique national qui est négligé. Quand je dis « négligé », c’est qu’il n’a pas été suffisamment reconnu, mais c’est dans notre traité. C’est en réponse à ce que nous avons fait pour contribuer à l’identité canadienne au fil du temps.
Le sénateur Patterson : Qu’en est-il de la chasse à la baleine?
M. Smith : Nous faisons beaucoup de chasse à la baleine, mais il y en a plus encore qui meurent de causes naturelles. Nous prélevons environ 1 p. 100 de la population chaque année, mais nos communautés s’étendent des côtes du Yukon jusqu’à Ulukhaktok, à l’extrémité orientale de notre région. Je parle d’un rayon d’environ 1 000 kilomètres de nos communautés, où les gens, pendant l’été, amènent leur famille et vivent sur les côtes jusqu’au début des classes, à l’automne. Là, ils récoltent et mènent leurs activités traditionnelles tout au long de cette période. À tout moment, jusqu’à 1 000 personnes s’installent dans ces camps pour y vivre. Cela fait partie intégrante de notre culture, de notre alimentation, de notre sécurité alimentaire et de notre identité, de ce que nous sommes comme peuple. Je ne peux pas dire les choses plus simplement, mais c’est une partie importante de ce que nous sommes.
Le sénateur Patterson : Merci.
Le sénateur McInnis : J’ai entendu mes amis d’en face. Je ne vais pas argumenter, encore moins débattre. Permettez-moi de vous donner quelques exemples.
Nous avons deux ZPM au large des côtes de la Nouvelle-Écosse. Ces ZPM ont été mises en place par le gouvernement qui est venu en faire la demande à la province de la Nouvelle-Écosse et en a discuté avec elle. C’était vraiment un effort de collaboration. Ce n’est pas ce qui se passe ici. Il y a un sentiment d’urgence. Le ministre précédent l’a dit. Je crois même avoir entendu cela des témoins. Cela prend trop de temps. Il faut sept, huit, neuf ans pour mettre cela en place.
Que se passe-t-il maintenant? Il y a une désignation et dans un délai de cinq ans, si on s’entend là-dessus, cela devient un règlement. Le décret est donc présenté au conseil exécutif et il est mis en place. Il y a urgence. Cela ne fait aucun doute. Ils ne tiennent pas compte des consultations et c’est une partie du problème.
Alors qu’ici, dans le système actuel, il y a un effort de collaboration. Je l’ai vécu, je le vois tous les jours. En fait, je ne peux pas être ici cet après-midi, j’ai une réunion ce soir sur cette question. Je reste le plus objectif possible. Mais ils sont vraiment très préoccupés par cet effort visant à accélérer les choses pour atteindre une zone de 2 100 kilomètres de notre littoral.
Le problème c’est que les décisions changent quand les gouvernements changent. L’interdiction de pêcher peut être décrétée pour certaines zones même s’il ne s’agit pas de ZPM, et cela bien qu’elles constituent le garde-manger de toutes ces collectivités côtières. Voilà le problème.
D’après mon expérience antérieure au gouvernement provincial, je n’ai jamais vu de cas d’application d’un interdit de pêche sans consultation, mais c’est ce qui se passe ici. C’est ce que j’entends dire par M. Smith dans sa collectivité.
Le président : Vous aviez une question?
Le sénateur McInnis : Non, mais un commentaire. J’ai appris cela du sénateur Gold. Frappez du maillet!
Le président : Merci beaucoup, chers collègues.
Je vous remercie de cette excellente discussion et de vos commentaires, monsieur Smith. Comme je l’ai mentionné plus tôt, si vous souhaitez proposer un amendement au projet de loi C-55, nous vous demandons de le faire parvenir à notre greffière le plus tôt possible afin que nous puissions en discuter et en débattre avant d’aller de l’avant.
M. Smith : Désolé de vous interrompre. Aux fins du compte rendu, je ne crois pas que nous soyons en désaccord avec l’objectif du projet de loi, mais il s’agit de savoir comment nous allons arriver au bout de cette voie ensemble pour que ce soit avantageux pour toutes les parties concernées. Comment pouvons-nous nous y prendre pour que le libellé reflète les processus appropriés ainsi que ce que nous voulons tous les deux réaliser dans ce cas-ci? Merci.
Le président : Merci, monsieur Smith, vous avez eu le dernier mot.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons par vidéoconférence Bob Gloade, chef, secrétariat du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique. Bienvenue. Je ne sais pas qui d’autre vous accompagne, mais si vous voulez vous présenter, vous et les autres, je crois comprendre que vous avez une déclaration préliminaire à faire. Ensuite, nous passerons aux questions des sénateurs. La parole est à vous, chef.
Bob Gloade, chef, secrétariat du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique : Bonjour. Je suis accompagné de John G. Paul. Il est le directeur général du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique. À ma gauche se trouve Mitch Downton, coordonnateur régional des changements climatiques au Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique.
Bonjour. Tout d’abord, je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de m’adresser au Sénat. Je ne sais pas si le sénateur Dan Christmas ou le sénateur Brian Francis sont là avec vous, mais si c’est le cas, je les salue également. C’est un honneur d’avoir au Sénat deux sénateurs micmacs qui représentent notre peuple de l’Atlantique. Je vous en remercie.
Je suis le chef Bob Gloade de la Première nation de Millbrook. Je suis l’un des coprésidents du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique. Comme je l’ai mentionné, je suis accompagné aujourd’hui de John G. Paul, directeur général du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique. Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de nous adresser au comité sénatorial permanent chargé d’étudier le projet de loi C-55 à titre de représentants des chefs des Premières Nations membres du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique, ici dans la région de l’Atlantique.
Le secrétariat du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique a été constitué en vertu d’une loi fédérale en 1995 à titre de secrétariat des politiques et de la recherche pour 30 chefs micmacs, malécites, passamaquoddys et innus du Canada atlantique. Nous sommes régis par les chefs ici, et le conseil d’administration est composé des chefs de chacune des collectivités respectives.
À titre de coprésidents du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique, nous tenons à souligner l’importance de la participation précoce et continue des peuples autochtones pendant l’élaboration et la mise en œuvre de lois, de règlements et de politiques qui peuvent avoir une incidence sur les droits et les titres ancestraux.
Nous croyons comprendre que le projet de loi clarifiera les responsabilités du ministre des Pêches et des Océans quant à l’établissement d’un réseau national de zones de protection marines. Nous recommandons que le comité de conseil national sur les normes concernant les aires marines protégées se dote d’un processus propre aux Autochtones afin de veiller à ce que leurs droits et leurs intérêts protégés par la Constitution s’y retrouvent en bonne mesure. Il ne peut y avoir de perspective unique qui représente les points de vue de tous les peuples autochtones du Canada. Par conséquent, le Canada devrait adopter une approche qui soit représentative des processus et de la gouvernance autochtones actuels.
Le projet de loi C-55 habilitera le ministre à désigner des zones de protection marines afin d’interdire certaines activités dans ces zones. Toute activité ayant une incidence sur les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones aura de graves répercussions sur la pêche autochtone. Nous nous attendons à ce que la pêche autochtone ne soit pas perturbée ou déplacée en raison de ce projet de loi. Par conséquent, nous nous attendons à ce que cette loi et les règlements et politiques subséquents n’interdisent pas la pêche autochtone et fondée sur des droits.
La modification à la Loi sur les océans permettra de mettre à jour et de renforcer les pouvoirs des agents de l’autorité et doit laisser place à la gouvernance et à la compétence autochtones. La désignation de zone de protection marine, ou ZPM, exige des mesures de surveillance et d’application de la loi conformément au plan de gestion. Les peuples autochtones doivent être les chefs de file de la surveillance et de l’application des règlements dans les ZPM situées sur leurs territoires traditionnels.
Je vais maintenant céder la parole à John G. Paul, qui fera d’autres commentaires.
John G. Paul, directeur général, secrétariat du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique : Merci. Je tiens à vous transmettre les regrets de notre coprésidente, la chef Shelley Sabattis d’Oromocto, qui ne peut pas participer à la séance d’aujourd’hui. Je vais donc la remplacer.
Je tiens à remercier le comité d’avoir permis au chef Gloade et à moi-même de présenter un mémoire sur le projet de loi. Nous croyons vraiment que la Loi sur les océans est une occasion pour nous d’affirmer notre compétence et notre souveraineté sur les eaux canadiennes dans le Canada atlantique. Les peuples autochtones doivent participer directement, en qualité de partenaires, à l’élaboration des lois, des règlements et des décisions stratégiques subséquentes qui régissent ces zones. La Loi sur les océans permet actuellement au ministre des Pêches et des Océans de conclure une entente avec une personne ou un organisme qui exerce les pouvoirs et les fonctions qui lui sont conférés par la loi. Ce vaste pouvoir permet à un ministre de conclure des ententes avec les peuples autochtones pour la cogestion et l’exécution de certaines fonctions en vertu de la Loi sur les océans. Nous croyons que c’est d’une importance cruciale et nous devons donc avoir l’occasion d’aller de l’avant dans l’esprit et dans l’intention de la réconciliation afin de développer et de gérer conjointement ces zones de protection marines.
Un principe clé de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, est que les États doivent obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones avant de mettre en œuvre des mesures législatives et administratives susceptibles de les toucher.
Par conséquent, afin que les principes de la DNUDPA se reflètent dans les dispositions de la loi, la loi devrait être modifiée pour assurer la reconnaissance, le respect et l’application autonome des lois autochtones sur les eaux dans nos territoires traditionnels, particulièrement lorsque les lois autochtones offrent des protections environnementales plus importantes que celles prévues dans la loi. Une telle modification mettrait en œuvre l’autodétermination et assurerait une meilleure protection de l’environnement océanique. Cela favoriserait une relation de nation à nation entre les peuples autochtones et l’ensemble des Canadiens.
Le Canada a l’occasion de mettre en œuvre la DNUDPA et de fournir les conditions politiques nécessaires pour que le Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique et nos communautés puissent apporter des changements efficaces et durables aux lois, à la gouvernance et à l’infrastructure institutionnelle de nos collectivités du Canada atlantique. Merci.
Le président : Merci. Nous allons commencer notre discussion en donnant la parole à notre vice-président, qui posera la première question à ce groupe de témoins.
Le sénateur Gold : Merci, monsieur le président. Bonjour, et merci d’être parmi nous.
Vous avez soulevé beaucoup de questions dans votre déclaration préliminaire, alors je pourrais peut-être commencer par vous demander de nous aider à comprendre ce qui suit. Dans une certaine mesure, il semble que vous ayez des suggestions d’amendements au projet de loi C-55 à proposer, et si c’est le cas, je vous encourage à envoyer un texte à ce sujet, si vous en avez un, à la greffière du comité afin que nous puissions en tenir compte dans nos délibérations.
De façon plus générale, ma question porte sur les enjeux que vous soulevez. Combien découlent de la loi elle-même, du projet de loi C-55? Dans quelle mesure portent-ils sur la façon dont des règlements pourraient être rédigés si une ZPM provisoire était établie? Quelles sont vos préoccupations plus générales en ce qui concerne le processus, que ce soit le processus menant à la désignation d’une zone d’intérêt ou le processus menant à la décision d’établir ou non une ZPM provisoire ou autre? Pourriez-vous nous aider à comprendre un peu quels points précis vous préoccupent, afin que nous puissions mieux y réfléchir?
M. Paul : Je suppose que la chose la plus importante, c’est notre participation au processus dès le départ, de façon à permettre que nos points de vue soient présentés le plus tôt possible, dès le moment où les ZPM sont envisagées. Nous essayons de nous assurer, comme tout le monde, que les lois et les règlements subséquents enchâssent nos valeurs dans le processus. Nous voulons que ce processus soit le nôtre tout autant que celui du Canada. Nous voulons voir quels en seront les effets sur la protection de tout ce que nous essayons tous de protéger pour les générations futures. Notre réflexion porte sur notre participation précoce et elle a eu lieu. Il y a eu beaucoup de discussions.
Pour ce qui est du libellé de l’amendement, nous allons collaborer avec nos collègues de l’Assemblée des Premières Nations pour trouver quelque chose qui pourrait être utile quant à certains enjeux. Le plus important est de faire comprendre à tous qu’il s’agit d’un processus tout à fait inclusif, car il aura une incidence sur une chose qui touche directement nos droits. Nous devons avoir l’occasion d’exprimer notre point de vue tout au long du processus.
En ce qui concerne les accords dont il est question dans le processus — ces accords qui ont fini par être mis en place avant, pendant et après — ils ont vraiment une incidence sur la façon dont ces ZPM seront établies, évolueront et fonctionneront à l’avenir. Nous tenons à nous assurer que tout cela soit durable. Toutefois, nous comprenons aussi que vous devez examiner comment cela est lié à tout ce qui se passe dans ces domaines. De notre point de vue, c’est tout à fait compréhensible. Nous voulons vraiment nous assurer que nos systèmes de connaissances autochtones soient intégrés à ces processus pour garantir que tout ce qui ressortira soit clair : nous voulons que nos Micmacs à l’avenir comprennent clairement comment et pourquoi nous avons été inclus dans le processus, comment nos valeurs ont été intégrées dans le processus, depuis la loi jusqu’aux règlements et, en fait, dans la politique elle-même. Si nous arrivions à réaliser cela, ce serait une importante avancée.
Le sénateur Gold : Merci.
Le sénateur Christmas : Merci, messieurs, de vos observations d’aujourd’hui.
Chef Gloade, vous avez parlé dans votre exposé de l’importance des pêches autochtones au Canada atlantique. Dans vos remarques, vous avez pris bien soin de souligner que les ZPM ne devraient pas nuire aux pêches autochtones.
Pourriez-vous expliquer au comité à quel point les pêches autochtones sont importantes pour le Canada atlantique et peut-être expliquer un peu plus clairement pourquoi nos comités sont si inquiets que les ZPM nuisent à notre pêche?
M. Gloade : Merci. C’est une excellente occasion de vous parler également.
Ici, dans le Canada atlantique, la pêche est très importante pour toutes les communautés des Premières Nations, et ce, pour de multiples raisons, qu’il s’agisse de son incidence économique, de son utilisation traditionnelle et pratique, ou de sa consommation quotidienne. La pêche occupe une place importante dans la vie de toutes les communautés des Premières Nations du Canada atlantique. Elle offre aux membres des Premières Nations un accès à de la nourriture, à une vie sociale et à des activités rituelles, en plus d’offrir des débouchés économiques à nos pêcheurs commerciaux. Elle touche la vie de tous les membres des communautés des Premières Nations, depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte.
Toute mesure législative qui toucherait les eaux de nos territoires de pêche aurait une incidence considérable. Il faut bien comprendre que toute mesure législative concernant l’environnement, notre zone marine, notre aire de pêche ou l’usage que nous en faisons traditionnellement aura des répercussions importantes sur nos communautés des Premières Nations. Chacune de nos communautés prend son rôle de gardien de la terre, de protecteur des eaux, des habitats et de l’environnement très au sérieux, alors il faut que cela soit pris en compte.
Lorsqu’on examine les projets de loi qui ont été présentés, même certains projets de loi antérieurs visant à lever les mesures de protection sur les différents plans d’eau du Canada, on constate qu’ils ont eu des répercussions importantes ici, dans le Canada atlantique, et qu’ils ont soulevé de graves préoccupations en raison des industries et des autres intervenants. Cela a eu un impact sur l’habitat du poisson dans les zones en question.
Nous avons vu les stocks de certaines espèces de poisson s’effondrer dans diverses régions. Regardez les zones situées le long de la baie de Fundy, où l’on pêche le bar rayé. Les représentants de l’industrie nous disaient qu’il y aurait un barrage temporaire qui n’aurait aucune incidence sur les stocks de poisson dans cette région, mais ce barrage temporaire est en place depuis 50 ans. Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais cela a causé la disparition du bar rayé de certaines rivières dans cette zone de pêche. Aujourd’hui, il y a une grande rivière ici, en Nouvelle-Écosse, où les gens ont accès au bar rayé. Il a fallu beaucoup de temps pour que les stocks de poisson se reconstituent.
C’est pareil dans le cas du saumon, plusieurs rivières sont fermées. Nos communautés ne sont pas autorisées à pêcher dans certaines zones. Cela a des répercussions importantes, car les familles ne peuvent plus pêcher le saumon pour nourrir leur famille.
Des industries se sont installées près de notre collectivité. Je pense à Sheet Harbour et à Beaver Dam, où il y a une mine d’or qui causera des impacts environnementaux qui toucheront les rivières, la pêche, la chasse et les zones traditionnelles du peuple micmac. On ne tient pas compte de leur utilisation traditionnelle des ressources et des répercussions que cela aura sur leurs familles. Des centaines de personnes dépendent de cette aire pour se nourrir et chasser. C’est une zone de première importance pour leur alimentation.
L’industrie et la réglementation posent problème. On accorde des permis et cela a des répercussions importantes sur l’environnement et l’usage traditionnel, car lorsque les Premières Nations entreprennent des études sur l’utilisation traditionnelle dans certaines zones particulières, elles constatent que beaucoup d’information n’a pas été prise en compte.
Le projet de stockage de gaz naturel Alton en est un exemple. Dans cette région, on recensait plus de 1 500 utilisations traditionnelles d’une rivière par des gens des Premières Nations. Une seule espèce a été prise en considération. Alors malgré les quelque 1 500 utilisations traditionnelles identifiées, la loi et le gouvernement n’ont reconnu qu’une seule espèce. Donc, à mesure que les projets progresseront, ils auront un impact important sur ces régions et sur nos collectivités respectives.
Lorsque des mesures législatives sont présentées et que notre communauté entend parler de leurs répercussions et des changements qu’elles pourraient amener, cela a des effets néfastes sur elle, sur le droit des membres des Premières Nations à la terre et à l’eau et sur le territoire en tant que tel. Il s’agit donc d’un impact important. Il faut inclure les Premières Nations dans toute loi qui a une incidence sur leur environnement : l’eau, la terre et l’air doivent être pris en compte.
En ce qui concerne la surveillance, les Premières Nations doivent pouvoir participer au processus de surveillance et avoir la capacité et le pouvoir de mettre fin à un projet si elles constatent qu’il aura un effet néfaste.
Dans le but de faire progresser la réconciliation, les gouvernements et les Premières Nations pourraient collaborer et s’assurer de travailler main dans la main. C’est cela, la réconciliation : veiller à ce que tous participent au processus et à ce que les choses soient faites selon des normes avec lesquelles les membres des Premières Nations et le gouvernement se sentent à l’aise.
Le sénateur Christmas : Compte tenu de l’ampleur de la pêche pratiquée par les Micmacs et les Malécites dans l’Atlantique, chef Gloade ou monsieur Paul, pouvez-vous décrire votre relation avec le ministère des Pêches et des Océans en ce qui concerne l’établissement de ZPM? Je sais que nous avons quelques ZPM dans l’Atlantique. Je me demande si le Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique a collaboré avec le MPO pour établir la surveillance ou faire appliquer la loi dans ces secteurs. Pour ce qui est des ZPM futures envisagées, le MPO a-t-il consulté le Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique sur ces nouvelles zones également?
M. Paul : Oui, dans une certaine mesure. Ils participent surtout aux différentes tables de négociation des droits dans la région parce que celles-ci ont une incidence directe sur leurs droits. Je pense qu’avec les ZPM, ils ont collaboré à la divulgation de ce qu’ils prévoient faire.
La préoccupation qui revient constamment dans la discussion, c’est le rythme auquel cela sera instauré et l’assurance que les enjeux que nous soulevons seront intégrés à la surveillance de ces processus. À moins que nos valeurs et nos connaissances autochtones soient intégrées dans le processus de mise en œuvre et, par la suite, dans l’effort de surveillance à long terme du processus, il nous sera très difficile d’expliquer aux communautés comment et si nous avons participé. Si quelque chose venait à se produire, ils nous demanderaient pourquoi nous n’avons pas pris d’autres mesures pour atténuer les répercussions du processus sur les droits ou les moyens de subsistance de la communauté.
Comme vous le savez, la pêche constitue une partie importante de l’identité des peuples micmac, malécite et passamaquoddy. Selon la vision du monde autochtone, l’océan donne généreusement, mais nous devons le lui rendre en le protégeant, non seulement parce que l’ONU ou qui que soit d’autre le stipule, mais pour qu’il soit viable pour les six ou sept générations à venir. Les préoccupations dont nous faisons état au sujet de notre participation sont importantes. Il faut veiller à ce que, dans tous les cas, dans chacune de ces ZPM, le MPO s’engage pleinement, le plus tôt possible et tout au long du processus, à inclure les connaissances et la voix des Autochtones. Ce savoir et cette voix autochtones font en sorte de protéger nos droits, essentiellement. C’est ce que nous voulons. Nous voulons que nos droits soient protégés dans 100 ou 200 ans, quand les ZPM seront encore là et nous espérons qu’il y aura encore du poisson dans 200 ans.
Je sais que cela fait partie de l’objectif, car nous croyons — et vous le savez — que nous devons faire notre part pour protéger les espèces dans l’océan. Nous croyons, tout comme le gouvernement, qu’en créant ces zones, nous nous assurons que nos droits ne seront pas lésés. Mais nous voulons aussi nous assurer qu’ils soient protégés à long terme et que des mécanismes appropriés soient intégrés de sorte que les Autochtones puissent exercer leur rôle de surveillance et que cette fonction fasse partie intégrante des processus de surveillance.
Le concept de planification spatiale et les nouvelles technologies appliquées à l’océan vont exiger un effort de compréhension important de la part des communautés, afin qu’elles puissent les utiliser et les intégrer à leurs connaissances propres, conformes à notre système de connaissances autochtone. Peu importe comment ces zones seront gérées, il faudra que leur protection totale y soit intégrée dans l’intérêt de tous.
Le sénateur Christmas : Merci.
Le sénateur Munson : Je voulais simplement apporter une précision. Chef, vous avez parlé de la capacité de faire cesser quelque chose. Qu’entendez-vous par là? Le ministre a le droit de mettre fin aux projets. Quel droit voulez-vous avoir pour faire cesser quelque chose?
M. Gloade : Je vais vous donner l’exemple d’un projet auquel j’ai participé. Par exemple, en ce qui concerne le projet de stockage de gaz naturel Alton, l’une des choses que nous avons mentionnées au cours de la consultation et de notre processus de mobilisation, c’est la capacité — si, par exemple, nos surveillants prélèvent des échantillons le long de la rivière, il y a des exigences que le promoteur doit respecter conformément au processus de contrôle du niveau de salinité des eaux. Si un certain niveau est atteint, cela nuira aux poissons de cette rivière. Je ne parle que d’une espèce, mais il y en a d’autres.
Par exemple, au cours du processus, lorsqu’on commence à déverser de la saumure salée dans la rivière, s’il y a du poisson, le contrôleur pourra aller voir le promoteur et lui dire : « Vous devez cesser immédiatement ceci » et ne pas avoir à passer par toutes sortes de formalités administratives pour le faire. Personnellement, je sais dans quel immeuble se trouve le commutateur pour fermer ce système. Je dois donc pouvoir entrer dans ce bâtiment et le fermer pour ne pas causer plus de dommages à la rivière et aux espèces. Les surveillants doivent être en mesure d’avoir cette liberté, sachant que si une situation survient et qu’un événement se produit, ils peuvent prendre un téléphone et dire à quelqu’un : « Vous devez arrêter ce que vous faites » afin que nous puissions nous assurer que la zone marine et aquatique soit protégée contre tout dommage futur.
Même s’il y a un déversement, quelqu’un doit être en mesure de prendre le téléphone et de dire : « Vous devez communiquer avec quelqu’un pour vous assurer qu’on vienne s’occuper du secteur immédiatement. » Les surveillants doivent avoir la liberté de donner des directives lorsqu’ils observent des choses qui pourraient avoir un effet négatif sur la zone en question.
Le sénateur Munson : Cela figurerait-il dans le projet de loi ou cela fait-il partie du règlement?
M. Gloade : Cela pourrait se trouver dans le règlement, mais pour ce qui est du projet de loi, il serait rassurant, lors du processus de consultation, de savoir que les surveillants auront ce niveau de pouvoir. Si ce n’est pas dans la loi, ce pourrait être quelque chose qui y sera — ce sont les instructions que j’ai, et il n’est pas fait mention de ce pouvoir.
C’est frustrant pour un membre de la communauté qui participe aux négociations, car il faut avoir ce niveau d’autorité et d’assurance pour veiller à ce que le nécessaire soit fait. La loi serait le meilleur endroit où inscrire ce pouvoir, à condition qu’il ne soit pas enterré sous toutes sortes de formalités et des centaines de documents dans le règlement lui-même et la stipulation. Il faut que ce soit clairement stipulé.
Le sénateur Munson : C’est logique. Je m’adresse au monsieur à votre gauche. Nous avons eu des discussions ici, au cours des deux derniers jours, au sujet du climat.
Avez-vous quelque chose à apporter au débat de ce matin qui pourrait nous aider dans nos délibérations sur ce projet de loi?
Mitch Downton, personnel de soutien, Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs Secretariat : Pas pour l’instant, non.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup.
Le sénateur McInnis : Merci. C’est un plaisir de vous voir, messieurs. Chef Gloade, je suis heureux de vous revoir par vidéoconférence.
Je tiens simplement à dire, en m’écartant un peu du sujet, que nous comprenons votre préoccupation à l’égard des rivières, surtout en ce qui concerne le saumon de l’Atlantique. Comme vous le savez, beaucoup d’efforts ont été déployés à l’égard de la rivière West, à Sheet Harbour, sur le plan du chaulage automatique. Il est bon de voir le PH revenir à 5,2 au lieu de 3,9, ce qui était essentiellement acide. Votre participation a donc été très positive.
Quels contacts avez-vous eus au sujet de la ZPM proposée pour la baie des Îles?
M. Gloade : Malheureusement, je n’y ai pas encore participé.
Le sénateur McInnis : Est-ce que Millbrook y a participé? Avez-vous été consultés? Faites-vous partie du comité qui a été mis sur pied?
M. Gloade : Il faudrait que je vérifie auprès de deux membres de mon équipe de consultation. Ils siègent à un certain nombre de comités différents dans le cadre de la consultation initiale. Ils me rendent compte tous les mois, ainsi qu’à mon conseil, des activités des comités qu’ils représentent. Il faudrait que je vérifie auprès d’eux à mon retour au bureau.
Le sénateur McInnis : On dit parfois aux politiciens qu’il ne faut pas poser la question à moins de connaître la réponse. Je crois connaître la réponse.
M. Gloade : Je dirais que la réponse serait probablement « non », mais il faudrait que je vérifie s’ils ont participé à ce processus. Je vais participer à une réunion de consultation avec mon équipe le 21. À 16 heures, le 21, je pourrai vous donner une meilleure réponse. Si vous m’envoyez un texto ou un courriel, je pourrai vous donner une meilleure réponse.
Le sénateur McInnis : Comme vous le savez, j’aimerais aborder une autre question avec vous, alors nous en parlerons bientôt.
Vous avez émis des inquiétudes au sujet du rythme du processus. Pourriez-vous préciser votre pensée?
M. Gloade : Oui, le processus semble prendre énormément de temps. La participation et la consultation avancent et reculent, et c’est ce qui est frustrant. L’adoption d’une loi prend toujours beaucoup de temps. J’ai eu une réunion de consultation, récemment, à propos d’un autre projet de loi qui va être déposé au sujet des changements climatiques. Comme le temps presse, ces possibilités sont importantes.
Je ne me limite pas à un ou deux dossiers. Selon nos derniers calculs, je crois qu’ici, dans la région de l’Atlantique, avec mon équipe de consultation, je m’occupe de 330 dossiers de consultation, sans compter les activités quotidiennes, plus tout le développement commercial et économique de chaque organisation à laquelle je participe.
J’ai donc beaucoup de pain sur la planche, mais pour ce qui est de la participation et de la consultation, comme je l’ai dit, nous avons une petite équipe qui s’en occupe quotidiennement. Je participe à ces processus, mais cela exige parfois beaucoup de temps. À titre d’exemple, ici, au niveau de l’APC, quand nous avons eu les consultations au sujet de la Loi sur les élections au sein de premières nations, combien d’années cela a-t-il duré, John?
M. Paul : Trois ans.
M. Gloade : Trois ans. C’était donc terminé...
M. Paul : Il s’agissait d’un processus mené par les Premières Nations, et il a duré plus de trois ans.
M. Gloade : Et c’était une chose, par exemple — c’est important pour la participation des peuples des Premières Nations à n’importe lequel de ces processus. Il s’agit d’un projet de loi qui, du point de vue de l’APC et des Premières Nations, a une incidence importante sur la façon dont la législation influera, à l’avenir, sur les droits des peuples des Premières Nations. Ce n’est qu’un exemple, pour ce qui est de notre avenir. Pour ce qui est de la participation de notre organisation, du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique, en ce qui concerne la législation et l’importance de la participation, c’est la meilleure occasion qui s’offre à nous de participer à ce processus et d’y jouer un rôle.
Nous avons du personnel qui travaille avec les communautés des Premières Nations, parce que vous ne pourrez pas vous-mêmes rejoindre rapidement 30 communautés des Premières Nations du Canada atlantique, et encore moins 633 communautés des Premières Nations partout au Canada. Le Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique étant un organisme de défense et de promotion des droits, il est important que tous les ordres de gouvernement s’engagent à le consulter pour toute mesure législative qui touche les Premières Nations de la région de l’Atlantique. Notre équipe est en mesure de participer activement aux discussions entre le gouvernement des Premières Nations et le gouvernement provincial ou fédéral.
Le sénateur McInnis : Merci. Il ne fait aucun doute que vous travaillez sur plusieurs dossiers. Il suffit de traverser le comté de Colchester pour aller voir l’activité au mégacentre. Ce complexe a un succès phénoménal. Merci beaucoup, mais je vais bientôt vous contacter pour vous parler d’une autre question, chef Gloade, si vous me le permettez.
M. Gloade : Vous savez comment me rejoindre. Envoyez-moi un courriel ou un texto.
Le sénateur McInnis : Je sais que vous êtes très occupé, mais je n’ai jamais de difficulté à vous rejoindre sur votre portable.
M. Gloade : Non, je l’ai sur moi 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Je m’en suis séparé momentanément pour pouvoir participer à cette conversation.
Le sénateur McInnis : C’est un plaisir de vous voir.
M. Gloade : Pour moi aussi.
La sénatrice Busson : Tout d’abord, j’aimerais vous remercier d’avoir pris le temps aujourd’hui de nous faire part de votre point de vue et de vos préoccupations au sujet des ZPM, particulièrement dans votre région.
Je crois que le sénateur Christmas a lu un peu dans mes pensées, parce que je voulais me concentrer sur l’un des commentaires que vous avez faits dans votre déclaration à savoir que les Autochtones doivent prendre en main la surveillance et l’application des ZPM dans leurs territoires traditionnels. Je suis tout à fait d’accord sur ce point. Je voulais vous demander — et vous en avez parlé un peu lorsque vous avez répondu à la question du sénateur Christmas — dans quelle mesure avez-vous eu l’occasion de participer à la surveillance et à l’application des ZPM?
Je crois vous avoir entendu dire que vous êtes d’accord avec les objectifs, mais vous offre-t-on la possibilité de participer activement à l’atteinte de ces objectifs?
M. Gloade : Pas encore. Le processus est toujours en cours, et c’est donc relativement nouveau. C’est une chose à laquelle nous devons participer plus activement. Je vais laisser John vous en dire plus.
M. Paul : L’une des choses qui revêtent une importance cruciale, du point de vue des Autochtones, c’est que nous devons renforcer notre capacité pour nous assurer de pouvoir apporter une participation efficace, et obtenir un résultat que nos collectivités pourront constater. Mais je pense que l’essentiel est de renforcer nos connaissances, notre expertise et notre capacité de travailler en collaboration avec le MPO et d’autres pour veiller à ce que les connaissances autochtones soient intégrées dans les processus, les mécanismes et la méthodologie de surveillance.
Je m’inquiète toujours lorsqu’on voit les choses sous un seul angle. Le fait d’examiner la question sous un angle différent ou dans la perspective des Autochtones aidera à faire en sorte que ces mesures ou la surveillance des zones de protection marine donnent de bons résultats à long terme. Nous essayons de nous assurer d’y participer. Le processus n’a pas suffisamment renforcé notre capacité pour nous permettre d’y participer pleinement. Je pense que cela doit être établi, soit dans la loi, soit dans le processus de réglementation et les ententes dont il est question dans le cadre de ce projet de loi, pour faire en sorte que les Autochtones aient leur mot à dire avant, pendant et après.
C’est très important pour les zones en question. Elles ont été désignées en raison de leur nature particulière. Leur importance particulière a été déterminée pour une raison bien précise.
Nous croyons donc toujours que si quelque chose a une importance particulière du point de vue autochtone, vous devez assurer le respect, le processus et la surveillance appropriés de manière à en assurer la longévité et la protection. Parfois, le processus passe à côté, et il faut donc que les Autochtones participent au début ou à la conception préalable du processus, et que la capacité autochtone soit renforcée, car c’est la seule façon d’assurer un véritable partenariat de collaboration pour la surveillance des ZPM pendant de nombreuses années.
Je préférerais voir une perspective selon laquelle un Autochtone et un scientifique s’entendraient sur la façon de surveiller chaque ZPM. Ce serait le scénario parfait. Dans notre région, en particulier, les espèces qui traversent les différentes ZPM ont une grande importance pour nos communautés, qu’il s’agisse du saumon ou d’une autre espèce qui fréquente l’une de ces ZPM. Si quelque chose se produit dans la ZPM, cela a un impact sur nous.
Les opinions scientifiques non autochtones doivent être plus respectueuses des façons autochtones d’envisager les choses, et nous devons trouver la meilleure façon de faire en sorte que les connaissances exclusives liées aux connaissances autochtones ne sont pas non plus érodées.
Comme je l’ai dit, le scénario parfait est le suivant : un Autochtone et un scientifique s’entendent sur le processus et la mesure de la surveillance pour s’assurer que ces zones seront protégées dans l’intérêt de tous.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup.
La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. C’était très instructif et j’apprécie vraiment les points de vue que vous avez présentés. Je trouve merveilleux que tout le monde semble être sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la viabilité à long terme, la reddition de comptes à long terme, non seulement pour les gens d’aujourd’hui, mais pour les générations futures. Je crois que vous avez soulevé d’excellents arguments et, pour ma part, j’y souscris entièrement. Vous avez parlé d’une participation précoce au processus, de la relation entre la science et le savoir autochtone et d’une formule à trouver pour concilier ces deux points de vue. Je suis certaine que parfois, ils seront exactement les mêmes et que parfois, ils seront différents.
À propos des ZPM provisoires, nous avons parlé de droits, ce projet de loi porte sur le processus et les droits sont déjà enchâssés. Ma question porte donc sur le paragraphe 39.25(2), qui porte sur l’accès — je crois que cela renvoie, chef, à ce que vous avez dit au sujet de l’actionnement d’un commutateur. Il est dit que l’agent de l’autorité, ou une autre personne autorisée par ce dernier, peut entrer ou avoir accès à tout lieu et peut prendre toute mesure raisonnable. Ma question est la suivante : ce libellé répond-il à vos préoccupations ou doit-il être modifié? Suite à certains des commentaires que vous avez faits, si tout le monde travaille à l’atteinte du même objectif, y a-t-il d’autres dispositions du projet de loi où le libellé doit être amélioré ou clarifié? J’aimerais savoir ce qu’il faut faire pour répondre à vos préoccupations concernant la participation précoce, les valeurs, le savoir autochtone et la durabilité à long terme.
M. Gloade : La participation précoce est très importante. De plus, pour ce qui est de la surveillance, il faut que ce soit les peuples des Premières Nations qui s’en chargent. Cette capacité est une chose que nous envisageons pour l’avenir. John a parlé tout à l’heure du renforcement des capacités des membres des communautés des Premières Nations qui assurent la surveillance. Nous avons des surveillants pour diverses choses, et nous travaillons là-dessus pour accroître les capacités. Donc, peu importe le niveau de compétences qu’ils doivent acquérir pour pouvoir prendre une décision éclairée dans n’importe quel secteur, ce sera une bonne décision. Cette capacité doit être en place. C’est une chose que nous devons faire également, pour nous assurer que nos surveillants sont pleinement formés et équipés et qu’ils sachent quels sont leurs pouvoirs — ce qu’ils peuvent faire. Il faut que les représentants du gouvernement et les agents de l’autorité reconnaissent également leur niveau de pouvoir, de sorte que cela soit pris en considération et qu’on ne se heurte pas à un refus. Parce que souvent, quand on s’adresse à quelqu’un pour poser une question, on se fait répondre : « Oh, ce n’est pas moi qui décide. Je ne peux pas répondre à cette question. » Personnellement, comme je n’ai pas de salaire, je peux répondre à n’importe quelle question que vous me poserez.
M. Paul : Je suppose que les règles à cet égard nous ramènent à l’idée qu’il faut des protecteurs autochtones des océans. Qu’il s’agisse d’Autochtones ou non, ils devraient être désignés comme tels parce qu’ils sont liés à l’obligation de protéger la zone. Je pense que ce serait quelque chose de différent que l’on n’a jamais envisagé de cette façon, c’est-à-dire le rattachement d’un protecteur autochtone à une certaine zone. Je sais qu’il y a des aires distinctes et des processus distincts, mais en réfléchissant à haute voix, je me dis que l’application de la loi n’est peut-être qu’un dernier recours. Je pense qu’il faut trouver un moyen d’avoir un protecteur autochtone dans ces secteurs. Cela soulignerait que la protection des zones en question revient en priorité aux peuples autochtones. S’il s’agit d’un processus auquel participent des Autochtones, cela pourrait aussi fonctionner. Mais je crois que le fait d’avoir un protecteur autochtone pourrait changer la nature de la relation entre les gens qui ont l’obligation de protéger ces zones. C’est juste une idée.
La sénatrice Bovey : C’est une idée qui me semble intéressante et je tiens à vous en remercier. Encore une fois, j’aimerais revenir sur ce que le sénateur Gold a dit plus tôt. Si vous faites des recommandations, veuillez nous les communiquer. Merci.
M. Paul : D’accord.
Le sénateur Gold : Parlons de l’approche du « gel de l’empreinte ». Dans le mémoire que vous avez présenté au Comité permanent des pêches et des océans, vous avez mentionné que l’approche du « gel de l’empreinte », qui fait partie du processus provisoire des ZPM, pourrait avoir une incidence négative sur les droits ancestraux et issus de traités.
Tout d’abord, quels changements, le cas échéant, apporteriez-vous à l’approche du « gel de l’empreinte » pour qu’elle soit conforme aux droits existants? Je vais peut-être poser une question subsidiaire pour m’assurer que nous comprenons bien la situation, mais commençons par cela.
M. Paul : Eh bien, je pense que l’une des choses sur lesquelles nous mettons l’accent, c’est l’intégration de la perspective autochtone dans ces processus. Je pense que, quelle que soit l’empreinte créée, il faut intégrer les valeurs autochtones ou la perspective autochtone. C’est la raison pour laquelle nous avons dit que, si l’empreinte est gelée à un moment donné — disons aujourd’hui, la semaine prochaine, l’année prochaine ou peu importe la date — tout le monde, tant les scientifiques que les scientifiques autochtones, comprendra très bien les paramètres de ce gel et connaîtra parfaitement tous les éléments pris en considération. C’est comme geler quelque chose dans le temps. Si vous choisissez le mauvais moment, comme si la semaine prochaine vous deviez être heurté par un autobus, vous voulez choisir l’heure avant de vous faire frapper par l’autobus. En ce qui concerne les océans, ils ont évolué au fil des siècles. Je pense que lorsque vous choisissez l’empreinte ou le moment où vous allez examiner une zone, vous devez tenir compte à la fois du passé et de l’avenir. Pensez aux utilisations futures possibles de l’aire en question ou aux autres choses qui pourraient avoir une incidence sur nos droits, parce que nos droits existent depuis toujours. Cette façon de voir les choses vise à s’assurer que la décision prise tient compte de la perspective autochtone.
Le sénateur Gold : Je vous en remercie. Pour la gouverne des gens qui nous écoutent et pour m’assurer que j’ai bien compris également — ce qui est peut-être le plus grand défi —, mais si je comprends bien, lorsqu’une ZPM provisoire est établie, elle « gèle l’empreinte », ce qui signifie qu’elle gèle les activités qui avaient lieu dans cette zone et ne permet pas de nouvelles activités, en attendant les prochaines étapes du processus. Des témoins nous ont dit que c’était problématique dans un certain nombre de cas. Qu’arrive-t-il s’il s’agit d’une pêche par rotation qui n’a pas lieu chaque année et que cette période de 12 mois est peut-être trop courte?
Les fonctionnaires nous ont dit qu’une fois qu’une activité est autorisée, s’il s’agit d’une pêche particulière qui, pour une raison ou une autre, n’a lieu que tous les deux ou trois ans, elle peut continuer même si elle n’a pas eu lieu au cours des 12 années précédentes. Mais des préoccupations ont également été exprimées au sujet des besoins croissants d’une collectivité qui grandit et qui a besoin d’un meilleur accès au poisson dans une zone donnée. Certains se demandent ce qu’il adviendra de l’expansion naturelle des collectivités et, par conséquent, des besoins de récolte si l’empreinte est gelée à un moment donné.
Hier, MM. Morel et MacDonald, du ministère, nous ont indiqué que le gel porte sur l’activité et non pas sur le quota ou la quantité. Ainsi, si la pêche au homard ou au saumon est permise, un gel ne modifie pas la quantité qui peut être pêchée ou prélevée d’un lac. Je veux m’assurer d’avoir bien compris. C’est une question distincte de celle du processus que vous avez bien mis en lumière. Je veux être sûr que nous partageons la même compréhension des conséquences que pourrait avoir le gel de l’empreinte sur vos communautés.
M. Paul : Je suis d’accord, mais il pourrait y avoir un examen, réalisé après un certain nombre d’années, visant à déterminer que, depuis 2018, cette zone océanique a changé à un point tel qu’il faut maintenant ajouter ou soustraire une activité.
La loi doit prendre en considération la nature changeante de l’océan, lequel n’est pas resté immuable depuis les temps immémoriaux. Pour cela, il doit y avoir un mécanisme, que ce soit dans la loi ou dans la réglementation, pour qu’une mise à jour ait lieu tous les trois ans environ. Je pose souvent la question suivante : « Êtes-vous absolument certains que la décision que vous prenez aujourd’hui restera inébranlable au cours des 300 prochaines années? » Vous ne savez pas quelle sera la situation dans 200 ou 300 ans. Il faut prévoir un mécanisme dans le règlement et dans le processus pour tenir compte de cela.
Le sénateur Gold : J’aimerais poser une autre brève question, si vous me le permettez. C’est au sujet des aires protégées autochtones. Dans le mémoire que vous avez présenté, vous appuyez la mise en place d’aires protégées autochtones. Hier, un membre du comité a posé cette question aux fonctionnaires du ministère. Ceux-ci ont répondu que, bien que de telles aires ne soient pas prévues ou mentionnées dans la loi, le ministère pourrait travailler avec la communauté autochtone qui déclare une telle chose pour voir si les critères sont remplis, selon ce qu’il en est.
Est-ce que vous ou vos communautés faites des efforts en ce sens? Selon vous, quelle est la place d’une telle démarche dans la protection et la durabilité de l’environnement dans son ensemble?
M. Paul : Selon moi, il s’agit d’un élément important. Les gouvernements ont déjà renforcé leur capacité à accomplir beaucoup de choses de ce genre; le défi, pour nous, est de renforcer notre propre capacité à cet égard. Ce serait une bonne chose si vous autorisiez une telle démarche, mais vous devez nous permettre d’y contribuer au moyen de nos propres processus.
Si vous créez des aires protégées autochtones, vous devez indiquer quelle serait la différence entre une aire protégée autochtone et une zone de protection marine. Y aurait-il chevauchement? Ces aires tomberaient-elles sous le coup de la loi ou s’y intégreraient-elles d’une façon ou d’une autre? Voilà qui doit être défini. En fait, ces considérations peuvent être énoncées dans le règlement.
Le sénateur Gold : Merci beaucoup.
Le sénateur Munson : En conclusion, tout se tient. Vous vous appelez John G. Paul et non pas John Paul.
Dans votre déclaration, vous parlez d’un principe clé de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA. Voilà qui est intéressant. Justement, chaque jour, au Sénat, nous recevons un grand nombre de courriels nous exhortant à adopter le projet de loi C-262. Après trois lectures à la Chambre, le projet en est à la deuxième lecture au Sénat. Cette mesure législative établit un cadre pour la justice et la réconciliation.
Le fait que vous ayez évoqué cela dans le contexte de la Loi sur la protection des mammifères marins et du projet de loi C-55 pique ma curiosité. Estimez-vous que le travail autour de la Loi sur la protection des mammifères marins a établi un cadre pour la justice et la réconciliation? Est-ce que cet effort a été fait ou devrons-nous plutôt adopter cet autre projet de loi en insistant très fortement pour qu’il y ait des conversations et des discussions?
M. Paul : La mesure législative issue de la DNUDPA qui est à l’étude est d’une importance cruciale puisqu’elle reflète l’idéal que nous chérissons en matière d’orientation. Étant donné la plateforme dont la déclaration est issue, nous nous demandons comment l’intégrer dans toutes les sphères du gouvernement du Canada, y compris dans les lois relatives aux zones de protection marine, entre autres.
Lorsque la DNUDPA a été adoptée il y a plusieurs années, cette initiative des Nations Unies nous a remplis de fierté. Pour nous, Canadiens, c’est l’occasion d’être fiers de nous-mêmes et de nos perceptions en vertu de la DNUDPA. Nous y avons toujours cru. Selon moi, il est très important d’appuyer cette déclaration et de l’intégrer dans les sphères importantes — comme les zones de protection marine, soit les ZPM —, car c’est une manière de protéger l’avenir. Les ZPM constituent un patrimoine qui sera d’une importance cruciale dans 100 ans — et non pas dès l’an prochain. C’est ainsi qu’il faut voir les choses.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup. Tout le monde en est conscient.
Le président : Je tiens à remercier nos témoins pour l’excellente discussion de ce matin.
Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures.
Nous accueillons Tim Kennedy, directeur général de l’Alliance de l’industrie canadienne de l’aquaculture, parmi notre premier groupe de témoins de l’après-midi.
Au nom des membres du comité, je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui, monsieur Kennedy. Je crois savoir que vous prononcerez une déclaration préliminaire. Ensuite, les sénateurs vous poseront des questions. Vous avez la parole.
Tim Kennedy, directeur général, Alliance de l’industrie canadienne de l’aquaculture : Merci beaucoup à vous tous de m’avoir invité. Je suis honoré d’être le seul témoin pour le moment. Je m’appelle Tim Kennedy et je suis président-directeur général de l’Alliance de l’industrie canadienne de l’aquaculture.
Le rapport sénatorial de 2016 sur l’aquaculture signalait l’existence d’une myriade de possibilités pour l’aquaculture au Canada. Sénateurs, en matière de production de fruits de mer d’élevage, le Canada possède le plus grand potentiel naturel au monde. Votre rapport a représenté une étape cruciale dans la reconnaissance de l’importance de notre secteur au Canada. Dans la foulée de ce rapport, les importantes possibilités qu’offre notre secteur ont été soulignées par le conseil consultatif économique du ministre des Finances ainsi que lors de la table ronde économique sur l’agroalimentaire en septembre 2018.
Actuellement, les fruits de mer d’élevage font partie des secteurs de production alimentaire qui connaissent la croissance la plus rapide au monde. Ils représentent plus de 50 p. 100 de la production mondiale totale de fruits de mer. La demande mondiale pour les produits de la mer augmente de 7 à 10 p. 100 par année, d’après les chiffres publiés récemment par les Nations Unies. Les fruits de mer d’élevage constituent un élément clé dans la production durable de produits de la mer à l’avenir. L’analyse des Nations Unies a également montré une absence de croissance et un déclin de la production provenant de la pêche sauvage. Ainsi, ce seront les fruits de mer d’élevage qui viendront compenser l’augmentation de la demande.
La production canadienne de fruits de mer d’élevage frais et nutritifs a atteint 1,4 milliard de dollars en 2017. Nos activités d’élevage et de transformation ont généré plus de 5,4 milliards de dollars en activité économique, 2,2 milliards de dollars en PIB et plus de 26 000 emplois directs à temps plein pour des Canadiens vivant le plus souvent dans des collectivités côtières rurales et éloignées, ce qui comprend une participation importante des Autochtones partout au pays.
Dans le secteur agroalimentaire, nos travailleurs sont parmi les plus jeunes au pays. En fait, ce sont les plus jeunes à l’échelle nationale. Nous sommes aussi devenus l’un des secteurs de production de protéines les plus durables et les plus efficaces au monde.
Là où le bât blesse, c’est que depuis près de 15 ans, notre secteur stagne. Sa croissance est faible ou nulle au pays. De fait, le secteur canadien a perdu plus de 50 p. 100 de la part de marché qu’il détenait au profit de concurrents internationaux. Le secteur canadien des produits de la mer continue d’accuser du retard par rapport à d’autres pays qui ont adopté une vision de croissance pour le secteur et ont établi des cadres législatifs et réglementaires solides et stables ainsi que des stratégies de développement économique.
Parlons maintenant du projet de loi C-55. Le secteur de la production de fruits de mer d’élevage appuie l’adoption de mesures visant à protéger les océans au Canada. Nos producteurs doivent pouvoir compter sur un écosystème environnementalement sain pour leurs élevages.
Nous appuyons les processus de planification comme les zones de protection marine et la gestion par zone pour l’identification des sites afin d’accroître la prévisibilité, la certitude et la cohérence dans le développement à long terme de notre secteur au Canada.
Voici nos recommandations visant à améliorer le projet de loi C-55.
Notre première recommandation a trait à l’utilisation de la science. Les arguments scientifiques doivent être rendus publics et les intervenants doivent pouvoir les remettre en question et les contester. Voilà qui fait partie du processus scientifique.
Notre deuxième recommandation porte sur le risque. L’approche préventive et l’approche du ministère des Pêches et des Océans — le MPO — en matière d’évaluation du risque ne sont pas bien définies. Nous comprenons que les mesures visant à prévenir la dégradation de l’environnement ne seront pas retardées en raison d’un manque de certitude scientifique. Il n’en demeure pas moins qu’une compréhension transparente de l’évaluation des risques et un processus transparent sont nécessaires pour éviter les décisions qui semblent arbitraires.
Notre troisième recommandation a trait aux considérations socioéconomiques. Les bons emplois sont rares dans les collectivités côtières et rurales. La véritable durabilité repose sur trois piliers : l’environnement, la société et l’économie. Le projet de loi devrait exiger du ministre qu’il les considère officiellement comme faisant partie du processus de prise de décision préventive.
Pour ce qui est des bons emplois, j’ai parlé des 26 000 emplois qui existent dans notre secteur à l’échelle nationale à l’heure actuelle. J’ajouterais qu’il s’agit en général d’emplois à temps plein et non d’emplois saisonniers. De plus, ce sont des emplois bien rémunérés comparativement à ceux d’autres secteurs.
La quatrième recommandation concerne la collaboration. Il y a plusieurs riches exemples d’intervenants travaillant de manière collaborative pour changer les pratiques afin d’assurer la protection de l’environnement dans les zones de protection marine. Citons par exemple les intervenants qui unissent leurs forces dans la baie de Fundy. Le projet de loi devrait prévoir une notification et un délai pour encourager la collaboration entre les intervenants avant une ordonnance.
Notre cinquième recommandation porte sur la technologie. Le ministre devrait être chargé d’envisager la mise en œuvre de technologies de remplacement qui permettraient de régler des problèmes particuliers liés au développement durable. Bien sûr, la technologie évolue très rapidement; c’est un fait avéré. C’est pourquoi il serait important de mettre en place un mécanisme qui tient compte de cela, ou à tout le moins de faire de la recherche à ce sujet.
Notre sixième recommandation concerne l’engagement des provinces. Étant donné que les provinces de l’Atlantique ont compétence sur les baux et les sites pour les fermes d’élevage de fruits de mer, il est essentiel qu’elles soient consultées et qu’elles participent pleinement au processus. Bien sûr, il en irait de même pour les peuples autochtones.
Enfin, notre septième recommandation a trait à l’indemnisation. Comme c’est le cas dans le secteur du pétrole et du gaz, nous demandons à ce que le secteur de la production de fruits de mer ait droit à une indemnisation dans l’éventualité — très peu fréquente, espérons-le — où toutes les solutions auraient échoué et où des sites d’aquaculture devraient être fermés ou déplacés.
Voilà qui met fin à ma déclaration en bonne et due forme. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. J’ai hâte de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Kennedy. Notre étude sur l’aquaculture a reçu des éloges partout au pays. Nous espérons que certaines des recommandations seront mises en œuvre. Au comité, nous croyons fermement au potentiel du secteur de l’aquaculture pour l’activité économique au Canada. Nous sommes ravis d’entendre vos observations à ce sujet.
Le sénateur Gold : Bienvenue, monsieur Kennedy. Je vous remercie de votre exposé et de vos recommandations. D’une part, parmi vos recommandations, laquelle ou lesquelles, le cas échéant, seraient selon vous intégrées au texte du projet de loi C-55? D’autre part, laquelle ou lesquelles, le cas échéant, relèvent davantage de la réglementation ou des pratiques exemplaires appliquées en cours de route?
M. Kennedy : Je vous remercie de votre question, sénateur. L’approche préventive est définie dans diverses mesures législatives. Je pourrais vous donner d’autres exemples. Il est en tout cas question de considérations socioéconomiques. Ce serait un élément important à inclure dans le projet de loi C-55. Le ministre doit tenir compte des considérations socioéconomiques dans le cadre de l’approche préventive.
Comme je l’ai indiqué, il est essentiel d’adopter une vision élargie de la durabilité. En cette matière, nous privilégions souvent un seul aspect de la question. Par exemple, on se penche sur l’aspect environnemental, mais on néglige les facteurs socioéconomiques, ou vice versa. L’équilibre est essentiel et il faudrait vraiment que cela fasse partie du texte. Voilà le premier élément.
Il en va de même de l’utilisation de la science. Le ministre devrait publier les données scientifiques et prévoir une période de temps avant de rendre son ordonnance et sa décision. Les intervenants doivent avoir le temps de formuler leurs commentaires. Je ne crois pas que cela soit dans le texte; corrigez-moi si je me trompe. Voilà le deuxième élément.
Le troisième élément est la collaboration. Déjà, dans différents contextes partout au pays, des intervenants se serrent les coudes. Ce serait vraiment utile s’il y avait un moyen, pour les intervenants, d’unir leurs forces lorsqu’une situation suscite beaucoup d’intérêt. Ils pourraient disposer d’un certain temps pour faire la démonstration qu’ils sont capables de trouver des solutions qui peuvent être utiles au ministre.
Le sénateur Gold : Vos observations vont dans le même sens que les commentaires d’autres témoins. Si je me souviens bien, le ministre et ses fonctionnaires nous ont dit qu’une fois que le processus d’établissement d’une ZPM provisoire est enclenché, il y a une collaboration et une consultation avec les intervenants. Les facteurs socioéconomiques entrent en ligne de compte lorsque, parmi les intervenants, figurent des communautés qui dépendent de l’aquaculture ou de la pêche hauturière.
Ma deuxième question est la suivante : quelle a été l’expérience de votre organisme ou des membres de votre organisme à titre d’intervenants? Est-ce que l’expérience a été positive ou négative? Avez-vous été exclus des discussions?
M. Kennedy : Dans l’ensemble, c’est un bilan en demi-teinte. Je vais vous donner un exemple. En Nouvelle-Écosse, lorsque nous avons commencé à examiner les zones de protection marine et la définition des projets à forte incidence potentielle, la salmoniculture a été exclue. Voilà qui ne me semble pas conforme à ce qui se fait ailleurs. Nous sommes en pourparlers avec le ministère à ce sujet.
Au Nouveau-Brunswick, il y a eu de très bons exemples de collaboration — dans la baie de Fundy, comme je l’ai dit. Là-bas, tous les intervenants se sont réunis et ont trouvé des solutions novatrices. Le MPO reconnaît cette collaboration. C’est un véritable modèle pour les ZPM.
En Colombie-Britannique, il y en a moins. Certains d’entre vous le savent : il y a eu beaucoup d’activités en Colombie-Britannique, mais cela ne relève pas directement des ZPM. Il faut accomplir des progrès.
J’ai mentionné la planification par secteur. C’est là une nouvelle approche que le ministre Wilkinson a annoncée pour l’aquaculture en Colombie-Britannique. La grande question est la suivante : comment le processus de gestion par zone et le processus de protection marine se combinent-ils? Ce n’est pas clair. En quoi sont-ils différents et complémentaires? Il faut trouver une réponse à cela.
Le sénateur Gold : Vous avez parlé de la Colombie-Britannique. Certaines pratiques en aquaculture, tout particulièrement l’aquaculture en cages en filet, ont soulevé des inquiétudes. Certains ont soutenu que ces pratiques devraient être interdites dans les zones de protection marine puisqu’on anticipe des dommages à l’environnement. Vous avez entendu les arguments et vous avez dû y répondre.
Quelle serait votre réponse aux recommandations qui nous ont été communiquées? Pouvez-vous utiliser d’autres méthodes ou d’autres technologies que les cages en filet pour assurer la durabilité et minimiser l’impact sur les espèces sauvages?
M. Kennedy : C’est une excellente question. Elle tombe à point, puisqu’il y a actuellement des discussions sur les technologies de remplacement. Le ministre Wilkinson, qui a de l’expérience dans le domaine de la technologie, s’intéresse à cette question. Je crois que le MPO est en train de mener une étude sur les technologies de remplacement pour la salmoniculture, étude axée en grande partie sur la Colombie-Britannique. Au ministère, on espère terminer l’étude d’ici la fin du mois de juin. Ce processus est enclenché et nous avons hâte d’y participer pleinement.
Pour répondre à votre question, je rappellerai à tout le monde que la salmoniculture au Canada n’a que 40 ans. À la fin des années 1970, c’était pour l’essentiel une entreprise expérimentale en Colombie-Britannique. Il y a peut-être eu des pratiques inconsidérées dans l’alimentation et l’utilisation d’ingrédients médicinaux. Tout cela a changé du tout au tout au cours des 40 dernières années.
Tout d’abord, je dirais que certaines des critiques que nous continuons d’entendre renvoient encore aux premières expériences dans le domaine, lesquelles étaient de fait critiquables. Cependant, nous avons fait des pas de géant sur le plan du développement technologique. En 30 ou 40 ans, les filets que nous utilisons ont énormément changé. Je ne dis pas que nous sommes parfaits, loin de là. Toutefois, le secteur se fait fort de s’améliorer constamment; c’est l’un de ses engagements fondamentaux. Nous constatons que l’élevage de fruits de mer et de poissons, de saumons tout particulièrement, suscite une forte demande partout dans le monde. Le secteur s’engage à évoluer de façon constante et à investir dans la technologie.
De grands changements ont déjà été apportés. Au sujet du potentiel des technologies de l’avenir, on entend parfois dire qu’il suffit de déplacer tous les filets en milieu terrestre. En ce qui concerne les pratiques actuelles, je dirais que les principaux producteurs allongent déjà le temps de vie du poisson en milieu terrestre. Le temps de vie passé dans les écloseries en milieu terrestre est en train de passer d’environ 15 ou 20 p. 100 à 50 ou 60 p. 100. Les grands producteurs font déjà cela.
À la question de savoir si l’élevage en milieu terrestre est viable, je répondrai qu’il y a toujours des produits créneaux et une production modeste de saumon et d’autres espèces en milieu non marin. La production à plus grande échelle n’a pas encore fait ses preuves. Voilà où nous en sommes. Il y a un certain nombre de projets, dans le Maine par exemple — vous en avez peut-être entendu parler —, ainsi qu’à Miami et en Europe. Certains de ces projets sont de grande envergure. On entend souvent dire que c’est la voie de l’avenir. Les risques sont très importants.
Un peu avant Noël, j’ai participé à un atelier sur les parcs clos terrestres à Miami. Les représentants de la principale banque qui soutient les projets terrestres, dont le projet à Miami, ont dit deux choses. Premièrement, ils ont indiqué que, selon eux, le projet de Miami est le plus viable à l’échelle mondiale. Ce projet s’appelle Atlantic Sapphire.
Deuxièmement, ils ont dit que la probabilité de succès de ce projet est de 25 à 30 p. 100. Comme vous pouvez le deviner, il y a beaucoup d’intérêt, mais aussi beaucoup de prudence à l’égard de toutes les affirmations au sujet du potentiel de l’élevage en milieu terrestre à grande échelle. Voilà qui ne signifie pas que nous ne souhaitons pas examiner les technologies et les possibilités.
Il y a deux autres technologies qui me paraissent vraiment importantes, et l’étude du ministre s’y intéressera. Il y a d’abord les parcs clos en mer. On pense souvent que l’élevage en parc clos est toujours basé à terre. Il est possible de mettre à l’eau des filets et des unités en parc clos. De fait, deux de nos producteurs, Cermaq et Marine Harvest, qui s’appelle maintenant Mowi, vont de l’avant avec leurs propres projets pilotes en Colombie-Britannique au cours des quelques prochaines années.
L’autre option dont vous avez peut-être entendu parler est l’aquaculture en eau profonde. Elle utilise des filets, mais en eau plus profonde, avec des courants plus en profondeur et de plus fortes turbulences, ce qui fait que l’on doit composer avec certains des problèmes que les fermes salmonicoles peuvent aujourd’hui avoir avec la gestion du pou du poisson et la gestion des déchets.
Le sénateur Wells : Merci, monsieur Kennedy, de votre présence. Avant de poser une question, j’aimerais saluer votre prédécesseure, Ruth Salmon. J’ai eu le plaisir de travailler avec elle pendant plusieurs années à divers dossiers menés par l’AICA, l’Alliance de l’industrie canadienne de l'aquaculture, et votre homologue provincial, Mark Lane, fait aussi de l’excellent travail à la Newfoundland Aquaculture Industry Association.
M. Kennedy : J’ai un nom de famille très commun, qui ne m’aide à émuler Ruth Salmon dans ce poste.
Le sénateur Wells : C’est vrai. J’ai moi-même passé un peu de temps dans l’industrie de l’aquaculture.
Quelles sont vos craintes les plus pessimistes concernant le projet de loi C-55? Qu’est-ce qui préoccupe le plus vos membres?
M. Kennedy : Excellente question. Comme je l’ai dit dans mes observations, monsieur le sénateur, le secteur a besoin de certitude et de clarté à long terme en matière de planification afin de pouvoir poursuivre sa croissance de façon durable.
Selon moi, les investisseurs au Canada et dans le secteur canadien sont déjà aux prises avec des difficultés à cause des défis qui se posent en Colombie-Britannique et des questions publiques de longue date dans le secteur. Je dirais que toute mesure qui viserait à déplacer rapidement des sites aquacoles ou à modifier des pratiques et qui ne serait économique ou mise en œuvre graduellement nous inquiéterait vivement.
Le sénateur Wells : Merci de votre réponse. Les détracteurs de l’industrie de l’aquaculture ne se comptent plus, comme vous le savez bien. Nous avons vu de nombreux groupes dans d’autres secteurs, d’autres industries, utiliser le processus pour bloquer, retarder ou détruire des activités commerciales légitimes. Estimez-vous que cela pourrait être une conséquence du projet de loi C-55?
M. Kennedy : Je pense, monsieur le sénateur, que certains des points que j’ai soulevés et que partagent d’autres intervenants au sujet d’une plus grande transparence, du processus décisionnel, de la capacité de faire appel à la science et d’étudier des solutions de rechange aux pratiques existantes, nous vous présentons tout cela parce que cela répond à votre question d’une certaine façon : oui, il est toujours possible de manipuler un processus. Cela va dans les deux sens, tant du côté de ceux qui sont peut-être de grands critiques que du côté de l’industrie : une plus grande transparence est mieux. Alors, veillons à asseoir ces décisions sur une information transparente, dans la mesure du possible.
Le sénateur Wells : Merci.
La sénatrice Bovey : Merci, monsieur Kennedy, d’être des nôtres et merci de votre exposé.
Vous avez parlé d’écologie, de questions scientifiques et socioéconomiques. Je dois dire que le ministre nous a clairement indiqué hier, et que nous avons vu dans les travaux préparatoires sur le projet de loi C-55, qu’il s’agit bien des trois piliers de cette mesure législative : écodiversité, questions socioéconomiques et science. Je suis donc ravie de vous entendre en parler.
Si je ne m’abuse, d’après ce que vous avez dit, vous êtes d’accord sur l’objet et l’intention du projet de loi, et vos recommandations raffinent vraiment, devrais-je dire, certains aspects de la mise en œuvre?
M. Kennedy : Je suis d’accord.
La sénatrice Bovey : Vous êtes d’accord là-dessus. Très bien. Je pense que nous voulons tous la durabilité des chaînes alimentaires et des entreprises pour nos collectivités.
Cela dit, j’aimerais revenir sur ce qu’un de vos collègues de la Colombie-Britannique nous a dit hier au sujet de la pêche par rotation et des détails du projet de loi. Je comprends que c’est un aspect différent de l’aquaculture, mais on nous a parlé hier de la pêche par rotation, par exemple, de la panope et des concombres de mer, qui se fait tous les deux ou trois ans, alors que le projet de loi suppose une activité sur 12 mois tout en permettant la poursuite de tout ce qui est déjà approuvé.
Pensez-vous que la période de 12 mois est appropriée? Ou ces 12 mois devraient-ils être prolongés à trois ans? Ou est-ce une chose à surveiller dans la mise en œuvre de la loi?
M. Kennedy : Merci de la question. Je ne vais pas y répondre, par contre, parce que je n’ai pas assez d’information. Je dirai à tout le monde qu’avant de commencer à travailler à l’AICA, il y a deux ans, j’étais dans le secteur de l’énergie, et que l’aquaculture est ma priorité.
En tout cas, je dirai que, dans notre secteur, la pratique dans toutes les fermes est une période de récupération. Comme en agriculture, lorsqu’un champ est mis en jachère : il faut faire la même chose dans nos pratiques de base. Nous mettons des fermes en récupération pendant des mois; de fait, toutes les données scientifiques indiquent que, pendant ces mois-là, le biote rebondit rapidement sous les filets. Cela fait partie de l’exigence.
Il y a une chose dont nous voudrions parler au MPO : s’il y a des possibilités de prolonger éventuellement ces périodes de récupération dans certains secteurs, cela pourrait être avantageux. Nous nous pencherons là-dessus.
La sénatrice Bovey : Vous travaillez donc de très près avec le MPO?
M. Kennedy : Oui.
La sénatrice Bovey : Un dernier commentaire, si vous me permettez. Ai-je raison de dire que dans les opérations des ZPM, les zones de protection marines, il n’y a jamais eu de fermeture en aquaculture?
M. Kennedy : Pas encore.
La sénatrice Bovey : Et pas dans les ZPM?
M. Kennedy : Exact.
La sénatrice Bovey : Je pense qu’il est important que cela figure au compte rendu.
La sénatrice Poirier : Je tiens à souligner votre recommandation numéro 7, parce que d’autres groupes de témoins ont aussi déploré que le secteur pétrolier et gazier puisse être indemnisé, mais pas l’industrie des fruits de mer ou l’autre partie. J’aimerais vous entendre parler de cette recommandation. Qu’arriverait-il si le secteur de la production des fruits de mer ne recevait pas la même compensation?
Si je soulève la question, c’est que je viens du Nouveau-Brunswick. Certaines zones ont été fermées à la pêche au homard toute l’année dernière, et le seront peut-être cette année étant donné ce qui s’annonce. L’effet d’entraînement a provoqué de lourdes répercussions économiques sur la collectivité, non seulement pour les pêcheurs, mais aussi pour les aides-pêcheurs qui travaillent dans les usines de transformation et qui n’ont pas d’argent. Cela se répercute donc sur les restaurateurs, et les gens ne dépensent pas. C’était difficile, et ce le sera peut-être encore cette année aussi.
Quelles seront les conséquences s’ils n’ont pas d’indemnisation, si le secteur de production aquacole des fruits de mer n’a pas droit au même traitement?
M. Kennedy : Merci de votre question. Nous avons mis un peu l’accent sur la salmoniculture jusqu’ici, et je voudrais aussi parler de la conchyliculture. Elle est vue comme une activité essentiellement bénigne, et est donc généralement compatible avec les zones de protection marine. Mais différents groupes d’utilisateurs peuvent avoir différentes répercussions les uns sur les autres. Ces dernières années, en Colombie-Britannique, à cause des répercussions de la pollution humaine sur les exploitations ostréicoles, il a fallu fermer certaines zones de conchyliculture pour des raisons de santé. Vous pouvez imaginer les dommages à notre réputation sur le marché. Le bénéfice unitaire possible de la conchyliculture est très faible. Une fermeture ou quelque chose du genre est très difficile pour les conchyliculteurs en particulier.
Le cycle d’investissement des salmoniculteurs est d’environ sept ans. Donc, s’il y avait une sorte de fermeture, on ne parlerait plus de centaines de milliers de dollars. Ce sont des millions et des millions de dollars qui vont dans un site d’élevage de saumons, de même que des centaines, voire des milliers d’emplois, dans certains cas. Donc, si jamais il y avait une fermeture, vous pouvez imaginer tout le préjudice pour la collectivité locale. C’est pourquoi, en particulier, je suis heureux d’entendre le ministre insister sur les trois parties du tabouret, mais il serait très souhaitable que le projet de loi soit plus explicite sur ce point.
La sénatrice Poirier : Vous avez mentionné les bons points du projet de loi et certaines des recommandations qui seraient adoptées. Mon collègue a signalé que, jusqu’ici, aucune ZPM n’a été établie dans des endroits qui auraient des répercussions sur l’industrie aquacole. De toute évidence, si vous formulez ces recommandations, vous êtes proactif en songeant à la possibilité d’une ZPM.
Sans les recommandations 1 à 7, quelles seraient les incidences du projet de loi C-55 dans sa forme actuelle sur la possibilité d’établir une ZPM?
M. Kennedy : Pour revenir à mon propos au sujet de la transparence, je pense que le processus décisionnel suscite beaucoup plus de nervosité. S’il y avait plus de transparence, le secteur se sentirait plus à l’aise.
On met un accent très net sur la consultation des peuples autochtones, comme il se doit. Les collectivités autochtones du Canada seront d’importants partenaires pour nous. Il y a de plus en plus de collectivités en Colombie-Britannique, dans le Canada atlantique et en Ontario, par exemple, qui demandent des sites, qui s’y intéressent davantage et qui se lancent dans la production de fruits de mer. De toute évidence, ce sont des partenaires essentiels dans tout le processus et ils doivent participer aux conversations initiales sur toute initiative de création d’une ZPM.
La sénatrice Poirier : Merci.
Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Kennedy, d’être là. J’ai été très heureux de vous entendre dire que la ZPM de la baie de Fundy, du côté du Nouveau-Brunswick, est un modèle de collaboration. Pourriez-vous nous expliquer en quoi la création de cette ZPM a été un succès? L’expérience nous permet-elle de tirer des leçons qui pourraient être appliquées au projet de loi C-55?
M. Kennedy : Merci. C’est peut-être un point sur lequel je pourrais revenir. Je sais qu’il s’agit d’un processus continu de collaboration, et nous sommes en quelque sorte au beau milieu de ce processus. Un utilisateur de la région a communiqué avec tous les autres et leur a dit : « Écoutez, nous devons mieux gérer, nous devons travailler ensemble. » Ils se sont donc assis à la table.
Ma collègue, Sue Farquharson, qui dirige l’Atlantic Canada Fish Farmers Association, a joué un rôle clé à cet égard. Sue pourrait vous en parler beaucoup mieux que moi. Je sais que le processus qui les a amenés autour d’une même table pour l’élaboration d’un plan d’action a été couronné de succès. Le MPO l’a reconnu comme modèle pour les ZPM. Je pourrais vous donner plus de détails si cela vous intéresse ou demander à Sue de venir vous en parler.
Le sénateur Christmas : C’est intéressant, parce que de nombreux témoignages au sujet de cette loi nous ont appris que des groupes ou des particuliers ne se sont pas engagés ou ne participent à fond à l’établissement des ZPM. Je suis frappé que celui-ci en particulier semble avoir trouvé l’or par la façon dont un groupe diversifié de partenaires se sont réunis avant la création d’une ZPM et ont trouvé un moyen de collaborer. Il me semble, d’après ce que je sais, que c’est un succès.
M. Kennedy : Je pense que vous avez raison.
Le sénateur Christmas : Je vous saurais gré de toute nouvelle information que vous pourriez me fournir, et j’aimerais beaucoup savoir comment nous pourrions appliquer ces leçons à ce projet de loi particulier.
M. Kennedy : Je vais certainement donner suite à votre demande et vous envoyer plus d’information.
Comme c’est souvent le cas, c’est probablement surtout une question de personnalité. Il y a des gens de talent qui sont disposés à collaborer et à se regrouper. Ces choses-là ne peuvent peut-être pas se régler par une loi, mais je pense que le MPO, compte tenu de ce qu’il a appris, a cherché à mettre en place une plus grande collaboration de ce genre. Il serait intéressant de voir ce qu’il en pense. Merci de la question.
Le sénateur Munson : Merci d’être là. J’ai remarqué toutes vos statistiques sur la stagnation de l’industrie aquacole ici. Notre étude nous a fait voir qu’il y a un mouvement selon lequel moins d’agriculture, c’est mieux, que ce soit à cause de la proximité de nos rives ou parce que cela va à l’encontre du point de vue ou du sentiment de quelqu’un d’autre. Il faut respecter ce sentiment. Pour nourrir le monde, par contre, à mon avis, l’aquaculture est là aujourd’hui et pour demain.
Nous avons ce débat au Canada, mais lors de nos voyages en Norvège et en Écosse, nous avons eu l’impression que les habitants de ces pays se félicitent de ce que l’aquaculture a fait pour leur pays et pour leur marque. En entrant dans un magasin ici au Canada, nous voyons la bannière norvégienne et les produits écossais, et nous sommes très à l’aise de les acheter.
Savez-vous si ces pays ont les zones de protection marine qui sont proposées dans notre projet de loi? Savent-ils s’en accommoder? Si oui, comment arrivent-ils à faire fonctionner le système tout en protégeant la bonne renommée de l’aquaculture?
M. Kennedy : Excellente question. Si je comprends bien, c’est parce que les Norvégiens ont été si actifs — je dirais même agressifs — dans le développement de l’aquaculture qu’ils ont largement maximisé leur zone côtière à cette fin. Nous avons parlé des parcs clos et des technologies terrestres. À Ottawa, on entend parfois dire : « Oh, la Norvège ne se limite-t-elle pas à l’exploitation à terre? » Eh bien, non. Elle s’intéresse aux nouvelles technologies, mais la seule raison pour laquelle elle s’y intéresse vraiment, c’est parce qu’elle a maximisé ses zones côtières. Je crois qu’elle continue de protéger certaines zones, mais, encore une fois, la Norvège est un exemple distinctif.
L’Écosse et l’Islande sont deux autres pays que je connais. Je sais qu’elles ont désigné des zones aquacoles spécifiques et essentiellement d’autres zones qui sont interdites, surtout des zones protégées. C’est ce que je comprends de ces autres pays.
Je pense que le plus gros problème, par contre, c’est que les deux pays que vous avez mentionnés, monsieur le sénateur, ont vraiment reconnu, comme vous l’avez dit, les possibilités et la nécessité de la production de fruits de mer. Je dirais que le Canada ne les a pas encore reconnues, au double plan structurel et public. Disons-le clairement, nous utilisons environ 1 p. 100 de notre potentiel côtier pour l’aquaculture. Notre intensité de production est d’environ 1/25 de celle de la Norvège et environ 1/50 de celle du Chili. Nous avons tellement de potentiel dans ce pays.
Selon moi, un énorme défi — et je m’éloigne du projet de loi C-55 pour un instant, si vous me le permettez —, c’est que nous n’avons pas de ministère fédéral ayant pour mandat explicite de soutenir la croissance de notre secteur. Le MPO est évidemment notre organisme de réglementation et il a une certaine responsabilité à l’interne de gérer la croissance durable, mais, sauf pour Agriculture Canada, qui a pour mandat de soutenir le développement et la croissance du secteur agricole, nous n’avons pas cela au Canada.
Donc, tout le monde le sait, l’AICA a demandé ce changement, a demandé de donner à Agriculture Canada le mandat de soutenir notre croissance. Je me suis un peu écarté du sujet, monsieur le sénateur, et j’espère que c’est correct.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup.
Le président : Voilà, nous n’avons pas d’autres questions. Nous remercions M. Kennedy de sa comparution.
Notre comité poursuit l’étude du projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures, et je vais donc demander à nos invités de se présenter et de nous dire qui ils représentent, après quoi nous recevrons leurs observations préliminaires. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.
Susanna Fuller, gestionnaire principale de projets, Oceans North : Je m’appelle Susanna Fuller, et je viens d’Oceans North, à Halifax, en Nouvelle-Écosse.
Le président : Nos invités par vidéoconférence pourraient-ils se présenter?
Sigrid Kuehnemund, vice-présidente, Conservation de l’océan, Fonds mondial pour la nature Canada : Je m’appelle Sigrid Kuehnemund. Je suis vice-présidente du programme des océans du Fonds mondial pour la nature Canada. Je suis basée à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador.
Linda Nowlan, avocate salariée, West Coast Environmental Law : Bonjour. Je m’appelle Linda Nowlan et je suis avocate salariée à la West Coast Environmental Law. Je suis basée à Vancouver, en Colombie-Britannique.
Le président : Nous avons les deux extrémités du pays, grâce au miracle de la technologie. Nous allons commencer par la dame qui est à la table. Mme Fuller va commencer, après quoi nous entendrons les déclarations préliminaires de nos invitées par vidéoconférence.
Mme Fuller : Merci de m’avoir invitée à prendre la parole au sujet de ce projet de loi en particulier. J’ai écouté attentivement les autres témoins depuis une journée et demie, et j’adapterai donc quelque peu mes remarques pour poursuivre la conversation en tenant compte de ce que j’ai entendu.
En premier lieu, je dirai que ce projet de loi est un point de départ important pour mieux protéger les océans du Canada. Lorsqu’on discute d’une mesure législative et des raisons qui la justifient, il m’apparaît important de comprendre pourquoi nous pourrions avoir une nouvelle loi et en quoi ces modifications en particulier sont importantes.
Comme bon nombre d’entre vous le savent, il suffit de suivre l’actualité quotidienne pour savoir que l’océan planétaire est de plus en plus menacé et que notre océan planétaire est interconnecté. Le Canada a la chance d’avoir le plus long littoral au monde, de même que trois bassins océaniques. Ces menaces comprennent les changements climatiques; la planète se réchauffe plus vite que les scientifiques l’ont prévu. Certes, ceux d’entre vous qui vivent dans les provinces côtières comprendront les conséquences de l’élévation du niveau des mers. Les ressources halieutiques continuent de diminuer dans bien des régions. Dans le seul Canada atlantique, le COSEPAC, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, considère que 45 espèces qui sont pêchées commercialement ou qui sont touchées sont en péril ou menacées.
Les plastiques s’accumulent à un rythme alarmant. Vous avez probablement entendu dire que d’ici 2050, si nous continuons à ce rythme, il y aura plus de plastique dans l’océan que de poissons. Et la protection des espaces est à peine amorcée au Canada, comme dans de nombreux autres pays. Bien que la Loi sur les océans soit en vigueur depuis 1998, elle n’a pas été appliquée à son plein potentiel. Certains diront qu’elle ne l’a quasiment pas été, et c’est probablement la raison pour laquelle nous avons de la difficulté à la mettre en œuvre suffisamment vite pour atteindre l’objectif de 10 p. 100.
J’ai participé à de nombreux processus concernant les aires protégées au Canada, de même qu’à des tentatives de gestion intégrée des océans dans l’est du plateau néo-écossais, à la gestion des pêches et à des recherches en sciences halieutiques. Je peux vous dire qu’il faut améliorer la façon dont nous protégeons nos océans. Il faut notamment atteindre un certain niveau de certitude pour l’industrie et les intervenants du secteur des océans, et accélérer le processus de protection de nos zones océaniques. La période actuelle de 8 à 10 ans pour établir une zone marine protégée n’est pas équitable pour les intervenants, qu’il s’agisse des industries côtières, des ONG ou des municipalités. Cela prend trop de temps.
Les mesures de protection provisoires envisagées dans les modifications reviennent à dire qu’on ne s’attend pas à ce que le processus d’établissement des ZPM ait d’autres répercussions sur les humains. J’espérais que mon ami, le sénateur McInnis, serait ici cet après-midi parce que j’ai participé activement au processus de création d’une zone marine protégée dans sa circonscription. Il se trouve que la collectivité redoute ce qui pourrait se passer ensuite. Nul ne sait à quoi s’attendre, pas plus en matière d’aquaculture en cages en filet, d’exploitation minière que d’exploitation pétrolière et gazière. Les gens ne savent pas et ils sont inquiets, notamment, bien sûr à propos de la ZPM, comme vous l’avez sûrement entendu dire.
Le resserrement proposé des mesures d’application de la loi contribuera probablement à améliorer l’efficacité des protections en place.
Mon organisme appuie les modifications proposées dans le projet de loi C-55 et les considère comme un fondement pour l’amélioration de la protection des océans. Nous savons que l’objectif de 10 p. 100 a été très exigeant pour le gouvernement, les intervenants et l’industrie océanique et qu’il a imposé à beaucoup un apprentissage ardu. Il a également empêché l’établissement de relations importantes entre les intervenants du secteur océanique et le gouvernement, relations qui sont pourtant vitales à la protection de notre ressource commune, particulièrement dans le Canada atlantique.
Cependant, j’ai aussi constaté que cet engagement envers un niveau de 10 p. 100, de même que les modifications législatives proposées dans les projets de loi C-55 et C-68, avaient permis — beaucoup plus que jamais auparavant depuis l’adoption de la Loi sur les océans en 1998 — de faire l’accord autour de l’idée de protéger des aires. Il va sans dire que de nombreux intervenants de l’industrie de la pêche sont les premiers à agir pour protéger leurs ressources contre d’autres activités océaniques. Les pêcheurs et l’industrie de la pêche sont souvent en première ligne pour lutter contre des émissions produites par des secteurs comme celui de l’aquaculture, de l’énergie marémotrice, des pâtes et papiers, et du pétrole et du gaz.
Grâce aux modifications proposées dans le projet de loi C-55, les zones qui ont été réservées par l’industrie de la pêche pourraient être immédiatement protégées contre d’autres activités industrielles. Je sais que mon ami Keith Sullivan vous en a parlé. Cela pourrait aussi donner un répit aux collectivités côtières qui pratiquent une pêche à faible incidence, et où des aires marines protégées ont été proposées, mais qui s’inquiètent des autres activités susceptibles d’apparaître au fur et à mesure de la mise en place du processus de ZPM.
Le projet de loi C-55 permet également d’annuler les baux pétroliers et gaziers, mais il ne règle pas les conflits qui existent dans le Canada atlantique où la Loi fédérale sur les hydrocarbures ne s’applique pas.
Je suis intimement convaincue qu’il est essentiel de veiller à la protection de nos océans afin que ceux-ci continuent de répondre aux besoins des collectivités côtières et autochtones dans tous nos bassins océaniques. Nous estimons que la protection de l’environnement et l’essor des industries océaniques doivent aller de pair. L’économie bleue, sur laquelle le Canada a récemment mis l’accent, ne sera réalité que si l’élément « bleu » se porte bien. Nous sommes redevables à l’océan pour les quantités incroyables de protéines et de ressources qu’il continue de nous fournir et pour toute l’activité touristique qu’il favorise. Le projet de loi C-55 nous y aidera.
Je dirais également que le projet de loi C-55 répond à la critique formulée par le vérificateur général du Canada en 2012, soit que les choses ne bougeaient pas beaucoup sur le plan de la création des ZPM et que rien n’avait été fait en matière d’inclusion des services écosystémiques ou d’intégrité des écosystèmes.
Les amendements ne sont pas parfaits, mais n’oublions pas que le mieux est l’ennemi du bien. Nous savons qu’il y a urgence à sanctionner et à mettre en place des processus de création d’aires protégées autochtones, en accord avec les communautés autochtones, dans un dialogue de nation à nation, et nous savons aussi qu’il va falloir élaborer des normes relatives aux ZPM en réponse aux recommandations du groupe d’experts national.
Enfin, il faudra lancer d’importantes consultations sur ces deux points, mais cela ne devrait pas empêcher l’adoption de ce projet de loi qui, comme je l’ai dit au début, est un point de cheminement sur la voie des mesures que les Canadiens et le gouvernement canadien doivent prendre pour nos océans. Notre pays est ce qu’il est en grande partie pour son environnement marin.
Mme Nowlan : Merci beaucoup. Je vous remercie de me donner l’occasion d’exprimer mon appui à ce projet de loi. Je me propose de traiter de trois aspects. Le projet de loi permettra d’agir plus rapidement en matière de conservation marine sans pour autant sacrifier les contributions de la science ou du public. Je répète ici ce que dit le MPO. Je crois que c’est vrai.
Le projet de loi rendra la loi plus efficace et incorporera les leçons tirées de l’évolution des 20 dernières années en matière de sciences océaniques et de droit de la mer. La formule est gagnante, d’autant qu’elle assure une plus grande certitude pour l’industrie. Bref, les modifications proposées peuvent aider le Canada à reprendre son rôle de chef de file en droit de la mer.
Premièrement, cette voie est plus rapide. Je sais que vous en avez beaucoup entendu parler. Quand le gouvernement actuel est arrivé au pouvoir, le Canada protégeait moins de 1 p. 100 de ses océans. Ottawa s’était engagé à atteindre un objectif de 10 p. 100 en 2010, mais sa promesse de créer des réseaux d’aires marines protégées, elle, remonte à encore plus longtemps, à 2002, lors du Sommet mondial pour le développement durable.
L’une des principales raisons du retard a été le processus qui a pris trop de temps, car aucune échéance n’avait été fixée. Il a fallu jusqu’à 20 ans dans certains cas pour créer une ZPM, ce qui est beaucoup trop long. Ce retard a été critiqué à de nombreuses reprises, comme dans les rapports de 2005 et de 2012 du commissaire à l’environnement et au développement durable, de même que par le Groupe d’experts sur la biodiversité marine de 2012 de la Société royale du Canada et par d’autres. La nouvelle procédure devrait être plus rapide.
Deuxièmement, la formule devrait être plus efficace. Les nouvelles dispositions du projet de loi C-55 reflètent deux décennies de progrès. La mesure propose une approche fondée sur des données probantes, des données scientifiques et des données juridiques solides à l’égard des zones de protection marine, ainsi qu’un libellé législatif mis à jour qui permet de faire un certain nombre de choses : inscrire dans la loi le concept de réseau de ZPM; définir l’intégrité écologique pour la première fois dans la loi, et permettre la création de ZPM pour préserver cette intégrité. Il s’agit d’une disposition semblable, mais moins solide, à celle contenue dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada.
Le projet de loi autorise la délimitation des zones par voie de règlement, ce qui élimine l’une des ambiguïtés de la loi, celle-là même qui a déjà causé des retards, et intègre une approche de précaution. Je ne parlerai que du principe de précaution. Je sais que d’autres témoins vous en ont parlé et que vous avez posé des questions à ce sujet.
Le principe de précaution est un principe clé du droit environnemental international mentionné dans de nombreuses lois environnementales canadiennes. Nous avons eu des exemples dans le passé où le principe de précaution nous a fait défaut, et c’est ce que ce projet de loi tente de surmonter.
Il y a eu des signes avant-coureurs de danger, mais des mesures préventives ont rarement été prises. On pensera au DDT, aux pesticides, à l’amiante, au plomb et à l’essence, de même qu’au méthylmercure présent dans les eaux usées qui a causé la maladie de Minamata au Japon. Les exemples ne manquent pas. Des mesures de précaution ont peut-être permis d’éviter l’effondrement des stocks de morue de l’Atlantique et d’autres espèces de poissons, de même que la baisse des populations de baleines et la disparition d’habitats marins, certains étant essentiels comme les zosteraies. Par conséquent, l’application de ce principe garantira que le Canada se place du côté de la protection des espèces et des habitats.
Troisièmement, le projet de loi est avantageux pour la planète et pour l’homme. Il apporte plus de certitude. Je ne pense pas que vous puissiez voir cela aussi bien que si j’étais présente parmi vous pour vous faire circuler cette page. Il s’agit d’une annonce pleine page dans laquelle Shell célèbre une victoire en matière de conservation pour avoir renoncé à ses droits sur la ZPM du détroit d’Hécate.
Les industries optent pour des attitudes socialement responsables. Elles ont soif de certitude. Sur notre côte, en Colombie-Britannique, un moratoire est en place depuis les années 1970, et cette mesure leur donnera plus de certitude.
Le projet de loi accroît la certitude de deux façons : en gelant l’empreinte carbone et en modifiant la législation sur le pétrole et le gaz.
Nous nous félicitons de cette approche et nous recommandons que des modifications semblables soient apportées à la loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique afin de créer des régimes juridiques auxiliaires sur cette question, à l’échelle du Canada. Nous avons proposé des modifications législatives à ce sujet et à d’autres sujets à votre comité homologue de la Chambre des communes, mais nous sommes prêts à appuyer ce projet de loi et à le faire adopter. Toutefois, si vous voulez des amendements sur l’un ou l’autre de ces sujets, nous avons déjà proposé un libellé.
Dans les années 1970, sous le gouvernement du père du premier ministre, le Canada était un chef de file en droit de la mer. Il a adopté la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, une loi révolutionnaire, il a joué un rôle central dans la négociation de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, il a renforcé la Loi sur les pêches et a défendu les droits de la pêche à petite échelle.
Lorsque la Loi sur les océans a été adoptée, en 1997, on a dit qu’il s’agissait de la première loi de gestion intégrée au monde, ce qui était révolutionnaire à l’époque. Malheureusement, il n’y a plus eu de progrès après cela.
Que reste-t-il à faire? Je suis d’accord avec mon amie Susanna Fuller. Vous avez parlé du travail du groupe d’experts nommé par le ministre sur les normes de protection des ZPM. On y trouve d’excellentes recommandations sur ce qu’il faut faire pour que le Canada se conforme à l’autorité mondiale en la matière, l’Union internationale pour la conservation de la nature. C’est une question que le gouvernement aurait pu régler cette fois-ci. Je serais heureuse de vous en parler davantage.
Le renforcement des dispositions sur les aires protégées autochtones est un autre domaine à propos duquel il faudrait vraiment modifier davantage cette loi et les autres lois canadiennes sur la conservation marine. Il faut que cela se fasse d’un gouvernement à l’autre et qu’il y ait des consultations exhaustives. Cette même recommandation se retrouve dans un certain nombre de rapports récents, y compris ceux du Cercle autochtone d’experts, du rapport de Mary Simon sur le leadership partagé dans l’Arctique et d’autres.
Enfin, nous reconnaissons que les océans sont essentiels au maintien de la vie, à la vie sur terre, et bien qu’aucun facteur ne puisse être identifié comme étant le plus efficace pour assurer la conservation marine, la loi joue un rôle important. Nous félicitons le gouvernement pour ce projet de loi. Il améliorera la Loi sur les océans du Canada.
Mme Kuehnemund : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner pour appuyer le projet de loi C-55.
Avant d’être à Fonds mondial pour la nature (Canada), j’ai travaillé à Pêches et Océans Canada, ce qui me donne un point de vue unique tant sur la gestion des océans que sur les efforts exigés des fonctionnaires pour faire appliquer nos lois maritimes, analyser et produire les projets de loi comme celui à l’étude, et mener toutes les consultations nécessaires. J’ai de la reconnaissance pour tout ce travail.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais parler du contexte dans lequel nous étudions le projet de loi C-55. Nous vivons une crise de perte de biodiversité.
Le Secrétariat international de la Convention sur la biodiversité biologique des Nations Unies estime que le monde perd jusqu’à 150 espèces par jour en raison des pressions accrues attribuables aux changements climatiques et à l’activité humaine.
Les espèces de poissons du Canada atlantique, comme la morue, le maquereau et le thon, ainsi que le requin et la raie, ont connu un déclin de 38 p. 100 de 1970 à 2014.
Pour renverser cette tendance, nous devrons prendre des mesures ambitieuses pour protéger la nature. En ce qui concerne les écosystèmes marins, la première étape consiste à respecter les engagements internationaux à l’égard de la cible de protection de 10 p. 100 des zones côtières et marines d’ici 2020. L’adoption du projet de loi C-55 rend l’atteinte de cet objectif réalisable.
Pendant le reste du temps qui m’est alloué, je parlerai des trois éléments suivants : la désignation des zones de protection marine provisoires; l’interdiction de mener des activités gazières et pétrolières dans les ZPM; l’importance du principe de la prévention dans les politiques de conservation.
Il faut généralement compter sept ans pour créer une ZPM conformément à la Loi sur les océans. Le projet de loi C-55 vise à accélérer le processus en autorisant le ministre à désigner des ZPM de façon provisoire pour protéger les écosystèmes importants en attendant que toutes les recherches et les consultations nécessaires soient menées en vue de la désignation définitive.
Le projet de loi vise à protéger rapidement les aires marines qui en ont besoin dans le respect de l’activité humaine. Pour cela, le projet de loi propose le « gel de l’empreinte », ce qui veut dire qu’on admet la poursuite de certaines activités humaines autorisées et légitimes dans les zones qui bénéficient d’une protection provisoire. Pour préserver la valeur écologique, il serait toutefois plus efficace de faire appliquer des normes minimales, même dans les zones bénéficiant d’une protection provisoire.
Il est bien prouvé que la désignation de ZPM amène des répercussions positives — comme le renforcement des stocks de poissons — dans les zones adjacentes, ce qui apporte des retombées économiques directes aux collectivités qui dépendent des océans et au Canada en général. À titre d’exemple concret, pensons à la ZPM d’Eastport, à Terre-Neuve-et-Labrador, créée à la faveur de l’entrée en vigueur de la Loi sur les océans, en 2000, pour assurer la viabilité d’une population de homards à l’intérieur de la grande zone de gestion du homard d’Eastport.
Pour ce qui est des activités gazières et pétrolières, WWF se réjouit de voir que le projet de loi C-55 comprend des modifications visant à la fois la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures, des modifications qui donneront au ministre le pouvoir d’interdire les activités gazières et pétrolières dans les ZPM désignées conformément à la Loi sur les océans. WWF fait valoir haut et fort l’idée que les activités pétrolières et gazières sont incompatibles avec la protection marine. Cette idée est également présente dans la Convention sur la diversité biologique — dont le Canada est un État partie —, qui établit des pratiques exemplaires internationales selon lesquelles les activités gazières et pétrolières sont incompatibles avec les ZPM.
En 2017, un règlement a été déposé sur la désignation de la ZPM du chenal Laurentien : selon ce règlement, les activités gazières et pétrolières directes auraient été permises dans 80 p. 100 de la ZPM, et le forage dirigé aurait été permis dans le reste de la ZPM. Ces activités menacent toutefois précisément les espèces que le gouvernement entend protéger, comme le loup à tête large, le requin-taupe commun et la tortue luth, ainsi que les habitats benthiques fragiles où l’on trouve de fortes concentrations de plumes de mer. Bien que le projet de loi C-55 constitue une première étape importante, il faut savoir que la Loi fédérale sur les hydrocarbures ne s’applique pas dans les zones visées par l’Accord atlantique. Il faut donc poursuivre le travail pour adopter une approche pancanadienne qui permettra d’interdire les activités gazières et pétrolières dans les ZPM créées en vertu de la Loi sur les océans.
Même si cela n’est pas l’objectif central du projet de loi C-55, j’aimerais attirer votre attention sur la protection insuffisante accordée aux zones protégées créées conformément à la Loi sur les pêches. À l’heure actuelle, ces zones représentent plus de la moitié des cibles de conservation marine du Canada; pourtant, rien n’y interdit encore les activités d’exploration et de production gazières et pétrolières. J’espère fermement que le gouvernement agira rapidement en vue d’interdire ces activités dans les ZPM.
Enfin, il est important de souligner l’inclusion de la notion de principe de précaution dans le projet de loi C-55. L’idée est essentielle à la gestion responsable des ressources. Dans le contexte, cela veut dire que le ministre ne peut invoquer l’absence de certitudes scientifiques quant aux risques posés par une activité pour retarder ou refuser la création d’une ZPM. C’est une nouveauté d’une grande importance, puisque cela devrait accélérer la création des zones protégées, mesure dont nous avons cruellement besoin.
La crise que nous vivons touche toutes les formes de vie sur Terre. Pour les protéger, nous avons besoin de la collaboration de tous. Autrement dit, il faut que le Canada respecte ses engagements internationaux en matière de conservation et, pour cela, il y a lieu d’adopter le projet de loi C-55.
Le président : Merci à tous nos témoins. Comme d’habitude, nous allons laisser notre vice-président, le sénateur Gold, poser les premières questions.
Le sénateur Gold : Bienvenue à tous. Je vous remercie de vos exposés ainsi que de l’enthousiasme et de la passion avec lesquels vous appuyez ce projet de loi et ses objectifs. Je partage également ces objectifs. J’ai une question de clarification et une autre qui va au cœur des positions que vous avez toutes les trois exprimées.
Tout d’abord, pour bien préciser les choses, tout à l’heure M. Tim Kennedy, de l’Alliance de l’industrie canadienne de l’aquaculture, nous a dit qu’il est préoccupé par le fait que l’approche de précaution n’est pas parfaitement définie, articulée, élaborée, étoffée ou peut-être même bien comprise. Pourtant, à l’instar d’autres, madame Fuller, vous en avez souligné toute l’importance. Pourriez-vous réagir brièvement aux déclarations de M. Kennedy qui juge nécessaire de mieux préciser cette notion et d’être transparent à son égard. Je passerai ensuite à ma question plus controversée.
Mme Fuller : Je suis au fait du débat sur l’approche de précaution et sur son application à l’industrie de l’aquaculture au Canada. Il ne date pas d’hier.
Nous avons un problème de renversement du fardeau de la preuve. L’approche de précaution est prévue en droit international, dans l’Accord des Nations Unies sur les stocks de poisson. Elle est sur le point de figurer dans notre Loi sur les pêches. Il en est question dans le développement durable non mentionné. En fait, je pense que nous ne savons pas comment mettre cette approche en œuvre au Canada. Cela dit, je comprends le point de vue des aquiculteurs. Ils craignent sans doute la limitation des secteurs où il serait possible de pratiquer l’aquaculture en cages en filet.
Le sénateur Gold : Pensez-vous qu’une plus grande transparence, faute d’un meilleur mot, ou plus d’information sur la façon dont cette approche est ou pourrait être appliquée, serait utile à tous les intervenants dans ce dossier?
Mme Fuller : Je pense que cela dépend de l’industrie. Il existe un document du gouvernement du Canada sur l’application de l’approche de précaution, datant de 2002, qui a peut-être besoin d’une mise à jour. Je dirais que l’approche de précaution est de plus en plus utilisée dans les pêches, dans la science des pêches et dans la prise de décisions. Il y a beaucoup à apprendre et, demain, nous allons parler de l’application de l’approche de précaution avec le MPO.
Comme je le dis souvent : le Canada applique une approche de précaution à la question du principe de précaution. Il est probablement temps de passer à la vitesse supérieure. Cette approche est bien expliquée.
Le sénateur Gold : Merci.
Le président : Est-ce qu’un autre témoin aimerait répondre à la question du sénateur Gold?
Mme Kuehnemund : Je n'ai rien d'autre à ajouter.
Le sénateur Gold : Alors, je passe à ma deuxième et dernière question. Les positions communes que vous avez défendues, du moins d’après les documents et les témoignages entendus ailleurs et aussi à quelques reprises aujourd’hui, sont préoccupantes pour ce qui est des activités pétrolières et gazières actuelles dans les ZPM ou, plus généralement, dans les zones sensibles. Dans les derniers jours, nous avons beaucoup entendu parler de l’importance de la consultation, de la collaboration avec les intervenants, avec les communautés autochtones et avec d’autres.
L’industrie pétrolière et gazière est importante pour de nombreuses collectivités, territoires et provinces. En fait, ce matin, nous avons entendu M. Duane Smith, directeur général de la Société régionale des Inuvialuit, qui s’inquiétait beaucoup des répercussions négatives que pourraient avoir les ZPM sur l’exploitation potentielle du gaz naturel, mais aussi sur les possibilités d’exploitation du pétrole dans le Nord-Ouest, dans la mer de Beaufort et ailleurs. Il a décrit le travail effectué par sa communauté en liaison avec le MPO et d’autres organismes — ce n’était peut-être pas avec le MPO, mais avec d’autres — pour établir un équilibre entre, d’une part, la protection des bélugas dans une région donnée et, d’autre part, l’exploration gazière ou autres par la limitation des activités pétrolières et gazières à l’époque où le béluga avait disparu de la zone.
Compte tenu de l’importance de la collaboration et de la consultation, ainsi que des intervenants en présence, faudrait-il faire quelque chose pour permettre le maintien des activités pétrolières et gazières, une fois les analyses scientifiques terminées? Ou alors, dites-vous qu’il faudrait maintenir cette interdiction par voie de législation ou de réglementation — ou simplement par l’adoption de normes — dans ces zones sensibles?
Mme Fuller : Je vais répondre rapidement, puis je céderai la parole à Sigrid. Dans quel monde est-il acceptable que la totalité des océans soit accessible pour extraire du pétrole et du gaz? Dans quel monde est-ce acceptable? Je suis contre le pétrole et le gaz à cause des changements climatiques, mais je viens du Canada atlantique. Je comprends parfaitement les répercussions économiques. J’ai parlé avec des gens du secteur des hydrocarbures qui essaient d’intégrer la biodiversité et qui ne veulent pas forer dans des aires protégées. Shell, par exemple, se retire des aires protégées. Pourquoi avons-nous besoin de 100 p. 100 des océans pour forer? Le plan de 2030 pour Terre-Neuve prévoit le forage de 100 nouveaux puits. Il serait sans doute possible de forer ces 100 puits et aussi laisser un peu d’océan pour protéger le reste des espèces.
En fait, je ne vois pas de conflit. Je constate que les parties ne sont pas disposées à s’asseoir à la table — il n’est question que du Canada atlantique et non de l’Arctique pour le moment — pour parler de ce qui est absolument nécessaire pour l’exploitation du pétrole et du gaz, de ce dont la biodiversité a besoin et de ce dont l’industrie de la pêche a besoin. Nous pourrions le faire. C’est faisable. Il faut que les provinces s’assoient à la table. Il faut que les organismes de réglementation s’assoient à la table. Il faut que le fédéral soit à la table, avec RNCan et le MPO. Ils doivent être présents et trouver des solutions. C’est possible ça. Ce genre de conflit est inutile. À l’heure actuelle, nous protégeons 10 p. 100 de l’océan. Ce n’est vraiment pas grand-chose. Je ne pense pas qu’il y ait risque de conflit quand on s’assoit à une table pour chercher une solution.
D’aucuns estiment qu’il ne faut pas toucher au pétrole et au gaz; or, l’industrie de la pêche, elle, a été touchée. On a donc réservé des zones. Nous devons avoir des discussions honnêtes, ce que ne permet pas la rhétorique politique. Nous devons nous asseoir et le faire, surtout dans le Canada atlantique.
Je ne parlerai pas de l’Arctique parce que je pense que c’est là que les mammifères marins sont concernés et qu’il y a une activité sismique importante. Le bruit est quelque chose de différent. Quand on pense au forage dans les aires marines protégées, on peut se demander s’il y a des activités minières dans nos parcs nationaux. Je n’irai pas jusqu’à dire que toutes les ZPM sont comme des parcs, mais nous n’avons pas besoin de 100 p. 100 de l’océan pour faire des forages.
Sigrid ou Linda, voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Kuehnemund : Pour ma part, je me fais l’écho de votre message, Susanna. En ce qui concerne les aires marines protégées, nous parlons de l’engagement international de 10 p. 100 des zones côtières et océaniques d’ici 2020. Cela laisse 90 p. 100 de l’océan ouvert aux activités pétrolières et gazières.
Du point de vue de la réglementation ou des précisions à apporter pour l’industrie, il est utile de créer ces limites pour dire ce qui est permis et ce qui ne l’est pas dans une ZPM. Il est bien établi que les activités de production et d’exploration pétrolières et gazières ne sont pas compatibles avec la conservation marine. C’est le point de vue de WWF Canada qui est rejoint par les dispositions de la Convention sur la diversité biologique et de l’UICN.
J’aimerais simplement attirer l’attention sur le problème des déversements de pétrole au large de Terre-Neuve-et-Labrador et sur l’incapacité des ministères à mieux travailler de concert. En dehors des ZPM, je pense qu’une surveillance plus étroite s’impose pour tenter d’améliorer non seulement la protection de l’environnement, mais aussi les normes de santé et de sécurité au sein de l’industrie pétrolière et gazière. Je constate que la modification de la Loi fédérale sur les hydrocarbures est un premier pas dans cette direction.
Le sénateur Munson : Merci beaucoup pour votre présence. Voilà une manière fascinante de clore deux journées de discussions très savantes lors desquelles nous avons beaucoup appris.
Vous avez souligné que le processus d’établissement des ZPM prend trop de temps, mais le comité a également noté que cela ne fait pas l’objet de consultations suffisantes. Où est l’équilibre ici?
Mme Nowlan : Je pourrais peut-être commencer par cela. Ici, sur la côte du Pacifique, le MPO fait un excellent travail de consultation. Les collectivités sont consultées. Les collectivités de pêcheurs sont consultées, les collectivités locales sont consultées, il y a des négociations de gouvernement à gouvernement avec les Premières Nations, et des organismes-cadres ainsi que des groupes de conservation participent. Les consultations durent et sont détaillées, et je pense franchement que le MPO a fait l’objet d’un peu trop de critiques devant vous ces derniers jours. Il fait un excellent travail de consultation. C’est pourquoi il faut tant de temps. Voilà le problème. Je pense qu’ils pourraient être un peu plus efficaces et efficients dans leurs consultations.
Je crois savoir que dans d’autres régions du Canada, les choses bougent peut-être un peu vite pour les gens, mais ici, nous nous réjouissons d’avoir les récifs d’éponges siliceuses du détroit d’Hécate, des récifs d’éponges siliceuses uniques de valeur mondiale, vieux de 9 000 ans et protégés quelque 20 ans après leur découverte. Vous avez entendu dire que le secteur de la pêche a volontairement imposé des fermetures. Cela a été suivi par l’adoption de règlements, mais ce n’est qu’en 2017 que le secteur est devenu ZPM en vertu de la Loi sur les océans.
Je voulais prendre position pour le MPO. De mon point de vue, le ministère mène des consultations très approfondies, et je pense que vous avez entendu beaucoup trop de critiques à son sujet.
Mme Fuller : J’abonde dans le même sens. J’ai participé à quelques discussions sur les ZPM. Quand le processus de création d’une ZPM prend trop de temps, c’est que le personnel change et que les gens oublient. Donc, quand les discussions au niveau du ministre s’éternisent... de bonnes relations sont essentielles à la création d’une ZPM, de sorte que, lorsque le personnel change, le fait que les choses traînent en longueur peut être source d’animosité à terme parce qu’on n’a pas affaire aux mêmes personnes au début et à la fin.
J’ajouterais que, dans le dossier d’une ZPM côtière auquel j’ai participé récemment, le MPO a tenu 40 ou 50 réunions avec les intervenants avant l’annonce de la création d’un site d’intérêt. Il a financé la participation de l’association des pêcheurs. J’estime que le ministère a fait un assez bon travail de consultation. Selon moi, les gens se plaisent à dire qu’ils n’ont pas été consultés parce qu’ils veulent toujours dire non. Il y a des consultations, puis il y a des gens qui disent « nous voulons simplement dire non ». Ce sont deux choses différentes.
Je suis d’accord pour dire que le ministère ne possède pas une vaste expérience en matière de ZPM, car il y en a moins de 10 p. 100, mais j’ai passé 10 ans à l’Initiative de gestion intégrée de l’est du plateau néo-écossais, 10 ans à faire des consultations sur la gestion intégrée. Il faut aussi être deux pour danser le tango, et les autres doivent entrer dans la danse.
Le sénateur Munson : Bon, alors je vais donc aborder la question sous un autre angle. Concrètement, comment le MPO peut-il réduire le temps qu’il faut pour consulter sérieusement les intervenants? Encore une fois, je pense que nous cherchons un équilibre dans tout cela. Je suppose qu’il est facile de ne pas être gentil. Les gens peuvent toujours s’en prendre à un fonctionnaire anonyme et dire que ça prend trop de temps. Il est une cible facile. J’essaie de trouver un équilibre.
Mme Fuller : Adoptez le projet de loi C-55 et ça ira plus vite.
Mme Nowlan : Fixez un délai de cinq ans.
Mme Kuehnemund : Puis-je répondre?
Le sénateur Munson : Merci. Allez-y.
Mme Kuehnemund : Après l’adoption du projet de loi C-55, le MPO disposera des outils et des mécanismes nécessaires pour mener des consultations adéquates tout en protégeant des sites de façon provisoire. Par conséquent, le gel de l’empreinte permettra aux activités existantes de continuer, mais aucune nouvelle activité ne pourra prendre place. Il pourra ensuite y avoir des consultations auprès de ceux ayant investi dans des activités océaniques et, à mon avis, les changements apportés par le projet de loi C-55 permettront ce processus de consultation adéquate.
Le sénateur Munson : Merci.
Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, madame Nowlan?
Mme Nowlan : Je suis d’accord avec mes consœurs. Je pense qu’il peut être très efficace d’inscrire des délais dans la loi. Nous en avons un bon exemple avec ce qui s’est passé dans le cas de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, où une disposition permettait de protéger des aires quasiment vierges dans les parcs nationaux. Or, Parcs Canada ne faisaient rien. Eh bien, après la fixation d’une limite d’un an dans la loi, les choses ont bougé. Comme quoi, les délais peuvent fonctionner.
La sénatrice Bovey : Merci à vous trois pour vos commentaires. De toute évidence, vous travaillez dans ce domaine depuis très longtemps, et cela m’aide. J’aime bien l’expression que vous avez employée, madame Fuller, quand vous avez dit que le projet de loi C-55 est un point de cheminement important.
Hier, nous avons aussi beaucoup entendu parler de trousse d’outils et du fait que le projet de loi C-55 serait l’un de ces outils pour nous permettre, en tant que société, d’atteindre les trois piliers de la loi, c’est-à-dire la biodiversité — essayer de limiter la disparition d’espèces — les aspects socioéconomiques et les aspects scientifiques.
J’aimerais simplement en savoir un peu plus sur l’équilibre dont mon collègue a parlé, sur la protection provisoire que le projet de loi C-55 permettrait et sur le temps consacré aux consultations.
Comme vous l’avez entendu dans les témoignages des derniers jours, certaines personnes estiment que la consultation devrait avoir lieu avant la désignation provisoire, et d’autres disent que la désignation provisoire devrait intervenir d’abord afin qu’elle constitue un point de départ pour une consultation efficace. Pourriez-vous nous parler de la consultation avant, pendant et après. Madame Nowlan, vous avez parlé du travail efficace que le MPO a fait sur la côte Ouest et vous pourriez peut-être commencer par expliquer les consultations préalables et postérieures.
Mme Nowlan : C’est une bonne question. Nous savons déjà très bien quelles zones de notre océan sont importantes. Le MPO a en fait été le pionnier du concept des zones d’importance écologique ou biologique, les ZIEB. Nous avons cartographié tous nos océans. Il s’agit d’une initiative mondiale. Des ZIEB ne sont assorties d’aucun pouvoir de réglementation, mais elles sont déjà cartographiées le long des côtes et des bassins océaniques du Canada. Nous en savons donc déjà beaucoup sur les parties de l’océan qui revêtent une importance pour la nature.
Ces ZIEB sont désignées par le Secrétariat canadien de consultation scientifique, qui conseille le MPO selon un processus très inclusif. Des professeurs, des intervenants et des scientifiques experts collaborent à la recherche de ces aires. Donc, des consultations commencent bien avant la désignation d’un site d’intérêt, qui est la première étape.
La consultation se fait donc déjà à toutes les étapes. Le gouvernement, les intervenants ou des groupes comme le nôtre pourraient peut-être l’expliquer plus clairement. Nous pourrions essayer de sensibiliser davantage la population à ce sujet.
Mme Fuller : Le projet de loi C-55 favorise la planification du réseau. Au Canada atlantique, au moins trois régions y travaillent. Terre-Neuve travaille à la planification d’un réseau. La région du Golfe a une ébauche de plan de réseau, comme la région des Maritimes. Elles ont toutes voulu publier ces plans de réseau, mais pour diverses raisons politiques, elles ne l’ont pas fait. Je suis sans doute trop honnête.
Beaucoup de gens ont participé aux consultations sur ces plans de réseau bien avant leur publication. Les réseaux sont basés sur des informations scientifiques existantes et sur une importante superposition socioéconomique. Même si nous pouvions diffuser les plans de réseau et commencer à parler de ce que cela signifie dans les différentes aires, ces plans ne seraient pas mis en œuvre du jour au lendemain.
Tout le monde s’intéresse à cette question. Personne ne travaillait sur les ZPM en 2015, et maintenant tout le monde y participe. Les secteurs se parlent plus ou moins. Quand un gouvernement s’engage à faire quelque chose, il incite à la mobilisation, et c’est important.
La consultation dépendra toujours des intervenants et des participants. La qualité de cette consultation dépendra de votre présence à la table. Pour ce faire, le MPO a organisé des tables rondes sur les pêches, des réunions du comité consultatif sur les pêches, des réunions scientifiques, des consultations auprès des gouvernements provinciaux et des Autochtones — ce qui nécessite toujours plus de travail, comme nous le savons — et il a mené des consultations auprès des ONG. C’est assez impressionnant compte tenu des délais. Nous pouvons toujours apprendre à faire mieux, mais je pense que cela fait partie du processus humain.
La sénatrice Bovey : Madame Nowlan, vous avez mentionné que vous trouviez le projet de loi acceptable, mais qu’il pourrait toujours y avoir de la place pour des amendements. Si un amendement ou des amendements étaient proposés, lequel ou lesquels feriez-vous passer en premier?
Mme Nowlan : J’aimerais que la Loi sur les océans énonce une interdiction semblable à celle qui existe déjà dans une loi qui lui est complémentaire, la Loi sur les aires marines nationales de conservation du Canada. Celle-ci interdit maintenant explicitement l’exploration et l’exploitation du pétrole, du gaz et des mines extracôtières. J’aimerais qu’on retrouve cela dans la Loi sur les océans. Ce serait mon premier choix.
J’aimerais que l’on reconnaisse dans la législation le concept d’aire protégée autochtone, mais je ne pense pas que cela puisse se faire à l’heure actuelle sans des consultations plus approfondies de gouvernement à gouvernement. Voilà mes deux préférences.
La sénatrice Bovey : Merci.
Le sénateur Christmas : J’aimerais revenir sur les questions du sénateur Munson, et nous pourrions peut-être prendre un exemple précis de nouvelle ZPM, soit celle des îles de la côte est en Nouvelle-Écosse.
Madame Fuller, vous êtes néo-écossaise comme moi. Il a été question de cela ces derniers jours. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de la ZPM proposée pour les îles de la côte Est? Pourriez-vous nous parler de l’équilibre que nous recherchons en matière de rapidité et de consultation adéquate?
Mme Fuller : Absolument. La ZPM des îles de la côte m’empêche de dormir. J’ai mentionné brièvement le nombre de réunions que le MPO a tenues. Après l’annonce du site d’intérêt, il n’y a pas eu de réunions, en partie parce que la consultation a été bloquée à cause de la province et en partie parce qu’on a essayé de régler les problèmes liés au pétrole et au gaz. Or, quand tout n’est pas bloqué, je pense qu’il est important de continuer, de ne pas avoir de vides. Le gros problème, c’est la confiance dans le gouvernement. C’est le nœud du problème. Il est vraiment important que les gouvernements continuent d’être présents au sein des collectivités pour établir cette confiance qui peut prendre des décennies, je ne sais pas.
Je ne sais pas où est l’équilibre en ce qui concerne les îles de la côte Est. J’ai beaucoup aidé les pêcheurs. J’ai appuyé la pêche au homard, qui dure seulement 63 jours. Cela devrait être maintenu. Pendant les dix autres mois, il ne se passe pas grand-chose d’autre. J’ai appuyé l’idée qu’il n’y ait pas de zone d’interdiction de pêche bien qu’au nom de la biodiversité, on ne devrait permettre aucune prise, mais il y a des problèmes avec la pêche ASR, et nous ne voulons pas accroître les tensions raciales sur la côte Est parce que la pêche ASR peut continuer.
Le sénateur Christmas : Pourriez-vous expliquer au comité ce que veut dire ASR?
Mme Fuller : Pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles pour les Premières Nations. L’échéancier ira probablement au-delà de 2020. Le problème sur le terrain, c’est qu’il y a de la désinformation, et il est crucial que cela cesse. Je ne sais pas comment on peut l’arrêter. Mais il y a de la désinformation au sujet des craintes liées à la ZPM, ce qui a empêché les gens d’une petite collectivité d’exprimer leur appui potentiel ou leur désir de participer parce que c’est une petite collectivité qui sait se battre. Elle a tout un passé de lutte pour la protection de sa propre région dont personne d’autre ne s’occupe.
En même temps, il y a toute une histoire de lutte contre l’aquaculture en cages en filet, ce contre quoi les ZPM permettaient de se protéger. Je ne sais pas comment régler les problèmes sur la côte Est. Je n’en dors plus. Il faut que toutes les parties s’engagent honnêtement et fassent preuve de responsabilité : il faut des associations de pêcheurs qui soient financées pour mobiliser les gens, et des collectivités vouées à la conservation qui appuient le milieu de la pêche. Je n’ai jamais vu toutes les organisations aller aussi loin. Nous convenons que le gagne-pain est important, tout comme l’économie. Je ne sais pas quelle est la solution, sauf que nous avons besoin de l’information véritable pour pouvoir avoir un vrai débat. L’autonomisation des collectivités est vraiment importante pour qu’elles se voient comme cogestionnaires et cosurveillantes de la ZPM. C’est vital. Nous avons pu le faire dans le cas de certaines aires marines protégées dans l’Arctique, avec des collectivités inuites, mais c’est vraiment un manque de confiance dans le gouvernement qui est à la base de tout cela. Je ne sais pas comment on peut surmonter cela, mais ça va prendre du temps.
Je pense que les industries doivent être encore plus honnêtes à la table et admettre qu’elles ont bel et bien obtenu ce qu’elles ont demandé. L’industrie a demandé que l’industrie de la pêche au homard ne soit pas touchée. Ce serait une victoire. Je paraderais avec mon drapeau de la victoire. Pas de zone d’interdiction de pêche! Une autre victoire. Que se passe-t-il quand personne ne crie victoire. Je ne sais pas. Posez-moi la question dans trois ans.
Le sénateur Christmas : La solution dans la région des îles de la côte Est serait-elle plus longue, beaucoup plus longue à trouver?
Mme Fuller : Je ne sais pas. Je pense qu’il faut garder les gens mobilisés, mais il est difficile d’arriver à un consensus. Pour les zones côtières protégées, si les gouvernements provinciaux n’adhèrent pas et qu’ils appuient l’opposition aux ZPM, il sera très difficile de créer de telles zones le long des côtes.
Au large, ça va, ce n’est plus qu’un seul et même territoire marin, ainsi que dans le cas des marchés à marée haute, il y a un seul palier de compétence.
Les gouvernements provinciaux du Canada atlantique — malgré les sommes qu’ils ont reçues pour la supergrappe, les sommes du Fonds des pêches de l’Atlantique et d’Ocean Frontier et les 30 millions de dollars pour la commercialisation des pêches — sapent allègrement le processus de ZPM. Voilà donc un autre problème que je ne sais pas comment régler, sauf qu’on donne déjà beaucoup d’argent pour les activités océaniques ici. Nous pourrions bouger un peu. Ils m’écoutent probablement en ce moment.
Le sénateur Christmas : Je ferais mieux de cesser de poser des questions. Merci.
Le président : Merci, sénateur Christmas. Je tiens à remercier nos témoins d’avoir grandement contribué à la discussion d’aujourd’hui.
Cela dit, notre prochaine réunion aura lieu le 19 février, si tout va bien. Nous vous reverrons alors.
(La séance est levée.)