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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule nº 38 - Témoignages du 26 février 2019


OTTAWA, le mardi 26 février 2019

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été référé le projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures, se réunit aujourd’hui, à 18 h 27, pour l’étude du projet de loi.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. Je m’appelle Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador et j’ai l’honneur de présider la réunion ce soir. Avant de céder la parole aux témoins, je vais demander aux membres du comité de se présenter.

Le sénateur Munson : Jim Munson, de l’Ontario.

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur McInnis : Thomas McInnis, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Campbell : Larry Campbell, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

Le président : Merci, mesdames et messieurs.

Le comité poursuit son étude du projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures. Pour ce qui est de notre premier groupe de témoins ce soir, nous sommes heureux d’accueillir deux témoins. Par vidéoconférence, nous entendrons Paul Barnes, directeur, Canada atlantique et Arctique de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, et, dans la salle, Robert Lewis-Manning, président de la Chamber of Shipping of British Columbia.

J’ai participé à une réunion de comité avec M. Lewis-Manning ce matin. Par souci de transparence, je précise que nous n’avons pas de liens familiaux, pas à notre connaissance. Je dirais à M. Lewis-Manning que notre réunion se passera probablement mieux que celle de ce matin.

Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux. Désolé du petit retard. Il y avait certains votes à la chambre, mais nous sommes heureux de tenir notre réunion ce soir.

Au nom des membres du comité, je vous remercie tous les deux d’être là. Je crois savoir que vous avez des déclarations préliminaires. Nous allons commencer par M. Lewis-Manning, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Robert Lewis-Manning, président, Chamber of Shipping of British Columbia : Merci beaucoup et bonsoir, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je suis heureux d’être parmi vous pour formuler des observations et, je l’espère, des recommandations sur la façon d’améliorer le projet de loi. Je formule mes commentaires du point de vue du transport maritime et, de façon plus générale, du commerce.

La Chamber of Shipping of British Columbia représente les intérêts des armateurs, des mandataires et des fournisseurs de services responsables de plus de 60 p. 100 du commerce international canadien par transport maritime. Cela inclut de nombreux aspects, depuis les passagers des traversiers et navires de croisière jusqu’aux marchandises en vrac comme le grain destiné à l’exportation vers l’Asie. Les bâtiments de nos membres incluent certains des plus gros bâtiments, mais aussi de petits bâtiments, comme des remorqueurs et des chalands.

D’une diversité de façons, y compris par l’intermédiaire de la Loi sur les océans, le secteur du transport maritime participe de façon marquée aux efforts canadiens pour protéger nos côtes vierges, et les soutient fortement. De façon générale, nous soutenons l’intention du projet de loi et y suggérons certaines modifications relativement mineures qui favoriseraient une meilleure protection et, ce qui est encore plus important, permettraient d’éviter des conséquences inattendues. Ces modifications proposées concernent les pouvoirs proposés du ministre, la définition d’activités en cours et les articles proposés sur les infractions et les peines.

Le risque potentiel pour le secteur du transport maritime est probablement présent à l’étape d’élaboration d’une ZPM provisoire, soit une zone de protection marine provisoire. J’utilise peut-être le mot « provisoire » librement, mais, dans les faits, dans le projet de loi, il s’agit d’une ordonnance plutôt qu’une exigence réglementée.

Le projet de loi fournit au ministre le pouvoir de créer une zone de protection marine provisoire sans consultation supplémentaire, même auprès d’autres ministres, et d’ensuite définir les catégories d’activités permises ou interdites dans cette zone. Les navires, les grands comme les petits, sont exploités dans un environnement diversifié et souvent exigeant. Leur capacité de naviguer de façon sécuritaire est influencée par un certain nombre de facteurs externes et aussi à bord, notamment, entre autres, les conditions météorologiques, l’hydrographie, la cargaison et des aspects humains, comme la fatigue.

Les contraintes spatiales ou les limites opérationnelles pouvant découler d’un cadre réglementaire fondé sur le projet de loi pourraient limiter la capacité d’un bâtiment d’atténuer les répercussions de ces facteurs et de naviguer de façon sécuritaire et efficiente. Même si bon nombre des ZPM actuelles ont habituellement eu peu de conséquences sur le transport maritime commercial parce qu’elles sont situées en grande partie dans des régions côtières où les bâtiments ne passent pas souvent, on s’attend à ce que cette situation change à l’avenir tandis que le Canada tentera d’atteindre ses cibles de 2020. Par exemple, le MPO envisage d’établir sur la côte Ouest de l’île de Vancouver une zone de protection marine qui englobera 140 000 kilomètres carrés, et il s’agit d’une zone extrêmement active dans le domaine de la navigation commerciale, de la pêche et du tourisme.

En ce qui concerne les activités en cours, le projet de loi propose que le ministre dresse une liste des activités permises dans une ZPM précise et définit de telles activités comme celles qui étaient réalisées légalement ou autorisées durant l’année précédente. Ce niveau de flou législatif laisse beaucoup de latitude au ministre pour définir les activités en cours. Tout simplement parce qu’une activité n’a pas été réalisée précédemment dans une zone proposée ne signifie pas nécessairement que cette activité serait néfaste dans la zone en question ou qu’elle irait à l’encontre des objectifs de protection d’une zone de protection marine provisoire.

Le projet de loi contient aussi un cadre d’application de la loi. Un solide régime de surveillance et d’application de la loi est assurément un aspect clé d’un cadre législatif solide. Cependant, les dispositions dans le projet de loi sont un peu en contradiction avec celles qui figurent actuellement dans la Loi sur la marine marchande du Canada et ne reflètent pas une approche intégrée cohérente entre les ministères pertinents. Le niveau de sanction semble extrême dans le cas des exploitants de petits bâtiments; c’est une situation flagrante qui pourrait entraîner des préjudices indus pour les entreprises côtières et de nombreuses collectivités servies.

Dans un effort pour améliorer le projet de loi, nous espérons que vous tiendrez compte des recommandations qui suivent.

Premièrement, inclure dans le projet de loi une disposition exigeant du ministre qu’il publie son intention de créer une ZPM provisoire d’avance. Une période de préavis raisonnable non seulement permettrait d’informer les représentants au sein des gouvernements et de mettre l’accent sur le dossier, mais assurerait aussi une visibilité pour les intervenants externes et les collectivités côtières pouvant être touchées directement par cette nouvelle zone.

Deuxièmement, envisager d’inclure dans le projet de loi une disposition exigeant que le ministre consulte d’autres ministres clés ainsi que les industries réglementées pertinentes avant d’établir la ZPM provisoire. En procédant ainsi, on éviterait les conséquences inattendues ou toute incongruité entre différents textes législatifs ou réglementaires. Ce n’est pas nécessaire d’être un long processus, mais il devrait mettre l’accent sur les activités qui seraient permises dans la ZPM provisoire.

Troisièmement, nous recommandons d’évaluer la définition d’activités en cours. La limiter à une activité licite ayant été réalisée dans l’année précédente ne reflète pas les réalités du transport maritime commercial et impose des contraintes inutiles dans le cadre d’autres initiatives pouvant avancer plus rapidement que la période de restrictions de cinq ans associée à l’établissement d’une zone de protection marine.

Et, pour terminer, examiner et harmoniser les sanctions prévues dans le projet de loi pour refléter celles déjà prévues dans la Loi sur la marine marchande du Canada, surtout en ce qui concerne les petits exploitants. Les zones de protection marines doivent donner des résultats fondés sur des avantages tangibles. Même si le projet de loi proposé peut exiger un calendrier fixe de mise en œuvre et de gestion, il ne remplace pas le besoin d’un dialogue proactif auprès des intervenants et le besoin d’obtenir leurs commentaires.

Voilà qui conclut ma déclaration préliminaire. Je serai heureux de poursuivre le dialogue durant la période de questions et de réponses. Merci.

Le président : Merci, monsieur Lewis-Manning.

Monsieur Barnes?

Paul Barnes, directeur, Canada atlantique et Arctique, Association canadienne des producteurs pétroliers : Bonsoir, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je m’appelle Paul Barnes. Je suis directeur pour le Canada atlantique et l’Arctique de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, qu’on désigne souvent par le sigle ACPP. Je travaille à partir de St. John’s, à Terre-Neuve. L’ACPP est heureuse d’avoir l’occasion de fournir des commentaires au comité sénatorial dans le cadre de son examen du projet de loi. Le projet de loi C-55 nous intéresse parce qu’il aura certaines répercussions sur notre industrie.

En guise de contexte, nous sommes une association d’entreprises pétrolières et gazières qui participent à l’exploration, l’exploitation et la production de pétrole et de gaz au Canada. Les membres de l’ACPP produisent environ 80 p. 100 du gaz naturel et du pétrole canadien, sur terre et en mer.

Je travaille dans l’industrie pétrolière et gazière depuis plus de 30 ans maintenant et je travaille pour l’ACPP depuis maintenant environ 20 ans. Je suis responsable des zones pétrolières et gazières en haute mer du Canada, qui sont situées principalement sur la côte Est du Canada et dans la zone de la mer de Beaufort, dans l’Arctique canadien.

Dans le cadre de mon rôle au sein de l’ACPP, j’ai participé aux travaux liés à un certain nombre de zones de protection marines précises de la Loi sur les océans, les ZPM, à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse, et dans les Territoires du Nord-Ouest, dans le cadre de discussions directes avec des représentants du MPO au sujet de leur création et de comités consultatifs des intervenants des ZPM situées près d’intérêts pétroliers et gaziers.

De façon générale, l’ACPP soutient le projet de loi et l’intention du gouvernement du Canada d’apporter des modifications proposées à la Loi sur les océans et à la Loi fédérale sur les hydrocarbures. Les modifications fournissent plus de certitude à l’industrie concernant les activités menées dans une ZPM proposée, améliorent l’échéancier en ce qui a trait à la création de telles zones et fournissent une indemnisation aux titulaires de permis du secteur pétrolier et gazier s’ils sont négativement touchés par une décision relative à une ZPM. 

Il convient de souligner aussi que les modifications de la LFH ne s’appliquent pas aux zones où un régime de gestion conjoint est en place comme, par exemple, dans les zones extracôtières de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse et, par conséquent, elles s’appliquent seulement aux zones extracôtières de l’Arctique et de la Colombie-Britannique ainsi que dans la baie d’Hudson et dans le golfe du Saint-Laurent.

Voici ce que le projet de loi signifie pour l’industrie pétrolière et gazière. Premièrement, le temps moyen qu’il faut jusqu’à présent pour créer des ZPM au titre de la Loi sur les océans est de sept à dix ans. Le projet de loi ramène ce délai à environ cinq ans. Cela réduit ainsi une partie de l’incertitude qu’il y a au sein de notre industrie, puisqu’on raccourcit les délais pour comprendre si une ZPM sera vraiment créée et quelles activités pétrolières et gazières pourront ou ne pourront pas être réalisées si elle l’est effectivement.

Le projet de loi propose de créer un nouveau pouvoir de désignation de ZPM provisoires à la lumière de données scientifiques préliminaires et de consultations et permet la poursuite de toute activité industrielle comme celles liées au pétrole et au gaz actuellement en cours dans la zone en question, mais empêche toute nouvelle activité industrielle jusqu’à ce que la ZPM officielle soit en place. C’est une approche raisonnable.

Enfin, le projet de loi permet au gouvernement d’indemniser les détenteurs de permis du secteur pétrolier et gazier pouvant être empêchés de réaliser une activité liée à leur permis si la zone visée par ce dernier est incluse dans les limites d’une ZPM et si l’activité pétrolière et gazière dans la zone en question est interdite. Il convient de souligner que ce ne sont pas toutes les ZPM dans lesquelles toutes les activités pétrolières et gazières sont interdites.

En conclusion, nous comprenons que le gouvernement du Canada reconnaît l’importance de développer l’industrie pétrolière et gazière extracôtière du Canada pour qu’elle atteigne son plein potentiel, et cela signifie exploiter des ressources naturelles de façon responsable du point de vue environnemental. Les modifications proposées envisagées dans le projet de loi C-55 fournissent à l’industrie plus de certitude sur les activités réglementaires dans le milieu océanique où nous pouvons être actifs et fournissent une indemnisation si nous sommes touchés négativement à l’avenir par des décisions réglementaires.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de témoigner, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Barnes. Nous voulons assurément passer directement aux questions.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup à vous deux de vos exposés.

Monsieur Lewis-Manning, dans votre déclaration, vous avez parlé de l’ampleur des peines qui semblent extrêmes dans le cas des exploitants de petits bâtiments. J’aimerais en savoir un peu plus à ce sujet. De quoi parle-t-on? Qui sera touché par cela? À quel point s’agit-il d’un gros défi? Pouvez-vous me mettre tout cela en perspective?

M. Lewis-Manning : Merci beaucoup.

Le thème que je veux dégager, c’est que tous les utilisateurs des eaux côtières du Canada ne sont pas nécessairement les mêmes. La plupart des entreprises que nous représentons, par exemple, sont de gros exploitants qui détiennent les ressources pour comprendre le cadre réglementaire du littoral canadien où elles exercent des activités.

Il y a des entreprises familiales qui possèdent deux remorqueurs ou un bateau de pêche et qui passent 90 p. 100 de leur temps sur l’eau, et leur capacité de comprendre l’ensemble des divers règlements et des différentes planifications des zones dans le cadre de ces règlements devient assez complexe au Canada. On doit reconnaître, dans une certaine mesure, que ce ne sont pas tous les exploitants sur nos côtes qui exercent le même niveau d’activités. C’est le thème que j’essaie de faire ressortir. Vous ne voulez pas imposer inutilement une amende très élevée, par voie sommaire, à une petite entreprise qui soutient une collectivité, si celle-ci n’a jamais eu l’intention de transgresser quelque chose dans une zone de protection marine. C’est le thème général que j’essaie de transmettre.

La sénatrice Petitclerc : Dites-vous que les petites exploitations seront en quelque sorte touchées de façon disproportionnée?

M. Lewis-Manning : Je crois qu’il y a un risque que cela arrive, oui.

Le sénateur Campbell : Merci d’être venu de la Colombie-Britannique et de comparaître, par vidéoconférence, à partir de Terre-Neuve.

Monsieur Lewis-Manning, vous dites que nous devrions envisager une période raisonnable qui permettrait d’informer les représentants. De quoi parlons-nous ici?

En ce moment, il faut de sept à dix ans pour mettre en place une ZPM. Nous aimerions abaisser ce délai à cinq ans. Quelle serait la période appropriée pour que tout le monde puisse examiner ce qui se passe?

M. Lewis-Manning : Merci de poser la question. Pour le transport maritime commercial, si on souhaitait établir une ZPM, un préavis de un an serait utile, puis, pour la liste des activités et des interdictions, ce serait six mois à l’avance.

La plupart d’entre nous, dans l’industrie maritime commerciale, dialoguons constamment avec tous les ministères pertinents. Mais parfois, l’établissement de liens avec d’autres initiatives ne se fait pas. Je découvre souvent que des industries fournissent ces liens à des ministères fédéraux différents tout comme à des ordres de gouvernement différents, et il convient de prendre le temps de démêler tout cela, de sorte qu’il n’y ait pas de conséquences imprévues qui pourraient durer aussi longtemps que cinq ans.

Le sénateur Campbell : Je vis sur l’île Galiano, située dans la partie Sud des îles du Golfe, où se trouvent les clans de baleines, et tout le reste. Que pense votre industrie de ces idées de ZPM? Quel est votre avis sur la question?

M. Lewis-Manning : Globalement, nous les appuyons. Nous avons beaucoup appris en très peu de temps. Pendant des dizaines d’années, nous n’avons pas eu à aborder de questions liées à la Loi sur les océans, mais nous faisons du rattrapage. Nous commençons à avoir une connaissance assez poussée des espèces en péril, par exemple. Vous seriez certainement au courant, sur l’île Galiano, de ces espèces en péril dans votre coin de pays.

Une des difficultés, c’est la gestion des activités industrielles dans des régions à forte densité. Dans la plupart des cas, nous n’avons pas vu de zones de protection marines où se déroulent beaucoup d’activités. Mais à mesure que le Canada accroît ses mesures de protection, ce jour viendra. Nous devons être préparés à ce conflit, qui n’est pas négatif en soi, mais au fait d’avoir des ZPM dans des régions où le taux d’activité est élevé. Et la raison pour laquelle j’ai donné l’exemple de la côte Ouest de l’île de Vancouver, c’est parce que celle-ci connaîtra un taux d’activité élevé imputable à beaucoup d’utilisateurs différents. Il sera intéressant de suivre ce processus à mesure qu’il se déroule. Pour le moment, on prévoit qu’il se déroulera assez rapidement.

Le sénateur Campbell : Vous semblez très en faveur du projet de loi. Y a-t-il quelque chose que vous n’aimez pas à son sujet, monsieur Barnes?

M. Barnes : Oui, nous sommes certainement très en faveur du projet de loi. Quelques aspects pourraient être plus clairs, notamment, comme l’a dit M. Lewis-Manning, la publication de certains renseignements à l’avance afin que l’on puisse savoir qu’une ZPM peut être créée, et aussi quelques précisions pourraient être fournies relativement aux sanctions qui pourraient être imposées à des utilisateurs industriels différents en cas de non-conformité. Une partie du libellé de la loi pourrait certainement profiter de quelques améliorations.

Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, de façon générale, nous soutenons le projet de loi.

Le sénateur Campbell : Merci.

La sénatrice Bovey : Merci à vous deux d’être ici et de nous faire part de votre expérience. J’ai une question pour chacun d’entre vous.

Monsieur Lewis-Manning, vous avez remis en doute la définition d’une activité en cours. Ma question est double. J’aimerais savoir s’il y a des activités de transport maritime qui se produisent en ce moment ou qui sont autorisées à se produire dans l’année qui précède un arrêté ministériel et qui ne seraient pas visées par la définition d’activité en cours. Que manque-t-il à la définition d’activité en cours pour quelque chose qui pourrait ne pas avoir lieu durant cette année-là? En revanche, quel type d’activité ne serait pas visé par l’activité en cours ou s’inscrirait dans l’exemption énoncée à l’alinéa 35.1(3)a) proposé du projet de loi?

M. Lewis-Manning : C’est une question très complexe, et les ministères fédéraux eux-mêmes sont en train de tirer quelques enseignements.

Dans une industrie mondiale et fortement réglementée, j’imagine que vous pourriez faire valoir que tout est autorisé; ce n’est pas permis, mais des contraintes sont imposées. Pourtant, il n’y a pas de définition permettant de savoir si c’est précisément autorisé.

Je vais revenir à mon exemple de la côte Ouest de l’île de Vancouver, parce que c’est un exemple vivant du projet de loi, et j’imagine qu’il sera rapidement mis en œuvre une fois le projet de loi adopté.

Lorsque nous leur fournissons la liste de ce que nous croyons être des activités, nous ne leur donnons pas une liste qui dit : « Un navire vogue dans cette case-ci de l’océan ». Nous leur disons toutes les choses possibles qu’un navire pourrait faire, fait ou pourrait être tenu de faire à cet égard.

Je peux vous dire que le ministère des Pêches et des Océans a été assez surpris lorsque nous lui avons fourni la liste. Il l’a transmise à Transports Canada, et ce ministère a été surpris. Il y a beaucoup d’apprentissage. Je ne veux pas être négatif à ce sujet, mais l’adoption d’une approche temporelle pourrait se révéler trop contraignante.

L’autre message que j’aimerais faire ressortir, c’est qu’un projet devant encore obtenir bon nombre d’approbations pourrait être approuvé durant la période de cinq ans. C’est un aspect où le projet de loi pourrait, sans le vouloir, influencer négativement un certain type d’expansion ou de nouvelles activités visées par un certain processus d’examen environnemental, que ce soit à l’échelon provincial ou fédéral, ou aux deux.

La sénatrice Bovey : Puisque j’ai vécu sur l’île de Vancouver pendant de nombreuses années et que j’ai fait du kayak sur ces eaux, je sais très bien ce qui se trouve dans beaucoup d’entre elles. Un exemple que j’ai utilisé au fil du temps, c’est le détroit d’Hécate, et la fragilité et le caractère unique des lits d’éponge qu’on y trouve.

Croyez-vous qu’il est possible, de concert avec le MPO, de tracer des voies de circulation? Je ne sais pas si c’est ainsi que vous les désignez dans l’industrie maritime, mais des voies de circulation qui respecteraient les ZPM et qui n’entraveraient pas le transport maritime?

M. Lewis-Manning : Merci. J’aurais aimé que vous puissiez assister à ma comparution au comité ce matin. Nous avons abondamment parlé du sujet.

Oui, il y a un lien solide entre la gestion du risque et la protection. Nous ne sommes pas rendus à un niveau assez avancé pour que les deux soient intégrés, mais nous avançons dans cette direction.

La gestion des zones sensibles de notre côte au moyen de tracés et d’autres mesures est tout à fait faisable, et nous l’appuierions.

La sénatrice Bovey : Monsieur Barnes, je vous remercie énormément de vos commentaires dans le cadre de ces discussions. Vous avez mentionné que les modifications du projet de loi fournissent plus de certitude à l’industrie concernant les activités menées. Je me demande si vous pourriez expliquer ce que vous entendez par la certitude de plus que le projet de loi C-55 apporte à votre industrie?

M. Barnes : Oui. Comme je l’ai dit, selon notre expérience à ce jour, la création de ZPM a pris du temps, parfois jusqu’à 10 ans. C’est une longue période quand on ne sait pas si une ZPM sera créée et quelles conditions pourraient ou non être autorisées à survenir au sein de la ZPM. Vous pourriez, au bout du compte, avoir une ZPM qui limite toutes les activités pétrolières et gazières, qui les limite pendant une partie de l’année ou qui autorise diverses activités dans certaines parties de la ZPM, à divers moments. Le long délai de désignation d’une ZPM et le fait de ne pas savoir quelles activités pourraient ou non se dérouler dans cette région ont créé quelques incertitudes.

Le projet de loi propose de réduire le délai d’attente, pour le faire passer à cinq ans, ce qui est beaucoup mieux que la situation actuelle, et cela nous procure un peu plus de certitude.

La sénatrice Bovey : Vous voyez le fait de le raccourcir comme un changement positif, tandis que, dans d’autres industries qui pourraient être touchées par ce changement, il demeure quelques courbes d’apprentissage avant que l’on puisse formuler certaines des définitions, comme M. Lewis-Manning l’a dit. Merci.

M. Barnes : Oui, c’est exact.

Le sénateur Gold : Merci et bienvenue à vous deux.

Monsieur Barnes, des témoins qui ont comparu devant nous ont suggéré que toutes les ZPM prévues par la Loi sur les océans s’assortissent de normes minimales, et certains ont fait valoir qu’elles devraient prévoir l’interdiction de toute activité pétrolière ou gazière. Je présume que votre industrie rejetterait une telle interdiction généralisée, mais peut-être pourriez-vous faire part au comité de vos réflexions sur certains des facteurs qui devraient être pris en considération afin de déterminer si les activités pétrolières et gazières dans une ZPM particulière devraient être interdites, ou bien autorisées ou réglementées d’une façon ou de l’autre.

M. Barnes : Nous serions d’accord pour dire que, dans le cas de certaines ZPM, selon ce qu’elles sont censées protéger au sein de cette ZPM, peut-être qu’aucune activité pétrolière ou gazière ne devrait être autorisée. Encore une fois, cela revient à ce qui doit être protégé et aux données scientifiques à ce sujet.

Pour donner un exemple, il y a une ZPM proposée qui s’appelle la ZPM du chenal Laurentien, située au large de la côte Sud de Terre-Neuve. Elle passe en ce moment par le processus de publication dans la Partie 1 de la Gazette. Selon sa conception, il s’agit d’une très grande ZPM, et certaines parties limitent certaines activités pétrolières et gazières, par exemple les programmes sismiques. Ils sont limités, durant certaines périodes de l’année, quand on sait que certains mammifères peuvent se trouver dans cette ZPM et être affectés par le bruit des programmes sismiques. On suggère donc de créer, au sein de cette ZPM, des secteurs où vous ne seriez pas autorisé à entreprendre des activités sismiques pendant certaines parties de l’année.

De même, il y a des aires au sein de la ZPM où l’on propose de protéger les fonds marins contre des choses comme les enclos marins ou les concombres de mer. Comme il pourrait y avoir du forage dans cette région, aucune activité pétrolière et gazière n’est autorisée dans cette aire particulière au sein de la ZPM, parce que le forage pourrait nuire aux fonds marins.

Dans tout cet exemple, des activités pétrolières et gazières peuvent avoir lieu dans certaines parties de la ZPM, mais pas dans toutes, en raison de ce qu’elle est censée protéger.

Le sénateur Gold : Monsieur Lewis-Manning, dans vos observations et vos notes, vous avez dit que la sécurité d’un navire peut être compromise par les contraintes particulières d’une ZPM donnée. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets des répercussions que ces contraintes ont actuellement sur l’industrie du transport maritime? Et y a-t-il quelque chose que le projet de loi pourrait dire pour faire en sorte que l’on tienne compte de ces types de répercussions négatives au moment de prendre des décisions au sujet de la ZPM de façon générale ou des conditions et des contraintes connexes?

M. Lewis-Manning : Merci. Je suppose que je me livre à des hypothèses. Actuellement, il n’y a pas vraiment de répercussion directe, mais au fur et à mesure que nous augmenterons notre superficie des zones de protection marines, nous pourrions prévoir les zones où les navires seraient contraints de contourner différentes zones pour toutes sortes de bonnes raisons.

Si un navire était sur lest et ne transportait pas de fret, il pourrait être amené à corriger son assiette, par exemple. Il peut devoir changer son lest, c’est-à-dire charger ou rejeter de l’eau de ballast. Cela peut avoir des répercussions environnementales. Il devra peut-être également modifier son cap afin de composer avec des conditions défavorables.

Vous pouvez voir que des navires peuvent être amenés à modifier délibérément leur itinéraire en empruntant un passage qu’ils ne devraient pas pour la sécurité du navire et les gens à bord. Je ne suis pas sûr que le temps soit venu encore, mais vous pouvez le voir à l’horizon, en particulier avec ces plus grandes zones de protection marines qui sont envisagées. C’est ce dont je parle.

J’évoquais le projet de loi au moment même où vous demandiez s’il existe une disposition relative aux questions touchant la sécurité de la vie en mer. Si ce n’est pas là, ça devrait probablement s’y trouver.

Le sénateur Gold : Merci.

Le sénateur Christmas : J’ai une question pour nos deux invités, à commencer par M. Barnes.

Lors de sa comparution devant le comité le 6 février 2019, Susanna Fuller, d’Océans Nord, a affirmé croire qu’il est possible d’établir un équilibre entre la protection des océans et l’exploration et l’extraction pétrolières et gazières. Elle a noté, à titre d’exemple, que Shell Canada aurait renoncé en 2018 à ses droits d’exploration en mer pour une zone au large de la Colombie-Britannique.

À votre avis, monsieur Barnes, est-il possible d’établir un équilibre entre la protection des océans et l’exploration et l’extraction pétrolières et gazières?

M. Barnes : Oui, je le crois vraiment. J’utilisais plus tôt l’exemple de la ZPM proposée pour le chenal Laurentien. C’est un très bon exemple d’équilibre : autoriser une activité industrielle, comme celles liées au pétrole et au gaz, dans des parties de la ZPM où cela n’aurait pas d’incidence sur ce qui est protégé, mais interdire l’activité pétrolière et gazière dans d’autres secteurs de la ZPM où l’activité peut avoir des effets sur ce qui y est protégé.

Donc, oui, je conviens que l’activité pétrolière et gazière et la protection de l’environnement au moyen de ZPM peuvent certainement coexister.

Le sénateur Christmas : Selon vous, le projet de loi C-55 actuel permet-il cet équilibre? Voyez-vous cela dans le projet de loi tel que rédigé?

M. Barnes : Je ne dirais pas que cela permet l’équilibre, car il n’entraîne aucune restriction quant à l’activité pétrolière et gazière ou l’interdiction de ces activités dans une ZPM, ou toute autre activité industrielle, d’ailleurs. Cela nous aide simplement à préciser le temps nécessaire à la création d’une ZPM. Cela permet également de préciser si notre industrie sera touchée à l’avenir. Si une ZPM est désignée et qu’il ne peut y avoir d’activité pétrolière et gazière, l’industrie ou l’exploitant serait indemnisé pour toute perte.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Barnes.

Monsieur Lewis-Manning, l’une de vos recommandations était que le comité examine les peines prévues dans le projet de loi. Vous avez mentionné dans vos remarques que l’échelle des peines semble extrême, en particulier pour les petits exploitants. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et pourquoi vous croyez que le comité devrait entreprendre cet examen?

M. Lewis-Manning : Il y a deux éléments à cela. Je pense qu’il y a des incohérences entre l’échelle des peines dans la Loi sur les océans, ou les modifications qui y sont proposées, et celles prévues dans la Loi sur la marine marchande du Canada. Elles devraient probablement présenter une certaine synergie.

Comme je pense l’avoir expliqué plus tôt, il existe différents types d’exploitants sur nos côtes. Dans certains cas, il s’agit de grandes entreprises disposant de nombreuses ressources pour comprendre la complexité du cadre réglementaire. Ensuite, il y a de petits exploitants qui doivent respecter cette loi autant qu’un grand exploitant, mais qui ne disposent pas nécessairement des ressources nécessaires pour la comprendre également. Je m’inquiéterais du fait qu’un exploitant de petite taille commette involontairement une infraction en vertu de cette loi et fasse l’objet de procédures sommaires plutôt importantes et se voie imposer des amendes qui sont prévues à cet égard dans le projet de loi.

Cela ne veut pas dire que ce n’est pas important, mais il doit y avoir un certain degré de caractère raisonnable et d’éducation. Il y a beaucoup d’utilisateurs sur l’eau, et ce ne sont pas tous des entreprises avec des navires de 300 mètres qui disposent des ressources pour comprendre toute cette complexité.

Le sénateur Christmas : Je suppose que vous proposez que nous examinions une échelle des peines?

M. Lewis-Manning : Je pense que ce serait sage. Le projet de loi tente de le faire, mais c’est une question très complexe. Je pense que cela mérite plus d’attention dans l’intérêt de beaucoup de petites entreprises qui travaillent dans une zone géographique relativement petite sur une côte canadienne.

Toutefois, bien entendu, à mesure que les zones de protection marines gagnent en importance, ils vont devoir mieux comprendre leur environnement de travail. C’est probablement pour cette raison que peu d’entre eux demandent à comparaître devant le comité. Ils sont occupés et sont sur l’eau.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Lewis-Manning.

Le sénateur McInnis : Merci à vous deux de comparaître devant nous ce soir.

Monsieur Barnes, je suis devenu un peu perplexe lorsque vous avez mentionné des zones dans la ZPM. Comme vous le savez sûrement, les lois de mise en œuvre l’emportent sur l’activité extracôtière en ce qui concerne l’exploitation de minéraux dans toutes les eaux de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve. Qu’entendez-vous par zones dans la ZPM?

M. Barnes : L’exemple que j’ai utilisé était la ZPM pour le chenal Laurentien et la façon dont elle est configurée. C’est une très grande ZPM, et le ministère des Pêches et des Océans a désigné dans cette ZPM des zones qui restreignent l’activité pétrolière et gazière et certaines zones qui permettent l’activité. Certaines activités peuvent avoir lieu à divers moments de l’année et, dans d’autres zones, tout au long de l’année.

C’est une ZPM unique parmi les exemples canadiens de ZPM, car elle possède ces qualités zonales, mais c’est une très grande ZPM, et il est compréhensible que le MPO ait décidé de s’engager dans cette voie.

Le sénateur McInnis : Bien entendu, vous savez que, si vous souhaitez effectuer des tests sismiques ou forer au large de ces côtes, les lois de mise en œuvre, qui s’étendent au-delà de 200 milles marins, tout autour des eaux, l’emportent sur le forage et l’exploration extracôtière.

Voici mon problème. Au large des côtes de la Nouvelle-Écosse, il y a actuellement un site d’intérêt de 2 165 kilomètres. Il a été désigné par le ministre. Ils ont cinq ans pour les travaux et la consultation, et cela devient alors un règlement et éventuellement une ZPM. Du fait que la zone ait été désignée par le ministre dès le départ, l’empreinte est gelée. Comment une société d’exploration peut-elle sortir maintenant, vu cette désignation, et forer, malgré l’existence de l’accord?

M. Barnes : Elle peut certainement sortir maintenant et entreprendre n’importe quelle activité pétrolière et gazière, car il s’agit d’un site d’intérêt désigné. Il n’est pas désigné comme une zone de protection marine. Une société pétrolière et gazière titulaire d’une licence, que ce soit dans les limites de ce site d’intérêt ou à l’extérieur, peut entreprendre toute activité relevant de cette licence qu’elle est autorisée à exercer.

Le sénateur McInnis : En vertu des lois de mise en œuvre?

M. Barnes : En vertu des lois de mise en œuvre, oui. Il n’y a aucune restriction, même en ce qui concerne le site d’intérêt, lequel, en vertu de la Loi sur les océans, est un terme qui interdit l’activité pétrolière et gazière.

Le sénateur McInnis : Dans un secteur d’intérêt ou une ZPM?

M. Barnes : C’est exact.

Le sénateur McInnis : À quel point seriez-vous populaires, si vous sortiez?

M. Barnes : Nous ne serions assurément pas populaires. Nous éviterions certainement les ZPM désignées pour une zone très vulnérable, sachant que notre activité peut avoir une incidence sur les espèces que l’on tente de protéger à cet endroit. En tant qu’industrie pétrolière et gazière, nous ne voudrions pas non plus être dans cette zone.

Le sénateur McInnis : L’existence des accords uniques à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse doit attirer des sociétés pétrolières, n’est-ce pas?

M. Barnes : C’est certainement un attrait, car la loi de mise en œuvre offre beaucoup de certitude quant aux activités que nous pouvons entreprendre.

Toutefois, lorsque le gouvernement canadien met en œuvre une loi environnementale, celle-ci a habituellement préséance, dans une certaine mesure, sur les lois de mise en œuvre, même si vous avez mentionné la primauté des lois de mise en œuvre. Les équipes juridiques nous ont dit que la législation environnementale canadienne tend à avoir préséance sur les lois de mise en œuvre.

Le sénateur McInnis : Eh bien, ce n’est pas ce que révèlent mes recherches, et ce n’est pas ce qu’un haut fonctionnaire de Ressources naturelles a déclaré devant notre comité il y a une semaine. Les lois de mise en œuvre sont suprêmes, et c’est important. Nous devrions en parler parce que je pense que c’est important.

Avez-vous pensé à la question de l’indemnisation? Avez-vous déterminé quelle indemnisation et à quel titre? Jusqu’où va l’indemnisation? Je ne veux pas dire dans les Maritimes; je veux dire en Colombie-Britannique ou ailleurs. De quel genre d’indemnisation s’agit-il? Est-ce seulement vos coûts? Est-ce une perte potentielle de revenu? Est-ce une perte de redevances pour les provinces ou les territoires? Quelqu’un y a-t-il pensé quand on parle d’indemnisation?

M. Barnes : Non. C’est l’un des domaines qui pourraient être renforcés dans le projet de loi, car, pour le moment, il est ouvert. En tant que représentants de l’industrie pétrolière et gazière, nous voudrions que tout ce que vous avez mentionné soit pris en compte, et pas uniquement le coût lié à l’impossibilité d’exercer une activité. Toutefois, si une entreprise dépense de l’argent pour investir dans l’acquisition d’une licence dans le but d’explorer et, espérons-le, d’exploiter ce qui se trouve là-bas, et qu’elle en est empêchée, une indemnité doit être versée.

La sénatrice Busson : Je vous remercie beaucoup, monsieur Barnes, de votre présence ce soir, et vous aussi, monsieur Lewis-Manning.

Je voulais poser une question à M. Barnes au sujet de l’indemnisation. L’article 20 du projet de loi porte sur l’indemnisation en ce qui concerne le pétrole et le gaz; et, bien sûr, dans l’esprit de nombreux contribuables, l’exploration pétrolière et gazière est une chose très positive pour les contribuables du Canada. Le fait que l’on envisage une indemnisation pour les entreprises de l’industrie du pétrole et du gaz susceptibles d’être touchées par des ZPM aurait, dans ce cas, une incidence défavorable pour les contribuables canadiens à l’avenir.

Vous avez abordé une partie de ma question lorsque vous avez répondu à celle du sénateur McInnis, mais quelle est votre opinion générale sur l’incidence de l’indemnisation de l’activité de votre industrie dans des zones susceptibles d’être envisagées pour la désignation de ZPM?

M. Barnes : Si un exploitant a acquis une licence et qu’il est autorisé à exercer une activité, mais qu’il en est empêché parce que, à un moment donné après qu’il ait acquis la licence, le gouvernement du Canada décide d’ajouter une ZPM à cette licence, ou une partie de celle-ci, et restreint les activités pétrolières et gazières, il est juste que la société ayant acquis une licence de bonne foi soit indemnisée parce qu’elle n’est pas en mesure d’entreprendre l’activité à laquelle elle s’attendait.

La sénatrice Busson : Est-ce le fait qu’une indemnisation possible ou réelle existe en vertu de la loi affaiblit... cela constitue-t-il une réponse complète ou partielle... au fait qu’on envisagerait ou non l’exploration dans une certaine zone?

M. Barnes : Non. Je ne comprends peut-être pas votre question, mais pour nous, c’est une question d’équité. Si vous achetez une licence, vous vous attendez à entreprendre toute activité que vous pouvez au titre de cette licence, et vous devriez recevoir des dommages-intérêts et une indemnisation si vous ne pouvez pas entreprendre cette activité.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

Le président : Je tiens à remercier les témoins de leurs exposés présentés ce soir. Nous serons heureux de vous accueillir de nouveau ici à l’avenir.

Vous devriez tous avoir reçu une copie de l’article paru dans la revue Navigator portant sur notre étude des activités de recherche et de sauvetage. Cela vous donnera une idée des commentaires positifs suscités par cette étude.

Nous accueillons ce soir dans notre deuxième groupe de témoins, par vidéoconférence, le premier ministre du Nunavut et le sous-ministre du ministère du Développement économique et des Transports du Nunavut.

Je tiens à remercier le premier ministre de la lettre qu’il nous a fait parvenir le 27 novembre portant sur le projet de loi C-55. Nous sommes heureux de vous accueillir ce soir pour discuter de façon plus approfondie des commentaires que vous nous avez transmis plus tôt. Vous avez la parole.

L’honorable Joe Savikataaq, premier ministre du Nunavut : Monsieur le président, je m’appelle Joe Savikataaq, et je suis le premier ministre et le ministre de l’Environnement du Nunavut. Voici Udlu Hanson, sous-ministre du ministère du Développement économique et des Transports.

Je vous remercie de cette occasion de m’adresser au Comité sénatorial permanent des pêches et des océans concernant les préoccupations du Nunavut à l’égard du projet de loi C-55 et de formuler des recommandations quant aux amendements à y apporter.

Notre gouvernement a fait part de graves préoccupations au sujet de ce projet de loi au gouvernement du Canada dès le printemps 2017. Comme je l’ai mentionné dans ma récente lettre transmise à l’honorable Fabian Manning, le président du comité, le gouvernement du Nunavut a relevé que ce projet de loi conférera au gouvernement du Canada le pouvoir de désigner des zones de protection marines sans son consentement dans des eaux intérieures ou à proximité du Nunavut pour lesquelles nous pourrions avoir d’autres visées.

Ce projet permettrait aussi au gouvernement d’empêcher le développement de zones géographiques qui font actuellement l’objet de discussions à la table de négociation du transfert des responsabilités.

Pour terminer, le projet donnerait le droit au gouvernement du Canada d'interdire l’accès aux ressources pétrolières, ce qui empêcherait les Nunavummiut de tirer des bénéfices de ces ressources à l’avenir.

Nous nous préoccupons surtout de l’article 5 du projet de loi, qui autorise le ministre des Pêches et des Océans à désigner, par arrêté, une zone de protection marine de façon provisoire jusqu’à ce qu’elle soit désignée officiellement par un règlement du gouverneur en conseil.

Les dispositions à cet égard figurent aux paragraphes 35.1(2) et 35.3(1) du projet de loi. L’établissement d’une telle zone de protection marine provisoire est laissé à la discrétion du ministre et n’exige pas le consentement ni la consultation du gouvernement territorial ou provincial adjacent.

Cet arrêté provisoire peut durer jusqu’à cinq ans et ne semble pas assujetti à l’exigence de l’article 33 de la Loi sur les océans, selon laquelle le ministre « coopère avec [...] les gouvernements provinciaux et territoriaux » dans l’exercice des pouvoirs que lui confère la loi.

Le gouvernement du Nunavut est préoccupé par le fait que les modifications proposées dans le projet de loi vont à l’encontre des objectifs du fédéralisme coopératif envers lesquels le gouvernement du Canada s’est engagé publiquement, et qu’elles minent les négociations en cours sur le transfert des responsabilités. Les changements proposés ne tiennent pas compte du rôle du Nunavut dans le développement économique, l’intendance environnementale et la gouvernance du territoire. Ces changements menacent de compromettre la relation de gouvernement à gouvernement que le Canada tente d’établir.

En outre, le gouvernement du Nunavut est préoccupé par les modifications proposées dans le projet de loi concernant la Loi fédérale sur les hydrocarbures, car elles pourraient interdire aux détenteurs de titres de commencer ou de poursuivre des travaux dans les eaux fédérales assujetties à une ZPM. Encore une fois, nous croyons que le gouvernement du Nunavut doit participer au processus décisionnel visant à interdire l’exploration ou d’autres activités dans une zone marine protégée.

Nous n’appuyons pas les modifications proposées qui permettent au gouvernement du Canada de prendre de façon unilatérale des décisions qui pourraient avoir une incidence sur les Nunavummiut en ce qui concerne l’exploitation minière et pétrolière, le tourisme, la pêche commerciale et la navigation dans les eaux du Nunavut.

Le gouvernement du Nunavut a passé en revue le rapport du comité intitulé Pour des océans en bonne santé et des collectivités côtières dynamiques : renforcement du processus de création des zones de protection marine en vertu de la Loi sur les Océans, de même que la réponse du gouvernement du Canada au rapport, dont des recommandations vers lesquelles nous penchons. Nous avons souligné les recommandations que nous appuyons et avons fourni des commentaires afin de compléter les mesures à prendre énoncées.

À titre de représentant des Nunavummiut, le gouvernement du Nunavut souscrit au fait qu’il est essentiel de nommer un décideur pour assurer l’établissement et la durabilité de zones de protection marines futures situées au Nunavut. Le gouvernement du Nunavut a ses propres stratégies pour le développement à venir. Il est par conséquent essentiel qu’il participe, à titre de codécideur, au processus d’établissement des zones de protection marines, tant provisoires que permanentes.

Le processus semble conçu pour limiter la capacité des intervenants à soulever les préoccupations légitimes qu’ils pourraient avoir si une zone de protection marine était créée dans un endroit qui les touche. Le Nunavut, dont les côtes océaniques sont les plus longues du Canada, sera touché de façon disproportionnée par rapport au reste du pays.

De fait, les effets de l’approche préconisée par le projet de loi sont déjà manifestes dans plusieurs nouvelles propositions de désignation de zones de protection marines qui touchent notre territoire. Je tiens à répéter que nous ne sommes pas opposés à la création d’aires protégées, mais que nous soutenons que nous devons jouer un rôle dans le processus décisionnel. Nous avons exprimé à des occasions précises nos préoccupations au sujet de l’incapacité générale du gouvernement du Canada à faire participer le gouvernement du Nunavut à son processus décisionnel concernant les zones de protection marines.

En octobre dernier, j’ai fait parvenir une lettre au premier ministre Trudeau et lui ai rappelé nos préoccupations à l’égard du projet de loi C-55. En voici un passage :

Je tiens à rappeler au gouvernement du Canada les préoccupations particulières concernant les modifications qu’on propose d’apporter à la Loi sur les océans et à la Loi fédérale sur les hydrocarbures (projet de loi C-55). Nous ne sommes pas en faveur de la création de zones de protection marines provisoires sans que le gouvernement du Nunavut joue un rôle décisionnel dans le processus. Je le répète : ce type de décision unilatérale pourrait avoir une incidence sur les perspectives économiques du Nunavut et sapent les négociations en cours sur le transfert des responsabilités.

La prise de décisions unilatérales a miné notre relation avec le gouvernement du Canada dans le passé, par exemple dans le cas de l’imposition d’un moratoire sur l’exploitation du pétrole et du gaz extracôtiers. Cette décision a été communiquée au gouvernement du Nunavut seulement quelques heures avant d’être annoncée dans les médias. L’Évaluation environnementale stratégique dans la baie de Baffin et le détroit de Davis qui se poursuit sera un élément clé de l’examen du moratoire, et, encore une fois, le gouvernement du Nunavut est écarté du processus décisionnel touchant les résultats futurs de cette évaluation environnementale stratégique.

Aux yeux du gouvernement du Nunavut, il est évident que nous devons prendre part au processus décisionnel concernant des décisions importantes comme celles touchant le moratoire sur l’exploitation pétrolière et gazière dans nos eaux territoriales et le processus de désignation de zones de protection marines dans notre territoire.

Si le projet de loi C-55 obtient la sanction royale, il viendra légitimer davantage la prise de décisions unilatérales par le gouvernement du Canada au nom du Nunavut, ce qui aura une incidence directe sur les perspectives économiques des générations futures de Nunavummiut.

Par conséquent, le gouvernement du Nunavut demande au gouvernement du Canada d’apporter un amendement au projet de loi qui exigerait le consentement des gouvernements limitrophes avant la désignation d’une zone de protection marine ou l’interdiction d’activités au sein d’une zone de protection marine proposée dans ces administrations. Cet engagement renforcerait et améliorerait l’occasion de collaboration et de discussion au moment de l’établissement de zones de protection marines dans les eaux territoriales du Nunavut ou à proximité du territoire.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci, monsieur le premier ministre.

Le sénateur Gold : Je vous remercie, monsieur le premier ministre, de votre disponibilité et de votre exposé très utile et exhaustif.

J’aimerais revenir sur le dernier commentaire que vous avez formulé, qui se faisait l’écho de la lettre que vous avez fait parvenir au président de ce comité en novembre 2018, dans laquelle vous avez recommandé d’apporter un amendement, qui exigerait le consentement écrit des gouvernements provinciaux ou territoriaux concernés avant la désignation d’une zone de protection marine provisoire ou permanente et demandé que votre gouvernement joue un rôle décisionnel dans ce processus.

Pourriez-vous fournir plus de détails concernant les processus ou les structures que vous envisagez pour la mise en œuvre de vos recommandations? Proposez-vous qu’on accorde un droit de veto à votre gouvernement territorial à l’égard des décisions? Il y a un continuum, si je puis dire, entre la consultation, d’un côté, où la décision définitive qui appartient au ministre, et le droit de veto, à l’autre extrémité, et il y a probablement de nombreuses étapes tout au long de ce continuum. Pouvez-vous nous aider à comprendre les structures que vous envisagez pour la mise en œuvre de vos recommandations?

M. Savikataaq : Nous ne demandons pas un droit de veto, mais je vais vous donner un exemple d’un très bon fonctionnement.

Il existe maintenant une zone de protection marine appelée Tallurutiup Imanga, et nous avons collaboré avec le gouvernement fédéral et la Qikiqtani Inuit Association, la QIA, qui est l’organisme inuit régional. Nous avons participé au processus dès le départ. Actuellement, d’après ce que je comprends, un accord de principe a été signé avec le gouvernement fédéral visant à convertir cette zone en aire marine de conservation. Il s’agit d’un exemple de situation dans laquelle nous avons tous collaboré pour atteindre un même objectif. C’est probablement plus facile et plus rapide de collaborer tous ensemble plutôt que de se faire des vacheries en douce.

Le sénateur Gold : Nous avons entendu le témoignage d’autres intervenants, et les intérêts de chacun diffèrent; je ne les compare pas au gouvernement. On nous a dit maintes fois qu’il est préférable pour que la collaboration se fasse au début du processus, de sorte qu’on puisse cerner des points en commun et apprendre des expériences de chacun.

Avez-vous des recommandations spécifiques sur la façon de réaliser cette conception de la participation au processus décisionnel ou des précisions concernant la signification du terme consentement? Je soulève ce point parce qu’on parle beaucoup ces jours-ci au Sénat de la question du consentement libre et préalable, dans d’autres contextes, et assurément en ce qui concerne le projet de loi C-262. Il serait utile pour nous de savoir, si vous pouvez nous donner des précisions, quels mécanismes vous jugez appropriés pour réaliser le rôle que vous cherchez à jouer dans ce processus.

M. Savikataaq : J’estime que, de façon générale, avant toute mise en œuvre, un groupe de travail est mis sur pied. Nous souhaiterions faire partie du groupe de travail à l’échelon administratif. Habituellement, quand un groupe de travail est créé, il est accompagné d’un protocole d’entente, lequel est ensuite signé par un représentant du palier politique. Ainsi, nous serions présents dès le début du processus, et le serions jusqu’à la fin.

Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous ne sommes pas opposés à la création de zones de protection marines. Nous voulons faire partie du processus décisionnel afin de participer à la définition de ces zones et aussi à l’établissement des interdictions qui pourraient y être liées. Nous souhaitons faire aussi partie de ce processus.

Quand nous sommes privés d’une zone, nous sommes privés d’une partie de notre avenir. Il y a peut-être des ressources qui s’y trouvent auxquelles nous n’aurons plus accès. Le projet de loi C-55 ne prévoit pas de processus de consultation. S’il est adopté tel quel, le ministre des Pêches et des Océans pourra décréter qu’une zone est protégée, et ensuite il disposera de cinq ans pour justifier la création de cette zone. Nous sommes d’avis que ce processus fonctionne à l’envers.

Si vous souhaitez désigner une aire de protection marine, nous devrions faire partie du processus, et nous contribuerons à la réflexion qui sous-tend la justification de la création d’une zone marine protégée à l’endroit concerné.

Le président : Monsieur le premier ministre, après notre séance de ce soir, s’il vous vient à l’esprit quelque chose que vous souhaitez nous communiquer — des recommandations ou des propositions — n’hésitez pas à en faire part à la greffière du comité. Il se peut qu’après les échanges tenus ici, vous pensiez à quelque chose à ajouter par la suite.

Le sénateur McInnis : Monsieur le premier ministre, je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie de comparaître.

Je comprends ce que vous dites quand vous parlez de consultations, mais, comme vous le savez, la Constitution donne les terres et les cours d’eau aux provinces et aux territoires, et ce qui va jusqu’au niveau moyen de la marée est de ressort fédéral. Toutefois, pour qu’une fédération puisse fonctionner adéquatement, il doit y avoir un partenariat.

Ces dispositions de la nouvelle loi, et le mécanisme qu’on met en place en ce qui a trait à la désignation d’emblée — sans que les provinces soient consultées, ni le public... on prend une décision à Ottawa, et on affirme qu’il s’agit d’un site d’intérêt. En cinq ans, on doit transformer l’arrêté en règlement.

Je ne suis pas certain du problème que posait le mécanisme précédent. Oui, les délais étaient plus longs, mais, au moins, on tenait des consultations en cours de route. Ne souscrivez-vous pas à l’opinion selon laquelle ce nouvel effort accéléré... soit dit en passant, on le met en place afin de pouvoir atteindre le taux de 10 p. 100 d’ici 2020. Voilà pourquoi on le fait. On aurait pu le faire sous le système précédent en cinq ans. Il s’agit d’une longue période. Ne convenez-vous pas du fait que ce soi-disant processus accéléré, sans consultation ni partenariat, est la meilleure façon de procéder? Qu’y avait-il de si mal avec la façon précédente?

M. Savikataaq : Je souscris entièrement à votre opinion, monsieur le sénateur. Je ne voyais rien de mal à l’ancien système non plus. À mon avis, le but est d’accélérer le processus afin que le gouvernement canadien puisse respecter ses engagements envers l’ONU concernant le taux de 10 p. 100 de zones aquatiques protégées à l’intérieur du pays. Notre littoral est le plus long; de plus, nous ne sommes pas une province. Nous sommes un territoire, alors nous n’avons pas d’autonomie par rapport à beaucoup de choses, contrairement aux provinces; par conséquent, nous sommes disproportionnellement touchés par cette décision.

Le sénateur McInnis : Votre accord sur les revendications territoriales a été entériné, n’est-ce pas? Il a été inscrit dans la loi?

M. Savikataaq : Oui.

Le sénateur McInnis : Quelle serait l’importance de cet accord par rapport à la Loi fédérale sur les hydrocarbures? Quand vous l’avez négocié, je suppose que cette loi comprenait certains droits. Le fait que cela fasse partie de la recherche me frappe. Vous avez probablement la réponse ce soir, mais, si vous ne l’avez pas, quelqu’un devrait se pencher sur cette question afin de savoir si la loi vous confère les droits qui l’emporteraient sur cette modification touchant la Loi fédérale sur les hydrocarbures. Vous êtes-vous penché là-dessus?

M. Savikataaq : La loi sur les revendications territoriales est protégée par la Constitution, alors elle l’emporte sur beaucoup d’autres lois. Elle aurait préséance sur cette modification. La seule chose, c’est qu’elle régit les terres. À ma connaissance, l’accord sur les revendications territoriales ne comporte aucun volet concernant la haute mer. Son application s’arrête à la laisse de haute mer, je crois.

Le sénateur McInnis : Il vous faut un accord comme celui que nous avons établi au Canada atlantique.

M. Savikataaq : Vous avez raison.

Le sénateur Patterson : Je remercie le premier ministre Savikataaq et le sous-ministre Hanson. Je sais que vous avez une session budgétaire en cours à l’Assemblée législative, alors nous vous sommes vraiment reconnaissants du temps que vous nous accordez ce soir.

Monsieur le premier ministre, vous avez mentionné le préjudice pour les négociations sur le transfert des responsabilités qui sont en cours. Si je puis me permettre, chers collègues, ces négociations portent sur le transfert de pouvoirs semblables à ceux des provinces, soit le transfert du gouvernement fédéral aux territoires des responsabilités liées à la propriété et à la gestion des terres et des ressources.

Au Nunavut, aujourd’hui, le gouvernement fédéral possède et gère les terres, de même que le territoire en haute mer, mais vous avez affirmé que des négociations sont en cours. Elles sont régies par le protocole de négociation du transfert de responsabilités en matière de terres et de ressources, signé en 2008 par les gouvernements du Nunavut et du Canada et par la Nunavut Tunngavik représentant les Inuits du Nunavut.

Sans entrer dans les détails, au paragraphe 3.2 — sous « Pétrole et gaz » — du protocole de négociation du transfert des responsabilités, il est question du fait que les parties s’entendent pour discuter de la gestion des ressources pétrolières et gazières des zones côtières et du fond marin, en un bloc intégré, lors d’une prochaine étape des négociations sur le transfert des responsabilités. On y énonce également que le gouvernement fédéral reconnaît la nécessité d’intégrer la gestion du pétrole et du gaz des zones côtières et du fond marin. Ce paragraphe prévoit également que les parties collaboreront afin d’élaborer des arrangements administratifs visant à permettre au gouvernement du Nunavut d’apporter une contribution accrue à la gestion du pétrole et du gaz au Nunavut.

Je voulais lire ces passages officiellement parce que vous affirmez que, comme le projet de loi permet le retrait unilatéral de zones des projets de mise en valeur qui pourraient être abordés dans le cadre des négociations sur le transfert des responsabilités, il cause du tort à ces négociations.

Ainsi, ma question est la suivante : comment se déroulent les négociations sur le transfert des responsabilités? Réalisez-vous des progrès? Pourriez-vous me donner une idée de leur déroulement et de l’étape à laquelle vous en êtes?

M. Savikataaq : Nous réalisons des progrès, sinon, nous ne serions pas en train de négocier. Nous ne reculons pas. Nous progressons.

L’un des endroits que nous tentons d’aborder dans le cadre des négociations, ce sont les dessous du fond marin. Comme le sénateur Patterson le sait très bien, nous avons conclu un accord sur les revendications territoriales, et beaucoup des minéraux connus sur les terres appartiennent à l’organisation inuite, alors les Inuits obtiendront les redevances.

Dans le cadre du processus de négociation, nous avons trouvé un moyen d’avoir des capacités semblables à celles des provinces afin de recueillir de l’argent, nous aussi. Nous ne voulons pas toujours dépendre du gouvernement fédéral pour obtenir tout l’argent qui est nécessaire afin de diriger le Nunavut. Cela fait partie du processus de négociation. Nous voudrions obtenir des redevances pour les ressources du sous-sol marin. Voilà pourquoi nous avons affirmé que, si vous créez une zone de protection marine sans notre consentement et que nous sommes encore en train de négocier, c’est comme négocier de mauvaise foi, car vous retirez une zone au sujet de laquelle nous voulons négocier avant même que nous ayons conclu notre entente.

Un autre élément que je voudrais souligner, c’est le fait que le ministre peut désigner unilatéralement une zone de protection marine. En même temps, il peut également décider qu’il n’est pas obligatoire de procéder à une évaluation des ressources maritimes et énergétiques dans cette zone. Par conséquent, nous ne connaissons pas le potentiel de la zone en question parce que cette évaluation n’est pas exigée. Dans le cas de Tallurutiup Imanga, on a dû procéder à une ERME, une évaluation des ressources minérales et énergétiques, alors, nous savons ce qui se trouve dans cette région et ce que nous abandonnons. Toutefois, dans le cadre de ce processus rapide, ces évaluations ne sont plus exigées, alors non seulement nous perdrions cette région, mais nous ne saurions également pas ce qui s’y trouve et ce que nous avons perdu.

Le sénateur Patterson : Vous avez parlé de Tallurutiup Imanga comme d’un exemple de bon processus auquel les trois parties — les Inuits, le gouvernement du Nunavut et le Canada — ont participé. Je pense qu’il permettra d’établir la plus grande zone de protection du Canada. J’affirmerais que le Nunavut fait déjà sa part en matière de zones de protection marines.

Vous avez mentionné deux autres propositions qui vous ont été faites. L’une est l’évaluation environnementale stratégique, je crois, dans la baie de Baffin et le détroit de Davis. Si je comprends bien, vous ne prenez pas part à cette évaluation. Le gouvernement fédéral vous a fait participer à celle de Tallurutiup Imanga, mais pas aux résultats du processus d’EES.

Et je crois savoir que l’établissement d’une zone protégée a été proposé dans le haut bassin de l’Extrême Arctique et que cette zone englobe le bassin de Sverdrup — qu’on appelle la dernière zone de glace —, qui est riche en pétrole et qui faisait l’objet d’une marotte de M. Gerry Butts, quand il était à la Fédération mondiale de la faune.

Pouvez-vous me parler de votre participation, le cas échéant, en ce qui a trait à la proposition concernant le bassin de l’Extrême Arctique, de l’endroit où cette zone se trouve et de l’étendue d’océan qu’elle englobera?

M. Savikataaq : Je crois que la zone de Tallurutiup Imanga s’étend sur 109 000 kilomètres carrés. Si ma mémoire est bonne, la dernière zone de glace — ou le bassin de l’Extrême Arctique — s’étend sur 209 000 kilomètres carrés, alors c’est une zone énorme. En outre, dans le cas de ce carrefour du Haut-Arctique, on avait l’impression qu’il s’agirait d’une décision unilatérale prise par le Canada et la Qikiqtani Inuit Association. Ils sont en négociation. Nous n’en avons entendu parler qu’une fois que leurs négociations ont été bien entamées, et c’est à ce moment-là que nous avons dit : « Non, ralentissez tout simplement le processus; nous ne sommes pas contre, mais nous voulons en faire partie. »

Nous avons négocié, et nous avons signé un PE afin que nous puissions faire partie du processus d’établissement de cette zone de protection marine pour la dernière zone de glace.

Comme je l’ai déclaré, nous ne sommes pas contre le processus. Nous voulons en faire partie. Nous sommes le gouvernement du Nunavut, et c’est notre région. Et c’est exactement comme les provinces qui lancent un débat et font connaître leurs insatisfactions si un énorme morceau de leur région côtière leur est retiré sans leur consentement et presque sans qu’elles le sachent.

Le sénateur Patterson : Il existe une solution rapide à ce problème. En passant, je pense que l’Île-du-Prince-Édouard s’étend sur moins de 6 000 kilomètres carrés, et cette région est de 200 000 kilomètres carrés, pour donner à tout le monde une idée de son envergure.

Il existe une solution rapide à ce problème, c’est-à-dire modifier le projet de loi afin de donner au Nunavut ce que je pense que vous avez appelé un rôle décisionnel dans le processus. Est-ce une mesure qui satisferait le gouvernement du Nunavut, et est-elle semblable à celle sur laquelle travaille le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest?

M. Savikataaq : Je ne connais pas très bien le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, mais nous voudrions faire partie du processus décisionnel, en ce qui concerne la création de zones de protection marines et la désignation des activités qui y sont interdites.

J’ai le document ici sous les yeux : Tallurutiup Imanga compte pour 1,9 p. 100 de la superficie totale des 10 p. 100 que le Canada veut atteindre, et, si on ajoute la dernière zone de glace, c’est 3,8 p. 100 de plus. C’est plus de la moitié de l’objectif global du Canada. Nous ne sommes qu’un territoire sur 13, mais nous apporterions plus de 5 p. 100 des 10 p. 100 de zones de protection marines.

La sénatrice Bovey : Monsieur le premier ministre, je vous remercie et vous souhaite la bienvenue. Je faisais partie du groupe qui a eu le plaisir de se rendre au Nunavut en septembre dernier. J’ai été enchantée du moment de notre arrivée jusqu’au moment de notre départ.

Je vais vous demander de me préciser quelques éléments. Je commence à être un peu mêlée concernant ce qui est arrivé, quand et comment. Je m’attarde peut-être simplement trop aux définitions.

Vous avez parlé de négociations et de consultations. Je me demande si vous pouvez m’éclairer. Je crois comprendre que l’article 31 de la Loi sur les océans souligne l’importance de la collaboration dans le cadre de l’établissement de plans pour la gestion intégrée de toutes les activités ou mesures. Les articles 32 et 33 poursuivent en soulignant l’importance de la coopération avec les gouvernements territoriaux et les organismes constitués dans le cadre d’accords sur les revendications territoriales. Je ne pense pas me tromper en affirmant que les députés Tootoo et McLeod ont apporté un amendement au projet de loi à la Chambre des communes, alors cet amendement était en place avant que le projet de loi nous soit renvoyé.

J’avais supposé — et corrigez-moi si je me trompe — que l’inscription de ces accords dans la loi était absolument cruciale dans toute cette histoire. Si je me trompe, je voudrais le savoir.

Vous avez mentionné les efforts récemment déployés au nom du Nunavut, de la Qikiqtani Inuit Association et du gouvernement canadien dans le but de faciliter l’établissement d’un partenariat pour l’étude des mesures de protection en vigueur dans le bassin de l’Extrême Arctique, et vous avez abordé les résultats positifs du protocole d’entente. Nous avons des exemples de ce que pourraient être ces discussions, de ce qu’elles devraient être, et nous avons des exemples de ce qui a fonctionné.

Pouvez-vous me préciser ce qui manque dans les mesures de collaboration actuelles? Je crois comprendre qu’elles ne sont peut-être pas à la hauteur, disons, de la norme d’excellence atteinte par le passé, mais je me demande si la dernière entente — le PE — donne réellement lieu à un nouveau jour, à une nouvelle façon de faire, à un nouveau processus qui pourra être et devrait être entériné.

M. Savikataaq : Je n’arrête pas de le dire — et je semble peut-être radoter —, mais nous voulons faire partie du processus. Certains amendements ont été apportés, mais je crois qu’ils n’allaient pas assez loin. La raison pour laquelle on n’a pas procédé à la création du carrefour des zones de protection marines, c’est que le projet de loi n’a pas encore été adopté. Voilà ce que je crois. Nous voulons nous assurer qu’il s’agit d’un bon projet de loi.

Dans le cas du bassin de l’Extrême Arctique, nous avons dû lutter pour faire passer notre message, afin que nous puissions faire partie du processus.

Voilà pourquoi nous avons maintenant établi un PE. Il ne vise qu’à nous permettre d’entreprendre le processus que nous voulons réaliser. Dans le cas de Tallurutiup Imanga, le PE avait été conclu il y a longtemps. Dans ce cas, on a suivi le processus. L’autre sénateur a évoqué l’ancien système, et, à mon avis, il fonctionnait. Oui, il était plus long, mais, parfois, on rencontre moins d’obstacles en prenant son temps parce que l’on règle tous les pépins avant d’arriver à la fin. Dans le cas de ce nouveau processus, on arrive à la fin, puis on pourrait se heurter à une opposition, et, au bout du compte, il pourrait être tout aussi long s’il y a des instances judiciaires.

La sénatrice Bovey : Je voulais simplement préciser que le processus utilisé collectivement aux fins du PE était constructif et positif.

M. Savikataaq : Oui, il l’était.

La sénatrice Bovey : Ainsi, nous avons un exemple de processus qui fonctionne et qui respecte les besoins, les droits et les rôles souhaités des parties à la table des négociations.

M. Savikataaq : Oui, madame la sénatrice, vous avez tout à fait raison. Il est respectueux, et il fonctionne. C’est un processus plus lent, mais il fonctionne.

Le sénateur Christmas : Je suis ravi de vous rencontrer, monsieur le premier ministre Savikataaq. Je veux vous remercier d’avoir expliqué très clairement votre position au sujet des attentes du Nunavut. Nous vous en sommes certainement reconnaissants.

Après vous avoir écouté, je commence à me demander si ce projet de loi ne comporte pas une lacune. Je pense que vous avez fait allusion à une approche axée sur la collaboration ou à un processus collaboratif qui doit faire partie du projet de loi et qui n’y figure actuellement pas.

Dans vos commentaires précédents — pardonnez-moi si je vous mets des mots dans la bouche —, vous avez mentionné le fait que des groupes de travail ont réussi, dans le passé, à ouvrir la voie à ce genre d’approche décisionnelle axée sur la collaboration.

Je veux obtenir votre commentaire à ce sujet : si quelque chose devait être inséré dans le projet de loi afin que le gouvernement du Canada s’engage — du moins, dans votre territoire, parce que vous formulez un solide argument en précisant que votre littoral est le plus long au pays —, avant que tout type de ZPM soit désignée dans vos eaux, à établir un certain genre de structure collaborative, comme un groupe de travail, afin que les zones soient désignées avant que toute décision finale soit prise, quel serait cet élément? Quelles seraient vos réflexions concernant le fait de combler cette lacune grâce à une telle approche?

M. Savikataaq : Je pense qu’il s’agit d’une bonne recommandation, pourvu que nous fassions partie du processus. Il faudrait qu’un représentant du Nunavut fasse partie du groupe de travail.

Comme je n’arrête pas de l’affirmer, nous ne sommes pas contre les zones de protection marines. Nous voulons faire partie du processus dès le moment où on commence à déterminer quelles zones on veut protéger et de quoi on veut les protéger. Généralement, les groupes de travail fonctionnent très bien; ils effectuent tout le travail sur le terrain, puis cela remonte à l’échelon politique. C’est là que le projet commence à prendre forme, une fois qu’ils ont fait leur travail.

Le sénateur Christmas : Comme nous faisons face à un délai très serré, du fait que le Canada veut désigner ces 10 p. 100 de zones de protection marines d’ici 2020, pensez-vous qu’on a encore le temps d’établir de tels groupes de travail et d’atteindre la cible mondiale?

M. Savikataaq : Je ne suis pas certain qu’on sera en mesure d’atteindre les cibles mondiales. Le Canada s’est engagé envers l’ONU à respecter ces cibles, mais nous sommes le Canada. Nous serons là pendant longtemps, et nous sommes une partie du Nord du Canada. Pourquoi les eaux du Nunavut devraient-elles être les plus ciblées? Si on faisait cela en Colombie-Britannique ou à Terre-Neuve-et-Labrador, je suis certain qu’il y aurait toute une levée de boucliers. Qu’arriverait-il si le gouvernement disait : « Nous allons le faire simplement parce que nous voulons atteindre nos cibles, et nous n’avons vraiment rien à faire de ce que vous voulez »? Il ne s’agit pas du bon raisonnement, à mon avis. Vous voulez atteindre des cibles, mais vous voulez travailler avec les gens qui vivent là-bas, qui utilisent la zone. Vous devez faire preuve d’un peu de bon sens.

Le sénateur Christmas : Je vous remercie, monsieur le premier ministre.

Le sénateur Patterson : Monsieur le premier ministre, nous avons établi un régime réglementaire fait au Nunavut pour les terres en conséquence de la revendication territoriale inuite. Des conseils de cogestion composés d’Inuits et de représentants du gouvernement du Nunavut et du gouvernement du Canada réglementent les eaux, la faune, les impacts du développement et des choses du genre, comme vous le savez bien. Bien entendu, nous reconnaissons le fait que les Inuits ont contribué à l’établissement de la souveraineté du Canada dans les eaux de l’Arctique et que ce peuple a une économie axée sur les activités maritimes.

Je me demande ce que vous envisagez à long terme en conséquence de vos négociations sur le transfert des responsabilités relativement à la haute mer. Quel genre de régime voudriez-vous voir mis en place pour la gestion de la haute mer? Je pense que nous nous occupons très bien de ce qui se passe sur les terres. Il s’agit d’un modèle pour le Canada, avec la participation des Inuits et du gouvernement territorial. Quel est l’avenir à long terme en ce qui concerne la haute mer? Quel est le résultat souhaitable des négociations sur le transfert des responsabilités?

M. Savikataaq : En ce qui concerne l’accord sur le transfert des responsabilités, idéalement, une certaine partie de la haute mer nous appartiendrait et, comme vous l’avez dit, nous bénéficierions d’un système de cogestion, où nous travaillerions avec les organisations inuites et le gouvernement fédéral. Ce n’est pas que nous voulons tout avoir. Nous voulons seulement que le développement se fasse à notre rythme et dans le respect de notre volonté. Nous sommes là pour exaucer les souhaits des Nunavummiuit. Nous ferons de notre mieux pour y arriver. Toutefois, nous avons parfois les mains liées parce que nous sommes un territoire. Nous sommes limités dans ce que nous pouvons faire. Nous sommes comme le petit enfant qui doit recevoir des permissions du gouvernement fédéral. Nous voudrions aller au-delà de cette situation. Nous voudrions devenir un enfant plus grand afin que nous puissions recueillir certains de nos propres fonds. Je pense que tout le monde y gagnerait, tant le gouvernement fédéral que nous. Ce serait la prochaine étape dans le processus de croissance. Nous sommes le plus jeune territoire du pays, et nous devons rattraper le reste du Canada.

Le sénateur Patterson : Vous accorder plus de pouvoir. Merci. Qujannamiik.

Le président : Je vous remercie, monsieur le premier ministre. Cela a été une merveilleuse discussion, et nous avons certes été ravis de vous donner la possibilité de nous adresser certaines recommandations. Comme je l’ai dit plus tôt, si vous pensez à quoi que ce soit après notre séance de ce soir, dont le comité devrait être au courant, sentez-vous à l’aise de faire parvenir l’information à la greffière. Nous vous remercions du temps que vous nous avez accordé ce soir.

M. Savikataaq : Je le ferai. Si quelque chose me vient à l’esprit, je l’enverrai.

Le président : Merci.

(La séance est levée.)

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