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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule nº 43 - Témoignages du 11 avril 2019


OTTAWA, le jeudi 11 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence, se réunit aujourd’hui, à 8 h 3, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je m’appelle Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et je préside le Comité des pêches et des océans.

Avant de donner la parole à nos témoins, j’aimerais inviter les membres du comité à se présenter.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Campbell : Larry Campbell, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

Le président : Je crois que d’autres sénateurs arriveront plus tard.

J’invite les témoins à se présenter, puis nous passerons aux exposés.

Terry Toner, directeur, Services de l’environnement, Nova Scotia Power, Association canadienne de l’électricité : Je m’appelle Terry Toner, directeur des Services de l’environnement à Nova Scotia Power. Je représente l’Association canadienne de l’électricité.

Channa Perera, vice-présidente, Élaboration des politiques, Association canadienne de l’électricité : Channa Perera, vice-présidente, Élaboration des politiques à l’Association canadienne de l’électricité.

Anne-Raphaëlle Audouin, présidente, Hydroélectricité Canada : Anne-Raphaëlle Audouin, présidente, Hydroélectricité Canada.

Daniel Gibson, spécialiste principal en environnement - Renouvellement de génération, Ontario Power Generation Inc., Hydroélectricité Canada : Bonjour à tous. Dan Gibson. Je travaille à Ontario Power Generation Inc., et je préside le groupe de travail sur les pêches d’Hydroélectricité Canada.

Le président : Le comité poursuit son étude du projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence. Nous sommes ravis que vous participiez à nos travaux ici ce matin. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie de votre présence.

Je crois comprendre que nous avons des exposés. Nous entendrons en premier celui de Mme Audouin. Vous avez la parole.

[Français]

Mme Audouin : Bonjour à tous. Je vous remercie de nous avoir invités aujourd’hui. Je m’appelle Anne-Raphaëlle Audouin et je suis présidente d’Hydroélectricité Canada. Je suis accompagnée de Daniel Gibson, de l’Ontario Power Generation, qui préside le groupe de travail sur les pêches de notre organisme. Hydroélectricité Canada est le porte-parole national de l’industrie hydroélectrique. L’hydroélectricité est au cœur de la production d’électricité au Canada. Notre industrie représente plus de 60 p. 100 de l’électricité totale produite au pays. Grâce à l’hydroélectricité, le Canada dispose d’une infrastructure électrique parmi les plus propres, les plus renouvelables et les plus fiables au monde. Comme l’hydroélectricité ne produit presque pas d’émissions de gaz à effet de serre, elle est appelée à jouer un rôle central pour atteindre nos cibles de décarbonisation.

Les études indiquent en effet que le Canada doit électrifier son économie et réduire davantage les émissions liées à la production d’électricité. Il faudra donc doubler, voire tripler cette production d’ici 2050, d’où le besoin d’une expansion majeure des infrastructures hydroélectriques au pays. Notre industrie est prête à relever le défi. Le Canada dispose d’un vaste potentiel hydroélectrique encore inexploité. Cependant les producteurs d’électricité ont besoin d’un cadre fiable pour exploiter efficacement et de manière sécuritaire leurs installations existantes.

Les producteurs hydroélectriques doivent avoir l’assurance qu’ils pourront mettre en service de nouvelles centrales électriques. Si le projet de loi C-68 est adopté dans sa forme actuelle, son impact sur la capacité de notre industrie d’exploiter ses centrales existantes et d’en construire de nouvelles pourrait être catastrophique, d’où le besoin d’améliorer ce projet de loi. Nous appuyons l’objectif de la Loi sur les pêches d’assurer la viabilité des ressources halieutiques. Cependant, la loi doit demeurer compatible avec différentes instances de gestion. C’est à cette condition, et à cette condition seulement, que la loi pourra protéger les pêches, assurer un processus d’autorisation efficace et efficient et contribuer à la réconciliation.

Aujourd’hui, je viens présenter les cinq recommandations suivantes à votre comité.

[Traduction]

Premièrement, nous demandons le retrait de la modification sur le débit, soit l’article 2.2. Nous sommes conscients que le débit d’eau est un aspect important des écosystèmes aquatiques et de la protection des pêches. Actuellement, en vertu de la Loi sur les pêches, les autorisations pour un projet hydroélectrique incluent souvent des conditions concernant le débit. Par ailleurs, le projet de loi C-68 prévoit d’autres dispositions qui renforcent le pouvoir du ministre concernant les débits d’eau. Cependant, l’article 2.2 déforme la compréhension juridique et scientifique de l’habitat du poisson, et cela pourrait considérablement changer l’interprétation que nous faisons de la loi. Le ministre pourrait être forcé de prendre des décisions concernant les débits d’eau qui sont incompatibles avec les besoins d’autres utilisateurs de l’eau et le pouvoir conféré à d’autres entités. Cela risque d’être un problème pour les activités hydroélectriques. Qui plus est, les endroits où l’électricité provient de la production thermique et de la production hydroélectrique, l’imposition de restrictions sur la production hydroélectrique pourraient entraîner plus d’émissions de gaz à effet de serre.

Deuxièmement, nous recommandons que le ministre soit contraint de consulter les autres autorités dont les mandats se chevauchent concernant les débits d’eau avant d’adopter un arrêté en vertu de l’article 34.3. La gestion du débit doit tenir compte de multiples besoins et non exclusivement des besoins liés à la protection de l’habitat du poisson. Par exemple, pour des raisons de sécurité publique, la prévention des inondations est fondamentale. Des entités provinciales, régionales, municipales, autochtones et internationales s’occupent de divers régimes de gestion des eaux au Canada. Nous ne devrions pas laisser le ministre décider s’il consulte ou non ces entités lorsqu’il envisage d’adopter un arrêté.

Troisièmement, nous recommandons de préciser ou d’éliminer les dispositions du projet de loi ayant trait aux projets désignés pour nous assurer que seulement les ouvrages, les entreprises et les activités qui peuvent avoir des conséquences graves sur les populations de poissons sont désignés.

Quatrièmement, nous recommandons que le projet de loi permette des réserves d'habitat par des tiers. Hydroélectricité Canada est d’accord avec le ministère des Pêches et des Océans; les réserves d'habitat et les crédits d’habitat certifiés profitent au promoteur et sont bénéfiques pour le poisson et son habitat. La disposition du projet de loi concernant les réserves d'habitat découlant de projets de promoteurs est trop restrictive. Le projet de loi C-68 devrait autoriser les réserves d'habitat par des tiers pour stimuler les investissements massifs de capitaux dans l’entretien, la restauration et l’élargissement des habitats.

Notre industrie est très inquiète que les interdictions d’avant 2012 concernant la détérioration de l’habitat ou la mort du poisson, comme le prévoit le projet de loi, fassent en sorte que le gouvernement ait de la difficulté à faire appliquer la Loi sur les pêches. Si le Parlement adopte le projet de loi, il est essentiel que le ministère des Pêches et des Océans ait suffisamment de temps pour consulter les intervenants en ce qui a trait à la réglementation et au cadre stratégique qui précisera l’application de la loi.

Cinquièmement, nous recommandons qu’il s’écoule au moins un an entre la sanction royale et l’entrée en vigueur des dispositions des principales sections de la loi qui s’appliquent à notre industrie.

En conclusion, je réitère les commentaires que j’ai faits il y a quelques mois devant le comité sénatorial qui étudie le projet de loi C-69. L’industrie hydroélectrique contribue grandement au développement durable et économique du Canada. Toutefois, ce sera seulement possible si nous pouvons concrétiser de bons projets en temps opportun et assurer le fonctionnement de nos installations existantes avec la flexibilité nécessaire pour répondre aux besoins des consommateurs. Nous pourrons seulement y arriver si le projet de loi C-68 est amélioré.

Merci de votre temps et de l’occasion de présenter nos recommandations ce matin.

Mme Perera : Je témoigne en compagnie de Terry Toner, mon collègue de Nova Scotia Power. Terry est président du groupe de travail sur l’intendance environnementale, et il a plus de 35 ans d’expérience dans les sciences de l’environnement.

L’Association canadienne de l’électricité est le porte-parole national de l’industrie de l’électricité. Nos membres incluent des producteurs, des transporteurs et des distributeurs d’électricité, ainsi que des fournisseurs de services et de technologies de partout au pays. Notre secteur emploie environ 81 000 Canadiens, et sa contribution au PIB du Canada est évaluée à 30 milliards de dollars. Plus de 80 p. 100 de notre production d’électricité provient de sources non émettrices, ce qui en fait l’une des plus propres au monde. Nous sommes particulièrement bien placés pour contribuer à favoriser les énergies propres au Canada et à décarboniser d’autres secteurs de l’économie. Nous voulons vous aider à faire en sorte que le projet de loi ne nuise pas à ces possibilités.

Nous vous invitons fortement à envisager d’amender plusieurs dispositions, y compris la définition révisée de l’habitat du poisson, les exigences concernant le débit dans le milieu et les avis.

Je cède la parole à Terry Toner, qui vous présentera nos recommandations dans le détail.

M. Toner : Tout d’abord, la définition révisée de l’habitat du poisson, qui rajoute l’expression « qualité, quantité et régime » du débit d’eau, est problématique pour les activités hydroélectriques. Si nous interprétons de manière stricte cette définition, cela pourrait inclure quasiment tous les plans d’eau, y compris ceux qui n’ont jamais été destinés à constituer un habitat pour les poissons. Par ailleurs, même si la protection du poisson et de son habitat est une priorité pour les services publics, il y a d’autres facteurs importants comme la gestion des niveaux du débit d’eau pour veiller à la sécurité publique et au fonctionnement normal et à l’entretien nécessaire des installations. Des pratiques existantes offrent déjà les protections nécessaires pour assurer des niveaux sécuritaires du débit d’eau. Cette définition révisée de l’habitat pourrait entraîner d’importants chevauchements en ce qui a trait à la compétence en matière de surveillance. Si cette disposition est conservée, cela risque de gravement limiter la capacité de production des installations hydroélectriques, et il sera alors nécessaire dans certaines régions de nous tourner vers des centrales au charbon ou au gaz naturel.

Premièrement, notre association exhorte le gouvernement à supprimer l’article sur les débits d’eau et à réinsérer la disposition telle que publiée dans la première lecture du projet de loi C-68.

Deuxièmement, l’énoncé de l’objet devrait mettre l’accent sur la gestion et la surveillance des pêches. Actuellement, la protection et la conservation du poisson et de son habitat forment un objet distinct et indépendant, alors que cela devrait être accessoire à la gestion et à la surveillance judicieuses et responsables des pêches. Pour régler ce problème, nous recommandons de regrouper les deux parties pour rendre plus clair l’objectif de la loi.

Troisièmement, les dispositions sur les avis ne devraient pas représenter un fardeau excessif. Le signalement de la mort de tout poisson en toutes circonstances est déraisonnable. Cette exigence suggère que la mort d’un seul poisson est aussi importante qu’un impact majeur sur les populations de poissons et leur habitat. Nous proposons que la disposition sur les avis tienne compte de la mort d’un poisson lors d’une prise accidentelle survenant dans le cadre des activités d’exploitation normales.

La quatrième recommandation concerne les dispositions contradictoires sur le débit. L’alinéa 34.3(2)g) donne au ministre de vastes pouvoirs pour intervenir lorsqu’un obstacle sur une voie navigable perturbe le poisson ou son habitat, y compris la capacité de maintenir des caractéristiques de l’eau en amont d’un barrage. L’adoption d’arrêtés concernant le débit est déjà réglementée par plusieurs autorités, et cette disposition pourrait mener à des mandats contradictoires. Nous recommandons que le pouvoir du ministre concernant l’adoption d’arrêtés concernant le débit soit limité aux exigences qui relèvent de la capacité raisonnable du propriétaire d’un obstacle et que le ministre consulte d’autres gouvernements avant d’adopter des changements au régime du débit d’eau. La cinquième recommandation porte sur les projets désignés.

Le paragraphe 35.1(1) prévoit :

Il est interdit d’exploiter un ouvrage ou une entreprise ou d’exercer une activité compris dans un projet désigné, sauf en conformité avec un permis […]

Cette interdiction causera des retards et elle ne devrait pas s’appliquer aux éléments d’un projet qui ne risquent pas d’entraîner la mort du poisson ou la détérioration, la destruction ou la perturbation de son habitat.

Enfin, les règlements et les codes de pratique qui accompagneront la loi seront essentiels à l’efficacité du projet de loi C-68. Notre association encourage vivement le gouvernement à mener des consultations sur les règlements connexes à ce projet de loi et à s’assurer de remédier de manière adéquate aux préoccupations soulevées, et ce, bien avant l’entrée en vigueur du projet de loi.

Mme Perera : En conclusion, nous encourageons vivement le comité à envisager d’adopter ces amendements pratiques, ce qui nous permettra de respecter efficacement les exigences de la loi dans les installations actuelles et nouvelles, de protéger le poisson et son habitat et d’accélérer la transition du Canada vers une économie à faibles émissions de carbone. Merci.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de vos exposés et de vos recommandations très précises et très utiles.

Mes questions s’adressent aux deux groupes. Ma première a trait à l’habitat du poisson et à la question du débit. Vos recommandations sont claires, mais nous avons entendu hier le témoignage d’une personne avec une vaste expérience dans la politique de gestion de l’habitat du poisson et de la pêche commerciale. Elle nous a dit que des groupes environnementaux discutent avec des associations de l’industrie pour essayer de régler certains problèmes qui ont été soulignés par rapport à cette disposition sur les règlements et les codes de pratique présentés à l’autre endroit. Elle a affirmé que ce ne sont pas toutes les flaques d’eau qui sont considérées comme un habitat du poisson.

J’aimerais vous entendre à ce sujet. Est-ce que l’un d’entre vous a participé aux discussions avec des groupes environnementaux sur cette question? Est-ce un enjeu noir ou blanc, soit nous supprimons le tout, soit nous le conservons, ou croyez-vous que nous pouvons en arriver à un terrain d’entente?

Mme Audouin : Des discussions sont en cours. La porte est toujours ouverte pour avoir des discussions intersectorielles entre l’industrie et des organisations non gouvernementales. Des discussions ont eu lieu. Toutefois, le reste du projet de loi est une tout autre chose, mais l’industrie hydroélectrique estime que cette section en particulier est problématique en raison du risque qu’elle pose sur le plan de l’interprétation. M. Gibson pourra vous offrir plus de détails à ce sujet. Nous recommandons le retrait complet de cet élément. Il s’agit d’un cas très précis où nous estimons que la situation est sans issue.

M. Toner : J’ai eu une conversation avec cette personne hier lors d’une autre réunion. Nous continuons évidemment à échanger avec tous les intervenants qui ont un intérêt par rapport au projet de loi.

Pour nous, cet élément a été ajouté après le dépôt du projet de loi. L’amendement a été adopté par le comité de la Chambre des communes. Nous estimons que les dispositions actuelles du projet de loi font déjà bien le tour de la question. Comme Mme Audouin l’a mentionné, en fin de compte, nous devons tenir compte des défis que cela présente sur le plan des conséquences imprévues, et nous estimons que la question a déjà été réglée. Comme nous l’avons déjà entendu, de nombreux permis et d’autres autorisations que nous avons obtenus au fil des ans incluent des conditions ayant trait au débit d’eau. Nous estimons que cette question est déjà amplement abordée et que les conséquences et les conflits imprévus qui peuvent en découler ne produisent pas une valeur ajoutée suffisante.

Le sénateur Gold : Merci. Ma prochaine question a trait à vos commentaires et à vos recommandations concernant les projets désignés. Si je vous ai bien compris, vous limiteriez ces interdictions seulement aux éléments qui entraînaient ou seraient susceptibles d’entraîner la mort de poissons ou la détérioration, la perturbation ou la destruction de leur habitat.

Pourriez-vous nous expliquer la personne qui déterminerait cela? Si nous acceptons vos recommandations et que nous restreignons le pouvoir prévu dans la loi, qui déterminerait qu’un projet pourrait avoir un tel effet? Pourriez-vous nous donner des exemples tirés de votre industrie et des exemples d’actions ou de projets qui ne seraient pas susceptibles d’entraîner la détérioration, la perturbation ou la destruction de l’habitat?

M. Gibson : En ce qui concerne les projets, il convient de souligner que les installations hydroélectriques ne sont pas saillantes. Elles ne restent pas dans le milieu une centaine d’années sans entretien. Bon nombre de projets se font sur une base annuelle dans une installation hydroélectrique, et ils ne présentent pas de risques importants pour le poisson ou son habitat. Si ces projets hydroélectriques sont considérés comme des projets désignés, toutes les interactions avec le milieu naturel doivent être approuvées. Cela retardera des travaux importants et essentiels. Cela peut inclure l’entretien de barrages de rétention ou de vantelles.

Il arrive parfois que certaines situations surviennent rapidement. Notre industrie craint l’ajout d’une couche réglementaire au processus réglementaire auquel nous devons déjà nous plier pour faire cet entretien courant. Notre industrie trouve consternant de devoir nous en remettre à des règlements qui seront adoptés après coup, alors que nous créons ce flou dans la mesure législative. Nous devrons alors faire des démarches lors du processus réglementaire pour établir ce qui est inclus et ce qui ne l’est pas. Nous préférons que ce soit clair ici.

M. Toner : Lorsque vous parlez de projets désignés, nous attendons de voir cette liste. L’un des problèmes, c’est que nous attendons aussi pour la même chose concernant le projet de loi C-69 et la liste de projets désignés à ce chapitre. Nous attendons de voir cette liste ou de voir si cette liste inclut seulement les projets de grande envergure, parce que ce serait utile de l’avoir.

Ce qui nous préoccupe principalement, c’est que l’une des dispositions du projet de loi laisse entendre que nous ne sommes pas vraiment autorisés à faire quoi que ce soit par rapport au projet tant que nous n’avons pas le permis. Nous pouvons faire de nombreuses choses dans un nouveau projet qui ne nuisent pas aux populations de poissons ou à leur habitat.

Le sénateur Gold : J’ai une observation à faire. Venant du Québec, j’ai eu l’occasion de visiter, avec grande fierté, les installations de la baie James. J’ai donc une certaine compréhension de l’industrie et de son importance pour notre société et nos aspirations en matière d’énergie propre et d’environnement.

J’ai également vu de près comment les changements considérables découlant d’un tel projet et même de projets de plus petite envergure pourraient se répercuter sur l’environnement naturel, les débits d’eau, les déviations, les barrages et les populations de poissons. Vous n’êtes pas obligés de répondre, mais je trouve qu’il est tout de même important d’établir un cadre réglementaire qui régit l’approbation de projets comme ceux menés par vous et vos associés parce qu’ils ont d’énormes répercussions sur l’habitat du poisson, presque par définition, en raison des sources d’énergie que vous utilisez.

M. Toner : Si je peux me le permettre, les deux organisations souhaitent beaucoup que le bon processus soit appliqué au bon projet. Il existe plusieurs instruments à cet égard. Mentionnons le processus canadien d’évaluation des impacts environnementaux, qui est en cours d’élaboration. S’ajoutent à cela les processus provinciaux. Même dans la Loi sur les pêches, aux termes du projet de loi, la définition de projet désigné s’applique, selon nous, aux projets de grande envergure, et les autorisations prévues visent des projets qui risquent quand même d’entraîner des répercussions. Il y a ensuite d’autres mécanismes, comme les codes de pratique et les lettres d’avis.

Nous voulons simplement comprendre quel en sera le degré de précision. En toute franchise, nous l’ignorons pour l’instant. Cette incertitude a été, pour nous, une source de préoccupation.

M. Gibson : Tout au long de ce processus, nous voulions promouvoir un peu plus le niveau de contrôle réglementaire qui existe déjà au Canada en ce qui concerne le débit. Il suffit d’examiner la situation d’un océan à l’autre, de la Colombie-Britannique jusqu’en Ontario et au Québec. Il y a la Commission mixte internationale, dans le cadre de laquelle nous avons conclu avec les États-Unis un accord qui dicte le débit du fleuve Saint-Laurent. Il y a aussi la Commission de contrôle du lac des Bois dans le nord de l’Ontario et la Commission de planification de la régularisation de la rivière des Outaouais. Beaucoup d’organismes fédéraux et provinciaux gèrent déjà le débit.

Je comprends parfaitement ce que vous dites. Parfois, les bassins hydrographiques subissent des changements considérables quand il s’agit de gérer et de contrôler le débit d’eau à diverses fins, que ce soit pour la navigation, l’exploitation d’embarcations de plaisance, l’irrigation ou encore les pêches. Je comprends très bien votre argument. En tant qu’association, nous avons parfois l’impression que les discussions ne tiennent pas compte de la réglementation déjà en vigueur pour la gestion du débit.

En Ontario, jusqu’à 13 ou 15 différents groupes d’intervenants ou groupes d’intérêt assurent la planification de la gestion de l’eau dans un bassin hydrographique. Bien souvent, l’hydroélectricité n’est pas la priorité absolue. La rivière Nipigon dans le nord de l’Ontario, par exemple, est gérée exclusivement pour la pêche à l’omble de fontaine de calibre mondial. Il s’agit là de la principale activité de pêche, et toutes les autres priorités viennent après cela. Je conviens que l’hydroélectricité joue un rôle dans la gestion de l’eau et peut parfois entraîner des effets considérables, mais ce n’est qu’un des attributs de la gestion du débit que l’on prend en considération au moment de gérer ces systèmes. Notre association continue d’en discuter avec le ministère des Pêches et des Océans ou avec qui veut bien nous écouter.

La sénatrice Poirier : J’ai quelques questions à poser. Si je manque de temps, je suis sûre que vous me le ferez savoir. Ma première question s’adresse aux représentants d’Hydroélectricité Canada. Dans une lettre envoyée à l’ancien ministre des Pêches, Dominic LeBlanc, vous avez mis en relief trois grandes conséquences pour les projets hydroélectriques existants ou à venir. Pouvez-vous nous parler davantage des répercussions sur la production d’énergie éolienne et solaire pouvant donner lieu à plus d’émissions de gaz à effet de serre?

Mme Audouin : Dans nos représentations, nous essayons toujours de souligner l’importance que revêt l’énergie hydroélectrique pour notre pays. D’ailleurs, dans mes observations préliminaires, j’ai fait remarquer que l’hydroélectricité représente 60 p. 100 de la production totale d’électricité propre et renouvelable au Canada. C’est énorme. Cela fait de nous le deuxième producteur en importance au monde, et notre réseau figure parmi les moins polluants du monde.

Si les règlements en place viennent compliquer le fonctionnement de ces installations et la construction de nouveaux sites, nous voyons là un risque réel. En l’occurrence, le projet de loi C-58 pourrait compromettre les nouveaux projets de développement et mettre en péril leur viabilité opérationnelle et fonctionnelle. Il y aurait ainsi des effets en cascade, car nous ne serions pas en mesure de contribuer à la décarbonisation de l’économie autant que nous le faisons maintenant. Voilà donc à quoi se rapporte le commentaire dans cette lettre.

La sénatrice Poirier : Parlons maintenant un peu du processus réglementaire. Comme vous l’avez dit, au Canada, nous avons déjà un processus réglementaire très rigoureux pour les projets hydroélectriques. L’ajout de la disposition sur le débit d’eau au projet de loi aura pour effet de rendre impossible la réalisation de nouveaux ou futurs projets, si j’ai bien compris. Avez-vous eu des discussions avec le ministère et le ministre des Pêches au sujet de la disposition du projet de loi C-68 concernant le débit d’eau et, le cas échéant, sont-ils disposés à la modifier?

Mme Audouin : Je vais laisser Dan Gibson donner plus de précisions sur le débit d’eau pour faire suite à ce qu’il a dit tout à l’heure. Nous avons parlé avec le ministère des Pêches et des Océans, qui est un de nos principaux intervenants gouvernementaux. Les discussions sont en cours. Selon une déclaration publique faite au Sénat il y a quelques semaines ou quelques mois par un sénateur, le gouvernement se dit favorable à l’idée de modifier l’article 2.2. Nous attendons tous de voir à quoi cela pourrait ressembler.

M. Gibson : Je suis heureux que vous ayez soulevé tout à l’heure la question du débit. Les attributs d’un habitat de poisson sont variés et nombreux : débit, température, substrat, vitesses, végétation aquatique, degrés-jours et productivité. Ce sont tous des attributs de l’habitat, mais pris séparément, ils ne constituent pas en soi l’habitat. Par contre, ils y contribuent tous.

Vous parlez de la disposition sur le débit et des projets futurs en Ontario. En ce qui concerne précisément votre question, lorsqu’on élargit le sens du terme « habitat », on peut le réduire à un seul attribut. On crée ainsi la possibilité de contestations à l’étape de la réalisation d’un projet lorsqu’il s’agit de proposer un changement au régime d’écoulement actuel d’un réseau hydrographique géré d’une façon ou d’une autre. Cela vaut non seulement pour les nouvelles installations, mais aussi pour la construction d’une centrale hydroélectrique sur un cours d’eau existant qui est déjà géré. Si votre projet propose d’apporter un changement à la gestion existante, quelqu’un aura ainsi la possibilité de le contester en invoquant une disposition de la Loi sur les pêches parce que vous retenez l’eau ou parce que vous modifiez le régime du débit d’eau, son échelonnement dans le temps et sa qualité.

Je le répète, la possibilité d’une telle contestation en fonction d’un attribut de l’habitat crée de nombreux problèmes ayant des effets en cascade, au sens figuré comme au sens propre, sur le paysage pour les projets à venir.

La sénatrice Poirier : Pour ce qui est de la disposition sur le débit d’eau dans le projet de loi, je crois comprendre qu’elle y a été ajoutée à une étape tardive de l’étude en comité par la députée du Parti vert, Elizabeth May, mais le gouvernement l’a conservée dans le projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Avez-vous eu des discussions avec le ministre sur la raison pour laquelle on a gardé cette disposition dans le projet de loi? Les représentants du ministère des Pêches et des Océans ou le ministre lui-même vous ont-ils expliqué comment ils entendent faire respecter la quantité, l’échelonnement dans le temps et la qualité du débit d’eau?

M. Gibson : J’ai eu le privilège d’en parler avec, si je ne me trompe pas, le secrétaire parlementaire du ministre. Ils continuent de réitérer l’indépendance du comité parlementaire pour ce qui est de présenter des modifications ou des amendements au projet de loi, et ils tiennent à appuyer cette indépendance.

Cela dit, il va de soi que nous avons dû effectuer une évaluation des risques ou des impacts liés aux changements perpétuels du débit d’eau. Nous avons dû établir en quoi consisterait, à notre avis, une disposition en la matière aux termes de la Loi sur les pêches et ce que cela signifierait pour notre industrie. Nous examinons d’emblée les débits.

Je vais vous citer quelques statistiques. Par exemple, l’Ontario Power Generation prévoit une perte de 0,8 à 1,4 térawatt d’énergie renouvelable propre dans notre province si la disposition sur le débit d’eau est adoptée et mise en œuvre dans sa forme actuelle. Il en coûterait aux contribuables environ 72 millions de dollars par année.

Qui plus est, pour compenser cette perte d’énergie hydroélectrique, il faut recourir à une source d’énergie de pointe. Nous ne pouvons pas nécessairement contrebalancer la perte de cette énergie au moyen de l’énergie solaire ou éolienne, même si nous y tenons. En toute honnêteté, nous la remplacerions par une source d’énergie de pointe et, dans le contexte de l’Ontario, il s’agit actuellement du gaz naturel. Cela ajouterait plusieurs millions de tonnes de CO2 dans le réseau, qui ne produit presque aucune émission de gaz à effet de serre en ce moment.

Le sénateur Christmas : Je crois comprendre qu’un certain nombre de pays ont déjà mis en place des lois qui gèrent les débits d’eau de manière équilibrée pour répondre aux besoins des producteurs d’hydroélectricité, tout en tenant compte des besoins du poisson et de son habitat. La situation au Canada est-elle unique, ou pourquoi estimez-vous que cela pose problème ici? Ma question s’adresse aux deux organisations.

M. Toner : Merci beaucoup de poser cette question. C’en est toujours une bonne.

Chaque pays a un certain degré de spécificité dans la façon dont il est structuré, que ce soit en États ou en provinces, la façon dont les choses sont administrées sur le plan constitutionnel et la façon dont les lois ont évolué. De notre point de vue, nous avons déjà connu certains des changements, avant les modifications précédentes qui étaient prévues dans le projet de loi. Nous comprenons que les dispositions sur la détérioration, la destruction et la perturbation de l’habitat du poisson sont rétablies et que le débit d’eau en fait partie. À notre avis, le projet de loi, tel qu’il a été présenté à la première lecture de ces dispositions au paragraphe 2(2) ou au paragraphe 1(10), selon le point de vue, finira par nous toucher en raison du détail fourni à l’alinéa 32.3(2)g).

Certaines des conditions demandées sont des choses que le propriétaire de barrage ne peut pas nécessairement garantir. Voici un bref exemple : l’année dernière, nous avons eu un été très sec partout au pays. C’était certainement le cas dans l’Est. La température de l’eau dans les rivières, qu’il y ait ou non des installations hydroélectriques, était très élevée. Une des dispositions à l’alinéa 34.3(2)g) parle de la qualité de l’eau en amont. Dans bien des cas, nous n’avons aucun moyen de contrôler cet aspect. La température dans la rivière ou le réservoir étant probablement ce qu’elle est, l’ajout d’un tel degré de détail dans le projet de loi est inquiétant.

J’ai souvent tendance à penser qu’une loi est le catalyseur qui établit les règles de base, qui sont ensuite précisées davantage dans la réglementation et peaufinées encore plus dans les autorisations de permis. L’inclusion d’un niveau aussi élevé de précision, malgré toutes les structures juridiques qui existent au Canada, pose problème.

Chaque approbation accordée en Nouvelle-Écosse est assortie d’une disposition sur le débit d’eau. Par conséquent, cet aspect est déjà géré pour des cours d’eau précis; ainsi, en demandant les changements que nous proposons, nous ne nous écartons pas de l’obligation de contrôler le débit d’eau. Nous disons simplement qu’il est préférable d’apporter une telle précision plus tard dans le processus.

Le sénateur Christmas : Corrigez-moi si je me trompe, monsieur Toner, mais vous préférez que les détails soient fournis dans la réglementation.

M. Toner : Les détails ultimes devraient être établis dans la réglementation. Une fois que vous les incorporez dans la loi, seul un nombre restreint d’exigences peuvent être incluses dans les règlements ou les permis. Nous disons plutôt que, d’après notre expérience, nous savons que le débit d’eau sera toujours un facteur important. Nous croyons que c’est déjà le cas, comme en témoignent les dizaines de milliers de mégawatts qui sont en place.

Le débit est extrêmement important, mais nous estimons que le libellé du projet de loi englobe déjà cet aspect. Les conséquences imprévues nous inquiètent au plus haut point.

Le sénateur Christmas : Madame Audouin, vouliez-vous ajouter quelque chose?

Mme Audouin : C’est une très bonne question, et je souscris à ce que M. Toner vient de dire.

En tant que représentants de l’industrie hydroélectrique, nous estimons que le débit est déjà pris en compte dans tout ce que nous faisons : plan de gestion des eaux, permis, prise de décisions. Cela fait partie des activités presque quotidiennes et, à coup sûr, de la planification de projets.

Soyons clairs : avec l’article 2.2, le débit d’eau fait maintenant partie de l’habitat du poisson. Cela vient modifier la définition, ce qui sonne vraiment l’alarme. Vous vous limitez maintenant à un attribut de l’habitat du poisson, et vous le placez avant tous les autres. Vous créez ainsi deux poids deux mesures, ce qui pourrait changer l’interprétation de la loi au point de la rendre totalement inapplicable et, à vrai dire, très dangereuse.

M. Gibson : J’aimerais ajouter que la gestion des réseaux hydrographiques a changé. Lorsque nous passons à un cours d’eau géré, il ne s’agit plus d’un nouveau projet. Nous ne pouvons plus accepter les fluctuations d’une crue printanière comme nous l’aurions fait avant la création des agglomérations et des villes. Les décisions sont prises d’une saison à l’autre. Si le débit faisait partie de l’habitat et si c’était la mesure par laquelle nous appliquions la Loi sur les pêches, les décisions prises chaque jour ou chaque semaine en la matière iraient à l’encontre de cela. C’est en dehors de notre pouvoir, mais dans le cas d’un organisme fédéral de réglementation, comme la Commission de contrôle du lac des Bois, ce qui comprend le lac en question jusqu’à Winnipeg, il s’agit d’un réseau hautement réglementé pour assurer la protection de la propriété et l’atténuation des inondations. Quand nous recevons un ordre concernant le débit d’eau, nous devons le respecter.

Les décisions reposent sur beaucoup d’autres facteurs qui entreraient directement en conflit avec l’obligation de gérer nos réseaux principalement en fonction de la définition de débit d’eau aux termes de la Loi sur les pêches. Lors d’une de nos assemblées nationales, nous avons fait un exercice pour déterminer à qui nous nous en remettrions pour la gestion du débit d’eau partout au pays. Il y a pas moins de 30 accords, organismes ou autorités infranationales de réglementation qui surveillent déjà cette question. Ils gèrent le débit dans le cadre d’un grand consortium d’intérêts chargé des bassins hydrographiques. Placer la question du débit d’eau au-dessus de la pile, avant tous les autres enjeux, est très problématique dans le contexte des bassins hydrographiques. Je vais vous donner un bon exemple : la voie navigable Trent-Severn en Ontario. La gestion du débit dans ce cours d’eau a pour fonction principale de répondre aux besoins des plaisanciers, qui représentent la priorité absolue. La gestion des ressources aquatiques et halieutiques figure au bas de la liste. C’est une voie navigable fédérale.

En tant que producteurs d’hydroélectricité dans le réseau, nous arrivons parfois au sixième ou septième rang sur la liste des priorités. Nous n’occupons pas la première place. Il ne s’agit pas nécessairement d’un conflit de générations dans l’habitat. Ce n’est qu’une évaluation honnête des conséquences possibles sur le terrain.

Le sénateur Christmas : Connaissez-vous ce rapport publié en 2013 par le Secrétariat canadien de consultation scientifique qui soulignait le besoin urgent d’établir un cadre des débits environnementaux au Canada? Ces observations découlaient des préoccupations suscitées par les changements climatiques et par l’impact de ces changements sur le poisson et son habitat.

Connaissez-vous ce rapport? Pouvez-vous nous donner votre point de vue à propos de ce que dit ce rapport scientifique au sujet des débits environnementaux et de l’impact des changements climatiques sur le poisson et son habitat?

M. Gibson : Oui. Je connais bien cette étude. Je crois que c’est M. Smokorowski qui l’a dirigée. L’étude s’appuyait en grande partie sur des recherches menées à Wawa, en Ontario. Les chercheurs ont étudié les rivières Michipicoten et Magpie. Ils se sont penchés sur les débits limites, essentiellement. Ils ont examiné la variation des débits au cours de la portion diurne des journées. Ils ont présenté d’excellentes recommandations.

Il est important de gérer les débits et d’avoir des données scientifiques sur la régulation des débits. Nous ne le contestons pas du tout. Si vous jetez un coup d’œil à n’importe laquelle de nos installations, vous allez voir que ce cadre scientifique est largement pris en compte dans nos activités. Toutefois, c’est quelque chose qui doit être mis en contexte par rapport aux autres éléments de notre système.

Je pense à un autre réseau, celui de Bark Lake et de la rivière Kaministiquia, à Thunder Bay. À la fin de l’hiver et au début du printemps, nous procédons à ce qui est considéré être un « rabattement de réservoir ». Nous créons un effet de baignoire en amont dans nos réservoirs en amont en prévision d’une fonte des neiges prononcée. Si nous n’avions pas la permission de faire cela pour gérer le système de façon appropriée, il y aurait des risques énormes d’inondation en aval, c’est-à-dire pour la Ville de Thunder Bay. La municipalité a été construite en fonction de cette gestion du réseau.

Cela dit, bon nombre des recommandations scientifiques de cette étude peuvent être observées dans le plan de gestion de l’eau de la rivière Kaministiquia.

La sénatrice Busson : Je m’intéresse aux observations consignées dans votre rapport au sujet de la mort du poisson et aux réserves que vous avez quant à la façon dont ce sujet est traité dans le projet de loi C-68.

Vous proposez ensuite un amendement qui porte plutôt sur la prise accidentelle de poissons morts. Pouvez-vous nous expliquer où se situe la différence et comment cela fonctionne dans votre industrie à l’heure actuelle?

M. Toner : C’est une excellente question. Permettez-moi d’y aller en premier.

Le défi que nous avons à relever, c’est que les installations ont été construites et approuvées sur la base de l’examen du jour, étant entendu que très peu de nos installations ne rapportent aucune mortalité. Nous comprenons ce que c’est. Nous surveillons ce que c’est. Nous avons tendance à penser que c’est approprié si quelque chose d’inhabituel se produit et qu’il y a mortalité inattendue de poissons. Il s’agit en fait d’un signal ou d’un symptôme qui indique que nous devons approfondir cette question. Or, en essence, le libellé proposé dans le projet de loi semble indiquer que le fait de voir un seul poisson tous les jours devrait cautionner un appel au numéro d’urgence et l’observation de toutes les étapes.

Il s’agit d’un fardeau administratif qui fournit très peu d’avantages parce que c’est quelque chose qui est déjà compris. Il y a eu des ententes officieuses à l’échelle du pays pour que l’on adopte une approche accessoire, mais avec la mise à jour du projet de loi, l’accent étant mis sur le libellé et l’examen accru, à juste titre, des groupes environnementaux, des Premières Nations et d’autres intervenants, nous devons clarifier ce point et le formuler pour que l’objet recherché soit conforme à ce que le projet de loi vise à atteindre.

La sénatrice Busson : J’essaie d’imaginer à quoi cela pourrait ressembler. Êtes-vous en train de proposer que chaque projet ait sa propre mesure de référence de ce qui est acceptable ou de ce qui est attendu, et que tout ce qui est supérieur à ce qui est acceptable devrait faire l’objet d’un rapport? Est-ce ainsi que vous envisagez la chose?

M. Toner : Dans une certaine mesure, oui. De toute évidence, il existe déjà un nombre considérable d’installations, et je crois bien sincèrement qu’elles comprennent de quoi il retourne. Il est clair que la question du régime serait discutée avec tout le reste au moment de l’examen de toute nouvelle installation, mais il serait souhaitable et approprié que cet examen se fasse à l’installation en question ou au tronçon de rivière visé. Cela dépend vraiment des objectifs de gestion des pêches pour cette rivière, de l’état des différentes espèces présentes et de ce que démontrent les études au sujet de ces installations. Les populations augmentent-elles ou diminuent-elles?

S’il y a une préoccupation réelle pour une espèce, n’oublions pas qu’elle est probablement inscrite et traitée aux termes de la Loi sur les espèces en péril, qui est également encadrée par le ministère des Pêches et des Océans.

M. Gibson : Votre question a du mérite. Quand on parle de l’exploitation des centrales hydroélectriques, un poisson n’est pas toujours un poisson. Parfois, une faible population de poissons doit être traitée comme s’il s’agissait d’un seul poisson. Comme M. Toner l’a dit, ces espèces sont souvent inscrites sur la liste.

Qu’il s’agisse ou non d’un effet qui touche localement une population entière, lorsqu’il est question de coexistence dans l’optique de l’industrie hydroélectrique, on constate que ces conversations ont déjà cours. Elles se déroulent avec notre ministre local des Ressources naturelles de l’Ontario, avec notre représentant local du ministère des Ressources naturelles ou même avec notre représentant local de Pêches et Océans. Des preuves sont présentées selon lesquelles il y a peut-être plus qu’un simple effet accidentel. Ces discussions cherchent à établir si une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches devrait ou non être demandée. Ces échanges ont déjà cours, et ce, sur une base régulière.

Je suis ravi que vous posiez cette question. C’en est une bonne.

La sénatrice Busson : Je vous remercie.

La sénatrice Poirier : Ma question s’adresse à l’Association canadienne de l’électricité, à M. Toner. Comment Pêches et Océans a-t-il répondu exactement à vos préoccupations quant au fait que le projet de loi C-68 pourrait décourager les nouveaux investissements en hydroélectricité?

M. Toner : Les discussions que nous avons eues jusqu’à maintenant avec des intervenants de divers échelons du ministère — nous sommes presque allés jusqu’au ministre — n’ont pas été très sérieuses. Je pense que c’est la meilleure façon de le décrire.

L’un des exemples que je pourrais donner c’est que nous avons reçu des commentaires au sujet de la réglementation sur les autorisations. Récemment, nous avons vu la deuxième version d’un document de travail qui ne traite pas d’une préoccupation fondamentale que nous avons portée à leur attention, à savoir que dans l’optique de la surveillance accrue, les installations existantes peuvent maintenant bénéficier d’une autorisation. Ce sont des dispositions qui existent depuis longtemps en fonction de conditions connues, et leur effet cumulatif est probablement très limité.

À cet égard, nous sommes d’avis que la réglementation devrait prévoir une délimitation de la portée ou une autre voie pour les installations existantes. À tout le moins, il faudrait que ces installations soient examinées dans leur contexte particulier. J’ai eu une réunion plus tôt cette semaine avec les gens du ministère, et il n’y a aucune garantie que ces possibilités seront prises en compte, ce qui nous préoccupe beaucoup.

Nous croyons qu’il nous faudra plus d’autorisations. Nous sommes en 2019, et bon nombre de ces installations, si vous vous souvenez bien, ont été construites avant l’entrée en vigueur de la loi. Elles datent des années 1970. La plupart de nos installations ont été construites dans les années 1920, 1930, 1940 et 1950. Elles ont eu une existence. Elles ont été construites selon les lois de l’époque. Nous attendons une réponse du côté de la réglementation, mais jusqu’à maintenant, nous n’avons reçu aucune réponse susceptible de nous donner l’assurance que cette question sera prise en compte.

La sénatrice Poirier : Dans vos exposés, vous nous avez fait part d’un certain nombre d’amendements que vos deux organisations recommandent. Ces amendements ont-ils également été présentés au comité de la Chambre des communes, en supposant que vous ayez tous comparu à titre de témoins à ce comité? Y avez-vous présenté tous ces amendements? En avez-vous proposé d’autres? Est-ce que certains des amendements présentés ont été acceptés, ou ont-ils tous été rejetés?

M. Toner : L’Association canadienne de l’électricité en a présenté cinq ou six peut-être un peu plus en détail. Nous voulions nous en tenir à ceux dont ils allaient vraisemblablement débattre, et je pense que nous nous sommes focalisés sur cinq amendements précis. C’est la façon la plus simple de décrire ce que nous avons fait. C’est pourquoi nous sommes ici : nous voulions parler à la Chambre du second examen objectif.

M. Gibson : Je vous assure qu’ils ont été présentés. J’ai comparu deux fois devant le comité. Une fois au nom de Hydroélectricité Canada et une fois au nom de mon entreprise. En fait, nous en avons présenté quelques autres. Notre position a toujours été que nous voulons appuyer la refonte de la Loi sur les pêches par le gouvernement. Nous voulons appuyer le gouvernement dans son intention d’améliorer cette loi. Or, nous comprenons que nous sommes rendus à la dernière heure, et c’est ce qui explique pourquoi nous n’avons pas présenté toutes nos recommandations au Sénat aujourd’hui. Nous tenons à faire valoir notre position sur certaines de nos principales préoccupations.

À l’époque, nous avions des réserves quant au retour de la notion de la détérioration, de la destruction ou de la perturbation de l’habitat du poisson, mais nous comprenons que le gros de la discussion au sein de notre industrie concerne la question des débits. C’est là-dessus que nous voulons concentrer nos efforts aujourd’hui.

Mme Perera : Lorsque nous avons comparu devant la Chambre des communes, la définition de l’habitat n’était pas particulièrement problématique. De toute évidence, nous n’en avons pas parlé en détail à ce moment-là. Nos craintes sont apparues lorsque nous en avons parlé avec les gens du ministère. Même eux étaient très préoccupés par l’ajout du débit à la définition de l’habitat. Pour nous, c’est désormais une préoccupation de premier plan. Quand on y pense, on s’aperçoit que même le ministère n’a pas eu le temps de faire une analyse des répercussions de cette modification de la définition de l’habitat.

Idéalement, il faudrait que le ministère fasse une analyse d’impact concernant l’ajout de cette nouvelle définition. Quels en sont les coûts économiques et sociaux? Les gens du ministère n’ont pas eu le temps de le faire. Étant donné tous les faits que nous vous avons présentés, nous pensons que vous devriez sérieusement envisager d’abandonner cette définition et de revenir à ce que le ministère a proposé au cours de la première série de consultations sur ce projet de loi.

Le sénateur Christmas : J’ai remarqué que vos associations se sont prononcées en faveur des réserves d'habitat par des tiers. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi c’est le cas?

M. Gibson : Avec plaisir. Si vous me le permettez, je vais répondre à votre question en utilisant un exemple. L’idée d’un projet hydroélectrique est un projet à long terme. Nous avons la capacité de planifier une décennie à l’avance. Pour notre industrie, l’idée est d’examiner avec les organismes de réglementation les objectifs de gestion des pêches pour le système envisagé, et ce, bien avant le projet. Nous pouvons rechercher le meilleur rendement sur l’investissement dans le cadre de notre projet. Pour nous, les réserves d'habitat sont une formidable ouverture à cet égard.

Je vais utiliser un exemple que j'aime bien. Il n’est pas particulier à l’hydroélectricité, mais c’est quelque chose qui fait partie de l’histoire d’Ontario Power Generation. Lorsqu’il a été question de permettre la construction d’une installation nucléaire à Darlington, nous disposions d’un délai de 10 ou 15  ans pour planifier cette installation. Nous nous attendions à ce que le projet ait une sérieuse incidence sur le littoral, nous nous attendions à une perturbation majeure. Nous n’étions pas préoccupés par l’effet que le gaspareau pouvait avoir sur le bassin des Grands Lacs. Nous étions préoccupés par des espèces en péril comme le lépisosté osseux et d’autres espèces que nous voulions protéger. Nous avons rencontré le responsable de la réglementation. Pour déterminer ce qui était nécessaire dans le bassin des Grands Lacs, nous avons mis l’accent sur certains principes et certaines idées. Ainsi, il a été établi que, pour notre projet, les terres humides côtières constituaient le meilleur rendement sur l’investissement. Nous nous sommes donc lancés dans un projet pour restaurer quelques centaines d’hectares de terres humides côtières dans la baie de Quinte, ce qui s’est soldé par une productivité supérieure à ce que nous aurions pu imaginer pour ce site particulier.

En bonifiant nos idéaux en matière de répercussions et en élargissant les idées que nous nous faisions sur la façon de compenser et de contrecarrer ces répercussions, nous avons créé un forum où nous pouvons, en échange de notre projet, travailler sur un plan de mesures correctives qui nous permettra d’en faire plus et d’obtenir de meilleurs résultats en matière de conservation et de restauration. Très souvent, il s’agit d’espèces en péril. C’est l’une des raisons fondamentales pour lesquelles nous appuyons cette idée.

Le sénateur Gold : Vos réponses correspondent à l’idée maîtresse de ma question, qui portait sur les relations que votre industrie entretient au quotidien avec Pêches et Océans et d’autres intervenants. Notre comité étudie souvent des projets de loi, mais il est important que nous entendions parler de ce que ces projets de loi signifient sur le terrain et des conséquences qu’ils peuvent avoir sur les gens. Merci. Je cède mon temps de parole à la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Pourriez-vous me dire comment vous évaluez les répercussions des débits d’eau proposés aux termes du projet de loi C-68, si une telle évaluation existe?

M. Gibson : Une grande partie de cette disposition sur les débits est en prévision de la définition qu’on lui donnera. Lorsque l’Ontario Power Generation a examiné son portefeuille de production d’énergie hydroélectrique, elle a déterminé que nous allions prendre le passage instantané du débit à 80 p. 100 comme principe pour atteindre les objectifs de la nouvelle définition de « l’habitat du poisson ». Nous ne serions plus en période de pointe et nous ne serions plus en train de retenir l’eau ou de répondre à la demande du réseau, hormis l’impact des émissions de gaz à effet de serre qui allait se vérifier. Nous avons décrit en détail l’incidence que cela allait avoir sur notre organisation en ce qui a trait à l’atténuation des inondations et le rôle que nous jouons à cet égard. Tout le monde se souvient de ce qui s’est passé au printemps de 2017 en Ontario et dans la vallée de l’Outaouais. Il y a eu une inondation exceptionnelle, comme on n’en voit qu’une par génération. Grâce à nos plans de gestion de l’eau, nous avions la capacité de retenir l’eau dans le bassin hydrographique. Nous avons fait une analyse détaillée de ce qui aurait pu se produire si nous n’avions pas eu la capacité de stocker l’eau dans le bassin hydrographique à cause des inondations dans les Grands Lacs. L’une des choses qui se seraient produites, c’est que la ville de Montréal se serait retrouvée avec un mètre d’eau supplémentaire. Nous avons pu décrire cela en détail en partant d’un débit seuil de 80 p. 100, c’est-à-dire en ne contrôlant ou en ne retenant que 20 p. 100 du réseau, et en permettant à 80 p. 100 du débit de couler en continu.

J’ai pris l’exemple de Bark Lake, près de Thunder Bay, où nous avons pratiqué ce rabattement hivernal à la fin de l’hiver et au début du printemps pour aller au-devant de cette inondation printanière. Si nous n’avons pas la capacité d’évacuer l’eau et d’abaisser le niveau du lac pour qu’il puisse se remplir avec la crue printanière, cela comporte un risque d’assurance pour la ville de Thunder Bay, certes, mais aussi un risque d’inondation de grande envergure pour les infrastructures en aval.

Je pourrais parler plus spécifiquement des pertes de térawatts qui se produisent par le simple fait de laisser le combustible filer en aval. Si vous laissez couler l’eau, vous n’êtes plus en mesure de la retenir pour répondre à la demande du réseau. Il y a une perte d’électricité verte dans la province qui doit être compensée par autre chose.

M. Toner : Un autre aspect auquel il faut songer, c’est le fait que le Canada est un pays magnifique et intéressant, dont les provinces ne sont pas identiques. Il en va de même de leur réseau électrique et de leurs sources d’électricité. Dans chaque province, l’électricité joue un rôle différent. En Ontario, en Colombie-Britannique, au Manitoba et peut-être même à Terre-Neuve et au Québec, l’hydroélectricité représente une part importante de l’énergie produite. Dans d’autres provinces, elle fait partie des sources d’énergie, mais c’est une partie importante. On pourrait faire valoir le même argument au Nouveau-Brunswick à propos de la lutte contre les inondations. Si les producteurs d’hydroélectricité n’étaient pas en mesure de faire ce qu’ils peuvent, la ville de Fredericton serait inondée. Malgré cela, l’année dernière, la ville a été submergée par une quantité assez importante d’eau.

En Nouvelle-Écosse, notre capacité à cet égard est plus limitée. Les rivières sont courtes, et vous n’êtes jamais à une distance de plus de 50 ou 60 kilomètres de la mer. En Nouvelle-Écosse, nous utilisons l’hydroélectricité surtout pour satisfaire à la demande durant les périodes de pointe, sauf pendant la saison des pluies. Pour remplacer cette électricité, il faudrait utiliser du gaz naturel ou du charbon. Ce n’est pas la direction que nous suivons.

Aux termes d’autres lois et d’autres règlements, nous avons des obligations à respecter en ce qui concerne les gaz à effet de serre, des obligations qui nous amènent à modifier grandement la composition de notre énergie, notamment en important de l’électricité d’autres provinces. Nous devons avoir la capacité d’utiliser nos centrales hydroélectriques dans le but pour lequel elles ont été construites en premier lieu, et le gouvernement doit comprendre que des études particulières seront toujours menées, puisque l’utilisation de nos sites hydroélectriques doit être renouvelée à l’échelle provinciale tous les 10 ans. Le gouvernement fédéral participe à ce processus par l’entremise du MPO.

Chacun de ces arguments est une occasion de modifier légèrement les exigences de la mesure législative, compte tenu des nouvelles tendances et du fait que nous sommes maintenant en 2019. Un régime plutôt robuste est déjà en place dans un grand nombre de secteurs. C’est la raison pour laquelle cet élément, ajouté à la dernière minute par le comité, nous a tous pris un peu au dépourvu. Cet ajout nous préoccupe. Mis à part le travail auquel Dan Gibson a fait allusion, nous n’avons pas eu la chance de procéder réellement à une analyse complète de son incidence, mais nous savons que cet ajout est problématique.

La sénatrice Poirier : J’ai une question à poser aux représentants d’Hydroélectricité Canada. Votre site web indique qu’au cours des 20 prochaines années, le développement de projets hydroélectriques pourrait apporter au Canada des investissements de plus de 125 milliards de dollars et des millions d’emplois.

Quelle incidence le projet de loi C-68 aura-t-il sur cet important potentiel en matière d’hydroélectricité, au cours des 20 prochaines années?

Mme Audouin : C’est une excellente question. Les producteurs d’hydroélectricité emploient plus de 100 000 travailleurs partout au Canada. Nous figurons toujours parmi les cinq premiers projets d’infrastructures du pays. Le secteur est un énorme fournisseur tant au chapitre des milliards de dollars qu’il ajoute au PIB du Canada qu’au chapitre des emplois qu’il crée.

Hydroélectricité Canada représente tous les producteurs d’hydroélectricité du Canada. Lorsque nous avons parlé aux producteurs des quatre coins du pays, chacun d’eux a sonné l’alarme. Tous les producteurs sont très inquiets à propos du projet de loi C-68. Nous avons parlé longuement du débit d’eau, mais le problème fondamental, c’est que la loi ou le projet de loi n’a jamais été rédigé dans le but d’inclure cet article. Les rédacteurs législatifs n’ont jamais eu l’intention d’ajouter une disposition sur le débit d’eau. Elle a été ajoutée à la dernière minute sans discussion ou consultation préalable, ce qui aurait probablement atténué certains des problèmes.

Je ne saurais trop insister sur le fait que cet article aurait des conséquences dramatiques pour l’industrie, des conséquences qui sont toutes liées à l’article 2.2. Il y a d’autres problèmes qui, à notre avis, peuvent être réglés à l’aide de la réglementation. Il y a assurément des questions que nous prions instamment le comité d’examiner et de modifier avant que la loi entre en vigueur, afin que nous ne soyons pas forcés d’attendre que la réglementation rende la loi gérable pour l’industrie.

La sénatrice Poirier : Merci.

M. Gibson : Voilà une excellente réponse. Je peux seulement ajouter que j’aimerais rappeler au comité que 60 p. 100 des Canadiens comptent sur l’hydroélectricité en tant que source quotidienne d’énergie, et cela est en grande partie attribuable à la demande du réseau. Le matin, à huit heures, l’hydroélectricité entre en jeu et démontre vraiment sa valeur lorsque tous les Canadiens allument leurs luminaires.

Alors que nous cherchons à électrifier davantage le pays, j’ajouterais qu’à mon avis, certains des objectifs du gouvernement consistent à électrifier un plus grand nombre d’industries canadiennes. Le parc de véhicules de transport doit être électrifié. Il se peut aussi que le chauffage résidentiel soit électrifié dans les années à venir. Cela se produira avec l’appui de la production d’énergie sur demande par les producteurs d’hydroélectricité.

Hydroélectricité Canada a fait un excellent travail en décrivant la soif et le désir d’exportations canadiennes d’énergie propre, soit l’une des mesures que notre entreprise n’a pas prises. Alors que nos voisins du Sud cherchent à se libérer du charbon et du gaz naturel, ils se tournent vers le Québec, l’Ontario et le Manitoba dans leur recherche d’exportations d’énergie propre qui les aideraient à faire la transition. Notre industrie doit être en plein essor pour appuyer cette transition.

Le président : Je remercie nos témoins pour la conversation très intéressante qu’ils nous ont offerte. Lorsque nous discutons de la Loi sur les pêches, nous oublions parfois l’incidence générale qu’elle a sur les autres industries. Je suis certainement ravi que vous soyez venus présenter votre point de vue ce matin.

Comme je le dis à la plupart des témoins qui comparaissent devant nous, quand je me souviens de le faire, si, après coup, vous pensez qu’il y a quelque chose que vous auriez dû nous communiquer, n’hésitez pas à le transmettre à notre greffière pendant que nous poursuivons nos délibérations sur le projet de loi C-68. Je tiens encore une fois à vous remercier.

Notre deuxième groupe d’experts de ce matin est composé de MM. Campbell et Maurice. Je crois comprendre que M. Maurice a une déclaration préliminaire à faire. La parole est à vous, monsieur.

Jeffrey Maurice, directeur des politiques et de la planification, ministère de l’Exécutif - Direction des politiques et de la planification, Nunavut Tunngavik Incorporated : Nunavut Tunngavik Incorporated, ou NTI, est un organisme de défense des revendications territoriales qui représente approximativement 28 000 Inuits, en vertu de l’Accord du Nunavut.

En 1993, l’Accord du Nunavut et l’Accord politique sur le Nunavut ont donné naissance à la Loi sur le Nunavut, qui a créé le territoire du Nunavut. Le Nunavut a adhéré à la Confédération canadienne le 1er avril 1999. Juste la semaine dernière, le gouvernement du Nunavut a célébré le 20e anniversaire de la signature de cette entente. À mon avis, c’est ce qui rend les Inuits du Nunavut uniques en leur genre, en ce sens qu’ils jouissent des droits prévus à l’article 35, tout en étant des contribuables canadiens qui participent à un gouvernement populaire.

L’Accord du Nunavut de 1993 est le moteur clé de la participation des Inuits du Nunavut et des processus décisionnels liés aux ressources renouvelables et non renouvelables, qui sont mis en œuvre par les institutions du gouvernement populaire. Au nombre de ces institutions, on retrouve le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut qui est responsable des pêches et de la gestion des ressources situées dans les aires marines ou à côté d’elles. L’article 15 de l’Accord du Nunavut porte sur les aires marines qui forment une partie de la région désignée du Nunavut, ainsi que sur les zones adjacentes. L’article 15 traite de la répartition équitable des pêches commerciales et des permis de pêche dans les régions voisines des Nunavummiuts ou des résidants du Nunavut.

Les Inuits ont une culture marine intrinsèque. Nous avons autrefois pêché un certain nombre d’espèces diversifiées dans le cadre de nos pêches côtières et semi-hauturières. Cependant, depuis 1998, les Inuits du Nunavut participent à la pêche hauturière. À l’heure actuelle, les pêches du Nunavut rapportent plus de 127 millions de dollars par année, soit plus de 2 p. 100 du PIB canadien. NTI s’emploie depuis 1999 à élaborer un nouveau règlement de pêche du Nunavut afin de veiller à ce que la réglementation soit cohérente avec l’Accord du Nunavut. Sur une période de 20 années, nous avons produit 17 ébauches de cette réglementation, et nous avons siégé au sein de 14 groupes de travail différents.

En ce qui concerne le projet de loi C-68 en particulier, NTI voit avec optimisme les nombreux amendements proposés pour faire progresser la réconciliation avec les Autochtones, notamment la protection du savoir autochtone et son utilisation lors de la prise de décisions par le ministre, pour permettre aux organismes de gouvernance autochtones de conclure des ententes en vue de réaliser les objectifs de la loi, ainsi que pour prévoir la création de comités consultatifs qui pourraient être composés d’Autochtones. Cela permettra aux Autochtones de participer à des discussions sur les politiques nationales.

Ce qui préoccupe NTI, ce sont les endroits dans le projet de loi où la formulation proposée vise à faire en sorte que les droits des Autochtones ne puissent être abrogés ou enfreints. En particulier, nous estimons que l’article 2.3 du projet de loi n’est pas formulé de façon appropriée. Ce qui cloche dans cet article, c’est le fait qu’il omet d’indiquer que la loi ne peut pas abroger les droits des Autochtones ou déroger à ces droits. Il stipule seulement que la loi ne peut abroger ou enfreindre la protection de ces droits conférés par leur reconnaissance et leur confirmation à l’article 35 de la Loi constitutionnelle, une mesure que la loi ne pourrait sans doute pas garantir.

L’article 2.4 pourrait donc être qualifié de clause dérogatoire. Voici, en partie, ce qu’il stipule :

[…] le ministre prend toute décision […] en tenant compte des effets préjudiciables que la décision peut avoir sur les droits des peuples autochtones […]

Cependant, comment cette décision pourrait-elle avoir un tel effet? Nous sommes étonnés de constater la présence de cet article et mystifiés par la logique qui le sous-tend. Dans ce contexte, j’attirerais votre attention sur le rapport final de décembre 2007 du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Le comité sénatorial a étudié l’histoire des dispositions de non-dérogation depuis leur première apparition dans des lois fédérales, en 1986, et il a remarqué une distinction entre la formulation utilisée de 1986 à 1998 et la formulation utilisée de 1989 à 2002. En gros, il est clair que, jusqu’en 1998, les dispositions de non-dérogation n’étaient que des dispositions de non-dérogation. Toutefois, après 1998, les rédacteurs ont commencé à utiliser un libellé qui ressemble plutôt à celui qui figure à l’article 2.4 du présent projet de loi. En particulier, le projet de loi C-33, maintenant connu sous le nom de Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut, comporte une disposition de non-dérogation dont la formulation ressemble à celle qui figure dans le projet de loi actuel. Au moment de la présentation du projet de loi C-33, NTI a vivement critiqué cette formulation.

Afin que les droits visés à l’article 35 soient pris au sérieux, le comité sénatorial a recommandé en 2007 que la Loi d’interprétation soit modifiée par l’adjonction des dispositions de non-dérogation suivantes :

Tout texte doit maintenir les droits ancestraux ou issus de traités reconnus et affirmés aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et ne pas y porter atteinte.

Depuis, le gouvernement a employé une formulation positive très semblable dans deux projets de loi. Notamment, le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, comprend la disposition suivante :

La présente loi maintient les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; elle n’y porte pas atteinte.

Un libellé identique figure dans le projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, un projet de loi que nous appuyons, soit dit en passant. La Chambre des communes est actuellement saisie de ces deux projets de loi. Lorsque nous comparons la formulation actuelle de la disposition de non-dérogation du présent projet de loi à la formulation des autres projets de loi que nous avons mentionnés, nous constatons que nous sommes de nouveau aux prises avec ce que le comité sénatorial a qualifié, en 2001, de façon d’aborder les dispositions législatives de non-dérogation au cas par cas.

Nous vous demandons donc d’envisager sérieusement de supprimer le libellé proposé pour les articles 2.3 et 2.4, afin de le remplacer par une formulation semblable à celle qui figure dans le projet de loi C-91.

Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie de votre exposé. Je mentionne, à titre de renseignement, qu’Alastair Campbell, conseiller principal en politiques à Nunavut Tunngavik Incorporated, est aussi dans la salle.

Le sénateur Gold : La question de la formulation qui convient pour la disposition à laquelle vous avez fait allusion est un problème qui frustre le gouvernement depuis quelques années et certainement depuis la publication du rapport sénatorial que vous avez eu l’obligeance de mentionner. Au profit des personnes assises à la table qui comprennent peut-être moins bien que vous ces nuances, des personnes dont je fais partie, je précise que le gouvernement n’a pas encore suivi la recommandation que le comité sénatorial a formulée, c’est-à-dire le fait d’avoir dans la Loi d’interprétation une disposition normalisée qui rendrait inutile ou redondante l’inclusion de ces articles particuliers. Cette recommandation est toujours pertinente et devrait être prise au sérieux.

Cela dit, nous sommes aux prises avec un certain nombre de formulations, qui diffèrent souvent en fonction du moment où la loi, dotée de cette disposition, a été adoptée pour la première fois. Ai-je bien compris votre position en ce qui concerne la formulation originale de la disposition, qui a été modifiée dans les années 1980 pour parler de la protection qui garantit les droits? Préféreriez-vous cette formulation? Je sais qu’il y a une disposition que vous privilégiez encore plus, mais pensez-vous que la formulation actuellement proposée protège moins bien vos droits que la version originale de la disposition, qui a été observée pendant les premières décennies?

Je me souviens vaguement que la formulation semblait protéger un peu mieux les droits que la disposition originale. Pourriez-vous nous faire part, le cas échéant, de votre approbation relative de l’ancienne disposition, par opposition à la nouvelle disposition? Nous savons que vous recommandez la disposition qui figure actuellement dans les projets de loi que vous avez mentionnés. Il est certainement de notre ressort d’adopter cette disposition, mais j’aimerais que vous nous fassiez part de votre point de vue quant à l’utilité de la présente disposition, par rapport à l’ancienne disposition.

M. Maurice : Je vous remercie, sénateur Gold. Ce qui est encore plus important, c’est que nous voulons observer une certaine uniformité en matière d’interprétation. Que nous préférions la présente formulation, l’ancienne formulation ou celle qui figure dans le projet de loi C-91, nous aimerions surtout constater une uniformité. Pour répondre simplement à votre question, oui, nous préférons l’ancienne formulation. Je vais laisser Alastair Campbell vous en dire davantage à cet égard, s’il est disposé à le faire.

Alastair Campbell, conseiller principal en politiques, Nunavut Tunngavik Incorporated : Cette question est abordée dans le rapport de 2007 du comité sénatorial. Entre 1986 et un moment particulier des années 1990, la formulation employée variait d’une loi à l’autre, mais prévoyait en général la reconnaissance et la confirmation des droits ancestraux et des droits issus des traités. Les dispositions garantissaient aussi que ces droits ne pouvaient être abrogés ni enfreints.

En 1987 ou en 1988, les choses ont changé, et le libellé employé indiquait que la protection conférée par la Constitution ne pouvait être abrogée ou enfreinte. Après avoir examiné ces dispositions, le comité sénatorial a déclaré premièrement qu’une adhocratie se développait, en ce sens qu’une formulation était utilisée à un endroit alors qu’une autre formulation était utilisée ailleurs.

Finalement, en raison de ces critiques et de notre interprétation de la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut, une formulation qui ressemble grandement à celle du présent projet de loi a été proposée. Cette formulation ne disait rien de nouveau. Sa présence ou son absence ne changeait rien. Le libellé semblait seulement indiquer quelque chose et, dans le cas contraire, il ne faisait qu’ajouter un élément d’ambiguïté ou d’incertitude.

À l’époque, NTI a demandé que l’article soit retiré du projet de loi, et le Comité sénatorial de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles a proposé de le supprimer. Puis, le Sénat et la Chambre des communes ont donné suite à cette proposition. Dès lors, les dispositions de non-dérogation n’étaient plus d’aucune utilité, et c’est seulement récemment que le gouvernement a semblé estimer qu’elles étaient de nouveau requises, pour une raison quelconque. Il a présenté un libellé qui avait été fortement critiqué dans le passé.

En tant que membre de la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales, une organisation formée principalement de signataires de traités modernes, NTI a adopté la position que la modification recommandée par le comité sénatorial devrait être apportée à la Loi d’interprétation, de façon à ce que l’article proposé soit applicable à l’ensemble des lois. Ainsi, nous n’aurions pas à examiner chaque projet de loi afin de déterminer si une disposition de non-dérogation est nécessaire, si telle disposition diffère de telle autre ou si une disposition est meilleure qu’une autre. La Loi d’interprétation contiendrait une disposition applicable à toutes les lois.

Le gouvernement semble être d’accord, mais il n’a rien fait encore. En attendant, nous préférerions que la disposition de non-dérogation soit formulée de la même manière que les dispositions incluses dans les autres projets de loi que nous avons mentionnés.

Le sénateur Gold : Je comprends. Je demande pardon au comité; ma question était beaucoup trop longue. J’aurais pu être plus précis, mais je tiens à être clair.

Pour l’instant du moins, la Loi d’interprétation ne sera pas modifiée. Dans tous les cas, c’est hors de notre champ d’action. Je comprends que vous préférez la formulation employée dans d’autres projets de loi, mais dois-je aussi comprendre que le libellé utilisé ici protège moins vos droits? La disposition ajoute-t-elle quelque chose? Si, au bout du compte, la disposition demeure telle quelle dans la loi, je veux que vous me disiez que la formulation ne menace pas vos droits constitutionnels et autres. C’est ce qui me préoccupe.

M. Maurice : C’est exactement ce que nous essayons d’accomplir. En deux mots, à notre avis, la formulation employée actuellement dans le projet de loi C-68 ne va pas assez loin.

Le sénateur Gold : D’accord.

M. Campbell : Je devrais préciser que je ne suis pas conseiller juridique. Toutefois, j’ai discuté avec des acteurs importants du milieu juridique autochtone, qui ont exprimé très clairement leur avis que la disposition n’ajoute absolument rien.

La sénatrice Poirier : Merci à vous deux d’être ici ce matin. D’après vous, la portée du projet de loi C-68 répond-elle aux besoins du Nord?

M. Maurice : Oui, le projet de loi vise la réconciliation avec les Autochtones. C’est pour cette raison que nous sommes optimistes en ce qui a trait à la formulation et à l’inclusion de partenariats avec les organisations autochtones. Comme je l’ai dit durant ma déclaration préliminaire, nous avons connu des défis dans le Nord. Nous avons tenté pendant 20 ans de négocier un règlement sur les pêches au Nunavut conforme à l’Accord du Nunavut et respectueux des droits des Inuits. Le projet de loi crée un milieu propice à l’élaboration de politiques qui amélioreront encore davantage la situation socioéconomique des Inuits dans le Nord.

La sénatrice Poirier : Selon vous, le projet de loi intègre-t-il adéquatement les connaissances traditionnelles au processus décisionnel?

M. Maurice : Il s’agit certainement d’une nette amélioration puisqu’avant, il n’y avait rien. Or, ce qui est encore plus important, c’est que de notre côté, nous aurons le défi de faire en sorte que les organisations autochtones enregistrent adéquatement le savoir autochtone et que nous disposions de bases de données ou de sources d’où nous pourrons puiser pour participer de manière significative au processus décisionnel.

La sénatrice Poirier : Quel soutien supplémentaire le MPO peut-il fournir au Nord?

M. Maurice : Au bout du compte, ce qu’il faut, c’est de l’argent. NTI est une petite organisation. Nous avons été exclus de divers programmes de pêches autochtones et nous n’avons pas eu la possibilité d’accéder à du financement pour les pêches autochtones. Récemment, nous avons appris que nous pourrions accéder à des fonds par l’intermédiaire de l’IPCIA et du PAGRAO, mais dans le passé, les Nunavummiuts n’ont pas eu droit à de l’aide financière pour les pêches.

La sénatrice Poirier : Avez-vous eu la possibilité de présenter vos préoccupations concernant le projet de loi C-68 au comité de la Chambre des communes?

M. Maurice : Non, je ne crois pas. C’est notre première comparution. Je sais que nous nous y prenons tard, à l’étape de la troisième lecture, mais il faut dire que de vastes consultations ont été menées dans le Nord au sujet du projet de loi C-68. Il y a eu beaucoup de discussions avant que le projet de loi soit déposé.

Le sénateur Christmas : Merci de vous joindre à nous et merci pour vos commentaires sur les articles 2.3 et 2.4. Vous avez bien fait d’en parler. Comme vous l’avez mentionné, le Nunavut est un organisme dirigeant autochtone reconnu au titre de l’article 35. C’est la première fois que le sujet est abordé dans le cadre de l’examen de ce projet de loi. Je sais que les deux dispositions préoccupent beaucoup des témoins qui vous suivront, qui viennent surtout de la côte Est.

Je ne suis pas avocat. Je vais essayer d’expliquer, dans mes propres mots et en termes simples, les préoccupations que vous avez par rapport à la disposition de non-dérogation. Je vous prie de me corriger si j’ai tort. Je veux m'assurer de comprendre le mieux possible.

L’article 2.3 parle de porter atteinte à la protection. C’est la version la plus récente de la disposition de non-dérogation. Les versions précédentes parlaient de porter atteinte aux droits. En termes simples, je suis en train de dire que la version actuelle parle seulement de protection et que la version précédente parlait de droits. Est-ce exact? Ma version simplifiée ou ma compréhension de la disposition est-elle la même que la vôtre?

M. Campbell : En un mot, oui. Dans la version précédente et dans la version du projet de loi C-91, la loi ne devait pas porter atteinte aux droits, alors que dans cette version-ci, la loi ne doit pas porter atteinte à la protection des droits découlant de la Constitution, ce qu’elle ne peut pas faire de toute façon, quant à nous. L’article semble accomplir quelque chose, mais en réalité, il n’accomplit rien.

Le sénateur Christmas : J’aimerais aussi examiner l’article 2.4, selon lequel le ministre doit tenir compte des effets préjudiciables que la décision peut avoir sur les droits des peuples autochtones. Selon mon interprétation de vos commentaires, la disposition permet presque au ministre de prendre des décisions en passant outre aux droits ou sans en tenir compte. Est-ce que je simplifie trop? Y a-t-il quelque chose que je n’ai pas compris? Est-ce ainsi que vous interprétez l’article 2.4?

M. Campbell : Encore une fois, en termes simples, la réponse est oui. Le ministre doit tenir compte des implications, mais l’article ne précise pas ce qu’il doit faire après les avoir examinées. Si la décision risque d’avoir des effets négatifs sur les droits autochtones issus de traités, est-ce que cela signifie qu’il doit prendre une décision différente?

Le sénateur Christmas : Durant votre exposé, vous avez dit qu’il s’agissait d’une disposition de dérogation. C’est assez évident qu’elle pourrait être utilisée pour passer outre aux droits.

M. Campbell : Elle sous-entend que le ministre peut aller de l’avant.

Le sénateur Christmas : Encore une fois, j’essaie de comprendre des questions juridiques sans être avocat. Vous recommandez de retirer l’article 2.4 du projet de loi. Serait-il possible de reformuler la disposition pour qu’elle n’ait pas la conséquence imprévue de passer outre aux droits?

M. Campbell : Peut-être, mais je ne sais pas comment. Vous pourriez demander à vos conseillers juridiques de vous proposer des solutions ou nous pourrions nous pencher sur la question et vous transmettre des suggestions. Il faudrait que la formulation soit très précise.

Le sénateur Christmas : Oui, je suis tout à fait d’accord. Vous m’avez ouvert les yeux sur la manière dont ces dispositions pourraient être interprétées, et je vous en remercie. Je n’avais pas remarqué. Nous vous serions reconnaissants de tout conseil ou tout avis que vous pourriez nous donner à ce sujet.

Le sénateur Gold : J’ai un commentaire à faire à titre de professeur de droit. Je comprends les préoccupations que la disposition suscite, mais selon l’interprétation que j’en fais et la manière dont pareilles dispositions ont été interprétées dans d’autres situations, je ne crois pas qu’elle aurait l’effet que vous dites. Il ne s’agit pas d’une disposition de dérogation. Au contraire, quant à moi, elle impose une obligation contenue implicitement dans la Constitution. Elle rend explicite l’obligation de tenir compte des effets préjudiciables que toute décision pourrait avoir sur les droits des peuples autochtones protégés par la Constitution. Elle ne donne pas l’autorisation d’agir librement. La Constitution stipule toujours qu’il faut prendre les droits en considération et les respecter. Il existe tout un ensemble de règles de droit à ce sujet.

D’après moi, la disposition renforce le devoir qu’ont déjà tous les représentants du gouvernement de tenir compte à la fois de l’existence et de la portée des droits protégés, et des répercussions que leurs décisions pourraient avoir.

Je comprends les préoccupations qui ont été soulevées, mais d’un point de vue juridique, la disposition devrait demeurer dans la loi pour rappeler aux ministres d’aujourd’hui et de demain que c’est un des éléments qu’ils doivent prendre en considération lorsqu’ils examinent des dossiers ou qu’ils prennent des décisions.

Le sénateur Campbell : Merci d’être ici aujourd’hui. À l’heure actuelle, la politique sur la préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien touche seulement la côte Est. La reconnaissance de l’indépendance de la flottille de pêche côtière aurait-elle une incidence sur les pêcheurs du Nord canadien?

M. Maurice : Je pense que oui, mais pas immédiatement. C’est la réponse courte. Je sais que les politiques actuelles touchent tout l’Atlantique, et que la baie de Baffin et le détroit de Davis font partie de l’Atlantique Nord qui avoisine le Nunavut. Toutefois, je ne crois pas que nous soyons rendus là. En permettant aux peuples autochtones de participer au processus de consultation, le projet de loi mènera à la création de politiques mieux adaptées aux besoins des Inuits du Nunavut.

Le sénateur Campbell : Aimeriez-vous participer à ce processus? Aimeriez-vous ajouter cette corde à votre arc?

M. Maurice : Absolument.

Le sénateur Campbell : Y a-t-il quelque chose qui empêche d’aller de l’avant aujourd’hui?

M. Maurice : Comment pourrais-je répondre?

Le sénateur Campbell : Il semblerait plutôt raisonnable de suggérer d’appliquer la politique à d’autres régions que la côte Est.

M. Maurice : Oui, mais d’après moi, la différence entre la flottille de pêche côtière du Nunavut et les autres flottilles de pêche côtière, c’est que les Inuits détiennent des droits de pêche. Récemment, ces pêches étaient artisanales et à petite échelle, mais le Nunavut prend de l’expansion, et des pêches commerciales durables commencent à s’établir.

Nous allons devoir commencer à parler de notre flottille de pêche côtière du point de vue des droits. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, à mes yeux, c’est ce qui fait du Nunavut un territoire unique.

Le président : Je remercie les témoins de ce matin pour leurs témoignages. Ils ont certainement contribué à nos délibérations. S’il y a des informations que vous avez oublié de présenter aujourd’hui et que vous voulez nous transmettre, je vous invite à les envoyer à la greffière. Elles nous seront utiles pour la suite de notre examen du projet de loi C-68.

Je demanderais aux membres du comité de rester quelques minutes pour parler des travaux à venir.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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