Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 27 - Témoignages du 26 mars 2018


CHERRY BROOK, Nouvelle-Écosse, le lundi 26 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 18 h 5, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir et bienvenue à l’audience publique sur les droits des prisonniers du Comité sénatorial des droits de la personne. Avant de commencer, vous plaît-il, honorables sénatrices d’autoriser la prise de photos et les vidéos durant la réunion?

Des voix : D’accord.

La présidente : Je vais maintenant demander aux sénatrices de se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Cordy : Bonsoir. Je m’appelle Jane Cordy. Je suis sénatrice de la Nouvelle-Écosse. En fait, je vis à Dartmouth. Je suis très heureuse d’être ici ce soir.

La sénatrice Pate : Je m’appelle Kim Pate et je suis de l’Ontario. Je suis heureuse d’être ici. C’est bien de voir tant de personnes.

La sénatrice Hartling : Je m’appelle Nancy Hartling, sénatrice du Nouveau-Brunswick. Je suis ravie d’être ici et de constater qu’il y a autant de personnes. Merci d’être là.

La présidente : Je m’appelle Wanda Thomas Bernard. Je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Je précise pour le compte rendu que je vis tout près, à East Preston. Je suis heureuse d’être chez moi ce soir.

Nous sommes honorées d’être ici ce soir, au Black Cultural Centre de Cherry Brook, en Nouvelle-Écosse. Il s’agit de la première réunion sénatoriale à se tenir ici. Je suis très heureuse de voir que vous êtes si nombreux à avoir décidé de vous joindre à nous ce soir. Bienvenue à vous tous.

Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel. Plus tôt aujourd’hui, nous avons visité l’hôpital médico-légal East Coast. Demain, nous nous rendons à l’Établissement Nova pour femmes à Truro et aussi à l’Établissement de Springhill. Puis, nous partirons pour le Nouveau-Brunswick, où nous visiterons l’Établissement de l’Atlantique et le Pénitencier de Dorchester. Nous conclurons cette partie de notre mission d’information jeudi.

Nous accueillons trois groupes de témoins ce soir. À la toute fin, ce soir, nous procéderons à une séance à micro ouvert.

Notre premier groupe compte trois témoins : Theresa Halfkenny, présidente du Comité consultatif régional ethnoculturel de la région de l’Atlantique du Service correctionnel du Canada; El Jones, à titre personnel, qui occupe la chaire Nancy en études féminines à l’Université Mount Saint Vincent; et, enfin, le révérend Mark Colley, de Word in Action Ministry International.

Madame Halfkenny, la parole est à vous.

Theresa Halfkenny, présidente, Région de l’Atlantique, Service correctionnel du Canada, Comité consultatif régional ethnoculturel : Merci. Le Comité consultatif régional ethnoculturel est un comité consultatif du Service correctionnel du Canada — le SCC — composé de bénévoles qui ont accumulé des années d’expérience de travail dans un contexte multiculturel et qui possèdent une expertise dans des domaines comme les services de police, l’emploi, le développement communautaire, la résolution de conflits, l’entrepreneuriat et l’enseignement ou qui s’acquittent des fonctions d’un ministère.

Le Comité consultatif national ethnoculturel, que j’appellerai à partir de maintenant le CCNE, est un comité national composé d’un président et d’un représentant de chacune des cinq régions. Chaque région compose avec des populations de délinquants différentes, et la région de l’Atlantique affiche une surreprésentation de délinquants noirs au sein de son système correctionnel.

Le rôle du CCRE et du CCNE est de prodiguer des conseils au Service correctionnel du Canada sur les lacunes et de formuler des commentaires sur les politiques et les procédures visant à faciliter la réinsertion sociale des délinquants issus des minorités ethnoculturelles.

L’objectif stratégique de la directive du commissaire 767 est de faire en sorte que les besoins et les particularités culturelles des délinquants appartenant aux minorités ethnoculturelles soient identifiés et d’offrir à ces délinquants des programmes et des services répondant à leurs besoins. On veut ainsi contribuer à leur réinsertion sociale réussie et à la sécurité publique.

J’ai participé à un groupe de travail au sein du SCC dans le cadre du processus de révision de la DC 767, et les suggestions formulées par le CCNE ont été intégrées dans les révisions apportées à la directive. Actuellement, la version révisée de la DC 767 est préparée en vue de consultations internes et externes. Cette révision donnera suite aux suggestions qui ont été formulées.

Durant une récente réunion du CCNE, en janvier 2018, les présidents ont signé une charte d’engagements mutuels qui lie le Comité consultatif national ethnoculturel et le Service correctionnel du Canada et dont l’objectif est de définir le cadre de coopération et de coordination entre le SCC et le CCNE.

La charte est conçue pour aider les membres du CCNE et les employés du SCC à assurer, en temps opportun, la mise en liberté sécuritaire des délinquants ethnoculturels pour favoriser leur réinsertion dans la collectivité. Pour y arriver, il faut prodiguer des conseils sur les services et les activités d’engagement permettant de favoriser la réinsertion sociale des délinquants ethnoculturels et la sécurité publique conformément à la mission, au mandat, aux priorités et à la DC 767 du SCC. Le rôle du CCNE est d’informer, d’assurer la liaison et de travailler en collaboration et de fournir un soutien pour régler les problèmes liés aux délinquants ethnoculturels, aux interventions à leur intention et à leur réinsertion sociale et de soutenir les CCRE en fonction des caractéristiques et besoins précis des différentes régions. De plus, la charte précise le rôle du SCC et ce que le service devra faire.

Personnellement, j’estime que cette charte d’engagements mutuels renforcera le partenariat entre le CCNE et le SCC.

Dans la région de l’Atlantique, il y a cinq établissements et plusieurs bureaux de libération conditionnelle : l’Établissement de l’Atlantique, une installation à sécurité maximale, l’Établissement de Springhill, qui est un centre de réception, le Pénitencier de Dorchester, qui reçoit les délinquants à sécurité moyenne et minimale, et l’Établissement Nova pour femmes.

Le commissaire fournit 50 000 $ chaque année aux comités consultatifs régionaux ethnoculturels pour qu’ils réalisent des projets harmonisés avec les trois priorités du SCC, notamment l’hébergement, l’emploi et la santé mentale. Le CCRE de la région de l’Atlantique a été en mesure de soutenir les employés et les délinquants ethnoculturels dans le cadre de divers programmes, comme des programmes visant à comprendre les effets du racisme et à les contrer, à éliminer les obstacles, à favoriser la vérité et la motivation, à renforcer les compétences interpersonnelles et l’estime de soi et à favoriser la confiance.

Le programme La lecture au-delà des barreaux est conçu pour fournir des façons d’aller de l’avant dans le milieu du travail tout en apprenant des façons efficaces de garder un état d’esprit sain et en composant avec les stress quotidiens liés au racisme de tous les jours et au fait de vivre avec un casier judiciaire.

The Journey of Self-Reflection est un cours d’autoréflexion de cinq semaines fondé sur le livre Writing my Wrongs, Life, Death and Redemption in an American Prison, de Shaka Senghor. Les thèmes des séances de ce programme étaient les suivants : se définir soi-même en tant qu’homme noir, se responsabiliser pour nos problèmes en tant qu’hommes noirs et les nommer, grandir grâce au partage, pardonner et se racheter et aller de l’avant.

Le CCRE a réussi à obtenir le soutien d’organisations dans la collectivité au sujet des délinquants appartenant à des minorités ethnoculturelles qui sont admissibles à des permissions de sortir — des PS — pour venir dans la collectivité et acquérir une expérience de travail grâce à des emplois comme la peinture, l’entretien des gazons et la menuiserie, entre autres. Cela permet aux délinquants issus de minorités ethnoculturelles de rendre des services à la collectivité.

Le CCRE a communiqué avec Mme Wanda Thomas Bernard à l’époque — elle est, depuis, devenue sénatrice — pour produire un document d’orientation sur les facteurs historiques et sociaux influant sur les délinquants issus de minorités ethnoculturelles, puisqu’il est important de souligner qu’un délinquant est souvent confronté à des facteurs historiques et sociaux associés à des traumatismes sans nom et non résolus, la dépression, l’oppression et l’exclusion sociale, ce qui a pour effet de réduire ses options de vie libre de toute criminalité.

Le CCNE et le commissaire ont soutenu la rédaction de ce document d’orientation, et, au bout du compte, 18 recommandations ont été formulées au SCC.

Le CCRE a discuté plusieurs fois avec Robert Wright, travailleur social autorisé, titulaire d’une maîtrise en travail social, consultant et thérapeute, au sujet de l’incidence de la race et des évaluations culturelles au sein du SCC. Cette initiative va de l’avant, et Robert a préparé un bref rapport sur la façon dont les évaluations culturelles peuvent être très utiles pour le SCC et de quelle façon il faut procéder. Une téléconférence a été organisée avec le CCNE pour en discuter davantage et répondre aux questions. Pour que les choses soient claires, il a aussi été souligné que les principes appliqués dans ces évaluations et ces recommandations peuvent être généralisés aux personnes d’autres origines ethniques et d’autres groupes culturels et ethnoculturels.

J’ai eu l’occasion de rencontrer des délinquants issus de minorités ethnoculturelles régulièrement en raison de la proximité des établissements, et les préoccupations exprimées sont les mêmes dans de nombreux cas lorsqu’il s’agit de ce groupe de délinquants. Certaines des lacunes et des préoccupations étaient les suivantes : la santé, le fait que les produits capillaires et d’hygiène ne répondent pas à leurs besoins; les produits d’hygiène disponibles à la cantine sont très chers, et les produits pour la peau ne répondent pas à leurs besoins; les programmes correctionnels doivent être assortis d’une composante culturelle liée à l’apprentissage; il faut assurer la diversité des personnes responsables de la formation; il faut augmenter la diversité au sein des employés, comme les intervenants de programme, le personnel des services de santé et, dans certains secteurs, les agents correctionnels. Ils ont aussi dit que, en raison des préjugés parmi les employés, ils ont l’impression que cela mène à des stéréotypes, des commentaires offensants, du racisme, des commentaires désobligeants et, parfois, des gestes. Ils ont souligné à quel point ils ne se sentent pas respectés.

La question de l’alimentation est aussi problématique pour les délinquants issus de minorités ethnoculturelles, surtout ceux qui pratiquent une religion. Les délinquants issus de minorités ethnoculturelles continuent de poser des questions sur la possibilité de travailler pour CORCAN. Il semble qu’ils n’ont pas l’occasion d’acquérir des compétences qui leur seraient bénéfiques au moment de leur retour dans la collectivité et au moment de s’y trouver un emploi. Il faut mettre en place un agent de liaison ethnoculturelle dans chaque établissement. Un agent de liaison pour cinq établissements ne répond pas aux demandes de ces délinquants. On a l’impression que cette personne pourrait faire partie des effectifs du SCC à temps plein.

Peu de programmes ont été réalisés, et il reste du travail à faire. Le SCC met actuellement en place une formation sur les compétences culturelles à laquelle tous les employés devront obligatoirement participer.

Le CCNE a eu l’occasion d’examiner le matériel de formation. C’est un pas dans la bonne direction. Cependant, est-ce que cela entraînera de réels changements?

Voici deux ou trois choses qu’espère le CCNE : que des mesures législatives permettront d’apporter des changements à la Loi sur le service correctionnel et la mise en liberté sous condition, la LSCMLC, et son règlement pour accroître l’adoption de politiques sensibles liées à la sécurité publique, au SCC, à la GRC, aux provinces et aux municipalités.

Nous allons continuer de promouvoir des changements comme les suivants : une modification de l’article 77 de la LSCMLC pour inclure les délinquants issus des minorités ethnoculturelles, et une modification de l’article 7 de la LSCMLC pour inclure les comités consultatifs ethnoculturels. Encore une fois, nous espérons que de telles modifications entreront en vigueur et qu’on bénéficiera d’une reconnaissance accrue. Merci.

La présidente : Nous allons maintenant passer à Mme Jones.

El Jones, chaire Nancy en études féminines, Université Mount Saint Vincent, à titre personnel : Merci. Bonsoir. Je m’appelle El Jones. Je suis une universitaire, une écrivaine et, plus particulièrement, une porte-parole communautaire pour les personnes incarcérées. Je travaille principalement en collaboration avec les femmes et les Afro-Néo-Écossais.

Je suis ici aujourd’hui pour lire une déclaration préparée par un prisonnier afro-néo-écossais qui ne peut pas être ici lui-même. Les Afro-Néo-Écossais sont une population distincte au Canada. Il faut les reconnaître en tant que groupe culturel précis et ne pas tout simplement les regrouper avec l’ensemble des Afro-Canadiens. L’histoire précise de la province, marquée par l’esclavage, les colonies d’esclaves libérés, l’isolement et la marginalisation a privé tout particulièrement nos collectivités et contribué au taux élevé d’incarcération et de criminalisation des hommes et des femmes afro-néo-écossais.

Avant de lire la déclaration, je tiens à souligner qu’un des aspects du racisme dirigé contre les Noirs dans le système carcéral, c’est qu’il vise non seulement des prisonniers, mais aussi les communautés, les familles et les porte-parole noirs. Le simple fait de sortir cette déclaration de la prison était très risqué et a été très difficile. C’est parce que le système carcéral criminalise tous les Noirs, en accusant, par exemple, les membres de la communauté qui défendent les prisonniers d’être affiliés à des gangs ou en se cachant derrière d’autres risques liés à la sécurité pour nous empêcher de parler au téléphone avec des prisonniers et nous traiter avec suspicion. Tout cela fait en sorte que non seulement le système carcéral ne répond pas aux besoins des prisonniers noirs, mais il fait aussi en sorte qu’il est extrêmement difficile pour les communautés, et particulièrement les membres de la communauté qui contestent ouvertement le racisme du système, d’avoir accès à ces prisonniers et de répondre nous-mêmes à leurs besoins. J’espère que vous me poserez des questions au sujet du problème lié à l’accès.

En plus de la présente déclaration préliminaire, j’ai mené des entrevues auprès des prisonniers afro-néo-écossais qui portent sur un large éventail d’enjeux, dont certains ont été abordés par Mme Halfkenny. Les enjeux incluent notamment les soins de santé, l’accès à la libération conditionnelle, les hauts taux de transfèrement non sollicité, le programme d’enseignement, les liens avec la collectivité, le manque d’accès aux aînés culturels, à des conseillers spirituels ou à des employés et des enseignants qui leur ressemblent et qui partagent les mêmes antécédents, l’accès à des emplois dans la prison, le manque de compréhension ou de programmes axés sur les traumatismes qui reconnaissent les traumatismes historiques précis dans les communautés noires, le système disciplinaire en milieu carcéral qui cible injustement les prisonniers noirs, comme des rapports et des accusations liés à l’affiliation aux gangs et le fait de n’avoir aucune possibilité d’intervention ou de témoignage culturel dans ces audiences, le manque d’accès aux visites et les peines disproportionnées.

J’ai aussi discuté avec beaucoup de femmes qui m’ont parlé des façons dont la question du sexe et du racisme se rejoignent dans le système carcéral et de la façon dont les femmes noires sont particulièrement criminalisées. J’espère que vous me poserez des questions sur tous ces domaines.

J’espère aussi que certaines questions porteront sur la désincarcération et le besoin de reconnaître que la solution au racisme dont sont victimes les Noirs dans le système carcéral ne consiste pas seulement à fournir de meilleurs programmes ou plus d’employés noirs. Ce qu’il faut, c’est d’arrêter d’envoyer des Noirs en prison. Cela exige aussi de réfléchir à tous les systèmes étatiques, y compris les services de police, la protection de l’enfance, l’immigration et le logement, l’emploi et l’éducation, des thèmes qui ont tous une incidence sur les Noirs dans cette province et qui tous jouent un rôle dans leur criminalisation.

J’espère que, durant l’audience, on reconnaîtra aussi le lien entre le complexe industriel carcéral et la violence dont sont victimes les Noirs et en quoi l’esclavage du passé se poursuit dans le système.

Je vais maintenant lire une déclaration préliminaire au nom des Afro-Néo-Écossais purgeant une peine de ressort fédéral. J’aimerais lire le nom de la personne qui a écrit ce rapport, mais je crains de l’exposer à certains risques. Si vous voulez, venez me voir en privé, mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée de dire son nom publiquement.

Les pensées, émotions et opinions que je vais communiquer sont formulées officieusement au nom de tous les hommes noirs et basanés purgeant une peine de ressort fédéral partout au pays. Par conséquent, je pourrais avoir 20, 30 ou même 40 ans. Je suis peut-être un résident permanent, ou je suis peut-être né à Toronto, ou même à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Je suis peut-être petit et basané, comme Martin Luther King Jr., ou grand et basané, comme Malcolm X. Il y a beaucoup de possibilités de variables différentes à qui veut tous nous décrire. Cependant, il y a deux choses que je peux vous garantir : je suis de descendance africaine, et je suis incarcéré.

Dans mon cas, je suis incarcéré depuis près de sept ans. Si je coupe cette période en deux, je me retrouve devant la cour supérieure de la Nouvelle-Écosse pour mon audience de détermination de la peine. Ce que je me rappelle clairement, c’est la raison fournie par le juge de la Cour suprême qui m’a envoyé dans un établissement fédéral. C’était le seul endroit qui fournissait des programmes appropriés pour démarrer mon processus de réhabilitation et m’aider en cours de route. Six prisons, trois provinces et deux niveaux de sécurité plus tard, je n’ai toujours pas suivi ce programme.

Cela ne signifie pas que je n’ai pas participé à des programmes. J’ai terminé tous les programmes qu’on m’a recommandés et plus encore, mais, lorsque j’évalue leur pertinence à l’égard de ma réhabilitation, le mot qui me vient à l’esprit, ce n’est pas « adéquat ». Je parle de « pertinence », parce que les stratégies enseignées dans ces programmes ne sont pas adaptées à des gens qui me ressemblent. Mon hypothèse, c’est que les gens qui ont conçu ces programmes ne vivent pas dans des collectivités comme les nôtres et ne passent pas assez de temps dans un tel endroit pour comprendre la dynamique, les pères absents, les mères absentes, les jeunes qui grandissent sans parent. Cela entraîne une absence de modèle positif et présent. C’est peut-être aussi tout simplement le vieux problème de la pauvreté, qui mène au trafic de drogues, à la toxicomanie et, possiblement, à la violence armée, tous des problèmes graves qu’on ne rencontre pas quotidiennement dans la plupart des quartiers. De quelle façon une personne qui n’a jamais rencontré ces défis peut-elle réussir à concevoir des façons de les relever?

Dans le cadre de mes déplacements au sein du système fédéral, j’ai rencontré beaucoup d’agents de libération conditionnelle, d’agents de programme et d’autres employés occupant des emplois similaires. Selon moi, de façon générale, ils pouvaient tous être classés dans l’une des trois catégories suivantes : l’obstructionniste, le négligent et l’aidant réticent.

L’obstructionniste semble essayer intentionnellement de mettre des obstacles sur la route des détenus noirs qui tentent de faire des progrès. C’est peut-être difficile à comprendre, mais cela se produit chaque matin et chaque soir dans toutes les installations du SCC.

Ensuite, la catégorie la plus nombreuse, les négligents. Ce sont ceux qui ferment les yeux devant le comportement de l’obstructionniste. Ils refusent de reconnaître qu’il y a des problèmes ou que des améliorations dans certains domaines sont souhaitables. Ma question à ce groupe est la suivante : votre silence vous rend-il complice des gestes posés par l’obstructionniste?

Pour terminer, il y a les aidants réticents. Parfois, ils peuvent aider et sembler réceptifs à l’idée qu’il y a des préoccupations légitimes. Cependant, ils ne sont pas prêts à vraiment faire avancer les choses. Je crois que c’est en raison des membres des deux autres catégories. Quel professionnel veut être le premier à aller à contre-courant, c’est-à-dire aller à l’encontre de ses pairs?

Au bout du compte, non seulement les programmes sont inadéquats, mais en plus les personnes nommées pour fournir ces programmes ne semblent pas avoir été choisies avec notre intérêt à l’esprit. J’essaie consciemment chaque jour de m’améliorer, et ce sont là mes expériences.

Malheureusement, nous n’avons pas tous la même énergie et le même esprit d’initiative. Quelles sont les probabilités de réhabilitation de ceux qui ont besoin d’aide, mais qui attendent qu’on la leur fournisse?

Je dis peut-être tout ce que je dis parce que je suis aveuglé par un voile d’ignorance. Peut-être. J’aimerais connaître le nom du programme offert pour aider les hommes noirs incarcérés de partout au pays à avoir une vraie chance de vivre une vie positive une fois qu’ils sont libérés. Si ce programme n’existe pas, les portes tournantes n’arrêteront pas de tourner. Merci et que Dieu vous bénisse.

La présidente : Nous allons maintenant céder la parole au révérend Colley.

Révérend Mark Colley, Word in Action Ministry International, à titre personnel : Je suis le révérend Mark Colley. Je suis ce que le système appelle un ex-détenu, mais je ne me perçois pas de cette façon. Pendant 12 ans, j’ai fait l’aller-retour entre la prison et la collectivité. Durant ces 12 années, j’ai purgé trois ans d’une peine de ressort fédéral à Springhill.

Vous savez, le système n’était pas mon ennemi; j’étais mon propre ennemi. C’est par ma faute que je me suis retrouvé en prison. C’est moi qui ai fait les choses qui m’ont mené en prison. C’est moi qui volais des voitures, entrais par effraction dans des maisons, commettais des vols à main armée, achetais des voitures sans permis et sans assurance et faisais toutes ces choses.

J’ai été expulsé de l’école en septième année. Je n’étais pas là pour apprendre. J’étais là pour un certain nombre d’autres choses, dont les filles. J’ai été expulsé de l’école et j’ai essayé d’y retourner en vain par la suite à deux reprises. Je n’étais pas là pour apprendre. Je ne voulais même pas apprendre, en fait.

J’ai mené une vie criminelle. J’ai fait l’aller-retour 12 ans entre la prison et la collectivité. Il y avait des gens là qui voulaient m’aider, mais je ne voulais pas d’aide, parce que j’aimais mon mode de vie. J’aimais me considérer comme un voleur. C’est comme ça que les gens me connaissaient. À un moment donné dans ma vie, j’ai été en cavale. J’ai quitté Halifax parce que je faisais l’objet d’un mandat d’arrestation. J’ai levé les feutres et je suis parti pour Toronto. L’homme qui a quitté Halifax est exactement le même qui est arrivé à Toronto. Mon cœur était encore le même. J’étais la même personne. Je suis arrivé à Toronto et je me suis tourné vers la criminalité. J’ai rencontré des gars et j’ai poursuivi le même mode de vie qu’avant. C’est ce que je faisais. C’était ma vie.

Puis, la police était à mes trousses à Toronto. J’ai fui et je me suis dirigé vers Edmonton. Je suis resté à Edmonton pendant plus d’un an, et je faisais encore la même chose qu’ailleurs, je commettais des crimes, parce que j’étais la même personne. Mon cœur n’avait pas changé.

Après un an à Edmonton, je faisais la même chose qu’avant, mais je ne me faisais pas arrêter. Vous savez, c’est parce que les policiers ne me connaissaient pas. Ma vie était vide. Je me promenais tout simplement la nuit et je commettais des crimes, et la journée, je vendais ce que j’avais volé durant la nuit, je buvais, je prenais de la drogue et toutes ces choses.

Un samedi matin, j’étais assis dans mon appartement, à fumer de la drogue et à boire du whisky à 10 heures du matin. C’est à ce moment-là que l’esprit du Seigneur m’a parlé. Durant ces 12 années où j’ai fait l’aller-retour entre la prison et la collectivité, j’allais toujours à l’église. Je n’y cherchais pas Dieu. Je peux vous garantir que je ne cherchais pas Dieu, mais j’allais toujours à l’église. Je chantais les chansons. J’écoutais les sermons. Ensuite, je me levais et je partais comme j’étais arrivé.

J’étais donc assis dans mon appartement à consommer de la drogue et à boire du whisky, et l’esprit du Seigneur m’a parlé et m’a dit : « Il y a plus à la vie que ça. Va chercher une Bible. » J’ai dit à ma petite amie et à mon copain : « Il doit y avoir quelque chose de plus à la vie que tout ça. Je vais aller me procurer une Bible. » Je me suis levé, je me suis habillé et je suis allé dans un centre commercial me procurer une Bible. Lorsque j’ai ouvert la porte du centre commercial, ce jour-là, j’ai entendu une chanson du nouvel album de Lionel Richie et des Commodores. Je suis arrêté dans le magasin de disques, j’ai acheté le disque et j’ai complètement oublié la Bible. Je suis retourné dans ma voiture et j’étais à mi-chemin vers la maison lorsque je me suis dit : « Oh, j’ai oublié la Bible. Je m’en procurerai une la prochaine fois que j’irai au centre commercial. »

J’ai continué à faire ce que je faisais. La semaine suivante, les policiers sont arrivés au beau milieu d’une introduction par effraction. Je ne sais pas pourquoi, j’étais avec mon ami, et je suis sorti pour m’assurer que la voie était libre, et j’ai entendu la radio du policier. Je suis retourné et j’ai dit à mon partenaire : « Les policiers sont dehors. » Nous avons levé les feutres, et il est sorti par la porte avant.

Je me suis dit que le bâtiment était probablement encerclé et, plutôt que de le suivre et de sortir par la porte, je suis monté à l’étage et j’ai essayé de sortir par une fenêtre pour aller sur le toit. Je ne trouvais pas de fenêtre. Lorsque je suis redescendu, je suis passé par la même porte que lui, et j’ai entendu un policier dire : « Pas un geste », quatre fois, il a crié « Pas un geste ». Après la première fois, il aurait pu faire feu et me tuer, mais je crois que le jour où je m’étais levé de mon canapé et que j’avais décidé d’aller chercher une Bible, Dieu a décidé de me protéger et que j’allais enfin atteindre à la vérité, parce que j’étais perdu et je ne savais pas où j’étais.

Je ne me suis pas procuré une Bible ce jour-là, et je n’ai pas perdu la vie cette nuit-là. Je me suis retrouvé en prison. Après un certain temps, je me suis retrouvé en prison pour 21 mois. Mon compagnon de cellule était un chrétien. Il était sorti de prison, avait eu des problèmes, était devenu chrétien, et s’était retrouvé à nouveau en prison. Beaucoup de personnes m’ont donné pas mal de qualificatifs. On m’a dit que j’étais un voleur et un certain nombre d’autres choses qu’il n’est pas approprié de dire ici. Cependant, lui m’a dit quelque chose que personne ne m’avait jamais dit. Il m’a dit : « Mon ami, tu sais, c’est quoi ton problème? Tu es un pécheur et tu as besoin de Jésus Christ dans ta vie. » C’est ce qu’il m’a dit, et il m’a donné une Bible intitulée Good News for Modern Man.

Ce soir-là, j’ai commencé à la lire et à aller à l’église, aux études bibliques. J’allais à n’importe quel événement qui se rapportait à l’église. Au bout de trois mois, j’étais convaincu que la Bible était la Parole de Dieu. J’étais convaincu que Jésus-Christ était qui il disait être. J’étais devant un choix; est-ce que j’accepte cela ou est-ce que je le rejette, parce que cela demeurait mon choix.

Un mardi soir, j’ai ouvert mon cœur et j’ai accepté Jésus-Christ comme mon Seigneur et mon Sauveur, et ma vie a commencé à changer. Différents désirs sont entrés dans ma vie. J’ai commencé à voir à quel point j’avais gâché ma vie à l’intérieur et à l’extérieur de la prison — des jours et des nuits gaspillés. Puis, j’ai commencé à avoir une vision de ce que je voulais comme vie. Je ne voulais plus faire la navette entre la prison et l’extérieur, comme je l’avais fait.

J’ai eu envie de travailler pour gagner ma vie. Je suis sorti de prison en Alberta et j’ai commencé à travailler dans un atelier de mécanique, à faire de la mécanique et d’autres choses. Puis, j’ai commencé un autre travail où j’installais du revêtement, et ce sont des choses que j’ai apprises à faire qui m’ont aidé à gagner ma vie.

Après deux ans là-bas, j’ai décidé que je voulais revenir à Halifax, parce que j’étais une personne différente qui avait envie de retourner. Je savais que j’étais visé par un mandat là-bas. Je savais que j’allais me faire arrêter lorsque je reviendrais. Une chose dont je me suis rendu compte, c’est que la vie d’une personne peut changer, mais que les gens ne veulent pas entendre le changement; ils veulent le voir.

Je suis revenu, mais je ne me suis pas rendu à la police. C’est une chose que je n’ai jamais faite. J’ai fini par me faire prendre, et j’ai dû passer du temps en prison, mais finalement, tout cela s’est retrouvé derrière moi. Avant cette période, j’avais eu deux enfants, mais je n’étais jamais là, parce que j’étais en prison ou en fuite. Je formais le souhait d’être père, de revenir à la maison après une journée de travail et de voir les enfants courir et être heureux de me voir. J’avais besoin d’une épouse. J’ai rencontré une dame et je lui ai raconté l’histoire de ma vie le premier soir. Nous nous sommes mariés un an et trois mois plus tard. C’est trois mois après ma sortie de prison que nous nous sommes mariés. Elle est ici ce soir. Elle est toujours avec moi 33 ans plus tard, après six enfants et plusieurs petits-enfants.

Tout a commencé lorsque mon cœur a changé et que je ne voulais plus être la personne que j’étais.

Lorsque je faisais partie du système, il y avait là-bas des choses qui pouvaient m’aider. Il y avait des ateliers de mécanique où j’ai pu travailler. Il y avait des programmes de perfectionnement scolaire et des choses du genre, et il y avait là-bas certains programmes et d’autres choses. Je n’avais à l’époque aucun intérêt pour ces choses.

Le système ne m’a pas laissé tomber. J’ai laissé tomber le système, parce que tout était là. Je n’avais pas besoin de passer 12 ans à l’intérieur et à l’extérieur du système carcéral. C’est moi qui ai choisi de faire 12 ans à l’intérieur et à l’extérieur du système carcéral.

J’ai été victime de racisme. Et puis, après? Il y a des gens racistes dans la Bible. Les Juifs étaient racistes envers les Samaritains. Le racisme a toujours existé, et je crois qu’il existera toujours, parce qu’il se trouve dans le cœur des gens.

La Bible dit : « Ce que les hommes ou les femmes pensent d’eux-mêmes, c’est ce qu’ils sont. » Pour moi, le racisme n’est pas une nuisance, parce qu’il ne peut pas m’empêcher de faire ce que je veux faire. Il peut freiner d’autres personnes, mais si je mets mon cœur dans quelque chose, c’est seulement moi qui peut m’empêcher de le faire. Si j’ai un objectif, il n’en tient qu’à moi de le poursuivre, quoi qu’il arrive. Des embûches peuvent apparaître en chemin, mais vous pouvez les contourner.

La présidente : Monsieur Colley, je déteste vous interrompre, car je suis sûre que vous avez plusieurs histoires à raconter, mais il ne nous reste que 20 minutes pour le présent groupe de témoins, et nous devons donner aux sénateurs l’occasion de vous poser à tous les trois quelques questions.

Le révérend Colley : D’accord, c’est bon.

La présidente : Si c’est possible à la fin de la soirée, nous aimerions vous entendre davantage. Cela vous va?

Le révérend Colley : D’accord. Merci beaucoup.

La présidente : Nous allons maintenant passer aux questions et nous commencerons par la vice-présidente, la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Je remercie énormément chacun de nos témoins ce soir. Vos exposés ont été excellents.

Madame Jones, vous avez parlé du nombre élevé d’hommes noirs, particulièrement dans les prisons. Madame Halfkenny, vous avez aussi parlé de la surreprésentation des Noirs dans les prisons du Canada atlantique.

Madame Jones, vous avez dit : « Cessons d’envoyer des Noirs en prison. » Qu’en est-il de ceux qui sont en prison et de la pertinence des programmes? Vous avez beaucoup parlé de cette question, et j’ai trouvé assez intéressant de savoir que, à moins qu’ils soient pertinents et qu’ils aident à la réinsertion au sein de votre collectivité, les programmes ne servent à rien. Je me demande si vous pourriez expliquer un peu plus précisément cette partie de votre exposé.

Mme Jones : Merci. La déclaration des prisonniers que j’ai lue aborde particulièrement les programmes, parce que c’est ce qui les touche au quotidien. Ils doivent participer obligatoirement à ces programmes, mais ils trouvent que les solutions qui leur sont fournies dans ces programmes sont non seulement peu pertinentes, mais souvent complètement inutiles pour eux.

Un exemple qu’on m’a donné, c’est qu’on leur dit que s’ils se trouvent dans une situation de conflit, ils n’ont qu’à compter jusqu’à trois et à prendre une grande respiration. Dans ma collectivité, je ne peux pas faire cela dans une situation de vie ou de mort. Cela ne m’aidera pas. D’autres personnes ont parlé de leur impression, particulièrement dans les cours sur la résolution de conflits, sur la façon de composer avec des situations d’intensité élevée et ce genre de cours, qu’elles ne peuvent gagner. Si elles disent : « Je ne sais pas si je suis d’accord », elles sont agressives. Si elles suivent le courant, alors elles manipulent le système. Une personne a dit qu’on lui a demandé : « Que feriez-vous si vous étiez confronté à un problème? » Elle a dit : « Je réprimerais simplement mes sentiments. C’est ce que je ferais. » On lui a dit : « Eh bien, c’est une réponse ridicule. Vous vous attirerez des ennuis lorsque vous sortirez. » Ces personnes ont l’impression que, peu importe ce qu’elles disent ou font, elles n’ont vraiment aucune option dans ces programmes et, d’une façon ou d’une autre, on les étiquette toujours comme étant une menace ou Dieu sait quoi d’autre. Dans les faits, les prisonniers noirs ont les meilleurs profils de réinsertion parmi tous les prisonniers, comme le démontre l’étude de Howard Sapers menée en 2014.

La raison pour laquelle j’ai aussi dit : « Cessez d’envoyer des Noirs en prison », c’est que des choses malheureuses se produisent. Je m’inquiète du fait que, si nous ne parlons continuellement que des programmes, ces programmes ne devraient pas être accessibles uniquement aux personnes qui vont en prison. Selon notre profil de justice sociale, nous ne devrions pas priver les Noirs d’éducation; nous privons les Noirs d’emplois, nous retirons systématiquement des ressources et des occasions aux collectivités noires. Lorsque les jeunes n’ont aucune possibilité et lorsque les traumatismes qui s’accumulent dans ces collectivités pendant des générations mènent à la criminalisation des gens, nous disons alors : « C’est en prison que vous devez aller, parce que vous pouvez accéder là-bas à des programmes. » Ils ne devraient pas devoir y accéder en prison. Ces programmes devraient être accessibles dans leurs écoles et leurs collectivités.

C’est pourquoi je veux vigoureusement m’opposer à l’idée que toutes nos énergies devraient être concentrées uniquement dans les programmes destinés aux personnes incarcérées, parce que nous savons que le résultat de cela consistera à dire : « Envoyons simplement plus de Noirs en prison. Les programmes là-bas sont tellement bons. » Même si je reconnais que c’est la chose la plus importante, de façon quotidienne, pour les personnes qui sont incarcérées, nous devons reconnaître leurs besoins et accorder la priorité à ce qu’ils vivent au quotidien, à ce qui leur permettra d’obtenir la libération conditionnelle, de réintégrer la collectivité. Nous devons aussi reconnaître que la prison n’est pas un complexe d’habitation. La prison n’est pas un programme d’emploi. La prison n’est pas une école. Elle n’est pas synonyme de services de travail social ni de psychiatrie. C’est un endroit traumatisant, c’est un endroit violent, que nous devrions utiliser comme dernier recours, pas comme mesure pour combler les lacunes qui n’ont pas été comblées dans la société.

La sénatrice Cordy : Je suis entièrement d’accord avec vous pour dire que des choses sont nécessaires pour garder les gens hors de prison.

Une des choses que nous avons entendu dire dans une des prisons où nous sommes allés, c’est que les employés montaient un groupe racial ou ethnique contre un autre. Nous avons entendu ces commentaires lorsque nous nous sommes adressés à des prisonniers en l’absence d’employés. Y en a-t-il parmi vous qui ont entendu parler de tels cas de la part de personnes qui sont allées en prison? Je vais vous donner quelques exemples. C’était le Mois de l’histoire des Noirs, donc peut-être que le groupe des Asiatiques a demandé du financement pour un événement, et on lui a dit : « Eh bien, non, vous ne pouvez pas en avoir, parce que le groupe des prisonniers noirs a utilisé tout le financement pour le mois. » Puis, peut-être pour une autre situation, le groupe des Autochtones cherchait du financement pour un programme, et on lui aurait dit : « Eh bien non, vous ne pouvez pas l’obtenir, parce que le groupe des Asiatiques célèbre le mois des Asiatiques. » Cela a créé des conflits.

Avez-vous entendu des choses du genre au sujet des prisons dans le Canada atlantique?

Mme Halfkenny : Je peux parler pour les établissements où notre comité s’est rendu et s’est entretenu avec certains délinquants au sujet de certains de ces enjeux.

Une des choses que nous avons constatées en ce qui concerne les délinquants de minorités ethnoculturelles, ce qui est notre rôle, et le délinquant noir, bien sûr, représente la minorité ethnoculturelle de la région de l’Atlantique, a trait aux activités culturelles. Nous avons réussi à faire venir un certain nombre de personnes différentes pour présenter un exposé aux délinquants. Ce que j’ai découvert, c’est que cela semble fonctionner bien mieux lorsqu’ils se présentent en groupe pour faire une demande concernant un événement culturel ou quelque chose du genre. Parfois, c’est difficile, parce que les délinquants se sentent très opprimés et ne veulent pas vraiment changer les choses. C’est un fait que ce sont eux qui veulent se rassembler pour former ce groupe et que cela revêt une importance.

Dans un établissement particulier avec lequel notre comité a travaillé, on fait en ce moment un travail vraiment excellent, parce qu’on a pris en main le groupe. Toutefois, il demeure assurément des enjeux par rapport à ce que les membres du groupe peuvent obtenir ou non et au sujet de ce qu’ils peuvent faire. Ils ont l’impression qu’on leur manque de respect en raison de qui ils sont, et il n’y a pas beaucoup de diversité autour d’eux pour ce qui est des gardes. Il n’y a pas beaucoup de diversité là-bas. C’est presque comme si on voulait leur faire sentir qu’ils sont inférieurs. J’espère que cela répond à la question.

Mme Jones : J’aimerais juste ajouter, très rapidement, que de nombreux Néo-écossais africains en particulier partagent également un héritage autochtone. Ils voient dans cette situation beaucoup de conflits, que ce soit pour qu’on croie à cet héritage et le fasse reconnaître ou parce qu’ils ont le sentiment de devoir choisir un camp. Certains estiment qu’il vaut mieux choisir le camp des Autochtones, parce que les choses qui devraient être accessibles également aux prisonniers noirs, des choses comme les rapports culturels ou les Aînés, ne leur sont pas accessibles en raison de leur ascendance africaine, mais le sont à cause de leur ascendance autochtone.

Je ne veux pas laisser entendre que la situation des prisonniers autochtones est meilleure que celle des prisonniers noirs. C’est juste que ces services particuliers n’existent pas. Je dirais, particulièrement dans la province où de nombreuses personnes appartiennent depuis longtemps aux deux communautés, qu’elles trouvent difficile de constater que ces deux cultures ne sont pas reconnues également.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup à vous tous de vos exposés. J’ai des questions pour Mme Halfkenny et Mme Jones.

Je vais commencer par vous, madame Jones. Une des questions que vous avez soulevées concernait l’accès. J’ai entendu parler des enjeux liés à l’accès dans le cadre du comité, et j’en ai assurément entendu parler par un certain nombre de collectivités, prisonniers, familles de prisonniers, groupes de défense des intérêts et militants dans la collectivité. Pour que nous puissions comprendre parfaitement ce qui s’est passé dans la région, pourriez-vous en parler davantage?

Madame Halfkenny, vous avez dit vouloir que des changements soient apportés à l’article 77 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, soit la disposition selon laquelle l’on doit prêter une attention particulière aux femmes dans le système carcéral. Je suis curieuse de savoir quel travail a été effectué auprès des comités ethnoculturels par rapport à l’article 29, qui permet aux personnes ayant des problèmes de santé mentale d’être retirées de la prison, à l’article 81, qui autorise les gens à purger leur peine dans la collectivité, et à l’article 84, qui prévoit un processus semblable, mais où les personnes peuvent être en libération conditionnelle dans la collectivité. L’accent est mis sur les prisonniers autochtones, mais l’article prévoit qu’il s’applique à tout détenu, et non pas seulement aux prisonniers autochtones.

Ce que nous avons entendu dire dans les témoignages, c’est que bien souvent, on a dit aux groupes de minorités ethnoculturelles que l’article 81 et l’article 84 ne s’appliquaient pas aux prisonniers noirs ni à d’autres prisonniers, mis à part les prisonniers autochtones. Nous savons également que les politiques ont été rédigées d’une façon qui entrave en réalité l’intention du législateur pour les articles 81 et 84. Ces dispositions ont été mises en place précisément pour réduire le nombre de personnes en prison, mais elles n’ont pas été utilisées de cette façon. La plupart des collectivités ne sont même pas au courant des dispositions.

Madame Jones, peut-être pourriez-vous commencer par l’enjeu de l’accès, et si vous souhaitez parler également des articles 81 et 84, je serai heureuse de vous écouter.

Mme Jones : Comme j’y ai fait allusion, lorsque nous parlons de la criminalisation des Noirs, cela touche évidemment le plus profondément ceux qui sont en prison et ceux qui sont arrêtés. Cela s’applique aussi à l’ensemble des Noirs, parce que tous les Noirs dans la société, en raison du racisme envers les Noirs, sont considérés comme des criminels potentiels ou comme ayant un certain genre de comportement suspicieux, comme représentant une menace.

Qu’est-ce que cela veut dire en ce qui concerne l’accès dans le système carcéral? En tant que défenseure des droits, je travaille avec beaucoup d’hommes noirs. Parce qu’on les accuse de façon disproportionnée d’être affiliés à des gangs, cela signifie qu’on m’a accusée d’être affiliée à des gangs. On m’a approchée et on m’a dit : « Vous êtes affiliée à ces gangs. » Ce qu’ils considèrent comme des signes propres aux gangs... Par exemple, ils ont récemment banni les chandails de basketball et les bonnets parce qu’ils estimaient représenter des signes d’affiliation à des gangs. Les prisonniers noirs ont signalé qu’ils ne connaissaient aucun gang qui portait un bonnet comme signe de sa participation à un gang. C’est le genre de choses qu’on applique à eux et à l’ensemble de leurs collectivités.

Si vous venez d’une collectivité qui a été très criminalisée, par conséquent, vous avez ces attaches. Vous devez donc être membre du gang et vous êtes trop dangereux pour qu’on vous laisse entrer.

Ce genre de chose s’accompagne aussi des risques en matière de sécurité qu’on nous attribue. Je veux dire que cela a particulièrement des effets sexospécifiques, notamment pour les femmes noires. Beaucoup de mères déclarent avoir été bannies arbitrairement des visites. Elles obtiendront peut-être un faux positif généré par les détecteurs. Nous savons que les détecteurs ont un taux d’inexactitude pouvant aller jusqu’à 90 p. 100. Ils sont tout à fait inexacts pour les opioïdes et la cocaïne. Il y a toutes sortes d’études là-dessus. Vous pouvez déclencher le détecteur en raison du sel de voirie ou de désinfectant pour les mains. Puis, les mères vont déclencher le détecteur et elles n’auront aucune occasion de se défendre. Les mères ont proposé, en désespoir de cause, de subir une fouille à nu afin de voir leurs enfants, et cela leur a été refusé. Encore une fois, cela s’applique particulièrement aux mères noires qui sont considérées comme particulièrement criminalisées.

Pour les défenseurs des collectivités, si on estime que vous parlez contre les prisons, vous êtes également étiqueté au sein du système. Même si je fais cela publiquement, je pourrais bien faire face à un certain genre de représailles dans les établissements pour avoir dit les choses que je dis. On me l’a dit, directement ou dans mon dos, ou j’ai entendu dire que je ne suis pas la bienvenue, parce que je me suis exprimée ou que j’ai écrit des articles au sujet des personnes qui mouraient en établissement ou parce que j’ai écrit des choses sur l’absence d’accès à des produits d’hygiène menstruelle ou sur le fait que des hommes travaillaient la fin de semaine. J’ai écrit sur le racisme dans les prisons; par conséquent, c’est en réalité considéré comme une menace pour la sécurité. Je ne serai donc pas invitée à l’établissement, et j’en serai même bannie.

Cela s’étend aussi à des choses comme les numéros d’identification personnelle. Nous savons que beaucoup de Noirs n’ont pas de ressources. Nous n’avons pas de ressources financières, et les défenseurs pourraient donc être les personnes avec lesquelles ils ont l’occasion de communiquer. Par exemple, pour un enfant qui a été en famille d’accueil et n’a pas de famille, je pourrais être la personne qu’il connaît, et il voudrait donc m’appeler. Si vos coordonnées apparaissent une fois sur plus de deux numéros d’identification personnelle, on se dit : « C’est un numéro d’identification personnelle pour le système téléphonique. Vous figurez sur la liste des personnes-ressources de gens de différentes provinces et d’un certain nombre de personnes, donc vous vendez probablement de la drogue. Nous allons supprimer ces numéros d’identification personnelle pour que vous ne puissiez pas parler aux gens par téléphone. »

C’est le genre de problèmes auxquels les prisonniers font face. Je dirais que, essentiellement, nous devons reconnaître une racine particulière du racisme envers les Noirs. Par exemple, je suis professeure et poétesse officielle, et on continue de m’accuser de choses comme l’affiliation à des gangs, on me dit que je viendrai d’une certaine façon perturber les choses ou que je présente, en quelque sorte, une menace pour la sécurité. À quelles injustices les personnes qui ne peuvent pas s’appuyer sur une affiliation universitaire ou sur ce genre de titre font-elles face juste pour essayer de rendre visite à leurs propres enfants ou aux membres de leur famille?

Nous devons vraiment reconnaître que la criminalisation se poursuit jusque dans nos collectivités et qu’elle vise les membres de la famille et que nous ne pouvons pas parler des prisons seulement en nous attachant au pénitencier. Nous devons reconnaître que nous vivons également dans une culture carcérale qui touche tout particulièrement les Noirs.

La sénatrice Pate : Madame Jones, on a aussi discuté des types d’autorisations de sécurité requises, y compris les vérifications de crédit et ce genre de choses, qui sont parfois associées à une affiliation à des gangs. Toutefois, vous avez aussi mentionné l’élément des représailles et le fait que de nombreuses personnes peuvent ne pas savoir qu’il y a dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition un article qui dit aussi qu’il ne devrait pas y avoir de représailles pour les prisonniers. S’il y a des représailles qui visent des membres de la collectivité, connaissez-vous des prisonniers qui en auraient été victimes?

Mme Jones : D’abord, on ne vous donnera jamais rien par écrit et on ne vous dira jamais rien. Vous allez entendre qu’ils ont dit cela. En fait, j’ai reçu des appels où j’ai dit : « J’ai entendu dire que c’était un problème. Est-ce que je pourrais, s’il vous plaît, l’aborder? Avez-vous des préoccupations? Si vous m’en faites part, je pourrai y réagir », et on m’a dit : « Cette conversation n’a jamais eu lieu. Je ne sais pas d’où vous tirez ces renseignements. »

Lorsque vous essayez de réagir à des choses, de les aborder et de poser des questions pour obtenir des éclaircissements, comme cela se produit habituellement dans le monde, ce qu’on vous dit généralement, c’est : « Cette conversation n’a jamais eu lieu. Pourquoi même est-ce que vous parlez à cette personne au départ? Comment avez-vous obtenu cette information? » Vous avez l’impression que si vous continuez de pousser le bouchon, ce sont les prisonniers qui seront victimes de représailles.

Même si on dira qu’on ne peut faire de représailles, la réalité, c’est qu’on dispose d’une grande marge de manœuvre lorsque quoi que ce soit peut être considéré comme un risque pour la sécurité de la prison. Si on veut bloquer des visites, on peut le faire. Si on veut prévoir des visites avec séparation, on peut le faire. Si on a des doutes, on n’a même pas besoin de vous en informer. Cela ne se fait pas dans un palais de justice. Si la prison décide que vous présentez un risque, elle a le droit de vous demander de ne pas venir ou de vous dire que vous ne pouvez pas venir. On peut faire des choses comme bloquer des numéros du téléphone, parce qu’on n’est juste pas certain de ce dont vous parlez. Vous pouvez faire l’objet d’une surveillance particulière, tout particulièrement lorsque c’est utilisé comme sanction disciplinaire, de manière à empêcher des gens d’accéder à des programmes. Les gens ont l’impression d’être victimes de représailles, et ils perdent donc leur emploi, ou on les relève de leurs fonctions. Ils peuvent siéger à des comités de détenus ou à un comité culturel, puis ils ne sont pas en mesure de continuer de le faire.

Ce peut être seulement de petites choses. Ils ont l’impression d’être la cible, et ils peuvent donc être étiquetés dans la rangée comme des trouble-fête et avoir l’impression d’être la cible des employés. De plus, il y a un certain nombre de moyens informels pour qu’ils soient pris comme cible, bien sûr, au sein du système disciplinaire. On a aussi démontré, dans le rapport de Howard Sapers, que lorsque les incidents disciplinaires sont fondés sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, les prisonniers noirs font l’objet du plus grand nombre de ces sanctions disciplinaires. Par exemple, un garde dit : « Allez à votre cellule. » L’autre garde dit : « Asseyez-vous. » Le prisonnier dit : « Que voulez-vous dire, je dois aller à ma cellule ou m’asseoir? Que voulez-vous que je fasse? » « Vous discutez avec moi. Vous désobéissez à un ordre. Mesure disciplinaire. »

Les prisonniers peuvent être ciblés d’un bien grand nombre de façons, parce qu’on estime qu’ils perturbent le système carcéral, et peuvent donc être punis au sein de ce système. Bien sûr, ils sont extrêmement vulnérables, ce qui fait en sorte qu’il est très difficile pour les défenseurs d’exercer des pressions. Un défenseur des droits peut dire : « J’ai l’impression qu’il est injuste que je ne sois pas admis. » Toutefois, si je continue de faire valoir mon point de vue, ce n’est pas moi qui aurai des problèmes. C’est la personne qui est à l’intérieur de la prison qui en aura. Cela fait en sorte qu’il est très difficile de parler du racisme en prison et d’apporter réellement les changements nécessaires. Au bout du compte, ce que nous voulons, c’est que ces changements soient apportés. Nous voulons que les prisonniers noirs soient en sécurité et en santé. Ce n’est pas une critique négative, en ce sens que vous voulez que les prisonniers noirs dans votre système carcéral soient traités également, et vous devriez vouloir savoir comment améliorer les choses. Cependant, lorsque ces suggestions sont faites, elles sont souvent traitées comme créant une certaine forme de perturbation, plutôt que comme des choses utiles et nécessaires.

La présidente : Il ne nous reste que cinq minutes environ pour le présent groupe de témoins.

Mme Halfkenny : Le CCNME a tenu plusieurs discussions au sujet de la législation et de ce qu’elle fait, et une des raisons concernant la DC 767 est issue d’une recommandation du document d’orientation selon laquelle elle n’était pas satisfaisante. Autrement dit, elle était ouverte à toute interprétation de ce qu’on voulait dire. Nous voulons resserrer un peu cela.

La loi et les règlements contiennent des articles qui renvoient aux délinquants autochtones, mais il n’y a rien au sujet des délinquants issus de minorités ethnoculturelles, dont les délinquants noirs font partie. S’ils ne sont pas mentionnés là, cela donne parfois l’impression qu’ils sont oubliés. Afin de pouvoir aller de l’avant et obtenir des choses différentes pour ces groupes dans notre région, c’est presque comme si on devait avoir quelque chose de plus robuste. C’est une des raisons pour lesquelles la charte des engagements neutres qui vient d’être signée explique tout étape par étape. Elle est beaucoup plus claire, et c’est un bon élément de travail à avoir pour la suite des choses. C’est important que ces groupes soient inclus dans la loi et les règlements. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Pate : Votre groupe n’a pas discuté de l’article 81 ou 84?

Mme Halfkenny : Je n’ai pas de réponse à vous donner à ce sujet. Je ne crois pas que nous ayons examiné ces articles en particulier. Notre comité national est présidé par le commissaire, et dans nos discussions avec lui, nous soulevons simplement les points que nous voulons aborder.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup d’être venus ce soir. J’ai trouvé vos exposés très intéressants.

Madame Jones, je veux vous remercier de la passion avec laquelle vous abordez ce sujet. Vous m’avez vraiment ouvert les yeux à propos de cette situation; même pour vous, ce doit être difficile de discuter de certains problèmes liés au racisme. Je sais, comme vous l’avez mentionné, que le racisme touche un grand nombre de personnes noires dans la collectivité ainsi qu’en prison. Savez-vous s’il y a des employés noirs qui travaillent dans les prisons, et savez-vous s’ils ont déjà vécu du racisme à cause du système?

Mme Jones : Oui, c’est aussi ce qu’affirment les membres du personnel. S’ils défendent les prisonniers eux-mêmes, cela peut causer des problèmes. Un grand nombre d’entre eux croient aussi qu’ils pourraient en faire davantage. L’un d’entre eux a dit : « J’aimerais pouvoir enlever mon gilet et jouer au basket-ball avec eux. Peut-être que cela me permettrait d’établir un lien et d’engager une conversation, mais je ne peux pas, parce que c’est absolument interdit dans une prison. »

Donc, oui, un grand nombre d’employés sont conscients de ce problème. Il est aussi plus difficile pour eux d’obtenir une promotion. Il y a peu de directeurs noirs. Il est aussi rare de voir une personne noire occuper un poste d’administration où elle pourrait établir des politiques ou avoir un pouvoir décisionnel à ce chapitre. La majorité des membres du personnel noir travaillent sur le terrain; ils ne sont pas vraiment en position d’apporter des changements. Sur le terrain, en outre, ils doivent composer avec la forte résistance de leurs collègues ou des cadres. Même lorsqu’il s’agit, par exemple, d’organiser un événement pour le mois du patrimoine africain, ou d’inviter certains membres de la collectivité ou d’obtenir de meilleurs produits pour les cheveux ou la peau, c’est facile de balayer cela du revers de la main en disant : « Il n’y a pas de racisme. Vous inventez des choses. »

Je pense que la déclaration traite aussi de ce problème. Dans le meilleur des cas, les membres du personnel sont obligés, d’une certaine façon, d’être serviables à contrecœur. Cela aiderait même pour les membres du personnel qui sont extraordinaires. Je veux souligner qu’il y a beaucoup de responsables de programme qui sont merveilleux et qui font tout leur possible pour aider les gens. Je ne veux pas dépeindre un système où chacun se soucie uniquement de soi. Cependant, dans un système qui ne soutient pas les personnes noires, une personne seule ne peut pas changer les choses.

La présidente : Avant que nous concluions notre discussion avec ce groupe, j’aurais une question pour vous, monsieur Colley. Vous avez mentionné au moins deux fois que ce n’est pas le système qui vous a laissé tomber, mais que vous vous êtes laissé tomber vous-même. J’ai l’impression qu’en disant cela, vous acceptez la responsabilité des choix que vous avez faits, mais je me demandais si vous aviez songé à la possibilité que vos choix étaient peut-être limités parce que le système ne vous a pas soutenu convenablement, peut-être même dès vos années scolaires. Vous avez dit que vous avez été expulsé de votre école en septième année. Si vous aviez moins de 16 ans, il incombait au réseau scolaire de vous fournir une éducation, peut-être à domicile, si c’était ce dont vous aviez besoin, ou un soutien supplémentaire. Croyez-vous qu’on vous a soutenu d’une façon ou d’une autre à cette époque?

Le révérend Colley : Non, j’étais plus âgé que cela. J’ai manqué énormément de cours. Quand on m’a finalement expulsé, j’avais 16 ans. J’avais déjà été expulsé auparavant, alors j’ai dû recommencer, j’ai été expulsé de nouveau et j’ai recommencé. À cette époque, je ne faisais jamais mes devoirs, ni quoi que ce soit du genre.

La présidente : Je dirais que cela illustre la façon dont le système vous a laissé tomber. Parfois, les gens ne le remarquent pas lorsque cela arrive. Les gens ne se rendent pas compte que le système les laisse tomber parce qu’ils ne savent pas ce que le système est censé leur offrir. Je voulais que ce soit dit, aux fins du compte rendu.

Je tiens à remercier chacun d’entre vous d’être venu nous présenter votre témoignage ce soir et d’avoir répondu aux questions des sénateurs. Merci beaucoup.

Nous allons passer à notre deuxième groupe de témoins de la soirée. Nous avons le plaisir d’accueillir, à titre personnel, Archibald Kaiser, professeur à l’École de droit Schulich et au Département de psychiatrie de l’Université Dalhousie ainsi que Mme Adelina Iftene, professeure adjointe à l’École de droit Schulich de l’Université Dalhousie.

Nous allons commencer avec M. Kaiser. Vous avez la parole.

Archibald Kaiser, professeur, École de droit Schulich et Département de psychiatrie, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup. Je tiens à vous offrir, en mon nom et au nom de ma collègue, mes plus sincères remerciements d’avoir suivi la recommandation du Sénat et de nous avoir invités à participer à votre étude. Pour ma part, je vais surtout aborder la question des droits de la personne des prisonniers, notamment les normes nationales et internationales concernant les personnes vulnérables en particulier.

Je remarque qu’il n’y a que nous deux. Dans les documents de préparation, il était indiqué que les témoins disposent de cinq à sept minutes pour leur déclaration préliminaire. Voulez-vous que nous nous en tenions à cela, ou pouvons-nous avoir un peu plus de temps?

La présidente : Je crois être disposée à donner du temps ce soir. Il y aura tout de même beaucoup de questions, alors je vous demanderai de vous en tenir au moins à sept minutes afin que les sénateurs puissent poser le plus de questions possible.

M. Kaiser : Mon exposé portera surtout sur la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la Convention contre la torture des Nations Unies et les Règles Nelson Mandela, notamment en ce qui a trait aux personnes atteintes d’une incapacité psychosociale, de maladie mentale, d’une incapacité intellectuelle ou d’un trouble mixte. Bien entendu, ce genre de problèmes doivent toujours être examinés à travers le prisme des vulnérabilités intersectionnelles. Je vais surtout mettre l’accent sur les questions de conformité et de responsabilisation aux termes des normes internationales en matière de droits de la personne.

Avant tout, autant au Canada que dans le reste du monde, il y a un recours abusif à l’emprisonnement pour les personnes atteintes d’une incapacité psychosociale. Dans l’ensemble, les systèmes pénaux ne déploient pas les ressources ni les capacités nécessaires pour répondre aux besoins de cette population.

Au Canada, il y a maintenant plus de 10 ans que le Bureau de l’enquêteur correctionnel souligne à quel point la situation est lamentable dans les établissements carcéraux canadiens. Je vais citer un extrait de son rapport de 2016-2017 :

L’espace destiné au traitement est toujours insuffisant pour les personnes atteintes d’une maladie mentale grave qui ne peuvent pas être détenues de façon sécuritaire ou humaine dans des installations correctionnelles fédérales. Le Bureau réclame toujours des placements des détenus ayant une maladie mentale extrêmement complexe ou grave dans des hôpitaux psychiatriques externes.

En ce qui concerne les documents internationaux, je vais commencer par parler de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Puisque je ne savais pas si vous connaissiez bien cette convention, je vous ai remis certains documents qui pourront vous aider à la démystifier. La Convention relative aux droits des personnes handicapées reflète un changement de paradigme radical dans le monde relativement aux personnes handicapées en veillant, notamment, à ce que le monde entier considère les personnes handicapées comme des personnes ayant des droits et non comme des objets de pitié.

Dans la convention, un grand nombre de principes généraux revêtent une importance particulière pour les prisonniers. J’ai essayé de les mettre en relief dans l’article que je vous ai remis. Il y a un grand nombre de choses qui concernent les prisonniers : les prisonniers atteints d’un trouble mental ou d’autres difficultés doivent participer à la mise en œuvre des politiques; il faut que la formation du personnel soit améliorée comme le prévoit la Convention relative aux droits des personnes handicapées; il faut déployer des efforts de sensibilisation visant le grand public à propos des difficultés que vivent les détenus atteints d’un trouble mental ou d’une incapacité intellectuelle; il faut protéger les détenus contre la torture ou les traitements cruels, inhumains et dégradants; et il faut veiller à ce qu’ils ne soient pas exploités, battus ou maltraités.

Certains articles de la convention soulignent explicitement l’importance d’accorder aux personnes handicapées la reconnaissance égale de leurs droits juridiques, économiques, sociaux et culturels. Cela s’applique aussi aux détenus, même s’il faut adapter cela prudemment à l’environnement correctionnel.

Dans l’ensemble, le message de la convention est que les personnes handicapées ont le droit de participer à la vie communautaire à titre de membres respectables de la collectivité. Cela vaut également pour les détenus, dans le contexte de leur incarcération, bien sûr. Il suffit donc d’adapter les droits des prisonniers selon le contenu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Je vais maintenant parler de la Convention contre la torture de Nations Unies. Depuis la publication du rapport du rapporteur en 2013, le monde semble avoir pris conscience du fait que les établissements de santé doivent être envisagés différemment, puisque c’est l’un des endroits où on risque de dépasser le seuil de ce qu’on considère comme étant des mauvais traitements, et j’irais même jusqu’à dire de la torture ou des traitements cruels, inhumains et dégradants. Le rapporteur de l’ONU en question a mentionné que cela s’applique particulièrement aux personnes atteintes d’une incapacité psychosociale et aux autres groupes marginalisés.

La Convention contre la torture comprend un certain nombre de dispositions ayant un rapport direct avec l’incarcération des détenus canadiens. Selon le rapporteur, il convient d’éliminer entièrement l’utilisation du matériel de contrainte et le recours à l’isolement dans les établissements hospitaliers et dans les contextes de réhabilitation. Il a aussi exprimé ses préoccupations à l’égard des interventions forcées qui sont autorisées pour les personnes handicapées, car cela va à l’encontre du respect de leur capacité juridique.

Dans les deux dernières minutes qu’il me reste, je vais parler des Règles Nelson Mandela. Il s’agit de règles importantes que nous devrions tous étudier. Je vais citer en exemple la règle 1 des Règles Nelson Mandela :

Tous les détenus sont traités avec le respect dû à la dignité et à la valeur inhérentes à la personne humaine.

Il y a un certain nombre de règles dans les Règles Nelson Mandela qui concernent explicitement les services de santé. Essentiellement, la règle 24.1 établit la norme à suivre. Voici ce qu’elle dit :

[Les détenus doivent] recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée sur leur statut juridique.

Un certain nombre d’articles concernent tout spécialement le cas des détenus atteints d’une incapacité psychosociale. Je vais lire une autre citation, cette fois tirée de la règle 33 : « Le médecin doit faire rapport [...] chaque fois qu’il estime que la santé physique ou mentale d’un détenu a été ou sera affectée par le maintien en détention ou par une des conditions de détention. »

D’autres règles proscrivent certaines pratiques, notamment l’utilisation de matériel de contrainte et le recours à l’isolement cellulaire.

D’autres dispositions, par exemple la règle 109, traitent des personnes qui ne sont pas tenues pénalement responsables ou chez lesquelles une incapacité mentale grave est détectée ultérieurement pendant leur incarcération.

J’ai été heureux de remarquer que le Bureau de l’enquêteur correctionnel avait recommandé, dans son rapport de 2016-2017, que le Service correctionnel du Canada entreprenne d’examiner ses politiques, ses pratiques et ses pouvoirs en matière de soins de santé afin de les harmoniser avec les Règles Nelson Mandela. Le Service correctionnel du Canada a répondu qu’il était en train d’examiner ses politiques en matière de soins de santé pour s’assurer qu’elles étaient conformes aux Règles Nelson Mandela.

En résumé, mon message est qu’il est d’une importance capitale qu’on examine étroitement et régulièrement la mesure dans laquelle le Canada se conforme aux normes internationales en matière de droits de la personne, à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, aux Règles Nelson Mandela et à la Convention contre la torture.

Je suis content de voir que nous avons au moins réalisé quelques progrès par rapport aux Règles Nelson Mandela. Il n’en demeure pas moins urgent de respecter nos obligations en vertu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et de la Convention contre la torture.

Dans le milieu carcéral, le Bureau de l’enquêteur correctionnel devrait peut-être continuer d’assumer les responsabilités concernant les examens et les obligations redditionnelles. Le Service correctionnel du Canada devrait également publier des déclarations à la lumière des conclusions de l’enquêteur correctionnel. De nombreuses façons, il serait aussi bon d’envisager que le Sénat et la Chambre des communes assument des responsabilités à cet égard.

Le Canada pourrait tirer un certain nombre d’avantages en renforçant sa surveillance et son application des normes internationales en matière de droits de la personne; cela montrerait la bonne foi du Canada à l’égard de ses obligations internationales en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités, notamment tous les instruments de défense des droits de la personne que j’ai mentionnés jusqu’ici. Cela servirait aussi à prouver aux Canadiens et au monde entier que nous respectons les normes internationales et que nous ne craignons pas d’être pris en défaut à cet égard. Cela nous aidera aussi à respecter nos obligations redditionnelles imposées par chacune des conventions et à prouver que nous acceptons de nous acquitter des obligations pertinentes découlant des traités, quand cela est prévu dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées et dans d’autres conventions. Par-dessus tout, cela convaincrait davantage les détenus canadiens que le gouvernement prend leurs droits de la personne les plus fondamentaux très au sérieux, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes atteintes de troubles mentaux, d’une incapacité intellectuelle ou d’un trouble mixte.

Je crois avoir atteint la fin de mes sept minutes et des poussières. Merci beaucoup, madame la présidente.

Adelina Iftene, professeure adjointe, École de droit Schulich, Université Dalhousie, à titre personnel : Bonsoir et merci de nous avoir invités à témoigner devant vous ce soir. Je travaille avec les groupes vulnérables en établissement carcéral et je vais vous présenter les conclusions de certaines études que j’ai menées.

Depuis les sept ou huit dernières années, j’ai travaillé auprès des détenus vieillissants, c’est-à-dire les détenus âgés de 50 ans et plus dans le système correctionnel fédéral. Dans le cadre des études que j’ai menées, je me suis penchée sur les soins médicaux offerts aux détenus vieillissants, aux possibilités de mise en liberté et à l’accès à la justice.

Ma plus grande réalisation, ce sont les 197 entrevues que j’ai réalisées auprès de détenus, exclusivement des hommes âgés de plus de 50 ans, dans sept pénitenciers, à tous les niveaux de sécurité. J’ai résumé, dans le mémoire que j’ai soumis à votre intention, certaines des principales préoccupations soulevées pendant l’étude ainsi que dans le cadre de mes activités ultérieures dans le domaine juridique et sociojuridique.

Je vais maintenant résumer les points principaux relatifs aux réformes urgentes qui, selon moi, s’imposent. Je répondrai avec plaisir à vos questions à ce sujet.

Je vais commencer en soulignant le fait que le groupe des détenus vieillissants a le taux de croissance le plus rapide en milieu carcéral, mais il est peut-être surpassé par les femmes autochtones. Actuellement, ce premier groupe représente 25 p. 100 de la population carcérale. Au cours des 10 dernières années, cette proportion a doublé.

Un autre fait qu’il ne faut pas négliger est qu’il existe un chevauchement entre les marqueurs de vulnérabilité au sein de ce groupe. L’étude que j’ai menée ainsi que d’autres études du Bureau de l’enquêteur correctionnel ont révélé que les détenus de ce groupe, en plus d’être vieillissants, sont souvent atteints de problèmes de santé mentale, de maladies terminales et de maladies chroniques. En outre, un grand nombre d’entre eux sont des Autochtones.

Une chose que je veux mettre en relief et qui devrait, à mon avis, être traitée en priorité est le taux extrêmement élevé de maladies chroniques au sein de ce groupe. Comme vous pouvez le voir dans les données que je vous ai fournies, le détenu moyen de plus de 50 ans souffre d’environ quatre ou cinq maladies chroniques.

Un grave problème dans les prisons tient au système de soins de santé déficient. Il manque constamment de spécialistes, et les délais d’attente pour consulter quelqu’un sont très longs. Beaucoup d’établissements n’ont pas de personnel médical disponible en tout temps, et les interventions en cas d’urgence peuvent être très difficiles. Les possibilités d’obtenir une absence temporaire avec escorte pour consulter un professionnel de la santé dans la collectivité sont aussi très restreintes. En conséquence, de nombreux détenus ne sont pas en mesure de consulter un médecin dans la collectivité, parce qu’il leur est impossible d’avoir une escorte. Le nombre limité de médicaments inscrits au formulaire fait qu’il peut être difficile de se procurer les médicaments appropriés. La plupart des médicaments offerts sont de piètre qualité, ou alors ils ne soulagent pas certains troubles, notamment la douleur chronique.

Ensuite, les infrastructures dans un grand nombre d’endroits ne sont pas adaptées au grand nombre de personnes handicapées, ce qui nuit à leurs activités de la vie quotidiennes. Même si 54 p. 100 des détenus de l’échantillon avaient une incapacité de ce genre, ils avaient été admis à des établissements où il y avait des escaliers et aucun ascenseur en état de marche. Ils étaient forcés de parcourir de longue distance à pied entre les bâtiments, et ils devaient le faire rapidement, sinon ils auraient été sanctionnés. Ils devaient aussi attendre chaque matin une heure dans le froid pour obtenir les médicaments dont ils ont besoin pour vivre. Ce genre de choses se produisait dans plus de la moitié des pénitenciers que j’ai visités.

Dans certains établissements, les demandes concernant certains articles médicaux étaient constamment rejetées. Je parle d’articles nécessaires pour traiter certaines affections, même s’il s’agit simplement de couvertures ou d’oreillers supplémentaires, de coussins chauffants ou d’appareils orthopédiques.

Il est aussi important de souligner la prévalence très élevée — probablement sous-estimée — de cas de maladie mentale au sein de ce groupe. Cela cause de graves problèmes, puisqu’il y a un manque chronique de psychiatres dans les établissements. Dans l’un des établissements que j’ai visités, il y avait un seul psychiatre pour 600 détenus. En conséquence, les ordonnances sont renouvelées automatiquement, sans même que les détenus soient examinés pendant des années. Cela a aussi comme conséquence le recours prédominant à des sanctions disciplinaires et à l’isolement pour les détenus atteints d’une maladie mentale ou d’une maladie chronique. Comme vous pouvez le voir à la lumière des données que j’ai recueillies, les détenus atteints d’une maladie mentale ou d’une maladie chronique étaient deux fois plus susceptibles d’être placés en isolement cellulaire ou d’être la cible de sanctions disciplinaires par rapport aux détenus qui n’ont pas de troubles mentaux ou dont les maladies chroniques sont moins importantes.

Autre point important : l’isolement cellulaire n’était pas la seule forme d’isolement dont j’ai été témoin. Il semble en effet que, chez ce groupe, l’isolement soit un état plutôt qu’un endroit, ce qui est préoccupant étant donné qu’il s’agit d’une population très vulnérable. Puisqu’il n’y a aucune autre façon de les protéger convenablement, on prend des mesures de sécurité plus strictes à leur égard. Ces détenus sont souvent placés en isolement protecteur, ce qui veut dire qu’ils sont surveillés 23 heures par jour pour leur protection. Ils sont placés dans une cellule d’observation ou dans l’unité de santé mentale. Même si on n’appelle pas cela l’isolement cellulaire, l’isolement protecteur a le même effet sur la santé, sur les relations sociales et sur l’accès aux soins de santé.

Je veux aussi que vous sachiez qu’il n’existe pas de système de soins palliatifs en prison, et ce, malgré le fait qu’au moment de l’étude, il y avait 11 détenus souffrant de maladie en phase terminale dans ces pénitenciers. Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a même souligné le fait que 36 personnes sont décédées dans nos établissements fédéraux de causes naturelles qui auraient pu être évitées.

L’absence d’un système de soins palliatifs est d’autant plus préoccupante que les détenus ont maintenant accès à l’aide médicale à mourir. À mon avis, la réglementation à ce chapitre est inadéquate, parce que le processus en entier se déroule dans l’établissement. La demande d’accès à l’aide médicale à mourir se fait en prison. L’évaluation se fait en prison. Il n’y a que la procédure en tant que telle, avec la seringue, qui se déroule dans un hôpital de la collectivité. Selon moi, il y a matière à s’interroger sur la validité du consentement d’une personne qui choisit l’aide médicale à mourir lorsque ses autres options étaient l’isolement et les médicaments en établissement qui ne répondent pas à ses besoins de santé.

Je termine par le point le plus important, c’est-à-dire le fait que les détenus vieillissants atteints de maladie mentale ou de maladie en phase terminale n’ont pas accès en temps opportun à des possibilités réelles de mise en liberté. C’est quelque chose d’extrêmement préoccupant, puisqu’il s’agit de détenus à faible risque, mais qui ont des besoins extrêmement élevés qui ne peuvent pas être comblés en prison, parce que, après tout, les prisons ne sont pas des maisons de soins infirmiers.

Au moment où nous nous parlons, ces détenus ont à peine accès à la libération conditionnelle parce que les critères ne sont pas assez flexibles; ils ne tiennent pas compte de la diminution des risques associés au vieillissement et aux maladies. Il serait impossible physiquement pour ces détenus de récidiver. À la place, les critères mettent l’accent sur les programmes correctionnels et la préparation d’un plan de libération adéquat, deux choses qui n’ont pas beaucoup d’importance aux yeux d’une personne de 70 ans en train de mourir.

Un autre problème qui semble compliquer énormément les possibilités de mise en liberté tient au piètre lien qui existe entre les établissements carcéraux et les établissements dans la collectivité qui seraient prêts à accepter les détenus. En outre, la mise en liberté pour raisons de compassion, sous la forme d’une libération conditionnelle accordée à titre exceptionnel ou d’une prérogative royale de clémence, est quasiment inexistante. Aucun des détenus que j’ai interrogés dans le cadre de mon étude n’avait déjà entendu parler de ces possibilités.

Pour conclure, je dirais qu’il y a énormément de recommandations que le comité sénatorial pourrait proposer afin d’améliorer grandement la vie de ces personnes ou, du moins, de leur permettre de quitter ce monde dans la dignité. Je serai heureuse de vous les expliquer en détail. Pour l’instant, je crois que la priorité devrait être de proposer des recommandations afin d’améliorer les lois et la réglementation concernant la mise en liberté, de trouver des solutions de rechange pour les détenus en fin de vie, de modifier la réglementation en ce qui concerne l’aide médicale à mourir, d’améliorer le système de soins de santé et, par-dessus tout, de faire en sorte que les gens très malades ne soient jamais placés en isolement, peu importe la forme que cela prend, ou dans des établissements dont les infrastructures ne sont pas adaptées à leurs besoins. Merci.

La présidente : Je demanderais à la vice-présidente d’ouvrir la période de questions.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup de nous avoir présenté vos témoignages aujourd’hui. J’ai trouvé cela très intéressant.

Monsieur Kaiser, je me rappelle, il y a fort longtemps, à l’époque où je siégeais au comité sur la santé mentale et la maladie mentale présidé par Mike Kirby, que vous étiez aussi venu témoigner devant nous.

M. Kaiser : Cela ne fait pas si longtemps.

La sénatrice Cordy : Oui, j’ai aussi l’impression que cela ne fait pas si longtemps. Je veux vous remercier de votre contribution à notre rapport. Cela nous a permis de franchir une étape importante.

Je veux parler des droits des détenus. Monsieur Kaiser, vous avez dit que les détenus détiennent des droits et ne devraient pas se sentir comme s’ils étaient des objets de pitié. Relativement à la santé mentale et à la maladie mentale, 20 p. 100 des Canadiens souffrent de problèmes de santé mentale, et 20 p. 100 d’entre eux ont des problèmes de toxicomanie. Je n’ai pas les statistiques à portée de main, mais je sais que le pourcentage de maladie mentale chez les détenus est même plus élevé. Nous savons — et cela est en train de changer — que les détenus atteints de problèmes de santé mentale sont souvent placés en isolement. Cependant, le fait d’isoler les gens aggrave leurs problèmes. Ce n’est vraiment pas une bonne solution.

Cet après-midi, nous avons visité l’établissement médico-légal de Burnside, et une patiente nous a dit : « L’isolement n’est pas la solution. » Elle a ensuite ajouté : « Nous avons besoin de compassion, pas d’être placés en isolement. » J’ai trouvé que ce qu’elle a dit était très sage.

D’après ce que vous nous avez dit ce soir, il semble que ce ne soit pas utile de placer les détenus vieillissants en isolement, même si c’est, supposément, pour les protéger. Nous entendons de plus en plus souvent dire que cela ne devrait pas être permis, en particulier vu les résultats du rapport sur le décès d’Ashley Smith. Nous commençons à avoir de plus en plus d’information sur le sujet, et des changements s’imposent. Malheureusement, il semble que les choses ne changent pas aussi rapidement qu’elles le devraient. Comment pouvons-nous veiller à ce que l’isolement ne soit plus perçu comme une façon d’aider les détenus atteints de problèmes de santé mentale ou vieillissants? Je veux aussi inclure les détenus vieillissants dans ce groupe.

M. Kaiser : Avant tout, je veux dire quelque chose sur le fait que les détenus ont les mêmes droits de la personne que vous et moi, y compris les détenus qui sont en situation de vulnérabilité à cause de leurs incapacités psychosociales.

Nous avons quand même fait un petit bout de chemin depuis l’arrêt Ruffin de 1871, où la Cour suprême des États-Unis déclarait que « les prisonniers sont des personnes frappées de mort civile puisqu’ils sont emprisonnés par un État qui les prive de tous leurs droits individuels ».

La Cour suprême du Canada a dit en 2002 que certains droits, en particulier le droit à la liberté, pouvaient avec raison être limités, mais la société reconnaît quand même que les prisonniers sont des personnes qui ont des droits et des responsabilités et que l’ancienne notion de mort civile est dépassée.

À certains égards, on crée un ghetto en parlant des prisonniers comme si c’était des personnes différentes de vous et moi. Les instruments dont j’ai parlé — la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la Convention contre la torture et les Règles Nelson Mandela — reconnaissent tous que les gens ont de manière générale des droits, peu importe que leur liberté soit limitée, et qu’ils doivent être traités comme des êtres humains ayant les mêmes droits fondamentaux inaliénables que nous tous. Cela est spécifiquement garanti par la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Je le mentionne en guise d’introduction en réponse à vos commentaires, puisque ces conventions, et en particulier la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ne disent pas qu’elles s’appliquent à tous les êtres humains sur la terre, à l’exception des prisonniers. Bien au contraire, elles tiennent à répéter précisément que les droits de la personne sont universels et s’appliquent à tous, y compris les prisonniers.

Vous avez parlé en particulier du problème de la contention et de l’isolement. Vous avez également mentionné notre première rencontre à l’occasion des séances du comité Kirby. Il se trouve que ces mondes se rejoignent. Il y a deux semaines, j’ai présenté un exposé dans le cadre du forum sur la contention et l’isolement organisé par la Commission de la santé mentale du Canada. Je félicite les membres de votre comité de communiquer avec la Commission de la santé mentale du Canada pour discuter du problème de la contention et de l’isolement. Ces personnes ont de toute évidence adopté une position ferme selon laquelle, sur le plan civil du moins, il y a ici échec du traitement. Le but devrait être d’éliminer les contraintes chimiques et physiques et l’isolement. Je crois que ce genre de but est tout aussi valide lorsqu’on parle de personnes qui ont de graves problèmes de santé mentale.

Je donne un cours de droit et de psychiatrie à la fois qui présente l’isolement cellulaire comme un aspect de la contrainte et de l’isolement. Évidemment, tout le monde est d’accord pour dire que cela est préjudiciable pour les personnes déjà vulnérables et que même dans le cas de personnes qui ne semblent pas avoir de troubles mentaux, le recours à l’isolement cellulaire équivaut presque à une garantie de détérioration de la santé mentale et du fonctionnement social.

Vous demandez comment on peut contrôler tout cela, et je crois qu’il ne faut pas oublier le projet de loi C-56 déposé devant le Parlement et la directive du commissaire 711, je crois, qui traite du problème des personnes qui ont un problème de santé mentale et à qui on impose l’isolement cellulaire. Il est important de ne pas se laisser décourager par ce dont nous avons hérité, c’est-à-dire le recours abusif et préjudiciable aux contraintes et à l’isolement dans le cas de prisonniers qui ont un problème de santé mentale et de ne pas penser qu’il s’agit d’un problème insoluble. Dans le domaine civil, du moins, c’est entendu. À la conférence où j’ai présenté une allocution, des intervenants du système de santé affirmaient avoir presque totalement éliminé la contrainte et l’isolement dans le cas des patients psychiatriques enfermés contre leur volonté.

Il me semble que cet objectif est tout à fait légitime dans le cadre carcéral même si, bien sûr, cet environnement est par nature plus compliqué. À certains égards, le problème de la contrainte et de l’isolement dans le milieu carcéral reflète les pires côtés de la politique pénale du Canada. Cela dit, je reconnais que nous sommes quand même dans une ère où il me semble possible de faire de minuscules pas vers l’amélioration.

Si vous demandez quelles mesures il faut prendre pour arriver à l’élimination, je vous répondrais qu’il faut prendre les mêmes mesures que dans la vie civile pour réussir à comprendre les gens qui arrivent en prison, comprendre leurs besoins complexes en matière de santé mentale, comprendre les conditions horribles dans lesquelles ils ont vécu, savoir qu’ils ont eux-mêmes été victimes de violence et de discrimination et sont à plusieurs niveaux impuissants et aussi, comme on le dit dans le monde civil : « Il faut leur demander ce qui les aidera afin qu’ils puissent garder le contrôle et que les contraintes et l’isolement ne soient plus une option envisagée. Il faut leur demander leur aide pour qu’ils gardent leur maîtrise de soi. »

Eh bien, il y a au-delà de cela les enjeux qui sont pour vous de toute première importance dans vos délibérations sur le manque d’accès à des services en santé mentale et sur le manque de reconnaissance des traumatismes avec lesquels les prisonniers, et en particulier les prisonnières, ont dû composer. C’est tout cela qui explique que des gens perdent le contrôle d’eux-mêmes, et un service carcéral qui manque d’imagination recourt de façon tout à fait inappropriée, et à mon avis illégale, à l’isolement et à la contrainte.

J’espère que ce sera là un sujet de réflexion pendant vos délibérations. J’espère que vous communiquerez avec la Commission de la santé mentale et chercherez à formuler ensemble des recommandations qui s’attaqueront au fléau qui accable les milieux si semblables des installations psychiatriques et carcérales.

Mme Iftene : Je vais répondre à la question telle qu’elle a été formulée. Je me contenterai de vous raconter une petite anecdote concernant un prisonnier que j’ai rencontré à l’Établissement de Millhaven à sécurité maximale de l’Ontario. Cette anecdote illustre très bien, à mon avis, le fait que la maladie agit de deux façons et amène les gens à passer de très longues périodes en isolement.

Premièrement, la maladie amène les gens à se comporter d’une manière qui leur vaut des sanctions disciplinaires, et on ne voit pas que ce comportement est dû à un problème de santé mentale ou physique. C’est une pure question d’incompétence et d’incapacité à diagnostiquer correctement le problème. Cela nous ramène à la question du manque de médecins et de spécialistes.

Ensuite, on est incapable de protéger ces personnes par d’autres moyens, des personnes qui ne devraient pas être là, au départ.

Je vais vous raconter l’histoire de ce prisonnier qui en était à sa deuxième année à Millhaven. C’était un délinquant autochtone qui purgeait une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré. Il venait de recevoir un diagnostic de démence de stade 1. Comme le meurtre est un facteur important pendant l’évaluation du risque, il a automatiquement été enfermé dans un établissement à sécurité maximale. Il avait vraiment de grandes difficultés à se conformer aux règles de l’établissement. On a établi un diagnostic de sevrage alcoolique. Les responsables ont automatiquement présumé qu’il vivait un sevrage alcoolique puisqu’il n’avait pas accès à de l’alcool. Il a été victime d’intimidation. Il a fait face à de grandes manifestations de racisme. Son comportement s’est détérioré. Il a été placé en isolement cellulaire pendant de très longues périodes, au cours de ces deux années, et a fini au bout du compte par être placé en isolement protecteur.

Je ne sais si vous êtes nombreux à bien savoir ce qu’est l’isolement protecteur. Une personne placée en isolement protecteur ne pourra plus jamais y échapper, puisqu’il a été conçu pour les Paul Bernardo de ce monde. Une personne qui y est placée vit une grande stigmatisation. Elle est isolée 23 heures par jour. En deux mots, il lui est tout simplement impossible d’en sortir sans se faire tuer. Le prisonnier dont je vous parle n’avait pas commis de ces crimes qui suscitent la stigmatisation, mais c’est le seul mécanisme de protection auquel ils avaient pensé dans son cas.

Après deux années pendant lesquelles on l’a traité inadéquatement pour une chose et une autre, et compte tenu de ses problèmes de discipline, quelqu’un a fini par poser un diagnostic de démence. Depuis le procès, ce prisonnier était en chute libre après avoir reçu un diagnostic de démence. Et il n’était pas admissible à une libération conditionnelle avant 25 ans. Il n’existait absolument pas de possibilité de libération conditionnelle, dans son cas. Quand nous nous sommes rencontrés, il s’est mis à pleurer et m’a dit : « Madame, quand je sortirai de l’établissement à sécurité maximale, je ne me souviendrai plus de mon nom, mais surtout, je ne me souviendrai plus de ce que j’ai fait et de la raison pour laquelle je suis ici. » En réalité, il ne sera jamais libéré. Je n’avais rien à lui dire.

Cela nous amène à la deuxième raison pour laquelle il a été placé en isolement. S’il ne peut être admissible à une libération conditionnelle que dans 25 ans, le système des libérations conditionnelles ne peut rien faire. Aucune date d’admissibilité à la libération conditionnelle n’a été fixée. Un système de mise en liberté pour des raisons de compassion aurait dû intervenir et, à ce moment-là, il aurait dû demander une mise en liberté pour des raisons de compassion et obtenir sa mise en liberté sous condition à titre exceptionnel. L’article 121 dit très clairement que les délinquants qui purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité ne seront admissibles à une mise en liberté pour des raisons de compassion que s’ils souffrent d’une maladie mortelle. Comme vous le savez, la démence n’est pas une maladie mortelle.

La prérogative royale de clémence, selon les gens qui ont rédigé la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, est accessible aux condamnés à perpétuité. Elle n’a pas été accordée une seule fois ces 10 dernières années.

Voici un détenu qui pendant les 25 prochaines années de sa vie — c’est certain, puisque la démence fait partie des maladies avec lesquelles on peut vivre très longtemps — sera placé en isolement protecteur à répétition, en isolement cellulaire encore et encore. Pourquoi? Parce que notre système de mise en liberté est déficient. Nous avons incarcéré un homme qui n’aurait pas dû l’être. Il ne sera pas découragé. Il ne sera pas puni. Son incarcération ne vise aucun objectif pénal, et pourtant, il est incarcéré. Dans mon échantillon, 5 p. 100 des personnes souffraient de démence de stade 1, puisque c’est cela qui se passe quand on vieillit en prison.

M. Kaiser : M’accordez-vous 30 petites secondes? Puisque mon propos consiste à tout renvoyer aux normes internationales en matière de droits de la personne, je vous recommande la lecture du rapport provisoire de 2011 du rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la torture, où il est longuement question de l’isolement cellulaire. Le rapport condamne cette mesure disant qu’elle peut équivaloir à de la torture.

En outre, les Règles Nelson Mandela, la règle 36 et les suivantes, s’attachent spécifiquement aux enjeux de l’isolement cellulaire, que vous pourriez considérer, comme ma collègue l’a dit, non seulement comme inapproprié, mais illégal dans bien des circonstances qui dépassent le droit national, mais qui relèvent du droit international s’appliquant aux droits de la personne.

La sénatrice Pate : Monsieur Kaiser, les recommandations que vous avez formulées touchant la surveillance m’ont beaucoup intéressée. Vous avez entre autres parlé du projet de loi C-56 dont le Parlement a été saisi. Même s’il semble prévoir des mesures que l’on dirait progressistes, vous savez probablement qu’il donne au Service correctionnel la possibilité de faire des exceptions. S’il y a une chose dont nous avons beaucoup entendu parler, et nous savons que le cas se présente souvent, c’est que lorsque des exceptions sont prévues, elles deviennent souvent la règle. Ma question est en partie celle-ci : pensez-vous vraiment que cette mesure est susceptible d’entraîner des changements significatifs?

Vous avez parlé de la possibilité de surveillance et de ce que la Commission de la santé mentale a fait. Vous avez parlé de l’enquêteur correctionnel, quoique ce dernier exerce une fonction d’ombudsman et n’a aucun pouvoir d’ordonner autre chose. Vous n’avez pas parlé de la recommandation de Louise Arbour touchant la surveillance judiciaire. J’aimerais bien savoir ce que vous en pensez.

Vous avez cependant parlé du rôle possible que pourraient jouer les comités du Sénat et de la Chambre des communes. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus longuement de quelle façon, à votre avis, nous pourrions nous y prendre et quel rôle nous pourrions peut-être jouer dans le protocole facultatif? Si cet instrument était mis en œuvre au Canada, est-ce qu’un comité comme le nôtre aurait un rôle à jouer au moment de procéder à l’examen annuel des diverses activités du Service correctionnel? Pourriez-vous répondre à ces questions?

De plus, quand nous avons visité aujourd’hui le service de médecine légale, nous avons entendu des employés dire que, puisque des services y ont été fournis, ils observent en fait une augmentation des accusations contre des personnes qui auraient autrement fait seulement l’objet d’un internement civil, mais, étant donné qu’ils n’ont plus de place, ils cherchent des motifs d’accusations. Il arrive parfois que ces accusations portent sur des infractions mineures, désordre ou méfait, par exemple, à seule fin de les interner dans un service de médecine légale. Le comité s’intéresse entre autres à la façon dont l’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est utilisé. Si vous ne pouvez pas répondre ce soir, pourriez-vous nous communiquer certaines de vos recommandations à ces sujets?

Madame Iftene, je vous remercie d’avoir parlé d’une mesure qu’on n’utilise pas, la prérogative royale de clémence. J’aimerais savoir quelles sortes de recommandations vous aimeriez que notre comité fasse au sujet de la mise en liberté pour des raisons de compassion et du recours à la prérogative royale de clémence, ainsi que, encore une fois, des options prévues par l’article 29 qui pourraient s’appliquer dans le cas des prisonniers vieillissants?

Vous avez parlé de l’aide médicale à mourir et de certains des enjeux connexes. Auriez-vous des recommandations à faire quant à la façon dont ces mesures pourraient être mieux appliquées? Évidemment, il y en a parmi nous qui ont entendu des prisonniers qui envisagent, étant donné la difficulté de leur vie en prison, de demander une aide médicale à mourir. Quelle condamnation de notre système de constater qu’il y aurait des prisonniers qui demandent l’aide médicale à mourir parce qu’ils n’ont pas l’espoir d’être mis en liberté ou ne savent pas à quel moment ils seront mis en liberté en raison d’un problème de santé mentale ou d’un autre des problèmes dont vous avez parlé.

M. Kaiser : Merci de me permettre de dépasser l’heure pour répondre à vos questions. Je vais m’efforcer d’être très bref.

Je suis, moi aussi, préoccupé par le projet de loi C-56 ou par tout autre instrument qui donne la possibilité de recourir à des exceptions. Dans le milieu civil, elles sont parfois présentées comme une nécessité. Ces exceptions et cette nécessité sont toutes une fonction des facteurs complexes qui entrent en jeu dans un environnement carcéral ou psychiatrique. Cela me dégoûte de voir qu’on prévoit des exceptions alors qu’il s’agit de droits fondamentaux de la personne. Je crois que la clé, si on veut les contrôler, c’est d’exercer une surveillance appropriée.

En fait, je crois que le comité sénatorial pourrait faire une chose extrêmement utile, entre de nombreuses autres choses, en examinant toute la gamme des mécanismes de surveillance possibles. On pourrait bien sûr en intégrer quelques-uns au projet de loi C-56, ce qui pourrait déboucher sur quelques améliorations. La meilleure surveillance, à mon avis, est toujours externe. Il ne faudrait pas penser qu’un règlement sur la surveillance adopté par le Parlement, par le truchement de la Chambre des communes ou du Sénat, ou encore par les tribunaux, devrait être exclusif. Le Sénat pourrait faire d’utiles commentaires touchant les forces et les faiblesses de chaque forme de surveillance et présenter des recommandations quant à la meilleure façon de protéger les droits fondamentaux de la personne des gens qui se retrouvent en prison sans être de simples prisonniers.

Vous avez aussi mentionné, dans la dernière partie de votre brève question, toute la question de la criminalisation de la maladie mentale, dont il serait très pertinent de parler un autre jour. Je crois qu’on utilise très mal le système médico-légal quand on a affaire à des personnes qui n’ont commis que des infractions mineures et qui ne sont pas dangereuses, mais qui doivent subir une rigoureuse évaluation de leurs aptitudes en risquant d’être placées à titre de personnes non criminellement responsables ou de personnes inaptes. Je crois que notre société est mieux protégée quand ces dispositions sont uniquement réservées à une très faible minorité de personnes qui peuvent, c’est vrai, être dangereuses.

Vous allez peut-être entendre le témoignage du juge en chef Williams plus tard, ce soir, qui dira que bien des personnes ayant un problème de santé mentale se plaignent de ce qu’elles perçoivent comme une « carte platine » donnant accès à des services de santé mentale. Voici ce qu’elles pensent : « Si j’ai des démêlés avec la justice, je vais plus rapidement y avoir accès qu’autrement. »

Si c’est vrai, bien sûr, ou même si certaines personnes le croient, c’est tout à fait honteux; il ne faudrait pas que des gens ou des groupes de gens aient à se livrer concurrence pour avoir accès à de nécessaires services de santé mentale.

Je crois que toute la question de la criminalisation, par le truchement d’amendements visant les troubles mentaux ou d’autres mécanismes qui permettent d’exercer un contrôle indu sur les gens et peuvent faire croire qu’il est plus facile d’accéder à ces services si vous avez des démêlés avec le système de justice pénale, mérite qu’on s’y attaque de front. C’est une partie du problème plus général de l’accès du public aux services.

Je ne sais pas ce que vous voulez que je dise d’autre. Ce qui est certain, c’est que vous avez soulevé des questions très importantes et interreliées.

La présidente : Si vous voulez nous communiquer d’autres informations, nous aimerions beaucoup recevoir ce document.

Je sais que vous nous avez déjà donné d’autres choses à lire.

M. Kaiser : Comme tous les mauvais professeurs, je vous ai donné des lectures à faire à la maison.

Mme Iftene : Je vais répondre d’abord aux questions concernant la mise en liberté. Je crois que le Sénat pourrait formuler de très fermes recommandations qui pourraient être très efficaces.

Pour l’instant, la seule disposition de la loi qui pourrait s’apparenter un peu à une mise en liberté pour raison de compassion, c’est l’article 121, qui s’applique aux cas exceptionnels. J’aimerais formuler la recommandation, ensuite, je vais l’expliquer. Je crois qu’elle a vraiment besoin d’être revue du tout au tout et complètement reformulée. Je crois qu’une recommandation visant à refaire de A à Z ce qui constitue aujourd’hui l’article 121 pour créer un véritable système de mise en liberté pour des raisons de compassion, fondé sur des motifs humanitaires, est ce dont nous avons besoin, étant donné le nombre croissant de prisonniers qui vieillissent et tombent malades.

Le problème des libérations accordées à titre exceptionnel, comme le nom le dit, c’est qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une libération pour des raisons de compassion. C’est en fait une autre façon d’accorder une libération conditionnelle à quelqu’un, en se servant du même système de libération conditionnelle. Je vous ai remis une partie de mes écrits sur la mise en liberté pour raison de compassion où je fais la genèse de la mise en liberté à titre exceptionnel. En fait, cette forme de mise en liberté est accordée à peu près selon les mêmes critères que les mises en liberté conditionnelle ordinaires. Elle suppose toujours une évaluation du risque et de toutes sortes d’autres facteurs qui à mon avis ont très peu d’importance lorsqu’il s’agit d’une personne physiquement incapable, une personne paralysée, incapable physiquement de commettre quelque autre crime que ce soit à ce moment-là. Le nombre de programmes correctionnels que la personne aura terminés est un facteur d’une absurdité totale. Le fait que la seule forme de mise en liberté pour raisons de compassion que nous ayons prévue tienne toujours compte de ces facteurs, en pratique, est une absurdité.

Il faut pour commencer revoir de fond en comble ses principes. La mise en liberté doit être fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Une personne souffrant de démence qui ne pourra pas être admissible à la libération conditionnelle avant des années doit avoir accès à une solution de rechange. Pour le moment, la loi ne prévoit rien qui permettrait sa mise en liberté. C’est cette lacune qu’une disposition sur la mise en liberté pour des raisons de compassion devrait combler.

Ensuite, pourquoi cette disposition exclut-elle les condamnés à perpétuité si elle est fondée sur des motifs d’ordre humanitaire? Elle ne l’est pas, pour le moment, et c’est pourquoi cette catégorie de personnes est exclue. Elle ne serait pas exclue si la disposition était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. J’ai travaillé auprès d’un échantillon de 200 personnes, dont la moitié purgeait une peine d’emprisonnement à perpétuité ou pour une période indéterminée. Un nombre important de ceux qui vieillissent en prison sont condamnés à perpétuité. Ils ont en fait besoin de cette autre forme de mise en liberté et d’un lien avec la collectivité.

Je vous renvoie encore une fois au document que j’ai préparé et où j’expose les étapes à suivre pour changer cette disposition. Je crois que nous avons grand besoin de tout réécrire cela, du principe jusqu’à l’application.

Je crois que c’est particulièrement important, étant donné que nous avons maintenant accès à l’aide médicale à mourir. Avant que le SCC présente son propre règlement sur l’aide médicale à mourir, nous avons participé en septembre à une réunion à laquelle participaient des experts de toutes les régions du pays, y compris des experts du Service correctionnel du Canada, et où il a été question de la meilleure manière de mettre en œuvre l’aide médicale à mourir au sein du système correctionnel fédéral. Nous reconnaissons le fait que les prisonniers doivent y avoir accès, puisqu’il s’agit d’une procédure médicale. L’aide médicale à mourir n’est qu’une des solutions qui devraient être offertes à une personne en fin de vie. Toutefois, pour le moment, puisque les soins palliatifs ne sont pas offerts dans les établissements, le prisonnier n’a pas la possibilité d’être libéré, de retrouver sa famille et de compter sur une équipe pluridisciplinaire. Le fait que cette solution soit par défaut la seule à être offerte à ces personnes est devenu un problème de taille.

Toutefois, je ne recommande pas de ne pas donner accès à l’aide médicale à mourir. Je ne crois pas que ce serait une bonne chose. Je crois qu’il faudrait immédiatement offrir une mise en liberté pour des raisons de compassion, dans le cadre d’une nouvelle réforme, lorsqu’une personne apprend qu’elle est atteinte d’une maladie mortelle ou d’une maladie chronique qui pourrait rapidement devenir une maladie mortelle.

Le critère utilisé aujourd’hui pour déterminer l’admissibilité à l’aide médicale à mourir devrait servir pour déterminer l’admissibilité à une mise en liberté. Pourquoi une personne qui aurait droit à l’aide médicale à mourir n’aurait-elle pas le droit de retourner dans la collectivité? Cela n’a absolument aucun sens. À ce moment-là, la personne en question devrait se retrouver dans la collectivité où elle aura pleinement le pouvoir de décider, où elle pourra comprendre les options de traitement qui s’offrent à elle, et prendre sa décision sans qu’il y ait de répercussions si elle préfère les soins palliatifs plutôt que l’aide médicale à mourir, et ainsi de suite.

Je crois qu’une mise en liberté pour des raisons de compassion, quand on parle de ce groupe particulier de personnes, est essentielle. Je ne vois pas comment nous pourrions avancer ou faire des progrès quelconques sans améliorer de façon marquée les formes de mise en liberté.

La sénatrice Pate : Est-ce que je peux me permettre de vous demander, si vous le voulez bien, de nous proposer des libellés touchant la surveillance, la mise en liberté pour des raisons de compassion et le processus de la prérogative royale de clémence?

Mme Iftene : Oui, bien sûr. Absolument, avec plaisir.

M. Kaiser : Oui, et touchant la surveillance, par exemple?

La sénatrice Pate : Et de manière plus générale, et du rôle que le Sénat pourrait jouer dans cette affaire.

Mme Iftene : Oui, absolument. Je n’ai pas parlé de la prérogative royale. Je ne m’y suis même pas intéressée, parce qu’il n’y a rien de rien. Je crois avoir lu quelque chose à ce sujet, l’an dernier, dans le bureau de l’enquêteur correctionnel. On disait qu’au cours des 10 dernières années, aucune clémence n’a jamais été accordée. Encore une fois, cette mesure pourrait jouer un rôle important, peut-être, dans le cas des personnes qui ne peuvent faire l’objet d’une mise en liberté pour des raisons de compassion ou ne seraient pas admissibles à une autre forme de libération conditionnelle. Le cas se présenterait définitivement beaucoup moins souvent si nous avions un système de mise en liberté qui fonctionnait bien, mais son existence est tout de même justifiée.

Je n’ai pas non plus parlé des permissions de sortir avec escorte, qui est une question très importante à mon avis. Un des détenus venait de perdre son épouse, morte du cancer. Ils étaient mariés depuis 30 ans et son épouse combattait le cancer depuis six ans. Ils avaient eu six enfants ensemble. Il n’a pas eu le droit de lui rendre visite pendant les derniers mois de sa vie. Il était en prison depuis 20 ans. Il ne représentait pas un danger particulier pour quiconque, il a eu la permission d’assister aux funérailles, cependant, ce qui montre clairement qu’il n’était pas si dangereux que cela.

Les gens qui vieillissent ont souvent des parents âgés, qui vont bientôt mourir, et qu’ils ne verront plus jamais. Ils n’ont pas le droit de passer un peu de temps avec eux. Je le répète, il existe des mécanismes pour la mise en liberté, et il reste inacceptable que des permissions de sortir ne soient pas accordées. Sans parler du fait que ces prisonniers ne peuvent même pas non plus se présenter à des rendez-vous médicaux parce qu’ils ne peuvent pas sortir sans escorte. Je ne sais pas pourquoi, mais dans la plupart des cas, cette demande est refusée parce qu’ils n’ont pas d’escortes.

À Pittsburgh, 70 p. 100 des détenus sont des gens âgés de plus de 50 ans qui ont d’importants problèmes. Cet établissement porte le surnom de « camp de la mort ». Il compte sur deux escortes par jour. Donc, si cinq personnes ont besoin d’aller à un rendez-vous avec un médecin un jour donné, ce ne sera possible que pour deux d’entre elles. Les trois autres sont renvoyées au bas de la liste et doivent attendre deux ans de plus pour avoir un rendez-vous avec un oncologue. Elles ne tiendront probablement pas deux années de plus.

C’est un problème important; il faut rendre possibles les visites dans la collectivité.

La présidente : La dernière question viendra de la sénatrice Hartling.

La sénatrice Hartling : Merci.

La santé mentale et le vieillissement de la population sont des enjeux très importants. Nous l’avons bien constaté lorsque nous sommes allés visiter un établissement au printemps, en Ontario. Vous pourriez peut-être parler un peu des soins palliatifs. Dans cet établissement, nous avons rencontré bien des gens en train de mourir. Nous aimerions bien trouver de nouvelles façons de faire, je le sais, mais où faudrait-il placer ces personnes? Devraient-elles recevoir des soins palliatifs en prison ou être traitées ailleurs? Avez-vous réfléchi à cette question?

Mme Iftene : Ces personnes ne devraient pas être en prison. Je pense qu’aucune personne mourante ne devrait être en prison. Cela nous ramène à ce que m’a dit un des détenus. Il a déclaré : « Je suis en prison depuis 30 ans. Vous savez quoi? Je ne suis pas certain de savoir comment vivre à l’extérieur. Alors, je ne sais pas si cela me dérange de vivre en prison. Je ne le sais plus. Tout ce que je peux vous dire, c’est que je ne veux pas mourir en prison, car, si c’est là que je meurs, je subirai une douleur horrible. J’irai probablement dans une tombe anonyme, et ma famille ne sera jamais libérée de la stigmatisation et de la douleur causées par le fait de savoir que leur fils est mort en tant que délinquant. »

C’est horrible. Cette peur terrible et déchirante que vivent ces personnes à l’idée de mourir en prison était présente à chaque seconde de la période que j’ai passée auprès d’elles.

De meilleures options de soins devraient assurément être offertes aux prisonniers qui arrivent à ce stade. Il faut certainement que les services correctionnels travaillent avec les gouvernements fédéral et provinciaux pour s’assurer que ces détenus soient transférés vers des établissements communautaires qui peuvent prendre soin d’eux s’ils n’ont pas de membres de la famille chez qui aller.

Il s’agit d’une activité supplémentaire et, oui, elle nécessite de l’argent. Honnêtement, une fois que c’est fait, cela ne coûte pas plus cher que le maintien en incarcération et en isolement cellulaire d’une personne qui est mourante, s’il est question d’argent, et je ne pense pas que ce devrait être le cas lorsqu’il s’agit d’une vie humaine, mais, parfois, les gens ne réagissent pas à d’autres arguments.

De tous les points de vue, c’est tout à fait logique, même si l’activité est financée partiellement par le Service correctionnel du Canada, de veiller à ce qu’il y ait un moyen de transférer les gens vers des établissements qui peuvent vraiment leur prodiguer les soins de santé nécessaires sans considération relative à la sécurité.

Des tentatives ont été faites dans le but de déplacer des malades vers des centres correctionnels communautaires, ce qui est mieux que la prison. Il s’agit tout de même d’établissements carcéraux. À la base, ce sont tout de même des établissements correctionnels. Ils ne peuvent pas remplacer les soins qu’ils recevraient dans un établissement communautaire, sans compter les enjeux touchant le consentement aux soins en fin de vie, qui ne devrait pas être donné dans un établissement carcéral.

La présidente : Merci beaucoup à vous deux du temps que vous nous avez accordé, de votre expertise et de tout ce que vous nous avez promis de nous donner après la séance.

Pour notre dernier groupe de témoins de la soirée, nous sommes heureux d’accueillir l’honorable Pamela Williams, juge en chef, Tribunaux provinciaux et familiaux de la Nouvelle-Écosse, qui comparaît ce soir à titre personnel. Mme Heather Finn-Vincent, agente de libération conditionnelle, du Service correctionnel du Canada, comparaît également à titre personnel.

Madame la juge Williams, nous vous laissons commencer.

L’honorable Pamela Williams, juge en chef, Tribunaux provinciaux et familiaux de la Nouvelle-Écosse, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée à comparaître devant le comité. C’est à la fois un privilège et un honneur.

On m’a demandé d’aborder les approches adoptées par les tribunaux thérapeutiques ou du mieux-être en Nouvelle-Écosse à l’égard des personnes ayant des problèmes de santé mentale et/ou de dépendance qui se retrouvent à avoir des démêlés avec la justice, dans le but d’offrir des solutions de rechange à l’incarcération.

C’est important parce que nous savons, d’après la recherche, que nos prisons et nos pénitenciers sont mal équipés pour accueillir ces personnes vulnérables. Nous savons également que l’incarcération tend à exacerber leurs problèmes.

Les problèmes de santé mentale sont au moins trois fois plus courants dans les prisons qu’au sein de la population en général. On nous dit que 30 p. 100 des délinquants de sexe masculin et la moitié des détenues de sexe féminin ont des besoins établis en santé mentale et que la plupart des délinquants présentent un trouble lié à la toxicomanie.

J’ajouterais à cela deux observations fondées sur mon expérience en tant que juge du Tribunal de la santé mentale. Premièrement, plus de 80 p. 100 des personnes dont le cas est renvoyé au tribunal présentent des troubles majeurs de santé mentale et de toxicomanie. Deuxièmement, nombre de celles qui présentent des troubles liés à la toxicomanie ont des problèmes de santé mentale sous-jacents et non diagnostiqués souvent liés à un traumatisme.

Nous sommes au beau milieu de ce que j’appellerais une sorte de « révolution culturelle ». Nous commençons lentement à repenser la meilleure façon d’atténuer les préjudices relativement aux personnes, aux politiques et aux pratiques dans le système de justice pénale. C’est en partie dû à la surreprésentation des personnes racialisées et vulnérables.

Au lieu de nous contenter de criminaliser un comportement humain, nous élaborons des stratégies de réduction des préjudices en nous attaquants aux causes fondamentales de la délinquance, qui comprennent les problèmes de santé mentale et de dépendance souvent liés à la pauvreté et à une discrimination systémique et raciale.

Les programmes de tribunaux thérapeutiques, de résolution de problèmes et de mieux-être mis en œuvre dans le système de justice pénale offrent des approches de rechange visant à assurer la responsabilité, la réparation des préjudices et la réhabilitation. Le Tribunal de la santé mentale de la Nouvelle-Écosse, qui a été établi en 2009, est un de ces programmes.

Brièvement, le programme est offert aux personnes âgées de 18 ans et plus, dont le comportement de délinquance est lié à un trouble majeur de santé mentale. De plus, les participants doivent vivre dans la MRE et avoir accès aux services qui y sont offerts. Le tribunal doit également être d’avis que le risque que pose cette personne peut être géré dans la collectivité et que des services permettant de régler les problèmes en cause sont accessibles. Bien entendu, le consentement de la Couronne est requis aux fins de l’admission au programme.

Notre tribunal siège un après-midi par semaine. Chacune de ces séances est précédée d’une réunion matinale à huis clos, où une équipe multidisciplinaire axée sur la collaboration et le consensus discute de questions touchant l’admission, la planification du soutien et le suivi. Le programme est unique, du fait qu’il adopte une approche holistique « axée sur la personne ». Il est fondé sur le délinquant, pas sur l’infraction. Les seules infractions exclues sont celles qui sont hors du champ de compétence de la cour provinciale, c’est-à-dire le meurtre et la trahison. Nous adoptons une approche fondée sur le risque, les besoins et la réceptivité, axée sur le rétablissement et tenant compte des traumatismes. Le mieux-être et la sécurité sont les considérations primordiales.

En outre, on encourage les victimes à participer, au moyen soit d’une déclaration faite de vive voix par la victime, soit, dans le cas d’un plaidoyer de culpabilité, d’une déclaration de la victime, ou bien elles pourraient apporter leur contribution à un plan de soutien. Si elles le choisissent, elles peuvent prendre part à un processus de justice réparatrice. Elles pourraient simplement souhaiter être tenues au courant de la progression du participant au sein du programme.

Sous l’égide du programme du Tribunal de la santé mentale de la Nouvelle-Écosse, on compte trois programmes supplémentaires : le programme de surveillance judiciaire; le programme de traitement des dépendances à la drogue surveillé par le tribunal; et, plus récemment, le projet pilote relatif à l’alcool, lesquels répondent tous à des besoins précis.

Le programme de surveillance judiciaire est destiné aux personnes ayant subi un traumatisme, mais qui n’ont reçu aucun diagnostic de trouble de santé mentale. Récemment, nous avons fini par nous rendre compte — la lumière s’est allumée — des raisons pour lesquelles peu d’Autochtones et d’Afro-Néo-Écossais comparaissent devant notre Tribunal de la santé mentale. La raison c’est qu’ils ne reçoivent pas de diagnostic officiel, qui est l’un des critères. Pourquoi n’en reçoivent-ils pas? Nombre d’entre eux se méfient du système de santé, ou bien ils sont stigmatisés et ont choisi de ne pas participer à un tel programme. Toutefois, nous savons, d’après les renseignements que nous recevons au sujet des horribles événements qu’ils ont vécus, qu’ils ont subi des traumatismes importants au cours de leur vie. Beaucoup de ces personnes sont issues de populations très marginalisées et vulnérables. Des interventions adaptées à la culture sont cruciales.

Le programme de traitement des dépendances à la drogue surveillé par le tribunal est un partenariat entre le Tribunal de la santé mentale et le programme de traitement des dépendances aux opioïdes de Dartmouth, qui est appuyé par la Régie de la santé de la Nouvelle-Écosse. L’une des caractéristiques uniques de ces partenariats, c’est qu’il s’agit d’un échange de ressources « en nature » axé sur la collaboration, au lieu de tout type de versement d’argent fédéral ou provincial visant à appuyer le programme. L’inconvénient, bien entendu, c’est que nous n’avons accès qu’à huit places dans le programme de traitement des dépendances aux opioïdes, qui nous permettent d’accueillir ces gens au sein de notre programme de traitement des dépendances à la drogue surveillé par le tribunal, mais, au moins, c’est un début.

Le projet pilote relatif à l’alcool est un ajout très récent. L’alcoolisme n’a jamais été considéré comme l’un des troubles de la santé mentale — même si nous savons que c’en est un — qui fait l’objet d’un diagnostic désigné parce qu’on craint d’ouvrir les vannes. L’alcool pose un énorme problème dans la province.

Nous avons récemment décidé, dans le cadre d’un projet pilote, de nous occuper de trois causes d’alcooliques chroniques qui ont des démêlés avec la justice en raison d’infractions graves. Actuellement, nous avons deux personnes; la première est accusée de vol qualifié, et l’autre, de graves introductions par effraction. Encore une fois, nous avons travaillé à l’aide de ressources en nature fournies par des programmes de réhabilitation en établissement offerts dans la ville. Nous travaillons auprès de ces gens pour une période allant jusqu’à 24 mois, pendant qu’ils reçoivent des soins en établissement, puis pendant qu’ils continuent de faire l’objet d’une surveillance dans la collectivité.

Comme vous pouvez le voir, notre travail repose sur de solides partenariats communautaires avec les services de santé mentale communautaires, l’hôpital médico-légal local, le Mi’kmaq Legal Support Network, le ministère des Anciens Combattants, des refuges, des maisons de transition et de rétablissement et des logements avec services de soutien, pour n’en nommer que quelques-uns. Nous sommes en liaison avec l’aide judiciaire autochtone, qui fournit des services de soutien et organise non seulement des cercles de détermination de la peine, mais aussi des « cercles de soutien » pour les personnes qui participent à nos programmes, afin que nous puissions établir le soutien en fonction de leur plan de rétablissement.

Depuis 2016, notre tribunal travaille en partenariat avec le ministère des Anciens Combattants. C’était une occasion plutôt unique. Les responsables de ce ministère envisageaient l’établissement de ce qui aurait pu être un tribunal des anciens combattants, semblable à celui des États-Unis. Toutefois, ils ont découvert très tôt que le nombre d’anciens combattants au Canada n’était pas suffisant pour soutenir des tribunaux indépendants, alors ils nous ont approchés. Ils envisageaient d’en établir trois partout au pays, et la Nouvelle-Écosse a été choisie comme lieu de mise à l’essai du partenariat. Des intervenants auprès des anciens combattants sont rattachés au Tribunal de la santé mentale pour s’occuper des anciens combattants qui ont des démêlés avec la justice, souvent en raison de la dépression, de l’anxiété, du TSPT et de la toxicomanie.

Le soutien par les pairs a été désigné comme une lacune de notre programme, et il peut s’agir d’une intervention efficace qui modère les effets des événements bouleversants et qui procure un sentiment d’autonomie. Actuellement, nous travaillons sur l’élaboration d’une proposition visant l’offre d’un soutien par les pairs et l’embauche d’un travailleur au sein de notre tribunal.

Nous offrons plusieurs programmes judiciaires dans l’ensemble de la province. De plus, nous avons établi un nouveau tribunal qui est sur le point d’entrer en fonction à Wagmatcook — un tribunal autochtone —, qui sera un tribunal du mieux-être et Gladue, mais aussi un tribunal provincial offrant un service intégral, à l’intention de deux collectivités autochtones ainsi que des résidents du comté de Victoria.

Il ne fait aucun doute qu’on s’intéresse beaucoup à l’expansion à l’échelle provinciale des programmes du tribunal du mieux-être. Nous avons mis sur pied un groupe de travail composé de plus de 40 partenaires du gouvernement — Justice, Santé, Services communautaires — et de la collectivité — des personnes ayant vécu l’expérience du milieu universitaire et du milieu judiciaire — afin qu’ils étudient la possibilité d’établir un cadre pour l’expansion de ces types de programmes judiciaires à l’ensemble de la province.

Au dos du livret que je vous ai fourni, vous trouverez le cadre de référence de ce projet. Actuellement, nous travaillons sur un cadre contenant des pratiques exemplaires et des critères non négociables, dans l’espoir qu’à mesure que les programmes seront étendus, il y aura une certaine uniformité du point de vue des politiques et des procédures, même s’il y aura des écarts régionaux en cours de route.

Mme Linda Courey, qui est sur le point de prendre sa retraite, est directrice principale de la Régie de la santé de la Nouvelle-Écosse. Elle et moi travaillons ensemble depuis deux ou trois ans afin d’en arriver au stade où nous pourrons rassembler ces gens et tenter d’établir une façon d’aller de l’avant afin que nous puissions étendre ce projet à l’ensemble de la province.

Le mois de novembre 2019 marquera le 10e anniversaire du Tribunal de la santé mentale. Nous travaillons déjà sur un projet d’évaluation qualitative et quantitative. Il comportera deux objectifs principaux. Le premier consistera à examiner les résultats relatifs à la santé, au facteur social et à la justice pour les personnes dont le cas a été renvoyé au tribunal et/ou qui ont comparu devant lui. Le deuxième consiste à comprendre les idéologies, les approches, les processus et les mécanismes sous-jacents des programmes des tribunaux du mieux-être et la façon dont ces éléments façonnent la conception de ces programmes et les possibilités de rétablissement d’une personne.

Je vous présente mes excuses pour la longueur de ma déclaration préliminaire. Il est difficile de décrire le travail du Tribunal de la santé mentale de la Nouvelle-Écosse dans une période aussi limitée. Cependant, je vous laisse, en plus du cadre de référence, une présentation PowerPoint qui expose de façon beaucoup plus détaillée le programme du Tribunal de la santé mentale. Elle pourrait répondre à certaines des questions que vous vous posez. Merci.

La présidente : Merci, madame la juge Williams.

Heather Finn-Vincent, agente de libération conditionnelle, Service correctionnel du Canada, à titre personnel : Bonsoir. Je suis honorée d’avoir la possibilité de discuter avec le comité sénatorial qui souhaite aider les populations vulnérables dans notre système carcéral. Ce travail est très important, et je remercie le comité de me permettre de prendre part au processus.

Je m’appelle Heather Finn. Je travaille en première ligne de notre système correctionnel depuis que je suis devenue travailleuse sociale en 2004. Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un comité régional que j’ai contribué à mettre sur pied, en ce qui a trait aux délinquants afro-canadiens de la région de l’Atlantique. Au commencement, notre comité était composé de moi, en ma qualité d’agente de libération conditionnelle en établissement, de Jude Clyke, agent de libération conditionnelle dans la collectivité, et d’Ed Muise, gestionnaire supérieur. Le comité a été formé il y a un peu plus d’un an, en 2017, dans le cadre d’un effort visant à examiner la surreprésentation des délinquants noirs. Aujourd’hui, je dois insister fortement sur le fait que ce comité n’est une idée ni révolutionnaire ni novatrice dans la région de l’Atlantique. D’innombrables membres du personnel et de la collectivité ont consacré leur carrière tout entière à l’étude des délinquants noirs dans le système correctionnel, à leur éducation et à la défense de leurs droits.

J’ai communiqué aujourd’hui au comité sénatorial un échantillon de certains rapports, dont l’un remonte à 1998, lesquels contiennent des recommandations qui sont encore pertinentes, mais qui ne se sont pas concrétisées. Ces personnes ont tracé une voie et amorcé un changement au moyen de peu de ressources, et notre comité ne fait que porter le flambeau qu’elles ont allumé il y a longtemps.

Le comité sénatorial a déjà entendu les déclarations de nombreux témoins qui mentionnent les statistiques alarmantes en ce qui concerne les délinquants noirs. Nous savons qu’il s’agit de la sous-population de délinquants qui augmente le plus rapidement et que les Noirs comptent pour environ 8,1 p. 100 des personnes incarcérées dans un établissement fédéral, alors qu’ils ne comptent que pour 3 p. 100 de la population en général. Dans la région de l’Atlantique, ces chiffres sont malheureusement beaucoup plus élevés, c’est-à-dire que la population carcérale noire oscille autour des 10 p. 100 depuis 10 ans.

Pas plus tard que cette semaine, nous avons examiné des chiffres selon lesquels les délinquants noirs comptent pour environ 11,4 p. 100 de la population carcérale. Ce sont des approximations. Lorsque nous comparons ces chiffres à la population générale du Canada atlantique, nous constatons que seulement 1,4 p. 100 de la population s’identifie comme Noire.

Notre groupe a été mis sur pied en raison d’une préoccupation et d’un intérêt communs à l’égard de ces chiffres et de la reconnaissance du fait que la sensibilisation au sujet des délinquants noirs était lacunaire. Cette lacune a contribué au silence et à la perpétuation du problème.

Par conséquent, la sensibilisation des gens de la région est devenue l’un des principaux mandats du groupe afin de contribuer à stimuler le changement. Parmi les autres directives que nous avons élaborées, mentionnons l’examen des données qualitatives portant sur les résultats en matière de réinsertion sociale. Nous voulions également améliorer les services en reconnaissant la culture comme une partie importante de l’évaluation et de la réhabilitation. Par ailleurs, nous voulions améliorer la mobilisation communautaire dans le but d’aider les délinquants et de faciliter la planification de leur mise en liberté et la réussite de leur réinsertion sociale.

Au cours de la dernière année, nous avons accompli des tâches et établi de nouveaux buts relativement à ces quatre mandats. Afin de sensibiliser les gens, nous avons demandé et obtenu l’approbation nécessaire pour offrir à tous les agents de libération conditionnelle de la région une journée entière de formation sur les délinquants noirs, dans le cadre du perfectionnement professionnel continu obligatoire. Nous avons élaboré cette formation, qui englobe des connaissances historiques, théoriques et pratiques qui pourraient être utiles aux agents de libération conditionnelle dans le cadre de leur travail quotidien auprès des délinquants noirs.

Nous avons présenté des renseignements semblables aux gestionnaires supérieurs dans le cadre d’un effort visant à assurer la continuité, de sorte qu’ils puissent comprendre les recommandations des agents de libération conditionnelle et certaines des préoccupations qui ont été soulevées.

Nous avons élaboré de l’information et des ressources à l’intention des agents de libération conditionnelle afin de faciliter leur travail quotidien. Nous travaillons actuellement dans le but de rendre cette information accessible, sur Internet, à tous les agents de libération conditionnelle et nous étudions la possibilité de l’afficher sur le portail national sur la réceptivité.

À l’occasion d’un congrès de l’Association internationale des affaires correctionnelles et pénitentiaires, nous présenterons des observations sur ces initiatives progressistes visant à rendre l’incarcération et la surveillance dans la collectivité plus humaines et efficaces. Nous espérons présenter des informations à ce sujet.

Dans le but de créer des stratégies, nous avons demandé que des ensembles de données particuliers soient recueillis et fassent l’objet d’un suivi afin que nous puissions concentrer nos efforts là où ils sont le plus nécessaires. Ce sont des données concernant les résultats en matière de réinsertion sociale, comme le pourcentage de mises en liberté conditionnelle, les pourcentages de cas de semi-liberté examinés, les taux de suspension et la proportion de la peine purgée par un délinquant avant sa première mise en liberté. Il s’agissait de certains exemples de ce que nous étudions.

Afin d’élaborer des pratiques relatives aux stratégies de réinsertion sociale, nous avons examiné de nombreux résultats, renseignements, recommandations et projets pilotes qui se sont déroulés dans le passé afin de tenter de déterminer lesquels étaient bénéfiques. Bien entendu, nous avons également parlé directement avec des détenus dans le but d’obtenir leur point de vue sur ce dont ils estimaient avoir besoin.

Dans le but d’améliorer les services, nous avons fait un certain nombre de choses. L’un des membres de notre comité — Jude Clyke — occupe maintenant un poste pleinement financé qui a vraiment joué un rôle déterminant pour ce qui est d’accomplir la plupart des initiatives de notre comité. Il se consacre à un poste à temps plein afin de se pencher sur certains des buts et sur la façon de les atteindre.

Nous avons examiné le recours à des programmes, à des activités et à des projets adaptés à la culture pour les délinquants. Il s’agit notamment de la possibilité de continuer à assister à des événements culturels, par exemple au moyen de permissions de sortir avec escorte dans la collectivité. Nous étudions également l’importance de ces événements dans le processus d’évaluation.

Nous avons envisagé la possibilité de former des membres du personnel afin qu’ils soient qualifiés pour effectuer des évaluations culturelles dans le cadre d’un effort visant à renforcer la compréhension du comportement du délinquant qui l’a mené à exercer et à poursuivre une activité criminelle. Il s’agirait de prendre en considération les antécédents sociaux des délinquants noirs au moment de formuler des recommandations tout au long du processus carcéral. Toutes les décisions que nous mettrions en œuvre au cours de la peine d’un délinquant seraient semblables et supposeraient, par exemple, un examen du vécu et des antécédents ainsi que de la situation actuelle et de la façon dont ces éléments influent sur les comportements et ce genre de choses.

Nous avons travaillé avec le Comité sur la diversité afin de promouvoir l’idée d’un effectif plus diversifié, mais aussi pour souligner l’importance de former les employés blancs de manière à les rendre plus compétents en ce qui a trait à la culture. Ces employés représentent la majeure partie de nos effectifs et, malheureusement, nous avons besoin que les employés possèdent davantage de compétences culturelles. Cette année, la formation des gestionnaires intermédiaires est axée sur certaines compétences en matière de diversité et de culture au travail. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction.

En ce qui a trait à la mobilisation communautaire, nous avons établi un lien avec des partenaires de la collectivité qui se spécialisent dans la santé mentale, l’emploi et l’éducation. Par exemple, Jude a visité environ 45 groupes communautaires qui souhaitent faciliter la réinsertion sociale des délinquants noirs. Nous espérons créer une trousse de ressources afin que les délinquants aient cette information à disposition au moment où ils seront libérés. En outre, en parallèle, nous voulons organiser des foires de ressources à l’intérieur des établissements, afin que les délinquants noirs puissent former un réseau, être sensibilisés et nouer des liens afin de mieux se préparer à leur mise en liberté. Pour achever certaines de ces tâches, nous avons dû compter sur les employés d’un certain nombre de ministères différents. Dans notre région, beaucoup d’intervenants sont disposés à aider. Même si nous avons fait d’énormes progrès, nous espérons poursuivre ce travail jusqu’à ce que le comité ne soit plus nécessaire. Il est certain que nous ne sommes pas encore rendus là.

Voilà qui conclut ma déclaration préliminaire. Je vous remercie encore une fois de me permettre de vous faire part de cette information aujourd’hui.

La présidente : Nous allons entendre les questions des sénatrices, en commençant par la vice-présidente, la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Vos exposés étaient excellents.

Madame la juge Williams, je voudrais parler du Tribunal de la santé mentale et féliciter la Nouvelle-Écosse. Je pense que nous faisons de très bonnes choses, comme le Tribunal de la santé mentale, l’Hôpital médico-légal de la côte Est, à Burnside, et le tribunal de la violence familiale, qui commence à siéger. Si nous pouvons trouver de meilleurs moyens d’aider les gens, au lieu de les punir et de les sortir de la collectivité, je pense que tout le monde y gagnera.

Comment peut-on accéder au Tribunal de la santé mentale? Vous avez évoqué l’absence d’Autochtones parmi les utilisateurs du programme, qui est due au fait qu’ils ne reçoivent pas de diagnostic, et vous avez donné les raisons expliquant l’absence de ces diagnostics. Comment une personne peut-elle y accéder?

Ensuite, si les Autochtones n’y accèdent pas, quelles activités d’approche mène-t-on afin de les encourager à participer?

Mme Williams : Je me suis peut-être mal exprimée. Il y a des Afro-Néo-Écossais et des Autochtones qui participent au programme. Toutefois, je me serais attendue à ce que leur nombre soit plus grand, compte tenu de l’importance de leur population au sein du système de justice pénale.

Des cas peuvent être adressés au Tribunal de la santé mentale depuis n’importe lequel des cinq tribunaux de Dartmouth et des quatre tribunaux criminels de Halifax. C’est l’équipe qui détermine ensuite, en se fondant sur les critères, si la personne est admissible ou non au programme. Il faut qu’il y ait une reconnaissance de responsabilité, pas nécessairement un plaidoyer de culpabilité.

L’une des caractéristiques du programme, c’est que, si une personne le termine avec succès, les accusations sont retirées. C’est particulièrement utile pour les personnes qui pourraient ne pas avoir de casier judiciaire. Même si elles en ont un, il leur évite de cumuler les accusations. N’importe qui peut y être adressé, et c’est l’équipe qui prend la décision d’accorder ou non l’accès à la personne.

La sénatrice Cordy : Vous avez mentionné le programme de soutien par les pairs. Quand le Comité des affaires sociales procédait à l’étude de la santé mentale et de la maladie mentale, le soutien par les pairs semblait faire partie des choses qui fonctionnent extrêmement bien. De fait, la première citation figurant à la première page d’un rapport est de Roy Muise, de Dartmouth, qui travaille pour la société schizophrénique. Il a occupé le poste de responsable du soutien par les pairs pour les personnes atteintes de schizophrénie.

Vous attendez-vous à offrir du soutien par les pairs? S’agira-t-il de personnes atteintes de maladie mentale qui ont été incarcérées, ou bien de celles qui en sont atteintes et qui ont été traitées à l’extérieur, ou bien les deux? Comment envisagez-vous le fonctionnement de ce soutien par les pairs? Il semble que les gens qui sont dans ces situations s’identifient à une personne qui a le même vécu, pas seulement à quelqu’un qui en parle.

Mme Williams : Idéalement, le travailleur de soutien par les pairs serait un diplômé du Tribunal de la santé mentale. Jusqu’à tout récemment, peu de financement ou de cours de formation ont été offerts. Certains fonds sont devenus accessibles ce mois-ci, et nous tentons de les obtenir. Nous avons trouvé deux diplômés qui travaillent avec nous dans le cadre de l’évaluation du 10e anniversaire et au sein de notre groupe de travail sur le mieux-être composé de 40 personnes qui étudient la possibilité d’étendre le programme à l’ensemble de la province. Ce sont deux personnes très brillantes, aptes, bienveillantes et charismatiques qui ne voudraient rien de plus que de pouvoir être des travailleurs de soutien par les pairs. Voilà le résultat que nous voudrions obtenir.

La sénatrice Cordy : Madame Finn-Vincent, je n’ai peut-être pas les bonnes statistiques, mais je sais que la population de Noirs est importante au sein du système criminel. Avez-vous dit que 1,4 p. 100 des Néo-Écossais s’identifient à ce groupe?

Mme Finn-Vincent : Pas des Néo-Écossais; des résidants du Canada atlantique.

La sénatrice Cordy : Avez-vous dit 11 p. 100 des prisonniers?

Mme Finn-Vincent : C’était environ 11,4 p. 100. Il s’agit du nombre de délinquants dans le système carcéral qui s’identifient en tant que Noirs, divisé par le nombre de personnes dans le système carcéral du Canada atlantique.

La sénatrice Cordy : Je sais que vous êtes agente de libération conditionnelle, alors vous vous occupez des problèmes après-coup. A-t-on fait quoi que ce soit pour diminuer ces chiffres? C’est énorme; 1,4 p. 100 de la population et 11 p. 100 de la population carcérale. Il est clair qu’il y a quelque chose que nous ne faisons pas comme il faut au départ.

Mme Finn-Vincent : En effet. Certaines initiatives ont été mises sur pied. Elles n’ont pas toujours existé de façon constante. Elles ont été créées et ensuite supprimées, et cela engendre davantage de frustration et de colère au sein de la population carcérale. Cela contribue aussi au problème et au silence à ce sujet. J’aimerais savoir pourquoi c’est le cas.

J’ai mentionné les recommandations formulées en 1998. Si elles avaient été mises en œuvre ou si des efforts plus cohérents avaient été faits en ce sens, peut-être que les résultats statistiques seraient bien différents aujourd’hui. C’est tout ce que j’ai à dire.

La sénatrice Pate : Je vous remercie toutes les deux. Par ailleurs, c’est toujours agréable de revoir une camarade de classe.

Je crois que vous étiez présente, madame la juge en chef, quand j’ai mentionné certains des problèmes que nous avons remarqués lors de notre visite à l’hôpital médico-légal aujourd’hui, en particulier le fait que le personnel, tout comme M. Kaiser, ce soir, a affirmé que des personnes sont criminalisées en somme à cause de la perception qu’elles recevront ainsi un traitement.

Bien entendu, je sais que vous êtes au courant qu’un certain nombre d’entre nous ont exprimé des critiques concernant le fait qu’on préfère bien souvent créer des tribunaux spécialisés et non des services communautaires de prévention; on pourrait notamment améliorer les services en santé mentale et créer des établissements aux capacités accrues qui offrent des services à tous les membres de la collectivité, tant aux malades hospitalisés qu’aux patients externes.

Quel genre de mesures avez-vous constaté, vu que, la plupart du temps, quand ce type de tribunal a bien fonctionné, c’est à cause de personnes comme vous qui s’assurent que des mécanismes de surveillance et de reddition de comptes sont en place? Comme vous le savez assurément, quand des personnes clés, des champions, changent de fonction, pour quelque raison que ce soit, il arrive parfois que cela expose les défauts de ces processus. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir quelles possibilités on examine pour essayer de trouver des solutions en ce qui concerne ces initiatives de prévention. Vous en avez mentionné certaines. Pourriez-vous nous en dire davantage?

Par ailleurs, en plus de nous fournir des renseignements sur les libérations, pouvez-vous nous dire quelle est la fréquence du recours aux peines avec sursis, sans opposition de la Couronne, dans des cas où le tribunal aurait normalement prononcé une peine d’emprisonnement? J’ai remarqué que vous mettez l’accent sur des solutions de rechange.

Aussi, avez-vous examiné la possibilité d’éliminer le pouvoir discrétionnaire de la Couronne, soit l’obligation que le procureur de la Couronne approuve certaines de ces approches de déjudiciarisation? Avez-vous examiné la manière concrète d’appliquer cela, même aux affaires de meurtre où il existe certaines circonstances? Je pense en particulier au nombre de femmes et de jeunes qui réagissent à des situations de violence. Vous avez mentionné les traumatismes antérieurs et les antécédents de violence qui touchent un grand nombre de femmes.

Je reconnais qu’il s’agit d’une question à plusieurs volets.

Madame Finn, vous avez mentionné l’examen d’un des enjeux, soit l’augmentation du nombre de libérations. Je suis curieuse de savoir si votre comité examine la possibilité d’inciter les responsables du Service correctionnel du Canada à changer les politiques relatives aux articles 81 et 84 pour faire en sorte que les détenus, tant autochtones que non autochtones, aient accès à ces mesures. Comme vous le savez, à l’époque où ces dispositions ont été élaborées, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, il devait s’agir d’une mesure législative axée sur les droits de la personne qui visait à réduire le nombre de détenus. Toutefois, la politique connexe a diminué de façon importante l’application de la loi. Si ce n’est pas quelque chose que vous examinez déjà, y a-t-il une recommandation que le comité pourrait formuler pour vous aider à vous pencher sur des modifications à apporter à la politique?

Y a-t-il d’autres recommandations que l’une ou l’autre d’entre vous souhaiterait voir formuler par le comité?

Mme Williams : On a créé ces tribunaux communautaires du mieux-être, ou à but thérapeutique, en tant que tribunaux de dernier recours. Les cours criminelles étaient inondées de personnes souffrant de troubles de santé mentale et de toxicomanie, parce que le système de soins de santé n’arrivait pas, pour une raison ou une autre, à intervenir. C’était une forme de dernier recours.

Je ne suis pas certaine que nous soyons arrivés au point où, si on fournissait des ressources adéquates au système de soins de santé, les gens, en particulier les personnes marginalisées et vulnérables, auraient accès aux soins. Nous avons beaucoup de travail à faire pour en arriver là. En attendant, si des personnes commettent des crimes, sont accusées et comparaissent devant les tribunaux, alors nous devons offrir des solutions de rechange qui sont plus humaines, plus personnalisées et plus globales.

Je crois que la pérennité est un autre point que vous avez soulevé. J’ai mentionné que, selon moi, nous sommes en plein cœur d’une révolution culturelle. Les gens commencent à constater que ces programmes fonctionnent. Il y a de plus en plus de juges de nos tribunaux, par exemple, qui souhaitent vraiment participer à ces programmes. Ce que je souhaite, c’est qu’un jour nous n’aurons plus besoin de tribunaux spécialisés parce que ces approches seront utilisées dans tous les tribunaux de la province quand des personnes aux prises avec des troubles de santé mentale et de toxicomanie y comparaissent.

En ce qui concerne l’élimination du pouvoir discrétionnaire du procureur de la Couronne, premièrement, ce n’est pas possible à cause du paragraphe 720(2) du Code criminel, qui prévoit que le procureur général doit consentir au report de la détermination de la peine pour permettre au délinquant de participer à un programme de traitement. Honnêtement, dans nos tribunaux, la Couronne exerce très rarement son droit de veto. Ainsi, c’est très rare qu’une personne se voie refuser la possibilité que son dossier soit traité par ce type de tribunal.

Un grand nombre de personnes choisissent de ne pas plaider coupables. Toutefois, parmi celles qui le font, il y en a qui ont un lourd dossier criminel, qui présentent un risque assez important ou qui ont été accusées de crimes très graves. Bien souvent, nous examinons des cas où il n’y a pas de peine d’emprisonnement, d’autres où il y a de courtes périodes d’incarcération, ou parfois des périodes d’emprisonnement plus longues, mais nous suivons les délinquants pendant qu’ils sont détenus et aussi pendant la partie de leur peine qui est purgée dans la collectivité.

Le Tribunal de la santé mentale a eu à traiter trois affaires de tentative de meurtre. Nous ne pouvons trancher des affaires de meurtre, car elles relèvent de la Cour suprême. Nous avons eu trois affaires de tentative de meurtre, de nombreuses affaires de vol qualifié, et d’autres de voies de fait graves. Nous avons eu à traiter des affaires pour des crimes assez sérieux au Tribunal de la santé mentale. Dans certains cas, les accusations ont fini par être retirées, en raison des liens importants avec les circonstances au moment du crime et le fait que cela ne correspondait vraiment pas au risque que la personne posait pour le public une fois ses troubles de santé mentale et de dépendance contrôlés.

Je crois que j’ai répondu à vos questions.

La sénatrice Pate : Vous avez mentionné que des gens commettent des infractions. On nous a mentionné cet après-midi que des policiers amènent des personnes dans des hôpitaux, qu’ils n’arrivent pas à avoir accès à des soins pour ces personnes et qu’ensuite ils cherchent une accusation à porter, pour méfait ou pour une infraction plutôt mineure, afin de réussir à enclencher le processus relatif au Tribunal de la santé mentale. À votre connaissance, s’agit-il d’un phénomène qui s’accentue?

Mme Williams : C’est un très petit pourcentage des affaires dont nous sommes saisis. Certaines personnes sont accusées après avoir agressé un préposé dans le petit foyer de groupe où elles vivent, ou dans un autre établissement, parce qu’il y a peut-être une politique en place à cet endroit qui exige que des accusations soient portées. Croyez-le ou non, les policiers comptent parmi les champions des solutions de rechange, parce qu’ils travaillent en première ligne et qu’ils préféreraient ne pas avoir affaire à ces personnes et ne pas avoir à porter d’accusations contre elles.

Mme Finn-Vincent : Je vais tenter de répondre à cette question du mieux que je peux. Pour ce qui est des politiques, notre comité a examiné les politiques et les pratiques qui ne sont pas très favorables aux délinquants afro-canadiens. Je crois que cela tient davantage aux lacunes en matière de politiques et de procédures plutôt qu’à l’existence de procédures qui leur causent du tort.

D’après ce que nous avons entendu, le portefeuille ethnoculturel ne comprend vraiment pas les délinquants de race noire. Ils sont visés par nos politiques, mais quand nous examinons la surreprésentation, il semble plutôt clair que les détenus de race noire sont oubliés, en quelque sorte. Nous avons entendu beaucoup de commentaires en ce sens. Ce n’est pas très utile.

En ce qui concerne les articles 81 et 84, la question de savoir si ces dispositions s’appliquent ou non à d’autres délinquants a fait l’objet de discussions. Je ne peux pas exprimer de commentaires à ce sujet. Je ne possède tout simplement pas l’expertise juridique pour y répondre. Ce que je peux affirmer, c’est que, habituellement, les mesures dictées sont suivies. Si on doit tenir compte des articles 81 et 84 dans le cadre de la libération de délinquants, alors cela sera habituellement observé, vu qu’il y a une obligation prévue par la loi. Si, selon l’interprétation qui est faite, il ne s’agit pas d’une obligation, alors, parfois, ce ne sera pas fait.

Je me dois de mentionner que, et c’est une chose que nous avons tenté de transmettre dans la formation des agents de libération conditionnelle, pendant que nous attendons en raison de la lenteur des rouages au chapitre des modifications stratégiques ou législatives qui touchent les délinquants de race noire, nous pouvons quand même intégrer les antécédents sociaux d’un délinquant de race noire dans une évaluation. Il n’existe peut-être pas de politique ni d’obligation particulière à cet égard qui sont semblables à celles qui existent quant à la prise en compte des antécédents sociaux dans le cas des délinquants autochtones. Toutefois, les agents de libération conditionnelle sont très compétents et peuvent le faire. Nous avons été formés pendant des années sur la façon d’inclure les antécédents sociaux des Autochtones dans des recommandations, sur la façon d’examiner les choses sous l’angle de la culture. Ce n’est pas très difficile alors de prendre le temps de discuter avec un délinquant de race noire pour obtenir des renseignements sur la culture dans laquelle il a déjà baigné et sur celle dans laquelle il baigne actuellement, pour avoir une bonne compréhension des facteurs qui l’ont mené à exercer des activités criminelles, de son attitude actuelle et de son degré actuel de motivation et de participation. On obtient ainsi la compréhension recherchée et on cerne le contexte. C’est ce qu’on cherche à faire en examinant les choses sous l’angle de la culture. Cela permet de cerner le contexte et d’établir une conversation et un dialogue qui sont nécessaires.

La sénatrice Pate : Au moment de recueillir les antécédents sociaux, en tentant compte de ce qu’a mentionné Mme Jones plus tôt, et je crois que vous étiez présente à ce moment, à quelle fréquence examinez-vous les liens entre les délinquants autochtones et les délinquants d’origine africaine de la Nouvelle-Écosse, qui ont des antécédents dans les deux communautés et les deux cultures?

Mme Finn-Vincent : À vrai dire, c’est très pertinent. J’ai tendance à être d’accord avec Mme Jones. J’ajouterais aussi que les détenus de race noire hésitent parfois à s’identifier comme des personnes autochtones. Il y a eu des échanges concernant la perception voulant qu’ils tentent d’obtenir d’autres privilèges ou des choses du genre. Ils hésitent beaucoup. J’ai lu des évaluations culturelles de délinquants des deux groupes qui exposent le point de vue et la culture des Autochtones dans l’optique de l’histoire des Noirs. Encore une fois, une évaluation est obligatoire et l’autre ne l’est pas. De toute évidence, davantage de rapports sur les antécédents sociaux des Autochtones sont produits.

La sénatrice Hartling : Madame Finn, quand vous donnez la formation, sentez-vous de la résistance au changement de culture et à l’intégration de ces modifications dans le lieu de travail? Qu’en est-il à cet égard? Qu’en pensez-vous?

Mme Finn-Vincent : Je crois que vous avez raison. Il y a toujours des hésitations face à n’importe quel changement. Je crois que cela découle du manque de connaissances et de sensibilisation. J’ai fait un exposé distinct à mon établissement, avant l’approbation de la formation, ce qui a été une très bonne chose. Il en est ressorti que les gens ne connaissaient vraiment pas la situation. Imaginez que vous êtes un agent de libération conditionnelle dans la région de l’Atlantique et vous ne savez pas que les délinquants de race noire sont surreprésentés de façon aussi importante que le montrent les chiffres. Une fois que les gens réalisent cela, ils sont motivés, en particulier les agents de libération conditionnelle.

J’ai reçu de la rétroaction d’un gestionnaire qui m’a appelée directement et m’a dit que, après avoir suivi la formation, les membres du personnel examinaient leurs dossiers et disaient : « Je vois ce que vous voulez dire dans cette formation. » Ils reprenaient leurs dossiers et se disaient : « D’accord, cela s’applique. » Les membres du personnel étaient emballés. Toutefois, le changement se fera de façon graduelle, malheureusement. Selon moi, ces petits pas ouvriront, du moins un peu, la voie. J’ai entendu de la part d’autres employés qu’ils n’étaient pas très optimistes, mais que, néanmoins, ils n’avaient pas été aussi optimistes depuis un bon moment. C’est encourageant.

La sénatrice Hartling : Organisez-vous des activités de célébration pour le Mois de l’histoire des Noirs ou des journées des Autochtones, par exemple? Mettez-vous en place ce genre de célébrations en milieu de travail? Sont-elles intégrées?

Mme Finn-Vincent : Oui, nous le faisons. Est-ce suffisant? Cela reste à discuter. Il vient tout juste d’y avoir un symposium organisé par le Comité sur l’équité en matière d’emploi et la diversité, qui a reçu une rétroaction fantastique. Nous avons accordé des permissions de sortir avec escorte, des PSAE, pour des motifs culturels dans la région de Truro. Cela se produit souvent durant le Mois de l’histoire des Noirs. Nous faisons ce genre de choses depuis des années. Selon la rétroaction qu’on nous donne, il faut plus d’activités du genre; une par année ne suffit pas.

La sénatrice Hartling : Est-ce que les détenus participent?

Mme Finn-Vincent : Oui. Lors du symposium, les employés y ont participé, mais pas les détenus. Nous pourrions accorder des permissions de sortir avec escorte aux délinquants qui présentaient un intérêt pour les PSAE pour des motifs culturels afin qu’ils puissent accompagner les employés et apprendre en groupe.

La sénatrice Hartling : J’aimerais seulement vous remercier de l’excellent travail que vous faites au Tribunal de la santé mentale. Nous en avions un au Nouveau-Brunswick, mais je crois que ce n’est plus le cas. Il s’agit vraiment d’une perte. J’apprécie réellement les efforts déployés pour le ramener dans notre province. Merci beaucoup.

La présidente : Durant notre deuxième série de questions, nous entendrons la sénatrice Pate, puis la sénatrice Cordy.

La sénatrice Pate : Vous avez soulevé un excellent point, madame la sénatrice Hartling. J’attends avec impatience qu’on les intègre dans tous les tribunaux et pas seulement pour des circonstances particulières. Je crois qu’il serait très utile que notre comité se penche sur la question.

Madame Finn-Vincent, vous venez tout juste de parler des PSAE pour des motifs culturels. L’un des aspects dont le comité a beaucoup entendu parler concerne le nombre de permissions de sortir avec escorte accordées par la Commission des libérations conditionnelles ou par le directeur de l’établissement, dans certains cas. Combien d’entre elles sont annulées — à l’heure actuelle, on tend plutôt à dire reportées — en raison d’une pénurie de personnel ou d’un manque de disponibilité? Mme Jones a parlé du problème d’accès en raison du manque d’accompagnateurs bénévoles disponibles. D’après vos observations, quelle est la tendance à cet égard dans la région?

De plus, l’une des choses dont nous avons beaucoup entendu parler est l’intérêt des délinquantes en particulier, mais aussi des délinquants à l’égard de l’enseignement postsecondaire. L’Établissement Grand Valley offre le programme Walls to Bridges, dans le cadre duquel des cours universitaires sont donnés aux femmes incarcérées, et des étudiants de la collectivité y participent également. Savez-vous s’il existe un suivi quelconque concernant les niveaux d’enseignement postsecondaire avant 1992, lorsque ce dernier a été éliminé dans le système carcéral fédéral, jusqu’à présent? En quoi cela était-il lié à la réussite dans la collectivité, particulièrement pour les femmes? Combien d’entre elles ont réussi à obtenir un emploi grâce à cet accès à l’enseignement postsecondaire?

Mme Finn-Vincent : Pour répondre à votre première question au sujet des PSAE, je ne sais pas si des préoccupations ont été soulevées quant aux annulations. Si ces PSAE supposent des heures supplémentaires ou qu’il manque de personnel, elles sont annulées dans tous les cas. On s’est en quelque sorte engagé pour les PSAE pour des motifs culturels, en particulier, à désigner des employés qui iront de l’avant.

J’ignore si des PSAE pour des motifs culturels ont été annulées en bloc. De nouveaux renseignements liés à la sécurité ou ce genre de choses, par exemple, peuvent avoir une incidence sur certaines PSAE, mais je ne sais pas s’il y a eu une annulation d’une PSAE en groupe ce jour-là en raison d’une pénurie d’employés. Il y a eu un engagement, car on y consacre beaucoup d’efforts. Nous voulons nous assurer que les personnes y soient présentes.

En ce qui a trait à votre deuxième point concernant l’enseignement postsecondaire, je ne suis pas au courant. Je ne serais pas en mesure de vous dire avec certitude si cela aura une incidence ou non. En fait, je ne savais pas que l’enseignement postsecondaire avait déjà été offert.

La sénatrice Pate : Savez-vous combien de personnes incarcérées sont autorisées à sortir sans escorte pour de l’enseignement postsecondaire dans cette région?

Mme Finn-Vincent : Je ne connais pas le nombre. Je sais que c’est arrivé. Je n’ai que des exemples. Il s’agit d’exemples de PSSE ou de PSAE accordées pour favoriser les études d’une personne. Cela commencerait à l’intérieur et, parfois, contribuerait à la semi-liberté, manifestement, dans le cadre d’un processus de mise en liberté graduel. Ce serait une très bonne monnaie d’échange pour une semi-liberté.

La sénatrice Cordy : Madame Finn-Vincent, je me demande seulement quel pourcentage des agents de libération conditionnelle appartiennent à des minorités visibles dans le Canada atlantique.

Mme Finn-Vincent : Je n’ai pas les statistiques à ce sujet. Je sais que, dans certains établissements, il n’y en a pas.

La sénatrice Cordy : Qu’en est-il des gardes? Avez-vous une idée?

Mme Finn-Vincent : Encore une fois, je ne connais pas les statistiques exactes. Là encore, il n’y en a pas beaucoup.

La présidente : Merci.

J’ai toute une liste de questions, mais je ne suis pas autorisée à les poser. Nous n’avons plus de temps, mais je dois en poser une. C’est frappant. J’ai ouvert l’enveloppe, et je souhaiterais ne l’avoir jamais fait, car j’ai trouvé le rapport Sapphire de mars 1998, il y a de cela 20 ans presque jour pour jour. Il y a peut-être des gens dans la salle qui ont pris part à ces consultations communautaires. J’en faisais partie.

J’ai décidé de me pencher sur les recommandations. Comme première recommandation, on proposait de créer un poste d’agent de liaison ou d’intervenant accompagnateur communautaire afro-canadien. Nous avons entendu la même recommandation dans le cadre de la présente étude. Que s’est-il passé? Pourquoi n’a-t-on pas donné suite à cette recommandation? Avez-vous une idée? Tout ce que vous pouvez nous dire pour nous éclairer nous sera utile.

Mme Finn-Vincent : Si seulement je le savais. Je crois que c’est une question de priorité. C’est une question de sensibilisation. C’est très complexe. Lorsqu’on regarde les priorités établies dans notre système, on accorde, à juste titre, la priorité aux délinquants autochtones, aux délinquants ayant des problèmes de santé mentale et aux délinquantes. Ces populations sont considérées comme particulières. Je ne sais pas si les délinquants afro-canadiens ont été éclipsés par certaines de ces priorités. C’est possible. Si tel est le cas, je crois que la région de l’Atlantique voudra certainement souligner le besoin fondé sur le fait que cette situation perdure.

Encore une fois, cela attise réellement la frustration. Des gens très dynamiques en 1998 ont formulé toutes ces excellentes recommandations, et nous voilà quelques années plus tard, et rien n’a changé. Comme vous l’avez dit, nous avons entendu ces recommandations concernant des agents de liaison, des programmes adaptés aux diverses cultures, ce genre de choses. Cela ne fait que créer un manque de confiance manifeste à l’égard du système. J’aimerais avoir une meilleure réponse. Je crois que c’est de cela qu’il s’agit.

J’ai parlé du portefeuille ethnoculturel auparavant et du fait que des délinquants sont laissés pour compte, ou que les Noirs, à titre de groupe distinct, sont laissés pour compte. C’est une possibilité également. Je crois qu’il y a du racisme systémique et institutionnel dans notre système. C’est un aspect dont nous devrons nous occuper. C’est un enjeu qui concerne tout le monde. Ce n’est pas une question de Noirs. C’est une question humaine. Je crois que c’est le message à retenir pour tout le monde. Cela se passe dans notre région, et nous devons régler la situation.

La présidente : Merci.

Madame Williams et madame Finn-Vincent, merci à vous deux d’avoir témoigné ce soir.

Nous allons maintenant passer à notre séance de discussion ouverte. S’il y a des membres de l’audience qui sont ici depuis 18 heures et qui veulent témoigner pour le compte rendu, je vous demanderais de vous avancer et de prendre les sièges vides autour de la table.

Je sais qu’il se fait tard. Les gens sont encore présents, ce qui est fantastique. Il y a trois personnes qui veulent prendre la parole. Nous vous demanderons de décliner votre identité pour le compte rendu lorsque vous prendrez la parole. Si nous vous donnons à chacun cinq minutes, cela vous convient-il?

Nous allons commencer avec Treena Smith.

Treena Smith, à titre personnel : Je m’appelle Treena Smith. J’ai du vécu. Je fais des allers-retours dans un établissement carcéral provincial depuis 15 ans en raison de mon alcoolisme. Pendant mon enfance, j’étais pupille sous tutelle judiciaire.

J’aimerais vraiment parler des gens aux prises avec des dépendances qui se présentent en cour et qui sont placés sous probation, et du genre de conditions qu’imposent les tribunaux aux gens ayant des problèmes de toxicomanie. On leur interdit de boire, de consommer des drogues ou de l’alcool. Manifestement, les gens aux prises avec ces dépendances continuent de consommer, on leur impose donc quatre ou cinq ordonnances de probation différentes. Chaque fois que vous enfreignez les trois conditions pour chaque ordonnance — il y en a quatre : ne pas troubler l’ordre public, avoir un bon comportement et ne pas consommer d’alcool ou de drogue —, on parle de 12 manquements là seulement. Puis, vous êtes incarcéré à cause de vos manquements. Ensuite, on vous ajoute deux années de probation de plus. Vous allez en prison, vous sortez et vous avez deux années de probation.

L’un des autres points que j’aimerais également soulever concerne les secteurs de la ville où se situent les maisons de transition. Ceux à Halifax et à Dartmouth sont habituellement dans des secteurs connus pour l’alcool et la drogue. Dans mon cas, ces secteurs ne sont pas bien situés pour les femmes.

Je crois qu’il faudrait se pencher sur la durée de la probation pour des conditions imposées à des toxicomanes.

La présidente : Cela est très utile. Seriez-vous prête à répondre à des questions des sénatrices?

Mme Smith : Oui.

La sénatrice Pate : Je crois comprendre que vous et certaines des femmes avec qui vous avez travaillé ou avez été incarcérée travaillez sur des idées de mesures qui permettraient d’éviter aux femmes de retourner en établissement. Pas seulement au sujet des manquements, mais d’autres aspects. Seriez-vous à l’aise de nous faire part de certaines de vos idées et de nous dire quels sont les besoins des femmes selon vous?

Mme Smith : Nous avons commencé à travailler sur un documentaire qui s’appelle Conviction avec certaines femmes incarcérées depuis environ deux ans et demi. Essentiellement, nous parlons de ce que la société peut faire pour nous aider à ne pas retourner en établissement. Nous travaillons sur un documentaire qui sera présenté l’année prochaine et qui découle de certaines de nos histoires personnelles et ce genre de choses, d’une manière plus créative, plus artistique. Puis, cela nous a en quelque sorte donné envie d’essayer d’ouvrir une maison de transition au pays, peut-être, de faire travailler les femmes sur la terre et de créer des emplois de sorte qu’elles n’aient pas à sortir et à se tourner vers l’aide sociale et qu’elles puissent recevoir un chèque de paie, retrouver leur indépendance et leur estime personnelle. Ce fut un honneur de travailler avec elles.

J’ai aussi travaillé avec la Société Elizabeth Fry. Les personnes qui s’y trouvent sont absolument fantastiques et certaines d’entre elles sont les plus solidaires que j’ai personnellement rencontrées, à l’intérieur et à l’extérieur. C’est la plus longue période que j’ai passée à l’extérieur en quatre ans environ, donc je me porte bien.

Aussi, en tant que toxicomane, j’ai tenté de demander de l’aide. Je ne suis pas une consommatrice quotidienne, je suis ce qu’on appelle une consommatrice excessive. Il y a environ un mois, j’ai essayé de suivre une cure de désintoxication. J’y suis allée pour une période d’une semaine et j’ai essayé, encore et encore, de suivre le programme de désintoxication. Essentiellement, on m’a dit que, si je ne traînais pas dehors à essayer de me tuer tous les jours, ma situation n’était pas aussi prioritaire que celle d’autres personnes.

Puis je me suis tournée vers les services de toxicomanie. Ils me disent qu’ils peuvent me garder plusieurs fois consécutives. Ils décident lorsque vous allez mieux ou que vous êtes capable d’être un membre productif de la société.

Lorsque j’essayais de me faire admettre dans un centre de désintoxication, je me disais : « Tu sais quoi? Je vais aller en prison et suivre un programme de désintoxication de cette manière. » C’est une façon malheureuse de voir les choses.

La première fois que je suis allée en prison, j’étais morte de peur, mais j’y suis à l’aise maintenant. Je suis autant à l’aise à l’intérieur qu’à l’extérieur de la prison. C’est un cheminement difficile. Je vois nombre de femmes merveilleuses ayant du potentiel et une chance de réussir qui essaient de demander de l’aide; il y a tellement de gens. Il y en a de plus en plus. Il y a des listes d’attente et des évaluations réalisées par une personne qui doit déterminer ce dont vous avez besoin, mais vous ne pouvez pas le dire vous-même. Quelqu’un d’autre doit le faire à votre place.

Je crois qu’une maison de transition serait utile.

Nous envisageons également d’embaucher des travailleurs de soutien par les pairs qui ont une expérience vécue. Je crois que vous avez dit plus tôt des gens qui ont le même vécu. Je sais que pour moi, personnellement, je vais me confier davantage et me sentir beaucoup mieux si je parle à une personne qui a parcouru le même chemin que moi. Je ne dis pas que les professionnels ne sont pas formés et ne peuvent pas être utiles, mais je pense que le fait d’avoir une personne qui est dans la même situation rassurerait les gens.

La présidente : C’est très utile. Merci.

Nous allons passer à un autre témoin. Pourriez-vous vous nommer, s’il vous plaît?

Bernadette Hamilton-Reid, à titre personnel : Bonsoir, mesdames les sénatrices. Je suis Bernadette Hamilton-Reid, collectivité de Beechville, et je suis heureuse d’être ici. Je rends hommage à mes ancêtres du continent africain.

J’aimerais d’abord commencer par la raison d’être de la séance du Sénat qui est d’écouter ce que la collectivité de même que les distingués intervenants ont à dire. Quels sont les résultats auxquels s’attend la collectivité ou quelles sont ses attentes relativement à ce processus? Je me pose les questions suivantes : qu’est-ce que le processus peut faire progresser? Est-ce que ce sont les recommandations qui entraîneront des changements?

La présidente : Certainement, oui. Cela fait partie d’une étude nationale. On a commencé l’étude l’an passé. Lorsque le rapport sera déposé au Sénat, il sera ensuite rendu public. Nous avons certainement entendu nombre de recommandations et nous nous assurerons que l’information soit transmise dans chaque collectivité où nous nous sommes rendus.

Madame Hamilton-Reid : Merci. Cela dit, les distingués intervenants ont soulevé nombre de problèmes ce soir, depuis 18 heures.

Le problème qui me frappe le plus en tant que Néo-Écossaise d’origine africaine, dont la famille est ici depuis sept générations, est celui de l’emploi. Nombre d’intervenants ont parlé du manque de Néo-Écossais d’origine africaine et d’Autochtones qui ont été embauchés dans le système carcéral. Mme Finn-Vincent vient juste de parler du fait que 11,4 p. 100 de la population noire est incarcérée, mais nous ne représentons pourtant que 1 p. 100 de la population. Je crois que c’est quelque chose qu’on doit examiner sérieusement.

Il ne s’agit pas seulement de postes de gardien, par exemple. Comme quelqu’un d’autre l’a dit, il s’agit de la direction, là où on élabore les politiques et où on peut apporter des changements, et nombre de nos dirigeants doivent en faire partie. Également, pour ce qui est de certains des travailleurs de première ligne, comme cette jeune femme vient de le dire, il est préférable de parler à une personne qui vous ressemble et qui vous comprend.

Mme Finn-Vincent a parlé d’examiner les choses sous l’angle de la culture. Vous ne devriez pas avoir à être formé pour cela; vous êtes né avec la capacité d’analyser les choses sous cet angle, vous réfléchirez toujours de cette manière lorsque vous penserez à vos détenus. Des gens le comprennent, d’autres non, et d’autres ne veulent pas le comprendre. Il importe d’avoir beaucoup de travailleurs qui représentent la population carcérale. Je ne sais pas comment on peut y arriver par l’intermédiaire de l’emploi. On a publié nombre de rapports, comme celui de Ray Ivany, qui montre dans quels secteurs on doit procéder à l’embauche de personnel à l’échelon fédéral pour s’assurer que toutes les populations sont représentées.

La juge Williams, du Tribunal de la santé mentale, a entendu la cause de beaucoup de personnes que je connais. Ce tribunal a sauvé des vies, et je pense que c’est quelque chose qui doit vraiment être renforcé et davantage encouragé. Je sais que la juge Williams espère que, un jour, on n’en aura plus besoin. Comme nous l’avons vu dans le rapport Sapphire de 1998, il y a des mesures dans le domaine de l’éducation, le rapport Black de 1994. Il y a depuis des années des rapports dont les recommandations ne sont pas suivies. C’est la raison pour laquelle on a encore besoin de ces ressources. Je ne crois pas que, un jour, nous n’aurons plus besoin du Tribunal de la santé mentale. Il y a des besoins en matière d’éducation. Les Néo-Écossais d’origine africaine et les Autochtones n’ont tout simplement pas l’appui de la population, particulièrement lorsque la majorité de la population n’est pas en mesure d’examiner les choses sous l’angle de la culture, alors il reste beaucoup à faire. J’espère que, de notre vivant, nous verrons ce changement.

J’ai beaucoup de membres de la famille et de parents dans des maisons de transition. Cela me touche parce que nombre de nos maisons de transition urbaines sont situées à des endroits où les délinquants sont facilement tentés de récidiver. Nous devons vraiment examiner l’endroit où on établit ces maisons de transition. Peut-être que certaines collectivités rurales n’en veulent pas. Nous devons penser aux personnes dont nous tentons de favoriser la réhabilitation et au processus qu’elles doivent suivre. Si elles peuvent facilement avoir accès à de la drogue, à de l’alcool et aux choses en raison desquelles elles se sont retrouvées d’abord en prison, alors quelle est leur motivation pour s’en éloigner?

Également, les couvre-feux et les règles de certaines de ces maisons de transition sont très souples. Les personnes quittent la maison à 6 heures et peuvent revenir à minuit. Parfois, à 16 heures, elles doivent revenir pour réserver leur lit, mais elles peuvent demeurer à l’extérieur jusqu’à minuit. Qui les surveille? Il n’y a pas vraiment de formation. Aucun travail n’est réalisé dans ces maisons de transition afin de favoriser la réhabilitation de ces jeunes personnes et de leur offrir des services. Je crois que nous devons examiner nos maisons de transition et les services qui sont offerts. Convaincre ces personnes de quitter la rue est une bonne chose, mais nous devons être en mesure de favoriser leur réhabilitation, de les aider à acquérir des compétences de vie et de leur offrir des cours qui peuvent vraiment les aider.

Encore une fois, ce sont des ressources qui se trouvent à l’extérieur du système. Lorsque ces personnes sortent de la maison de transition, elles se retrouvent dans la rue sans aucune ressource. Certaines ne savent même pas comment obtenir un permis de conduire. Elles ne peuvent pas obtenir un numéro d’assurance sociale. Eh bien, bonne chance pour trouver un emploi.

Nous avons tellement d’organisations qui pourraient être mandatées pour embaucher de jeunes délinquants ou du moins avoir le pouvoir de le faire. Nombre d’organisations dans les villes partout au pays dépendent de l’argent du gouvernement pour survivre. Afin de recevoir cet argent, elles devraient être disposées à ce qu’une partie de leur personnel soit de jeunes délinquants ou des délinquants qui ne peuvent pas être réadaptés, qui ne peuvent pas autrement trouver un emploi. Elles devraient avoir en place un programme dans le cadre duquel l’agent de libération conditionnelle ou une autre personne surveille le délinquant. Il devrait y avoir une équipe de pairs prête à aider le délinquant avec sa réinsertion sociale.

Cela doit commencer par un employeur qui possède la volonté nécessaire et dont la culture de l’organisation lui permet d’être à l’aise de travailler avec un délinquant. Ce dernier ne devrait pas avoir à s’identifier en tant que tel. On devrait seulement l’accueillir dans l’organisation afin qu’il puisse y travailler. Je crois que nous devons vraiment examiner cet aspect.

Je suis une fervente chrétienne baptiste. Je sais qu’il y a beaucoup de pastorales en milieu carcéral. Ma mère fait partie d’une d’elles. Lorsqu’elle va… Bien sûr, elle ne peut pas dire à qui elle rend visite; elle revient et nous raconte les histoires de jeunes hommes et de jeunes femmes qui pleurent parce qu’ils ont fait quelque chose d’anodin, pourtant ils ont écopé d’une peine qui ne reflète vraiment pas leur crime. Je crois que des crimes dont certaines personnes de notre peuple sont accusées — et lorsque je dis « notre peuple », je veux dire les Néo-Écossais d’origine africaine parce que c’est ma culture — ne reflètent pas la peine dont elles ont écopé. À mon avis, vous devez vraiment examiner cela parce que des études montrent que des Néo-Écossais d’origine autre qu’africaine peuvent commettre un vol et écoper d’une peine de cinq jours. Un Néo-Écossais d’origine africaine peut commettre un vol et écoper d’une peine de cinq ans. Un nombre vraiment disproportionné de personnes sont incarcérées pour les mauvaises raisons, et la peine qu’elles purgent n’est pas proportionnelle à leur crime. Elles ressentent une amertume lorsqu’elles sont en prison et qu’elles entendent ce genre de choses. Elles disent : « Je connais une personne qui a commis un crime pire que le mien et qui est sortie avant moi. Pourquoi suis-je encore ici? » Nous devons vraiment examiner la raison pour laquelle ces personnes sont incarcérées, la façon dont elles sont incarcérées et ce qui se produit lorsque le jugement est erroné.

Souvent, nos Néo-Écossais d’origine africaine n’ont pas les moyens de retenir les services des meilleurs avocats qui peuvent les aider à s’en sortir, comme le font les autres populations. Cela fait également partie du problème. Comment pouvons-nous assurer une justice et un service équitables pour nos jeunes et pour les autres personnes qui n’en ont peut-être pas les moyens?

Est-ce que mes cinq minutes sont écoulées? J’en ai encore beaucoup à dire, mais merci beaucoup de votre temps.

La présidente : Merci.

Y a-t-il des sénatrices qui ont une question pour Bernadette?

Merci de l’information que vous nous avez transmise.

Ifo Ikede, à titre personnel : Bonjour, je m’appelle Ifo Ikede. Je viens d’Izoko, sur la côte Ouest de l’Afrique, dans le delta du Niger. Je suis maintenant au Canada depuis 28 ans.

J’aimerais aborder quelques sujets dont on n’a pas parlé. Le premier est la façon dont le système de justice touche les immigrants, particulièrement les immigrants de descendance africaine. Parfois, des problèmes surviennent lorsqu’on n’explique pas à une personne dès son arrivée que des pratiques culturelles légales dans son pays d’origine ne le sont pas au Canada. Souvent, les gens enfreignent la loi non pas parce qu’ils essaient en réalité de violer des règles, mais parce qu’ils essaient seulement de vivre leur vie.

Nous avons des enfants qui ont été enlevés, ou retirés de leur famille, parce que les parents ne savaient pas qu’ils devaient les inscrire à l’école ou utilisaient une méthode de discipline différente de ce qui est « accepté » ici. Je crois qu’on ne fait pas assez preuve de clémence à cet égard. Lorsqu’on vous enlève un enfant et qu’on le soumet au système, alors on a des cas comme celui qui vient de se produire avec Abdoul Abdi et ceux qui continuent de se produire pour d’autres personnes comme lui… non seulement ces personnes vivent la perte de liens familiaux, mais le système leur cause également un préjudice et les punit ensuite en raison de ce qu’il a lui-même créé. À mon avis, nous devons être conscients de cela.

Également, dans cette société, on tient souvent pour acquis que les Africains et les Noirs sont violents. Lorsque nous avons des démêlés avec le système pénal et le système de justice, nous sommes souvent « coupables jusqu’à preuve du contraire ». Il est très rare que nous soyons considérés comme innocents, peu importe ce qui se dégage des éléments de preuve.

On a également besoin de compétence culturelle, non pas seulement en ayant un autre Néo-Écossais noir, parce que le fait qu’une personne soit noire ne signifie pas nécessairement qu’elle comprendra mon origine culturelle. Il existe de multiples cultures en Afrique, alors il est également important de s’assurer que, si une personne travaille avec une autre parce qu’elle connaît les pratiques culturelles de cette dernière, il ne faut pas qu’elle finisse par créer involontairement une injustice.

Si on parle de réhabilitation, il est important d’examiner la façon dont fonctionnent les compagnies d’assurances, particulièrement dans le secteur des organismes sans but lucratif parce que, souvent, des gens veulent peut-être faire du bénévolat dans la collectivité. Les assurances d’un certain nombre de conseils d’administration d’organismes sans but lucratif précisent que les personnes ne doivent pas avoir un casier judiciaire. Je sais qu’on exerce actuellement un peu de pressions pour qu’ils effectuent des vérifications du casier judiciaire de tout le monde, mais il n’est pas nécessaire que le casier judiciaire ait un effet dissuasif.

Il ne s’agissait que de certaines observations dont je voulais vous faire part et j’aimerais avoir votre opinion.

La présidente : Vous avez utilisé moins de cinq minutes. Merci beaucoup.

Y a-t-il d’autres sénatrices qui ont une question pour Ifo?

La sénatrice Pate : Je n’ai pas de question, mais merci d’avoir soulevé la question des casiers judiciaires. Des personnes sont venues témoigner devant le comité et ont parlé de l’importance d’être en mesure de se débarrasser des casiers judiciaires pour toutes sortes de raisons, comme faire du bénévolat à la récréation de l’école de leur enfant. Vous l’avez également souligné. Y a-t-il autre chose à ce sujet? La question touche l’emploi, l’éducation, votre capacité d’interagir avec vos enfants.

Je vous remercie également d’avoir soulevé la situation à laquelle Abdoul Abdi fait face et le fait qu’il n’a pas de citoyenneté parce qu’il a été élevé dans cadre du système de protection de l’enfance. C’est vraiment la responsabilité des autorités de protection de l’enfance qui se sont occupées de lui. Le fait qu’il est maintenant frappé d’une mesure d’expulsion pour cette raison est une question importante que notre comité n’a pas examinée jusqu’à maintenant. Merci d’avoir soulevé cette question.

M. Ikede : Merci beaucoup d’avoir posé cette question. Cela m’a rappelé quelque chose que j’ai oublié.

Ce que j’aimerais voir, c’est qu’il soit illégal de demander la vérification du casier judiciaire lorsque ce dernier n’a aucune incidence sur le travail ou le poste. Par exemple, si vous posez votre candidature à un emploi de premier échelon dans la plupart des établissements de restauration rapide, une des questions porte sur la présence d’un casier judiciaire. Nous avons un système correctionnel où les gens purgent leur peine, mais une fois qu’ils l’ont purgée, ils ne devraient pas être punis davantage parce qu’ils ont un casier judiciaire.

J’ai la chance de savoir comment gérer une entreprise et faire de l’argent légalement. Je suis un arnaqueur, mais j’arnaque légalement. Je suis chanceux d’avoir des compétences que j’ai acquises dans mon pays parce que je ne suis pas qualifié pour faire beaucoup de choses. En outre, j’ai été arrêté chez moi lorsque j’ai appelé la police pour signaler un incident en cours. J’étais la seule personne noire sur les lieux, alors on a supposé que j’étais à l’origine du problème. J’ai maintenant un casier judiciaire.

Je suis travailleur autonome, et cela me donne certains avantages, mais nous avons un système qui ne tient pas vraiment compte du fait que les Noirs et les Autochtones sont souvent criminalisés pour des choses qui ne sont même pas de leur faute. Dans ce système, on dit seulement « D’accord, vous avez maintenant un casier judiciaire. Vous ne pouvez présenter de demande nulle part », sans aucun contexte et sans savoir ce qui s’est vraiment passé.

Dans mon cas, j’étais chez moi, quelqu’un me menaçait et j’ai appelé la police. Alors, si on me menace maintenant, qu’est-ce que je fais? Je ne suis pas convaincu que la police va venir et me défendre en réalité parce qu’elle m’a arrêté dans ma propre maison.

La présidente : Alors que nous croyions avoir entendu toutes les histoires d’horreur, nous en entendons une autre.

Nous avons passé une soirée marathon. J’aimerais remercier de nouveau tous les témoins. J’aimerais vous remercier tous trois d’être venus témoigner. Merci d’avoir eu le courage d’utiliser votre propre voix ici ce soir.

Nous avons entendu nombre de choses ce soir. On a beaucoup parlé de problèmes touchant la santé mentale et l’incapacité dont on ne parle pas. Nous avons abordé les prisonniers qui vieillissent avec des problèmes de santé et de santé mentale; le rapport déposé en 1998 sur les délinquants noirs, qui contient des recommandations qui n’ont jamais été mises en œuvre et qui sont encore pertinentes aujourd’hui; l’immigration; l’intersection de différents systèmes, comme la protection de l’enfance; le corridor entre l’école et le pénitencier; et la race et le racisme contre les Noirs et son effet non seulement sur les délinquants, mais également sur les personnes qui les aident, leurs défenseurs, les membres de leur famille et également le personnel noir. Vous nous avez dit beaucoup de choses ce soir.

Croyez-moi et faites-moi confiance lorsque je dis que nous prendrons le tout en délibéré à mesure que nous poursuivons notre étude et la recherche des faits cette semaine dans la région de l’Atlantique. Vos voix seront avec nous, tout comme les histoires que nous avons entendues ce soir. Cela fera partie de notre conscience alors que nous poursuivons notre étude.

Je vous remercie de votre intérêt. On m’a dit qu’il s’agissait probablement de la plus grande audience publique que le comité sénatorial n’ait jamais tenue. C’est grâce à vous. Merci d’être ici et merci au Black Cultural Centre de nous avoir accueillis ce soir et de nous avoir fourni un endroit dans la collectivité que nous pouvions utiliser à cette fin.

Je vais maintenant lever la séance. Merci.

Mme Hamilton-Reid : Madame la sénatrice Bernard, avant que vous ne leviez la séance, puis-je seulement dire au nom de notre collectivité, au nom des membres présents, que nous sommes profondément fiers du fait que vous soyez au Sénat et que vous puissiez nous aider relativement à nos problèmes. Nous savons que vous allez poursuivre la lutte.

L’Association of Black Social Workers, dont je sais que vous êtes un membre fondateur, dispose de beaucoup de ressources et peut fournir de l’aide dans ce processus parce que vous avez aidé à former nombre de ses membres et qu’ils sont prêts à faire le travail. Le Sénat doit savoir cela. Je sais que vous ne pouvez pas claironner votre gloire tout le temps, mais nous le ferons pour vous et nous lui dirons tout le bon travail que vous avez réalisé et que nous l’apprécions vraiment.

Nous devons féliciter notre consœur, El Jones, pour tout ce qu’elle fait dans la collectivité en risquant sa vie pour nombre de délinquants. Merci.

La présidente : Je portais en réalité un bonnet, ne pensez-vous pas que ce serait bien si je le portais dans les prisons cette semaine? Je vais voir ce qu’on va en dire.

(La séance est levée.)

Haut de page