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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 29 - Témoignages du 23 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 23 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-240, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains), se réunit aujourd’hui, à 11 h 31, pour examiner le projet de loi.

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, mesdames les sénatrices. Je voudrais demander à toutes les sénatrices de se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Cordy : Je m’appelle Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse et vice-présidente du comité.

La sénatrice Hartling : Je m’appelle Nancy Hartling, sénatrice du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Ataullahjan : Sénatrice Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La présidente : Vous assumez deux rôles aujourd’hui.

La sénatrice Ataullahjan : En effet.

La présidente : Je m’appelle Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse et présidente du comité.

Avant d’entamer notre étude du projet de loi S-240, nous devons examiner un budget. La demande d’autorisation de budget spécial concerne notre étude sur les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

Cette étude comprend deux activités prévues à l’automne : un voyage en Saskatchewan et au Manitoba, et un autre en Écosse et en Norvège. Je vous accorderai un instant pour lire ces budgets.

Avez-vous des questions à ce sujet?

La sénatrice Pate : Effectuons-nous un voyage distinct en Colombie-Britannique?

La présidente : Le budget de ce voyage a déjà été approuvé.

La sénatrice Pate : Nous parlons bien du voyage prévu en août.

La présidente : Oui.

La sénatrice Pate : Pardonnez-moi; je propose d’accepter le budget.

La présidente : La sénatrice Pate propose d’accepter le budget avec l’appui de la sénatrice Ataullajan.

Des voix : D’accord.

La présidente : Permettez-moi donc de vous demander si la demande de budget spécial pour notre étude sur les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2019 est approuvée en vue de la présenter au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Des voix : Oui.

La présidente : D’accord.

Chères collègues, nous entamons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-240, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains).

Je voudrais profiter de l’occasion pour encourager les sénatrices à consulter le bureau du légiste parlementaire si elles prévoient proposer des amendements au projet de loi.

Nous sommes enchantées de recevoir aujourd’hui notre premier groupe, qui est composé de l’honorable sénatrice Salma Ataullahjan, marraine du projet de loi; de l’honorable David Kilgour, de l’International Coalition to End Transplant Abuse in China; et, enfin, de M. David Matas, avocat, qui témoigne à titre personnel.

Sénatrice Ataullahjan, nous vous accordons la parole en premier, après quoi nous entendrons MM. Kilgour et Matas.

L’honorable Salma Ataullahjan, marraine du projet de loi : Bonjour, sénatrices. Je suis ravie de témoigner devant le comité aujourd’hui à titre de marraine du projet de loi S-240, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains).

Depuis que la transplantation d’organes humains est devenue un traitement viable pour les patients victimes de la défaillance d’un organe au stade terminal, la demande en organes à l’échelle mondiale a fait en sorte que l’attente à l’égard des organes provenant de donneurs est de plus en plus longue dans bien des régions du monde.

Cette demande a provoqué une pénurie d’organes et a poussé certains pays à établir des systèmes pour accroître l’offre, principalement grâce à des programmes de dons de personnes décédées. Ces programmes n’ont malheureusement pas suffi pour combler l’écart entre l’offre et la demande.

Par conséquent, le trafic d’organes humains est devenu un problème d’envergure mondiale, notamment dans le sous-continent indien, l’Asie du Sud-Est, l’Europe de l’Est, l’Amérique latine, l’Afrique du Nord et d’autres régions où une crise économique et l’instabilité sociale et politique créent souvent des occasions pour les trafiquants.

Le droit international interdit la traite des personnes afin d’en prélever les organes dans le cadre de l’interdiction globale de la traite des personnes, dont la définition inclut l’exploitation aux fins de prélèvement d’organes.

L’Organisation mondiale de la Santé a néanmoins fait savoir en 2007 qu’on estimait qu’à l’échelle internationale, 10 p. 100 des organes transplantés provenaient du trafic d’organes et que 5 à 10 p. 100 des reins et des foies transplantés avaient été obtenus illégalement et/ou de donneurs victimes rémunérés.

Ceux qui reçoivent les organes trafiqués languissent souvent sur des listes d’attente de dons d’organes dans des pays riches et décident de se rendre à l’étranger pour obtenir, sur le marché noir, un organe prélevé sur des donneurs victimes. Ces donneurs, en grande partie aux prises avec une pauvreté abjecte, ont été trompés ou forcés par des réseaux de trafiquants afin de faire don d’un organe pour une fraction du prix que paie le receveur aux trafiquants.

Pire encore, certains donneurs victimes sont enlevés et gardés prisonniers dans le but de prélever leurs organes sans leur consentement. Nombreux sont ceux qui ne survivent pas, et les survivants ont souvent devant eux un chemin très difficile.

Dans le but de juguler ce problème croissant, plus de 100 pays ont jusqu’à maintenant adopté des lois interdisant le commerce d’organes. En outre, un certain nombre d’organismes gouvernementaux et professionnels ont mis sur pied des initiatives afin de réglementer la transplantation d’organes nationale et internationale, comme la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains.

Même si le trafic d’organes fait partie de l’infraction que constitue la traite des personnes dans le Code criminel, le projet de loi S-240 vise à modifier ce dernier afin de créer des infractions relatives au trafic d’organes et de tissus humains.

Il vise, en outre, à modifier la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés afin de faire en sorte qu’un résident permanent ou un étranger soit interdit de territoire au Canada si le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration détermine qu’il a pris part au trafic d’organes ou de tissus humains.

Initialement défini dans le Protocole de Palerme des Nations Unies, le crime de traite des personnes a depuis été universellement accepté à titre de cadre juridique international contre la traite des personnes. La Déclaration d’Istanbul stipule que toute modification d’organes va à l’encontre de l’éthique et doit être criminalisée.

L’Union européenne admet également que le commerce d’organes humains à des fins commerciales, y compris la traite des personnes afin d’en prélever les organes, est devenu un problème d’envergure mondiale.

Dans son rapport de 2015 sur le trafic d’organes humains, le Parlement européen a insisté sur le fait que les personnes, recevant des organes obtenus illégalement, doivent être tenues moralement responsables et que des mesures doivent être prises pour décourager cette pratique, notamment en tenant les receveurs criminellement responsables.

Le présent projet de loi vise, entre autres, à interdire le tourisme de transplantation. Voici ce que la GRC a indiqué à ce sujet :

Il n’existe au Canada aucune loi interdisant aux Canadiens de participer au tourisme de transplantation et de se rendre à l’étranger pour acheter des organes aux fins de transplantation avant de revenir au pays.

Qui plus est, dans sa publication sur le don d’organes, le Canadian Bioethics Companion, un manuel en ligne destiné aux éthiciens et aux travailleurs du domaine des soins de santé canadiens, indique ce qui suit :

Le Code criminel ne fait pas précisément référence à la vente d’organes. [...] En vertu du droit canadien, il n’est pas strictement illégal de voyager à l’étranger pour recevoir un organe, même si le Canada s’est joint à la plupart des pays du monde pour condamner la vente d’organes et le tourisme de transplantation.

En 2013, sept personnes soupçonnées d’exploiter un réseau de trafic d’organes au Kosovo, prélevant des reins de pauvres donneurs victimes attirés par des promesses financières, ont été citées à procès. En 2008 et 2009, ce réseau a trafiqué au moins 24 reins prélevés sur 48 donneurs victimes et transplantés sur autant de receveurs, dont un citoyen canadien.

Après le procès, le procureur canadien participant à la mission État de droit de l’Union européenne au Kosovo a déclaré que le gouvernement du Canada doit adopter une loi interdisant aux Canadiens d’acheter des organes humains à l’étranger.

Distinguées sénatrices, le trafic d’organes est une pratique qui cible les pauvres et les gens vulnérables, et constitue une violation des principes d’équité, de justice et de respect de la dignité humaine. Je demande donc au comité d’appuyer l’adoption du projet de loi S-240 et son renvoi en troisième lecture.

L’honorable David Kilgour, International Coalition to end Transplant Abuse in China : Madame la présidente, distinguées sénatrices, permettez-moi de dire que je suis d’accord avec chaque parole que nous venons d’entendre. David Matas et moi avons probablement parlé dans 50 pays au sujet du terrible problème avec lequel la sénatrice a conclu son exposé. Pour nous, il est fort embarrassant que le Canada n’ait pas adopté le genre de projet de loi dont vous êtes saisies aujourd’hui alors qu’un certain nombre de pays, comme le Chili, la Norvège, l’Espagne et Taïwan, ont édicté une loi.

J’ai un exposé à faire. Comme je ne dispose que de cinq minutes, peut-être pourrais-je en paraphraser une partie. Je pense qu’il y a des copies de mon document si vous voulez obtenir plus de détails.

Sachez que M. Matas et moi avons écrit un livre en 2009. Si vous voulez en obtenir un exemplaire, quelqu’un a eu la gentillesse d’en apporter, je suppose. Puis-je faire circuler le livre ou dois-je en remettre un exemplaire à tout le monde?

La présidente : Nous nous occuperons de cela après.

M. Kilgour : On raconte tout le temps le cas tragique d’une mère qui vend son rein pour que son enfant puisse aller au collège. Parmi les 196 pays que compte actuellement le monde, il n’y en a qu’un seul où le gouvernement est à la tête du trafic. Il n’y a pas de survivants en Chine. Dans ce pays, tous les donneurs se font essentiellement dépouiller de tous leurs organes et leur corps est brûlé.

Il importe de faire la distinction entre ce qui se passe dans les ruelles de certaines villes et les pratiques qui ont cours en République populaire de Chine. Vous n’avez même pas besoin de nommer la Chine dans votre projet de loi. Je ne pense pas que la loi de Taïwan le fasse. Si vous interdisez aux citoyens canadiens d’acheter des organes trafiqués, vous ne faites référence qu’à un seul pays, et espérons qu’aucun autre pays n’agira de la même manière. Vous n’avez même pas besoin de mentionner la Chine.

David Matas parlera du projet de loi. Dans mon document, je traite brièvement du projet de loi de Taïwan, qui est probablement le meilleur. Vous pourriez regarder certains points dans mon document. À la page 2, j’indique que vous pourriez apporter des amendements favorables au besoin, sans vous attarder aux broutilles. Je suis absolument enchanté d’entendre que l’autre chambre est représentée par le parrain d’un projet de loi semblable.

Je vais essentiellement manquer de temps. On nous a demandé d’étudier, à titre bénévole, les preuves de ce qui se passait en Chine en 2006. Nous disposons de 18 types de preuves de trafic d’organes humains. Ayant été procureur pendant 10 ans, je sais reconnaître une preuve.

Je donne deux exemples dans le document, mais nous en énumérons 18 dans le livre, si vous en avez besoin de plus. Ethan Gutmann, qui est nommé dans le document, vit en Grande-Bretagne. Il a passé sept ans à écrire un livre intitulé The Slaughter, dans lequel il explique comment il en est arrivé à l’évaluation optimale voulant que les organes de 65 000 adeptes du Falun Gong et de 2 000 à 4 000 Ouïgours, Tibétains et chrétiens aient été prélevés de 2000 à 2008.

David Matas et moi ne nous sommes intéressés qu’au cas des adeptes du Falun Gong. Nous avons apporté une mise à jour des données d’Ethan Gutmann en 2016, examinant les dossiers de milliers d’hôpitaux chinois et étudiant notamment les registres infirmiers. Nous avons 2 400 notes de bas de page. Nous savons qu’au moindre détail erroné, quelqu’un mettra notre crédibilité en doute. J’espère que nous avons été extrêmement attentifs en tout temps dans ce dossier.

Nous avons conclu, au milieu de 2016, qu’au moins 60 000 transplantations ont lieu annuellement en Chine, au lieu du chiffre approximatif de 10 000 avancé par le gouvernement. Si on fait le calcul, cela signifie que 150 personnes sont tuées chaque jour en Chine pour leurs organes, et personne ne survit à ces opérations.

Nous expliquons, dans une page ou deux, la raison pour laquelle nous ne sommes pas d’accord avec la Société de transplantation et l’Organisation mondiale de la Santé à ce sujet, malgré tout le respect que nous inspirent ces institutions. Nous faisons remarquer que des professionnels de la santé mentale du monde entier se sont déjà attaqués aux pratiques abusives dans le domaine de la psychiatrie en Union soviétique et ont pris des mesures énergiques à cet égard.

De nos jours, c’est aux pratiques abusives dans le domaine des transplantations en Chine que les professionnels de la transplantation sont confrontés, mais les réactions diffèrent. Nous classons ces réactions dans trois catégories, respectant certaines d’entre elles beaucoup plus que d’autres.

En conclusion, sachez que David Matas et le Dr Torsten Trey, fondateurs de Doctors Against Forced Organ Harvesting, ont publié récemment un article vers lequel mon document fournit un lien. Je ne vous étonnerai pas si je conclus mon exposé en indiquant que j’espère que vous envisagerez d’adopter un projet de loi cadrant avec celui que l’autre chambre étudie pour que nous puissions agir comme la sénatrice l’a si éloquemment expliqué lorsqu’elle a lancé la discussion. Merci.

David Matas, avocat, à titre personnel : Je tiens à vous remercier de nous avoir invités et je félicite le Sénat d’avoir fait progresser le projet de loi jusqu’à la présente étape.

En 10 ans, quatre projets de loi d’initiative parlementaire ont été déposés à la Chambre des communes, sans toutefois dépasser l’étape de la première lecture. Après 10 ans, il est plus que temps qu’une mesure législative dépasse cette étape. Les quatre projets de loi précédents ont été déposés par des libéraux et des conservateurs; la question obtient donc le soutien de tous les partis.

David Kilgour et moi avons examiné les pratiques abusives dans le domaine des transplantations en Chine en ce qui concerne les prisonniers d’opinion, principalement des personnes pratiquant un ensemble d’exercices spirituels du Falun Gong, un équivalent chinois du yoga. Le nombre de transplantations a monté en flèche peu après le début de la persécution des adeptes du Falun Gong en 1999.

L’assassinat de masse d’innocents qui ne font rien de plus que pratiquer des exercices spirituels en Chine doit sembler un mystère pour les Canadiens. Les assassins eux-mêmes font tout ce qu’ils peuvent pour camoufler les faits. Comme c’est souvent le cas en Chine, la situation s’explique par le désir de contrôle du Parti communiste. La pratique du Falun Gong, initialement encouragée, parce qu’elle était considérée comme saine, est devenue si populaire que le parti a craint pour sa suprématie idéologique. La pratique a donc été réprimée, puis diabolisée au point où les adeptes tués pour leurs organes ne sont pas considérés comme des personnes. Si l’apostasie, même obtenue au moyen de la torture, est la bienvenue, l’éradication par voie d’extraction des organes est aussi parfaitement acceptable.

La capacité du Canada d’intervenir quant aux droits de la personne en Chine est limitée. Nous avons toutefois entièrement le pouvoir d’éviter de nous rendre complices des crimes qui y sont commis. Dans cette optique, le présent projet de loi constitue un effort heureux.

Si David Kilgour et moi en sommes arrivés à la conclusion que nous avons tirée au sujet de l’assassinat de masse de prisonniers d’opinion, adeptes du Falun Gong pour leurs organes, c’est qu’il n’existe pas de loi ou de règle éthique contre l’abus de transplantations transfrontières, que ce soit en Chine ou ailleurs. En tuant des adeptes du Falun Gong pour leurs organes, on a perpétré un crime sans délier les cordons de sa bourse, tout en récoltant des milliards de dollars.

Le présent projet de loi constitue un pas dans la bonne direction, car il permet d’imposer un coût pour ce crime. Une fois qu’il aura été adopté, les auteurs sauront qu’ils peuvent être poursuivis au Canada et y être interdits de séjour.

Le projet de loi a une portée mondiale, mais il s’applique particulièrement à la Chine parce que l’industrie de la transplantation y est dirigée par l’État. Partout ailleurs, comme David Kilgour l’a expliqué, il est clair pour les participants qu’il existe un marché noir des organes.

En Chine, même si le marché noir des organes s’expose à des sanctions officielles, il est facile pour ceux qui œuvrent dans des segments de l’industrie de fermer les yeux sur l’abus généralisé. En prévoyant des poursuites et des interdictions de séjour au Canada, nous sonnerons la fin de la récréation. Nous ferons savoir aux acteurs que nous savons ce qu’ils font et qu’ils devraient le savoir.

Je serais heureux si le Sénat et le Parlement adoptaient le projet de loi, même dans sa forme actuelle, mais j’aimerais formuler une suggestion. Les quatre projets de loi de la Chambre avaient une portée beaucoup plus grande que le projet de loi du Sénat. Plus précisément, les projets de la loi de la Chambre contenaient des exigences en matière de listes et de signalement que ce projet de loi n’a pas.

L’exigence en matière de listes, c’est-à-dire l’établissement d’une liste de personnes qui mènent des pratiques abusives en matière de greffe d’organes et de conséquences pour ces personnes, n’est peut-être plus nécessaire, en raison de l’adoption récente par le Parlement d’une loi du type de celle de Magnitsky. Cette loi pourrait et devrait être utilisée pour établir une liste des personnes qui participent aux pratiques abusives en matière de greffe d’organes.

J’aimerais faire valoir que les dispositions sur le signalement que contenait le projet de loi de la Chambre des communes valent la peine d’être examinées dans ce cas-ci. Actuellement, on ne demande même pas aux professionnels de la santé de signaler volontairement le tourisme de la greffe d’organes aux représentants du gouvernement. David Kilgour et moi recevons constamment des questions sur le tourisme de greffe d’organes en Chine de la part du Canada et d’autres pays.

Nous avons quelques renseignements, mais ils sont surtout anecdotiques. Par exemple, en 2014, un article a été écrit au sujet d’un médecin, Jeff Zaltzman, de l’Hôpital St. Michael’s de Toronto. Ce médecin avait eu 50 patients, dans le même hôpital, qui étaient allés en Chine. Étant donné qu’on ne recueille pas de renseignements statistiques publics sur ce phénomène, nous n’en connaissons pas la portée, ici ou ailleurs.

Ces renseignements ne devraient pas être difficiles à obtenir. Tous ceux qui obtiennent une greffe d’organe à l’étranger doivent recevoir des soins une fois revenus au pays. Les professionnels de la santé connaissent le tourisme de greffe d’organes, car les touristes de la greffe d’organes sont leurs patients. Ils n’en parlent tout simplement pas.

Il est peut-être déraisonnable de s’attendre à ce que les médecins divulguent ce qu’ils savent au sujet de leurs patients en raison des obligations liées à la confidentialité de la relation entre un médecin et son patient. C’est la raison pour laquelle le signalement obligatoire est nécessaire.

Sans examiner le cas de chaque province, j’aimerais souligner que l’Ontario a la Loi sur la déclaration obligatoire des blessures par balle, le Manitoba a la Loi sur la déclaration obligatoire des blessures par balle et par arme blanche, l’Ontario et la Colombie-Britannique exigent le signalement de cas soupçonnés de maltraitance ou de négligence d’enfants et au Manitoba, on est tenu de signaler un enfant qui a besoin de protection.

Dans ces cas, la valeur de la protection contre la violence infligée par une arme et une arme blanche et celle de la protection contre la négligence ou les mauvais traitements infligés aux enfants l’emportent sur la valeur de la confidentialité entre un professionnel de la santé et son patient.

Le même principe devrait s’appliquer aux cas de pratiques abusives en matière de greffe d’organes. Toutefois, à ceux qui ont une opinion différente sur le sujet, je dirais que nous devrions au moins être en mesure de recueillir des données globales sur le tourisme de greffe d’organes. Sans données globales, nous ne pourrons pas nous faire une idée précise de la portée du problème auquel nous faisons face.

Les pratiques abusives en matière de greffe d’organes se déroulent en secret. Les personnes qui participent à ce type d’activité fournissent aussi peu d’information que possible. Habituellement, elles ferment volontairement les yeux sur la situation. Attirer l’attention sur ces pratiques abusives représente une façon importante de contribuer à leur élimination.

Je reconnais que l’abus de greffe d’organes est un problème mondial, mais nous avons un problème particulier avec la Chine, car c’est uniquement dans ce pays que l’abus de greffe d’organes est une industrie de l’État dirigée contre ses ennemis politiques. La Chine nie, cache et masque les faits et elle génère des statistiques trompeuses. Pour contrer les statistiques dont se sert le Parti communiste dans sa propagande, il nous faut des chiffres réels.

Sans le signalement obligatoire, nous sommes pris dans un cercle vicieux. Nous prenons peu de mesures contre le problème, car nous ne connaissons pas son ampleur. Nous ne connaissons pas l’ampleur du problème, car nous prenons peu de mesures contre le problème.

Des professionnels ont parlé de mettre sur pied des systèmes de signalement volontaire, et je les encourage à le faire. Toutefois, le fait que même ces systèmes de signalement volontaire proposés ne soient pas en œuvre actuellement indique qu’il est nécessaire de mettre en œuvre des systèmes de signalement obligatoire. Sans signalement obligatoire, le marché noir des organes continuera de fonctionner dans la noirceur totale.

La sénatrice Cordy : J’aimerais remercier tous les témoins. J’aimerais particulièrement remercier la sénatrice Ataullahjan d’avoir soulevé cet enjeu encore une fois au Parlement.

Lorsque je pense au nombre de fois que cet enjeu a été soulevé à la Chambre des communes par les libéraux et les conservateurs, mais sans résultat, je crois qu’il faut nous demander à quel moment nous allons prendre position et faire quelque chose.

Puisqu’il s’agit d’un problème mondial, parfois, au Canada, nous croyons que cela ne nous concerne pas. Toutefois, lorsque je pense aux 50 patients d’un médecin de Toronto qui sont allés en Chine pour recevoir des greffes, cela me semble vraiment bouleversant.

Lorsque j’examine les parties du projet de loi qui parlent de prendre sans obtenir un consentement éclairé, je dois me demander quelle est la définition de consentement éclairé. Monsieur Kilgour, vous avez donné l’exemple d’une mère qui vend son rein pour que son enfant puisse fréquenter l’université ou des parents qui vendent un de leurs organes pour que leurs enfants puissent manger. Lorsqu’on parle de dons d’organes, le consentement éclairé existe-t-il?

La sénatrice Ataullahjan : J’aimerais faire un bref commentaire. L’Encyclopedia of American Law définit le consentement éclairé de la façon suivante :

Donner son assentiment à une procédure, par exemple une opération chirurgicale, qui est fondée sur une divulgation complète des faits nécessaires pour prendre une décision éclairée, telle que la connaissance des risques encourus ou des solutions de remplacement.

Je pourrais vous donner une autre définition légale, mais, lorsqu’il s’agit du consentement éclairé, un patient donne essentiellement son accord pour recevoir un traitement médical ou un sujet accepte de participer à une expérience médicale après avoir bien compris ce que cela implique, surtout en ce qui concerne les risques.

Je demanderais maintenant à M. Kilgour de prendre la parole.

M. Kilgour : On ne semble pas bien comprendre ce qui se produit. Si le sénateur Ngo a besoin d’un nouveau foie — et je l’ai choisi parce qu’il est l’un des seuls hommes présents, cela n’a rien de drôle — , il paie une énorme somme à un intermédiaire, par exemple 100 000 $ ou 150 000 $. Nous avons publié les tableaux. Les prix montent et descendent, mais c’est beaucoup d’argent.

Par l’entremise d’un intermédiaire, il prend l’avion pour se rendre au People’s Number One Hospital de Shanghai, où il se fait admettre comme patient. On lui prend des échantillons de sang et de tissus. Ensuite, le personnel utilise ses fichiers informatiques pour le jumeler à une personne qui se trouve dans l’un des 350 camps de travail. Ce sont les meilleurs renseignements que nous avons pu obtenir.

En passant, il suffit de la signature d’un policier pour envoyer des gens dans ces camps. Là-bas, ils travaillent 16 heures par jour pour fabriquer des produits de consommation pour l’Occident. Des gens qui vivent dans ces camps nous ont dit qu’ils fabriquaient des jouets pour McDonald et qu’ils servaient de sous-traitants pour fabriquer des décorations de Noël pour des entreprises internationales.

Le pauvre homme dans le camp, qui est jumelé avec lui est sorti du dortoir, en compagnie de 16 autres personnes, et on lui donne du potassium. Nous pouvons nous demander si cela tue la personne ou la met en état de choc ou l’assomme, mais ensuite, son foie est transporté dans une fourgonnette blanche et envoyé à Shanghai dans un avion de l’Armée de libération du peuple. Il obtient donc son nouveau foie et revient à Ottawa. On lui a probablement dit qu’il l’avait obtenu d’un criminel condamné.

Les gens ne veulent pas recevoir d’organes de criminels condamnés. Ils veulent les obtenir de membres du Falun Gong, car ces gens ne fument pas et ne boivent pas et ils ont tendance à être en santé. Dans nos preuves, nous avons des appels téléphoniques de gens qui prétendent être des membres du Falun Gong et qui téléphonent à ces institutions pour leur demander s’ils ont des organes de membres du Falun Gong à leur offrir. Nous avons appris que dans 15 institutions, on leur avait répondu qu’on avait des organes de membres du Falun Gong à leur offrir.

C’est la façon hideuse dont fonctionne ce système inhumain.

M. Matas : Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter que votre question a une grande portée, mais j’aimerais me concentrer sur la Chine. Comment savons-nous qu’on obtient le consentement éclairé en Chine? La position officielle de la Chine, c’est que tout le monde a donné son consentement depuis le début.

Même lorsqu’ils n’avaient pas de système de donneurs, les Chinois disaient que tous les organes provenaient de donneurs. Ensuite, ils ont dit que tous les organes provenaient de prisonniers, et ils ont dit qu’il s’agissait de prisonniers condamnés à mort qui avaient tous accepté de donner leurs organes en expiation de leurs crimes. Maintenant, l’explication officielle de la Chine, c’est que tous les organes proviennent de donneurs. Comment savons-nous qu’on obtient un consentement éclairé des donneurs?

De façon réaliste, il y a trois différentes façons d’obtenir des organes de donneurs. La première façon, c’est de donneurs vivants, la deuxième, de donneurs décédés, et la troisième façon, c’est ce que fait la Chine, c’est-à-dire tuer des gens pour extraire leurs organes.

Lorsque des gens sont tués pour leurs organes, il n’est jamais question de consentement éclairé. Même si c’est censé être un prisonnier condamné à mort qui a signé une déclaration selon laquelle il donne ses organes, ce n’est pas un consentement éclairé. Les donneurs décédés, quant à eux, doivent avoir donné leur consentement lorsqu’ils étaient en vie. On a ainsi pu vérifier avec eux si leur consentement était valide.

Certains pays insistent également sur le fait que dans le cas des donneurs décédés, les membres de la famille peuvent donner leur consentement. Dans le cas des donneurs vivants, il y a le problème de l’exploitation. Il est également mauvais pour la santé de perdre un organe, même si vous survivez. Dans l’ensemble, il n’est pas conseillé de faire un don d’organe pendant que vous êtes en vie.

Il faut donc se demander comment nous savons qu’il y a consentement éclairé lors de dons d’organes de personnes décédées en Chine. Selon moi, la seule façon de déterminer cela, c’est par l’entremise d’une enquête externe indépendante. En effet, on ne peut manifestement pas faire confiance à ce que dit le parti, mais c’est la seule source d’information officielle. Si nous voulons obtenir un consentement éclairé en Chine, il faudra que des intervenants de l’extérieur soient en mesure de parler aux donneurs décédés avant leur décès, afin de vérifier s’ils ont vraiment donné leur consentement.

La sénatrice Ataullahjan : Comme la plupart de nos projets de loi — sinon tous —, ce projet de loi a été rédigé par le Bureau du légiste et conseiller parlementaire. Si les avocats de cet organisme avaient jugé que le consentement éclairé devrait être défini dans le projet de loi, je suis convaincue qu’ils l’auraient fait. Les mots « consentement éclairé » ont été utilisés dans le projet de loi C-14 sur l’aide médicale à mourir, si vous vous souvenez, et ils n’ont pas été définis.

La sénatrice Cordy : Monsieur Matas et monsieur Kilgour, vous avez fait un travail exceptionnel sur la question du prélèvement d’organes, surtout en Chine, et je vous en remercie beaucoup. Pourtant, je ne suis pas certaine qu’un grand nombre de personnes vous écoutent.

L’un d’entre vous a souligné que c’était peut-être parce que vous utilisiez des preuves anecdotiques et que le signalement obligatoire serait très utile. Dans ce cas-là, vous pourriez dire que 50 patients d’un médecin de Toronto sont allés en Chine pour obtenir des organes. Un médecin devrait savoir, au retour de ses patients, si ces derniers sont revenus avec de nouveaux organes.

Cela serait-il utile?

M. Kilgour : M. Matas se souviendra que nous sommes allés dans trois hôpitaux en 2009 : un à Vancouver, un à Calgary et un à Toronto. Nous avons réussi à apprendre, dans ces trois hôpitaux, qu’environ 100 Canadiens étaient allés en Chine pour obtenir des organes. N’oublions pas qu’il y a de nombreux autres hôpitaux.

M. Matas pourrait peut-être parler de l’article qui vient d’être publié en Corée du Sud. Avez-vous apporté l’article en question?

M. Matas : Il est sur mon ordinateur portable.

M. Kilgour : Cet article donne le nombre de personnes, les endroits où elles se rendent pour leurs organes et leur pays d’origine. La seule chose que je n’ai pas pu déterminer à l’aide des tableaux fournis, c’est l’année pendant laquelle ces données ont été recueillies.

Avez-vous des commentaires à formuler à cet égard?

M. Matas : Le signalement obligatoire nous aiderait certainement. Comme vous le dites, ce n’est pas un enjeu aussi connu qu’il devrait l’être et c’est en partie parce que la Chine nie manifestement tout.

Le signalement n’est pas exigé dans les pays où se déroule le tourisme de greffe d’organes, et il s’agit donc seulement de renseignements anecdotiques. Les renseignements anecdotiques sont intéressants, utiles et importants pour les données numériques, mais ils sont également utiles pour décrire la situation, car l’un des renseignements anecdotiques que nous avons concerne Jeffrey Zaltzman qui, en 2014, a dit ceci :

L’un de mes patients a reçu une greffe de rein. Elle n’a pas fonctionné, et quelques jours plus tard, il a reçu un autre rein, ce qui ne se produirait pas ailleurs dans le monde, et ce qui signifie que des gens sont tués pour leurs organes.

Nous avons entendu une histoire comme celle-là d’Israël, où un patient qui avait besoin d’une greffe de cœur l’a réservé deux mois à l’avance. David Kilgour a mené une entrevue auprès d’un patient de Taïwan qui avait reçu huit différentes greffes de rein.

Lorsqu’on commence à recueillir ces renseignements, on obtient un grand nombre de renseignements très révélateurs. Toutefois, en l’absence d’une certaine forme de signalement obligatoire, nous empêchons des renseignements très troublants d’être divulgués.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie beaucoup d’être ici, et je vous remercie, sénatrice Ataullahjan, de parrainer ce projet de loi.

Il semble qu’on discute de cet enjeu depuis longtemps. Je suis nouvelle au Sénat, car je suis seulement ici depuis environ deux ans, et j’apprends de nombreuses choses intéressantes.

Vous avez dit que des médecins en parlaient à leurs patients, et j’aimerais en savoir plus sur leur éthique dans cet enjeu.

M. Kilgour : En raison du fondement sur lequel repose l’ensemble de notre système médical, nos médecins ne devraient pas dire à leurs patients d’aller en Chine. Je ne crois pas qu’ils le font. Je crois que ce sont les intermédiaires. On nous a raconté des histoires sur des individus qui errent dans les hôpitaux du Canada et qui tentent de convaincre des patients d’aller en Chine pour obtenir un organe. Ces intermédiaires ne devraient pas être autorisés à circuler dans les hôpitaux. Ils devraient être poursuivis en justice. J’espère que le projet de loi vise toutes sortes de choses.

Lorsque j’ai mentionné les 100 patients, tous les médecins de ces patients nous ont confirmé que les patients étaient revenus les voir pour recevoir des soins après leur greffe. Au mieux de ma connaissance, ces médecins ne savaient pas que leurs patients étaient allés en Chine pour recevoir un organe jusqu’à ce qu’ils reviennent de ce pays.

La sénatrice Hartling : Il faut sensibiliser les gens à cet égard. Vous n’avez rien mentionné au sujet de la côte Est.

M. Kilgour : Tout est toujours mieux sur la côte Est.

La sénatrice Hartling : Je le sais. Je voulais seulement vous l’entendre dire.

Ensuite, il faut se demander si vous avez d’autres intervenants. Je sais que vous avez fait un travail formidable et je remarque que nous avons tout un groupe de gens au fond de la salle. Vous semblez être engagés à fond à l’égard de cet enjeu, mais au Canada, avez-vous, par exemple, des gens de descendance asiatique qui s’intéressent à cet enjeu et qui contribuent à sensibiliser les gens de notre pays et ceux de la Chine?

M. Matas : Je pourrais d’abord répondre à la première question sur l’éthique avant de répondre à la deuxième question. J’ai remarqué que pendant la deuxième heure de votre réunion, vous entendrez Dr Gill, de la Société canadienne de transplantation. Les membres de cette société ont élaboré une déclaration éthique très complète et détaillée au sujet du tourisme de greffe d’organes qu’ils utilisent lorsqu’ils conseillent leurs patients, et cette déclaration éthique est la meilleure dans le monde. Ils disent que les patients devraient savoir que s’ils se rendent dans un autre pays pour obtenir une greffe d’organe, dans certains pays, des gens seront peut-être tués pour leurs organes. Je n’ai rien vu de tel ailleurs.

La question éthique qui est soulevée, tout d’abord, concerne la particularité de la Chine et, deuxièmement, la manière dont la Chine est engagée. Malheureusement, certains professionnels de la greffe d’organes, pas nécessairement au Canada, mais à l’échelle internationale, ont tendance à penser que tout ce qu’ils ont à faire, c’est de parler aux Chinois et que ces derniers changeront leur façon de fonctionner. Ils organisent donc des réunions. Ils les invitent à participer à des conférences. Ils se rendent dans leur pays. Toutefois, toutes ces initiatives réduisent la pression par les pairs qui pourrait être exercée à l’échelle mondiale pour potentiellement engendrer un changement, et ce, sans avoir de répercussions concrètes sur ces changements. Il y a un débat à cet égard au sein de la profession.

En ce qui concerne le côté externe, au début, David Kilgour et moi étions pratiquement seuls dans notre initiative. Cela fait maintenant 12 ans et, oui, il existe maintenant un groupe actif. D’ailleurs, David Kilgour représente ici un organisme appelé End Transplant Abuse in China. Ce groupe international a des chapitres dans différents pays, y compris au Canada. C’est maintenant un groupe très actif.

Il y a donc une ONG ainsi qu’un site web. Il n’y a pas que David Kilgour et moi qui sommes actifs dans ce dossier, loin de là, mais il faudrait bien évidemment que nous soyons plus nombreux.

M. Kilgour : J’aimerais bien que vous puissiez entendre Sarah Park, directrice de la Coalition d’Ottawa pour mettre fin à la traite des personnes, ce qui comprend le trafic d’organes. C’est une coalition regroupant des professionnels ottaviens de différents domaines. Je souhaiterais que nous puissions avoir des coalitions semblables dans toutes les villes.

La sénatrice Hartling : Vous pouvez me répéter son nom?

M. Kilgour : Sarah Park.

La sénatrice Ataullahjan : Si le trafic d’organes humains ne date pas d’hier en Chine, nous constatons une augmentation soudaine de ces activités en Afrique du Nord où l’on retrouve de nombreux réfugiés en fuite. Lorsque j’ai fait ma recherche, j’ai été vraiment surprise de voir certains pays se retrouver sur cette liste.

Dans un cas particulier en Afrique du Nord, on a trouvé des cadavres. Après les avoir analysés, les pathologistes ont indiqué que certains des organes avaient été prélevés alors que la personne était encore vivante. Il semblerait que l’on prélève les organes pour les expédier ensuite par avion vers des pays du Moyen-Orient, où des médecins procèdent aux greffes.

C’est une pratique de plus en répandue. Elle ne se limite plus à l’Asie. Vous n’avez qu’à regarder la liste des pays. J’ai été vraiment horrifiée de voir qu’il y en avait autant.

M. Matas : Lorsqu’on prélève un organe d’une personne encore en vie en causant ainsi sa mort pour le greffer ensuite à une autre personne, on s’expose à des complications chirurgicales et pharmacologiques différentes de celles qui se manifestent lors de la transplantation d’organes d’une personne déjà décédée ou toujours vivante.

De nombreuses recherches ont été menées en Chine quant aux moyens à prendre pour prélever les organes d’une personne vivante sans avoir à se soucier de son éventuelle survie. Les résultats de ces recherches deviennent ensuite accessibles ailleurs dans le monde pour ceux qui voudraient se livrer à ce genre d’opérations.

La sénatrice Pate : Merci, sénatrice Ataullahjan, de parrainer ce projet de loi, et merci à vous deux pour vos exposés.

Je serais curieuse de savoir dans quelle mesure le projet de loi S-240 va permettre au Canada de mieux s’acquitter de ses obligations internationales en la matière. Vous avez notamment cité le Protocole de Palerme, et j’aimerais savoir s’il y a d’autres mesures permettant de s’assurer que le Canada fait vraiment le nécessaire.

M. Matas : Depuis toutes ces années que j’observe ce phénomène, j’ai pu constater que la pression des pairs à l’étranger exerce une influence sur les spécialistes chinois des greffes. Ils veulent pouvoir étudier ailleurs dans le monde. Ils veulent participer à des conférences dans d’autres pays. Ils souhaitent que leurs travaux soient publiés dans des revues internationales. Ils veulent prendre part à des programmes d’échange. Ils ont à cœur de coopérer avec les universités canadiennes.

Si on leur disait, tout au moins à ceux qui se font complices de greffes illégales, qu’ils ne peuvent plus entrer au Canada, ils seraient incités à modifier leurs comportements parce qu’ils veulent venir dans notre pays pour des raisons professionnelles bien à eux.

C’est en partie ce qui pose problème lorsqu’on veut s’attaquer aux violations des droits de la personne en Chine. Le Parti communiste n’en a essentiellement rien à cirer. Il veut d’abord et avant tout maintenir son contrôle sur la population, plutôt que de respecter les droits de la personne. Les spécialistes des greffes ne sont pas soumis au contrôle du Parti communiste autant que peut l’être le gouvernement.

Si on leur indique qu’ils ne peuvent pas entrer au Canada ou, pire encore, qu’ils risquent d’être poursuivis s’ils viennent dans notre pays, cela ne va pas manquer de les faire réfléchir. Même si le nombre de personnes pouvant effectivement être poursuivies n’est pas très élevé, le message sera très clair pour tout le monde.

M. Kilgour : Nous n’essayons pas de nous en prendre à une personne qui se rend en Chine parce qu’elle a désespérément besoin d’un nouveau rein ou d’un nouveau foie. Certains croient que nous voulons mettre ces personnes malades derrière les barreaux. Ce n’est pas ce que nous désirons. Nous voulons seulement que ces gens sachent que quelqu’un va être tué s’ils se rendent en Chine pour obtenir un organe et qu’il s’agira sans doute d’un prisonnier d’opinion appréhendé sans motif valable. C’est ainsi que le système fonctionne.

Nos opposants font généralement valoir que nous allons ainsi contrarier le gouvernement chinois. Vous n’allez pas contrarier ce gouvernement, car vous n’avez même pas à mentionner la Chine dans votre projet de loi. Nous ne souhaitons donc pas qu’une personne gravement malade se retrouve en prison, soit mise à l’amende ou fasse l’objet de mesures semblables. Nous voulons plutôt nous en prendre aux intermédiaires, comme le fait Taïwan. Taïwan est sans merci pour ces intermédiaires et leur retire leur permis de pratique s’ils aiguillent des patients vers la Chine.

La sénatrice Ataullahjan : Comme vous l’avez indiqué, il faut que les gens sachent dans quoi ils s’embarquent lorsqu’ils se rendent à l’étranger pour une greffe d’organe. Une personne qui est très malade n’a qu’une seule idée en tête. Elle veut se rétablir. Il arrive que l’on ne se pose pas alors les bonnes questions, mais je pense que l’on devrait le faire.

M. Matas : Une entreprise pharmaceutique albertaine a voulu, à un moment donné, mettre à l’essai des médicaments antirejet en Chine. Avec un projet de loi comme celui-ci, le message serait clair.

Une entreprise canadienne faisait de la publicité sur Internet en offrant aux gens d’organiser pour eux une transplantation en Chine.

Dans ces deux cas, David Kilgour et moi avons poussé les hauts cris dans les médias, si bien que l’entreprise pharmaceutique a fait marche arrière pendant que le site de la firme offrant ses services comme intermédiaire a disparu d’Internet. Je ne sais pas si cette entreprise est encore en affaires, mais son site n’est plus sur Internet.

Les impacts de ce projet de loi ne vont pas se faire ressentir uniquement en Chine ou en Afrique du Nord. Il y a des gens au Canada qui vont aussi être touchés parce qu’ils contribuent à ce stratagème international.

La sénatrice Pate : Avez-vous des recommandations à nous faire quant aux améliorations que nous pourrions apporter à cette portion du projet de loi de telle sorte que ces intermédiaires comprennent bien qu’il nous est possible de poursuivre, par exemple, les entreprises qui contribuent à ces pratiques?

M. Matas : Comme David Kilgour l’a indiqué, il y a certains pays comme Taïwan, l’Espagne, Israël et l’Italie qui ont adopté des lois en la matière.

Les quatre projets de loi d’initiative parlementaire sont beaucoup plus étoffés et détaillés que celui-ci. Il y aurait d’autres modèles à suivre avec des lois qui traitent en partie de questions différentes comme l’établissement de listes et de rapports, mais également de la même problématique visée par ce projet de loi. Dans les projets de loi d’initiative parlementaire, il est question de négligence. On ne vise donc pas seulement l’intention criminelle. Il est bien évident que l’on pourrait améliorer le projet de loi de cette manière.

La présidente : J’ai une question supplémentaire à vous poser. Monsieur Kilgour, vous avez indiqué que la loi taïwanaise était selon vous l’exemple à suivre. Y a-t-il dans cette loi des mesures particulières que nous pourrions intégrer à notre projet de loi?

M. Kilgour : J’ai parlé de Taïwan dans la première partie de mon exposé. J’ai inclus dans mes notes un lien vers un article rédigé par une avocate taïwanaise, Theresa Chu, qui traite de ce projet de loi qui a été adopté en 2015. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que les échanges commerciaux entre Taïwan et la Chine atteignent des proportions gigantesques.

David Matas et moi nous sommes rendus à Taipei, où nous avons rencontré les gens de l’Association du Barreau. Ils ont donné leur appui il y a cinq ou six ans. Cette loi, la meilleure qui soit, a ainsi pu être adoptée grâce au soutien bipartisan obtenu dans leur yuan législatif.

Il y a peut-être certains éléments de cette loi qui ne vous plairaient pas. Ils peuvent retirer le permis de pratique à un médecin qui envoie des patients vers la Chine. Dans notre livre, M. Matas raconte l’histoire d’un patient avec un problème rénal qui s’est rendu à l’Hôpital du peuple no 1 de Shanghai avec son épouse et un médecin, le Dr Tan, en uniforme militaire. Le médecin a parcouru une liste, s’est arrêté sur un nom, a quitté les lieux et est revenu avec un flacon renfermant des reins. Pour être bref, disons que le processus s’est répété à huit reprises avant qu’il ne trouve un rein compatible. Le patient est retourné à Taïwan où nous avons pu lui parler. Il se porte bien, mais huit êtres humains sont morts avant qu’on ne lui ait trouvé un rein compatible.

C’est l’une des raisons pour lesquelles la loi taïwanaise est selon moi celle qui se démarque. Vous pourriez songer à intégrer quelques-unes des dispositions de cette loi.

M. Matas : Si la loi taïwanaise est si bonne, c’est notamment en raison de la grande précarité de la situation dans ce pays. Des patients en attente d’une greffe quittaient Taïwan en vols nolisés. Ces avions étaient remplis.

Le maire actuel de Taipei est un chirurgien transplantologue. Il n’a pas contribué à ces pratiques, mais il a été approché par des médecins chinois qui lui ont dit de leur envoyer ses patients en faisant valoir que ceux-ci pourraient se porter mieux grâce aux prisonniers du Falun Gong, des gens en santé. Il a refusé. Ethan Gutmann en parle d’ailleurs dans son ouvrage.

Des médecins taïwanais accompagnaient leurs patients en Chine pour les greffes. La loi taïwanaise s’attaque à ce problème ainsi qu’à différents abus que vous ne pourriez même pas imaginer. Il faut aussi savoir que Taïwan n’est pas un régime fédéral capable de radier des médecins impliqués dans de tels cas de greffe inappropriée. Je présume que le Parlement ne pourrait pas le faire non plus au Canada. Il faudrait que les provinces s’en chargent. Si la loi taïwanaise est aussi détaillée, c’est simplement parce que les nombreux cas répertoriés ont permis d’en apprendre beaucoup sur ce phénomène.

Le sénateur Ngo : Toutes mes questions ont déjà été posées, mais j’aimerais poursuivre dans le sens de celle de la sénatrice Cordy concernant le consentement éclairé.

Si ce projet de loi est adopté, tout Canadien qui se rendra dans n’importe quel pays à cette fin sera coupable d’une nouvelle infraction en vertu du Code criminel. Comment pouvons-nous faire en sorte que les Canadiens concernés puissent être dissuadés de le faire en sachant qu’ils seront considérés comme des criminels en vertu de cette loi?

M. Matas : À mes yeux, une personne qui se rend en Chine, ou en fait, n’importe où ailleurs dans le monde pour obtenir une greffe, devrait être convaincue hors de tout doute raisonnable que l’organe n’a pas été prélevé de façon illégale. Le fardeau de la preuve repose sur le patient, le médecin et toute personne ayant contribué à la transplantation.

On ne peut pas plaider l’ignorance ou faire valoir que quelqu’un d’autre vous a dit ceci ou cela. Vous devez faire l’effort de vous en assurer par vous-même. En toute franchise, le régime chinois est si opaque qu’il devient impossible d’être convaincu hors de tout doute raisonnable que l’organe a été obtenu de façon appropriée.

Le sénateur Ngo : Qu’en est-il des Canadiens concernés? Ils pourraient prétendre qu’ils se sont adressés à des intermédiaires en croyant que ceux-ci travaillaient en toute légitimité. Ils croient peut-être n’avoir rien à se reprocher en allant là-bas. Comment peut-on les en dissuader?

M. Kilgour : C’est le droit pénal qui pose problème. Comme vous le savez, le Parlement peut uniquement adopter des lois de nature pénale, et je présume qu’il le fait en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés en la matière. C’est la norme en matière pénale qui doit s’appliquer. Vous devez faire des efforts raisonnables pour déterminer si l’organe que l’on veut vous greffer a été prélevé sur le corps d’une personne qui a été assassinée à cette fin.

Vous pouvez également vous inspirer de ce qui a été fait avec la loi sur la prostitution et les travailleurs et travailleuses du sexe. Vous pourriez désigner comme coupables les clients, plutôt que les travailleurs. Vous pourriez établir que les seuls coupables sont les personnes qui ont fait l’aiguillage, les intermédiaires et les autres intervenants, et non l’homme ou la femme très malade qui ne devrait pas s’exposer à des sanctions criminelles pour ses actes.

En affirmant que c’est illégal, on inciterait tout au moins de nombreuses personnes à y renoncer par crainte de poursuites. Nous avons adopté une loi interdisant aux gens de se rendre dans d’autres pays pour avoir recours à des services de prostitution juvénile. Je ne crois pas que l’on ait eu gain de cause dans de nombreuses poursuites à ce sujet, mais le seul fait que la loi existe oblige les gens qui envisagent de telles activités à y penser à deux fois en raison des risques de poursuites. Je crois que de nombreux Canadiens renonceraient à aller subir une greffe à l’étranger pour cette même raison.

La sénatrice Ataullahjan : Si ce projet de loi était adopté, je crois également que les gens se renseigneraient comme il faut. Ils essaieraient de voir dans quoi ils s’embarquent exactement. Bien des gens qui craignent d’enfreindre la loi vont prendre le temps nécessaire pour évaluer la situation et examiner les options qui s’offrent à eux. En revanche, nous naviguons plutôt actuellement dans des eaux troubles en l’absence de frontières clairement définies.

M. Matas : Je vois ce que vous voulez dire. On ne peut pas se contenter d’adopter une loi en se disant que le problème est réglé. Il faut faire le nécessaire pour bien informer les gens.

Comme vous le disiez, il faut que les gens soient davantage au fait de ces considérations.

Le sénateur Ngo : Dans ce cas, est-ce que les coupables, comme ces médecins et ces intermédiaires en Chine, pourraient être sanctionnés en vertu de la Loi Magnitsky?

M. Kilgour : Comme M. Matas l’a indiqué, c’est une excellente idée. J’espère que l’on pourra ajouter des dispositions en ce sens dans ce projet de loi. Ce serait tout à fait approprié.

M. Matas : Tant d’un point de vue technique que juridique, cette loi pourrait effectivement s’appliquer à ces gens-là. Ils pourraient certainement être ajoutés à la liste.

La présidente : Sénatrice Ataullahjan, merci pour votre leadership dans ce dossier et votre participation à notre séance de ce matin.

Aux deux David, je vous dis un grand merci pour votre témoignage.

Pour notre second groupe de témoins, nous espérions avoir trois invités. Nous avons toutefois des difficultés à établir la connexion par vidéoconférence avec Mme Comrie. Nous avons tout de même deux témoins ici présents.

Nous accueillons donc M. Dominic Lamb, de la Criminal Lawyers’ Association, et le Dr Jagbir Gill, professeur agrégé de médecine à l’Université de la Colombie-Britannique.

Nous allons débuter avec M. Lamb avant de passer au Dr Gill. Nous espérons bien pouvoir rétablir la communication avec notre autre témoin d’ici la fin de ces deux exposés, de telle sorte que nous puissions entendre également ce qu’elle a à nous dire.

Dominic Lamb, spécialiste agréé en droit criminel, Edelson & Friedman LLP, Criminal Lawyers’ Association : J’espère que les observations que je compte vous présenter au nom de la Criminal Lawyers’s Association pourront vous être utiles.

J’aimerais d’abord faire référence au libellé du projet de loi modifiant le Code criminel :

240.1(1) Commet une infraction quiconque, selon le cas :

a) obtient un organe ou un tissu à des fins de greffe sur lui ou sur un tiers sachant que la personne à qui l’organe ou le tissu a été prélevé n’a pas donné un consentement éclairé au prélèvement, ou ne se souciant pas de savoir si elle a donné tel consentement;

Je veux vous entretenir brièvement de cette disposition en vous indiquant comment les criminalistes la perçoivent.

Le concept juridique du consentement éclairé est étranger au droit pénal canadien. Vous ne trouverez pas un libellé semblable dans nos lois de nature pénale. Il a été intégré au Code criminel à la faveur d’une loi très récente sur l’aide médicale à mourir. Ce concept est évoqué à seulement deux reprises dans notre Code criminel. D’après ce que j’ai pu constater et comprendre, c’est une expression que l’on voit plus fréquemment en droit commun pour des questions liées au consentement médical, à l’application des lois en matière de santé et à la protection de la vie privée.

À mon avis, le comité devrait analyser la formulation de ce projet de loi en considérant le libellé de l’article 273.1 du Code criminel qui définit la notion de consentement dans les cas d’agression sexuelle.

Je crois que la formulation de ce dernier article serait davantage conforme à notre jurisprudence actuelle en matière pénale quant à savoir ce qui constitue un consentement ou l’absence de consentement. Bien évidemment, il faut toujours déterminer dans les affaires pénales si le consentement est effectivement valide. Sinon, on parle souvent de consentement vicié. Il est établi à l’article 273.1 qu’il n’y a pas consentement du plaignant lorsque :

a) l’accord est manifesté par des paroles ou par le comportement d’un tiers;

b) il est incapable de le former;

c) l’accusé l’incite à l’activité par abus de confiance ou de pouvoir;

d) il manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à l’activité;

En considérant le libellé du projet de loi qui nous est soumis, je pense que le comité et le Parlement, bien sûr, pourraient envisager de formuler ce concept de consentement de la manière déjà prévue dans le Code criminel, plutôt que d’utiliser les termes « consentement éclairé ». Le droit pénal, qui repose sur l’obligation d’établir l’intention coupable à l’égard d’infractions criminelles, devrait pouvoir se référer au corpus législatif déjà existant.

Si je poursuis brièvement sur le même thème, je note l’utilisation des termes « ne se souciant pas » dans les alinéas 240.1(1)a) et b). On indique ainsi que quiconque « se livre ou participe au prélèvement… ou facilite pareil prélèvement » en ajoutant « ne se souciant pas de savoir si [cette personne] a donné tel consentement. »

Le Parlement devrait peut-être considérer à ce titre l’article 219 du Code criminel qui établit la norme en matière de négligence criminelle. Il faut qu’une personne ait fait montre d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Vous pourriez peut-être vous en inspirer pour modifier le libellé de ce projet de loi avant qu’il ne soit adopté.

C’est à l’article 219 ainsi qu’aux articles 220 et 221 du Code que l’on retrouve les dispositions de notre droit pénal traitant du fait de causer des lésions corporelles par négligence criminelle. Selon la définition fournie dans le Code criminel, on entend par lésion corporelle toute blessure qui nuit à la santé ou au bien-être d’une personne et qui n’est pas de nature passagère ou sans importance. J’estime approprié de s’appuyer sur cette définition pour établir la formulation de la loi. Son libellé actuel ne tient pas vraiment compte de ce qui existe déjà dans nos lois de nature pénale et dans la jurisprudence qui en découle.

Dans le contexte du droit pénal, je note également l’utilisation du terme « tissu ». Pour un criminaliste, c’est l’application très large de ce terme qui vient immédiatement à l’esprit. Il conviendrait peut-être de mieux le définir pour s’assurer que le Code criminel puisse s’appliquer. Dans l’état actuel des choses, ce terme engloberait tout ce qui existe, des gamètes jusqu’aux cellules souches en passant par le sang et les produits sanguins, pour s’étendre jusqu’aux organes principaux qui, à mon sens, devraient être la cible première de ce projet de loi. J’estime donc que le Parlement devrait songer à inclure une définition de « tissu » étant donné qu’il s’agit d’une loi pouvant mener à des poursuites criminelles.

Je veux conclure mes observations préliminaires en vous parlant des peines prévues. La peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité, soit la sanction la plus sévère dans notre droit pénal. J’ai regardé ce qui était prévu dans d’autres lois, dont la Loi sur la procréation assistée. La plupart des dispositions touchant les transactions illicites et l’utilisation illégale de tissus dans la Loi sur la procréation assistée ont pour conséquence pénale une infraction punissable par procédure sommaire donnant lieu à une peine d’incarcération maximale de cinq ans, voire de 10 ans dans le pire des cas. Il y a en quelque sorte un lien à faire avec les dispositions de ce projet de loi. Il faudrait donc selon moi que le comité, et le Parlement dans son ensemble, prennent en compte cette autre loi au moment de mettre la dernière main à cette mesure législative.

Je vais en rester là pour l’instant. Merci beaucoup.

Dr Jagbir Gill, directeur; professeur agrégé de médecine, Université de la Colombie-Britannique, néphrologue transplantologue, Hôpital St. Paul, Société canadienne de transplantation : Je suis néphrologue transplantologue à Vancouver, mais je me présente devant vous aujourd’hui au nom de la Société canadienne de transplantation, une organisation représentant les professionnels de la transplantation de tout le pays.

Je dois préciser d’entrée de jeu que nous avons été conviés à comparaître assez récemment. Étant donné le large éventail de professionnels que nous représentons, nous n’avons pas pu tous les consulter à ce sujet. Les commentaires que je vais faire aujourd’hui sont donc représentatifs de la perception du conseil d’administration de la Société canadienne de transplantation quant aux points de vue de nos membres.

Notre société professionnelle dénonce de toutes ses forces le tourisme de transplantation et le trafic d’organes humains, en ciblant tout particulièrement ceux qui rendent possible cette pratique, qu’il s’agisse d’intermédiaires ou d’autres intervenants pouvant en tirer un bénéfice. En outre, nous supportons sans réserve la Déclaration d’Istanbul, que nous avons ratifiée et qui prend position contre le trafic d’organes humains et, plus important encore, souligne la nécessité pour un pays comme le Canada de demeurer autosuffisant en matière de transplantation et de dons d’organes.

À notre avis, le moteur principal du tourisme de transplantation et du trafic d’organes chez les Canadiens est l’accès réduit à la transplantation à l’intérieur du Canada. Le fait que les patients doivent attendre de nombreuses années avant de bénéficier d’une transplantation d’organe est leur motivation principale. Selon nous, la façon la plus efficace de s’attaquer à ce problème est en prenant des mesures à l’égard de la demande. La réalité est que les gens attendent très longtemps et que les taux de dons d’organes pourraient être plus élevés qu’ils ne le sont actuellement.

Nous nous sommes également penchés sur quelques préoccupations précises que nous avons concernant le projet de loi. Bien que nous soyons évidemment pour des dispositions législatives visant à prévenir le tourisme de transplantation et le trafic d’organes, nous avons certaines inquiétudes et réserves initiales par rapport aux mesures en vertu desquelles nos patients pourraient faire l’objet de poursuites pénales. Ce dossier n’a pas été examiné publiquement à l’échelle nationale, mais des comités et des débats antérieurs montrent que la question divise certainement la collectivité.

Je le répète, nous préférerions cibler les causes sous-jacentes du problème en améliorant l’accès à la transplantation et en augmentant les dons d’organes, ce qui ferait l’unanimité parmi les membres de la collectivité et les groupes professionnels.

En outre, nous avons des préoccupations concernant le rôle des professionnels de la transplantation et l’incidence du projet de loi sur ce plan, particulièrement à quelques égards. D’abord, c’est très difficile de déceler avec exactitude les cas de tourisme de transplantation. Il n’existe pas de méthode normalisée pour déterminer si une personne s’est bel et bien déplacée en vue d’une transplantation, qui pourrait être légitime si l’organe vient d’un parent ou d’un ami habitant un autre pays, ou illégitime s’il y a eu trafic d’organes. Les professionnels de la transplantation ont des indices, mais c’est difficile pour eux de déterminer ce qui s’est réellement produit. Cela pose donc problème pour ce qui a trait à la possibilité de signaler les infractions.

Il faut aussi faire la comparaison avec d’autres infractions que les médecins sont en mesure de signaler. Prenons l’exemple des cas réels ou potentiels de violence faite aux enfants : généralement, le but est de prévenir toute violence future. Nous signalons les cas dans lesquels nous pensons qu’il pourrait y avoir de futurs actes de violence. Dans ce contexte-ci, surtout lorsque le tourisme de transplantation a déjà eu lieu, le mal est fait. Ce serait donc différent puisque nous signalerions une situation devant faire l’objet d’un examen approfondi.

Il y a quelques autres points à considérer. La définition du projet de loi concernant l’aspect financier est très générale et très vague. Pour bien comprendre le cœur et l’objectif de la mesure législative, il faudrait l’expliciter afin qu’on sache exactement de quoi il est question. Un exemple où cela pourrait poser problème, c’est que certains pays ont des régimes réglementés de paiement pour les organes, comme l’Iran. C’est probablement le seul exemple où les Canadiens d’origine iranienne peuvent se rendre en Iran pour subir une transplantation illégale en achetant des reins. C’est légal dans ce pays, et le projet de loi ne précise pas ce qui arriverait dans de telles circonstances.

Pour ce qui concerne les normes professionnelles actuelles et les mesures que nous prenons à cet égard, je vous renvoie à l’énoncé de politique de la Société canadienne de transplantation et de la Société canadienne de néphrologie sur le trafic d’organes et le tourisme de transplantation. Je ne vais pas vous présenter tous les détails, mais nous pourrons en parler durant la période de questions. Grosso modo, l’énoncé résume nos obligations juridiques et fiduciaires envers les patients qui participent au tourisme de transplantation, avant et après la transplantation. Il fournit des recommandations non prescriptives sur le processus d’évaluation précédant la transplantation, sur les renseignements que nous devrions fournir à nos patients et sur la façon de traiter, à leur retour, les patients soupçonnés d’avoir fait du tourisme de transplantation.

J’ai le temps de souligner quelques-uns des points principaux. Par rapport aux conseils donnés avant la transplantation, selon l’énoncé de politique, tous les candidats à une transplantation devraient être sensibilisés aux dangers et aux préoccupations d’ordre éthique liés au tourisme de transplantation et au trafic d’organes. Si un médecin s’oppose personnellement à cette pratique, il a le droit, voire l’obligation d’informer son patient qu’il est contre le tourisme de transplantation. Nous devons prévenir les patients que leur choix de faire du tourisme de transplantation pourrait par la suite avoir une incidence sur notre volonté de leur fournir des soins non urgents.

Les médecins ont la responsabilité d’agir dans l’intérêt supérieur des patients, mais ils n’ont pas l’obligation de mener des enquêtes ou des évaluations pour des patients qui subiront une transplantation ailleurs. C’est seulement pour les transplantations qui seront réalisées localement. Aussi, nous ne sommes pas obligés de fournir de médicaments. De fait, nous n’avons pas le droit de prescrire de médicaments si ce n’est pas nous qui dirigeons le traitement. Tous ces principes existent déjà, je crois.

Une question plus épineuse est celle de fournir les dossiers médicaux aux patients qui voudront peut-être se servir de leurs dossiers et des évaluations qui ont été faites ici lorsqu’ils iront à l’étranger. La majorité des lois stipulent que nous devons fournir les dossiers médicaux aux patients. Il existe toutefois une exception : nous pouvons refuser si nous croyons qu’un patient ou un tiers pourrait subir un préjudice. Dans l’énoncé de politique, on propose que les médecins évaluent la situation dans le centre où ils travaillent et qu’ils déterminent s’il est possible que le patient ou le donneur d’organe subisse un préjudice.

Enfin, j’aimerais vous parler brièvement des obligations que nous estimons avoir envers les patients à la suite d’une transplantation. Bien entendu, nous avons l’obligation de fournir des soins urgents à tous les patients au Canada; cela n’a pas changé. Nous sommes aussi obligés de fournir des soins non urgents, mais nous avons le droit de déléguer ces soins à un autre médecin.

Si nous nous opposons personnellement ou professionnellement à la participation d’un patient au tourisme de transplantation, nous avons le droit de prendre les mesures nécessaires pour que ce patient soit suivi par un autre médecin, pour autant que celui-ci ait les compétences requises. Nous devons prendre soin du patient jusqu’à ce qu’il soit transféré.

Je vais m’arrêter là, et nous pourrons répondre à vos questions. Merci beaucoup.

La présidente : Nous accueillons, par vidéoconférence, Mme Aimée Comrie, de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime. Veuillez présenter votre exposé, s’il vous plaît.

[Français]

Aimée Comrie, spécialiste de la prévention du crime et de la justice pénale, Section de la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime : Madame la présidente, honorables sénateurs, je voudrais remercier le Comité sénatorial permanent des droits de la personne pour cette invitation et ajouter que, en tant qu’avocate canadienne née en Saskatchewan et ayant étudié au Québec, c’est un grand honneur. Je félicite le Sénat d’étudier la question importante de savoir comment nous pourrions réduire la traite des personnes ou le prélèvement des organes, des crimes odieux qui ciblent les segments les plus vulnérables de la société.

Je possède plus de 15 ans d’expérience dans le domaine des enquêtes et des poursuites, et en recherche et développement de programmes au niveau international, spécifiquement concernant les crimes internationaux et transnationaux incluant la traite des personnes en Afrique, Asie, Europe de l’Est et ailleurs. Je travaille actuellement pour l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, l’ONUDC. L’ONUDC est le principal organisme des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes et le gardien de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles concernant la traite des personnes et le trafic illicite de migrants, que le Canada a ratifiée.

Il est important de noter que ces instruments internationaux ont atteint une quasi-universalité, 173 pays ayant ratifié le protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes à ce jour.

Je vais m’efforcer dans ma présentation de faire brièvement trois choses : premièrement, fournir un aperçu du cadre juridique et politique au niveau international; deuxièmement, signaler certains problèmes potentiels avec le projet de loi S-240 et son interface inévitable avec les engagements nationaux et internationaux du Canada en matière de lutte contre la traite des personnes; troisièmement, mettre en évidence certains outils pratiques pour appuyer le pouvoir d’enquêter et de poursuivre ces crimes.

[Traduction]

Permettez-moi d’abord de confirmer ce que vous savez peut-être instinctivement : la traite de personnes en vue du prélèvement de leurs organes est un crime par rapport auquel nous avons extrêmement peu de données fiables. Les victimes de la traite de personnes sous toutes ses formes hésitent typiquement à se manifester. Elles ne cherchent pas toujours à obtenir de l’aide et elles ne veulent pas être identifiées pour de bonnes raisons : elles sont parfois menacées par les trafiquants ou encore elles peuvent être en situation irrégulière dans un pays étranger. C’est d’autant plus vrai dans le cas de la traite à des fins de prélèvement d’organes. L’Assemblée générale donne mandat à l’ONUDC de produire un rapport mondial bisannuel sur la traite de personnes. Des cas de traite de personnes en vue du prélèvement de leurs organes nous ont été signalés. Nous comprenons qu’il s’agit d’une petite fraction du total des cas signalés de traite de personnes et que c’est certainement la pointe de l’iceberg pour ce qui touche ce type d’exploitation.

Néanmoins, je peux vous parler de plusieurs tendances importantes. D’abord, aucune région ou aucun pays n’est à l’abri de cette forme de traite de personnes. Les réseaux de prélèvement d’organes sont hautement organisés et ils sont transnationaux. Leur motivation est les grands profits qu’ils réalisent. Les hommes, les femmes et les enfants en déplacement sont particulièrement exposés à la traite de personnes, que ce soit des demandeurs d’asile fuyant les conflits ou des migrants en quête de meilleures perspectives d’avenir.

Les réseaux de crime organisé le savent et choisissent leurs cibles en fonction de leurs vulnérabilités. Ils ciblent les Autochtones et groupes minoritaires, les femmes et les enfants, les groupes marginalisés ou exclus socialement, et, surtout, ceux et celles qui éprouvent de graves difficultés économiques. La victime type, si je puis m’exprimer ainsi, a un accès limité à la justice, n’a pas accès à des soins de santé réguliers, n’a pas un emploi régulier, est souvent illettrée ou a un niveau de scolarité peu élevé, toutes des raisons qui expliquent pourquoi le concept de l’obtention du consentement informé est si problématique.

En outre, la plupart des victimes de la traite des personnes consentent à ou acceptent d’être exploitées. Cela vous surprend peut-être. Si vous faites une recherche Google sur la traite des personnes, vous verrez certainement des images de chaînes et de menottes; mais, la triste réalité, c’est que la plupart des victimes acceptent de suivre leurs exploiteurs. Elles se laissent tromper par de fausses promesses ou elles sont soumises à des contraintes psychologiques ou économiques.

Cela soulève une question complexe en ce qui a trait au consentement informé pour le prélèvement d’organes. J’ai rencontré des victimes en Asie du Sud qui ont, semble-t-il, consenti au prélèvement d’un de leurs organes. Dans le cadre législatif sur la traite des personnes, le consentement est sans importance. La loi très rigoureuse qu’a adoptée le Canada en matière de traite des personnes et le cadre législatif international précisent très clairement que le fait de consentir à sa propre exploitation, sous forme de traite des personnes, ne constitue pas une défense pour le crime. On ne peut consentir à sa propre exploitation.

Le problème, c’est que les trafiquants n’ont pas uniquement recours à l’enlèvement ou à la force; ils utilisent aussi des moyens subtils. Comment les forces de l’ordre au Canada peuvent-elles vraiment évaluer si le consentement était effectivement informé, puisque les victimes semblent consentir elles-mêmes à leur propre exploitation?

Concernant mon deuxième point, je dirais que l’ébauche du projet de loi soulève quelques problèmes. Comme je l’ai souligné en ce qui a trait au consentement informé, ce projet de loi tente de cibler le trafic d’organes qui, au Canada, constitue une infraction distincte créée par la loi, et la traite des personnes à des fins de prélèvement d’organes qui existe déjà dans la législation. Peu importe, la législation proposée pour le trafic d’organes s’appliquera inévitablement aux situations de traite des personnes à des fins de prélèvement d’organes. Au Canada, la traite des personnes à des fins d’exploitation est définie à l’article 279 du Code criminel et inclut des moyens subtils utilisés, comme faire craindre les victimes pour leur sécurité et les tromper ou les contraindre. Si ce projet de loi cherche à cibler le trafic d’organes, il devrait à tout le moins faire référence au libellé important que l’on retrouve dans la législation canadienne sur la traite des personnes en ce qui a trait au consentement.

De plus, la façon d’évaluer la responsabilité criminelle des acheteurs d’organes et des greffés est un dossier très complexe. Je peux vous dire que les Nations Unies n’offrent aucune orientation claire à ce sujet. Certains pays ont approché la question d’un angle différent. Dans l’affaire Medicus, au Kosovo, affaire à laquelle un groupe de témoins précédent a fait référence, le témoin-vedette de la poursuite était celui qui avait acheté l’organe. Il s’agit d’un Canadien. Il est clair que sa coopération a été essentielle à la réussite du litige. Ce qui est moins clair, c’est si la criminalisation de la responsabilité risque d’avoir un impact sur la collaboration potentielle des gens concernés dans le cadre d’une enquête.

Peu importe la forme de trafic ou du crime organisé, les Nations Unies encouragent fortement les pays à s’attaquer aux groupes du crime organisé plutôt qu’aux criminels au bas de l’échelle qui sont, dans ce cas-ci, des gens désespérés dont le nom figure sur une liste d’attente. Je tiens à vous souligner un risque important. Un des principaux modus operandi des trafiquants, c’est de recruter d’anciennes victimes et de les contraindre à se joindre au réseau criminel. Ces personnes s’exposent ainsi à des poursuites. De nombreuses agences des Nations Unies et instruments internationaux ont établi des principes rigoureux en matière de droits de la personne, dont ceux de la non-criminalisation des victimes et de l’absence de sanctions contre celles-ci. Les victimes ne devraient pas faire l’objet de poursuites pour un crime qu’elles ont été forcées de commettre parce qu’elles se font exploiter. J’ai de la difficulté à voir comment cette mesure législative pourrait s’appliquer dans cette situation.

Ma suggestion serait d’examiner d’autres dispositions possibles. Par exemple, dans le cas des greffés potentiels, on pourrait leur demander de préparer une déclaration dans laquelle ils confirment qu’ils n’ont obtenu aucune considération valable ou aucun profit de l’achat de l’organe dans un autre pays.

Je vais terminer en parlant de mon dernier point, soit que les éléments clés dans ce dossier sont le partenariat et la coopération, deux éléments qui constituent actuellement un défi, soyons honnêtes. Habituellement, les professionnels de la santé ne parlent pas aux forces de l’ordre et ne travaillent pas avec des ONG. Il s’agit habituellement de groupes de professionnels distincts qui ne partagent pas d’information et qui ne coopèrent pas. Le Canada a vraiment besoin de partenariats et de coopération pour être en mesure d’intenter des poursuites pour ce crime en dehors de son territoire.

J’aimerais parler de quelques outils pratiques que nous avons développés. Nous avons une trousse d’évaluation importante qui permet aux pays d’évaluer l’état de la modernité du système de justice pénale d’un autre pays. Nous avons des outils intéressants en matière d’enquêtes financières et sur les délits informatiques qui pourraient également s’avérer pertinents, étant donné les profits élevés dans ce domaine. Nous travaillons également à un nouvel outil d’enquête de réalité virtuelle qui permettrait à un agent de police d’examiner une scène de crime potentielle de façon virtuelle et d’identifier les preuves pertinentes.

Je vais m’arrêter ici. Je serais heureuse de répondre à vos questions. Merci.

La sénatrice Ataullahjan : Je tiens à remercier tous les témoins pour leurs exposés. Vous dites qu’il y a certains problèmes avec ce projet de loi, mais depuis plus de 12 ans, nous entendons également l’opinion des conservateurs et libéraux, qu’ils forment le gouvernement ou qu’ils soient dans l’opposition. Tous les gouvernements ont tenté d’adopter une loi sur cette question, mais rien ne se concrétise. Quelles sont les solutions de rechange? Devrait-on maintenir le statu quo?

Docteur Gill, vous dites que si un patient obtient une greffe, le mal est déjà fait. Je ne parle pas de cibler particulièrement les patients, mais ne devrions-nous pas adopter des lignes directrices pour ceux qui cherchent une greffe d’organe? S’ils prennent le temps de réfléchir avant de contacter des courtiers, d’aller à l’étranger ou d’enfreindre la loi, ne s’agirait-il pas d’une forme de dissuasion?

Vous soulevez tous de bons points, mais, à mon avis, il s’agit d’un point de départ. Nous semblons incapables d’adopter une loi sur le sujet. Dans le cadre de mes recherches, la GRC m’a dit qu’il n’existait aucune loi au Canada pour interdire aux Canadiens de participer au tourisme de transplantation. Selon vous, n’est-ce pas un bon début, comparativement au statu quo?

Dr Gill : J’aurais quelques commentaires à formuler sur le sujet. Il est clair qu’il faut déterminer la meilleure façon de dissuader cette pratique. Je suis d’accord avec vous. Nous souhaitons que cette pratique cesse. Il n’est pas tout à fait déraisonnable d’adopter une loi qui criminaliserait cette activité, mais nous devons adopter des mesures de protection pour nous assurer que les patients sont informés de l’existence de la loi. C’est ce qui m’inquiète le plus.

La prestation des services de transplantation au pays varie beaucoup. De nombreux médecins, qui bien souvent ne sont pas des transplantologues, travaillent avec les patients. Vancouver est l’une des villes où cela est plus fréquent. À mon avis, l’ampleur de la situation a beaucoup diminué au cours des sept dernières années. Nous avons examiné tous nos dossiers de transplantation entre 2000 et 2007 et avons identifié près de 100 patients, ce qui représente environ 10 p. 100 de toutes les transplantations que nous faisions à l’époque. C’est considérable.

Depuis, la Déclaration d’Istanbul a été adoptée. Beaucoup d’efforts ont été déployés à l’échelle mondiale pour tenter de dissuader cette pratique. En fait, l’énoncé de politique que nous avons proposé nous oblige, en tant que transplantologues, à éduquer nos patients sur les risques. Il faut leur souligner que la procédure comporte des risques pour eux. Les risques de complications qui découlent d’une infection sont plus élevés. Les résultats sont inférieurs lorsque les patients se tournent vers l’étranger et, à mon avis, c’est l’une des principales raisons pour lesquelles la situation s’est améliorée.

J’ai deux préoccupations pragmatiques sur l’adoption d’une mesure législative visant à criminaliser cette pratique. La première, c’est que le processus de déclaration actuel n’est déjà pas adéquat. C’est quelque chose que nous tentons de mettre en place. Or, si on se retrouve avec une mesure législative qui instaure une crainte d’être accusé chez les patients, il faut revoir la structure de déclaration. Si les conséquences sont très graves, particulièrement en raison des sanctions décrites dans le projet de loi, cela aura l’effet inhérent d’inciter les gens à ne pas faire de déclaration.

L’autre préoccupation, si nous décidons d’informer les patients avant la transplantation, est de veiller à ce que tous les médecins qui auront affaire au patient à chacune des étapes soient au courant. Dans notre étude pour 2000 et 2007, nous avons constaté qu’environ le tiers des patients de Vancouver qui ont fait du tourisme de transplantation n’avaient même pas fait l’objet d’une évaluation dans le cadre du programme de transplantation. Il s’agit d’un groupe distinct de médecins qu’il faut intégrer au processus.

Ce sont là mes préoccupations pragmatiques. Fondamentalement, je ne suis pas contre une mesure dissuasive, une prise de position visant à décourager cette pratique. J’y suis certainement favorable. L’enjeu est simplement de trouver une façon d’éviter les conséquences inattendues.

La sénatrice Ataullahjan : Votre préoccupation est liée au risque pour les receveurs, mais qu’en est-il des donneurs victimes? Qui les défend?

Dr Gill : Je pense que cette pratique comporte des risques importants tant pour les donneurs que pour les receveurs. Soulignons aussi que les receveurs sont inconscients des risques auxquels ils s’exposent. Comme je l’ai indiqué, les patients qui ont recours à cette pratique ne s’en sortent pas aussi bien. Certes, ils ont obtenu une transplantation, mais cela s’accompagne souvent de graves complications.

J’estime que si nous criminalisons cette pratique, il faudra informer les patients des lois existantes. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté à cet égard, à tous les niveaux. La différence et la difficulté, dans de tels cas, c’est qu’on a habituellement affaire à des gens désespérés qui prennent une très mauvaise décision. Ce qui m’inquiète, c’est que la plupart du temps, ce n’est pas une décision éclairée.

Honnêtement, je les considère aussi comme des victimes et je pense que cela se reflète dans notre prise de position.

La sénatrice Ataullahjan : C’est l’une des préoccupations que j’ai soulevées dans une partie de ma déclaration. On pourrait dire que les gens désespérés ont recours à des mesures désespérées. Nous devrons faire une campagne d’information si cette mesure législative est adoptée, qu’elle soit modifiée ou non.

La sénatrice Cordy : Je tiens à remercier les trois témoins. Les témoignages que nous avons entendus à ce sujet ce matin ont été riches en enseignements. Je pense qu’on décrit très bien les gens qui veulent obtenir des organes lorsqu’on parle de « personnes désespérées ». Ces gens sont mourants, malheureusement. Il y a aussi, dans bien des cas, ceux qui sont désespérés pour des raisons financières, ou encore les victimes, les personnes qui se font tuer pour leurs organes, comme des témoins précédents l’ont indiqué.

On a notamment souligné que nous avons des renseignements anecdotiques, mais aucune statistique. À l’exception des personnes qui sont à la recherche d’un organe, des médecins spécialisés en transplantations ou du personnel hospitalier, je ne pense pas que les Canadiens ont une idée de la prévalence de cette pratique. Plus tôt, nous avons entendu qu’un médecin de Toronto avait à lui seul conseillé à 50 personnes de voyager en Chine pour une transplantation. Nous connaissons donc l’origine de ces organes.

Que peut-on faire? On a proposé la déclaration obligatoire, mais vous semblez penser que cela ne fonctionnerait pas en raison du tort que cela pourrait causer aux receveurs. À mon avis, personne ne souhaite que des gens reçoivent une longue peine d’emprisonnement pour avoir fait quelque chose dont ils avaient désespérément besoin.

Comment peut-on établir l’équilibre? Comment pouvons-nous obtenir les données sans placer les gens dans une situation où ils voudront garder le silence à tout prix?

Dr Gill : Je suis convaincu que la déclaration obligatoire permettrait d’obtenir des données. Nous en avons besoin. Ma préoccupation, dans le contexte d’une loi pénale, c’est l’incertitude que cela entraînerait pour la déclaration obligatoire et la résistance accrue des groupes de médecins.

Toutefois, la déclaration obligatoire est une première étape essentielle pour déterminer l’ampleur du problème. En soi, la loi énonce et crée une série de mesures rendant la sensibilisation obligatoire. Nous devons obtenir ces informations. À titre d’exemple, les registres existants comportent des mécanismes de mise en œuvre de la déclaration obligatoire, du moins de façon générale, concernant les transplantations qui ont eu lieu à l’extérieur du pays. Cela peut même être obtenu de façon contraignante. Je suis d’accord avec cela. Je pense que ce serait important.

La sénatrice Cordy : Monsieur Lamb, vous avez parlé des définitions et, plus tôt, j’ai posé des questions sur le consentement éclairé. Proposez-vous que le projet de loi comporte un article définissant le consentement éclairé et les actes de négligence? Je souligne que certains projets de loi ont un article sur les définitions.

M. Lamb : Oui. D’après mon interprétation du libellé, ce sera intégré au Code criminel. L’article 240.1 sera simplement ajouté au Code criminel, qui comporte sa propre section de définitions, à l’article 2.

Sur le plan pénal, le principe du consentement éclairé sous-entend que la personne n’est pas au fait des conséquences. C’est ce que je comprends, en termes simples. Je m’en remettrais probablement au Dr Gill. C’est un aspect très important pour les médecins.

Dans le cas d’un acte criminel qui est commis, une personne ne peut donner son consentement si elle a été dupée, si elle est inconsciente ou si elle est victime d’une fraude. J’ai évidemment proposé d’examiner les définitions explicites de la notion de consentement dans le contexte d’une agression sexuelle, à l’article 273.1. Il fut un temps — jusque dans les années 1980 — où la définition de consentement dans le Code criminel n’était pas très robuste. Elle a été modifiée pour élargir la notion de consentement invalide, selon les circonstances dans lesquelles l’activité sexuelle a eu lieu. Par exemple, s’il est établi lors d’une poursuite pénale que la personne était en situation de confiance ou d’autorité, le consentement est vicié.

Il me semble que la notion de consentement éclairé n’existe pas dans notre jurisprudence. Lorsqu’on examine la jurisprudence en matière pénale, on constate que cette notion n’est pas abordée de façon exhaustive. On l’aborde simplement d’un angle différent dans le Code criminel. Examiner les dispositions existantes du Code criminel pourrait être utile. Il s’agirait peut-être de simplement modifier le libellé et de remplacer « consentement éclairé » par « consentement ». Si le consentement est obtenu à la suite d’un acte criminel ou frauduleux, ou par une personne en position d’autorité ou de pouvoir par rapport à une autre personne, alors ce consentement est invalide.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins. Les témoins précédents ont indiqué que les lois taïwanaises sont un modèle exemplaire. J’aimerais savoir ce que chacun d’entre vous en pense.

Madame Comrie, par rapport à votre travail et à vos observations sur la trousse d’outils, que pensez-vous de la mesure législative que nous proposons au Canada? Comment pourrions-nous améliorer le projet de loi?

Vous voudrez peut-être faire un commentaire sur le point suivant. Un autre projet de loi est en préparation; nous n’en avons pas encore été saisis. Il porte sur le problème des transactions financières problématiques liées à la traite des personnes ou au trafic d’organes. C’est aussi un problème émergent par rapport à la maternité de substitution. J’aimerais avoir votre avis sur l’incidence que cela pourrait aussi avoir sur ces enjeux.

Mme Comrie : J’avoue qu’il me faudrait plus de temps pour étudier les lois taïwanaises en détail. Je ne les connais pas vraiment.

Pour revenir au projet de loi, j’accueille favorablement cette mesure. Je pense que cet enjeu n’est pas seulement important pour les Nations Unies; on observe un consensus de plus en plus grand à cet égard dans la communauté internationale. Soulignons aussi que l’Assemblée générale a adopté une résolution à ce sujet à l’automne 2017. En outre, le Vatican a tenu divers sommets auxquels ont participé les dirigeants de divers groupes confessionnels et de groupes de la société civile.

On constate une convergence d’intérêts à l’égard de la lutte contre ce crime grave et odieux. Je salue et j’appuie cette initiative. Je considère toutefois que le cadre législatif actuel du Canada en matière de traite des personnes comporte des incohérences, et ce, tant pour les aspects nationaux qu’internationaux. On peut dire que toutes les situations décrites jusqu’à maintenant aujourd’hui peuvent être couvertes par les lois actuelles sur la traite des personnes à des fins de prélèvement d’organes. Je parle tant des lois nationales que des dispositions internationales. L’un des aspects les plus intéressants du projet de loi, c’est l’accent qui est mis sur les transactions financières, un aspect qui serait très utile lors de poursuites. Nous voudrons certainement examiner cela de façon plus approfondie.

Je souscris aux réserves exprimées par M. Lamb concernant le libellé relatif au consentement éclairé, étant donné que cette notion n’est pas définie dans le Code criminel, comme il l’a indiqué. Je dirais que toute référence à la notion de consentement devrait être accompagnée d’un rappel que ce consentement doit par conséquent être libre et ne pas avoir été obtenu par fraude, tromperie, coercition, ni abus de pouvoir ou de confiance, des caractéristiques déjà énumérées dans les dispositions du Code criminel sur la traite des personnes.

Quant aux données, nous avons beaucoup de difficultés à les collecter afin de mieux comprendre le problème. Les données gouvernementales sont essentielles, évidemment. L’UNODC reçoit des rapports des gouvernements. Nous les analysons, mais il est très difficile de déterminer des chiffres précis à l’échelle internationale. Il faudra évidemment plus de recherche et une meilleure collaboration entre les intervenants des divers secteurs pour avoir une meilleure compréhension de l’ampleur de ces activités criminelles.

La présidente : L’un d’entre vous souhaite-t-il répondre à la question de la sénatrice Pate?

M. Lamb : J’ai une brève réponse; la sénatrice Pate a mentionné la question de la maternité de substitution et a établi un lien avec des transactions financières. Je crois savoir que cela est inclus dans la Loi sur la procréation assistée. Il me semble qu’on pourrait s’en inspirer pour l’inclusion, dans le projet de loi, de sanctions semblables pour les transactions financières.

Nous savons évidemment que certains aspects liés à la procréation assistée font l’objet de transactions financières, du moins aux États-Unis. Je crois comprendre qu’il est illégal d’acheter et de vendre des gamètes au Canada, mais qu’il est possible de le faire aux États-Unis. Je pense que les Canadiens peuvent actuellement acheter du sperme et des ovules sur le marché américain, et cela serait visé par les définitions générales sur les tissus. Cela permettrait aussi d’encadrer certaines pratiques auxquelles les gens ont déjà recours au pays, d’après ce que je comprends.

Quant à la structure du cadre législatif sur ces questions, il pourrait être nécessaire de traiter des transactions financières dans des dispositions distinctes, tant pour les sanctions que pour les définitions, en fonction de cet article du Code criminel. Il convient d’examiner cet aspect plus attentivement.

Dr Gill : Il faudrait que j’examine les lois taïwanaises de façon plus détaillée avant de pouvoir répondre adéquatement à cette question. Je pourrais vous revenir là-dessus.

Quant aux aspects financiers, les provinces ont toutes une loi sur les dons de tissus humains qui interdisent la vente d’organes ou, essentiellement, toute commercialisation. Il y a eu récemment une certaine harmonisation à cet égard dans la plupart des provinces. Des mesures législatives sont déjà en place, d’une certaine façon, et c’est dans ce cadre que nous évoluons actuellement.

Le sénateur Ngo : J’aimerais poursuivre dans la même veine que la question de la sénatrice Pate avec Mme Comrie et M. Lamb.

Selon vous, les lois actuelles du Canada sur le trafic d’organes et de tissus humains sont-elles trop laxistes, comparativement aux normes internationales? Qu’en pensez-vous?

Mme Comrie : Le point de vue des Nations Unies est que l’élaboration des lois nationales relève du gouvernement de chaque pays. Cela dit, nous sommes heureux de donner notre opinion à ce sujet lorsqu’on nous le demande.

Dans le cas qui nous occupe, je dirais que le Canada s’est doté d’une loi très rigoureuse sur la traite de personnes. Nous suivons la situation depuis la présentation du projet de loi, et plusieurs excellentes modifications ont été apportées en 2013 à des fins de précision, notamment en ce qui concerne la définition du terme « exploitation ». Dans la loi canadienne, le prélèvement d’organes a toujours été considéré comme une forme de traite de personnes, ce qui n’est pas le cas de la loi américaine. Les États-Unis envisagent d’inclure le prélèvement d’organes dans les formes de traite de personnes, mais ce n’est pas encore fait. Donc, de ce point de vue, je pense que le cadre législatif est solide. Les autorités d’application de la loi et de poursuites sont parfois réticentes à recourir au cadre législatif sur la traite de personnes.

Les dossiers peuvent sembler complexes et de nature transnationale. Le HCR constate une augmentation progressive du nombre de poursuites au fil du temps, après la ratification du protocole et la mise en œuvre de mesures législatives. Nous menons d’intéressantes initiatives visant à promouvoir la coopération; des enquêteurs et procureurs de divers pays participent à des enquêtes conjointes.

Comme certains témoins l’ont mentionné précédemment, nous cherchons en fin de compte à cibler ceux qui font le commerce d’organes. Nous ne visons pas les cibles faciles, comme les patients désespérés, au Canada ou ailleurs. Notre objectif n’est pas de poursuivre les victimes ou les donneurs qui n’ont pas donné un consentement éclairé. Il reste donc les groupes criminels très bien organisés qui emploient des méthodes très diversifiées. Ces crimes peuvent avoir lieu dans des cliniques obscures mal équipées, qui servent habituellement seulement pour les greffes rénales, mais aussi dans les hôpitaux les mieux équipés du monde. Le tout se fait avec les documents nécessaires, tous frauduleux. L’éventail de méthodes employées pour ce crime rend la lutte très difficile.

En fin de compte, je dirais que la loi canadienne sur la traite de personnes à des fins de prélèvement d’organes est solide. Je sais que cela ne comprend pas encore une interdiction pénale sur l’obtention d’un organe à des fins lucratives, ce qui est l’objet du projet de loi, d’une certaine façon, mais, personnellement, je souhaiterais un changement de vocabulaire.

M. Lamb : Je n’ai pas eu l’occasion d’examiner cet aspect, étant donné le temps dont je disposais pour faire une comparaison avec d’autres lois, que ce soit en Europe ou même aux États-Unis. Je ne pourrais vous donner une réponse éclairée sur la situation par rapport à d’autres pays.

Je souligne au passage que la loi des conséquences imprévues s’applique à toute interdiction. Intrinsèquement, les lois pénales sont des interdictions. Il convient parfois de se demander si une mesure autre qu’une interdiction pourrait donner des résultats. Je pourrais évidemment utiliser l’exemple de la politique du pays à l’égard de la marijuana, politique qui a favorisé pendant des années la prolifération des groupes du crime organisé qui en faisaient la distribution. Ce qu’on espère, c’est que la levée de l’interdiction à cet égard entraîne la disparition des groupes du crime organisé. Il convient peut-être d’examiner cette solution tandis que nous cherchons à créer une loi pénale pour cet enjeu.

La sénatrice Cordy : Monsieur Lamb, lorsque vous parliez des sanctions, vous avez indiqué que l’emprisonnement à perpétuité pourrait être une sanction trop sévère. Si je ne me trompe pas, étant donné le libellé actuel du projet de loi, vous avez proposé une peine maximale de 5 ou de 10 ans d’emprisonnement. Pourriez-vous préciser vos commentaires?

M. Lamb : J’ai examiné les peines pour toutes les infractions énumérées, qu’il s’agisse des opérations financières ou du fait de participer à une infraction. Dans le projet de loi, quiconque commet une infraction est coupable d’un acte criminel et passible de l’emprisonnement à perpétuité.

J’ai examiné les autres lois existantes et tout particulièrement la Loi sur la procréation assistée, une mesure législative canadienne qui couvre une bonne partie de ces mêmes enjeux, mais les dispositions relatives aux gamètes et à la maternité de substitution semblent comporter de multiples options. Évidemment, un projet de loi récemment déposé au Parlement canadien visait à désigner comme des infractions hybrides la plupart des infractions du Code criminel. En soi, l’hybridation permet aux procureurs de choisir entre la procédure sommaire ou la mise en accusation. Pour commencer, en ce qui concerne les peines, il s’agirait peut-être simplement d’ajouter une option hybride qui permettrait aux procureurs de choisir entre la procédure sommaire ou la mise en accusation après évaluation de faits précis d’une cause. L’infraction punissable par procédure sommaire entraînerait une peine maximale de deux ans à purger dans un centre de détention provincial. Quant aux infractions punissables par voie de mise en accusation, elles seraient passibles de la peine maximale précisée dans la loi. C’est une des options qu’on pourrait examiner pour élargir le pouvoir discrétionnaire des autorités chargées des poursuites.

En ce qui concerne l’emprisonnement à perpétuité, je suis convaincu que ce type d’activité pourrait, dans certains cas, susciter l’intérêt d’acteurs du crime organisé de haut niveau, comme Mme Comrie l’a indiqué. La mesure législative vise notamment à lutter contre cela. Cela pourrait aller jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité. Dans sa version actuelle, la mesure législative comprend divers degrés de culpabilité morale. Il convient d’étudier la possibilité d’inclure des peines plus sévères, peut-être avec des peines maximales qui reflètent les peines de 5 ou 10 ans prévues dans la Loi sur la procréation assistée. On voit des peines de 5,10 et 14 ans dans diverses mesures législatives en matière pénale. La peine maximale de 14 ans s’applique au plus haut degré de culpabilité morale et aux crimes les plus graves, outre ceux passibles d’emprisonnement à perpétuité.

La sénatrice Cordy : Pour revenir à la question des opérations financières, la définition de « tissus » engloberait-elle les ovules et le sperme?

M. Lamb : C’est ainsi que je vois les choses. Ce n’est pas défini dans le Code criminel. Le médecin qui est assis à mes côtés est sûrement mieux placé pour en parler. Selon moi, le terme « tissus » comprend les gamètes, donc les ovules et le sperme.

Dr Gill : Les définitions ont été prises pour diverses raisons. Je pense donc qu’elle pourrait être interprétée de façon aussi large.

La sénatrice Cordy : C’est très large.

La sénatrice Ataullahjan : La notion de consentement éclairé est-elle définie dans les autres dispositions du Code criminel où elle est évoquée? Je fais référence au projet de loi C-14 sur l’aide médicale à mourir, dans lequel la notion de consentement éclairé a été utilisée, mais sans être définie.

M. Lamb : C’est exact, mais il s’agit d’une mesure législative récente. Le Code criminel ne comporte aucune définition de la notion de consentement éclairé. J’ai soulevé la question parce que je sais d’expérience, par rapport à d’autres aspects — dans le contexte d’infractions quasi criminelles ou d’autres questions juridiques liées au consentement éclairé — que cette notion revient continuellement dans les diverses lois relatives aux professionnels de la santé réglementées et dans les ordres professionnels.

Le consentement éclairé est une notion très importante, mais il n’y a pas de jurisprudence à cet égard. Des définitions pourraient découler des dispositions sur l’aide médicale à mourir ajoutées récemment au Code criminel. Ce n’est pas le cas actuellement, c’est pourquoi je pense que le terme « consentement » en soi peut englober l’ensemble de la jurisprudence du droit pénal à cet égard. L’utilisation du terme « consentement » signifie que le consentement d’une personne est considéré comme vicié s’il a été obtenu par une personne en position de confiance ou d’autorité, ou à la suite d’un acte frauduleux quelconque. Voilà pourquoi je soulève cette question.

La sénatrice Ataullahjan : J’ai un autre point. D’après moi, la détermination de la peine demeurera à la discrétion du juge.

M. Lamb : Bien entendu. Cela varie considérablement d’une personne à l’autre, mais en fin de compte, le juge tiendra compte de la peine maximale prévue.

La présidente : Je vous remercie tous les trois d’avoir pris le temps de venir nous parler de ce projet aujourd’hui. Merci, chers collègues.

(La séance est levée.)

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